Les événements de Medjugorje intriguent et interpellent. En effet, la Bienheureuse Vierge Marie apparaît-elle vraiment en ce lieu ?
 
Entretien de Daria Klanac
avec le théologien français Arnaud Dumouch
[14]

 

Sommaire

 

Présentation de l'entretien

La durée des apparitions

Les voyants

Le Message

Les franciscains

L’évêque

L’Église

Les difficultés majeures

Les problèmes théologiques

Lourdes — Medjugorje

Les secrets

L’arbre et ses fruits

Les recherches scientifiques

Le dossier des miracles

L’influence de Satan

La guerre et la paix

Les signes

L’étonnant tableau

La vision du purgatoire, de l’enfer et du paradis

La deuxième génération des voyants

Le discernement

Les ouvrages critiques

La paroisse

La Vierge Marie

La mission de la Vierge Marie
Depuis 1830, une multiplication d’apparitions mariales: pourquoi?

C’est une maman

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[p. 119]Il est légitime de se poser des questions sur les croyances, surtout quand il s’agit d’une apparition. Notre intelligence de la foi se nourrit par la curiosité, comme celle des enfants qui ont tout à apprendre. Lorsque l’ange est apparu à Marie, sa première réaction spontanée s’est manifestée par une question: «Comment…» Elle voulait comprendre, avoir plus d’explications. Elle a cru à la réponse qui lui a été donnée et l’a conservée dans son cœur sans commentaire. La Vierge est passée par cette étape de questionnement, c’est pourquoi elle a si bien accueilli les mille et une questions des enfants de Medjugorje, afin de les amener à la maturité de la foi.

Thomas l’apôtre, après la résurrection de Jésus, a manifesté une autre attitude, qui est souvent la nôtre: je dois toucher, il me faut voir de mes propres yeux pour croire.

J’ai accompagné des milliers de personnes à Medjugorje. En tant que guide, j’avais à répondre à de nombreuses questions. [p. 120]Cela a enrichi nos échanges en groupe et cultivé notre manière de discerner.

C’est en m’inspirant de mon expérience sur le terrain avec les pèlerins que j’ai réalisé cet entretien avec le théologien français Arnaud Dumouch. Nous avons soumis à une analyse critique, théologique et humaine la plupart des questions que se posent les gens qui s’intéressent de près ou de loin au phénomène de Medjugorje.

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La durée des apparitions

Daria Klanac : Depuis juin 1981, il se produit à Medjugorje, une paroisse croate de Bosnie-Herzégovine, un phénomène inhabituel: les apparitions quotidiennes de la Vierge Marie. La durée de ces apparitions, 27 ans, est-ce une objection sérieuse à leur authenticité?

Arnaud Dumouch : Absolument pas. Ce genre d’argument n’est pas canonique, mais de l’ordre de l’impression subjective. De même pour l’argument du caractère répétitif et enfantin des messages. Le mode de chaque apparition est spécifique et unique. Si l’on regarde les jugements semblables sur des apparitions reconnues, voici ce qu’on trouve:

– Pour la rue du Bac, des théologiens doutèrent, car la Vierge ne pouvait mettre son cœur à taille égale avec le cœur du Christ.

– Pour la Salette, des théologiens doutèrent, car la Vierge ne pouvait annoncer une famine ou se percher sur un arbre en pleurant.

– Pour Lourdes, ils trouvaient indécent que la Vierge apparaisse dans un trou de roche au-dessus d’une prairie à cochons. D’autres disaient que la Vierge (une personne) ne pouvait se nommer avec un concept (Immaculée Conception).

Bref, chaque apparition surprend, est originale.

D. Klanac : Les voyants ont questionné la Vierge sur la durée des apparitions. Dans les interrogatoires des premiers jours (les 6e et 7e jours), nous [p. 121]avons deux réponses contradictoires: «Autant que vous désirez» et «trois jours[15]». Selon cette dernière réponse, les apparitions se termineront le 10e jour, mais les voyants affirment la voir le 11e jour et les jours suivants.

A. Dumouch : Cette phrase étrange ne peut constituer en elle-même un critère de discernement. Pour comprendre, prenons l’exemple de Lourdes. La Vierge dit: «Je suis l’Immaculée Conception.» Si Lourdes n’était pas reconnue, on dirait aujourd’hui: «Cette parole est une erreur théologique grossière. La Vierge ne peut s’identifier à une notion.» Or l’apparition est reconnue. Les théologiens trouvent donc à cette parole de nombreux sens profonds et bouleversants.

De même pour Medjugorje: si l’apparition est un jour reconnue, les théologiens la liront avec un regard positif et diront sans doute, comme pour les phrases étranges de Lourdes, que ce passage signifie, par exemple (je dis cela au hasard): que le message central durerait encore trois jours, et qu’ensuite, la Vierge ne ferait que le redire, sans cesse, comme une mère se répétant. Ou encore: que la Vierge apparaîtrait encore durant trois jours symboliques (ceux d’une lente épreuve de l’Église) et jusqu’au Vendredi Saint de l’Église (son entrée dans sa passion, à l’imitation de son Seigneur). Donc, attendons.

D. Klanac : Beaucoup de gens trouvent étrange le nombre impressionnant d’apparitions à Medjugorje, ainsi que les déplacements de la Vierge qui suit les voyants là où ils sont. Quelle est l’explication théologique de ce phénomène?

A. Dumouch : Le nombre d’apparitions n’est pas une objection (ni en positif, ni en négatif). Les paroles des prophètes de l’Ancien Testament sont souvent de ce type: textes immenses, répétitions, [p. 122]sens mystérieux. Parfois au contraire, comme dans le livre de Jonas, le Ciel ne dit presque rien.

Le déplacement des apparitions là où sont les voyants est aussi un phénomène attesté de nombreuses fois dans l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Après sa résurrection par exemple, le Christ apparaît partout, alors qu’il avait annoncé plusieurs fois qu’il apparaîtrait en Galilée. Et c’est logique: l’apparition s’adresse à des intelligences humaines et non à un lieu.

D. Klanac : Peut-elle apparaître en même temps à des endroits différents à plusieurs voyants qui, chacun de son côté, la voient à la même heure?

A. Dumouch : Oui. C’est un charisme particulier (la multilocation), communiqué par Dieu aux saints du Ciel (et parfois à des saints de la terre comme saint Martin de Porrès qui, vivant dans un couvent d’Amérique Centrale, a sauvé de nombreux naufragés dans la Méditerranée). Ce charisme, venant de Dieu, est très important à l’heure de la mort où le Christ et les saints accueillent de nombreux mourants en même temps. Il implique la puissance directe de Dieu, car il dépasse la loi naturelle qui veut que chaque corps ait un seul lieu. Dans le cas de Medjugorje, ce charisme ne suffira pas pour la décision finale de l’Église, car il peut facilement être imité par des forces non divines (à la différence des miracles, comme une guérison instantanée).

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Les voyants

Daria Klanac : Ce qui est aussi inhabituel dans le cadre de ces apparitions, c’est que les voyants sont tous mariés. Des voyants mariés menant une vie de famille «trop normale» selon l’évêque. Qu’en pensez-vous?

Arnaud Dumouch : Ce qui spécifie la vie chrétienne, c’est (à titre de fondement) son humilité et (à titre de cœur) sa recherche de l’Amour de [p. 123]Dieu et du prochain. Ces deux qualités ne sont pas liées à la seule vie religieuse. Le mariage, et la famille, en constituent le chemin le plus habituel. Maintenant, même en imaginant que les voyants connaissent un jour des aléas dans leur vie (divorces, tiédeurs, etc.), ce ne serait pas un critère pour éliminer automatiquement l’authenticité des apparitions. Jésus est apparu à des gens «normaux». Il a parlé à une femme ayant eu cinq maris[16]. Rien n’empêche donc la Vierge d’apparaître à qui elle veut (saintes héroïques comme Bernadette Soubirous ou Catherine Labouré, ou personne menant une vie simple et quotidienne).

Les critères canoniques de reconnaissance d’une apparition sont l’ajout de trois choses:

1. Conformité à la foi: il ne saurait y avoir une apparition authentique disant des hérésies.

2. Fruits spirituels: repentir, joie, paix, humilité, retour à la pratique religieuse. L’héroïcité de la sainteté n’est pas exigée. Juste un mieux.

3. Des miracles confirmant le tout. Ce critère est important et décisif.

D. Klanac : Les voyants en tant que laïcs sont-ils soumis aux mêmes règles d’obéissance que les consacrés? Qu’est-ce que le droit canonique nous enseigne sur la liberté de la diffusion et de la publication du contenu des révélations privées non reconnues?

A. Dumouch : Les prêtres franciscains, s’ils avaient reçu l’ordre de leur supérieur de quitter la paroisse et de ne plus s’occuper de l’apparition, auraient dû, je pense, obéir, en ce sens que leur vœu d’obéissance – conseil évangélique auquel ils adhérèrent lors de leur profession religieuse – en eût été affecté.

[p. 124]Mais les laïcs ne sont pas sous ce vœu d’obéissance. Personne ne peut être interdit de publication. Le pouvoir de l’évêque consiste à refuser sa caution officielle (Nihil Obstat et Imprimatur). C’est ici le cas. Donc, en publiant les messages, à titre personnel, les laïcs de Medjugorje n’enfreignent aucune règle canonique. Ils l’auraient fait s’ils avaient dit: «Nous avons le Nihil Obstat et Imprimatur de notre évêque»!

Le Droit canonique contient cependant des dispositions pouvant autoriser ou interdire à des laïcs d’enseigner officiellement en université catholique ou en chaire[17]:

«1.Les laïcs, pour pouvoir vivre selon la doctrine chrétienne, l’annoncer eux-mêmes et la défendre s’il le faut, et pour pouvoir prendre leur part dans l’exercice de l’apostolat, ont le droit et le devoir d’acquérir la connaissance de cette doctrine, connaissance appropriée aux aptitudes et à la condition de chacun.

2.Ils jouissent aussi du droit d’acquérir une connaissance plus profonde des sciences sacrées enseignées dans les universités ou facultés ecclésiastiques et dans les instituts de sciences religieuses, en fréquentant les cours et en acquérant les grades académiques.

3.De même, en observant les dispositions concernant l’idonéité[18] requise, ils ont la capacité de recevoir de l’autorité ecclésiastique le mandat d’enseigner les sciences sacrées.»

Je crois qu’aucun des laïcs ne tombe sous ces dispositions. Leur parole est privée. Leur parole est donc libre, mais n’engage qu’eux-mêmes, pas l’Église.

D. Klanac : Au début des apparitions, les voyants ont beaucoup souffert, leur seul avantage était la joie de voir la Vierge. Depuis qu’ils ont fondé chacun à leur tour une famille, plusieurs ont opté pour l’accueil des pèlerins. Afin de subvenir aux besoins de leurs familles, ils ont construit des pensions plus ou moins luxueuses.

[p. 125]A. Dumouch : Comparons: Bernadette de Lourdes ne pouvait toucher un seul sou en rapport avec la vénération qui l’entourait. Si on lui offrait de l’argent, elle disait: «Il me brûle» et le laissait tomber par terre. Mais ses frères et sœurs créèrent tous quelque activité (hôtel, souvenirs) en rapport avec l’apparition. Bernadette fut au début attristée puis, parlant avec sa sœur, elle comprit et fut beaucoup moins intransigeante. Elle comprit la nécessité pour les familles d’avoir une activité professionnelle (ce qui n’était pas son cas dans sa vie religieuse).

Donc si les voyants font les choses avec honnêteté, sans enrichissement malhonnête ou exagéré, ils ne pèchent pas. Ils sont laïcs et vivent comme il se doit.

D. Klanac : Les voyants, du fait de vivre indirectement des apparitions, rendent-ils un contre-témoignage?

A. Dumouch : Un contre témoignage? Non. Ou alors uniquement pour les personnes qui pensent que l’Église, en faisant la quête à la messe, fait aussi un contre-témoignage. Si les voyants font leur travail honnêtement et s’ils ne tombent pas dans le piège de l’argent, ce ne sera pas un problème pour le futur, mais au contraire un modèle d’honnêteté domestique dans le cadre du mariage. Par contre, s’ils tombent dans la tentation de l’argent, ils porteront un grave contre-témoignage. Ils doivent donc veiller à ne pas vivre ni trop pauvrement (ils sont mariés), ni trop richement (ils sont témoins), mais de manière mesurée et simple. En tout état de cause, comme pour le roi Salomon qui, sage dans sa jeunesse, devint pervers dans sa vieillesse, leur droiture ou leur chute future n’a pas d’impact sur le discernement de l’apparition. En effet, même à l’heure de la mort où le Christ paraît dans sa Gloire, certains tombent et d’autres le suivent. Ce n’est pas le Christ qui est en jeu, mais la liberté de l’homme.

[p. 126]D. Klanac : Un des bons fruits de Medjugorje ce sont les vocations. Dans le groupe des voyants, il n’y en a pas eu. Certains fidèles sont choqués de voir tous les voyants de Medjugorje opter pour le mariage.

A. Dumouch : Ils ont tort. Le mariage est une sainte vocation, et cette vocation, sa sainteté particulière, doit être mise en valeur. Jamais la Vierge ne pourrait imposer une consécration religieuse. Au contraire, c’est un signe d’authenticité que la Vierge respecte et suive le choix libre de chaque voyant.

Encore une chose: les imperfections personnelles de chaque voyant, qui restent des hommes et femmes simples et pécheurs, n’ont pas directement d’impact sur le discernement de l’apparition.

D. Klanac : Qu’y a-t-il d’indigne dans ce choix, pour les voyants, de fonder une famille?

A. Dumouch : Absolument rien. C’est, sans doute, peut-être même dans la ligne pastorale de Jean-Paul II qui voulait trouver des familles saintes et canonisa de nombreuses personnes mariées.

D. Klanac : La Vierge parle toujours dans la langue des enfants. Dans l’entretien du père Jozo Zovko avec les voyants, le 30 juin 1981[19], le jeune Jakov explique sa conversation avec la Vierge comme quelque chose qu’il vit aussi en son for intérieur. Je trouve cela très intéressant et significatif. Quel est votre point de vue?

A. Dumouch : Pour saint Thomas d’Aquin (IIa-IIae, Traité de la prophétie), il existe trois degrés de profondeur des apparitions:

1. Certaines s’adressent aux seuls sens du voyant (qui n’y comprend rien). C’est le degré le moins profond. Ainsi, à Pontmain, où les enfants voient l’image et les gestes de la Dame. Mais ce sont les prêtres qui comprendront le sens théologique caché.

[p. 127]2. D’autres vont jusqu’à son imagination, comme dans la vision de saint Jean à Patmos. Jean ne comprend pas tout, tant ce qu’il voit en songe va dans tous les sens. C’est le degré intermédiaire.

3. Enfin, une troisième espèce va jusqu’à l’intelligence et le cœur du voyant. C’est le degré le plus profond.

Il se peut qu’on ait ici l’explication de la durée des apparitions de Medjugorje: les voyants entrant dans une vie de plus en plus intérieure. Ce serait alors une pédagogie céleste en train de faire de la vie de ces voyants, un peu comme pour Jeanne d’Arc, une parabole de la vie spirituelle en croissance.

D. Klanac : Je viens de lire dans la revue de Medjugorje, Le Messager de la Paix (septembre 2007), une entrevue avec la voyante Marija, celle qui nous transmet le message du mois. Elle exprime une grande joie et une grande humilité d’être au service de Marie et souligne que pour vivre au quotidien avec Dieu il faut beaucoup d’humilité. La Vierge se donne par amour et invite à l’amour. Marija, mettant l’accent sur l’amour et l’humilité, ne prouve-t-elle pas qu’elle est à l’école de Marie?

A. Dumouch : Je dirais même que c’est théologiquement le fondement même de ce que Jésus donne comme spécifiquement chrétien dans son Évangile. Cette phrase de saint Jean (19, 34-36) et sur laquelle il insiste («… mais l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage – son témoignage est véritable, et celui-là sait qu’il dit vrai – pour que vous aussi vous croyiez») signifie très exactement ce qu’est le cœur du Christ, modèle du cœur chrétien: l’humilité (l’eau) et l’amour de charité (le sang), les deux unis ensemble formant une vertu que sainte Faustine appelle «miséricorde».

Pour le comprendre, voici:

1. La bonne terre: ce que Dieu aime d’abord et qui est, d’après le Concile de Trente (VIe session,) préparation venant de Dieu en l’homme dans tout l’Ancien Testament, c’est l’humilité d’un cœur [p. 128]qui ne s’estime pas supérieur aux autres, qui se sait pécheur. C’est ce que Jean-Baptiste a prêché dans son baptême de repentir. L’humilité est comme la bonne terre préparatoire sur laquelle peut se développer l’arbre de la vie, qui est l’amour de charité.

2. L’arbre: fondé sur cette préparation, Jésus est venu prêcher ce qui donne directement le Salut par l’union personnelle avec Dieu, à savoir l’amour (Agapè) d’un cœur assoiffé. Ça, c’est le baptême de l’Esprit Saint donné par Jésus. Et il est certain que Dieu vient immédiatement dans un cœur ainsi préparé par la terre de l’humilité: «Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé», dit saint Paul[20].

3. Les fruits de l’arbre: ils sont les vertus morales. Celles-ci sont aimées de Dieu uniquement lorsqu’elles sont des fruits des deux premières vertus (l’humilité et l’amour). Lorsqu’elles sont possédées en elles-mêmes, les vertus morales sont souvent source de fierté, voire d’orgueil. Dans ce cas, elles n’ont pas de valeur aux yeux de Dieu. On connaît tous des personnes vertueuses et dures de cœur.

D. Klanac : Les voyants de Medjugorje sont toujours étonnés par la beauté de la Vierge. «Je suis belle parce que j’aime.» Ou encore leur a-t-elle dit: «Si vous saviez combien je vous aime, vous pleureriez de joie!» Est-ce par manque d’amour que notre monde donne l’impression d’être laid?

A. Dumouch : Ce qui caractérise la Vierge, c’est que son corps glorifié ne cache plus, mais révèle parfaitement son âme. C’est pourquoi, en la voyant, on ne voit pas seulement un visage, mais c’est comme si on voyait directement ce qu’elle est intérieurement. Et ce sont justement son humilité et son amour qui frappent en premier. Sur terre, le visage est un masque qui, souvent, cache les vraies qualités du cœur. Il existe donc des gens laids physiquement dont le cœur, caché à tous et vu de Dieu, est bon. À l’inverse, des gens rayonnants sont mauvais [p. 129]selon cette parole de Jésus (Mt 7, 22-23): «Beaucoup me diront en ce jour-là: Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé? En ton nom que nous avons chassé les démons? En ton nom que nous avons fait bien des miracles? Alors, je leur dirai en face: jamais je ne vous ai connus; écartez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité.»

Cependant, ce que vous visez dans votre question, c’est la vraie laideur de ce monde qui est intérieure et qu’on ne voit qu’avec le cœur. Elle vient effectivement du manque de ces deux qualités unies (l’humilité et l’amour).

D. Klanac : La Vierge s’est montrée une fine pédagogue. Comment comprendre la pédagogie de la Vierge dans son éducation des six enfants de Medjugorje, en particulier face au respect de leur liberté?

A. Dumouch : Si l’apparition est reconnue un jour, on sera frappé par ceci: le respect de la Vierge pour la liberté et l’autodétermination de ces personnes qu’elle suit.

Elle ne les pousse pas à entrer forcément au couvent et, si l’une d’elles y renonce, elle respecte tout à fait son choix. Bref, la Vierge est face à des personnes qu’elle veut faire mûrir spirituellement tout au long de leur vie. Elle en fait des collaborateurs et amis du Christ (ayant donc à agir par leur propre jugement) et non simplement des enfants attendant tout des directives d’en haut. C’est un bon signe et c’est un modèle pour les Chrétiens…

D. Klanac : Saint Ignace de Loyola, dans son traité pour le discernement des esprits, dit qu’il faut bien distinguer dans la vie spirituelle ce qui vient de Dieu de ce que suggère l’Adversaire. La tentation de l’orgueil, toujours présente, peut créer de la confusion.
Un simple voyant peut-il faire la distinction des esprits par lui-même ou plutôt avec l’aide de son directeur spirituel?

A. Dumouch : Un simple voyant peut faire la distinction lui-même, s’il a une vie spirituelle déjà mûrie.

[p. 130]Or deux choses principales, qui sont liées à des manques de maturité spirituelle, peuvent pousser une personne à s’aveugler elle-même et à croire à tout et n’importe quoi:

1. La vanité, qui conduit beaucoup de gens à s’espérer une mission spéciale et personnelle venant de Dieu. Et c’est vraiment le risque le plus fort. Autrement dit: toute personne ayant de l’ambition et se rêvant «quelqu’un» est incapable de discerner par elle-même, car elle croira ce qui l’arrange…

2. La mauvaise curiosité qui pousse à s’intéresser, pour soi et les autres, à tout ce qui est «merveilleux». C’est le risque le plus fréquent et très répandu chez les braves gens qui courent les lieux d’apparition.

Mais si une personne est blanchie par une vraie humilité (ce qui la rend sans illusion sur elle-même, elle sait qu’elle n’a pas de mérite. Elle sait qu’elle est comme les autres), et si elle a suffisamment vécu au plan spirituel pour désirer encore des choses sensibles, alors elle peut assez facilement se défier des fausses apparitions venant de son imaginaire ou de l’Adversaire. Ainsi le saint Curé d’Ars qui se rendit compte que c’était le démon qui faisait toute sorte de raffut dans son presbytère.

Mais, comme nous sommes rarement humbles et détachés de la curiosité, une tierce personne (père spirituel, psychologue chrétien, ami chrétien réaliste) peut être très utile pour discerner sans passion et de l’extérieur.

D. Klanac : Les messagers de la Vierge devraient-ils se soumettre obligatoirement à une direction spirituelle?

A. Dumouch : Non, ce n’est obligatoire, pas plus que pour les autres Chrétiens. Par contre, c’est très conseillé. Et l’aide de cette tierce personne, qui doit garder une sorte d’extériorité neutre et ouverte, vise à deux choses: le discernement spirituel de l’origine des apparitions et une protection vis-à-vis du public extérieur [p. 131]et de ses excitations et agitations passionnées (en pour et en contre).

C’est ce dont bénéficia sainte Bernadette: les supérieurs discernèrent bien, car ils eurent d’abord une attitude plutôt froide, puis ils la protégèrent, soit des violentes attaques des autorités, soit des vénérations du public.

D. Klanac : Les voyants de Medjugorje disent pouvoir toucher et embrasser la Sainte Vierge. C’est une sensation et une expérience hors du commun. Comment le corps terrestre, physique et le corps céleste, spirituel, peuvent-ils se toucher et s’embrasser?

A. Dumouch : Saint Thomas d’Aquin répond[21] que le corps ressuscité est un vrai corps physique (donc, fait de matière, et non un fantôme) et entièrement soumis à l’esprit du ressuscité, au point que celui-ci peut, à volonté se rendre visible ou palpable aux gens du Ciel ou de la terre.

Bref, il ne dépend que de la liberté de la Vierge Marie de se montrer à qui elle veut et selon le mode qu’elle veut. À Pontmain, elle ne donne aux enfants qu’une vision sensible, proche d’une image de la terre. À Lourdes, elle donne à Bernadette une vision glorieuse qui lui fait toucher, dans son regard, le Ciel. À la rue du Bac, elle se laisse toucher physiquement par sainte Catherine Labouré.

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Le Message

Daria Klanac : Le message de Medjugorje est publié dans le monde entier. L’évêque des lieux peut-il interdire la publication des messages?

Arnaud Dumouch : Mmm… Il le pourrait. Il a le pouvoir dans son diocèse. Mais serait-ce un acte pastoral judicieux? Ce serait contre-productif pour la recherche de la vérité.

[p. 132]La vie des saints montre que ce genre d’interdit a déjà eu lieu. Un pape du XVIe siècle avait envoyé à son légat en Allemagne (saint Pierre Canisius) une bulle interdisant de lire tout texte de Luther. Saint Pierre Canisius comprit que c’était une faute pastorale grave. Il mit donc cette bulle dans sa poche et ne la rendit jamais publique. Il regagna, grâce à cela, une partie de l’Allemagne au catholicisme. Cet exemple montre que l’obéissance, si elle est en général un signe de la présence de Dieu, ne l’est pas toujours dans certaines circonstances.

Je pense que si un évêque interdisait la publication des textes d’un message, la meilleure solution serait d’obéir, tout en déposant un appel canonique en Cour juridique de Rome.

D. Klanac : Concernant la diffusion des messages, je sais que les franciscains de la paroisse et les voyants ont consulté le droit canonique et les instances supérieures à chaque fois que c’était nécessaire. En quoi seraient-ils désobéissants?

A. Dumouch : Il faut bien comprendre que l’obéissance, en ces matières, peut être un don du Saint-Esprit, mais qu’elle n’est pas toujours la seule attitude chrétienne possible. Bref, il ne faut pas faire de l’obéissance le critère définitif de discernement et je vous le prouve.

– Un exemple d’obéissance absolue: sainte Catherine Labouré (religieuse) accepta de ne jamais faire autre chose que ce que lui disait son père spirituel, car elle était portée par le don de conseil (c’est le don du Saint-Esprit qui provoque cette attitude de totale soumission à la volonté du supérieur légal, la personne sachant bien que Dieu fera en fin de compte ce qu’il veut).

– Un exemple d’absence d’obéissance: si vous observez l’attitude de sainte Jeanne d’Arc (laïque, sans vœu d’obéissance), ou de saint Pierre Canisius (religieux, vœu d’obéissance au pape!), vous voyez le même amour de charité agir autrement, jamais par l’obéissance, mais par une autre attitude liée au [p. 133]même amour qui les poussait. Il s’agit du don de force qui produit l’action d’amour efficace.

En tout état de cause, dans ce combat, il est clair que sainte Jeanne d’Arc s’est agitée. Elle a choisi, comme dit Jésus dans l’Évangile, «la moins bonne part» (celle de Marthe), tandis que sainte Catherine Labouré a choisi l’attitude de sa sœur Marie «la meilleure part». Il est donc conseillé aux hommes spirituels d’obéir à leurs supérieurs (c’est la meilleure attitude, celle qui permet de toujours garder la paix intérieure), Dieu sachant tirer le bien de tout. Mais ce n’est absolument pas exigé par l’amour, comme le prouve saint Pierre Canisius qui, tout en ayant fait vœu d’obéissance au pape, ne cessait d’empêcher ses bêtises pastorales.

Les franciscains ont-ils reçu interdiction formelle de parler de Medjugorje de la part de leur supérieur franciscain? Si oui, ils ont désobéi. En tout état de cause, cela n’affecte en rien l’apparition elle-même. Toute l’agitation qui est autour, comme à Lourdes, est le lot de la terre, des passions, voire dans le cas de Lourdes, de la colère du Malin.

D. Klanac : Il y a, au début des apparitions, beaucoup trop de curiosité chez les gens qui ont poussé les voyants à poser des questions à la Vierge. De cette période-là, il reste toute sorte de transmissions et d’interprétations des messages. Ils n’ont pas été notés sur le champ ni enregistrés afin de pouvoir les vérifier. Faut-il en tenir compte?

A. Dumouch : Je ne pense pas. Si les réponses ne sont pas notées avec précision, elles ne sont pas utilisables. Et ce n’est pas un problème. Il y a 27 ans de matériaux!

D. Klanac : Priez, priez, priez! C’est le message le plus répété par Notre-Dame de la Paix. L’appel à la prière se présente comme une urgence à Medjugorje. L’insistance peut-elle produire un effet contraire et finir par nous fatiguer?

[p. 134]A. Dumouch : On peut, pour rester catholique et vivant dans sa foi, se passer de tout sauf de la vie de charité. En conséquence, une chose est absolument nécessaire pour maintenir une relation vivante avec Dieu: la prière du cœur, c’est-à-dire une relation d’amitié en acte avec Dieu. La prière étant la relation de charité pour Dieu en acte, c’est elle qui donne valeur à tout le reste: nos sacrements et notre charité pour le prochain.

Voici un texte de Marthe Robin qui montre l’importance de cet acte:

«Dans la communion eucharistique, Dieu se donne dans un acte extérieur qui est en lui-même un plaisir, une consolation, une joie pour l’âme… La communion ne suppose pas toujours la vertu. On peut communier et se rendre coupable du corps et du sang du Christ. Quelqu’un a dit: “On trouve des chrétiens qui communient tous les jours et sont en état de péché mortel... Mais, on ne trouvera jamais une âme qui fasse oraison tous les jours et demeure dans le péché.” Si on me proposait de choisir la rencontre avec le Christ dans l’Eucharistie ou dans l’oraison, je choisirais sans hésiter l’oraison, car c’est elle qui donne tout son sens à la communion. L’adoration est le but de la communion et c’est elle qui lui donne sa valeur[22]

D. Klanac : Le 1er mars 1984 commence une nouvelle étape pour la paroisse de Medjugorje. La Vierge demande aux fidèles de venir tous les jeudis à la messe suivie de l’adoration pour entendre son message: «Chers enfants, j’ai choisi cette paroisse d’une façon particulière et je désire la guider. Je veille sur elle avec amour et je voudrais que vous soyez tous miens. Merci d’avoir répondu, ce soir. Je voudrais que vous soyez toujours de plus en plus nombreux avec mon fils et moi. Chaque jeudi, je dirai pour vous un message particulier.» Je vois dans ce message plusieurs points importants.
[p. 135]a. La Vierge désire renforcer la vie de la paroisse au moment où, en Occident, la vie de la communauté chrétienne traverse une crise profonde.
b. Elle rassemble les croyants autour de son Fils.
c. Elle désire guider, veiller, éduquer.
d. Elle va le faire en personne, «j’ai choisi», «je désire», «je dirai».
Que pensez-vous de ce souci maternel de Marie pour notre génération? N’est-ce pas là un signe évident d’espérance?

A. Dumouch : Comme je vous le disais, cette pédagogie sur toute une vie est unique et nouvelle. On la sent très adaptée à notre monde où les jeunes, ayant plus de mal à croire dans le quotidien, ont besoin de présences plus sensibles venant du Ciel, de temps fort et de lieux saints. Il y aura une importante étude à faire sur l’effet de cette pédagogie sur la vie spirituelle des voyants. S’ils progressent en intériorité et en paix, tout en restant centrés sur la charité, ce sera bon signe.

D. Klanac : La Vierge aurait dit à Medjugorje que c’était sa dernière venue sur la terre de cette façon. Elle n’apparaîtrait plus en trois dimensions comme maintenant, mais par des locutions intérieures du cœur. Tous les voyants ne donnent pas la même explication de ce message. Les uns ont compris que c’était final, d’autres que cela ne sera plus de la même façon. Leur désaccord exprime la diversité de leur perception.
Ces nuances dans la compréhension et l’interprétation peuvent-elles supprimer la valeur du message?

A. Dumouch : Non. Si cette apparition est un jour reconnue, les théologiens diront que ces deux interprétations étaient voulues par le Ciel.

Dans l’Écriture, il est fréquent qu’une parole soit ainsi ambiguë pour laisser paraître plusieurs sens valables. On en a même un exemple assez proche dans le fait suivant.

Reprenons ce que je disais sur l’eschatologie. L’Église doit donc imiter le Christ et le suivre dans son entrée glorieuse à Jérusalem puis, juste après, dans sa Semaine Sainte.

[p. 136]Or, on constate que, dans ces dernières épreuves, le Ciel s’est fait volontairement plus discret pour Jésus. Il n’y a plus eu de grands signes comme la Transfiguration. Jésus dit même à un moment donné (Lc 22, 18): «… car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du produit de la vigne jusqu’à ce que le Royaume de Dieu soit venu.» Ceci semble indiquer que Jésus (dans son humanité) va passer par de grands moments de solitude, sans apparitions venant du Ciel (symbolisées par le vin).

Or, voici que, de fait, il reçoit une dernière apparition plus tard (Lc 22, 43): «… alors lui apparut, venant du ciel, un ange qui le réconfortait.»

Jésus est-il donc en contradiction avec ce qu’il avait dit? Un ange qui le réconforte, n’est-ce pas un peu de «vin du Ciel»? Non. Car ce réconfort-là ne supprime en rien l’angoisse, mais empêche un écroulement total des forces humaines.

Si Medjugorje est un jour reconnu, on interprétera cette parole de la Vierge de la même façon:

– c’était la dernière apparition médiatique, connue, et reconnue canoniquement;

– ce qui n’empêchera pas le Ciel de soutenir son Église dans ses derniers moments face au dernier Antéchrist, par des apparitions connues des derniers fidèles.

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Les franciscains

Daria Klanac : Les supérieurs franciscains de la province franciscaine de Mostar, dont dépend Medjugorje, ont toujours soutenu leurs frères de l'équipe pastorale de Medjugorje. Le général franciscain de Rome, qui a visité Medjugorje, a lui aussi félicité ses frères pour le bon travail de pastorale qu'ils font en ce lieu. Il n'était pas question de leur interdire de parler de Medjugorje ou de quitter la paroisse. Les changements de leur équipe pastorale se font lors de leur assemblée générale (capitule-chapitre).
[p. 137]Les franciscains de Medjugorje n'ont donc pas manqué à leur vœu d'obéissance envers leur supérieur.

Arnaud Dumouch : C'est important de le noter. Quoique… Je m'explique.

L'obéissance liée au vœu de religion est un conseil évangélique et non un précepte. Donc, il est au service de la charité et non avant la charité. Il existe des circonstances où, puisque le précepte de la charité est premier, désobéir formellement dans le cadre du vœu pourrait être nécessaire. Je pense aux choix du père Marie-Dominique Philippe qui quitte de manière concrète sa relation d'obéissance et fonde une nouvelle communauté (Communauté de Saint-Jean). Si vous regardez le film «The Mission[23]», vous verrez aussi deux prêtres jésuites désobéir. Dans les circonstances du film, ils ne pouvaient faire autrement. Ils abandonneraient alors leur troupeau, sur ordre de leurs Supérieurs. Or Jésus dit: «Le bon berger donne sa vie pour ses brebis.» Donc, ceux qui pensent que la désobéissance est en soi un critère de non-validité des apparitions ont tort. Les choses sont plus subtiles. Il faut regarder les circonstances, la conscience de ces prêtres, etc.

D. Klanac : La difficulté se situe au niveau diocésain aussi bien pour les prêtres de la paroisse qui sont tous franciscains que pour les voyants. La paroisse de Medjugorje dépend de l'évêché de Mostar. L'évêque des lieux demande de ne pas diffuser à travers le monde les messages qu'ils considèrent inventés.

A. Dumouch : Il y a sans doute eu ici désobéissance de la part des prêtres de la paroisse dans leur lien de juridiction à l'évêque. C'est de toute façon leur décision propre (qui n'engage que leur conscience d'hommes à la fois droits et pécheurs) et il n'est pas possible de discerner de l'apparition en elle-même sur ces luttes douloureuses.

[p. 138]Par contre, il est important, pour discerner de l'apparition, de regarder l'attitude de la Vierge face à ces luttes. Les encourage-t-elle? Comment discerner l'attitude des voyants (qui est simple et humaine) de celle de la Vierge?

D. Klanac : Les franciscains de Medjugorje, en particulier les pères Jozo Zovko, Tomislav Vlasic et Slavko Barbaric (décédé le 24 novembre 2000) depuis le début et jusqu'à aujourd'hui, ont subi et continuent de subir les foudres et les attaques de la part de l'évêché de Mostar, ainsi que d'autres opposants à Medjugorje.
On ne se gêne pas d'étaler sur la place publique leurs défauts. Ils sont traités de créateurs de Medjugorje, de manipulateurs, de pervers, de nationalistes, etc.

A. Dumouch : Ceci n'est en rien un critère de discernement des apparitions. Ceci prouve simplement que les franciscains ont passionnément cru à l'apparition dès le début, et que l'évêché de Mostar a passionnément rejeté l'apparition.

D. Klanac : Même si tout ce qui se dit sur leur compte était vrai, en quoi cela pourrait-il influencer le jugement sur l'authenticité des apparitions[24]?

A. Dumouch : Imaginons qu'on puisse prouver un complot sur 27 ans entre les voyants et les prêtres de Medjugorje, on aurait alors la fin de tout, bien évidemment. Mais c'est une éventualité qui me paraît impossible: nul ne peut se prêter avec la complicité de tant de gens (dont certains adolescents) et sur tant d'années à une telle manipulation. Un de ces complices aurait nécessairement craqué et parlé. Ceci est d'autant plus évident que ces événements ne leur ont apporté que des ennuis, et aucun avantage (argent, plaisirs).

La gloire est depuis longtemps davantage un souci, pour beaucoup, qu'un avantage.

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[p. 139]L'évêque

Daria Klanac : Les voyants de Medjugorje, dans les premières années, ont eu des messages pour l'évêque de Mostar, Mgr Pavao Zanic. Il en est resté profondément offusqué[25]. Quelle est votre analyse de ce conflit qui a marqué les voyants et l'évêque?

Arnaud Dumouch : Il faudrait étudier avec précision ce qui vient mot à mot de l'apparition et ce qui vient de l'interprétation subjective des jeunes voyants. En étudiant les paroles notées à l'époque, on s'aperçoit qu'il s'agit des interprétations personnelles de ces jeunes puisque chacun d'entre eux, loin de faire du mot à mot en précisant: «La Vierge a dit que: …» met le ton et la forme correspondant à sa propre réaction. Ainsi, ces paroles révèlent le caractère des voyants de Medjugorje face à l'épreuve: il en ressort que ce sont des jeunes gens humains, passionnés, donc normaux pour leur âge. Certains observateurs attendaient d'eux un détachement et une obéissance absolue, une sainteté perfectionnée comme dans les apparitions à sainte Catherine Labouré. Ce n'est pas un critère canonique de discernement (ex.: Jeanne d'Arc). Par contre, il est intéressant d'observer l'évolution sur 27 ans de leur tempérament. Cette observation pourrait éclairer le second critère du discernement: «Les fruits spirituels» (voir page 123).

D. Klanac : Dans le cas des messages pour l'évêque[26], nous avons la transmission du même message par deux voyants, Vicka et Ivan qui ont des personnalités très différentes. Comment discerner ce qui vient des enfants de ce que dit la Vierge?

A. Dumouch : Les enfants semblent rapporter ce qu'ils ont compris ad modum recipientis, c'est-à-dire avec leurs mots à eux et avec leur tempérament. Ils ne répètent donc pas mot à mot.

[p. 140]Mais, ce qui est étonnant, c'est que les deux réponses semblent tout à fait cohérentes comme interprétation subjective d'un message unique.

On voit cela souvent dans les classes: si une institutrice donne un avis pacifiant à propos d'un événement choquant s'étant passé dans l'école (renvoi d'un élève par exemple), et qu'on interroge les élèves ensuite, on verra, selon les tempéraments de chacun, que certains ne rapportent que l'aspect passionnel, et d'autres uniquement l'aspect pacifiant du discours de l'institutrice.

Ceci doit servir d'indication pour l'interprétation de Medjugorje, si elle est un jour reconnue: à la différence de Lourdes ou Fatima, où les enfants répètent mot à mot (car ils vivent dans un état de la civilisation occidentale où on avait tendance à obéir naturellement, sans toujours chercher à interpréter), on aurait ici un dialogue libre avec des enfants de la fin du xxe siècle, plus libres et dotés d'un jugement propre qui s'exprime beaucoup plus spontanément.

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L'Église

Daria Klanac : J'admire la sagesse de l'Église de Rome qui suit attentivement tout ce qui se passe de bon et de moins bon à Medjugorje. Pourquoi, alors, tant d'acharnements et de manque de charité contre ces apparitions venant souvent des membres de l'Église?

Arnaud Dumouch : Tout ceci (ces luttes) est systématique, même quand cela vient de Dieu. En effet, sur terre, qui est le premier purgatoire, la lutte est nécessaire, car elle forge les cœurs à l'humilité, voire à la kénose, en vue de la vie éternelle (Jn 15, 20): «Rappelez-vous la parole que je vous ai dite: le serviteur n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront.»

D. Klanac : Saint Jean de la Croix considère les apparitions et les visions comme des tentations dangereuses. Pour certains théologiens, c'est un non-lieu théologique.

[p. 141]A. Dumouch : Saint Jean de la Croix critique non les apparitions, mais l'agitation psychique et l'attachement trop passionné de beaucoup parmi ceux qui courent les apparitions. Ceci est nuisible à la vie intérieure, car l'âme s'attache plus au sensationnel qu'à une vraie relation intérieure avec Dieu.

Saint Thomas d'Aquin, pour sa part, montre que les apparitions sont très utiles pour certains âges de la vie spirituelle, surtout dans les débuts où les âmes ont davantage besoin de signes sensibles. L'essentiel est de ne pas en rester là, et de s'en servir pour une vie de prière de plus en plus intérieure. Si c'est ce qui se passe dans la vie spirituelle des voyants de Medjugorje, ce sera un bon signe. Mais attention: dans le cas de vraies apparitions, l'intériorisation se fait en toute simplicité et ne s'oppose pas à l'apparition. Si c'était le cas, au Ciel, le fait que nous voyons sans cesse les corps glorieux des autres serait nuisible, ce qui n'est pas le cas.

D. Klanac : Cependant, le cardinal Ratzinger, actuel Saint-Père, pense que rien n'empêche Dieu de parler à notre temps: «La Révélation qui est une, complète, irremplaçable, n'est pas morte, mais bien vivante et vitale.» (Rapport sur la foi) Comment lier toutes ces opinions divergentes?

A. Dumouch : Les apparitions et leurs messages ne peuvent rien apporter de nouveau au contenu de la Révélation publique, tel que l'Écriture et la Tradition des Apôtres l'ont donnée au monde. Mais elles sont très importantes pour plusieurs choses:

1. Pour ce qui est de la foi: elles permettent l'explicitation, à telle époque, et la mise en valeur de tel ou tel point caché dans la Révélation. Ainsi pour le Sacré Cœur à l'époque de sainte Marguerite-Marie, ou la notion de «miséricorde» dans les visions de sainte Faustine.

2. Pour ce qui est de l'espérance: par elles, Dieu peut avertir de l'action qu'il compte appliquer pour le salut des hommes. Et, sur ce point, les apparitions apportent vraiment du nouveau. Il serait très imprudent de les mépriser. Ce serait mépriser [p. 142]une partie du gouvernement de Dieu qui conduit l'Église et le monde vers le retour du Christ.

Exemple: à partir du don de la médaille miraculeuse (1830) et des signes qu'elle porte, on sait qu'on entre dans une nouvelle étape du monde, celle de la préparation lente à la venue de l'Heure de l'Église.

Donc, pour résumer, voici l'attitude juste face aux apparitions:

1. Ne pas s'attacher passionnellement à leur caractère merveilleux et sensible (saint Jean de la Croix).

2. Mais être très attentif à ce que Dieu dit concrètement à travers elles, pour l'explicitation de tel point de la Révélation, ou pour le concret du gouvernement de Dieu sur nous (saint Thomas d'Aquin).

D. Klanac : À son tour, le théologien Hans Urs von Balthasar a vivement réagi aux propos accusateurs de feu l'évêque de Mostar, Mgr Pavao Zanic, suite à la publication du document intitulé La position actuelle, non officielle, de la curie épiscopale de Mostar en ce qui concerne les événements de Medjugorje, en date du 30 octobre 1984. L'un et l'autre sont décédés, mais le combat continue. N'est-ce pas significatif?

A. Dumouch : Le cardinal et théologien Hans Urs von Balthasar était en lien avec une mystique appelée Adrienne von Speyr. Cette coopération fut fructueuse, mais parfois, aussi, elle fut source d'avis et d'enseignements très opposés à certains dogmes de la foi. Autrement dit, ce que ce grand théologien dit en positif ou négatif sur telle ou telle apparition reste son avis personnel et n'engage que sa conviction intime. Tôt ou tard, le jugement de l'Église viendra. Et il sera fondé canoniquement sur l'étude des trois critères essentiels – conformité à la foi, fruits spirituels, miracles – (sans compter les dizaines de critères secondaires).

D. Klanac : Des évêques, prêtres et proches de Jean-Paul II, nous ont transmis de très belles paroles du Saint-Père concernant Medjugorje. Cependant, [p. 143]Mgr Ratko Peric se sert souvent de cette réponse donnée par le Cardinal Ratzinger en 1998 à un correspondant allemand qui lui demandait: «Quelle valeur faut-il attribuer à ces supposées paroles de Jean-Paul II?». Le Cardinal lui aurait répondu: «Je peux seulement dire que les déclarations sur Medjugorje attribuées au Saint-Père et à moi-même sont de pures inventions.»

A. Dumouch : Il serait bien que ces prêtres proches de Jean-Paul II acceptent de confirmer ce qu'ils ont entendu de sa bouche, en acceptant qu'on les cite nommément comme sources.

Mais au-delà de cela, l'important est de préciser qu'ils ont entendu en direct l'avis privé de l'homme Karol Wojtyła et non un avis public ou canonique du pape Jean-Paul II. Je pense que c'est sur cette distinction «avis privé» et «avis du Magistère» que porte cette réponse du cardinal Ratzinger.

Donc, comme personne privée, il est évident pour moi aussi que Jean-Paul II a toujours été intimement convaincu de la vérité de Medjugorje.

D. Klanac : Il existe, effectivement, des confirmations que certains évêques ont émis par écrit sur les propos de Jean-Paul II au sujet de Medjugorje donnés en leur présence. Je connais des autorités sérieuses et responsables de l'Église qui n'ont pas peur de s'afficher pour Medjugorje. Même si Medjugorje ne fait pas l'unanimité, certaines attitudes négatives restent pour moi un mystère, en particulier celle de l'évêque de Mostar. Ce n'est pas son opinion qui dérange, mais son attitude. Comment comprenez-vous ces tensions créées par des déclarations qui souvent manquent de charité?

A. Dumouch : Pour éviter de se laisser troubler par ces déclarations, il suffit de se rappeler que l'avis de l'évêque de Mostar est lui aussi un avis privé, qui n'engage que lui, puisque ce n'est plus de son autorité canonique que dépend l'enquête. Son avis privé est tout aussi privé que celui de tous les évêques et prêtres qui se rendent à [p. 144]Medjugorje et n'a pas plus de valeur sur la décision finale que l'avis privé de Karol Wojtyła.

En faisant la vérité sur la valeur des autorités, y compris sur la valeur de l'Imprimatur du livre de Joachim Bouflet par exemple[27], on remet ce débat à sa juste place: nous sommes tous dans une démarche d'enquête. Et nous devons respecter la démarche de l'autre.

Par contre, je constate, chez Joachim Bouflet, une réelle pratique de la désinformation, ou au moins de l'approximation. Sans doute est-ce à mettre sur le compte du manque de rigueur de sa méthodologie. Il fonctionne plutôt à travers des impressions subjectives et les mélange pour obtenir une relecture subjective des faits.

D. Klanac : Que pensez-vous de la déclaration de la Conférence épiscopale de l'ex-Yougoslavie datant de 1991 et qui est toujours en vigueur?

A. Dumouch : D'après le dicastère romain, ce texte met en suspens Medjugorje, c'est-à-dire laisse le temps au temps avant de se prononcer. Le caractère surnaturel n'est pas établi. Il le sera peut-être un jour ou non. En fait, les autorités de l'Église veulent plus de temps pour discerner.

En attendant, les pèlerinages sont autorisés, à condition qu'on se garde de dire aux fidèles que Medjugorje est reconnu (ou rejeté) par l'Église.

Bref, Medjugorje n'est ni condamné, ni reconnu. Et c'est une attitude très prudente. Le mieux est d'attendre que le Ciel manifeste clairement sa volonté, non seulement par quelques miracles, mais de manière grandiose comme semblent l'annoncer les voyants.

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[p. 145]Les difficultés majeures

Daria Klanac : Concernant la réponse de la Vierge au sujet des religions et d'après les sources que j'ai exposées dans mon précédent livre[28], quel serait votre regard sur cette difficulté?

Arnaud Dumouch : On peut interpréter cette phrase: «Toutes les religions sont égales devant Dieu», de deux manières:

1. Première interprétation (fausse): elles se valent en elles-mêmes, toutes les religions s'équivalent: ce serait très faux. Et le pape Benoît XVI vient de le rappeler en disant que la religion du Christ seule donne à la foi le but (la vision béatifique, obtenue par la charité et l'humilité) et les moyens (sacrements, Magistère, formes de vie) du Salut. Les autres religions ont certes reçu des semences du Saint-Esprit, dit le Concile Vatican II, mais ne donnent pas en elles-mêmes ce salut.

2. Deuxième interprétation (vraie): dans le regard de Dieu, toutes les religions visent à conduire, tôt ou tard, au Christ et à son salut. En ce sens, elles sont égales devant Dieu. Cette interprétation est vraie, car nous devons croire, dit le Concile Vatican II: «Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal[29]»

C'est ce qu'annonce Jésus dans son Évangile (Jn 10, 16): «J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos; celles-là aussi, il faut que je les mène; elles écouteront ma voix; et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur.»

Autrement dit, à l'heure de la mort, à la onzième heure[30] de cette vie, le maître de la moisson appelle tout homme, sans [p. 146]exception, à sa vigne, de telle façon que seul celui qui rejette librement cet appel se perd.

3. Troisième interprétation (vraie): tout homme, quelle que soit sa religion, est aimé également, car infiniment, par Dieu. C'est évident. Dieu est simple et aime tout entier. Il est, dans son être même, cet amour.

D. Klanac : J'ai vérifié la traduction de ce message problématique[31]: «Toutes les religions sont égales devant Dieu.» Dans la chronique paroissiale en date du 1er octobre 1981, il y avait, en fait, trois questions-réponses:
1. Est-ce que toutes les religions sont bonnes? Toutes les religions sont les mêmes devant Dieu. Dieu gouverne sur elles comme un Souverain dans son royaume.
2. Est-ce que toutes les religions sont les mêmes? Dans le monde, toutes les religions ne sont pas les mêmes, car les gens ne sont pas soumis aux commandements de Dieu, mais ils les rejettent et les déforment.
3. Est-ce que toutes les églises sont les mêmes? Non, dans certaines églises, on prie plus que dans d'autres. Cela dépend aussi des prêtres qui animent la prière, et de la force (grâce) qu'ils portent en eux.

A. Dumouch : Sont-ce là des réponses directes de la Vierge? Le langage de ces réponses utilise effectivement des expressions croates qui doivent avoir une nuance de sens dans cette langue («les mêmes», «semblables»). En tout cas, mis en langage théologique francophone, voici ce que cela donnerait: on peut dire que les religions sont les mêmes devant Dieu en deux sens:

1. Dans un premier sens, on peut viser ce qui concerne le jugement de Dieu: pris en ce sens, on doit répondre «oui», car Dieu regarde toutes les religions avec son unique amour qui est Lui-même.

2. Dans un second sens, on peut viser ce qui concerne la religion prise en elle-même: pris en ce sens, on doit répondre «non». Toutes [p. 147]les religions ne se valent pas puisque certaines donnent la grâce, le salut, et suivent les commandements de Dieu, d'autres non.

Pour ce qui est des Églises particulières catholiques, qui portent en elles la parole de la grâce, toutes ne sont pas égales. Tout dépend de la ferveur des fidèles et donc du pasteur qui les porte. L'Apocalypse le disait déjà en distinguant les grâces diverses des sept Églises locales primitives. (Ap 1, 4 et suiv.)

Bref, cette explication de la chronique paroissiale du 1.10.1981 en trois distinctions est parfaitement digne de saint Thomas d'Aquin.

D. Klanac : Selon vous, les mots «les mêmes» (iste en croate) et «égales» (jednake en croate) donnent-ils la même signification théologique?

A. Dumouch : En conséquence, il est possible que «iste» (les mêmes) vise le regard de Dieu (point 1) tandis que «jednake» (égales) vise la religion prise en elle-même (point 2). En tout cas, prise en ce sens, la théologie présente dans ce texte est conforme à la foi et à la théologie des derniers documents de Benoît XVI.

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Les problèmes théologiques

Daria Klanac : L'étude de ces questions serait donc importante?

Arnaud Dumouch : Il faut comprendre que le discernement doit porter dans un premier temps sur les trois critères canoniques centraux:

– La conformité au dogme.

– Les fruits spirituels.

– Les miracles authentiques et dépassant les lois de la nature.

Mais l'importance du premier de ces trois critères est évidente. Dieu ne saurait enseigner une hérésie. De plus, ce critère est pratique aux yeux des théologiens car il permet d'élaguer et de rejeter a priori certaines fausses apparitions. [p. 148]Je me souviens d'un exemple récent. Juste avant la mort du pape Jean-Paul II, un certain nombre d'apparitions et de mystiques se mirent à annoncer que le pape Jean-Paul II allait être remplacé après sa mort par un pape «qui ne serait pas de Dieu» et serait élu à sa place par les cardinaux. Une telle annonce était absolument opposée à la foi. Un pape légitimement élu selon les règles canoniques reçoit, de par sa fonction même, et indépendamment de sa sainteté personnelle, les charismes d'infaillibilité doctrinale et les grâces de pasteur qui furent promises par Jésus. Ce critère m'avait permis de dire avec certitude que ces apparitions et ces mystiques ne pouvaient venir de Dieu. Beaucoup ne crurent pas, mais durent ensuite rendre les armes devant le fait de l'élection de Benoît XVI, cet ami et collaborateur fidèle de Jean-Paul II.

Ce critère théologique est si important que l'argument le plus fort en opposition de la part de l'évêque porte sur l'orthodoxie de certains enseignements de la Vierge: «Toutes les religions sont égales.» Encore faut-il étudier cette phrase dans son contexte et sans forcer son sens.

D. Klanac : Le 29 juin 1981, le directeur de la clinique de santé de Citluk a demandé à la doctoresse Darinka Glamuzina d'aller à la colline pour observer le comportement des enfants. Jeune médecin, la doctoresse Glamuzina veut tester les enfants. Elle pose des questions et demande de pouvoir toucher la Vierge.
«Ma Gospa, est-ce que celle-ci peut vous toucher?» – «Il y a toujours eu des Judas incrédules, qu'elle approche.»
J'ai rencontré la doctoresse Glamuzina à plusieurs reprises. Elle m'a dit: «Bien de gens ont été choqués de cette réponse, mais pas moi. La Vierge s'est adressée à moi et je l'ai bien compris. En ce moment-là, j'ai été incrédule et traître. Les paroles de la Vierge m'ont profondément touchée. Je l'en remercie, car elles ont éveillé en moi un cheminement dans la foi.»
Quelle est donc la difficulté théologique dans cette réponse?

[p. 149]A. Dumouch : Il n'y a pas de difficulté théologique, d'autant plus que c'est une réponse pratique en fonction des pensées d'une personne particulière. Si cette réponse vise la seule doctoresse Glamuzina et si celle-ci reconnaît que son attitude intérieure était réellement, à ce moment-là, la ruse et la traîtrise, alors cette parole est plutôt bon signe: elle semble indiquer une lecture directe venant de l'apparition des pensées du médecin.

Je pense que ceux qui objectent en disant: «Parole trop dure pour la Vierge!» ont tort. L'amour doit parfois dire la vérité sans fioritures. Jésus a des paroles beaucoup plus dures dans les évangiles (Mt 23, 13): «Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui fermez aux hommes le Royaume des Cieux! Vous n'entrez certes pas vous-mêmes, et vous ne laissez même pas entrer ceux qui le voudraient.» Et c'est bien Jésus qui parle. Dans le cas présent, la doctoresse Glamuzina a reçu de cette parole une grâce salutaire. C'est plutôt bon signe, donc.

D. Klanac : Elle a posé une autre question pour la Vierge[32]. «Comment réconcilier les gens entre eux, qu'ils soient de la même religion ou d'une autre?» Gospa a répondu: «Il n'y a qu'une foi et qu'un Dieu. Il n'y a qu'un seul Esprit et une seule foi.»
Quelle est la différence entre «foi» dans ce message et «religions» dans celui que nous avons déjà traité?

A. Dumouch : Ici, (et pour que cela trouve un sens conforme à la doctrine catholique) la foi signifie cette forme de droiture du cœur qui plaît à Dieu et qui attire l'Esprit Saint dans une personne. Cette présence de Dieu dans une âme droite (quelle que soit sa religion) n'est pas la charité théologale, mais plutôt l'effet d'une simple motion divine, dirait saint Thomas d'Aquin (Ia-IIae Question 109). Mais elle fait que la personne reconnaît [p. 150]la présence du vrai Dieu, comme d'instinct, partout où elle se trouve, donc dans ce qui est bon, vrai, beau.

On a quelques exemples du sens particulier de ce mot «foi» dans le Nouveau Testament. Jésus dit, par exemple, à un homme qui ne partage pas la foi juive (un centurion romain, Mt 8, 10): «Entendant cela, Jésus fut dans l'admiration et dit à ceux qui le suivaient: “En vérité, je vous le dis, chez personne je n'ai trouvé une telle foi en Israël.”»

Au contraire, Il reproche aux Juifs, pourtant adeptes de la vraie foi de l'époque, de ne pas avoir cette «foi intérieure» qui leur aurait fait le reconnaître (Jn 8, 39): «Ils lui répondirent: “Notre père, c'est Abraham.” Jésus leur dit: “Si vous étiez enfants d'Abraham, vous feriez les œuvres d'Abraham.”»

La religion signifie ici plutôt un système d'organisation du culte de Dieu.

Donc, si on analyse théologiquement la réponse, voilà ce que cela donnerait:

1) Les systèmes cultuels et théologiques sont divers et donc forcément divisés.

2) Mais, un homme de foi, lorsqu'il se présente dans n'importe quelle religion et tel que l'entend Jésus dans les Évangiles, reconnaît aussitôt, comme avec un radar intérieur, la présence du vrai Dieu n'importe où. Du coup, la paix se fait, même entre hommes n'appartenant pas à la même religion. Donc, ce qui est dit ici a un sens très évangélique: «Les vrais hommes de Dieu ont cette foi, quelle que soit leur religion, qui fait qu'ils se reconnaissent et s'entendent.»

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Lourdes-Medjugorje

Daria Klanac : On constate des similitudes entre Lourdes et Medjugorje. Le père Ivo Sivric dans son livre La face cachée de Medjugorje conclut que Medjugorje est une copie de Lourdes.
[p. 151]Six jeunes seraient-ils capables d'imiter les apparitions de Lourdes à la perfection sans bien les connaître? Face au monde entier, ils se mettraient à jouer à l'apparition?

Arnaud Dumouch : Ceci n'est pas un critère de discernement.

D. Klanac : Si les similitudes existent au point que Medjugorje devient une copie conforme de Lourdes, pourquoi ne pas conclure, dans le sens inverse, que les similitudes prouvent son authenticité?

A. Dumouch : C'est la même attitude qu'on voit dans la vie: un acte de bonté paraîtra hypocrisie à l'ennemi, et bonté pure à l'ami.

De même, cet argument pourrait susciter deux attitudes:

– Les gens qui croient à Medjugorje y verraient plutôt la marque de la Vierge.

– Les gens qui n'y croient pas y verraient une manipulation.

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Les secrets

Daria Klanac : Les voyants disent avoir reçu des secrets. Comment comprendre les secrets donnés par la Vierge Marie aux voyants? Quelle utilité pour la foi? Est-il important qu'ils soient dévoilés?

Arnaud Dumouch : Pas d'objection à ce que la Vierge donne des secrets. C'est exactement la même réponse que pour Fatima: si l'apparition est reconnue, les théologiens trouveront des justifications aux secrets; si l'apparition est condamnée, ils en rejetteront la validité et diront: «Tout cela était cousu de fil blanc.» Bref, on ne peut et on ne doit rien conclure de cette question des secrets. C'est une pratique habituelle du Ciel.

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L'arbre et ses fruits

Daria Klanac : Medjugorje, cette «duperie monumentale» pour les uns ou «le temps de grandes grâces» pour beaucoup d'autres, produit de bons fruits que personne ne nie.

[p. 152]Arnaud Dumouch : Les «bons fruits» (conversions, etc.) sont un bon signe. Mais ils sont insuffisants pour conclure, puisque l'Esprit Saint vient partout où l'homme cherche sincèrement le Christ.

D. Klanac : À Medjugorje, cependant, il y a comme une confusion autour de «l'arbre». Un bon arbre peut-il produire à la fois de bons et de mauvais fruits?

A. Dumouch : Oui! Absolument et c'est même toujours le cas, selon le témoignage de Jésus (Mc 10, 29-30): «En vérité, je vous le dis, nul n'aura laissé maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l'Évangile qui ne reçoive le centuple dès maintenant, au temps présent, en maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle.»

Il faut observer avec précision la vie et la prédication de Jésus: il porte des fruits d'amour, de paix auprès des pauvres, et des fruits de confusion, d'agitation, de haine, de mensonge, de ruse, auprès de beaucoup de théologiens et supérieurs religieux, de foules entières. Cette petite scène le montre: «“Moïse ne vous a-t-il pas donné la Loi? Et aucun de vous ne la pratique, la Loi! Pourquoi cherchez-vous à me tuer?” La foule répondit: “Tu as un démon. Qui cherche à te tuer?”» (Jn 7, 19-20).

Mais attention, ces persécutions et agitations ne sont pas non plus une preuve de la vérité de Medjugorje. Elles sont juste indifférentes au discernement. Car, dans tout ce qui est sur terre, se mêle le bien et le mal, l'ivraie et le bon grain.

D. Klanac : Inversement, le mauvais arbre peut-il produire de bons fruits?

A. Dumouch : Il le peut un certain temps, mais pas longtemps.

On repère en général assez vite le mauvais arbre aux mauvais fruits qui apparaissent. C'est vrai aussi bien dans le domaine humain de l'amour, que dans le domaine chrétien.

Voici un exemple au plan humain (je prends cet exemple car, [p. 153]par analogie, il éclairera l'aspect chrétien): imaginons un homme qui épouse une femme non parce qu'il l'aime, mais pour son argent. L'arbre qui fonde ses actes est mauvais (l'avarice). Il pourra donner le change quelques mois, peut-être quelques années. Mais je crois impossible que, tôt ou tard, son mensonge n'apparaisse. Il ne pourra singer l'amour alors qu'il n'aime pas, une fois l'argent possédé.

Au plan chrétien: imaginons que les voyants de Medjugorje soient motivés par la gloire ou l'argent. De ce fait, ils seraient toute une bande à pratiquer le mensonge depuis plus de 27 ans, coincés dans un complot impliquant une vingtaine de personnes.

Alors nécessairement (et avec d'autant plus de rapidité que ces enfants auraient commencé jeunes et qu'ils sont nombreux), l'un ou l'autre aurait agi en fonction de cet état de duplicité (escroquerie, bavardage, dénonciation des autres, etc.). Medjugorje aurait tourné à la secte financière. Rien à voir, donc, avec la vie conjugale droite et le travail de ces familles.

Donc, un mauvais arbre (avarice, amour de la gloire et du plaisir égoïste) ne porte de bons fruits que le temps de sa période de séduction, avant de se corrompre.

Au contraire un bon arbre comme le Christ peut produire, à cause de la jalousie des autres, des fruits de division et de haine. Mais le fond est bon, comme l'est un amour persécuté.

D. Klanac : Même si tout n'est pas parfait à Medjugorje, la grâce surabonde. On constate et on reconnaît l'abondance de bons fruits. Comment finalement discerner cette parole de l'Évangile selon laquelle on juge l'arbre à ses fruits[33]?

A. Dumouch : Par les trois critères dont nous avons déjà parlé: la conformité au dogme, les fruits spirituels, les miracles authentiques et dépassant les lois de la nature.

[p. 154]Tant que ne seront pas donnés les miracles (pas de simples prodiges psy), nul discernement définitif ne pourra être fait. C'est ce critère que donne Jésus à Jean-Baptiste qui s'interroge (Lc 7, 22-23): «… puis il répondit aux envoyés: “Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres; et heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi!”»

Bref, si vous disposez de miracles authentiques (aveugles de naissance qui voient, cancers guéris instantanément, etc.), vous aurez des critères définitifs. Canoniquement, les critères des miracles ne sont pas aussi sévères que ceux de l'évêché de Tarbes et Lourdes.

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Les recherches scientifiques

Daria Klanac : Plusieurs équipes médicales multidisciplinaires[34] ont étudié avec sérieux le phénomène de Medjugorje, notamment le docteur Henri Joyeux. L'Église tient-elle compte des expertises, recherches et conclusions scientifiques?

Arnaud Dumouch : Absolument, c'est même un critère essentiel (lié au critère 3, les miracles) qui précèdera le discernement final. Mais l'Église a une manière très précise de discerner: les extases, visions, stigmates, lévitations, etc. ne sont absolument pas suffisants pour sa décision finale, car ce sont de simples prodiges (et non des miracles); autrement dit, pris en eux-mêmes, ils peuvent avoir plusieurs causes (selon les cas): Dieu, anges, démons, psychisme.

Voici la différence entre prodiges et miracles:

Les prodiges ont une cause naturelle (psychologique, scientifique, angélique). Le prodige ne s'oppose pas aux lois de la nature.

Exemple de prodiges: un cancer qui guérit en trois mois, progressivement; Sissi impératrice qui, grâce à son bon moral, se [p. 155]remet de la tuberculose. Les phénomènes de télépathie, de télékinésie. Le spiritisme semble un prodige dont la cause est angélique (les anges mauvais).

Le miracle, à la différence du prodige, ne peut être attribué qu'à Dieu seul. Il s'oppose aux lois fondamentales de la physique ou de la biologie. Il implique toujours une puissance infinie qui dépasse la puissance des anges ou du psychisme humain.

Exemples de miracle en fonction de la loi de la nature contredite:

Premier principe de la nature: «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.» La guérison, à Lourdes, de Jeanne Frétel qui voit son intestin réapparaître brusquement, «en un éclair» dit-elle (il lui avait été retiré en grande partie suite à un cancer).

Principe de l'inertie: «Aucun mouvement physique ne peut être instantané.» La guérison, à Lourdes, de Jeanne Frétel qui voit, instantanément, son intestin réapparaître.

Second principe de la thermodynamique: «Tout corps isolé perd de l'énergie.» Marthe Robin qui reste quarante ans sans manger ni boire. C'est physiquement et biologiquement contre nature.

La résurrection d'un mort en état de décomposition est le plus grand miracle au plan de la biologie. C'est d'ailleurs pour les théologiens l'exemple typique du miracle au point que Jésus l'utilisa pour prouver aux théologiens juifs sa mission divine. Lazare ne peut avoir été ressuscité par un prodige satanique, mais par Dieu seul.

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Le dossier des miracles

Daria Klanac : La paroisse de Medjugorje possède un dossier considérable sur les miracles de guérisons (475 cas déclarés). Les témoignages sont nombreux et [p. 156]publiés régulièrement dans la revue mensuelle Le Messager de la Paix. On dit, cependant, que le plus grand miracle de Medjugorje ce sont les conversions des cœurs. Qu'est-ce qui serait plus important, aurait plus de poids lors du jugement final?

Arnaud Dumouch : Les conversions sont de l'ordre du second critère (fruits spirituels). Elles sont donc un critère essentiel. Mais elles ne suffisent pas en elles même: l'Esprit souffle où il veut.

C'est pourquoi le troisième critère (les miracles) est sans doute la clef finale de ce discernement: si vous trouvez à Medjugorje un ou deux miracles indiscutables (organe qui repousse, tumeur disparaissant instantanément, paraplégique – moelle épinière tranchée – qui marche), c'est que le doigt de Dieu est là.

Souvenez-vous de Jésus: il est dans la lutte. Des gens disent, comme à Medjugorje, qu'il vient du démon et qu'il guérit avec le démon puisqu'il suscite la division et dit des phrases ambiguës, alors il ressuscite Lazare. Et, à partir de ce jour, ce miracle étant attesté par les témoins venant du Sanhédrin, il ne peut plus y avoir de doute.

D. Klanac : Vous dites que le 3e critère de discernement, les miracles, est décisif pour reconnaître une apparition. Jésus en a fait. Tous n'ont pas cru. Il a été condamné.

A. Dumouch : C'est vrai. Mais dans ce cas (existence de vrais miracles et refus de croire), ceux qui condamnent sont sans excuse, car ils le font en connaissance de cause. C'est ce que montre le texte évangélique: après la résurrection de Lazare, qui fut vue par de nombreux notables du Temple, le Sanhédrin se réunit en secret et décide de tuer Jésus. Mais il décide aussi ceci (Jean 12, 10): «Les grands prêtres décidèrent de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, s'en allaient et croyaient en Jésus.» Manifestement, ils veulent tuer Jésus et Lazare, mais ils savent, de par leur science théologique, que Jésus vient de Dieu. Voilà pourquoi Jésus parle [p. 157]pour eux de «blasphème contre l'Esprit Saint», c'est-à-dire ici, en l'occurrence, d'un refus de croire malgré l'évidence.

L'Église demande donc, de manière canonique, des miracles pour reconnaître le doigt de Dieu. Et s'ils ont lieu, s'ils ne sont pas de simples prodiges paranormaux, l'Église reconnaît l'origine divine du phénomène.

D. Klanac : Voici quelques cas de miracle à Medjugorje, tous documentés: Daniel Setka est un enfant de deux ans et demi paralysé du côté droit. Il ne marche pas, ne parle pas, il est à moitié mort. Ses parents le portent et le présentent à l'apparition en juin 1981 demandant à la Vierge de le guérir. À travers les voyants, la Vierge dit aux parents de prier et d'espérer. L'enfant est guéri. Aujourd'hui, Daniel a presque trente ans, il vit en Allemagne et vient régulièrement à Medjugorje remercier la Vierge pour sa santé. Il avoue avoir un peu de difficulté avec sa main droite.

A. Dumouch : Cela peut être un miracle. Il faut juste vérifier le diagnostic préalable des médecins. Si cet enfant souffrait d'une vraie maladie physiologique et non guérissable, s'il a été guéri définitivement et à la grande surprise des médecins qui déclarent cela impossible de manière naturelle, c'est un miracle. Il faut le dossier médical pour vérifier que Daniel ne souffrait pas d'une simple difficulté qui a passé avec sa croissance.

D. Klanac : L'ex-ministre de la Culture de Croatie, Madame Vokic a des triplés en 1982. L'un d'eux est mort. Il reste une fille et un garçon. Le petit Berislav ne peut pas se retourner dans le lit, il a perdu l'immunité et souffre de bronchite chronique. La maman fait un vœu à la Vierge de Medjugorje. Elle porte son enfant, prie la Vierge dans l'église en juin 1983. Berislav est maintenant étudiant à Zagreb et croit fermement que la Vierge l'a guéri.

A. Dumouch : Même chose: il faut vérifier le dossier médical et le diagnostic des médecins. La maladie doit avoir été reconnue par la médecine et reconnue pour sa gravité. Sa guérison doit avoir été surprenante et liée à la prière à la Vierge de Medjugorje.

[p. 158]D. Klanac : Diana Basile souffre de sclérose en plaques depuis 1972. Le 23 mai 1984, elle assiste à l'apparition à Medjugorje dans son fauteuil roulant. Instantanément elle a été guérie. Le lendemain, elle fait 12 kilomètres à pied de son hôtel à la colline des apparitions pour remercier la Vierge.

A. Dumouch : Voilà au contraire ici un miracle typique et clair. En effet:

1. On a le diagnostic (sclérose en plaques) d'une maladie dégénérative inguérissable.

2. Diana est à Medjugorje.

3. La guérison est instantanée.

Si le dossier médical de Diana existe, on a là le miracle le plus sûr et il suffit à montrer la puissance de Dieu à Medjugorje.

D. Klanac : Colleen Willards souffre d'une tumeur au cerveau. Elle a des douleurs atroces. Elle désire aller à Medjugorje pour expérimenter la présence de Marie en ce lieu, non pour sa guérison. Après la rencontre avec une voyante, elle se rend à l'église. Durant l'Eucharistie, elle entend une voix: «Ma fille abandonne-toi entièrement à Dieu le Père!» – «Oui, je m'abandonne», a-t-elle dit. À ce moment-là, elle a senti un chatouillement dans ses jambes, elle s'est levée de son fauteuil. Elle est repartie entièrement guérie chez elle aux États-Unis.

A. Dumouch : Même conclusion: voilà un miracle typique et clair. Mais il faut vérifier ceci:

1. A-t-on une radio ou un IRM de la tumeur avant la guérison?

2. Il semble que la tumeur a disparu instantanément puisque Colleen se lève aussitôt.

3. Si c'est bien le cas, ceci ne peut être le fait de la psychologie ou du démon.

Si c'est le cas, ceci est un miracle indubitable.

[p. 159]D. Klanac : Quels sont, selon vous, ici, les vrais miracles?

A. Dumouch : Les deux derniers miracles semblent les plus faciles à vérifier.

Selon les critères de Lourdes, ils ne seraient certes pas reconnus puisque la personne ne doit recevoir aucun soin médical. Mais les critères diocésains de Lourdes sont exagérés, d'après l'avis même de l'évêque actuel. Ils vont être bientôt modifiés et rendus plus raisonnables.

Selon les critères canoniques de la béatification des saints, ces deux derniers miracles seraient reconnus après vérification. C'est un miracle de ce type (guérison d'une religieuse atteinte de Parkinson) qui a été retenu pour la béatification de Jean-Paul II.

D. Klanac : Vous dites: «Selon les critères de Lourdes, ils ne seraient certes pas reconnus puisque la personne ne doit recevoir aucun soin médical.» Alors quels sont les miracles reconnus à Lourdes puisque tous les malades reçoivent des soins médicaux avant d'être guéris? Lorsque les médecins ne peuvent plus rien faire et que le malade est guéri miraculeusement, ne s'agit-il pas là d'un miracle?

A. Dumouch : C'est justement le problème et la raison pour laquelle, à Lourdes, si peu de miracles (moins de 70) ont été reconnus en 150 ans. En gros ne sont reconnues que des guérisons de maladies en stade terminal (soins curatifs arrêtés, soins palliatifs ; par exemple, Jeanne Frétel et son cancer arrivé au stade terminal). Ou encore de maladies incurables pour lesquelles la médecine ne peut rien faire (sclérose en plaques, Parkinson, SIDA, etc.).

Ces critères sont excessifs.

Un exemple: imaginons une personne atteinte d'un grave cancer métastasé et soumise à une chimiothérapie pour cela. Elle va à Lourdes et se trouve instantanément guérie, comme l'éclair, avec disparition des tumeurs. Ce miracle ne serait pas reconnu à Lourdes car la personne était sous traitement. Ce [p. 160]critère est donc très exagéré. En effet, une chimiothérapie ne fait pas disparaître des tumeurs «comme l'éclair».

D. Klanac : À travers les miracles dont j'ai lu et entendu les témoignages à Medjugorje, on reconnaît le doigt de Dieu. La paroisse de Medjugorje garde précieusement les dossiers et sait attendre.
Le père Pervan de Medjugorje me dit, cependant, qu'à Fatima on n'a jamais insisté sur les miracles comme à Lourdes.

A. Dumouch : Les miracles ne sont nécessaires que pour une reconnaissance canonique de la vérité de l'apparition. S'il n'y avait pas de miracles, il n'y aurait jamais de reconnaissance officielle par l'Église. En effet, les deux autres critères (conformité à la foi et fruits spirituels) peuvent parfaitement être produits, avec l'aide de Dieu, sans apparition, par une personne douée en théologie et pieuse.

Il arrive parfois qu'une apparition, pourtant authentique, ne soit pas accompagnée de miracles. Cette apparition n'est pas alors reconnue canoniquement. Dieu en fait alors une sorte de parabole de ce que vivra l'Église vers la fin du monde au temps de l'Antéchrist, lorsqu'elle paraîtra comme abandonnée de Lui.

D. Klanac : À Medjugorje, les gens témoignent avoir vu quelque chose de semblable à ce qui s'est produit à Fatima: la danse du soleil. D'autres disent avoir vu la silhouette de la Vierge au pied de la croix du mont Krizevac. Dans les premiers mois des apparitions, il y a des personnes saines d'esprit qui racontent avoir vu le mot Mir (paix) inscrit dans le ciel. Que penser de toutes ces manifestations alors qu'il nous a été dit de croire sans avoir vu?

A. Dumouch : Si ces signes visibles n'ont été vus que par des petits groupes de croyants, ou encore des personnes seules, ils ne pourront être pris en compte comme critère principal par l'Église pour une reconnaissance de Medjugorje. Ils peuvent, dira l'Église, être le fruit d'une auto-conviction, puisqu'ils touchent surtout des croyants ou des personnes isolées.

[p. 161]En effet, ils ne constituent pas un signe grandiose, indubitable et bouleversant pour l'humanité. C'est toute la différence avec le signe du soleil de Fatima qui est vu par cinquante mille personnes dont certaines sont venues pour s'amuser. Une bonne proportion des non-croyants présents se convertissent aussitôt.

Par contre, si Medjugorje est un jour reconnu, en s'appuyant sur les miracles que vous me citiez ou sur un grand signe manifeste que la Vierge annonce, alors les théologiens étudieront ces petits signes du passé et trouveront une grande richesse de sens.

En particulier le mot Mir qui apparaît dans un pays qui va connaître la guerre, et qui permet de réfléchir à la paix, non selon le monde, mais selon Dieu. On fera le parallèle avec l'apparition de Kibého au Rwanda qui, elle aussi, précéda une guerre et même un génocide.

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L'influence de Satan

Daria Klanac : À la question: «Qui es-tu? Quel est ton nom?» (Le 4e jour des apparitions), la Vierge a répondu: «Je suis la Bienheureuse Vierge Marie.» Dieu permettrait-il qu'un esprit du Mal se présente sous l'aspect de sa Mère, sur une période aussi longue, et qu'il incite à la conversion et à la prière?

Arnaud Dumouch : Trois hypothèses dans le cas où cela ne viendrait pas du Ciel:

1) On pourrait imaginer le démon préparant sur le long terme une falsification aboutissant, en fin de compte au ridicule. Mais la qualité de certaines conversions, le sincère retour à la fidélité à l'Église, et les miracles, rend cette hypothèse intenable selon Jésus (Lc 11, 18): «Si donc Satan s'est, lui aussi, divisé contre lui-même, comment son royaume se maintiendra-t-il…»

2) On pourrait imaginer une origine purement humaine, frauduleuse. C'est évidemment difficile de tenir ainsi plus de 27 [p. 162]ans. On imagine que, dans l'hypothèse d'un tel complot, de la pression qu'il implique sur la conscience, l'un des protagonistes vendrait la mèche.

3) On pourrait imaginer une origine purement humaine et sincère (hallucinations): c'est aberrant! Ces jeunes sont manifestement sains d'esprit.

En tout état de cause, et pour évacuer totalement ces hypothèses, il faut vérifier les miracles qui, seuls, permettent un discernement définitif. En effet, il s'est déjà vu que des faux voyants imitent le premier critère (conformité au dogme catholique) et que le second critère soit en partie présent (fruits spirituels), puisque l'Esprit Saint vient partout où il voit de la bonne volonté chez les fidèles.

D. Klanac : Certains pensent que les vraies apparitions n'ont duré que les 10 premiers jours[35]. Les voyants sont-ils depuis le 11e jour sous l'influence d'une quelconque possession néfaste? Jouent-ils la comédie? Les mêmes personnes peuvent-elles avoir de vraies apparitions pendant 10 jours suivies de fausses apparitions pendant des années?

A. Dumouch : C'est une hypothèse aussi amusante qu'impossible. Si ces jeunes avaient vu la Vierge au début puis menti ensuite, ils seraient d'autant plus brûlés par leur conscience. Qu'on se rapporte encore une fois à une comparaison. Après la fin de ses apparitions à Lourdes, et bien après leur reconnaissance, Bernadette fut frappée de doute. Ce fut une sorte de «nuit de l'esprit», sans doute envoyée par Dieu pour la détacher d'elle-même. Elle disait à ses supérieures: «Et si je n'avais rien vu? Et si j'avais menti?» Ses supérieures la rassurèrent en lui rappelant les critères objectifs du discernement. Mais, on le voit, Bernadette, ayant vraiment vu la Vierge, était devenue incapable de tromper. Il en serait de même pour les enfants de Medjugorje.

[p. 163]D. Klanac : Jamais, dans l'histoire des apparitions, des voyants n'ont été soumis à autant de tests scientifiques que ceux de Medjugorje, par de nombreuses équipes pluridisciplinaires, ceci surtout depuis le 11e jour des apparitions. Aucune fraude n'a été découverte ni aucune pathologie diagnostiquée!

A. Dumouch : Comme je l'ai montré plus haut, ces recherches sont très utiles, importantes et elles seront utilisées lors du discernement final. Cependant, elles constituent un critère secondaire par rapport aux trois principaux déjà cités. En effet, s'il est intéressant de vérifier que ces jeunes sont sains d'esprit, on ne saurait dire a priori en théologie que le Ciel s'interdit d'apparaître soit à des malades mentaux, soit à des hommes en état de péché contre l'Esprit Saint.

À l'égard du premier point – des malades mentaux –, on me dit qu'il se produirait en Italie, autour d'une ancienne pèlerine de Medjugorje handicapée mentale profonde, des signes et des guérisons nombreuses. Pourquoi pas?

Imaginons maintenant que la Vierge apparaisse à une personne croyante, ayant choisi définitivement de mépriser le projet de Dieu et s'étant fixée dans la voie de Lucifer, à savoir une vie éternelle dans la liberté apparemment totale et dans le mépris de «l'amour poussé jusqu'à l'abandon de soi-même». Cette apparition authentique ne produirait pas de conversion du voyant puisque son choix est déjà lucide et définitif. Et pourtant, si Dieu daignait entourer cette apparition de miracles authentiques, elle pourrait parfaitement être reconnue par l'Église. D'ailleurs, le pape Benoît XVI rapporte dans son encyclique Spes Salvi (numéro 47) l'hypothèse d'une apparition du Christ à l'heure de la mort. Il ne dit pas que, infailliblement, tous se convertissent à sa vue.

D. Klanac : Dans plusieurs messages à Medjugorje, la Vierge a dit que Satan essayait continuellement de déjouer ses plans. Sommes-nous conscients de l'importance de ce message? Comment ces paroles [p. 164]résonnent-elles, dans l'esprit de nos contemporains qui ne croient plus à l'existence de l'Adversaire?

A. Dumouch : Si l'apparition de Medjugorje est vraie, on peut dire que Dieu aura laissé comme jamais des permissions au démon pour agiter et nuire. Tout aura été perpétuellement entouré de conflits, de passions, d'agitations.

Or ces permissions viennent de Dieu. La vie humaine est marquée, sur cette terre, par ces attaques venant du démon et pourtant permises par Dieu parce qu'elles visent à former des cœurs humbles. Pour se faire une idée de la richesse d'enseignement que tireront les théologiens de l'avenir si l'apparition est reconnue, il suffit de regarder ce que fut la vie, les combats et la passion de Jeanne d'Arc, image grandiose de la vie, des combats et de la passion à venir de l'Église.

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La guerre et la paix

Daria Klanac : À Medjugorje, la Vierge s'est présentée sous le vocable de la Reine de la Paix. Le 26 juin 1981, la voyante Marija a reçu le premier message de paix et de réconciliation. Dix ans après, jour pour jour, la guerre éclate en Slovénie et en Croatie et s'étend sur tout le pays. Comment comprendre cette guerre atroce et la présence de Marie à Medjugorje?

Arnaud Dumouch : Le phénomène s'est produit vers la même période au Rwanda. La Vierge apparaît d'abord à Kibeho (apparition reconnue par l'évêque du lieu) et le génocide (850.000 morts) arrive un peu plus tard. On cite aussi l'exemple de la fin de la Seconde Guerre mondiale par le bombardement d'Hiroshima, la seule ville catholique du Japon.

Ceci n'est pas paradoxal. En effet, la paix, au sens céleste du terme, vise l'union de l'âme humaine à sa finalité éternelle (sur terre, par l'oraison; au Ciel, par la vision béatifique).

Il ne faut donc pas confondre cette paix avec l'absence de guerre et de malheurs.

[p. 165]Le fait que ces apparitions soient presque toutes, depuis 170 ans, en lien intime avec des malheurs annoncés ou réalisés, est lié au mystère de la Croix et à son caractère rédempteur (pour le salut éternel, donc). Il faut donc comprendre la théologie de cette croix qui frappe notre terre, première étape de la purification vers la Vision béatifique. C'est une théologie profonde, qui touche au cœur même du message chrétien et de ces purgatoires (dont la vie terrestre) qui visent à nous préparer à la vision face à face de l'essence de Dieu.

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Les signes

Daria Klanac : Comment comprendre que ces souffrances sont en lien direct avec l'Amour de Dieu?

Arnaud Dumouch : Les souffrances elles-mêmes sont, pour un catholique, des signes de l'Amour de Dieu. Voici la raison théologique de ces souffrances. Face aux faits de la souffrance dans nos vies, il existe deux explications possibles:

– Celle de l'ange révolté qui dit à Ève: «Dieu ne soumet l'homme à l'errance sur terre que pour le dominer. Il se fait l'ennemi de sa liberté et de sa dignité personnelle pour rester Dieu.» Vue de l'extérieur, son interprétation paraît légitime. On dirait effectivement que le bonheur est soit inaccessible, soit éphémère. Les riches sont pris d'angoisse; les pauvres aspirent à la richesse; les gens heureux vieillissent. C'est comme si Dieu, qui tient le monde dans sa main, y avait mis des lois ennemies de notre bonheur.

– Celle de Dieu: il l'a expliqué lui-même dans un grand cri et avec des larmes, lorsqu'il est venu sur la terre: «C'est pour préparer votre cœur, non pas au bonheur sur terre, mais à la béatitude éternelle.» Et lui-même, Dieu fait homme, a voulu mourir pour montrer que tout cela venait bien de son Amour et non pas de sa soif de pouvoir.

Voici l'explication de tout, avec des mots que le Père aurait [p. 166]pu dire, quand Dieu le Verbe incarné est mort sur la croix: si le Père parlait en mots humains, il pourrait dire ceci:

«Je vous ai créés pour l'Amour, pour la Lumière et pour la Puissance infinis. Et votre cœur est sans repos tant qu'il n'a pas trouvé tout cela. Or cela, c'est moi seul, le Seigneur qui Suis Saint-Esprit (Amour), Verbe (Lumière) et Père (Puissance), qui le suis. Je le promets par moi-même. Personne d'autre ne pourra combler votre cœur.

«Mais nul ne peut me voir sans mourir à toutes ses attaches[36]. S'il était possible qu'il en soit autrement, je ferais autrement. Je me donnerais à tous les hommes immédiatement, dès leur création. Mon Fils me l'a demandé, le jeudi de Sa Passion: “Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi.” Je ne peux pas. C'est que je suis moi-même “mort à moi-même”. Moi, le Père, je ne suis que par mon Fils; Moi, le Fils, je ne suis que par mon Père; Moi, l'Esprit Saint, je ne suis que par leur Amour. Cette humilité, cette mort à vos désirs, est indispensable. Sans elle, nul ne peut me comprendre puisque tout en moi est humble. L'orgueilleux ne peut me voir. Il ne me comprend pas.

«C'est donc pour préparer votre cœur que je vous donne tout, puis vous enlève tout lorsque vous passez en ce monde. Je le fais pour tous, les méchants, les justes et même les saints (ceux qui me connaissent et m'aiment déjà). La terre, c'est comme le Golgotha avec ses trois croix. C'est donc pour forger dans vos cœurs cette humilité totale, que les théologiens appellent «kénose», que je permets et veux pour vous certaines souffrances.

«Ensuite, à l'heure de la mort, je vous apparais sous la forme de mon ange ou mieux, de l'humanité de mon Fils, accompagné des saints, des anges et des myriades du Ciel. Et là, dans l'humilité, je vous explique tout. Je vous montre tout [p. 167]mon amour, toute ma lumière, toute ma puissance. Si vous m'aimez en retour, je vous demande en mariage. Vous comprenez alors en pleine lumière à quel point ces souffrances vous étaient utiles et que, sans elles, votre âme n'aurait pas appris cette petitesse sans laquelle nul ne peut me voir. Si vous acceptez de m'aimer, je le promets, je m'y engage, je vous épouserai pour toujours. J'essuierai toutes vos larmes. La mort, vous ne vous en souviendrez plus. Je vous ferai tout puissant. Mon Esprit Saint sera toujours dans votre âme.

«Puis je vous rendrai votre corps, bien plus beau et immortel. Je vous comblerai de cadeaux inouïs.

«Celui qui ne veut pas devenir humble, je ne le forcerai pas à m'aimer. Je le laisserai libre. Je lui ferai les mêmes cadeaux qu'à ceux qui m'aiment (vie éternelle, liberté, corps ressuscité), mais il ne pourra me voir, car c'est impossible. S'il me voyait sans être tout humble, son esprit en serait détruit puisque ma vie Trinitaire est tout humble et aimante. Ce malheureux, orgueilleux et coupé de ma présence qui aurait comblé son âme, transformera lui-même son cadeau en enfer insensé.»

D. Klanac : Dès le début des apparitions à Medjugorje, les enfants ont demandé à la Vierge de leur laisser un signe pour que les gens croient que leur expérience est vraie. Elle n'a pas donné la réponse tout de suite, mais plus tard. C'est ce qu'on appelle le grand signe qui fait partie des dix secrets. Il est le troisième dans l'ordre.

A. Dumouch : Les enfants ont bien fait de demander un signe pour les gens. C'est d'ailleurs aussi une chose exigée canoniquement par l'Église. Pas de reconnaissance sans signes et surtout sans miracles.

D. Klanac : Les membres de la Commission de l'évêque ont essayé d'obtenir de force le contenu du troisième secret. Ils ont même forcé la main à Ivan. Peut-on, au nom de la Commission d'enquête, exiger des voyants à dévoiler ce secret qui parle du grand signe[37]?

[p. 168]A. Dumouch : Non. En aucun cas. Si les voyants parlaient sans autorisation de la Vierge, ils feraient une faute. Le silence sur les secrets est d'ailleurs une attitude qui caractérise de nombreuses apparitions reconnues. À Fatima, les enfants poussent le silence jusqu'au martyre puisqu'ils sont persuadés que Francisco a été tué par la Police pour son silence.

D. Klanac : Quelle est l'importance des signes dans les apparitions? La recherche des signes est-elle nuisible pour la foi?

A. Dumouch : Les signes (manifestations sensibles extérieures porteuses d'un sens profond) sont essentiels pour la naissance de la foi chez les non-croyants, et à sa confirmation chez ceux qui doutent. D'où cette phrase (Jn 20, 30): «Jésus a fait sous les yeux de ses disciples encore beaucoup d'autres signes, qui ne sont pas écrits dans ce livre.» Les Juifs ne cessèrent de demander à Jésus des signes. Et Jésus répondit à leur légitime demande en leur en donnant de nombreux.

La demande des signes devient une chose illégitime lorsque les Juifs, ayant vu, en demandent d'autres et d'autres encore, sans cesse. Ici, c'est la mauvaise volonté qui parle en eux.

Dans le cas de Medjugorje, il est essentiel que la Vierge, si c'est elle, prouve la vérité de sa venue par des signes, des miracles et le don de l'Esprit Saint, ces trois choses qui, ensemble, d'après saint Paul[38], marquent la présence de Dieu.

D. Klanac : Dans la venue de Marie à Medjugorje et son message certains voient les signes apocalyptiques. Vous parlez beaucoup du sens eschatologique des événements dans l'histoire du monde. Quel est le lien entre les deux dans le cas de Medjugorje?

A. Dumouch : Comme je vous le disais, si Medjugorje se révèle une vraie apparition, les théologiens reconnaîtront que Marie a [p. 169]continué sa pédagogie inaugurée en 1830 à la rue du Bac et qui consiste à préparer, pour les événements douloureux de la fin du monde, une Église qui vive de son esprit de foi et d'espérance totale. En effet, l'Église doit connaître une passion semblable à celle du Christ[39]. Or, le Samedi Saint, seule une foi comme celle de Marie a pu rester fidèle. Il doit y avoir de la même façon, pour le samedi saint de l'Église, une Église qui vive cela de manière cachée, mais avec la certitude sans failles que, contre toute espérance, le Christ va paraître dans Sa Gloire.

Voici ce qu'en dit saint Louis Marie Grignon de Montfort[40]:

«J'ai dit que cela arriverait particulièrement à la fin du monde, et bientôt, parce que le Très-Haut et sa très sainte Mère doivent former de grands saints qui surpasseront autant en sainteté la plupart des autres saints, que les cèdres du Liban surpassent les petits arbrisseaux, comme il a été révélé à une sainte âme, dont la vie a été écrite par M. de Renty[41].

«Le pouvoir de Marie sur tous les diables éclatera particulièrement dans les derniers temps, où Satan mettra des embûches à son talon, c'est-à-dire à ses humbles esclaves et à ses pauvres enfants qu'elle suscitera pour lui faire la guerre. Ils seront petits et pauvres selon le monde, et abaissés devant tous comme le talon, foulés et persécutés comme le talon l'est à l'égard des autres membres du corps; mais, en échange, ils seront riches en grâces de Dieu, que Marie leur distribuera abondamment, grands et relevés en sainteté devant Dieu, supérieurs à toute créature par leur zèle animé, et si fortement appuyé du secours divin, qu'avec l'humilité de leur talon, en union avec Marie, ils écraseront la tête du diable et feront triompher Jésus-Christ.»

[p. 170]Voici un chapitre de mon livre sur La fin du monde[42] qui illustre ce rôle eschatologique de Marie vers la fin du monde et devrait pouvoir expliquer les apparitions, dont celles de Medjugorje:

Les signes donnés par la Vierge Marie

Cette histoire, terrible et future de l'Antéchrist, est dans les mains de Dieu. Il sait ce qui est le mieux pour notre salut et pour celui du monde entier. C'est un scénario de gloire en vue de la révélation lumineuse de son amour. Toutes les communautés humaines, toutes les religions sont passées une à une au crible de la souffrance, pour l'humilité des hommes.

L'Église catholique n'y échappera pas. Nous allons décrire plus loin jusqu'où doit aller son abaissement, à l'image de son Seigneur. Mais, avant cela, elle y sera préparée. Cette mission terrestre sera confiée à Marie, la mère de Jésus. Au pied de la croix, seule une femme croyait et vivait de l'intérieur, debout, la mort de son Dieu. Elle ne douta pas un seul instant que Dieu son Fils était en train de sauver le monde. Jésus l'avait dit et cela lui suffisait. Cette confiance unique ne se retrouve même pas chez saint Jean pourtant présent à la croix, pourtant appelé le disciple que Jésus aimait. Il y est par amitié, mais pense que tout est fini. La preuve nous en est donnée dans son Évangile. Ce n'est qu'en voyant le tombeau vide et le linceul à sa place, comme affaissé, qu'il crut. Tous les autres disciples se sauvèrent. Mais, ce qui est le plus étonnant, c'est que la plénitude des grâces reçues permettait à Marie de vivre la Passion en comprenant. Elle n'était pas une simple spectatrice confiante et aveugle. Elle était une collaboratrice, une co-rédemptrice lucide.

Il en sera de même à la fin du monde lorsque l'Antéchrist triomphera. L'Église visible (symbolisée dans l'Évangile par la vie de saint Pierre) sera si petite, tellement réduite aux seuls [p. 171]domaines des cœurs et sans vie extérieure et politique qu'on la croira morte pour toujours. «Les portes de l'enfer ne l'emporteront pas sur elle!» ricanera-t-on de tout côté en reprenant la promesse visiblement manquée de Jésus. Qui pourra songer qu'au moment même où les portes de l'enfer sembleront avoir extérieurement tout détruit, Dieu triomphe comme à trois heures le jour de la mort de Jésus? Qui croira que c'est absolument l'inverse aux yeux de Dieu, que tout est accompli et que le retour glorieux du Christ est tout proche? Personne ne pourra imaginer cela sauf ceux qui auront la même foi que Marie. Seule une foi invincible, digne de la mère de Dieu, tiendra en ces heures dernières. Tous les autres faibliront aussi sûrement que Pierre face à ce qu'il ne comprit pas. Voilà pourquoi, avant la fin du monde, Dieu a confié à sa mère la mission de lui préparer une Église faite de petites gens semblables à elle (symbolisée par la vie de saint Jean[43]). Il est essentiel que leur intelligence possède la même lucidité que Marie. Ils comprendront parfaitement le mystère de l'espérance tel qu'il est décrit ici. Ils pourront alors accomplir la mission de Marie à la Croix, offrir au nom de tous les hommes le «oui» définitif de l'humanité à Dieu. Ils baptiseront l'humanité dans l'eau et l'esprit (dans l'eau de leur humilité et le feu de leur amour). Tout sera alors accompli. On le voit, leur mission sera le Mystère (au sens le plus théologal du terme) ultime de l'histoire. Saint Bernard, parlant de ce fait des derniers temps, annonce:

“C'est par Marie que le salut du monde a commencé, et c'est par Marie qu'il doit être consommé […] Mais dans le second avènement de Jésus-Christ, Marie doit être connue et révélée par le Saint-Esprit afin de faire par elle connaître, aimer et servir Jésus-Christ. Les raisons qui ont conduit le Saint-Esprit à cacher son épouse pendant sa vie, et à ne la révéler que bien peu depuis la prédication de l'Évangile, ne subsisteront plus[44].”

[p. 172]Saint Louis-Marie Grignon de Montfort est intarissable sur ce thème[45]:

“Dieu veut donc révéler et découvrir Marie, le chef-d'œuvre de ses mains dans ces derniers temps. Comme elle est l'aurore qui précède et découvre le Soleil de justice, qui est Jésus-Christ, elle doit être connue et aperçue, afin que Jésus-Christ le soit. Étant la voie par laquelle Jésus-Christ est venu à nous la première fois, elle le sera encore lorsqu'il viendra la seconde, quoique non pas de la même manière.

Enfin, Marie doit être terrible au diable et à ses suppôts comme une armée rangée en bataille, principalement dans ces derniers temps, parce que le diable, sachant bien qu'il a peu de temps, et beaucoup moins que jamais pour perdre les âmes, il redouble tous les jours ses efforts et ses combats; il suscitera bientôt de cruelles persécutions, et mettra de terribles embûches aux serviteurs fidèles et aux vrais enfants de Marie, qu'il a plus de peine à surmonter que les autres.

C'est principalement de ces dernières et cruelles persécutions du diable qui augmenteront tous les jours jusqu'au règne de l'Antéchrist, qu'on doit entendre cette première et célèbre prédiction et malédiction de Dieu, portée dans le paradis terrestre contre le serpent: Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance. Elle-même t'écrasera la tête, et tu mettras des embûches à son talon.

Jamais Dieu n'a fait et formé qu'une inimitié, mais irréconciliable, durera et augmentera même jusqu'à la fin: c'est entre Marie, sa digne Mère, et le diable, entre les enfants et serviteurs de la Sainte Vierge, et les enfants et suppôts de Lucifer; en sorte que la plus terrible des ennemies que Dieu ait faites contre le diable est Marie, sa sainte Mère. […] C'est premièrement parce [p. 173]que Satan étant orgueilleux, souffre infiniment plus d'être vaincu et puni par une petite et humble servante de Dieu, et son humilité l'humilie plus que le pouvoir divin. […] Ce que Lucifer a perdu par orgueil, Marie l'a gagné par son humilité; […] Non seulement Dieu a mis une inimitié, mais des inimitiés, non seulement entre Marie et le démon, mais entre la race de la Sainte Vierge et la race du démon. C'est-à-dire que Dieu a mis des inimitiés, des antipathies et haines secrètes entre les vrais enfants et serviteurs de la Sainte Vierge et les enfants et esclaves du diable; ils ne s'aiment point mutuellement, ils n'ont point de correspondance intérieure les uns avec les autres. Les enfants de Bélial, les esclaves de Satan, les amis du monde (car c'est la même chose), ont toujours persécuté jusqu'ici et persécuteront plus que jamais ceux et celles qui appartiennent à la Très Sainte Vierge, comme autrefois Caïn persécuta son frère Abel, et Esaü son frère Jacob, qui sont les figures des réprouvés et des prédestinés. Mais l'humble Marie aura toujours la victoire sur cet orgueilleux, et si grande qu'elle ira jusqu'à lui écraser la tête où réside son orgueil; elle découvrira toujours sa malice de serpent; elle éventera ses mines infernales, elle dissipera ses conseils diaboliques, et garantira jusqu'à la fin des temps ses fidèles serviteurs de sa patte cruelle.”

Nous verrons plus loin que c'est la prière de ces chrétiens des derniers temps qui provoquera le retour de Jésus. Concrètement, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que Marie a déjà commencé son travail de préparation. La première de ses apparitions[46] (car son travail de préparation consiste en une prédication aussi concrète et directe que le sera le retour du Christ à la fin) date de 1830. Elle donne à sainte Catherine [p. 174]Labouré une médaille[47]. Elle la rend même miraculeuse tant elle espère que ceux qui la porteront méditeront son message. Sur son verso, Marie fait représenter un M qui porte une croix. L'archevêque de Paris, à qui l'on soumit la médaille en vue de l'Imprimatur, se demandait s'il n'aurait pas mieux valu un M au pied d'une croix. De fait, il y avait là un symbole surprenant, à faire frémir les Protestants. Il signifie plusieurs choses très profondes concernant le rôle de Marie comme co-rédemptrice[48]. Mais pour ce qui concerne la fin du monde, sa signification est éloquente. M signifie ceux qui vivent de la spiritualité de Marie. La croix symbolise leur fidélité au Christ. Tout cela annonce que, vers la fin du monde, la vie du Christ ne pourra plus subsister dans les cœurs sauf chez ceux qui auront la même foi qu'elle. Au-dessous de ce M, les deux cœurs de Jésus et Marie sont présents pour que nul ne doute, quoiqu'il arrive, que c'est leur amour qui permet tout[49]. Depuis cette première apparition, Marie ne cesse d'insister, de revenir, d'éduquer. À La Salette[50] (1846), elle prononça l'avertissement solennel de se tenir prêt: «Voici le temps des temps, la fin des fins.» Dans l'Église catholique d'Occident, minée depuis les années 70 par une crise de perte de la foi, on constate que tout le renouveau, quel qu'il soit, a un rapport étroit avec Marie. Est-ce un signe grandiose du temps où nous nous trouvons[51]?

[p. 175]D. Klanac : Selon les voyants, le grand signe surviendra sur le mont Crnica, à l'endroit où la Vierge est apparue pour la première fois. Il sera durable, visible de tous et sera accompagné d'autres phénomènes et de nombreuses guérisons miraculeuses. Comment comprendre cette annonce du grand signe?

A. Dumouch : Voilà ce que la théologie peut dire du grand signe tel qu'il est formulé à Medjugorje: il semble limité dans le lieu (mont Crnica), quoique permanent dans le temps. Il semble donc être d'une nature analogue à celle du signe de Fatima, à savoir un événement sensible et terrestre. À Fatima en effet, le grand signe ne fut visible que cinq kilomètres autour de la Cova di Aria.

Le signe de Medjugorje présente par contre une grande différence avec le «Miracle» annoncé le 14 septembre 1965 à Garabandal (apparition non encore reconnue): «L'Avertissement est une chose venant directement de Dieu. Il sera visible dans le monde entier, quel que soit l'endroit où l'on se trouvera, où chacun sera. Il sera comme la révélation (intérieure à chacun de nous) de nos péchés. Les croyants aussi bien que les incroyants – de n'importe quel pays – les verront et les ressentiront. Ce sera comme du feu. Il ne brûlera pas notre chair, mais nous le ressentirons corporellement et intérieurement… Personne n'y échappera. Mais après l'Avertissement, tu aimeras beaucoup plus le Bon Dieu.» Ce texte-là, s'il vient de Dieu, n'annonce pas une chose ponctuelle mais tout simplement le retour du Christ et la fin du monde. En effet, il ne faut attendre une telle manifestation glorieuse de vérité, supprimant toute possibilité de douter honnêtement, qu'à l'heure de notre mort ou à la fin du monde lors du retour du Christ dans sa gloire. Il serait vain et faux d'attendre une telle puissance puis une survie de ce monde, avec ses générations et sa vie politique.

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[p. 176]L'étonnant tableau

Daria Klanac : Le tableau présentant la Vierge qui plane au-dessus de la vallée de Medjugorje, comme si Marie voulait la protéger de son manteau, avait déjà été accroché à l'arrière de l'église, adossé au jubé bien avant les apparitions. Il a été réalisé par un artiste local, Vlado Falak, en 1974. Les voyants avaient entre 3 et 10 ans. À cette époque, ils ne fréquentaient pas tous la même église. De quelle façon, uniquement chez ces six jeunes, ce tableau aurait pu influencer leur esprit et provoquer des visions mentales eidétiques[52], comme certains le prétendent?

Arnaud Dumouch : C'est impossible. Je pense que cette hypothèse venant des opposants à Medjugorje ne présente qu'un intérêt: le fait qu'ils l'aient émise montre qu'ils croient ces jeunes sincères. Mais imaginer qu'un tel tableau soit la cause des phénomènes par une sorte d'effet subliminal, et ce pendant 27 ans, chez des personnes devenues adultes, conscientes, mariées et équilibrées dans leur vie, est une hypothèse qui ne se tient pas. Ils auraient alors des comportements illuminés et hallucinatoires.

D. Klanac : Pour d'autres, ce même tableau représente un signe précurseur des apparitions.

A. Dumouch : Oui. Ceux qui croient en cette apparition peuvent voir effectivement dans ce tableau une étrange coïncidence chargée de sens, voire un signe inspiré par avance par le Ciel. Ce n'est bien sûr pas une preuve. Mais l'histoire de l'Église est pleine de ces étranges préparations, parfois s'établissant sur plusieurs siècles.

Exemple: tel lieu de pèlerinage marial dans l'antiquité, oublié depuis longtemps, est parfois le siège d'une apparition contemporaine.

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[p. 177]La vision du purgatoire, de l'enfer et du paradis

Daria Klanac : Plusieurs voyants témoignent que la Vierge leur a montré le paradis, le purgatoire et l'enfer. Ils nous les décrivent en images. Au paradis, c'est la lumière, le bonheur, la louange, la joie.

Arnaud Dumouch : Ce qui caractérise en premier le paradis, c'est la Vision de Dieu face à face et on peut sans problème la symboliser par ce mot «Lumière». Les autres qualités sont ses effets (béatitude parfaite, louange, joie). Il faut bien préciser que, sans cette vision de Dieu face à face, qui se renouvelle à chaque seconde et sans limite au point de devancer tout désir de l'âme, le paradis et ses autres merveilles finiraient par être «vides».

D. Klanac : Au purgatoire, c'est le brouillard dans lequel les âmes souffrent et gémissent conscientes que Dieu existe. Elles ont besoin de nos prières parce qu'elles ne peuvent plus prier pour elles-mêmes afin d'atteindre le Ciel.

A. Dumouch : Ce qui est mis en gras est très vrai et c'est confirmé par l'entièreté de la Tradition (sainte Catherine de Gênes, Traité du purgatoire). La raison de cette incapacité des âmes des différents degrés du purgatoire mystique à prier pour elles-mêmes et à progresser par elles-mêmes, c'est qu'elles y acquièrent une chose qui dépasse la force de toute créature et qu'on ne peut acquérir par soi-même, à savoir la kénose.

C'est ce qu'explique l'Ancien Testament: «Le sacrifice qui plaît à Dieu, c'est un esprit brisé et un cœur humilié.» En effet, pour voir Dieu, il faut être mort à soi-même, puisque la Vie trinitaire est une perpétuelle absence à soi-même d'une Personne tournée vers et dans l'Autre personne.

Or, si les âmes du purgatoire aiment Dieu de tout leur cœur et sont sûres de le voir un jour face à face, par contre (il n'y a rien à faire), une telle kénose leur échappe. Avoir un cœur [p. 178]brisé, totalement mort à soi-même, ne s'acquiert qu'à la manière du Christ dans son expérience de désespoir: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?» (Mc 15, 34)

Si le Christ lui-même a appris cela de ce qu'il a souffert[53], alors combien plus les âmes du purgatoire qui ne sont pas pures comme l'était l'âme humaine du Christ. Les âmes du purgatoire ne peuvent donc rien pour elles-mêmes, car on ne peut par soi-même provoquer l'expérience du désespoir en soi. Le désespoir tombe sur un homme et personne ne le cherche. Or, c'est ce désespoir qui transforme le cœur humain en un cœur brisé.

D. Klanac : En enfer, c'est le feu, les flammes.

A. Dumouch : Ces flammes sont d'abord une métaphore de la souffrance intérieure que provoque le rejet libre de Dieu dans une âme faite, par nature, pour voir Dieu. Mais ces âmes se cachent dans les lieux les plus sinistres de l'univers, pour ne jamais voir la gloire des saints qui les met dans des états de colère et de souffrance terribles. En effet, l'évocation du simple souvenir de ces âmes du Ciel, de leur humilité alliée à leur bonheur total, leur rappelle leur propre malheur, malheur dont elles nient la réalité puisqu'elles choisissent l'enfer pour sa «liberté»…

D. Klanac : Les personnes ont des formes d'animaux.

A. Dumouch : Le Ciel, pour exprimer des réalités spirituelles, use depuis le début de la Révélation des métaphores animales. Ainsi, Lucifer dans l'apparente noblesse de sa révolte de créature libre, est comme un dragon dressé. Satan, qui se glisse dans notre psychologie pour nous habituer à des égoïsmes charnels est représenté par la Bible comme un serpent qui mange de la poussière. Ainsi, les formes d'animaux sont une métaphore pour signifier ceci: en voyant les damnés, on voit l'âme et les pensées [p. 179]de ces âmes et ce ne sont que vice et colère obstinément et librement entretenus. La métaphore de l'animal est réaliste.

D. Klanac : La Vierge a dit, racontent les voyants, que Dieu a donné à chacun le don de liberté.

A. Dumouch : Ceci est théologiquement essentiel: nul ne va en enfer, que par un acte de sa liberté. Jésus l'affirme explicitement dans son évangile (Mt 12, 3): «Aussi je vous le dis, tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera pas remis. Et quiconque aura dit une parole contre le Fils de l'Homme, cela lui sera remis; mais quiconque aura parlé contre l'Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde ni dans l'autre.»

Et saint Thomas d'Aquin (IIa-IIae) distingue de manière précise les trois blasphèmes qui existent en utilisant la méthode d'attribution aux personnes trinitaires:

On attribue au Père la puissance. Le blasphème contre le Père est le rejet de Dieu à cause d'un motif de faiblesse. (La semence est tombée au bord du chemin, là où il n'y avait pas de terre profonde[54].) Un péché mortel contre le Père consiste, par exemple, dans un adultère commis par un homme qui ne contrôle pas sa sexualité et se laisse dépasser. À l'heure de la mort, lorsque le Christ paraît dans sa gloire, le foyer de cette faiblesse est enlevé à cet homme qui ne peut plus pécher par faiblesse. S'il s'obstine à ne pas demander pardon, c'est alors nécessairement de manière pleinement libre, mais ce n'est plus un péché mortel de faiblesse.

On attribue au Fils la connaissance. Le blasphème contre le Fils est le rejet de Dieu à cause d'une ignorance («Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font[55].») Un péché [p. 180]mortel contre le Fils consiste, par exemple, dans la plupart des avortements volontaires où la femme croit sincèrement que son enfant n'existe pas encore. À l'heure de la mort, lorsque le Christ paraît dans sa gloire accompagné du petit, cette ignorance est levée et cette femme ne peut plus pécher par ignorance. Si elle s'obstine à ne pas demander pardon et à ne pas réadopter son enfant, c'est alors nécessairement de manière pleinement libre.

Enfin, on attribue au Saint-Esprit l'Amour lucide (car il procède du Père et du Fils). Le blasphème contre l'Esprit est commis directement contre l'Amour de Dieu, en pleine lucidité (pas d'ignorance) et maîtrise de soi (pas de faiblesse). C'est donc dans une liberté parfaite.

Exemple: les théologiens juifs qui, après avoir vu la résurrection de Lazare, miracle d'origine clairement divine pour des savants comme eux, décident de tuer Jésus et Lazare. Si, à l'heure de la mort, un homme ou une femme maintient obstinément son choix pour la liberté égoïste face au Christ glorieux, c'est de manière parfaitement libre. Cette personne ne changera jamais. C'est un blasphème contre l'Esprit et une damnation éternelle, du fait même de la parfaite liberté du pécheur qui a tout pesé, tout choisi.

D. Klanac : Chacun exerce donc ce don de liberté jusqu'à choisir librement l'enfer.

A. Dumouch : En enfer, on choisit librement ce qu'on considère comme un bien (sa liberté égoïste) quitte à perdre le vrai Bien (la vision de Dieu et l'amour des frères). À propos de cette liberté, rendue parfaite à l'heure de la mort, voilà ce que sainte Faustine, canonisée par le Pape Jean-Paul II en 2000, décrit[56]:

«J'accompagne souvent les âmes agonisantes et je leur obtiens la confiance en la miséricorde divine. Je supplie Dieu de leur [p. 181]donner toute la grâce divine, qui est toujours victorieuse. La miséricorde divine atteint plus d'une fois le pécheur au dernier moment, d'une manière étrange et mystérieuse. À l'extérieur, nous croyons que tout est perdu, mais il n'en est pas ainsi. L'âme, éclairée par un puissant rayon de la grâce suprême, se tourne vers Dieu avec une telle puissance d'amour, qu'en un instant elle reçoit de Dieu le pardon de ses fautes et l'indulgence pour leurs punitions. Elle ne nous donne à l'extérieur aucun signe de repentir ou de contrition, car elle ne réagit plus aux choses extérieures. Oh! Que la miséricorde divine est insondable!

«Mais horreur! Il y a aussi des âmes qui, volontairement et consciemment, rejettent cette grâce et la dédaigne. C'est déjà le moment même de l'agonie. Mais Dieu, dans sa miséricorde, donne à l'âme dans son for intérieur ce moment de clarté. Et si l'âme le veut, elle a la possibilité de revenir à Dieu.

«Mais parfois, il y a des âmes d'une telle dureté de cœur qu'elles choisissent consciemment l'enfer. Elles font échouer non seulement toutes les prières que d'autres âmes dirigent vers Dieu à leur intention, mais même aussi les efforts divins.»

D. Klanac : C'est pourquoi ces âmes ne désirent pas qu'on prie pour elles.

A. Dumouch : C'est vrai. Cela ne conduirait qu'à les faire souffrir davantage (tant l'humilité et l'amour manifestés, tout en touchant le fondement naturel de leur esprit, sont rejetés par leur liberté). Elles n'aspirent qu'à une chose: que les âmes (méprisables à leurs yeux) qui ont choisi de se vautrer dans le repentir face au Christ les laissent tranquille. Elles sont librement dans l'individualisme de l'enfer, et elles proclament la liberté de leur option.

D. Klanac : Quel est votre regard théologique sur ces vérités de la foi tant impopulaires de nos jours?

A. Dumouch : Depuis 70 ans, on n'osent plus trop parler de ces sujets importants qui nourrissent l'espérance parce qu'on en était resté [p. 182]à un écrit de saint Thomas d'Aquin dans sa jeunesse[57] où il estimait que certains hommes étaient damnés pour l'éternité sans acte libre venant de leur part (Exemples de saint Thomas: les enfants morts sans baptême, les païens n'ayant jamais entendu parler du Christ et morts sans la grâce, les pécheurs chrétiens surpris par l'arrêt du cœur avant de s'être repentis).

Or dès le Concile Vatican II, l'Église s'était opposée à cette théorie ancienne en affirmant que tout homme se verrait proposer le salut: «Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal[58].» Ce qui ne voulait pas dire que tout homme accepterait ce salut…

Cette petite phrase venant de l'apparition de Medjugorje sur la liberté du choix de l'enfer, le fait qu'elle sorte si simplement et si justement d'une apparition alors que les théologiens fuient trop souvent ce débat, est un signe très fort de crédibilité de l'apparition.

D. Klanac : Les voyants Jakov et Vicka racontent qu'un jour la Vierge est venue chez Jakov et les a pris par la main et les a emmenés voir le paradis, le purgatoire et l'enfer. La maman de Jakov qui était à la maison s'est demandé où ils étaient passés. Cela a duré une vingtaine de minutes. Ils étaient comme disparus à la vue des gens. Comment pouvez-vous expliquer ce phénomène?

A. Dumouch : À Fatima, Marie fait aussi visiter aux enfants l'autre monde. Mais ils sont juste partis en esprit. Leur corps était là.

Dans ce qui s'est passé ici, on dirait (mais il faudrait plus de précisions) que les enfants voyagèrent avec leur corps. Si [p. 183]c'est le cas, on serait face à une réitération de ce qui s'est passé ici (Actes 8, 39): «Mais, quand ils furent remontés de l'eau, l'Esprit du Seigneur enleva Philippe, et l'eunuque ne le vit plus.»

Mais cela semble plus mystérieux. Vous dites: «Ils étaient comme disparus à la vue des gens.» Cela rappelle plutôt ce que vécut saint Paul sur le chemin de Damas et qu'il ne s'explique pas encore (2Cor 12, 3): «Cet homme-là fut ravi jusqu'au troisième ciel. Et cet homme-là – était-ce en son corps? Était-ce sans son corps? Je ne sais, Dieu le sait.»

En tout cas, ce phénomène, même s'il fallait en vérifier exactement la nature, est tout à fait possible à Dieu et connu dans diverses vies des saints. Des voyages corporels sont attestés (saint Martin de Porrès par exemple), ou encore des voyages psychiques, dans une sorte de corps doté des cinq sens (Bienheureuse Anne-Catherine Emmerich). Parfois, seul l'esprit voyage (méditation spirituelle profonde sur les volontés de Dieu).

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La deuxième génération des voyants

Daria Klanac : Un an après le début des apparitions à Medjugorje, un autre phénomène est survenu. Deux jeunes filles du village, Jelena et Marijana Vasilj disaient avoir des visions et des locutions intérieures. Le 15 décembre 1982, l'ange s'est présenté à Jelena en lui disant qu'il allait la guider dans sa vie de prière afin de la préparer pour la rencontre avec la Vierge. Jelena ne voit pas en trois dimensions comme les voyants de la première génération, mais elle a la certitude que c'est la Vierge et qu'elle lui parle.
Jelena est une personne qui a fait des études poussées en théologie, philosophie, histoire de l'Église, Saintes Écritures et langues anciennes. Elle est mariée et mère de quatre enfants. C'est une personne très équilibrée qui témoigne humblement avoir des visions et des locutions intérieures.
[p. 184]Comment faire le discernement entre les vraies et les fausses visions et locutions intérieures?

Arnaud Dumouch : Il est impossible d'être parfaitement sûr de l'origine de telles locutions surnaturelles sensibles (trois causes sont possibles: imaginaire, diable, saints envoyés de Dieu) tant que des miracles authentiques (selon leur définition donnée plus haut) ne viennent pas définitivement enlever le doute.

En effet, les deux critères de la conformité à la foi des locutions et des fruits spirituels qu'elles produisent sont le lot de tout chrétien vivant avec sérieux sa vie de charité.

Mais, comme je l'ai dit plus haut, l'équilibre humain d'une personne et son humilité non feinte peuvent être de bons signes secondaires de crédibilité. En effet, une personne de bon sens répugnera à s'auto-attribuer des choses paranormales si elles ne sont pas réelles. D'autre part, si la personne n'a vraiment rien à faire des honneurs et du regard des autres, elle sera plutôt gênée qu'intéressée par ces choses-là.

D. Klanac : Cette voyante du cœur parle de notre époque en disant que nous vivons peut-être les temps bibliques où il est question de nos fils et filles qui prophétiseront, et de nos jeunes qui auront des visions.
Peut-on dire que l'on est arrivé à cette période des temps prophétiques ou bien que l'on en est proche?

A. Dumouch : «Après cela je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens, des visions[59]

Cette parole de l'Écriture a trois niveaux de réalisation:

1. D'abord, elle annonce ce qui se passe depuis la première venue de Jésus ici-bas, il y a 2000 ans: depuis la Pentecôte, le [p. 185]moindre fidèle, s'il vit de la charité, se met à comprendre et à annoncer les choses de la vie spirituelle. Ceci signifie que, dans les temps qui sont les nôtres, la prophétie consiste à annoncer la réalisation de l'Évangile, et cela, la grâce du baptême le permet. La prophétie s'exerce donc pour tous par ce qu'on appelle les sept dons du Saint-Esprit (sagesse et science, force et crainte, intelligence, conseil et piété). Elle permet à tous de prononcer des paroles portant sur des sujets généraux, par exemple: «Dieu donne sa grâce à travers la vie de charité», etc. On ne se rend plus compte de l'énormité de ce don, tant on est habitué. Mais c'est une prophétie largement supérieure à tout ce qu'on voit dans l'Ancien Testament chez les plus grands prophètes.

Or cette voyante de cœur, Jelena, reçoit (si je comprends bien) des locutions plus précises et plus circonstancielles que cela, comme la lecture de la pensée de telle personne, ou l'annonce de tel événement précis à venir, à travers des certitudes intérieures du type: «La Vierge vient demande de prier pour telle ou telle chose.»

Autrement dit, elle exerce autre chose que les dons du Saint-Esprit communs à tous les baptisés. Elle exerce des charismes (prophétie, discernement des esprits, paroles de science). On doit donc dire que son don n'est pas le lot commun de tout homme vivant de la grâce tant qu'il est sur cette terre. C'est donc un phénomène exceptionnel et rare, non contenu dans le premier sens de cette prophétie.

Remarquez que ces charismes ne sont pas en lien avec la sainteté personnelle de la voyante du cœur. Ils sont donnés par Dieu pour le bien des autres.

2. Le deuxième sens de cette prophétie de Joël, c'est que ces paroles se réaliseront plus profondément à l'heure de la mort (dans le passage entre ce monde et l'autre) lorsque se réalisera cette parole du Credo: «Il reviendra dans sa gloire.» [p. 186]À ce moment-là seulement, tout le monde voit de ses yeux la Vierge, les saints et l'humanité glorieuse du Christ. À ce moment-là, très concrètement, tout le monde sans exception a des visions et voit, dans la Lumière de la Parousie, l'Évangile du Christ et l'état de sa propre âme. Les charismes seront donc, ici seulement, universels.

3. Enfin, ces paroles se réaliseront de manière parfaite lorsque nous verrons face à face la Trinité Sainte. La Vision béatifique fera de nous des amis intimes et des collaborateurs parfaits de Dieu.

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Le discernement

Daria Klanac : Ma mère était une femme sans instruction, simple et charitable, à l'écoute de la Parole. Elle avait un très bon jugement, le don du vrai bon sens commun. Que nous faut-il, à nous simples fidèles, pour bien discerner et ne pas tomber dans le piège du faux?

Arnaud Dumouch : Trois qualités principales sont importantes pour qu'un fidèle laïc, comme l'y invite le Concile Vatican II, soit une aide précieuse dans la vie spirituelle de ses frères:

1. Un réalisme paysan: c'est important pour ne pas se laisser enthousiasmer trop vite et pour toujours garder son sens critique.

2. Une vie spirituelle mûrie: afin de ne pas être à la recherche de choses sensibles et de rester attaché surtout à une relation spirituelle à Dieu.

3. Une théologie simple, mais réaliste, qui permet du bon sens. On trouve cela parfois chez de simples laïcs chrétiens. Je pense à la mère de saint Jean Bosco qui ne se laissa jamais tournebouler par ses visions et ses songes et les ramena toujours à l'essentiel: une vie active de charité pour Dieu et le prochain.

On a un modèle de l'auto-discernement chez l'aveugle de naissance guéri par Jésus dans l'Évangile: il est plein de bon sens, puis d'ironie face aux grands-prêtres, et il leur dit ceci (Jn 9, 10-11): [p. 187]«Ils lui dirent alors: “Comment donc tes yeux se sont-ils ouverts?” Il répondit: “L'homme qu'on appelle Jésus a fait de la boue, il m'en a enduit les yeux et m'a dit: Va-t'en à Siloé et lave-toi. Alors, je suis parti, je me suis lavé et j'ai recouvré la vue.”» C'est le réalisme factuel qui ne brode pas (qualité 1).

Nous lisons ensuite (Jn 9, 25): «L'aveugle répondit: “Si c'est un pécheur, je ne sais pas; je ne sais qu'une chose: j'étais aveugle et à présent j'y vois.”» Puis, cinq versets plus loin (Jn 9, 30): «L'homme leur répondit: “C'est bien là l'étonnant: que vous ne sachiez pas d'où il est, et qu'il m'ait ouvert les yeux. Nous savons que Dieu n'écoute pas les pécheurs, mais si quelqu'un est religieux et fait sa volonté, celui-là il l'écoute. Jamais on n'a ouï dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle-né. Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire.”» C'est l'expression d'une théologie simple, mais réaliste, qui le rend ironique face à l'agitation des grands-prêtres et à leur discernement insensé (qualité 3).

À propos de la seconde qualité, si le conseiller spirituel du voyant se laisse lui-même aller à un enthousiasme total, sans garder son sens critique, il ne sera plus capable de jouer son rôle. C'est pourquoi l'attitude de l'abbé Peyramale, curé de Lourdes au moment des apparitions, extrêmement détachée et réaliste, quoiqu'ouverte, est un bon modèle à imiter.

D. Klanac : Il y a toujours eu de vrais et de faux prophètes. De nos jours, où règne le relativisme, est-il plus difficile de reconnaître le vrai du faux avec la certitude de ne pas se tromper?

A. Dumouch : Non, pas plus difficile que jadis. À chaque période de l'histoire, même lorsque la chrétienté était le lot du grand nombre et du politiquement correct, la majorité des hommes a préféré l'apparence et les valeurs de ce monde aux vraies choses du Christ. Il n'est qu'à se souvenir de l'époque de Jeanne d'Arc et de son [p. 188]martyre. Par contre, comme à chaque époque, celui qui ne se trompe pas est celui qui discerne en vérité ce qui est premier dans les valeurs de l'Évangile, à savoir l'amour de Dieu et du prochain poussés jusqu'à l'acceptation humble du mépris venant du monde.

En fonction de ce principe, on peut alors facilement se faire une assez bonne idée de l'authenticité de telle ou telle apparition. Certes, cet instinct spirituel n'est pas infaillible. Mais l'attitude d'un père René Laurentin, par exemple, est judicieuse: il est ouvert. Il constate d'énormes fruits spirituels. Il étudie la conformité à la foi. Il approche les voyants. Il liste les miracles.

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Les ouvrages critiques

Daria Klanac : L'abbé René Laurentin, que vous venez de mentionner, théologien, mariologue, historien et journaliste, spécialiste de Lourdes, a beaucoup écrit sur Medjugorje. Il a suivi ces événements d'année en année. Ce qu'il a écrit sur Lourdes est considéré comme valable et solide. Il fait autorité. Pour ce qui est de Medjugorje, il est très critiqué et attaqué, principalement par les opposants.
Pourquoi n'est-il pas pris au sérieux?

Arnaud Dumouch : S'il n'est pas pris au sérieux pour Medjugorje, cela vient uniquement du fait que l'Église ne peut pas encore trancher sur Medjugorje (apparition positive, mais non finie) et qu'elle a tranché à Lourdes. Du coup, le père Laurentin est, pour ce qui concerne Lourdes, dans le calme du discernement positif officiel, et dans l'agitation des avis contradictoires et personnels pour ce qui concerne Medjugorje.

Autrement dit, le jour où l'autorité de l'Église tranchera (positivement ou négativement), en suivant les règles précises et argumentées des directives canoniques, la plupart des discussions s'arrêteront.

[p. 189]Il convient donc d'être calme, patient, à l'image de l'aveugle de naissance ci-dessus. En attendant, le père Laurentin s'engage à titre de théologien et comme homme privé, et son discernement (qui n'engage que lui) possède l'autorité d'une méthode et d'une grande expérience. Il peut certes se tromper, se laisser parfois entraîner par l'enthousiasme, mais son œuvre est, depuis 27 ans, d'un très grand intérêt sur ce sujet. Elle sera forcement étudiée par l'Église en temps voulu.

D. Klanac : Les ouvrages qui se disent critiques sont-ils synonymes de crédibilité? En effet, il semble que celui qui est contre la cause de Medjugorje, qui la conteste, est plus crédible aux yeux du monde que celui qui est pour et qui y croit. Les écrits en faveur de Medjugorje ne sont pas considérés comme critiques, donc pas pris au sérieux par certaines élites intellectuelles et religieuses.

A. Dumouch : J'ai lu certains de ces écrits, dont certains extraits de Joachim Bouflet. J'ai aussi débattu avec lui sur Internet. Et on s'aperçoit très vite que la méthode utilisée est finalement moins rigoureuse que celle du père Laurentin. Ces écrits critiques sont souvent à charge plutôt qu'à décharge, alors qu'ils devraient être à charge et à décharge. Ils ne cherchent pas avec un esprit positif si telle ou telle parole de l'apparition peut avoir un sens catholique. Joachim Bouflet ne procède pas selon les trois critères importants (conformité au dogme de la foi, fruits spirituels, miracles), mais en ajoute d'autres, tout à fait externes aux apparitions.

Un exemple: le conflit évêque/prêtres franciscains est étranger aux choses. Discerne-t-on négativement de La Salette en regardant la vie agitée de Mélanie ou le conflit avec les frères de La Salette?

Un autre exemple de critère étranger au discernement: Joachim Bouflet remarque, à charge contre l'apparition, que l'une des voyantes, loin d'avoir peur de l'apparition comme c'est (selon lui) toujours le cas, se précipite spontanément vers [p. 190]la Vierge. Ce critère est étranger à l'analyse d'une apparition. De plus, ce critère n'est pas juste comme on le voit chez sainte Catherine Labouré qui, voyant pour la première fois Marie, se précipite vers elle et met familièrement ses deux coudes sur ses genoux pour l'écouter.

Pour ce qui est de l'Église universelle (représentée par la Congrégation pour la Doctrine de la foi), il y a une prudente attitude de recul et de patience. Il y aura donc un jour jugement canonique, à charge et à décharge.

De toute façon, si cela vient bien de la Vierge, il y aura à terme des miracles indubitables, comme à Lourdes, qui feront taire toutes les voix.

D. Klanac : J'ai rencontré Joachim Bouflet à Paris. Voilà ce qu'il dit de notre rencontre dans son dernier livre: «Tout en déplorant que j'aie révélé certains faits qu'elle eût préféré voir passer sous silence, elle [Daria Klanac] a eu l'honnêteté de reconnaître que rien dans Medjugorje ou la fabrication du surnaturel n'était contraire à la vérité.» Pourtant, c'est tout le contraire que je lui ai exprimé lors de notre rencontre, ainsi que dans mon livre Medjugorje, Réponses aux objections.

A. Dumouch : Il y a dans cette réflexion de sa part une attaque extrêmement habile contre vous. En agissant ainsi, il suggère que vous cherchez à cacher quelque vérité gênante. Il a agi exactement de la même manière avec le père Laurentin. Or le père Laurentin est tout sauf un dissimulateur et chacun peut en témoigner.

D. Klanac : Je ne comprends pas comment il arrive à avoir l'approbation des autorités de l'Église.

A. Dumouch : Attention, l'Imprimatur qu'il a obtenu du Diocèse de Paris ne dit rien de la vérité du discernement de Joachim Bouflet. Les Nihil Obstat et l'Imprimatur disent seulement: «Dans ce livre, rien de ce qui est théologique n'est contraire au dogme [p. 191]de la foi.» Mais cela, les fidèles ne le savent pas. Ils croient que les Nihil Obstat et l'Imprimatur sont un soutien de l'Église à sa thèse sur la fausseté de Medjugorje.

D. Klanac : Dans beaucoup d'ouvrages dits critiques, je remarque une absence de rigueur, de professionnalisme, d'honnêteté scientifique. Et pourtant, ces ouvrages sont considérés comme crédibles.

A. Dumouch : C'est aussi ce que je remarque: l'absence fréquente de rigueur. Un exemple flagrant: la confusion entre les critères de la canonisation d'un saint (qui implique une vie de vertu héroïque de la personne visée) et ceux de la reconnaissance d'une apparition (qui peut être donnée à de grands pécheurs).

Ainsi, l'enquête canonique pour l'apparition de Lourdes ou celle de la rue du Bac fonctionne avec d'autres critères que l'enquête canonique sur la canonisation de Bernadette Soubirous ou de Catherine Labouré. Il conviendrait que les analystes s'en souviennent.

D. Klanac : Pourriez-vous expliquer la différence entre les critères de la canonisation d'un saint et ceux de la reconnaissance d'une apparition?

A. Dumouch : Dans son Traité de la Grâce (Somme théologique, fin de Ia-IIae), saint Thomas d'Aquin distingue, deux sortes de grâces:

1. Les grâces sanctifiantes: certaines sont directement liées à la sainteté personnelle. Il cite parmi ces grâces, la foi, l'espérance, la charité. Une telle grâce intérieure n'est pas forcément accompagnée de signes mystiques extraordinaires comme des stigmates, des parfums, des lumières. La plupart du temps au contraire, on ne constate pas autre chose dans la vie de la personne que la paix, la joie, l'humilité, l'attention aux autres qui émanent d'elle. C'est ce que signifie ce texte (Mt 25, 35): «Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger [p. 192]et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir.»

2. Les grâces charismatiques: certaines grâces sont uniquement finalisées par le bien de l'Église et la croissance en sainteté des autres. Ainsi en est-il de ces grâces qu'on qualifie de charismes. Une personne, par exemple, qui passe dans la rue et dont l'ombre guérit les malades n'est pas forcément une personne sainte. Souvent, elle n'est qu'un messager en mission pour annoncer la Bonne Nouvelle, comme saint Pierre lorsque cela lui arriva[60]. Jésus lui-même démontre cette absence de lien nécessaire entre charisme et sainteté personnelle dans ce passage qui surprend beaucoup de gens (Mt 7, 22): «Beaucoup me diront en ce jour-là: “Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé? En ton nom que nous avons chassé les démons? En ton nom que nous avons fait bien des miracles?” Alors je leur dirai en face: jamais je ne vous ai connus; écartez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité.» On peut donc être un homme qui rayonne de charismes multiples et être, dans sa vie privée, un parfait coquin. Dieu, en effet, se sert parfois de personnes qui n'ont aucune sainteté personnelle pour annoncer son Évangile. Saint Paul lui-même le remarque (Ph 1, 17): «[…] Quant aux premiers, c'est par esprit d'intrigue qu'ils annoncent le Christ; leurs intentions ne sont pas pures: ils s'imaginent ainsi aggraver le poids de mes chaînes. Mais qu'importe? Après tout, d'une manière comme de l'autre, hypocrite ou sincère, le Christ est annoncé, et je m'en réjouis. Je persisterai même à m'en réjouir.»

Reste à savoir si avoir une apparition du Christ ou de la Vierge est d'abord une grâce de type «charismatique» (No 2), ou si c'est une preuve de la sainteté d'une personne (No 1).

[p. 193]Je réponds sans hésiter que, en soi, avoir une apparition n'est pas du tout une preuve de la sainteté d'une personne. Et j'en tiens pour preuve ceci: à l'heure de la mort, le Christ ne doit-il pas apparaître à tout homme, aux saints comme aux pervers? N'est-ce pas justement son apparition qui séparera les bons des mauvais?

De même, sur terre, rien n'empêche, par exemple, qu'un jour le Christ et la Vierge cessent d'apparaître à des enfants pleins d'innocence comme Bernadette Soubirous, Catherine Labouré ou Lucie de Fatima, et qu'ils décident d'apparaître à des pécheurs. Voilà pourquoi les procédures ne sont pas les mêmes pour la reconnaissance d'une apparition et pour la canonisation d'un saint.

Dans la reconnaissance d'une apparition de la Vierge, on regarde d'abord le fait objectif. Du coup, on se donne trois critères principaux et une série de critères secondaires:

1. On n'imagine pas la Vierge proférer une hérésie. C'est pour cela qu'on regarde d'abord la conformité au dogme des enseignements de l'apparition. Ce critère ne prouve pas à lui seul une apparition (on pourrait imaginer une personne s'inventant une apparition, mais connaissant bien la théologie). Mais il permet, s'il y a une hérésie claire, de déblayer le terrain.

2. On regarde ensuite les fruits spirituels, sans cependant s'imaginer que ces fruits sont tous positifs sans exception. On se souvient que le Christ lui-même, lorsqu'il est venu dans sa chair, a aussi suscité de la division, de la haine venant de ses ennemis. Mais si la plupart des fruits directs sont, chez les fidèles, un retour à l'Unité de l'Église, à l'obéissance de la foi, à la prière, aux sacrements, c'est bon signe.

3. Enfin, et comme toujours, c'est par des miracles que Dieu confirme la présence de sa Main. Ces miracles n'ont rien à voir avec de simples prodiges.

[p. 194]Ces trois critères sont principaux. Rien n'empêche ensuite des critères secondaires comme la sainteté personnelle, l'équilibre psychologique, etc. Ces critères-là sont secondaires, car rien a priori (je l'ai déjà dit) n'empêche le Christ ou la Vierge d'apparaître à un grand pécheur, à un homme qui choisit la liberté de l'enfer et refuse froidement, face à la Vierge, toute conversion. Rien n'empêche non plus a priori qu'ils apparaissent à un malade mental.

Dans l'enquête pour la béatification d'une personne sainte, les critères sont différents, car on regarde d'abord la vertu intérieure de la personne. Du coup, on se donne trois critères principaux et une série de critères secondaires:

1. On étudie les dires et les écrits de la personne, surtout après sa conversion. Car une conversion sincère à Dieu, produite par l'Esprit Saint, ne peut s'accompagner de l'enseignement d'hérésies obstinées.

2. On regarde l'héroïcité des vertus de la personne à travers les actions qui ponctuent sa vie. En général, la charité brille par un comportement fait de bonté et d'humilité. Mais attention: ce n'est pas toujours visible. Je pense à sainte Germaine de Pibrac qui ne fit rien d'extraordinaire (sauf souffrir), mais dont Dieu révéla la vertu par des miracles après sa mort.

3. Dieu doit impérativement prouver Sa volonté, comme dans la reconnaissance des apparitions, par un ou plusieurs miracles authentifiés. En effet, ce critère est toujours la marque ultime de ce que Dieu veut sur terre puisqu'il cache encore son Essence, seule preuve définitive de ses volontés.

Ces trois critères sont principaux. Rien n'empêche ensuite des critères secondaires comme le regard sur les phénomènes extraordinaires (apparitions, stigmates, lumières, parfums, etc.). Mais tout ce qui est charisme et phénomène mystique extraordinaire est second par rapport à la sainteté intérieure [p. 195]de la personne. Voilà pourquoi Bernadette ne fut pas canonisée à cause de ses apparitions, mais (compte tenu des apparitions) parce qu'elle fit ensuite de sa vie une vraie symphonie d'amour fidèle jusque dans la souffrance.

D. Klanac : Il me semble que l'esprit critique, qui est un don de Dieu, est facilement manipulé et exploité à tort et à travers. C'est un affront à l'intelligence de la foi.

A. Dumouch : L'esprit critique ne consiste pas à partir d'un a priori pour ou contre. J'ai été frappé par l'histoire suivante qui manifeste à la fois ce que peut être la naïveté aveugle et l'excès de sens critique (ces deux extrêmes tout aussi dommageables). J'ai déjà parlé plus haut de cette histoire de discernement concernant de fausses révélations mystiques peu  avant le décès de Jean-Paul II. Une multitude d'apparitions (non reconnues) annonçaient sur le Web les choses suivantes:

– Le renversement de Jean-Paul II par une cabale d'évêques.

– La fuite de Jean-Paul II de Rome.

– L'élection canonique, sur le trône apostolique, d'un pape «qui ne serait pas de Dieu.»

Je suis allé sur ces sites où je n'ai cessé de dire: «Ces apparitions sont forcément fausses puisqu'elles annoncent une chose impossible: jamais un pape élu légitimement ne peut être contre Dieu. Jésus l'a promis et sa promesse est infaillible (Lc 22, 32): «J'ai prié pour que ta foi ne défaille pas.»

Bien sûr, personne ne m'écoutait et toutes ces apparitions, se répétant l'une l'autre, étaient prises pour vraies, a priori.

Or voici que Jean-Paul II meurt et Benoît XVI est élu! Je m'attendais à ce que certains reconnaissent leur ancienne naïveté et deviennent simplement «critiques» selon les trois critères du discernement. Or j'eus la surprise de voir une série [p. 196]de personnes fonder de nouveaux sites Internet où tout ce qui n'était pas canoniquement reconnu, même ce qui était en attente, était rejeté a priori. Ils étaient passés d'un extrême à l'autre… Ce n'est pas une attitude juste.

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La paroisse

Daria Klanac : La paroisse de Medjugorje a une activité pastorale incroyable. Tout au long de l'année, il y a des séminaires, des retraites, des rencontres. En 2007, 628 prêtres de 43 pays se sont inscrits à la Retraite annuelle des prêtres au mois de juillet. Des milliers de jeunes de 58 pays ont participé au Festival des Jeunes au mois d'août.
Ces bonnes nouvelles n'ont pas d'écho dans les médias. Faut-il nous en attrister?

Arnaud Dumouch : Ces fruits spirituels sont indubitables. Ils conduisent ces prêtres à davantage de fidélité à l'Église et à leur vocation. Aucun de ces prêtres ne tombe dans les deux excès classiques du xxe siècle (intégrisme et progressisme), mais tous se tournent vers un renouveau de leur vocation, et une prédication unie au Magistère. Ce dernier phénomène est pour moi, qui pratique la théologie, le plus frappant. C'est une situation nouvelle et absolument à contre-courant de ce qui se passe depuis 40 ans dans les universités catholiques.

C'est une marque nette de la présence du Saint-Esprit, selon cette parole de Jésus (Mt 16, 17): «[…] car cette révélation t'est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux.»

Quant au fait que les revues catholiques à la mode, ou le «monde» n'en parlent pas, c'est plutôt un bon signe selon cette Parole de Jésus (Jn 14, 16): «… l'Esprit de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu'il ne le voit pas ni ne le reconnaît. Vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure auprès de vous.»

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[p. 197]La vierge Marie

Daria Klanac : Certains sont irrités de voir Marie trop parler à Medjugorje alors que, dans tout l'Évangile, elle n'a prononcé que quelques phrases. Est-elle, comme le disent certains, «bavarde» à ce point?

Arnaud Dumouch : Ceci n'est pas un argument pour refuser (ni accepter) la validité d'une apparition. Si l'apparition est un jour reconnue, les théologiens et les saints diront que, à Medjugorje, la Vierge se fit proche et familière, comme avec Jésus durant son enfance.

Si l'apparition est condamnée, ils donneront l'argument évoqué. Bref, rien de décisif là-dedans.

D. Klanac : D'autres trouvent que c'est elle qu'on adore à Medjugorje, alors qu'elle ne cesse de dire: «Adorez mon fils Jésus!» Il est vrai qu'on aime beaucoup Jésus et Marie à Medjugorje, mais, selon moi, pas de la même manière. Nous prions Marie et elle prie avec nous. Jésus seul est adoré. Quand nous l'adorons, elle est présente. Dans la prière et dans l'adoration, elle est avec nous.

A. Dumouch : Ceci est l'argument classique de ceux qui, de manière générale, trouvent que le culte de dulie (vénération) que l'Église catholique et orthodoxe adresse à la Vierge et aux saints est une perte de gloire pour Dieu. L'Église catholique et l'Église orthodoxe n'ont jamais accepté ces remarques, très en vogue dans les milieux protestants, et pour plusieurs raisons:

1. Dieu seul est objet d'un culte de latrie (adoration). La Vierge et les saints sont objet d'un culte de vénération (dulie), tel qu'il est commandé pour ses propres parents dans l'Ancien Testament (Ex 20, 12): «Honore ton père et ta mère, afin que se prolongent tes jours sur la terre que te donne Yahvé ton Dieu.»

2. La religion catholique sait bien que Jésus, vrai Dieu, n'épuise pas dans son humanité masculine sainte l'image de Dieu. Pour comprendre Dieu du mieux qu'il soit possible sur [p. 198]terre, on ne doit pas séparer l'image qui est présente dans «l'homme et la femme», selon ce texte biblique (Gn 1, 27): «Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa.»

C'est pourquoi, dès le don de la médaille miraculeuse à la rue du Bac, les cœurs divin de Jésus et humain de Marie sont unis, à taille égale, ce qui signifie ce mystère. Autrement dit, pour contempler Dieu au mieux en ce monde, il faut regarder les qualités masculines en Jésus (force, enseignement), et les qualités féminines en Marie (douceur, silence).

3. L'Église croit que le Ciel est une vraie famille d'amour (où l'Époux divin et l'épouse vivent dans un amour de charité impliquant une égalité de droits et d'initiatives) et non seulement, comme le pensent certains protestants, un Royaume fait d'un roi et de ses enfants inférieurs en droits. L'Église catholique croit donc que la Vierge, épouse de la Trinité, reçoit de Dieu une confiance totale au point qu'elle peut puiser à volonté dans les grâces pour les donner, de sa propre initiative, aux hommes. C'est que la volonté de Marie et des saints est la même que celle de la Trinité. C'est ce que dit l'Écriture (Jn 14, 12): «En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres que je fais; et il en fera même de plus grandes, parce que je vais vers le Père.» Ou encore ceci (Mt 25, 21): «C'est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t'établirai.»

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La mission de la Vierge Marie

Daria Klanac : Marie donne des messages depuis 27 ans à Medjugorje. Quelle serait la volonté de Dieu dans la mission de sa Mère pour notre temps?

Arnaud Dumouch : Si cela vient de la Vierge, alors cela se situe dans la lignée du cycle d'apparitions inauguré en 1830 à la rue du Bac.

Voici également un article que j'ai écrit et qui peut expliquer [p. 199]ce cycle d'apparitions d'un point de vue eschatologique. Medjugorje, s'il se révèle vrai, doit selon moi être situé dans cette perspective.

«Depuis 1830 et les événements de la rue du Bac, les apparitions célestes se sont multipliées. Leur caractéristique commune est simple: la personne de Marie. Ce fait, répété, constitue une nouveauté après 1800 ans d'histoire de l'Église. Beaucoup de ces apparitions ont été officiellement reconnues par l'Église. Loin d'être terminés, ces événements semblent se prolonger et les autorités ecclésiastiques sont attentives à des événements actuels, multiples, qu'elles ne peuvent encore reconnaître ou rejeter puisqu'ils sont en cours.

Caractéristiques des apparitions d'aujourd'hui

Elles vont se simplifiant. Les messages sont de plus en plus enfantins, telle une berceuse maternelle qui chante (voir Medjugorje): «prière, charité, sacrifices pour les autres, humilité.» De subtils théologiens, constatant cette répétitivité qu'ils qualifient de puérilité, en ont déduit la manifeste fausseté des prétendus phénomènes. Leur argument est cependant contestable (Mt 11, 25): «En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit: “Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir.» Quelle importance donner à ces signes du Ciel? Ils n'apportent rien de nouveau au contenu intellectuel de la foi, clôturé à la mort du dernier apôtre. Certains en ont déduit qu'ils n'étaient que quantité négligeable. C'est une erreur, et ce, pour deux raisons:

1. Lorsque l'Église canonise un saint ou reconnaît une apparition, elle engage son autorité: «Il s'agit d'une autorité ordinaire qui requiert de la part des croyants, la soumission religieuse de la volonté et de l'intelligence[61].» Mieux encore, la procédure [p. 200]de reconnaissance canonique nécessitant un miracle reconnu comme d'origine divine, c'est Dieu lui-même qui engage son autorité. Le mépris où pourrait être tenue une telle reconnaissance est donc plus qu'une erreur théologique, c'est une erreur de vie chrétienne pratique.

2. Ensuite parce que ces signes, s'ils n'apportent rien de nouveau concernant le contenu de la foi, apportent vraiment du nouveau en ce qui concerne le contenu de l'espérance. Ils sont essentiels quand il s'agit de disserter sur le concret, sur l'action de Dieu dans telle ou telle époque.

Ils permettent de comprendre comment Dieu va appliquer ici et maintenant son plan général qui ne vise qu'au salut du plus grand nombre.

Le grand signe qui marqua le début de ce cycle de 1830

Rue du Bac, parole de Marie: «Tous ceux qui porteront cette médaille recevront beaucoup de grâces.» Sur le verso de la médaille, Catherine Labouré voit une femme debout sur le globe terrestre, écrasant de son pied le serpent. Un condensé de l'Ave Maria l'entoure: «Marie conçue sans péchés, priez pour nous qui avons recours à vous.» Une date: 1830. Puis le tableau paraît se retourner. C'est le revers de la médaille: un grand M, l'initiale de Marie, porte une croix. Au-dessous, Catherine voit les deux Cœurs: celui de Jésus, couronné d'épines; celui de Marie, percée par le glaive… douze étoiles entourent ce tableau. Voici le commentaire qu'en fit la sainte voyante elle-même: «Je compris plus tard que ce M et ces deux Cœurs “en disent assez”».

Remarquons deux «graves» problèmes théologiques:

– Le M n'est pas au pied de la croix, mais semble porter la croix. Ce n'est pas normal…

– Les deux cœurs sont à égalité de taille et de position. C'est inconvenant, puisqu'il s'agit de Dieu et d'une simple créature…

[p. 201]Un signe des temps grandiose

Visiblement, l'apparition de la rue du Bac réalise une parole de l'Écriture (Ap 12, 1): «Un signe grandiose apparut au ciel: une Femme! Le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête; elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l'enfantement. Puis un second signe apparut au ciel: un énorme Dragon rouge feu…» La médaille miraculeuse est la réalisation sensible, adaptée aux simples, d'une parole de Dieu dont le sens universel s'adresse à toutes les générations et tous les individus de tous les temps.

Mais surtout, et chacun le sent, il y a ici référence explicite à un autre sens, celui que l'apparition de Marie à La Salette qualifiera plus tard de «Temps des temps, Fin des fins.»

Resituer ces signes dans la grande théologie catholique

Essayons de raconter en termes simples cette grande théologie. Voici ce qui se passe. Pourquoi Marie apparaît-elle? Parce qu'elle a reçu mission de préparer les chrétiens à un grand événement: poussée par l'Esprit, l'Église va imiter le Christ dans sa kénose (son anéantissement intérieur). Partout dans le monde, ici ou là, des saints et des théologiens et même pour la première fois le Magistère de l'Église[62] commence à prononcer à propos de l'Église cette parole que Jésus adressait pour lui-même (Mt 16, 21): «À dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter. Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner en disant: “Dieu t'en préserve, Seigneur! Non, cela ne t'arrivera point!” Mais lui, se retournant, dit à Pierre: “Passe derrière moi, Satan! Tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes!”»

[p. 202]Pourquoi cette kénose (anéantissement) de l'Église?

Parce que Dieu ne peut se changer. Il est par nature «tout humble – anéantissement de lui-même, en grec kénose – et tout amour». Le Père est comme un cristal enfantin qui dit au Fils: «Tu es.» En disant cela (Verbe), le Père est comme mort à lui-même, en extase vers le Fils. Il est donc kénose d'amour. Et le Fils, le Saint-Esprit lui sont semblables… Alors, puisque ce Dieu infini veut proposer un mariage d'amour à de petites créatures, anges et hommes, il lui est impossible, par nature, de ne pas demander d'elles, auparavant, qu'elles soient comme lui, «tout humble et tout amour». Dieu n'a pas la liberté de changer cette nécessité, de même qu'il ne peut se changer. «Nul ne peut voir Dieu sans mourir – à lui-même[63].» Ce serait un viol et non un mariage d'amour. Alors, Dieu prépare le cœur de ses fiancées au mariage. La vie terrestre n'est rien d'autre qu'une première étape de cette préparation, de ce «purgatoire».

Qu'est-ce qui en ce monde a le plus de pouvoir pour provoquer un commencement d'humilité? Rien d'autre que l'expérience de sa propre misère.

C'est pourquoi, tout ce qui est dans ce monde, Dieu le marque du signe de la croix. C'est le signe de l'expérience de la souffrance, de la solitude, du silence de Dieu, de la mort. Tout ce qui est dans ce monde doit apprendre son propre néant. Tout…, y compris son Église.

Comment sera cette kénose de l'Église? Elle sera visiblement semblable (à l'image) à celle du Christ. Le terme semblable n'est pas à prendre matériellement, mais spirituellement.

Pourquoi Marie?

Mais, avant cela, l'Église sera préparée. Cette mission terrestre sera confiée à Marie, la mère de Jésus, pour une raison évidente. Au pied de la croix, seule une femme croyait et [p. 203]vivait de l'intérieur, debout, la mort de son Dieu. Elle ne douta pas un seul instant que Dieu son Fils était en train de sauver le monde. Jésus l'avait dit et cela lui suffisait. Mais, ce qui est le plus étonnant, c'est que la plénitude des grâces reçues permettait à Marie de vivre la passion en comprenant. Elle n'était pas une simple spectatrice confiante, mais aveugle. Elle était une collaboratrice, une co-rédemptrice.

Il en sera de même à la fin du monde lorsque l'Antéchrist triomphera. L'Église visible, symbolisée dans l'Évangile par la vie de saint Pierre[64], sera si petite, tellement réduite aux seuls domaines des cœurs et sans vie extérieure et politique qu'on la croira morte pour toujours. Qui pourra songer qu'au moment même où les portes de l'enfer sembleront avoir extérieurement tout détruit, ce sera le triomphe de Dieu, comme à trois heures, le jour de la mort de Jésus? Qui croira que c'est absolument l'inverse aux yeux de Dieu, que tout est accompli et que le retour glorieux du Christ est tout proche? Personne ne pourra imaginer cela sauf ceux qui auront la même foi que Marie parce que tous les autres faibliront aussi sûrement que Pierre face à ce qu'il ne comprit pas. Voilà pourquoi, avant la fin du monde, Dieu a confié à sa Mère la mission de lui préparer une Église faite de petites gens semblables à elle (symbolisée par la vie de saint Jean[65]), qui vivront la kénose de l'Église.

Revenons à la Médaille miraculeuse et à ses deux problèmes théologiques. En 1831, l'archevêque de Paris, à qui l'on soumit la médaille en vue de l'Imprimatur se demandait s'il n'aurait pas mieux fallu un M au pied d'une croix. De fait, il y avait là un symbole surprenant. Mais pour ce qui concerne la fin du monde, sa signification est éloquente. M signifie ceux qui vivent de la spiritualité de Marie. La croix symbolise leur fidélité au Christ. Tout cela annonce que, vers la fin du monde, la vie du Christ ne pourra plus subsister dans les cœurs, sauf chez [p. 204]ceux qui auront la même foi que Marie. Au-dessous de ce M, les deux cœurs de Jésus et Marie sont présents pour que nul ne doute, quoiqu'il arrive, que c'est leur amour qui permet tout. Il signifie plusieurs choses très profondes concernant le rôle de Marie comme co-rédemptrice. C'est la nature même de la vie éternelle, mariage d'égalité avec Dieu, qui est signifiée.

Ces événements sont-ils pour bientôt?

Ici, il s'agit d'une mise en garde. Beaucoup de catholiques sincères se laissent envahir par des pensées hors de sens. La fin du monde serait pour l'année prochaine, dans deux ans. Cet affolement de leur jugement vient du fait qu'ils omettent d'écouter l'Église qui dit, pour résumer: centrez votre foi sur la grande théologie de l'Église et non premièrement sur les signes du Ciel qui n'ont leur sens qu'en Église!

Déjà saint Paul avertissait (2 Th 2, 1): «Nous vous le demandons, frères, à propos de la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de notre rassemblement auprès de lui, ne vous laissez pas trop vite mettre hors de sens ni alarmer par des manifestations de l'Esprit, des paroles ou des lettres données comme venant de nous, et qui vous feraient penser que le jour du Seigneur est déjà là. Que personne ne vous abuse d'aucune manière. Auparavant doit venir l'apostasie et se révéler l'homme impie, l'être perdu […]»

La question qui nous intéresse est celle-là: sommes-nous proches de la Fin des fins? Si l'on suit la lettre des Écritures, nous en sommes certes de plus en plus proches, ce qui est un euphémisme… Plus concrètement, certains signes se mettent en place, mais beaucoup ne sont pas réalisés. Or, «tout doit être accompli», dit Jésus.

Voici une série de signes non réalisés:

1. La venue d'un gouvernement mondial coupé du vrai Dieu et dirigé par un Antéchrist (2 Th 2, 3): «Paix et sécurité civile; douleurs intérieures de la désespérance.»

2. L'interdiction de tout ce qui porte le nom de Dieu (2 Th 2, 4) (les religions du Dieu humble et amour).

[p. 205]3. L'offrande finale (martyre) de la papauté (Jn 21, 19), la «kénose» (anéantissement intérieur) de l'Église.

4. Jérusalem rendue aux Juifs (Lc 21, 24).

5. La conversion d'Israël au Christ (Rm 11, 15).

Ici ne sont cités que certains signes donnés aux chrétiens. Mais il en existe un certain nombre qui sont promis à l'islam et qui, étonnement, commencent à se réaliser en ce moment. Il y en a dans le judaïsme, dans l'hindouisme, etc., comme si Dieu donnait à chaque homme quelque avertissement, de manière analogue à sa première venue qu'il annonça à des astrologues païens (les rois mages). Bref, même si les choses peuvent s'accélérer, il est impossible que cela arrive dans un mois ou dans 10 ans. Les événements se déroulent au rythme des forces du mal et de leur influence sur les sociétés humaines. Le temps de la fin a commencé avec les conquêtes de l'humanisme sans Dieu et la révolution industrielle de 1830. Il peut durer encore 100, 200 ans…

Conclusion pour les épreuves de notre temps

Depuis cette première apparition, la Vierge Marie ne cesse d'insister, de revenir, d'éduquer. Dans l'Église catholique d'Occident, minée depuis le milieu du xxe siècle par une crise de la foi, on constate que tout le renouveau, quel qu'il soit, a un rapport étroit avec Marie. Est-ce un signe grandiose du temps où nous nous trouvons? Ce renouveau est petit en nombre, mais, aujourd'hui, chacun peut en voir le sens profond, eschatologique.

Medjugorje pourrait être une grande apparition ayant sa place dans ce chemin eschatologique: Marie y donnerait un long et profond guide pour la vie spirituelle simple et fidèle des derniers temps.»

D. Klanac : La Mère de Dieu est la médiatrice de toutes les grâces. Certains pensent qu'à Medjugorje on la met sur un piédestal dans le rôle de co-rédemptrice. En tant que Mère de Dieu et notre Mère quelle serait sa juste place?

[p. 206]A. Dumouch : Pour les Protestants, il n'y a qu'un rédempteur et l'homme n'a pas à coopérer. En effet, la relation que recrée Dieu se fait avec des personnes détruites, incapables de consentement et de coopération surnaturelles libres. Et la grâce ne peut rien changer à cela.

Mais pour les catholiques, si Dieu recrée une alliance par la charité, alors il faut être deux. Comme dans un mariage où deux «oui» se croisent. Jésus sur la croix n'aurait rien pu faire sans la réponse, le consentement conjugal de Marie au nom de toute l'humanité. Autrement dit, le mariage est bien l'image du salut et, dans une alliance, il y a toujours deux choses: le oui de l'homme et le oui de la femme.

Et s'il manque un oui, l'homme n'est pas marié (la rédemption par la charité n'a pas eu lieu)…

C'est ce oui que Marie a donné à son Fils au pied de la croix. Comme l'ancienne Ève (matriarche de l'humanité) s'est engagée pour nous par son non, la nouvelle Ève, Marie, s'engage pour nous par son oui. C'est tout à fait unique. C'est un rôle matriarcal.

Et il est clair que cette notion s'applique aussi à nous tous par la charité: chaque fois qu'un homme dit oui à Dieu par la charité, il devient co-rédempteur… Mais ce n'est pas comme Marie: notre oui n'engage pas toute l'humanité.

Voici un texte du Magistère ordinaire de l'Église sur ce thème:

«Appliqué à Marie, [dit Jean-Paul II], le terme de “coopératrice” prend cependant une signification spécifique. La collaboration des chrétiens au salut se réalise après l'événement du Calvaire, dont ils s'efforcent de répandre les fruits par la prière et le sacrifice. Au contraire, le concours de Marie s'est réalisé au cours de l'événement même et à titre de Mère; il s'étend donc à la totalité de l'œuvre salvifique du Christ. C'est elle seule qui fut associée de cette manière à l'offrande rédemptrice qui a mérité le salut de tous les hommes. En union avec le Christ et soumise à lui, elle a collaboré pour obtenir la grâce du salut à toute l'humanité.»

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[p. 207]C'est une Maman

Daria Klanac : À quelques reprises, lorsque les enfants n'étaient pas ensemble à l'apparition, la Vierge s'est informée sur ceux qui manquaient: «Où est cet autre garçon?» – «Où sont les quatre autres?» On s'étonne de ces questions, car on prétend que la Vierge sait tout.

Arnaud Dumouch : À Fatima, Marie fit de même lors d'une apparition où l'une des enfants, Lucie, retenue, arriva en retard. La réponse est claire: lorsque le Ciel vient sur terre, il adapte son langage au langage humain. Aussi Marie pose des questions pour obtenir des enfants qu'elle écoute les réponses qu'elle connaît. C'est un peu la même objection que posent certains pour critiquer la légitimité de la prière: «Pourquoi faire des prières de demandes à Dieu puisque le Ciel sait tout?» Parce que le Ciel aime nous donner ce que nous demandons et nous éduquer à l'action de grâce pour les dons.

D. Klanac : La Vierge s'adresse aux voyants de Medjugorje comme une maman: «Chers enfants, mes petits enfants». Il y en a qui trouvent cela enfantin de la part de la Vierge. Quasiment indigne de la Mère de Dieu qui s'abaisse au niveau des enfants.

A. Dumouch : C'est tout sauf un argument valable. C'est même un argument assez terrible pour ce qu'il révèle de l'âme de ceux qui le formulent et qui oublient la lettre même des Évangiles (Mt 11, 25): «En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit: “Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir.”» Il faut avoir dans l'idée que la Royauté de Marie scandalise aussi Lucifer pour la simple raison qu'elle est toute petite. «Dieu ne peut donner le pouvoir sur l'univers à des créatures si peu rationnelles», dit-il.

Il faudrait, dans ce cas, accuser l'Apôtre saint Jean d'indignité (1 Jn 2, 1): «Petits enfants, je vous écris ceci pour que vous ne péchiez pas. Mais si quelqu'un vient à pécher, nous avons comme avocat auprès du Père, Jésus Christ, le Juste.»

[p. 208]D. Klanac : D'autres sont surpris par la phrase avec laquelle elle termine chaque message: «Merci d'avoir répondu à mon appel.»

A. Dumouch : Elle indique que la foi en Dieu (et donc en ceux qui sont un, par l'amour, avec Dieu, à savoir ses saints) est bien une vocation, un appel, que Dieu soutient de sa grâce, mais auquel l'homme répond librement.

Dieu porte donc les personnes par sa grâce, mais leur laisse la liberté de répondre. Saint Thomas appelle cette réponse de l'amour à l'Amour du nom de «mérite», en ce sens que Dieu et le Ciel reconnaissent un vrai mérite à celui qui, porté par la grâce, répond positivement.

D. Klanac : Concrètement, comment est Marie?

A. Dumouch : On l'imagine grande, la Reine du Ciel, celle qui donne des ordres aux anges. On s'attend à rencontrer l'Impératrice. En vérité, elle est vraiment petite, simple, et même enfantine. Elle a le regard limpide de ceux qui ont beaucoup aimé et beaucoup souffert. Quand on la voit pour la première fois, on est frappé du fait qu'il n'y a rien d'extraordinaire. Mais elle est présente à nous-mêmes plus que nous ne le sommes nous-mêmes. On voit aussi qu'elle est morte d'une grande solitude intérieure, en l'absence de Jésus après son Ascension et malgré sa présence dans l'Eucharistie. C'est frappant au point que ceux qui ont souffert seuls, se sentent immédiatement compris. En la voyant, on a souvent la même réaction que la Supérieure de sainte Bernadette lorsqu'elle la vit pour la première fois: «Ce n'est que ça, Bernadette?»

Et aussitôt, on est pris d'un tremblement: «Si Dieu l'a choisie, et lui a tout confié, dans une confiance totale, au point qu'elle préside à l'application des grâces sur l'humanité, comme je dois être loin de Dieu.» On se sent alors rougissant, ayant eu une première réaction rappelant étrangement celle de Lucifer lorsqu'il s'est révolté contre le grand projet du Dieu qui élève les humbles.

D. Klanac : À l'exemple de Marie, Monsieur Dumouch, je vous remercie de cet entretien.

 

14. Voir Annexe VI, p. 259. [↩]

15. In Medjugorje, réponses aux objections, Éditions Le Sarment, Paris, 2001, p. 81. [↩]

16. Jn 4, 4-30: la parabole de la Samaritaine. [↩]

17. Code de Droit Canonique, C.229. [↩]

18. Terme didactique: qualité d’idoine; aptitude à quelque chose; convenance. [↩]

19. Aux sources de Medjugorje, Éditions Sciences et Culture, Montréal, 1998, p. 175. [↩]

20. Rm 5, 20. [↩]

21. In Supplément à la Somme, les propriétés des corps glorieux. [↩]

22. Marthe Robin n’est pas encore une sainte canonisée. Ses écrits sont cités à titre de témoignage. Ce texte a été composé par elle le 4 avril 1931. [↩]

23. Film britannique réalisé par Roland Joffé en 1986 avec Jeremy Irons dans le rôle de frère Gabriel. [↩]

24. Medjugorje, réponses aux objections, p. 45. [↩]

25. Medjugorje, réponses aux objections, pp. 39-40. [↩]

26. Ibidem. [↩]

27. Medjugorje ou la fabrication du surnaturel (Éditions Salvator, Paris, 1999) dans lequel il se prononce très négativement sur Medjugorje. [↩]

28. Medjugorje, réponses aux objections, p. 89. [↩]

29. Gaudium et Spes, n° 22, 5. [↩]

30. Mt 20, 1-16. [↩]

31. Medjugorje, réponses aux objections, p. 92. [↩]

32. Aux sources de Medjugorje, p. 137. [↩]

33. Mt 12, 33. [↩]

34. Voir annexe II, p. 219. [↩]

35. Voir annexe IV, page 241. [↩]

36. Ex 33,20. [↩]

37. Medjugorje, réponses aux objections, p. 61. [↩]

38. Rm 15,19 et voir aussi Hb 2, 4. [↩]

39. Voir le Catéchisme de l’Église Catholique n° 675 et 676. [↩]

40. Ses visions et ses prophéties ont une certaine autorité. Elles sont très importantes pour la théologie de l’espérance. Cf Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, Éditions du Seuil, Paris, 1966. [↩]

41. Gaston Jean-Baptiste (1611-1649), bras droit de saint Vincent de Paul. [↩]

42. La fin du monde, Arnaud Dumouch, Éditions Docteur Angélique, 2007. [↩]

43. Jn 21, 22: «Jésus lui [à Pierre] dit: Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe? Toi, suis-moi.» [↩]

44. Cité par saint Louis-Marie Grignon de Montfort, Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, Éditions du Seuil, Paris, 1966, page 46. [↩]

45. Idem, notamment pp. 47 et suiv. [↩]

46. En réalité, l’apparition à Catherine Labouré est loin d’être la première. L’apparition à Jean Courdil (Celles, 1686) ou à Benoîte Rencurel (Notre-Dame du Laus) est largement antérieure. Mais celle de Catherine inaugure un caractère eschatologique nouveau. Pour la première fois, la Vierge ne vient pas seulement comme mère. Elle vient comme sage-femme en ce sens qu’elle va accompagner une douloureuse naissance vers la Vie. [↩]

47. Il s’agit d’une apparition reconnue officiellement par l’autorité de l’Église. Son message a donc une certaine autorité sur l’espérance des catholiques et leur compréhension de l’action incarnée de Dieu dans chaque génération. [↩]

48. À savoir que le salut consiste en une réconciliation amoureuse de Dieu avec l’humanité. Pour ce faire, une nouvelle Ève a eu à dire oui. Le rôle de Marie, loin d’être passif, fait partie de la rédemption de la même manière que, pour qu’il y ait mariage, il faut deux oui. [↩]

49. La valeur théologique de ces deux cœurs est très profonde. Elle est le cœur même de la révélation dans son interprétation catholique. Marie et Jésus sont ensemble, l’image de Dieu. Jésus-Dieu et Marie-femme sont ensemble rédempteurs et co-rédempteurs. [↩]

50. Apparition reconnue canoniquement par l’Église. Les textes cités ont une certaine autorité. [↩]

51. Les apparitions continuent en ce début de troisième millénaire. Medjugorje ne peut encore être reconnu puisque cette apparition n’est pas terminée. [↩]

52. La mémoire eidétique, mémoire photographique, ou encore mémoire absolue, est la faculté de se souvenir d’une grande quantité d’images, de sons, ou d’objets dans leurs moindres détails. [↩]

53. Hb 5, 7-8: «[…] et tout Fils qu’il était, apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance.» [↩]

54. Mt 13, 3 et suiv. [↩]

55. Lc 23, 24. [↩]

56. Sainte Faustine, Journal, Éditions J. Hovine, Ronchin, 1992, p. 542. [↩]

57. Le Commentaire des Sentences. [↩]

58. Gaudium et Spes, n° 22, 5. [↩]

59. Joël 3, 1. [↩]

60. Actes 5, 15 : «[…] à tel point qu’on allait jusqu’à transporter les malades dans les rues et les déposer là sur des lits et des grabats, afin que tout au moins l’ombre de Pierre, à son passage, couvrît l’un d’eux.» [↩]

61. Lumen Gentium, n° 25. Congrégation pour la Doctrine de la foi, Instruction Donum Veritatis, n° 23 et 24, AAS 82 (1990), pp. 1559-1561. [↩]

62. Voir le Catéchisme de l’Église Catholique n° 675. [↩]

63. Ex 33, 20: «Mais, dit-il, tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre.» [↩]

64. Voir Jn 21, 14 et ss. Pierre symbolise plus que sa vie propre: la papauté. Jean symbolise ceux qui ont reçu Marie et sa spiritualité en eux. [↩]

65. Jn 21, 22. [↩]

Référence bibliographique

Daria Klanac, Comprendre Medjugorje : Regard historique et théologique, avec la collaboration du théologien Arnaud Dumouch, Informativni centar Mir, Medjugorje, en coédition avec les Éditions Sakramento, Paris, 2008 [ISBN 978-2-915380-19-4 & 978-9958-36017-6], entretien avec le théologien Arnaud Dumouch, pages 119 à 208.