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Troisième enchaînement
(l'acédie)

Tout comme nous l'avons vu au cours du second enchaînement, le démon se fait de plus en plus efficace au fur et à mesure qu'il devient apparemment absent. Le démon se fait oublier et la pratique du spiritisme renvoie alors ses adeptes à eux-mêmes.

Dans la confusion de la séance, les personnes présentes projettent leurs propres visions du moment. Le dialogue s'alimente des propos de chacun des participants; propos, dont la manipulation du verre sert à la fois de catalyseur et de révélateur. Chacun se raconte à son insu, et dans cette atmosphère délétère, on se ridiculise, on se moque, on se devine et on se démasque à travers les propos du verre.

A ce stade là, est-il encore évident que les propos du verre soient ceux d'un esprit? A première vue, on ne sait plus si c'est l'esprit ou si ce sont les participants qui font les réponses. Ici, la duperie atteint son paradoxe le plus confondant car l'illusion est entretenue par les apprenti-spirites eux-mêmes: ils bougent le verre sans plus savoir très bien pourquoi il y a un verre ni s'il y a encore là un esprit qui agit! Mais n'en soyons pas dupes, l'esprit maléfique est toujours là et beaucoup plus proche des participants qu'on ne saurait le penser, comme nous allons le voir.

- Confusions:

Ainsi, l'apprenti-spirite a-t-il la sensation d'être lui-même l'auteur des déclarations du verre. S'il s'interroge sur cette étrange sensation, après réflexion, il lui semblera avoir été, par le jeu d'un phénomène incontrôlé d'hypnotisme, le sujet d'une expérience d'autosuggestion. Nous pouvons ici reprendre le cas de Victor Hugo, qui se fit dicter des poèmes par des esprits lors de séances de spiritisme. Le plus célèbre de ces poèmes est certainement "la Bouche d'ombre" que Victor Hugo a placé comme poème terminal des Contemplations.

Parmi les vers dictés par les tables tournantes de Jersey (1853-1855), on peut citer les poèmes suivants: "Dicté par "Tyrtée"" (14 décembre 1853), "dicté par Shakespeare" (du 21 janvier au 6 février 1854), "dicté par Eschyle" (14février 1854), "dicté par "l'ombre du sépulcre"" (10, 17 et 26 février 1854), "dicté par le Lion d'Androclès" (24 avril au 6 août 1854) et "dicté par Molière" (du 10 février au 18 mai 1855). On peut lire ces poèmes dans Victor Hugo, oeuvres romanesques et poétiques, (collection du cercle du Bibliophile, Tome XII, -1963-).

Il est curieux de voir à la lecture de telles poésies que ces dernières ne se distinguent en rien des autres productions de l'auteur. Elles sont, tant par leur style que par leur contenu, tout à fait hugoliennes! A Cet égard, Victor Hugo en concevra une vague déception en même temps qu'il entretiendra en lui-même la satisfaction orgueilleuse de se sentir comme inspiré d'en haut dans l'élaboration de son œuvre. Nous verrons plus loin à quoi se rapporte cette confusion d'impressions.

A côté de cela, une sensation également confuse peut être ressentie par les participants, à savoir que l'un ou l'autre d'entre eux a triché en bougeant personnellement le verre. Certains participants ne se font-ils pas passer pour un esprit en jouant en cours de partie aux entremetteurs? Il arrive par exemple assez fréquemment que l'on tombe dans le libertinage et que les apprenti-spirites dévoilent leurs attirances sexuelles les uns pour les autres ou pour d'autres personnes non présentes lors de la séance. A ce niveau là, les questions posées par les participants trahissent chez eux, dans l'excitation qui en découle, beaucoup de leurs intentions: "Avec qui vais-je sortir cette semaine?", "Est-ce qu'une fille est amoureuse de moi?", "Quel est son nom?", etc. Nous touchons ici un point important car les questions deviennent plus révélatrices que les réponses?!

- explication:

Nous allons pouvoir maintenant répondre de façon satisfaisante à notre interrogation de départ, à savoir: l'esprit est-il toujours présent ou ne l'a-t-il jamais été?

Il est clair qu'il a toujours été présent. En effet, après ce qui vient d'être dit, la conclusion s'impose d'elle-même: c'est le démon qui interroge et sollicite le comportement des participants, qui, pour leur part, se soumettent passivement à son examen! L'attitude léthargique des participants, comme hypnotisés sous l'effet de la présence de l'esprit maléfique est indéniable. Il y a là une sorte de passivité peccamineuse du sujet qui débouche sur une pernicieuse réceptivité. Les participants sont comme soumis à un interrogatoire mené par l'esprit. En somme, ils se placent sous la dépendance malveillante d'un démon: il arrive en effet que, "parfois, les démons apprennent parfaitement, avec la plus grande facilité, les dispositions des hommes, non seulement celles qui sont révélées par la voix, mais même celles qui sont conçues dans la pensée, quand des signes venant de l'esprit (de l'homme) s'expriment dans le corps" (Saint Augustin, Divination des démons ch. 5). Durant le déroulement d'une séance, en ce qui concerne la voix, la chose est entendue! Il est clair également que dans les faits, nos corps en viennent à trahir dans la plupart des cas nos sentiments. Par exemple, lorsque nous avons peur nous pâlissons tout comme lorsque, vaincu par la timidité, nous rougissons. Ces signes sont flagrants et leur évocation grossière, mais il en existe bien d'autres beaucoup plus subtils, qu'une attention pénétrante pourrait connaître. Le pouvoir des démons est tel si on leur donne prise!

Pour illustrer notre propos, je citerai plusieurs exemples révélateurs. C'est à Corinne que je dois les éléments de compréhension suivants, tirés de séances auxquelles elle participa. Pour commencer, Corinne m'a parlé d'une séance où l'esprit se présenta sous la nationalité brésilienne; curieusement, assistait à la séance, une autre jeune fille qui revenait justement d'un voyage au Brésil! Ceci illustre clairement notre propos selon lequel l'esprit ne peut faire de réponses que si celles-ci sont déjà en germe dans les questions ou la disposition d'esprit des participants. Car il faut s'en persuader, le démon n'a aucune imagination! Tous les fantasmes que le démon opèrent sur nos sens, viennent de nos sens mêmes, par le truchement desquels nous le laissons traduire à nos dépens nos sentiments et nos émotions. "En effet, le démon ne peut induire des formes nouvelles dans la matière corporelle; aussi, par voie de conséquence, il ne le peut non plus dans les sens et l'imagination, dans lesquels rien n'est reçu sans organe corporel" (De Malo ,Q.XVI, a.11, réponse). Nous verrons par la suite dans un autre enchaînement combien la matière est hermétique à l'action des démons qui sont des créatures immatérielles, des substances séparées de toute corporéité. Pour l'instant, poursuivons notre enquête sur l'action des démons sur notre imagination.

Corinne m'a précisé que lorsqu'elle n'avait pas d'idée préconçue au départ d'une de ses questions adressées à l'esprit, celui-ci ne faisait aucune réponse cohérente ni intelligible. Sans prémices imaginatives, à la question: "esprit, quel est ton nom?", le verre indique une série de lettres sans rapport les unes avec les autres. Au moment où Corinne précise sa question en demandant: "est-ce un code?", alors l'esprit répond: "oui!". Une fois de plus la réponse se trouve de façon implicite dans le sens de la question. De fait, le démon use de l'imagination de l'apprenti-spirite afin de nourrir un dialogue pour l'entretien duquel il ne posséderait autrement aucun élément. Ce qui nous permet d'affirmer que "le démon change la puissance imaginative ou sensitive de l'homme, non pas en se représentant lui-même comme milieu ou comme objet, mais dans la mesure où il présente à la puissance sensitive ou imaginative SON OBJET PROPRE" (Q.XVI, a.11, solution 8). Les informations que le démon glane en scrutant la puissance imaginative des participants, lui sont disponibles selon le processus suivant que nous explique Saint Thomas d'Aquin avec sa solution n°9: "Le démon ne peut rien faire voir de nouveau à l'homme par vision imaginaire; il ne peut en effet faire qu'un aveugle de naissance imagine les couleurs, ou qu'un sourd de naissance imagine les sons. Mais selon une autre manière, une chose est dite nouvelle selon la nature du tout, par exemple quand on dit qu'imaginer des montagnes d'or qu'on a jamais vues est une chose nouvelle dans l'imagination; toutefois, parce que l'homme a vu et de l'or et une montagne, il peut imaginer par mouvement naturel une image de montagne en or. Et c'est aussi de cette façon que le démon peut présenter quelque chose de nouveau à l'imagination, selon les divers arrangements des mouvements et des espèces qui sont comme des semences cachées dans les organes des sens, dont lui-même connaît le pouvoir". A partir de la disposition passive des participants, l'esprit collecte le contenu nécessaire à l'élaboration des messages, qu'il transmet donc par délégation (le contenu des messages appartenant en ses diverses parties et formulations à la puissance imaginative des participants eux-mêmes). Le démon ne présente à l'apprenti-spirite que l'objet produit par la propre imagination de l'apprenti-spirite. Les Pères du désert auraient à cet effet parlé de Garde du Cœur visant à chasser toute pensée ou toute attitude peccamineuses pouvant offrir aux démons une prise sur notre activité affective, sensitive ou imaginative - et donc la manipuler. La Garde du Cœur est la parade la plus efficace contre l'introspection démoniaque. Dans la formule "introspection démoniaque", le terme "introspection" apparaît ambigu. Une introspection est en effet une réflexion sur soi par soi. Faute d'avoir trouvé un terme plus approprié, je maintiens celui d'introspection car il permet tout de même de cerner l'équivoque de la question des opérations existant entre l'esprit démoniaque et celui de l'apprenti-spirite.

En suivant l'enseignement de la Garde du Cœur, il suffit en effet que l'individu concerné refuse de se soumettre à l'examen de l'esprit pour que ce dernier ne puisse plus en pénétrer les pensées ni celles des autres participants présents à son refus. Dans son ouvrage Le Curé d'Ars Saint Jean­-Marie-Baptiste Vianney (1786-1859), le Chanoine Francis Trochu rapporte le récit suivant qui illustre de manière éloquente ce qui vient d'être précisé:

"Le comte Jules de Maubou, qui avait des propriétés en Beaujolais, près de Villefranche, mais qui habitait Paris une partie de l'année, aimait à visiter M Vianney. Il était son pénitent et son ami.

C'était vers 1850. Or, en ce temps-là - l'histoire est un perpétuel recommencement - la vogue était aux spirites, aux médiums et aux tables tournantes. Dans la haute société parisienne, même en des familles croyantes et pratiquantes, on s'adonnait à ce passe-temps réputé de bon ton. M de Maubou, invité à une soirée chez une de ses parentes, ne crut pas pouvoir refuser son concours et participa à diverses expériences: sous ses yeux se déroulèrent les phénomènes habituels: la table se souleva et donna ses réponses en frappant le parquet.

Le surlendemain, notre gentilhomme, ayant repris le chemin du Beaujolais, se dirigeait vers Ars, heureux d'avance de revoir son vénérable et saint directeur. Justement, à son arrivée, M Vianney se présentait sur le seuil de l'Église. Souriant, la main tendue, M de Maubou courut à lui. Sans même lui rendre son salut, le Curé d'Ars, le clouant sur place d'un geste, lui jeta d'une voix triste et sévère:

"Jules, arrêtez-vous! Avant-hier, vous avez eu commerce avec le diable. Venez vous confesser!"

Le jeune comte se laissa faire docilement et promis de ne plus s 'adonner à un passe temps ainsi jugé et condamné.

A quelque temps de là, de retour à Paris, il se trouvait dans un autre salon. On le pria, cette fois encore, d'aider à faire tourner une table. Du coup, il tint parole et se montra irréductible. Les invités décidèrent de passer outre, et le scrupuleux gentilhomme demeura seul dans un coin. Mais dans le même moment, M de Maubou protestait, en l'intime de son âme, qu'il s'opposait à ce jeu de toute sa volonté. La résistance de la table fut telle et si imprévue, que le médium ne put s'empêcher de dire: "Je n 'y comprends rien. il doit y avoir ici une force supérieure qui paralyse notre action!"" (Ce récit repose entièrement sur des notes écrites, le 16 mai 1922, au presbytère d'Ars, par M de Fréminville de Bourg petit neveu de M de Maubou).

Quand nous avons dit qu'il suffit à un des participants de refuser de se soumettre à l'examen de l'esprit présent pour que ce dernier ne puisse plus pénétrer ses pensées, il faut admettre que le participant en question ait remis en cause la présence de l'esprit. Dès qu'elle commence à s'affirmer, cette remise en cause réduit immédiatement au silence l'esprit et la séance devient stérile. Par remise en cause, il faut entendre de la part de l'apprenti-spirite, à l'exemple de M. de Maubou, un discernement sur les tenants et les aboutissants de la pratique spirite.

Comme Corinne me l'a confirmé, à partir du moment où elle s'est posée à elle-même la question: "pourquoi y a-t-il un verre?" ou encore: "ne suis-je pas victime d'une forme d'hypnotisme?", les séances n'ont plus rien donné. Il apparaît donc évident que l'esprit ne peut agir que si les participants abandonnent toute attitude critique à l'encontre du procédé et qu'ils s'y livrent avec la plus grande passivité possible, intellectuellement, spirituellement, moralement et physiquement même.

Pour conclure cette tentative d'explication, on peut dire qu'il y a, en fin de compte, retournement du procédé: c'est le verre qui interroge les participants!!! Les réponses qui semblent venir des participants eux-mêmes, comme nous en avons eu le sentiment, sont plus proches de ceux-ci, à qui elles s'adressent, du fait même que le démon agit plus intimement sur les participants en traduisant de plus en plus précisément leurs passions, dont il dispose pour leur plus grande confusion.

- conséquences:

Si les participants sont convaincus qu'ils trouveront à travers le spiritisme la réponse à leur quête d'absolu, au regard des résultats obtenus, leur déception face à l'impossibilité d'y parvenir par ce moyen sera lourde de conséquences. Qui recherche de la sorte le frisson au contact d'un autre monde mystérieux ne rencontre que ses propres fantasmes et les réactions mi-moqueuses, mi-consentantes des autres participants. Un sentiment mélangé de ridicule et d'insatisfaction émerge chez l'apprenti-spirite à mesure que croît en lui la sensation qu'il est lui-même l'auteur des déclarations du verre. La triste conclusion ne tarde pas à venir: il n'y a rien au delà de nous-mêmes et le contenu de la séance n'est que le reflet de nos désirs.

En écho avec ce que nous avons dit des fausses révélations en analyse du second enchaînement, l'apprenti-spirite a perdu le sens de la Vérité en perdant de vue le Visage de Celui qui nous identifie en Dieu: Jésus le Christ, Icône du Père. En conséquence de quoi, après de vaines recherches à l'instar d'un "Allan Kardec", dans les domaines de philosophies et de spiritualités mensongères, c'est l'appétit même de toute recherche de la Vérité qui vient à manquer. A cet effet, le but poursuivi par l'esprit mauvais est radicalement opposé à toute recherche de la Vérité chez l'homme. Le démon s'acharne à déprimer l'âme des apprenti-spirites et à leur rendre pénible toute tentative d'élévation vers les réalités d'en haut.

De la Vérité, l'homme à perdu le sens, en perdra-t-il aussi le goût de sa recherche? Tel est le risque terrifiant et mortel du péché d'acédie: perdre le goût de la recherche de l'absolu; être dégoûté des réalités d'en haut; ne plus espérer le bien divin.

Par le biais du spiritisme, l'âme se dessèche peu à peu car sa soif du divin n'est pas satisfaite. Le sens de la Vérité faisant cruellement défaut dans le spiritisme, le goût de sa recherche en devient amer. Ce dégoût progressif de l'âme pour les choses divines s'appelle l'acédie: "Or l'acédie est le dégoût ou la tristesse du bien spirituel et intérieur" (De Malo, QXL a. 1, réponse). "Elle comporte, en effet, une certaine tristesse qui vient de la répugnance de la volonté humaine pour le bien spirituel divin" (De Malo, Q.XI, a. 3, réponse). Le spiritisme ne donne de réponse sur rien et l'intérêt pour l'au-delà à l'origine de sa pratique meurt avec la pratique même du spiritisme: non moins que renseigné on est désenchanté! Le spiritisme finit par apparaître chez les apprenti-spirites comme la preuve qu'il n'existe rien au-delà de notre monde visible. Le point de départ de ce qui devait être une quête de mystères s'est transformé en preuve de l'inanité de toute recherche. C'est l'indifférence qui l'emporte finalement chez l'apprenti-spirite ou encore demeure-t-il vaguement sensible à l'existence d'une force supérieure impersonnelle et c'est là l'erreur des agnostiques. Ou bien encore, les apprenti-spirites se contentent-ils de ce que peut leur apporter le spiritisme et ainsi arrêtent-ils leur croissance dans la connaissance vécue des choses de la foi.

On peut donc penser que si les adeptes du spiritisme mettent en la matière tous leurs espoirs de connaissance de l'au-delà, l'esprit aura certainement beau jeu, par ce biais, de ruiner leur quête d'absolu en les gardant captifs loin de Dieu le plus longtemps possible.

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