EVANGILE DE SAINT MATTHIEU

 

Explication suivie

des

QUATRE EVANGILES

par le docteur angélique

Saint Thomas d’Aquin

 

composée des interprètes grecs et latins, et surtout des ss. Pères

admirablement coordonnés et enchaînés

de manière à ne former qu’un seul texte suivi et appelé à juste titre

la

 

CHAINE D’OR

 

Edition où le texte corrigé par le P. Nicolaï a été revu avec le plus grand soin sur les textes originaux grecs et latins

 

TRADUCTION NOUVELLE

par

M. L’ABBE J.-M. PERONNE

Chanoine titulaire de l’Eglise de Soissons, ancien professeur d’Ecriture sainte et d’éloquence sacrée

 

Tome premier

 

PARIS

LIBRAIRIE DE LOUIS VIVÈS, ÉDITEUR

rue Delambre, 9

1868

 

cf. reproduction offset aux « Editions pamphiliennes », rue St. Louis, F 84400 Saignon

 

 

CHAPITRE PREMIER. 14

CHAPITRE II. 43

CHAPITRE III. 63

CHAPITRE IV. 79

CHAPITRE V. 96

vv. 1-3. 96

v. 4. 98

v. 5. 99

v. 6. 100

v. 7. 101

v. 8. 101

v. 9. 102

v. 10. 103

vv. 11-12. 105

v. 13. 106

vv. 14-15. 107

vv. 17-19. 109

vv. 20-22. 114

vv. 23-24. 118

v. 25. 119

vv. 27-28. 121

v. 29. 122

vv. 30-31. 124

vv. 33-37. 126

vv. 39-42. 128

vv. 43-47. 133

CHAPITRE VI. 136

v. 1. 137

vv. 2-4. 138

vv. 5-6. 140

vv. 7-8. 142

v. 9. 143

v. 10. 145

v. 11. 147

v. 12. 149

v. 13. 150

vv. 14-15. 153

v. 16. 154

vv. 17-18. 155

vv. 19-20. 156

vv. 22-23. 158

v. 24. 160

v. 25. 161

vv. 26-27. 163

vv. 28-30. 165

vv. 31-33. 166

v. 34. 169

CHAPITRE VII. 170

vv. 1-2. 170

vv. 3-5. 171

v. 6. 173

vv. 7-8. 175

vv. 9-11. 176

v. 12. 178

v. 13-14. 179

vv. 15-20. 181

vv. 21-23. 184

vv. 24-27. 187

vv. 28-29. 188

CHAPITRE VIII. 190

vv. 1-4. 190

vv. 5-9. 194

vv. 10-13. 197

vv. 14-15. 199

vv. 16-17. 201

vv. 19-22. 201

vv. 23-27. 204

vv. 28-34. 207

CHAPITRE IX. 210

vv. 1-8. 210

vv. 9-13. 213

vv. 14-17. 217

vv. 18-22. 219

vv. 23-26. 222

vv. 27-31. 224

vv. 32-34. 225

vv. 35-38. 227

CHAPITRE X. 228

vv. 1-4. 228

vv. 5-8. 231

vv. 9-10. 233

vv. 11-15. 236

vv. 16-18. 238

vv. 19-20. 240

vv. 21-22. 241

v. 23. 242

vv. 24-25. 243

vv. 26-28. 244

vv. 29-31. 246

vv. 32-33. 247

vv. 34-36. 248

vv. 37-39. 250

vv. 40-42. 251

CHAPITRE XI. 253

v. 1. 253

vv. 2-6. 253

vv. 7-10. 256

v. 11. 258

vv. 12-15. 259

vv. 16-19. 260

vv. 20-24. 262

vv. 25-26. 265

v. 27. 266

vv. 28-30. 267

CHAPITRE XII. 269

vv. 1-8. 269

vv. 9-13. 273

vv. 14-21. 274

vv. 23-24. 277

vv. 25-26. 278

vv. 27-28. 280

v. 29. 281

v. 30. 281

vv. 31-32. 282

vv. 33-35. 286

vv. 36-37. 288

vv. 38-40. 288

vv. 41-42. 290

vv. 43-45. 291

vv. 46-50. 293

CHAPITRE XIII. 295

vv. 1-9. 295

vv. 10-17. 298

vv. 18-23. 301

vv. 24-30. 303

vv. 31-32. 308

v. 33. 309

vv. 34-35. 310

vv. 36-43. 312

v. 44. 314

vv. 45-46. 314

vv. 47-50. 315

vv. 51-52. 316

vv. 53-58. 318

CHAPITRE XIV. 319

vv. 1-5. 319

vv. 6-12. 321

vv. 13-14. 324

vv. 15-21. 325

vv. 22-33. 328

vv. 34-36. 333

CHAPITRE XV. 334

vv. 1-6. 334

vv. 7-11. 336

vv. 12-14. 338

vv. 15-20. 339

vv. 22-28. 341

vv. 29-31. 344

vv. 32-38. 345

v. 39. 347

CHAPITRE XVI 348

vv. 1-4. 348

vv. 5-11. 349

vv. 13-19. 350

vv. 20-21. 356

vv. 22-23. 357

vv. 24-25. 358

vv. 26-28. 360

CHAPITRE XVII 362

vv. 1-4. 362

vv. 5-9. 365

vv. 10-13. 367

vv. 14-17. 368

vv. 18-20. 369

vv. 21-22. 371

vv. 23-26. 372

CHAPITRE XVIII. 375

vv. 1-6. 375

vv. 7-9. 377

vv. 10-14. 379

vv. 15-17. 381

vv. 18-20. 384

vv. 21-22. 386

vv. 23-35. 387

CHAPITRE XIX. 391

vv. 1-8. 391

v. 9. 394

vv. 10-12. 395

vv. 13-15. 397

vv. 16-22. 398

vv. 23-26. 402

vv. 27-30. 404

CHAPITRE XX. 408

vv. 1-16. 408

vv. 17-19. 413

vv. 22-23. 414

vv. 24-28. 418

vv. 29-34. 419

 

 

 

CONCESSION

 

Du révérend Père provincial de la province de Paris de l’ordre des Frères prêcheurs, pour une nouvelle édition de la Chaîne d’or.

 

 

Nous F. Étienne Blondel, docteur en théologie de la Faculté de Paris et prieur, quoique indigne, de la province de Paris des frères prêcheurs, nous donnons le pouvoir et accordons la faculté au R. P. F. Jean Nicolaï, docteur en théologie et premier professeur de théologie, ainsi que préfet des études dans le couvent de Saint-Jacques, de publier la Chaîne d’or de saint Thomas sur les quatre évangiles qu’il a corrigée et augmentée des notes qui étaient nécessaires ; nous lui accordons aussi la permission de publier les autres ouvrages qu’il pourra dans la suite corriger ou annoter, par tels libraires qu’il choisira, conformément au privilège qui lui a été accordé de par le Roi ; ce à quoi nous l’exhortons vivement par notre désir que nous avons d’être utile au public. En foi de quoi nous lui donnons ces présentes lettres, scellées du sceau de notre secrétariat, et signées de notre main, pour les apposer au commencement de son édition.

Donné dans notre susdit couvent de Saint-Jacques à Paris, le 2 mai de l’an 1657.

 

 

 

 

 

A NOTRE TRÈS SAINT PÈRE URBAIN

PAR LA PROVIDENCE DIVINE, QUATRIÈME PAPE DE CE NOM

 

 

F. Thomas d’Aquin, de l’ordre des Frères Prêcheurs, baise les pieds avec un pieux respect.

 

 

La source de la sagesse, le Verbe unique de Dieu qui habite au plus haut des cieux (Si 1, 5 ; et pour ce qui suit, Sg 8, 1), par lequel le Père avait tout créé avec sagesse et ordonné toutes choses avec douceur, voulut se revêtir de notre chair à la fin des temps, afin que le regard de l’homme, qui ne pouvait atteindre dans une si haute élévation sa majesté divine, pût contempler son éclat sous les voiles de la nature humaine. Il avait répandu ses rayons, c’est-à-dire les marques de sa sagesse sur toutes les œuvres qu’il avait créées ; mais par une prérogative plus excellente, il avait imprimé dans l’âme des hommes le sceau de sa ressemblance et gravé avec plus de soin encore cette image auguste dans le cœur de ceux qui devaient recevoir le don de l’aimer de l’abondance de sa grâce. Mais qu’est-ce que l’esprit de l’homme au milieu de l’immensité de la création, pour qu’il puisse saisir dans toute leur perfection les empreintes de la divine sagesse ? D’autant plus que la lumière de Dieu répandue dans les hommes a été couverte par les ténèbres du péché et par les nuages des préoccupations temporelles ; et le cœur de quelques insensés a été tellement obscurci, qu’ils ont attribué la gloire de Dieu à de vaines idoles, et qu’ils ont fait des actions indignes, livrés qu’ils étaient à ce sens dépravé (Rm 1, 21, 23, 28, etc.).

Or la sagesse divine qui avait fait l’homme pour qu’il pût jouir d’elle-même, ne permit point qu’il fût privé d’un don si excellent ; elle se porta donc tout entière vers notre nature, se l’unissant d’une manière admirable pour rappeler entièrement à elle l’homme qui s’était égaré. Le prince des Apôtres fut le premier qui mérita de contempler l’éclat de cette sagesse au travers des voiles de la mortalité, et de la confesser avec fermeté et dans la plénitude d’une conviction exempte d’erreur par ces paroles « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. » O bienheureuse confession, ce n’est ni la chair ni le sang, mais le Père qui est au ciel qui vous révèle. C’est elle qui fonde l’Église sur la terre, ouvre les portes du ciel, reçoit le pouvoir de remettre les péchés, et contre elle les portes de l’enfer ne prévaudront jamais. Héritier légitime de cette foi et de cette confession, vous veillez avec soin, très saint-Père, à ce que la lumière de la divine sagesse inonde les cœurs des fidèles, et repousse les folles inventions des hérétiques, qui sont appelées avec raison les portes de l’enfer. Si Platon estimait heureuse la république dont les chefs se livrent à l’étude de la sagesse, de cette sagesse que la faiblesse de l’esprit humain défigure si souvent par tant d’erreurs, combien doit-on estimer heureux le peuple chrétien qui vit sous votre gouvernement, et à qui vous distribuez avec tant de sollicitude cette sagesse si élevée, que la sagesse de Dieu elle-même revêtue d’une nature mortelle, nous a enseignée par ses paroles et démontrée par ses œuvres ? C’est par un effet de cette vigilante sollicitude que Votre Sainteté a daigné me confier la tâche d’expliquer l’Évangile de saint Matthieu, tâche que j’ai remplie selon mes forces, en recueillant avec soin dans les divers traités des saints docteurs de quoi former une exposition suivie de cet Évangile. Les citations peu nombreuses que j’ai tirées d’auteurs non connus, et puisées le plus souvent dans des Gloses, je les ai données sous le titre général de Gloses, pour qu’on pût les distinguer d’avec les passages des saints Pères. J’ai pris soin de donner toujours le nom des auteurs latins, avec l’indication précise du livre auquel là citation était empruntée, à l’exception des ouvrages qui sont un commentaire ou une exposition du livre que j’expliquais moi-même. J’ai cru inutile alors d’ajouter cette indication. Ainsi, par exemple, lorsque je cite le nom de saint Jérôme sans indication de livre ou de traité, c’est que le passage est tiré de son commentaire sur saint Matthieu, et ainsi des autres. Toutefois, pour les citations empruntées au commentaire de saint Chrysostome sur saint Matthieu, j’ai cru devoir ajouter sur saint Matthieu, pour les distinguer des autres passages empruntés aux homélies du même Père.

Il a fallu aussi retrancher souvent quelque chose des citations empruntées aux saints Pères pour plus de brièveté et de clarté ; comme aussi, pour l’intelligence du texte, j’ai dû parfois changer l’ordre des phrases. Quelquefois j’ai laissé le texte pour ne donner que le sens, surtout dans les homélies de saint Chrysostome dont la traduction est défectueuse. Le but que je me suis proposé dans cet ouvrage, a été non seulement de chercher le sens littéral, mais d’exposer aussi le sens mystique, de détruire chemin faisant les erreurs, et d’appuyer sur de nouvelles preuves la vérité catholique ; ce qui m’a paru indispensable, parce que c’est surtout dans l’Évangile qu’on trouve la forme, la perfection de la foi catholique, et la règle de toute la vie chrétienne. Puisse cet ouvrage ne paraître trop long à personne. Il m’a été impossible de poursuivre un plan si étendu sans abréger beaucoup, ayant à citer tant de saints docteurs, ce que j’ai tâché de faire avec la plus grande concision. Que Votre Sainteté daigne agréer cet ouvrage, dont je soumets l’examen et la correction à votre jugement. Ce travail est le fruit de notre sollicitude et de mon obéissance ; c’est vous qui me l’avez imposé, c’est à vous qu’il appartient de le juger en dernier ressort. Les fleuves reviennent au lieu d’où ils sont sortis (Si 1, 7).

 


 

Au très-vénérable Père en Jésus-Christ

LE SEIGNEUR ANNIBAL

CARDINAL PRÊTRE DE LA BASILIQUE DES DOUZE APOTRES

 

 

Le Frère Thomas d’Aquin, de l’ordre des Frères Prêcheurs,

tout à lui.

 

 

Le souverain auteur de toutes choses, Dieu, qui a tout créé par la seule inspiration de sa bonté, a donné à toute créature l’amour naturel du bien, afin qu’au moment où elle aime et recherche naturellement le bien qui lui est propre, on la voie par un retour admirable revenir à son auteur. Mais la créature raisonnable l’emporte sur les autres en ce qu’elle peut contempler par la sagesse la source universelle de tout bien, et y puiser avec suavité par l’amour de la charité. De là vient qu’au jugement de la saine raison, le don de la sagesse, qui nous conduit à la source même de toute bonté, doit être préféré à tous les autres biens. C’est cette sagesse qui n’engendre pas le dégoût ; celui qui s’en nourrit a encore faim, celui qui la boit ne cesse d’avoir soif. C’est elle qui est si opposée au péché, que ceux qui agissent d’après ses inspirations n’y tombent jamais. C’est elle qui donne à ses ministres des fruits vraiment impérissables, car ceux qui la manifestent aux hommes reçoivent comme récompense la vie éternelle. Elle est supérieure à toutes les voluptés par sa douceur, aux trônes et aux royaumes par sa sécurité, à toutes les richesses par les avantages qu’elle procure. Après avoir goûté le charme de ses faveurs, j’ai essayé, en recueillant les pensées des saints docteurs, de donner une exposition de cette sagesse évangélique qui, avant tous les siècles, était cachée dans les mystérieuses profondeurs de l’éternité, et qui a été produite au jour par la sagesse incarnée. J’avais d’abord été invité à ce travail par l’ordre d’Urbain IV, d’heureuse mémoire ; mais comme après la mort de ce pontife il me restait encore à expliquer les trois Évangiles, de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean, je n’ai pas voulu que la négligence laissât inachevé un ouvrage qu’avait commencé l’obéissance ; je me suis donc appliqué avec le soin le plus scrupuleux à compléter l’exposition des quatre Évangiles, en suivant le même plan dans les citations des saints docteurs, que j’ai toujours fait précéder de leurs noms.

 

Pour rendre cette exposition de la doctrine des saints interprètes plus complète et plus suivie, j’ai fait traduire en latin un grand nombre de passages des Pères qui ont écrit en grec, et je les ai entremêlés avec ceux des auteurs latins, en ayant toujours soin de placer leurs noms en tête de chaque citation. Et comme il est de toute convenance que les prémices des fruits de nos travaux soient offertes aux prêtres, j’ai cru de mon devoir d’offrir cette exposition de l’Évangile, fruit de mon travail, au prêtre de la basilique des douze apôtres. Daignez l’agréer comme un hommage dû à votre autorité, et en même temps que votre science éminente le soumettra à son jugement, que votre vieille amitié y voie un témoignage de ma sincère affection.

 


 

EXPLICATION SUIVIE

DES QUATRE ÉVANGILES

PAR SAINT THOMAS

 

 

PRÉFACE DE L’EXPLICATION SUIVIE

DE L’ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU

PAR SAINT THOMAS

 

 

Celui qui a prédit avec plus de clarté les mystères de l’Évangile, le prophète Isaïe, renfermant en peu de mots la sublimité de la doctrine évangélique, son nom et ce qui en a fait l’objet, s’adresse au nom du Seigneur au docteur évangélique, et lui parle en ces termes « Montez sur une haute montagne vous qui évangélisez Sion ; élevez la voix avec force, vous qui évangélisez Jérusalem ; criez, ne craignez pas, dites aux villes de Juda : Voici Votre Dieu, voici que le Seigneur Dieu paraît dans sa force, il dominera par la force de son bras et il tient entre ses mains le prix de ses travaux. » (Is 40)

Commençons par le nom même d’Évangile. — S. Aug. (cont. Faust. liv. 2, chap. 2.) Évangile signifie en latin bon message ou bonne nouvelle. Ce mot peut être employé toutes les fois qu’on annonce une heureuse nouvelle ; mais il a été spécialement réservé pour désigner le divin message qui nous annonce le Sauveur, et on appelle Évangélistes proprement dits les écrivains sacrés qui ont raconté la naissance, les actions, les paroles et les souffrances de Notre Seigneur Jésus-Christ. — S. Chrys. (Hom. 1 sur S. Matth.) En effet, que pourra-t-on jamais comparer à une si heureuse nouvelle ? Dieu sur la terre, l’homme dans le ciel, notre nature rentrée en amitié avec Dieu, cette si longue guerre enfin terminée, la puissance du démon détruite, la mort anéantie, le paradis ouvert, et toutes ces grâces qui étaient au-dessus de notre nature nous ont été données avec libéralité, non comme récompense de nos efforts, mais par un effet de l’amour de Dieu pour nous. — S. Aug. (de la vraie relig., chap. 16.) Dieu qui a des moyens à l’infini pour guérir les âmes suivant les circonstances favorables des temps qu’il fait naître et dispose dans son admirable sagesse, n’a jamais fait paraître plus de bonté pour le genre humain, que lorsque son Fils unique consubstantiel et coéternel à son Père a daigné s’unir l’homme tout entier. « Et le Verbe a été fait chair, et il a habité parmi nous, » et en apparaissant ainsi au milieu des hommes revêtu de leur nature, il a fait voir quel rang élevé la nature humaine occupait dans la création. — S. Aug. (serm. sur la Nativ.) Enfin Dieu s’est fait homme, pour que l’homme devînt Dieu ; c’est cette grâce extraordinaire, qui devait être publiée dans la suite des temps, que le Prophète prédit en ces termes « Voici notre Dieu. » — S. Léon, pape. (Lettre 10, chap. 3.) Cet anéantissement par lequel l’invisible s’est rendu visible, et le Créateur, le Seigneur Dieu de toutes choses s’est réduit à la condition des mortels, a été en lui une inclination de miséricorde, et non un amoindrissement de puissance. La Glose. (interlin. sur Isaïe, XL.) Afin que l’on ne pût croire que la venue de Dieu sur la terre entraînait pour lui un affaiblissement de puissance, le Prophète ajoute « Voici que le Seigneur vient dans sa force. » — S. Aug. (de la doct. chrét., liv. 1, chap. 12.) Il vient, non pas en traversant l’espace, mais en apparaissant aux yeux des mortels revêtu d’une chair mortelle. — S. Léon, pape. (serm. 49 sur la pass.) Par un miracle de puissance ineffable, il est arrivé que le vrai Dieu s’étant revêtu d’une chair passible, l’homme a obtenu la gloire par ses abaissements, l’incorruptibilité par son supplice, la vie par sa mort. — S. Aug. (du bapt. des enf., r, 30.) Car c’est l’effusion de ce sang innocent qui a effacé tous les traités qui soumettaient les hommes au honteux esclavage du démon. — La Glose. (interlin. sur Isaïe, 40.) Mais les hommes n’ont été délivrés du péché par la vertu de la passion de Jésus-Christ que pour être soumis à l’empire de Dieu ; c’est pour cela que le Prophète ajoute : « Il dominera par la force de son bras. » — S. Léon, pape. (serm. sur la passion.) Nous avons reçu par Jésus-Christ un secours si puissant, que notre nature passible a été affranchie de la loi de mort à laquelle la nature impassible s’était soumise, car par ce privilège d’immortalité qui lui est propre, il peut ressusciter ce qui était condamné à une mort éternelle. — La Glose. (interlin.) Et c’est ainsi que Jésus-Christ nous a ouvert les portes de la gloire immortelle, comme le Prophète l’exprime en disant « Sa récompense est avec lui ; » et comme saint Matthieu le déclare lui-même par ces paroles : « Votre récompense est grande dans les cieux. » — S. Aug. (contre Faust., liv. 4, chap. 2.) La promesse de la vie éternelle et le royaume des cieux sont le privilège du Nouveau Testament ; quant à l’Ancien, il ne contenait que des promesses de biens temporels.

La Glose. (sur Ezéchiel, 1.) L’Évangile nous enseigne donc ces quatre choses sur la personne de Jésus-Christ : la divinité s’est unie à la nature humaine ; l’humanité a été élevée par cette union ; la mort du Fils de Dieu nous a délivrés de la servitude, et sa résurrection nous a ouvert les portes de la vie éternelle ; c’est ce qu’Ezéchiel a prophétisé sous la figure des quatre animaux. — S. Grég. (sur Ezéch., hom. 4.) En effet, le Fils unique de Dieu s’est réellement fait homme ; dans le sacrifice de notre rédemption il a été immolé comme un taureau ; il s’est levé du tombeau comme un lion ; il a pris le vol de l’aigle pour monter au ciel. — La Glose. (sur Ezéch., 1, 9.) Dans son ascension, sa divinité se révèle avec éclat. Or, saint Matthieu nous est figuré par l’homme, parce qu’il s’attache surtout à ce qui concerne l’humanité de Jésus-Christ ; saint Marc par le lion, parce qu’il s’étend davantage sur sa résurrection ; saint Luc par le taureau, parce qu’il traite de son Sacerdoce ; saint Jean par l’aigle, parce qu’il a pénétré les profonds mystères de la divinité. — S. Amb. (préf. sur S. Luc.) C’est par un rapprochement heureux qu’ayant appelé l’Évangile selon S. Matthieu un livre moral, nous donnons place à cette interprétation figurée, car les mœurs sont propres à la nature humaine ; saint Marc est la figure du lion, parce qu’il commence son Évangile en proclamant la puissance de Dieu « Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu ; » saint Luc nous est représenté sous la figure d’un taureau, parce qu’il commence son récit par une histoire sacerdotale, et que le taureau était une des victimes immolées par les prêtres ; enfin on attribue à saint Jean la figure de l’aigle, parce qu’il a raconté les circonstances miraculeuses de la résurrection du Sauveur. — S. Grég. (sur Ezéch., hom. 4.) Le commencement de chaque Évangile atteste la vérité de cette interprétation symbolique ; saint Matthieu est parfaitement figuré par l’homme, puisqu’il commence son Évangile par la génération humaine de Jésus-Christ ; saint Marc par le lion, à cause du cri dans le désert par lequel il ouvre son récit ; saint Luc par le taureau, parce qu’il débute par le récit d’un sacrifice ; saint Jean par l’aigle, lui qui commence par la génération éternelle du Verbe. — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 1, chap. 6.) On peut dire aussi que saint Matthieu est figuré par le lion, parce qu’il s’est appliqué à faire ressortir la royauté de Jésus-Christ ; saint Luc par le taureau, parce que c’était une des victimes immolées par les prêtres ; saint Marc par l’homme, parce que, sans vouloir raconter la descendance royale ou sacerdotale du Christ, il s’est attaché à ce qui concerne son humanité. Ces trois animaux, le lion, le taureau et l’homme, vivent et marchent sur la terre : aussi les trois évangélistes qu’ils représentent se sont-ils principalement occupés de ce qu’a fait Jésus-Christ revêtu dune chair mortelle. Mais saint Jean prend le vol de l’aigle et il fixe la lumière de l’être immuable avec les yeux perçants de son cœur. On peut en conclure que les trois premiers Évangélistes ont traité surtout de la vie active, et saint Jean de la contemplative. — Remi. Les docteurs grecs dans la figure de l’homme voient saint Matthieu qui a écrit la généalogie humaine de Jésus-Christ ; dans celle du lion, saint Jean, parce que de même que le rugissement du lion fait trembler tous les animaux, ainsi saint Jean a été l’effroi de tous les hérétiques ; dans la figure du taureau, saint Luc, parce que le taureau était une des victimes du sacrifice, et que cet évangéliste parle souvent du temple et du sacerdoce ; dans celle de l’aigle, saint Marc, parce que dans les saintes Écritures l’aigle représente ordinairement l’Esprit saint (Dt 32, 11 ; Ez 17, 3 ; Os 8, 1) qui a parlé par la bouche des prophètes, et que saint Marc a commencé son Évangile par un texte prophétique. — S. Jérôme. (à Eusèbe, prologue de l’Evang.) Quant au nombre des Évangélistes, il faut observer qu’un assez grand nombre d’écrivains ont rédigé des évangiles, au témoignage de saint Luc lui-même : « Puisque plusieurs se sont efforcés de mettre en ordre, » etc. Nous avons encore aujourd’hui des preuves subsistantes de ce grand nombre d’Évangiles composés par divers auteurs, et qui ont été la source de diverses hérésies, tels que les évangiles selon les Égyptiens, selon saint Thomas, selon saint Barthélemy, les évangiles des douze apôtres, de Basilide, d’Apelles et d’autres qu’il serait trop long d’énumérer. Mais l’Église de Dieu, bâtie sur la pierre par la parole du Seigneur et qui a donné naissance comme le paradis terrestre à quatre grands fleuves, a aussi quatre anneaux aux quatre coins, de manière à pouvoir être portée sur quatre bâtons mobiles comme l’arche de l’Ancien Testament dépositaire et gardienne de la loi divine (Ex 27, 3 ; 25, 12).

S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 1, chap. 2.) Le nombre quatre est peut-être aussi en rapport avec les parties de la terre, dans toute l’étendue de laquelle se développe l’Église de Jésus-Christ. Or, l’ordre qu’il faut assigner aux Apôtres dans la connaissance et la prédication de l’Évangile n’est pas le même qu’il faut suivre pour les écrivains sacrés. Les premiers qui furent appelés à connaître et à prêcher la vérité sont ceux qui suivirent le Seigneur pendant sa vie mortelle, entendirent ses enseignements, furent témoins de ses miracles, et reçurent de sa bouche l’ordre d’aller prêcher l’Évangile. Mais quant à la composition de l’Évangile, qui a été certainement réglée par une disposition toute divine, deux apôtres du nombre de ceux que Jésus-Christ a choisis avant sa passion, saint Matthieu et saint Jean, tiennent l’un la première place, l’autre la dernière. Les deux autres évangélistes n’étaient pas de ce nombre, ils avaient cependant suivi Jésus-Christ dans la personne de deux apôtres, qui les reçurent comme des fils, et au milieu desquels ils furent placés comme pour en être soutenus des deux côtés. — Remi. Saint Matthieu écrivit son Évangile dans la Judée, sous le règne de l’empereur Caligula ; saint Marc en Italie et à Rome, sous le règne de Néron ou de Claude ; saint Luc dans l’Achaïe ou la Béotie, sur la prière de Théophile ; saint Jean à Ephèse dans l’Asie Mineure, sons le règne de Nerva. — Bède. On compte, il est vrai, quatre Évangélistes, mais c’est moins quatre évangiles différents qu’ils ont écrit, qu’un seul parfaitement d’accord avec la vérité de ces quatre livres. De même que deux vers, ayant absolument le même sujet, diffèrent cependant par les expressions et par la mesure, et ne présentent toutefois qu’une seule et même pensée, ainsi les livres des Évangélistes, tout en étant au nombre de quatre, ne contiennent cependant qu’un seul et même Évangile, parce qu’ils ne renferment qu’une seule et même doctrine sur la foi catholique. — S. Chrys. (hom. 1 sur S. Matth.) Il suffisait qu’un seul Évangéliste racontât tous les faits de la vie de Jésus-Christ ; mais lorsqu’on les voit tous les quatre tenir le même langage, et, tout en étant séparés par les lieux comme par les temps, et sans avoir pu se concerter en aucune manière, c’est là une démonstration péremptoire de la vérité. Leurs divergences apparentes sont en outre la plus grande preuve de leur véracité ; car s’ils s’accordaient en tout, nos ennemis pourraient dire qu’ils se sont entendus pour avancer ce qu’ils ont écrit. Dans les choses essentielles qui ont pour objet la règle des mœurs et la prédication de la foi, on ne voit pas en eux la moindre différence. Quant aux miracles, que l’un en raconte quelques-uns, et un autre ceux que n’a pas racontés le premier, cela ne doit nullement ni vous troubler, ni vous surprendre. Car si un seul les avait tous racontés, le récit des autres devenait tout à fait inutile ; au contraire, s’ils avaient toujours raconté des miracles différents, comment pourrait-on découvrir cette admirable unité qui existe entre eux ? Quant aux variantes sur le temps où les faits se sont passés, ou sur la manière dont ils ont eu lieu, elles ne détruisent en rien la vérité du récit, ainsi que nous le montrerons dans la suite. — S. Aug. (de l’accord des Evang. liv. 1, chap. 2.) Quoique chacun d’eux paraisse avoir adopté un plan particulier de narration, il ne le suit pas cependant, comme s’il ignorait le récit de celui qui l’a précédé, et en omettant les faits qu’un autre aurait racontés. Ils écrivent selon l’inspiration qu’ils reçoivent, et ajoutent à cette inspiration l’utile coopération de leurs propres efforts.

La Glose. La sublimité de la doctrine évangélique consiste d’abord dans l’excellence de l’autorité dont elle émane. — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 1, chap. 1.) En effet, parmi les livres sacrés qui sont revêtus d’une autorité divine, l’Évangile occupe à juste titre le premier rang, puisqu’il eut pour premiers prédicateurs les Apôtres qui avaient suivi Notre Seigneur Jésus-Christ, le Sauveur du monde revêtu de notre nature, et que deux d’entre eux, saint Matthieu et saint Jean, ont cru devoir consigner, chacun dans un ouvrage différent, les choses dont ils avaient été les témoins. Et afin qu’on ne crût pouvoir établir en ce qui concerne la connaissance et la prédication de l’Évangile, une différence entre les Évangélistes qui avaient suivi le Sauveur sur la terre et ceux qui avaient cru sur leur témoignage, la providence divine a disposé les choses de manière que le privilège non seulement de prêcher, mais d’écrire l’Évangile fût donné aux disciples des premiers apôtres. — La Glose. Il est donc évident que l’autorité souveraine de l’Évangile vient de Jésus-Christ ; c’est ce que déclare le prophète Isaïe que nous avons déjà cité, lorsqu’il dit « Montez sur une haute montagne. » Cette haute montagne, c’est le Christ lui-même, au témoignage du même prophète dans cet autre endroit : « Dans les derniers jours, la montagne sur laquelle se bâtira la maison du Seigneur sera fondée sur le haut des monts, » c’est-à-dire au-dessus de tous les saints appelés montagnes, à cause de Jésus-Christ qui est comparé lui-même à une haute montagne, parce que nous avons reçu tous de sa plénitude. Or, c’est avec raison que ces paroles : « Montez sur une haute montagne, » sont adressées à saint Matthieu, car, comme nous l’avons dit plus haut, il fut en personne témoin des actions de Jésus-Christ, et apprit à son école sa divine doctrine. — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 8, chap. 7) Nous avons maintenant à répondre à une difficulté qui fait impression sur quelques personnes. Pourquoi, disent-elles, le Sauveur n’a-t-il rien écrit par lui-même, et pourquoi sommes-nous obligés d’ajouter foi au récit de ceux qui ont écrit sa vie ? Il est faux de dire, répondrons-nous, que le Sauveur n’a rien écrit, puisque ses membres n’ont fait que rapporter ce que leur chef leur dictait, car tout ce qu’il a voulu nous transmettre de ses discours et de ses actions, il leur a commandé de l’écrire, en dirigeant leur main comme la sienne propre. — La Glose. En second lieu l’Évangile est sublime par sa vertu, au témoignage de l’Apôtre : « L’Évangile est la vertu de Dieu pour sauver tous ceux qui croient, et c’est ce qu’a prédit le Prophète lui-même dans les paroles citées plus haut : « Élève ta voix avec force, » paroles qui indiquent la manière dont la doctrine évangélique doit être annoncée, l’élévation de la voix figurant la clarté de la doctrine. — S. Aug. Volusien, lettre 3.) Le langage simple de la sainte Écriture est accessible à tous, mais il n’est pénétré à fond que par un très petit nombre. Les vérités claires qu’elle renferment, elle les propose sans artifice, comme un ami intime, au cœur des savants comme à celui des ignorants. Quant aux mystères qu’elle recouvre d’un voile, elle ne les élève pas au-dessus de nous à l’aide d’une parole prétentieuse, propre à éloigner les intelligences sans instruction et de conception lente, comme le pauvre est porté à s’éloigner du riche, mais elle invite tous les hommes par la simplicité de son langage, non seulement à se nourrir de la vérité qui leur est révélée, mais encore à exercer leur foi au milieu de ses divins secrets, aussi riche et quand elle use d’expressions claires, et quand elle recouvre la vérité d’un voile mystérieux ; et afin que la clarté n’engendre pas le dégoût, le voile qui les recouvre de nouveau excite de saints désirs qui leur donnent un nouvel attrait, et les font goûter avec plus de suavité. C’est ainsi que par une méthode salutaire, les esprits dévoyés sont ramenés au bien, les faibles nourris, et les esprits supérieurs remplis d’une douce joie. — La Glose. La voix qui éclate s’entend de plus loin ; on peut voir dans cette voix élevée une figure de la prédication évangélique, que Dieu commande de porter non pas à une nation, mais à tous les peuples, d’après ce précepte du Seigneur : « Allez, prêchez l’Évangile à toute créature. » — S. Grég. Ces paroles : « Toute créature, » peuvent signifier tous les peuples de la terre. — La Glose. En troisième lieu la doctrine évangélique est sublime par son caractère de liberté. — S. Aug. (contre Faust.) Dans l’Ancien Testament, la Jérusalem terrestre, sous l’impression de la promesse des biens temporels et de la menace des châtiments, n’engendrait que des esclaves ; dans le Nouveau, où la foi obtient la charité qui fait accomplir la loi moins par un sentiment de crainte que par l’amour de la justice, la Jérusalem éternelle n’engendre que des enfants libres. — La Glose. Cette sublimité de la doctrine évangélique nous est indiquée dans ces paroles du Prophète : « Élevez la voix, ne craignez pas. »

Il nous reste à examiner les raisons qui ont déterminé saint Matthieu à écrire son Évangile, et à quelles personnes il le destinait. — S. Jér. (prolog. sur S. Matth.) Saint Matthieu a écrit son Évangile dans la Judée et en hébreu, parce qu’il le destinait principalement à ceux d’entre les Juifs qui avaient embrassé la foi. Après leur avoir prêché l’Évangile, il l’écrivit en hébreu pour en perpétuer le souvenir dans l’esprit de ses frères, dont il se séparait ; car de même qu’il était nécessaire pour confirmer la foi que l’Évangile fût prêché, il fallait aussi qu’il fût écrit pour combattre les hérétiques. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Voici dans quel ordre les faits sont racontés dans saint Matthieu : premièrement la naissance de Jésus-Christ ; secondement son baptême ; troisièmement sa tentation ; quatrièmement sa prédication ; cinquièmement ses miracles ; sixièmement sa passion ; septièmement sa résurrection et son ascension. En suivant cet ordre, il a voulu non seulement nous présenter la suite de la vie de Jésus-Christ, mais encore nous donner comme le plan de la vie évangélique. Ce ne serait rien, en effet, de recevoir la vie de nos parents, si Dieu ne nous donnait une nouvelle naissance par l’eau et l’Esprit saint. Après le baptême, il faut lutter contre le démon ; lorsqu’on a triomphé pour ainsi dire de toutes les tentations, et qu’on est devenu capable d’enseigner les autres, si on est prêtre, on doit enseigner et donner pour appui à sa doctrine une bonne vie, qui a autant de force que les miracles ;si on est simple fidèle, on doit inspirer la foi par ses œuvres. Enfin il nous faut sortir de cette arène du monde, et c’est alors que la récompense éternelle et la gloire de la résurrection viennent couronner nos combats et nos victoires.

La Glose. D’après tout ce que nous venons de dire, on voit clairement ce qui fait l’objet de l’Évangile, le nombre des Évangélistes, les symboles qui les ont figurés, leurs divergences, la sublimité de leur doctrine, ceux pour qui cet Évangile a été écrit et l’ordre adopté par l’écrivain sacré.

 


LE

SAINT ÉVANGILE DE JESUS-CHRIST

SELON SAINT MATTHIEU

 

 

CHAPITRE PREMIER.

 

v. 1.

S. Jérôme. Saint Matthieu nous est représenté sous la figure d’un homme (cf. Ez 1, 10), il commence donc son évangile en parlant de l’humanité du Sauveur : « Livre de la génération, » etc.

Raban. Cet exorde prouve suffisamment que l’Évangéliste a voulu nous raconter la génération de Jésus-Christ selon la chair. — S. Chrys. Saint Matthieu écrivait pour les Juifs, qui connaissaient la nature divine ; il était donc inutile de leur en parler ; ce qu’il importait de leur apprendre, c’était le mystère de l’incarnation. Saint Jean au contraire a écrit son évangile pour les Gentils, qui ignoraient que Dieu eut un Fils, il lui fallait donc tout d’abord leur enseigner que Dieu a un Fils, Dieu lui-même, et que ce Fils s’est incarné.

Raban. Quoique la généalogie du Sauveur occupe une très petite place dans le livre des Évangiles, saint Matthieu l’intitule : Livre de la génération, car c’est un usage chez les hébreux de prendre le titre de leurs livres dans les premiers faits qu’ils racontent, comme on le voit dans le livre de la Genèse. — La Glose. (de S. Jérôme.) Le sens serait plus clair si on lisait Voici le livre de la génération ; mais on trouve de nombreux exemples de cette manière de s’exprimer, tels que celui-ci : « Vision d’Isaïe, » sous-entendez : Voici. On lit au singulier : « Livre de la génération, » bien qu’il énumère successivement plusieurs séries de générations, parce que ces générations ne sont ici rappelées qu’en vue de la génération de Jésus-Christ. — S. Chrys. (hom. 2 sur S. Matth.) Ou bien encore, ce livre est appelé livre de la génération, parce que le mystère d’un Dieu fait homme est l’abrégé de toute l’économie de notre salut et la source de tous les biens ; ce don une fois fait aux hommes, tous les autres devaient nécessairement en découler. — Remi. L’Évangéliste écrit : « Livre de la génération de Jésus-Christ, » parce qu’il savait qu’il existait un ouvrage intitulé : Livre de la génération d’Adam. Par cet exorde, il a donc intention d’opposer ce livre au premier, le nouvel Adam à l’ancien, parce que le second a rétabli tout ce que le premier avait perdu. — S. Jér. Nous lisons dans le prophète Isaïe (chap. 53) : « Qui racontera sa génération ? » N’allons pas croire que l’Évangéliste soit contraire au prophète, en voulant raconter ce qu’Isaïe déclare au-dessus de toute expression ; l’un parle de la génération divine, l’autre de la génération humaine. — S. Chrys. (même hom.) Ne regardez pas l’exposé de cette génération comme de peu d’importance, car c’est une chose souverainement ineffable qu’un Dieu ait daigné prendre naissance dans le sein d’une femme et qu’il compte David et Abraham parmi ses aïeux. — Remi. Si l’on entend les paroles du prophète de la génération humaine, à la question qu’il fait, il ne faut pas répondre : Aucun, mais un très petit nombre, puisque saint Matthieu et saint Luc l’ont racontée.

 

Rab. Ces paroles : « de Jésus-Christ, » font connaître la dignité royale et sacerdotale dont il est revêtu, car Josué, dont le nom était la figure de celui de Jésus, fut après Moïse le chef du peuple de Dieu, et Aaron, consacré par une onction mystérieuse, fut le premier grand-prêtre de la loi. — S. Aug. (Quest. sur le Nouv. et l’Anc. Test., chap. 45). Ce que Dieu conférait par l’onction à ceux qui étaient consacrés prêtres et rois, l’Esprit saint l’a communiqué au Christ fait homme, en y ajoutant un caractère de sanctification : car l’Esprit saint a purifié ce qui dans la Vierge Marie servit à former le corps du Sauveur, et c’est en vertu de cette onction de son corps qu’il a reçu le nom de Christ.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) La fausse sagesse des Juifs impies niait que Jésus fût de la race de David, l’Évangéliste prend donc soin d’ajouter : « Fils de David, Fils d’Abraham. » Mais pourquoi ne suffisait-il pas de dire qu’il était le fils de l’un des deux ou d’Abraham, ou de David ? C’est que tous les deux avaient reçu la promesse que le Christ naîtrait de leur postérité : « Toutes les nations de la terre seront bénies en ta race, » avait dit Dieu à Abraham ; et à David : « Je ferai asseoir sur ton trône un fils qui naîtra de toi. Aussi l’Évangéliste appelle Jésus-Christ fils de David et d’Abraham pour montrer l’accomplissement des promesses qui leur ont été faites. Une autre raison, c’est que le Christ devait réunir en sa personne la triple dignité de roi, de prophète et de prêtre. Or, Abraham a été prêtre et prophète : prêtre, puisque Dieu lui dit dans la Genèse : « Prends pour me l’immoler une génisse de trois ans » (Gn 15) ; prophète, comme Dieu le déclare au roi Abimélech : « Il est prophète et il priera pour toi. » Quant à David, il fut roi et prophète, mais sans être prêtre. Jésus-Christ est donc appelé fils de l’un et de l’autre, pour nous apprendre que cette triple dignité de ses deux aïeux lui était dévolue par le droit de sa naissance. — S. Amb. (sur S. Luc.) Parmi les ancêtres du Sauveur, l’Écrivain sacré en choisit deux, l’un à qui Dieu avait promis l’héritage des nations, l’autre à qui Il avait prédit que le Christ naîtrait de sa race. David, quoique le dernier dans l’ordre des temps, est cependant nommé le premier, parce que les promesses qui ont le Christ pour objet sont supérieures à celles qui concernent l’Église, qui n’existe que par Jésus-Christ celui qui sauve est évidemment au-dessus de celui qui est sauvé. — S. Jér. L’ordre est interverti, mais pour une raison nécessaire, car si le nom d’Abraham avait précédé celui de David, il aurait fallu répéter le nom d’Abraham pour l’enchaînement de la suite des générations. — S. Chrys. (sur S. Math.) Une autre raison, c’est que la dignité du trône l’emporte sur celle de la nature, et, bien qu’Abraham fût le premier par ordre de temps, David l’était par son titre de roi.

Glose. Comme ce livre tout entier a pour objet la vie de Jésus-Christ, il est nécessaire tout d’abord de s’en former une idée juste. Ou pourra ainsi plus facilement expliquer tout ce qui dans le cours de cet ouvrage a rapport à sa divine personne. — S. Aug. (Quest. sur les Evang. liv. 5, chap. 45.) Les erreurs des hérétiques sur la personne de Jésus-Christ peuvent se réduire à trois chefs, sa divinité, son humanité, ou l’une et l’autre à la fois. — S. Aug. (Des hérés. chap. 8 et 10.) — Cérinthe et Ebion prétendirent que Jésus-Christ n’était qu’un homme. Paul de Samosate suivit leur erreur en soutenant que Jésus-Christ n’était pas éternel, que son existence ne remontait pas au-delà de sa naissance du sein de Marie, car il ne voyait en lui rien qui fût au-dessus de la nature humaine. Photin appuya plus tard cette hérésie. — S. Athan. L’apôtre saint Jean, voyant cet hérétique bien longtemps auparavant à la lumière de l’Esprit saint, plongé dans le profond sommeil de cette erreur insensée, le secoue de sa léthargie par ces paroles : « Au commencement était le Verbe. » Puisqu’il était en Dieu dès le commencement, il est impossible qu’il ait reçu de l’homme dans ces derniers temps le commencement de son existence. Jésus-Christ lui-même n’a-t-il pas dit : « Mon Père, glorifiez-moi de cette gloire que j’avais en vous avant la création du monde ? » Que Photin comprenne donc qu’il possédait cette gloire dès le commencement. — S. Aug. (Des hérés. chap. 19.) L’impiété de l’erreur de Nestorius fut d’avancer que celui qui était né de la Vierge Marie n’était qu’un homme, avec lequel le Verbe divin avait formé unité de personne et contracté une union indissoluble, erreur que les oreilles catholiques ne purent jamais supporter. — S. Cyrille. (Aux moines d’Égypte.) L’Apôtre parlant du Fils unique dit « Lui qui avait la nature de Dieu, n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu. » Quel est donc celui qui a la forme et la nature de Dieu ? et comment s’est-il humilié, anéanti en prenant la forme et la nature de l’homme ? Si les hérétiques dont nous venons de parler divisent Jésus-Christ en deux (d’un côté l’homme, de l’autre le Verbe), et qu’ils prétendent, en séparant le Verbe de l’homme, que c’est ce dernier seul qui s’est anéanti, il leur faut prouver auparavant qu’il avait réellement la forme, la nature de Dieu son Père, qu’il était son égal, pour qu’il ait pu se soumettre à l’anéantissement. Mais aucune créature, considérée dans sa nature, ne peut être l’égale du Père. Comment donc s’est-il anéanti ? De quelle hauteur est-il descendu pour se faire homme ? Comment comprendre qu’il ait pris la forme d’un esclave, qu’il n’avait pas auparavant ? Ils répondent que le Verbe égal au Père a daigné habiter dans l’homme né de la femme, et que c’est ainsi qu’il s’est anéanti. J’entends, il est vrai, le Fils de Dieu dire à ses apôtres « Si quelqu’un m’aime il gardera ma parole, et mon Père l’aimera : et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. » Vous comprenez comment il déclare que son Père et lui feront leur demeure dans ceux qui l’aiment ? Or pensez-vous qu’on puisse dire qu’il s’est appauvri, anéanti, qu’il a pris la forme d’esclave, parce qu’il fait sa demeure dans le cœur de ceux qui l’aiment ? Et que direz-vous de l’Esprit saint qui habite en nous ? Pensez-vous que ce soit là une véritable incarnation ? — L’abbé Isidore. (Au prêtre Archibius.) Pour ne pas nous étendre indéfiniment, nous dirons, en quelques mots qui résument tout, que celui qui était Dieu, en tenant un langage plein d’humilité, fait une chose sage, utile et qui ne porte aucun préjudice à sa nature immuable ; tandis que l’homme au contraire ne peut s’approprier le langage des choses divines et surnaturelles sans une présomption souveraine et coupable. Un roi peut faire des actions communes, un soldat ne peut s’arroger la parole du commandement. Si donc celui qui s’est incarné est Dieu, les actions humbles et ordinaires ont leur raison d’être, mais s’il n’était qu’homme, les choses divines sont impossibles.

 

S. Aug. (Des hérés., chap. 41). Quelques écrivains parlent de Sabellius disciple de Noet, qui prétendait que le Christ n’était autre que le Père et l’Esprit saint. — S. Athan. (Contre les hérés.) Je mettrai un frein à cette fureur aussi insensée qu’audacieuse, en m’appuyant sur l’autorité de témoignages divins pour démontrer la personnalité du Fils et la consubstantialité divine. Pour cela, je ne me servirai pas des passages que par une fausse interprétation il applique sans scrupule à l’humanité prise par le Sauveur, mais de ceux qui sans aucune ambiguïté et de l’aveu de tous ne peuvent s’entendre que de la divinité. Au chapitre 1er de la Genèse, Dieu s’exprime ainsi : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, » il parle au pluriel, et il indique nécessairement quelqu’un à qui s’adressent ces paroles. Car si celui qui parle était seul, il dirait qu’il a fait l’homme à son image, tandis qu’il déclare ouvertement l’avoir fait également à la ressemblance d’un autre. — La Glose. D’autres ont nié la vérité de l’humanité du Sauveur. C’est ainsi que Valentin a enseigné que le Christ envoyé par son Père, avait apporté sur la terre un corps spirituel et céleste, qu’il n’avait rien pris de la Vierge Marie, mais qu’il n’avait fait que passer par son sein, comme l’eau passe dans un canal ou dans le lit d’un ruisseau. Pour nous, nous ne croyons pas que Jésus-Christ est né de la Vierge Marie parce qu’il n’aurait pu autrement exister ou apparaître aux hommes dans une chair véritable, mais parce que telle est la doctrine de l’Écriture, qu’il nous faut croire sous peine de n’être plus chrétiens, et d’encourir la damnation. Si Jésus-Christ avait voulu donner à son corps formé d’un élément aérien ou liquide les propriétés d’une chair humaine véritable, qui oserait dire que cela lui était impossible ?

S. Aug. (Des hérés. chap. 46.) Les Manichéens ont prétendu que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’avait eu qu’un corps imaginaire et fantastique et qu’il n’avait pu naître du sein d’une femme. — S. Aug. (Liv. des LXXXIII quest. 13.) Or, si le corps du Christ ne fut qu’une apparence, lui-même nous a trompés, et s’il nous a trompés, il n’est plus la vérité. Or le Christ est la vérité, donc son corps ne fut pas un corps fantastique. — La Glose. Le commencement de l’évangile selon saint Luc nous montre clairement aussi que le Christ est né d’une femme, ce qui prouve la vérité de son humanité ; les hérétiques rejettent en conséquence le commencement des deux évangiles. — S. Aug. (Contre Fauste, liv. 2, chap. 1.) C’est pour cela que Fauste nous dit : L’Évangile n’a commencé et ne tire son nom que de la prédication du Christ, et nulle part dans cet Évangile Jésus-Christ ne dit que sa naissance est humaine. Quant à la généalogie, elle est si peu l’Évangile, que celui qui en est l’auteur n’a pas osé lui donner ce nom. Comment s’exprime-t-il en effet : « Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de David. » Ce n’est donc pas le livre de l’Évangile de Jésus-Christ, mais de la génération. Au contraire, Marc ne s’est pas occupé d’écrire la génération, mais uniquement la prédication du Fils de Dieu, prédication qui est vraiment l’Évangile. Aussi voyez avec quel à-propos il commence son récit « L’Évangile de Jésus-Christ Fils de Dieu. » Ce qui prouve suffisamment que la généalogie ne fait point partie de l’Évangile. Dans Matthieu lui-même, ce n’est qu’après que Jean-Baptiste eut été jeté en prison que nous lisons que Jésus commença à prêcher l’Évangile du royaume. Donc tout ce qui précède appartient à la généalogie, et non pas à l’Évangile. Je me suis donc reporté à Marc et à Jean dont les commencements me plaisent avec raison, car ils ne font mention ni de David, ni de Marie, ni de Joseph. Voici comment saint Augustin le réfute : Que répondra-t-il a ces paroles de l’Apôtre (2 Tm 2) : « Souvenez-vous que Jésus-Christ, qui est de la race de David, est ressuscité selon l’Évangile que je prêche ? » Or, l’évangile de l’apôtre saint Paul, c’était l’évangile des autres apôtres, et de tous les fidèles dispensateurs d’un si grand mystère. C’est ce que lui-même dit ailleurs « Que ce soit moi, que ce soient eux (qui vous prêchent l’Évangile), voilà ce que nous prêchons, voilà aussi ce que vous avez cru. » Tous, en effet, n’ont pas écrit l’Évangile, mais tous l’ont prêché.

S. Aug. (Des hérésies, chap. 49.) Les Ariens ne veulent pas admettre que le Père, le Fils et l’Esprit saint n’aient qu’une seule et même substance, une seule et même nature, une seule et même existence ; mais ils voient dans le Fils une créature du Père, et dans l’Esprit saint une créature produite par une créature, c’est-à-dire par le Fils ; ils soutiennent encore que le Christ a pris un corps sans âme.

S. Aug. (Liv. 1 de la Trinité, chap. 6.) Mais Jean déclare dans son évangile que non seulement le Fils est Dieu, mais qu’il est consubstantiel à son Père ; car après avoir dit : a Et le Verbe était Dieu, » il ajoute : » Toutes choses ont été faites par lui. » Donc il n’a pas été fait lui-même, puisque tout a été fait par lui, et s’il n’a pas été fait, il n’a pas été créé, et il a la même substance que son Père, car toute substance qui n’est pas Dieu est une substance créée. — S. Aug. (Contre Félicien, chap. 13.) Je ne sais pas quel avantage la personne du Médiateur nous aurait procuré, si en laissant la meilleure partie de nous-mêmes sans rédemption, il n’a pris de notre nature que la chair, qui, séparée de l’âme, est incapable d’apprécier ce bienfait. En effet, si Jésus-Christ est venu sauver ce qui avait péri, comme tout en nous était perdu, tout réclamait le bienfait de la rédemption. Aussi Jésus-Christ vient sur la terre pour tout sauver en s’unissant tout notre être, le corps et l’âme. — S. Aug. (Liv. des LXXXIII quest. 80.) Comment encore peuvent-ils répondre aux difficultés évidentes que leur présente le saint Évangile, où le Seigneur produit entre eux des témoignages si frappants, par exemple : « Mon âme est triste jusqu’à la mort, » et encore : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, » et beaucoup d’autres semblables. Diront-ils que ce langage de Notre-Seigneur est figuré, nous leur opposerons l’autorité des Évangélistes, qui, dans le récit des faits, établissent également que Jésus-Christ avait un corps, et qu’il avait une âme, et lui attribuent des sentiments qui supposent nécessairement l’existence de l’âme. C’est ainsi que nous lisons : « Et Jésus fut dans l’admiration, » il s’irrita, et d’autres semblables exemples.

S. Aug. (Des hérésies, chap. 55.) Les Apollinaristes ainsi que les Ariens soutinrent que le Christ s’était revêtu d’un corps, mais sans prendre l’âme. Vaincus sur ce point par les témoignages de l’Évangile, ils se retranchèrent à dire que cette faculté qui constitue l’homme raisonnable avait manqué à l’âme du Christ, et qu’elle avait été remplacée en lui par le Verbe de Dieu. — S. Aug. (Liv. des LXXXIII Quest., quest. 80.) S’il en était ainsi, il faudrait dire que le Verbe divin aurait pris la nature d’un animal sans raison avec une figure humaine. — S. Aug. (Des hérésies, chap. 55.) Quant à la vérité de sa chair, ils se sont éloignés de la vraie foi à ce point de prétendre que le Verbe et la chair n’avaient qu’une seule et même substance, et de soutenir à force de sophismes que le Verbe s’était fait chair en ce sens qu’une partie du Verbe avait été changée, convertie en chair, et que cette chair n’avait pas été formée du sang de Marie. S. Cyrille. (Lettre à Jean d’Antioche.). Il faut avoir perdu le sens et la raison, a notre avis, pour soupçonner l’ombre même de changement dans la nature du Verbe divin. Elle demeure ce qu’elle est toujours, elle ne change pas, elle n’est susceptible d’aucune altération. — S. Léon. (Lettre au concile de Constant. 23.) Pour nous, nous ne dirons pas que le Christ s’est fait homme en ce sens qu’il lui ait manqué ce qui constitue la nature humaine, soit l’âme, soit l’intelligence ordinaire, soit un corps qui ne serait point né d’une femme, mais qui serait le produit du changement, de la conversion du Verbe dans la chair, trois erreurs qui forment les trois différentes parties de l’hérésie des Apollinaristes.

S. Léon. (Aux moines de la Palest. let. 83.) Eutychès s’empara de la troisième erreur des Apollinaristes, et il nia qu’il y eut en Notre-Seigneur Jésus-Christ la réalité d’une chair humaine et d’une âme semblable à la nôtre, et soutint qu’il n’y avait en lui qu’une seule nature. Dans son système, la substance divine du Verbe serait comme changée en corps et en âme ; et ces différentes actions, être conçu, naître, croître, être nourri, étaient des actions de la nature divine, toutes choses qui ne peuvent lui être attribuées que par son union à une chair véritable ; car la nature du Fils est la même que la nature du Père, que la nature du Saint-Esprit, elle a la même impassibilité et la même éternité. Si cet hérétique parait se séparer de l’erreur perverse d’Apollinaire, pour ne pas être obligé d’admettre que la divinité est passible et mortelle, et que cependant il ne craigne pas de soutenir qu’il n’y a dans le Verbe incarné, c’est-à-dire dans le Verbe et la chair qu’une seule nature, il tombe infailliblement dans l’erreur insensée des Manichéens et de Marcion ; il faut qu’il admette encore que tout en Jésus-Christ a été feint et imaginaire, et que sans avoir un corps véritable il n’a fait qu’en présenter l’apparence aux yeux de ceux qui le voyaient.

Le même (Lettre 2 à Julien.) Eutychès ayant osé dire devant l’assemblée des évêques qu’il y avait eu en Jésus-Christ deux natures avant l’incarnation, et une seule après, on dut le presser par des questions habilement posées de bien préciser sa foi. Quant à moi, je pense qu’en s’exprimant ainsi il était persuadé que l’âme que le Sauveur s’est unie a séjourné dans les cieux avant de naître de la Vierge Marie. Mais c’est un langage que ni la conscience ni les oreilles des catholiques ne peuvent tolérer, attendu que le Seigneur en descendant des cieux n’en a rien apporté de ce qui est propre à notre nature, ni une âme qui eût préexisté à sa naissance, ni un corps venu d’ailleurs que du sein maternel. Aussi l’erreur condamnée justement dans Origène, qui a soutenu que les âmes, avant d’être unies à des corps, non seulement avaient existé, mais qu’elles avaient agi diversement, doit l’être également dans Eutychès. — Remi. Les Évangélistes anéantissent toutes ces hérésies au commencement de leur Évangile : saint Matthieu en soutenant que Jésus-Christ tire son origine des rois de Juda, prouve qu’il est véritablement homme, et qu’il a réellement revêtu notre chair ; de même saint Luc, qui décrit son origine sacerdotale. Saint Marc au contraire par ces mots : Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, et saint Jean par ces autres : Au commencement était le Verbe, proclament tous les deux qu’avant tous les siècles il a toujours été Dieu en Dieu le Père.

 

 

v. 2.

S. Aug. (de l’accord des Evang. liv. 2, chap. 1.) Saint Matthieu en commençant son évangile par la généalogie de Jésus-Christ, prouve par là qu’il a entrepris de nous raconter l’origine de Jésus-Christ selon la chair. Saint Luc au contraire qui se propose de nous le présenter surtout comme Prêtre chargé d’expier nos péchés, ne raconte la généalogie de Jésus-Christ qu’après son baptême, alors que saint Jean lui rendit ce témoignage : Voici celui qui efface les péchés du monde.

La suite des générations dans saint Matthieu nous représente Notre-Seigneur Jésus-Christ prenant sur lui nos péchés, et dans saint Luc, Notre-Seigneur effaçant ces mêmes péchés (cf. Lc 3, 23 : « Et Jésus avait alors trente ans commencés, étant comme l’on croyait, fils de Joseph ») ; c’est pour cela que saint Matthieu dresse cette généalogie en descendant, et saint Luc en remontant. Or saint Matthieu, qui raconte la génération de Jésus-Christ en commençant par ses premiers ancêtres, ouvre la série des générations par Abraham. — S. Amb. (sur S. Luc.) En effet, Abraham fut le premier qui mérita que Dieu rendit témoignage à sa foi, parce qu’il crut à Dieu, et que sa foi lui fut imputée à justice (Gn 15, 16 ; Rm 4, 6 ; Gal 3, 1 ; Jc 3, 23). Il avait aussi droit à nous être représenté comme la souche de la génération du Christ, parce que le premier encore il reçut la promesse de l’établissement de l’Église par ces paroles : « En toi seront bénies toutes les nations de la terre. » David partage également cet honneur que Jésus soit appelé son fils, et la prérogative de voir la généalogie du Sauveur commencer par son nom. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 15, chap. 15.) L’Évangéliste S. Matthieu voulant graver dans la mémoire la génération de Jésus-Christ selon la chair par la série de ses aïeux, commence par Abraham et dit : « Abraham engendra Isaac. » Pourquoi ne dit-il pas : il engendra Ismaël qui fut l’aîné de ses enfants ? Il ajoute Isaac engendra Jacob. » Pourquoi n’a-t-il pas dit : Il engendra Esaü qui fut son premier-né ? C’est que ni par Ismaël, ni par Esaü on ne pourrait descendre jusqu’à David. — La Glose. Cependant les frères de Juda sont comptés avec lui dans la génération, parce qu’ils font partie du peuple de Dieu, tandis qu’Ismaël et Esaü n’ont pas persévéré dans le culte d’un seul Dieu. — S. Chrys. (hom. 3 sur S. Matth.) Ou bien il fait mention des douze patriarches pour ôter tout prétexte à l’orgueil qui vient de la noblesse des aïeux. Car plusieurs d’entre eux eurent pour mères de simples servantes, mais tous furent également patriarches et chefs de tribu. — La Glose. Juda est désigné nommément, parce que c’est de lui seul qu’est descendu le Seigneur.

 

S. Anselme. Chacun des aïeux du Christ doit nous rappeler non seulement leur histoire, mais encore une allégorie et une moralité : une allégorie en ce que tous ont été la figure du Christ ; une moralité, parce que chacun d’eux nous inspire la vertu par la signification de son nom ou par les exemples de sa vie. Ainsi Abraham dans plusieurs circonstances a été la figure du Christ et il l’a été de plus par son nom, car Abraham signifie père de plusieurs nations, et le Christ a été aussi le père de tous les fidèles (Ps 17, 40). Abraham sortit encore de sa famille pour aller habiter dans une terre étrangère, et le Christ abandonna le peuple juif pour aller chez les Gentils dans la personne de ses Apôtres. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Isaac signifie ris. Or le rire des saints n’est pas l’éclat insensé qui sort des lèvres, mais la joie modérée d’une âme raisonnable. En cela il a été la figure du Christ, car de même qu’Isaac fut donné à ses parents dans leur extrême vieillesse pour être leur joie, et leur apprendre qu’il n’était pas l’enfant de la nature mais de la grâce, ainsi Jésus-Christ naquit dans les derniers temps d’une mère juive, pour être la joie de tous ; l’un naquit d’une vierge, l’autre d’une femme âgée, tous deux contre les lois et l’espérance de la nature. — Remi. Le nom de Jacob signifie qui supplante, qui renverse, et il est dit du Christ : « Vous avez renversé sous moi ceux qui s’élevaient contre moi (Ps 17, 40). »

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre Jacob engendra douze apôtres non dans la chair, mais dans l’esprit, non de son sang, mais par sa parole. Juda signifie celui qui confesse, qui rend gloire, et en cela il était la figure de Jésus-Christ qui devait rendre gloire à son Père : « Je vous rends gloire, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre. » La Glose. Au sens moral, Abraham par ses exemples est une figure de la vertu de foi, puisqu’il est dit de lui « Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice. » Isaac est la figure de l’espérance, car son nom signifie ris, et il fut en effet la joie de ses parents. Or c’est ce que fait également l’espérance en nous comblant de joie dans l’attente des biens éternels. Abraham engendra Isaac, parce que la foi est mère de l’espérance. Jacob est la figure de la charité, car la charité embrasse à la fois deux vies différentes : la vie active par l’amour du prochain, la vie contemplative par l’amour de Dieu. La vie active est figurée par Lia, la contemplative par Rachel. Lia signifie celle qui travaille, parce que la vie active suppose nécessairement le travail, Rachel le principe vu, car par la vie contemplative on voit Dieu qui est le principe de toutes choses. Jacob a pour aïeul et pour père Abraham et Isaac, parce que la charité naît de la foi et de l’espérance. En effet, ce que nous croyons, ce que nous espérons, nous ne pouvons nous empêcher de l’aimer.

 

vv. 3-5.

La Glose. L’Évangéliste laissant de côte les autres enfants de Jacob, poursuit la descendance de Juda en ces termes « Juda engendra Phares et Zara. » — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 15, chap. 45.) Juda n’était pas l’aîné. Ces deux enfants jumeaux n’étaient pas non plus ses premiers-nés, car il en avait eu trois autres avant eux. L’écrivain sacré les place dans la série des générations, pour arriver par eux jusqu’à David, et de là au but qu’il se propose.

S. Jér. Il est à remarquer que dans la généalogie du Sauveur l’Évangéliste ne nomme aucune des saintes femmes de l’ancienne loi, mais uniquement celles dont l’Écriture blâme la conduite. En voulant naître ainsi de femmes pécheresses, celui qui était venu pour les pécheurs veut nous apprendre qu’il venait effacer les péchés de tous les hommes, c’est pour cette raison que nous trouvons dans les versets suivants Ruth la Moabite. — S. Amb. (sur S. Luc, chap. 3.) S. Luc les a omises pour montrer dans toute sa pureté la généalogie sacerdotale du Sauveur. Et toutefois, le dessein de saint Matthieu n’a rien qui blesse la raison ou la justice. Il se proposait en effet d’exposer la génération selon la chair de celui qui venait se charger de nos péchés, se soumettre à tous les outrages, s’assujettir à toutes les souffrances, et il n’a pas cru qu’il fût indigne de cette bonté, de faire connaître qu’il n’avait pas voulu se soustraire à l’humiliation d’une origine qui n’était pas exempte de tache. L’Église en voyant le Seigneur compter des pécheurs parmi ses ancêtres apprenait aussi à ne point rougir de se voir elle-même composée de pécheurs. Enfin le Sauveur faisait ainsi remonter jusqu’à ses ancêtres le bienfait de sa rédemption, nous apprenait qu’une tache dans la naissance n’était pas un obstacle à la vertu, et anéantissait l’arrogance de ceux qui se vantent de la noblesse de leur origine.

S. Chrys. (hom. 3 sur S. Matth.) Le dessein de l’Évangéliste est de nous montrer que tous ont été coupables de péché. C’est Thamar accusant Juda de fornication ; c’est David devenant le père de Salomon par suite d’un adultère. Or, si la loi était violée par les personnes les plus marquantes du peuple de Dieu, elle l’était de même par tous les autres ; ainsi tous avaient péché, et la venue du Christ était indispensablement nécessaire.

S. Amb. (sur S. Luc.) Remarquez que ce n’est pas sans raison que saint Matthieu nomme ces deux frères, bien qu’il ne fût nécessaire que de faire mention de Pharès. La vie de chacun d’eux renferme un mystère, et ces deux frères jumeaux représentent la double vie des peuples, l’une selon la loi, l’autre selon la foi. S. Chrys. (sur S. Matth.) Zara représente le peuple juif qui apparut le premier à la lumière de la foi, sortant pour ainsi dire du sein ténébreux du monde, c’est pour cela qu’il fut marqué par le ruban d’écarlate de la circoncision, l’opinion générale étant que le peuple circoncis devait être plus tard le peuple de Dieu. Mais la loi fut placée devant lui comme une haie ou comme une muraille, et devint pour ce peuple un empêchement. Lorsque le Christ fut venu, la muraille de la loi qui séparait les Juifs des Gentils fut renversée selon ces paroles de l’Apôtre : « Détruisant la muraille de séparation (Ep 2, 14). » Et il arriva que le peuple des Gentils signifié par Pharês, entra le premier dans le chemin de la foi, après que la loi eut été renversée par les commandements du Christ, tandis que le peuple juif ne vint qu’à sa suite (cf. Gn 28, 27-30).

« Pharès engendra Esrom. » — La Glose. Juda engendra Pharès et Zara avant d’aller en Égypte, et ses deux enfants vinrent s’y fixer plus tard avec lui. Ce fut en Égypte que Pharès engendra Esrom ; Esrom, Aram ; Aram, Aminadab ; Aminadab, Nahasson ; et c’est alors que Moïse fit sortir le peuple d’Egypte. Nahasson fut sous Moïse, chef de la tribu de Juda dans le désert, où il engendra Salmon. Ce dernier fut un des chefs de la tribu de Juda, et entra avec Josué dans la terre promise. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nous croyons que ce n’est pas sans un dessein providentiel que l’Évangéliste rappelle ici les noms de ces ancêtres du Sauveur.

« Nahasson engendra Salmon. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Salmon prit une femme du nom de Raab. On croit communément que cette Raab fut la courtisane de Jéricho qui reçut chez elle les espions du peuple d’Israël, les cacha et leur sauva la vie. Or, Salmon qui était un des principaux des enfants d’Israël, de la tribu de Juda, et fils du chef de cette tribu, voyant la fidélité de Raab, mérita de la prendre pour épouse, comme si elle eut été de grande naissance. Peut-être aussi la signification du nom de Salmon fut pour lui comme une Invitation de la providence à recevoir Raab comme un vase d’élection. Car Salmon signifie reçois ce vase (cf. Tit 9).

« Salmon engendra Booz de Raab. » — La Glose. Ce fut dans la terre promise que Salmon eut Booz de Raab, et Booz, Obed de Ruth. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Je crois inutile d’expliquer comment Booz prit pour épouse une femme moabite, parce que chacun connaît cette histoire de la sainte Écriture. Je ferai remarquer seulement que Ruth épousa Booz en récompense de sa foi qui lui fit abandonner les idoles de son pays pour adorer le Dieu vivant ; et que c’est aussi à cause de sa foi que Booz fut jugé digne d’épouser cette femme, et de contracter cette sainte union qui devait le rendre père d’une race royale. — S. Amb. (sur S. Luc.) Pourquoi Ruth qui était étrangère a-t-elle épousé un israélite, et comment l’Évangéliste croit-il devoir parler d’un mariage, que défendait tout l’ensemble de la loi ? Il vous paraîtra sans doute déshonorant pour la mémoire du Sauveur de compter parmi ses ancêtres une femme illégitime, si vous ne vous rappelez cette maxime de l’apôtre saint Paul : « Que la loi n’est pas établie pour les justes, mais pour les méchants. » Comment en effet, cette femme étrangère et moabite aurait-elle fait partie du peuple de Dieu, alors que la loi défendait ces unions avec les filles de Moab et leur admission dans l’assemblée des enfants d’Israël (cf. Ex 23, 52 ; 34, 15.16 ; Nb 25, 1 ; Dt 7, 7 ; 23, 1.3), si elle n’avait été élevée au-dessus de la loi par la sainteté et la pureté de ses mœurs. Elle se plaça au-dessus des prescriptions de la loi, et mérita d’être comptée parmi les ancêtres du Seigneur, honneur qu’elle dut non pas aux liens du sang, mais à la parenté spirituelle qui l’unissait au Christ. Or elle est pour nous un grand exemple, car elle est la figure de nous tous qui avons été choisis parmi les Gentils pour entrer dans l’Église du Seigneur. — S. Jér. (lettre à Paulin.) Ruth la moabite accomplit cet oracle d’Isaïe : Envoyez, Seigneur, l’agneau dominateur de la terre, du rocher du désert à la montagne de la fille de Sion.

« Obed engendra Jessé. » — La Glose. Jessé père de David porte deux noms, il est plus souvent appelé du nom d’Isaï, mais comme le Prophète lui donne le nom de Jessé, et non celui d’Isaï (Is 11) « Un rejeton sortira de la tige de Jessé, » l’Évangéliste choisit le nom de Jessé pour montrer l’accomplissement de cette prophétie en Jésus et en Marie.

« Jessé engendra David qui fut roi. » — Remi. Pourquoi donc l’Auteur sacré ne donne-t-il qu’à David le titre de roi ? C’est pour nous rappeler qu’il a été le premier roi sorti de la tribu de Juda. Or, le Christ est un nouveau Pharès, c’est-à-dire séparateur, car il séparera les boucs des brebis. Il est aussi l’Orient comme Zara, selon ces paroles : « Voici un homme, et l’Orient est son nom. » Comme Esrom il est une flèche selon ces autres paroles : « Il m’a placé comme une flèche de choix. » Rab. Ou bien il est encore comme le vestibule d’une maison, à cause de l’abondance de la grâce qui est en lui, et de l’étendue de sa charité. Il est Aram, c’est-à-dire l’élu selon ces paroles : « Voici mon enfant que j’ai choisi, » ou bien il signifie encore élevé, d’après ces autres paroles : « Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations. » Il est Aminadab, c’est-à-dire volontaire, lui qui dît à Dieu par la bouche du Roi-prophète : « Je vous sacrifierai de tout cœur. » il est Nahasson, ou l’augure, lui qui connaît le passé, le présent et l’avenir ; ou bien le serpent, d’après ces paroles : « Moïse a élevé un serpent dans le désert. » Il est encore Salmon, c’est-à-dire sensible, lui qui a dit : « J’ai senti une vertu s’échapper de moi. » — La Glose. Il a épousé Raab, c’est-à-dire l’Église composée de toutes les nations, car Raab veut dire faim ou étendue, ou mouvement impétueux, et en effet, l’Église des nations a faim et soif de la justice, et elle a converti les philosophes et les rois par l’élan impétueux de sa doctrine. Ruth signifie aussi celle qui voit ou qui se hâte, image de l’Église qui voit Dieu d’un cœur pur et se hâte vers le but de sa sublime vocation (cf. Ph 3, 14). — Remi. Il est Booz, celui qui est fort, car il a dit : « Lorsque je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » il est Obed, celui qui est serviteur, comme il le dit de lui-même : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir. » Il est Jessé, ou l’encens, lui qui a dit « Je suis venu apporter le feu sur la terre. » Il est David, dont la main est forte ; car il est dit de lui : « Le Seigneur est fort et puissant. » Il est aussi le désirable, lui dont le Prophète a écrit : « Le désiré des nations viendra ; il est d’une rare beauté selon ces paroles du Roi-prophète : « Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes. »

La Glose. (ou S. Anselme.) Considérons maintenant les vertus que le souvenir de ces ancêtres de Jésus-Christ doit nous inspirer. La foi, l’espérance et la charité sont comme le fondement de toutes les autres vertus. Celles qui viennent ensuite n’en sont que la continuation et le couronnement. Or, Juda signifie confession. Il y a deux sortes de confession, celle de la foi, et celle des péchés. Si donc après avoir reçu le don des trois vertus dont nous avons parlé, on vient à offenser Dieu, la confession de la foi ne suffit pas, il faut y ajouter la confession des péchés. Après Juda viennent Pharês et Zara, Pharès signifie division, Zara, Orient, Thamar, amertume. En effet, la confession produit la division en nous séparant des vices, et elle fait en même temps lever les vertus du sein de l’amertume de la pénitence. Après Phares vient Esrom qui veut dire flèche, car celui qui s’est détaché des inclinations vicieuses du siècle, doit devenir une flèche qui perce les vices dans les cœurs des hommes, et y fasse pénétrer l’amour de Dieu. Vient ensuite Aram qui veut dire l’élu ou le sublime, car lorsqu’on s’est éloigné du monde, et qu’on s’est rendu utile aux autres, on est regardé nécessairement comme l’élu de Dieu, et ou acquiert aux yeux des hommes la réputation d’une haute vertu. Nahasson veut dire augure, mais augure du ciel et non de la terre. Joseph se glorifiait de ce titre en faisant dire à ses frères : (Gn 44, 5) « Vous avez enlevé la coupe de mon maître, dont il se sert pour les divinations. » Cette coupe, c’est l’Écriture sainte qui contient le précieux breuvage de la sagesse. Le Sage se sert de cette coupe pour augurer, parce qu’il y voit les choses futures ou célestes. Vient ensuite Salmon, c’est-à-dire sensible, car lorsqu’on s’est livré à l’étude de la divine Écriture, on acquiert cette sensibilité qui fait discerner le bien du mal, ce qui est doux de ce qui est amer. Après Salmon vient Booz, le fort, car celui qui. est versé dans les saintes Écritures y puise une force invincible contre toute sorte d’épreuves. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce fort, c’est le fils de Raab, c’est-à-dire de l’Église ; Raab, en effet, signifie étendue qui s’est dilatée, parce que l’Église a été réunie et formée de toutes les nations de la terre. — La Glose. (ou S. Anselme.) Vient ensuite Obed ou celui qui sert, car on n’est propre au joug de la servitude qu’autant qu’on est fort. Cet état de servitude vient de Ruth, qui signifie celle qui se hôte, car le serviteur doit être actif et ennemi de la paresse. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Disons maintenant que ceux qui cherchent la richesse plutôt que la vertu, la beauté plutôt que la foi, qui désirent trouver dans leurs épouses ce que l’on cherche ordinairement dans les femmes de mauvaise vie, auront des enfants sans soumission pour leurs ordres et pour ceux de Dieu, juste châtiment de leur propre impiété. Obed a engendré Jessé ou le rafraîchissement, car celui qui est soumis à Dieu et à ses parents par une grâce particulière de Dieu, aura des enfants qui seront comme le rafraîchissement de sa vie. — La Glose.(ou S. Anselme.) Ou bien encore Jessé signifie encens, car si nous servons Dieu par un motif de crainte et d’amour, notre piété aura sa source dans notre cœur et deviendra comme un foyer spirituel sur lequel elle pourra offrir à Dieu un encens de la plus suave odeur. Or, lorsqu’un homme est devenu un digne serviteur de Dieu et un sacrifice d’agréable odeur, il faut également qu’il soit fort et robuste, et qu’il combatte courageusement les ennemis, et rende tributaires les Iduméens, c’est-à-dire qu’il doit soumettre à Dieu les hommes charnels par ses paroles aussi bien que par ses exemples.

 

vv. 6-8.

La Glose. L’Évangéliste poursuit la seconde partie de la généalogie composée de quatorze générations, elle contient celle des rois et commence à David le premier roi de la tribu de Juda : « Le roi David engendra Salomon de celle qui fut la femme d’Urie. »

S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 4.) Comme la généalogie de saint Matthieu a pour objet de montrer que le Sauveur a pris sur lui nos péchés, elle nous présente la descendance de David par Salomon dont la mère fut complice du crime commis par David. Saint Luc au contraire remonte à David par Nathan, prophète dont Dieu se servit pour faire expier à ce prince son péché, parce que la généalogie donnée par saint Luc est la figure de la rémission de nos péchés. — S. Aug. (Rétract. liv. 2, chap. 16.) Il était nécessaire de dire comment s’appelait ce prophète, par lequel s’accomplit cette expiation pour ne pas le confondre avec un autre différent qui portait le même nom. — Remi. On peut se demander pourquoi l’Évangéliste ne désigne pas Bersabée par son nom propre comme les autres femmes. La raison en est que ces autres femmes quoique répréhensibles en un point, s’étaient cependant rendues recommandables par leurs vertus, tandis que Bersabée fut complice non seulement de l’adultère de David, mais encore de l’homicide de son mari, et c’est pourquoi son nom n’a pas été inséré dans la généalogie du Sauveur. — La Glose. Il est une autre raison pour laquelle le nom de Bersabée est remplacé par celui d’Urie, c’est afin que ce nom rappelle le plus grand des crimes commis par David. — S. Amb. (sur S. Luc. chap. 3.) Ce qui élève ce saint roi au-dessus des antres, c’est qu’il reconnut qu’il était homme et qu’il s’efforça d’effacer par les larmes de la pénitence le crime d’avoir enlevé la femme d’Urie ; nous apprenant ainsi à ne point mettre notre confiance dans nos propres forces. Nous avons, en effet, un ennemi dont nous ne pouvons triompher sans le secours de Dieu, et c’est souvent dans des personnages illustres que vous rencontrerez de plus grandes fautes, pour vous apprendre qu’ils ont pu succomber à la tentation comme des hommes ordinaires, et afin que leurs qualités brillantes ne les placent pas dans votre esprit au-dessus de l’humanité. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Salomon veut dire pacifique ; en effet, lorsqu’il monta sur le trône, toutes les nations voisines étaient pacifiées et tributaires de son royaume et son règne ne fut troublé par aucune guerre. Salomon engendra Roboam qui veut dire multitude du peuple, car c’est la multitude qui engendre les séditions, ajoutez que les désordres commis par un grand nombre, restent presque toujours impunis, le petit nombre au contraire est ami et protecteur de l’ordre.

 

vv. 8-11.

S. Jér. Nous lisons au quatrième livre des Rois (4 R 8, 24 ; 11, 2ss) que Joram engendra Ochosias, et qu’à la mort de ce dernier, Josabeth, fille du roi Joram et sœur d’Ochosias, enleva Joas fils de son frère, pour le soustraire au massacre commandé par Athalie. Joas eut pour successeur son fils Amasias ; après Amasias, régna son fils Azarias, qui fut appelé Ozias et auquel succéda son fils Joathan. Ce témoignage historique vous démontre l’existence de trois rois que l’Évangéliste n’a point insérés dans sa généalogie. Joram, en effet, n’a pas engendré Osais, mais Ochosias et les deux autres que nous venons de citer. La raison de cette omission est que l’Évangéliste s’était proposé trois séries de quatorze noms chacune, correspondant à trois différentes époques. Ajoutons que Joram s’était allié à la famille de l’impie Jézabel, et qu’en punition de cette alliance son souvenir est effacé jusqu’à la troisième génération, et son nom jugé indigne de figurer parmi ceux qui forment la généalogie du Sauveur.

S. Hil. Après avoir épuré la généalogie du Christ de tout contact avec la gentilité, l’Évangéliste reprend sa descendance royale dans la quatrième des générations qui suivent. — S. Chrys. (sur S. Matth.) L’Esprit saint avait prédit par le Prophète que Dieu détruirait tout enfant mâle de la race d’Achab et de Jézabel, et cette prédiction fut accomplie par Jéhu fils de Nanzi, à qui Dieu avait promis que ses enfants s’assiéraient sur le trône d’Israël jusqu’à la quatrième génération. La bénédiction que Dieu répandit sur Jéhu pour avoir tiré vengeance de la maison d’Achab, fut égale à la malédiction dont il frappa la maison de Joram à cause de son alliance avec la fille de l’impie Achab et de Jèzabel.

Jusqu’à la quatrième génération, ses enfants sont retranchés du catalogue des rois, et ainsi son péché descend sur ses enfants, selon qu’il avait été écrit (Ex 34, 7) : « Je punirai les péchés des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération. » voyez par là quels dangers entraînent les alliances avec les impies. — S. Aug. (quest. du Nouv. et de l’Anc. Test., chap. 85.) C’est avec justice que les noms d’Ochosias, de Joas et d’Amazias ne figurent pas dans cette généalogie avec les autres ; car leur impiété continua pendant toute leur vie sans interruption et sans intervalle. Salomon dut au mérite de son père et Roboam au mérite de son fils d’avoir été conservés parmi les rois dans la généalogie du Sauveur. Quant à ces trois rois impies, leurs noms en ont été retranchés, car l’exemple du vice entraîne la ruine de toute une race quand il est donné avec éclat et sans discontinuité.

« Ozias engendra Joatham ; Joatham engendra Achaz ; Achaz engendra Ezéchias. — La Glose. C’est à Ezéchias qui était sans enfant qu’il fut dit : « Mets ordre à ta maison, parce que tu mourras bientôt (Is 38) ». Il versa des larmes en entendant ces paroles, non pas qu’il désirait une vie plus longue, car il savait que Salomon avait été agréable à Dieu en ne demandant pas une longue suite d’années, mais il se voyait sans enfants, lui, descendant de David, d’où devait naître le Christ, et il craignait que les promesses de Dieu ne pussent s’accomplir.

« Ezéchias engendra Manassé, Manassé engendra Amon ; Amon engendra Josias ; Josias engendra Jéchonias et ses frères vers le temps où les Juifs furent transportés à Babylone. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le livre des Rois ne nous présente pas le même ordre dans les générations (4 R 23, 30.31). Nous lisons que Josias engendra Eliachim, plus tard appelé Joachim, et Joachim, Jéchonias. Mais Joachim a été rayé du nombre des rois, parce que ce n’était pas le choix du peuple de Dieu qui l’avait placé sur le trône, mais Pharaon qui l’avait imposé par force. Car si trois princes ont été justement effacés du catalogue des rois, uniquement à cause de leur alliance avec la famille d’Achab, pourquoi Joachim n’aurait-il pas été lui-même éliminé, lui que Pharaon en guerre avec le peuple de Dieu lui avait imposé par violence ? Voilà pourquoi Jéchonias fils de Joachim et petit-fils de Josias, a pris la place de son père dans la généalogie comme s’il était fils de Josias. — S. Jér. Ou bien il nous faut admettre que le premier Jéchonias est le même que Joachim, le second est le fils et non pas le père ; le nom du premier s’écrit par un k et un m, celui du second lias ch et n, ce qui s’est trouvé confondu dans le texte grec et dans le texte latin par la négligence des copistes et la longue suite du temps. — S. Amb. (sur S. Luc, chap. 3.) Nous lisons dans les livres des Rois qu’il y eut deux Joachim : « Joachim dormit avec ses pères, et son fils Joachin régna en sa place (4 R 24, 5-6). Or c’est ce fils que Jérémie appelle Jéchonias (Jér 22, 24 ; 1 Paral 3, 16-17). Saint Matthieu en inscrivant le nom de Jéchonias et non celui de Joachim, n’a pas voulu s’exprimer autrement que le Prophète, et par là il a fait ressortir davantage les effets de la bonté du Seigneur. Nous ne le voyons pas, en effet, rechercher la noblesse qui vient des ancêtres, mais il préfère pour aïeux des pécheurs réduits en esclavage, parce qu’il venait lui-même prêcher la délivrance à ceux que le péché retenait captifs. L’Évangéliste n’a donc pas voulu supprimer l’un des deux rois, mais il les a exprimés tous deux par le nom de Jéchonias qui leur était commun. — Remi. Mais comment l’Évangéliste peut-il dire que ces princes naquirent dans l’exil, tandis que leur naissance a précédé l’époque de la transmigration ? C’est qu’ils semblent n’avoir été mis au monde que pour être arrachés du trône et emmenés captifs en punition de leurs péchés et de ceux du peuple, et comme Dieu prévoyait leur captivité future, l’Évangéliste a pu dire qu’ils étaient nés dans la transmigration. Remarquons ici que tous ceux qu’il a fait entrer dans la généalogie du Sauveur ont été également remarquables par l’éclat de leurs vertus ou de leurs vices ; c’est ainsi que par leurs vertus Juda et ses frères se sont rendus dignes d’éloge, tandis que Phares et Zara, Jéchonias et ses frères ne se sont fait remarquer que par le dérèglement de leur vie.

La Glose. Dans un sens mystique, David est la figure du Christ qui a terrassé Goliath (c’est-à-dire le démon). Une, dont le nom signifie Dieu est ma lumière, est le symbole du démon, qui avait dit : « Je serai semblable au Très-Haut (Is 14, 14). » L’Église lui était unie lorsque le Christ la voyant des hauteurs de la majesté divine, il l’aima, la rendit belle et la prit pour épouse. Ou bien Urie représente le peuple juif qui se glorifiait de posséder la lumière dans la loi ; le Christ est venu lui enlever la loi, en lui montrant qu’il en était lui-même l’objet. Bersabée signifie le puits de satiété, c’est-à-dire l’abondance de la grâce spirituelle. — Remi. Bersabée peut s’interpréter aussi le septième puits ou le puits du serment, et elle représente la fontaine du baptême dans laquelle on reçoit l’Esprit saint avec ses sept dons, et on prononce des adjurations contre le démon. Le Christ est aussi Salomon le pacifique, selon ces paroles de l’Apôtre : « Il est lui-même notre paix. » (Ep 2) Il est Roboam ou l’étendue du peuple, d’après ses propres paroles : « Il en viendra un grand nombre d’Orient et d’Occident. » (Mt 8, 11) — Rab. Ou bien il est l’impétuosité du peuple, lui qui a si rapidement converti les peuples à la foi. — Remi. Il est Abias, c’est-à-dire le Seigneur Père, d’après ces paroles (Mt 23) : « Vous n’avez qu’un seul Père qui est dans les cieux. » Et ces autres : « Vous m’appelez Maître et Seigneur. » (Jn 13.) Il est Aza, c’est-à-dire celui qui ôte, au sens de ces paroles : « Voilà celui qui efface les péchés du monde. » (Jn 1) Il est aussi Josaphat, celui qui juge, car il dit lui-même : « Dieu a donné tout jugement au Fils. » (Jn 5) Il est Joram le sublime, selon ces autres paroles : « Personne ne monte au ciel que celui qui descend du ciel. » (Jn 3) Il est Ozias, le fort du Seigneur, d’après ces paroles du Psalmiste : « Le Seigneur est ma force et ma gloire. » (Psaume 117.) Il est Joatham, celui qui est consommé en perfection, lui dont l’Apôtre a écrit : « Le Christ est la fin de la loi. » (Rm 10) Il est Achaz, celui qui convertit, selon ces paroles : « Convertissez-vous à moi. » (Za 1) Rab. Ou bien il est celui qui comprend, car personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils (Mt 11, 27). — Remi. Il est Ezéchias, c’est-à-dire le Seigneur fort ou le Seigneur a fortifié, lui qui a dit : « Ayez confiance, j’ai vaincu le monde. » (Jn 16) Il est aussi Manassé, celui qui est porté à oublier ou qui a oublié, selon ce qui est écrit : « Je ne me rappellerai plus vos péchés. » (Is 43 ; Ez 28) Il est Amon, le fidèle, selon ces paroles du Psalmiste : « Le Seigneur est fidèle dans toutes ses paroles. » (Ps. 144.) Il est Josias, l’encens du seigneur, selon ces paroles : « Étant tombé en agonie, il redoublait ses prières. » (Luc, 22.) — Rab. Que l’encens soit le symbole de la prière, c’est le Psalmiste lui-même qui l’enseigne : « Que ma prière s’élève comme l’encens en votre présence. » (Ps 140.) Ou bien encore il est le salut du Seigneur, selon ces paroles d’Isaïe : « Le salut que je donnerai sera éternel. » (Is 51) — Remi. Il est Jéchonias, celui qui prépare ou la préparation du Seigneur, comme il le dit de lui-même : « Si je m’en vais et que je vous prépare une place. » (Jn 16)

La Glose. Au sens moral, David a pour fils Salomon, le pacifique, car on devient pacifique dans ses mœurs lorsqu’on a su éteindre ses inclinations vicieuses, et ou semble jouir déjà d’une paix éternelle un servant Dieu et en s’efforçant de convertir les autres à lui. Vient ensuite Roboam ou l’étendue du peuple, car celui qui a triomphé de tous ses défauts doit tourner ses efforts vers les autres et entraîner avec lui le peuple de Dieu vers les choses du ciel. Après lui, vient Abias, c’est-à-dire le Seigneur Père, car après tout ce que nous venons de dire, le Christ peut se glorifier d’être le Fils de Dieu. Alors il pourra devenir Asa, celui qui élève, et de vertu en vertu s’élever jusqu’à Dieu son Père. Alors encore il sera Josaphat, celui qui juge, car il jugera les autres sans être jugé par personne ; et c’est ainsi qu’il deviendra Joram, c’est-à-dire le sublime, qui semble habiter dans les cieux. Il devient de la sorte Osais ou le fort du Seigneur, qui attribue toute sa force à Dieu et persévère dans ses résolutions. Après Osais vient Joatham, le parfait, car il avance tous les jours en perfection, et c’est ainsi qu’il devient Achaz ou celui qui comprend, parce que la connaissance se développe par les œuvres, selon qu’il est écrit : « Ils ont annoncé les œuvres de Dieu, et ils ont compris ses actions. Vient ensuite Ezéchias, c’est-à-dire le Seigneur fort, car il comprend toute la force de Dieu et c’est pour que cela converti à son amour il devient Manassé, celui qui oublie, et qui perd le souvenir des choses de la terre. Il devient ainsi Amon, c’est-à-dire fidèle, car celui qui méprise les choses de la terre ne fait tort à personne dans ses biens, et il devient par là Josias, qui veut dire salut du Seigneur, car il attend avec confiance et sécurité le salut qui vient de Dieu.

 

vv. 12-15.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Après la transmigration, l’Évangéliste place Jéchonias parmi les personnes privées, comme n’étant lui-même qu’un simple particulier. — S. Aug. (sur S. Luc chap. 3.) C’est de lui que Jérémie a dit : « Écrivez la déchéance de cet homme, car il ne sortira personne de sa race pour s’asseoir sur le trône de David (Jr 22, 30). Mais comment le Prophète peut-il dire qu’aucun descendant de Jéchonias ne doit régner, car si le Christ a régné et qu’il descende d’ailleurs de Jéchonias, le Prophète s’est évidemment trompé. Nous répondons que le Prophète ne dit pas que Jéchonias n’aura pas de descendant, le Christ a donc pu naître de son sang, et on ne peut opposer à l’oracle du Prophète la royauté de Jésus-Christ, car cette royauté n’a pas été une royauté temporelle, comme Jésus-Christ l’atteste lui-même : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » (Jn 19)

La Glose. L’Évangéliste paraît ici en contradiction avec la généalogie qui se trouve au livre des Paralipomènes ; nous y voyons, en effet, que Jéchonias engendra Salathiel et Phadaia ; Phadaia, Zorobabel ; et Zorobabel, Mosolla, Ananie et Salomith leur sœur. Mais nous savons que le texte des Paralipomènes a été fréquemment altéré par la négligence des copistes, et qu’il est pour les généalogies le sujet de difficultés sans fin que l’Apôtre nous ordonne d’éviter. On pourrait peut-être dire que Salathiel et Phadala sont une même personne sous un double nom, ou que ce sont deux frères dont les fils ont porté le même nom, ou l’historien sacré n’aurait suivi que la ligne de Zorobabel, fils de Phadaia, laissant de côté celle de Zorobabel, fils de Salathiel. D’Abias jusqu’à Joseph, on ne trouve aucun document historique dans les Paralipomènes ; mais il existait chez les Juifs d’autres annales, appelées les paroles des jours, et dont Hérode, roi de race étrangère, fit brûler, à ce que l’on dit, une grande partie pour détruire les traces de la race royale. C’est dans ces annales que Joseph aurait peut-être trouvé les noms de ses ancêtres, si d’ailleurs il ne les avait pas conservés d’une autre manière, et c’est d’après ces renseignements que l’Évangéliste aurait dressé la suite de cette généalogie. Remarquons que des deux Jéchonias le premier signifie la résurrection du Seigneur, le second la préparation du Seigneur, et que l’une et l’autre signification conviennent au Seigneur Jésus-Christ, qui a dit : « Je suis la résurrection et la vie. » (Jn 11) Et encore : « Je vais vous préparer une place. » (Jn 14) Le nom de Salathiel, ou ma demande est Dieu, convient aussi au Christ qui a dit : « Père saint, conservez ceux que vous m’avez donnés. » (Jn 17) — Remi. Il est aussi Zorobabel, le maître de la confusion, lui à qui on a fait ce reproche : « Votre maître mange avec les publicains et avec les pécheurs. » (Mt 9) Il est encore Abiud, qui veut dire celui-ci est mon père, lui qui a dit : « Mon Père et moi nous ne sommes qu’un. » (Jn 10) Il est aussi Eliachim ou le Dieu qui ressuscite, selon ces paroles : « Je le ressusciterai au dernier jour. » Il est Azor ou celui qui est aidé, car il a dit : « Celui qui m’a envoyé est avec moi. » Il est Sadoc, le juste ou le justifié, selon ces paroles : « Le juste a été livré pour les injustes. » (1 P 3) Il est Achias ou celui-ci est mon frère, d’après ce qu’il a dit de lui-même : « Celui qui fait la volonté de mon père, celui-ci est mon frère. » (Mt 7) Il est Eliud ou celui-ci est mon Dieu, d’après ces paroles : « Mon Dieu est mon Seigneur. » (Ps. 34) — La Glose. Il est Eléazar ou mon Dieu est mon aide, d’après ces autres paroles du Psalmiste : « Mon Dieu est mon soutien. » (Ps 17) Il est Mathan, celui qui donne ou celui qui est donné, car il est écrit : « Il a répandu ses dons sur les hommes ; » (Ep. 4) et encore : « C’est ainsi que Dieu a aimé le monde, qu’il lui a donné son Fils unique. » (Jn 3) — Remi. Il est Jacob, celui qui supplante, car non seulement il a supplanté le démon, mais encore il a donné à ses enfants tout pouvoir sur lui par ces paroles : « Voici que je vous ai donné la puissance de marcher sur les serpents. » (Lc 10) Enfin il est Joseph, celui qui ajoute, selon ce qu’il a dit lui-même : « Je suis venu pour qu’ils aient la vie, et qu’ils l’aient en plus grande abondance. » (Jn 10)

Rab. Mais voyons ce que signifient au sens moral les noms des ancêtres du Seigneur. Après Jéchonias, qui veut dire préparation du seigneur, vient Salathiel, ou Dieu est ma demande, car celui qui est déjà préparé par l’Esprit saint ne demande rien que le Seigneur. Il devient encore Zorobabel ou le maître de Babylone, c’est-à-dire des frontières des hommes auquel il fait connaître que Dieu est Père. Alors ce peuple sort du tombeau de ses vices ; ce que veut dire le mot Eliachim ou résurrection, et il ressuscite pour se livrer aux bonnes œuvres intérieures, ce que signifie Azor. Il devient Sadoc ou juste, et alors la charité fraternelle lui fait tenir ce langage : Il est mon frère, selon la signification du mot Achim, et l’amour de Dieu lui inspire ces paroles « Mon Dieu, » ou Eliud. Il devient ensuite Eléazar, ou Dieu est mon aide, parce qu’il reconnaît que Dieu est son secours. Le mot Mathan, qui signifie celui qui donne ou qui est donné, indique le but qu’il se propose, c’est-à-dire qu’il attend les dons de Dieu et qu’il combat contre les vices à la fin de sa vie comme il l’a fait au commencement, ce que signifie le nom de Jacob, et on arrive ainsi à Joseph, c’est-à-dire à l’accroissement des vertus.

 

v. 16

Après la généalogie des ancêtres de Jésus-Christ, l’Évangéliste donne en dernier lieu celle de Joseph, époux de Marie, à laquelle toutes les autres se rapportaient : « Et Jacob engendra Joseph. » S. Jér. Julien Auguste voit ici une preuve de contradiction entre les Évangélistes ; pourquoi, dit-il, Matthieu écrit-il que Joseph est le fils Jacob, tandis que Luc le donne comme le fils d’Héli ? Julien paraît ne pas comprendre le langage de l’Écriture, qui appelle également du nom de père et celui qui l’est par nature et celui qui l’est en vertu de la loi. C’est ce que nous apprend la loi de Moïse, expression de la volonté divine, en ordonnant, lorsqu’un homme meurt sans enfant, que son frère ou un de ses proches parents prenne pour épouse la femme du défunt pour donner des enfants à ce dernier (Deut.) Africanus le chronologiste et Eusèbe de Césarée (dans son traité intitulé διαφωνιας Ευανγελιων ou de la divergence des Évangélistes) ont parfaitement discuté et résolu cette question.

Eusèbe. (Hist. eccl., liv. 1, chap. 7.) Mathan et Melchi eurent, chacun à des époques différentes, des enfants de la même femme appelée Jesca. Mathan qui descendait de Salomon l’avait eue le premier pour épouse, et il était mort en lui laissant un fils unique appelé Jacob. Après sa mort, la loi ne défendant pas à sa veuve de prendre un autre époux, Melchi, qui était parent de Mathan, de la même tribu, mais non de la même famille, épousa la femme de Mathan et en eut un fils nommé Héli. C’est ainsi que Jacob et Héli, frères utérins, naquirent de deux pères différents. Jacob, de son côté, en vertu de la prescription expresse de la loi, épousa la femme de son frère Héli, mort sans enfants, et en eut un fils, Joseph ; c’est pour cela que nous lisons : « Jacob engendra Joseph. » Joseph fut donc le fils naturel de Jacob, tandis qu’il était considéré comme le fils légal d’Héli, dont Jacob n’avait épousé la veuve que pour donner des enfants à son frère. C’est ainsi que se trouvent justifiées la vérité et l’intégrité des généalogies de saint Matthieu et de saint Luc. Ce dernier a suffisamment distingué la succession légale qui était une espèce d’adoption à l’égard du défunt, en évitant, dans l’exposé de ces successions, de parler de génération proprement dite. — S. Aug. (De l’Acc. des Evang., 2, 3.) L’expression de fils à l’égard de celui qui ne l’était que par adoption, était plus convenable et plus juste que celle d’engendré, puisqu’il n’était pas né de son sang. Saint Matthieu, au contraire, en commençant sa généalogie par ces mots : « Abraham engendra Isaac, » et en s’exprimant toujours de même jusqu’à la fin, où il dit : « Jacob engendra Joseph, » marque assez par là que ce père l’a engendré selon l’ordre naturel, et que Joseph est, non pas son fils adoptif, mais son véritable fils. Et toutefois, quand même saint Luc aurait employé la même expression à l’égard de Joseph adopté par Héli, nous ne devrions pas en être embarrassé, car on peut sans absurdité dire d’un homme qu’il a engendré, par l’affection et non dans la réalité, l’enfant qu’il a cru devoir adopter.

Eusébe. (Hist. ecclés.) Ce ne sont pas là des documents arbitraires, trouvés par hasard et dépourvus de toute authenticité, car ce sont les parents du Sauveur qui nous les ont transmis, soit par le désir de faire connaître une naissance si auguste, soit pour rétablir la vérité des faits.

S. Aug. (De l’Accord des Evang., 2, 4.) C’est avec raison que saint Luc, qui place la généalogie du Christ, non pas en tête de son Évangile, mais au baptême du Christ, en le présentant surtout comme le prêtre chargé de l’expiation de nos péchés, a choisi de préférence l’origine d’adoption, car c’est par l’adoption et en croyant au Fils de Dieu que nous devenons nous-mêmes les enfants de Dieu. Dans la génération charnelle, au contraire, que raconte saint Matthieu, le Fils de Dieu se montre surtout à nous comme s’étant fait homme pour nous. D’ailleurs, saint Luc nous apprend assez qu’eut appelant Joseph fils d’Héli, il veut parler de son adoption, puisqu’il donne le nom de fils de Dieu à Adam, que Dieu avait établi comme un fils dans le paradis terrestre en vertu d’une grâce qu’il perdit plus tard.

S. Chrys. (Hom. 4 sur S. Matthieu.) Après avoir énuméré tous les ancêtres de Jésus-Christ, il finit par Joseph, et il ajoute : « L’époux de Marie, » pour montrer que c’est à cause de Marie qu’il l’a placé dans la généalogie. — S. Jér. Que ce nom « l’époux de Marie » ne vous rappelle aucune idée de mariage, car les saintes Écritures donnent ordinairement le nom d’époux ou d’épouse aux simples fiancés.

Gennad. (Des Dogm. de l’égl., chap. 2.) Le Fils de Dieu est né de l’homme (c’est-à-dire de Marie), et non par le moyen de l’homme, c’est-à-dire des relations de l’homme avec la femme, comme le prétend Ebion, et c’est avec un dessein marqué que l’Évangéliste ajoute : « Marie, de laquelle est né Jésus. » — S. Aug. (Des Hérés., chap. 2.) Ces paroles condamnent l’opinion de Valentin, qui soutenait que le Christ n’avait rien reçu de Marie, mais qu’il n’avait fait que passer par elle comme par un ruisseau ou par un canal.

S. Aug. (Des Hérés., chap. 2.) Que le Christ ait voulu prendre dans le sein d’une femme un corps semblable au nôtre, c’est chez lui l’effet d’une haute sagesse, soit qu’il ait voulu ainsi honorer les deux sexes en prenant la forme d’un homme et en recevant l’existence par le moyen d’une femme, soit pour tout autre motif qu’il ne nous appartient pas d’examiner. — S. Aug. (Des Quest. du Nouv. et de l’Anc. Test.) Ce que Dieu donnait par l’onction à ceux qui étaient sacrés rois, l’Esprit saint le confère à l’humanité du Christ, en la sanctifiant. C’est pour cela qu’à sa naissance il reçut le nom de Christ, ainsi que l’ajoute l’Évangéliste : « Qui est appelé le Christ. »

S. Aug. (De l’Acc. des Evang.) Cependant il n’est pas permis de conclure qu’il n’y avait pas de mariage entre Marie et Joseph de ce que le Christ n’était pas né de leur union, mais qu’il avait été enfanté par une vierge. C’est un magnifique exemple donné aux fidèles engagés dans les liens du mariage, et qui leur apprend que tout en gardant la continence d’un mutuel accord, le mariage ne laisse pas d’exister, par la seule union des âmes, sans l’union des corps, alors surtout qu’on voit naître ici un fils sans qu’il y ait en d’union charnelle.

S. Aug. (Du Mariage et de la concupis., 1, 2.) Tous les biens du mariage se trouvent réunis dans cette union de Joseph et de Marie : la fidélité, les enfants, le pacte mutuel. Jésus-Christ est leur enfant béni. La fidélité du mariage a été gardée, puisqu’il n’y a pas en d’adultère, il y a eu pacte sacré puisqu’il n’y a pas eu de divorce.

S. Jér. Un lecteur attentif fera peut-être cette question : Puisque Joseph n’est pas le père du Dieu sauveur, quel rapport peut avoir avec Jésus cette généalogie qui descend jusqu’à Joseph ? Nous répondrons d’abord que ce n’est pas l’usage des écrivains sacrés de donner dans les généalogies la descendance des femmes ; en second lieu que Joseph et Marie étaient de la même tribu et que Joseph était obligé de la prendre pour épouse à cause de la parenté qui existait entre eux, ce que prouve leur inscription simultanée à Bethléem comme étant de la même famille.

S. Aug. (Du Mariage et de la concupisc.) Un autre motif pour lequel la généalogie devait descendre jusqu’à Joseph, c’était de conserver dans cette union la prééminence à son sexe, alors surtout que la vérité des faits n’avait pas à en souffrir, puisque Joseph et Marie étaient tous deux de la race de David. — S. Aug. (Contre Faust., lib. 23, chap. 9.) Nous croyons donc que Marie était de la race de David, sur la foi des Écritures qui nous apprennent ces deux choses que le Christ était de la race de David selon la chair, et que Marie était sa mère non en vertu de son mariage, mais en demeurant vierge.

Du Concile d’Ephèse. Il faut se garder de l’erreur de Nestorius, dont voici le raisonnement : Toutes les fois que l’Écriture parle ou de la naissance temporelle de Jésus-Christ, ou de sa mort, elle ne lui donne jamais le nom de Dieu, mais celui de Christ ou celui de Fils, ou celui de Seigneur, car ces trois noms désignent les deux natures, tantôt la nature divine, tantôt la nature humaine, tantôt l’une et l’autre réunies. En voici un exemple : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qu’on appelle Christ. » Or le Verbe, qui est Dieu, n’a pu avoir besoin de naître une seconde fois d’une femme. — S. Aug. (Contre Félicien, chap. 11, 12.) Le Fils de Dieu n’est autre que le Fils de l’homme, mais c’est le même Christ qui est à la fois le Fils de l’homme et le Fils de Dieu. De même que dans un seul et même homme l’esprit et le corps sont deux choses différentes, ainsi dans le médiateur de Dieu et des hommes, le Fils de Dieu et le Fils de l’homme sont deux choses distinctes, mais qui concourent à former un seul et même Seigneur Christ ; car s’il y a ici deux choses distinctes parce qu’il y a deux substances, il n’y a cependant qu’une seule et même personne. Les hérétiques nous font cette objection : Je ne sais pas comment vous enseignez que celui qui, selon vous, est coéternel au Père, ait put naître clans le temps, car naître c’est comme le mouvement que fait avant sa naissance un être qui n’existe pas, et dont le but est de se procurer l’existence par le moyeu de cette naissance. Donc il faut conclure que celui qui existait n’a pu naître, ou que s’il a pu prendre naissance, c’est qu’il n’existait pas. Voici comment saint Augustin répond à cette difficulté : Supposons, comme plusieurs auteurs le prétendent, qu’il y ait dans le monde une âme universelle qui vivifie les germes de tous les êtres par une opération ineffable, en restant toujours distincte de ce qu’elle anime et vivifie. Lorsqu’elle pénétrera dans le sein de la mère pour y donner la forme à la matière passive qu’elle y trouve, elle fera de cette matière, d’une nature toute différente de la sienne, une seule personne avec elle. C’est ainsi que l’opération de l’âme et la passibilité de la matière concourent à former un seul homme de deux substances distinctes, l’âme étant tout à fait différente du corps, et nous disons que l’âme prend naissance dans le sein de la mère, tout en reconnaissant d’ailleurs que c’est en venant elle-même dans le sein maternel qu’elle y donne bu vie au germe qui est conçu.

Nous disons qu’elle est née du sein de la mère, parce qu’elle s’y est unie à un corps dans lequel elle put naître, sans qu’on puisse en conclure qu’elle n’existait pas avant sa naissance. C’est ainsi, ou plutôt c’est d’une manière bien plus incompréhensible et plus élevée, que le Fils de Dieu a pris naissance dans le sein de sa mère en s’y revêtant de la nature humaine tout entière, lui qui, par su toute-puissance unique, donne l’être à tout ce qui est engendré dans l’univers.

 

v. 17.

S. Chrys. (Sur S. Matth.) L’Évangéliste, voulant établir les diverses générations qui séparent Abraham du Christ, les divise en trois séries de quatorze générations chacune, parce que la fin de chaque série correspond à un changement dans l’état et le gouvernement des Juifs. En effet, depuis Abraham jusqu’à David, ils furent gouvernés par des juges ; depuis David jusqu’à la transmigration de Babylone, par des rois ; depuis la transmigration de Babylone jusqu’au Christ, par des pontifes. Ce que l’écrivain sacré veut démontrer, c’est que de même qu’après les deux premières séries de quatorze générations, l’état des Juifs fut changé, ainsi, après les quatorze générations que l’on compte depuis la transmigration de Babylone jusqu’au Christ, le divin Sauveur devait nécessairement changer l’état de l’humanité. C’est ce qui arriva, car, à dater de la venue du Christ, toutes les nations lui obéirent comme à leur juge, leur roi et leur pontife. Or, comme les juges, les rois et les pontifes figuraient la dignité du Christ, le premier d’entre eux fut toujours un homme qui en était le symbole évident, comme le premier des juges, Jésus, fils de Nave (Si 46, 1) ; le premier des rois, David ; le premier des pontifes, Jésus, fils de Josedech, personnages que chacun sait avoir été la figure du Christ. — S. Chrys. (Hom. 4 sur S. Matth.) Ou bien peut-être l’Évangéliste a partagé toutes les générations en trois séries pour nous montrer que le changement de gouvernement ne rendit pas les Juifs meilleurs, mais qu’ils ont persévéré dans leurs crimes sous les juges, sous les rois, sous les pontifes et les prêtres. Il fait aussi mention de la captivité de Babylone, pour nous apprendre qu’elle n’a point servi à les ramener au bien. Si leur séjour en Égypte est passé sous silence, c’est que la tyrannie des Égyptiens n’avait pas inspiré aux Israélites le même effroi que la domination des Partîtes et des Assyriens, que d’ailleurs elle était moins récente, et qu’enfin elle n’avait pas été, comme la captivité de Babylone, le châtiment de leurs péchés.

S. Amb. (sur S. Luc.) Nous ne devons pas omettre de faire remarquer que de David à Jéchonias, saint Matthieu ne compte que quatre générations, alors qu’il y eut certainement dix-sept rois de Juda. Pour faire disparaître cette contradiction apparente il suffit de se rappeler que les successions peuvent être plus nombreuses que les générations ; quelques-uns, en effet, peuvent vivre longtemps et avoir très tard des enfants, ou même mourir sans en laisser. La durée des règnes n’est donc pas toujours la durée des générations. — La Glose. Ou peut dire aussi que les noms de trois d’entre les rois ont été omis pour les raisons indiquées plus haut.

S. Amb. (sur S. Luc.) Remarquons encore que l’Évangéliste donne quatorze générations à la troisième série, bien qu’on n’en compte que douze dans l’énumération qu’il en fait, depuis Jéchonias jusqu’à Joseph. Mais en examinant attentivement, vous trouverez aussi dans celle énumération l’équivalent de quatorze générations. On en compte, en effet, douze jusqu’à Joseph, or le Christ forme la treizième, et l’histoire (4 R, voyez ci-dessus) nous apprend qu’il y a eu deux Joachim, c’est-à-dire deux Jéchonias, le père et le fils. L’Évangile n’a donc pas supprimé l’un des deux, il les a exprimés tous les deux, et c’est en ajoutant ce second Jéchonias qu’on trouve quatorze générations. S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien il est possible que le même Jéchonias soit compté deux fois, une première fois avant la transmigration de Babylone, et une seconde fois après, car ce Jéchonias quoique étant un seul et même homme, a passé par deux conditions différentes : il a été roi avant la transmigration, et roi par le choix du peuple de Dieu, et après la transmigration il a été réduit à la condition privée. Voilà pourquoi il est placé parmi les rois avant la captivité, et depuis, parmi les simples particuliers. S. Aug. (de l’Acc. des Evang. 2, 4.) Peut-être encore qu’un des aïeux du Christ, Jéchonias a été compté deux fois, parce qu’il a été l’auteur d’un certain écart vers les nations étrangères, lors de la transmigration de Babylone. Or ce qui s’écarte de la ligne droite pour aller dans une direction opposée fait comme un angle, et ce qui est formé par cet angle compte pour une seconde ligne différente de la première. Et c’est là une figure du Christ, qui devait aller de la circoncision à la gentilité et devenir ainsi la pierre angulaire.

Remi. L’Évangéliste compte quatorze générations, parce que le nombre dix signifie le Décalogue, et le nombre quatre les quatre Evangélistes, et ainsi se trouve figuré le parfait accord de la loi avec l’Evangile. Le nombre quatorze se trouve multiplié trois fois, pour montrer que la loi, les prophètes et la grâce acquièrent leur perfection dans la foi en la sainte Trinité.

La Glose. Ou bien la grâce du Saint-Esprit aux sept dons est figurée dans ce nombre quatorze, qui est composé du nombre sept répété deux fois. En doublant ce nombre, l’écrivain sacré a voulu signifier que la grâce est nécessaire tout à la fois pour le salut de l’âme et pour salut du corps. Cette généalogie est donc partagée en trois séries de quatorze générations chacune ; la première série va d’Abraham jusqu’à David inclusivement. la seconde de David exclusivement jusque y compris la transmigration de Babylone ; la troisième depuis la captivité de Babylone jusqu’au Christ, et si nous admettons que Jéchonias y est compté deux fois, la captivité y sera comprise. Or la première série représente les hommes avant la loi, et nous y trouvons de fidèles observateurs de la loi naturelle, c’est-à-dire Abraham, Isaac et Jacob, tous jusqu’à Salomon. La seconde, figure les hommes qui ont vécu sons la loi, car tous ceux qui s’y trouvent compris ont été soumis à la loi. La troisième, représente les hommes de la grâce et se termine au Christ qui a été l’auteur de la grâce. Nous y voyons la délivrance de la captivité de Babylone comme figure de l’affranchissement de l’esclavage du démon, dont Jésus-Christ nous a délivrés.

S. Aug. (de l’Acc. des Evang., 2, 4.) Après avoir divisé les générations en trois séries de quatorze chacune, l’Évangéliste ne les additionne pas en disant : toutes font un total de quarante-deux, car un des ancêtres de Jésus-Christ, Jéchonias, y est compté deux fois. C’est pourquoi nous trouvons non pas quarante-deux générations, total de trois fois quatorze, mais quarante et une générations. Saint Matthieu, qui voulait nous présenter Jésus-Christ comme roi, compte jusqu’à lui, sans le comprendre, quarante générations. Ce nombre est le symbole du temps pendant lequel le Christ doit nous soumettre à une discipline sévère, que figurait ce sceptre de fer dont le Roi-prophète dit : « Vous les gouvernerez avec une verge de fer. » Or, une preuve facile à comprendre que ce nombre quarante signifie la vie de la terre et du temps, c’est que les années s’écoulent par une succession de quatre parties différentes et que le monde lui-même est comme limité par les quatre parties connues sous le nom d’Orient, d’Occident, de Nord et de Midi. Le nombre quarante est formé par le nombre dix répété quatre fois, et le nombre dix lui-même est formé de nombres qui vont en augmentant de un à quatre.

La Glose. (ou S. Anselme.) Le nombre dix peut figurer le Décalogue, le nombre quatre la vie présente qui se partage en quatre époques différentes ; ou bien le nombre dix représente l’Ancien Testament et le nombre quatre le Nouveau. — Remi. Si l’on demande ce que signifie le nombre quarante-deux, (puisqu’il faut compter deux Jéchonias), nous répondrons que ce nombre représente la sainte Église. Car ce nombre quarante-deux est formé du nombre sept et du nombre six, puisque six fois sept font quarante-deux. Or le nombre six est le symbole du travail et le nombre sept la figure du repos.

 

v. 18.

S. Chrys. (sur S. Matth.) L’Évangéliste avait dit précédemment : « Jacob engendra Joseph, » dont l’épouse Marie mit au monde Jésus. Mais dans la crainte qu’on ne vînt à penser que la génération du Sauveur était semblable à celle de ses aïeux, il change la forme qu’il a suivie jusqu’à présent pour s’exprimer de la sorte : « Or la naissance de Jésus-Christ arriva ainsi, » expressions qui reviennent à celles-ci : La génération des aïeux du Christ a eu lieu comme je l’ai dit, mais celle du Christ lui-même a été toute différente, et voici comment elle est arrivée : « Marie sa mère étant fiancée, » etc. — S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) Il annonce qu’il va décrire le mode de cette génération comme étant d’un ordre nouveau, dans la crainte que le nom d’époux de Marie donné à Joseph ne vous fasse croire que Jésus est né selon les lois ordinaires de la nature. — Remi. On peut encore rapporter ces paroles à ce qui précède, en ce sens : « La génération du Christ a eu lieu comme je l’ai dit, c’est-à-dire : Abraham engendra Isaac, etc. »

S. Jér. Mais pourquoi Jésus est-il conçu d’une vierge fiancée, et non pas d’une vierge dans l’état ordinaire ? C’était d’abord pour que l’origine de Marie fût prouvée par la génération de Joseph ; en second lieu, pour ne pas l’exposer à être lapidée par les Juifs comme adultère ; troisièmement, afin qu’elle eût un soutien et un consolateur pendant la fuite en Égypte. Saint Ignace martyr donne une quatrième raison : ce fut, dit-il, afin que la naissance du Christ demeurât voilée pour le démon, qui le croyait ainsi né d’une femme mariée, et non pas d’une vierge. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Elle était mariée et habitait avec son mari, car de même que celui qui conçoit un enfant dans la maison de son mari est supposée l’avoir eu de lui, ainsi celle qui conçoit hors de la maison conjugale tombe sous le soupçon d’un commerce illégitime.

S. Jér. Un certain Helvidius, homme inquiet et turbulent, ayant cherché matière à dispute, s’est mis à blasphémer contre la mère de Dieu, et a formulé ainsi sa première objection : « Vous le voyez, dit-il, elle était fiancée et non pas confiée comme un dépôt, ainsi que vous le dites, et elle n’était fiancée que pour se marier quelque temps après. »

Orig. Oui elle fut en effet fiancée à Joseph, mais jamais elle ne lui fut unie par les liens de la concupiscence charnelle. Sa mère fut une mère immaculée, une mère sans souillure, une mère chaste. Nous disons sa mère, la mère de qui ? la mère du Seigneur, du Fils unique de Dieu, du Roi, du Sauveur, du Rédempteur de tous les hommes. — S. Cyril. (aux moines d’Égypte.) Que peut-on voir dans la sainte Vierge de supérieur aux autres femmes ? Si elle n’est pas la mère de Dieu, comme le soutient Nestorius, mais seulement la mère du Christ ou du Seigneur, qu’y aurait-il d’absurde à donner le nom de mère du Christ à toutes les mères de ceux qui ont reçu l’onction sainte du baptême. Cependant la sainte Vierge seule entre toutes les femmes est reconnue et proclamée à la fois vierge et mère du Christ, parce qu’elle n’a pas enfanté un homme ordinaire, mais le Verbe engendré de Dieu le Père, qui s’est incarné et s’est fait homme. Peut-être m’objectera-t-on : Dites-moi, pensez-vous que la Vierge soit devenue la mère de la divinité : Voici notre réponse : Le Verbe est né de la substance de Dieu, il a toujours existé égal à son Père sans jamais avoir eu de commencement. Il s’est fait chair dans ces derniers temps, c’est-à-dire qu’il s’est uni un corps vivifié par une âme raisonnable, et c’est pour cela que nous disons qu’il est né aussi de la femme selon la chair. Notre naissance présente quelqu’analogie avec ce mystère. Nos mères fournissent à la nature, un peu de chair coagulée qui doit recevoir la forme humaine, et c’est Dieu qui envoie une âme dans cette matière. Cependant, bien que nos mères ne soient que les mères de nos corps, elles sont regardées comme ayant enfanté l’homme tout entier, et non pas seulement la chair. Quelque chose de semblable s’est passé dans la naissance de l’Emmanuel. Le Verbe de Dieu est né de la substance du Père ; cependant comme il a pris une chair humaine et se l’est rendue propre, il faut reconnaître qu’il est véritablement né d’une femme selon la chair, et comme il est réellement Dieu, comment hésiter à proclamer la sainte Vierge mère de Dieu ? — S. Léon pape. (Serm. sur la Nativ.) Que les mots de conception, d’enfantement ne vous effrayent ni ne vous troublent, car ici la virginité calme toutes les craintes de la pudeur. Et en quoi la pudeur recevrait-elle quelqu’atteinte dans l’union de la divinité avec la pureté qui lui est toujours si chère, dans cette union annoncée par un ange, contractée sons les auspices de la foi et consommée dans la chasteté, dans cette union qui a la vertu pour dot, la conscience pour arbitre, Dieu pour objet, et où nous voyons une conception sans souillure, un enfantement immaculé, une mère vierge ? — S. Cyril. (à Jean d’Antioche.) Si au contraire, comme le prétend Valentin le corps sacré de Jésus avait été formé d’une matière céleste, et non de la chair virginale de Marie, comment pourrait-elle être considérée comme la mère de Dieu ? L’Évangéliste nous fait connaître le nom de sa Mère lorsqu’il ajoute : « Marie. » — Bède. Le nom de Marie en hébreu signifie étoile de la mer, et en syriaque maîtresse, parce qu’elle a enfanté et la lumière du salut, et le Seigneur du monde.

Il nous apprend ensuite quel était son époux en ajoutant le nom de Joseph. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Marie avait pour époux un ouvrier qui travaillait le bois en figure de ce que Jésus-Christ devait opérer le salut du monde sur le bois de la croix.

S. Chrys. (Hom. 4 sur S. Matth.) Ces paroles : « Avant qu’ils fussent ensemble, » ne veulent pas dire : Avant que Marie fût conduite dans la maison de son époux, car elle y était déjà, selon la coutume assez suivie des anciens d’avoir les fiancées dans leurs maisons, ce qui se voit encore aujourd’hui ; c’est ainsi que les gendres de Loth habitaient la même maison que lui avant d’avoir épousé ses filles. — La Glose. Ces paroles : Avant qu’ils fussent ensemble, doivent être entendues dans le sens de l’union charnelle. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cela s’est fait pour que le Christ ne dût pas sa naissance aux inclinations de la chair et du sang, lui qui venait détruire l’empire de la chair et du sang. — S. Aug. (Du mariage et de la concupisc. liv. 1, chap. 12.) Il n’y eut point ici de relation conjugale, parce qu’elle ne pouvait avoir lieu dans une chair de péché sans être accompagnée de la concupiscence de la chair qui vient du péché. Celui qui devait être sans péché voulut être conçu en dehors de la concupiscence, pour nous apprendre que toute chair qui naît de l’union de l’homme et de la femme est une chair de péché, puisque la seule chair exempte de cette origine est la seule qui n’eût pas été une chair de péché. — S. Aug. (serm. sur la Nativ.) Le Christ a voulu naître d’une femme qui eût conservé sa virginité, parce qu’il était contraire à toute idée de justice que la volupté donnât le jour à la vertu, la luxure à la chasteté, la corruption à la sainteté, et aussi parce que celui qui venait renverser l’antique empire de la mort ne pouvait descendre du ciel que d’après les lois d’un ordre nouveau. La Mère du Roi de la chasteté devait donc être la reine de la virginité. Le Seigneur voulut encore se choisir une habitation virginale pour nous apprendre à porter Dieu dans un cœur chaste. Celui donc qui écrivit sur les tables de fer sans se servir d’un poinçon de fer, féconda lui-même le sein de Marie par l’opération du Saint-Esprit, suivant ces paroles de l’écrivain sacré : « Il se trouva qu’elle avait conçu. »

S. Jér. Ce secret ne fut pas découvert par un autre que Joseph, qui en vertu des droits que lui conférait son titre d’époux, connaissait tout ce qui avait rapport à sa future épouse. — S. Chrys. (sur S. Matth.) D’après un témoignage historique assez vraisemblable, Joseph était absent lorsqu’eurent lieu les faits racontés par saint Luc, car on ne peut guère croire que l’ange, s’il eût apparu à Marie en présence de Joseph, lui eût tenu le langage qu’il lui adressa et que Marie lui eût répondu tout ce que nous lisons dans l’Évangile. Si nous supposons que l’ange ait pu parvenir jusqu’à Marie et lui parler, du moins n’est-il pas possible d’admettre que, Joseph étant présent, Marie eût entrepris un voyage dans les montagnes et qu’elle soit demeurée trois mois avec Élisabeth, car Joseph se serait nécessairement informé des raisons d’une absence et d’un séjour si prolongé. Ce fut lorsqu’elle revint de ce voyage qui dura plusieurs mois, qu’il la trouva dans un état de grossesse évidente. — S. Chrys. (homél. 4 sur S. Matth.) Ces paroles : « elle fut trouvée, » sont justement choisies parce qu’elles expriment ordinairement une chose à laquelle on était loin de s’attendre. Du reste ne fatiguez pas l’Évangéliste de vos questions, en lui demandant comment une vierge a pu devenir mère, il se débarrasse de toutes ces questions par cette simple réponse : « Il se trouva qu’elle avait conçu du Saint-Esprit. » Comme s’il disait : c’est l’Esprit saint qui a fait ce miracle, ni l’archange Gabriel ni saint Matthieu n’ont pu en dire davantage.

La Glose. (ou S. Anselme). L’Évangéliste ajoute : « Par l’opération du Saint-Esprit, » afin que ces paroles : « Il se trouva qu’elle avait conçu, » ne pussent laisser aucun soupçon fâcheux dans l’esprit de ceux qui les entendaient. — S. Jér. (Explic. de la foi cath.) Nous ne partageons pas l’opinion impie de quelques-uns qui prétendent que l’Esprit saint a remplacé ici ce qui, d’après les lois ordinaires, aurait fécondé le sein de Marie, mais nous disons que tout s’est fait par la puissance et la vertu du Créateur. — S. Amb. (de l’Esprit saint, liv. 2, chap. 5.) Celui qui tire son origine d’un principe quelconque, vient ou de sa substance ou de sa puissance : de sa substance comme le Fils qui est engendré du Père ; de sa puissance, comme toutes les choses créées viennent de Dieu, et c’est de cette manière que Marie a conçu du Saint-Esprit. — S. Aug. (à Laurentius.) La manière miraculeuse dont le Christ est né de l’Esprit saint, nous rappelle cette grâce divine en vertu de laquelle la nature humaine dépourvue de tous mérites au premier moment de son existence a été unie au Verbe d’une union si étroite qu’elle ne fait plus qu’une même personne qui est le Fils de Dieu. Mais, puisque l’œuvre de la conception et de l’enfantement de Marie, bien que n’ayant pour objet que la personne du Fils, est l’œuvre de la Trinité tout entière (les œuvres de la Trinité sont indivisibles) pourquoi l’Esprit saint est-il nommé comme en étant le seul auteur ? Faut-il entendre que toute la Trinité est censée agir alors que l’action n’est attribuée qu’à une seule des trois personnes ? — S. Jér. (contre Helvidius.) Helvidius objecte que l’Évangéliste voulant parler de personnes qui ne devraient pas s’unir ne se serait pas exprimé de la sorte : « Avant qu’ils fussent ensemble, » de même qu’on ne pourrait dire : Avant de dîner dans le port j’ai fait voile vers l’Afrique, si l’on ne devait pas dîner une fois qu’on serait arrivé au port. Mais ne peut-on pas dire plutôt que bien que le mot avant indique souvent ce qui doit suivre, cependant il n’exprime quelquefois que ce qui était d’abord l’objet de la pensée, sans qu’il soit nécessaire que ce objet se réalise, alors surtout qu’il se présente quelqu’obstacle qui en empêche l’exécution. — S. Jér. On ne peut donc pas conclure qu’ils se soient unis plus tard, car l’Écriture sainte se contente de dire ce qui n’est pas arrivé. — Remi. On peut dire encore que ce mot : « être ensemble, » exprime non pas l’union conjugale, mais l’époque de la célébration des noces, c’est-à-dire le moment ou la fiancée devient épouse, et alors le sens serait : « Avant qu’ils fussent ensemble ; » c’est-à-dire avant la célébration solennelle du mariage.

S. Aug. (de l’acc. des Ev. 2, 5.) Ce que saint Mathieu a passé sous silence, c’est-à-dire la manière dont s’est accompli ce mystère, saint Luc nous le raconte après le récit de la conception de saint Jean-Baptiste : « Au sixième mois, dit-il, l’ange fut envoyé, » et plus bas : « l’Esprit saint surviendra en vous. » C’est ce que saint Matthieu rappelle en ces termes : « Il se trouva qu’elle avait conçu du Saint-Esprit. » Il n’y a ici aucune contradiction entre ces deux Évangélistes, parce que saint Luc raconte ce que saint Matthieu a passé sous silence, et il n’y en a pas davantage lorsque saint Matthieu enchaîne dans son récit ce qui a été omis par saint Luc. On lit en effet plus bas dans saint Mathieu : « Joseph, son mari, étant juste, » etc. et tout ce qui suit jusqu’à l’endroit où nous voyons les Mages retourner dans leur pays par un autre chemin. Or si quelqu’un voulait composer d’après l’ordre chronologique un seul et unique récit de toutes les circonstances de la naissance du Christ qui sont racontées par l’un et omises par l’autre, il devrait commencer à ces mots : « Or voici quelle fut la génération du Christ. Il y eut aux jours d’Hérode, » etc. jusqu’à ces autres : « Marie resta avec elle environ trois mois ; et elle revint dans sa maison ; » et puis ajouter ce que nous venons d’exposer : « Il se trouva qu’elle avait conçu du Saint-Esprit. »

 

v. 19.

S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) L’Évangéliste après avoir exposé comment Marie devint féconde par l’opération du Saint-Esprit, et sans aucune relation avec son époux semble craindre qu’on ne le soupçonne, lui disciple de Jésus-Christ, d’entourer la naissance de son Maître de grandeurs imaginaires ; il nous présente donc Joseph son époux mis à une si rude épreuve, et rendant ainsi témoignage à la vérité des faits ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Or Joseph son mari étant juste. » — S. Aug. (serm. sur la Nativ.) Joseph voyant la grossesse de Marie, est profondément troublé de voir dans cet état celle qu’il avait reçue comme épouse au sortir du temple et avec laquelle il n’avait eu aucune relation. Ces pensées l’agitent tour à tour et se confondent dans son esprit ? Que ferai-je ? Dois-je faire connaître son crime ou me taire ? Si je dévoile sa faute, je proteste contre l’adultère, mais je m’expose au reproche de cruauté, car je sais que d’après la loi de Moïse elle doit être lapidée. Si je garde le silence, je me rends complice du mal, et je fais alliance avec les adultères. Puisque donc c’est un mal de se taire et un plus grand mal encore de pactiser avec l’adultère, je me séparerai d’elle.

S. Amb. (sur S. Luc, liv. 2, chap. 1.) Saint Matthieu nous a enseigné admirablement ce que doit faire un homme juste qui a découvert la honte ou le déshonneur de son épouse, s’il veut à la fois ne pas tremper ses mains dans son sang, et ne pas se souiller au contact d’une adultère. Aussi a-t-il soin de nous dire : « Comme il était juste. » Joseph en effet conserve dans toutes les circonstances la grâce et le caractère d’un juste, et son témoignage n’en est que plus certain ; car la langue du juste tient le langage de la justice, etc. — S. Jér. Mais comment Joseph qui cache le crime de son épouse nous est-il présenté comme juste ? Car la loi veut que l’on considère comme coupables non seulement ceux qui ont commis le crime, mais ceux-là mêmes qui en ont eu connaissance. — S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) Le mot juste, dans la pensée de l’Évangéliste, veut dire qui réunit toutes les vertus Il y a une justice spéciale, opposée au vice de l’avarice. La justice est aussi une vertu universelle, et c’est dans ce dernier sens que l’Écriture emploie le plus souvent le mot de justice. Joseph étant donc juste, c’est-à-dire plein de douceur et de bonté, voulut la renvoyer en secret, elle qui d’après la loi devait être non seulement traduite ignominieusement, mais condamnée au dernier supplice. Mais Joseph, dont la vie était supérieure à la loi, sauva Marie de ce double danger. De même que le soleil éclaire la terre avant même que ses rayons paraissent sur l’horizon, ainsi Jésus-Christ avant sa naissance a fait briller une multitude d’actes héroïques de vertu. — S. Aug. (Serm. 6 sur les par. du Seig.) On peut encore donner cette explication : Si vous êtes seul pour connaître l’offense qu’un de vos frères a commise contre vous, et que vous cherchiez à l’accuser publiquement, vous ne le corrigez pas, vous le trahissez. Aussi voyez le juste Joseph : malgré l’énormité du crime dont il soupçonnait son épouse, sa bonté lui inspire les ménagements les plus grands. Il était tourmenté par un soupçon d’adultère qui approchait de la certitude, et cependant comme lui seul avait cette connaissance, il ne voulut pas dénoncer son épouse, mais la renvoyer en secret, car il désirait encore lui être utile, et ne point attirer sur elle le châtiment dû à son péché. — S. Jér. Ou bien peut-être est-ce un témoignage en faveur de Marie, que Joseph qui ne pouvait douter de sa vertu, et qui admirait d’ailleurs ce qui était arrivé, voile sous le silence ce qui était pour lui un mystère. — Remi. Il voyait donc en état de grossesse celle dont il connaissait la chasteté, et comme il avait lu dans le prophète Isaïe (Is 11) : « Un rejeton sortira de la tige de Jessé (d’où il savait que Marie tirait son origine) ; et encore : « Voici qu’une Vierge concevra, » il ne doutait pas que cette prophétie n’eût reçu en elle son accomplissement.

Orig. Mais si Joseph n’avait aucun soupçon sur son épouse, en quoi se montrait-il juste en renvoyant celle dont la vertu n’avait souffert aucune atteinte ? Il voulait la renvoyer, parce qu’il s’estimait indigne d’approcher de ce grand mystère qui s’était opéré en elle. — La Glose. Ou bien, en la renvoyant il se montrait juste, et en la renvoyant en secret ; il faisait preuve de bonté, puisqu’il voulait la mettre à l’abri de l’infamie, c’est ce que signifient ces paroles : « Comme il était juste, il voulut la renvoyer. » Il pouvait la livrer à la sévérité de la loi, c’est-à-dire la diffamer ; il préféra la renvoyer en secret.

S. Amb. (sur S. Luc.) On ne peut renvoyer celle qu’on n’a pas reçue ; par cela même qu’il veut la renvoyer, Joseph prouve qu’il l’avait prise chez lui comme son épouse. — La Glose. Ou bien comme il ne voulait pas l’introduire dans sa maison pour vivre indissolublement avec elle, il voulut la renvoyer en secret et retarder l’époque de son mariage. Car la bonté sans la justice, ou la justice sans la bonté ne peuvent constituer la vertu véritable, et leur séparation mutuelle les détruit. Ou bien encore, il était juste par la foi qui lui faisait croire que le Christ naîtrait d’une vierge, et le portait à s’humilier devant une grâce aussi extraordinaire.

 

v. 20.

Remi. Comme nous venons de le voir, Joseph pensait à renvoyer Marie en secret. Or s’il avait exécuté ce dessein, la plupart auraient vu en Marie une femme perdue plutôt qu’une vierge. Aussi le ciel se chargea-t-il de changer bien vite le dessein de Joseph, ce que l’Évangéliste exprime en ces termes : « Comme il était dans cette pensée. » La Glose. On reconnaît ici l’âme d’un sage qui ne veut rien entreprendre avec précipitation.

S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) La douceur de Joseph n’est pas moins admirable ; il ne confie à personne le soupçon qui l’agite, pas même à celle qui en était l’objet, il garde tout en lui-même. — S. Aug. (serm. 14 sur la Nativ.) Pendant que Joseph est dans cette pensée, que Marie la fille de David soit sans crainte, car de même que la voix du Prophète apporta le pardon à David, l’ange du Sauveur vient délivrer Marie. L’ange Gabriel le paranymphe de la Vierge, apparaît de nouveau comme le dit l’Évangéliste : « Voici que l’ange dur Seigneur apparut à Joseph. » La Glose. Ce mot il apparut exprime la puissance de celui qui apparaît, et qui se rend visible quand il veut et de la manière qu’il veut. — Rab. Ces mots : « En songe » expriment comment l’ange apparut à Joseph, c’est-à-dire de la même manière que Jacob vit des yeux de l’esprit comme une image de l’échelle mystérieuse. — S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) Il n’apparaît pas ouvertement à Joseph comme aux bergers à cause de sa grande foi. Les bergers avaient besoin d’une apparition manifeste à cause de leur grossière ignorance ; Marie, à cause des grandes choses dont l’ange devait l’instruire la première. Une apparition de ce genre ne fut pas moins nécessaire à Zacharie avant la conception de son fils.

La Glose. L’ange en apparaissant à Joseph le nomme par son nom, lui rappelle le souvenir de sa famille, et bannit la crainte de son cœur par ces mots : « Joseph, fils de David. » En l’appelant par son nom, il le traite commue une personne qui lui est connue, et comme un ami. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En l’appelant : « Fils de David, » il voulut lui remettre en mémoire la promesse faite à David que le Christ naîtrait de sa race. — S. Chrys. (hom. 4.) En lui disant : « Ne craignez pas, » il nous fait voir qu’il craignait d’offenser Dieu en gardant chez lui celle qu’il regardait comme adultère ; autrement il n’aurait pas pensé à la renvoyer. — Sévérianus. Ce chaste époux reçoit l’ordre de bannir la crainte de son cœur, car une âme bienveillante trouve dans la compassion qu’elle éprouve un nouveau motif de crainte. L’ange semble lui dire : Il n’y a point ici cause de mort, mais bien plutôt cause de vie, car celle que la vie a rendue mère ne mérite point d’être mise à mort. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces paroles : « Ne craignez pas, on apprennent encore à Joseph que l’ange connaissait les secrets de son cœur et le préparent à croire tout ce qu’il allait dire des biens futurs dont le Christ devait être l’auteur. — S. Amb. (sur S. Luc, liv. 2, chap. 1.) Ne soyez pas étonné qu’il donne à Marie le nom d’épouse ; il ne veut pas exprimer par là la perte de sa virginité, mais attester la vérité de leur union et la célébration de leur mariage. — S. Jér. (contre Helvid.) De ce que l’ange lui donne le nom d’épouse, il ne faut pas conclure qu’elle ne fut plus fiancée, car c’est la coutume de l’Écriture de donner le nom d’époux ou d’épouses à ceux qui ne sont que fiancés comme on peut le prouver par ce passage du Deutéronome (Dt 22) : « Celui qui, trouvant dans un champ la fiancée d’un autre lui fera violence et dormira avec elle, sera puni de mort, parce qu’il a déshonoré l’épouse de son prochain. » — S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) L’ange lui dit : « Ne craignez pas de la recevoir, c’est-à-dire de la garder dans votre maison, car elle était déjà renvoyée dans son esprit. — Rab. Ou bien une craignez pas de la recevoir, c’est-à-dire de l’admettre comme épouse a la participation de la communauté conjugale et du foyer domestique.

S. Chrys. (sur S. Matth.) L’ange apparut à Joseph et lui tint ce langage pour trois raisons : la première, afin que cet homme juste ne fit point par ignorance une action mauvaise dans une bonne intention ; la seconde, pour l’honneur de la mère du Sauveur, car si elle avait été renvoyée, elle n’aurait pas manqué d’être en butte aux soupçons les plus injurieux de la part des infidèles ; la troisième raison, afin que Joseph comprenant combien était sainte cette conception, eût encore plus de respect qu’auparavant pour sa chaste épouse. L’ange cependant ne vint trouver Joseph qu’après que la Vierge eut conçu, pour ne point l’exposer aux pensées et au châtiment de Zacharie, qui se rendit coupable d’infidélité en refusant de croire à la maternité de son épouse si avancée en âge, car il était plus incroyable encore qu’une vierge pût concevoir, qu’une femme parvenue à l’extrême vieillesse. — S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) Ou bien encore, l’ange apparaît à Joseph lorsque le trouble s’est déjà emparé de son esprit, pour faire éclater davantage la sagesse de cet homme juste, et aussi pour que cette apparition devînt pour lui la preuve de ce qu’il lui annonçait. En effet, lorsqu’il entendait l’ange lui parler de ce qui faisait l’objet de ses pensées les plus intimes, n’avait-il pas une preuve indubitable qu’il était l’envoyé de Dieu, à qui seul il appartient de connaître les secrets des cœurs. La véracité de l’Évangéliste en devient elle-même incontestable, car il nous présente Joseph éprouvant tout ce que tout homme aurait éprouvé à sa place. La Vierge elle-même échappe à tout soupçon déshonorant, puisque nous voyons son époux, malgré ce juste sentiment de jalousie, la recevoir et la garder après qu’elle est devenue mère ; si elle ne fait pas connaître à Joseph ce que l’ange lui avait annoncé, c’est qu’elle présumait qu’elle n’en serait pas crue surtout après les soupçons qu’il nourrissait contre elle. L’ange au contraire vint trouver Marie avant la conception, pour ne point l’exposer aux inquiétudes qu’elle aurait éprouvées si elle n’avait été instruite de ce mystère qu’après son accomplissement, car il fallait que cette mère privilégiée qui avait reçu dans son sein le Créateur de toutes choses, fût inaccessible au trouble et à l’agitation.

S. Chrys. (hom. 4.) L’ange ne se contente pas de justifier la Vierge de tout commerce criminel, mais il apprend à Joseph que cette conception est toute surnaturelle, et après avoir dissipé ses craintes, il lui inspire la joie par ces paroles : « Ce qui est né en elle, » etc. La Glose. Naître en elle et naître d’elle sont deux choses différentes : naître d’elle, c’est être mis au jour par elle ; naître en elle, c’est être conçu dans son sein. On peut dire aussi que par suite de la prescience que Dieu, pour qui l’avenir est comme le passé communiquait à l’ange, la naissance était comme accomplie. — S. Aug. (quest. du Nouv. et de l’Anc. Test.) Mais si le Christ est né de l’Esprit saint, pourquoi est-il écrit : « La sagesse s’est bâtie une demeure ? » (Pv. 9.) On peut faire à cette question une double réponse : premièrement la maison du Christ est son Église, qu’il s’est bâtie par son sang ; en second lieu son corps peut être regardé comme sa maison de même qu’il est appelé son temple. Or l’œuvre de l’Esprit saint est celle du Fils de Dieu, par suite de l’unité de volonté dans la nature divine ; que le Père agisse, que ce soit le Fils ou l’Esprit saint, c’est toujours la Trinité qui agit, et quelle que soit l’œuvre faite par l’une des trois personnes, c’est toujours l’œuvre d’un seul Dieu.

S. Aug. (Ench., chap. 39.) Mais pourrons-nous dire cependant que l’Esprit saint est le Père du Christ en tant qu’homme, dans ce sens que l’Esprit saint aurait engendré l’homme comme Dieu le Père a engendré le Verbe ? C’est une telle absurdité, qu’il n’y a pas d’oreilles chrétiennes qui puissent la supporter. Dans quel sens disons-nous donc que le Christ est né de l’Esprit saint, si l’Esprit saint ne l’a point engendré ? Est-ce parce qu’il l’a fait ? Car en tant qu’homme il a été fait, d’après cette parole de l’Apôtre : « Qui a été fait de la race de David, selon la chair. Mais de ce que Dieu a fait le monde, peut-on dire que le monde est fils de Dieu ou qu’il est né de Dieu ? Non sans doute, tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il a été fait, créé ou formé par lui. Lors donc que nous confessons que le Christ est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, pourquoi ne peut-on pas dire qu’il est le Fils de l’Esprit saint, comme il est le Fils de Marie ? C’est qu’il est impossible d’admettre que tout ce qui tire sa naissance d’une chose doive par là même en être appelé le fils. Car sans m’arrêter à dire qu’un fils naît autrement d’un homme, que ne naissent de lui les cheveux, les poux et les vers (dont aucun sans doute ne pourra être appelé son fils), certainement les hommes qui naissent de l’eau et de l’Esprit saint ne peuvent être appelés les enfants de l’eau, mais les enfants de Dieu leur père, et de l’Église leur mère. C’est ainsi que le Christ est né de l’Esprit saint, et qu’il est appelé non pas le Fils de l’Esprit saint, mais le Fils de Dieu.

 

v. 21.

S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) Ce que l’ange avait annoncé à Joseph était au-dessus de toute pensée humaine et des lois de la mature ; il en confirme donc la vérité, en ajoutant à la révélation du mystère accompli, la prédiction des grandeurs futures : « Elle enfantera un fils. or Joseph pouvait penser que, puisqu’il avait été étranger à cette conception, il devait l’être désormais aux devoirs de la vie conjugale ; l’ange de dissuade en lui apprenant que s’il n’a pas été nécessaire à la conception, Il le devient pour les soins de la paternité. Car elle enfantera un fils, et alors il sera indispensable à la mère et au fils : à la mère pour défendre son honneur ; au fils, pour être son père nourricier et le faire circoncire. C’est à cette cérémonie de la circoncision que l’ange fait allusion en disant : « Vous l’appellerez Jésus ; » car c’est au moment de la circoncision que le nom est donné aux enfants. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne lui dit pas : « Elle vous enfantera un fils, » comme il avait dit à Zacharie : « Voici qu’Elisabeth votre femme vous enfantera un fils. » La femme, en effet, qui conçoit de son mari lui enfante un fils, car l’enfant vient plus de l’homme que de la femme ; mais celle qui conçoit en dehors de l’homme, n’engendre pas l’enfant à son mari, mais à elle-même. S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien l’ange s’exprime d’une manière générale pour montrer que cet enfant naissait pour le monde entier. — Rab. Il lui dit : « Vous l’appellerez du nom, » et non pas : « Vous lui imposerez le nom, » car ce nom lui a été donné de toute éternité.

S. Chrys. (sur S. Matth.) L’ange dévoile tout ce qu’il y avait d’admirable dans cette naissance, puisque c’est Dieu lui-même qui envoie le nom du ciel par le ministère d’un ange, et ce n’est pas un nom quelconque, mais un nom qui est un trésor de biens infinis. Ce nom, Il l’interprète en faisant naître les meilleures espérances et en rendant ainsi plus facile la foi aux choses qu’il annonce, car nous avons une propension naturelle à croire aux espérances qu’on nous donne.

S. Jér. En hébreu le mot Jésus veut dire Sauveur, et c’est l’étymologie de ce nom que l’ange explique en disant : « Il sauvera son peuple de ses péchés. » — Remi. C’est ainsi qu’il est à la fois le Sauveur de tout l’univers et l’auteur de notre salut. Il sauve non pas les incrédules, mais son peuple, c’est-à-dire ceux qui croient en lui, et il les délivre non pas tant des ennemis visibles que des ennemis invisibles. Il les sauve du péché sans recourir à la force des armes, mais en brisant les liens du péché qui nous retiennent captifs.

Severianus. Qu’ils viennent et qu’ils prêtent l’oreille ceux qui demandent quel est celui que Marie a enfanté. C’est celui qui sauvera son peuple, et non le peuple d’un autre. Et de quoi le sauve-t-il ? De ses péchés. Or, qu’il y ait un Dieu qui remette les péchés, si vous ne voulez pas en croire les chrétiens, croyez-en les infidèles ou les Juifs qui disaient : « Personne ne peut remettre les péchés, si ce n’est Dieu. »

 

v. 22.

Remi. L’Évangéliste a coutume d’appuyer ce qu’il avance sur des témoignages de l’Ancien Testament, et il agit ainsi en faveur des Juifs qui avaient cru en Jésus-Christ et qui pouvaient ainsi reconnaître que tout ce qui avait été prédit sous l’ancienne loi était accompli sous la loi de grâce et de l’Évangile. Mais pourquoi cette manière de s’exprimer : « Tout cela s’est fait, etc., puisqu’il n’a été question que de la conception toute seule ? On peut répondre que l’Évangéliste s’est exprimé de la sorte pour nous apprendre que ces événements existaient dans la prescience de Dieu avant qu’ils fussent accomplis aux yeux des hommes ; ou bien, comme l’Évangéliste racontait l’histoire des événements passés, il a pu dire : « Tout cela s’est fait, » parce que ces événements étaient accomplis alors qu’il écrivait son évangile. — Rab. Ou bien cette expression : « Tout cela a été fait, » veut dire que la Vierge fut fiancée, qu’elle demeura vierge, qu’elle fut trouvée grosse, que ce mystère fut révélé par un ange, afin que ce qui avait été prédit fût accompli. En effet, la prophétie qui prédisait qu’une vierge concevrait et enfanterait n’eût pas été accomplie si elle n’avait été fiancée pour échapper au supplice de la lapidation si l’ange n’avait pas révélé ce secret afin que Joseph pût la recevoir sans crainte et la préserver ainsi du déshonneur d’être renvoyée et du châtiment qui l’attendait. Or, si elle avait été mise à mort avant l’enfantement, que serait devenue cette prophétie : « Elle enfantera un fils ? » La glose. Ou bien on peut dire qu’ici la particule afin que n’est pas causative, en ce sens que toutes ces choses auraient été accomplies parce qu’elles avaient été prédites, mais qu’elle exprime la conséquence, comme dans ce passage de la Genèse (Gn 40) : « Il fit attacher le grand pannetier à un gibet, de sorte que l’interprétation du devin fût reconnue vraie, c’est-à-dire que le supplice de cet homme suspendu à un gibet fit ressortir la vérité de l’interprétation. C’est dans ce même seins que nous devons entendre ce passage, c’est-à-dire que la prophétie a été accomplie par le fait qui avait été prédit. — S. Chrys. (hom. 5 sur S. Matth.) Ou bien encore l’ange, considérant l’abîme le la divine miséricorde, le renversement des lois de la nature, celui qui était élevé au dessus de tous les êtres créés descendu jusqu’à l’homme, la dernière des créatures intelligentes, exprime toutes ces choses par ces seuls mots : « Tout cela a été accompli, » comme s’il disait : Ne pensez pas que toutes ces choses soient récentes dans le bon vouloir de Dieu, il y a longtemps qu’il les avait décrétées, et l’ange rappelle plus à propos cette prophétie à Joseph qu’à Marie, car il était versé dans la connaissance et la méditation des prophètes. Il avait d’abord appelé la Vierge son épouse, maintenant il lui donne le nom de Vierge avec le prophète, afin qu’ils apprissent de la bouche du prophète lui-même que ce mystère était depuis longtemps dans les desseins de Dieu. Aussi ce n’est pas Isaïe, mais Dieu lui-même qu’il appelle en témoignage de la vérité de ce qu’il annonce, car il ne dit pas : « Pour accomplir ce qui a été dit par Isaïe, » mais ce que le Seigneur a dit par Isaïe.

S. Jér. (Sur Isaïe, chap. 7.) Le prophète fait précéder sa prédiction de cet exorde : « Dieu lui-même vous donnera un signe ; » il s’agit donc de quelque chose de nouveau et de merveilleux. Mais s’il n’est question que d’une jeune fille ou d’une jeune femme qui doit enfanter, et non d’une vierge, où est le miracle ? puisque ce nom n’indique plus que l’âge et non la virginité. Il est vrai qu’en hébreu c’est le mot Bethula qui signifie vierge, mot qui ne se trouve pas dans cette prophétie ; il est remplacé par le mot halma, que tous les interprètes, à l’exception des Septante, ont traduit par jeune fille. — Or, le mot halma en hébreu a un double sens, car il signifie jeune fille, et qui est cachée. Ainsi il désigne non seulement une jeune fille ou une vierge, mais une vierge cachée qui n’a jamais paru aux regards des hommes, et sur laquelle ses parents veillent avec le plues grand soin. La langue phénicienne, qui tire son origine de l’hébreu, donne aussi au mot halma le sens de vierge ; dans la nôtre, halma signifie sainte. Les Hébreux se servent de mots que l’on retrouve dans presque toutes les langues, et autant que je puis consulter mes souvenirs, je ne me rappelle pas que le mot halma ait été employé une seule fois pour exprimer une femme mariée ; il sert toujours à désigner une vierge, et non pas une vierge quelconque, mais une vierge encore jeune, car il en est d’un âge avancé. Or, celle-ci était encore dans l’âge de l’adolescence, ou bien elle était vierge, tout en ayant dépassé cet âge où l’on n’est pas en état d’être marié.

S. Jér. (Sur S. Matth.) Le prophète dit : « Elle recevra dans son sein, » tandis que l’Évangéliste saint Matthieu porte : « Elle aura dans son sein ; » mais l’Évangéliste, qui racontait l’histoire de ce qui était passé et non de ce qui devait arriver, a substitué au mot elle recevra le verbe elle aura, car celui qui a n’a plus besoin de recevoir.

« Voici qu’une vierge aura dans son sein et enfantera un fils. » — S. Léon. (Let. à Flav.) Il a été conçu du Saint-Esprit dans le sein de la vierge, sa mère, qui l’enfanta comme elle l’avait conçu sans que sa virginité en eût souffert la plus légère atteinte. — S. Aug. (Serm. sur la Nativ.) Celui qui a pu en les touchant rétablir dans leur premier état les membres brisés et séparés les uns des autres, combien plus aura-t-il dû respecter en naissant la pureté qu’il a trouvée dans sa mère ? Aussi cette naissance a-t-elle augmenté sa pureté au lieu de la diminuer, et sa virginité, loin d’en être affaiblie, en reçut un nouvel éclat.

Theod. (Serm. au conc. d’Eph.) Photin ne voit qu’un homme dans celui qui vient au monde, il prétend que ce n’est pas ici la naissance d’un Dieu, il sépare l’homme de Dieu dans celui qui sort du sein de sa mère ; qu’il nous dise donc comment la nature humaine, qui est née du sein d’une vierge, n’a pas brisé le sceau de la virginité. Jamais la mère d’aucun homme n’est restée vierge après son enfantement ; mais ici c’est le Verbe Dieu qui a daigné naître dans une chair mortelle, et il a montré qu’il était le Verbe tout-puissant en sauvegardant la virginité de sa mère. Notre verbe, à nous, notre parole ne corrompt point notre âme qui l’enfante ; ainsi le Verbe Dieu par cette naissance n’a point porté atteinte à la virginité de celle qu’il avait choisie pour mère.

« Et on l’appellera Emmanuel. » — S. Chrys. (Hom. 5 sur S. Matth.) C’est la coutume de l’Écriture de présenter les événements sous l’emblème des noms. Ces paroles : « Ils l’appelleront du nom d’Emmanuel » signifient donc : « Ils verront Dieu avec les hommes. » C’est pour cela que l’ange ne dit pas : Vous l’appellerez, mais ils l’appelleront. — Rab. Ce sont d’abord les Anges dans leurs chants, ensuite les Apôtres dans leurs prédications, puis les saints martyrs, enfin tous ceux qui croient en lui. — S. Jér. (sur Isaïe, chap. 7.) Les Septante et trois autres interprètes ont traduit : « Vous l’appellerez, » pour « ils l’appelleront, » qui n’est pas dans l’hébreu, car le mot vekarat, qu’ils ont tous traduit par vous l’appellerez, peut signifier aussi : elle l’appellera, c’est-à-dire que la vierge qui concevra et enfantera le Christ l’appellera elle-même Emmanuel ou Dieu avec nous.

Remi. A cette question : Qui a donné d’interprétation de ce nom ? est-ce le prophète, est-ce l’Évangéliste ou un traducteur quelconque ? je répondrai d’abord que ce n’est pas le prophète ; ce n’est pas non plus l’Évangéliste, car à quoi bon cette explication, puisqu’il écrivait en hébreu. Peut-être pourrait-on dire que ce nom avait dans l’hébreu une signification obscure, et qu’il avait besoin d’explication. Mais il est plus vraisemblable que cette interprétation a été donnée par quelque traducteur qui aura voulu ainsi faire disparaître ce que ce nom pouvait avoir d’obscur pour les Latins. Or, ce nom exprime parfaitement les deux natures, la nature divine et la nature humaine unies dans la même personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui engendré avant tous les siècles d’une manière ineffable par Dieu son père, est devenu à la fin des temps, en naissant d’une vierge, Emmanuel ou Dieu avec nous. Ce nom : Dieu avec nous peut s’entendre en ce sens qu’il est devenu comme un des nôtres, c’est-à-dire passible, mortel, et semblable à nous en toutes choses à l’exception du péché, ou bien encore qu’il a uni à sa nature divine, en unité de personne, notre pauvre nature humaine. — S. Jér. (sur Isaïe, chap. 7.) Rappelons ici que les Juifs prétendent que cette prophétie a pour objet Ezéchias, fils d’Achaz, sous le règne duquel fut prise la ville de Samarie, ce font ils ne peuvent donner aucune preuve. En effet, Achaz, fils de Ioathan, régna sur Jérusalem et sur Juda seize ans ; son fils Ezéchias lui succéda à l’âge de vingt-trois ans et régna sur Juda et sur Jérusalem vingt-neuf ans. Comment donc peut-on dire que la prophétie qui fut faite la première année du règne d’Achaz eut pour objet la conception et la naissance d’Ezéchias, qui avait neuf ans lorsque son père monta sur le trône ? Dira-t-on que la sixième année du règne d’Ezéchias, époque où fut prise la ville de Samarie signifie le temps de l’enfance, sinon de son âge, du moins de son règne ? c’est là une supposition violente et forcée, même pour les moins intelligents. Un des nôtres, qui aime à judaïser, prétend que le prophète Isaïe a eu deux fils, Joseph et Emmanuel, et qu’Emmanuel était né de la prophétesse son épouse, comme figure du Seigneur-Sauveur, mais cela n’est qu’une fable. — Pierre Alphonse. Je ne sache pas qu’aucun homme de ce temps ait porté le nom d’Emmanuel. Les juifs me diront peut-être : Comment admettre que cette prophétie ait eu pour objet le Christ et sa mère, alors que d’Achaz à Marie il s’est écoulé plusieurs centaines d’années ? Pierre Alphonse répond : Quoique le prophète s’adresse à Achaz, la prophétie n’a pas seulement pour objet ce prince ou les choses de son temps, car Isaïe ne lui dit pas : « Écoutez Achaz, » mais « Écoutez maison d’Israël. » Voyez encore la suite : « Le Seigneur vous donnera lui-même un signe. » Il ajoute ce mot « lui-même » comme pour dire : ce ne sera pas un autre, d’où il faut conclure que c’est le Seigneur lui-même qui sera ce signe futur. Remarquez enfin qu’en s’exprimant au pluriel, « il vous donnera, » et non « il te donnera, » le prophète fait entendre que cette prophétie n’est pas pour Achaz ou du moins qu’elle n’est pas pour lui seul. — S. Jér. (sur Isaïe, chap. 7.) Voici donc le sens de cette prophétie : cet enfant, qui naîtra d’une vierge, maison de David, doit être appelé dès maintenant Emmanuel, parce que, délivrés bientôt des deux rois ennemis qui vous attaquent, vous éprouverez vous-même que Dieu est présent au milieu de vous. Plus tard il sera appelé Jésus ou Sauveur, parce qu’il sauvera le genre humain tout entier. Ne soyez donc pas surprise, ô maison de David, de cette nouveauté si étrange d’une vierge enfantant un Dieu, revêtu d’une si grande puissance, que tant d’années avant sa naissance, il peut vous délivrer si vous avez recours à lui. — S. Aug. (contre Faust.) Qui serait donc assez insensé pour oser dire avec les Manichéens que c’est le caractère d’une foi faible de ne croire en Jésus-Christ que sur témoignages, alors que l’Apôtre lui-même a dit : « Comment croiront-ils en celui dont ils n’ont point entendu parler, et comment en entendront-ils parler si on ne leur prêche ? » Or afin que la prédication des Apôtres ne fût pas exposée au mépris comme un tissu de fables sans réalité, les prophètes lui donnent l’appui de leurs prédictions. En effet, supposez que la prédication des apôtres ne fût autorisée que par des miracles, on n’aurait pas manqué de les attribuer à des opérations magiques, si cette interprétation n’était renversée par le témoignage immuable des prophètes. Personne sans doute n’osera dire qu’il soit au pouvoir d’un homme, longtemps avant sa naissance, de se donner au moyen d’opérations magiques des prophètes qui l’annoncent. De même encore supposons que nous disions à un païen : Croyez en Jésus-Christ parce qu’il est Dieu, et qu’il nous répondît : Pourquoi donc croirai-je ? et qu’alors nous établissions clairement l’autorité des prophètes, s’il persistait encore dans son incrédulité, nous lui démontrerions alors que les prophètes sont dignes de foi par le seul fait qu’ils ont prédit longtemps d’avance des événements dont l’accomplissement s’opère sous nos yeux, car il ne pourrait ignorer, je pense, quelles persécutions la religion chrétienne a eu à souffrir de la part des rois de la terre. Or, qu’il considère maintenant tous ces rois soumis à l’empire du Christ, toutes les nations qui le reconnaissent pour maître, autant d’événements qui ont été tous prédits par les prophètes. En prenant connaissance de ces prophéties et en les voyant accomplies sur toute la face de la terre, il serait certainement déterminé à embrasser la foi. — La Glose. L’Évangéliste combat l’erreur des Manichéens en ajoutant : « Afin que fût accompli ce que le Seigneur avait prédit par le prophète. » Or il y a une prophétie qui a pour cause la prédestination de Dieu, qui doit de toutes manières arriver, dont l’accomplissement est indépendant de notre volonté, comme celle dont il est ici question, et que le prophète commence en disant : « Voici » pour en démontrer la certitude. Il y a une autre sorte de prophétie qui vient également de la prescience de Dieu, mais à laquelle se trouve mêlé notre libre arbitre. D’après cette prophétie, nous obtenons la récompense avec la coopération de la grâce, ou nous sommes soumis au châtiment lorsqu’elle nous abandonne avec justice. Enfin il y a une troisième sorte de prophétie, qui ne vient pas de la prescience de Dieu, mais qui est l’expression d’une menace comme en font les hommes, et telle que celle-ci : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite. » Il faut sous-entendre : A moins que Ninive ne se convertisse.

 

v. 24.

Remi. La vie nous est revenue par la porte qui avait donné passage à la mort : la désobéissance d’Adam nous avait tous perdus, l’obéissance de Joseph commence à nous ramener à notre premier état. En effet, quelle magnifique leçon d’obéissance dans cette conduite de Joseph : « Joseph donc s’étant levé, » etc. — La Glose. Il ne fit pas seulement ce que l’ange lui avait ordonné, il le fit de la manière qu’il lui avait ordonnée. Que celui donc qui reçoit un avertissement du Ciel se lève de son sommeil sans aucun retard et qu’il exécute ce qui lui est commandé.

« Et il reçut son épouse, » etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce n’est pas dans sa maison qu’il la reçut, car il ne l’en avait pas encore renvoyée, mais il la reçut dans son cœur dont il l’avait momentanément bannie. — Remi. Ou bien il la reçut après la célébration des noces, afin qu’elle portât le nom d’épouse, mais non pour avoir comme époux aucune relation avec elle, car voyez la suite : « Et il ne la connut pas, » etc. — S. Jér. (contre Helv.) Helvidius fait de vains efforts pour prouver que le verbe connaître exprime les relations conjugales plutôt qu’une connaissance ordinaire, mais personne ne soutient le contraire, et il n’y a pas un auteur tant soit peu habile qui s’arrête aux inepties qu’il combat. Il veut encore nous apprendre que l’adverbe jusqu’à ce que signifie un temps déterminé, après lequel ce qui n’existait pas auparavant commencerait à avoir lieu, de manière que ces paroles : « Il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté son fils » signifieraient clairement qu’il eut avec son épouse, après l’enfantement, des rapports qu’il n’avait différés que jusqu’à la naissance de son fils. Pour le prouver il accumule le plus qu’il peut de textes de l’Écriture. Quant à nous, voici notre réponse : Ces paroles : « il ne la connut pas jusqu’à ce que, » etc. peuvent s’entendre de deux manières dans l’Écriture. D’abord il est certain que le verbe connaître qui, comme Helvidius l’avoue, doit s’entendre de l’union conjugale, a quelquefois le sens de connaissance proprement dite, comme dans ce passage : « L’enfant Jésus resta à Jérusalem et ses parents ne le connurent pas ou l’ignorèrent. » De même l’adverbe jusqu’à ce que exprime souvent, comme il le reconnaît également, un temps déterminé, mais souvent aussi un temps sans limite, comme dans ce passage d’Isaïe : « Je suis jusqu’à ce que vous parveniez à la vieillesse. » Dira-t-on que Dieu ne sera plus lorsqu’ils auront vieilli ? — Le Sauveur dit aussi dans l’Évangile : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles. » Est-ce qu’il cessera d’être avec ses disciples après la fin du monde ? L’apôtre ne dit-il pas aussi : « Il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il mette ses ennemis sous ses pieds ? » Veut-il dire qu’après que Jésus aura réduit le monde sous son empire, il cessera de régner ? Qu’Helvidius comprenne donc que l’écrivain sacré n’a exprimé que ce qui aurait pu être un sujet de doute s’il ne l’avait écrit, et que le reste est abandonné à notre intelligence. D’après cette règle, l’Évangéliste ne nous indique que ce qui aurait pu donner matière à scandale, c’est-à-dire que son mari ne l’avait pas connue jusqu’à ce qu’elle eût enfanté, nous laissant à conclure qu’à plus forte raison il ne l’avait pas connue après la naissance du Sauveur. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si l’on dit de quelqu’un : Tant qu’il a vécu il n’a point tenu ce langage, cela veut-il signifier qu’il l’ait tenu après sa mort ? cela n’est pas possible. Ainsi on aurait pu croire que Joseph avait eu des rapports avec la Vierge avant l’enfantement parce qu’il ne connaissait pas la dignité du mystère qui s’était accompli dans son sein ; mais après qu’il eut appris qu’elle était devenue le sanctuaire du Fils unique de Dieu, comment supposer qu’il ait eu la témérité de profaner un temple aussi auguste ? Les disciples d’Eunomius s’imaginent que parce qu’ils osent le dire, Joseph aurait osé le faire, comme un insensé croit que tout le monde a perdu la raison. — S. Jér. (contre Helv.) En résumé, je demanderai : Pourquoi Joseph s’est-il abstenu de tout rapport avec son épouse jusqu’à l’enfantement ? C’est parce qu’il avait entendu l’ange lui dire : « Ce qui est né en elle vient de l’Esprit saint, » etc. Celui donc qu’un songe mystérieux avait déterminé à ne pas s’approcher de son épouse, comment, après avoir entendu les bergers, vu les Mages, été témoin de tant de merveilles, aurait-il osé s’approcher du temple de Dieu, du siège de l’Esprit saint, de la Mère de son Seigneur ?

S. Chrys. (sur S. Matth.) On peut aussi donner ici au verbe connaître le sens ordinaire de simple connaissance, car en réalité Joseph n’avait pas connu jusque là la dignité de Marie. Ce n’est qu’après son divin enfantement qu’il la connut parfaitement ; c’est alors qu’elle lui devint plus précieuse et plus chère que le monde entier, parce qu’elle avait porté dans l’étroit espace de son sein virginal celui que le monde entier ne peut contenir. — S. Hil. Ou bien encore on peut dire que Joseph ne put connaître la très-sainte vierge Marie avant son enfantement à cause de la gloire dont elle était revêtue ; car comment aurait-il pu connaître celle qui portait dans son sein le Dieu de gloire ? La face de Moïse, qui s’était entretenu avec Dieu, fut si resplendissante de gloire que les Israélites ne pouvaient en soutenir la vue ; à plus forte raison Joseph ne pouvait-il regarder et connaître Marie qui portait dans son sein le Seigneur tout-puissant. Après son enfantement, Joseph la connut par la beauté resplendissante de son visage, et non pas en usant de ses droits d’époux.

S. Jér. (sur S. Matth.) De ce que l’Évangéliste dit : « Son fils premier-né, » quelques esprits pervers en concluent qu’elle a eu d’autres enfants, et ils prétendent qu’on ne donne le nom de premier-né qu’à celui qui a des frères, assertion complètement fausse, car l’Écriture appelle premier-né non pas l’aîné d’autres frères, mais celui qui est né le premier. — S. Jér. (contre Helvid.) S’il n’y a de premier-né que lorsqu’il y a d’autres enfants, il faut en conclure que les prémices ou les premiers-nés n’étaient pas dus aux prêtres tant que ces premiers-nés n’avaient pas d’autres frères. — La Glose. Ou bien il est appelé le premier-né entre tous les élus de la grâce, tandis qu’il est proprement le Fils unique de Dieu le Père et de Marie.

« Et il l’appela du nom de Jésus. » Ce fut le huitième jour où l’enfant était circoncis et recevait le nom qui lui était destiné. — Remi. Ce nom a été parfaitement connu des saints patriarches et des prophètes de Dieu, mais il l’a été surtout de celui qui a dit : « Mon âme a défailli dans l’attente de votre salut (Ps. 118), et encore : « Mon cœur tressaillera dans votre salut (Ps. 12), et de celui encore qui disait : « Je tressaillerai dans Jésus qui est mon Dieu. on (Habac. 3.)

 

 

CHAPITRE II.

 

vv. 1-2.

S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Après ce miraculeux enfantement, où le sein d’une Vierge plein de la divinité mit au monde, sans perdre le sceau de son inviolable pureté, un homme-Dieu dans le réduit obscur d’une caverne, et sur le lit étroit d’une crèche, où l’infinie majesté reposait ses membres raccourcis ; pendant qu’un Dieu était suspendu au sein d’une mère mortelle et enveloppé de misérables langes, on vit tout à coup un astre nouveau briller du haut du ciel, dissiper l’obscurité qui couvrait l’univers et changer la nuit en un jour éclatant, afin que le jour ne demeurât pas enseveli dans les ombres de la nuit. « Or Jésus étant né, » etc., dit l’Évangéliste. — Remi. Dans ces premiers mots du récit évangélique, nous voyons trois choses : la personne : « Or Jésus étant né ; » le lieu : « A Bethléem de Juda ; » le temps : « Aux jours du roi Hérode ; trois circonstances qui confirment la vérité du fait que l’écrivain sacré va raconter.

S. Jér. (sur S. Matth.) Je pense que l’Évangéliste avait d’abord écrit comme nous le lisons dans l’hébreu, de Juda, au lieu de Judée ; car quelle autre ville du nom de Bethléem existe chez les autres peuples, pour qu’il ait cru devoir ajouter comme signe distinctif « de la Judée ? » On conçoit très bien au contraire qu’il dise : « de Juda, » parce qu’il y avait dans la Judée une autre Bethléem dont il est question au livre de Josué, fils de Navé (Js 19, 15). La Glose. Il y a en effet deux villes du nom de Bethléem, l’une dans la tribu de Zabulon, l’autre dans la tribu de Juda, et qui était autrefois appelée Ephrata.

S. Aug. (de l’Acc. des Evang. liv. II, chap. 5.) Saint Matthieu et saint Luc sont d’accord pour ce qui concerne la ville de Bethléem, mais saint Luc seul donne la raison et raconte les circonstances du voyage de Joseph et de Marie dans cette ville, tandis que saint Matthieu n’en dit mot. C’est le contraire pour les Mages qui vinrent d’Orient ; saint Luc n’en dit rien, saint Matthieu seul en parle. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Examinons pour quel motif l’Évangéliste précise le temps de la naissance du Sauveur en ces termes : « Aux jours du roi Hérode. » Il veut ainsi prouver l’accomplissement de la prophétie de Daniel qui annonçait que le Christ naîtrait après soixante-dix semaines d’années, car depuis cette prophétie jusqu’aux jours d’Hérode, les soixante-dix semaines d’années s’étaient écoulées. Disons encore : Tant que le peuple juif fut gouverné par des rois de sa race quoique souvent bien coupables, Dieu envoyait des prophètes pour remédier à ses maux. Mais lorsque la loi de Dieu vint à tomber sous la puissance d’un roi infidèle et que la justice divine était comme opprimée par la domination romaine, le Christ parut sur la terre, car à un mal extrême et désespéré il fallait un médecin d’une science et d’une habileté consommées. — Rab. Ou bien encore l’Évangéliste fait mention de ce roi étranger pour montrer l’accomplissement de cette prophétie (Gn 49) : « Le sceptre ne sortira point de Juda, ni le prince de sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui qui doit être envoyé. »

S. Amb. (sur S. Luc.) On rapporte que des brigands iduméens étant entrés dans la ville d’Ascalon, emmenèrent Antipater avec d’autres captifs. Antipater fut donc élevé dans la religion des Iduméens. Plus tard il se lia d’amitié avec Hircan, roi de la Judée, qui l’envoya en ambassade auprès de Pompée, et comme il réussit dans cette mission, il reçut en récompense une partie de son royaume. Après la mort d’Antipater un sénatus-consulte rendu sous le triumvir Antoine déclara son fils Hérode roi des Juifs. Il est donc évident qu’Hérode ne tenait par aucun lien à la nation juive et qu’il avait cherché à régner sur elle par l’intrigue et par le mensonge.

S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) L’Évangéliste dit « du roi Hérode » pour le distinguer par ce titre de cet Hérode qui fit mettre à mort Jean-Baptiste. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Jésus étant donc né en ce temps-là, voici que des Mages vinrent, c’est-à-dire aussitôt sa naissance, pour reconnaître et proclamer un Dieu puissant sous les dehors d’un faible enfant. — Remi. Les Mages sont des hommes qui font profession de raisonner sur toutes choses, mais leur nom dans l’acception vulgaire, est synonyme de celui de magiciens ; cependant telle n’est pas leur réputation chez les Chaldéens, dont ils sont comme les philosophes, et dont les rois et les princes se conduisent en tout d’après les principes de cette science ; ce fut aussi ce qui leur fit connaître comme le premier lever du Seigneur dans le monde.

S. Aug. (serm. 4 sur l’Epiph.) Or, que furent les Mages ? Les prémices des nations ; les bergers étaient Juifs, les Mages de la gentilité, ceux-là venaient de près, ceux-ci de loin ; mais les uns et les autres accoururent à la pierre angulaire. — Idem. (serm. 2.) Jésus donc ne se manifesta ni aux savants ni aux justes ; c’est l’ignorance qui l’emporte dans la grossièreté des pasteurs et l’impiété dans les cérémonies sacrilèges des Mages ; celui qui est la pierre angulaire s’unit les uns et les autres, car il est venu choisir ce qui est folie pour confondre les sages, il est venu appeler les pécheurs et non les justes (1 Co 1, 27 ; Mt 9, 13 ; Mc 2, 17 ; Lc 5, 52), afin que toute grandeur cessât de s’enorgueillir, toute faiblesse de se décourager. — La Glose. Les Mages étaient des rois, et s’ils n’offrent que trois sortes de présents, ce n’est pas une preuve qu’ils ne fussent absolument que trois, mais pour représenter par ce nombre toutes les nations qui descendent des trois enfants de Noé et qui devaient un jour embrasser la foi. Ou bien si ces princes n’étaient que trois, ils avaient avec eux une suite nombreuse. — Or, ce n’est pas un an après que le Christ fut né qu’ils vinrent l’adorer, car alors il était en Égypte, et non plus dans l’étable ; mais ce fut le treizième jour après sa naissance. D’où venaient-ils ? L’Évangéliste nous l’apprend en ajoutant : « De l’Orient. »

Remi. Il y a plusieurs opinions sur les Mages. Les uns disent qu’ils étaient Chaldéens, parce que les Chaldéens adoraient les étoiles, et ils prétendent que leur dieu supposé leur a révélé la naissance du vrai Dieu ; les autres disent qu’ils étaient Perses ; quelques-uns, qu’ils venaient des extrémités de la terre ; d’autres enfin, qu’ils étaient les descendants de Balaam, et c’est le sentiment le plus probable, car Balaam entre autres choses a prédit « qu’une étoile sortirait de Jacob. » Ses descendants, qui possédaient cette prophétie, ayant vu briller une nouvelle étoile, comprirent que le Roi qu’elle annonçait était né, et vinrent l’adorer.

S. Jér. C’est ainsi que les successeurs de Balaam apprirent par la prophétie l’apparition future de cette étoile. Mais on peut se demander comment les Mages habitant la Chaldée, la Perse, ou les extrémités de la terre, ils ont pu venir en si peu de temps à Jérusalem. — Remi. Quelques auteurs répondent que l’enfant qui venait de naître a bien pu les amener en si peu de jours des extrémités de la terre. — La Glose. On peut dire encore qu’il n’est pas étonnant qu’ils aient pu arriver en treize jours à Bethléem, montés sur des chevaux arabes et des dromadaires connus pour la vitesse de leur marche. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Peut-être aussi sont-ils partis sous la conduite de l’étoile qui les précédait deux ans avant la naissance du Christ, sans que les provisions de bouche leur aient fait défaut pendant leur voyage.

Remi. Ou bien si ces rois étaient successeurs de Balaam, ils n’étaient pas éloignés de la terre promise, et ils ont pu franchir en si peu de temps la distance qui les séparait de Jérusalem. Mais alors pourquoi l’Évangéliste dit-il qu’ils sont venus de l’Orient ? C’est que le pays qu’ils habitaient était en effet situé sur la frontière orientale de la Judée. C’est du reste une magnifique pensée que celle qui les fait venir de l’Orient, parce que tous ceux qui viennent au Seigneur, ne peuvent venir que par son inspiration et sous sa conduite, lui qui est le véritable Orient, selon cet oracle du prophète : « Voici un homme, l’Orient est son nom. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien peut-être viennent-ils réellement de l’Orient. La foi prend naissance dans les contrées ou le jour se lève, parce qu’elle est la lumière des âmes. Ils partirent donc de l’Orient, mais pour venir à Jérusalem. — Remi. Cependant le Seigneur n’y était pas né, mais c’est que tout en connaissant le temps, ils ignoraient le lieu de sa naissance. Comme Jérusalem était la capitale du royaume, ils crurent qu’un tel enfant n’avait pu naître que dans la ville royale. Peut-être aussi était-ce pour accomplir cette prophétie : « C’est de Sion que sortira la loi, et la parole du Seigneur de Jérusalem, » car c’est là que le Christ a été annoncé en premier lieu. Enfin ce fut peut-être pour condamner par le pieux empressement des Mages l’indifférence des Juifs. Ils vinrent donc à Jérusalem et firent cette question : « Où est celui qui est né roi des Juifs ? » — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Les Juifs avaient vu grand nombre de leurs rois naître et mourir, les Mages sont-ils venus chercher et adorer aucun d’entre eux ? Non, car le ciel ne leur avait appris l’existence d’aucun de ces rois. Ce n’est donc pas à un roi des Juifs, semblable à ceux que Jérusalem avait vus dans ses palais, que ces Mages, habitant des contrées lointaines, et tout à fait étrangers au royaume des Juifs, croient devoir rendre de si grands honneurs ; mais ils avaient appris que le roi qui venait de naître était si grand qu’il méritait leurs adorations, et qu’ils obtiendraient infailliblement par là le salut qui vient de Dieu. En effet ce roi n’était pas d’un âge à voir ramper autour de lui la foule des courtisans flatteurs, la pourpre ne brillait pas sur ses épaules, ni le diadème sur sa tète, et ce n’était ni le brillant entourage de ses serviteurs, ni l’appareil terrible de ses armes, ni le bruit de ses victoires qui attiraient à lui des extrémités de la terre des hommes qui venaient déposer à ses pieds leurs vœux et leurs ardentes prières. Un enfant nouvellement né était couché dans une crèche, joignant à un corps frêle une pauvreté qui devait le rendre méprisable ; mais sous ces dehors misérables se cachait quelque chose de grand, et ce n’est pas de la terre qui le portait, mais du ciel qui se chargeait de les instruire que ces hommes prémices des nations avaient appris ce qu’il était : « Nous avons vu, disent-ils, son étoile dans l’Orient. » Ils font connaître ce qu’ils ont vu, et en même temps ils interrogent, ils croient et ils cherchent : figure de ceux qui marchent à la lumière de la foi et qui désirent jouir de la claire vue.

S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) Les Priscillianistes qui prétendent que tous les hommes naissent sous l’influence de différentes constellations, cherchent un appui à leur erreur dans cette nouvelle étoile qui apparut à la naissance du Sauveur, et qui aurait été l’étoile de sa destinée. — S. Aug. (contr. Faust.) Cette étoile, d’après Fauste, n’aurait paru que pour confirmer sa naissance, d’où il conclut que l’Évangile devrait bien plutôt s’appeler la Généside. — S. Grég. (hom. 10 sur S. Matth.) Mais à Dieu ne plaise que les fidèles croient jamais à l’existence du destin. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 5, chap. 1.) On entend par destin, dans le langage ordinaire, l’influence de certaine position des astres, telle que celle qui correspond à la conception ou à la naissance des hommes. Il en est qui placent cette influence en dehors de la volonté de Dieu, blasphème que doivent repousser avec horreur tous ceux qui adorent un Dieu quel qu’il soit ; d’autres disent que cette grande influence donnée aux astres vient de la souveraine puissance de Dieu, et ils ne peuvent faire une plus grande injure à la majesté divine, lorsque dans sa cour si brillante ils font décréter des crimes tels que si quelque ville sur la terre osait en commander de semblables, elle serait condamnée à être détruite par le genre humain tout entier. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si un homme devient homicide ou adultère par l’influence d’une étoile, les étoiles sont grandement injustes, et plus grandement encore celui qui les a créées, car puisque Dieu connaît l’avenir, Il a prévu le mal que devait commettre cette étoile ; s’il n’a pas voulu le prévenir, il cesse d’être bon, et s’il l’a voulu sans le pouvoir, sa puissance est nulle. D’ailleurs s’il dépend d’une étoile que nous soyons bons ou mauvais, le bien que nous faisons ne mérite aucun éloge, ni le mal aucun blâme, car nos actions ne sont plus volontaires. Pourquoi serais-je puni d’un mal qui n’est pas le fruit de ma volonté, mais de la nécessité ? D’ailleurs cette doctrine insensée détruirait les commandements de Dieu qui nous défendent le mal, ou qui noua exhortent au bien. Comment en effet commander à un homme de fuir le mal qu’il ne peut éviter, ou de faire le bien qui lui est impossible ?

S. Grég. de Nysse. Dès lors que l’on vit sous la loi de la fatalité, il est inutile de prier, la providence de Dieu est bannie du monde aussi bien que la piété, l’homme n’est plus qu’un instrument dépendant du cours des astres, car dans leur pensée, les mouvements des corps célestes déterminent non seulement les actions du corps, mais encore les pensées de l’âme. Ainsi tous ceux en général qui soutiennent cette erreur, détruisent tout ce qui est en nous, et la nature de tout être contingent. Et qu’est-ce autre chose que le renversement de tout ce qui existe ? Ou sera désormais le libre arbitre ? Il faut cependant que ce qui est en nous soit libre. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 5, chap. 6.) Il n’est pas absolument contraire à la raison d’attribuer à l’influence les astres certaines modifications dans les corps : ainsi voyons-nous que c’est au rapprochement ou à l’éloignement du soleil qu’il faut attribuer les diverses saisons, et aux phases de la lune qui croît et diminue, le développement ou la décroissance de certaines choses créées comme les coquillages qui produisent les perles, ou les admirables mouvements de l’Océan. Mais il ne faut pas soumettre aux différentes positions des astres les volontés de notre âme. — Et au chapitre 1er : Dira-t-on que les astres sont plutôt les signes que les mobiles déterminants de nos destinées ? Mais alors comment n’a-t-on pu jamais expliquer pourquoi la vie des jumeaux, leur manière d’agir, leurs succès, leurs professions, leurs actes, les honneurs dont ils jouissent et tout ce qui compose la vie humaine, et la mort elle-même, nous offrent la plupart du temps des différences si tranchées que des étrangers omit souvent entre eux bien plus de ressemblance que ces jumeaux, dont la naissance n’a été séparée que par un instant et dont la conception a été simultanée ? — Au chapitre 2e : Ils cherchent à établir leur opinion sur le court intervalle de temps qui sépare la naissance de deux jumeaux ; mais qu’est-ce que cette légère différence auprès de la différence profonde qui existe dans leurs volontés, dans leurs actes, dans leurs mœurs et dans les événements de leur vie ? — Aux chapitres 7 et 9 : Quelques-uns appellent du nom de destin non pas les différentes positions des astres, mais la réunion et l’enchaînement des causes secondes qu’ils font dépendre de la volonté et de la puissance de l’Être souverain. Or, si vous soumettez au destin les choses humaines, tout en appelant de ce nom la volonté et la puissance de Dieu, je vous dirai : Conservez votre manière de penser, mais modifiez vos expressions, car, dans le langage ordinaire on est convenu d’appeler destin, l’influence qui résulte de la position des astres ; et nous ne donnons pas ce nom à la volonté de Dieu à moins que nous ne fassions venir le mot destin ou fatalité, du mot parler (fatum, en latin vient de fando) ; car il est écrit : « Dieu a parlé une fois, j’ai entendu ces deux choses. » Ce n’est donc pas la peine de nous épuiser avec eux dans une vaine dispute de mots.

S. Aug. (contre Faust., liv. 2, chap. 5.) Si nous refusons de placer la naissance d’aucun homme sons l’action fatale des étoiles, afin d’affranchir son libre arbitre de toute chaîne que la nécessité voudrait lui imposer, à combien plus forte raison refuserons-nous d’admettre que la naissance du Seigneur éternel et du Créateur de toutes choses ait été soumise à l’influence des astres. Ainsi, cette étoile que les Mages ont vue à la naissance du Christ ne lui imposait pas une destinée tyrannique, mais obéissait à ses ordres en lui rendant témoignage. Elle n’était donc pas un de ces astres qui depuis le commencement du monde gardent fidèlement sous la loi du Créateur la route qu’il leur a prescrite, mais c’était un nouvel astre créé pour cet enfantement nouveau de la Vierge, et elle avait pour mission de guider les Mages qui cherchaient le Christ, en marchant devant eux, jusqu’à ce qu’elle les eût conduits en les précédant à l’endroit où le Seigneur, où le Verbe s’était fait enfant muet et sans parole. Quels sont donc les astrologues qui font tellement dépendre des astres la destinée des hommes qui naissent à la vie, qu’ils assurent qu’à la naissance de l’un d’eux une des étoiles abandonne l’orbite dans lequel s’accomplit sa révolution pour venir au-dessus du berceau de l’enfant qui vient de naître, eux qui prétendent que c’est la destinée de cet enfant qui se trouve liée nu cours des astres, et non pas le cours des astres qui puisse être modifié par sa naissance ? Si donc cette étoile était une de celles qui accomplissent leur révolution dans les cieux, comment pouvait-elle connaître ce que le Christ devait faire, elle qui, à la naissance du Christ, se trouvait détournée du mouvement qu’elle accomplissait ? Si, au contraire, ce qui est plus probable, elle n’existait pas auparavant, et qu’elle n’ait été créée que pour faire découvrir le Christ, le Christ n’est pas né parce qu’elle existait, mais elle a reçu l’existence parce que le Christ était né. Aussi, s’il était permis de s’exprimer de la sorte, nous dirions que ce n’est pas l’étoile qui a été le destin pour le Christ, mais le Christ qui a été le destin pour l’étoile, car c’est le Christ qui a été la cause de son existence, ce n’est pas l’étoile qui a été la cause de la naissance du Christ.

S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) L’objet de l’astronomie n’est pas de demander aux astres quels sont ceux qui naissent, mais de conjecturer la destinée d’un homme par l’heure de sa naissance. Or les Mages ne connurent pas l’heure de la naissance du Christ, pour deviner par le mouvement des étoiles ses destinées futures ; tout au contraire nous les entendons dire : « Nous avons vu son étoile. » — La Glose. C’est-à-dire, son étoile à lui, celle qu’il a créée pour le faire connaître. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Les anges annoncent la naissance du Christ aux bergers, une étoile la fait connaître aux Mages, le ciel parle en son langage aux uns comme aux autres, parce que la voix des prophètes avait cessé de se faire entendre. Les anges habitent les cieux, les astres leur servent d’ornement : ce sont donc les cieux qui racontent aux uns et aux autres la gloire de Dieu.

S. Grég. (hom. 10 sur l’Evang.) La raison ne peut qu’approuver le choix que Dieu a fait d’un être raisonnable, c’est-à-dire d’un ange, pour annoncer Jésus-Christ aux Juifs comme à des hommes qui faisaient usage de leur raison, tandis que les Gentils rebelles à sa lumière sont amenés à la connaissance de Jésus-Christ, non par la parole humaine, mais par un signe miraculeux. Les prophéties ont été données aux premiers comme à des hommes qui avaient la foi, et les miracles opérés devant les seconds à cause de leur incrédulité. Les apôtres prêchèrent Jésus-Christ aux nations à la plénitude de l’âge parfait, tandis qu’une étoile le leur annonce alors qu’il est petit entant et incapable de parler, parce que l’analogie demandait que les prédicateurs fissent connaître par leurs discours le Seigneur alors qu’il parlait lui-même, et que les éléments muets fussent chargés de l’annoncer lorsqu’il ne faisait pas encore usage de la parole. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Le Christ était lui-même l’attente des nations dont l’innombrable postérité fut autrefois promise à notre bienheureux père Abraham, postérité qui devait se multiplier non par la propagation du sang, mais par la fécondité de la foi. Dieu compare ses descendants à la multitude des étoiles pour exciter dans l’âme du père de toutes les nations l’attente d’une postérité toute céleste et qui n’a rien de la terre. C’est donc par l’apparition d’une nouvelle étoile que les héritiers figurés par les étoiles sont appelés à former cette postérité qui est l’objet des promesses, afin que les astres du ciel qui avaient rendu témoignage à la promesse rendissent encore hommage à la vérité de son accomplissement.

S. Chrys. (hom. 6 sur Matth.) Il est évident que cette étoile ne fut pas une de celles dont le ciel est parsemé, car il n’en est aucune dont le mouvement se dirige comme celle-ci du nord au midi, puisque telle est la position de la Perse par rapport à la Palestine. On peut encore le conclure du temps où elle apparut, car ce n’était pas seulement pendant la nuit, mais en plein jour qu’elle était visible, et aucune étoile, ni la lune même, n’ont une telle puissance. Une troisième preuve, c’est que tantôt elle brillait, tantôt elle disparaissait ; lorsque les Mages entrent à Jérusalem, elle se cache ; aussitôt qu’ils ont quitté le roi Hérode elle reparaît ; elle n’avait même pas de marche qui lui fût propre, elle allait quand les Mages se mettaient en marche, quand ils s’arrêtaient elle s’arrêtait, comme autrefois la colonne de nuée dans le désert. D’ailleurs ce n’est pas en restant dans les hauteurs des cieux, mais en descendant à la portée des yeux, qu’elle indiquait aux Mages le lieu où la Vierge avait enfanté, ce qui n’est pas le fait d’une étoile qui suit sa route ordinaire, mais d’une puissance intelligente ; d’où l’on peut conclure que cette étoile était une vertu invisible voilée sous l’apparence d’un astre visible. — Remi. Quelques uns disent que cette étoile était l’Esprit saint qui voulut apparaître aux mages sous la forme d’une étoile, comme il apparut plus tard sous la forme d’une colombe sur Notre-Seigneur après son baptême. D’autres pensent que ce fut un ange, c’est-à-dire que celui qui apparut aux bergers serait le même qui aurait apparu aux mages. — La Glose. Le texte ajoute : « Dans l’Orient. » L’étoile se leva-t-elle dans l’Orient, ou les Mages de l’Orient où ils étaient la virent-ils se lever à l’Occident ? C’est ce qu’on ne sait pas ; elle a pu très bien se lever en Orient et les conduire à Jérusalem. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Vous me demanderez : Qui donc leur avait appris que cette étoile annonçait la naissance du Christ ? Sans doute les anges par voie de révélation. Était-ce de bons ou de mauvais anges ? Les mauvais anges, c’est-à-dire les démons, ont eux-mêmes confessé que le Christ était fils de Dieu. Mais pourquoi ne seraient-ce pas les bons anges qui auraient été chargés de cette mission, puisqu’en les portant à adorer le Christ c’était leur salut qu’on avait en vue et non pas le règne de l’iniquité ? Les anges purent donc leur dire : L’étoile que vous avez vue est celle du Christ ; allez, adorez-le dans le lieu de sa naissance, et jugez de la nature et de la grandeur de celui qui vient de naître. — S. Léon, pape. (serm. 4. sur l’Epiph.) Indépendamment de l’éclat de l’étoile qui frappa leurs yeux, un rayon plus brillant encore de la vérité éclaira et instruisit leurs cœurs, et c’était là une figure de la lumière que la foi répand dans les âmes.

S. Aug. (liv. des quest. du Nouv. et de l’Anc. Test., chap. 63.) Ou bien encore ils comprirent que le roi des Juifs était né parce que l’étoile était un indice ordinaire de la royauté temporelle. En effet, ces Mages n’étudiaient pas le cours des astres dans des intentions coupables, mais pour satisfaire le désir qu’ils avaient de connaître. Comme il y a tout lieu de le croire, ils suivaient la tradition de Balaam, qui avait dit autrefois (Nb 24) : « Une étoile se lèvera de Jacob. » On comprend donc qu’en voyant une étoile paraître dans le ciel en dehors du système des constellations, ils jugèrent que c’était l’étoile prédite par Balaam comme signe de la naissance du roi des Juifs.

S. Léon, pape (serm. 4 sur l’Epiph.) Ce que les Mages avaient cru et ce qu’ils avaient compris pouvait leur suffire, et ils n’avaient pas besoin d’examiner des yeux du corps ce qu’ils avaient vu des yeux de l’âme ; mais ce zèle, cet empressement, cette persévérance qui les conduisirent jusqu’au berceau du Sauveur étaient dans l’intérêt des hommes de notre temps, car de même que l’apôtre saint Thomas, en touchant de sa main les cicatrices des plaies de Notre-Seigneur après sa résurrection, nous a été grandement utile, de même il nous est avantageux que les Mages aient constaté de leurs yeux l’enfance du Sauveur. Ils disent donc : « Nous sommes venus l’adorer. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ignoraient-ils donc qu’Hérode régnait dans Jérusalem ? Ne savaient-ils pas que tout homme qui du vivant d’un roi prononce le nom d’un autre roi ou lui rend hommage, paie cette témérité de sa vie ? Mais, l’œil fixé sur le roi de l’avenir, ils ne craignent pas celui qui règne actuellement ; ils n’avaient pas encore vu le Christ, et déjà ils étaient prêts à mourir pour lui. Heureux Mages, qui avant de connaître le Christ l’ont confessé en présence du plus cruel des tyrans !

 

vv. 3-6

S. Aug. Autant les Mages désirent trouver un Rédempteur, autant Hérode craint de rencontrer un successeur, comme l’indiquent les paroles suivantes : « Ce qu’ayant appris le roi Hérode, il fut troublé. » — La Glose. On lui donne le nom de roi afin que, rapproché du roi que cherchent les Mages, il soit convaincu de n’être qu’un étranger. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il est troublé de ce qu’un roi des Juifs vient de naître du sein du peuple juif lui-même, parce qu’il est Iduméen, et qu’il craint que le sceptre revenant aux mains des Juifs, il ne soit chassé par eux, et sa race à jamais exclue du trône. C’est ainsi que les grandes puissances sont en proie à de plus vives terreurs. Les branches des arbres plantés sur les hautes montagnes sont agitées par le moindre vent ; ainsi ceux qui sont élevés en dignité sont troublés par le bruit de la plus légère nouvelle ; ceux au contraire dont la condition est obscure, vivant comme dans une vallée profonde, jouissent presque toujours d’une parfaite tranquillité.

S. Aug. (serm. 2 sur l’Epiph.) Quelle terreur inspirera un jour le tribunal du juge, alors que le berceau du petit enfant fait trembler les rois superbes sur leur trône ? Que les rois soient saisis de frayeur devant celui qui est assis à la droite du Père, puisqu’un roi impie a tremblé devant lui alors qu’il était encore suspendu au sein de sa mère. S. Léon, pape, (serm. 4 sur l’Epiph.) Cependant tes craintes sont superflues, ô Hérode, ton palais ne peut contenir le Christ, le maître du monde ne peut être resserré dans les limites étroites de ton royaume ; celui à qui tu veux défendre de régner dans la Judée étend son règne partout.

La Glose. Peut-être n’est-ce pas seulement la perte de son trône qu’il craignait, mais encore la colère des Romains qui avaient décidé qu’aucun roi, de même qu’aucun dieu ne serait proclamé sans leur approbation.

S. Grég. (hom. 10 sur les Ev.) A peine le roi du ciel est-il né que le roi de la terre est en proie à l’agitation et au trouble : c’est qu’en effet les hauteurs de la terre sont confondues, lorsque les grandeurs du ciel viennent à se découvrir. — S. Léon pape, (serm. 6 sur l’Ep.) Hérode dans cette circonstance joue le rôle du démon, et le démon après avoir été son instigateur se montre depuis son infatigable imitateur, car la vocation des Gentils fait son tourment, et son plus grand supplice est de voir tous les jours la destruction de son empire. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Tous deux sont troublés par des inquiétudes personnelles, tous deux craignent un successeur, l’un de son royaume de la terre, l’autre du royaume des cieux. Or voici que le peuple juif partage lui-même ce trouble, alors qu’il aurait dû se réjouir de cette nouvelle ; mais ce peuple en est troublé, parce que l’arrivée du Juste ne peut être un sujet de joie pour les impies ; ou bien ils étaient troublés dans la crainte qu’Hérode irrité contre le roi des Juifs ne déchargeât sa colère sur la nation dont il était sorti ; c’est pourquoi l’auteur sacré ajoute : « Et toute la ville de Jérusalem avec lui. » — La Glose. La ville de Jérusalem voulait flatter celui qu’elle craignait, car le peuple favorise toujours plus qu’il ne le devrait ceux dont il supporte les violences. — Suite. « Et ayant assemblé tous les princes des prêtres, » etc. Remarquez son empressement à chercher le Christ ; il veut, s’il le trouve, exécuter les projets qu’il dévoilera plus tard, et s’il ne le trouve pas, se ménager une excuse auprès des Romains. — Remi. On les appelait scribes, non seulement parce qu’ils transcrivaient les livres de la loi, mais parce qu’ils interprétaient les Écritures, car ils étaient docteurs de la loi.

Suite. « Il leur demanda où le Christ devait naître. » Remarquez qu’il ne dit pas : « Où le Christ est né, » mais « où le Christ devait naître. » Il les questionne avec astuce pour s’assurer s’ils se réjouissaient de la naissance de ce nouveau roi. Il lui donne le nom de Christ, parce qu’il savait que le roi des Juifs recevrait l’onction royale. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Mais pourquoi cette question d’Hérode, s’il ne croyait pas aux Écritures ? Ou s’il y croyait, comment pouvait-il se flatter de pouvoir mettre à mort celui dont elles prédisaient la royauté ? Mais il était poussé par le démon qui sait que les Écritures ne peuvent mentir. Ainsi sont tous les pécheurs : ce qu’ils croient, il ne leur est pas donné de le croire parfaitement ; ils croient, tant est grande la puissance de la vérité, et ils ne croient point, aveuglés qu’ils sont par l’ennemi du salut. Car si leur foi était parfaite, ils ne vivraient pas comme devant rester éternellement en ce monde, mais comme devant en sortir après quelques instants de séjour.

Suite. Ceux-ci répondirent : « Dans Bethléem de Juda. » — S. Léon pape. (serm. 1 sur l’Epiph.) Les Mages guidés par un sentiment naturel crurent qu’ils devaient chercher dans la capitale du royaume le roi dont la naissance leur avait été révélée ; mais celui qui avait daigné prendre la forme d’un esclave, et qui était venu pour être jugé, et non pas pour juger, fit choix de Bethléem pour sa naissance et de Jérusalem pour sa passion. — Théodote. (serm. au conc. d’Ephèse.) S’il avait choisi Rome, la ville par excellence, on aurait pu croire que le changement qu’il a opéré dans le monde était dû à la puissance des citoyens romains ; s’il eût eu un empereur romain pour père on eût attribué ses succès à son pouvoir. Qu’a-t-il donc fait ? Il a choisi tout ce qui a le caractère de la pauvreté et de la bassesse, pour qu’il soit bien démontré que c’est la puissance divine qui a transformé le genre humain ; voilà pourquoi il a fait choix d’une mère pauvre, et d’une patrie plus pauvre encore, voilà pourquoi il naît dans l’indigence, et c’est ce que la crèche vint enseigner. — S. Grég. (hom. 8 sur les Ev.) C’est par suite d’un dessein providentiel qu’il naît à Bethléem, car Bethléem signifie maison du pain, et il a dit de lui-même : « Je suis le pain vivant descendu du ciel.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Il semble que les princes des prêtres auraient dû cacher le mystère du roi prédestiné de Dieu, surtout en présence d’un roi étranger ; et cependant, non contents de publier les œuvres de Dieu, on les voit pour ainsi dire livrer ses mystères ; et non seulement ils les dévoilent, mais ils apportent à l’appui le témoignage du prophète. Il est écrit dans le prophète : « Et toi Bethléem, terre de Juda. » — La Glose. (Mi 5.) L’Évangéliste rapporte cette prophétie telle qu’ils l’ont citée, en donnant plutôt le sens véritable que le texte même du prophète Michée. — S. Jér. On peut reprocher ici aux Juifs leur ignorance, car on lit dans le prophète Michée : « Et toi Bethléem Ephrata, » et non pas comme ils disent : « Et toi Bethléem, terre de Juda. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il y a plus encore, c’est qu’en supprimant une partie de la prophétie ils sont devenus la cause du massacre des enfants. En effet la prophétie porte : « De toi sortira le roi qui gouvernera mon peuple d’Israël, et ses jours sont depuis les jours de l’éternité. » Si donc ils l’avaient citée dans son entier, Hérode réfléchissant que ce roi dont la naissance date des jours de l’éternité ne pouvait être un roi de la terre, ne serait pas entré dans une si grande fureur. — S. Jér. (sur S. Matth. et Michée dans la Glose.) Or voici le sens de cette prophétie : « Et toi Bethléem, terre de Juda, ou Ephrata » (elle est ainsi désignée parce qu’il y avait une autre Bethléem dans la Galilée), « quoique tu sois un petit bourg entre les villes de Juda, cependant c’est de toi que naîtra le Christ qui régnera sur Israël, et qui sera de la race de David. Cependant je lui ai donné naissance avant tous les siècles ; » c’est pour cela que le prophète ajoute : « Sa génération est dès le commencement, dès l’éternité, car au commencement le Verbe était en Dieu. » — La Glose. Quant à cette dernière partie, les Juifs la supprimèrent comme nous l’avons dit, et ils changèrent le reste de la prophétie, soit par ignorance comme nous l’avons supposé, soit afin de rendre plus clair et plus évident le sens de cette prédiction pour Hérode, qui était un étranger ; ainsi pour le mot « Ephrata, » qui était un mot ancien et qu’Hérode pouvait ignorer, ils mettent : « Terre de Juda, » au lieu de lire : « la plus petite entre toutes les villes de Juda, » avec le prophète lui avait voulu faire ressortir le peu d’importance de cette ville relativement à l’immense multitude du peuple de Dieu, ils dirent : « Tu n’es pas la moindre entre les principales villes de Juda, » afin de montrer la grandeur que faisait rejaillir sur elle la dignité du roi qui devait naître dans son sein ; paroles qui reviennent à celles-ci : Tu es grande entre toutes les cités qui ont donné le jour à des princes. — Remi. Ou bien on peut encore l’expliquer ainsi : « Quoique tu paraisses très petite au milieu des villes qui commandent aux autres, cependant tu ne l’es pas en réalité, car de toi sortira le chef qui conduira mon peuple d’Israël. » Ce chef, c’est le Christ qui conduit et gouverne le peuple fidèle.

S. Chrys. (hom. 1 sur S. Matth.) Remarquez avec quelle exactitude s’exprime le prophète ; il ne dit pas : « Il sera dans Bethléem, » mais : « Il sortira de Bethléem, » pour indiquer ainsi que cette ville ne serait témoin que de sa naissance. » Comment peut-on rapporter cette prophétie à Zorobabel, comme quelques-uns le prétendent ? Sa naissance ne date pas du commencement ni ses jours de l’éternité ; Il n’est pas non plus sorti de Bethléem, puisqu’il n’est pas né dans la Judée, mais à Babylone. Une raison non moins forte c’est que la prophétie ajoute : « Tu n’es pas la plus petite, parce que de toi sortira, » car aucun autre que le Christ n’a rendu célèbre le bourg où il est né, et depuis sa naissance on vient des extrémités de la terre visiter l’étable et la crèche où il est né. Si le prophète ne dit pas : « De toi sortira le Fils de Dieu ; » mais : « De toi sortira le chef qui conduira mon peuple d’Israël, » c’est que dans les commencements il fallait condescendre à la faiblesse des Juifs, ne pas les scandaliser, mais les attirer en leur faisant connaître ce qui avait rapport au salut du genre humain. Il faut prendre dans un sens figuré les paroles suivantes : « Qui conduira mon peuple d’Israël, » c’est-à-dire ceux qui doivent croire d’entre les Juifs. Si tous ne se sont pas rangés sous la conduite du Christ, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Le prophète n’a rien dit des Gentils et c’est encore pour ne pas scandaliser les Juifs. Voyez cependant comme tout est ici admirablement disposé. Les Juifs et les Mages s’instruisent mutuellement. Les Mages apprennent aux Juifs qu’une étoile annonce le Christ dans l’Orient, et les Juifs enseignent aux Mages que dans les temps anciens les prophètes l’ont prédit afin qu’affermis par ce double témoignage ils recherchent avec une foi plus ardente celui que révélaient à la fois l’éclat de l’étoile et l’autorité des prophéties. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) L’étoile qui conduisit les Mages au lieu où se trouvait le Dieu fait enfant avec la Vierge sa mère, aurait pu les conduire directement jusqu’à la ville même de Bethléem ; cependant elle se cacha, et ne reparut que lorsque ayant demandé aux Juifs dans quelle ville le Christ devait naître, ils en eurent obtenu cette réponse : « Dans Bethléem de Juda. » Les Juifs dans cette circonstance furent semblables aux ouvriers qui construisirent l’arche de Noé, et qui ne laissèrent pas de périr dans les eaux du déluge, après avoir fourni à d’autres le moyen de se sauver ; ou bien encore, semblables aux pierres milliaires placées sur les routes, ils se contentèrent d’indiquer le chemin, sans pouvoir marcher eux-mêmes. Ceux qui cherchaient n’eurent pas plus tôt appris ce qu’ils demandaient qu’ils partirent aussitôt, tandis que les docteurs les enseignèrent et restèrent immobiles. Les Juifs ne cessent de nous offrir tous les jours le même spectacle. Lorsque nous apportons aux païens des témoignages évidents de l’Écriture pour leur prouver que Jésus-Christ a été prédit bien longtemps avant sa naissance, Il en est quelques-uns qui tiennent ces témoignages pour suspects et comme inventés peut-être par les chrétiens, et qui préfèrent s’en rapporter aux exemplaires qui sont entre les mains des Juifs ; ces païens font comme les Mages autrefois, ils laissent les Juifs lire et relire sans aucun fruit leurs Écritures, et s’empressant de venir adorer avec foi Jésus-Christ.

 

vv. 7-8.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Hérode se trouvant en présence d’une réponse que rendait doublement probable et le témoignage des prêtres et l’autorité des prophètes, ne se détermine pas à rendre hommage au roi qui doit naître ; mais il se laisse aller au coupable désir de s’en défaire par ruse. Il a vu qu’il ne pouvait ni ébranler les Mages par ses caresses, ni les effrayer par ses menaces, ni les corrompre par son or, et les amener ainsi à consentir au meurtre du roi qui leur est annoncé ; il forme donc le dessein de les tromper. C’est ce qu’indique l’Évangéliste par ces paroles : « Hérode ayant fait venir les Mages en secret. » Il les appelle en secret, parce qu’il se défiait des Juifs et qu’il craignait que le désir d’avoir un roi de leur nation ne fût pour eux un motif de trahir ses desseins. « Il demanda donc aux Mages avec soin le temps où l’étoile leur avait apparu. » — Remi. Il les interroge avec soin, car c’était un homme astucieux, et il craignait qu’ils ne revinssent pas le trouver pour le renseigner sur l’enfant qu’il voulait mettre à mort.

S. Aug. (serm. 7 sur l’Epiph.) Cette étoile leur avait apparu presque deux ans auparavant, et elle était pour eux depuis ce temps un objet d’étonnement. Il faut donc admettre qu’ils n’apprirent ce que signifiait cette étoile qu’ils voyaient depuis longtemps, qu’à la naissance de celui qu’elle figurait ; et c’est après qu’il leur fut révélé que le Christ était né que les Mages vinrent de l’Orient, et qu’ils adorèrent le treizième jour celui dont ils avaient appris la naissance quelques jours auparavant. — S. Chrys. (hom. 7 sur S. Matth.) Ou bien comme leur voyage devait être de longue durée, l’étoile leur apparaissait depuis longtemps, afin qu’ils pussent se trouver au berceau du Christ aussitôt qu’il serait né, et l’adorer enveloppé de langes qui le leur rendaient plus admirable encore. — La Glose. Suivant d’autres, cette étoile n’aurait apparu que le jour même de la naissance du Christ, elle avait été créée pour cette mission, et aussitôt qu’elle l’eut remplie elle disparut. — Saint Fulgence dit en effet (serm. sur l’Epiph.) : « L’enfant nouveau-né créa une nouvelle étoile. »

Après avoir pris des informations sur le temps et sur le lieu, il veut aussi connaître la personne de l’enfant, et il ajoute : « Allez et informez-vous exactement de l’enfant. » Il leur enjoint de faire ce qu’ils devaient faire eux-mêmes sans avoir besoin de recommandation. — S. Chrys. (hom. 7.) Il ne dit pas : Informez-vous du roi, mais informez-vous de l’enfant, car il ne peut souffrir qu’on lui donne ce nom, symbole de son autorité. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Pour les amener à ses desseins, il feint le désir d’aller lui rendre hommage, et sous ce manteau d’hypocrisie il aiguise son glaive et veut dissimuler la perversité de son cœur sous les dehors de la soumission et de l’humilité. Ainsi font tous les méchants : c’est quand ils veulent porter en secret des coups plus terribles qu’ils font semblant de s’abaisser et qu’ils prodiguent les marques d’amitié ; c’est ce qui fait dire à Hérode : « Lorsque vous l’aurez trouvé, faites-le moi savoir, » etc. — S. Grég. (hom. 10 sur les Ev.) Il feint de vouloir l’adorer, pour pouvoir plus facilement le mettre à mort, s’il vient à le trouver.

Suite : « Ayant entendu les paroles du roi, ils partirent. » — Remi. Les Mages obéissent aux ordres d’Hérode pour chercher le Seigneur, mais non pour revenir le trouver ; en cela ils étaient l’image de ceux qui écoutent la parole de Dieu dans un bon esprit ; ils pratiquent les enseignements que leur donnent des prédicateurs vicieux, mais ils se gardent bien d’imiter leurs œuvres.

 

v. 9.

S. Chrys. (sur S. Matth.) On doit conclure de ces paroles que l’étoile, après avoir conduit les Mages jusqu’aux portes de Jérusalem, se déroba à leurs regards et les abandonna pour les forcer d’entrer dans cette ville et de demander aux habitants où était le Christ, en même temps qu’ils le faisaient connaître eux-mêmes. Dieu en cela se proposait premièrement de confondre les Juifs, en leur montrant des gentils qui, affermis dans la foi par la simple apparition d’une étoile, cherchaient le Christ à travers des contrées inconnues, tandis que les Juifs, nourris dès leur enfance des prophéties qui avaient le Christ pour objet, ne voulaient pas le recevoir alors qu’il était né dans leur propre pays. Dieu voulait encore que les prêtres interrogés sur le lieu où devait naître le Christ répondissent pour leur condamnation : « A Bethléem de Juda ; » parce qu’en donnant à Hérode les explications qu’il demandait sur le Christ, ils ne le connaissaient pas eux-mêmes. Après que les Mages eurent obtenu la réponse à la demande qu’ils avaient faite, le texte ajoute : « Et voici que l’étoile qui leur avait apparu dans l’Orient les précédait. » Témoins de l’hommage rendu par l’étoile à cet enfant, ils purent comprendre quelle était la dignité du nouveau roi. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Et pour que cet hommage rendu au Christ fût plus éclatant, l’étoile ralentit sa marche jusqu’à ce qu’elle eut amené les Mages aux pieds de l’enfant. Elle se mit à la disposition des Mages, mais sans leur commander. Elle montra au Sauveur ses adorateurs, éclaira la grotte d’une abondante lumière, inonda le toit de cette étable de ses rayons éclatants et disparut ensuite. C’est ce que l’Évangéliste indique lorsqu’il ajoute : « Jusqu’à ce qu’étant arrivée sur le lieu où était l’enfant, elle s’y arrêta. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Qu’y a-t-il d’étonnant que le soleil de justice, sur le point de se lever, ait voulu être annoncé par une étoile miraculeuse ? Elle s’arrêta au-dessus de la tête de l’enfant comme pour dire : « C’est lui. » Elle le désignait en s’arrêtant au-dessus de lui, parce qu’elle ne pouvait le faire en parlant. La Glose. On voit par là que cette étoile se trouvait dans notre atmosphère, et qu’elle était fort proche de la maison où était l’enfant, autrement les Mages n’auraient pu distinguer cette maison. — S. Amb. (sur S. Luc.) Cette étoile c’est la voie, et la voie c’est le Christ, car par le mystère de son incarnation il est comme une étoile, étoile brillante, étoile du matin, qu’on ne peut voir dans les lieux ou règne Hérode, mimais qui reparaît de nouveau là où habite le Christ pour nous montrer le chemin. — Remi. On peut dire encore que l’étoile figure la grâce de Dieu, comme Hérode est le symbole du démon. Or celui qui se soumet au démon par le péché perd aussitôt la grâce ; s’il se détache du démon par la pénitence, il recouvre immédiatement la grâce, qui ne le quitte pas qu’elle ne l’ait conduit jusqu’à la maison de l’enfant, qui est l’Église. — La Glose. Ou bien encore l’étoile est la lumière de la foi qui conduit les âmes à Jésus-Christ et que les Mages voient disparaître en s’arrêtant chez les Juifs, car en demandant conseil aux méchants ils perdent la véritable lumière.

 

vv. 10-11

La Glose. Après avoir montré comment l’étoile s’était mise au service des Mages, l’Évangéliste nous apprend quelle fut la joie de ces derniers : « Lorsqu’ils virent l’étoile, ils furent transportés d’une joie extrême. » — Remi. Et remarquez qu’il ne se contente pas de dire : « Ils furent dans la joie » mais : « Ils furent transportés d’une joie extrême. » S. Chrys. (sur S. Matth.) Ils furent transportés de joie, parce que leur espérance, loin d’être trompée, se trouvait affermie, et qu’ils ne s’étaient pas exposés inutilement aux fatigues d’un si long voyage : — La Glose. On est transporté de joie quand on se réjouit pour Dieu, qui est la joie véritable. L’Évangéliste ajoute : « d’une grande joie, » parce que l’objet de cette joie était considérable. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le ministère rempli par cette étoile leur fit comprendre que la dignité du roi qui venait de naître surpassait de beaucoup celle de tous les rois de la terre. L’auteur sacré ajoute : « d’une joie extrême. » — Remi. Il veut nous apprendre par là qu’on se réjouit beaucoup plus des choses qu’on retrouve que de celles qu’on n’a jamais perdues.

Suite. « Et entrant dans la maison, ils trouvèrent l’enfant. » S. Léon. pape. (serm. 4 sur l’Epiph.) Ils le trouvèrent petit de forme, réduit à avoir besoin du secours d’autrui, incapable de parler, ne différant en rien de la généralité des autres enfants ; car de même que des témoignages incontestables prouvaient qu’en lui se trouvait l’invisible majesté de Dieu, de même il devait être démontré que cette nature éternelle du Fils de Dieu s’était unie à la vérité de la nature humaine.

Suite. « Avec Marie, sa mère. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Elle n’était pas couronnée du diadème, elle ne reposait pas sur un lit doré, elle avait à peine une simple tunique, non point pour orner son corps, mais pour le couvrir, le vêtir, et telle que pouvait en porter en voyage la femme d’un charpentier. Si donc ils étaient venus chercher un roi de la terre, la joie eût fait place chez eux à un sentiment de confusion, de ce qu’un si grand voyage était pour eux sans résultat. Mais comme le roi qu’ils cherchaient était le roi du ciel, bien qu’ils ne découvraient en lui rien de royal, contents du témoignage que lui rendait l’étoile, ils se réjouissaient à la vue de ce pauvre enfant dont l’Esprit saint leur dévoilait au fond du cœur la redoutable majesté ; c’est pour cela qu’ils se prosternèrent pour l’adorer, car si leurs yeux ne voient en lui qu’un homme, ils reconnaissent un Dieu. — Rab. Par une disposition providentielle, Joseph se trouvait alors absent, pour ne point donner aux Gentils l’occasion d’un soupçon injurieux. — La Glose. Bien qu’ils aient suivi les usages de leur nation dans les dons qu’ils offraient au Sauveur, les Arabes trouvant en abondance dans leur pays l’or, l’encens et des parfums de toute espèce, cependant dans leur intention ces présents avaient une signification mystérieuse. Le texte sacré ajoute donc : « Ayant ouvert leurs trésors, ils lui offrirent pour présents de l’or, de l’encens et de la myrrhe. » — S. Grég. (hom. 10 sur les Evang.) L’or convient à la dignité royale, l’encens faisait partie des sacrifices offerts à Dieu, et la myrrhe sert à embaumer les morts... — S. Aug. (Serm. sur l’Epiph.) Ils lui offrent de l’or comme à un roi puissant, l’encens comme à un Dieu, la myrrhe comme à celui qui devait mourir pour le salut de tous. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Que les Mages ne comprissent pas alors la grandeur du mystère qui les faisait agir ainsi, ou la signification mystérieuse de chacun de leurs présents, peu importe, car la grâce qui leur avait inspiré toute cette conduite avait tout disposé suivant ses vues. — Remi. il ne faut pas oublier que chacun des trois Mages ne présenta pas en particulier un seul de ces trois présents, mais que chacun d’eux les offrit tous les trois, proclamant ainsi tous les trois par la nature de leurs présents le roi, le lieu et l’homme. — S. Chrys. (hom. 7 sur S. Matth.) Que Marcion et Paul de Samosate rougissent donc, eux qui refusent de reconnaître ce qu’ont reconnu les Mages, qui ont donné naissance à l’Église, et qui ont adoré Dieu dans une chair mortelle. Que celui qu’ils adorent fût revêtu d’un corps mortel, les langes et la crèche le disent assez ; mais qu’ils aient adoré en lui non pas un simple mortel, mais un Dieu, nous en avons la preuve dans les présents qu’il était juste d’offrir à la divinité. Que les Juifs soient aussi couverts de honte, eux qui sont prévenus par les Mages, et qui ne se mettent pas en peine de venir du moins à leur suite.

S. Grég. (hom. 10.) On peut encore donner une autre interprétation de ces présents. L’or signifie la sagesse, au témoignage de Salomon : « Un trésor désirable se trouve sur les lèvres du Sage » (Pv 21, 20), l’encens qu’on brûle devant Dieu figure la vertu de la prière selon ces paroles : « Que ma prière se lève comme l’encens en votre présence ; la myrrhe est le symbole de la mortification de la chair. Nous offrons à ce roi nouveau-né l’or lorsque nous resplendissons devant lui de l’éclat de la sagesse ; nous lui offrons l’encens lorsque par la prière nous exhalons devant Dieu le parfum de nos hommages ; nous lui offrons la myrrhe en mortifiant par l’abstinence les vices de la chair. — La Glose. Ces trois hommes qui offrent à Dieu leurs présents figurent les nations venues des trois parties du monde. Ils ouvrent leurs trésors en manifestant la foi de leurs cœurs par le témoignage qu’ils en donnent. Ils les ouvrent dans l’intérieur de la maison pour nous apprendre à ne pas étaler par vanité aux yeux du public le trésor d’une bonne conscience ; ils offrent trois présents, c’est-à-dire leur foi en la sainte Trinité. On peut dire encore qu’ils ouvrent les trésors des Écritures et qu’ils en tirent les trois sens historique, moral et allégorique ; ou bien la logique, la physique et la morale en tant qu’il les soumettent à la foi.

 

v. 12.

S. Aug. L’impie Hérode, que la crainte rendait cruel, voulait donner un libre cours à sa fureur, mais comment pouvait-il se rendre maître par la ruse de celui qui venait détruire toutes les ruses et les perfidies ? C’est pour nous apprendre comment sa perfidie fut déjouée que l’Évangéliste ajoute : « Et ayant reçu en songe un avertissement. » — S. Jér. Ceux qui ont offert leurs présents au Seigneur en reçoivent un avertissement ; ce n’est point par un ange qu’il leur est donné, pour rendre plus éclatant le privilège que Joseph devait à ses vertus. — La Glose. Cet avertissement vient du Seigneur lui-même, car nul autre ne peut indiquer la voie du retour que celui qui a dit : « Je suis la voie. » Toutefois ce n’est pas l’enfant qui leur parle, pour ne pas révéler sa divinité avant le temps, et pour confirmer au contraire la vérité de son humanité. L’Évangéliste dit : « Et ayant reçu réponse, » car de même que Moïse criait vers Dieu tout en gardant le silence, de même les Mages interrogeaient par leurs pieux désirs la volonté divine. Il est dit encore : « Ils s’en retournèrent en leur pays par un autre chemin, » parce qu’ils ne devaient plus se mêler à l’incrédulité des Juifs.

S. Chrys. (hom. 8 sur S. Matth.) Considérez la foi des Mages : ils ne sont pas scandalisés de cet avertissement, et ils ne disent pas : Si cet enfant est si puissant, pourquoi cette fuite, pourquoi ce retour secret ? Un des caractères de la vraie foi, c’est de ne pas rechercher les raisons des ordres qui nous sont donnés, mais d’y acquiescer avec docilité. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si les Mages avaient recherché le Christ comme un roi de ce monde, ils seraient demeurés près de lui après l’avoir trouvé : tandis qu’après avoir adoré ce roi du ciel ils s’en vont dans leur pays. Lorsqu’ils furent de retour, ils se montrèrent plus que jamais adorateurs fidèles du vrai Dieu ; ils en instruisirent un grand nombre par leurs prédications, et lorsque saint Thomas arriva plus tard dans ces contrées, ils se joignirent à lui et après avoir reçu le baptême ils devinrent ses coadjuteurs dans l’apostolat.

S. Grég. (hom. 10 sur les Ev.) Les Mages en retournant dans leur pays par un autre chemin nous donnent une grande leçon. Notre patrie, c’est le ciel, et après avoir connu le Sauveur Jésus, nous ne pouvons y retourner par la voie que nous avons d’abord suivie. En effet nous nous sommes éloignés de notre patrie par l’orgueil, par la désobéissance, par l’attachement aux choses visibles, et en goûtant au fruit défendu ; nous ne pouvons y revenir que par les larmes, par l’obéissance, par le mépris des choses de la terre et la mortification des désirs de la chair. — S. Chrys. (sur S. Matth.) D’ailleurs Il n’était pas possible que ceux qui avaient quitté Hérode pour venir trouver Jésus-Christ, retournassent vers ce roi impie et cruel. Ceux en effet qui abandonnent Jésus-Christ et qui passent au démon par le péché, reviennent à Jésus-Christ par la pénitence. Celui qui a vécu jusqu’alors dans l’innocence, ignore le mal et se laisse facilement tromper ; mais lorsqu’il a connu par expérience le mal dans lequel il est tombé, et qu’il se rappelle le bien qu’il a perdu, il revient à Dieu, le repentir dans le cœur. Or l’homme qui abandonne le démon pour venir à Jésus-Christ revient difficilement au démon, parce que la joie qu’il goûte au milieu des biens qu’il a retrouvés, et le souvenir des maux auxquels il a échappé, lui rendent difficile le retour vers le mal.

 

v. 13-15.

Rab. Saint Matthieu passe sous silence la cérémonie de la Purification dans laquelle on devait présenter au temple l’enfant premier-né, et offrir un agneau, ou deux tourterelles, ou deux petits de colombes. Malgré la crainte que leur inspirait Hérode, les parents de Jésus n’osèrent transgresser la loi qui les obligeait à porter l’enfant au temple. Mais lorsque le bruit de la naissance de l’enfant commença à se répandre, un ange fut envoyé pour avertir Joseph de transporter l’enfant en Égypte : « L’ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, mi poursuit l’Évangéliste. Remi. — L’ange est toujours envoyé à Joseph pendant son sommeil, et ce saint patriarche est la figure de ceux qui, s’affranchissant des soins de la terre et des préoccupations du monde méritent d’être favorisés de la vision des anges. L’ange lui dit donc : « Levez-vous, prenez la mère et l’enfant. » — S. Hil. Pour exprimer qu’elle était fiancée à cet homme juste, l’Évangéliste l’appelle son épouse ; mais après l’enfantement, il ne la présente plus que comme la mère de Jésus, et ce n’est pas sans raison : le mariage avec le juste Joseph devait être regardé comme le plus sûr garant de la virginité de Marie, et cette virginité était comme consacrée dans la mère de Jésus par sa maternité divine.

S. Chrys. (sur S. Matth.) — L’ange ne dit pas : « Prenez la mère et l’enfant, » mais « prenez l’enfant et la mère ; car l’enfant n’est pas né pour la mère, mais la mère a été préparée pour l’enfant : « Et fuyez en Égypte. » Mais comment le Fils de Dieu peut-il fuir devant un homme ? Qui nous délivrera de nos ennemis, si lui-même en est réduit à craindre les siens ? Il fallait d’abord qu’il se soumît en cela aux conditions de la nature humaine qu’il avait prise, conditions qui exigent tille la nature humaine et l’enfance abandonnée à elle-même fuient devant un pouvoir qui les menace. En second lieu, c’est une leçon donnée aux chrétiens, qui ne doivent point rougir de prendre la fuite lorsque la persécution la rend nécessaire. Mais pourquoi fuir en Égypte ? Le Seigneur dont la colère ne dure pas éternellement, s’est souvenu de tous les maux dont Il avait autrefois accablé l’Égypte, et il lui envoie son Fils pour lui donner un signe éclatant de réconciliation. Il veut ainsi guérir par cet unique et puissant remède les dix plaies anciennes de l’Égypte. Il veut aussi que le peuple qui a été autrefois le persécuteur de son peuple premier-né, devienne le gardien de son Fils unique ; que ceux qui ont fait peser sur ce peuple leur domination tyrannique soient les serviteurs les plus empressés de son Fils, et qu’au lieu d’aller s’engloutir dans les flots de la mer Rouge ils soient appelés à se plonger dans les eaux vivifiantes du baptême. — S. Aug. Prêtez l’oreille à ce grand mystère. Moïse avait autrefois répandu une profonde nuit sur l’Égypte perfide ; le Christ en arrivant dans cette contrée rend la lumière à ceux qui étaient assis dans les ténèbres ; il fuit, mais c’est pour éclairer et non pas pour se dérober à ses ennemis.

Suite. « Et demeurez-y jusqu’à ce que je vous le dise ; car Hérode cherche l’enfant pour le faire mourir. » Ce tyran infortuné craignait d’être précipité de son trône par l’avènement du Sauveur ; il se trompait, le Christ n’était pas venu pour s’emparer de la puissance et de la gloire des autres, mais pour communiquer la sienne.

Suite. « Et il prit la mère et l’enfant pendant la nuit, et il se retira en Égypte. » S. Hil. — Ajoutez, pleine d’idoles. C’est ainsi que persécuté par les Juifs il les abandonne à leur ignorance et se présente au monde de la Gentilité pour en être adoré. — S. Jér. Lorsque Joseph prend la mère et l’enfant pour fuir en Égypte, c’est pendant la nuit et dans les ténèbres ; lorsqu’il retourne dans la Judée, il n’est plus fait mention ni de la nuit ni de l’obscurité. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Les angoisses produites par la persécution sont comparées à la nuit, comme la consolation est figurée par la lumière du jour. — Rab. Peut-être aussi est-ce que les ennemis de la lumière restèrent plongés dans les ténèbres par le départ de la lumière, et qu’ils furent de nouveau éclairés par son retour. — S. Chrys. (hom. 8 sur S. Matth.) Voyez, à peine l’enfant est-il né, le tyran entre en fureur, et la mère avec l’enfant sont obligés de fuir dans une terre étrangère. Si donc après vous être dévoués a une œuvre spirituelle, la tribulation vient fondre sur vous, ne vous troublez pas, mais profitez de cet exemple pour supporter tout avec courage. — Bède (hom. sur les SS. Innocents.) Le Sauveur obligé de fuir en Égypte sur les bras de ses parents nous apprend que souvent les bons sont chassés de leurs demeures, et quelquefois même jetés en exil par la perversité des méchants. Jésus, qui devait donner aux siens ce commandement : Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre, pratique le premier ce qu’il recommande aux autres, et il fuit devant un homme, comme s’il était un homme mortel, lui qu’une étoile du haut du ciel a présenté comme Dieu aux adorations des Mages. — Remi. Isaïe avait prédit cette fuite du Seigneur en Égypte en ces termes (Is 19, 1) : Voici que le Seigneur est porté sur un nuage léger, il entrera en Égypte et il renversera les idoles de l’Égypte.

Saint Matthieu a pour habitude d’appuyer toujours ce qu’il avance de quelque témoignage, parce qu’il écrivait pour les Juifs ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Afin que cette parole que le Seigneur avait dite par le prophète fut accomplie : « J’ai rappelé mon Fils de l’Égypte. » — S. Jér. (De la meilleure manière d’interprét.) On ne lit point cette prophétie dans les Septante, mais le texte hébreu d’Osée porte littéralement : « J’ai aimé Israël lorsqu’il n’était qu’un enfant ; j’ai appelé mon Fils de l’Égypte, » ce que les Septante ont traduit : « J’ai aimé Israël lorsqu’il n’était qu’un enfant, j’ai appelé ses enfants de l’Égypte.

S. Jér. (sur Osée.) L’Évangéliste cite ce témoignage du prophète parce qu’il se rapporte figurativement au Christ. Il faut remarquer en effet que ce prophète comme tous les autres prédirent l’avènement du Christ et la vocation des Gentils, en ne laissant jamais entièrement de côté le fond historique du récit. — S. Chrys. (hom. 8 sur S. Matth.) C’est un des caractères de la prophétie dont l’application est fréquente, que ce qu’elle prédit des uns s’accomplit en d’autres ; nous en avons un exemple dans cette prophétie qui avait pour objet Siméon et Lévi : « Je les diviserai dans Jacob, et je les disperserai au milieu d’Israël, » et qui n’a pas été accomplie dans ces deux enfants de Jacob, mais dans leurs descendants. C’est ce que nous voyons encore ici ; car le Christ est le Fils de Dieu par nature et c’est en lui que la prophétie a son véritable accomplissement. — S. Jér. Nous pouvons encore donner une autre explication en faveur de ceux qui se rendent difficilement, en produisant ce témoignage tiré du Livre des Nombres, où Balaam dit : « Dieu l’a appelé de l’Égypte, sa gloire est comme celle du rhinocéros. » — Remi. Joseph représente ici les prédicateurs de l’Évangile ; Marie, la sainte Écriture ; l’enfant, la connaissance du Sauveur ; la persécution d’Hérode, celle qu’eut à souffrir la primitive Église ; la fuite de Joseph en Égypte, le passage des apôtres chez les nations infidèles (l’Égypte signifie les ténèbres) ; le temps qu’il resta en Égypte, celui qui sépare l’Ascension de la venue de l’Antéchrist ; la mort d’Hérode, l’extinction de l’envie qui existait dans le cœur des Juifs.

 

v. 16.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Pendant que l’enfant Jésus soumettait les Mages à son empire non par sa puissance corporelle, mais par la grâce de l’Esprit, Hérode entrait en fureur de n’avoir pu persuader, lui assis sur le trône, ceux qu’avait su charmer Jésus, tout enfant qu’il était et couché dans une pauvre crèche. Le mépris que les Mages tirent de sa personne augmentèrent encore sa douleur, ce que l’Évangéliste exprime ainsi : « Alors Hérode, voyant qu’il avait été trompé par les Mages, entra dans une grande colère. » La colère des rois, lorsqu’elle est allumée par la passion du pouvoir, est comme un vaste incendie qu’on s’efforce vainement d’éteindre. Mais que fit-il ? Il envoya mettre à mort tous les enfants. De même qu’un animal féroce blessé déchire tout ce qui se présente comme étant la cause de sa blessure, ainsi Hérode trompé par les Mages décharge sa colère sur tous les enfants. Il se disait dans sa fureur : « Certainement les Mages ont trouvé cet enfant dont ils annonçaient la royauté future, » car un roi que tourmente l’ambition de régner soupçonne tout, parce qu’il craint tout. Il envoya donc des émissaires pour mettre à mort tous les enfants, et pour ensevelir un seul d’entre eux dans le trépas de tous les autres. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Et pendant qu’il persécute le Christ contemporain de ce roi cruel, il lui forme une armée éclatante des blanches insignes de la victoire. — S. Aug. Ce roi impie en mettant sa puissance au service de ces bienheureux enfants leur eût été moins utile que par les effets de sa haine, car plus la cruauté qui les persécuta fut grande, plus aussi fut brillante la grâce qui les mit en possession du bonheur. — Le même. O bienheureux enfants ! Que celui-là doute de la couronne que vous a méritée le martyre souffert pour Jésus-Christ, qui nie l’utilité du baptême de Jésus-Christ pour les enfants. Est-ce qu’en effet celui qui a pu avoir des anges pour prédicateurs de sa naissance, et des Mages pour adorateurs dans son berceau, n’aurait pas pu garantir ces enfants de la mort qu’ils ont soufferte pour lui, si cette mort devait être pour eux une perte sans retour, au lieu d’être le commencement d’une vie bien plus heureuse ? Gardons-nous de penser que le Christ qui venait sur la terre pour l’affranchissement et le salut de tous les hommes, n’ait rien fait pour la récompense des enfants qui mouraient pour lui, alors que lui-même, suspendu au bois de la croix, alla jusqu’à prier pour ses bourreaux.

Rab. Non contents de porter la désolation dans Bethléem, il étendit sa fureur à tous les pays d’alentour, et sans aucune pitié pour cet âge innocent, il fit massacrer tous les enfants, depuis celui qui ne comptait qu’une nuit jusqu’aux enfants âgés de deux ans, comme l’indique le texte sacré : « Dans Bethléem et dans le pays d’alentour, depuis l’âge de deux ans et au-dessous. » — S. Aug. (serm. 7 sur l’Epiph.) Ce n’était pas seulement quelques jours auparavant que les Mages avaient vu cette étoile inconnue, mais depuis deux ans révolus, comme ils le firent savoir à Hérode qui s’en informait, et tel est le sens des paroles suivantes : « Selon le temps dont il s’était enquis exactement auprès des Mages. — S. Aug. (serm. sur les démons). Peut-être craignait-il que cet enfant, qui avait les étoiles à ses ordres, ne prît l’extérieur d’un enfant un peu au-dessus ou au-dessous de son âge, pour cacher l’époque de sa naissance. C’est pour cela qu’il fit mettre à mort tous ceux qui avaient deux ans jusqu’aux enfants qui ne comptaient qu’un jour de vie. — S. Aug. (de l’acc. des Ev., 2, 2.) Peut-être encore qu’Hérode, agité par la crainte de dangers plus imminents, fut distrait de la pensée de mettre à mort immédiatement ces enfants par des préoccupations d’un autre genre. Peut-être enfin put-il croire que les Mages trompés par l’apparition trompeuse d’une fausse étoile, avaient eu honte de revenir vers lui sans avoir trouvé l’enfant à la naissance duquel ils avaient cru ; il laissa donc tomber ses frayeurs et abandonna le dessein qu’il avait de perdre cet enfant ; et ainsi les parents de Jésus furent libres de le porter au temple le jour de la Purification. Qui ne voit en effet que ce seul jour put bien passer inaperçu aux yeux d’un roi absorbé par tant de soins divers ? Mais plus tard, lorsque le bruit de tout ce qui avait été dit et fait dans le temple se fut répandu, Hérode comprit qu’il avait été trompé par les Mages, et c’est alors qu’eut lieu le massacre de tous ces enfants que l’Évangile raconte en cet endroit.

Bède. La mort de cet enfant fut une figure de la mort précieuse de tous les martyrs de Jésus-Christ. Ces enfants mis à mort dans un âge si tendre nous apprennent que c’est par l’humilité qu’on parvient à la gloire du martyre. Ce massacre, qui s’étend de Bethléem à tous les pays environnants, figure la persécution qui de la Judée, où l’Église prit naissance, devait se répandre par toute la terre. Ces martyrs de deux ans représentent les martyrs dont la science et les œuvres sont arrivées à la perfection ; ceux dont l’âge est au-dessous, les âmes qui ont la simplicité en partage. En permettant que ces enfants soient mis à mort, tandis que le Christ seul échappe au fer des bourreaux, Dieu nous apprend que les impies peuvent détruire les corps des martyrs, mais qu’ils ne peuvent leur enlever Jésus-Christ.

 

vv 17-18.

S. Chrys. (hom. 7 sur S. Matth.) Après nous avoir rempli d’horreur par le récit de ce cruel massacre, l’Évangéliste, pour en diminuer la pénible impression, nous montre qu’il ne s’est pas accompli à l’insu de Dieu ou en dépit de sa puissance, mais qu’il l’avait prédit lui-même par son prophète, et c’est pourquoi il ajoute : « Alors fut accompli, » etc. — S. Jér. (sur Jr 31, 15). Saint Matthieu ne rapporte ce témoignage de Jérémie, ni d’après le texte hébreu, ni d’après les Septante ; ce qui prouve que les Évangélistes et les Apôtres n’ont suivi aucune version dans leurs citations, mais que comme Hébreux ils ont cité à leur manière et en hébreu ce qu’ils lisaient dans la sainte Écriture.

 

S. Jér. (sur S. Matth.) Il ne faut pas prendre Rama pour le nom propre de ce lieu qui est près de Gaban ; le mot Rama signifie ici élevé, et il veut dire : « La voix s’est fait entendre sur les hauteurs, c’est-à-dire qu’elle a retenti au loin, dans une grande étendue. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien peut-être, comme c’était pour déplorer la mort des innocents que cette voix se faisait entendre, elle retentissait sur les hauteurs, selon cette parole : « La voix du pauvre pénètre les nues » (Si 35, 20). Le mot pleurs exprime les cris des enfants, le mot hurlements les lamentations des mères. Mais pour les enfants la mort mettait fin à leurs douleurs, tandis que la douleur des mères se ravivait sans cesse dans le souvenir de leurs enfants. C’est pour cela qu’il est dit : « Il y eut de grands gémissements ; c’est Rachel qui pleurait ses enfants. »

 

S. Jér. De Rachel est né Benjamin, et Bethléem n’est pas dans la tribu de Benjamin. On se demande donc pourquoi Rachel pleure les enfants de Juda (c’est-à-dire ceux de Bethléem) comme ses propres enfants. Nous répondrons en peu de mots que Rachel fut ensevelie près de Bethléem dans Ephrata, et qu’elle reçut le nom de mère parce que son tombeau se trouvait dans cette contrée. On peut dire aussi que les deux tribus de Juda et de Benjamin étant limitrophes, et Hérode ayant ordonné de tuer les enfants, non seulement dans Bethléem, mais dans tous les environs, on peut en conclure qu’un grand nombre d’enfants de la tribu de Benjamin furent enveloppés dans le massacre de ceux de Bethléem. — S. Aug. (Quest. sur le Nouv. et l’Anc. Test., cap. 62) Ou bien peut-être c’est parce que les enfants de Benjamin, qui appartenaient à Rachel, ayant été autrefois mis à mort par les autres tribus et détruits à jamais, cette malheureuse mère se lamente sur le sort de ses propres enfants, en voyant les enfants de sa sœur massacrés pour une cause si glorieuse que leur mort leur assurait l’héritage de la vie éternelle. En effet, quand le bonheur d’autrui vient ajouter à notre infortune nous en pleurons plus amèrement nos propres malheurs.

Remi. L’Évangéliste, pour nous dépeindre d’une manière plus frappante l’étendue de cette douleur, va jusqu’à dire que Rachel, toute morte qu’elle était, a pleuré ses enfants et n’a pas voulu se consoler parce qu’ils ne sont plus. — S. Jér. Ces dernières paroles peuvent avoir deux sens : ou parce que Rachel les croyait morts pour toujours, ou parce qu’elle ne voulait pas être consolée de la perte de ceux qu’elle savait devoir retrouver la vie. Tel serait donc le sens : « Elle ne voulut pas être consolée parce qu’ils ne sont plus, » c’est-à-dire : « Elle ne voulut pas être consolée de ce qu’ils n’étaient plus. »

 

S. Hil. (sur le chap. 1 de S. Matth.) On ne pouvait dire de ces enfants qui paraissaient morts qu’ils avaient cessé d’exister, car la gloire du martyre les avait élevés jusqu’à la vie plus parfaite de l’éternité, mais la consolation devait tomber sur ce qui avait été perdu et non sur ce qui avait été glorifié. Rachel était la figure de l’Église dont la fécondité avait succédé à une longue stérilité. Ces gémissements qu’elle fait entendre n’ont pas pour objet les enfants qui lui ont été ravis, mais ceux qui les ont mis à mort et qu’elle eût voulu garder pour ses enfants. — Rab. Ou bien Rachel signifie l’Église qui pleure la mort des saints arrachés à cette vie de la terre, et qui ne veut pas le la consolation de voir ceux qui ont triomphé du monde par leur trépas revenir de nouveau avec elle pour soutenir les mêmes combats, mais qui refuse toute consolation parce qu’ils ne doivent pas être rappelés à la vie. — La Glose. Ou bien elle ne veut pas être consolée dans la vie présente parce que ses enfants ne sont plus, et elle renvoie toute son espérance, toute sa consolation à la vie éternelle. — Rab. Rachel (dont le nom signifie brebis ou voyante) est une belle figure de l’Église, dont toute l’intention se dirige vers la contemplation de Dieu, et qui est aussi cette centième brebis que le bon pasteur rapporte sur ses épaules.

 

vv. 19, 20.

Eusèbe (Hist. Ecclés., liv. 1, chap. 8). Lorsque, pour punir le sacrilège qu’Hérode avait commis sur la personne du Sauveur, et le crime qu’il avait consommé sur les enfants de son âge, la vengeance divine hâtait le moment de sa mort, son corps, au dire de Josèphe, fut en proie à diverses maladies dans lesquelles les devins eux-mêmes virent, non pas une maladie ordinaire, mais des signes visibles de la justice de Dieu. Plein de fureur, ce malheureux prince fit jeter dans une prison les membres des principales et plus nobles familles des Juifs, et ordonna qu’on les fit tous mourir aussitôt qu’il aurait expiré, afin que toute la Judée fût forcée malgré elle de pleurer sa mort. Un peu avant de rendre le dernier soupir, il fit égorger son fils Antipater, comme il avait fait auparavant de ses deux autres fils Alexandre et Aristobule. Telle fut donc la fin d’Hérode, qui paya par un juste supplice la peine qu’il méritait pour le massacre des enfants de Bethléem, et les embûches qu’il avait tendues à l’Enfant-Dieu. C’est cette mort à laquelle l’Évangéliste fait allusion lorsqu’il dit : « Hérode étant mort. » — S. Jér. Il en est beaucoup qui, par ignorance de l’histoire, commettent l’erreur de confondre cet Hérode avec celui qui s’est moqué du Sauveur dans sa passion. Le roi Hérode, qui renoua plus tard amitié avec Pilate, était fils de ce premier Hérode et frère d’Archélaüs, que Tibère-César exila dans la ville de Lyon après lui avoir donné son frère Hérode pour successeur. Or, c’est après la mort de ce premier Hérode que « l’ange du Seigneur apparut en songe à Joseph dans l’Égypte et lui dit : Levez-vous, prenez l’enfant et la mère. » — S. Denys (Hier., chap. 4). Je vois que Jésus lui-même, placé par sa nature au-dessus de toutes les essences célestes, étant descendu jusqu’à nous sans rien changer à sa nature, accepte toutes les conditions inhérentes à la nature humaine, qu’il avait lui-même déterminées. Il obéit donc et se soumet aux ordres de Dieu son Père qui lui sont communiqués par les anges ; c’est par les anges que Dieu le Père intime à Joseph l’ordre de partir pour l’Égypte et plus tard celui de revenir de l’Égypte en Judée. S. Chrys. (sur S. Matth.) Vous voyez que Joseph avait été choisi pour rendre à Marie les services que son état réclamait. Quel autre aurait pu lui donner tous les soins dont elle eut besoin pendant son voyage en Égypte et à son retour, s’il n’avait été son époux ? Au premier aspect, c’est Marie qui nourrissait Jésus, et Joseph qui veillait sur lui ; mais dans la réalité c’est ce divin enfant qui nourrissait sa mère et protégeait Joseph lui-même.

 

Suite. « Retournez dans la terre d’Israël. » Le Sauveur descendit dans l’Égypte comme un médecin pour la visiter languissante au milieu de ses erreurs, mais non pas pour y rester. La raison de son retour nous est indiquée dans les paroles suivantes : « Car ceux qui cherchaient l’enfant pour lui ôter la vie sont morts. » Nous devons conclure de là que non seulement Hérode, mais encore les prêtres et les scribes avaient tramé en même temps la mort du Seigneur. — Remi. Mais s’ils étaient si nombreux, comment sont-ils tous morts dans un si court espace de temps ? Parce qu’après la mort d’Hérode, tous les grands qui étaient retenus dans les fers furent massacrés comme nous l’avons dit plus haut. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ils sont accusés d’avoir tramé la mort de l’enfant, parce qu’ils approuvèrent le dessein qu’avait Hérode de le mettre à mort, comme l’indiquent les paroles suivantes : « Hérode fut troublé et toute la ville de Jérusalem avec lui. » — Remi. Ou bien l’Évangéliste fait usage ici de cette figure où le pluriel est mis à la place du singulier. En disant : « L’âme de l’entant, » il détruit l’erreur des hérétiques qui ont avancé que le Christ n’avait pas d’âme, et que la divinité lui en tenait lieu.

 

Bède. (hom.) Hèrode succomba peu de temps après que les enfants furent massacrés pour le Sauveur, et Joseph ramena Jésus avec sa mère dans la terre d’Israël ; c’est là une figure que toutes les persécutions qui devaient être suscitées contre l’Église cesseraient à la mort des persécuteurs, que la paix serait de nouveau rendue à l’Église, et que les saints, qui avaient été obligés de fuir et de se cacher, retourneraient dans leur patrie. Le retour de Jésus en Judée, après la mort d’Hérode signifie aussi qu’à la voix d’Hénoch et d’Hélie les Juifs laisseront s’éteindre les feux de leur haine envieuse, et se convertiront à la foi et à la vérité.

 

vv. 21-23.

 La Glose. Joseph se montre docile à l’avertissement qui lui est donné par un ange ; « Et s’étant levé dit l’auteur sacré, il prit la mère et l’enfant, » etc. L’ange n’avait pas déterminé dans quel endroit de la terre d’Israël il devait se retirer ; l’incertitude de Joseph lui donnait ainsi l’occasion de revenir, et de lui ôter par ses fréquentes visites tout doute sur ce qu’il devait faire. Aussi lisons nous : « Ayant appris qu’Archélaüs, » etc. — Josèphe. Hérode eut neuf femmes dont sept lui donnèrent une nombreuse famille. Il eut son fils aîné Antipater de Doris, Alexandre et Aristobule de Mariamne, Archélaüs de Marthace de Samarie, Hérode Antipas qui fut dans la suite tétrarque de Galilée et Philippe, de Cléopâtre de Jérusalem. Or Hérode ayant fait mettre à mort ses trois premiers enfants, et Archélaüs s’appuyant sur le testament de son père pour s’emparer de son royaume, la cause fut portée à Rome au tribunal de César-Auguste, qui, sur l’avis du sénat, partagea les états d’Hérode de la manière suivante : Il donna à Archélaüs sous le titre de tétrarque la moitié du royaume d’Hérode, c’est-à-dire l’Idumée et la Judée, en lui promettant de rétablir en sa personne le titre de roi, s’il s’en rendait digne. Il subdivisa l’autre partie en deux tétrarchies, donna la Galilée à Hérode avec le titre de tétrarque, et à Philippe l’Iturée et la Traconite. Archélaüs devint donc après la mort d’Hérode une espèce d’etnarque, sorte de pouvoir que l’Évangéliste assimile au titre de roi.

S. Aug. (De l’acc. des Ev. liv. 2, chap. 10.) On nous demandera peut-être ici comment les parents de Jésus, comme le raconte saint Luc, pouvaient pendant toute son enfance venir tous les ans à Jérusalem, alors que la crainte d’Archélaüs devait les en tenir éloignés. La réponse est facile. Ils pouvaient très bien en effet venir secrètement à Jérusalem le jour de la fête, confondus qu’ils étaient au milieu d’une si grande foule, pour en sortir bientôt, tandis qu’ils auraient dû craindre d’y fixer leur séjour en d’autres temps. C’est ainsi qu’ils accomplissaient leurs devoirs religieux en assistant à la fête, et qu’ils ne s’exposaient pas à être remarqués en y restant plus longtemps. Il est d’ailleurs évident que lorsque saint Luc nous dit qu’ils montaient tous les ans à Jérusalem, Il faut l’entendre du temps où ils n’avaient plus rien à craindre d’Archélaüs, qui, d’après Josèphe, ne régna que neuf ans.

« Et ayant reçu un avertissement pendant son sommeil. » Quelqu’un sera peut-être surpris d’entendre saint Matthieu nous dire que Joseph craignait de revenir avec l’enfant dans la Judée, parce qu’Archélaüs avait succédé à Hérode son père, tandis qu’il ne craint pas de se retirer dans la Galilée, dont un autre fils d’Hérode était tétrarque, au témoignage de saint Luc. Mais l’époque dont parle saint Luc n’était pas celle où l’on craignait pour l’enfant. Tout était changé alors, et ce n’était plus Archélaüs qui régnait en Judée, mais Ponce-Pilate qui la gouvernait. La Glose. On se demande encore pourquoi Joseph ne craignait pas de se retirer dans la Galilée, sur laquelle s’étendait le pouvoir d’Archélaüs ? C’est qu’il était plus facile d’échapper à toute recherche dans Nazareth que dans Jérusalem, capitale du royaume ou Archélaüs résidait ordinairement. — S. Chrys. (hom. 9.) Et d’ailleurs en quittant la bourgade où il avait pris naissance, il était plus facile d’en cacher le secret, car toute la violence de l’ennemi se portait contre Bethléem et ses alentours. Joseph vint donc à Nazareth pour échapper au danger et revenir dans sa patrie. « Et il vint à Nazareth, dit l’Évangéliste, et il y demeura. »

S. Aug. (de l’acc. des Evang.) On pourrait encore demander pourquoi saint Matthieu nous dit que les parents de Jésus se retirèrent avec lui dans la Galilée, parce qu’ils craignaient d’aller à Jérusalem à cause d’Archélaüs, tandis qu’au témoignage de saint Luc (Lc 1, 26 ; 2, 24 ; Mt 2, 23 ; 21, 11) il est plus vraisemblable qu’ils se fixèrent dans la Galilée, parce que la ville de Nazareth qu’ils habitaient en faisait partie. Nous répondons que lorsque l’ange vint trouver Joseph en Égypte et lui dit pendant son sommeil : « Retourne dans la terre d’Israël, » Joseph put comprendre d’abord qu’il était mieux pour lui d’aller dans la Judée, à laquelle paraissait convenir plus spécialement la dénomination de terre d’Israël. Mais lorsqu’il eût appris qu’Archélaüs y régnait, il ne voulut pas s’exposer au danger, puisque d’ailleurs le nom de terre d’Israël pouvait aussi convenir à la Galilée, qui était également habitée par le peuple d’Israël. Voici une autre solution : les parents de Jésus purent croire qu’ils ne devaient fixer leur demeure avec lui qu’à Jérusalem, où se trouvait le temple du Seigneur et c’est là qu’ils auraient été, si la crainte d’Archélaüs qui habitait cette ville ne les en eût détournés. Mais l’ordre qu’ils avaient reçu du ciel ne leur faisait pas une loi de se fixer dans la Judée ou à Jérusalem en passant par-dessus la crainte que leur inspirait Archélaüs, mais seulement dans la terre d’Israël, ce qui pouvait s’entendre de la Galilée, comme nous l’avons dit.

 

S. Hil. (sur le chap. 2 de S. Matth.) On peut donner une raison mystique de cette conduite. Joseph représente ici les apôtres à qui Dieu a confié Jésus-Christ pour le porter dans tout l’univers. Après la mort d’Hérode, c’est-à-dire après que le peuple juif fut comme détruit en punition de la mort du Sauveur, Dieu leur ordonna de prêcher aux Juifs, car ils étaient envoyées premièrement aux brebis perdues de la maison d’Israël (Mt 28, 19). Mais voyant qu’ils étaient toujours dominés par l’infidélité, qui était chez eux comme héréditaire, les apôtres craignent et se retirent, et avertis par une vision céleste qui leur révèle que les dons de l’Esprit saint sont transférés aux Gentils, ils leurs portent alors Jésus-Christ. — Rab. Ou bien on peut voir ici une figure des derniers temps de l’Église, où un grand nombre de Juifs se convertiront à la voix d’Hénoch et d’Élie, tandis que les autres seconderont la haine de l’Antéchrist en combattant contre la foi. La partie de la Judée sur laquelle régnait Archélaüs représente les partisans de l’Antéchrist ; Nazareth, ville de Galilée où Jésus-Christ est transporté, figure le reste de cette nation qui doit embrasser la foi. En effet le nom de Galilée signifie transmigration, et Nazareth, fleur des vertus, parce que plus l’Église se détache de la terre pour s’élever avec ardeur vers le ciel, plus aussi on voit se multiplier au milieu d’elle la fleur et la semence des vertus.

 

La Glose. L’Évangéliste confirme ce fait par le témoignage suivant du prophète : « Pour accomplir ce qui a été prédit par les prophètes, il sera appelé Nazaréen. » — S. Jér. Si l’Évangéliste avait cité un passage précis de l’Écriture, il aurait dit : « Ce qui a été prédit par le prophète, » et non « ce qui a été prédit par les prophètes ; » or en prenant cette expression au pluriel il nous montre qu’il rapporte non pas le texte, mais le sens de l’Écriture. Le mot Nazaréen signifie saint et toute l’Écriture proclame la sainteté du Seigneur. Nous pourrions dire encore que cette citation se trouve littéralement dans ce texte hébreu d’Isaïe : « Une tige sortira de la racine de Jessé et le Nazaréen sortira de sa racine. » — S. Chrys. (hom. 9 sur S. Matth.) Ou bien peut-être cette citation est tirée d’une prophétie qui n’existe plus, et on ne doit point pousser trop loin les investigations sur ce point, car un grand nombre des écrits des prophètes ont été détruits. Ou bien encore l’Évangéliste aura lu ce témoignage dans des prophètes qui ne sont pas au nombre des livres canoniques, comme Nathan et Esdras. Ce qu’il y a de certain, c’est que cette circonstance avait été prédite, comme on le voit dans ces paroles de Philippe à Nathanaël : « Nous avons trouvé celui que Moïse et les prophètes ont annoncé, Jésus de Nazareth. » Voilà pourquoi les chrétiens furent d’abord appelés Nazaréens, nom qui fut ensuite changé à Antioche pour celui de chrétiens.

 

S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Saint Luc passe sous silence tout ce qui a rapport aux Mages et les événements qui suivent. C’est ici le lieu de faire cette observation qui devra nous servir pour toute la suite, que chacun des Évangélistes coordonne son récit comme s’il n’omettait aucun fait. Tout en passant sous silence ce qu’il veut taire, chacun d’eux établit entre les choses qu’il a dites et celles qu’il vent dire une telle liaison que le récit parait sans interruption. Mais lorsque l’un raconte ce que l’autre a cru devoir omettre, en examinant attentivement la suite du récit, on voit où l’on peut placer ce qui a été omis par l’un des écrivains sacrés.

 

 

CHAPITRE III.

 

vv. 1-3.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Lorsque le soleil est près de se lever, avant de paraître sur l’horizon, il envoie ses rayons qui blanchissent l’Orient, et font de l’aurore qui le précède comme la messagère du jour. De même aussi, lorsque le Seigneur a daigné prendre naissance dans le monde, avant de paraître dans l’éclat de sa doctrine, il éclaire Jean-Baptiste de ses rayons et de la splendeur de son esprit pour qu’il marche devant lui et annonce son arrivée prochaine. Voilà pourquoi l’Évangéliste, après le récit de la naissance du Christ et avant de raconter l’exposé de ses divines, prédications, place en tête de son récit le baptême de Jésus où Jean, son précurseur qui le baptisa, lui rendit un si glorieux témoignage : « En ce temps-là, Jean-Baptiste vint prêcher au désert. »

Remi. Ces paroles de l’auteur sacré ne nous font pas connaître seulement le temps, le lieu où vécut saint Jean, et ce qu’il était, mais encore son ministère et le zèle avec lequel il le remplit. Il désigne l’époque d’une manière générale par ces mots : « En ce temps-là. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., liv. 2, ch. 6). Saint Luc détermine cette époque d’une manière plus précise par les princes qui régnaient alors et en disant : « La quinzième année, » etc. Mais l’expression générale dont se sert saint Matthieu : « En ce temps-là, » doit s’entendre d’un espace de temps plus étendu, car après avoir raconté le retour de l’Égypte, qui dut avoir lieu dans l’enfance du Sauveur ou dans les premières années, pour laisser place au fait que saint Luc raconte lorsqu’il eut atteint l’âge de douze ans, il ajoute aussitôt : « Dans ce temps-là, » expression qui n’indique pas seulement le jour de son enfance, mais tous ceux qui s’écoulèrent depuis sa naissance jusqu’à la prédication de Jean-Baptiste.

Remi. L’Évangéliste fait ensuite connaître la personne dont il s’agit : « Jean-Baptiste vint, » c’est-à-dire qu’après être resté si longtemps caché dans la retraite, il en sortit pour se manifester. — S. Chrys. Pourquoi fut-il nécessaire que Jean précédât Jésus, à qui ses œuvres devaient rendre un témoignage suffisant (cf. Jn 10) ? C’était premièrement pour nous apprendre la dignité du Christ, qui a ses prophètes comme son Père, selon ces paroles de Zacharie : « Et toi, enfant, tu seras appelé le prophète du Très-Haut. » En second lieu, c’était pour ne laisser aucun prétexte à la fausse réserve des Juifs, comme il le dit lui-même : « Jean est venu, ne mangeant ni ne buvant, et ils disent : Il est possédé du démon. Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, et ils disent : « C’est un homme de bonne chère. » (Mt 11.) D’ailleurs, il fallait que les premiers témoignages en faveur du Christ vinssent d’un autre que de lui, autrement les Juifs lui auraient objecté ce qu’ils lui dirent un jour qu’il avait parlé de lui-même (Jean 8) : « Vous rendez témoignage vous-même, votre témoignage n’est pas vrai. » — Remi. L’Évangéliste nous fait connaître l’objet de son ministère par le nom de Baptiste qu’il lui donne. — La Glose. C’est par ce baptême qu’il prépare les voies au Seigneur, car les hommes auraient rejeté le baptême du Christ s’ils n’avaient été préparés par un autre baptême.

Remi. Nous voyons le zèle de Jean-Baptiste dans ces paroles : « Il vint prêcher. » Rab. Car le Christ devait aussi prêcher ; lors donc que Jean-Baptiste vit que le temps opportun était arrivé (à l’âge de trente ans environ), il commença ses prédications pour préparer les voies au Seigneur.

Remi. L’Évangéliste indique le lieu qu’habitait Jean-Baptiste, en ajoutant : « Dans le désert de la Judée. » Max. Dans le désert, où sa prédication ne serait exposée ni aux murmures d’une foule insolente, ni aux railleries de l’impiété, et où il n’aurait pour auditeurs que ceux qui rechercheraient la parole de Dieu dans un véritable esprit de religion. — S. Jér. (sur Is 40). Ou bien il faut voir ici une figure de cette vérité que le salut qui vient de Dieu et la gloire du Seigneur ne sont pas prêchés dans Jérusalem, mais dans la solitude de l’Église et dans le désert de la multitude des nations. — S. Hil. (can. 2 sur S. Matth.) Ou bien encore il vint dans la Judée déserte parce que, bien qu’elle fût fréquentée par les hommes, elle était privée des visites de Dieu, de manière que le lieu qu’il avait choisi pour ses prédications attestait l’abandon de ceux à qui la parole de Dieu s’adressait. — La Glose. Ou bien enfin, dans le sens figuré, le désert représente la voie qui est éloignée des attraits séducteurs du monde, et que doivent suivre ceux qui veulent faire pénitence.

S. Aug. (Liv. de la Pénit.) Celui qui ne se repent pas de sa vie passée ne peut pas en commencer une nouvelle. — S. Hil. (c. 2 sur S. Mat.) C’est pour cela que Jean-Baptiste, au moment où approche le royaume des cieux, prêche la pénitence qui nous fait quitter les sentiers de l’erreur, revenir de nos égarements, et nous inspire avec la honte de nos péchés la résolution de ne plus les commettre ; c’est ce que signifient ces paroles : « Faites pénitence. » — S. Chrys. (sur S. Mat.) Par cet exorde seul il s’annonce comme l’ambassadeur du roi plein de bouté, car il ne fait aucune menace aux pécheurs, mais leur promet le pardon de leurs péchés. Les rois ont coutume, à la naissance d’un fils, de proclamer une amnistie dans leur royaume, mais ils la font précéder par d’impitoyables exacteurs. Dieu, au contraire, voulant aussitôt la naissance de son fils accorder au genre humain le pardon de ses péchés, envoie par avance comme exacteur Jean-Baptiste ; et qu’exige-t-il ? Il dit : « Faites pénitence. » O heureuse exaction, qui, loin de nous appauvrir nous enrichit. En effet, lorsque nous avons payé nos dettes à la justice divine, nous ne donnons rien à Dieu, mais nous acquérons le riche bénéfice du salut éternel ; car la pénitence purifie notre cœur, éclaire nos facultés et prépare notre âme à recevoir Jésus-Christ.

C’est pour cela qu’il ajoute : « Le royaume de Dieu approche. » — S. Jér. C’est Jean-Baptiste qui le premier annonce le royaume de Dieu, parce que Dieu voulait honorer par ce privilège le précurseur de son Fils. — S. Chrys. (hom 10.) Il annonce donc ce que les Juifs n’avaient jamais entendu, pas même de la bouche des prophètes, les cieux et le royaume qu’ils renferment, sans rien dire de la terre. C’est ainsi que par la nouveauté des choses qu’il prêche, il excite en eux le désir de chercher celui qui fait l’objet de ses prédications. — Remi. Le royaume des cieux se prend dans quatre sens différents : pour le Christ dans ce passage de saint Luc : « Le royaume de Dieu est au dedans de vous » (Lc 17) ; pour la sainte Écriture dans cet autre ; « Le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à une nation qui en portera les fruits » (Mt 21) ; pour la sainte Église dans cet endroit : « Le royaume de Dieu est semblable à dix vierges » (Mt 25) ; enfin, pour le céleste séjour dans ces paroles de Jésus-Christ : « Il en viendra beaucoup d’Orient et d’Occident et ils s’asseoiront dans le royaume des cieux. » Or, cette expression peut avoir ici toutes ces différentes significations. — La Glose Jean-Baptiste dit : « Le royaume de Dieu est proche, car s’il ne s’approchait pas, personne ne pourrait arriver jusqu’à lui. » Infirmes et aveugles qu’ils étaient, les hommes avaient besoin que la voie qui est Jésus-Christ vint jusqu’à eux.

S. Aug. (de l’ac. des Ev., l. 2, ch. 12). Les autres Évangélistes n’ont point rapporté ces dernières paroles de Jean-Baptiste. Quant à celles qui suivent : « C’est de lui que le prophète Isaïe a parlé, lorsqu’il a dit : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ; préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers, » leur rapport est ambigu et on ne voit pas clairement si c’est l’Évangéliste qui fait lui-même cette citation, ou s’il la donne comme faisant suite aux paroles de saint Jean, de manière que tout ce passage : « Faites pénitence, le royaume des cieux approche, car c’est lui, » etc., ferait partie du discours du saint précurseur. Que saint Jean ne dise pas : « C’est moi, » mais c’est lui, » cela ne doit pas nous impressionner, car saint Matthieu ne dit-il pas de lui-même : « Jésus trouva un homme dans son bureau ? » et non pas : « Jésus me trouva. » S’il en est ainsi, qu’y a-t-il d’étonnant que saint Jean-Baptiste, interrogé sur ce qu’il pensait de lui-même, ait répondu : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert, » comme le rapporte l’Évangéliste saint Jean ?

 

S. Grég. (hom. 7 sur S. Matth.) On sait que le Fils unique de Dieu est appelé le Verbe du Père, d’après ce passage du même Évangéliste : « Au commencement était le Verbe. » Or, nous voyons par notre manière de parler que la voix résonne pour que la parole puisse être entendue : Jean, précurseur du Sauveur, est donc appelé la voix, parce qu’il est la voix mystérieuse que fait entendre aux hommes le Verbe du Père. — S. Chrys. (sur S. Matth.) La voix par elle-même est un son confus et indéterminé qui ne dévoile aucun secret du cœur ; elle indique seulement que celui qui élève la voix veut exprimer une pensée. Mais c’est à la parole seule qu’il appartient de révéler les mystères de l’âme. Il y a encore cette différence que la voix est commune aux hommes et aux animaux, tandis que la parole est le partage exclusif des hommes. Jean est donc appelé la voix et non pas la parole, parce que Dieu ne l’a point choisi pour faire connaître l’économie de ses conseils, mais uniquement pour annoncer qu’il méditait quelque grand dessein en faveur des hommes ; ce n’est que par son Fils qu’il a dévoilé par la suite dans toute leur clarté les mystérieux desseins de sa volonté divine.

 

Rab. Cette expression : « La voix de celui qui crie, » nous révèle toute la force de la prédication de saint Jean. Le cri de la voix se produit dans trois circonstances : lorsqu’on s’adresse à une personne éloignée, lorsque cette personne est sourde, lorsqu’on parle sous l’impression d’un vif sentiment d’indignation, et ces trois circonstances se réunissaient dans l’état du genre humain. — La Glose. Jean est donc comme la voix de la parole qui crie, car c’est la parole qui se fait entendre par le moyen de la voix, c’est-à-dire Jésus-Christ par Jean-Baptiste. — Bède. C’est ainsi qu’il a parlé par la voix de tous ceux qui, depuis le commencement, ont communiqué aux hommes quelque vérité divine ; mais Jean-Baptiste seul est appelé la voix, parce que seul il a révélé la présence du Verbe, que les autres n’ont fait qu’annoncer de loin.

 

S. Grég. (Hom. 7 sur les Evang.) Jean crie dans le désert parce qu’il annonce la consolation du Rédempteur à la Judée abandonnée et privée de tout secours. — Remi. Historiquement parlant, il parlait dans le désert, parce qu’il se tenait éloigné de la foule des Juifs. Que criait cette voix ? Les paroles suivantes nous l’apprennent : « Préparez la voie du Seigneur. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Lorsqu’un grand roi est sur le point d’entreprendre un voyage ou une expédition, il envoie devant lui des hommes qui préparent tout pour le recevoir, font disparaître tout ce qui peut offenser ses yeux et rétablir ce qui est en ruines ; ainsi le Seigneur se fait précéder par saint Jean qui par la pénitence balaye du cœur des hommes les souillures du péché, et reconstruit ce qui est en ruines à l’aide de l’observation des préceptes divins. — S. Grég. (hom. 20 sur les Evang.) Tout homme qui annonce la vraie foi et la nécessité des bonnes œuvres, prépare la voie du Seigneur dans le cœur de ceux qui l’écoutent, il rend droits ses sentiers lorsque, par de pieuses et saintes exhortations, il fait naître dans l’âme de chastes pensées. — La Glose. (interlin). Ou bien la foi est la voie par laquelle le Verbe descend dans le cœur, et les sentiers sont redressés lorsque les mœurs sont réformées.

 

v. 4.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Après nous avoir appris que Jean est la voix de celui qui crie dans le désert, l’Évangéliste ajoute à dessein : « Or, Jean, » etc. Ces paroles nous font connaître quelle était sa vie ; ainsi, pendant qu’il rendait témoignage au Christ, sa vie lui rendait témoignage à lui-même, car personne ne peut être le digne témoin d’un autre s’il n’est d’abord son propre témoin. — S. Hil. (can. 2 sur S. Matth.) Le lieu que Jean avait choisi était le plus convenable pour la prédication : ainsi avait-il pris le vêtement le plus utile et choisi la nourriture la plus appropriée à sa vocation. — S. Jér. Son vêtement était fait de poils de chameau et non de laine ; le premier de ces vêtements est l’indice d’une vie austère et pénitente ; le second, d’une délicatesse efféminée. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Les serviteurs de Dieu doivent se vêtir, non pour plaire aux regards ou pour flatter leur chair, mais pour couvrir leur nudité. Voyez en effet Jean-Baptiste : son vêtement n’était ni doux ni délicat ; c’était une espèce de cilice lourd et rude, plus fait pour mortifier la chair que pour la flatter, de sorte que le seul vêtement de son corps annonçait la force de son âme. — Suite. « Et une ceinture de cuir autour des reins, » etc. C’était la coutume chez les Juifs de porter des ceintures de laine, et Jean-Baptiste, par un esprit de plus grande austérité, porte une ceinture de peau.

 

S. Jér. Ce que l’Évangéliste ajoute : « Sa nourriture était du miel sauvage et des sauterelles, » convient à l’homme de la solitude, qui prend la nourriture non pour goûter les délices de la table, mais pour satisfaire aux exigences du corps. — Rab. Il se contente d’une nourriture légère, composée de petits insectes, et de miel qu’il trouvait sur le tronc des arbres. Nous lisons dans les ouvrages d’Arculphe, évêque des Gaules, que l’espèce de sauterelles qui se trouve dans le désert de la Judée est des plus petites ; leur corps grêle et court a la forme d’un doigt de la main ; on les prend facilement dans les prairies, et lorsqu’elles sont cuites, elles servent d’aliments aux pauvres. Il raconte également qu’on trouve dans le même désert des arbres dont la feuille ronde et large a la couleur du lait et la saveur du miel ; elles se broient facilement avec la main, et forment une autre espèce de nourriture qui est ici désignée sous le nom de miel sauvage.

 

Remi. Ce genre de vêtements et cette nourriture pauvre annoncent un homme qui pleure les péchés du genre humain. — Rab. On peut voir aussi dans ce vêtement et dans cette nourriture un indice des dispositions de son âme. Il se revêt d’un habit rude et austère parce qu’il devait reprendre les vices des pécheurs. — S. Jér. Cette ceinture de cuir qui entoure ses reins est une preuve de sa mortification. — Rab. Il mangeait des sauterelles et du miel sauvage, parce que sa prédication était agréable à la multitude, mais qu’elle arriva bientôt à sa fin. Le miel en effet est la douceur même, et le vol des sauterelles vif et léger, mais il est de courte durée.

 

Remi. Jean, qui veut dire grâce de Dieu, représente le Christ qui apporte la grâce au monde ; son vêtement est le symbole de l’Église formée des Gentils. — S. Hil. (Can. 2 sur S. Matth.) Le prédicateur du Christ se revêt des dépouilles des animaux immondes, auxquels les Gentils sont trop semblables, et en devenant le vêtement du prophète ils sont purifiés de tout ce que leur vie contenait d’impur ou d’inutile. La ceinture dont ses reins sont entourés, est la préparation efficace à toute sorte de bonnes œuvres, et la disposition où nous devons être de remplir toute espèce de ministère auquel Jésus-Christ nous appelle. Il choisit pour nourriture les sauterelles qui nous fuient et s’envolent successivement à chaque pas que nous faisons. Ainsi notre volonté vagabonde se trahissant dans l’extérieur léger de nos corps, nous emportait et nous rendait inabordables et inaccessibles à toute parole, vides de bonnes œuvres, murmurateurs et inconstants ; mais nous sommes devenus maintenant la nourriture des saints, la société des prophètes, nous sommes du nombre des élus, et le doux miel que nous devons leur offrir ne vient pas des ruches de la loi, c’est un miel sauvage recueilli sur les arbres des forêts.

 

vv. 5, 6.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Après nous avoir fait connaître la vie de Jean, l’Évangéliste ajoute comme conséquence : « Alors Jérusalem venait à lui, » etc. Car la renommée de sa vie dans le désert avait plus de retentissement que le son de sa voix. — S. Chrys. (hom. 10 sur S. Matth.) C’était un spectacle admirable de voir une force aussi grande dans un corps mortel. C’est aussi ce qui attirait le plus les juifs, qui croyaient voir en lui le grand prophète Élie. Ce qui augmentait leur étonnement, c’est que depuis longtemps ils étaient privés de la grâce des prophéties, et que cette grâce paraissait leur être rendue. Le genre de prédication tout différent y contribuait encore, car ils n’entendaient rien de ce que les autres prophètes avaient coutume de leur annoncer, les combats, les victoires des Assyriens et des Perses. Jean-Baptiste ne leur parlait que des cieux, du royaume que Dieu y a fondé, et du supplice de l’enfer.

 

L’Évangéliste ajoute : « Alors toute la ville de Jérusalem allait vers lui, et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain ». — La Glose. (interlin.) C’était un baptême de préparation, qui n’effaçait pas les péchés. — Remi. Le baptême de Jean figurait la conduite que tient l’Église à l’égard des catéchumènes ; on catéchise les enfants pour les rendre dignes du sacrement de baptême ; ainsi Jean donnait le baptême, afin que ceux qui le recevaient méritassent par une vie vraiment pieuse le baptême de Jésus-Christ. Il baptisait dans le Jourdain pour ouvrir la porte du royaume des cieux dans le même endroit qui avait ouvert aux enfants d’Israël l’entrée de la terre promise.

 

Suite. « Confessant leurs péchés. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Devant l’éminente sainteté de Jean-Baptiste, qui pourra se croire juste ? De même qu’un vêtement d’une éclatante blancheur perd tout son éclat et paraît même souillé si on le place près de la neige ; ainsi en comparaison de saint Jean tout homme se trouvait impur et se hâtait de confesser ses péchés. Or la confession des péchés est la marque d’une conscience qui craint Dieu, car la crainte qui est parfaite triomphe de toute honte. On se laisse arrêter par la honte de se confesser, quand on ne croit pas au châtiment qui doit suivre le jugement dernier. Et comme la honte et la confusion sont une peine assez forte, Dieu nous ordonne l’aveu de nos fautes pour nous soumettre à cette peine de la honte, car elle fait aussi partie du jugement.

Rab. C’est avec raison que l’Évangéliste dit que ceux qui devaient être baptisés sortaient pour aller trouver le prophète, car à moins de sortir de ses faiblesses, de renoncer aux pompes du démon et aux attraits séducteurs du monde, on ne peut recevoir le baptême avec fruit. Il était également convenable qu’ils fussent baptisés dans le Jourdain, dont le nom signifie descente, car ils descendaient des hauteurs orgueilleuses de leur vie pour se soumettre aux humiliations d’une confession véritable. Dès lors l’exemple était donné à ceux qui voulaient recevoir le baptême de confesser leurs péchés et de s’engager à mener une vie plus pure.

 

vv. 7-10.

S. Grég. (Pastoral., partie 3, dans le Prologue.) Le discours de ceux qui enseignent doit varier suivant les auditeurs ; il faut qu’il réponde aux dispositions de chacun d’eux, sans s’écarter cependant des règles de l’édification commune. — La Glose. Il était donc nécessaire que l’Évangéliste, après nous avoir rapporté les enseignements que saint Jean donnait à la multitude, nous fît connaître les instructions qu’il adressait à ceux qui paraissaient plus avancés, et c’est pour cela qu’il ajoute : « Or voyant beaucoup de Pharisiens, » etc. Isid. (Liv. des Etymol. ou des Origines, liv. 8, chap. 4.) Les Pharisiens et les Sadducéens sont divisés entre eux. Le nom de Pharisiens, d’étymologie hébraïque, signifie divisé, parce que les Pharisiens mettent au-dessus de tout la justice qui vient des traditions et des observances légales ; ils sont donc regardés comme divisés du reste du peuple par cette manière d’entendre la justice. Le nom de Sadducéen veut dire juste et ils se donnent ainsi un nom qu’ils ne méritent pas, eux qui nient la résurrection des morts et qui prétendent que l’âme meurt avec le corps. Ils n’admettent que les cinq livres de la loi, et rejettent les oracles des prophètes.

 

La Glose. Jean voyant venir à son baptême ces hommes qui étaient les premiers d’entre les Juifs, leur dit : « Race de vipères, qui vous a montré à fuir la colère qui doit tomber sur vous ? » — Remi. C’est la coutume des écrivains sacrés de donner aux hommes le nom de ceux dont ils imitent les œuvres, comme on le voit en ce passage : « Ton père est Amorrhéen. » Ainsi les Pharisiens sont appelés race de vipères, parce qu’ils imitent les mœurs des vipères. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Tel qu’un médecin habile qui voyant un malade, connaît à la couleur seule de son visage la nature de sa maladie ; ainsi Jean-Baptiste découvre aussitôt les pensées mauvaises des Pharisiens qui s’approchent de lui ; ils disaient probablement en eux-mêmes : Allons, confessons nos pêchés ; il ne nous impose aucune œuvre difficile, faisons-nous baptiser, et nos péchés nous seront pardonnés. Insensé, lorsque l’estomac a digéré une nourriture corrompue, peut-il se passer de médecine ? Ainsi après la conversion, après le baptême, faut-il prendre les plus grands soins pour l’entière guérison des blessures que le péché a faites à l’âme. « Race de vipères, » leur dit-il : en effet les morsures des vipères ont ce caractère particulier que celui qui en est atteint court aussitôt chercher de l’eau, et s’il n’en trouve pas, il meurt de sa blessure. Or saint Jean les appelle race de vipères, parce qu’après s’être rendus coupables de fautes mortelles, ils accouraient à son baptême pour échapper par l’eau, comme des vipères, au danger de mort qu’ils portaient en eux. Il les appelle encore race de vipères, parce que les vipères déchirent en naissant le sein de leurs mères, et que les Juifs, en ne cessant de persécuter les prophètes, ont aussi déchiré le sein de la Synagogue leur mère. Enfin les vipères ont un extérieur brillant et nuancé de diverses couleurs, tandis qu’au dedans elles sont remplies de venin ; et c’est ainsi qu’eux-mêmes offraient comme peinte sur leur visage toute la beauté de la vertu.

Remi. Lorsque saint Jean dit : « Qui vous a enseigné à fuir la colère qui doit venir ? », il faut donc entendre si ce n’est Dieu. — S. Chrys. (sur S. Matth.) « Qui vous a enseigné ? » Est-ce le prophète Isaïe ? Non : s’il avait été votre maître, vous ne placeriez pas votre espérance dans l’eau seule du baptême, mais encore dans les bonnes œuvres, car c’est lui qui a dit : « Lavez-vous, purifiez-vous, faites disparaître le mal de vos âmes, apprenez à bien faire. » Est-ce David qui a dit aussi : « Lavez-moi, et je serai plus blanc que la neige ? » Non, car il ajoute ensuite : « Le sacrifice que Dieu demande, c’est un cœur contrit. » Si donc vous étiez les disciples de David, vous approcheriez du baptême en gémissant. — Remi. Si on lit au futur : « Qui vous apprendra, » le sens sera : Quel sera le docteur, quel sera le prédicateur qui vous enseignera le moyen d’échapper à la colère de la damnation éternelle ? — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 9, chap. 5.) Lorsque l’Écriture nous dit que Dieu se met en colère, ce n’est point qu’il soit soumis à la faiblesse de nos passions, et qu’elles excitent le trouble dans son âme, c’est uniquement à cause d’une certaine ressemblance de ses actions avec les nôtres, et le mot exprime simplement l’effet de la vengeance, et non pas le mouvement violent qui l’accompagne ordinairement. — La Glose. Si donc vous voulez éviter cette colère, faites de dignes fruits de pénitence. — S. Grég. (hom. 20 sur les Evang.) Remarquons que saint Jean n’exige pas seulement des fruits de pénitence, mais de dignes fruits de pénitence. En effet celui qui n’a fait aucune chose défendue peut légitimement jouir des choses permises, mais celui qui est tombé dans le péché doit d’autant plus se retrancher ce qui est permis qu’il se souvient de s’être livré plus entièrement aux choses défendues. C’est donc à la conscience de chacun qu’il s’adresse pour qu’on cherche d’autant plus à s’enrichir de bonnes œuvres par la pénitence qu’on a subi de plus grandes pertes par les fautes qu’on a commises. Mais les Juifs, tout fiers de la noblesse de leur origine, ne voulaient pas s’avouer pécheurs, parce qu’ils descendaient de la race d’Abraham. — S. Chrys. (hom. 10 sur S. Matth.) Il ne veut par leur défendre de se dire enfants d’Abraham, mais de mettre toute leur confiance dans ce titre, sans s’appliquer aux vertus solides de l’âme. — S. Chrys. (sur S. Matth.) A quoi sert un sang illustre à celui dont les mœurs sont dépravées, et en quoi peut nuire une naissance obscure à celui dont les vertus sont le plus bel ornement ? Il vaut mieux pour un homme être la gloire de ses parents qui seront fiers d’avoir un tel fils, que de tirer sa propre gloire de ceux qui lui ont donné le jour. Ne vous glorifiez donc pas en disant : Nous avons Abraham pour père, mais rougissez plutôt d’être ses descendants, sans être les héritiers de ses vertus ; car celui qui ne ressemble pas à son père passe pour être le fruit de l’adultère. Par ces paroles : « Et ne dites pas, » il condamne donc la vaine gloire qu’on veut tirer de son origine.

 

Rab. Comme ce héraut de la vérité venait appeler les hommes à la pénitence, il les exhorte à l’humilité, sans laquelle il n’y a point de repentir possible, et il ajoute : « Je vous le déclare, Dieu pourrait de ces pierres susciter des enfants d’Abraham. » Rab. L’histoire rapporte que Jean prêchait dans cet endroit du Jourdain où douze pierres tirées du lit de ce fleuve furent dressées par l’ordre du Seigneur (Jos 4, 2.8). Or on peut supposer que Jean-Baptiste indiqua ces pierres lorsqu’il dit ces paroles : « Dieu est assez puissant pour susciter de ces pierres mêmes des enfants d’Abraham. » — S. Jér. Par là il montre la puissance de Dieu, qui après avoir tiré le monde du néant pouvait encore se créer un peuple en donnant la vie aux pierres les plus dures. Car les premiers éléments de la foi consistent à croire que la puissance de Dieu n’a point de bornes. Or que des pierres donnent naissance à des hommes, c’est un prodige semblable à celui qui fit naître Isaac de Sara, naissance à laquelle le prophète fait allusion en ces termes : « Rappelez dans votre esprit la roche dont vous avez été tirés. » En rappelant cette prophétie aux Juifs, saint Jean leur apprend qu’il peut encore maintenant opérer un semblable prodige. — Rab. Ou bien dans un autre sens on peut dire que ces pierres figurent les Gentils qui adoraient des idoles de pierre. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Remarquez encore que la pierre est dure à travailler ; mais lorsqu’on a su en tirer parti, l’ouvrage qui en résulte est indestructible : ainsi les Gentils n’ont embrassé la foi qu’avec difficulté, mais depuis ils n’ont cessé d’y persévérer. — S. Jér. Lisez Ezéchiel (Ez 11, 49) : « Je vous ôterai votre cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. » La pierre signifie ce qui est dur, la chair ce qui est tendre. — Rab. Dieu a donc tiré de ces pierres des enfants d’Abraham, car les Gentils en croyant en Jésus-Christ fils d’Abraham, sont devenus eux-mêmes les enfants d’Abraham par cette union avec son Fils.

Suite. « Déjà la cognée est à la racine de l’arbre. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) La cognée est cette colère si aiguisée de la fin des temps, qui doit opérer de si grands retranchements dans le monde entier. Mais si elle est déjà placée à la racine de l’arbre, pourquoi ne coupe-t-elle pas ? Parce que les arbres dont il s’agit sont doués de raison et qu’il est à leur pouvoir de faire le bien ou de ne pas le faire ; en voyant la cognée appliquée à leur racine, ils peuvent craindre d’être coupés et se hâtent de porter des fruits. La menace de la colère qui est la cognée placée à la racine, bien qu’elle ne fasse rien aux méchants, sert donc au moins à séparer les bons des méchants. — S. Jér. Ou bien encore cette hache est la prédication de l’Évangile, d’après le prophète Jérémie, qui compare la parole du Seigneur à une hache qui coupe la pierre (Jr 23, 29). — S. Grég. (hom. 20). Ou bien la hache figure notre Rédempteur, car de même qu’elle se compose d’un manche et d’un fer, ainsi le Sauveur est un composé de la divinité et de l’humanité ; on peut le toucher et le tenir par son humanité, mais sa divinité est comme le fer tranchant de la hache. Cette hache est placée à la racine de l’arbre, car, bien qu’il attende avec patience, on voit ce qu’elle doit faire, et que tout arbre qui ne porte pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu. Eu effet, tout homme pervers qui refuse de produire ici-bas les fruits des bonnes œuvres, trouve déjà préparé pour lui le feu de l’enfer qui doit le consumer. Saint Jean nous dit que la cognée est appliquée à la racine de l’arbre, et non pas aux branches. En effet, lorsque les enfants des méchants disparaissent, ce sont les branches de l’arbre stérile qui sont retranchées ; mais, lorsque toute la famille disparaît avec le père, l’arbre infructueux est coupé à la racine de manière que cette race dépravée ne puisse plus pousser le moindre rejeton. — S. Chrys. (hom. 2 sur S. Matth.) En disant tout arbre, Jean-Baptiste exclut la supériorité qui vient de la noblesse, de l’origine, et il semble dire : Quand vous seriez descendant d’Abraham, vous n’échapperez pas au châtiment, si vous demeurez stérile. — Rab. On distingue quatre espèces d’arbres : l’arbre complètement stérile et qui est la figure des païens ; celui qui porte des feuilles, mais pas de fruits, image de l’hypocrite ; celui qui a des feuilles, qui porte des fruits, mais des fruits vénéneux, symbole de l’hérétique ; enfin, celui qui est couvert de feuilles et produit de bons fruits, et qui représente les vrais catholiques. — S. Grég. Donc tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu, parce que celui qui a négligé de produire le fruit des bonnes œuvres est réservé au feu de l’enfer, qui doit le réduire en cendres.

 

Vv. 11, 12.

 La Glose. Après avoir développé dans les paroles précédentes ce qu’il n’avait fait qu’indiquer en commençant, sur la nécessité de faire pénitence, Jean-Baptiste devait expliquer avec la même clarté ce qu’il avait dit du royaume de Dieu qui était proche, et c’est ce qu’il fait dans les paroles qui suivent : « Je vous baptise dans l’eau pour la pénitence, » etc. — S. Grég. (hom. 7 sur les Evang.) Jean baptise, non dans l’esprit, mais dans l’eau, parce qu’il ne peut effacer les péchés : il lave les corps dans l’eau, mais il ne peut purifier les âmes par le pardon. — S. Chrys. (hom. 10 sur S. Matth.) Puisque la victime n’avait pas encore été offerte (cf. Hb 10, 12), que le péché n’était pas expié, et que l’Esprit saint n’était pas encore descendu sur l’eau, comment donc pouvait-on obtenir la rémission des péchés ? Nous répondons que tout le malheur des Juifs venait de ce qu’ils ne sentaient pas qu’ils étaient pécheurs, Jean était donc envoyé pour leur faire connaître leurs péchés et leur rappeler la nécessité de faire pénitence.

 

S. Grég. (hom. 7.) Mais pourquoi celui qui ne peut remettre les péchés donne-t-il le baptême ? C’est pour continuer à remplir son ministère de précurseur ; sa naissance avait précédé celle du Sauveur, son baptême devait précéder également le baptême du Seigneur. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien Jean fut envoyé pour baptiser afin de découvrir à ceux qui venaient recevoir son baptême la présence de Fils de Dieu dans une chair mortelle, comme il l’atteste lui-même : « Je suis venu baptiser dans l’eau pour le manifester en Israël. ». (Jn 1) — S. Aug. (Traité sur saint Jean). Ou bien encore il baptise, parce qu’il fallait que le Christ fût baptisé. Mais pourquoi le Christ seul n’a-t-il pas été baptisé par Jean-Baptiste, si l’objet de la mission de Jean-Baptiste était de baptiser le Christ ? Si le Seigneur seul avait reçu le baptême de Jean, bien des personnes auraient cru que le baptême de Jean était supérieur au baptême du Christ, puisque le Christ seul avait été jugé digne de le recevoir. — Rab. Ou bien enfin il baptise pour séparer par ce signe extérieur les pénitents de ceux qui ne voulaient point se repentir, et pour les conduire ainsi jusqu’au baptême du Seigneur.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Comme c’était pour préparer la venue du Christ qu’il baptisait, il annonce à ceux qui vont recevoir son baptême que le Christ doit bientôt paraître, et leur fait connaître en ces termes la supériorité de sa puissance : « Celui qui vient après moi est plus puissant que moi. » Remi. Remarquons que le Christ est venu après Jean de cinq manières : par sa naissance, par sa prédication, par son baptême, par sa mort, par sa descente aux enfers ; et c’est avec raison que Jean-Baptiste déclare que le Seigneur est plus puissant que lui, parce que Jean-Baptiste n’était qu’un homme, et que le Christ était Dieu et homme tout à la fois. — Rab. Ces paroles de Jean reviennent à celles-ci : Je suis fort pour inviter les hommes à la pénitence ; lui, au contraire, est fort pour remettre les péchés ;je suis fort pour prêcher le royaume des cieux, lui pour le donner ; je suis fort pour baptiser dans l’eau, lui pour baptiser dans l’esprit. — S. Chrys. (Hom. 2 sur S. Matth.) Quand je vous dis qu’il est plus fort que moi, n’allez pas penser que je veuille par là établir entre lui et moi la moindre comparaison, car je ne suis pas digne de prendre place parmi ses serviteurs et de lui rendre le plus petit et le dernier des offices. C’est pour cela qu’il ajoute : « Je ne suis pas digne de porter sa chaussure. » — S. Hil. Il laisse aux Apôtres la gloire de porter par toute la terre la prédication de l’Évangile, parce qu’il était réservé à leurs pieds sacrés l’aller annoncer aux hommes la paix de Dieu. — S. Chrys. (Sur S. Matth.) Ou bien encore les pieds du Christ peuvent figurer les chrétiens, principalement les Apôtres et les autres prédicateurs de l’Évangile, du nombre desquels était Jean-Baptiste. Les chaussures sont les infirmités dont Dieu couvre les prédicateurs ; tous donc portent les chaussures du Christ ; Jean lui-même les portait, mais il se déclarait indigne de les porter, pour montrer la supériorité de la grâce de Jésus-Christ sur ses propres mérites. — S. Jér. Nous lisons dans un autre évangile (Jn 1) : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de sa chaussure. » Nous voyons d’un côté l’humilité, de l’autre le ministère du saint précurseur ; car le Christ est l’époux et Jean se déclare indigne de dénouer les cordons de sa chaussure, afin que la maison de l’époux ne soit pas appelée, comme on le voit dans la loi de Moïse (Dt 25) et par l’exemple de Ruth (Rt 4), la maison de celui qui a perdu sa chaussure.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Comme personne ne peut donner un bien qui soit au-dessus de lui, ni faire un autre plus qu’il n’est lui-même, Jean-Baptiste ajoute : « C’est lui qui vous baptisera dans le feu et dans l’Esprit saint. » Jean-Baptiste étant corporel ne peut donner un baptême spirituel ; il baptise dans l’eau qui est un corps. C’est le corps qui baptise avec un élément corporel ; le Christ, au contraire, est esprit parce qu’il est Dieu ; l’Esprit saint est lui-même esprit, l’âme est esprit aussi ; c’est donc l’esprit qui baptise avec l’esprit. Or, le baptême de l’esprit est souverainement utile, car l’esprit entrant dans l’âme l’embrasse, l’entoure comme d’un mur inexpugnable, et ne permet pas que les convoitises charnelles prévalent contre elle. Il n’empêche pas les désirs de la chair de naître dans l’âme, mais il garde l’âme pour l’empêcher d’y consentir. Le Christ est juge aussi, il baptise donc dans le feu, c’est-à-dire dans les tentations. Celui qui n’est qu’un homme ne peut baptiser dans le feu, car celui-là seul a le pouvoir de tenter, qui est assez puissant pour récompenser. Ce baptême de la tribulation ou du feu consume la chair et détruit en elle les germes de la concupiscence ; ce ne sont pas les peines spirituelles que la chair redoute, mais les peines corporelles ; aussi, Dieu n’épargne pas à ses serviteurs les tribulations de la chair, afin qu’étant dominée par la crainte des peines qu’elle éprouve, elle cesse de désirer le mal. Vous voyez donc que l’esprit repousse les concupiscences et ne permet pas qu’elles soient victorieuses, tandis que le feu en consume jusqu’aux racines. S. Jér. Ou bien : « Dans l’Esprit saint et le feu, » en ce sens que le feu c’est l’Esprit saint lui-même, car lorsqu’il descendit il se reposa sur chacun des Apôtres sous la forme de langues de feu... Et alors fut accomplie cette parole du Seigneur : « Je suis venu apporter le feu sur la terre, » Ou bien peut-être, nous sommes baptisés actuellement dans l’Esprit saint, et nous le serons plus tard dans le feu, selon cette parole de l’Apôtre : « Le feu éprouvera l’ouvrage de chacun. » — S. Chrys. (Hom. 11). Il ne dit pas : Il vous donnera l’Esprit saint, mais : Il vous baptisera dans l’Esprit saint, exprimant par cette figure l’abondance de la grâce. Il nous enseigne encore par là qu’il n’a besoin que de notre seule volonté dans la foi et non pas de nos sueurs et de nos travaux pour nous justifier, et qu’il nous est aussi facile d’être renouvelés et rendus meilleurs qu’il l’est d’être baptisé. Cette comparaison du feu nous montre l’énergie de la grâce, qui ne peut être vaincue ; nous voyons aussi que le Christ doit rendre en un instant ses serviteurs semblables aux grands prophètes des temps anciens et il a recours à cette comparaison parce que plusieurs des visions prophétiques ont eu lieu sous la figure du feu.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Il est donc évident que le baptême du Christ ne détruit pas le baptême de Jean, mais qu’il le renferme ; celui qui est baptisé au nom de Jésus-Christ reçoit les deux baptêmes de l’eau et de l’esprit ; car le Christ, qui était esprit, a pris un corps afin de pouvoir donner un baptême à la fois corporel et spirituel. Quant au baptême de Jean, il ne renfermait pas celui du Christ, car ce qui est moindre ne peut contenir ce qui est plus grand. Aussi l’apôtre ayant rencontré des habitants d’Ephèse qui avaient reçu le baptême de Jean, il les baptisa de nouveau au nom du Christ (Ac 19), parce qu’ils n’avaient pas été baptisés dans l’esprit. Jésus-Christ lui-même baptisa de nouveau ceux qui avaient reçu le baptême de Jean, comme ce dernier nous l’apprend : « Pour moi, je vous baptise dans l’eau ; mais pour lui, il vous baptisera dans le feu. » Cependant on ne peut dire que Jésus rebaptisait, car il ne baptisait qu’une fois en réalité ; le baptême du Christ étant supérieur à celui de Jean, ce n’était pas un baptême renouvelé, c’était un nouveau baptême, parce que l’ancien trouvait sa fin en Jésus-Christ. — S. Hil. (can. 2 sur S. Matth.) En disant : « Il vous baptisera dans l’Esprit saint et le feu, » Jean-Baptiste indique les cieux époques différentes du salut et du jugement de tous les hommes, car ceux qui ont été baptisés dans l’Esprit saint doivent un jour passer par le feu du jugement ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Il a son van en la main. » — Rab. Par le van, (ou la pelle), on doit entendre le discernement qui suivra le jugement, et que le Seigneur a dans sa main ou en son pouvoir, car le Père a donné tout jugement à son Fils.

Suite. « Et il nettoiera son aire. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) L’aire c’est l’Église ; le grenier, le royaume du ciel ; le champ, le monde. Le Seigneur en envoyant comme des moissonneurs ses apôtres et les autres prédicateurs, a retranché du monde toutes les nations, et les a réunies dans l’aire de son Église. C’est là que nous devons être battus, vannés, comme le blé. Or tous les hommes se plaisent dans les jouissances charnelles comme le grain dans la paille ; mais le chrétien fidèle, et dont le fond du cœur est bon, à la plus légère atteinte de la tribulation laisse là les plaisirs des sens et court se jeter dans les bras du Seigneur ; au contraire, celui dont la foi est médiocre le fait à peine sous le poids de grandes tribulations. Pour l’infidèle qui est absolument dénué de foi, quelque grandes que soient ses épreuves, il ne pense pas à recourir à Dieu. Lorsque le grain a été battu, il est étendu sur l’aire, confondu avec la paille, et on a besoin de le vanner pour l’en séparer. C’est ainsi que dans une seule et même Église les fidèles sont confondus avec les infidèles. Or la persécution s’élève comme un souffle violent, afin que le van du Christ, en les agitant fortement, sépare entièrement ceux qui étaient déjà séparés par leurs œuvres. Et remarquez qu’il ne dit pas simplement : « Il nettoiera son aire, » mais « il la nettoiera parfaitement ; » car il faut que l’Église soit éprouvée de mille manières avant d’être entièrement purifiée. Les Juifs sont les premiers qui l’ont pour ainsi dire vannée, puis sont venus les Gentils, et après eux les hérétiques ; l’Antéchrist viendra en dernier lieu. Lorsque le souffle du vent est faible, tout le grain n’est pas vanné ; il n’y a que les pailles les plus légères qui soient secouées, les plus pesantes restent sur l’aire. Ainsi qu’une légère tentation vienne à souffler, les plus mauvais seuls se retirent ; mais qu’une violente tempête s’élève, on voit disparaître ceux qui paraissaient les plus stables ; c’est pourquoi les grandes épreuves sont nécessaires à l’Église pour la purifier entièrement. — Remi. Dieu purifie aussi son aire, c’est-à-dire son Église, dès cette vie, soit lorsque le jugement des prêtres retranche les méchants du sein de l’Église, soit lorsque la mort les enlève de cette terre.

Rab. L’aire sera entièrement nettoyée à la fin des temps, lorsque le Fils de l’homme enverra ses anges, et qu’il fera disparaître tous les scandales de son royaume. — S. Grég. (Moral. liv. 34, ch. 5.) Après avoir été battu pendant la vie présente, où il gémit sous la paille, le grain en sera parfaitement séparé par le van du dernier jugement, de manière que ni les pailles ne suivront le blé dans le grenier, ni le blé lui-même ne tombera dans le feu qui doit consumer les pailles ; c’est ce que nous apprennent les paroles suivantes : « Il ramassera son blé dans le grenier et brûlera la paille dans un feu lui ne s’éteindra jamais. » — S. Hil. Le froment, c’est-à-dire les œuvres parfaites des fidèles sera recueilli dans les greniers célestes et les pailles, c’est-à-dire les actions vaines et stériles des hommes, seront brûlées par le feu du jugement. — Rab. Il y a cette différence entre la paille et l’ivraie, que la paille sort de la semence du blé, et l’ivraie d’une semence étrangère. Les pailles représentent donc ceux qui ont été imprégnés de la sève vivifiante des sacrements, mais qui n’ont aucune consistance ; et l’ivraie ceux que leurs œuvres et leurs croyances ont totalement séparés de la destinée des chrétiens. — Remi. Ce feu qui ne s’éteint pas, c’est la peine de la damnation éternelle elle est ainsi appelée, soit parce qu’elle ne cesse de tourmenter sans les faire mourir ceux qu’elle dévore, soit pour la distinguer du feu du purgatoire, dont la durée n’a qu’un temps et qui doit s’éteindre un jour.

S. Aug. (De l’acc. des Ev. liv, 2, chap. 12.) Si l’on demande ici quelles sont les vraies paroles de Jean-Baptiste, celles que lui prête saint Matthieu, ou bien celles que lui fait dire saint Marc ou saint Luc, nous répondrons que cette difficulté ne doit pas arrêter un instant celui qui fait cette observation judicieuse que toutes ces maximes sont nécessaires pour faire connaître la vérité, quelle que soit d’ailleurs leur expression. Nous devons conclure de là qu’il ne faut pas regarder comme mensonger le récit tout différent, sous le rapport de la forme et de l’expression, que plusieurs personnes peuvent faire d’un même fait qu’elles ont vu ou entendu. Celui qui prétend que l’Esprit saint aurait dû accorder par sa puissance aux apôtres le privilège de ne varier en rien ni sur le choix des mots, ni sur leur nombre, ni sur la place qu’ils occupent, ne comprend pas que plus l’autorité des Évangélistes est grande et plus elle doit servir à fortifier la tranquillité de tout homme qui dit vrai. Mais lorsqu’un Évangéliste dit : « Je ne suis pas digne de porter sa chaussure, » et un autre : « Je ne suis pas digne de délier sa chaussure, la différence ne porte pas seulement sur l’expression, mais sur le fait lui-même. On peut donc rechercher avec raison laquelle de ces deux expressions est sortie de la bouche de Jean-Baptiste. Car la vraie est celle dont s’est servi le saint précurseur et celui qui lui en prête une autre, sans être pour cela coupable de mensonge, sera nécessairement accusé d’oubli en disant une chose pour une autre. Or on ne peut admettre dans les Évangélistes aucune erreur, qu’elle ait pour cause le mensonge ou un simple oubli. Si donc on doit regarder ces deux expressions comme réellement différentes, il faut dire que Jean s’est servi de toutes les deux, ou dans des temps différents, ou successivement dans la même circonstance. Mais si saint Jean, en parlant de la chaussure de Jésus, n’a voulu exprimer autre chose que l’élévation du Sauveur et sa propre bassesse, quelle que soit l’expression qu’ait employée l’Évangéliste qui au moyen de cette comparaison des chaussures diversement présentée en a fait ressortir la même leçon d’humilité, il a exprimé la même pensée que le saint précurseur, et ne s’est pas écarté de son intention. C’est donc une règle utile, et qu’on ne peut trop se rappeler, qu’il n’y a point de mensonge dans un auteur qui rend la pensée de celui qui fait l’objet de son récit, quand même il lui prêterait des expressions dont il ne s’est pas servi, car il a évidemment la même intention que celui dont il rapporte les paroles.

 

vv. 13-15.

La Glose. Après avoir été annoncé au monde par la prédication de son précurseur, Jésus qui depuis longtemps menait une vie cachée voulut enfin, se manifester aux hommes, comme l’indique le texte sacré : « Alors Jésus vînt de la Galilée au Jourdain trouver Jean pour être baptisé. »

Remi. Dans ces paroles l’Évangéliste vous décrit les personnes, les lieux, le temps, et la nature du ministère. Le temps, par ce mot : « alors. » — RAB. C’est-à-dire à l’âge de trente ans, pour nous apprendre que personne ne doit être élevé au sacerdoce ou chargé de la prédication à moins qu’il ne soit d’un âge mûr. C’est à trente ans que Joseph prit le gouvernement de l’Égypte ; c’est à ce même âge que David commença à régner, et qu’Ezéchiel reçut l’esprit prophétique (cf. Gn 41, 6 ; 2 R 5, 4 ; Ez 1, 1). — S. Chrys. (Hom. 10 sur S. Matth.) Comme la loi devait être abrogée après ce baptême, Jésus qui pouvait expier les péchés de tous les hommes reçoit le baptême à cet âge, afin qu’en le voyant ainsi fidèle à l’observation de la loi, personne ne pût l’accuser de l’avoir abrogée parce qu’il n’avait pu l’accomplir.

S. Chrys. (sur S. Math.) « Alors, » c’est-à-dire au moment même que Jean venait de prêcher la pénitence, pour confirmer sa prédication, et recevoir le témoignage qu’il devait lui rendre. De même que le soleil n’attend pas pour se lever que l’étoile du matin ait disparu, mais qu’il se lève alors qu’elle est encore sur l’horizon, et qu’il éclipse sa blanche clarté par l’éclat de ses rayons, ainsi le Christ n’a pas attendu que Jean eût achevé sa carrière, mais il s’est manifesté au monde pendant que son précurseur enseignait encore.

Remi. Les personnes sont désignées par ces paroles : « Jésus vint à Jean, » c’est-à-dire Dieu vint trouver l’homme, le Seigneur son serviteur, le roi son soldat, la lumière celui qui n’était qu’une lampe. Les lieux témoins des événements par ces autres paroles : « De la Galilée au Jourdain. » Le nom de Galilée signifie transmigration. Celui donc qui veut être baptisé doit, pour ainsi parler, émigrer des vertus aux vices, et s’humilier en s’approchant pour recevoir le baptême, car le mot Jourdain veut dire descente. — S. Aug. L’Écriture rapporte plusieurs prodiges dont ce fleuve avait été souvent le théâtre entre autres celui qu’elle rappelle en ces termes : « Le Jourdain est retourné en arrière. » Autrefois, c’étaient les eaux qui retournèrent en arrière ; maintenant ce sont les péchés ; et de même que le prophète Élie avait séparé les eaux du Jourdain, ainsi, dans ce même fleuve le Christ a opéré la séparation des péchés.

Remi. L’Évangéliste nous fait connaître le ministère de Jean par ces paroles « Pour qu’il fût baptisé par lui. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce n’était pas pour recevoir par la vertu de ce baptême la rémission de ses péchés, mais afin de sanctifier à jamais les eaux pour ceux qui devaient être baptisés dans la suite. — S. Aug. Si le Sauveur a voulu recevoir le baptême, ce n’est point pour y venir puiser la pureté de l’âme, mais afin de purifier les eaux pour notre propre sanctification. C’est depuis qu’il a été plongé dans l’eau qu’il lui a communiqué la puissance de laver tous les péchés. Et ne soyez pas surpris de voir l’eau, substance corporelle, parvenir jusqu’à l’âme pour la purifier ; elle y parvient certainement et pénètre dans toutes les profondeurs de la conscience. Elle est par elle-même subtile et déliée ; mais, devenue plus subtile encore par la bénédiction du Christ, elle traverse les sources cachées de la vie et pénètre par sa douce rosée jusqu’aux endroits les plus secrets de l’âme. Car le cours des bénédictions du ciel est plus pénétrant que le cours secret des eaux : aussi la bénédiction qui découle du baptême du Sauveur est comme un fleuve spirituel qui comble toutes les profondeurs des abîmes et remplit les veines de toutes les sources.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Jésus vient recevoir ce baptême, parce que s’étant revêtu de notre nature, il veut en accomplir toutes les conditions mystérieuses. Car, bien qu’il ne fût pas pécheur, il avait cependant pris une nature de péché, et. quoique n’ayant pas besoin pour lui de ce baptême, la nature humaine demandait qu’il le reçût pour les autres. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Il voulut encore être baptisé pour donner l’exemple de ce qu’il commandait aux autres, et parce que, comme un bon maître, il cherchait moins à prêcher sa doctrine par ses paroles qu’à la rendre vivante dans ses œuvres. — S. Aug. (Traité 5 sur saint Jean). Il s’abaissa donc jusqu’à recevoir le baptême de Jean, pour apprendre aux serviteurs avec quel empressement ils doivent courir au baptême du Seigneur, quand lui-même ne dédaigne pas de recevoir celui du serviteur. — S. Jér. Un autre motif enfin de son baptême, c’était de donner par cet acte un témoignage d’approbation au baptême de Jean.

S. Chrys. (hom. 12 sur S. Matth.) Comme le baptême de Jean était un baptême de pénitence, et qu’il était établi pour la déclaration des péchés, de peur qu’on vînt à supposer que le Christ s’approchait du Jourdain pour cette raison, le précurseur s’écrie en le voyant : « C’est moi qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Comme s’il disait : Que je sois baptisé par vous, cela se conçoit parfaitement, c’est pour me rendre juste et digne du ciel ; mais que moi je vous baptise, quelle peut en être la raison ? Tout bien descend du ciel sur la terre, et ne monte pas de la terre au ciel. — S. Hil. (chap. 2 sur S. Matth.) En un mot, Jean ne peut consentir à le baptiser comme Dieu, et Jésus lui-même lui enseigne qu’il le doit être comme homme : « Jésus lui répondant, lui dit : Laissez-moi faire pour cette heure. » — S. Jér. Remarquez la justesse de cette parole : « Laissez-moi faire pour cette heure. » Jésus voulait signifier par là qu’il devait être baptisé dans l’eau par Jean et que lui-même devait baptiser Jean dans l’esprit. Ou bien dans un autre sens : Laissez-moi faire pour cette heure, et puisque j’ai pris la condition et la forme d’un esclave, il est juste que j’en subisse toutes les humiliations ; sachez du reste qu’au jour du jugement vous recevrez mon baptême. Ou bien enfin ces paroles signifient : Il est un autre baptême dont je dois être baptisé (cf. Lc 12) ; vous me baptisez dans l’eau, afin que je vous baptise un jour pour moi dans votre sang. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En dehors des livres apocryphes qui le disent expressément, nous avons ici une preuve que plus tard Jésus baptisa Jean-Baptiste. « Laissez-moi faire pour cette heure, » afin que j’accomplisse la justice du baptême, non pas en paroles, mais par des œuvres ; que je le reçoive d’abord avant de le prêcher. C’est le sens des paroles suivantes : « c’est ainsi qu’il faut que nous accomplissions toute justice. » Elles ne signifient pas : Alors que je serai baptisé j’accomplirai toute justice, mais de même que j’ai accompli la justice du baptême par mes œuvres et ensuite par mes prédications, ainsi je le ferai de toute autre justice, d’après cette parole : « Jésus commença à faire, et ensuite il enseigna. » Ou bien encore : Il nous faut accomplir toute justice comme la justice du baptême, c’est-à-dire en me soumettant aux conditions de la nature humaine, car c’est ainsi qu’il satisfait à la condition imposée à tout homme de naître, de croître, etc. — S. Hil. (can. 2 sur S. Matth.) Lui seul pouvait accomplir toute justice, parce que c’est par lui seul que la loi pouvait être accomplie. — S. Jér. Il ne dit pas la justice de la loi ou de la nature, pour que nous comprenions que ce mot les renferme toutes deux. — Remi. Ou bien enfin : C’est ainsi qu’il faut accomplir toute justice, c’est-à-dire donner l’exemple de l’accomplissement de toute justice dans le baptême, sans lequel on ne peut entrer dans le royaume du ciel ; ou bien donner aux superbes cet exemple d’humilité afin qu’ils ne dédaignent pas d’être baptisés par mes membres les plus humbles, en me voyant baptisé par vous qui êtes mon serviteur. — Remi. La véritable humilité est celle qui a pour compagne l’obéissance. Aussi « Jean ne lui résista plus, » c’est-à-dire qu’il consentit enfin à le baptiser.

 

v. 16.

S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Nous l’avons déjà dit, au moment où le Sauveur est baptisé, toute l’eau qui doit servir à notre baptême est purifiée, afin que la grâce de la régénération coule désormais sur tous les peuples à venir dans la suite des siècles.

 

Il fallait aussi que le baptême de Jésus-Christ représentât les effets que le baptême produit dans les fidèles ; c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Jésus, aussitôt qu’il fut baptisé, sortit de l’eau. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce qui se passe en Jésus-Christ représente le mystère qui devait se produire dans ceux qui devaient être baptisés par la suite, et c’est pour cela que l’Évangéliste ne dit pas simplement : « Il monta, » mais « Il monta aussitôt, » parce que tous ceux qui reçoivent le baptême de Jésus-Christ avec les dispositions convenables, montent aussitôt hors de l’eau, c’est-à-dire marchent de vertus en vertus et s’élèvent à une dignité toute céleste. En effet, ils étaient entrés dans l’eau tout charnels et enfants d’Adam prévaricateurs, et ils sortent aussitôt de l’eau tout spirituels, et avec le titre d’enfants de Dieu. Si quelques-uns, par leur faute, ne profitent pas de la grâce de leur baptême, qu’est-ce que cela fait au baptême ? — Remi. Le Seigneur, non content de consacrer l’eau du baptême par le contact de son corps, nous apprend qu’après le baptême le ciel nous est ouvert, et que l’Esprit saint nous est donné ; c’est ce qu’indiquent les paroles suivantes : « Les cieux furent ouverts. » — S. Jér. Ils ne furent pas ouverts extérieurement, mais seulement aux yeux de l’âme, comme Ézéchiel nous dit au commencement de son livre qu’ils lui furent ouverts. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Car si les cieux visibles s’étaient littéralement entrouverts, l’Évangéliste n’aurait pas dit : « Lui furent ouverts, » mais simplement « furent ouverts ; » car ce qui est ouvert extérieurement l’est pour tous. On me demandera : Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que les cieux avaient jamais été fermés aux yeux du Fils de Dieu, lui qui, quoique sur la terre, n’a jamais cessé d’être dans les cieux ? Mais on doit savoir que c’est en vertu de l’économie de son incarnation que le Sauveur fut baptisé et que c’est par suite de la même économie que les cieux lui furent ouverts, car, selon la nature divine, il n’a jamais cessé d’être dans les cieux.

 

Remi. Mais, à ne le considérer que comme homme, est-ce que les cieux lui furent ouverts alors pour la première fois ? La foi de l’Église est qu’ils lui furent ouverts aussi bien avant qu’après. Si donc il est dit ici qu’ils lui furent ouverts, c’est parce que la porte du ciel s’ouvre pour tous ceux qui sont régénérés dans les eaux du baptême. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Peut-être qu’auparavant certains obstacles invisibles s’opposaient à ce que les âmes entrassent dans le ciel, car je ne pense pas que depuis le péché d’Adam, qui en avait fermé les portes, aucune âme y soit entrée avant Jésus-Christ. Ce n’est qu’après son baptême que les portes en ont été ouvertes. Lorsque, par sa mort, Jésus-Christ eut triomphé du démon, les portes n’étaient plus nécessaires, puisque le ciel ne devait plus être jamais fermé (cf. Ap 21, 25). Aussi, les anges ne disent pas : Ouvrez les portes, mais enlevez les portes. » Ou bien, les cieux sont ouverts à ceux qui sont baptisés, en ce sens qu’ils voient les choses du ciel non pas des yeux du corps, mais des yeux spirituels que la foi donne à l’âme qui croit. Ou bien encore, les cieux sont les Écritures divines que tous lisent, mais que tous ne comprennent pas, à moins qu’avec le baptême ils n’aient reçu le Saint-Esprit. Voilà pourquoi les écrits des prophètes étaient d’abord pour les Apôtres un livre scellé ; mais aussitôt qu’ils eurent reçu le Saint-Esprit, toutes les Écritures leur furent dévoilées. De quelque manière qu’on l’entende, les cieux lui furent ouverts c’est-à-dire qu’ils ont été ouverts pour tous les hommes, à cause de lui ; de même qu’un empereur accordant une grâce qu’une personne lui demande pour un autre lui dirait : « Ce n’est pas à lui que j’accorde cette faveur, mais c’est à vous, ou si vous voulez, je la lui accorde à cause de vous. » La Glose. Ou bien le Christ fut entouré d’un tel éclat dans son baptême, que l’empyrée parut être ouvert au-dessus de lui. — S. Chrys. (homél. 12 sur S. Matth.) Quoique vous n’ayez pas été témoin de ce prodige, ne laissez pas d’y ajouter foi, car lorsqu’il s’agit de fonder une œuvre spirituelle, Dieu l’appuie toujours par des apparitions sensibles, en faveur de ceux qui ne peuvent avoir aucune idée de la nature invisible, afin que si par la suite, ces prodiges ne se renouvellent pas, les premiers qui ont en lieu les déterminent à croire.

 

Remi. Or, de même que la porte du royaume des cieux est ouverte à tous ceux qui sont régénérés par le baptême ; ainsi tous dans le baptême reçoivent les dons de l’Esprit saint, comme l’indiquent les paroles suivantes : « Et il vit l’Esprit de Dieu descendant en forme de colombe et s’arrêtant au-dessus de lui. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Jésus-Christ après qu’il est né pour les hommes veut encore renaître par les sacrements ; il veut que, comme nous l’avons admiré prenant naissance dans le sein d’une mère immaculée, nous l’admirions encore plongé dans les flots d’une onde pure. Sa mère a engendré le Fils de Dieu, et elle est chaste ; l’eau a lavé le Christ et elle est sanctifiée ; enfin l’Esprit saint qui l’avait assisté dans le sein de sa mère, l’entoure d’une brillante lumière au milieu du Jourdain ; celui qui a conserve alors la chasteté de Marie, sanctifie maintenant les eaux du fleuve. C’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Et j’ai vu l’Esprit de Dieu qui descendait. »

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) L’Esprit saint a voulu paraître sous la forme d’une colombe, parce que de tous les animaux, la colombe est celui qui cultive le plus le sentiment de l’amour. Or toutes les espèces le vertus que les serviteurs de Dieu ont dans la vérité, les serviteurs du démon peuvent les avoir en apparence ; il n’y a que la charité seule de l’Esprit saint que l’esprit immonde mie puisse contrefaire. C’est peur cela que l’Esprit saint s’est réservé cette vertu particulière de la charité, car il n’est point de témoignage plus évident de sa présence dans une âme que la grâce de la charité. — Rab. La colombe nous représente aussi les sept vertus propres à ceux qui sont baptisés. La colombe habite sur les bords d’une eau courante ; aussitôt qu’elle aperçoit l’épervier, elle s’y plonge pour lui échapper ; elle choisit toujours le meilleur grain, elle nourrit les petits des autres oiseaux, elle ne déchire pas avec son bec, elle n’a pas de fiel, elle fait son nid dans le trou des rochers, et pour tout chant elle n’a que son gémissement. C’est ainsi que les saints habitent au bord des courants de la parole divine, pour échapper aux attaques du démon ; ils choisissent pour nourrir leur âme les saines maximes, de préférence aux maximes des hérétiques ; ils nourrissent du pain de l’exemple et de la doctrine ceux qui se sont montrés les enfants du démon en l’imitant ; ils ne corrompent pas les vérités saintes en les déchirant à l’exemple des hérétiques, on ne voit point en eux de colère sans raison ; ils placent leur nid, c’est-à-dire leur refuge et leur espérance, dans les plaies de Jésus, qui est pour eux la pierre ferme, et toute leur joie est de gémir sur leurs péchés, comme la joie des enfants du monde est de se livrer aux chants du plaisir. — S. Chrys. (homél. 12.) Ce prodige nous rappelle aussi un fait des premiers temps. Nous voyons, en effet, à l’époque du déluge, apparaître la colombe portant un rameau d’olivier, et annonçant à tout l’univers le retour du calme et de la paix, figure de ce qui devait arriver dans la suite, car c’est encore la colombe qui nous apparaît pour nous montrer notre libérateur, et pour apporter au genre humain, au lieu du rameau d’olivier, le bienfait de l’adoption divine.

 

S. Aug. (serm. sur la Trinité). il est facile de comprendre pourquoi l’Évangéliste dit que le Saint-Esprit a été envoyé, lorsqu’il descendit sur la personne du Seigneur sous la forme visible d’une colombe. Dieu créa sur-le-champ une forme extérieure sous laquelle l’Esprit saint pût paraître visiblement. Or cette création rendue visible et offerte aux regards des hommes a été appelée mission de l’Esprit saint ; elle n’avait pas pour fin de découvrir son invisible nature, mais de frapper les cœurs des hommes par cette apparition visible, et de les attirer vers les secrets de la nature éternelle. Cependant l’Esprit saint ne s’est pas uni cette nature corporelle dont il a revêtu la forme comme Jésus-Christ s’est uni en unité de personne la nature humaine qu’il avait reçue de la Vierge Marie : car l’Esprit ne sanctifia pas la colombe, et ne l’éleva pas jusqu’à lui être unie personnellement pour l’éternité. Il s’ensuit que, bien que cette colombe ait reçu le nom d’Esprit saint, pour rappeler que c’est sous cette forme que l’Esprit saint s’est manifesté, nous ne pouvons cependant dire de l’Esprit saint qu’il est Dieu et colombe, comme nous disons que le Fils de Dieu est tout à la fois Dieu et homme. Nous ne pouvons même l’appeler ainsi dans le sens où Jean-Baptiste appelle le Fils agneau de Dieu, nom que lui donne aussi saint Jean l’évangéliste dans l’Apocalypse lorsqu’il vit cet Agneau immolé (Jn 1, 26.36 ; Ap 5, 6), car cette vision prophétique ne fut pas révélée aux yeux du corps sous une forme sensible, mais elle eut lieu en esprit, et au moyen d’images toutes spirituelles des objets sensibles, tandis que personne ne doute que cette colombe n’ait été visible aux yeux du corps. Nous ne pouvons non plus appeler la colombe Esprit saint, dans le même sens que le Fils est appelé la pierre, car il est écrit : « La pierre c’était le Christ (1 Co 10, 4) ; » en effet, cette pierre existait déjà dans la nature, et c’est pour exprimer une des propriétés du Christ que le nom de pierre a été donné au Christ dont elle était la figure ; la colombe au contraire a reçu soudainement l’existence au moment de son apparition. Je comparerais plus volontiers cette apparition de la colombe à celle du feu qui apparut dans le buisson aux yeux de Moïse (Ex 3) ; à cette flamme lumineuse qui précédait le peuple dans le désert (Ex 14), aux éclairs qui fendirent la minée et au tonnerre qui se fit entendre lorsque la loi fut donnée sur la montagne (Ex 19), car tous ces phénomènes extérieurs n’eurent qu’une existence passagère pour figurer les choses que Dieu voulait annoncer. C’est donc à cause de ces formes extérieures qu’on dit de l’Esprit saint qu’il a été envoyé ; ces mêmes apparences corporelles n’existèrent qu’un instant pour révéler ce qu’elles devaient apprendre, et rentrèrent immédiatement après dans le néant.

S. Jér. La colombe s’arrêta sur la tête de Jésus, pour que personne ne pût s’imaginer que la voix du Père s’adressait à Jean et non pas au Seigneur. Aussi est-il dit : « Elle s’arrêta sur lui. »

 

v. 17.

S. Aug. (serm, sur l’Epiph.) Ce n’est plus comme autrefois par Moïse, ou par les prophètes, par des figures ou par des images que Dieu le Père nous annonce l’avènement futur de son Fils dans la chair, il nous le montre à découvert au milieu de nous en nous disant : « Celui-ci est mon Fils. » — S. Hil. Ou bien ce qui avait lieu dans la personne du Christ, nous apprenait qu’après le bain de la régénération, l’Esprit saint descend sur nous des portes ouvertes du ciel, nous sommes inondés de l’onction de la gloire céleste, et nous devenons enfants de Dieu par l’adoption de sa voix paternelle.

S. Jér. Le mystère de la Trinité nous est révélé dans le baptême de Jésus-Christ, le Fils qui est baptisé, l’Esprit saint qui descend sous la forme d’une colombe, le Père dont la voix rend témoignage à son Fils. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Qu’y a-t-il d’étonnant que le mystère de la Trinité ait été révélé au baptême de Jésus-Christ, puisque l’invocation de ce mystère rend parfait notre baptême, car le Seigneur à voulu d’abord accomplir dans sa personne ce qu’il devait exiger du genre humain tout entier.

S. Aug. (de la foi de Pierre, 9.) Quoique le Père, le Fils et l’Esprit saint n’aient qu’une seule et même nature, cependant vous devez croire très fermement qu’ils forment trois personnes distinctes, que le Père est le seul qui fait entendre ces paroles : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; » le Fils, le seul sur lequel a retenti la voix du Père ; et l’Esprit saint, le seul qui soit descendu sur le Christ après son baptême sous la forme d’une colombe. — S. Aug. (liv. 4 de la Trinité, chap. 21.) Ces œuvres appartiennent à la Trinité tout entière ; dans leur nature le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu’un, sans aucune séparation de temps ou de lieu. Ils sont séparés au contraire dans nos paroles, qui ne peuvent prononcer à la fois le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Il en est ainsi dans l’Écriture, où ces noms divers occupent des places différentes ; car on comprend très bien par comparaison que la Trinité qui est indivisible en elle-même ne puisse être révélée qu’à l’aide d’objets extérieurs et d’expressions distinctes, Que la voix soit seulement la voix du Père, nous en avons la preuve dans ces paroles : « Celui-ci est mon Fils. » — S. Hil. (Liv, de la Trinité.) Ce n’est pas seulement par le nom qu’il lui donne que le Père atteste qu’il est son Fils, mais par la propriété qu’il lui attribue. En effet, nous sommes un nombre considérable d’enfants de Dieu ; mais ce Fils est bien différent de nous, car il est son propre Fils, son Fils véritable d’origine et non d’adoption, dans la réalité et non pas seulement par le nom qu’il porte, par naissance et non par création.

S. Aug. (Traité 14 sur S. Jean.) Le Père aime son Fils, non pas comme un maître aime son serviteur, mais comme un père aime son enfant ; comme un père aime son fils unique et non pas comme on aime un fils d’adoption, et c’est pour cela qu’il ajoute : « En qui j’ai mis mes complaisances. »

Remi. Si l’on rapporte ces paroles à l’humanité du Christ, et qu’on lise : « En qui j’ai mis mes complaisances, » le sens sera : en qui je me suis complu, parce que je l’ai trouvé seul juste et sans péché. Si au contraire on lit : « dans lequel il m’a plu » ; il faut sous-entendre : de placer ma volonté, de faire par lui ce que je devais faire, c’est-à-dire de racheter le genre humain. — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv, 2, chap. 14.) Deux autres évangélistes, saint Marc et saint Luc, rapportent ces paroles d’une manière semblable ; mais leur récit varie sur celles qui se firent entendre du haut du ciel, bien que le sens soit le même. Ainsi, au lieu qu’on lit dans saint Matthieu : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; » saint Marc et saint Luc ont écrit : « Vous êtes mon Fils bien-aimé. » Mais ces deux versions reviennent au même. La voix du Ciel a nécessairement employé l’une de ces deux locutions ; mais l’Évangéliste a voulu faire comprendre que ce qui avait été dit revenait à cette manière de s’expliquer : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, » pour bien faire connaître à ceux qui étaient présents qu’il était vraiment le Fils de Dieu. C’est pour cela qu’il a rendu cette locution : « Vous êtes mon Fils bien-aimé, » par cette autre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » Car cette voix n’avait pas polir but d’apprendre au Christ ce qu’il savait, mais d’instruire ceux qui étaient présents. Quant aux autres variantes que présentent les Évangélistes, l’un : « Dans lequel j’ai mis mes complaisances ; » l’autre : « J’ai mis en vous mes complaisances ; » un autre : « C’est en vous qu’il m’a plu » (Lc 3, 23 ; Mt 3, 17 ; Mc 1, 12) ; si vous me demandez quelle est celle que la voix céleste a fait entendre, je répondrai que vous pouvez choisir celle que vous voudrez, pourvu que vous compreniez que le sens reste le même dans toutes ces locutions différentes. Ces paroles : « J’ai mis en vous mes complaisances, » nous montrent le Père plaçant toutes ses complaisances dans son Fils ; ces autres : « Il m’a plu en vous, » nous apprennent que le Père a été agréable aux hommes dans son Fils. Il est donc facile de comprendre que ces différentes manières de s’exprimer des Évangélistes reviennent à dire : J’ai placé en vous mon bon plaisir, c’est-à-dire : j’ai résolu d’accomplir par vous ce qui m’est agréable.

 

 

CHAPITRE IV.

 

vv. 1, 2.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Après avoir été baptisé dans l’eau par Jean-Baptiste, le Sauveur est conduit par l’Esprit dans le désert, pour y être baptisé dans le feu de la tentation (cf. Is 4, 4). Alors, dit l’Évangéliste, « Jésus fut conduit par l’Esprit dans le désert. » Alors, c’est-à-dire aussitôt que le Père eut fait entendre cette voix du haut du ciel : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » — S. Chrys. (hom. 13 sur S. Matth.) Qui que vous soyez, qui après le baptême vous trouvez en butte à de plus fortes tentations, ne vous en troublez point. Ce n’est pas pour rester oisif, mais pour combattre que Dieu nous a revêtus d’une armure divine. Il ne défend pas à la tentation d’approcher de vous, pour vous apprendre premièrement que vous êtes devenu beaucoup plus fort ; secondement pour que la grandeur des grâces que vous avez reçues ne soit pas pour vous un principe d’orgueil ; troisièmement pour faire connaître par expérience au démon que vous avez rompu entièrement avec lui ; quatrièmement pour augmenter la force dont vous êtes revêtu ; cinquièmement pour vous donner une juste idée du trésor qui vous est confié (cf. 2 Co 4, 7), car le démon ne viendrait pas pour vous tenter, s’il ne vous voyait élevé à une plus grande dignité. — S. Hil. (Can. 3 sur S. Matth.) C’est contre ceux qui ont été sanctifiés que le démon dirige ses plus violents efforts, car la victoire qu’il désire le plus ardemment est celle qu’il peut remporter sur les Saints.

S. Grég. (hom. 13 sur les Evang.) Il en est qui n’osent décider quel fut l’esprit qui conduisit Jésus dans le désert, à cause de cette circonstance que l’Évangéliste rapporte plus loin : « Le démon le transporta dans la cité sainte. » Mais il est hors de doute, et c’est le seul sens convenable, que Jésus fut conduit par l’Esprit saint, c’est-à-dire que son propre esprit le conduisit dans le désert, où le malin esprit devait venir pour le tenter. — S. Aug. (de la Trinité, chap. 13) — Pourquoi s’est-il rendu accessible à la tentation ? pour nous aider comme médiateur à triompher des tentations, non seulement par la puissance de son secours, mais encore par l’efficacité de son exemple. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne fut pas conduit dans le désert comme un inférieur qui obéit au commandement de son supérieur. En effet, on n’est pas seulement conduit lorsqu’on marche sous les ordres d’un autre, mais lorsqu’on se détermine par quelque sage raison qu’il apporte ; c’est ainsi que nous lisons qu’André trouva Simon son frère, et qu’il le conduisit à Jésus. — S. Jér, (sur S. Matth.) Il n’est conduit ni par force, ni par violence, mais par le désir qu’il a de combattre. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le démon vient trouver les hommes pour les tenter ; mais comme il ne pouvait marcher le premier contre le Christ, c’est le Christ qui s’avance contre lui, c’est pour cela qu’il est dit : « Afin qu’il fût tenté par le diable. » — S. Grég. (hom. 16 sur les Evang.) La tentation nous attaque en trois manières, par la suggestion, par la délectation, par le consentement. Lorsque nous sommes tentés, nous tombons presque toujours dans le consentement ou dans la délectation, parce que nous tirons notre origine du péché de la chair, et que nous portons en nous-même la cause des combats que nous avons à soutenir ; tandis que le Dieu incarné dans le sein d’une vierge, étant venu dans le monde sans péché, ne portait en lui aucun principe de lutte intérieure. Il a donc pu être tenté par la suggestion ; mais la délectation du péché n’a eu aucune prise sur son âme, et tous les efforts du démon dans cette tentation se bornèrent à l’extérieur, sans aller plus avant.

S. Chrys. (hom. 13.) Le démon redouble surtout ses tentations à l’égard de ceux qu’il voit seuls ; c’est ainsi qu’au commencement il a tenté la femme qu’il trouvait éloignée de son mari ; et la présence de Jésus-Christ qu’il voit seul dans le désert, devient également pour lui une occasion de le tenter. — La Glose. Ce désert s’étend entre Jérusalem et Jéricho ; il était habité par des voleurs, et on l’appelait Dammaïm, c’est-à-dire désert du sang, à cause des meurtres qu’y commettaient ces brigands. Aussi lisons-nous que cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des voleurs. Cet homme représentait Adam qui fut vaincu par les démons. Il convenait donc que le démon fût vaincu à son tour par le Christ dans ce même endroit où existait une figure de son triomphe sur l’humanité.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Jésus-Christ n’est pas le seul qui soit conduit dans le désert par l’Esprit ; il en est ainsi de tous les enfants de Dieu que l’Esprit saint dirige. Ils ne peuvent supporter de rester inactifs, car l’Esprit saint les presse d’entreprendre quelque œuvre importante, et pour le démon, une de ces œuvres, c’est de se retirer dans le désert, car on n’y voit aucune de ces injustices qui font sa joie. Tout vrai bien d’ailleurs se trouve en dehors de la chair et du monde, parce qu’il n’est pas conforme à la volonté de la chair et du monde. C’est donc dans ce désert que se retirent tous les enfants de Dieu pour être éprouvés par la tentation. Si, par exemple, vous avez résolu de ne pas vous marier, c’est l’Esprit saint qui vous a conduit dans le désert, c’est-à-dire, au delà des limites de la chair et du sang, pour y être tenté par la concupiscence de la chair. Car comment celui qui se trouve continuellement avec sa femme pourrait-il ressentir les atteintes de la concupiscence ? Sachons donc que les enfants de Dieu ne sont tentés par le démon que lorsqu’ils se retirent dans le désert. Au contraire, les enfants du diable, placés au milieu du monde et sous l’empire de la chair, sont tous les jours brisés et se soumettent à l’esclavage. Ainsi un homme vertueux est marié, il ne se livre pas à la fornication, mais sa femme lui suffit ; un homme vicieux au contraire n’en est pas content, et se rend coupable d’infidélité envers son épouse ; et il en est ainsi de tous les autres devoirs. Les fils du démon ne vont donc pas au-devant de lui pour être tentés, car qu’est-il nécessaire de combattre pour celui qui ne désire pas la victoire ? Au contraire, les plus illustres des enfants de Dieu franchissent les limites de la chair pour marcher contre le démon, parce qu’ils aspirent à la gloire du triomphe. C’est pour cela que le Christ vint dans ce désert à la rencontre du démon afin d’y être tenté par lui.

S. Chrys. (hom. 12.) Notre-Seigneur commence par jeûner, sans avoir besoin du jeûne, mais pour nous apprendre quelle est son excellence, quel bouclier il nous offre contre les traits du démon, et aussi qu’après le baptême, nous devons nous appliquer non pas aux plaisirs, mais à la mortification des sens. — S. Chrys. (Sur S. Matth.) Il jeûna quarante jours et quarante nuits pour fixer lui-même la durée du jeûne quadragésimal : « Après qu’il eut jeûné quarante jours et quarante nuits, » dit l’Évangéliste. — S. Chrys. (hom. 13.) Il ne prolongea pas son jeûne au delà du jeûne de Moïse et d’Élie (cf. Ex 24, 18 ; 34, 28 ; Dt 9, 9.18 ; 3 R 19, 8), pour ne pas faire douter de la vérité de son incarnation.

S. Grég. (hom. 16.) L’auteur de toutes choses ne prit absolument aucune nourriture pendant quarante jours et quarante nuits ; nous donc aussi, autant que nos forces nous le permettent, mortifions notre chair par l’abstinence pendant le temps du Carême. Le nombre quarante est ici consacré, parce qu’il est formé par le nombre dix répété quatre fois, et que la perfection du Décalogue trouve son accomplissement dans les quatre livres du saint Évangile. Ou bien, c’est parce que notre corps est composé de quatre éléments, et que la concupiscence, dont il est la source, nous met en opposition avec les dix commandements de Dieu.

Or, puisque les désirs de la chair nous portent à transgresser les commandements du Décalogue, il est bien juste de mortifier cette chair pendant quarante jours. On peut dire encore que, comme autrefois le Seigneur exigeait la dixième partie des biens de la terre, nous nous efforçons de lui offrir la dixième partie des jours de l’année. En effet, du premier dimanche de Carême à la fête de Pâques, on compte six semaines, c’est-à-dire quarante-deux jours, et trente-six seulement, si l’on supprime les six dimanches qui sont exempts de la loi du jeûne. Or l’année étant composée de trois cent soixante-cinq jours, en consacrant trente-six de ces jours à la pénitence, nous offrons à Dieu la dixième partie des jours de l’année. — S. Aug. (liv. des LXXXIII, quaest. 8.) Ou bien, dans un autre sens, toute la sagesse consiste à connaître le Créateur et la créature. Le Créateur c’est la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; la créature est en partie invisible, comme l’âme, dans laquelle le nombre trois est consacré par le triple commandement qui nous est fait d’aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit ; elle est en partie visible comme le corps, auquel convient le nombre quatre, à cause des quatre prophéties qu’il renferme, le chaud et le froid, l’humide et le sec. Le nombre dix, qui rappelle le Décalogue et résume toute la morale, étant multiplié par le nombre quatre qui est le nombre spécial et distinct du corps, parce que le corps est chargé de la direction des choses extérieures, forme le nombre quarante. Or les parties égales de ce nombre font cinquante. En effet, les nombres un, deux, quatre, cinq, huit, dix et vingt, qui sont les parties du nombre quarante, additionnés ensemble, donnent cinquante. Ainsi donc le temps des gémissements et de la douleur est figuré par le nombre quarante, et le temps de la félicité et de la joie par le nombre cinquante, qui s’écoule entre la fête de Pâques et celle de la Pentecôte. — S. Aug. (serm. pour le Carême.) De ce que le Christ a voulu jeûner immédiatement après son baptême, il ne faut pas en conclure qu’il nous ait imposé par là l’obligation rigoureuse de jeûner aussitôt que nous avons reçu le baptême. C’est lorsque le démon nous livre de plus violentes attaques, qu’il faut recourir au jeûne, afin que le corps s’exerce aux combats de la mortification et que l’âme puisse remporter la victoire par ses humiliations.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Le Seigneur connaissait le dessein que le démon avait de le tenter ; en effet le démon avait appris la naissance du Christ par l’apparition des anges, par le rapport des bergers, par les recherches des Mages et par la déclaration de Jean-Baptiste. Le Seigneur s’avança donc contre lui, non comme Dieu, mais comme homme, ou plutôt comme Dieu et homme, car il n’est pas dans la nature de l’homme de ne point éprouver la faim pendant quarante jours, comme il n’est pas dans la nature de Dieu d’être jamais soumis à la nécessité de la faim. Il eut faim, pour ne pas rendre la divinité trop évidente, car le démon aurait ainsi perdu tout espoir de le tenter, et lui-même l’occasion d’en triompher ; c’est pour cela qu’il est dit : « Après cela il eut faim. » — S. Hil. Ce ne fut pas pendant les quarante jours qu’il eut faim, mais seulement lorsqu’ils furent écoulés. Lors donc que le Seigneur éprouva le besoin de la faim, ce ne fut pas l’effet naturel du jeûne, mais parce qu’il abandonna en ce moment la nature humaine à sa faiblesse, car c’est par la faiblesse de la chair et non par la force divine que l’enfer devait être vaincu. Ainsi nous est figurée la faim mystérieuse qu’il devait avoir du salut des hommes, lorsque, les quarante jours qu’il passa sur la terre après sa résurrection étant écoulés, il porta dans les cieux à son Père ce présent si désiré de l’humanité qu’il s’était unie.

 

vv. 3-4.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Le diable qui avait désespéré de triompher du Sauveur en le voyant jeûner pendant quarante jours, reprit quelque espoir en le voyant éprouver le besoin de la faim ; aussi le texte sacré ajoute : « Et le tentateur s’approchant. » Si donc après avoir jeûné, le démon vous tente, ne dites pas : J’ai perdu le fruit de mon jeûne, car si le jeûne ne vous a pas servi a éviter la tentation, il vous donnera les forces nécessaires pour en triompher. — S. Grég. (hom. 16.) En étudiant ici l’ordre et la suite de la tentation du Sauveur, nous verrons quelle puissance nous y est acquise à nous-mêmes contre nos propres tentations. L’antique ennemi du genre humain tenta le premier homme par la sensualité en lui persuadant de manger du fruit défendu, par la vaine gloire en lui faisant cette promesse : « Vous serez comme des dieux ; » par l’avarice en lui disant : « Vous saurez le bien et le mal ; car l’avarice n’a pas seulement l’argent pour objet, mais encore la grandeur, l’élévation, lorsqu’on les désire et qu’on les recherche avec excès. Le démon fut vaincu cette fois par le second Adam, et par les mêmes moyens qui l’avaient rendu victorieux du premier. Il tenta le Sauveur par la sensualité en lui disant : « Dites que ces pierres se changent en pains ; » par la vaine gloire lorsqu’il lui dit : « Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas. » Il le tenta par l’attrait de l’avarice et le désir des honneurs, lorsqu’il lui dit en lui montrant tous les royaumes de la terre : « Je vous donnerai toutes ces choses. »

S. Amb. (sur S. Luc.) Le démon commence par ce qui l’avait autrefois rendu victorieux du premier homme, c’est-à-dire par la sensualité : « Si vous êtes le Fils de Dieu, » lui dit-il, « commandez à ces pierres de se changer en pains ? » Que signifie cet exorde : que le démon savait que le Fils de Dieu devait venir sur la terre, mais qu’il ne croyait pas qu’il dût venir dans l’infirmité de la chair. Il le sonde et le tente tout à la fois, il fait profession de croire en Dieu et en même temps il se joue de l’homme. — S. Hil. (can. 3 sur S. Matth.) Il choisit pour le tenter une œuvre qui pût lui faire reconnaître Dieu dans la puissance qui changerait les pierres en pains, et lui permît en même temps de se moquer de la patience de l’homme maintenant soumise à la faim, par le plaisir qu’il trouverait dans la nourriture. — S. Jér. Mais, ô Satan, tu es pris entre ces deux termes opposés : s’il ne lui faut que commander pour changer ces pierres en pain, c’est bien inutilement que tu veux tenter Celui qui est revêtu d’une si grande puissance ; et si cela lui est impossible, pourquoi soupçonner qu’il peut être le Fils de Dieu ? — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le démon aveuglait auparavant tous les hommes, Jésus-Christ l’aveugle invisiblement à son tour. Il remarque que le Sauveur a faim après quarante jours, et il semble ne pas comprendre pourquoi il n’avait pas eu faim pendant ces quarante jours. Il doute qu’il puisse être le Fils de Dieu, et il ne voit pas qu’un puissant athlète peut descendre jusqu’à faire des choses ordinaires, tandis que celui qui est faible ne peut jamais s’élever jusqu’aux actions qui exigent de la force. Ce jeûne si prolongé sans que le Sauveur eût faim, devait être pour le démon une preuve plus évidente de sa Divinité que la faim qu’il éprouve ensuite ne devait lui faire conclure qu’il n’était qu’un homme. Mais vous me direz peut-être : Élie et Moïse ont bien jeûné pendant quarante jours, et cependant ils n’étaient que des hommes. Oui, sans doute, ils jeûnaient, mais ils souffraient du jeûne, tandis que Jésus-Christ n’éprouva aucun sentiment de la faim pendant ces quarante jours, mais seulement après. Avoir faim et supporter la faim, l’homme le peut par la patience ; mais il n’appartient qu’à la nature divine de ne pas éprouver le sentiment de la faim.

S. Jér. Le dessein du Christ était de vaincre par l’humilité. — S. Remi. (Serm. 1 pour le Carême.) Aussi ce n’est point par la puissance divine, mais par les témoignages de la loi, que Jésus triomphe de son adversaire. Notre humanité s’en trouve plus honorée, et le démon plus sévèrement puni, car cet ennemi du genre humain se trouve vaincu non seulement par la force de Dieu, mais par la faiblesse de l’homme. Aussi entendez la réponse du Sauveur : « Il est écrit : l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » — S. Grég. (hom. 16.) Le Seigneur tenté par le démon ne lui oppose que les préceptes de la sainte Écriture ; il aurait pu refouler le tentateur jusque dans les abîmes, il aime mieux ne pas faire éclater sa puissance. Il voulait nous enseigner par son exemple, lorsque nous sommes en butte aux persécutions des méchants, à ouvrir notre âme au désir de les instruire, plutôt qu’au désir de la vengeance.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne dit pas : « Je ne vis pas seulement de pain, » pour ne point paraître parler de lui-même, mais « l’homme ne vit pas seulement de pain, » afin de donner lieu au démon de se dire : « S’il est le Fils de Dieu, il cache sa divinité et ne veut pas laisser éclater sa puissance ; s’il est homme, il dissimule habilement son impuissance. » Rab. Ces paroles sont tirées du Deutéronome (Dt 8, 3). Ainsi celui qui ne se nourrit pas de la parole de Dieu ne vit pas en réalité, car l’âme ne peut pas plus vivre sans la parole de Dieu, que le corps sans le pain matériel. Or on dit qu’une parole sort de la bouche de Dieu, lorsqu’il nous fait connaître sa volonté par le témoignage des Écritures.

 

vv. 5-7.

S. Chrys. (sur S. Matth.) D’après la réponse que venait de faire Jésus-Christ, le démon n’avait pu savoir au juste si le Christ était vraiment Dieu ou homme ; il le met donc en face d’une autre tentation en se disant à lui-même : Celui-ci dont la faim n’a pu triompher, s’il n’est pas le Fils de Dieu, est au moins un saint. Les saints en effet peuvent se rendre supérieurs à la faim ; mais après avoir triomphé des nécessités du corps, ils succombent à la tentation de la vaine gloire. C’est pourquoi le démon voulut soumettre le Sauveur à cette tentation : « Alors, dit l’Évangéliste, le démon le transporta dans la ville sainte. » — S. Jér. Ce transport de Jésus par le démon n’est pas le résultat de la faiblesse du Seigneur, mais de l’orgueil de son ennemi, qui prenait une action toute volontaire du Sauveur pour un effet de la nécessité. — Rab. Jérusalem était appelée la cité sainte, à cause du temple, du Saint des saints, et parce qu’on y adorait un seul Dieu selon la loi de Moïse. — Remi. On voit par là que les fidèles peuvent être tentés jusque dans les lieux consacrés à Dieu.

S. Grég. (hom. 16.) Lorsque nous entendons dire que le Fils de Dieu a été transporté par le démon dans la cité sainte, nos oreilles frémissent d’effroi. Cependant le démon est le chef de tous les méchants ; et qu’y a-t-il d’étonnant que le Sauveur ait permis au démon de le transporter sur une montagne, lui qui a bien permis aux membres du démon de le crucifier ? — La Glose. Le démon conduit toujours sur les lieux élevés, il nous fait monter sur les sommets de l’orgueil, afin de nous précipiter de ces hauteurs. Voilà pourquoi il est dit : « Et il le plaça sur le haut du temple. » — Remi. Le pinacle était le lieu où s’asseyaient les docteurs. Or le temple n’avait pas de toit élevé en pente comme nos maisons, mais il était plat et surmonté d’une terrasse, comme le sont en général les habitations de la Palestine. Le temple avait trois étages, et à chaque étage un pinacle ; il y en avait même un sur le pavé. Que ce soit sur le pinacle du pavé ou sur celui d’un des étages que le démon ait placé Jésus, peu importe : ce qu’il y a de certain c’est qu’il l’a placé sur une élévation d’où l’on pouvait se précipiter. — La Glose. Remarquons que toutes ces circonstances ont dû se passer d’une manière visible, car il y a ici échange de paroles ; il est donc vraisemblable que le démon s’était rendu sensible sous une forme humaine. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Vous demanderez peut-être comment le démon a pu placer corporellement le Sauveur sur le haut du temple, aux yeux de tous. On peut répondre que le démon le transportait d’une manière visible, et que lui-même, à l’insu du démon, se rendait invisible à tous les regards.

 

La Glose. — Il le plaça sur le pinacle pour le tenter de vaine gloire, parce qu’il avait fait tomber dans ce piège de la vaine gloire beaucoup de ceux qui étaient assis dans la chaire des docteurs. Il crut pouvoir séduire de la même manière Jésus dès qu’il serait placé dans la chaire de l’enseignement ; il lui dit donc : « Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas. » S. Jér. En effet, dans toutes les tentations, le démon n’a qu’un but : c’est de découvrir s’il est le Fils de Dieu. Il dit : « Jetez-vous en bas, » parce que la voix du démon, qui désire toujours la chute des hommes, peut bien les persuader, mais ne peut jamais les précipiter elle-même. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Mais comment par cette proposition pouvait-il connaître s’il était le Fils de Dieu ou non : car voler par les airs n’est point proprement une œuvre divine, attendu que cette œuvre n’est utile à personne. Que quelqu’un, sur les instances qu’on lui fait, prenne son essor dans les airs, c’est uniquement par ostentation qu’il agit, et c’est une œuvre qui vient plutôt du démon que de Dieu. Si donc il suffit à l’homme sage être ce qu’il est, sans qu’il lui soit nécessaire de paraître ce qu’il n’est pas, combien moins sera-t-il nécessaire au Fils de Dieu de se découvrir, lui dont personne ne pourra jamais connaître la grandeur réelle ?

S. Amb. (sur S. Luc.) Comme Satan se transfigure en ange de lumière, et qu’il se sert des saintes Écritures elles-mêmes pour tendre des pièges aux fidèles (cf. 2 Co 11, 14), il a recours ici aux témoignages des Livres saints et il dit : « Il est écrit qu’il a ordonné à ses anges d’avoir soin de vous. » — S. Jér. Nous lisons ce passage dans le psaume quatre-vingt dixième, mais il n’y est pas question du Christ, c’est une prophétie qui a rapport à l’homme juste : l’interprétation du démon est donc vicieuse. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En réalité, le Fils de Dieu n’est pas porté par les mains des anges, mais c’est bien plutôt lui qui porte les anges, ou s’il permet que les anges le portent dans leurs mains, ce n’est point par faiblesse, pour ne point heurter son pied contre la pierre ; c’est pour recevoir l’honneur qui lui est dû comme le maître des anges. O Satan, tu as lu que le Fils de Dieu est porté dans les mains des anges, et tu n’as pas lu ce qui suit, qu’il foule aux pieds l’aspic et le basilic. Mais il cite par orgueil cette première partie du texte et il se tait sur la seconde par un sentiment de fourberie. — S. Chrys. (hom. 13 sur S. Matth.) Remarquez encore comme Notre Seigneur cite toujours convenablement l’Écriture sainte, tandis que le démon en fait le plus mauvais usage, car ces paroles : « Il a ordonné à ses anges, » etc. ne conseillent à personne de se jeter et de se précipiter en bas. — La Glose. Voici comme il faut expliquer ce passage. L’Écriture dit de tout homme juste que Dieu a commandé à ses anges, c’est-à-dire aux esprits qui lui servent de ministres, de le prendre dans leurs mains, en d’autres termes de l’entourer de leur protection, et de le garder pour qu’il ne heurte pas le pied, c’est-à-dire la bonne disposition de son âme, contre la pierre, figure ici de l’ancienne loi écrite sur des tables de pierre. On peut voir aussi dans cette pierre toute occasion de péché ou de ruine.

Rab. Remarquons que notre Sauveur, qui avait permis au démon de le porter sur le pinacle du temple, refusa d’obéir au commandement qu’il lui faisait d’en descendre. Il nous apprenait ainsi par son exemple à obéir à celui qui nous commande de monter la voie étroite de la vérité, mais à ne point écouter celui qui voudrait nous faire descendre des hauteurs de la vérité et des vertus pour nous précipiter dans l’abîme de l’erreur et des vices. — S. Jér. Il brise sur le vrai bouclier des Écritures ces flèches trompeuses que le démon a voulu, mais en vain, tirer des Écritures elles-mêmes. « Jésus lui dit : Il est écrit de nouveau : Vous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu. » — S. Hil. En réprimant ainsi tous les efforts du démon, il atteste qu’il est le Dieu souverain maître de toutes choses. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne dit pas : « Vous ne me tenterez pas, moi qui suis votre Dieu, mais « vous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu, » ce que pouvait dire tout homme tenté du démon, car qui tente l’homme de Dieu tente Dieu lui-même. — Rab. Ou bien encore, tout en le regardant comme un homme, il lui conseillait d’essayer par quelque prodige sa puissance auprès de Dieu. — S. Aug. (contre Faust., liv. XXII, chap. 36.) La saine doctrine veut qu’un homme qui a d’autres moyens d’action ne tente pas le Seigneur son Dieu. — S. Jér. Il est à remarquer que le Sauveur ne tire les témoignages dont il a besoin que du Deutéronome, pour faire ressortir la signification mystérieuse de cette loi promulguée une seconde fois par Moïse.

 

vv. 7-11.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Le démon, que la seconde réponse du Sauveur avait laissé dans l’incertitude, en vient à la troisième tentation. Le Christ avait brisé les filets de la sensualité, il avait passé par-dessus les pièges de la vaine gloire ; il lui tend ceux de l’avarice. « Le diable, dit l’auteur sacré, le prit de nouveau, et le transporta sur une montagne très élevée. Le démon, qui avait parcouru toute la terre, connaissait quelle était de toutes les montagnes la plus élevée, et d’où, par conséquent, on pouvait découvrir une plus grande étendue de terre : c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Et il lui montra tous les royaumes de la terre et toute leur gloire. » Il les lui montra non pas en ce sens qu’il distinguât parfaitement les limites de ces royaumes, leurs villes, leurs habitants, l’or et l’argent qu’ils possédaient, mais simplement les parties de la terre où étaient situés ces royaumes, ces villes, comme si du sommet d’une haute montagne, je vous disais en vous indiquant du doigt un point de l’horizon : C’est là que se trouve Rome, ou Alexandrie, vous ne verriez pas les villes elles-mêmes, mais simplement la direction dans laquelle elles sont situées. C’est ainsi que le démon pouvait en montrant du doigt les différentes parties de la terre, exposer au Christ l’état et la gloire de chacun des royaumes qui s’y trouvaient situés ; car on montre réellement ce que l’on cherche à faire comprendre. — Orig. (hom. 30 sur S. Luc.) Ou bien dans un autre sens, il n’est pas probable que le démon lui ait montré les royaumes du monde, celui des Perses, par exemple, puis celui des Indiens, puis celui des Mèdes ; mais il lui montra son royaume à lui, c’est-à-dire comment il dominait sur le monde, comment les uns étaient gouvernés par l’avarice, les autres par la fornication, etc. — Remi. La gloire de ces royaumes, c’est leur or, leur argent, leurs pierres précieuses, leurs biens temporels. — Rab. Le démon montra toutes ces choses au Christ, non pas qu’il ait pu étendre sa vue au-delà des limites ordinaires, ou de découvrir des choses inconnues ; mais en déroulant sous ses yeux, comme un digne objet de ses désirs, cette vanité des pompes du monde qu’il aimait lui-même, il voulait aussi lui en inspirer l’amour. — La Glose. Jésus ne voit pas ainsi que nous toutes ces choses avec l’œil de la concupiscence, mais comme les médecins voient les maladies sans en être atteints eux-mêmes.

 

Suite. « Et il lui dit : Je vous donnerai toutes ces choses. » Dans son arrogance et dans son orgueil, il se vante de faire ce qui dépasse son pouvoir, car il ne peut disposer de tous les royaumes, puisque nous savons qu’un grand nombre de Saints ont reçu la royauté des mains de Dieu lui-même. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Tout ce qui dans le monde est le fruit de l’iniquité, comme les richesses acquises par le vol ou par le parjure, c’est le démon qui le donne : il ne peut donc pas donner les richesses a tous ceux qu’il veut, mais seulement à ceux qui veulent les recevoir de sa main. — Remi. Quelle étrange folie dans le démon : il promet les royaumes de la terre à celui qui donne à ses fidèles le royaume du ciel, et la gloire du monde à celui qui est le souverain dispensateur de la gloire éternelle !

 

S. Amb. (sur S. Luc.) L’ambition porte avec elle un danger personnel : pour commander aux autres l’ambitieux se rend d’abord esclave, il se courbe sous l’autorité d’un autre pour obtenir l’honneur qu’il désire, et pour satisfaire l’ambition qu’il a de monter au premier rang, il descend aux dernières bassesses : aussi voyez comme le démon ajoute : « Si en vous prosternant vous m’adorez. » — La Glose. Voilà bien l’antique orgueil du démon : de même qu’au commencement il voulut se rendre semblable à Dieu, ainsi voulait-il maintenant usurper les honneurs divins. « Si en vous prosternant vous m’adorez. » Donc celui qui veut adorer le démon tombe auparavant de tout son poids sur la terre.

 

Suite. « Alors Jésus lui dit : Retire toi, Satan. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est ainsi qu’il met fin à la tentation, et défend au démon d’aller plus avant. — S. Jér. On ne peut admettre, avec plusieurs interprètes que Satan et Pierre aient été frappés de la même sentence de condamnation. Jésus dit à Pierre : « Va derrière moi Satan, » c’est-à-dire suis moi, toi qui te montres opposé à ma volonté ; tandis qu’il dit à Satan : « Retire-toi, Satan, » sans qu’il ajoute : « derrière moi, » pour laisser sous-entendre : « Va dans le feu éternel, qui t’a été préparé à toi et à tes anges. — Remi. Ou bien, en admettant la variante de certains exemplaires : « Retire-toi derrière, » c’est-à-dire souviens-toi, rappelle-toi dans quel état de gloire tu as été créé et dans quel abîme de misère tu es tombé. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Remarquez que lorsque Notre-Seigneur eut à supporter cette tentation injurieuse pour lui : « Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas, » il ne s’en émeut pas, il ne fait pas de reproche au démon. Mais maintenant que ce malheureux esprit s’arroge l’honneur qui n’est dû qu’à Dieu, le Sauveur est indigné, et il le repousse par ces paroles : « Retire-toi, Satan. » Ainsi nous apprend-il à supporter avec courage les injures qui nous sont personnelles, mais à ne pas entendre sans indignation les outrages qui s’adressent à Dieu même ; car si c’est un acte louable de souffrir patiemment les injures qui nous concernent, c’est une impiété de voir d’un œil indifférent celles qui osent s’attaquer à Dieu.

S. Jér. Le Démon a dit au Sauveur : « Si en vous prosternant, vous m’adorez, » et il apprend au contraire que c’est à lui à l’adorer comme son Seigneur et son Dieu. — S. Aug. (contre les discours des Ariens, chap. XXIX.) « Il est écrit : Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul. » Notre unique Seigneur et Dieu c’est la sainte Trinité, à laquelle nous devons à juste titre l’hommage et comme la servitude de notre religion. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. X, chap. 2.) Par cette servitude il faut entendre le culte qui est du à Dieu, car c’est par ce mot de servitude que les traducteurs ont rendu le mot latria latrie, toutes les fois qu’il se rencontre dans les saintes Écritures, tandis que ces rapports de subordination qui sont dus aux hommes et que saint Paul recommande lorsqu’il dit aux esclaves d’être soumis à leurs maîtres, s’expriment en grec par le mot dulie (δυλια).

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Comme on doit raisonnablement le penser, le démon se retira non par obéissance au commandement du Christ, mais parce que la divinité du Sauveur et l’Esprit saint qui étaient en lui le repoussèrent au loin. « Alors le démon le laissa. » Dieu le permit ainsi pour notre consolation, car le démon ne tente les fidèles serviteurs de Dieu, qu’autant que le Christ le lui permet, et non pas autant qu’il le veut. S’il lui accorde de nous tenter légèrement, il se bâte de le repousser pour ménager notre faible nature.

S. Aug. (Cité de Dieu, liv. IX, chap. 20.) Après la tentation, les saints anges que les esprits immondes redoutent viennent offrir leurs services au Seigneur, et par là les démons connaissaient plus clairement quelle était sa grandeur. « Et les anges s’approchèrent de Jésus, dit l’Évangéliste, et ils le servaient. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne dit pas : « Les anges descendirent, » car ils étaient toujours sur la terre pour le servir, ils s’étaient retirés un instant, sur l’ordre du Seigneur, pour laisser agir le démon contre Jésus-Christ ; car il n’aurait pas osé s’approcher de lui, s’il l’avait vu entouré de ses anges. Dans quelles actions les anges lui prêtaient leur ministère ? Nous ne pouvons le savoir. Était-ce pour la guérison des malades, ou pour la conversion des pécheurs, ou pour mettre les démons en fuite, toutes choses qu’il fait par ses anges, bien qu’il paraisse les faire immédiatement lui-même ? Ce qui est hors de doute, c’est qu’en le servant ils ne venaient pas au secours de sa faiblesse, mais qu’ils honoraient sa puissance, car il n’est pas dit qu’ils l’aidaient, mais qu’ils le servaient. — S. Grég. (hom. 15.) Nous avons ici une preuve des deux natures réunies en une seule personne : l’homme qui est tenté par le démon, et tout à la fois le Dieu qui est servi par les anges. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Exposons rapidement le sens caché des tentations. Le jeûne c’est l’abstention du mal, la faim en est le désir, le pain en est l’usage. Celui qui approprie le péché à son usage, change la pierre en pain. Qu’il réponde donc à cet esprit séducteur que l’homme ne vit pas seulement de pain mais encore de l’observance des commandements de Dieu. Quand un chrétien vient à s’enorgueillir de sa prétendue sainteté, il est transporté sur le haut du temple, et lorsqu’il se persuade avoir atteint le sommet de la perfection, il est placé sur le pinacle du temple : cette tentation succède à la première, car la victoire que l’on remporte sur une tentation fait qu’on s’en glorifie et devient une cause de vaine ostentation. Remarquez aussi que Jésus-Christ embrasse de lui-même le jeûne, tandis que c’est le démon qui le place au-dessus du temple. A son exemple, observez volontairement les règles de l’abstinence chrétienne, mais ne vous laissez pas aller à la pensée que vous êtes parvenu au faite de la sainteté. Fuyez l’élévation du cœur et vous échapperez à votre ruine. Quant au transport sur la montagne, il figure les efforts que nous faisons pour nous élever jusqu’aux richesses, jusqu’à la gloire de ce monde, efforts qui ont pour cause l’orgueil du cœur. Lorsque vous voulez devenir riche et monter ainsi sur la montagne, vous pensez aussitôt aux moyens d’acquérir les richesses et les honneurs, et c’est afin que le prince de ce monde vous montre la gloire de son royaume. En troisième lieu, il vous fait connaître le chemin que vous devez prendre pour y arriver : c’est de le servir sans tenir aucun compte de vos devoirs envers Dieu. — S. Hil. (can. 3 sur S. Matth.) Dès que nous sommes vainqueurs du démon et que nous lui avons écrasé la tête sous nos pieds, nous voyons par cet exemple que les services des anges et les secours des vertus célestes ne nous feront pas défaut.

 

S. Aug. Saint Luc ne raconte pas ces tentations dans le même ordre ; on ne sait donc pas quelle fut la première. Le démon commença-t-il par montrer au Sauveur tous les royaumes du monde, et l’a-t-il transporté ensuite sur le pinacle du temple, ou bien est-ce le contraire qui est arrivé ? peu importe, dès lors qu’il est certain que ces tentations ont en lieu toutes les trois. — La Glose. Le récit de saint Luc paraît cependant plus historique, et on peut dire alors que saint Matthieu a suivi l’ordre dans lequel ces tentations ont en lieu pour Adam.

 

vv. 12-16.

Rab. Saint Matthieu, après avoir raconté le jeûne de quarante jours, les tentations du Christ, le ministère que les anges remplissaient près de lui, ajoute aussitôt : « Jésus ayant appris que Jean avait été arrêté. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) sans aucun doute par la permission de Dieu, car personne ne peut rien entreprendre contre l’homme juste, que Dieu lui-même ne le lui ait abandonné. Il est dit qu’il se retira dans la Galilée, c’est-à-dire qu’il partit de la Judée, voulant réserver sa passion pour un temps plus opportun, et nous apprendre en même temps par son exemple qu’il nous était permis de fuir devant le danger. — S. Chrys. (Hom. 14 sur S. Matth.) Car on n’est pas coupable pour ne pas se jeter de soi-même dans le danger, mais pour manquer de courage lorsqu’on y est tombé. Il se retire de la Judée pour calmer l’envie des Juifs, accomplir une prophétie, et rechercher les moyens de prendre dans ses filets les futurs docteurs du monde qui habitaient la Galilée. Voyez encore, il doit aller chez les Gentils, mais il y est forcé par les Juifs, car c’est en jetant dans les fers son précurseur qu’ils forcent Jésus de passer dans la Galilée des nations. — La Glose. D’après le récit de saint Luc, il vint à Nazareth où il avait été élevé, et là il entra dans la Synagogue où il lut et dit plusieurs choses qui portèrent les Juifs à vouloir le précipiter du haut de la montagne. C’est alors qu’il vint demeurer à Capharnaüm comme l’indique le récit de saint Matthieu : « Après avoir quitté la ville de Nazareth, il vint habiter Capharnaüm. » — S. Jér. Nazareth est un bourg de la Galilée près de la montagne du Thabor ; Capharnaüm est une ville située dans la Galilée des Gentils, auprès du lac de Génésareth, et c’est pour cela qu’elle est appelée ville maritime. — La Glose. Il ajoute : Sur les frontières de Zabulon et de Nephtali, parce que c’est là qu’avait eu lieu la première captivité des Hébreux sous les Assyriens. La première prédication de l’Évangile se fait donc dans les régions qui les premières avaient oublié la loi, pour se répandre de là comme d’un lieu également à portée des deux peuples, sur les Gentils et sur les Juifs. — Remi. Il abandonne une ville, Nazareth, pour aller éclairer un plus grand nombre d’âmes par ses prédications et par ses miracles, et il apprend ainsi par son exemple aux ministres de l’Évangile à prêcher la parole divine dans les temps et dans les lieux où elle doit être utile à un plus grand nombre.

Suite. « Afin que cette parole du prophète fût accomplie : La terre de Zabulon et la terre de Nephtali, etc. » Dans le prophète Isaïe on lit : « Au commencement Dieu a soulagé la terre de Zabulon et la terre de Nephtali, et à la fin, sa main s’est appesantie sur la Galilée des nations qui est le long de la mer, au delà du Jourdain. — S. Jér. Ce pays, selon le prophète, fut dans les premiers temps déchargé du poids de ses péchés ; car c’est au milieu de ces deux tribus que le Sauveur prêcha d’abord son Évangile ; mais leur foi fut comme appesantie parce qu’un grand nombre de Juifs persistèrent dans leur incrédulité. Cette mer dont parle ici l’Évangéliste, n’est autre que le lac de Génézareth, qui est formé par les eaux du Jourdain. Sur ses bords sont situées Capharnaüm, Tibériade, Bethsaïde et Corozaim, villes dans lesquelles surtout Jésus-Christ annonça l’Évangile. D’après les Hébreux convertis au christianisme, ces deux tribus de Zabulon et de Nephtali furent emmenées captives par les Assyriens, et le pays qu’elles habitaient, la Galilée, rendue déserte, fut soulagée du poids de leurs péchés, selon l’expression du prophète. Plus tard, les autres tribus qui habitaient au delà du Jourdain et dans la Samarie eurent le même sort, et c’est pour cela, remarquent ces mêmes auteurs, que l’Écriture dit ici que le peuple de cette contrée a été le premier réduit en captivité, et que le premier aussi il vit la lumière que Jésus-Christ répandait par ses prédications. Oui bien, selon les Nazaréens, la venue du Christ délivra d’abord la terre de Zabulon et de Nephtali des erreurs des Pharisiens, et plus tard, grâce au zèle apostolique de saint Paul, la prédication fut surchargée, c’est-à-dire multipliée sur les frontières des nations. La Glose. Dans cette phrase de l’Évangile, tous ces divers nominatifs se rapportent à un seul et même verbe, de manière à présenter ce sens : « La terre de Zabulon et la terre de Nephtali, qui est le chemin de la mer et qui est au delà du Jourdain (c’est-à-dire le peuple de la Galilée des nations, qui marchait dans les ténèbres), a vu une grande lumière, » etc.

S. Jér. (sur Isaïe). Remarquez qu’il y a deux Galilées, la Galilée des Juifs, et celle des Gentils. La Galilée fut divisée sous le règne de Salomon, qui donna vingt villes de cette province à Hiram, roi de Tyr, et cette partie fut appelée Galilée des nations, l’autre Galilée des Juifs. On peut lire aussi : « Au delà du Jourdain, de la Galilée des nations, » de sorte que le peuple qui était assis ou qui marchait dans les ténèbres vit une lumière qui n’était pas faible comme celle des prophètes, mais la grande lumière de celui qui a dit de lui-même dans l’Évangile : « Je suis la lumière du monde. »

 

Suite. « La lumière s’est levée sur ceux qui étaient assis dans la région de l’ombre de la mort. » Il y a cette différence, je crois, entre la mort et l’ombre de la mort, que la mort est le partage de ceux qui sont descendus aux enfers avec leurs œuvres, tandis que l’ombre de la mort est l’état de ceux qui sont aussi dans le péché, mais qui n’ont pas encore quitté cette vie et qui peuvent, s’ils le veulent, faire pénitence. — S. Chrys. (sur S. Matth.) On peut dire aussi que les Gentils étaient assis dans l’ombre de la mort, parce qu’ils adoraient les idoles et les démons, tandis que les Juifs qui faisaient les œuvres de la loi n’étaient que dans les ténèbres, parce que la justice de Dieu ne leur était pas encore clairement révélée. S. Chrys. (hom. 10 Sur S. Matth.) Il faut bien comprendre qu’il n’est pas ici question de lumière ou de ténèbres sensibles ; c’est pour cela que l’Évangéliste appelle cette lumière une grande lumière, et ailleurs la vraie lumière (cf. Jn 5, 9), de même que pour désigner les ténèbres, il emploie cette expression d’ombre de la mort. Voulant ensuite nous montrer que ce n’est pas en cherchant eux-mêmes Dieu qu’ils l’ont trouvé, mais que Dieu s’est manifesté à leurs regards, il dit que la lumière s’est levée et a brillé sur eux. En effet, ils n’ont pas couru les premiers au devant de la lumière, car avant la venue de Jésus-Christ les hommes étaient plongés dans des maux extrêmes, ils ne marchaient pas dans les ténèbres, mais ils y étaient assis, signe évident qu’ils n’espéraient pas de délivrance. Ils ne savaient plus de quel côté marcher ; enveloppés tout entiers par les ténèbres, ils ne pouvaient plus même se tenir debout, et se voyaient forcés de s’asseoir. Les ténèbres désignent ici l’erreur et l’impiété.

Remi. — Dans le sens allégorique, Jean et les autres prophètes sont la voix qui précède le Verbe. Lorsque le prophète eut cessé de parler, et qu’il fût jeté dans les fers, le Verbe parait pour accomplir ce qu’avait annoncé la voix, c’est-à-dire le prophète. Et il se retira dans la Galilée, c’est-à-dire de la figure pour aller vers la vérité, ou bien dans la Galilée, c’est-à-dire dans l’Église, car c’est en elle seule que l’on peut passer du vice à la vertu. Nazareth veut dire fleur, Capharnaüm, la ville très-belle. Il quitte la fleur des figures qui annonçait les fruits de l’Évangile, et il vient dans l’Église embellie des vertus du Christ. Elle est appelée maritime parce qu’elle est placée sur les flots, et qu’elle est tous les jours battue par les tempêtes des persécutions. Elle est située sur les confins de Nephtali et de Zabulon, c’est-à-dire qu’elle est commune aux Juifs et aux Gentils. Zabulon signifie maison de la force, parce que les apôtres, qui ont été choisis parmi les Juifs, ont été remplis de force ; Nephtali veut dire dilatation, parce que l’Église, composée de Gentils, s’est étendue par toute la terre. — S. Aug. (de l’Acc. des Evang. liv. II, chap. 17.) Saint Jean l’Évangéliste, avant le voyage de Jésus en Galilée place la vocation de Pierre, d’André, de Nathan et le miracle de Cana en Galilée, toutes choses dont ne parlent par les autres Évangélistes, qui mêlent à leur narration le retour de Jésus en Galilée, Il faut en conclure qu’il s’est écoulé quelques jours pendant lesquels arrivèrent les faits que saint Jean intercale dans son récit.

 

Remi. — Mais il faut examiner avec soin comment saint Jean a pu dire que le Sauveur avait été dans la Galilée avant que saint Jean-Baptiste eût été mis en prison ; car c’est après le changement de l’eau en vin, après le séjour de Jésus à Capharnaüm, après son retour à Jérusalem, que, d’après le récit de saint Jean, il revint dans la Judée, et qu’il y baptisait. Or, à cette époque Jean-Baptiste n’était pas encore incarcéré. Ici au contraire, comme dans saint Marc, nous lisons que Jésus se retira en Galilée après que Jean-Baptiste fut arrêté. Il n’y a toutefois aucune contradiction. Car saint Jean l’Évangéliste raconte le premier voyage du Sauveur dans la Galilée, voyage qui eut lieu avant l’incarcération de Jean-Baptiste. Ailleurs il fait mention en ces termes d’un second voyage dans la même contrée : « Jésus quitta la Judée, et revint de nouveau dans la Galilée, » et c’est de ce second voyage seulement qui eut lieu après que Jean-Baptiste eût été jeté en prison, que les autres Évangélistes font mention. — Eusèbe. (Hist. ecclés., liv. III, chap. 18.) En effet, nous savons par la tradition que saint Jean l’Évangéliste prêcha de vive voix l’Évangile presque jusqu’à la fin de sa vie sans avoir absolument rien écrit. Lorsqu’il eut pris connaissance des trois premières Évangiles, il en approuva l’exactitude et la vérité, mais il y remarqua quelques lacunes, surtout dans la première année de la prédication du Sauveur. Il est certain, en effet, que les trois premiers Évangélistes rapportent exclusivement les événements qui ont en lieu l’année où Jean-Baptiste fut jeté en prison ou mis à mort. Car saint Matthieu et saint Marc, après la tentation du Christ, ajoutent aussitôt : « Jésus apprenant que Jean avait été mis en prison, etc. » Saint Luc avant de raconter aucune action de la vie du Christ, dit tout d’abord qu’Hérode fit jeter Jean-Baptiste en prison. Saint Jean fut donc prié d’écrire les faits de la vie du Sauveur qui avaient précédé l’emprisonnement de Jean-Baptiste, et c’est pour cela que nous lisons dans son Évangile : « Tel fut le premier miracle de Jésus. »

 

v. 17.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Celui-là seul a le droit de prêcher la justice chrétienne qui peut résister à ses appétits sensuels, mépriser les biens de ce monde, étouffer tout désir de vaine gloire. Aussi l’Évangéliste écrit-il avec raison : « Depuis ce temps, » c’est-à-dire après qu’il eût triomphé de la tentation de la faim dans le désert, méprisé les séductions de la cupidité sur la montagne, repoussé la vaine gloire sur le pinacle du temple. Ou bien, « depuis ce temps là, » c’est-à-dire depuis que Jean-Baptiste fut mis en prison, Jésus commença le cours de ses prédications ; car s’il l’eût commencé alors que Jean continuait encore ses prédications, il eût amoindri la réputation de son précurseur et détruit l’utilité de la doctrine de Jean par la comparaison qu’on en aurait fait avec la sienne. C’est ainsi que le soleil éclipse la beauté de l’étoile du matin, lorsqu’il la rencontre sur l’horizon. S. Chrys. (Hom. 14 sur S. Matth.) Jésus n’a point prêché avant que Jean-Baptiste fût mis en prison, pour ne pas diviser la multitude. C’est pour une raison semblable que Jean ne fit pas de miracle (cf. Jn 10, 41), pour laisser au Sauveur le moyen d’attirer tous les hommes à lui. — Rab. Il nous apprend par là à ne jamais mépriser la parole d’un inférieur, ce qui a fait dire à l’apôtre : « Si une révélation est faite à un autre de ceux qui sont assis parmi vous, que celui qui parlait auparavant se taise. »

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Jésus fait paraître sa sagesse dans la manière dont il commence le cours de ses prédications ; il ne détruit point la doctrine prêchée par Jean-Baptiste, mais il l’appuie et montre la vérité de son témoignage. — S. Jér. C’est en cela qu’il prouve qu’il est le Fils de ce même Dieu dont Jean avait été le prophète, et c’est pour cela qu’il dit : « Faites pénitence. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce n’est point tout d’abord la justice qui fait le sujet de ses prédications, tous la connaissent ; mais c’est la pénitence dont tous avaient besoin. Quel est donc celui qui a osé dire : « Je veux être bon, et je ne le puis ? » Est-ce que la pénitence ne redresse pas la volonté ? Si la crainte des maux dont on vous menace ne peut vous amener à la pénitence, laissez-vous conduire, du moins, par l’attrait des biens qui vous sont promis, écoutez en effet ce qui suit : « Le royaume des cieux, est proche, » c’est-à-dire le bonheur du royaume des cieux comme s’il disait : Préparez-vous par la pénitence, car le temps de la récompense éternelle est proche. » Remi. Remarquez qu’il ne dit pas le royaume des Chananéens ou des Jébuséens, mais le royaume des cieux : la loi promettait des biens purement temporels, le Seigneur promet un royaume éternel.

 

S. Chrys. (homel. 14. sur S. Matth.) Considérez aussi, que dans cette première prédication, il ne dit rien ouvertement de lui-même, ce qui était convenable pour le moment, car le peuple n’avait pas encore de sa personne l’opinion qu’il devait en avoir. Ce premier discours ne renferme non plus aucun reproche, aucune menace, comme ceux de saint Jean lorsqu’il leur parlait de cognée, d’arbre coupé et de choses semblables ; Jésus ne propose en commençant que des vérités douces, il annonce, il promet son royaume.

S. Jér. Dans le sens mystique, le Christ ne commence ses prédications qu’après l’emprisonnement de saint Jean, parce que l’Évangile doit commencer à paraître, alors que la loi a cessé d’exister.

 

vv. 18-22

S. Chrys. (sur S. Matth.) Avant de rien faire, avant de rien dire, Jésus-Christ appelle ses Apôtres, car il veut qu’aucune de ses paroles, qu’aucune de ses actions ne soit cachée pour eux ; et qu’ils puissent dire plus tard avec confiance : « Nous ne pouvons point taire ce que nous avons vu et entendu. » C’est ce que veut exprimer l’Évangéliste : « Jésus, marchant sur les bords de la mer de Galilée. » Remi. La mer de Galilée n’est autre que le lac de Génésareth, la mer de Tibériade est le lac des Salines. — La Glose. C’est avec raison que Jésus va sur les bords de la mer, puisqu’il veut y prendre des pécheurs dans ses filets. Le texte ajoute : « Il vit deux frères ; Simon, appelé Pierre, et André son frère. — Remi. Il les vit plutôt des yeux de l’esprit que des yeux du corps, et c’est leurs cœurs qui étaient l’objet de ses regards. — S. Chrys. (homél. 19 sur S. Matth.) Il les surprend alors qu’il vient les appeler, au milieu de leurs occupations, parce qu’il veut nous apprendre, que pour le suivre, il faut quitter toute autre affaire. C’est pour cela qu’il est dit : « Qu’ils jetaient alors leurs filets dans la mer. » C’était en effet, une des occupations de leur état, comme l’Évangéliste le remarque : « Car ils étaient pécheurs. »

 

S. Aug. (serm. pour les calendes de janv.) (cf. 1 Co 1). Il ne choisit ni des rois, ni des sénateurs, ni des philosophes, ni des orateurs, mais des plébéiens, des pauvres, des pêcheurs sans instruction. — S. Aug. (Traité VII sur S. Jean.) S’il avait choisi des savants, peut-être auraient-ils dit qu’ils étaient choisis en considération de leur science. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a voulu briser l’orgueil des superbes, n’a point cherché à prendre des pêcheurs par des orateurs, mais c’est par des pêcheurs qu’il a gagné des empereurs. Cyprien est un grand orateur, mais nous voyons avant lui Pierre qui n’était que pêcheur. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Leur profession était aussi un symbole de leur dignité future, car de même que le pêcheur lorsqu’il jette ses filets dans l’eau, ignore quels poissons il va prendre, ainsi le prédicateur lorsqu’il jette sur le peuple qui l’écoute le filet de la parole divine, ignore quels sont ceux qui vont venir à Dieu, c’est Dieu lui-même qui excite ceux qui doivent embrasser sa doctrine.

 

Remi. Le Seigneur parle de ces pêcheurs par la bouche du prophète Jérémie (Jr 16), en ces termes : « Je vous enverrai mes pêcheurs, et ils vous prendront dans leurs filets. » C’est pour cela que l’Évangéliste ajoute ici ces paroles de Notre-Seigneur : « Venez à ma suite. » — La Glose. Venez, non pas tant en me suivant extérieurement, qu’en m’aimant, et en m’imitant, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est-à-dire docteurs ; et c’est avec le filet de la parole de Dieu que vous devez prendre et retirer les hommes de ce monde si fécond en tempêtes et en naufrages, où les hommes ne marchent pas, mais sont entraînés avec violence, parce que le démon se sert de l’attrait du plaisir pour les précipiter dans cet abîme de maux, ou les hommes se dévorent les uns les autres, comme on voit dans la. mer les plus petits poissons dévorés par les grands ; prenez-les donc afin de les faire vivre sur la terre, lorsqu’ils seront devenus les membres du corps de Jésus-Christ.

 

S. Grég. (homél. sur les Evang.) Ni Pierre ni André, n’avaient vu Jésus-Christ opérer des miracles ; ils ne l’avaient pas entendu parler des récompenses éternelles, et cependant, sur le seul commandement qu’il leur fait, ils abandonnent tout ce qu’ils paraissent posséder : « Aussitôt, ils quittèrent leurs filets, et le suivirent. » Ce qu’il faut apprécier ici, c’est plutôt la disposition de leur âme que l’importance de ce qu’ils abandonnent. C’est beaucoup laisser que de ne se réserver rien, c est beaucoup abandonner que de renoncer non seulement à ce qu’on possède, mais à tout ce qu’on pourrait désirer encore. Pour suivre Jésus-Christ, ils abandonnent donc réellement tout ce qu’ils auraient pu désirer, en ne s’attachant pas à lui. Le Seigneur se contente de nos biens extérieurs, quelque peu considérables qu’ils soient ; il regarde moins à la grandeur des biens qu’on lui offre qu’à la générosité du sentiment qui les lui sacrifie. Le royaume de Dieu est d’un prix inestimable, il vaut tout ce que vous avez.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces disciples ont suivi Jésus-Christ, non pour l’honneur attaché au titre de docteur, mais pour les fruits qu’ils espéraient produire, car ils savaient combien est précieuse l’âme de l’homme, combien Dieu désire son salut, et quelle en est la récompense. — S. Chrys. (homél. 14 sur S. Matth.) Ils ajoutèrent donc foi à de si magnifiques promesses, et ils crurent qu’ils prendraient les autres dans les mêmes fileta de cette parole qui les avaient pris eux-mêmes. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Pleins de ces désirs, ils abandonnèrent tout pour suivre Jésus-Christ et nous apprirent par ce sacrifice qu’on ne peut à la fois posséder les choses de la terre, et parvenir à la possession parfaite des biens célestes. — La glose. Ces disciples nous offrent donc le premier exemple du renoncement aux biens de la terre pour l’amour de Jésus-Christ. Le fait suivant nous donnera l’exemple du sacrifice fait à Dieu des affections de la chair. Nous lisons en effet : « Et de là s’avançant, il vit deux autres frères. » Remarquez qu’il les appelle deux par deux, comme plus tard nous lisons qu’il les envoie prêcher deux à deux. — S. Grég. (homél. 17 sur les Evang.) Il nous enseigne par là d’une manière implicite que celui qui n’a pas la charité fraternelle ne doit pas se charger du ministère de la prédication, car il y a deux préceptes de la charité, et il faut au moins deux personnes pour qu’elle puisse s’exercer. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est avec raison que Jésus a fait reposer les fondements de son Église sur la charité fraternelle, afin que la sève sortant avec abondance de cette racine pût se répandre dans toutes les branches. Et ce n’est pas seulement ici la charité produite par la grâce, mais l’affection naturelle pour que la charité reçoive ce double et ferme appui de la nature et de la grâce ; voilà pourquoi l’Évangéliste dit qu’ils étaient frères. C’est ainsi que Dieu avait agi dans l’Ancien Testament en posant les bases de l’ancienne loi sur les deux frères Moise et Aaron. Or, comme la grâce est plus abondante dans le Nouveau Testament que dans l’Ancien, Dieu fait reposer les fondements de la société chrétienne sur deux sentiments de cette nature, tandis que le premier peuple ne reposait que sur un seul. « Il vit Jacques, » fils de Zébédée, dit l’Évangéliste, et Jean son frère, raccommodant leurs filets, » c’était un signe de très-grande pauvreté, car s’ils étaient obligés de raccommoder leurs vieux filets, c’est qu’ils ne pouvaient en acheter de neufs. Nous avons encore ici une preuve de leur amour filial ; dans leur pauvreté, ils n’abandonnent pas leur père, mais ils l’emmènent avec eux dans leur barque, non pour les aider dans leur travail, mais pour consoler eux-mêmes sa vieillesse par leur présence. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Tout annonce ici une vertu éminente, supporter facilement la pauvreté, vivre d’un travail honnête, être unis intimement par l’amour de la vertu, avoir leur père avec eux, et subvenir à ses besoins. — S. Chrys. (homél. 14 Sur S. Matth.) Devons-nous estimer que les premiers furent plus actifs que les derniers dans le ministère de la prédication, parce que les uns jettent leurs filets à la mer, tandis que les autres les raccommodent ? nous n’oserions le dire, Jésus-Christ seul connaît la différence qui peut exister entre eux.

Peut-être les uns nous sont-ils représentés jetant leurs filets à cause de Pierre qui prêche l’Évangile, mais sans le laisser par écrit, tandis que nous voyons les autres réparer leurs filets en figure de Jean qui a composé son Évangile.

 

Suite. « Et il les appela. » Ils étaient concitoyens d’une même ville, l’amitié les unissait, ils avaient la même profession, ils s’aimaient comme des frères, et Jésus ne voulut pas que, réunis en tant de points, ils fussent séparés dans leur vocation. — S. Chrys. (homél. 14 sur S. Matth.) En les appelant, il ne leur promit rien comme aux premiers, car l’obéissance leur avait ouvert la voie. Ils avaient d’ailleurs entendu parler souvent de lui, à cause des liens du sang et de l’amitié qui les unissaient entre eux.

 

Suite. « Aussitôt, ayant laissé là leurs filets, ils le suivirent. » S. Chrys. (sur S. Matth.) Celui qui veut suivre Jésus-Christ doit renoncer à trois choses : aux œuvres de la chair qui sont figurées par les filets des pêcheurs ; aux biens de ce monde dont la barque est le symbole ; aux affections de la famille signifiées par le père des deux apôtres. Ils laissent donc une barque, pour devenir les pilotes du vaisseau de l’Église ; ils laissent leurs filets, car ils ne veulent plus apporter de poissons dans les villes de la terre, mais conduire les hommes dans la cité des cieux ; ils laissent un père, pour devenir eux-mêmes les pères spirituels du monde entier. — S. Hil. (Cant. 3 sur S. Matth.) En renonçant à leur profession et au foyer paternel, ils nous apprennent que pour suivre Jésus-Christ, il faut être libre des sollicitudes de cette vie, aussi bien que des habitudes de la vie de famille.

 

Remi. Dans le sens mystique, la mer figure le monde à cause de l’amertume de ses eaux et de l’agitation de ses flots ; le mot Galilée signifie mouvement rapide ou roue, et il exprime le cours rapide des choses humaines. Jésus a marché sur les bords de la mer, lorsqu’il est venu à nous par son incarnation, car ce n’est pas la chair du péché, mais la ressemblance (cf. Rm 8, 3) de cette chair qu’il a prise dans le sein de la Vierge. Les deux frères désignent les deux peuples qui tous les deux ont Dieu pour créateur et pour père ; et ce Dieu les vit, lorsqu’il tourna vers eux les regards de sa miséricorde. En effet, Pierre, qui signifie celui qui connaît et qui est appelé Simon, c’est-à-dire celui qui obéit, est la figure du peuple juif qui puisa dans la loi la connaissance de Dieu, et obéit à ses préceptes. André veut dire fort ou d’un aspect agréable, et il représente la gentilité qui persévère courageusement dans la foi aussitôt qu’elle a reçu la connaissance de Dieu. Dieu appela ces peuples lorsqu’il envoya ses prédicateurs dans le monde, en leur disant : « Venez à ma suite, » c’est-à-dire laissez celui qui vous trompe, pour suivre celui qui vous a créé. Dans l’un comme dans l’autre peuple, Dieu choisit des pêcheurs d’hommes, c’est-à-dire des prédicateurs qui, laissant leur barque, figure des désirs de la chair, et leurs filets, c’est-à-dire les convoitises du siècle, ont suivi aussitôt le Sauveur. Jacques représente aussi le peuple juif qui a supplanté le démon et ruiné son empire par la connaissance du vrai Dieu. Jean est la figure du peuple païen qui doit uniquement son salut à la grâce. Zébédée, que ses enfants abandonnent, et dont le nom signifie celui qui fuit, celui qui tombe, représente le monde qui passe, et le démon précipité du haut des cieux. Pierre et André, qui jettent leurs filets dans la mer, figurent aussi ceux qui dès leurs premières années jettent loin de la barque de leur corps les filets de la concupiscence charnelle pour suivre le Seigneur. Jacques et Jean qui raccommodent leurs filets représentent ceux qui avant d’être punis des fautes qu’ils ont commises, viennent à Jésus-Christ pour recouvrer ce qu’ils avaient perdu. — Rab. Les deux barques figurent les deux Églises, l’Église de la circoncision, et l’Église de la gentilité. Tout fidèle aussi peut devenir Simon par son obéissance à Dieu ; Pierre, par la connaissance et l’aveu de son péché ; André, par son courage dans les épreuves ; Jacques, par son zèle à détruire et supplanter le mal. — La Glose. Jean vient ensuite pour que tout soit attribué à la grâce. Il n’est question ici que de la vocation de quatre apôtres comme figure des prédicateurs qui seront appelés des quatre parties du monde. — S. Hil. On peut y voir aussi une figure des quatre Évangélistes.

 

Remi. Ou bien encore dans ces quatre apôtres nous pouvons voir une figure des quatre vertus principales, dans Pierre la prudence, à cause de la connaissance qu’il a de Dieu, dans André la justice, à cause de l’énergie de ses actes, dans Jacques la force, parce qu’il supplante le diable, et dans son frère Jean la tempérance, comme effet de la grâce divine.

 

S. Aug. (De l’accord des Evang., liv. II, chap. 17.) On peut-être surpris de ce que saint Jean rapporte que c’est sur les bords du Jourdain, et non dans la Galilée qu’André a suivi le Sauveur avec un autre dont il tait le nom, et que ce n’est que par la suite que ce dernier reçut de lui le nom de Pierre. Les trois autres Évangélistes s’accordent assez sur la vocation des apôtres qui eut lieu au moment où ils pêchaient, du moins saint Matthieu et saint Marc, car saint Luc ne nomme pas André, laissant toutefois supposer qu’il était dans la même barque. Il y a encore ici une différence ; d’après le récit de saint Luc, le Seigneur n’adresse qu’à Pierre ces paroles : « Dès ce moment vous serez pêcheur d’hommes, » tandis que d’après saint Matthieu et saint Marc, Jésus les aurait dites à tous les deux. Mais elles ont pu très bien être dites d’abord à Pierre seulement, comme le rapporte saint Luc, et plus tard à tous les deux, ainsi que le racontent les cieux autres Évangélistes. Ce que nous avons dit du récit de saint Jean, demande toute notre attention, car il y a dans ce récit de grandes différences pour le temps, pour les lieux, et pour la vocation elle-même des Apôtres. Il faut donc entendre que Pierre et André ne attachèrent pas au Seigneur pour ne plus s’en séparer, du jour où ils le virent sur les bords du Jourdain ; ils connurent simplement alors qui il était, et ils retournèrent à leurs occupations pleins d’admiration pour sa personne. Peut-être aussi saint Matthieu récapitule en cet endroit ce qu’il avait omis, car sans marquer aucune distinction de temps, il dit : « Or Jésus marchant sur le bord de la mer. » On peut demander encore pourquoi les apôtres sont appelés deux par deux, d’après le récit de saint Matthieu et de saint Marc, tandis que saint Luc rapporte que Jacques et Jean ont été appelés comme les compagnons de Pierre et pour venir à son aide (cf. Lc 5, 6), et qu’ils ont suivi Jésus-Christ après avoir ramené leurs barques à bord. Il faut donc admettre que le fait raconté par saint Luc s’est passé en premier lieu, et qu’alors les Apôtres ont repris leurs occupations ordinaires, la pêche des poissons. Jésus en effet n’avait pas encore dit à Pierre cette parole : « Qu’il ne prendrait plus jamais de poissons, » puisqu’il en prit encore après la résurrection, mais seulement qu’il prendrait des hommes. Ce que racontent saint Matthieu et saint Marc n’eut lieu que plus tard, et les Apôtres en ramenant alors leurs barques à bord pour le suivre, n’avaient pas la pensée de reprendre leurs occupations, mais celle d’obéir au Seigneur qui leur commandait de le suivre.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Avant d’aller combattre l’ennemi, un roi songe tout d’abord à réunir son armée, et c’est avec elle qu’il entre en campagne. C’est ainsi que notre Seigneur avant d’entreprendre la guerre contre le démon rassemble tout d’abord ses apôtres, et commence ensuite à prêcher l’Évangile : c’est ce qu’indique le texte sacré : « Et Jésus allait par toute la Galilée. » Remi. Les docteurs trouvent ici le modèle qu’ils doivent imiter, il est dit de Jésus qu’il parcourait toute la Galilée, pour leur apprendre à fuir l’oisiveté. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces peuples étaient trop faibles pour venir trouver le médecin, ce médecin dévoué allait donc de toutes parts chercher ces malades atteints d’infirmités mortelles. Le Seigneur parcourait toutes les contrées, mais les pasteurs qui ne sont préposés qu’à la garde d’un seul pays, doivent au moins parcourir en détail toutes les infirmités du peuple qui leur est confié, afin de pouvoir appliquer à chacune d’elles le remède qui lui convient, et que l’Église tient en réserve.

 

Remi. Ces paroles : « Par toute la Galilée, » apprennent aux pasteurs à ne jamais faire acception de personnes ; les paroles suivantes : « En enseignant » à ne point parcourir la terre sans produire de fruits, et ces autres : « Dans les synagogues » de préférer l’utilité du plus grand nombre à l’intérêt de quelques-uns seulement. — S. Chrys. (Hom. 14 sur S. Matth.) Jésus entre dans les synagogues des Juifs, et il y répand les paroles de la doctrine céleste. Il veut que les paroles du Maître parviennent aux oreilles d’un plus grand nombre, afin que leurs cœurs soient excités à embrasser raisonnablement la foi, ou que par un aveuglement inexcusable ils rejettent à leur grand préjudice une doctrine aussi salutaire. Car l’Évangile est une vive lumière, qu’on ne peut sans crime cacher sous le boisseau, ce que Jésus a expressément défendu. Par là aussi il faisait voir qu’il ne venait pas se mettre en opposition avec Dieu, qu’il n’était pas un apôtre d’erreurs, mais qu’il était en parfaite harmonie avec son Père.

 

Remi. Les paroles suivantes : « Prêchant l’Évangile du royaume, » nous enseignent qu’il ne faut prêcher ni erreurs ni fables mensongères. Les deux termes : « Enseignant et prêchant, » ne sont pas synonymes ; enseigner a pour objet les choses présentes ; prêcher, les choses futures ; Notre-Seigneur enseignait les commandements qu’il fallait observer actuellement, et il prêchait les promesses futures. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien, il enseignait les vertus naturelles que la raison nous fait connaître, la chasteté, l’humilité et autres vertus semblables, qui sont des biens réels au jugement de tous. S’il faut en faire la matière de l’enseignement, ce n’est point tant pour les faire connaître, que pour en réveiller le désir dans les cœurs ; car sous l’action prédominante des plaisirs de la chair, la science de la justice naturelle tombe en oubli et s’endort en quelque sorte au rond des cœurs. Or, lorsque celui qui enseigne, condamne ces inclinations charnelles, sa parole ne donne pas de nouvelles connaissances, elle rappelle celles qu’on avait oubliées. Il prêchait l’Évangile en annonçant des biens dont les anciens n’avaient jamais entendu parler clairement, tels que le bonheur du ciel, la résurrection des morts et l’autres vérités semblables. Ou bien il enseignait en montrant que les prophéties s’accomplissaient en lui, et il prêchait l’Évangile en faisant connaître les biens futurs dont il devait nous mettre en possession.

 

Remi. Les paroles qui suivent : « Guérissant toutes les langueurs et toutes les infirmités parmi le peuple, » apprennent aux prédicateurs que leur enseignement doit s’appuyer sur leurs vertus ; la langueur exprime ici les maladies de l’âme, l’infirmité celles du corps. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien la langueur figure certaines passions de l’âme, comme l’avarice, l’impureté, et autres de ce genre ; l’infirmité serait la figure de l’infidélité, qui est le mal de ceux qui sont infirmes dans la foi. Ou bien les langueurs sont les maladies plus graves du corps, et les infirmités les plus légères. Or Jésus guérissait les maladies du corps par sa puissance divine, et celles de l’âme par ses pieux entretiens. Il enseigne d’abord, et puis il guérit, et cela pour deux raisons : d’abord pour commencer par le plus nécessaire, car les pieux entretiens édifient l’âme, ce que ne font pas les miracles ; en second lieu parce que la doctrine s’appuie sur les miracles et non pas les miracles sur la doctrine.

 

S. Chrys. (hom. 14 sur S. Matth.) Il est à remarquer que toutes les fois que Dieu promulgue une loi, il opère des miracles, et les donne comme gages de sa puissance à ceux qui doivent recevoir sa loi. Avant de créer l’homme il avait tiré le monde du néant, et ce n’est qu’après ce miracle de sa puissance qu’il lui intime ses ordres dans le paradis. Avant de donner sa loi à Noé, il le rend témoin de grands prodiges ; avant de promulguer la loi ancienne, il opère également des miracles aux yeux des Juifs. C’est ainsi qu’au moment de promulguer cette loi nouvelle et sublime, il en confirme la vérité par l’autorité des miracles. Comme le royaume qu’il prêchait était invisible, il le rend manifeste par des prodiges extérieurs et sensibles.

 

La Glose. Les prédicateurs doivent avoir un bon témoignage du dehors, autrement le mépris de leur personne rejaillit sur leur enseignement, voilà pourquoi l’Évangéliste ajoute : « Et sa réputation se répandit par toute la Syrie. » Rab. La Syrie s’étend de l’Euphrate à la Grande Mer, et de la Cappadoce à l’Égypte, et elle comprend la province de Palestine habitée par les Juifs.

S. Chrys. (hom. 14 sur S. Matth.) Remarquez la réserve de l’Évangéliste, qui sans parler de chaque guérison en particulier se contente de les renfermer toutes, quelque nombreuses qu’elles soient, dans ces expressions si courtes : « Et ils lui présentèrent tous ceux qui étaient malades. » Remi. Nous devons entendre par là toutes les infirmités si variées, mais les plus légères. Lorsqu’il ajoute : « Et tous ceux qui étaient malades et affligés de diverses sortes de maux, » il veut parler de ceux que l’Évangéliste spécifie plus bas : « Les possédés, les lunatiques, etc. » — La Glose, La langueur est une maladie chronique, et la douleur est une maladie aigue, comme une douleur de côté ou autre de cette nature ; ceux qu’il appelle possédés sont ceux qui étaient tourmentés par le démon. — Remi. Les lunatiques sont ainsi appelés, parce qu’ils sont plus souffrants à l’époque de la croissance et de la décroissance de la lune. — S. Jér. Les démons avaient observé cette influence de la lune, et en prenaient occasion de blasphémer l’ouvrage de Dieu et de faire remonter jusqu’à lui ce blasphème. — S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 6.) Les démons sont attirés par des attraits conformes à leur nature, à faire leur habitation dans la créature qui n’est pas leur œuvre, mais œuvre de Dieu. Ils ne sont pas attirés comme les animaux par des appétits sensuels, mais comme les esprits par des signes ou chacun d’eux trouve son plaisir. — Rab. Les paralytiques sont ceux dont la force corporelle est comme dissoute, car le mot grec se traduit en latin par dissolutio, dissolution.

 

Suite. « Et il les guérit. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Dans d’autres endroits nous lisons : « Il en guérit beaucoup : » ici l’Évangéliste dit simplement : « Et il les guérit, » pour marquer qu’il les guérit tous sans exception, comme ferait un nouveau médecin, qui, à son arrivée dans une ville prendrait soin de tous ceux qu’on lui présenterait pour établir sa réputation. — S. Chrys. (hom. 14 sur S. Matth.) Il n’exige d’aucun d’eux la foi, parce qu’il n’avait pas encore donné de preuves de sa puissance. D’ailleurs en venant de si loin, et en apportant leurs malades, ils avaient témoigné une foi assez grande.

 

Suite. « Et une grande multitude de peuple le suivait. » — Rab. On peut la diviser en quatre classes ; les disciples qui le suivent attirés par ses divines leçons, d’autres par les guérisons qu’il opère, ceux-ci par sa réputation et par un motif de curiosité pour voir si ce que l’on disait de lui était vrai, ceux-là par l’envie, et par le désir de le prendre en faute sur quelque point et de l’accuser. Au sens mystique, la Syrie veut dire superbe ; la Galilée inconstante ou la roue, c’est-à-dire le démon et le monde dominé par l’orgueil, et toujours porté à rouler dans les choses basses. La prédication y fait connaître le nom du Christ. Les possédés du démon ce sont les idolâtres ; les lunatiques, ceux qui sont inconstants, les paralytiques, les paresseux et les dissolus. — La Glose La multitude qui suit le Seigneur appartient à l’Église, qui dans un sens spirituel est tout à la fois la Galilée qui passe du vice à la vertu, la Décapole, à cause des dix commandements qu’elle doit observer ; Jérusalem et la Judée, parce qu’elle reçoit la double lumière de la vision de paix et de la confession de la foi. Elle est située au delà du Jourdain parce qu’après avoir traversé les eaux du baptême, elle entre dans la terre promise. — Ou bien cette multitude qui suit le Seigneur vient de la Galilée, c’est-à-dire de l’inconstance du monde, de la Décapole, région qui comprenait dix villes, et qui figure les transgresseurs du Décalogue ; de Jérusalem, parce qu’ils étaient retenus par les douceurs d’une paix innocente, de la Judée, c’est-à-dire d’une doctrine diabolique ; et d’au delà du Jourdain parce qu’ils vivaient auparavant au sein de l’idolâtrie, et que ce n’est qu’en traversant les eaux du baptême qu’ils sont arrivés jusqu’à Jésus-Christ.

 

 

CHAPITRE V.

 

vv. 1-3.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Tout artisan, quelle que soit sa profession, voit avec joie ce qui lui donne l’occasion d’exercer son art. Ainsi le charpentier, à la vue d’un arbre de bonne qualité, désire 1e couper pour l’employer à ses travaux ; de même le prêtre, en voyant une assemblée nombreuse, se réjouit dans son âme, et il est heureux de pouvoir lui enseigner des vérités utiles. C’est ainsi que le spectacle de cette grande multitude de peuple donna lieu au Seigneur de lui adresser ses divins enseignements : « Jésus voyant cette foule, monta sur la montagne. » — S. Aug. (de l’acc. des Ev., 1, 19.) On peut dire aussi qu’il voulut éviter cette grande multitude et qu’il se retira sur cette montagne pour s’entretenir avec ses seuls disciples. — S. Chrys. (hom. 5 sur S. Matth.) Il s’asseoit non au milieu des villes et des places publiques, mais sur une montagne et dans la solitude, et il nous apprend ainsi à ne rien faire par ostentation et à fuir les réunions tumultueuses, surtout lorsque nous devons traiter de choses d’une haute importance. — Remi. Nous voyons dans l’Évangile que Notre-Seigneur avait trois lieux particuliers de retraite, la barque, la montagne et le désert, et qu’il se retirait dans l’une ou l’autre de ces retraites, lorsqu’il était accablé par la foule.

S. Jér. Quelques-uns de nos frères croient dans leur simplicité que Notre-Seigneur a tenu ce discours sur la montagne des Oliviers, ce qui ne peut être, car ce qui précède et ce qui suit nous montre clairement que cette montagne est située dans la Galilée, et nous pensons que c’est le mont Thabor, ou quelque autre montagne élevée.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Il monte sur cette montagne, d’abord pour accomplir cette prophétie d’Isaïe : « Montez sur le sommet de la montagne ; » ensuite pour nous apprendre qu’il faut habiter le sommet des vertus spirituelles pour être digne d’enseigner ou d’écouter les oracles de la justice de Dieu, car si l’on reste habituellement dans la vallée, on ne peut parler du haut de la montagne ; si vous restez sur la terre, parlez des choses de la terre ; si vous voulez parler du ciel, élevez-vous jusqu’au ciel. Ou bien il monte sur la montagne pour nous avertir que tout homme qui veut pénétrer les mystères de la vérité, doit monter sur cette montagne de l’Église dont le prophète a dit : « La montagne de Dieu est une montagne fertile » (Ps 67, 16). S. Hil. (can. 4 sur S. Matth.) Ou bien encore, il monte sur la montagne, parce que c’est des hauteurs de la majesté qu’il occupe avec son Père qu’il nous impose les célestes enseignements de la vie chrétienne.

S. Aug. (serm. 7 sur la mont. liv. 1, chap. 1.) Ou bien enfin il monte sur la montagne, pour nous faire comprendre que les commandements que Dieu avait donnés par les prophètes au peuple juif, peuple qu’il fallait retenir par la crainte, étaient moins parfaits que les lois qu’il allait donner par son Fils à un peuple qu’il voulait affranchir par l’amour.

 

« Et lorsqu’il fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui. » S. Jér. Il parle assis et non debout, parce qu’ils étaient incapables de le comprendre clans l’éclat de sa majesté. — S. Aug. (serm. sur la mont.) (ou bien, il parle étant assis, parce que sa dignité de docteur et de maître l’exigeait. Ses disciples s’approchèrent de lui ; c’est ainsi que ceux dont le cœur était plus près de l’accomplissement de ses préceptes, se trouvaient aussi plus rapprochés corporellement de sa personne. — Rab. Dans le sens mystique, le Seigneur assis est la figure de son incarnation, car s’il ne s’était pas incarné, le genre humain n’aurait pu approcher de lui. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 1, 19.) Il paraît surprenant que saint Matthieu prête ce discours au Sauveur assis sur la montagne, tandis que saint Luc (Lc 7, 17) le lui fait tenir lorsqu’il était debout dans la plaine. Cette diversité dans leur récit est une preuve qu’il s’agit de deux discours différents ; car qui s’oppose à ce que Notre-Seigneur ait répété ici ce qu’il avait dit précédemment et qu’il fasse de nouveau des actions qu’il avait déjà faites auparavant ? On peut dire encore que le Sauveur était sur le point le plus élevé de la montagne avec ses seuls disciples, quand il choisit parmi eux ses douze apôtres. Il descendit ensuite avec eux non de la montagne, mais de cette hauteur dans une espèce de plaine, c’est-à-dire sur un plateau situé sur le flanc de la montagne, et qui pouvait contenir un grand nombre de personnes ; il attendit dans ce lieu que la multitude se fût rassemblée autour de lui ; puis s’étant assis, ses disciples se rapprochèrent et, là devant eux et en présence du peuple il aurait fait ce discours que saint Matthieu et saint Luc racontent d’une manière différente, mais dont la substance est absolument la même.

 

S. Grég. (Moral., 4, 5.) Avant que le Sauveur formule sur la montagne ces sublimes et admirables préceptes, l’Évangéliste les fait précéder de ces paroles : « Ouvrant sa bouche, il les enseignait. » Lui qui avait autrefois ouvert la bouche des prophètes. — Remi. Toutes les fois qu’il est dit que le Seigneur ouvrit la bouche, il faut nous rendre attentifs, car ce préambule annonce de grandes choses. S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien peut-être ces mots : « ouvrant la bouche, » nous avertissent que le discours qui va suivre sera plus long que d’habitude. — S. Chrys. (hom. 15) Ou enfin ces paroles nous apprennent que le Seigneur enseignait tantôt en ouvrant la bouche, tantôt en faisant entendre la voix non moins instructive de ses œuvres.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Si on veut étudier ce discours dans un esprit de religion et de prudence, on y trouvera la règle parfaite de la vie chrétienne pour la direction des mœurs. Aussi Notre-Seigneur le conclut en disant : « Tout homme qui écoute les paroles que je viens de dire et les met en pratique sera comparé à un homme sage. »

S. Aug. (Cité de Dieu, 19, 1.) La philosophie ne peut avoir d’autre raison d’être que la fin du bien lui-même. Or la fin du bien, c’est de nous rendre heureux, et c’est pour cela que Jésus-Christ commence son discours par la promesse de la béatitude : « Bienheureux les pauvres d’esprit. » — S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 2.) La présomption d’esprit est un signe d’orgueil et d’arrogance. Or, on dit souvent des orgueilleux qu’ils ont un esprit étendu ; c’est avec raison, Car esprit est synonyme de vent, et qui ne sait qu’on dit aussi des orgueilleux qu’ils sont enflés, comme s’ils étaient gonflés par le vent. C’est pour cela qu’il faut entendre ici par pauvres d’esprit, les humbles qui craignent Dieu et qui n’ont pas cet esprit qui enfle. — S. Chrys. (homél. 15.) Ou bien le mot esprit signifie ici orgueil et volonté. Que des hommes soient humiliés malgré eux et par la force des circonstances, il n’y a ni mérite ni gloire ; aussi Notre-Seigneur ne proclame bienheureux que ceux qui s’humilient par le choix de leur volonté. Il veut ici couper et arracher jusqu’aux dernières racines de l’orgueil, comme étant lui-même la racine et la source de tous les maux. Il lui oppose l’humilité comme un fondement inébranlable sur lequel on lient bâtir avec solidité, tandis que si elle vient à crouler, tous les biens que vous aurez amassés tombent avec elle. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur dit ouvertement : « Bienheureux les pauvres d’esprit, et il désigne par là les âmes humbles qui demandent toujours à Dieu l’aumône de sa grâce. Aussi on lit dans le grec : « Bienheureux les mendiants ou les nécessiteux. » Il en est plusieurs, en effet, qui sont naturellement humbles, mais qui ne le sont point par un principe de foi, parce qu’ils n’implorent pas le secours de Dieu. Le Sauveur ne veut parler ici que de ceux qui sont humbles en vertu de la foi. — S. Chrys. (homél. 15.) Peut-être ici par les pauvres d’esprit, Notre-Seigneur entend-il ceux qui sont saisis de crainte et qui tremblent en présence des commandements de Dieu, comme Dieu le recommande par le prophète Isaïe. Mais qu’ont-ils de plus que ceux qui sont simplement humbles ? Ils possèdent la vertu d’humilité à un plus haut degré. — S. Aug. Que les orgueilleux désirent les royaumes de la terre, le royaume des cieux est pour les humbles. — S. Chrys. (Sur S. Matth.) De même, en effet, que tous les vices conduisent à l’enfer, mais principalement l’orgueil, aussi toutes les vertus nous conduisent aux cieux, mais surtout l’humilité, car c’est une des récompenses propres à l’humilité que celui qui s’humilie soit élevé. — S. Jér. Ou bien encore les pauvres d’esprit sont ceux qui par l’inspiration de l’Esprit saint embrassent la pauvreté volontaire. — S. Amb. (des Offices, liv. 1, chap. 16.) Au jugement de Dieu, le bonheur commence là où au jugement des hommes on ne trouve que misère et affliction. — La Glose. C’est avec justice que les richesses du ciel sont ici promises à ceux qui sont pauvres dans la vie présente.

 

 

v. 4.

S. Amb. (sur S. Luc, liv. 9, Tit. des béatit.) Lorsque je serai parvenu à me contenter de la médiocrité, à être exempt de toutes sortes de maux, j’aurai encore à établir la règle dans mes mœurs. Que me servirait-il de renoncer aux biens de la terre, si je ne pratique pas la douceur ? Aussi le Sauveur ajoute-t-il : « Bienheureux ceux qui sont doux. » — S. Aug. (Serm. sur la mont., liv 1, chap. 3.) Les hommes doux sont ceux qui cèdent devant les injustes dont ils sont victimes, qui ne font pas de résistance au mal, mais triomphent du mal par le bien. — S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4.) Modérez donc les mouvements de votre âme, pour ne pas vous mettre en colère, ou du moins pour ne pas vous livrer à une colère coupable. Il est beau de soumettre à la raison les saillies du cœur, et il ne faut pas moins de vertu pour contenir la colère qui est souvent l’indice d’une âme énergique, que pour ne pas la ressentir du tout, ce qui ordinairement est le propre d’un caractère sans vigueur.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Que ceux qui ne connaissent pas la douceur, se querellent et soient en contestation pour les choses de la terre et du temps, mais « bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre, » d’où on ne pourra les arracher, cette terre dont il est dît au psaume 141 : « Mon partage est dans la terre des vivants, c’est-à-dire dans un héritage permanent, éternel, où l’âme se repose par une sainte affection, comme dans le lieu qui lui est propre, de même que le corps se repose dans la terre, et où elle s’y nourrit de son aliment comme le corps se nourrit de la terre ; cet héritage est le repos et la vie des saints. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien cette terre, suivant l’opinion de quelques-uns est la terre des morts tant qu’elle reste dans l’état actuel, parce qu’elle est assujettie à la vanité, mais lorsqu’elle sera délivrée de la corruption, elle deviendra la terre des vivants et les mortels la recevront comme un héritage libre des atteintes de la mort. J’ai lu une autre explication, d’après laquelle le ciel que doivent habiter les saints est appelé terre des vivants, en ce sens que c’est le ciel par rapport à la région inférieure, et la terre comparativement au ciel supérieur. D’autres prétendent que cette terre c’est notre corps ; tant qu’il est soumis à la mort, c’est la terre des morts, mais il sera la terre des vivants, lorsqu’il deviendra semblable au corps glorieux de Jésus-Christ.

S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth.) Ou bien Notre-Seigneur promet à ceux qui sont doux l’héritage de la terre, c’est-à-dire l’héritage de ce corps qu’il a choisi lui-même pour y habiter ; et puisque c’est à cause de la douceur de notre âme que le Christ habite en nous, il nous revêtira aussi de cet éclat dont son corps glorieux sera environné (Ph 3, 21).

S. Chrys. (hom. 15.) Ou bien encore, le Christ mêle ici les promesses temporelles aux promesses spirituelles. Celui qui fait profession de douceur passe aux yeux du monde pour perdre tout ce qu’il possède. Jésus-Christ lui promet donc ici le contraire en l’assurant que celui qui est doux possède en sûreté ce qui lui appartient, tandis que celui qui est arrogant perd bien souvent et son âme et l’héritage de ses pères. Or, le Sauveur emprunte ici pour les mêler à son discours ces paroles du Roi prophète : « Ceux qui sont doux auront la terre en héritage. »

La Glose. Les hommes doux qui ont su se posséder eux-mêmes, posséderont plus tard l’héritage du Père céleste. Or, c’est une plus grande récompense de posséder cette terre que d’avoir simplement le royaume des cieux, car que de choses nous perdons dès que nous les avons.

 

v. 5.

S. Amb. (sur S. Luc.) Lorsque vous aurez acquis la pauvreté d’esprit et la douceur, souvenez-vous que vous êtes pécheurs, et pleurez vos péchés ; c’est la troisième des béatitudes : « Bienheureux ceux qui pleurent. » Il est juste, en effet, que la troisième bénédiction soit pour celui qui pleure ses péchés, puisque c’est la Trinité qui les pardonne. — S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth.) Ceux dont il est ici question ne sont pas ceux qui pleurent les pertes, les injures ou les dommages qu’ils ont soufferts, mais ceux qui pleurent leurs péchés passés. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ceux qui pleurent leurs propres péchés sont heureux, mais d’un bonheur limité ; beaucoup plus heureux sont ceux qui pleurent les péchés des autres, et tels devraient être tous ceux qui sont les maîtres et les docteurs de leurs frères. — S. Jér. Les morts qu’il faut ici pleurer ne sont pas ceux qui ont payé le tribut à la commune loi de la nature, mais ceux qui sont comme ensevelis dans leurs péchés et dans leurs vices. C’est ainsi que Samuel pleura Saül (1 R 16) et saint Paul ceux qui n’avaient pas fait pénitence de leurs impuretés (cf. Ep 2, 15 ; Rm 6, 2 ; 1 P 2, 24).

S. Chrys. (sur S. Matth.) La consolation de ceux qui pleurent, c’est que leurs larmes cessent de couler, et voilà pourquoi ceux qui pleurent leurs péchés seront consolés par le pardon que Dieu leur accordera. — S. Chrys. (homél. 15.) Bien que ce pardon dût leur suffire, Dieu ne borne pas sa récompense à la rémission des péchés, mais il répand sur eux l’abondance de ses consolations, ici-bas et dans la vie future, car les récompenses divines surpassent toujours beaucoup les travaux qui les ont méritées.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Quant à ceux qui pleurent les péchés des autres, ils seront aussi consolés ; car lorsqu’ils verront dans l’autre vie se dérouler devant eux les desseins de la Providence divine, et qu’ils comprendront que ceux qui ont péri n’appartenaient pas à Dieu, dont la main ne se laisse jamais ravir ce qu’elle tient, ils cesseront de les pleurer, et trouveront leur joie dans leur propre bonheur. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Le deuil c’est la tristesse que nous fait éprouver la perte de ceux qui nous sont chers ; or ceux qui se convertissent à Dieu perdent ce qui leur était cher dans le monde, leurs joies changent alors de nature et d’objet ; mais tant que l’amour des choses éternelles ne vit pas dans leur cœur, il est comme blessé par je ne sais quelle tristesse. Ils seront donc consolés par l’Esprit saint qui s’appelle pour cela Paraclet, c’est-à-dire consolateur, et qui au moment où ils perdent une joie passagère, les enrichit d’une joie éternelle, qu’expriment ces paroles : « Ils seront consolés. »

La Glose. Par ce deuil on peut encore entendre deux sortes de tristesse, ayant pour cause, l’une les misères de ce monde, l’autre le désir du ciel : c’est en figure de cette vérité que la fille de Caleb demanda des champs qui fussent arrosés en haut et en bas (Jos 15, 19 ; Jg 1, 15). Cette tristesse n’est propre qu’à celui qui a l’esprit de pauvreté et de douceur, et qui n’aimant pas le monde, reconnaît sa misère, et par cette connaissance s’élève jusqu’au désir du ciel. C’est avec raison que la consolation est promise à ceux qui pleurent, et il est juste que la joie de l’autre vie compense la tristesse et les larmes de la vie présente. Or la récompense de celui qui pleure est plus grande que celle qui est donnée aux pauvres d’esprit et à ceux qui sont doux, car il vaut mieux se réjouir dans le royaume que de l’avoir et de le posséder simplement. Que de choses en effet nous avons et que nous possédons au milieu de la douleur !

S. Chrys. (hom. 15.) Remarquez que c’est avec dessein que dans l’énoncé de cette béatitude, Notre Seigneur ne dit pas : « ceux qui sont dans la tristesse, » mais plus énergiquement « ceux qui pleurent, ceux qui sont dans les larmes, » et en cela il nous donne une leçon de haute sagesse, car si ceux qui pleurent la mort de leurs enfants ou des autres personnes qui leur sont chères, cessent pendant ce temps de désirer les richesses ou les honneurs, et sont insensibles aux outrages ou aux atteintes des passions, à combien plus forte raison doit-on voir ces heureux effets dans ceux qui pleurent leurs péchés.

 

 

v. 6.

S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4.) Après que j’ai pleuré mes péchés, je commence à ressentir la faim et la soif de la justice, car ce n’est point au milieu d’une maladie grave qu’on éprouve cette faim. Notre-Seigneur ajoute donc : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice. » — S. Jér. Il ne nous suffit pas de vouloir la justice, mais il nous faut souffrir la faim de la justice, expression figurée qui doit nous faire comprendre que nous ne serons jamais assez justes, et que nous devons désirer toujours plus ardemment les œuvres de la justice. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Tout bien que les hommes ne font point par l’amour du bien lui-même n’a point de valeur aux yeux de Dieu. Or on a faim de la justice lorsqu’on désire vivre selon les règles de la justice divine ; on a soif de la justice lorsqu’on désire acquérir la science de Dieu.

 

S. Chrys. (hom. 15.) La justice dont il est ici question est, ou la justice universelle, ou la justice particulière opposée à l’avarice. Le Sauveur va parler de la miséricorde, il nous enseigne par avance comment nous devons l’exercer ; ce ne doit pas être avec les produits de l’avarice ou du vol. C’est pour cela qu’il donne à la justice les caractères de l’avarice, la faim et la soif.

S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth.) A ceux qui ont faim et soif de la justice, il promet le bonheur, et nous apprend ainsi que la pieuse avidité des Saints pour la doctrine divine sera complètement rassasiée dans les cieux ; c’est le sens de ces paroles : « Parce qu’ils seront rassasiés. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ils seront rassasiés de l’abondance des libéralités de Dieu, car les récompenses qu’il accorde aux Saints dépassent de beaucoup leurs désirs. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien peut-être ils seront rassasiés dans la vie présente de cette nourriture dont le Seigneur a dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père, » (qui est la justice), et de cette eau dont il est dit qu’elle deviendra en celui qui l’aura bue une source d’eau qui rejaillit jusque dans la vie éternelle.

S. Chrys. (hom. 15.) Peut-être même s’agit-il ici de récompense terrestre. Comme on pense communément que c’est l’avarice qui satisfait abondamment nos désirs, Notre-Seigneur attribue au contraire cet effet à la justice, car celui qui la désire possède tous les biens sans crainte de les perdre.

 

v. 7.

La Glose. La justice et la miséricorde doivent être tellement unies ensemble, qu’elles se tempèrent mutuellement l’une par l’autre. La justice sans la miséricorde n’est que cruauté, et la miséricorde sans justice n’est que faiblesse. C’est pour cela que le Sauveur fait venir la miséricorde après la justice en disant : « Bienheureux les miséricordieux. » Remi. Le mot miséricordieux veut dire qui a pour ainsi parler le cœur des malheureux, parce que l’homme miséricordieux regarde comme sienne la misère d’autrui, et s’en afflige comme si elle lui était personnelle. — S. Jér. Par miséricorde, il faut entendre ici celle qui non seulement se répand en aumônes, mais qui s’étend aux fautes de nos frères, et nous fait porter mutuellement les fardeaux les uns des autres. — S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2.) Il proclame heureux ceux qui viennent au secours de l’infortune, et qui reçoivent en récompense la délivrance de leurs propres maux, comme il le déclare lui-même : « Parce qu’ils obtiendront eux-mêmes miséricorde. » — S. Hil. (can. 4.) Dieu se plaît tellement à voir en nous ce sentiment de bienveillance pour tous nos frères, qu’il ne promet sa miséricorde qu’à ceux-là seuls qui sont miséricordieux.

S. Chrys. (hom. 15.) La récompense paraît ici être simplement égale au mérite, mais elle lui est bien supérieure, car il n’y a point de comparaison entre la miséricorde des hommes et la miséricorde de Dieu. — La Glose. C’est donc avec raison que Dieu fait miséricorde aux miséricordieux, et bien au-dessus de leurs mérites. Aussi de même que celui dont les désirs sont comblés et au delà, reçoit beaucoup plus que celui qui est simplement rassasié, ainsi la gloire des miséricordieux l’emporte sur la gloire des béatitudes précédentes.

 

v. 8.

S. Amb. (sur S. Luc.) Celui qui fait miséricorde perd ses droits à la miséricorde divine, s’il n’a point agi avec un cœur pur, car s’il a cherché la vaine gloire dans les œuvres de miséricorde, il ne lui en revient aucun fruit ; aussi Notre-Seigneur ajoute : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur. » La Glose. La pureté du cœur est placée convenablement en sixième lieu, car c’est le sixième jour que l’homme a été créé à l’image de Dieu, image qui avait été obscurcie en lui par le péché, et qui a été réparée par la grâce dans ceux qui ont le cœur pur. Cette béatitude vient parfaitement après les cinq premières, car sans les vertus qui précèdent, Dieu ne peut créer dans l’homme un cœur pur. — S. Chrys. (hom. 45.) Les cœurs purs dont parle ici le Sauveur sont ceux qui ont toutes les vertus et n’ont à se reprocher aucun mal, ou bien ceux dont la tempérance réprime les désirs sensuels, vertu absolument nécessaire pour voir Dieu, selon ces paroles de saint Paul (He 12) : « Efforcez-vous d’avoir la paix avec tout le monde, et de vivre dans la sainteté, sans laquelle personne ne peut voir Dieu. » Il en est beaucoup, en effet, qui sont miséricordieux, mais qui se livrent à l’impureté, et le Sauveur, pour leur montrer que la miséricorde ne suffit pas, exige de plus cette pureté du cœur.

S. Jér. Dieu qui est pur, ne peut-être vu que par un cœur pur, car le temple de Dieu doit être sans souillure, c’est pour cela qu’il ajoute : Parce qu’ils verront Dieu. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Celui qui veut et accomplit toute justice, voit Dieu des yeux de son âme, car la justice est l’image de Dieu, Dieu étant la justice par essence. Rappelons-nous donc que celui qui se sépare du mal et fait le bien, en vertu même de cet effort, voit Dieu plus ou moins, toujours ou par intervalles, autant qu’il est possible à la nature humaine. Mais dans l’autre vie, ceux qui ont le cœur pur verront Dieu face à face, et non pas comme ici-bas dans un miroir et sous des images obscures (cf. 1 Co 13, 12). — S. Aug. (serm. sur la mont.) Il faut être insensé pour chercher à voir des yeux du corps Dieu qu’on ne peut voir que des yeux du cœur, ainsi qu’il est écrit ailleurs : « Cherchez-le dans la simplicité du cœur, » car le cœur simple, c’est le cœur pur. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. dern. chap. 29.) Il est évident que si les yeux spiritualisés de notre corps n’ont pas plus de vertu que ceux que nous avons maintenant, ils ne pourront nous servir à voir Dieu.

S. Aug. (Liv. 1 de la Trinité, chap. 8 et 13.) Cette vue de Dieu est la récompense de la foi, et c’est par la foi que Dieu nous y prépare en purifiant nos cœurs ainsi qu’il est écrit : « Purifiant leurs cœurs par la foi. » La preuve de cette vérité se trouve surtout dans cette maxime : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu. »

S. Aug. (sur la Genèse expliq. littéral., liv. 12, chap. 25.) Aucun de ceux qui aspirent à voir Dieu ne doit vivre ici-bas de la vie périssable des sens ; s’il ne meurt radicalement à cette vie, soit en quittant tout-à-fait son corps, soit en devenant tellement étranger aux mouvements de la chair qu’il ne sache plus ainsi que l’apôtre, s’il est encore ou non avec son corps, il ne pourra jamais s’élever jusqu’à cette vision.

La Glose. La récompense est ici plus magnifique que dans les béatitudes précédentes ; c’est celle de l’homme qui non seulement est nourri dans la maison du roi, mais encore peut jouir de sa présence.

 

v. 9.

S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4). Lorsque vous aurez purifié votre intérieur de toutes les souillures du péché, commencez par établir la paix en vous, de sorte qu’il ne s’élève dans votre cœur ni dissensions ni troubles ; vous pourrez ainsi porter la paix plus facilement aux autres. C’est ce que signifient ces paroles : « Bienheureux les pacifiques. » — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 19, chap. 13.) La paix est la tranquillité de l’ordre ; l’ordre est cette disposition qui donne aux choses ou semblables ou opposées la place qui leur convient. Il n’est personne qui ne désire le bonheur, personne aussi qui ne désire la paix ; et ceux mêmes qui veulent la guerre n’ont d’autre but que d’arriver par les armes à une paix glorieuse. — S. Jér. Les pacifiques que le Sauveur proclame heureux sont ceux qui font régner la paix dans leur cœur, avant de la rétablir entre leurs frères divisés ; car que vous sert de pacifier les autres si vous souffrez que les vices se livrent mille combats dans votre âme ?

S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2 ou 3.) Ceux qui sont pacifiques sont ceux qui règlent tous les mouvements de leur âme, les soumettent à la raison, tiennent sous le joug toutes les passions indomptées de la chair, et deviennent ainsi le royaume de Dieu. Dans ce royaume l’ordre y est tellement établi, que ce qu’il y a en nous de plus noble et de plus excellent commande à cette autre partie de nous-même qui résiste, et qui nous est commune avec les bêtes ; tandis que la partie supérieure, c’est-à-dire l’âme et la raison, est elle-même soumise à un être plus élevé, qui est la vérité et le Fils de Dieu. Nous ne pouvons commander à ce qui est au-dessous de nous, à moins d’être soumis à ce qui est au-dessus. Telle est la paix promise sur cette terre aux hommes de bonne volonté (Lc 2, 14). — S. Aug. (liv. 1, chap. 19.) Personne cependant ne peut arriver en cette vie à détruire complètement dans ses membres cette loi qui combat contre la loi de l’esprit ; mais en domptant ici-bas les passions de la chair, les pacifiques se préparent à recevoir un jour la plénitude de la paix. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est se montrer pacifique envers les autres, non seulement de réconcilier les ennemis entre eux, mais encore d’oublier les injures par amour de la paix ; car la paix qui donne le bonheur n’est pas celle qui n’existe que sur les lèvres, mais celle qui repose dans le cœur, et ceux qui l’aiment sont vraiment les enfants de la paix.

S. Hil. (Can. 12.) Le bonheur des pacifiques, c’est la récompense de l’adoption que le Sauveur exprime par ces paroles : « Parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu. » Dieu est le Père unique de tous les hommes, et nous ne serons dignes de faire partie de sa famille qu’en vivant ensemble dans la paix d’une charité toute fraternelle. — S. Chrys. (hom. 15 sur Matth.) Ou bien les pacifiques étant ceux qui ont horreur de la dispute, n’ont de haine contre personne, et de plus cherchent à réunir ceux qui sont divisés, c’est à juste titre qu’ils sont appelés fils de Dieu, car la mission propre du Fils unique de Dieu a été de réunir ce qui était dispersé et de pacifier les éléments les plus contraires. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien comme la perfection est dans la paix, là où rien ne résiste, les pacifiques sont appelés enfants de Dieu parce que rien ne résiste à Dieu ; d’ailleurs les enfants doivent ressembler à leur père. — La Glose. Les pacifiques sont donc revêtus d’une dignité qui surpasse toutes les autres, de même que le fils du roi est au-dessus de tous les autres dans la maison de son père. Cette béatitude est placée la septième, parce que c’est au jour du sabbat et du vrai repos que nous sera donnée la paix véritable lorsque les dix âges du monde seront écoulés.

 

 

v. 10.

S. Chrys. (hom. 15.) Notre-Seigneur voulant détruire cette pensée que c’est toujours un bien de rechercher pour soi la paix, ajoute : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, c’est-à-dire pour la vertu, pour la défense des autres, pour la piété ; car le Sauveur emploie ordinairement le mot justice pour exprimer toute vertu de l’âme. — S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2 ou 8). La paix une fois établie et affermie au-dedans de nous, quelles que soient les persécutions que soulève au dehors celui que nous avons chassé de notre âme (cf. Jn 12, 13), il ne fait qu’augmenter la gloire qui est selon Dieu. — S. Jér. Le Sauveur ajoute cette expression significative : « Pour la justice, » car il en est beaucoup qui souffrent pour leurs péchés ; et qui sont loin d’être justes. Remarquez en même temps que cette huitième béatitude qui est comme l’octave de la vraie circoncision, a pour objet le martyre. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne dit pas : « Bienheureux celui qui souffre persécution de la part des Gentils, » car vous pourriez penser que ce bonheur n’est promis qu’à celui qui est persécuté par les païens, parce qu’il refuse d’adorer leurs idoles. Celui donc qui souffre persécution de la part des hérétiques, pour défendre contre eux la vérité, a droit à ce bonheur parce qu’il souffre pour la justice. Et si un des puissants du monde qui sont chrétiens en apparence, vous persécute, parce que peut-être vous l’auriez repris de ses vices, estimez-vous heureux avec Jean-Baptiste. Car s’il est vrai que les prophètes mis à mort par leurs concitoyens ont été de vrais martyrs, on ne peut douter que celui qui souffre pour la cause de Dieu, bien que la persécution lui vienne des siens, ne reçoive aussi la récompense du martyre. Et c’est pourquoi l’Écriture n’a pas désigné la personne des persécuteurs, mais la cause seule de la persécution, afin que vous ne considériez pas quels sont ceux qui vous persécutent, mais la cause pour laquelle vous souffrez persécution.

S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth.) Le Seigneur réserve donc pour la dernière béatitude, ceux dont le cœur est préparé à tout souffrir pour Jésus-Christ (qui est la justice). A eux aussi il promet le royaume des cieux, parce que le mépris du siècle les a rendus pauvres d’esprit. C’est pour cela qu’il ajoute : « Le royaume des cieux leur appartient. » — S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 3, chap. 2 ou 9.) Ou bien la huitième béatitude revient à la première comme à sa source, parce qu’elle la montre élevée à sa plus haute perfection. Aussi voyez, dans la première comme dans la huitième, se trouve nommé expressément le royaume des cieux. En effet les sept béatitudes sont les différents degrés de cette perfection ; la huitième lui donne le dernier trait et la montre dans tout son éclat, et la récompense de la première béatitude s’y trouve rappelée pour que ces deux degrés extrêmes communiquent leur perfection aux degrés intermédiaires. — S. Amb. (sur S. Luc.) Ou bien autrement, le royaume du ciel promis en premier lieu sera pour les saints l’affranchissement des liens du corps (cf. Ph 1, 25), le second qui suivra la résurrection, les réunira pour toujours à Jésus-Christ. C’est après la résurrection en effet, que vous commencerez à posséder la terre qui est à vous sans plus craindre la mort, et que vous trouverez la consolation dans cette possession paisible. Le plaisir suit la consolation, et il est suivi à son tour par la divine miséricorde, or Dieu ne peut faire miséricorde à quelqu’un sans l’appeler, et le fruit de cette vocation, c’est de voir Dieu qui nous appelle. Celui qui a vu Dieu a droit à son tour aux honneurs de la filiation divine, et c’est alors enfin que comme fils de Dieu il trouve sa joie dans les richesses du royaume des cieux. D’un côté donc le bonheur commence, de l’autre il est dans sa plénitude. — S. Chrys. (hom. 15.) Ne soyez pas surpris, si a chaque béatitude, il n’est pas fait mention du royaume des cieux, car ces expressions : « Ils seront consolés, ils obtiendront miséricorde, » et autres semblables, sont autant d’insinuations mystérieuses du royaume des cieux. En s’exprimant ainsi le Sauveur veut que l’objet de votre espérance n’ait rien de sensible, car on n’est pas heureux quand on n’a pour récompense que des choses qui passent avec cette vie.

S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 3.) Il faut étudier avec soin le nombre de ces béatitudes. Nous voyons en effet les sept opérations de l’Esprit saint décrites par Isaïe (Is 11), correspondre aux sept degrés des béatitudes, mais avec cette différence, que le prophète suit une marche opposée dans l’énumération, parce qu’il nous montre le Fils de Dieu descendant jusque dans l’abîme de notre misère, et qu’ici nous voyons l’homme montant de cet abîme jusqu’à la ressemblance de Dieu. Le premier des dons de l’Esprit saint est la crainte qui est le propre des âmes humbles dont il est dit : « Bienheureux les pauvres d’esprit, » c’est-à-dire ceux qui ne se nourrissent pas de hautes pensées, mais qui se tiennent dans la crainte (cf. Rm 11, 20 ; 12, 16). Le second est la piété qui convient à ceux qui sont doux, car celui qui cherche avec piété fait profession de respect, il ne s’érige pas en censeur, il ne résiste pas, ce qui constitue la vertu de douceur. Le troisième est la science, qui se rapporte à ceux qui pleurent, car ils savent dans quelle dure captivité les retiennent ces maux, qu’ils avaient demandés comme des biens. Le quatrième est la force, qui convient à ceux qui ont faim et soif, parce qu’en cherchant leur joie dans les véritables biens, ils font tous leurs efforts pour se détacher des choses de la terre. Le cinquième est le conseil, qui se rapporte aux miséricordieux, car l’unique remède pour échapper à tant de maux, c’est de pardonner et d’être charitable. Le sixième est l’intelligence qu’ont en partage ceux qui ont le cœur pur, et dont l’œil purifié pénètre ce qu’ils ne pouvaient voir auparavant. La septième est la sagesse, qui est le propre des pacifiques dans l’âme desquels n’existe aucun mouvement de révolte, mais ou tout est soumis à l’esprit. Il n’y a qu’une seule récompense, c’est le royaume des cieux qui reçoit diverses dénominations. Il est expressément nommé et avec raison dans la première béatitude qui est le commencement de la divine sagesse, comme s’il était dit : « Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur. » A ceux qui sont doux est promis l’héritage, comme a des enfants dont la piété filiale cherche le testament de leur père ; à ceux qui pleurent la consolation, parce qu’ils savent ce qu’ils ont perdu, et dans quels maux ils sont plongés ; à ceux qui ont faim l’abondance, comme aliment réparateur, après les fatigues endurées pour le salut ; à ceux qui sont miséricordieux, la miséricorde parce qu’ils se sont ménagé sagement le bénéfice de l’indulgence dont ils ont fait preuve à l’égard des autres ; à ceux qui sont purs la faculté de voir Dieu, car, eux seuls ont un œil capable de voir et de comprendre les choses éternelles ; à ceux qui sont pacifiques, la ressemblance avec Dieu. Or toutes ces promesses peuvent s’accomplir en cette vie comme nous croyons qu’elles se sont réalisées dans les apôtres ; car aucune parole ne saurait exprimer l’objet des promesses éternelles.

 

vv. 11-12.

Rab. Les maximes précédentes avaient une application générale, Jésus-Christ s’adresse ici personnellement à ceux qui l’écoutent, et il leur prédit les persécutions qu’ils auraient à supporter pour son nom. « Vous serez heureux » leur dit-il, « lorsque les hommes vous maudiront et vous persécuteront et diront toute espèce de mal contre vous. » — S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 1, chap. 3 ou 9.) On peut demander quelle différence existe entre maudire et dire toute espèce de mal, parce que maudire c’est justement dire du mal ; nous répondrons qu’il y a une différence entre maudire et outrager quelqu’un en face, et déchirer sa réputation en son absence. Quant au mot persécuter, il signifie user de violence contre quelqu’un, ou lui tendre des embûches.

S. Chrys. (sur S. Matth.) S’il est vrai que celui qui donne à son frère un verre d’eau ne perd pas sa récompense, par la même raison celui qui aura supporté la plus légère parole outrageante, ne peut manquer d’être récompensé. Mais pour que les imputations injurieuses lui donnent droit à ce bonheur, il faut deux choses, qu’elles soient fausses, et qu’il les souffre pour la cause de Dieu ; si l’une des deux conditions manque, il ne peut espérer la récompense de cette béatitude, aussi le Sauveur ajoute-t-il : « Mentant à cause de moi. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) Je présume que ces mots ont été ajoutés pour ceux qui veulent se glorifier des persécutions qu’ils souffrent et du déshonneur qui s’attache justement à leur réputation, et qui prétendent faire partie des disciples de Jésus-Christ, parce qu’ils sont en butte à mille discours injurieux. Mais c’est a tort, car ces discours ne sont que l’expression de la vérité quand ils ont pour objet leurs erreurs, et si parfois on les accuse à faux, ce n’est nullement pour Jésus-Christ qu’ils le souffrent.

S. Grég. (sur Ezéchiel.) Qui pourra donc nous nuire, si les hommes nous discréditent, et que nous n’ayons pour nous défendre que le témoignage de notre conscience ? Cependant si nous ne devons pas, de dessein prémédité, exciter contre nous la langue de ceux qui veulent entamer notre réputation, pour ne pas les pousser eux-mêmes à leur perte ; une fois que leur méchanceté les arme contre nous, il faut le supporter patiemment pour augmenter notre mérite, et c’est ce que le Sauveur nous recommande en ajoutant : « Réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce que votre récompense est abondante dans les cieux. » La Glose. Que votre âme se réjouisse, que votre corps lui-même tressaille d’allégresse. parce que votre récompense non seulement est grande comme celle des autres, mais parce qu’elle est abondante dans les cieux.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Je ne pense pas que les cieux désignent ici les parties supérieures de ce monde visible, car ce n’est pas dans les choses extérieures que nous devons placer notre récompense ; par les cieux il faut donc entendre ici le firmament spirituel qu’habite l’éternelle justice. On peut déjà pressentir cette récompense quand on place sa joie dans les biens spirituels, mais cette jouissance ne sera parfaite, que lorsque ce corps mortel aura revêtu l’immortalité. (1 Co 15, 54) — S. Jér. Si nous voulons que notre récompense se prépare dans les cieux, nous devons donc nous réjouir et tressaillir d’allégresse, ce que ne pourra jamais faire celui qui est esclave de la vaine gloire. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, autant on met sa joie dans les louanges des hommes, autant on s’attriste de leurs mépris ; mais celui qui ne désire que la gloire des cieux, ne craint nullement les opprobres de la terre. — S. Grég. (sur Ezéchiel.) Nous devons cependant mettre un frein quelquefois aux langues des calomniateurs, de peur qu’en répandant leur venin contre nous, ils ne viennent à corrompre les âmes innocentes que nous aurions pu porter au bien par nos discours.

La Glose. Ce n’est pas seulement par la perspective de la récompense, mais par la puissance de l’exemple qu’il les invite à la patience. « C’est ainsi ajoute-t-il qu’ils ont persécuté les prophètes qui étaient avant vous. » — Remi. C’est une grande consolation en effet pour celui qui se trouve dans la tribulation, de se rappeler les souffrances de ceux qu’on lui domine comme un exemple de patience, c’est comme si le Sauveur disait : « Souvenez-vous que vous êtes les apôtres de celui dont ils furent les prophètes. » — S. Chrys. (hom. 15.) Il déclare aussi par ces paroles qu’il est égal en honneur à son Père, car il semble dire : « De même qu’ils ont souffert pour mon Père, ainsi vous souffrirez pour moi. » En leur disant : « Les prophètes qui furent avant vous, » il leur apprend qu’ils sont devenus prophètes eux-mêmes. — S. Aug. (serm. sur la mont.) La persécution est prise ici dans un sens général, et signifie tous les discours outrageants, et toutes les atteintes à la réputation.

 

v. 13.

S. Chrys. (hom. 15.) Après avoir donné à ses disciples d’aussi sublimes préceptes ; le Sauveur prévient cette difficulté : comment pourrons-nous les observer, en les attirant par ses louanges et en leur disant : « Vous êtes le sel de la terre. » Par là il leur apprend que c’est une nécessité pour eux de garder ces préceptes, car ce n’est pas, leur dit-il, pour vous, ce n’est pas pour une seule nation, c’est pour le monde entier que je vous envoie. Si donc en le touchant au vif, vous en recevez des injures, réjouissez-vous, car c’est une des propriétés du sel de piquer tout ce qui est d’une nature tendre et molle ; la malédiction des hommes ne peut vous nuire en rien, elle atteste au contraire la vertu qui est en vous.

S. Hil. (can. 4.) Il nous faut ici chercher le sens propre des mots, et nous le trouverons dans la mission des apôtres, et dans la nature du sel. Le sel qui est d’un usage universel chez tous les peuples, communique l’incorruptibilité à tous les corps sur lesquels on le répand, et il est très propre à faire ressortir dans toutes choses leur saveur cachée. Or les apôtres sont les prédicateurs des choses célestes, et ils répandent sur toutes choses le sel de l’éternité. C’est à juste titre qu’ils sont appelés le sel de la terre, parce que la vertu de leur doctrine, comme un sel divin conserve les corps pour l’éternité.

Remi. Le contact de l’eau, la chaleur du soleil, le souffle du vent, donnent au sel une autre nature ; ainsi les hommes apostoliques ont reçu une naissance toute spirituelle et ont été changés en d’autres hommes par l’eau du baptême, par le souffle de l’Esprit saint et par le feu de la charité. On peut dire encore que la sagesse céleste prêchée par les Apôtres, absorbe les humeurs des œuvres charnelles, fait disparaître l’odeur infecte et la corruption d’une mauvaise vie et le ver des pensées impures dont le prophète a dit : « Leur ver ne meurt pas. » (Is 66, 24) — Remi. Les Apôtres sont le sel de la terre, c’est-à-dire des hommes terrestres qui sont appelés terre, parce que toute leur affection est pour la terre. — S. Jér. Ou bien encore les Apôtres sont appelés le sel de la terre, parce que c’est par eux que le genre humain est conservé. — S. Chrys. (sur S. Matth., homél. 10 de l’ouv. incompl.) Dès qu’un docteur est orné de toutes les vertus dont nous avons parlé, il est comme un sel excellent, et son exemple comme sa parole sont pour tout le peuple un céleste assaisonnement.

Remi. Sous l’ancienne loi, on ne pouvait offrir aucun sacrifice sans l’avoir assaisonné de sel, ce qui signifiait que personne ne peut offrit un sacrifice agréable à Dieu sans avoir en lui la saveur de la sagesse divine. — S. Hil. Cependant comme l’homme est sujet au changement, après avoir appelé les Apôtres le sel de la terre, il leur apprend qu’ils doivent conserver la vertu de la puissance qui leur a été confiée, en ajoutant : « Si le sel perd sa force, avec quoi pourra-t-on le saler ? » — S. Jér. C’est-à-dire si un docteur tombe dans l’erreur, par quel autre docteur pourra-t-il être repris ? — S. Aug. (serm. sur la mont) Et si vous, qui devez être comme l’assaisonnement des peuples, vous perdez le royaume des cieux par la crainte des persécutions temporelles, quels seront les hommes qui pourront vous guérir de vos erreurs ? Une autre version porte : « Si le sel est devenu insipide et comme insensé », et elle signifie qu’il faut regarder comme des insensés, ceux qui par la recherche trop vive des biens temporels, ou par la crainte d’en être dépouillés, perdent les biens éternels que les hommes ne peuvent ni donner ni enlever.

S. Hil. (can. 4.) Or si les docteurs devenus insensés cessent d’avoir la vertu du sel, et si ne possédant plus le sens du goût qu’ils avaient reçu, ils ne peuvent rendre la vie à ce qui est corrompu, ils deviennent inutiles comme l’ajoute le Sauveur : « Il ne vaut plus rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes. » — S. Jér. Cet exemple est emprunté à l’agriculture. Le sel ne sert absolument qu’à dessécher les viandes et à assaisonner les aliments. Aussi nous voyons dans l’Écriture le sel semé par la colère des vainqueurs sur des villes détruites, afin qu’aucune semence ne pût y fructifier. — La Glose. Lorsque ceux qui sont placés à la tête des autres viennent à faillir, ils ne sont bons qu’à être jetés dehors et privés du pouvoir d’enseigner. — S. Hil. (can. 4.) Il ne suffit pas même qu’ils soient chassés de l’office de l’Église, il faut qu’ils soient foulés aux pieds des passants. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ce n’est pas celui qui souffre persécution qui est foulé aux pieds par les hommes, mais celui à qui la crainte de la persécution fait perdre le sens. On ne peut être foulé aux pieds que lorsqu’on est placé au-dessous. Or on n’est jamais au-dessous de personne, bien que le corps soit en butte sur la terre à de mauvais traitements, lorsque par le cœur on habite dans le ciel.

 

vv. 14-15.

S. Chrys. (Sur S. Matth.) De même que les prédicateurs sont par l’exemple de leurs vertus le sel qui assaisonne les peuples, de même ils sont par leur doctrine la lumière qui éclaire les ignorants. Or une vie sainte est la condition première, essentielle avant de bien enseigner. C’est pour cela qu’il appelle ses Apôtres le sel de la terre avant de leur dire : « Vous êtes la lumière du monde. » C’est peut-être aussi parce que le sel ne fait que conserver les choses dans l’état où elles sont, et les préserve ainsi de toute altération, tandis que la lumière les rend meilleures en répandant sur elles la clarté. Les Apôtres sont donc appelés le sel de la terre à cause du peuple juif et de l’Église chrétienne qui ont la connaissance de Dieu, tandis qu’ils sont appelés la lumière du monde à cause des Gentils qu’ils amènent à la lumière de la science. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Par le monde, il faut entendre ici non pas le ciel et la terre, mais les hommes qui habitent le monde, ou ceux qui aiment le monde, et vers lesquels les Apôtres ont été envoyés pour les éclairer. — S. Hil. (can. 4.) La nature de la lumière c’est d’émettre sa clarté partout où elle est portée, et de forcer les ténèbres à disparaître de nos demeures sous l’influence d’un jour bienfaisant. Or le monde placé en dehors de la connaissance de Dieu était enveloppé dans les ténèbres de l’ignorance, et c’est par les Apôtres qu’il a été inondé de la clarté de la science, que la connaissance de Dieu lui est devenue plus certaine, et ils ont répandu à flots la lumière partout où ils ont porté leurs corps faibles et mortels.

Remi. Semblable au soleil qui lance ses rayons de toutes parts, le Seigneur, vrai soleil de justice, a dirigé ses Apôtres contre les ténèbres qui couvraient le genre humain tout entier.

S. Chrys. (homél. 15.) Comprenez la grandeur des promesses qu’il leur fait, ils étaient inconnus dans leur propre pays, leur renommée s’étendra jusqu’aux extrémités de la terre, et les persécutions qu’il leur avait prédites, loin de les tenir cachés n’ont fait que les rendre plus illustres.

S. Jér. Les Apôtres auraient pu se dérober par la crainte aux persécutions qui les menaçaient, Jésus-Christ veut qu’ils se produisent en toute liberté, et il leur apprend avec quelle assurance ils doivent prêcher l’Évangile : « Une ville placée sur une montagne ne peut être cachée. » — S. Chrys. (hom. 15.) Il leur enseigne encore à veiller avec soin sur leur propre conduite, parce qu’ils sont exposés à la vue du monde entier, comme une ville bâtie sur une montagne, ou comme une lumière placée sur le chandelier. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cette cité, c’est l’Église des saints dont il est écrit : « Cité de Dieu, des merveilles ont été dites de toi. » Les citoyens de cette ville sont tous les fidèles dont l’Apôtre a dit : « Vous êtes les concitoyens des saints. » Cette cité a été bâtie sur la montagne qui est le Christ et dont le prophète Daniel avait dit (Dn 2, 34) : « Une pierre détachée de la montagne sans la main d’aucun homme est devenue une grande montagne. » — S. Aug. Ou bien elle est située sur une montagne, parce qu’elle est assise sur une justice éminente, figurée par la montagne du haut de laquelle le Seigneur fait entendre sa parole. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Une ville placée sur le sommet d’une montagne ne peut se dérober aux regards, quand elle le voudrait, car la montagne qui la porte, la dévoile à tous les yeux. Ainsi les Apôtres et les prêtres qui sont fondés sur Jésus-Christ, ne peuvent rester cachés, quand bien même ils le voudraient, parce que Jésus-Christ les découvre à tous les regards. — S. Hil. (can. 4.) Cette cité peut encore signifier la chair dont le Sauveur s’est revêtu, car en s’unissant ainsi à notre nature, il renferme en lui la totalité du genre humain et nous-mêmes par la participation de sa chair nous devenons les habitants de cette ville. Or Jésus-Christ ne peut demeurer caché, placé qu’il est sur les hauteurs incommensurables de la divinité, et offert à l’admiration du genre humain par les œuvres merveilleuses qu’il opère.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Le Sauveur explique par une autre comparaison pourquoi ses disciples ne doivent point rester cachés dans l’obscurité, mais se produire au grand jour : « On n’allume pas une lampe pour la placer sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier. — S. Chrys. (homél. 15.) On peut dire encore que par la comparaison de la ville bâtie sur la montagne, le Sauveur montre quelle sera sa vertu, et que par celle de la lampe allumée, il forme ses disciples à la liberté de l’apostolat : « C’est moi qui ai allumé le flambeau, » semble-t-il leur dire : « c’est à vous de veiller à ce qu’il ne cesse jamais de briller, non seulement pour vous, et pour ceux que vous devrez éclairer, mais encore pour la gloire de Dieu. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cette lampe c’est la parole de Dieu dont il est dit : « Votre parole est une lampe pour mes pieds. » Ceux qui allument cette lampe, sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

 

S. Aug. (serm. sur la mont., chap. 5 ou 12.) Mais que veulent dire ces paroles : « On ne la place pas sous le boisseau ? » Signifient-elles seulement qu’il ne faut point cacher cette lampe, comme s’il disait, ou n’allume pas une hampe pour la cacher ? Ou bien le mot boisseau a-t-il une signification particulière ? Placer la lampe sous le boisseau ne serait-ce pas préférer les avantages temporels à la prédication de la vérité ? On place donc la hampe sous le boisseau, toutes les fois qu’on obscurcit et qu’on couvre la lumière d’une saine doctrine sous les nuages des biens temporels. Le boisseau est une figure très juste de ces biens du corps, soit à cause de la récompense qui sera donnée avec mesure, puisque chacun recevra ce qu’il aura mérité pendant qu’il était revêtu de son corps (2 Co 5, 10), soit parce que ces biens qui ont le corps pour objet et pour instrument, ont aussi le temps pour mesure de leur existence passagère figurée par le boisseau, tandis que les choses spirituelles et éternelles ne sont pas renfermées dans ces étroites limites. Or on place la lumière sur le chandelier, quand on assujettit son corps au ministère de la parole, de manière que la prédication de la vérité occupe le premier rang, et les soins du corps la dernière place. Car cet assujettissement du corps donne à la doctrine un nouvel éclat qui la fait pénétrer dans l’âme des disciples, à l’aide du concours que les bonnes œuvres du corps viennent donner à la voix. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Disons encore que le boisseau représente les hommes du monde, car de même que le boisseau est vide par le haut, et plein par le bas, ainsi les hommes du monde sont insensés à l’égard des biens spirituels, et n’ont de sagesse que pour les choses de la terre. Ainsi le boisseau tient la parole de Dieu cachée lorsque pour quelque motif tout humain, ils n’osent prêcher ouvertement ni la parole de Dieu ni la vérité de la foi. Le chandelier, c’est l’Église qui porte la parole, et c’est aussi chacun de ses ministres.

S. Hil. (Can. 4.) Ou bien c’est la synagogue que le Seigneur compare au boisseau, parce que, gardant sans les distribuer les fruits qu’elle a reçus, elle ne contenait d’ailleurs qu’une certaine mesure de perfection. — S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4.) Que personne donc ne renferme sa foi dans les bornes étroites de la loi mosaïque, mais qu’il en fasse part à l’Église où brille la grâce de l’Esprit qui possède les sept dons. — Bède. Ou bien c’est le Christ lui-même qui allume le flambeau lorsqu’il a rempli de la flamme de sa divinité la lampe de terre de notre nature, lampe qu’il ne veut cacher à aucun de ceux qui croient en lui, ni placer sous le boisseau (c’est-à-dire sous la mesure de la loi), ni resserrer dans les limites d’un seul peuple. Le chandelier sur lequel il a placé la lumière c’est l’Église, parce qu’il a marqué sur nos fronts la foi en son Incarnation. — S. Hil. (Can. 4.) Ou bien cette lampe du Christ placée sur le chandelier, c’est cette lampe suspendue par sa Passion au bois de la croix et qui doit répandre son éternelle clarté sur tous ceux qui font partie de l’Église ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Afin qu’elle brille aux yeux de tous ceux qui sont dans la maison. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) Rien ne s’oppose à ce que, par cette maison, on entende l’Église ; ou bien encore cette maison c’est le monde lui-même, comme sembleraient l’indiquer ces paroles : « Vous êtes la lumière du monde. » — S. Hil. (Can. 4.) Le Sauveur avertit ses apôtres qu’ils doivent briller d’une lumière si vive qu’en admirant leurs bonnes œuvres les hommes en rendent gloire à Dieu : « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est-à-dire, répandez la lumière de votre enseignement de manière que non seulement on entende vos paroles, mais encore qu’on voie vos œuvres, et qu’ainsi vous assaisonniez, par le sel de vos exemples, ceux que vous aurez éclairés de la lumière de votre parole. Dieu se trouve glorifié par ces docteurs qui joignent la pratique à l’enseignement, car on reconnaît la sagesse du Maître aux mœurs de ceux qui composent sa famille, et c’est pour cela que Jésus-Christ ajoute : « Afin qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » — S. Aug. S’il avait dit seulement : « Afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, » il aurait paru leur assigner pour fin les louanges des hommes que recherchent les hypocrites ; mais il ajoute : « Afin qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ; » il ne veut donc pas qu’en étant agréable aux hommes, on place dans leur estime la fin de ses bonnes œuvres, mais qu’on les rapporte à la gloire de Dieu, en un mot qu’on ne cherche à plaire aux hommes qu’afin que Dieu en soit glorifié. — S. Hil. (Can. 4.) Ce n’est pas qu’il nous faille rechercher la gloire qui vient des hommes (car toutes nos actions doivent être faites pour la gloire de Dieu), mais tout en nous cachant ce qui nous est personnel dans nos bonnes œuvres, nous ne devons pas laisser de briller pour l’édification de ceux au milieu desquels nous vivons.

 

vv. 17-19.

La Glose. Après avoir exhorté ses disciples à se préparer à tout souffrir pour la justice, et à ne pas tenir cachée la doctrine salutaire qu’ils allaient entendre, mais à la recevoir dans l’intention de la communiquer aux autres, il leur fait connaître ce qu’ils devront enseigner. Il suppose qu’ils lui font cette question : Quelle est donc cette doctrine qui ne doit pas rester cachée et pour laquelle vous nous ordonnez de tout nous offrir ? Et il leur répond : « Ne pensez pas que je sois venu détruire la loi ou les prophètes. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il s’exprime ainsi pour deux raisons : premièrement, pour engager ses disciples à imiter son exemple, en s’efforçant d’accomplir toute la loi, ainsi qu’il le faisait lui-même ; secondement, les Juifs devaient l’accuser plus tard de violer la loi (Mt 12 ; Mc 2 ; Lc 6 ; 13 ; Jn 5 ; 7 ; 9, etc.) ; il fait donc raison de cette calomnie avant même qu’elle se produise.

Remi. Mais il ne veut pas qu’on s’imagine qu’il n’est venu que pour annoncer la loi, comme les prophètes ; il nie donc d’abord qu’il soit venu pour détruire la loi, et il affirme ensuite qu’il est venu pour l’accomplir : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir. »S. Aug. (Serm. sur la mont.) Cette maxime présente deux sens, car accomplir une loi c’est ou bien ajouter ce qui lui manque, ou faire ce qu’elle prescrit. — S. Chrys. Jésus-Christ a donc accompli les prophéties en réalisant tout ce qu’elles avaient prédit de lui, et il a également accompli la loi en n’omettant aucune des prescriptions légales et en justifiant les hommes par la foi, ce que la lettre de la loi ne pouvait faire. — S. Aug. (contre Fauste, liv. 19, chap. 7.) Enfin, comme il était difficile, même à ceux qui vivent sous l’empire de la grâce, dans cette vie mortelle d’accomplir ce commandement de la loi : « Vous n’aurez pas de désirs coupables (Ex 20, 17 ; Dt 5, 21 ; Rm 7, 8 ; 13, 9), » le Sauveur, devenu notre Pontife par le sacrifice de sa chair, nous obtient miséricorde, et il accomplit encore ici la loi, car notre faiblesse et notre impuissance se trouvent guéries par la vertu de ce divin chef dont nous sommes devenus les membres. Je pense que ces paroles : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir, » peuvent s’entendre aussi de ces additions qui expliquent le sens des anciens préceptes ou la manière de les mettre en pratique. C’est ainsi que le Seigneur nous a fait connaître qu’un simple mouvement de haine qui nous porte à nuire à notre frère doit être rangé parmi les péchés d’homicide. Il nous dit encore plus loin qu’il aime mieux que nous restions dans la vérité suis recourir au serment que de nous exposer à tomber dans le parjure en jurant même selon la vérité. Pourquoi donc, ô Manichéens, rejetez-vous la loi et les prophètes, alors que le Christ affirme qu’il est venu non pour les détruire, mais pour les accomplir ? L’hérétique Fauste répond : Mais qui atteste que Jésus a tenu ce langage ? Matthieu. Et comment donc Matthieu peut-il raconter ce que Jésus a dit sur la montagne, lui qui n’a suivi le Sauveur que lorsqu’il en fut descendu, tandis que Jean, qui était sur la montagne, n’en dit pas un mot ? Saint Augustin répond : S’il n’y a pour dire la vérité sur le Christ que celui qui l’a vu ou entendu, personne aujourd’hui n’est en état de le faire. Pourquoi donc saint Matthieu n’aurait-il pu apprendre de la bouche de saint Jean la vérité sur le Christ, alors que nous, qui sommes nés si longtemps après, nous pouvons enseigner sur Jésus-Christ la vérité que nous puisons dans les écrits de saint Jean ? C’est ce qui fait que non seulement l’évangile de saint Matthieu, mais encore celui de saint Luc et de saint Marc jouissent d’une égale autorité. D’ailleurs, est-ce que le Seigneur n’a pu raconter à saint Matthieu les faits qui avaient précédé sa vocation ? Avouez donc franchement que vous ne croyez pas à l’Évangile, car en ne croyant dans l’Évangile qu’à ce qui vous convient, c’est plutôt à vous-mêmes qu’à l’Évangile que vous croyez.

 

Fauste dit encore : Nous pouvons prouver qu’un autre que saint Matthieu (et je ne sais qui) a écrit cette maxime sous le nom de cet apôtre : « Lorsque Jésus passait, il vit un homme assis au comptoir, Matthieu était son nom. » Et quel est donc l’écrivain qui, pour parler de lui-même, s’exprime de la sorte : « Il vit un homme, » et non pas : « Il me vit ? » — Saint Augustin répond, saint Matthieu parle de lui commue d’une personne étrangère, de même que saint Jean l’a fait dans ce passage : « Pierre, se retournant, vit cet autre disciple que Jésus aimait, » ce qui prouve que telle était la manière de s’exprimer des évangélistes dans leurs narrations.

Il y a plus, réplique Fauste, cette défense que Jésus-Christ nous fait de croire qu’il soit venu détruire la loi est bien plutôt de nature à nous faire soupçonner qu’il la détruisait réellement, car, puisqu’il ne violait aucun article de la loi, pourquoi les Juifs l’en auraient-ils soupçonné ? C’est là, répond saint Augustin, une bien faible difficulté, car nous ne nions pas qu’aux yeux des Juifs inintelligents, le Christ n’ait passé pour un destructeur de la loi et des prophètes.

Fauste ajoute : D’ailleurs, ni la loi ni les prophètes n’ont besoin de cet accomplissement, puisqu’il est écrit : « Vous observerez les commandements que je vous donne, sans y rien ajouter, ni sans rien ôter. » Fauste, répond saint Augustin, ne comprend pas ce que c’est que l’accomplissement de la loi, lorsqu’il l’entend de l’addition de nouveaux préceptes. La plénitude de la loi c’est la charité (Rm 13, 18) que le Seigneur a répandue sur les fidèles en leur envoyant l’Esprit saint. La loi est donc accomplie lorsqu’on obéit à ses préceptes ou lorsque les événements réalisent les prédictions qu’elle a faites.

Fauste continue : Reconnaître que Jésus est l’auteur du Nouveau Testament, qu’est-ce autre chose que déclarer qu’il a détruit l’Ancien ? Non, répond saint Augustin, car l’Ancien Testament renferme les figures de l’avenir, qui devaient disparaître devant les réalités apportées par Jésus-Christ, et dans ce fait même les prophètes trouvaient leur accomplissement, puisqu’ils annonçaient que Dieu devait donner aux hommes un nouveau Testament.

Fauste poursuit : Si le Christ a prononcé ces paroles, c’est évidemment dans un autre sens ou (ce qu’on ne peut admettre) c’est un mensonge, ou il n’a rien dit de semblable. Or, personne n’osera dire que le Christ a menti ; ces paroles ont donc une autre signification, ou elles n’ont jamais été dites. Quant à moi, la foi des Manichéens me met en garde contre l’admission de ce chapitre, car elle m’a tout d’abord appris qu’il ne faut pas regarder comme venant du Sauveur tout ce que les Évangélistes lui attribuent, et qu’il y a beaucoup d’ivraie que le glaneur qui rôde pendant la nuit a répandue dans presque toutes les Écritures pour corrompre le bon grain. Saint Augustin répond : Le Manichéen t’a enseigné une opinion impie et perverse en vertu de laquelle tu acceptes dans l’Évangile tout ce qui favorise ton hérésie, et tu rejettes tout ce qui la condamne.

Pour nous, l’Apôtre nous a enseigné cette divine méthode de regarder comme anathème quiconque annoncerait un Évangile différent de celui que nous avons reçu. Et quant à l’ivraie, le Seigneur lui-même nous a expliqué ce que c’était. Ce ne sont point les erreurs qui seraient mêlées à la vérité des Écritures, comme il vous plaît de le dire, mais ce sont les hommes enfants du démon.

Fauste ajoute : Lorsqu’un Juif viendra vous demander pourquoi vous n’observez pas ce que prescrivent la loi et les prophètes, puisque le Christ n’est pas venu les détruire, mus les accomplir, vous serez forcé ou de devenir l’esclave d’une vaine superstition, ou de reconnaître que ce chapitre n’est pas authentique, ou de nier que vous soyiez le disciple du Christ. — Les catholiques, répond saint Augustin, ne sont nullement embarrassés par ce chapitre, comme s’il leur reprochait de ne pas garder la loi et les prophètes, car ils ont dans le cœur l’amour de Dieu et l’amour du prochain, deux préceptes qui résument la loi et les prophètes, et ils savent que tout ce qui, dans l’Ancien Testament, a été prophétisé allégoriquement par les événements, par la célébration des fêtes légales, par les expressions figurées se trouve accompli en Jésus-Christ et en son Église. Donc nous ne devenons pas tributaires d’une vaine superstition, nous ne nions pas la véracité de ce chapitre, et nous ne renonçons pas à être les disciples du Christ. Celui donc qui vient dire : Si le Christ n’avait pas détruit la loi et les prophètes, les anciens rites se seraient perpétués dans les cérémonies chrétiennes, peut ajouter : Si le Christ n’avait pas détruit la loi et les prophètes, sa naissance, sa passion, sa résurrection seraient encore l’objet des promesses. Au contraire, une preuve qu’il n’a pas détruit, mais accompli la loi et les prophètes, c’est justement qu’il ne nous est plus prédit comme devant naître, souffrir et ressusciter, ce que proclamaient toutes les figures de l’ancienne loi ; mais qu’on nous annonce sa naissance, sa mort, sa résurrection comme autant de faits accomplis que nous rappellent à l’envi toutes les solennités chrétiennes. Combien donc est grossière l’erreur de ceux qui pensent que le changement des signes et des rites a dû changer la nature des choses signifiées dont le rite prophétique promettait l’existence, et dont le rite évangélique démontre l’accomplissement.

Fauste ajoute encore : Si le Christ est l’auteur de ces paroles, examinons pourquoi il les a dites. Est-ce pour adoucir la fureur des Juifs qui en le voyant fouler aux pieds ce qu’ils regardaient comme saint ne croyaient pas devoir l’entendre davantage ? Ou bien est-ce pour nous engager à nous soumettre au joug de la loi, nous qui devions croire parmi les Gentils ? Si ce n’est pas l’une de ces raisons, ce doit être l’autre, et en cela le Christ ne nous a pas induit en erreur. Il y a en effet trois sortes de loi, la première est celle des Hébreux, que saint Paul appelle loi de péché et de mort ; la seconde, la loi des Gentils, qu’il appelle naturelle, en disant : « Les nations font naturellement ce que la loi leur commande ; » la troisième, la loi de vérité appelée par saint Paul : « La loi de l’esprit de vie. » Il en est de même des prophètes : il y a les prophètes des Juifs, qui sont connus ; les prophètes des Gentils, dont saint Paul écrivait : « Un de leurs compatriotes et leur prophète a dit. » Enfin les prophètes de la vérité, dont le Christ a dit : « Je vous envoie des sages et des prophètes. » Or, s’il avait parlé des observances judaïques dans le dessein de nous les faire accomplir, nul doute qu’il ne fût ici question de la loi des prophètes des Juifs. Mais il ne rappelle ici que des préceptes plus anciens : « Vous lie tuerez pas, vous ne commettrez pas d’adultère, » qui furent autrefois promulgués par Enoch, par Seth et par d’autres justes ; il est donc évident qu’il veut parler ici de la loi et des prophètes de la vérité. Paraît-il au contraire vouloir parler des préceptes judaïques ; c’est pour les déraciner complètement, comme celui-ci : « Œil pour œil, dent pour dent. » — Saint Augustin répond : On voit clairement quelle est cette loi, quels sont ces prophètes que Jésus-Christ n’est pas venu détruire, mais accomplir : c’est la loi qui a été donnée par Moïse. C’est une erreur de dire, comme Fauste, que le Seigneur est venu accomplir certains préceptes, ceux qui avaient été transmis par les anciens justes avant la loi, comme celui-ci : « Vous ne tuerez pas ; » tandis qu’il en a détruit certains autres qui étaient propres à la loi mosaïque (comme celui-là : « œil pour œil, dent pour dent »), car nous tenons pour vrai que ces derniers préceptes ont été parfaitement conformes au temps où ils furent établis, et que le Christ ne les a pas détruits, mais accomplis, comme nous le prouverons pour chacun d’eux. C’est ce que ne comprenaient pas non plus ces hérétiques appelés Nazaréens, qui, persévérant dans cette croyance perverse, voulaient forcer les Gentils convertis à judaïser.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Comme tous les événements qui devaient se passer depuis le commencement jusqu’à la fin du monde, étaient allégoriquement prophétisés dans la loi, Notre-Seigneur pour éloigner cette pensée que Dieu aurait pu ignorer par avance quelques-uns de ces événements, ajoute : « Il ne peut se faire que le ciel et la terre passent avant que tout ce qui a été prédit dans la loi ne soit accompli et réalisé ; c’est le sens de ces paroles : « Je vous le dis en vérité ; le ciel et la terre ne passeront point que tout ce qui est dans la loi, jusqu’à un seul iota et à un seul point, ne soit accompli parfaitement. »

Remi. Le mot amen est un mot hébreu qui signifie en latin, vraiment, exactement, ou ainsi soit-il. Le Seigneur emploie cette expression pour deux raisons, ou à cause de la dureté de cœur de ceux qui étaient lents à croire, ou pour avertir ceux qui croyaient de prêter une attention plus profonde à ce qui allait suivre. — S. Hil. (Can. 4.) En s’exprimant de la sorte : « Jusqu’à ce que le ciel et la terre pussent, » il déclare que le ciel et la terre, qui sont les principaux éléments de la création, seront dissous comme nous le croyons nous-mêmes. — Remi. Ils demeureront quant à leur substance, mais ils passeront en ce sens qu’ils seront renouvelés. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Par ces paroles : « Un seul iota ou un seul point de la loi ne passera » le Sauveur exprime avec énergie la perfection qui est renfermée dans chacune des lettres de la sainte Écriture. Parmi ces lettres la plus petite est l’iota, qui s’écrit d’un seul trait. Le point est un petit signe qui surmonte l’iota à son sommet. En s’exprimant ainsi, le Seigneur nous apprend que dans la loi les petites choses doivent être accomplies avec soin. — Rab. C’est avec un dessein marqué qu’il emploie l’iota grec, et non l’iota des Hébreux, car l’iota exprime le nombre dix et par là même le nombre des préceptes du Décalogue dont l’Évangile est le point extrême et le plus haut degré de perfection.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Si un homme ami de la vérité ne peut s’empêcher de rougir lorsqu’on surprend un mensonge sur ses lèvres, et si l’homme sage ne promet jamais rien qu’il ne l’exécute, comment les paroles divines pourront-elles demeurer sans effet ? Et c’est pour cela qu’il conclut en disant : « Quiconque violera un de ces commandements les plus petits de tous et enseignera aux hommes à les violer, sera regardé comme le dernier dans le royaume de Dieu. » Le Seigneur nous fait entendre clairement, ce me semble, quels sont ces commandements les moindre de tous, en disant : « Celui qui violera l’un de ces moindres commandements, » c’est-à-dire, ceux dont je vais parler. — S. Chrys. (hom. 16.) Ce n’est point des lois anciennes qu’il veut parler ici, mais des préceptes qu’il devait lui-même imposer ; il les appelle les plus petits quoique de la plus grande importance, par ce même sentiment d’humilité avec lequel il s’est si souvent exprimé sur son propre compte. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien autrement, les commandements de Moïse, « Vous ne tuerez pas, vous ne commettrez pas d’adultère, » sont d’un accomplissement facile, car l’énormité du crime effraie et arrête la volonté ; aussi la récompense qu’ils promettent est minime, bien que le crime qu’ils défendent soit grand. Les commandements du Christ au contraire : « Vous ne vous mettrez pas en colère, vous ne convoiterez pas, » sont difficiles à observer, et par la même raison, la récompense qui les sanctionne est grande, bien que ce qu’ils défendent soit léger. Il s’agit donc ici de ces préceptes du Christ : « Vous ne vous mettrez pas en colère, vous ne convoiterez pas. » Ceux qui commettent ces fautes légères seront les derniers dans le royaume de Dieu ; c’est-à-dire celui qui se sera mis en colère sans commettre un grand péché, n’aura pas à craindre la peine de la damnation éternelle, mais il ne partagera pas la gloire de ceux qui auront observé ces commandements de moindre importance. — S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 1, chap. 15, 16 ou 8.) Ou bien, au contraire, ces moindres commandements sont ceux de la loi ancienne, et ce sont les préceptes que le Christ va promulguer qui sont de la plus haute importance. Ces préceptes moindres que les autres sont indiqués ici par l’iota et par le point, celui-là donc qui les viole et qui enseigne aux autres à les violer de même sera appelé le dernier dans le royaume de Dieu. Et peut-être même n’entrera-t-il pas dans ce royaume des cieux, ou Dieu n’admet que ceux qui sont vraiment grands.

La Glose. Violer la loi, c’est ne pas faire ce qu’ordonne la loi bien comprise, ou ne pas comprendre la fausse interprétation qu’on lui donne, ou détruire dans quelqu’une de ses parties l’ensemble des commandements ajoutés par le Christ.

 

S. Chrys. (hom. 16.) Ou bien dans ces paroles : « Il sera appelé le dernier dans le royaume des cieux, il ne faut voir autre chose que le supplice de la damnation éternelle. En effet, dans le langage ordinaire du Sauveur, le royaume des cieux ne signifie pas seulement la jouissance du bonheur éternel, mais le temps de la résurrection, et l’avènement terrible du Christ. — S. Grég. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien par le Royaume des cieux il faut entendre l’Église où tout docteur qui viole un commandement de la loi est regardé comme le dernier, car celui dont la conduite est méprisable, comment peut-il empêcher que son enseignement ne soit méprisé ? — S. Hil. (can. 4.) Ou bien, par ces moindres choses, le Seigneur fait allusion à sa passion et à sa croix ; celui qui par une fausse honte ne les confessera pas hautement, sera le plus petit, c’est-à-dire le dernier, et presque rien. Le Sauveur promet au contraire la gloire magnifique des cieux à celui qui ne rougira pas de les confesser ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Mais celui qui fera et enseignera sera appelé grand dans le royaume des cieux. » — S. Jér. Le Seigneur flétrit ici la conduite des Pharisiens qui, n’ayant que du mépris pour les commandements de Dieu, leur substituaient leurs propres traditions, et il leur apprend que l’enseignement qu’ils donnent au peuple perd tout son prix, s’ils détruisent le plus petit commandement de la loi. Voici encore une autre explication : c’est que la science du maître, ne fût-il esclave que d’une faute légère, le fait descendre de la place élevée qu’il occupait ; c’est qu’il ne sert de rien d’enseigner la justice si on la détruit en même temps par la moindre faute ; c’est qu’on n’est souverainement heureux qu’en traduisant dans sa conduite les enseignements que l’on donne aux autres. — S. Aug. On bien encore, celui qui violera les plus petits des commandements de la loi, et qui enseignera à les violer, sera appelé le dernier ; celui au contraire qui accomplira ces moindres commandements, et qui enseignera à les accomplir, ne devra pas être regardé comme grand, mais il sera toutefois au-dessus de celui qui les viole. Celui-là seul sera vraiment grand qui pratiquera et enseignera ce que le Christ enseigne.

 

vv. 20-22

S. Hil. (can. 4.) Dans ce magnifique début le Sauveur s’élève bien au-dessus de la loi ancienne ; il déclare aux apôtres que l’entrée du ciel leur est fermée, si leur justice n’est supérieure à celle des Pharisiens ; c’est le sens de ces paroles : « Je vous le dis en vérité, à moins que votre justice ne soit plus abondante, etc. — S. Chrys. (hom. 16.) La justice dont il parle ici est la réunion de toutes les vertus, pour la pratique desquelles il faut ajouter le secours de la grâce : car le Sauveur veut que ses disciples, tout grossiers qu’ils sont encore, se montrent plus vertueux que les docteurs de la loi ancienne. Il ne dit pas que les Scribes et les Pharisiens sont des hommes d’iniquité, puisqu’il parle de leur justice. Remarquez aussi qu’il confirme la vérité de l’Ancien Testament, par la comparaison qu’il en fait avec le Nouveau ; ils ne différent que du plus du moins, et sont du même genre. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Les justices des Scribes et des Pharisiens sont les commandements donnés par Moïse, et les commandements de Jésus-Christ sont le parfait accomplissement des premiers. Voici donc le sens des paroles du Sauveur : « Celui qui indépendamment des commandements de la loi n’accomplira pas ceux que je donne moi-même, quelque peu importants qu’ils lui paraissent, celui-là n’entrera pas dans le royaume des cieux ; » car les commandements de Moïse délivrent bien de la peine portée contre les transgresseurs de la loi, mais ils ne peuvent introduire dans le royaume des cieux, tandis que mes commandements délivrent du châtiment et tout à la fois donnent entrée dans le royaume des cieux. Mais puisqu’il est certain que violer ces moindres commandements et ne pas les observer est une seule et même chose, pourquoi est-il dit plus haut que celui qui les viole sera appelé le dernier dans le royaume de Dieu, tandis que nous voyons ici que celui qui ne les garde pas n’entrera point dans le royaume des cieux ? Je réponds à cela qu’être le dernier dans le royaume, ou n’y pas entrer reviennent au même, et qu’être simplement du royaume, ce n’est pas régner avec le Christ, mais faire seulement partie de son peuple. Il veut donc dire que celui qui viole ces commandements sera du nombre des chrétiens, mais relégué au dernier rang ; celui au contraire qui entre dans le royaume devient participant de la royauté du Christ : par conséquent, celui qui n’y entre pas n’a point de part à cette gloire, mais il est cependant de son royaume, en ce sens qu’il est du nombre de ceux sur lesquels règne le Christ, le roi des cieux.

 

S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 20, chap. 9.) On peut encore donner cette explication : « Si votre justice n’est plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens qui n’observent pas ce qu’ils enseignent, et dont il est dit ailleurs : « Ils disent et ne font pas ; » c’est-à-dire si votre justice n’atteint ce degré de perfection non-seulement de ne pas violer, mais de pratiquer ce que vous enseignez, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. Il faut donc entendre dans un sens différent le royaume des cieux, là où nous rencontrons ces deux sortes de personnes, celui qui transgresse ce qu’il enseigne, et celui qui le pratique, l’un appelé le plus petit, et l’autre grand ; ce royaume c’est l’Église actuelle. Au contraire le royaume des cieux dans lequel n’entre que celui qui observe les commandements c’est l’Église telle qu’elle existera dans le siècle à venir. — S. Aug. (cont. Faust. liv. 9 et 10.) Je ne sais si on pourrait trouver nommé une seule fois dans l’Ancien Testament ce royaume de Dieu dont il est si souvent question dans les discours du Seigneur. C’est une des révélations propres au Nouveau Testament, et cette révélation était réservée aux lèvres de ce roi dont l’Ancien Testament figurait l’empire sur ses serviteurs. Cette fin à laquelle doivent se rapporter les commandements demeurait voilée sous l’ancienne loi, bien que les Saints qui la voyaient révélée dans l’avenir, en faisaient dès lors la règle de toute leur vie. — La Glose. Ou bien encore ces paroles : « Si votre justice n’est plus abondante, » ne se rapportent pas à ce que prescrivait l’ancienne loi, mais à la manière dont les Scribes et les Pharisiens l’interprétaient. — S. Aug. (cont. Faust. liv. 19, chap. 28.) Presque tous les préceptes que le Sauveur fait précéder de ces mots : « Mais moi, je vous dis, » se trouvent dans les livres de l’Ancien Testament ; mais comme les Pharisiens ne comprenaient sous la défense de l’homicide que le seul fait de la mort donnée au prochain, le Seigneur leur découvre que tout mouvement de haine qui tend à nuire à notre frère fait partie du péché d’homicide. C’est pourquoi il ajoute : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Vous ne tuerez pas. » S. Chrys. (sur S. Matth.) Le Christ voulant montrer qu’il est le même Dieu qui avait promulgué les préceptes de la loi ancienne, et qui donne ceux de la loi de grâce, pose en tête de ses préceptes ceux qui dans l’ancienne loi se trouvaient avant tous les autres, c’est-à-dire les préceptes prohibitifs qui ont pour objet le prochain.

S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 20.) De ce qu’il est écrit : Vous ne tuerez pas, nous ne concluons pas que c’est un crime d’arracher un arbrisseau, erreur grossière des Manichéens ; nous n’appliquons pas non plus ce précepte aux animaux sans raison ; car en vertu de l’ordre plein de sagesse établi par le Créateur, leur vie comme leur mort sont soumises à nos besoins. C’est donc de l’homme qu’il faut entendre ces paroles : « Vous ne tuerez pas ; » vous ne tuerez pas un autre, vous ne vous tuerez pas vous-même ; car celui qui se donne la mort, que fait-il d’autre chose que de donner la mort à un homme ? N’allons pas voir non plus une violation de ce précepte dans la conduite de ceux qui ont fait la guerre par l’ordre de Dieu, ou qui dépositaires du pouvoir public ont usé de leur autorité pour prononcer contre des scélérats la juste sentence qui les condamnait à mort. Abraham lui-même qui voulut mettre à mort son fils pour obéir à Dieu, non-seulement n’est pas accusé de cruauté ; mais l’Écriture fait le plus grand éloge de sa foi et de sa religion. Il ne faut donc pas comprendre dans ce précepte ceux que Dieu commande de mettre à mort, ou par une loi générale, ou dans un cas particulier, par un ordre exprès et transitoire. On ne peut non plus considérer comme homicide celui qui prête son concours à l’exécution d’un ordre légitime, pas plus que celui qui donne son appui au magistrat qui porte le glaive ; et on ne peut excuser autrement Samson de s’être enseveli avec ses ennemis sous les ruines de la maison où il se trouvait, qu’en disant qu’il obéit en cela à l’inspiration secrète de l’Esprit qui avait opéré par lui tant de prodiges.

S. Chrys. (hom. 19.) Par cette formule : « Il a été dit aux anciens, » le Sauveur nous apprend qu’il y avait bien longtemps que ce commandement avait été donné aux Juifs. Il s’exprime ainsi pour entraîner vers des préceptes plus élevés, les esprits lents qui l’écoutaient, comme un maître qui voulant stimuler un enfant paresseux par le désir d’une instruction supérieure lui dirait : Vous avez perdu beaucoup de temps à épeler. Or le Seigneur ajoute : « Mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère contre son frère, méritera d’être condamné par le jugement. » Remarquez dans ces paroles la puissance du législateur ; aucun des anciens n’avait parlé de la sorte, mais ils s’exprimaient ainsi : « Le Seigneur a dit. » Ils parlaient comme des serviteurs qui portent les ordres de leur maître ; Jésus-Christ parle comme le fils qui commande au nom de son père et en son propre nom. Ils annonçaient les ordres de Dieu à ceux qui étaient comme eux les serviteurs de Dieu ; Jésus-Christ imposait ses lois à ses propres serviteurs. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 9, chap. 10.) Il y a parmi les philosophes deux opinions sur les passions de l’âme. Les Stoïciens ne veulent pas qu’un sage puisse y être accessible ; les Péripatéciens admettent que le sage peut les éprouver, mais modérées toutefois et soumises à la raison, comme lorsque le sentiment de la compassion est tellement tempéré qu’il sauvegarde les droits de la justice. (Et au commencement du chap. 5.) D’après les principes de la doctrine chrétienne, il est moins question de savoir si une âme pieuse peut se livrer au sentiment de la colère ou de la tristesse, que de connaître la source de ces impressions. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Celui qui se met en colère sans raison est coupable ; si sa colère est motivée, il cesse de l’être, car sans cette irritation légitime, la doctrine ne fait aucun progrès ; la justice n’a point de stabilité ; les crimes ne sont point réprimés. Celui donc qui ne se met pas en colère lorsqu’il le doit, commet une faute, car la patience qui est déraisonnable devient la source de tous les vices, nourrit la négligence, et porte directement au mal, non-seulement les mauvais, mais les bons eux-mêmes.

S. Jér. Dans quelques exemplaires, on lit ces mots : sans cause, mais dans les plus exacts, la pensée est claire, et la colère est tout à fait défendue, car s’il nous est ordonné de prier pour nos persécuteurs, quelle occasion nous reste-t-il de nous mettre en colère ? Il faut donc supprimer cette addition : « Sans cause, » car « la colère de l’homme n’opère pas la justice de Dieu. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cependant la colère qui a une cause légitime n’est pas colère, mais jugement, car la colère proprement dite est une émotion produite par la passion. Or, lorsque la colère a une cause raisonnable, elle n’est plus le fruit de la passion, et alors ce n’est plus de la colère, mais du jugement. — S. Aug. (liv. 1 des Rétract., chap. 19.) Nous disons encore qu’il faut considérer attentivement ce que c’est que la colère contre son frère, car ce n’est pas se mettre en colère contre son frère que de s’irriter du mal qu’il a commis. Celui-là donc se met en colère sans raison, qui s’emporte contre son frère et non contre le péché dont il s’est rendu coupable. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 14, chap. 5.) Aucun homme raisonnable ne blâmera qu’on se mette en colère contre son frère pour le ramener au bien. Ces mouvements qui sont produits par l’amour de la vertu et par la sainte charité ne doivent pas être considérés comme des vices, puisqu’ils sont conformes à la droite raison. — S. Chrys. (sur S. Matth.) D’ailleurs je pense que Notre-Seigneur Jésus-Christ ne parle pas ici de l’irritation qui vient du sang, mais de la colère qui a sa source dans l’âme, car on ne peut commander au sang de ne pas se troubler. Lorsque donc un homme irrité ne cède pas aux inspirations de la colère, ce n’est pas l’âme, c’est l’homme extérieur et sensible qui est irrité. — S. Aug. Dans cette première partie, il n’est question que d’une seule chose, de la colère ; dans la seconde, le Sauveur condamne à la fois la colère et les paroles qui en sont l’expression : « Celui, » continue-t-il, « qui dira à son frère : Raca, méritera d’être condamné par le conseil. » Il en est qui veulent tirer du grec l’étymologie de ce mot raca, et comme racos (ρακος) en grec signifie haillons, ils en concluent que ce mot veut dire : couvert de haillons. Mais il est plus probable que ce mot n’a aucune signification déterminée, et qu’il exprime simplement le mouvement d’une âme pleine d’indignation. Les grammairiens appellent ces sortes de mots interjections, comme lorsqu’un homme dans la douleur s’écrie : hélas ! — S. Chrys. (homél. 16.) Ou bien raca est un terme de mépris et de dédain ; cette locution correspond à celle dont nous nous servons en parlant à nos serviteurs ou à des personnes plus jeunes que nous : « Va-t’en toi, va le lui dire, toi. » C’est ainsi que le Seigneur veut déraciner jusqu’aux moindres effets de la colère, et qu’il nous ordonne d’avoir les uns pour les autres les plus grands égards. — S. Jér. Ou bien raca est un mot hébreu qui signifie sans valeur, esprit vide et qui équivaut à cette expression injurieuse : sans cervelle que nous n’oserions employer. C’est avec intention qu’il ajoute : « Celui qui dira à son frère. » Car nul ne peut être notre frère sans avoir le même père que nous. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est une indignité de dire à un homme qu’il n’a rien en lui, alors que son âme est le temple de l’Esprit saint. — S. Aug. La troisième partie de ce précepte comprend trois choses, la colère, les paroles qui la manifestent, l’outrage qu’elles expriment : « Celui qui dira à son frère vous êtes un fou, sera passible du feu de l’enfer. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) Il y a donc divers degrés dans ces péchés que la colère nous fait commettre : le premier est de se mettre en colère, tout en comprimant le mouvement de la colère dans son cœur ; si l’agitation intérieure se trahit par une parole qui ne signifie rien, mais dont l’éclat seul atteste l’irritation de l’âme, il y a un degré de plus que dans la colère dont le mouvement est réprimé par le silence. Mais on est bien plus coupable encore si l’on s’emporte à des paroles évidemment outrageantes. — S. Chrys. (sur S. Matth.) De même qu’on ne peut appeler esprit vide celui qui possède l’Esprit saint, on ne peut appeler insensé celui qui connaît Jésus-Christ. Mais si le mot raca a le même sens que vide, c’est donc une même chose de dire, insensé et raca. Oui, mais ces deux mots diffèrent dans l’intention de celui qui les profère : le mot raca chez les Juifs était une expression en usage qu’ils employaient non pas sous l’impression de la colère ou de la haine, mais par un vain mouvement de présomption plutôt que par un sentiment de colère. Mais si la colère n’y a aucune part, pourquoi est-ce un péché ? Parce que c’est une expression qui favorise la dispute plutôt que l’édification, car si nous ne devons pas prononcer même une bonne parole, à moins qu’elle ne soit utile, combien plus devons-nous nous interdire ce qui est tout à fait mal en soi ?

S. Aug. (serm. sur la mont.) Voici donc trois degrés de culpabilité qui nous rendent passibles du jugement, du conseil, du feu de l’enfer, et par lesquels le Sauveur nous fait monter de ce qui est léger à ce qui est plus grave. Dans le jugement, en effet, on peut encore se défendre ; mais au conseil, il appartient de prononcer la sentence définitive, après que les juges ont conféré entre eux sur le châtiment qu’ils doivent infliger au coupable ; dans la géhenne du feu, la condamnation est certaine aussi bien que le châtiment de celui qui est condamné. On voit donc la différence qui existe entre la justice des pharisiens et celle de Jésus-Christ : d’un côté l’homicide seul rend passible du jugement, de l’autre il suffit d’un simple mouvement de colère qui est le plus faible des trois degrés dont nous avons parlé. — Rab. Par le mot de géhenne, le Sauveur veut exprimer ici les tourments de l’enfer. On croit que ce nom vient d’une vallée consacrée aux idoles, près de Jérusalem, qui était remplie de cadavres, et que Josias livra à la profanation, comme nous le lisons au livre des Rois (4 R 23, 10). — S. Chrys. (hom. 10.) C’est pour la première fois que le Sauveur prononce le mot d’enfer, et il ne le fait qu’après avoir parlé de son royaume, pour nous apprendre que l’un est un don de son amour, tandis que l’autre n’est que la punition de notre négligence et de notre lâcheté. Il en est beaucoup qui regardent comme trop sévère cette peine infligée pour une seule parole ; aussi quelques-uns voudraient-ils ne voir ici qu’une hyperbole. Mais je crains qu’en nous abusant ici-bas sur le sens des paroles, nous ne nous réservions en réalité le dernier supplice dans l’autre vie. Ne regardez donc pas ce châtiment comme excessif, car les paroles sont pour la plupart des hommes le principe de leurs crimes et de leurs châtiments. Que de fois, en effet, des paroles légères ont conduit à l’homicide ou à la destruction de villes entières ! Et d’ailleurs estimez-vous donc une faute légère que de traiter son frère de fou, et de le dépouiller ainsi de la prudence, de l’intelligence, qui nous font ce que nous sommes, et nous distinguent des animaux sans raison. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien il sera passible du conseil, c’est-à-dire qu’il fera partie de ce conseil qui s’est déclaré contre le Christ, interprétation qui est celle des Apôtres dans leurs canons. S. Hil. (Can. 4.) Ou bien celui qui traite d’esprit vide son frère qui est rempli de l’Esprit saint, méritera d’être traduit devant le conseil des saints, qui, devenus ses juges, lui feront expier par une sentence sévère l’outrage qu’il a fait à l’Esprit saint. — S. Aug. (serm. sur la mont.) On me demandera peut-être quel supplice plus grave est réservé à l’homicide, si le simple outrage est puni par le feu de l’enfer ; je répondrai qu’il faut admettre divers degrés dans les supplices de l’enfer. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien le jugement et le conseil sont des peines de la vie présente, et l’enfer le châtiment de la vie future. Jésus donne le jugement pour châtiment à la colère, pour montrer que s’il n’est pas possible à l’homme d’être tout à fait sans passions, il est en son pouvoir de leur mettre un frein ; et la raison pour laquelle il n’assigne pas à la colère de châtiment déterminé, c’est qu’il ne veut point paraître l’interdire entièrement. Il met ici le conseil par allusion au grand conseil des Juifs, pour ne point passer toujours pour un novateur.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Dans ces trois sentences, il faut faire attention aux mots qui sont sous-entendus. La première est complète et ne laisse rien à désirer : « Celui qui se met en colère » (sans cause selon quelques-uns) ; dans la seconde : « Celui qui dit à son frère : raca. » il faut sous-entendre sans cause ; et dans la troisième : « Celui qui dira : Vous êtes un insensé, » il faut sous-entendre : « à son frère et sans cause ? » C’est ainsi qu’on justifie l’Apôtre d’avoir appelé insensés (Ga 3, 3) les Galates qu’il nomme ses frères, parce qu’il ne l’a pas fait sans raison.

 

vv. 23-24.

S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 10 ou 20.) S’il n’est pas permis de se mettre en colère contre son frère, ni de lui dire raca ou vous êtes un fou, à plus forte raison est-il défendu de conserver quelque chose contre lui dans son cœur, et de laisser changer en haine le premier mouvement d’indignation. Aussi le Sauveur ajoute : « Si vous présentez votre offrande à l’autel, et que vous vous souveniez que votre frère a quelque chose contre vous. » — S. Jér. Il ne dit pas : « Si vous avez quelque chose contre votre frère, » mais « si votre frère a quelque chose contre vous, » pour vous montrer combien est sévère et pressante la nécessité de la réconciliation. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Notre frère a quelque chose contre nous, lorsque nous l’avons offensé ; nous avons quelque chose contre lui, lorsque nous sommes nous-mêmes les offensés. Dans ce dernier cas, nous n’avons pas à provoquer une réconciliation, vous n’irez pas en effet demander pardon à celui qui vous a outragé, il suffit que vous lui pardonniez, comme vous désirez que Dieu vous pardonne les fautes que vous avez commises. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si c’est lui qui vous a offensé, et que vous fassiez les premières avances, votre récompense sera grande. — S. Chrys. (hom. 16) Si toutefois la charité fraternelle est un motif insuffisant de réconciliation pour quelques-uns, qu’ils songent au moins à ne pas laisser leur oeuvre imparfaite surtout dans le lieu saint : « Laissez-là votre offrande devant l’autel, ajoute-t-il, et allez vous réconcilier avec votre fière. » — S. Grég. (sur Ezéchiel.) Dieu ne veut donc pas recevoir le sacrifice des chrétiens divisés entre eux. Jugez de là quel grand mal est la discorde, puisqu’elle force Dieu de rejeter le moyen qu’il nous a donné pour effacer nos péchés.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Voyez la grandeur de la miséricorde de Dieu, il préfère notre propre utilité aux honneurs qui lui sont dus ; l’union des fidèles lui est plus chère que leurs offrandes ; tant qu’ils sont divisés entre eux, ni leurs sacrifices ne sont acceptés, ni leurs prières exaucées. On ne peut être l’ami intime de deux personnes ennemies entre elles, et Dieu lui-même ne veut pas être l’ami des fidèles, tant qu’ils demeurent ennemis les uns des autres. Nous ne pouvons donc rester fidèles à Dieu, en aimant ses ennemis, en détestant ses amis. Or la réconciliation doit être de même nature que l’offense qui a précédé. S’est-elle bornée à une simple pensée, réconciliez-vous intérieurement ; avez-vous offensé votre frère par des paroles injurieuses, réconciliez-vous par des paroles charitables ; avez-vous été jusqu’à des actes outrageants, opposez-leur pour vous réconcilier des actes contraires, car la pénitence et la réparation doivent avoir le même caractère que le péché qui a été commis. — S. Hil. (can. 4.) La paix étant assurée avec le prochain, le Sauveur nous ordonne de reprendre l’oeuvre de la paix avec Dieu ; il veut que nous nous élevions de l’amour de nos frères jusqu’à l’amour de Dieu, et c’est pour cela qu’il ajoute : « Alors vous viendrez offrir votre don. »

S. Aug. (serm. sur la mont.) Si cette recommandation doit être prise au littéral, on est fondé à croire qu’elle n’est possible qu’autant que notre frère est présent, car ce n’est pas une chose qu’on puisse traîner en longueur, puisqu’on vous commande de laisser votre offrande devant l’autel. Or, si cette pensée vous vient lorsque votre frère est absent, et ce qui peut arriver, au delà des mers, il serait absurde de croire qu’il faille laisser le sacrifice devant l’autel pour le continuer après avoir parcouru les terres et les mers. Nous sommes donc obligés de recourir au sens spirituel et caché de ces paroles pour échapper à une pareille absurdité. Ainsi nous pouvons entendre spirituellement l’autel de la foi, car quelque offrande que nous puissions faire à Dieu, science, prière ou toute autre chose, elle ne peut lui être agréable sans avoir la foi pour appui. Si donc vous vous êtes rendus coupables de quelque offense envers votre frère, il vous faut aller au-devant de la réconciliation, non par les pas du corps, mais par l’élan du cœur. C’est là que vous devez vous prosterner aux pieds de votre frère dans un profond sentiment d’humilité, en présence de celui à qui vous devez offrir votre sacrifice. C’est ainsi qu’agissant en toute sincérité, vous pourrez apaiser votre frère et lui demander votre pardon, comme s’il était présent. Vous reviendrez ensuite, c’est-à-dire vous ramènerez votre intention sur l’oeuvre que vous aviez commencée, et vous offrirez votre sacrifice.

 

v. 25.

S. Hil. (can. 4.) Le Seigneur ne veut pas qu’il y ait un seul instant de notre vie où ne nous professions un vif amour pour la paix. Il nous commande donc de nous réconcilier au plus tôt avec notre ennemi, tandis que nous sommes dans le chemin de la vie, afin de ne pas arriver au moment de la mort sans avoir fait la paix : « Accordez-vous promptement avec votre adversaire, nous dit-il, pendant que vous êtes en chemin avec lui, de peur que votre adversaire ne vous livre au juge. — S. Jér. Dans le grec, au lieu du mot consentiens (qui est d’accord), qui se trouve dans les exemplaires latins, ou lit : ευνοων, bienveillant.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Examinons quel est cet adversaire que Dieu nous ordonne de traiter en ami : c’est ou le démon, ou l’homme, ou la chair, ou Dieu, ou son commandement. Quant au démon, je ne vois pas comment nous serions obligés de lui témoigner de la bienveillance ou du bon accord ; car la bienveillance suppose l’amitié, et personne n’oserait dire que nous devions rechercher celle du démon. Nous serait-il plus avantageux de faire la paix avec celui à qui nous avons renoncé et déclaré par là même une guerre éternelle ? Enfin, aucun accord n’est possible avec celui qui ne nous a plongés dans tous nos malheurs que par l’union qui existait entre nous et lui. — S. Jér. Il en est cependant qui prétendent que le Sauveur nous ordonne de nous montrer bienveillant pour le démon, en ne l’exposant point aux nouveaux supplices que Dieu lui inflige pour nous, disent-ils, toutes les fois que nous consentons à ses funestes inspirations. Quelques autres avancent avec plus de réserve que chacun de nous, en renonçant au démon dans le baptême, contracte un engagement avec lui. Si nous sommes fidèles à cet engagement, nous sommes, avec notre adversaire, dans les termes voulus de la bienveillance et du bon accord, et nous n’avons pas à craindre d’être jetés dans la prison.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Je ne vois pas non plus comment admettre que nous serons livrés à notre juge par un homme, alors que ce juge est le Christ devant le tribunal duquel nous devons tous comparaître. Comment cet homme pourrait-il vous remettre entre les mains de votre juge, lui qui doit comparaître lui-même devant son tribunal ? En supposant même qu’un homme devienne l’adversaire de son frère en lui donnant la mort, il ne lui est plus possible de faire la paix avec lui dans le chemin, c’est-à-dire pendant cette vie, et cependant le repentir pourra guérir son âme. Je comprends beaucoup moins encore qu’on nous ordonne de nous mettre d’accord avec la chair, car ce sont surtout les pécheurs qui vivent en parfait accord avec elle. Ceux, au contraire, qui la réduisent en servitude, ne s’accordent pas avec la chair, mais la forcent de s’accorder avec eux. — S. Jér. Comment d’ailleurs la chair serait-elle condamnée à la prison pour avoir été en désaccord avec l’âme, puisque l’âme et la chair seront punies du même supplice, et que la chair ne fait qu’obéir aux ordres de l’âme.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Peut-être est-ce avec Dieu qu’il nous est ordonné de nous mettre d’accord, car le péché nous sépare de lui, et il devient notre adversaire en nous résistant, selon cette parole : Dieu résiste aux superbes (1 P 5 ; Jc 4, 6 ; Pv 3, 34). Tout homme donc qui, pendant cette vie, ne se sera pas réconcilié avec Dieu par la mort de son Fils, sera livré par lui au juge, c’est-à-dire au Fils à qui le Père a donné tout jugement. Mais comment peut-on dire avec quelque raison que l’homme se trouve dans le chemin avec Dieu, si ce n’est parce que Dieu est partout ? Éprouvons-nous quelque difficulté à dire que les impies sont avec Dieu, qui est partout, comme à dire que les aveugles sont avec la lumière qui les environne ? Il ne nous reste plus qu’à voir dans cet adversaire le commandement de Dieu, qui se montre contraire à ceux qui veulent pécher. Ce commandement nous a été donné pour nous diriger dans le chemin de la vie ; il ne faut point tarder à nous accorder avec lui, en le lisant, en l’écoutant avec attention, en lui donnant sur nous une souveraine autorité. Si nous comprenons en partie ce précepte, nous ne devons pas le haïr, parce qu’il est contraire à nos péchés, mais nous devons l’en aimer davantage, parce qu’il nous fait rentrer dans le devoir et prier Dieu de nous révéler ce qui lui reste d’obscur pour nous.

S. Jér. Cependant les antécédents démontrent avec évidence, ce nous semble, que le Seigneur veut nous parler ici de l’union produite par la charité fraternelle, puisqu’il est dit plus haut : « Allez vous réconcilier avec votre frère. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le Seigneur nous presse de nous hâter pendant cette vie de rechercher l’amitié de nos ennemis, car il sait quel danger nous courons, si l’un d’eux vient à mourir avant que nous ayons fait la paix avec lui. Si la mort vous surprend et que vous paraissiez devant votre juge dans cet état d’inimitié, votre ennemi vous livrera au Christ et vous convaincra de crime devant son tribunal. Vous eût-il demandé d’abord comme une grâce de vous réconcilier, il ne laissera pas de vous livrer entre les mains du juge, car celui qui prie son ennemi de lui accorder la paix augmente sa culpabilité aux yeux de Dieu. — S. Hil. Ou bien votre adversaire vous livrera au juge, parce que cette haine secrète que vous faites peser continuellement sur lui, sera votre accusateur devant Dieu. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ce juge, à mon avis, c’est le Christ, car le Père a donné tout jugement au Fils. (Jn 5, 23.) Le ministre, c’est l’ange de la justice de Dieu ; « Et les anges, dit l’Évangéliste, le servaient. » (Mt 4.) Nous croyons en effet qu’au jour du jugement les anges formeront son cortège. Voilà pourquoi il ajoute : « Et que le juge ne vous livre au ministre. »

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore ce ministre, c’est l’ange redoutable du châtiment, et c’est lui qui vous enverra dans le cachot de l’enfer signifié par ces paroles : « Et vous serez jeté en prison. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) La prison, ce sont les peines des ténèbres, et, dans la crainte que vous ne méprisiez ce supplice, il ajoute : Je vous le dis en vérité, vous ne sortirez point de là que vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole. » — S. Jér. L’obole est une pièce de monnaie qui vaut environ deux liards, la plus petite espèce de monnaie, et ces paroles du Sauveur veulent dire : « Vous n’en sortirez pas que vous n’ayez expié vos fautes les plus légères. » — S. Aug. Ou bien Notre-Seigneur emploie ces expressions pour nous marquer que rien ne reste impuni ; c’est ainsi que nous disons d’une chose exigée jusqu’à la rigueur, qu’on a été jusqu’à la lie. Ou bien cette dernière obole signifie peut-être les péchés de la terre, car la terre est la quatrième et la dernière partie des éléments de ce monde. Ces paroles : « Que vous n’ayez payé » signifient la peine éternelle, et l’expression jusqu’à ce que doit être prise dans le même sens que dans cette autre phrase : « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied ; » car il est évident que son règne ne cessera pas lorsque ses ennemis lui seront soumis. « Vous n’en sortirez pas que vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole, » ce qui n’arrivera jamais, car on y paiera tout, jusqu’à la dernière obole, tant que dureront les peines éternelles dues aux péchés qui ont été commis sur la terre.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, si vous faites votre paix en ce monde, vous pourrez recevoir le pardon des plus grands crimes, mais si vous êtes une fois condamné et jeté en prison, vous serez puni, non-seulement pour vos fautes les plus graves, mais pour une seule parole oiseuse qui peut être signifiée par cette obole dont il est ici parlé. — S. Hil. La charité couvre la multitude des péchés ; nous paierons donc jusqu’à la dernière obole si, à l’aide de cette divine charité, nous n’acquittons pas les dettes de nos péchés.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, par cette prison, on peut entendre les angoisses de ce monde auxquelles Dieu condamne ceux qui se livrent habituellement au péché. — S. Chrys. (hom. 16.) On peut dire enfin qu’il est ici question des juges de la terre, du chemin qui conduit à leur tribunal et des prisons d’ici-bas, car Notre-Seigneur veut produire la persuasion dans ceux qui l’écoutent, non-seulement par les choses de l’éternité, mais aussi par celles du temps, qui sont devant nos yeux et de nature à nous impressionner davantage. C’est dans ce sens que saint Paul disait « Si vous avez mal fait, craignez le pouvoir, car ce n’est pas sans raison qu’il est armé du glaive. »

 

vv. 27-28

S. Chrys. (hom. 17 sur S. Matth.) Le Sauveur procède par ordre et après avoir développé le premier précepte : « Vous ne tuerez pas ; » il passe au second : « Vous savez qu’il a été dit aux anciens : « Vous ne commettrez pas d’adultère. »

S. Aug. (Des dix cordes, chap. 3, 9, 10.) C’est-à-dire vous ne vous approcherez pas d’une autre que de votre épouse. Vous exigez de votre épouse qu’elle observe fidèlement cette loi et vous ne l’observeriez pas à son égard, vous qui devez lui être supérieur en vertus ? Il est honteux pour un homme de dire : Cela m’est impossible. Comment, ce que la femme peut faire, l’homme ne le pourrait pas ? Et ne dites pas : Je n’ai pas d’épouse, je vais trouver une courtisane, et je ne viole pas le précepte qui défend l’adultère ; car vous savez ce que vous valez, vous savez ce que vous mangez et ce que vous buvez, ou plutôt vous savez quel est celui qui devient votre nourriture et votre breuvage. Abstenez-vous donc de toute fornication. Par la fornication et par les débordements du libertinage, vous dégradez l’image de Dieu que vous portez en vous-même. Aussi le Seigneur qui sait ce qui vous est utile, vous commande de ne point laisser écrouler sous les coups dissolvants des voluptés criminelles son temple qu’il a commencé d’élever dans votre âme.

S. Aug. (contre Fauste, 19, 23.) Mais comme les Pharisiens pensaient que la seule union charnelle avec la femme d’autrui était défendue sous le nom d’adultère, le Seigneur leur apprend que le désir seul de cette union était un véritable adultère : « Mais moi je vous dis que quiconque aura regardé une femme pour la convoiter a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. Quant à ce commandement de la loi : « Vous ne désirerez pas la femme de votre prochain, » (Ex 20, 17 ; Dt 5, 21) les Juifs l’entendaient de l’enlèvement de la femme d’autrui, et non de l’union charnelle.

S. Jér. Il y a cette différence entre la véritable passion et le premier mouvement qui la précède, que la passion est regardée comme un vice réel, tandis que ce premier mouvement, sans être entièrement innocent, n’a cependant pas un caractère aussi criminel. Celui donc qui, à la vue d’une femme, sent un mauvais désir effleurer son âme, éprouve les premières atteintes de la passion ; s’il donne son consentement, la passion naissante se change en passion consommée, et ce n’est pas la volonté de pécher qui manque à cet homme, c’est l’occasion. Ainsi, quiconque voit une femme pour la convoiter, c’est-à-dire la regarde dans l’intention de faire naître ce désir criminel et de chercher à l’accomplir a commis en toute vérité l’adultère dans son cœur. — S. Aug. (serm. sur la mont., 12 ou 13) Trois choses concourent à la consommation du péché, la suggestion, la délectation, le consentement. La suggestion vient de la mémoire ou des sens. Si l’on trouve du plaisir dans l’idée de la jouissance, il faut réprimer cette délectation criminelle ; si l’on y consent, le péché est complet. Cependant, avant le consentement, la délectation est nulle ou légère, c’est un péché d’y consentir lorsqu’elle est illicite ; si elle va jusqu’à la consommation de l’acte, il semble que la passion soit rassasiée et comme éteinte. Mais que la suggestion revienne de nouveau, la délectation renaît plus vive, bien qu’elle soit moindre que celle qui se change en habitude, et qu’il est très difficile de vaincre.

 

S. Grég. (Moral., liv. 21.) Celui dont les yeux s’égarent sans précaution sur les objets extérieurs, tombe presque toujours dans la délectation du péché, et comme enchaîné par ses désirs, il finit par vouloir ce qu’il ne voulait pas. C’est de tout son poids, et il est bien lourd, que la chair nous entraîne vers les choses basses, et une fois que notre cœur est lié à cette image de la beauté que les yeux lui ont transmise, les plus grands efforts suffisent à peine pour l’en arracher. Il nous faut donc veiller sur nous, et songer que nous ne devons pas regarder ce qu’il nous est défendu de désirer. Voulons-nous conserver à notre cœur la pureté de ses pensées, détournons les yeux de toute image voluptueuse et sensuelle, sans quoi ils nous entraîneront infailliblement au crime.

S. Chrys. (hom. 17.) Si vous voulez fixer continuellement vos regards sur de beaux visages vous serez pris infailliblement, quand même vous échapperiez au mal deux ou trois fois, car vous n’êtes pas supérieur à la nature humaine. Mais celui qui en regardant une femme, allume dans son cœur une flamme coupable, conserve dans son âme même en l’absence de cette femme, l’image d’actions que la pudeur réprouve, et il finit presque toujours par s’y livrer. Si une femme de son côté, se pare dans l’intention d’attirer sur elle les regards des hommes, elle se rend digne des châtiments éternels, alors même qu’elle n’eût blessé personne de ses funestes coups. En effet elle a composé du poison, quoiqu’elle n’ait trouvé personne pour le boire. Ce que Jésus-Christ dit aux hommes, il le dit également aux femmes, car en parlant au chef, il s’adresse à tout le corps.

 

v. 29.

La glose. Il ne suffit pas seulement d’éviter le péché, il faut encore en faire disparaître l’occasion ; aussi, après nous avoir enseigné à fuir non-seulement l’adultère consommé, mais encore l’adultère intérieur, le Seigneur nous enseigne à retrancher les occasions de péché, en ajoutant : « Si votre oeil droit vous scandalise. »

S. Chrys. (sur S. Matth.) Si d’après le roi-prophète, il n’y a aucune partie de notre chair qui soit saine, nous devons retrancher tous les membres de notre corps pour égaler leur châtiment à leur malice. Mais voyons si nous devons entendre ce passage de l’oeil ou de la main du corps. Lorsqu’un homme se convertit à Dieu, il est entièrement mort au péché ; de même l’oeil lorsqu’il renonce aux mauvais regards est affranchi du péché. Mais ce n’est pas la seule difficulté, car que fait l’oeil gauche pendant que l’oeil droit vous scandalise ? Tient-il une conduite différente pour être conservé comme innocent. — S. Jér. Cet oeil droit, cette main droite, signifient donc l’affection que nous avons pour des frères, pour une épouse, pour des parents, pour des proches ; si elle devient pour nous un obstacle à la contemplation de la vraie lumière, nous devons retrancher ces parties si chères de nous-mêmes. — S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 43.) De même que l’oeil est la figure de la contemplation, la main est la figure de l’action. L’oeil est encore pour nous l’image d’un de nos amis les plus chers ; aussi ceux qui veulent exprimer vivement leur affection disent-ils : Je l’aime comme l’un de mes yeux. Cet ami dont l’oeil est la figure, est un ami de bon conseil, de même que l’oeil sert à nous indiquer le chemin. C’est l’oeil droit probablement, pour faire ressortir la force de l’amitié, car on craint bien davantage de perdre l’oeil droit. Peut-être aussi par l’oeil droit, faut-il entendre l’ami qui nous conseille dans l’ordre des choses divines, et par l’oeil gauche celui qui donne des conseils sur les choses de la terre. Le sens serait donc : Quel que soit celui que vous aimez à l’égal de votre oeil droit, s’il vous scandalise, c’est-à-dire s’il est pour vous un empêchement au véritable bonheur, arrachez-le et jetez-le loin de vous. Or il n’était pas nécessaire de parler de l’oeil gauche qui scandalise, après avoir dit qu’il ne faut pas épargner l’oeil droit. La main droite représente l’ami qui nous aide dans les oeuvres spirituelles, la main gauche celui qui nous prête son concours dans les choses de la vie présente.

S. Chrys. (sur S. Matth.) On peut dire aussi que Notre-Seigneur Jésus-Christ veut que nous prenions garde non-seulement de nous exposer au danger personnel de pécher, mais encore de laisser commettre des actions coupables par ceux dont la conduite nous est confiée. Vous avez par exemple un ami qui voit et connaît parfaitement vos affaires, comme votre oeil, ou qui les traite comme votre propre main ; vous apprenez qu’il s’est rendu coupable d’une action honteuse, chassez-le loin de vous, parce qu’il vous scandalise, car nous aurons à rendre compte non-seulement de nos propres fautes, mais encore des fautes du prochain que nous aurions pu empêcher. — S. Hil (Can. 4.) C’est donc ici un degré d’innocence plus parfait ; nous devons non-seulement nous abstenir de tout péché personnel, mais encore nous garantir de ceux qui peuvent se commettre autour de nous.

S. Jér. Ou bien encore, comme le Sauveur parle plus haut du désir coupable que peut exciter la vue d’une femme, il prend ici l’oeil pour la pensée et le sentiment qui s’égarent sur divers objets ; la main droite et les autres parties du corps expriment les premiers mouvements de la volonté et de la passion. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cet oeil du corps est le miroir de l’oeil intérieur ; le corps a aussi un sens qui lui est propre, c’est l’oeil gauche, et son appétit est figuré par la main gauche. Les facultés de l’âme sont désignées par la droite, parce que l’âme a été créée avec le libre arbitre et sous la loi de justice, pour juger et se conduire avec droiture. Le corps qui n’a pas la liberté en partage, et qui est sous la loi du péché, nous est représenté par la main gauche. Or on ne nous commande pas de retrancher les sensations ou les appétits de la chair, car nous pouvons réprimer ses désirs et ne pas les satisfaire, tandis que nous ne pouvons empêcher la chair de manifester ces désirs. Lorsque de propos délibéré nous pensons, nous voulons le mal, c’est notre sens droit, c’est notre volonté droite qui nous scandalise, et il nous est commandé de les retrancher, ce que nous pouvons faire à l’aide du libre arbitre. Ou bien encore dans un autre sens nous devons nous abstenir de toute bonne action qui devient un scandale pour nous ou pour les autres. Ainsi je fais visite à une femme pour un motif de religion, mon intention est bonne, c’est l’oeil droit. Mais si mes visites trop assidues me font tomber dans le piége du désir, ou deviennent un scandale pour ceux qui en sont témoins, c’est l’oeil droit qui scandalise, c’est le bien qui scandalise, car l’oeil droit c’est le bon regard, c’est la bonne intention, comme la main droite est la bonne volonté. — La Glose. On peut dire encore que l’oeil droit c’est la vie contemplative qui peut devenir un objet de scandale soit en nous jetant dans la paresse ou dans l’orgueil, soit parce que notre faiblesse nous empêche de nous élever jusqu’à la pure vérité. La main droite figure les bonnes oeuvres ou la vie active qui peut nous scandaliser en nous faisant tomber dans le piége que nous tendent la fréquentation du monde et l’ennui des occupations. Que celui donc qui ne peut goûter le bienfait de la vie contemplative ne se laisse pas gagner par la langueur au milieu de la vie active, dans la crainte qu’en se livrant aux occupations extérieures, il laisse se dessécher la douceur intérieure de son âme.

Remi. Mais pourquoi faut-il arracher l’oeil droit ; pourquoi faut-il couper la main droite ? Le Sauveur nous en donne la raison. « Car il vaut mieux pour vous qu’un de vos membres périsse. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nous sommes les membres les uns des autres, il vaut donc mieux pour nous que nous soyons sauvés sans telle bonne intention, ou sans telle bonne oeuvre que de nous perdre avec toutes ces bonnes oeuvres pour avoir voulu les accomplir toutes sans exception.

 

vv. 30-31.

La Glose. Le Sauveur venait d’enseigner que l’on ne devait pas désirer la femme de son prochain ; il défend ici de renvoyer sa propre épouse : « Il a été dit : Quiconque renvoie son épouse doit lui délivrer un acte de répudiation, » etc. — S. Jér. Plus tard le Sauveur expliquera plus à fond ce passage, en faisant voir que si Moïse a commandé aux maris à cause de la dureté de leur cœur de donner un acte de répudiation, ce n’est pas pour légitimer le divorce, mais pour prévenir l’homicide. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Lorsque Moïse délivra les Israélites de l’Egypte, ils étaient enfants d’Israël par leur naissance, mais Égyptiens par leurs moeurs. Or par suite de ces moeurs idolâtres il arrivait souvent qu’un homme concevait de la haine pour sa femme, et comme il ne lui était pas permis de la renvoyer, il était porté ou à la mettre à mort, ou à la fatiguer de mauvais traitements. Il fit donc une obligation au mari de donner un certificat de répudiation, non comme d’une chose bonne en soi, mais comme d’un remède à un mal plus grand. — S. Hil. (Can. 4.) Mais le Seigneur voulant assurer à tous les bienfaits de l’équité, veut qu’elle règne surtout dans l’union conjugale pour la paix des époux ; il ajoute donc : « Et moi, je vous dis que quiconque aura renvoyé son épouse, » etc. etc. — S. Aug. (cont. Faust., 19, 26.) Le commandement que fait ici le Seigneur de ne pas renvoyer son épouse, n’est pas contraire aux prescriptions de la loi, comme le prétendent les Manichéens, car la loi ne disait pas : Que celui qui le voudra renvoie son épouse (le contraire alors serait de ne pas la renvoyer). Loin de vouloir le renvoi de la femme par le mari, la loi apportait tous les retards possibles à cette mesure afin que les esprits trop prompts à vouloir le divorce fussent arrêtés par la nécessité de l’acte de répudiation, difficulté d’autant plus grande que chez les Juifs, il n’était permis de faire les actes en langue hébraïque, qu’aux seuls Scribes qui faisaient profession d’une sagesse plus parfaite (cf. Esd 7, 6.21). C’est donc aux Scribes que la loi renvoyait celui qui voulait se séparer de sa femme, en leur ordonnant de donner l’écrit de répudiation, dans l’espérance que leur entremise pacifique ramènerait la concorde entre les deux époux, et que l’acte de répudiation serait inutile, à moins que leurs mauvaises dispositions ne rendissent impossible tout moyen de réconciliation. Notre-Seigneur n’accomplit donc pas ici, en y ajoutant, la loi donnée aux premiers hommes ; il ne détruit pas davantage la loi donnée par Moïse, en lui opposant une loi contraire, comme le disent les Manichéens ; mais il confirme toutes les prescriptions de la loi hébraïque, et tout ce qu’il paraît y ajouter personnellement ne tend qu’à en expliquer les obscurités, ou bien à garantir plus sûrement l’observation de ses prescriptions.

S. Aug. (serm. sur la mont., 25.) En cherchant à entraver le renvoi de la femme, Notre-Seigneur a fait comprendre autant qu’il a pu aux hommes les plus durs, qu’il réprouvait le divorce. Pour confirmer ce principe que le renvoi lui-même ne doit pas avoir lieu facilement, il ne lui reconnaît qu’un seul motif, la seule cause de fornication : « Si ce n’est pour cause de fornication. » Quant aux autres peines du mariage, quelque multipliées qu’elles soient, il veut qu’on les supporte avec courage dans l’intérêt de la foi conjugale. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si nous sommes obligés de supporter les défauts de ceux qui nous sont étrangers, d’après ces paroles de saint Paul : « Portez les fardeaux les uns des autres, » à combien plus forte raison les défauts de nos épouses ? Or un chrétien doit non-seulement éviter ce qui peut souiller son âme, mais encore ce qui serait pour les autres une occasion de se souiller eux-mêmes, car alors le crime d’autrui viendrait s’ajouter à son propre péché, parce qu’il en a été la cause directe. Celui donc qui en renvoyant son épouse devient une cause d’adultère, en exposant sa femme et celui qui la prend à commettre un double adultère, sera condamné lui-même pour ces mêmes fautes : et c’est pour cela qu’il est dit : « Celui qui renvoie son épouse la fait devenir adultère. » — S. Aug (serm. sur la mont.) Plus loin Notre-Seigneur déclare également adultère l’homme qui prend la femme renvoyée par son mari, eût-elle un écrit de répudiation ; « celui : ajoute-t-il, qui prend la femme qui aura été renvoyée, devient adultère. » — S. Chrys. (hom. 47 sur S. Matth.) Ne dites donc pas que son mari l’a renvoyée, car même après ce renvoi, elle ne cesse pas d’être son épouse.

S. Aug (serm. sur la mont.) L’Apôtre a déterminé les limites de ce précepte en déclarant qu’il a force de loi pendant toute la vie du mari (1 Co 7, 39) ; mais après sa mort, la femme recouvre le droit de se marier. S’il n’est pas permis à une femme de s’unir à un autre du vivant du mari qu’elle a quitté, combien plus lui est-il défendu d’entretenir avec n’importe qui un commerce criminel ? Ce n’est pas d’ailleurs enfreindre le précepte qui défend de renvoyer son épouse que de la garder chez soi en n’ayant avec elle que des relations toutes spirituelles ; car les mariages où la continence est gardée d’un mutuel accord sont les plus heureux. (chap. 16 ou 26.) Ici se présente une question : le Seigneur permet au mari de renvoyer son épouse pour cause de fornication ; que faut-il entendre par là ? Est-ce simplement la fornication dont on se rend coupable en se livrant à un commerce infâme ? Ou bien est-ce cette fornication plus générale que les Écritures appliquent à toute corruption criminelle de l’âme, comme l’avarice, l’idolâtrie, et toute transgression de la loi produite par la concupiscence qu’elle condamne ? Or si l’apôtre permet de renvoyer l’épouse infidèle, quoiqu’il soit mieux de ne pas le faire (1 Co 7), et que d’un autre côté le Seigneur n’admette d’autre cause de renvoi que la fornication, l’infidélité est donc une véritable fornication. Mais puisque l’infidélité est une fornication, l’idolâtrie une infidélité, et l’avarice une idolâtrie, nul doute que l’avarice elle-même ne soit une véritable fornication. Et si l’avarice est une fornication, qui pourra ôter à une concupiscence coupable, quelle qu’elle soit, le caractère de fornication ? — S. Aug. (Retract. 1, 19). Je ne veux pas cependant que, dans une matière aussi difficile, le lecteur croie que l’examen que nous venons de faire de cette question doive lui suffire. En effet, tout péché n’est pas une fornication spirituelle, et Dieu ne perd pas tout homme qui l’offense, lui qui exauce tous les jours cette prière de ses Saints : « Pardonnez-nous nos offenses, » tandis qu’il perd celui qui se rend coupable de fornication à son égard (Ps 62, 27). Or est-il permis de renvoyer son épouse pour une fornication de ce genre ? C’est une question fort obscure : Quant à la fornication qui déshonore le corps il ne peut y avoir de difficulté. — S. Aug. (Liv. des 83 Quest., Quest. dern.) Si l’on soutient que le Seigneur n’admet d’autre cause de répudiation que la fornication qui consiste dans l’union coupable des corps, on peut dire que cette défense s’applique aux deux époux, de sorte qu’il n’est permis à aucun des deux de se séparer de l’autre, si ce n’est pour cause d’adultère.

S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 16.) La permission que donne ici le Seigneur de renvoyer une épouse coupable d’adultère s’étend encore au renvoi qu’un mari fait de son épouse, au moment où il va être forcé de commettre un adultère : car alors il la renvoie pour cause de double fornication ; pour cause de fornication du côté de son épouse, parce qu’elle s’y est livrée ; pour cause de fornication de son côté, afin de s’en préserver lui-même. — S. Aug. (De la foi et des oeuvres, chap. 16.) Un mari peut renvoyer aussi légitimement une femme qui lui dirait : Je ne serai votre épouse qu’à la condition que vous m’enrichirez par le vol, ou qui exigerait des jouissances qui feraient le crime et le déshonneur de son mari. L’homme à qui sa femme tiendra un pareil langage n’hésitera pas, s’il est vraiment chrétien, à retrancher ce membre qui le scandalise. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Mais c’est une souveraine injustice pour un mari que de renvoyer sa femme pour cause de fornication s’il peut-être convaincu d’être lui-même un fornicateur ; car alors il est sous le coup de ces paroles : « En condamnant les autres, vous vous condamnez vous-même. » Quant à ces autres paroles du Sauveur : « Et celui qui épouse celle que son mari aura quittée commet un adultère, » on peut demander si cette femme est coupable d’adultère au même degré que celui qui l’épouse ; car l’Apôtre lui ordonne de rester sans se marier, ou de se réconcilier avec son mari ; si elle en reste séparée, elle doit demeurer libre de nouveaux liens. Or, il importe beaucoup de savoir si elle a quitté d’elle-même son mari, ou si elle en a été renvoyée. Si c’est elle-même qui s’est séparée de son mari et qu’elle en ait épousé un autre, elle paraît n’avoir agi que par le désir de contracter un second mariage, désir qui est un véritable adultère. Au contraire, a-t-elle été renvoyée par son mari, l’homme et la femme s’unissant d’un commun consentement, on ne voit pas même dans ce cas pourquoi l’un serait adultère, à l’exclusion de l’autre. Ajoutez que s’il y a péché d’adultère pour celui qui s’unit à la femme renvoyée par son mari, c’est elle-même qui le rend adultère, ce qui est formellement défendu par le Seigneur.

 

vv. 33-37

La Glose. Le Seigneur avait défendu précédemment toute injustice contre le prochain, la colère aussi bien que l’homicide, le désir en même temps que l’adultère, et le renvoi de l’épouse avec un acte de répudiation. Il défend maintenant toute injustice contre Dieu, en interdisant non-seulement le parjure comme un mal, mais encore le serment comme pouvant être occasion de péché : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : « Vous ne ferez pas de parjure. » On lit en effet dans le Lévitique (Lv 19, 12) : « Vous ne commettrez pas de parjure en mon nom, afin que les hommes ne fussent pas exposés à regarder les créatures comme des dieux. Dieu avait ordonné de faire tous les serments en son nom, et défendu de jurer par les créatures. C’est le sens de ces paroles : « Vous vous acquitterez envers le Seigneur des serments que vous avez faits ; » c’est-à-dire, s’il vous arrive de faire un serment, vous le ferez au nom du Créateur, et non pas au nom des créatures. C’est ce qui est écrit au Deutéronome (Dt 6, 13) : « Vous craindrez le Seigneur votre Dieu, et vous ne jurerez qu’en son nom. »

S. Jér. La loi leur fit cette concession comme à un peuple encore dans l’enfance ; elle leur permit de jurer au nom de Dieu, par la même raison qu’ils devaient lui offrir des victimes pour éviter de les immoler aux idoles. Elle ne regardait pas ces serments comme une chose bonne par elle-même, mais elle aimait mieux qu’on les fit au nom de Dieu qu’au nom des idoles. — S. Chrys, (sur S. Matth.) L’habitude de faire des serments fait infailliblement tomber dans le parjure, de même que l’habitude de trop parler expose nécessairement à dire des choses déplacées.

S. Aug. (contre Fauste, 19, 22.) Comme le parjure est un péché grave, et qu’on y est beaucoup moins exposé en ne jurant pas du tout, qu’en ayant l’habitude d’affirmer la vérité sous serment, le Seigneur a mieux aimé que nous restions dans la vérité sans recourir au serment, que de nous exposer au parjure en jurant même selon la vérité. Aussi ajoute-t-il : « Pour moi je vous dis : Ne jurez pas du tout. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) En cela il confirme la justice des Pharisiens qui condamnaient le parjure, car on ne se parjure pas quand on ne fait aucun serment. Mais comme jurer c’est prendre Dieu à témoin, il nous faut expliquer comment l’Apôtre n’a point enfreint ce précepte, lui que nous voyons souvent recourir à cette espèce de serment, par exemple : « Je prends Dieu à témoin que je ne vous mens point en tout ce que je vous écris ; » et encore : « Dieu m’en est témoin, lui que je sers en esprit. » Dira-t-on que le serment qui est défendu consiste à jurer directement par un être quelconque et que l’Apôtre ne jure ici en aucune façon, puisqu’il ne dit point : « Par Dieu, » mais simplement : « Dieu m’est témoin ? » Ce serait là une explication ridicule. D’ailleurs, on doit se rappeler que saint Paul a fait des serments même de cette sorte lorsqu’il a dit : « Je meurs tous les jours par votre gloire, mes frères. » (1 Co 15.) Et on ne peut interpréter ces paroles en ce sens : Votre gloire me fait tous les jours mourir, car les textes grecs prouvent à l’évidence que c’est là une véritable formule de serment. S. Aug. (contre le Mens.) Il y a dans les paroles de l’Écriture bien des choses que nous ne pouvons comprendre ; la vie des saints nous apprend alors comment nous devons entendre ces passages dont on pourrait facilement détourner le sens, si leurs exemples ne nous en donnaient la véritable signification. Ainsi l’Apôtre, en employant le serment dans ses Epîtres, nous apprend comment nous devons expliquer ces paroles : « Pour moi, je vous dis de ne pas jurer du tout, » dans la crainte qu’en employant le serment on n’y recoure avec trop de facilité, que cette facilité n’entraîne l’habitude, et que l’habitude ne fasse tomber dans le parjure. Aussi ne fait-il usage du serment qu’en écrivant, alors qu’une réflexion plus attentive met en garde contre la précipitation de la langue. Et cependant le Seigneur nous dit de ne point jurer du tout, et il n’a pas fait d’exception en faveur de ceux qui écrivent. Mais comme on ne peut sans crime accuser saint Paul de la violation d’un précepte divin, surtout dans des lettres écrites pour l’édification des peuples, il faut entendre cette expression « pas du tout » dans ce sens : « Autant qu’il vous sera possible. » Vous ne devez ni affecter ni désirer avec un certain plaisir de recourir au serment, comme s’il s’agissait d’une bonne action. — S. Aug. (contre Fauste, 19, 23.) L’Apôtre fait usage du serment dans des épîtres où l’attention est plus scrupuleuse ; il ne faut donc pas croire que l’on pèche en jurant pour la vérité, mais comprendre qu’en nous abstenant du serment nous préservons plus sûrement notre fragilité du parjure.

S. Jér. Remarquez enfin que le Sauveur n’a pas défendu de faire des serments au nom de Dieu, mais de jurer par le ciel, par la terre, par Jérusalem et par votre tête. On sait que les Juifs ont toujours eu cette détestable habitude de jurer par les éléments. Or, celui qui jure aime celui au nom duquel il fait serment, et les Juifs qui juraient par les anges, par la ville de Jérusalem, par le temple et par les éléments, rendaient à ces créatures l’honneur qui n’est dû qu’à Dieu, alors que dans la loi il est ordonné de ne jurer que par le nom du Seigneur notre Dieu. — S. Aug. (serm. sur la mont., 31, 31 ou 17.) Notre-Seigneur ajoute peut-être ces mots : « Ni par le ciel, » etc., parce que les Juifs ne regardaient pas comme obligatoires les serments qu’ils faisaient par les choses inanimées ; il leur dit donc : lorsque vous jurez par le ciel et par la terre, n’allez pas croire que vous n’êtes pas redevables à Dieu de vos serments, car vous avez évidemment juré par celui qui a le ciel pour trône et la terre pour marchepied. Ces expressions ne signifient pas évidemment que Dieu repose ses membres dans le ciel et sur la terre, comme lorsque nous nous asseyons nous-mêmes ; le trône de Dieu signifie le jugement de Dieu. Le ciel est sans contredit la plus grande partie de l’univers créé ; on dit donc que Dieu est assis dans les cieux comme s’il y manifestait sa présence par une plus grande magnificence, et qu’il foule la terre aux pieds parce qu’il l’a placée au dernier rang, comme la partie la moins brillante de la création. Dans le sens spirituel, le ciel signifie les âmes saintes, et la terre les pécheurs, parce que l’homme spirituel juge toutes choses (1 Co 2, 15) et que Dieu a dit au pécheur : « Tu es terre et tu retourneras en terre. » D’ailleurs, celui qui veut demeurer dans la loi est nécessairement soumis à la loi, et c’est avec raison qu’il est appelé : « L’escabeau de ses pieds. » Notre-Seigneur ajoute : « Ni par Jérusalem, parce qu’elle est la ville du grand Roi, » expression plus convenable que s’il avait dit : « La ville qui est à moi, » bien qu’il le dise en termes équivalents. Or, comme il est en même temps le Seigneur, c’est donc à lui qu’on est redevable des serments que l’on fait par Jérusalem. Il ajoute enfin : « Vous ne jurerez pas non plus par votre tête. » Que peut-on imaginer qui nous appartienne davantage que notre tête ? Mais comment serait-elle à nous, puisque nous n’avons pas le pouvoir d’en rendre un seul cheveu blanc ou noir ? C’est la raison que donne le Sauveur : « Parce que vous n’en pouvez faire un seul cheveu blanc ou noir. » Celui donc qui veut jurer par sa tête est redevable à Dieu de son serment et ainsi des autres serments de même nature.

S. Chrys. (hom. 17.) Remarquez que si le Sauveur relève ainsi les éléments du monde créé, ce n’est pas en vertu de leur excellence naturelle, mais à cause des liens qui les rattachent à Dieu, pour ne point donner lieu à l’idolâtrie. — Rab. Après avoir prohibé le serment, il nous enseigne comment nous devons nous exprimer : « Que votre discours soit : Cela est, cela est, cela n’est pas, cela n’est pas ; » c’est-à-dire, il suffit de dire d’une chose qui est, cela est ; et cela n’est pas, d’une chose qui n’est pas. Peut-être l’affirmation et la négation sont-elles répétées ici deux fois pour nous apprendre à prouver par nos oeuvres la vérité de ce que notre bouche affirme, et à ne point confirmer par nos actes ce que nos paroles auraient nié. — S. Hil. (Can. 4.) Ou bien encore, il n’est nul besoin de serment pour ceux qui vivent dans la simplicité de la foi, car avec eux, ce qui est est toujours vrai et ce qui ne l’est pas ne l’est pas, et ainsi tout en eux, parole et action est dans la vérité.

S. Jér. La vérité évangélique n’admet donc pas de serment, puisque toute parole d’un chrétien équivaut à un serment. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Aussi celui qui comprend que la vérité seule ne suffit pas pour légitimer l’usage du serment, s’il n’est d’ailleurs nécessaire, doit s’imposer un frein pour n’y recourir que dans le cas de nécessité, lorsqu’il voit par exemple des hommes peu disposés à croire des choses qui leur sont utiles, si on ne les affirme sous le serment. Ce qui est bien, ce qui est désirable est exprimé par ces mots : « Contentez-vous de dire : Cela est, cela est, ou cela n’est pas, cela n’est pas, ce qui est de plus vient du mal ; » c’est-à-dire que la nécessité où vous êtes de jurer vient de la faiblesse de ceux que vous voulez persuader, faiblesse qui est un mal. Aussi le Sauveur ne dit pas : « Ce qui est au delà est mal, » car vous ne faites point mal en faisant usage du serment pour persuader à un autre ce qu’il lui importe de savoir, mais « cela vient du mal, » c’est-à-dire de la mauvaise disposition de cet homme dont la faiblesse vous force de recourir au serment. » — S. Chrys. (hom. 12). Ou bien cela vient du mal, c’est-à-dire de l’infirmité de ceux à qui la loi permet de jurer. En s’exprimant de la sorte, Notre-Seigneur ne dit pas que la loi ancienne est l’oeuvre du démon, mais il nous fait passer de l’état ancien si imparfait à une nouveauté bien plus parfaite.

 

vv. 39-42.

La Glose. Après avoir interdit toute injustice contre le prochain, toute irrévérence envers Dieu, le Seigneur nous enseigne comment un chrétien doit se conduire à l’égard de ceux qui lui font quelque injure « Vous avez appris ce qui a été dit : « oeil pour oeil, dent pour dent (Ex 21, 24 ; Lv 24, 20 ; Dt 19, 21). » — S. Aug. (contre Fauste, 19, 25). Ce commandement a été donné pour éteindre le feu de ces haines violentes qui éclataient entre des ennemis acharnés les uns contre les autres, et pour mettre un frein à des colères sans mesure. Car quel est celui qui se contente d’une vengeance égale seulement à l’injure qu’il a reçue ? Ne voyons-nous pas au contraire des hommes légèrement offensés tramer le meurtre, avoir soif du sang et trouver à peine de quoi l’assouvir dans les maux dont ils accablent leurs ennemis ? C’est à cette vengeance aussi excessive qu’elle est injuste que la loi a posé de justes bornes en créant la peine du talion, qui mesure rigoureusement le châtiment à l’offense. Le but de cette loi n’est pas de dominer une nouvelle force à la fureur, mais de la contenir et de la réprimer ; ce n’est pas de rallumer une flamme assoupie, mais de circonscrire celle qui brûlait déjà. En effet, la vengeance, réglée ici par la justice, ne dépasse pas les droits que l’injure donne à celui qui en est offensé. Il peut céder ce qui lui est dû, et c’est bonté de sa part ; mais il peut le demander sans injustice. Or, comme il y a péché à poursuivre une vengeance sans mesure tandis qu’il n’y en a aucun à ne vouloir qu’une vengeance modérée ; il est évident que celui qui refuse toute vengeance est le moins exposé à pécher, et c’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : « Et moi, je vous dis de ne pas résister au mal. » Je pourrais traduire ainsi ces paroles « Il a été dit aux anciens : Vous ne vous vengerez pas injustement ; pour moi, je vous dis : Ne vous vengez pas (ce qui est vraiment accomplir la loi), » si ces paroles paraissaient être dans la pensée du Christ un complément de la loi. Mais il est plus naturel de penser qu’il n’a eu d’autre but que celui même que se proposait la loi de Moïse, c’est-à-dire qu’il recommande de ne se venger en aucune manière, afin d’être plus assuré d’observer ce précepte et de ne pas dépasser les bornes d’une légitime vengeance. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Sans ce nouveau commandement, celui de la loi de Moïse ne peut se soutenir, car si nous usons de cette concession de la loi pour rendre à tous le mal pour le mal, nous deviendrons tous mauvais, parce que ceux qui nous persécutent sont malheureusement très nombreux ; tandis que si, d’après le précepte du Christ, on ne résiste pas au mal, les bons restent bons, quand bien même ils ne pourraient adoucir les méchants. — S. Jér. Le Seigneur, en nous ôtant le droit de nous venger, tranche donc jusqu’à la racine du péché ; dans la loi, la faute est corrigée ; ici, les commencements mêmes du péché sont détruits.

La Glose. On peut dire aussi que par ces paroles le Seigneur ajoute quelque chose à la justice de l’ancienne loi. — S. Aug. (serm. sur la mont.) La justice des Pharisiens qui s’appliquait à ne point dépasser la mesure de la vengeance, est une justice imparfaite, et c’est le commencement de la réconciliation et de la paix ; mais la justice parfaite est de s’interdire toute vengeance. Aussi entre cet excès que la loi condamne, de rendre plus de mal qu’on n’en a reçu, et la perfection dont le Sauveur fait un précepte à ses disciples, et qui consiste à ne pas rendre le moindre mal à ceux qui nous en ont fait, nous trouvons ce moyen terme qui ne rend que le mal qu’on a reçu. Et c’est par ce moyen terme que le monde a passé de la plus grande division à l’accord le plus parfait. En effet, si vous prenez l’initiative de l’offense, vous commettez une souveraine injustice ; si, sans avoir commencé, vous tirez de votre ennemi une vengeance supérieure à l’offense, vous n’atteignez pas tout à fait le même degré d’iniquité. Si vous ne rendez que le mal que vous avez reçu, vous vous montrez tant soit peu généreux ; car celui qui a commencé le premier mérite un châtiment supérieur à l’offense dont il s’est rendu coupable. Mais le Sauveur qui est venu accomplir la loi a porté à sa perfection cette justice ébauchée, exempte de sévérité, et où l’on sent déjà la miséricorde. Quant aux deux degrés intermédiaires, il nous les laisse à comprendre. Car il en est qui tirent une vengeance légère pour une grave offense, et c’est par ce degré qu’on arrive à ne pas se venger du tout. Mais c’est trop peu encore pour le Seigneur, il veut que vous soyez disposé à en supporter davantage. Aussi nous recommande-t-il non-seulement de ne pas rendre le mal pour le mal, mais de ne pas résister au mal, etc., c’est-à-dire non-seulement de ne pas rendre le mal qui nous aurait été fait, mais encore de ne pas empêcher celui qu’on voudrait nous faire. C’est ce que signifient ces paroles : « Si quelqu’un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui aussi la gauche. » C’est donc un acte de miséricorde et de condescendance que le Sauveur demande, et c’est ce que comprennent parfaitement ceux qui acceptent d’être comme les serviteurs de personnes qui leur sont chères, par exemple, des enfants, ou de ceux qui sont atteints de frénésie. Que n’ont-ils pas à en souffrir, et si leur bien le demande, ils sont disposés à en supporter encore davantage. Le Seigneur souverain médecin des âmes enseigne donc ici à ses disciples à supporter les infirmités de ceux dont ils veulent sauver les âmes, car toute méchanceté vient de la faiblesse de l’esprit, et personne n’est plus inoffensif que celui qui pratique la vertu dans sa perfection. — S. Aug. (Du mensonge.) La conduite que les Saints ont tenue sous la loi nouvelle sert à nous faire comprendre les exemples de l’Écriture qui nous sont présentés sous forme de préceptes, comme lorsque nous lisons dans l’Évangile : « Vous avez reçu un soufflet, présentez l’autre joue. » (Lc 6). Nous ne pouvons certainement trouver de plus parfait exemple de patience que l’exemple du Seigneur lui-même : Or lorsqu’il eut reçu un soufflet dans sa passion, il ne dit pas : « Voici l’autre joue, » mais : « Si j’ai mal parlé, faites voir le mal que j’ai dit : et si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? » Cet exemple nous prouve que c’est intérieurement qu’il faut être disposé à présenter l’autre joue. — S. Aug. (serm. sur la mont.) En effet, Notre-Seigneur était disposé non-seulement à recevoir un soufflet sur l’autre joue pour le salut des hommes, mais à voir son corps tout entier attaché à la croix. Mais que signifie cette joue droite ? C’est au visage que l’on reconnaît un homme ; être frappé au visage c’est donc d’après l’Apôtre devenir l’objet du dédain et du mépris. Mais on ne peut distinguer le visage en visage droit et en visage gauche, et cependant on peut avoir une double dignité, l’une selon Dieu, l’autre selon le monde, de là cette distinction de joue droite et de joue gauche, distinction qui apprend à tout disciple de Jésus-Christ qui voit mépriser en lui son caractère de chrétien à se montrer disposé à souffrir les mépris qui tomberaient sur les honneurs temporels dont il peut être revêtu. Toutes les offenses auxquelles nous sommes exposés peuvent se diviser en deux classes, les offenses qu’on ne peut réparer, les offenses qui peuvent l’être. Or c’est justement dans les offenses où la réparation n’est pas possible, qu’on cherche ordinairement la consolation de la vengeance. On vous a frappé, à quoi vous sert de rendre le coup que vous avez reçu ? Avez-vous guéri par là la blessure qu’on a pu faire à votre corps ? Non sans doute, il n’y a qu’une âme où la colère déborde qui puisse désirer de pareils adoucissements. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En rendant à votre ennemi le coup que vous avez reçu, l’avez-vous apaisé et amené à ne plus vous frapper ? Bien au contraire, vous l’avez excité à vous porter de nouveaux coups, car la colère loin de calmer la colère ne sert qu’à l’irriter davantage. — S. Aug. (serm. sur la mont., 10, 19, 20, ou 37, 38.) Aussi le Seigneur veut-il que nous supportions cette faiblesse de la colère du prochain dans un vrai sentiment de compassion, plutôt que de chercher dans son châtiment un adoucissement à la nôtre. Et cependant il ne défend pas ici la vengeance qui a pour but la correction du prochain, car elle fait partie de la miséricorde et se concilie très bien avec la disposition de souffrir encore davantage de celui qu’on veut corriger. Celui qui est revêtu du pouvoir légitime doit nécessairement tirer vengeance des crimes commis ; mais il doit le faire avec le cœur d’un père qui ne peut haïr son enfant. De saints personnages ont puni de mort certains crimes pour inspirer aux vivants une crainte salutaire, et alors ce n’était pas la mort qui était préjudiciable à ceux qui étaient punis, mais bien leur péché, qui aurait pu s’aggraver s’ils avaient continué de vivre. C’est ainsi qu’Élie en frappa plusieurs de mort (cf. 3 R 18, 40 ; 4 R 1, 10 ; Lc 9, 54), et les disciples de Jésus-Christ ayant voulu s’autoriser de cet exemple, le Seigneur les reprit, en blâmant non pas l’action du prophète, mais l’ignorance qui les poussait à se venger, et en leur faisant remarquer que ce n’était pas l’amour de la correction fraternelle, mais la haine qui excitait en eux le désir de la vengeance. Mais après même qu’il leur eut enseigné la loi de charité et qu’il eut répandu l’Esprit saint dans leurs âmes, on vit encore de semblables vengeances ; c’est ainsi que la parole de Pierre fit tomber morts à ses pieds Ananie et sa femme, et que l’apôtre saint Paul livra un homme à Satan pour mortifier sa chair. C’est pourquoi je ne puis comprendre le déchaînement aveugle de quelques-uns contre les châtiments corporels que nous voyons dans l’Ancien Testament, dans l’ignorance où ils sont de l’esprit et l’intention qui les a fait infliger.

S. Aug. Quel est l’homme de bon sens qui oserait dire aux rois : « Qu’un de vos sujets choisisse d’être religieux ou impie, cela ne vous regarde pas ? On ne peut leur dire davantage : Que dans votre royaume on soit débauché ou de moeurs pures, vous n’avez pas à vous en occuper. » Sans doute il vaut mieux amener les hommes à la pratique de la religion par l’instruction que par des peines coercitives, mais cependant nous pourrions prouver par l’expérience que pour plusieurs il a été fort utile d’être forcés par la peine ou par la crainte à se faire instruire ou à pratiquer ce qu’on leur avait déjà enseigné. Ceux qui se laissent conduire par l’amour sont évidemment les meilleurs, mais c’est le plus grand nombre qu’on ne ramène que par la crainte. C’est la conduite que Jésus-Christ tient à l’égard de saint Paul : il le dompte d’abord par la force avant de le soumettre par ses divines leçons. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Un chrétien veut-il observer la juste mesure de vengeance qui lui est ici permise, lorsqu’il a reçu quelque outrage de ce genre, que la haine n’entre pas dans son cœur, qu’il soit disposé à souffrir encore davantage, et qu’en même temps il ne néglige pas de se servir de l’influence du conseil ou de l’autorité pour faire rentrer son frère dans le devoir.

S. Jér. Dans le sens mystique, lorsqu’on nous frappe sur la joue droite, nous devons présenter non pas la joue gauche, mais l’autre joue (cf. Pv 4, 27 ; Qo 10, 2 ; Mt 6, 3), car le juste n’a pas de gauche. Par exemple, si un hérétique nous frappe dans la discussion, et qu’il veuille porter atteinte au sens droit d’une vérité dogmatique, nous devons lui opposer un autre témoignage semblable tiré de l’Écriture.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Il est un autre genre d’injures qui peuvent se réparer complètement : elles sont de deux espèces, l’une s’attaque à l’argent, l’autre consiste dans les actions outrageantes. C’est de la première des deux dont Notre-Seigneur ajoute : « Si quelqu’un veut plaider contre vous pour vous prendre votre robe, abandonnez lui encore votre manteau. » Or de même que le soufflet reçu sur la joue exprime tous les outrages qui ne peuvent être réparés que par le châtiment, ainsi ce que le Seigneur dit ici du vêtement comprend toutes les injures qui peuvent être réparées sans recourir à la vengeance ; et ce précepte doit s’entendre de la disposition du cœur, et non de ce qu’il faut faire en réalité. Ce qui nous est commandé à l’égard de la tunique ou du manteau, nous devons le faire pour tous les biens temporels dont nous avons le domaine, de quelque manière que ce soit. Car si ce précepte porte sur le nécessaire, à plus forte raison devons-nous abandonner le superflu ? C’est ce que Notre-Seigneur nous enseigne en disant : « Si quelqu’un veut plaider contre vous. » Ces paroles comprennent tout ce qu’on peut nous disputer devant les tribunaux. Mais doit-on y comprendre les esclaves ? C’est une grande question, car un chrétien ne peut assimiler la propriété d’un esclave à la propriété d’un cheval, quoiqu’il puisse se faire que le cheval soit d’un prix plus élevé qu’un esclave. Or si votre esclave trouve en vous un maître plus sage que celui qui désire vous l’enlever, je ne sais qui oserait vous conseiller de ne pas y attacher plus d’importance qu’à votre vêtement.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est une chose indigne qu’un chrétien se présente devant le tribunal d’un juge infidèle. Mais quand même le juge serait chrétien, si vous le mettez dans la nécessité de vous juger, lui qui devait respecter en vous la dignité de la foi, vous perdez à ses yeux pour une affaire temporelle cette dignité dont le Christ vous avait revêtu. D’ailleurs tout procès est une source d’irritation et de pensées coupables, car si vous voyez qu’on veut l’emporter contre vous par l’intrigue ou par l’argent, vous vous empressez de recourir aux mêmes moyens dans l’intérêt de votre cause, et certes ce n’est pas ce que vous vouliez dès le début. — S. Aug. (Enchirid. chap. 78). C’est pourquoi le Seigneur défend ici aux chrétiens tout débat devant les tribunaux pour des affaires temporelles. Si donc l’Apôtre en défendant sous les peines les plus sévères tout appel au tribunal des infidèles permet cependant que les causes entre fidèles soient jugées entre eux, il est évident que c’est une concession qu’il fait à leur faiblesse.

S. Grég. (Moral., 31, 10.) Parmi ceux qui nous ravissent nos biens temporels nous devons supporter les uns, mais nous devons nous opposer aux autres, tout en conservant la charité à leur égard. En cela nous ne nous opposons pas seulement à ce qu’ils nous enlèvent ce qui est à nous, mais nous les empêchons de se perdre eux-mêmes en ravissant ce qui ne leur appartient pas ; car nous devons beaucoup plus craindre pour les ravisseurs eux-mêmes, que désirer avidement des biens privés de raison. Or lorsque nous sacrifions la paix avec le prochain à un bien temporel, il est évident que nous aimons ce bien plus que le prochain.

S. Aug. (serm. sur la mont.) La troisième espèce d’injures qui consiste dans des actions dommageables est un mélange des deux premières et peut se réparer par le châtiment ou sans le châtiment. Car celui qui contraint méchamment un homme, et le force malgré lui à l’aider, peut porter la peine de sa méchanceté et rendre ce que l’on a fait pour lui. A l’égard de ces injures le Seigneur veut qu’un cœur chrétien se montre rempli de patience et disposé à en souffrir encore davantage, c’est pourquoi il ajoute : « Si quelqu’un veut vous contraindre à faire mille pas avec lui, faites-en deux mille autres encore, » paroles qui exigent beaucoup moins que nous marchions en réalité, que d’être disposés à le faire. — S. Chrys. (hom. 16.) Le mot αγγαρευσει, angariaverit, veut dire entraîner injustement, et tourmenter sans raison. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Nous pensons que par ces paroles : « Allez avec lui l’espace de deux autres milles : » Notre-Seigneur a voulu compléter le nombre trois, nombre qui exprime la perfection, pour rappeler à celui qui agit ainsi qu’il fait acte de justice parfaite. C’est pour cela qu’il appuie ce précepte sur trois exemples et que dans le troisième le nombre deux est ajouté à l’unité pour compléter le nombre trois. Ou bien, peut-être, faut-il entendre ici que dans ce précepte, le Seigneur monte par degré de ce qui est plus facile à ce qui est plus parfait. Il vous commande en premier lieu de présenter l’autre joue à celui qui vous frappe sur la droite, c’est-à-dire d’être disposé à supporter un affront moindre que celui que vous avez reçu. A celui qui veut vous prendre votre tunique, il vous commande d’abandonner votre manteau ou votre vêtement, suivant un autre texte ; c’est vous demander de supporter une injure égale, ou de bien peu supérieure à celle qui vous a été faite. Enfin il vous ordonne d’ajouter aux mille premiers pas, l’espace de deux autres mille, c’est-à-dire de faire le double de ce que vous avez fait. Mais comme ce serait peu de ne pas rendre le mal pour le mal, si l’on ne fait positivement le bien, il ajoute : « Donnez à celui qui vous demande. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nos richesses ne sont pas à nous, mais à Dieu, et il a voulu que nous en soyons les dispensateurs, et non pas les maîtres. — S. Jér. Si nous restreignons au devoir de l’aumône ces paroles du Sauveur, on ne peut l’appliquer à un trop grand nombre de pauvres, car si les riches donnaient constamment, ils ne pourraient donner toujours. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Le Seigneur nous dit donc : « Donnez à tout homme qui vous demande, » mais non pas à celui qui vous demande toute sorte de choses. Quoi ! vous donneriez de l’argent à celui qui veut s’en servir pour opprimer un innocent ou pour corrompre la vertu d’une femme ! Il ne faut donc donner que ce qui ne peut être nuisible ni pour vous, ni pour un autre, autant que vous pouvez en juger sur la foi de celui qui demande. Et lorsque vous croirez devoir lui refuser ce qu’il demande, expliquez-lui les justes motifs de votre refus. De cette manière il ne s’en ira point sans avoir rien reçu, et en lui faisant comprendre l’injustice de sa demande vous lui aurez donné quelque chose de bien préférable à ce qu’il demandait. — S. Aug. (Lettre 48 à Vincent.) Il est plus utile de retirer le pain à celui qui a faim, et qui assuré de sa nourriture négligerait de pratiquer la justice, que de faire de ce morceau de pain dont il a besoin, un moyen de séduction pour le forcer de consentir au mal. — S. Jér. On peut encore entendre ces paroles du trésor de la doctrine, qui ne s’épuise jamais, mais qui se remplit abondamment à proportion de ce qu’on donne.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Les paroles qui suivent : « Et ne vous détournez point de celui qui veut emprunter de vous » se rapportent aux dispositions de l’âme, car « Dieu aime celui qui donne gaîment. » Tout homme qui reçoit, emprunte, dût-il ne rien rendre, parce que Dieu rend à ceux qui exercent la charité plus qu’ils n’ont donné. Si cependant on ne veut entendre par emprunteur que celui qui reçoit avec l’intention de rendre, il faut dire alors que le Seigneur comprend dans ses paroles ces deux manières de donner, ou le don gratuit, ou le prêt soumis à l’obligation de rendre. Le Seigneur nous exhorte avec raison à ce genre de bienfait, en nous disant : « Ne rejetez point, » c’est-à-dire ne détournez pas votre volonté dans la pensée que Dieu ne vous serait plus redevable, parce que votre débiteur se serait acquitté à votre égard, car ce que l’on fait pour obéir à un précepte divin ne saurait demeurer sans fruit. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le Christ nous fait donc un devoir de prêter, mais sans condition d’usure, car celui qui prête à cette condition ne donne pas ce qui est à lui ; il prend ce qui ne lui appartient pas ; il brise un des lieus de l’emprunteur, pour le charger d’un plus grand nombre de chaînes ; il donne, ce n’est point par un principe de justice divine, c’est dans une pensée toute d’intérêt personnel. L’argent qu’on prête à usure est semblable à la morsure d’un aspic, de même que le venin de l’aspic répand secrètement la corruption dans tous les membres, ainsi l’usure fait de tous les biens autant de dettes.

S. Aug. (lettre à Marcellin). On nous objecte que cette doctrine de Jésus-Christ n’est pas compatible avec les moeurs publiques, car qui peut, dira-t-on, se laisser ravir quelque chose par l’ennemi ? qui serait disposé à ne pas exercer contre ceux qui dévastent les provinces romaines les représailles qu’autorise le droit de la guerre ? Nous répondons que ces préceptes de patience doivent toujours se retrouver dans les dispositions de notre cœur, et que cette bonté qui défend de rendre le mal pour le mal doit toujours faire le fond de notre âme. On doit d’ailleurs agir envers ceux qui se refusent aux avances de la charité avec une sévérité pleine de douceur, et qui soit pour eux un châtiment salutaire. Si la société se conduisait d’après les préceptes du christianisme, les guerres elles-mêmes auraient leurs inspirations bienveillantes. On n’y chercherait que l’utilité des vaincus en rétablissant l’union entre l’impiété et la justice, car on gagne à être vaincu quand on perd la liberté de faire le mal. Il n’y a rien, en effet, de plus malheureux que la félicité des pécheurs, car elle alimente l’impunité qui est un châtiment, et fortifie au-dedans de nous cet ennemi intérieur qu’on appelle la volonté du mal.

 

vv. 43-47

La Glose. Le Seigneur nous a enseigné, dans ce qui précède, à ne pas résister à celui qui nous fait tort, mais à nous montrer disposé à en supporter davantage. Il va plus loin, et veut nous apprendre que nous devons aimer même ceux qui nous font du mal et leur prouver notre charité par des effets. Les commandements précédents étaient le complément de la justice légale, ce dernier précepte est l’accomplissement de la charité qui, selon l’Apôtre, est la plénitude de la loi. Voilà la raison de ces paroles du Sauveur : « Vous savez qu’il a été dit : Vous aimerez votre prochain. » — S. Aug. (Doctr. chrét., chap. 30). Le précepte d’aimer le prochain n’admet aucune exception ; c’est ce que nous apprend le Seigneur lui-même dans la parabole de cet homme laissé à demi-mort, Il nous dit que le prochain fut celui qui exerça la miséricorde à son égard, pour nous faire comprendre que notre prochain c’est tout homme à qui nous devons en témoigner dans le besoin. Et qui ne voit que nous ne devons en excepter personne, devant ces paroles : « Faites du bien à ceux qui vous haïssent ? »

S. Aug. (serm. sur la mont.) Il y avait un certain degré dans la justice pharisaïque, qui relevait de l’ancienne loi ; la preuve c’est qu’il en est qui détestent même ceux qui les aiment. C’est donc s’élever d’un degré que d’aimer son prochain, tout en haïssant son ennemi, suivant Ces paroles : « Et vous haïrez votre ennemi, » paroles qu’il ne faut pas regarder comme un commandement pour le juste, mais comme une condescendance pour le faible. — S. Aug. (contre Fauste, liv. 19, chap. 24). Je demanderai aux Manichéens pourquoi ils s’obstinent à regarder comme particulier à la loi de Moise ce qui a été dit aux anciens : « Vous haïrez votre ennemi. » Et saint Paul lui-même n’a-t-il pas dit qu’il en est qui sont un objet de haine pour Dieu (Rm 1, 30) ? Il faut donc chercher à comprendre comment nous pouvons haïr nos ennemis à l’exemple de Dieu pour qui certains hommes sont haïssables, et comment nous devons aimer nos ennemis à l’exemple de ce même Dieu qui fait lever son soleil sur les bons et sur les mauvais. La règle que nous devons suivre, c’est de haïr dans un ennemi ce qu’il y a de mal en lui, c’est-à-dire l’iniquité, et d’aimer dans notre ami ce qu’il y a de bon, c’est-à-dire la créature douée de raison. C’est pour avoir entendu sans la comprendre cette parole qui avait été dite aux anciens : « Vous haïrez votre ennemi, » que les hommes étaient portés à se haïr mutuellement les uns les autres, alors qu’ils n’auraient dû haïr que le vice. C’est donc cette erreur que le Seigneur veut corriger lorsqu’il dit : « Pour moi, je vous dis : Aimez vos ennemis. » Il avait dit précédemment : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir ; » en nous ordonnant ici d’aimer nos ennemis, il nous force de comprendre comment nous pouvons, dans un seul et même homme, haïr le mal qu’il commet et aimer la nature dont il est revêtu.

La Glose. Remarquons toutefois que dans nul endroit de la loi on ne trouve ces paroles : « Vous haïrez votre ennemi. » Elles sont donc citées comme faisant partie de la tradition des Scribes qui ont cru pouvoir les ajouter, parce que le Seigneur avait commandé aux enfants d’israel de poursuivre leurs ennemis (Lv 26), et de détruire Amalec de dessous le ciel (Ex 17). — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces paroles : « Vous ne convoiterez pas » n’étaient pas adressées à la chair, mais à l’âme ; il en est de même de ce passage. La chair en effet ne peut aimer son ennemi, l’âme le peut, parce que la chair place le principe de l’amour ou de la haine dans les sens ; l’âme, au contraire, dans l’intelligence. Si donc nous avons reçu quelque injure, et que nous en ressentions de la haine, sans vouloir cependant en suivre les inspirations, c’est notre chair qui hait notre ennemi, tandis que notre âme ne laisse pas de l’aimer.

S. Grég. (Moral., 22, 6). Voulons-nous une marque certaine que nous aimons réellement notre ennemi, ne nous attristons pas de sa prospérité, ne nous réjouissons pas de ses malheurs ; ce n’est pas aimer quelqu’un que de ne pas le vouloir dans un état plus prospère, et on fait certainement des voeux contre sa fortune quand on applaudit à sa ruine. Toutefois, il arrive souvent que sans nous faire perdre la charité, la chute d’un ennemi nous cause de la joie, et que sa gloire nous contriste sans que nous lui portions envie, c’est lorsque nous croyons que sa chute sera la cause de l’élévation de plus dignes que lui et que sa prospérité nous fait craindre l’injuste oppression d’un grand nombre. Mais il faut ici une attention extrême pour ne point satisfaire, notre haine sous le fallacieux prétexte de l’utilité du prochain. Nous devons également savoir faire la distinction de ce qu’exige de nous la ruine du pécheur et la justice de celui qui le frappe. Lorsque Dieu frappe un homme couvert de crimes, nous devons applaudir à la justice du juge, mais compatir en même temps au malheur de celui qui périt. — La Glose. Les ennemis de l’Église lui font la guerre de trois manières : par la haine, par leurs discours, par les supplices. L’Église, au contraire, leur oppose premièrement l’amour : Aimez vos ennemis ; » secondement, les bienfaits : « Faites du bien à ceux qui vous haïssent ; » troisièmement, la prière : « Priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. »

S. Jér. Il en est plusieurs qui mesurent les préceptes de Dieu à leur faiblesse et non pas à la force qui fait les saints et qui regardent ces préceptes comme impossibles. Ils disent qu’il suffit, pour pratiquer la vertu, de ne pas avoir de haine pour ses ennemis, mais que de les aimer c’est commander plus que ne peut la nature humaine. Qu’ils sachent donc que Notre-Seigneur ne commande pas des choses impossibles, mais parfaites. Et n’est-ce pas ce que fit David à l’égard de Saul et d’Absalon ? Le saint martyre Etienne n’a-t-il pas prié pour ceux qui le lapidaient ? Saint Paul n’a-t-il pas voulu être anathème à la place de ses persécuteurs ? N’est-ce pas ce que Jésus enseigne et ce qu’il fit lui-même lorsqu’il dit : « Mon Père, pardonnez-leur ? » — S. Aug. (Enchirid., chap. 73). Mais ce sont là les vertus des enfants de Dieu qui ont atteint la perfection ; c’est vers ce but que tout fidèle doit tendre ; c’est à cette générosité de sentiments qu’il doit élever son âme en priant Dieu, en luttant contre lui-même. Cependant une perfection aussi sublime n’est point le partage d’un aussi grand nombre de personnes que celui dont Dieu, nous le croyons, exauce cette prière : « Remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à ceux qui nous doivent. »

S. Aug. (serm. sur la mont.) Une difficulté se présente, c’est qu’un très grand nombre de passages de l’Écriture paraissent contredire ce précepte de prier pour nos ennemis. En effet, on trouve dans les prophéties une multitude d’imprécations contre les ennemis, comme celle-ci : « Que ses enfants deviennent orphelins. » (Ps 118, 9). La raison en est que les prophètes prédisent ordinairement l’avenir sous forme d’imprécations. Mais ces paroles de saint Jean offrent encore plus de difficulté : « Il y a un péché qui va à la mort, et ce n’est pas pour ce péché là que je dis qu’il faut prier. » (1 Jn 5, 16.) Par ce qui précède : « Si quelqu’un sait que son frère a péché, etc., » le même apôtre nous enseigne clairement qu’il en est pour lesquels nous ne devons pas prier. Le Seigneur, au contraire, nous ordonne de prier pour nos persécuteurs. Cette difficulté ne peut se résoudre qu’en reconnaissant que nos frères peuvent se rendre coupables de péchés plus graves que le crime de la persécution. Ainsi saint Etienne prie pour ceux qui le lapidaient, parce qu’ils ne croyaient pas encore en Jésus-Christ (Ac 7), tandis que saint Paul ne prie pas pour Alexandre parce qu’il était du nombre des fidèles et qu’il avait péché en attaquant par un sentiment d’envie l’union fraternelle (1 Tm 15). Toutefois ce n’est pas prier contre quelqu’un que de ne pas prier pour lui. Mais que dirons-nous de ceux contre lesquels nous savons que des saints ont prié non pas pour leur conversion, c’eût été bien plutôt prier pour eux, mais pour qu’ils fussent livrés à l’éternelle damnation ? Je ne parle pas de la prière que le prophète adressait à Dieu contre celui qui a trahi le Seigneur, c’était une prédiction de l’avenir et non un souhait de condamnation, mais de la prière que nous lisons dans l’Apocalypse (Ap 6) et où les saints martyrs prient Dieu de venger leur sang répandu. — Or, cette prière n’a rien qui doive nous étonner ; car qui oserait affirmer qu’elle est dirigée contre les persécuteurs eux-mêmes et non contre le règne du péché ? Quelle est en effet la vengeance pure des martyrs, vengeance pleine de justice et de miséricorde, c’est de voir détruire l’empire du péché sous lequel ils ont tant souffert ; et ce qui renverse cet empire, c’est tout à la fois la conversion des uns et la damnation des autres qui persévèrent dans le péché. Est-ce que saint Paul, à votre avis, n’a pas suffisamment vengé dans sa personne le martyr saint Etienne, lorsqu’il dit : « Je châtie mon corps et je le réduis en servitude. » — S. Aug. (Quest. sur l’Anc. et le Nouv. Test., chap. 68). Ou bien les âmes de ces victimes crient et demandent vengeance comme le sang d’Abel du sein de la terre, non pas d’une voix matérielle et sensible, mais par la force même des choses. C’est dans ce sens qu’on dit d’une oeuvre, qu’elle loue celui qui l’a faite par cela même qu’elle le réjouit de son seul aspect. Pourquoi d’ailleurs les saints seraient-ils impatients de presser l’exécution d’une vengeance qu’ils savent devoir arriver au temps marqué ?

S. Chrys. (hom. 18.) Voyez par combien de degrés le Sauveur nous fait monter et comme il nous établit sur le sommet le plus élevé de la vertu. Le premier degré c’est de ne pas prendre l’initiative de l’injure, le second de ne pas la venger par une injure égale, le troisième de ne pas faire endurer à notre ennemi ce qu’il nous a fait souffrir ; le quatrième de s’exposer soi-même à la souffrance ; le cinquième de donner plus ou de se montrer disposé à faire de plus grands sacrifices que ne le veut notre ennemi ; le sixième de ne pas avoir de haine pour celui qui se conduit de la sorte ; le septième de l’aimer ; le huitième de lui faire du bien ; le neuvième de prier pour lui, et comme c’est là un grand commandement il lui donne pour sanction cette magnifique récompense de devenir semblable à Dieu : « Afin que vous soyez, dit-il, les enfants de votre Père céleste qui est dans les cieux. » — S. Jér. Si celui qui garde les commandements de Dieu devient le fils de Dieu, il ne l’est donc point par nature, mais il le devient par l’effet de sa libre volonté.

S. Aug. (serm. sur la mont., 6, 23 ou 46.) Ces paroles doivent s’entendre dans le même sens que ces autres de saint Jean : « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » Il n’y a qu’un seul Fils de Dieu par nature ; quant à nous, nous recevons le pouvoir de devenir les enfants de Dieu, lorsque nous accomplissons ses commandements. Aussi ne dit-il pas « Faites cela, parce que vous êtes les enfants, » mais « faites-le pour devenir les enfants de Dieu, » En nous appelant à cette sublime dignité, il nous appelle à lui devenir semblables, c’est pour cela qu’il ajoute « Qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » Par le soleil, on peut entendre non pas celui qui brille à nos yeux, mais celui dont le prophète a dit : (Ml 4) « Le soleil de justice se lèvera sur vous qui craignez le nom du Seigneur ; » et par la pluie, la rosée que répand dans les âmes la doctrine de la vérité ; parce qu’en effet le Christ s’est manifesté et a été évangélisé aux bons et aux mauvais. — S. Hil. On peut dire aussi que c’est dans le baptême et dans le sacrement qui confère l’esprit, qu’il fait luire ce soleil, et qu’il donne cette pluie. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien encore on peut entendre ces paroles et de ce soleil visible, et de la pluie qui fait croître les fruits ; en effet les méchants dans le livre de la Sagesse font entendre cette plainte : « Le soleil ne s’est pas levé pour nous, » et il est dit de la pluie spirituelle : « Je commanderai à mes nuées de ne pas répandre leur rosée sur elle. » Qu’on admette l’un ou l’autre sens, c’est toujours un effet de la grande bonté de Dieu qu’on nous ordonne d’imiter. Or il ne dit pas simplement : « Il fait lever le soleil » mais, « son soleil, » nous apprenant ainsi avec quelle largesse nous devons donner d’après ce précepte ce que nous n’avons pas créé, mais ce que nous recevons de sa munificence. — S. Aug. (Lettres 48 à Vincent.) Mais tout en louant sa libéralité, pensons aux châtiments dont il frappe ceux qu’il aime, et concluons qu’on n’est pas ami parce qu’on épargne la correction ; et qu’on n’est pas ennemi parce qu’on châtie, car il vaut mieux aimer avec sévérité que de tromper avec douceur (Pv 27, 26).

S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est avec dessein que Notre-Seigneur dit : « Sur les justes, » et non pas « sur les justes comme sur les injustes, » car ce n’est pas à cause des hommes, mais à cause des Saints que Dieu distribue tous ses biens, de même que c’est à cause des pécheurs qu’il inflige ses châtiments sur la terre. Mais dans la distribution des biens, il ne fait pas distinction des pécheurs d’avec les justes, pour ne pas les jeter dans le désespoir ; de même que dans les bâtiments qu’il envoie, il ne sépare pas les justes des pécheurs. Cette conduite est d’autant plus équitable que les biens ne sont pas d’une grande utilité aux méchants, qui par leur mauvaise vie, les font tourner à leur perte ; et que les maux loin de causer aucun dommage aux bons servent bien plutôt à leur progrès dans la vertu. — S. Aug. (Cité de Dieu, 1, 8.) En effet, l’homme de bien ne se laisse ni enfler par la prospérité, ni abattre par le malheur, tandis que l’adversité devient un châtiment pour le méchant, parce qu’il se laisse corrompre par la bonne fortune. Ou bien encore, Dieu a voulu que les biens et les maux de cette vie fussent communs aux uns et aux autres pour nous ôter le désir trop vif de ces biens que nous voyons les méchants partager avec nous, et la crainte qui nous fait fuir honteusement des maux que les justes eux-mêmes ne peuvent éviter.

La Glose. Aimer celui qui nous aime, c’est un sentiment que la nature inspire ; aimer notre ennemi c’est un acte de pure charité, et c’est ce que le Sauveur exprime par les paroles suivantes : « Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? » (c’est-à-dire au ciel) ; comme s’il disait : Vous n’en aurez aucune, car c’est de vous qu’il est dit : « Vous avez reçu votre récompense. » Cependant il faut accomplir ce premier devoir et ne pas omettre le second. — Rab. Si donc les pécheurs sous la seule inspiration de la nature cherchent à se montrer bienfaisants pour ceux qui les aiment, à combien plus forte raison devez-vous embrasser dans le sein d’un amour plus étendu, ceux mêmes qui ne vous aiment pas. C’est pour cela qu’il vous dit : « Les Publicains ne le font-ils pas ? » c’est-à-dire ceux qui perçoivent les deniers publics ou qui poursuivent les honneurs et les richesses de la terre dans le commerce et dans les affaires du siècle. — La Glose. Si vous priez pour ceux-là seulement qui vous sont unis par les liens du sang ou de l’amitié, en quoi votre charité est-elle supérieure à celle des infidèles ? Il ajoute : « Si vous ne saluez que vos frères ; » (le salut est une espèce de prière), que faites-vous en cela de plus ? Les païens ne le font-ils pas aussi ? — Rab. Les païens sont les Gentils (le mot grec εθνος correspond au mot latin gens,) ainsi appelés parce qu ils ont été comme engendrés sous la loi du péché.

 

Remi. Comme la perfection de la charité fraternelle ne peut aller plus loin que l’amour des ennemis, le Seigneur après en avoir imposé le précepte ajoute : « Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Il est parfait comme tout puissant, l’homme devient parfait par le secours du Tout-Puissant. L’expression comme signifie quelquefois dans l’Écriture l’égalité et la vérité, par exemple dans ce passage : « Je serai avec vous, comme j’ai été avec Moïse. » Quelquefois, cette particule n’exprime qu’une simple ressemblance comme dans cet endroit. — S. Chrys. (sur S. Matth.) De même que les enfants des hommes portent toujours dans leur corps quelque trait de ressemblance avec leur père ; de même aussi on reconnaît à leur sainteté les enfants spirituels de Dieu.

 

 

 

CHAPITRE VI.

 

v. 1.

La Glose. Le Sauveur après avoir accompli la loi quant aux préceptes, commence à l’accomplir en ce qui concerne les promesses, car il veut que nous observions les commandements de Dieu en vue des récompenses célestes, et non pour les récompenses temporelles que promettait la loi. Or ces récompenses temporelles se rapportent surtout à ces deux points ; la gloire humaine et l’abondance des biens de la terre ; la loi promettait l’une et l’autre ; la gloire en ces termes : « Le Seigneur ton Dieu t’élèvera au-dessus de toutes les nations qui habitent la terre ; » et un peu plus loin la richesse : « Le Seigneur te donnera en abondance toute sorte de biens ; » et c’est pour cette raison que Notre-Seigneur Jésus-Christ exclut l’une et l’autre de l’intention des fidèles.

S. Chrys. (hom. 19.) Admettons en principe que le désir de la gloire aime à habiter avec la vertu. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Dans une action qui a de l’éclat, la vaine gloire trouve plus facilement à se glisser, aussi Notre-Seigneur nous prémunit tout d’abord contre ce danger : il a compris qu’il est mille fois plus pernicieux pour les hommes que tous les vices de la chair : car tandis que toutes les tentations mauvaises assaillent les serviteurs du démon, celle de la vaine gloire attaque de préférence les serviteurs de Dieu. — S. Aug. Or il n’y a que ceux qui ont lutté contre l’amour de la vaine gloire, qui puissent comprendre quelle puissance elle exerce contre nous ; car s’il vous est facile de ne pas désirer la louange qu’on vous refuse, il vous est fort difficile de ne pas vous complaire dans celle qui vous est offerte.

S. Chrys. (hom. 19.) Considérez avec attention ses commencements comme si vous aviez à vous prémunir contre une bête féroce difficile à connaître et prête à dépouiller celui qui n’est pas sur ses gardes. Elle se glisse imperceptiblement ; et nous enlève par le moyen des sens tout ce que nous possédons à l’intérieur. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Aussi Notre-Seigneur nous ordonne d’éviter avec soin ce danger en nous disant : « Prenez garde de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes. » C’est notre cœur qui doit être l’objet de cette vigilance, car le serpent qu’on nous commande de surveiller est invisible, il pénètre secrètement dans notre âme pour nous séduire. Mais si le cœur dans lequel se glisse cet ennemi est pur, le juste reconnaît bientôt qu’il est sollicité par un esprit étranger. Si au contraire le cœur est rempli d’iniquités, il ne se rend pas facilement compte des suggestions du démon. Voilà pourquoi Notre-Seigneur a commencé par dire : « Ne vous mettez pas en colère, ne convoitez pas, » car un homme esclave de ses passions n’est pas capable de veiller sur les mouvements de son cœur. Mais comment est-il possible que nous ne fassions pas l’aumône devant les hommes, et dans cette hypothèse même, comment pourrons-nous y rester insensibles ? Car si un pauvre se présente à nous devant une autre personne, comment lui donner l’aumône en secret, et si vous le tirez à l’écart, c’est un moyen de trahir votre aumône ? Remarquez, que Notre-Seigneur ne dit pas seulement : « Ne faites pas devant les hommes, » mais qu’il ajoute « pour en être considérés. » Celui donc qui n’agit point dans le dessein d’être vu des hommes, bien qu’il agisse en leur présence, n’est pas censé faire des bonnes oeuvres devant les hommes ; car celui qui agit pour Dieu, ne voit dans son cœur que Dieu pour lequel seul il agit ; de même que l’ouvrier a toujours devant les yeux celui qui lui a commandé son travail.

S. Grég. (Moral., liv. 8, chap. 30.) Si nous ne cherchons que la gloire de celui qui nous donne la grâce de bien faire, nos oeuvres, même celles que nous faisons en public demeurent secrètes sous la protection de ses regards, mais si dans ces oeuvres nous nous proposons notre propre gloire, elles sont bannies de la présence de Dieu, quand même elles seraient ignorées du grand nombre. C’est l’effet d’une haute perfection de chercher dans les oeuvres faites en public la gloire de l’auteur de tout bien, et de ne pas se complaire intérieurement dans la gloire individuelle qui peut nous en revenir. Mais comme les âmes encore faibles ne sont pas capables de ce parfait mépris qui nous fait triompher de la vaine gloire, ils doivent s’appliquer à dérober aux regards des hommes le bien qu’ils font.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 2 ou 3.) En disant : « Pour être vus par eux, » sans rien ajouter, Notre-Seigneur nous défend évidemment de placer dans l’opinion des hommes la fin de nos bonnes oeuvres. Car l’apôtre qui d’un côté fait entendre ces paroles : « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais plus le serviteur de Jésus-Christ, » dit ailleurs : « Je m’efforce de plaire à tous en toutes choses. » Or s’il agissait ainsi, ce n’était pas pour plaire aux hommes, mais à Dieu, et pour convertir à son amour les cœurs des hommes par là même qu’il leur était agréable ; de même qu’un homme pourrait dire avec raison : je cherche un navire, toutefois ce n’est pas le navire que j’ai en vue, mais la patrie. — S. Aug (serm. 2 sur les paroles du Seigneur.) Notre-Seigneur ajoute : « Pour être vus par eux ; » il en est en effet qui ne font pas leurs oeuvres devant les hommes dans l’intention que les hommes les voient, mais afin qu’ils voient leurs bonnes oeuvres et glorifient le Père céleste qui est dans les cieux, car ils ne s’attribuent pas à eux-mêmes le mérite de leur propre justice, mais en renvoient toute la gloire à Dieu seul dans la foi duquel ils vivent (Ga 2, 29 ; 3, 1). — S. Aug. (serm. sur la mont.) Par ces paroles : « Autrement vous n’en recevrez pas la récompense de votre Père, qui est dans les cieux, » le Sauveur veut nous apprendre surtout à ne point rechercher la gloire humaine comme récompense de nos bonnes oeuvres.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Que pourrez-vous recevoir de Dieu, vous qui n’avez rien donné à Dieu ? Ce que l’on fait pour Dieu, c’est à Dieu qu’on l’offre, et Dieu le reçoit ; ce que l’on fait pour les hommes s’évanouit dans les airs. Or quelle folie de donner un bien aussi précieux pour de vaines paroles, et de faire mépris des récompenses divines ? Considérez celui de qui vous attendez la louange, il croit que vous agissez pour Dieu, autrement il aurait pour vous un profond mépris. Or celui qui recherche les regards des hommes avec une volonté pleine et entière, agit évidemment pour les hommes. Si au contraire une pensée de vanité s’élève dans votre cœur et y fait naître le désir le paraître aux yeux des hommes, mais que la partie intelligente de votre âme s’oppose à ce désir, on ne peut dire que vous agissez pour les hommes ; car cette pensée est une pensée de la chair, mais c’est le jugement de votre âme qui a déterminé votre choix.

 

vv. 2-4.

S. Aug. (serm. sur la mont. 2, 5). Le Seigneur, en disant à ses disciples : « Prenez garde que votre justice, » etc., n’a parlé de cette vertu que d’une manière générale ; il va maintenant en parcourir les divers degrés. — S. Chrys. Il oppose trois vertus d’une force toute divine (l’aumône, le jeûne, la prière), aux trois vices contre lesquels il a soutenu lui-même les assauts de la tentation. Le Sauveur a combattu pour nous, en effet, contre la sensualité dans le désert, contre l’avarice sur la montagne, contre la vaine gloire sur le haut du temple. L’aumône qui aime à répandre ses biens (cf. Ps 111, 8) est opposée à l’avarice qui amasse, le jeûne à la sensualité, dont il est le contraire, la prière à la vaine gloire, parce que la vaine gloire est le seul vice qui tire son origine du bien, tandis que tous les autres maux sont le produit d’un principe mauvais ; aussi, loin de la détruire, la vertu lui sert d’aliment. Il n’y a donc d’autre remède contre la vaine gloire que la prière seule.

 

S. Ambr. Toute la morale chrétienne se réduit à la miséricorde et à la piété, et c’est pour cela que le Sauveur place l’aumône en premier lieu : « Lorsque vous faites l’aumône, ne faites point sonner la trompette devant vous. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) La trompette c’est toute parole dite, toute oeuvre faite avec un extérieur d’ostentation visible ; par exemple, voici un homme qui, avec intention, fait l’aumône devant témoins ou par l’entremise d’un autre, ou à une personne honorable qui pourra s’acquitter envers lui ; dans d’autres circonstances, il n’en fait pas, ou bien s’il fait l’aumône en secret, il la fait pour s’attirer des louanges, c’est toujours la trompette. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 1). Ces paroles : « Ne faites pas sonner la trompette devant vous, » se rapportent à ce qu’il a dit plus haut : « Prenez garde de ne pas faire vos bonnes oeuvres devant les hommes. »

S. Jér. Celui qui sonne de la trompette en faisant l’aumône est un hypocrite, et c’est pour cela qu’il ajoute : « Comme font les hypocrites. » — La Glose. Peut-être agissaient-ils ainsi pour rassembler le peuple et pour attirer tout le monde à ce spectacle. — Isid. Le nom d’hypocrite vient des acteurs qui, dans les spectacles, ont l’habitude de dissimuler leurs traits naturels en appliquant sur leur visage diverses couleurs pour prendre le teint de la personne qu’ils veulent représenter, tantôt un homme, tantôt une femme, le tout pour faire illusion aux spectateurs dans les jeux publics. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Les hypocrites, c’est-à-dire les comédiens, jouent le rôle des personnages qu’ils veulent imiter sans qu’ils le soient en effet (celui qui joue le rôle d’Agamemnon n’est pas Agamemnon, mais s’efforce de le paraître). Ainsi, parmi les chrétiens, celui qui dans toute sa vie veut paraître ce qu’il n’est pas est un hypocrite, car il se couvre de l’extérieur du juste sans l’être en réalité, lui qui ne veut que la louange des hommes pour tout fruit de ses bonnes oeuvres. — La Glose. C’est pour cela que le Sauveur désigne les lieux fréquentés par le public : « Dans les synagogues et dans les carrefours, et qu’il ajoute : « Pour être honoré des hommes, » marquant ainsi le but qu’on se propose.

S. Grég. (Moral., 21, 8.) Il en est cependant qui ont l’extérieur de la sainteté, mais qui ne peuvent en atteindre toute la perfection ; on ne doit pas les ranger parmi les hypocrites, car on ne peut assimiler celui qui pèche par faiblesse à celui qui pèche par hypocrisie.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Or, ceux qui se rendent coupables d’hypocrisie n’ont à attendre de Dieu, qui examine le fond du cœur, d’autre récompense que le châtiment de leur fourberie ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Je vous le dis en vérité, ils ont reçu leur récompense. » — S. Jér. Ce n’est pas la récompense de Dieu, mais leur récompense ; ils ont fait leurs bonnes oeuvres pour les hommes, ils ont obtenu les louanges des hommes. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ces paroles se rapportent à celles qu’il a dites plus haut : « Autrement vous n’aurez pas la récompense de votre Père. » Il ajoute : « Pour vous, lorsque vous faites l’aumône, que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite, » et vous ordonne ainsi de faire l’aumône, non pas comme ils la font mais comme il veut qu’elle soit faite. — S. Chrys. (hom. 49.) Ces paroles sont dites par hyperbole et reviennent à celles-ci : S’il est possible, appliquez-vous avec le plus grand soin à vous ignorer vous-mêmes, et à vous cacher l’oeuvre de vos propres mains. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Voici l’interprétation que les Apôtres donnent de ces paroles dans le livre des Canons : La droite est le peuple chrétien qui est à la droite du Christ ; la gauche, le peuple qui est à gauche ; Notre-Seigneur veut donc que le chrétien qui est la droite ne se laisse pas voir lorsqu’il fait l’aumône par l’infidèle qui est à la gauche.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Selon cette interprétation, il semble qu’il n’y aurait aucun mal à vouloir plaire aux fidèles, et cependant il nous est défendu de nous proposer comme fin de nos bonnes oeuvres la louange des hommes quels qu’ils soient. Cependant si vous cherchez à leur plaire dans vos actions pour les porter à vous imiter, ce n’est pas seulement en présence des fidèles, mais aussi des infidèles que vous devez accomplir vos bonnes oeuvres. Si avec d’autres auteurs vous entendez par la gauche votre ennemi, et que le sens de ces paroles soit que votre ennemi doit ignorer que vous faites l’aumône, comment expliquer que le Seigneur, dans sa miséricorde, ait guéri les malades, entouré des Juifs ses plus cruels ennemis ? Comment, d’ailleurs, accorder ce commandement avec celui qui nous est imposé de faire l’aumône, même à notre ennemi ? « Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger » (Rm 12, 20 ; Pv 21, 21). Quant à la troisième opinion, qui prétend que la gauche signifie l’épouse, elle est ridicule. Comme dans le mariage, disent-ils, les femmes laissent difficilement échapper l’argent de leurs mains, les maris, pour éviter les querelles domestiques, doivent leur cacher ce qu’ils donnent aux pauvres. Mais ce précepte n’est pas donné pour les hommes seuls ; il concerne aussi les femmes. Ainsi, la femme étant obligée de cacher ses aumônes à sa main gauche, dira-t-on que l’homme est la gauche de sa femme ? Si on admet qu’il y a obligation pour eux de se gagner réciproquement à la vertu par le spectacle de leurs bonnes oeuvres, ils ne doivent point se les cacher l’un à l’autre, encore moins commettre un vol pour être agréables à Dieu. Accordons même que la faiblesse de l’un force l’autre de lui dérober la connaissance d’une oeuvre dont il ne pourrait supporter la vue, il n’y a rien en cela d’illicite, mais on ne peut en conclure que la gauche signifie la femme, alors que tout l’ensemble du chapitre s’oppose à cette interprétation. Que vous est-il donc défendu ? De faire ce que le Sauveur condamne dans les hypocrites qui recherchent les louanges des hommes. La gauche nous paraît donc signifier le désir des louanges, et la droite l’intention d’accomplir les commandements de Dieu. Lorsque le désir de la gloire humaine se glisse dans votre âme au moment où vous faites l’aumône, votre gauche devine les secrets de votre droite. Laissez donc votre gauche dans l’ignorance, c’est-à-dire que le désir des louanges des hommes ne trouve point de place dans votre âme. Mais Notre-Seigneur nous défend bien plus sévèrement de laisser la gauche agir seule en nous, que de lui permettre de se mêler aux oeuvres de la droite. Quant au but qu’il s’est proposé dans ce précepte, il nous le fait connaître en ajoutant : « Afin que votre aumône soit dans le secret. » C’est-à-dire dans une bonne conscience qui ne s’ouvre pas aux regards des hommes, ni à leurs discours si souvent mensongers. Votre conscience seule vous suffit pour mériter votre récompense, si vous l’attendez de celui qui seul pénètre dans la conscience, et c’est ce qu’enseignent les paroles suivantes : « Votre Père qui voit dans le secret vous le rendra lui-même. » Un grand nombre d’exemplaires latins portent : « Vous le rendra en public. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il est impossible que Dieu laisse dans l’obscurité une seule bonne oeuvre : dans la vie présente il se contente de la produire au grand jour, et il la glorifiera dans l’autre vie, parce qu’il est la gloire de Dieu. Par la même raison, le démon met le mal en évidence parce que le mal fait éclater la puissance de sa méchanceté. Mais à proprement parler, Dieu ne dévoile les bonnes oeuvres que dans cette vie, où les biens ne sont pas communs aux bons et aux méchants ; tous ceux que Dieu y comble de biens peuvent les considérer comme la récompense méritée de leur justice ; sur la terre, au contraire, on ne peut distinguer clairement cette récompense, parce que les richesses y sont le partage des méchants comme des bons. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Dans les exemplaires grecs, qui sont antérieurs aux latins, on ne trouve pas le mot palam, en public.

S. Chrys. (hom. 19.) Si vous voulez des spectateurs de vos actions, voici non-seulement les anges et les archanges, mais encore le Dieu souverain maître de toutes choses.

 

vv. 5-6.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Salomon (Si 9, 23) nous fait cette recommandation : « Avant la prière, préparez votre âme. » C’est ce que fait celui qui donne l’aumône avant de prier. Les bonnes oeuvres, en effet, réveillent la foi du cœur et donnent à l’âme la force de s’adresser à Dieu par la prière. L’aumône est donc une préparation à la prière et c’est pour cela qu’après avoir expliqué les conditions de l’aumône le Sauveur nous donne ses instructions sur la prière.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Or, il nous enseigne ici non pas l’obligation de la prière, mais la manière dont nous devons prier, de même que plus haut il n’a point parlé de la nécessité de l’aumône, mais de l’intention avec laquelle on doit la faire. — S. Chrys. (sur S. Matth.) La prière est comme un tribut spirituel que l’homme tire du plus intime de son âme pour l’offrir à Dieu. Plus donc la prière est honorable et glorieuse, plus il faut prendre garde à ce qu’une intention tout humaine ne vienne l’avilir. Aussi, écoutez le Sauveur : « Lorsque vous prierez, vous ne serez pas comme des hypocrites. » — S. Chrys. (hom. 49.) Il appelle hypocrites ceux qui font semblant de prier et regardent de tous côtés si les hommes les considèrent, et c’est pour cela qu’il ajoute « Qui aiment à prier dans les synagogues. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Je ne pense pas que le Seigneur veuille parler ici du lieu où l’on prie, mais de l’intention qui anime la prière, car c’est une action louable que de prier dans les assemblées des fidèles, selon cette parole du roi-prophète : « Bénissez Dieu dans les assemblées. » Celui-là donc qui prie pour être vu des hommes, ce n’est pas vers Dieu, mais vers les hommes qu’il tourne ses regards et, par son intention, il prie dans la synagogue. Le texte ajoute : « Et dans les coins des rues, » afin de paraître prier en secret, poursuivant ainsi aux yeux des hommes le double mérite de la prière et de la prière faite en secret. — La Glose. Ou bien ces coins de rues sont les endroits où une voie en coupe une autre et forme un carrefour.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Il nous défend donc de prier dans l’assemblée de nos frères dans l’intention d’en être remarqués ; aussi ajoute-t-il : « Pour être vus des hommes. » Que celui qui se livre à la prière évite donc avec soin tout ce qui est extraordinaire et qui peut attirer les regards des hommes, comme d’élever la voix, de se frapper la poitrine ou de tenir les mains étendues. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ce qui est un mal, ce n’est pas d’être vu des hommes, mais d’agir pour en être remarqué. — S. Chrys. (hom. 19). Il est toujours bon de se dérober au danger de la vaine gloire, mais surtout dans la prière, car si même sans ce défaut nos pensées nous égarent çà et là pendant la prière, comment comprenons-nous ce qui nous est dit si nous venons prier avec une âme travaillée de cette nouvelle infirmité ? — S. Aug. (serm. sur la mont.) Nous devons éviter également de faire voir aux hommes que nous ne voulons pour récompense de nos actions que leur être agréables, car écoutons ce qui suit : « Je vous le dis en vérité, ils ont reçu leur récompense. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Chacun ne moissonnera que ce qu’il aura semé ; celui donc qui aura prié pour plaire aux hommes plutôt qu’à Dieu recevra les louanges des hommes et n’aura aucun droit aux louanges de Dieu. Notre-Seigneur dit : « Ils ont reçu, » car Dieu voulait leur accorder la récompense dont il est l’auteur, ils ont mieux aimé rechercher celle que donnent les hommes. Mais comment doit-on prier ? Notre-Seigneur nous l’enseigne par ce qui suit : « Pour vous, lorsque vous voudrez prier, entrez dans votre chambre et, après en avoir fermé la porte, priez votre Père dans le secret. — S. Jér. Ces paroles, dans leur sens naturel, apprennent à celui qui les entend à fuir la vaine gloire dans la prière. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il faut qu’il n’y ait absolument là que celui qui prie et celui à qui s’adresse la prière. Un témoin, loin de vous être alors utile, ne fait que vous être à charge.

S. Cypr. (De l’Oraison Dominicale.) D’ailleurs il est plus convenable pour notre foi de prier dans les lieux retirés, nous comprenons mieux alors que Dieu est présent partout et qu’il pénètre les endroits les plus secrets de la plénitude de sa majesté. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nous pouvons aussi par cette porte de la maison entendre notre bouche, en ce sens que nous n’avons pas besoin d’élever bien haut la voix, mais que nous devons prier dans le silence du cœur pour trois raisons : la première c’est que Dieu qui écoute la voix du cœur ne doit pas être importuné par des cris, mais apaisé par le spectacle d’une conscience droite ; la seconde, c’est que personne, excepté Dieu et vous ne doit connaître l’objet de vos prières secrètes ; la troisième, c’est que votre prière bruyante est un véritable empêchement pour celui qui prie à côté de vous. — Confér. Nous devons prier dans le plus grand silence, afin que nos ennemis qui nous entourent, surtout pendant la prière, ne puissent connaître dans quelle intention nous prions. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Par nos chambres on peut encore entendre nos cœurs, dont le Psalmiste a dit (Ps 4) : « Ce que vous dites dans vos cœurs, repassez-le avec amertume dans le lieu de votre repos. » La porte ce sont les sens de la chair ; au dehors sont toutes les choses temporelles qui pénètrent par les sens dans nos pensées, et la multitude des vains fantômes qui viennent nous étourdir pendant la prière. — S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Mais quelle est cette négligence qui vous laisse prendre et entraîner lorsque vous priez Dieu, par des pensées aussi ridicules que profanes ? Quelle pensée donc doit vous occuper davantage que celle-ci ; c’est à Dieu que je parle. Comment exiger que Dieu vous écoute, alors que vous ne vous écoutez pas vous-mêmes ? C’est vraiment là ne pas vous mettre en garde contre votre ennemi, c’est offenser Dieu par la négligence et la froideur de votre prière. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Il faut donc fermer la porte, c’est-à-dire résister à l’importunité des sens, afin que la prière toute spirituelle monte jusqu’au Père après avoir été formée au plus intime du cœur où l’âme prie Dieu dans le secret, c’est pourquoi il ajoute : « Et votre Père vous le rendra. — Remi. Voici donc le sens de ces paroles : qu’il vous suffise que votre prière soit connue de celui-là seul qui pénètre jusqu’au plus secret des cœurs, et qui par là même ne peut manquer de l’exaucer.

S. Chrys. hom. 12.) Remarquez qu’il ne dit pas : « C’est lui qui vous donnera gratuitement, » mais « c’est lui qui vous le rendra, » car Dieu se constitue lui-même votre débiteur.

 

vv. 7-8

S. Aug (serm. sur la mont.) Le propre des hypocrites est de se donner en spectacle dans leurs prières et de n’y chercher d’autres fruits que la louange des hommes ; ainsi le propre des païens (c’est-à-dire des Gentils) est de penser que c’est à force de paroles qu’ils seront exaucés dans leurs prières. C’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : « Or en priant, ne parlez pas beaucoup. » — Confér. des Pères. Nos prières doivent être fréquentes mais courtes, de peur que notre ennemi ne prenne occasion d’une prière trop prolongée pour jeter ses pernicieuses insinuations dans notre âme.

S. Aug. (Ep. 121 à Proba., chap. 10.) Cependant ce n’est pas faire de longs discours en priant, comme plusieurs le pensent, que de prier longtemps. Les longs discours n’ont rien de commun avec la durée du sentiment intérieur. En effet, n’est-il pas dit du Seigneur lui-même, qu’il passa la nuit à prier (Lc 6), et ailleurs qu’il redoubla sa prière pour nous donner l’exemple ? (Lc 22) On dit que nos frères d’Égypte se livrent à de fréquentes mais très courtes prières qu’ils lancent pour ainsi dire vers le ciel à la dérobée afin que la ferveur d’intention si nécessaire à celui qui prie ne soit pas soumise à une espèce de violence pendant une prière trop prolongée. Par là ils nous apprennent que de même qu’il ne faut pas fatiguer cette intention, si elle ne peut durer plus longtemps, on ne doit pas non plus l’interrompre si elle veut encore continuer. Ne multiplions pas les paroles dans la prière, mais multiplions-y les supplications, si la ferveur de l’intention se soutient. Parler beaucoup dans la prière c’est noyer une demande nécessaire dans un flot de paroles superflues ; tandis que prier beaucoup c’est importuner pour ainsi dire celui que nous prions par les cris continuels de notre cœur : car presque toujours cette affaire se traite bien mieux par des gémissements que par des discours, et plus efficacement avec des larmes qu’avec des paroles.

S. Chrys. (hom. 49.) Notre-Seigneur condamne ici toutes les paroles inutiles et vaines dans la prière, comme lorsque nous demandons à Dieu non pas ce qui est digne de lui et de nous, mais la puissance, la gloire, la victoire sur nos ennemis, de grandes richesses. Il nous défend donc ici les longues prières, je ne dis pas longues par leur durée, mais par la multitude des paroles dont elles sont composées. Cependant la persévérance dans la prière est nécessaire : « Persévérez dans la prière » nous dit l’apôtre (Rm 12 ; Col 4, 2 ; Ep 6, 18). Ce n’est pas qu’il nous ordonne de faire des prières composées de dix mille phrases ; il veut simplement que nous les prolongions par les instances de notre cœur ; c’est ce que Notre-Seigneur nous insinue indirectement par ces paroles : « N’affectez pas de parler beaucoup. »

La Glose. Notre-Seigneur condamne la multitude des paroles qui provient de l’incrédulité, ce qu’il exprime en disant : « Ainsi que font les païens. » Cette abondance de paroles était nécessaire aux païens pour instruire les démons de l’objet de leurs demandes, « car, » dit Jésus-Christ, « ils sont persuadés que c’est à force de paroles qu’ils seront exaucés. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Et en effet toute abondance superflue de paroles vient des païens, qui beaucoup plus occupés du soin d’exercer leur langue que de changer leur cœur, transportent ce flux habituel de paroles jusque dans les prières qu’ils adressent à Dieu. — S. Grég. (Moral., liv. 33, chap. 21.) La prière véritable consiste dans les gémissements amers de la componction et non dans des paroles arrangées avec art ; aussi Notre-Seigneur conclut-il, « Ne vous rendez donc pas semblables à eux. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) Si cette abondance de paroles a pour objet de dissiper l’ignorance de celui à qui on s’adresse, qu’en est-il besoin vis-à-vis de celui qui connaît toutes choses ? C’est pourquoi il ajoute : « Votre Père céleste sait avant que vous le lui demandiez, ce qui vous est nécessaire. »

S. Jér. Quelques philosophes ont pris occasion de là pour formuler comme un dogme cette impiété : Si Dieu connaît par avance et l’objet de nos prières, et les besoins que nous voulons lui exposer, il est inutile de les lui dire. Nous leur répondons que nous faisons à Dieu non pas un récit mais une prière, et qu’il y a une grande différence entre raconter à quelqu’un ce qu’il ignore, et lui demander ce qu’il sait déjà.

S. Chrys. (homél. 19.) Vous ne priez donc pas pour instruire Dieu, mais pour le fléchir, pour vous unir intimement à lui par la continuité de la prière, pour vous humilier, pour réveiller en vous le souvenir de vos péchés. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ce n’est pas par nos paroles que nous devons chercher à obtenir de Dieu ce que nous désirons, mais par les dispositions habituelles de notre âme, par la droiture de notre intention, la pureté de notre amour, la simplicité de notre cœur. — S. Aug. (Lettre 121 à Proba.) Cependant de temps à autre nous adressons à Dieu des prières vocales, afin que ces signes extérieurs nous réveillent, nous fassent connaître quels sont nos progrès dans le saint désir de la prière, et nous excitent plus vivement à l’augmenter en nous. Car ce désir qui s’attiédit au contact de mille soins divers, finirait par se refroidir et s’éteindre tout à fait, si nous ne ravivions fréquemment sa flamme. Les paroles nous sont donc nécessaires non pas pour apprendre à Dieu ce qu’il ne sait pas, ou pour le fléchir, mais pour nous donner de salutaires avertissements, et nous faire examiner l’objet de nos prières.

S. Aug. (serm. sur la mont.) On pourrait demander encore en quoi la prière elle-même (qu’elle consiste en paroles ou en sentiments intérieurs) est nécessaire si Dieu sait par avance ce dont nous avons besoin, s’il n’était évident que la seule volonté de la prière est pour l’âme une source de paix et de pureté, et la rend plus propre à recevoir les dons spirituels que Dieu répand en nous. Dieu n’exauce pas nos prières par le désir qu’il a d’être prié, car il est toujours prêt à donner sa lumière, mais nous ne sommes pas toujours disposés à la recevoir, inclinés que nous sommes vers d’autres biens. Dans la prière notre cœur se tourne donc vers Dieu, et en excluant le désir des biens temporels l’oeil intérieur de notre âme se purifie, et ainsi rendu à sa pureté il devient capable de supporter la lumière dans toute sa clarté, et de demeurer dans cette sublime contemplation avec ce sentiment de joie qui est la perfection du bonheur.

 

v. 9.

La Glose. Parmi les enseignements salutaires et les conseils divins que Notre-Seigneur donne à ceux qui croient en lui, il leur propose une formule de prière, et cette formule renferme peu de paroles ; il veut que cette brièveté même qu’il nous commande nous inspire la confiance d’être promptement exaucés. Cette prière commence ainsi : « Notre Père qui êtes dans les cieux. » — S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Celui qui nous a donné la vie nous a enseigné aussi à prier, afin qu’en adressant au Père la prière que le Fils nous a lui même apprise, nous soyons plus facilement exaucés. C’est prier Dieu en ami et avec une espèce de familiarité que de se servir de ses propres paroles. Que le Père donc reconnaisse les paroles de son Fils dans nos prières, et puisque ce divin Fils est près du Père l’avocat qui intercède pour nos péchés, lorsque nous venons demander le pardon de nos péchés, empruntons le langage même de notre avocat. Ce ne sont pas cependant les seules paroles dont nous puissions nous servir pour prier ; il en est d’autres qui ont le même sens et qui peuvent également enflammer notre cœur.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Dans toute prière il faut avant tout se concilier la bienveillance de celui qu’on prie, et lui exposer ensuite l’objet de notre demande. C’est par la louange qu’on se concilie cette bienveillance, et on la place ordinairement au commencement de la prière. La loi contenait bien des préceptes sur la manière dont Dieu devait être loué, mais on n’en trouve aucun qui enjoigne au peuple d’Israël d’appeler Dieu notre Père (cf. Is 1, 2 ; 63, 16 ; 64, 8 ; Ps 81, 6 ; Ml 1, 6 ; Sg 14, 3 ; Si 23, 1.4). Car Dieu ne leur était présenté que comme un maître qui commande à ses serviteurs, et non comme un père plein de tendresse pour ses enfants. Le peuple chrétien au contraire, d’après le témoignage de l’Apôtre a reçu l’esprit d’adoption dans lequel nous crions : « Mon Père, mon Père, » non point sans doute par l’effet de nos mérites, mais par la grâce qui nous fait dire dans la prière : « Mon Père. » Ce nom excite à la fois la charité dans nos cœurs (car qu’y a-t-il de plus cher à des enfants que leur père), un sentiment d’affectueuse supplication, qui nous fait dire à Dieu : « Notre Père, » et l’espérance presque certaine d’obtenir ce que nous demandons. Car que peut-il refuser à ses enfants qui le prient, après le bienfait inestimable de cette filiation divine ? Enfin avec quelle sollicitude celui qui dit : « Notre Père » doit veiller à ne pas se rendre indigne d’une si auguste filiation ? Ceux qui ont les richesses en partage, ou qui se glorifient d’une illustre origine doivent apprendre, du moment qu’ils sont devenus chrétiens, à ne point se conduire avec hauteur à l’égard de ceux qui sont pauvres ou de condition obscure, puisque tous ensemble ils disent à Dieu : « Notre Père, » parole qui ne peut avoir dans leur bouche ni l’accent de la piété, ni celui de la vérité, s’ils ne les reconnaissent pour leurs frères. — S. Chrys. (hom. 28.) Quel mal peut résulter pour nous de notre parenté d’ici-bas alors que par une alliance bien plus sublime nous ne formons tous qu’une même famille ? Par ce nom seul de Père, nous proclamons le pardon de nos péchés, notre adoption, notre droit à l’héritage, la fraternité qui nous unit au Fils unique, et l’effusion de l’Esprit saint dans nos âmes, car personne ne peut appeler Dieu son Père, s’il n’est en possession de tous ces biens. Notre âme donc se trouve au commencement de la prière élevée tout à la fois et par la dignité de celui qu’elle invoque, et par la grandeur des bienfaits dont elle est comblée. — S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Nous ne disons pas : « Mon Père, » mais « Notre Père ; » parce que le Maître de la paix et de l’unité ne veut pas de ces prières individuelles et privées, qui omit pour objet exclusif l’intérêt de celui qui prie. Notre prière a nous doit être publique et commune ; lorsque nous prions, ce n’est pas pour un seul, c’est pour tout le peuple chrétien, car nous ne formons tous qu’un seul peuple, et Dieu a voulu qu’un seul priât pour tous comme il nous a lui-même portés tous en un seul. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est la nécessité qui nous force de prier pour nous, mais c’est la charité fraternelle qui nous inspire de prier pour les autres. Or la prière qu’inspire l’amour de la fraternité est plus agréable à Dieu que celle qui est dictée par la nécessité. — La Glose. Nous disons : « Notre Père, » expression qui est commune à tous les chrétiens, et non pas : « Mon Père, » ce qui n’appartient qu’à Jésus-Christ seul, qui est fils par nature.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur ajoute : « Qui êtes dans les cieux, » pour nous apprendre ainsi que nous avons un Père céleste et nous faire rougir lorsque nous nous abaissons au niveau des choses de la terre. — Confér. des Pères. C’est aussi pour nous inspirer un vif désir de parvenir à cette région où nous reconnaissons qu’habite notre Père. — S. Chrys. (hom. 26.) En disant : « Qui êtes dans les cieux, » il n’y renferme pas l’immensité divine, mais il détache simplement de la terre celui qui prie pour le transporter dans les régions plus élevées. — S. Aug. (serm. sur la mont. 2, 9). Ou bien ces paroles : « Dans les cieux, » veulent dire : Dans les saints et dans les justes, car Dieu ne peut être renfermé dans l’espace. On entend ordinairement par les cieux les parties de cet univers dont la nature est plus parfaite, et si l’on admet qu’elles sont le séjour de Dieu, il faudra dire que les oiseaux sont de meilleure condition que nous, puisqu’ils vivent dans des lieux plus rapprochés de Dieu. Or, il n’est pas écrit : « Le Seigneur est proche des hommes qui habitent les lieux élevés ou les montagnes, » mais : « Il est proche de ceux qui ont le cœur contrit » (Ps 33, 19). Mais de même que le pécheur est appelé terre et que Dieu lui a dit : « Tu es terre et tu retourneras en terre, » ainsi par une raison contraire le nom de ciel convient parfaitement aux justes. C’est donc avec raison que nous disons : « Qui êtes dans les cieux, » c’est-à-dire qui êtes dans les justes, car la distance spirituelle qui sépare les justes des pécheurs est aussi grande que la distance qui, dans le monde visible, sépare le ciel de la terre. C’est pour cela que lorsque nous prions nous nous tournons vers l’orient d’où nous voyons le ciel se lever. Ce n’est pas que Dieu y soit d’une manière particulière, à l’exclusion des autres parties du monde, mais c’est pour rappeler à notre âme qu’elle doit se tourner vers la nature plus parfaite de Dieu, en même temps que notre corps qui est terrestre se tourne vers un corps céleste qui est aussi plus parfait. Il est convenable aussi que tous, les petits comme les grands, se servent de leurs sens pour concevoir des sentiments dignes de Dieu, et pour ceux qui ne peuvent se faire une idée d’un être incorporel, il vaut mieux encore croire que Dieu est dans le ciel que sur la terre.

 

Que votre nom soit sanctifié.

 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 12). Le Sauveur nous a fait connaître celui à qui doit s’adresser notre prière et le lieu qu’il habite, voyons maintenant quel doit être l’objet de nos prières. La première de toutes les demandes est celle-ci : « Que votre nom soit sanctifié. » Cette demande ne suppose pas que le nom de Dieu ne soit pas saint par lui-même, mais elle exprime le désir que la sainteté de ce nom soit reconnue par tous les hommes c’est-à-dire que les hommes aient une connaissance si parfaite de Dieu qu’ils n’estiment rien de plus saint que lui. — S. Chrys. (Hom. 20.) Ou bien il veut que dans la prière nous demandions que Dieu soit glorifié par notre vie, comme si nous disions à Dieu : « Accordez-nous de vivre de manière que notre vie soit pour toutes les créatures un sujet de vous louer et de vous glorifier, » car l’expression : « Qu’il soit sanctifié » est la même que celle-ci : Qu’il soit glorifié. Or, pour être digne de Dieu, la prière ne doit rien demander avant la gloire du Père, et doit subordonner tout à ses louanges. — S. Cyp. (de l’Orais. Dom.) Ou bien encore : Nous ne formons pas le souhait que Dieu soit sanctifié par nos prières, mais que son nom soit sanctifié en nous-mêmes. C’est lui qui nous a dit : « Soyez saint comme je suis saint ; » nous le supplions donc, lui qui nous a sanctifiés dans le baptême, de nous faire persévérer dans la sainteté que nous avons reçue. — S. Aug. (Du don de la Persévér., chap. 2). Mais pourquoi demander cette persévérance à Dieu, si, comme le prétendent les Pélagiens, Dieu ne peut la donner ? N’est-ce pas une dérision que de lui demander ce qu’on sait qu’il ne peut donner, et ce qui est au pouvoir de l’homme sans le concours de sa grâce ?

S. Cyp. (De l’Orais. Dom.) C’est tous les jours que nous demandons que son nom soit sanctifié, car nous avons besoin de cette sanctification continuelle pour expier les offenses que nous commettons chaque jour de notre vie.

 

 

v. 10.

Que votre règne arrive

La Glose. Après l’adoption des enfants, il est juste que nous demandions l’avènement du royaume qui est promis aux enfants. C’est l’objet de la demande suivante : « Que votre règne arrive. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ces paroles ne veulent pas dire que Dieu ne règne pas actuellement sur la terre et qu’il n’y ait pas toujours régné. Cette expression : « Qu’il arrive » signifie donc : « Qu’il soit manifesté aux hommes. » Or, personne qui puisse ignorer le royaume de Dieu, lorsque son Fils unique viendra non plus d’une manière spirituelle, mais visiblement pour juger les vivants et les morts ; c’est alors, comme le Seigneur l’enseigne, qu’aura lieu le jugement dernier, lorsque l’Évangile aura été prêché à toutes les nations. Cette demande se rattache à la sanctification du nom de Dieu. — S. Jér. Ou bien nous demandons d’une manière générale que le démon cesse de régner sur toute la surface de la terre, ou que Dieu règne dans chacun de nous et détruise le règne du péché dans notre corps mortel (hom. 6). — S. Cyp. (de 1’Orais. Dom.) Ou bien nous demandons l’avènement de ce royaume que Dieu nous a promis, que Jésus-Christ nous a mérité par son sang, afin qu’après l’avoir servi sur la terre nous puissions régner avec lui dans le ciel. — S. Aug. (Lettre 121 à Proba, chap. 11). Voulons-le, ne le voulons pas, le royaume de Dieu ne laissera pas d’arriver, mais nous nous excitons à le désirer, afin qu’il arrive pour nous et que nous puissions y régner un jour. — Confér. des Pères. Ou bien le juste s’exprime ainsi parce qu’il sait, au témoignage de sa conscience, que lorsque apparaîtra le royaume de Dieu il en sera rendu participant. — S. Jér. Considérons quelle hardiesse étonnante et quelle pureté de conscience il faut avoir pour oser demander le royaume de Dieu, et ne pas craindre ses jugements.

S. Cyp. (de l’Orais. Dom.) On peut encore entendre le royaume de Dieu de Jésus-Christ lui-même, dont l’avènement fait tous les jours l’objet de nos désirs les plus ardents. Car, de même qu’il est la résurrection (Jn 11, 25), parce que c’est en lui que nous ressusciterons, on peut aussi le prendre pour le royaume de Dieu, parce que c’est en lui que nous règnerons. C’est avec dessein que le Sauveur nous fait demander le royaume de Dieu, c’est-à-dire celui qui est dans les cieux, car il y a aussi un royaume terrestre ; mais celui qui a renoncé au monde est supérieur à ses honneurs et à son royaume. Celui donc qui s’est consacré à Dieu et à Jésus-Christ ne désire plus les royaumes de la terre, mais le royaume du ciel. — S. Aug. (Du don de la Persévér.) Par cette demande : « Que votre règne arrive, » que peuvent désirer ceux qui ont déjà reçu la grâce de la sainteté, si ce n’est la persévérance dans cette grâce que Dieu leur a faite ? Car le royaume de Dieu, dont l’avènement est certain pour ceux qui persévèrent jusqu’à la fin, ne viendra pour eux qu’à cette condition (Mt 10, 22 ; 24, 13).

 

Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

S. Aug. (serm. sur la mont.) Dans ce royaume de la vraie félicité, la vie heureuse aura toute sa perfection dans les saints, comme elle l’a maintenant dans les anges : aussi, après cette demande : « Que votre règne arrive, » vient celle-ci : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, » c’est-à-dire : « De même que les anges accomplissent cette volonté en jouissant de vous sans qu’aucun nuage d’erreur obscurcisse leur intelligence, sans qu’aucune misère fasse obstacle à leur bonheur, qu’elle s’accomplisse également dans les saints qui sont sur la terre et qui ont été, quant à leur corps, formés de la terre. On peut encore entendre ces paroles : « Que votre volonté soit faite » dans ce sens : Soyez obéi sur la terre comme dans le ciel, par les hommes comme par les anges, non pas que les anges agissent eux-mêmes sur la volonté de Dieu, mais parce qu’ils font ce qu’il veut et qu’ils agissent d’une manière conforme à sa volonté.

S. Chrys. (hom. 20). Voyez cet enchaînement admirable : Notre-Seigneur nous a enseigné à diriger nos désirs vers le ciel par ces paroles : « Que votre règne arrive ; » en ajoutant : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, » il veut, avant de parvenir au ciel, que nous fassions de la terre un ciel anticipé en accomplissant ces paroles : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » — S. Jér. Qu’ils rougissent ici de leur opinion, ceux qui prétendent que le péché fait tous les jours des ruines dans le ciel. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien : « Sur la terre comme au ciel, » c’est-à-dire dans les pécheurs comme dans les justes, ce qui revient à dire : « De même que les justes font votre volonté, que les pécheurs l’accomplissent également en se convertissant à vous, » ou bien « De manière qu’on rende à chacun ce qui lui est dû, ce qui aura lieu au dernier jugement. » Ou bien encore nous pouvons entendre par le ciel et la terre l’esprit et la chair, et alors dans ces paroles de l’Apôtre : « Je suis soumis à la loi de Dieu selon l’esprit » (Rm 7), nous verrons la volonté de Dieu accomplie en esprit. Dans ce sens, le merveilleux changement qui est promis aux justes nous est signifié par ces paroles : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; » c’est-à-dire que le corps soit soumis à l’esprit comme l’esprit est soumis à Dieu. Ou bien enfin « sur la terre comme dans le ciel, » c’est-à-dire dans l’Église comme en Jésus-Christ, dans l’épouse qu’il s’est unie comme dans l’époux qui a fidèlement exécuté la volonté de son Père. En effet, le ciel et la terre sont une figure très juste de l’homme et de la femme, car la terre ne produit des fruits qu’autant qu’elle est fécondée par le ciel.

S. Cyp. (de l’Orais. Dom.) Ainsi nous ne demandons pas que Dieu fasse ce qu’il veut, mais que, quant à nous, nous puissions faire ce que Dieu veut. Or, il n’y a que la volonté divine qui puisse nous en rendre capables, c’est-à-dire sa protection et le secours qu’il nous donne, car personne n’est fort de ses propres forces et la miséricorde divine fait seule toute notre sûreté. — S. Chrys. (hom. 20). La vertu n’est pas seulement le fruit de nos efforts, mais de la grâce d’en haut. Or, Notre-Seigneur prescrit de nouveau à chacun de nous de prier ici pour l’univers entier, car il n’a pas dit : « Que votre volonté soit faite en moi, » ou « soit faite en nous, » mais : « Qu’elle soit faite par toute la terre ; » que l’erreur en soit arrachée, que la vérité y soit plantée, que le mal en soit banni, que la vertu y soit ramenée et qu’ainsi il n’y ait plus de différence entre le ciel et la terre.

S. Aug. (Du don de la Persévér., chap. 3). Nous avons ici contre les Pélagiens une preuve évidente que le commencement de la foi est un don de Dieu, puisque la sainte Église prie pour les infidèles, afin que Dieu leur donne le commencement de la foi. Puisque la volonté de Dieu est déjà faite dans les saints, en priant qu’elle se fasse de nouveau, que demandent-ils si ce n’est de persévérer dans la voie où ils sont entrés ?

S. Chrys. (sur S. Matth.) On doit joindre ces paroles : « Sur la terre comme au ciel » aux demandes précédentes : « Que votre nom soit sanctifié sur la terre comme dans le ciel ; que votre règne arrive sur la terre comme dans le ciel ; que votre volonté soit faite dans la terre comme dans le ciel. » Et voyez quelle sagesse dans les paroles du Sauveur ; il ne nous fait pas dire : « Père, sanctifiez en nous votre nom, que votre règne arrive pour nous, faites en nous votre volonté, » ou bien : « Sanctifions votre nom ; recevons votre royaume ; faisons votre volonté, » dans la crainte que l’accomplissement de ces commandements parût être l’oeuvre exclusive ou de Dieu ou de l’homme. Il s’exprime donc en général et sans déterminer personne, car de même que l’homme ne peut faire le bien sans le secours de Dieu, de même Dieu ne peut opérer le bien dans l’homme, si l’homme ne lui prête le concours de sa volonté.

 

v. 11.

Donnez-nous aujourd’hui notre pain au-dessus de toute substance

S. Aug. (Enchirid. chap. 15.) Les trois choses contenues dans les demandes précédentes se commencent ici-bas et elles se développent en nous a proportion de notre progrès dans la vie spirituelle. Elles ne seront parfaites que lorsque nous les posséderons sans crainte de les perdre, comme nous l’espérons dans l’autre vie. Les quatre demandes suivantes ont pour objet les choses du temps qui nous sont nécessaires pour obtenir les biens éternels. Le pain qui fait l’objet de la première de ces demandes est une nécessité de la vie : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain qui est au-dessus de toute substance. — S. Jér. L’expression que nous traduisons par au-dessus de toute substance est le mot grec επιουσιον, de tous les jours, que les Septante expriment fréquemment par περιουσιον, qui signifie également au-dessus de toute substance. Si nous examinons le texte hébreu, nous trouvons qu’au mot grec περιουσιον correspond toujours le mot hébreu sogolla, que Symmache traduit par le mot εξαιρετον, c’est-à-dire, principal ou remarquable, et auquel il donne dans un autre endroit le sens de particulier. Quand donc nous demandons à Dieu ce pain qui nous est propre ou ce pain d’une nature supérieure, nous avons en vue le pain dont le Seigneur a dit dans l’Évangile : Je suis le pain vivant descendu du ciel. » — S. Chrys. En effet, le Christ est le pain de vie ; ce pain n’appartient pas à tous, mais il est véritablement notre pain. Nous demandons que ce pain nous soit donné tous les jours, c’est-à-dire que nous tous, qui sommes en Jésus-Christ et qui recevons tous les jours la sainte Eucharistie, nous ne soyons pas éloignés de ce pain céleste par quelque faute grave et séparés ainsi du corps de Jésus-Christ. Nous prions donc Dieu, nous qui avons le bonheur de demeurer en Jésus-Christ, de n’être pas séparés de son corps et de sa grâce sanctifiante. — S. Aug. (Du don de la Persévér., chap. 4). C’est donc la persévérance que les saints demandent en priant Dieu de les conserver dans cette sainteté qui ne souffre aucun crime. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien ce pain au-dessus de toute substance est le pain quotidien. — Confér. des Pères. Cette expression « aujourd’hui » nous apprend que ce pain doit être mangé tous les jours et que nous devons faire cette prière en tout temps, car il n’est aucun jour dans la vie où nous ne devions fortifier par cet aliment le cœur de l’homme intérieur.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 7). Ceux qui, dans les églises d’Orient, ne participent pas tous les jours à la cène du Seigneur soulèvent ici une difficulté et ils appuient leur sentiment sur l’autorité ecclésiastique. Cette conduite, disent-ils, ne donne aucun scandale, et ceux qui gouvernent les églises ne s’opposent pas à cette manière d’agir. Mais, sans entreprendre aucune discussion sur cette matière, on verra, pour peu qu’on y réfléchisse, que nous avons reçu du Seigneur lui-même la règle de la prière et qu’il ne nous est pas permis de la transgresser. Qui donc oserait dire que nous ne devons réciter qu’une fois l’Oraison dominicale ou, si nous pouvons la réciter une deuxième et une troisième fois, qu’elle nous est défendue après que nous avons communié au corps du Seigneur ? Car il semble alors que nous ne pourrions plus dire : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain, » puisque nous l’aurions déjà reçu. Ou bien il faudrait admettre qu’on pourrait nous forcer de célébrer le sacrifice dans la seconde partie du jour. — Confér. des Pères, 9. Aujourd’hui peut aussi s’entendre de la vie présente, c’est-à-dire : « Donnez-nous ce pain tant que nous sommes dans cette vie. »

S. Jér. Nous pouvons encore entendre dans un autre sens ce pain supersubstantiel, c’est-à-dire du pain qui est au-dessus de toutes les substances, qui est supérieur à toutes les créatures, en un mot du corps du Seigneur. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien, ce pain quotidien est un pain spirituel, c’est-à-dire les préceptes divins, que nous devons tous les jours méditer et accomplir. — S. Grég. (Moral., 24, 5). Nous disons : « Notre pain, » et cependant nous prions qu’il nous soit donné, parce qu’il est le pain de Dieu qui nous l’accorde, et qu’il devient notre pain lorsque nous le recevons. — S. Jér. D’autres expliquant simplement ce texte dans le sens des paroles de saint Paul (1 Tm 6) : « Ayant de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contents, » disent que les saints ne doivent s’occuper de la nourriture que pour le jour présent. C’est pour cela que plus loin Notre-Seigneur nous donne ce précepte : « Ne vous inquiétez pas pour le lendemain. »

S. Aug. (Lettre 121 à Proba, chap. 11.) Nous demandons ici toutes les choses qui nous sont nécessaires dans celle qui passe avant toutes les autres, et nous les renfermons toutes sous le nom de pain. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nous ne faisons pas à Dieu cette prière : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain, » seulement pour recevoir notre nourriture, ce qui est commun aux justes et aux pécheurs, mais pour la recevoir de la main de Dieu, ce qui est le partage exclusif des Saints : car Dieu donne le pain à celui qui se prépare à le recevoir par la justice, et le démon à celui qui ne s’y dispose que par le péché. Ou bien nous demandons que ce pain que Dieu nous donne soit sanctifié lorsque nous le recevons, et c’est pourquoi il est appelé notre, en ce sens : Ce pain que nous nous sommes procuré, donnez-le nous pour qu’il reçoive de vous sa sanctification, de même que le prêtre recevant le pain des mains d’un laïque, le sanctifie, et le lui rend ensuite. Ce pain appartient sans doute à celui qui l’offre, mais la sanctification qu’il reçoit vient du prêtre. Notre-Seigneur l’appelle « nôtre » pour deux raisons : d’abord le dessein de Dieu dans les biens qu’il nous donne, est de les répandre sur les autres par notre entremise, et il veut que nous en donnions une part aux indigents. Celui donc qui refuse de les assister du fruit de son travail ne mange pas seulement son pain, mais le pain des autres. Une seconde raison, c’est qu’il n’y a que celui qui a gagné ce pain par des moyens justes qui mange véritablement son pain ; celui qui ne le doit qu’a des voies coupables, mange le pain des autres. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 12.) Peut-être sera-t-on surpris de nous voir demander à Dieu les choses nécessaires au soutien de cette vie, comme la nourriture et le vêtement, alors que le Seigneur nous dit : « Ne vous inquiétez pas comment vous trouverez votre nourriture ou vos vêtements. » Car on ne peut être sans quelque inquiétude à l’égard d’une chose qu’on désire et qu’on demande. Celui qui ne désire que les choses nécessaires à la vie reste dans les limites de la modération et n’est aucunement répréhensible. Nous ne demandons point ce nécessaire pour lui-même, mais pour satisfaire aux besoins de notre corps, aux convenances de notre état, et afin de nous conformer honnêtement aux usages des personnes au milieu desquelles nous vivons. Nous devons prier pour la conservation de ce nécessaire lorsque nous l’avons, et pour l’obtenir si nous ne l’avons pas.

S. Chrys. (hom. 20.) Remarquons qu’après avoir dit : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, » Notre-Seigneur s’adressant à des hommes revêtus d’une chair mortelle et qui ne peuvent avoir la même impassibilité que les anges, veut bien condescendre à notre faiblesse qui a besoin de nourriture, Il nous commande donc de demander non pas les richesses, non pas les molles délicatesses de la vie, mais seulement le pain, et le pain quotidien, et non content de cela, il ajoute : « Donnez-nous aujourd’hui, » car il ne veut pas que nous soyons accablés sous le poids des préoccupations du lendemain. — S. Chrys. (sur S. Matth.) A la première vue d’après ces paroles, ceux qui font cette prière ne devraient avoir aucune réserve pour le lendemain et les jours suivants. S’il fallait l’entendre ainsi, cette prière conviendrait à un bien petit nombre, aux apôtres par exemple, qui voyageaient continuellement pour prêcher l’Évangile, et peut-être ne conviendrait-elle à personne. Or nous devons interpréter la doctrine de Jésus-Christ de manière à ce que la pratique en soit accessible à tous.

S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Le disciple de Jésus-Christ doit donc demander la nourriture divine, et sa prière ne doit pas embrasser un trop long espace de temps, car il y a contradiction et répugnance à demander tout à la fois le prompt avènement du royaume des cieux et une longue vie sur la terre. — S. Chrys. (hom. 14.) Ou bien peut-être ce pain est appelé quotidien parce qu’on doit en le mangeant, obéir aux exigences de la raison, et non pas à l’entraînement des désirs sensuels. Si pour un seul repas vous dépensez autant que demanderait la nourriture de cent jours, ce n’est plus votre pain quotidien que vous mangez, c’est le pain de plusieurs jours.

S. Jér. Dans l’Évangile selon les Hébreux, à la place du mot super-substantiel, on trouve l’expression mohar, qui signifie lendemain et donne ce sens à cette demande : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain de demain, » c’est-à-dire pour l’avenir.

 

 

v. 12.

S. Cypr. Après avoir demandé le secours de la nourriture le chrétien demande le pardon de ses péchés, afin que nourri de la main de Dieu, il puisse vivre tout en Dieu et pourvoir ainsi aux besoins non-seulement de la vie présente, mais encore de la vie éternelle, dont l’entrée lui est ouverte par la rémission des péchés que le Seigneur désigne sous le nom de dettes. « Remettez-nous nos dettes, » comme dans cet autre endroit : « Je vous ai remis toute votre dette, parce que vous m’en avez prié, » La doctrine qui nous rappelle que nous sommes pécheurs, en nous obligeant de prier tous les jours pour nos péchés est aussi salutaire qu’elle est nécessaire. Nous aurions pu nous complaire dans notre innocence prétendue, et rendre notre chute plus lourde par une fausse idée d’élévation ; le commandement qui nous est fait de prier chaque jour pour nos péchés, prévient ce danger en nous rappelant que nous tombons tous les jours dans de nouveaux péchés.

S. Aug. (du don de la persév. chap. 5.) Ces paroles sont comme un trait mortel qui frappe les Pélagiens, ces hérétiques qui osent dire que l’homme ne commet aucun péché dans cette vie, et que c’est en lui que se réalise, dans le siècle présent, l’Église sans tache et sans ride. » (Ep 5, 27) — S. Chrys. (hom. 20.) Cette prière est la prière des fidèles ; c’est ce que nous enseignent les lois de l’Église, et l’exorde même de cette prière qui nous apprend à appeler Dieu notre Père. Or en nous faisant un précepte de demander la rémission de nos péchés, Notre-Seigneur prouve aussi contre les Novatiens que les péchés peuvent être remis après le baptême.

 

S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Celui qui nous a fait un devoir de prier pour nos péchés nous a fait espérer par là même la miséricorde de son Père. Mais à ce précepte se trouve jointe une autre loi, une condition rigoureuse. Nous demandons qu’on nous remette nos dettes, mais selon la mesure du pardon que nous accordons nous-mêmes a nos débiteurs ; c’est la condition exprimée dans ces paroles : « Comme nous les remettons à ceux qui nous doivent. » — S. Grég. (Moral., 10, 11.) Cette grâce que nous demandons à Dieu dans un sentiment de vrai repentir, Dieu veut que nous l’accordions d’abord nous-mêmes au prochain dès le premier moment de notre conversion. — S. Aug. Notre-Seigneur n’a point voulu parler ici exclusivement de l’argent, mais de toutes les choses qu’on peut faire servir à blesser nos droits, et par là même de l’argent ; car celui qui étant votre débiteur, et qui pouvant vous payer ne le fait pas, commet une injustice à votre égard. Or si vous ne lui remettez pas cette offense, vous ne pourriez pas dire : Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs. »

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Quelle peut donc être l’espérance du chrétien qui prie en conservant des sentiments de haine contre celui qui l’a peut-être offensé ? En priant Dieu, il fait un mensonge (car il dit : Je remets, et il ne le fait pas) ; et Dieu à qui il demande le pardon ne le lui accorde pas. Mais il en est plusieurs qui ne voulant point pardonner à leurs ennemis évitent de faire à Dieu cette prière. Ce sont des insensés, car premièrement celui qui ne prie pas selon la règle donnée par Jésus-Christ n’est pas son disciple ; en second lieu, le Père n’exauce pas volontiers une prière que le Fils n’a pas dictée ; car le Père reconnaît la pensée et l’expression de son Fils et il rejette les inventions de l’esprit humain et ne reçoit que des suppliques inspirées par la sagesse de Jésus-Christ.

S. Aug. (Enchirid. chap. 73.) Cependant cette vertu si élevée d’aimer ses ennemis et de leur remettre les dettes qu’ils ont contractées envers nous, n’est pas le partage de tous ceux en si grand nombre que nous croyons être exaucés, lorsqu’ils font à Dieu cette prière : « Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à tous ceux qui nous doivent. » Il faut donc admettre que cet engagement pris devant Dieu est fidèlement exécuté lorsqu’un chrétien n’étant pas encore assez parfait pour aimer son ennemi, lui pardonne cependant de tout cœur lorsque celui-ci vient l’en prier, parce qu’il veut que Dieu lui accorde à lui-même le pardon qu’il sollicite. Or celui qui demande pardon à un homme qu’il a offensé (si le repentir de sa faute le porte à cette démarche), ne doit plus être regardé comme ennemi, et il ne doit plus être difficile de l’aimer comme lorsqu’il donnait un libre cours à son inimitié.

 

v. 13.

Et ne nous laissez pas succomber à la tentation.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur vient de donner aux hommes de sublimes préceptes, il leur a commandé d’appeler Dieu leur Père, de demander l’avènement de son règne ; aussi croit-il devoir ajouter une leçon d’humilité, en disant : « Et ne nous laissez pas succomber à la tentation. » — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14.) Quelques exemplaires portent : « Et ne nous faites pas entrer dans la tentation, » ce qui me paraît présenter le même sens, ces deux variantes étant la traduction littérale du grec. Plusieurs traduisent de cette manière : « Ne souffrez pas que nous entrions en tentation, » et expliquent ainsi dans quel sens nous disons : « Ne nous induisez pas, » car ce n’est pas Dieu qui par lui-même fait entrer en tentation, mais il permet qu’on y entre, en abandonnant l’homme à ses propres forces. — S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Cette vérité nous apprend que notre ennemi ne peut rien contre nous, à moins que Dieu ne le permette, et c’est ce qui doit nous faire placer en Dieu toute notre crainte comme toute notre affection. »

 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14.) Être induit en tentation, et être tenté sont deux choses différentes : Aucun homme s’il n’a été tenté ne peut passer pour éprouvé à ses propres yeux on aux yeux des autres (cf. Ps 25). Dieu au contraire connaît à fond tous les hommes avant toute espèce de tentation. Nous ne prions donc pas Dieu de nous faire échapper à la tentation, mais de ne pas nous induire en tentation, de même qu’un homme qui devrait être éprouvé par le feu, demanderait non de ne point en être atteint, mais de n’en être pas consumé. En effet nous sommes induits en tentation lorsque la tentation est si forte, que nous ne pouvons y résister. — S. Aug. (Lettre 121 à Proba., chap. 72.) Lors donc que nous disons : « Ne nous induisez pas en tentation, » nous devons demander à Dieu de ne pas permettre que délaissés de sa grâce, nous succombions à la tentation, séduits par l’illusion ou vaincus par la souffrance. — S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Dieu nous rappelle ainsi notre faiblesse, notre infirmité et nous prémunit contre les prétentions arrogantes de l’orgueil ; et sa bonté exauce volontiers une prière qui est précédée d’un aveu humble et modeste qui reconnaît que tout vient de lui.

 

S. Aug. (du don de la persév., chap. 5, 6, 7.) Lorsque les Saints font cette prière : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation, » que demandent-ils si ce n’est la persévérance dans la sainteté ? En effet il n’est aucun saint qui ayant reçu ce don de Dieu (la demande qu’il en fait à Dieu est une preuve que ce don vient de lui), ne persévère jusqu’a la fin dans la sainteté, car on ne cesse de persévérer dans la pratique de la vie chrétienne, qu’après avoir été induit d’abord en tentation. C’est pour prévenir ce malheur que nous demandons de ne pas entrer en tentation, et si nous l’évitons, c’est Dieu qui l’a permis, car tout ce qui se fait, c’est Dieu qui le fait, ou qui le permet. Dieu est donc assez puissant pour détourner la volonté du mal vers le bien, relever celui qui est tombé, et le conduire dans la voie qui lui est agréable, car ce n’est pas en vain que nous lui disons : « Ne nous laissez pas entrer en tentation. » Si on n’est pas exposé aux effets de la tentation par une volonté abandonnée au mal, on n’en sera jamais victime, « car chacun est tenté par sa propre concupiscence. » (Jc 1, 14.) Dieu nous fait donc un devoir de lui demander la grâce de ne point succomber à la tentation, bien qu’il pût nous l’accorder sans nos prières, parce qu’il a voulu nous faire reconnaître ainsi l’auteur des bienfaits dont nous sommes comblés. Que l’Église donc médite attentivement ses prières de tous les jours, elle demande la foi pour les infidèles, c’est donc Dieu qui les convertit à la foi ; elle prie pour la persévérance des fidèles, c’est donc de Dieu que vient la persévérance finale.

 

Mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il.

 

S. Aug. (serm. sur la mont. 2, 11 ou 16.) Nous sommes obligés de prier non-seulement pour éloigner de nous le mal dont nous avons été jusqu’ici préservés, mais encore pour être délivrés du mal dans lequel nous sommes tombés. Aussi Notre-Seigneur ajoute : « Mais délivrez-nous du mal. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Peut-être que dans ce nom de mal il veut désigner le démon, tant à cause de sa malice extrême, malice qui vient de sa volonté et non de sa nature, que parce qu’il nous a déclaré une guerre implacable, c’est pour cela qu’il nous fait dire : « Délivrez-nous du mal. »

 

S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Après tout ce qui précède la prière se termine par une demande qui renferme toutes les autres dans sa concise brièveté. En effet que pourrons-nous encore demander après avoir imploré la protection de Dieu contre le mal qui nous menace ? Après avoir obtenu cette protection nous sommes en sûreté contre toutes les entreprises du monde et du démon. Que peut-on craindre en effet du monde, quand on a Dieu pour défenseur contre le monde ? — S. Aug. (Lettre 121 à Proba., chap. 11.) Le sens de cette dernière demande de l’Oraison dominicale est tellement étendu, que tout chrétien, dans quelque tribulation qu’il se trouve peut en faire l’interprète de sa douleur, l’auxiliaire de ses gémissements et de ses larmes, commencer et finir par elle sa prière. C’est pour cela que le mot amen, ainsi soit-il, vient après comme l’expression du désir de celui qui prie. — S. Jér. Cet amen qui termine l’Oraison dominicale en est comme le sceau ; Aquila traduit cette expression par fidèlement, ce que nous pouvons rendre par : « En vérité. »

 

S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Qu’y a-t-il d’étonnant que la prière que Dieu lui-même nous a enseignée soit si excellente, alors que par un effet de sa divine sagesse, il a voulu qu’elle renfermât tout ce que nous pouvons demander, dans quelques phrases aussi riches que concises. C’est ce qu’Isaïe avait prédit en ces termes : « Le Seigneur a fait un discours abrégé sur la terre. » (Is 10, 22.) Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu pour tous les hommes pour réunir en un seul corps les savants et les ignorants, il a donné aux personnes de tout sexe et de tout âge les préceptes qui doivent les conduire au ciel ; il en a donc fait un abrégé remarquable pour ne pas fatiguer la mémoire de ceux qui voudraient apprendre cette morale céleste et il leur offre les moyens de s’instruire rapidement de ce qui est nécessaire à la simplicité de la foi.

S. Aug. Quelles que soient les autres formules dont nous faisons usage avant ou après notre prière, comme expression ou comme aliment de notre piété, nous ne pouvons rien dire que ce que contient l’Oraison Dominicale, si notre prière est conforme à la règle que nous avons reçue. En disant à Dieu : « Faites éclater votre gloire parmi les nations, comme vous l’avez fait éclater parmi nous, » (Qo 36) que disons-nous autre chose que : « Votre nom soit sanctifié ? » Cette prière : « Dirigez mes pas selon votre parole, » (Ps 118) ne ressemble-elles pas à celle-ci : « Que votre volonté soit faite ? » Celui qui dit à Dieu : « Montrez-nous votre face et nous serons sauvés, » (Ps 79) fait à Dieu cette demande : « Que votre règne arrive. » Vous dites à Dieu : « Ne me donnez ni la pauvreté ni la richesse, » (Pv 30) c’est lui dire équivalemment : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour. » Cette prière : « Souvenez-vous Seigneur de David et de toute sa douceur, (Ps 121) et cette autre : « Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en ont fait, » (Ps 7) ne rentrent-elles pas dans celle-ci : « Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous doivent ? » Dire à Dieu : « Éloignez de mon cœur les désirs de l’impureté, » (Qo 23) n’est-ce pas lui dire : « Ne nous induisez pas en tentation ? » Enfin ces paroles : « Délivrez-moi de mes ennemis, » (Ps 58) ne reviennent-elles pas à celles-ci : « Délivrez-nous du mal ? » Et si vous examinez en détail toutes les prières dictées par l’Esprit saint, vous n’y trouverez rien qui ne soit contenu dans l’Oraison dominicale. Toute prière en effet qui ne se rapporte pas à cette prière évangélique, est une prière inspirée par la chair, et que j’ose appeler coupable, puisque le Seigneur a enseigné à ceux qui sont régénérés à ne prier qu’en esprit. Celui-là donc qui dans la prière dit à Dieu : « Seigneur, multipliez mes richesses, augmentez mes honneurs, et qui le dit dans un sentiment de pure convoitise, sans se proposer le bien spirituel que les hommes pourraient en retirer, ne trouvera certainement rien dans l’Oraison dominicale qui puisse appuyer sa demande. Qu’il rougisse donc au moins de demander ce qu’il ne rougit pas de désirer ; ou si la passion l’emporte sur la honte qu’il éprouve, la meilleure prière qu’il puisse faire c’est d’être affranchi de ce mal de la cupidité par celui à qui nous disons : « Délivrez-nous du mal. »

 

S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 18.) Le nombre de demandes dont se compose l’Oraison dominale paraît aussi se rapporter aux sept béatitudes. En effet si c’est la crainte de Dieu, qui rend heureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient, demandons que le nom de Dieu soit sanctifié parmi les hommes, à l’aide de cette crainte chaste qui demeure dans les siècles des siècles. Si c’est la piété qui fait le bonheur de ceux qui sont doux, demandons que son règne nous arrive pour nous communiquer cette douceur qui ne connaît point la résistance. Si c’est la science qui donne à ceux qui pleurent le secret du bonheur, prions que sa volonté se fasse sur la terre comme au ciel, car lorsque le corps qui est figuré par la terre sera soumis à l’esprit qui représente le ciel, nous ne serons plus dans les larmes. Si c’est la force qui rend heureux ceux qui ont faim, demandons que Dieu nous donne aujourd’hui notre pain de chaque jour, afin que nous puissions parvenir là où nous serons pleinement rassasiés. Si c’est le conseil qui fait le bonheur de ceux qui sont miséricordieux parce que Dieu leur fera miséricorde, remettons leurs dettes à ceux qui nous doivent, afin que Dieu nous remette ce que nous lui devons. Si c’est l’intelligence qui rend heureux ceux qui ont le cœur pur, demandons à Dieu de ne pas entrer en tentation, pour ne pas tomber dans la duplicité du cœur, en poursuivant les biens terrestres et périssables, qui sont pour nous la source de toutes les tentations. Si c’est enfin la sagesse qui rend heureux les pacifiques parce qu’ils seront appelés les enfants de Dieu, prions pour qu’il nous délivre du mal, car cette délivrance nous établira dans la sainte liberté des enfants de Dieu.

S. Chrys. (hom. 20.) Notre-Seigneur avait pu nous attrister par ces paroles : « Délivrez-nous du mal » qui nous rappelaient le souvenir de notre ennemi, il relève donc notre courage par Ces autres paroles que l’on trouve dans quelques exemplaires grecs : « Parce qu’à vous seul appartiennent l’empire, la puissance et la gloire. » En effet si l’empire lui appartient, nous n’avons rien à craindre d’aucune créature puisque celui qui combat contre nous est son sujet. Et comme sa puissance et sa gloire sont infinies, non-seulement il peut nous arracher au mal, mais encore nous combler de gloire. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cette conclusion peut aussi se rapporter à ce qui précède. Ces paroles : « A vous appartient l’empire, » se rapportent à celles-ci : « Que votre règne arrive, » et préviennent cette objection : Dieu ne règne donc pas sur la terre. Celles qui suivent : « Et la puissance, » se rattachent à cette demande : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, » et répondent à ceux qui prétendraient que Dieu ne fait pas ce qu’il veut. Enfin cette dernière parole : « Et la gloire, » se rapporte aux demandes suivantes qui sont une manifestation de la gloire de Dieu.

 

vv. 14-15.

Rab. Le mot « Ainsi soit-il » qui termine cette prière nous apprend que Dieu accordera infailliblement tout ce que lui demanderont dans la forme prescrite ceux qui rempliront l’engagement et la condition qu’il exige ; et c’est pour cela qu’il ajoute : « Si vous remettez aux hommes leurs péchés contre vous » etc. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Remarquons ici que de toutes les maximes qui composent la prière que le Seigneur nous a dictée, il a cru devoir insister principalement sur celle qui a pour objet la rémission des péchés. C’est par là qu’il veut nous former à la miséricorde comme à l’unique moyen d’échapper à nos misères. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne nous fait pas dire : « Que Dieu nous remette le premier nos dettes et nous les remettrons ensuite à nos débiteurs, » car le Seigneur sait que les hommes sont sujets au mensonge, et qu’après avoir obtenu la rémission de leurs péchés, ils ne pardonneraient pas à ceux qui les ont offensés ; il exige donc que nous accordions d’abord ce pardon, avant de le solliciter par nous-mêmes.

 

S. Aug. (Enchirid. chap. 74.) Celui qui ne pardonne pas du fond du cœur à son frère qui l’en supplie et qui se repent de sa faute, ne doit espérer en aucune manière le pardon de ses propres péchés. « Si vous ne pardonnez point aux hommes » dit le Sauveur, « votre Père céleste ne vous pardonnera point non plus vos péchés. » — S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Vous n’aurez aucune excuse à présenter au jour du jugement, car vous serez jugé d’après vos propres principes, et vous ne subirez que ce que vous aurez fait éprouver aux autres. — S. Jér. Si ces paroles de l’Écriture sainte : « Je l’ai dit, vous êtes des dieux, mais cependant vous mourrez comme des hommes ; » (Ps 81, 6 ; cf. Jn 10, 31) sont adressées à ceux qui par leurs péchés sont tombés du rang des Dieux à celui des hommes : on peut bien donner le nom d’hommes à ceux à qui les péchés sont pardonnés. — S. Chrys. (hom. 20.) Notre-Seigneur vous rappelle le souvenir des cieux et de son Père, pour exciter en vous une noble émulation, car rien ne vous rend plus semblable à Dieu que de pardonner à ceux qui vous ont offensé. Mais il y a souveraine inconvenance à ce que le fils d’un tel Père se montre cruel, et qu’étant appelé à posséder un jour le ciel, il conserve des sentiments terrestres et tout humains.

 

v. 16.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Puisqu’un esprit humble et un cœur contrit donnent à la prière une véritable puissance (cf. Dn 3, 39), et que ces deux dispositions ne peuvent se concilier avec une vie de délices ; il est évident que la prière séparée du jeûne, est sans force et sans vertu. Aussi tous ceux qui ont voulu obtenir de Dieu quelque grâce pressante ont toujours joint le jeûne à la prière, parce que le jeûne est le soutien de la prière. Voilà pourquoi Notre-Seigneur fait suivre la doctrine sur la prière, de ses enseignements sur le jeûne : « Lorsque vous jeûnez, dit-il, ne vous rendez pas tristes comme les hypocrites. » Le Seigneur savait que la vaine gloire prend naissance au sein môme de toute vertu, il nous commande donc de couper l’épine de la vaine gloire qui pousse dans une bonne terre, pour qu’elle n’étouffe pas le fruit du jeûne. Il est impossible qu’on ne s’aperçoive pas que vous jeûniez, mais il vaut mieux que le jeûne vous fasse remarquer plutôt que de faire remarquer vous-même votre jeûne. Il est bien difficile que celui qui jeûne soit gai, aussi Notre-Seigneur ne dit-il pas : « Ne soyez pas tristes, » mais « ne vous rendez pas tristes. » Ceux qui par exemple cherchent à tromper les regards par une pâleur factice, ceux-ci ne sont pas tristes mais cherchent à le devenir ; celui au contraire qui est triste par un effet naturel du jeûne, ne cherche pas à se rendre triste, mais il l’est en réalité, c’est pour cela que le Sauveur ajoute : « Ils affectent de paraître avec un visage défiguré. »

 

S. Jér. Le mot exterminer qui est employé fréquemment dans les saintes Écritures par suite de l’ignorance des interprètes, a un sens plus étendu que celui qu’on lui donne ordinairement. On dit des exilés qu’ils sont exterminés, c’est-à-dire envoyés au delà des frontières : nous devons nous, donner à ce mot le sens de détruire ; or l’hypocrite détruit, exténue son visage pour paraître triste, et tandis que son cœur est plein de joie, il porte sur sa figure l’apparence du deuil. — S. Grég. (Moral., liv. 8, chap. 26.) Vous voyez leur visage couvert de pâleur, leur corps tremblant de faiblesse, leur poitrine oppressée par leurs soupirs entrecoupés, et quel est le but de ces laborieux efforts ? l’opinion des hommes.

 

S. Léon. (serm. 4 sur l’Epiph.) Les jeûnes qui ne viennent point d’un principe de mortification, mais qui sont le produit de la fourberie, ne sont pas des jeûnes purs aux yeux de Dieu. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Or si celui qui jeûne et affecte la tristesse n’est qu’un hypocrite, quel n’est pas le crime de celui qui sans jeûner, a recours à certains moyens pour imprimer sur son visage, comme signe de jeûne une pâleur vénale ?

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 19.) Une remarque importante à faire sur cette matière, c’est qu’on peut mettre de la vanité non-seulement dans l’éclat et le luxe de tout ce qui tient au corps, mais jusque dans l’extérieur négligé qui exprime le deuil et la tristesse, vanité alors d’autant plus dangereuse, qu’elle cherche à tromper sous les apparences de la religion. Celui qui cherche à briller par une propreté affectée et par une recherche excessive dans ses vêtements ou dans les autres ornements du corps, est convaincu par ce seul fait d’être partisan des pompes du monde, et il ne trompe personne par l’apparence d’une sainteté hypocrite. Quant à celui qui, faisant profession d’une vie chrétienne, cherche à fixer sur lui les yeux du public par le spectacle d’une maigreur et d’une malpropreté extraordinaires, s’il le fait avec intention et sans y être réduit par la nécessité, l’ensemble de sa vie prouvera s’il agit ainsi par le mépris d’un luxe superflu, ou par un motif quelconque d’ostentation.

 

Remi. Les paroles suivantes nous font connaître le fruit du jeûne des hypocrites : Pour faire voir aux hommes qu’ils jeûnent. « Je vous le dis en vérité : ils ont reçu leur récompense, » c’est-à-dire celle qu’ils ont désirée.

 

vv. 17-18.

La Glose. Le Seigneur vient de nous apprendre ce qu’il fallait éviter, il nous enseigne maintenant ce qu’il faut faire : « Pour vous, lorsque vous jeûnez, parfumez votre tête, etc. »

 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 20.) J’entends souvent demander quel est le sens de ces paroles. Bien que nous ayons l’habitude de nous laver tous les jours le visage, il serait hors de raison de nous commander de parfumer aussi notre tête lorsque nous jeûnons, ce qui, de l’aveu de tous, est souverainement indigne d’un chrétien. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Pourquoi d’ailleurs après nous avoir défendu d’affecter un extérieur triste pour ne pas découvrir aux hommes que nous jeûnons, le Seigneur nous ordonne-t-il de nous laver la figure et de nous parfumer la tête ? Car si ceux qui jeûnent observent ces pratiques, elles deviendront des indices de leur jeûne. — S. Jér. Notre-Seigneur parle donc ici en se conformant aux usages de la Palestine où on a l’habitude de se parfumer la tête aux jours de fête, et ce qu’il nous ordonne, c’est tout simplement de nous montrer nous-mêmes pleins de joie et avec un certain air de fête aux jours de jeûne. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces paroles, comme les précédentes doivent être entendues dans un sens tant soit peu hyperbolique. Notre-Seigneur veut donc nous dire : vous devez fuir avec tant de soin toute ostentation lorsque vous jeûnez, que s’il était possible et permis (ce qui ne l’est pas), vous devriez au contraire affecter les dehors du plaisir et de la bonne chère. « Et pourquoi ? » Pour que les hommes ne voient pas que vous jeûnez.

Chrys. (homél. 20). Pour l’aumône, il ne s’est pas exprimé de la sorte ; il nous a dit qu’il ne fallait pas la faire devant les hommes, en ajoutant : « Pour en être remarqué. » Il n’ajoute rien de semblable pour le jeûne et pour la prière, parce qu’il est impossible que l’aumône demeure entièrement secrète, tandis que le jeûne et la prière peuvent très bien rester inconnus. Or, ce n’est pas un médiocre avantage que de mépriser la gloire humaine, car alors on est affranchi de l’esclavage accablant des hommes et c’est dans un sens véritable qu’on pratique la vertu, en l’aimant non pas pour les autres, mais pour elle-même. Nous regardons comme un outrage d’être aimés par rapport à d’autres et non pour nous-mêmes ; d’après cette règle, nous ne devons point pratiquer la vertu pour les autres, nous ne devons pas obéir à Dieu à cause des hommes, mais pour Dieu seul ; c’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Mais à votre Père qui est dans le secret. » — La Glose. C’est-à-dire à votre Père céleste qui est invisible ou qui habite dans votre cœur par la foi. Or c’est jeûner pour Dieu que de se mortifier par amour pour lui, et on donne ainsi à un autre ce qu’on se retranche à soi même.

« Et votre Père qui voit dans le secret, » etc. — Remi. Il vous suffit que celui qui voit ce qui se passe dans la conscience vous en récompense lui-même. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Dans le sens spirituel, la face de l’âme c’est la conscience ; car, de même qu’un beau visage plaît aux regards des hommes, ainsi une conscience pure est un spectacle agréable aux yeux de Dieu. Les hypocrites, qui jeûnent pour plaire aux hommes, exténuent ces deux faces, voulant tromper à la fois Dieu et les hommes. En effet, la conscience de celui qui pèche est toujours couverte de blessures. Si donc vous avez fait disparaître le mal de votre âme, vous avez purifié votre conscience et votre jeûne est louable. — S. Léon. (serm. 6 sur le jeûne). Il faut accomplir la loi du jeûne non-seulement par le retranchement des aliments, mais en s’abstenant du vice. Car, quel est le but de cette mortification ? c’est d’éteindre en nous le foyer des désirs charnels ; le genre de tempérance auquel nous devons nous livrer de préférence, c’est d’être sobres de toute volonté coupable, c’est de pratiquer le jeûne à l’égard de toute action criminelle. Cette manière d’accomplir la loi du jeûne convient également à ceux qui sont malades, car un corps languissant peut renfermer une âme saine et robuste.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Dans le sens spirituel, le Christ est votre tête ; donnez à boire à celui qui a soif, à manger à celui qui a faim et vous aurez ainsi répandu sur votre tête le parfum de la miséricorde, c’est-à-dire sur Jésus-Christ qui vous dit dans l’Évangile (Mt 25) : « Ce que vous avez fait aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi-même que vous l’avez fait. » — S. Grég. (hom. 16 sur les Evang.) Dieu approuve le jeûne, qui lève en sa présence des mains riches d’aumônes. Ce que vous vous retranchez, donnez-le à un autre, afin que le corps de votre frère qui est dans l’indigence soit soulagé par cette nourriture dont vous imposez la privation à votre propre corps. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Par la tête, nous pouvons encore entendre la raison, parce qu’elle est la reine de notre âme et qu’elle dirige toutes les autres facultés de l’âme et les autres membres du corps. Or, parfumer sa tête est un signe de joie. Réjouissez-vous donc intérieurement de votre jeûne, vous qui, en jeûnant, avez rompu avec les désirs du monde pour vous soumettre à Jésus-Christ. — La Glose. Voici une preuve que dans l’Évangile il ne faut pas tout prendre à la lettre, car il serait ridicule de se parfumer la tête lorsqu’on jeûne. Mais nous devons parfumer notre âme de l’esprit d’amour du Sauveur aux souffrances duquel la mortification nous fait participer. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est dans un sens très juste qu’on nous commande de laver notre visage et de parfumer seulement notre tête sans la laver, car tant que nous habitons ce corps mortel, notre conscience est souillée par le péché, tandis que notre chef qui est le Christ n’a pu se rendre coupable d’aucun péché.

 

vv. 19-20.

S. Chrys. (hom. 21). Après avoir guéri la maladie de la vaine gloire, Notre-Seigneur amène on ne peut plus naturellement son discours sur le mépris des richesses, car rien ne les fait autant désirer que l’amour de la gloire. Pourquoi, en effet, les hommes recherchent-ils avec ardeur cette foule de serviteurs et ces chevaux couverts d’or et ces tables toutes d’argent ? Ce n’est ni pour leur nécessité, ni pour leur plaisir, mais uniquement pour les étaler aux yeux de la multitude. C’est contre cette passion des richesses que Notre-Seigneur s’élève en disant : « Ne vous faites pas de trésors sur la terre. » — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 2). Si quelqu’un se propose pour motif de sa conduite un intérêt temporel, son cœur ne peut demeurer pur en se traînant ainsi sur la terre. Car on dégrade sa nature quand on l’unit à une nature inférieure, bien que cette nature ne soit pas souillée dans son espèce. Est-ce que par exemple l’argent, quoique pur lui-même, ne ternit pas l’or auquel on le mêle ? Ainsi, notre âme est souillée par le désir des choses terrestres, bien que la terre soit pure en elle-même et dans son genre.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) ou peut encore donner cette explication ; Notre-Seigneur, dans ce qui précède, n’a donné aucun précepte positif de l’aumône, de la prière, du jeûne ; il s’est contenté de combattre la fausse apparence de ces vertus. Il déduit maintenant les conséquences de sa doctrine qui correspondent à ces trois points : la première regarde l’aumône : « N’amassez pas de trésors sur la terre, où la rouille et les vers, » etc. ; voici donc la suite de son discours : « Lorsque vous faites l’aumône, ne faites pas sonner de la trompette devant vous, » etc. ; ensuite : « N’amassez pas de trésors sur la terre, » etc.

 

Ainsi, il donne d’abord le conseil de faire l’aumône ; secondement, il démontre son utilité, et en troisième lieu il combat la crainte de la misère qui pourrait entraver la volonté prête à secourir le pauvre.

 

S. Chrys. (hom. 21). Après ces paroles : « Ne vous amassez pas de trésors sur la terre, » il ajoute : « Où la rouille et les vers les consument, » nous apprenant ainsi combien sont nuisibles les trésors de la terre, et de quelle utilité, au contraire, sont les trésors du ciel ; et il apporte à l’appui de son raisonnement le lieu où sont ces trésors et ce qu’ils renferment de nuisible, comme s’il disait : Que craignez-vous que votre argent ne s’épuise, si vous le donnez en aumône ? Faites donc l’aumône, et Dieu ajoutera à ce que vous avez déjà, car ce sont les trésors du ciel qui vous seront donnés. Si vous refusez de donner, vous perdez tout ; il ne dit pas : vous les laissez à d’autres, car cela même est une satisfaction pour les hommes. — Rab. Notre-Seigneur indique ici trois diverses manières dont les richesses peuvent se perdre en rapport avec leur nature, l’or et l’argent par la rouille, les vêtements par les vers. Quant aux richesses qui ne craignent ni la rouille ni les vers, comme les pierres précieuses, il indique une cause générale de danger et de perte : ce sont les voleurs qui peuvent nous ravir toute sorte de richesses.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Une autre version porte : Les vers et le manger les consument, car tous les biens de ce monde périssent de ces trois manières : ou bien ils vieillissent d’eux-mêmes et sont rongés par les vers, comme les vêtements ; ou bien ils sont dévorés par leurs maîtres, amis du plaisir ; ou bien ils deviennent la proie des étrangers qui s’en emparent à l’aide de la ruse, de la violence, de la calomnie ou de tout autre moyen injuste. Or, tous ceux qui les enlèvent ainsi sont appelés voleurs, parce que c’est l’iniquité qui les pousse à s’approprier les biens des autres. Mais, me direz-vous, est-ce que tous ceux qui sont en possession de ces biens les perdent ? Je réponds : Si ce n’est tous, un grand nombre du moins. Quant aux richesses que vous gardez par un motif coupable, si vous ne les perdez pas matériellement, vous les perdez au moins spirituellement, puisqu’elles vous deviennent complètement inutiles pour le salut.

 

Rab. Dans le sens allégorique, la rouille signifie l’orgueil qui ternit l’éclat des vertus ; les vers, c’est ce qui met pour ainsi dire en pièces les bonnes résolutions et détruit ainsi l’étroite liaison qui forme l’unité chrétienne. Les voleurs, ce sont les hérétiques et les démons, toujours prêts à nous dépouiller des biens spirituels. — S. Hil. La gloire céleste au contraire est éternelle ; ni le voleur ne peut s’en emparer par adresse, ni les vers, ni la rouille de l’envie ne peuvent la consumer. C’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Faites-vous des trésors dans le ciel, où ni la rouille, ni les vers ne les consument, et où il n’y a point de voleurs qui les déterrent et les dérobent. »

 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 13 ou 21). Il ne faut pas entendre ici le ciel dans un sens matériel, car tout ce qui est corporel doit être considéré comme de même nature que la terre. Or, tout l’univers est digne de mépris aux yeux de celui qui amasse des trésors pour le ciel dont il est dit (Ps 113) : « Le ciel des cieux appartient au Seigneur, » c’est-à-dire pour le firmament des esprits. Le ciel et la terre passeront (Mt 24, 35 ; Mc 13, 31 ; Lc 21, 33) ; or, ce n’est pas dans ce qui passe que nous devons placer notre trésor, c’est-à-dire notre cœur, mais dans ce qui demeure éternellement.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Que vaut-il donc mieux pour nous, ou de placer notre trésor sur la terre, où il est fort douteux que nous puissions le conserver, ou de le placer dans le ciel, où la conservation nous en est assurée ? Quelle est donc cette folie de laisser ce trésor dans un lieu que vous devez quitter et de ne pas l’envoyer par avance dans la patrie vers laquelle vous vous dirigez. Placez donc vos richesses là où vous avez votre patrie.

 

S. Chrys. (hom. 21). Cependant, comme il y a des trésors de ce monde qui sont inaccessibles à la rouille, aux vers et aux voleurs, le Sauveur propose cette autre considération : « Où est votre trésor, là est votre cœur, » paroles qui reviennent à dire : Supposez que vous n’ayez à craindre aucune des pertes signalées plus haut, vous éprouverez un immense dommage en restant attachés à ces choses si basses, en vous rendant leurs esclaves, en perdant tout droit aux biens du ciel en devenant incapable d’aucun noble sentiment, d’aucune pensée élevée. — S. Jér. Tels sont les sentiments que nous devons avoir à l’égard non-seulement de l’argent, mais encore de tous les biens qui peuvent venir en notre possession. En effet, le dieu de l’intempérant, c’est son ventre ; le trésor de l’impudique, c’est la débauche ; celui du voluptueux, les plaisirs criminels. Chacun devient l’esclave de la passion qui le domine ; il a donc son cœur là où est son trésor.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Dans un autre sens, Notre Seigneur fait voir ici l’utilité de l’aumône. Celui qui place ses richesses sur la terre n’a plus rien à espérer dans le ciel. Pourquoi jeter ses regards vers le ciel où il ne place aucune réserve ? Il commet donc un double péché, d’abord parce qu’il amasse des richesses pernicieuses, et ensuite parce que son cœur est attaché à la terre. Par une raison contraire, celui qui place son trésor dans le ciel fait une action doublement méritoire.

 

vv. 22-23.

S. Chrys. (hom. 21). Le Sauveur vient de parler de l’intelligence réduite en captivité et soumise à l’esclavage ; mais cette doctrine n’était pas facile à comprendre pour un grand nombre ; il prend donc les choses extérieures comme terme de comparaison : « La lampe de votre corps c’est votre oeil, » etc., c’est-à-dire : Si vous ne comprenez ce que c’est que de perdre son intelligence, apprenez le par cette comparaison. Ce que votre oeil est à votre corps, votre intelligence l’est à votre âme. Or, de même que la privation de la vue enlève aux autres membres une grande partie de leur action, parce qu’ils ont perdu la lumière qui les éclairait, ainsi la corruption de votre intelligence plonge votre vie tout entière dans un abîme de maux. — S. Jér. Toute cette comparaison a pour objet de rendre le sens plus clair ; de même en effet que le corps tout entier sera dans les ténèbres, si l’oeil a cessé de voir droit, ainsi que l’âme vienne à perdre sa principale lumière, tous les sens (ou si l’on veut la partie sensible de l’âme) demeureront dans l’obscurité. Ce qui fait ajouter à Notre-Seigneur : « Si la lumière qui est en vous n’est que ténèbres, combien seront grandes les ténèbres elles-mêmes ? C’est-à-dire si l’intelligence et le sentiment, qui sont la lumière de votre âme, sont obscurcis par le vice, combien ce qui est obscur sera lui-même enveloppé de ténèbres ?

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Il est évident que le Sauveur ne veut point parler ici de l’oeil matériel ni de ce corps qui se voit au dehors, autrement il se serait exprimé de la sorte : « Si votre oeil est sain ou malade, » tandis qu’il dit au contraire : « Si votre oeil est simple ou mauvais. » Qu’on ait un oeil bienveillant, mais malade, le corps en verra-t-il plus clair ? Qu’on ait, au contraire, un oeil mauvais, mais sain, le corps en sera-t-il pour cela dans les ténèbres ? — S. Jér. Ceux dont les yeux sont malades voient des lumières multiples ; l’oeil simple et pur, au contraire, voit tous les objets dans leur pureté et leur simplicité. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien il s’agit ici exclusivement de l’oeil intérieur. Cette lampe, c’est l’intelligence à l’aide de laquelle notre âme voit Dieu. Donc celui dont le cœur est en Dieu a un oeil lumineux, c’est-à-dire que son âme est pure, et n’est point ternie par les désirs de la terre. Les ténèbres qui sont en nous, ce sont les sens de la chair qui se portent toujours vers les oeuvres de ténèbres. Celui dont l’oeil est pur, c’est-à-dire dont l’âme est toute spirituelle, conserve son corps lumineux, c’est-à-dire sans péché, car bien que la chair désire le mal, il réprime ces désirs par la force que lui donne la crainte de Dieu. Celui, au contraire, qui a l’oeil mauvais, c’est-à-dire dont l’âme est obscurcie par la malice ou troublée par la concupiscence, a nécessairement son corps dans les ténèbres. Il ne sait pas résister à la chair lorsqu’elle convoite le mal, car il ne nourrit pas dans son cœur cette espérance des cieux qui nous revêt d’une force invincible pour résister à nos passions.

 

S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth.) Ou bien le Sauveur a emprunté à la lumière que l’oeil répand sur le corps l’expression de la lumière de l’âme. Si cette lumière spirituelle reste pure et brillante, elle communiquera à notre corps la clarté de la lumière éternelle, et au jour de la résurrection, elle répandra sur la corruption du tombeau la splendeur de son origine. Si au contraire elle se laisse obscurcir par les péchés et qu’elle devienne mauvaise par la dépravation de la volonté, notre corps lui-même subira la peine de ses vices.

 

S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien encore, cet oeil c’est notre intention. Si elle est pure et droite, toutes les oeuvres qu’elle dirige seront bonnes. En effet l’Apôtre appelle certaines oeuvres nos membres dans ce passage : « Mortifiez les membres de l’homme terrestre qui est en vous, la fornication, l’impureté, » etc. (Col 3, 5) Ce qu’il faut considérer dans la vie d’un homme, ce ne sont donc pas ses actions, mais ses intentions ; car c’est l’intention qui est la lumière de notre âme, puisque nous pouvons savoir clairement si nous agissons avec une bonne intention, et que « tout ce qui est évident est lumière. » (Ep 5) Quant aux actions qui sont une conséquence de nos rapports avec les autres hommes, leur résultat est pour nous incertain, et c’est pour cela que Notre-Seigneur les appelle ténèbres. Par exemple, lorsque je donne de l’argent à un pauvre, puis-je savoir l’usage qu’il en va faire ? Si donc votre intention qui vous est connue, vient à être ternie par des désirs terrestres, à plus forte raison cette action dont vous ignorez le résultat. Je veux que ce que vous avez fait avec une mauvaise intention soit utile à un autre, vous serez jugé sur le motif qui vous a fait agir et non sur le résultat de votre action. Si au contraire nos actions sont faites dans une intention simple, c’est-à-dire par un motif de charité, alors elles sont pures et agréables à Dieu. — S. Aug. (cont. le Mens., chap. 7.) Il y a des actions qui sont évidemment péchés, on ne doit jamais les faire quelque bonne intention qu’on s’y propose ; il en est qui ne sont point par elles-mêmes péchés, qui sont indifférentes et deviennent bonnes ou mauvaises, selon le motif bon ou mauvais qui les détermine ; ainsi nourrir les pauvres, c’est une bonne action si on la fait par un principe de miséricorde, c’est une mauvaise action si on la fait pour satisfaire sa vanité. Quand des actions sont évidemment péchés en elles-mêmes, comme le vol, les crimes contre la pudeur et autres de ce genre, qui oserait dire qu’on peut les faire pour un bon motif, sans qu’il y ait aucune faute ? Qui oserait dire : « Volons les riches, pour avoir de quoi donner aux pauvres. »

 

S. Grég. (Moral., 28.) Ou bien encore : « Si la lumière qui est en vous n’est que ténèbres, etc., » c’est-à-dire, si une intention droite et bonne au commencement de notre action vient à l’obscurcir en devenant elle-même mauvaise, combien seront ténébreuses les actions dont nous ne pouvons nous dissimuler le mal lorsque nous les faisons ? — Remi. Ou bien c’est la foi qui est ici comparée à une lampe ; car c’est elle qui éclaire les pas de l’homme intérieur (c’est-à-dire ses actions), pour les préserver de tout danger selon cette parole du Psalmiste (Ps 118) : « Votre parole, Seigneur, est la lumière de mon âme. » Si donc notre foi est pure et simple, tout notre corps sera lumineux ; si elle est obscure, il sera tout entier dans les ténèbres. Ou bien enfin, par la lumière il faut entendre celui qui est chargé de diriger les fidèles, et c’est avec raison qu’il est appelé l’oeil du corps, car il est chargé de veiller à ce que le peuple qui lui est soumis et qui est ici figuré par le corps ne manque d’aucune des choses qui peuvent être utiles à son salut. Si donc celui qui gouverne l’Église vient à s’égarer, combien plus le peuple qui est sous sa conduite sera exposé à une perte certaine.

 

v. 24.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Le Seigneur venait de dire que celui dont l’âme est soumise à l’esprit peut facilement conserver tout son corps dans la pureté, tandis que cela est impossible à celui qui n’obéit pas à l’esprit, Il en donne maintenant la raison : « Personne ne peut servir deux maîtres. » La Glose. Voici une autre manière de rattacher cette pensée à ce qui précède : « Notre-Seigneur a déclaré plus haut qu’une intention terrestre rendait mauvais ce qui était bon. On pouvait en conclure qu’il était permis de faire le bien, en vue des biens de la terre aussi bien qu’en vue des biens du ciel. » Le Sauveur détruit cette erreur en ajoutant : « Personne ne peut servir deux maîtres à la fois. » — S. Chrys. (hom. 22.) On peut encore donner cette explication : Dans ce qui précède, le Sauveur a combattu la tyrannie de l’avarice par des raisons fortes et nombreuses, il lui en oppose ici de plus pressantes encore. En effet, les richesses nous sont visibles non-seulement en armant contre nous les voleurs et en répandant les ténèbres sur notre intelligence, mais encore en nous arrachant au service de Dieu, ce que Notre-Seigneur prouve par cette maxime si connue : « Personne ne peut servir deux maîtres à la fois. » Il dit deux maîtres qui donnent des ordres contraires, car la bonne intelligence ne fait qu’un seul homme de plusieurs. Aussi Notre-Seigneur ajoute-t-il : « Ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il se soumettra à l’un et méprisera l’autre. » Il met les deux maîtres en présence pour nous apprendre que l’on peut facilement quitter le mauvais pour le bon. Vous dites par exemple : « Je suis l’esclave des richesses par l’affection que j’ai pour elles, » Le Sauveur vous montre qu’il vous est possible de changer de maître, en vous dérobant à cette servitude, et en n’ayant pour elle que du mépris.

 

La Glose. Ou bien encore Notre-Seigneur paraît ici faire allusion a deux espèces de servitude, l’une qui est noble et naît de l’amour, l’autre qui est servile et qui vient de la crainte. Si donc un chrétien sert par un principe d’amour l’un de ces deux maîtres opposés, il faut nécessairement qu’il ait de la haine pour l’autre ; s’il agit au contraire par un motif de crainte, il ne peut supporter l’un sans mépriser l’autre. Que ce soit un objet terrestre, que ce soit Dieu, si l’un ou l’autre domine dans le cœur de l’homme, il se trouve entraîné dans une direction contraire à l’un des deux, car Dieu attire son serviteur vers les régions élevées, les choses de la terre l’entraînent vers la terre ; et voilà pourquoi il conclut en disant : « Vous ne pouvez pas à la fois servir Dieu et l’argent. » — S. Jér. Mammon est un mot syriaque qui signifie richesse. Que l’avare qui porte le nom de chrétien apprenne ici qu’il ne peut à la fois servir Jésus-Christ et les richesses. Et remarquez que le Sauveur ne dit pas : « Celui qui a des richesses, » mais « celui qui est le serviteur et l’esclave des richesses, » car celui qui en est l’esclave les garde comme fait un esclave ; celui au contraire qui est affranchi de leur servitude, les distribue comme en étant le maître. — La Glose. Par Mammon on peut entendre aussi le démon qui a l’empire sur les richesses, non pas qu’il puisse les distribuer à son gré, sans que Dieu le lui permette, mais parce qu’il les fait servir à tromper les hommes. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14 ou 22.) Celui qui est l’esclave de Mammon ou des richesses devient aussi l’esclave de celui qui par sa perversité a été préposé au gouvernement des choses de la terre, et appelé par le Seigneur le prince de ce monde. Ou bien encore par ces paroles : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent, » le Seigneur nous montre quels sont les deux seigneurs, Dieu et le démon. Or il faut nécessairement que l’homme haïsse l’un et qu’il aime l’autre, qu’il se soumette à l’un et méprise l’autre. En effet celui qui est l’esclave de l’argent souffre une dure servitude, car enchaîné par sa cupidité, il subit l’esclavage du démon, mais il ne l’aime pas ; de même que celui que sa passion unit à la servante d’un autre, est soumis à une cruelle servitude, sans qu’il ait aucune affection pour celui dont il aime la servante. Remarquez que le Sauveur dit : « Et il méprisera l’autre, et non pas il le haïra. » Car il n’est peut-être pas un homme qui puisse haïr Dieu dans sa conscience. Mais on peut le mépriser, c’est-à-dire ne pas le craindre lorsque sa bonté nous inspire une confiance présomptueuse.

 

v. 25.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 22.) Notre-Seigneur nous a enseigné plus haut que celui qui veut aimer Dieu et fuir ce qui l’offense, ne doit pas se flatter de pouvoir servir deux maîtres à la fois, dans la crainte que le cœur ne vienne à se partager par la recherche non du superflu, mais du nécessaire, et que pour se le procurer, l’intention ne soit détournée de sa véritable fin, il ajoute : « C’est pourquoi je vous le dis, ne soyez pas inquiets pour votre vie, de ce que vous mangerez, » etc. — S. Chrys. (homél. 22.) En parlant ainsi le Sauveur ne suppose pas que l’âme ait besoin de nourriture (car elle est incorporelle), mais il se sert ici d’un langage reçu ; d’ailleurs l’âme ne peut rester dans le corps qu’à la condition pour celui-ci de prendre de la nourriture. — S. Aug. Ou bien l’âme est mise ici pour la vie animale. — S. Jér. Dans quelques exemplaires on lit cette addition : « Ni de ce que vous boirez. » Nous ne sommes donc pas délivrés entièrement de tout soin en ce qui concerne les biens que la nature accorde également à tous les êtres, et qui sont communs aux animaux sauvages et domestiques aussi bien qu’aux hommes. Mais Dieu nous défend d’avoir de l’inquiétude à l’égard de notre nourriture. C’est à la sueur de notre front que nous préparons notre pain ; il faut pour cela du travail, mais point de sollicitude. Ce qui est dit ici doit s’entendre de la nourriture et du vêtement de notre corps. Quant aux vêtements et à la nourriture de l’âme, ils doivent être l’objet constant de notre sollicitude.

 

S. Aug. (des hérés., chap. 57.) On appelle Euchites (ευχιται) certains hérétiques qui prétendent qu’il n’est pas permis à un moine de travailler pour le soutien de sa vie, et qu’ils n’embrassent eux-mêmes l’état monastique que pour s’affranchir de tout travail. — S. Aug. (Du travail des moines, chap. 1.) Ils disent donc : ce n’est pas des oeuvres corporelles auxquelles se livrent les laboureurs et les artisans dont l’apôtre a voulu parler lorsqu’il a dit : « Celui qui ne veut pas travailler ne doit pas manger, » (2 Th 2), car il ne pouvait se mettre en contradiction avec ces paroles de l’Évangile : « C’est pourquoi je vous dis ne soyez pas inquiets, » etc. Le travail dont veut parler ici l’Apôtre, ce sont donc les oeuvres spirituelles dont il a dit ailleurs : « J’ai planté, Apollon a arrosé. » Ces hérétiques prétendent ainsi obéir à la fois à la recommandation de l’Évangile et à celle de l’Apôtre en soutenant que l’Évangile nous a commandé de ne point nous inquiéter des besoins matériels de cette vie, et que c’est de la nourriture et des oeuvres spirituelles que l’Apôtre a dit : « Que celui qui ne veut pas travailler ne mange point. » Il faut donc leur démontrer tout d’abord que ce sont des oeuvres corporelles que l’Apôtre recommande aux serviteurs de Dieu. Il venait de leur dire précédemment : « Vous savez vous-mêmes ce qu’il faut faire pour nous imiter, puisque nous n’avons point causé de troubles parmi vous, nous n’avons mangé gratuitement le pain de personne, mais nous avons travaillé nuit et jour pour n’être à charge à aucun de vous, non pas que nous n’en eussions le droit, mais nous avons voulu vous donner en nous un modèle à imiter. » C’est pour cela que lorsque nous étions auprès de vous, nous vous déclarions que celui qui ne veut pas travailler ne doit pas manger. Que peut-on répondre à des paroles si claires, lorsque nous voyons l’Apôtre consacrer cette doctrine par son exemple, c’est-à-dire par le travail de ses mains. Ne le voyons-nous pas en effet travailler des mains dans ce passage des Actes des Apôtres (Ac 18), où il est dit : « Il resta auprès d’Aquila et de son épouse Priscilla et travailla chez eux, car leur métier était de faire des tentes ? » Et cependant le Seigneur avait établi que ce grand Apôtre, comme prédicateur de l’Évangile, comme soldat du Christ, comme planteur de la vigne et pasteur du troupeau, devait vivre de l’Évangile. Toutefois, il n’exigea pas le salaire auquel il avait droit, pour donner dans sa personne un exemple sans réplique à ceux qui étaient portés à exiger ce qui ne leur était pas dû.

Qu’ils prêtent donc l’oreille ceux qui n’ont pas le pouvoir dont l’Apôtre était revêtu, et qui ne pouvant présenter aucune oeuvre spirituelle, voudraient manger un pain qu’ils n’ont gagné par aucun travail corporel. Ils ont ce droit, s’ils sont prédicateurs de l’Évangile, ou ministres de l’autel, ou dispensateurs des sacrements. Si du moins ils possédaient dans le monde des biens qui pouvaient les faire vivre facilement sans travail, et qu’au moment de leur conversion, ils les aient distribués aux pauvres, il faut croire à leur faiblesse, y condescendre, et la supporter, sans faire attention à l’endroit qui a profité de leurs dons, puisque les chrétiens ne forment entre eux qu’une seule société. Mais quant à ceux qui viennent des champs, ou de l’atelier, ou d’une profession vulgaire pour se consacrer à Dieu dans l’état religieux, ils n’ont aucune excuse pour se dispenser du travail des mains. Est-il convenable que les artisans restent oisifs là où les sénateurs se livrent au travail ? Convient-il que des campagnards soient délicats là où les possesseurs de grands domaines ne viennent qu’après avoir quitté toutes les jouissances de la terre ? Ainsi lorsque Notre-Seigneur a dit : « Ne soyez pas inquiets, » son dessein n’est pas qu’on ne puisse chercher à se procurer les biens indispensables à une vie honnête, mais il défend d’avoir l’oeil fixé constamment sur ces biens, et que les prédicateurs de l’Évangile n’en fassent le but de leurs travaux évangéliques, car c’est cette intention qu’il avait appelée plus haut l’oeil du corps.

 

S. Chrys. (hom. 22.) On peut encore établir autrement la liaison des paroles du Sauveur. Comme il venait d’enseigner le mépris des richesses, on pouvait donc dire : « Comment pourrons-nous vivre si nous abandonnons tout ce que nous possédons ? » Il répond en ajoutant : « C’est pourquoi je vous dis : Ne vous laissez pas préoccuper, » etc. — La Glose. Par les soins temporels qui vous détourneraient des biens de l’éternité.

 

S. Jér. Il nous est défendu d’avoir de l’inquiétude à l’égard de notre nourriture, car c’est à la sueur de notre front que nous devons assurer notre subsistance. Il faut donc du travail, mais point de sollicitude. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce ne sont pas les préoccupations de l’esprit, mais le travail de nos bras qui doit nous procurer notre pain ; Dieu le donne libéralement au travail comme récompense, mais il le retire à la négligence pour la punir. Le Seigneur affermit notre espérance à cet égard, premièrement, par ce raisonnement du plus au moins, en disant : « Est-ce que la vie n’est pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ? » — S. Jér. Celui qui vous a donné les choses les plus élevées vous refuserait-il celles qui sont de moindre importance ? — S. Chrys. (sur S. Matth.) S’il n’avait pas voulu conserver les êtres qui existent, il ne les aurait pas créés. Or, en leur donnant l’existence, il a établi qu’elles se conserveraient au moyen de la nourriture ; il doit donc leur procurer cette nourriture, tant qu’il veut que se prolonge l’existence qu’il leur a donnée. — S. Hil. Ou bien encore, comme les pensées des infidèles sont perverties à l’égard des choses de l’autre vie et qu’ils demandent avec mauvaise foi quelle sera la forme de nos corps à la résurrection, quelle sera leur nourriture pendant l’éternité, le Seigneur met à néant ces questions aussi sottes qu’inutiles par cette réponse : « Est-ce que l’âme n’est pas plus que la nourriture ? » Il ne veut pas que l’espérance que nous avons de la résurrection s’arrête à ces misérables inquiétudes sur le manger, le boire et le vêtement ; il ne veut pas qu’on lui fasse outrage en le croyant incapable de nous accorder ces choses si minimes, alors qu’il nous rendra et notre corps et notre âme.

 

vv. 26-27.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur vient d’affermir notre espérance par une raison du plus au moins, il la confirme maintenant par un argument du moins au plus : « Considérez les oiseaux du ciel, ils ne sèment ni ne moissonnent. » — S. Aug. (Du travail des moines, chap. 23.) Il en est qui prétendent n’être pas obligés au travail, parce que, disent-ils, les oiseaux du ciel ne sèment ni ne moissonnent. Pourquoi donc ne pas faire attention à ce qui suit : « Et ils n’amassent rien dans les greniers ? » Pourquoi veulent-ils avoir les mains oisives et leurs greniers pleins ? Pourquoi moudre leur blé et cuire leur pain ? Car les oiseaux du ciel ne le font pas. S’ils trouvent des personnes qu’ils détermineront à leur apporter chaque jour leur nourriture toute préparée, encore faudra-t-il qu’ils se procurent eux-mêmes de l’eau en allant la puiser à une fontaine, à une citerne ou à un puits. S’ils ne sont même pas obligés à remplir d’eau leurs vases, ils ont vraiment un degré de perfection de plus que les fidèles de Jérusalem qui, ayant reçu le blé qui leur était envoyé de la Grèce, ont pris soin d’en faire du pain ou au moins d’en faire préparer, ce que ne font pas les oiseaux. On ne peut pas assujettir à ne rien réserver pour le lendemain ceux qui se séparent pour longtemps du commerce des hommes sans aucune relation avec eux, et qui s’enferment pour vivre appliqués tout entiers à la prière. On peut dire même que plus leur perfection est grande, plus leur conduite diffère de celle des oiseaux. Si donc Notre-Seigneur prend les oiseaux pour terme de comparaison, c’est pour ne laisser à personne la pensée que Dieu puisse refuser le nécessaire à ses serviteurs, puisque sa providence s’étend jusque sur les oiseaux. Car il ne faut pas croire que ce n’est pas Dieu lui-même qui nourrit ceux qui travaillent de leurs propres mains. Ainsi, parce que Dieu dit : « Invoquez-moi au jour de la tribulation et je vous en délivrerai, » on ne doit pas en conclure que l’Apôtre ne devait pas recourir à la fuite, mais qu’il devait attendre qu’il fût saisi et que Dieu vînt le délivrer, comme il avait délivré les trois jeunes hommes de la fournaise. Les saints pourraient répondre à ceux qui leur feraient cette difficulté, qu’ils ne doivent pas tenter Dieu, mais que c’est à lui, s’il le veut, de les délivrer, comme il a délivré Daniel des lions et saint Pierre de ses liens, alors qu’ils étaient eux-mêmes dans l’impossibilité de le faire. Que si Dieu, au contraire, leur donne les moyens de fuir et qu’ils échappent ainsi au danger, c’est encore à lui seul qu’ils attribuent leur délivrance. Par la même raison, si des serviteurs de Dieu sont capables de gagner leur vie de leur travail personnel et que l’Évangile en main on vienne leur objecter l’exemple les oiseaux du ciel qui ne sèment ni ne moissonnent, ils répondront facilement : « Si nous étions réduits à l’impuissance de travailler par suite de quelque maladie ou de quelque occupation, Dieu sans doute nous nourrirait comme les oiseaux du ciel qui ne travaillent pas. Mais puisque nous pouvons travailler, nous ne devons pas tenter Dieu, car cette puissance même que nous avons vient de sa bonté ; tant que nous vivons, notre vie vient de la même source que cette puissance, et nous sommes nourris par celui qui nourrit les oiseaux du ciel, comme Notre-Seigneur le dit : « Et votre Père céleste les nourrit ; n’êtes-vous pas beaucoup plus qu’eux ? » etc. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 22.) C’est-à-dire, vous êtes d’un prix plus élevé, parce que l’homme, animal raisonnable, occupe dans la nature un rang supérieur aux animaux sans raison, comme les oiseaux.

 

S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 11, chap. 16.) Cependant un cheval coûte ordinairement plus cher qu’un esclave, et une pierre précieuse plus cher qu’une servante ; mais ce n’est pas une appréciation raisonnable, c’est la nécessité ou le plaisir qui leur donne cette valeur. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Tous les animaux ont été faits pour l’homme ; mais l’homme a été fait pour Dieu et Dieu prend d’autant plus soin de l’homme qu’il occupe un rang plus élevé dans la création. Si donc les oiseaux trouvent leur nourriture sans travailler, pourquoi l’homme ne la trouverait-il pas, lui à qui Dieu a donné la science du travail et l’espérance du succès ?

 

S. Jér. Il en est qui, en voulant dépasser les limites respectées par nos pères et s’élever vers les hauteurs, tombent dans les abîmes. Ils prétendent que les oiseaux du ciel sont les anges et les autres puissances célestes qui exécutent les ordres de Dieu et qui sont nourris par la Providence divine sans aucun souci de leur part. S’il en est ainsi, comment expliquer les paroles suivantes qui s’appliquent nécessairement aux hommes : « Est-ce que vous n’êtes pas plus qu’eux ? » Il faut donc entendre ce passage tout simplement en ce sens que si, sans peine et sans préoccupation de leur part, la Providence de Dieu nourrit les oiseaux qui sont aujourd’hui et demain ne seront plus, elle fera bien plus pour les hommes à qui l’éternité est promise.

 

S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth.) On peut dire aussi que dans cette comparaison des oiseaux le Sauveur nous instruit par l’exemple des esprits impurs qui, sans aucun travail pour chercher ou amasser leur nourriture, reçoivent cependant leur subsistance par un effet des conseils éternels de Dieu, et c’est pour confirmer ce rapport aux esprits impurs qu’il ajoute : « N’êtes vous pas plus qu’eux ? » montrant ainsi par une comparaison frappante la différence qui existe entre la malice et la sainteté.

 

La Glose. Ce n’est pas seulement par l’exemple des oiseaux, c’est encore par notre propre expérience que le Sauveur nous enseigne que pour exister et pour vivre, nos soins personnels ne suffisent pas, mais qu’il faut encore l’action de la divine Providence. « Qui donc d’entre vous peut ajouter par son intelligence une coudée à sa taille ? »   S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est Dieu qui chaque jour donne l’accroissement à votre corps sans que vous puissiez vous en rendre compte. Si donc la Providence de Dieu travaille tous les jours en vous à l’accroissement de votre corps, comment restera-t-elle inactive devant de véritables nécessités ? Mais comment vous-mêmes, si tous les efforts de votre pensée ne peuvent ajouter la plus petite partie à votre corps, pourrez-vous le sauver tout entier ? — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 23.) Ou bien ces paroles se rapportent à ce qui suit de cette manière : « Une preuve que ce n’est pas votre sollicitude qui a fait parvenir votre corps à sa taille actuelle, c’est que, même quand vous le voudriez, vous ne pourriez lui ajouter une coudée ; laissez donc le soin de couvrir votre corps à celui qui a su lui donner une taille aussi élevée. » — S. Hil. De même qu’il s’est servi de l’exemple des esprits pour appuyer notre foi en la Providence à l’égard des nécessités de la vie, ainsi c’est en invoquant l’opinion commune qu’il nous fait connaître l’état qui nous attend après la résurrection. Puisque Dieu doit un jour ressusciter tous les corps qui ont en vie et en ramener la diversité à l’unité d’un homme parfait, et que seul il peut ajouter à la taille de chacun, une, deux ou trois coudées, n’est-ce pas lui faire outrage que d’être inquiet à l’égard du vêtement, c’est-à-dire de l’extérieur de notre corps, alors qu’il doit ajouter à la taille de tous les corps humains ce qui sera nécessaire pour établir l’égalité entre tous les hommes.

 

S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 15.) Si le Christ est ressuscité avec cette taille qu’il avait au moment de sa mort, on ne peut dire qu’au jour de la résurrection générale il paraîtra avec une taille gigantesque, différente de celle qui était connue des Apôtres. Si, au contraire, nous prétendons que tous les corps d’une taille plus grande ou plus petite seront élevés ou raccourcis à sa taille, un grand nombre de corps perdront de leur volume, contrairement à la promesse qu’il nous a faite que pas un cheveu de notre tête ne périrait. Disons donc que chacun ressuscitera avec la taille qu’il avait dans sa jeunesse, s’il est mort dans un âge avancé, et avec celle qu’il aurait eue s’il est mort auparavant. L’Apôtre n’a pas dit : « Dans la mesure de la taille, » mais : « Dans la mesure de l’âge parfait du Christ (Ep 4, 13 ), » parce que, en effet, les corps ressusciteront dans cet âge de jeunesse et de force auquel nous savons que le Christ est parvenu.

 

vv. 28-30.

S. Chrys. (hom. 23.) Après nous avoir enseigné à bannir toute sollicitude pour la nourriture, Notre-Seigneur passe à une autre nécessité moins importante, le vêtement ; car le vêtement n’est pas d’une aussi pressante nécessité que la nourriture. « Et pourquoi vous inquiétez-vous pour le vêtement ? » il ne se sert plus ici de la comparaison tirée des oiseaux, bien que quelques-uns, comme le paon et le cygne, eussent pu lui servir d’exemple, mais il choisit les lis en disant : « Considérez les lis des champs. » Il veut faire ressortir l’inépuisable richesse de la Providence divine à l’aide de ces deux choses : la magnificence et l’éclat des lis, et la faiblesse de ces êtres que Dieu revêt d’une si éclatante splendeur.

 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14 ou 23). Il ne faut point interpréter trop subtilement ces divins enseignements dans un sens allégorique et rechercher ce que signifient ici les oiseaux du ciel ou les lis des champs. Le Sauveur n’a recours aux comparaisons qu’il emprunte à la nature extérieure que pour nous aider à comprendre des choses d’un ordre plus élevé. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Au temps marqué par la Providence, les lis déploient leurs feuilles, se revêtent de blancheur, se remplissent de parfums, et ce que la terre n’avait pu donner à la racine, Dieu le lui communique par une opération invisible. Tous reçoivent avec une égale abondance, pour qu’on n’y voie pas un effet du hasard, mais le résultat d’une disposition de la Providence de Dieu. Par ces paroles : « Ils ne labourent pas, » Notre-Seigneur encourage les hommes ; par ces autres : « Ni ils ne filent point, » il ranime la confiance des femmes (cf. Pv 30). »

 

S. Chrys. (hom. 23.) Cette doctrine du Sauveur ne tend pas à interdire le travail, mais la sollicitude, comme lorsqu’il a dit plus haut : « Les oiseaux ne sèment point. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Et pour faire ressortir davantage cette Providence qui surpasse toutes les inventions de l’industrie humaine, il ajoute : « Je vous déclare que Salomon, » etc. — S. Jér. En effet, quelle soierie, quelle pourpre royale, quel riche tissu peut soutenir la comparaison avec les fleurs ? Quel rouge plus vif que celui de la rose et quelle blancheur plus éclatante que celle du lis ? Aucune pourpre ne peut l’emporter sur la violette, c’est une vérité qui n’a pas besoin de démonstration, il suffit d’avoir des yeux pour s’en convaincre. — S. Chrys. (hom. 23.) Il y a entre la richesse des vêtements et celle des fleurs, la différence qui sépare le mensonge de la réalité. Si donc la magnificence de Salomon, le plus splendide des rois, a été surpassée par celle des fleurs, comment la richesse de vos vêtements pourra-t-elle effacer leur éclat ? Et cet éclat des fleurs a triomphé de la magnificence de Salomon, non pas une ou deux fois, mais pendant toute la durée de son règne ; c’est ce qu’indiquent ces mots : « Dans toute sa gloire, » car pas même un seul jour il ne put atteindre la riche parure des fleurs. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien Notre-Seigneur parle ainsi parce que Salomon, sans travailler pour se procurer des vêtements, donnait cependant des ordres en conséquence. Or, le commandement est presque toujours accompagné de colère dans celui qui le fait, et de froissement clans celui qui l’exécute ; les fleurs, au contraire, reçoivent leur riche parure sans même qu’elles y pensent. — S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth.) Ou bien, par les lis, on peut entendre les célestes clartés des anges, que Dieu lui-même revêt d’une gloire éblouissante. Ils ne travaillent ni ne filent, car la grâce qui a, dès leur origine, assuré le bonheur des anges, se répand sur tous les moments de leur existence, et comme après la résurrection les hommes seront semblables aux anges, Notre-Seigneur, en faisant briller à nos yeux l’éclat des vertus célestes, a voulu nous faire espérer ce vêtement de gloire éternelle.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Si Dieu revêt avec tant de magnificence les fleurs qui ne naissent que pour satisfaire un instant les yeux et périr presque aussitôt après, pourra-t-il oublier les hommes, qu’il a créés non pour apparaître un instant, mais pour exister éternellement. C’est cette vérité dont il veut nous convaincre en ajoutant : « Si donc Dieu prend soin de vêtir ainsi l’herbe des champs qui est aujourd’hui et qui demain sera jetée au four, combien prendra-t-il plus soin de vous, hommes de peu de foi ? » — S. Jér. Le mot demain, dans l’Écriture, signifie le temps qui suit : « Ma justice m’exaucera demain (Gn 30), » dit Jacob. — La Glose. D’autres exemplaires portent : « Dans le feu, ou dans un de ces tas d’herbes enflammées qui ressemblent à un four. — S. Chrys. (homél. 23.) » Le Sauveur ne leur donne déjà plus le nom de lis, c’est l’herbe des champs, pour montrer leur chétive nature. Il la fait encore ressortir davantage, en ajoutant, non pas : « Qui ne seront plus demain, » mais ce qui exprime bien plus leur peu de valeur. « Qui seront jetés au four. » Ces paroles : « A combien plus forte raison » nous donnent à entendre ce qui fait l’honneur du genre humain, comme si le Sauveur disait : « Vous à qui Dieu a donné une âme, dont il a formé le corps, à qui il a envoyé ses prophètes et livré son Fils unique. » Il dit : « De peu de foi, » car la foi qui ne s’étend pas même à des choses aussi minimes est une foi bien faible. — S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth.) Ou bien encore, sous cette figure de l’herbe des champs, on peut voir les Gentils. Si donc l’existence éternelle ne leur est accordée que pour devenir les victimes du feu du jugement, que les saints sont coupables de douter de l’éternité glorieuse, alors que Dieu donne aux méchants, pour leur punition, une existence éternelle ?

 

Remi. Dans le sens spirituel, on peut entendre ici par les oiseaux du ciel les saints qui sont régénérés dans les eaux sacrées du baptême, et que la piété porte à mépriser les choses de la terre et à soupirer après celle du ciel. Notre-Seigneur dit que les Apôtres sont plus que les oiseaux du ciel, parce qu’ils sont les chefs de tous les saints. Les lis figurent encore les saints qui, par la foi seule et sans le travail des cérémonies légales, ont su plaire à Dieu, et on peut leur appliquer ces paroles : « Mon bien-aimé qui se nourrit parmi les lis. » Les lis sont encore la figure de l’Église à cause de la blancheur éblouissante de la foi et du parfum de la bonne vie, et c’est d’elle qu’il est dit : « Elle est comme le lis parmi les épines. » L’herbe des champs figure les infidèles dont il est écrit : « L’herbe s’est desséchée et la fleur est tombée ; » et le four, la damnation éternelle en ce sens : « Si Dieu n’a pas refusé aux infidèles les biens du temps, à combien plus forte raison nous accordera-t-il ceux de l’éternité ? »

 

vv. 31-33.

La Glose. Après avoir successivement exclu toute sollicitude à l’égard de la nourriture et du vêtement par des raisons empruntées aux créatures inférieures, Notre-Seigneur combat ici cette double sollicitude : « Ne vous inquiétez donc point en disant : Que mangerons-nous ou que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons-nous ? » Remi. Le Seigneur renouvelle cette recommandation pour nous faire comprendre sa nécessité et la graver plus profondément dans nos cœurs. — Rab. Remarquez qu’il ne dit pas : « Ne soyez ni inquiet ni soucieux de la nourriture, de la boisson, du vêtement, » mais : « De ce que vous mangerez, de ce que vous boirez, de quoi vous pourrez vous vêtir, » il me paraît condamner ici ceux qui, n’ayant que du mépris pour la manière ordinaire de se nourrir ou de se vêtir de ceux au milieu desquels ils vivent, affectent de rechercher des aliments ou des vêtements plus délicats ou plus austères.

La Glose. Il est encore une autre sollicitude superflue et qui tient à un principe vicieux du cœur humain. Vous voyez des hommes, désespérant pour ainsi dire de la bonté de Dieu, réserver au delà du nécessaire les richesses et les fruits de la terre et sacrifier les intérêts de leur âme à la préoccupation exclusive de ces biens temporels. C’est ce que Notre-Seigneur défend, lorsqu’il ajoute : « Car les païens recherchent toutes ces choses. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, dans leur opinion, les choses humaines dépendent de la fortune et non de la Providence ; elles ne sont point gouvernées par les justes décrets de Dieu, mais par le hasard et à l’aventure. Leurs craintes et leurs défiances sont donc fondées, puisqu’ils ne croient à aucune direction supérieure. Mais pour celui qui croit à n’en pouvoir douter que c’est la main de Dieu qui gouverne son existence, il lui abandonne le soin de sa nourriture, c’est pourquoi le Sauveur ajoute : « Car votre Père sait que vous avez besoin de toutes ces choses. » — S. Chrys. (hom. 23.) Il ne dit pas : « Dieu sait, » mais : « Votre Père sait, » pour accroître ainsi leur confiance, car si c’est un Père, pourra-t-il négliger le soin de ses enfants, alors que les hommes eux-mêmes ne se rendent pas coupables de cet oubli. Il ajoute : « Que vous manquez de toutes ces choses, » car il s’agit du nécessaire. Quel est le père, en effet, qui refuserait le nécessaire à ses enfants ? S’il s’agissait, au contraire, du superflu, la même confiance serait déplacée. — S. Aug. (De la Trinité, chap. 13.) Ce n’est pas depuis une époque déterminée que Dieu connaît ces choses ; de toute éternité, il a prévu dans sa prescience toutes les choses futures, le temps aussi bien que la matière de nos prières. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 12, chap. 15.) Quant à ceux qui soutiennent que la science de Dieu ne peut embrasser toutes ces choses, parce qu’elles sont infinies, il leur reste à dire que Dieu ne connaît point tous les nombres, qui sont très certainement infinis. L’infinité des nombres ne peut être incompréhensible pour celui dont l’intelligence n’est point soumise aux lois des nombres. Si donc tout ce que la science peut embrasser est comme limité par l’intelligence qui comprend, on peut dire que toute infinité trouve des limites ineffables dans la science de Dieu pour laquelle rien n’est incompréhensible. — S. Grég. Nyss. (De l’homme.) C’est par ces signes éclatants que se fait connaître la Providence divine. Comment expliquer, en effet, sans une Providence spéciale, la durée de tous les êtres (de ceux en particulier qui sont soumis aux lois de la génération et de la corruption), la place qu’ils occupent, le rang qui leur est assigné dans la création d’après un plan constamment suivi ? Mais il en est qui prétendent que Dieu ne s’occupe que de l’existence des créatures en général, que sa providence se borne à maintenir cet ordre général, mais que les choses particulières sont abandonnées au hasard. Or, on ne peut donner que trois raisons de cette conduite de la Providence abandonnant au hasard les choses particulières : ou bien Dieu ignore qu’il est bon d’étendre sur elles sa providence, ou bien il ne le veut pas, ou c’est chez lui impuissance. Quant à l’ignorance, elle répugne souverainement à cette divine et bienheureuse nature Et comment voudrait-on que Dieu ignorât ce qui ne peut échapper à l’homme sage : que la ruine des choses particulière entraîne la ruine des choses générales ? Or, comment empêcher cette destruction des êtres individuels sans une puissance toute providentielle ? Dira-t-on que Dieu ne le veut pas ? Ce ne pourrait être que par négligence ou parce qu’il regarde comme indigne de lui cette Providence de détail. La négligence ne peut venir que de deux causes : ou de l’attrait d’un plaisir qui nous captive, ou d’une crainte qui nous détourne d’agir. Or, il n’est pas permis de supposer en Dieu l’une de ces deux causes. S’ils disent qu’il est inconvenant pour Dieu et indigne de cette béatitude infinie de descendre aux petites choses, pourquoi n’est-il pas inconvenant qu’un ouvrier qui s’occupe de l’ensemble de son ouvrage s’applique en même temps aux plus petits détails, parce qu’ils contribuent à la perfection du tout ? Et n’est-ce pas une souveraine inconvenance que de prétendre que le Dieu créateur du monde est inférieur à un simple artisan ? Si Dieu ne le peut pas, il y a chez lui faiblesse, impuissance de faire le bien. Que si cette Providence qui s’étend aux plus petits détails de la création est incompréhensible pour nous, est-ce une raison pour nier son existence ? Pourquoi donc aussi ne pas nier qu’il y ait des hommes sur la terre, parce que nous ignorons le nombre de ceux qui existent.

S. Chrys. Que celui donc qui croit qu’une Providence divine gouverne son existence, lui abandonne le soin de sa nourriture, qu’il tourne toutes ses pensées sur ce qui est bien, sur ce qui est mal ; sans cette pensée sérieuse, il ne pourra ni fuir le mal, ni faire le bien. Aussi Notre-Seigneur ajoute-t-il : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice. » Le royaume de Dieu c’est la récompense des bonnes oeuvres ; sa justice, c’est la voie de la piété qui conduit à ce royaume. Si la gloire des saints devient l’objet de vos méditations, la crainte du supplice vous éloignera nécessairement du mal ou le désir de la gloire vous fera prendre la voie du bien. Et si vous réfléchissez sur la justice de Dieu, c’est-à-dire sur ce qui est l’objet de sa haine ou de son amour, la justice elle-même, qui suit ceux qui l’aiment, vous fera connaître ses voies. Nous n’aurons pas à rendre compte de ce que nous sommes pauvres ou riches, mais de nos bonnes ou de nos mauvaises actions qui dépendent de notre libre arbitre. — La Glose. Ou bien cette expression : « La justice » signifie que c’est par la grâce de Dieu et non par vos efforts que vous êtes justes.

S. Chrys. (sur S. Matth.) La terre, à cause des péchés des hommes, a été frappée de malédiction et de stérilité par cette sentence : « La terre sera maudite dans ton travail. » Dieu la bénit, au contraire, lorsque nous faisons le bien. Cherchez donc la justice et le pain ne vous manquera pas ; les paroles suivantes vous en assurent : « Et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît. » — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 24.) C’est-à-dire les biens temporels : le Sauveur nous enseigne assez clairement que ce ne sont pas là les véritables biens en vue desquels nous devons pratiquer la vertu, mais que cependant ils nous sont nécessaires. Le royaume de Dieu et sa justice, voilà notre bien véritable dans lequel nous devons placer notre fin. Mais parce que nous avons à combattre en cette vie pour conquérir ce royaume, et que nous ne pouvons la conserver sans le soutien de ces biens temporels, le Seigneur nous dit : « Ils vous seront donnés comme par surcroît. » Ces paroles : « Cherchez d’abord » ne veulent pas dire qu’il faut chercher en second lieu les choses de la terre dans l’ordre du temps, mais selon l’estime que nous devons en faire ; cherchons le royaume de Dieu comme notre bien et les choses de la terre comme une nécessité de la vie. Ainsi, par exemple, nous ne devons pas annoncer l’Évangile pour nous procurer de quoi manger, ce serait faire moins de cas de l’Évangile que de la nourriture ; mais nous devons manger afin de pouvoir annoncer l’Évangile. Or, si nous cherchons d’abord le royaume de Dieu et sa justice, c’est-à-dire si nous les préférons à tout et que nous leur rapportions tous les autres biens, n’ayons aucune crainte que le nécessaire nous manque, car il est dit : « Et toutes ces choses vous seront données par surcroît, » c’est-à-dire sans aucune difficulté pour vous et sans crainte qu’en cherchant ces biens vous ne soyez détournés des premiers ou obligés de vous proposer deux fins à la fois. — S. Chrys. (hom. 23.) Il ne dit pas : « Elles vous seront données, » mais : « Elles vous seront ajoutées, » pour nous apprendre que les choses présentes ne sont rien en comparaison de la magnificence des biens à venir.

 

S. Aug. (serm. sur la mont.) Lorsque nous lisons que l’Apôtre eut à souffrir de la faim et de la soif, n’allons pas croire que Dieu ait failli à ses promesses ; ces biens sont des secours, le divin Médecin sait quand il faut nous les donner ou nous les refuser, selon ce qui nous est le plus utile. S’ils viennent à nous manquer, ce que Dieu permet souvent pour notre épreuve, cela ne doit ébranler en aucune manière le plan de vie que nous avons adopté, mais nous confirmer, au contraire, dans le choix réfléchi que nous en avons fait.

 

 

v. 34.

La Glose. Le Sauveur vient de défendre la sollicitude pour le présent, il nous défend maintenant pour l’avenir, les vaines inquiétudes qui viennent du vice de notre cœur. « Ne soyez pas inquiets pour le lendemain, nous dit-il. » — S. Jér. Demain, dans la sainte Écriture, signifie l’avenir, comme dans ces paroles de Jacob : « Demain mon équité me rendra témoignage, » et la pythonisse, parlant a Saül dans la personne de Samuel qu’elle avait évoqué, lui dit : « Demain tu seras avec moi. » En nous défendant la préoccupation de l’avenir, Dieu nous permet de nous occuper du présent. Cette pensée nous suffit, laissons à Dieu le soin d’un avenir plein d’incertitude ; c’est ce que signifient ces paroles : « Le jour de demain sera inquiet pour lui-même, » c’est-à-dire apportera avec lui sa part de sollicitude. « A chaque jour suffit son mal, » Le mot mal n’exprime pas ici une idée contraire à celle de vertu, mais la peine, l’affliction, les infortunes de la vie présente. — S. Chrys. (hom. 23). Rien ne cause, en effet, autant de douleur à l’âme que les inquiétudes et les soucis. « Le lendemain sera inquiet pour lui-même. » Notre-Seigneur veut se rendre plus intelligible, il personnifie donc le temps et adopte un langage reçu pour se faire comprendre d’un peuple sans instruction. Pour les impressionner davantage, ce sont les jours eux-mêmes qu’il met en place des soins superflus. Est-ce que chaque jour n’a pas son fardeau suffisant, c’est-à-dire les préoccupations qui lui sont propres ? Pourquoi donc le surcharger des sollicitudes du lendemain ?

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien l’expression aujourd’hui signifie le nécessaire de la vie présente, et le mot demain, le superflu. « N’ayez donc aucune sollicitude pour le lendemain, » c’est-à-dire ne cherchez pas à vous procurer au delà de ce qui est nécessaire à votre nourriture de chaque jour ; ce qui est superflu, c’est-à-dire le lendemain, aura souci de lui-même. C’est là le sens de ces paroles : « Le lendemain aura soin de lui-même, » paroles qui veulent dire : « Lorsque vous aurez amassé le superflu, il prendra soin de lui-même, » c’est-à-dire : « Sans que vous en jouissiez, il trouvera des maîtres qui en prendront soin. Pourquoi donc vous tourmenter de ce qui duit devenir la propriété des autres ? A chaque jour suffit son mal ; vous avez assez de vos travaux, de vos préoccupations pour le nécessaire, ne vous inquiétez pas du superflu. »

 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 25.) Ou bien encore le mot demain ne s’emploie que dans le temps, là où le passé fait place à l’avenir. Quand donc nous faisons le bien, pensons non pas au temps, mais à l’éternité. « Le lendemain aura soin de lui-même, » en d’autres termes : Lorsqu’il le faudra, que la nécessité s’en fera sentir, prenez la nourriture et autres choses semblables. « A chaque jour suffit son mal, » c’est-à-dire il suffit que vous preniez ce que demande le besoin. Il appelle ce besoin malice, parce qu’il est pour nous une peine, et qu’il fait partie de la mortalité que nous avons méritée par le péché. N’allez pas rendre plus accablante cette peine des nécessités de la vie ; vous la subissez, mais n’en faîtes pas le motif pour lequel vous servez Dieu. Il faut nous garder ici, lorsque nous voyons un serviteur de Dieu qui cherche à se procurer le nécessaire pour lui, ou pour ceux dont le soin lui est confié, de l’accuser de désobéissance au commandement du Seigneur. Est-ce que le Sauveur lui-même, qui était servi par les anges, ne s’est pas soumis, pour notre exemple, à la nécessité d’avoir une bourse ? Et ne lisons-nous pas dans les Actes des Apôtres que pour échapper au danger d’une famine imminente, on fit les provisions nécessaires pour l’avenir ? Ce que le Seigneur condamne, ce n’est donc pas qu’on cherche à se donner le nécessaire par les voies ordinaires, mais qu’on ne s’attache à Dieu que pour se le procurer.

 

S. Hil. Tout cet enseignement peut aussi se réduire à cette doctrine céleste : Dieu nous défend de nous inquiéter de l’avenir. Et en effet la malice de notre vie, les péchés qui marquent chacun de nos jours n’offrent-ils pas à notre méditation et à tous nos efforts une ample matière d’expiation ? Délivrés alors de tout souci, l’avenir est inquiet pour lui-même, alors que la providence de Dieu nous prépare le fruit des clartés éternelles.

 

 

 

 

CHAPITRE VII.

 

vv. 1-2

 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 28.) On ne peut savoir quelle intention nous porte à rechercher les biens temporels pour l’avenir, et nous pouvons les acquérir avec une intention simple ou avec duplicité de cœur. Notre-Seigneur ajoute donc très à propos : « Ne jugez pas. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien si l’on veut une autre liaison avec ce qui précède, jusqu’ici, Notre-Seigneur a déduit les conséquences du précepte de l’aumône, il va maintenant exposer les conséquences du précepte de la prière. Les enseignements qui suivent font en un certain sens partie de la prière, de manière que ces paroles : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, » feraient suite à celles-ci : « Remettez-nous nos dettes. » — S. Jér. S’il nous est défendu de juger, comment saint Paul a-t-il pu légitimement juger l’incestueux de Corinthe, et saint Pierre convaincre de mensonge Ananie et Saphire ? (Ac 4.) — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il en est qui entendent ce passage dans ce sens que Notre-Seigneur ne nous défend pas ici de reprendre nos frères par un principe de charité, mais qu’il interdit seulement aux chrétiens de se mépriser les uns les autres par une vaine affectation de justice, de les prendre en haine et de les condamner sur de simples soupçons, en couvrant des apparences de la piété les inspirations d’une haine personnelle. — S. Chrys. (hom. 24.) Aussi ne dit-il pas : « N’arrêtez pas celui qui pèche, » mais : « Ne jugez pas, » c’est-à-dire ne soyez pas un juge sévère : reprenez, à la bonne heure, non pas comme un ennemi qui veut se venger, mais comme un médecin qui cherche à guérir.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est afin de prévenir cette amertume dans la réprimande que les chrétiens se font entre eux, que Notre-Seigneur a dit : « Ne jugez point. » Mais quoi ! est-ce que par cela seul qu’ils se seront abstenus de cette réprimande amère ils obtiendront la rémission de leurs péchés en vertu de ces paroles : « Vous ne serez pas jugés ? » Est-ce qu’on est digne d’obtenir le pardon du mal qu’on a commis, par cela seul qu’on n’y a pas ajouté un autre mal ? Non sans doute, et notre dessein en parlant de la sorte est de faire comprendre que ces paroles du Sauveur ne nous défendent pas de juger ceux qui pêchent contre Dieu, mais ceux qui nous offensent personnellement. Car celui qui ne juge pas son prochain par suite d’une offense qu’il en a reçue, ne sera pas jugé lui-même ; Dieu lui pardonnera comme il a pardonné. — S. Chrys. (hom. 24.) Ou bien encore, cette défense de juger ne s’étend pas à tous les péchés quels qu’ils soient, mais elle s’adresse à ces hommes qui remplis de vices sans nombre, reprennent sévèrement les autres pour les moindres fautes. C’est ainsi que saint Paul lui-même ne défend pas de juger ceux qui sont en faute, mais il reprend les disciples qui veulent juger leurs maîtres, et nous apprend par là à ne pas juger ceux qui sont au-dessus de nous.

 

S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth.) Ou bien encore Dieu nous défend de nous ériger en juges de ses desseins providentiels, car de même que tout jugement parmi les hommes porte sur des points douteux, ainsi tout jugement contre Dieu a pour objet des matières pleines d’obscurité. Il veut donc éloigner de nous cette disposition et nous laisser sous la garde d’une foi inébranlable, car si dans d’autres matières le jugement téméraire est chose coupable, quand il attaque les choses de Dieu, c’est un commencement de crime. — S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 2, chap. 23.) Ou bien enfin je pense que le Seigneur, par ces paroles, ne nous ordonne autre chose que d’interpréter en bonne part les actions dont le motif nous est inconnu. Il est des actions dont l’intention ne peut être bonne, comme les outrages à la pudeur, les blasphèmes et autres crimes semblables, Dieu nous permet de les juger. Il est au contraire des actions intermédiaires ou indifférentes que l’on peut faire avec une intention bonne ou mauvaise ; c’est une témérité de les juger, surtout pour les condamner. Il est deux circonstances où nous devons éviter le jugement téméraire : lorsque l’intention qui a dirigé telle action nous est inconnue, et quand nous ignorons ce que deviendra par la suite une personne qui nous paraît être actuellement bonne ou mauvaise. Ne blâmons donc pas des actions dont nous ne connaissons pas l’intention, et quant à celles qui sont manifestement mauvaises, ne les reprenons pas de manière à rendre impossible la guérison. On peut être étonné de ce que dit Notre-Seigneur : « Vous serez jugés selon que vous aurez jugé les autres. » Est-ce que si nous jugeons témérairement, Dieu nous jugera de la même manière ? Et si nous nous sommes servis d’une mesure injuste, Dieu nous appliquera-t-il une mesure semblable ? car ces expressions mesure et jugement ont ici, je pense, le même sens. Ces paroles signifient donc que la témérité dont vous aurez rendu les autres victimes, sera elle-même votre châtiment ; car souvent l’injustice ne nuit en rien à celui qui en est l’objet, mais elle nuit toujours à celui qui en est l’auteur. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 21, chap. 2.) Comment peut-il être vrai, disent quelques-uns, que nous serons mesurés selon la mesure avec laquelle nous aurons mesuré les autres, si un péché dont la durée a été limitée est puni d’un supplice éternel ? Ils ne font point attention qu’il ne s’agit pas ici d’une mesure semblable quant à la réciprocité de la peine, en ce sens que celui qui a fait le mal souffre un mal semblable, quoique cependant on pourrait appliquer ces paroles au sujet traité alors par le Sauveur, c’est-à-dire aux jugements et aux condamnations. Donc celui qui juge et condamne injustement reçoit dans la même mesure lorsqu’il est jugé et condamné selon toute justice, quoiqu’il ne reçoive pas ce qu’il a donné ; car il s’est servi du jugement pour commettre une injustice, Dieu se sert du jugement pour lui infliger le châtiment qu’il a justement mérité.

 

vv. 3-5

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 30.) Notre-Seigneur vient de nous prémunir contre le jugement téméraire et injuste, jugement téméraire dont se rendent coupables ceux qui se prononcent légèrement et avec sévérité dans les choses incertaines, qui aiment mieux blâmer et condamner que de corriger et de ramener au bien, ce qui est toujours un effet de l’orgueil et de l’envie. Il poursuit sa pensée et ajoute : « Pourquoi voyez-vous une paille dans l’oeil de votre frère, tandis que vous ne voyez pas une poutre dans le vôtre ? » — S. Jér. Le Sauveur parle ici de ceux qui, esclaves qu’ils sont du péché mortel, ne pardonnent pas à leurs frères des fautes bien plus légères. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 31.) Ainsi encore votre frère pèche par colère et vous le reprenez par haine ; or entre la colère et la haine il y a la différence qui existe entre une paille et une poutre, car la haine c’est la colère invétérée. Il peut se faire qu’en vous mettant en colère contre un homme, votre intention soit de le ramener au bien, ce qui vous sera toujours impossible si vous avez pour lui de la haine.

S. Chrys. (hom. 24.) Il en est plusieurs qui en voyant un moine porter de riches vêtements ou user d’une nourriture abondante, le blâment avec amertume, tandis qu’eux-mêmes se livrent tous les jours à la rapine ou aux excès de la table. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore Notre-Seigneur s’adresse ici aux docteurs, car la gravité ou la légèreté d’une faute se mesure sur la personne qui la commet, et le péché d’un simple fidèle n’est qu’une paille légère auprès du péché d’un prêtre, péché qui est ici comparé à une poutre.

 

S. Hil. (can. 5 sur S. Matth.) Ou bien le péché contre le Saint-Esprit consiste à nier la puissance de la vertu divine, et à refuser de reconnaître une substance éternelle en Jésus-Christ, par qui l’homme doit s’élever de nouveau jusqu’à Dieu, parce qu’étant Dieu lui-même il s’est abaissé jusqu’à se faire homme. D’après Notre-Seigneur, il y a donc autant de différence entre le péché contre le Saint-Esprit et les autres crimes, qu’entre une poutre et un fêtu de paille, et les infidèles se rendent coupables de ce péché lorsqu’ils reprochent aux autres leurs fautes extérieures, sans voir eux-mêmes le crime qui pèse sur eux, c’est-à-dire leur incrédulité aux promesses de Dieu, parce qu’ils ont l’oeil de l’âme aveugle comme si une poutre était tombée sur leurs yeux. « Ou comment pouvez-vous dire à votre frère : Laissez-moi tirer la paille de votre oeil, pendant que vous avez une poutre dans le vôtre ? » — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est-à-dire de quel front osez-vous reprendre votre frère, vous qui êtes coupable de la même faute et peut-être plus coupable que lui ?

 

S. Aug. Lors donc que nous serons obligés de faire une réprimande, faisons-nous d’abord cette question : N’ai-je jamais commis cette faute ? et pensons alors qu’étant aussi des hommes fragiles, nous aurions pu la commettre. Si nous en avons été coupables, et que nous ayons cessé de l’être, rappelons-nous notre commune fragilité, afin que notre réprimande soit inspirée non par la haine, mais par la miséricorde. Mais si nous découvrons en nous ce même péché, abstenons-nous de tout reproche, confondons nos gémissements et excitons-nous mutuellement à de courageux efforts pour en sortir. Ce n’est du reste que rarement et lorsqu’il y a nécessité pressante qu’il faut employer les réprimandes sévères, et jamais dans des vues personnelles, mais dans l’intérêt de la gloire de Dieu.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien dans un autre sens : « Comment dites-vous à votre frère, » c’est-à-dire dans quelle intention ? Est-ce par charité, pour assurer son salut ? Non, car alors vous chercheriez tout d’abord à vous sauver vous-même. Ce que vous vous proposez, ce n’est donc pas de guérir les autres, mais de vous servir de la saine doctrine comme d’un manteau pour couvrir vos actions coupables ; vous recherchez auprès des hommes une vaine réputation de science, et non pas la récompense que Dieu accorde à celui qui édifie. Aussi écoutez ce que vous dit le Sauveur : « Hypocrite, enlevez plutôt la poutre de votre oeil. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) Il n’appartient qu’à la vertu de reprendre le vice, et lorsque les méchants essaient de le faire, ils usurpent un rôle qui leur est étranger. C’est ce que font les comédiens qui cachent sous un déguisement emprunté ce qu’ils sont, et s’en servent en même temps pour paraître ce qu’ils ne sont pas.

 

S. Chrys. (hom. 24 sur S. Matth.) Il est à remarquer que toutes les fois que Notre-Seigneur veut signaler un péché d’une certaine gravité, il débute par un terme de reproche. « Mauvais serviteur, dit-il ailleurs, je vous ai remis toute votre dette, » et ici : « Hypocrite jetez d’abord, » etc. On connaît mieux ce qui est en soi, que ce qui se passe chez les autres ; on voit plus facilement ce qui est grand que ce qui est petit ; et on a pour soi plus d’affection que pour son prochain. C’est pour cela que Notre-Seigneur défend à celui qui s’est rendu esclave de fautes nombreuses, de juger avec amertume les péchés des autres, alors surtout qu’ils sont légers. Ce n’est pas qu’il nous interdise la correction ou la réprimande ; mais il ne veut pas qu’en fermant les yeux sur nos propres fautes, nous poursuivions avec sévérité les fautes des autres. Commencez par examiner avec soin votre propre conduite, avant de discuter la conduite du prochain. « Et alors, ajoute Notre-Seigneur, vous songerez à ôter le fêtu de l’oeil de votre frère. »

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 30.) Une fois que nous aurons ôté de notre oeil la poutre de la jalousie, de la malice, de la fausseté, nous songerons à enlever la paille de l’oeil de notre frère.

 

v. 6.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 31.) La simplicité que le Seigneur nous recommande par ce qui précède, pouvait induire quelques esprits en erreur, et leur donner à croire qu’on pèche en dissimulant quelquefois la vérité, comme en disant un mensonge ; il ajoute pour rectifier cette erreur : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez point vos perles devant les pourceaux. »

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, le Sauveur nous avait ordonné plus haut d’aimer nos ennemis et de faire du bien à ceux mêmes qui nous ont offensé. Or les prêtres pouvaient peut-être conclure de là qu’il fallait aussi les admettre à la participation des choses divines ; il combat cette pensée en disant : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, » comme s’il disait : Je vous ai commandé d’aimer vos ennemis, de les assister de vos biens temporels, mais non pas de leur distribuer indistinctement mes trésors spirituels ; car s’ils ont avec vous une commune nature, ils n’ont pas une même foi ; et si Dieu répand également les biens de la terre sur les méchants comme sur les bons, il n’en est pas de même des grâces spirituelles.

 

S. Aug. (serm. sur la mont.) Examinons ce que sont ici les choses saintes, les chiens, les pierres précieuses, les pourceaux. Ce qui est saint, c’est ce qu’on ne peut profaner sans crime, et ce crime, la volonté s’en rend coupable, alors même que la chose sainte reste inviolable. Les pierres précieuses sont les choses spirituelles du plus grand prix. Cependant une seule et même chose peut réunir à la fois ces deux qualités, d’être sainte et pierre précieuse ; sainte, parce qu’on doit prendre garde de la profaner ; pierre précieuse, parce qu’on doit se garder d’en mépriser la valeur.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, les choses saintes, c’est le baptême, la grâce du corps de Jésus-Christ, et les autres trésors spirituels de même nature. Les perles sont les mystères de la vérité, car de même que les perles sont renfermées dans des coquilles, et cachées au fond de la mer, ainsi les mystères de la vérité sont cachés sous l’enveloppe des paroles et renfermés dans les profondeurs du sens de la sainte Écriture. — S. Chrys. (hom. 24.) Pour ceux qui sont doués d’intelligence et d’une âme vertueuse, la connaissance qu’ils ont des mystères leur inspire pour eux une plus grande vénération. Ceux au contraire qui n’ont ni sentiment ni raison, ont plus de respect pour ce qu’ils ignorent.

 

S. Aug. (serm. sur la mont.) D’après une interprétation assez juste, les chiens sont ceux qui attaquent la vérité, et les pourceaux ceux qui la méprisent. Comme les chiens s’élancent pour déchirer leur proie, et qu’ils mettent en pièces ce qu’ils déchirent, Jésus-Christ nous dit : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, » car autant qu’il dépend d’eux, ils mettraient en pièces la vérité, si elle n’était inaccessible à leurs efforts. Quant aux pourceaux, quoiqu’ils n’aient pas l’habitude de déchirer avec les dents ce qu’ils rencontrent, ils le souillent en le foulant çà et là dans la fange, et c’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux. — Rab. Ou bien, les chiens sont ceux qui sont retournés à leur vomissement, et les pourceaux ceux qui n’étant pas encore convertis se vautrent dans la fange du vice. — S. Chrys. (sur S. Matth.) On peut encore dire que le chien et le porc sont des animaux immondes, mais avec cette différence que le chien l’est sous tous rapports, parce qu’il ne rumine pas et n’a pas la corne divisée en deux, tandis que le porc n’est immonde que sous un rapport, parce qu’il porte la corne fendue par le milieu, mais ne rumine pas. Aussi je pense que les chiens figurent ici les Gentils qui sont tout à fait immondes, et dans leur vie, et dans leur foi ; et les pourceaux, les hérétiques, parce qu’ils invoquent extérieurement le nom du Seigneur. Or on ne doit pas donner les choses saintes aux chiens, parce que le baptême et les autres sacrements ne doivent être administrés qu’à ceux qui font profession de la foi chrétienne. De même les mystères de la vérité figurés par les perles ne doivent être exposés qu’a ceux qui les désirent, et qui vivent d’une manière conforme à la raison. Si vous les jetez aux pourceaux, c’est-à-dire à ceux qui sont comme abrutis dans la fange des plaisirs sensuels, ils n’en comprendront pas le prix, mais les confondront avec les fables profanes, et les fouleront aux pieds par l’indignité d’une vie toute charnelle. — S. Aug. (serm. sur la mont.) On foule aux pieds ce qu’on méprise, et c’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « De peur qu’ils ne les foulent aux pieds. » — La Glose. Il dit : « De peur, » car ils peuvent se repentir de leur vie impure. — S. Aug. (serm. sur la mont.) « Et que s’étant retournés, ils ne vous déchirent. » Remarquez qu’il ne dit pas : « Ils ne déchirent les perles, car pour elles, elles sont foulées aux pieds ; » et lorsqu’ils se sont retournés pour entendre encore quelque vérité, ils déchirent celui dont ils ont foulé les perles aux pieds ; car comment trouver grâce devant un homme qui méprise ce qui a coûté tant de travaux et de peines ? Il est donc impossible que ceux qui enseignent de telles gens ne soient pas comme déchirés par l’indignation et la douleur.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien les pourceaux non-seulement foulent les perles aux pieds, par leur conduite toute charnelle, mais encore à peine convertis de quelques jours, ils déchirent ceux qui les leur ont offertes. Presque toujours on les voit se scandaliser et calomnier ceux qui les enseignent comme s’ils annonçaient de nouveaux dogmes. Les chiens aussi foulent les choses saintes aux pieds en déchirant le prédicateur de la vérité par leurs sentiments, leur manière d’agir et leurs disputes. — S. Chrys. (hom. 24.) Remarquez la justesse de cette expression : « S’étant retournés, » car ils affectent un certain air de douceur pour se faire instruire, et déchirent ensuite ceux qui les ont enseignés. — S. Chrys. (sur S. Matth.) La défense qui nous est faite de jeter les perles aux pourceaux est pleine de sagesse, car s’il est défendu de les jeter aux pourceaux qui sont moins immondes, à plus forte raison ne doit-on pas les jeter aux chiens qui le sont bien davantage. Quant à la distribution des choses saintes, nous ne pouvons suivre la même règle de conduite, car souvent nous répandons nos bénédictions même sur des chrétiens qui vivent à la manière des bêtes (cf. Za 11, 4), non parce qu’ils les méritent, mais de peur qu’en les leur refusant nous ne les scandalisions et ne soyons la cause de leur perte.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 32.) Il faut donc se garder de rien expliquer à celui qui n’est pas en état de comprendre ; car il vaut mieux le laisser chercher ce qui est caché pour lui, que de l’exposer à profaner par la haine comme le chien, ou par le mépris comme le pourceau, ce qui lui aura été découvert. De ce que l’on peut s’abstenir de dévoiler une vérité, il ne faut pas conclure qu’il soit permis de dire un mensonge, car le Seigneur, qui n’a jamais menti, a cependant cru devoir cacher quelques vérités comme le prouvent ces paroles : « J’ai beaucoup d’autres choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant. » Si quelqu’un se trouve dans l’impossibilité de comprendre les vérités saintes à cause des souillures de son âme, nous devons l’en purifier par la parole ou par les oeuvres, autant qu’il est possible. De ce que le Seigneur ait souvent enseigné des vérités qu’un grand nombre de ceux qui l’écoutaient n’ont pas voulu recevoir, par mépris ou par opposition, il ne faut pas en conclure qu’il donnait les choses saintes aux chiens, ou qu’il jetait les perles devant les pourceaux. Il parlait pour ceux qui pouvaient le comprendre, et qui entendaient ses divines leçons, et qu’il n’était pas juste d’abandonner à cause de l’indignité des autres. Ceux qui venaient pour le tenter séchaient de douleur, et trouvaient la mort dans la sagesse de ses réponses, mais il y en avait un grand nombre d’autres capables de les comprendre, et qui profitaient de cette occasion pour entendre des leçons utiles. Celui qui est en état de répondre, doit le faire lorsqu’il s’agit de choses nécessaires au salut, dans l’intérêt de ceux qui seraient tentés de désespoir parce qu’ils s’imaginent que la difficulté qu’ils proposent est insoluble. Au contraire, dans les choses vaines et dangereuses, on doit ne rien dire, mais se contenter d’expliquer pourquoi on ne peut répondre à de semblables questions.

 

vv. 7-8.

S. Jér. Notre-Seigneur nous avait défendu plus haut de demander les biens temporels ; il nous apprend ici quel doit être l’objet de nos prières en nous disant : « Demandez et vous recevrez. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien dans un autre sens la défense qu’il nous fait de donner les choses saintes aux chiens, et de jeter les perles devant les pourceaux, aurait pu faire dire à quelqu’un de ceux qui l’entendaient, dans la conviction de son ignorance : « Pourquoi me défendez vous de donner aux chiens ce que je ne possède pas encore ? » C’est pour prévenir cette question qu’il ajoute : « Demandez et vous recevrez. »

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore Notre-Seigneur vient de donner à ses disciples quelques préceptes qui ont rapport à la prière, tels que celui-ci : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, » il ajoute donc très à propos : « Demandez et il vous sera donné ; » comme s’il disait : « Si vous montrez cette clémence à l’égard de vos ennemis, partout où une porte sera fermée, frappez et on vous ouvrira. » Demandez par les prières que vous ferez jour et nuit, cherchez par vos efforts et par votre travail. Ce travail sans la grâce de Dieu ne vous donnera pas la science des Écritures, et cette grâce vous ne l’aurez pas non plus sans l’application à l’étude, car le don de Dieu ne s’accorde pas à ceux qui ne font rien pour l’obtenir. Frappez donc par la prière, par les jeûnes, et par les aumônes. Car de même que celui qui frappe à une porte, non-seulement élève la voix pour se faire entendre, mais encore frappe de la main, ainsi celui qui fait des bonnes oeuvres, frappe par ces bonnes oeuvres elles-mêmes. Mais vous me direz peut-être : Ce que je demande, c’est de savoir ce que je dois faire, et la grâce de le faire ; comment donc puis-je le faire avant d’avoir reçu cette grâce ? faîtes d’abord ce que vous pouvez, afin de pouvoir plus encore ; pratiquez ce que vous savez, pour savoir encore davantage. Ou bien encore, il avait commandé plus haut à tous les chrétiens et surtout aux docteurs, d’aimer leurs ennemis ; il leur avait ensuite défendu de donner aux chiens les choses saintes sous prétexte de charité, il leur donne maintenant ce sage conseil : Priez Dieu pour vos ennemis et vous obtiendrez ce que vous demandez ; cherchez ceux qui sont morts dans leurs péchés, et vous les trouverez ; frappez à la porte de ceux qui sont dans l’erreur, et le Seigneur vous l’ouvrira. Ou bien enfin comme les préceptes qu’il a donnés plus haut dépassent les forces humaines, il élève ses disciples jusqu’à Dieu dont la grâce ne connaît rien d’impossible, en leur disant : « Demandez et vous recevrez », de manière que ce qui surpasse les forces de l’homme soit rendu possible par la grâce de Dieu. Dieu a placé la force des autres animaux ou dans l’agilité de leur course, ou dans la rapidité de leur vol, dans leurs serres, dans leurs dents, ou dans leurs cornes ; mais il a voulu être lui-même la seule force de l’homme (cf. Ps 17, 1 ; 30, 4 ; 42, 2 ; 45, 1 ; 117, 14 ; 129, 1), afin que pressé par le sentiment de sa faiblesse, il ne pût un seul instant se passer de Dieu. — La Glose. Nous demandons par la foi, nous cherchons par l’espérance, nous frappons par la charité. Vous devez d’abord demander pour avoir, puis chercher pour trouver, puis mettre en pratique ce que vous avez trouvé, afin de pouvoir entrer. — Remi. Ou bien nous demandons en priant, nous cherchons en vivant chrétiennement, nous frappons en persévérant dans le bien.

S. Aug. (serm sur la mont. 2, 33.) La demande a pour objet d’obtenir la santé de l’âme qui nous donne la force d’accomplir les commandements : la recherche se propose de trouver la vérité, et une fois qu’on a ainsi trouvé la véritable vie, on parviendra certainement à la possession du véritable bien qui nous sera ouvert aussitôt que nous frapperons. — S. Aug. (Retractat., liv. 1, chap. 16.) Je me suis appliqué à montrer en quoi diffèrent ces trois degrés de la prière. Mais il est bien plus naturel de n’y voir que la prière elle-même avec ses vives instances, car Notre-Seigneur conclut en disant : « Il donnera les biens à ceux qui les demanderont, » et non pas « à ceux qui chercheront et qui frapperont. » — S. Chrys. (hom. 24 sur S. Matth.) En ajoutant : « Cherchez et frappez, » le Sauveur nous fait un devoir de prier avec beaucoup de force et de ferveur, car celui qui cherche rejette toute autre pensée, et il est occupé exclusivement de ce qu’il cherche ; de même celui qui frappe est animé des plus vifs désirs.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Les pécheurs qui entendaient ces paroles : « Demandez et vous recevrez » pouvaient dire : Elles ne s’adressent qu’à ceux qui méritent d’être exaucés ; pour nous, nous en sommes indignes. Notre-Seigneur renouvelle donc sa promesse pour rappeler aux pécheurs comme aux justes la grandeur de la miséricorde de Dieu : « Quiconque demande reçoit, » c’est-à-dire : juste ou pécheur, qu’il n’hésite pas à demander, afin qu’il soit bien prouvé que Dieu ne rejette personne, si ce n’est celui qui a douté que Dieu pût exaucer sa prière. On ne peut croire, en effet, que Dieu nous commande de faire du bien à nos ennemis et qu’il n’accomplisse pas lui-même ce devoir de charité, lui qui est la bonté par essence. — S. Aug. (Traité 44 sur S. Jean.) il est donc certain que Dieu exauce les pécheurs, car, s’il ne les exauçait pas, c’est en vain que le publicain aurait dit (Lc 11) : « Seigneur, soyez-moi propice, à moi qui suis un pécheur. » Or cependant c’est par cette confession qu’il mérita d’être justifié.

 

S. Aug (Liv. des Sent. Prosp.) Dieu peut exaucer, dans sa miséricorde, celui qui le prie pour les nécessités de cette vie, comme il peut aussi refuser de l’exaucer par le même principe de miséricorde. Le médecin sait mieux que le malade ce qui convient à son état. Si ce qu’il demande est l’objet d’un commandement ou d’une promesse, il obtiendra certainement ce qu’il demande, et la charité recevra ce que la vérité tient en réserve. — S. Aug. (Lettre 250 à Paulin et à Therasia). C’est un effet de la bonté de Dieu de nous refuser souvent ce que nous voulons, pour nous accorder ce que nous devrions préférer.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 33.) La persévérance nous est nécessaire, si nous voulons obtenir ce que nous demandons. — S. Aug. (serm. 5 sur les paroles du Seign.) Lorsque Dieu diffère de nous exaucer, ce n’est pas qu’il nous refuse ses dons, il veut simplement en relever le prix ; les choses que nous avons longtemps désirées ont pour nous bien plus de douceur lorsque nous les obtenons ; si elles nous sont données aussitôt, elles perdent pour nous de leur prix. Demandez donc, cherchez, faites des instances ; en demandant et en cherchant, le désir que vous avez de recevoir s’accroît. Dieu tient en réserve ce qu’il ne veut pas accorder immédiatement, pour vous apprendre à désirer grandement d’aussi grandes faveurs ; c’est pour cela qu’il faut toujours prier et ne jamais cesser.

 

vv. 9-11.

S. Aug. Notre-Seigneur, par ces paroles : « Quel est l’homme parmi vous, » suit la même marche que précédemment, lorsqu’il a parlé des oiseaux du ciel et des lis des champs, voulant ainsi élever notre espérance de ces moindres choses à des objets plus importants. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Et de peur que le pécheur, en mesurant la distance qui sépare l’homme de Dieu et en pesant l’énormité de ses péchés, n’en vînt à perdre tout espoir d’être exaucé et à renoncer à la prière, il apporte cette comparaison d’un père et de ses enfants, afin que la considération de la bonté paternelle fasse renaître en nous l’espérance que nos péchés y détruisent. — S. Chrys. (hom. 24.) Deux conditions sont exigées de celui qui prie : demander avec instance, demander des choses convenables, c’est-à-dire les biens spirituels, et c’est pour avoir suivi cette règle que Salomon obtint promptement ce qu’il avait demandé (3 R 3, 5.9.10).

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Sous cette figure du pain et du poisson, le Sauveur nous apprend quelles sont les choses que nous devons demander. Le pain, c’est le Verbe qui nous donne la connaissance du Père ; la pierre, c’est tout mensonge qui devient pour l’âme une pierre de scandale. — Remi. Nous pouvons voir aussi dans le poisson toute parole qui a rapport au Christ, et dans le serpent le démon lui-même. Ou bien par le pain on peut entendre la doctrine spirituelle, et par la pierre, l’ignorance ; par le poisson, l’eau du saint baptême ; par le serpent, la fourberie du démon ou l’infidélité. — Rab. Ou bien par le pain, qui est la nourriture commune à tous les hommes, on peut entendre la chante, sans laquelle les autres vertus n’ont aucun prix. Le poisson signifie la foi qui, née de l’eau du baptême, se trouve ballottée par les flots de ce monde au milieu desquels elle ne laisse pas de vivre. Saint Luc ajoute une troisième figure, qui est l’oeuf, espérance de l’animal qui doit en sortir, et qui est ici le symbole de l’espérance chrétienne. A la charité il oppose la pierre, c’est-à-dire la dureté de la haine ; à la foi, le serpent, ou le venin de la perfidie ; à l’espérance, le scorpion, c’est-à-dire le désespoir qui blesse par derrière, comme le scorpion.

 

Remi. Voici donc le sens de ce passage : Si nous demandons à Dieu le Père le pain, c’est-à-dire la doctrine ou la charité, nous n’avons pas à craindre qu’il permette jamais que notre cœur se resserre ou par la froideur qu’engendrent les haines, ou par la dureté de l’âme ; et si nous lui demandons la foi, il ne nous laissera pas périr victimes du poison de l’incrédulité ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Si vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants. » — S. Chrys. (hom. 24.) En s’exprimant ainsi, Notre-Seigneur ne déverse pas le blâme sur la nature humaine, il ne déclare pas que tout le genre humain soit mauvais, mais il veut nous montrer combien sa bonté diffère de la nôtre ; il appelle mauvaise la tendresse des pères pour leurs enfants en comparaison de celle de Dieu, tant est grand l’excès de son amour pour les hommes. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, tous les hommes paraissent mauvais si on les compare à Dieu, qui est le seul bon par essence, de même qu’à côté du soleil toute lumière n’est qu’obscurité. — S. Jér. Ou bien dans la personne des Apôtres il condamne tout le genre humain dont le cœur est porté au mal dès son enfance, comme nous le lisons dans la Genèse (Gn 8). Il n’est point étonnant, du reste, qu’il appelle mauvais les hommes qui vivent dans le temps, puisque l’Apôtre nous déclare que les jours qui le composent sont mauvais.

 

Aug. (serm. sur la mont., 2, 33.) Ou bien il appelle mauvais les pécheurs et ceux qui aiment la vie de ce monde. Or, les biens qu’ils donnent, d’après leur manière de voir, peuvent être appelés bons parce qu’ils les tiennent pour tels ; et encore, considérés seulement dans leur nature, ces biens temporels ont une bonté réelle, puisqu’ils sont les soutiens de cette vie misérable. — S. Aug. (serm. 2 sur les paroles du Seign.) Le bien qui seul peut vous rendre bon, c’est Dieu. L’or et l’argent sont bons, non pas qu’ils puissent vous rendre bons, mais parce qu’ils vous donnent le moyen de faire le bien. Puisque donc nous sommes mauvais et que notre Père est bon, ne demeurons pas toujours dans notre malice. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Si donc nous qui sommes mauvais nous ne laissons pas de donner ce qu’on nous demande, à combien plus forte raison devons-nous espérer que Dieu nous donnera les biens que nous lui demanderons.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Cependant, comme il ne nous accorde pas indifféremment tout ce que nous lui demandons, mais seulement ce qui est bon, Notre-Seigneur prend soin d’ajouter : « A combien plus forte raison donnera-t-il les biens. » Nous ne recevons de Dieu que des biens, quelle que soit l’idée que nous nous en faisons, car tout contribue au bien de ceux qui sont aimés de Dieu (Rm 8, 28).

 

Remi. Nous lisons dans saint Matthieu : « Il donnera les biens, » et dans saint Luc : « Il donnera le bon esprit ; » mais il n’y a pas ici de contradiction, car tous les biens que l’homme reçoit de Dieu lui sont donnés par la grâce de l’Esprit saint.

 

v. 12.

S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 2, chap. 34.) Une conduite sage et réglée donne à l’homme une certaine fermeté et la force de marcher dans la voie de la sagesse, et le font parvenir jusqu’à la pureté, jusqu’à la simplicité du cœur. Notre-Seigneur conclut tous les développements qu’il vient de donner sur cette matière par ces paroles : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-même pour eux, » car il n’est personne qui voudrait qu’on agît à son égard avec duplicité et dissimulation.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) On peut encore établir de cette manière la liaison avec ce qui précède. Notre-Seigneur, voulant rendre notre prière plus sainte et plus pure, nous a commandé plus haut de ne pas juger ceux qui nous ont offensés. Or, comme il s’était écarté de ce sujet pour traiter d’autres matières, il y revient et complète l’explication de ce précepte en ajoutant : « Tout ce que vous voudrez, » etc., c’est-à-dire non-seulement vous ne devrez pas juger, mais tout ce que vous voudrez que les hommes fassent pour vous, vous devez le faire pour eux ; c’est alors que vos prières pourront être exaucées. — La Glose. Ou bien encore c’est l’Esprit saint qui distribue toutes les grâces spirituelles qui nous font accomplir les oeuvres de la charité. C’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Faites aux hommes tout ce que vous vous voulez qu’ils vous fassent. »

 

S. Chrys. (hom. 24.) Ou bien, enfin, le Seigneur veut établir que les hommes doivent chercher près de Dieu le secours dont ils ont besoin, et faire en même temps tout ce qui dépend d’eux pour assurer le succès de leurs prières. C’est ainsi qu’après avoir dit : « Demandez et vous recevrez, » il enseigne clairement que les hommes doivent s’appliquer aux oeuvres de la charité : « Tout ce que vous voulez, » etc.

 

S. Aug. (serm. 5 sur les paroles du Seign.) Dieu nous avait promis de nous accorder les biens que nous lui demanderions ; or, si nous voulons qu’il nous reconnaisse pour ses mendiants, ne rejetons pas les nôtres. En effet, si on en excepte les richesses matérielles, il n’y a aucune différence entre ceux qui demandent et ceux à qui ils adressent leur prière. De quel front osez-vous donc approcher de Dieu pour le prier, vous qui ne voulez point écouter votre frère ? Aussi est-il écrit dans le livre des Proverbes : « Celui qui ferme son oreille au cri du pauvre demandera lui-même, et il ne sera pas exaucé (Pv 21). » Mais que devons-nous accorder à la prière de nos frères si nous voulons que Dieu exauce la nôtre ? Pour répondre à cette question, demandons-nous ce que nous voulons que les autres fassent pour nous-mêmes. « Faites aux hommes tout ce que vous voulez qu’on vous fasse. »

S. Chrys. (hom. 24.) Notre-Seigneur ne dît pas seulement : « Toutes les choses, » mais il ajoute le mot « donc, » comme s’il disait : « Si vous voulez que je vous exauce, joignez cette recommandation à toutes celles qui précèdent. Et remarquez qu’il ne dit pas : « Tout ce que vous voulez que Dieu fasse pour vous, faites-le aussi pour votre prochain, car vous pourriez dire : Cela m’est impossible, » mais : « Tout ce que vous voudriez que vous fît votre frère, faites-le vous-même pour lui. »

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 34.) On lit dans quelques exemplaires latins : « Faites-leur du bien. » Le mot bien a été ajouté pour plus de clarté. On pouvait en effet se demander si un homme qui désirerait qu’on agît à son égard d’une manière coupable, pourrait, en s’appuyant sur cette maxime, commettre le premier l’injustice dont il désire être lui-même l’objet. Il serait absurde de penser que cet homme accomplit ce précepte. Sans l’addition de ce mot « bien, » le sens de cette maxime est complet. Car ces paroles : « Tout ce que vous voulez, » ne doivent pas être prises ici dans un sens trop général, mais dans le sens propre du mot. Or, la volonté n’existe que dans les bons ; dans les mauvais, la volonté n’est à proprement parler que la cupidité. Sans doute les Écritures ne s’expriment pas toujours de la sorte, mais il faut les entendre ainsi alors qu’elles emploient une expression tellement propre qu’elles ne permettent pas de lui en substituer une autre.

 

S. Cypr. (de l’Orais. Dom.) Le Verbe de Dieu, le Seigneur Jésus étant venu pour tous les hommes, a résumé comme dans un admirable abrégé tous ses commandements dans ces paroles : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux. » C’est pour cela qu’il ajoute : « Car c’est la loi et les prophètes. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, tous les commandements de la loi et des prophètes disséminés dans les saintes Écritures, sont renfermés dans ce merveilleux abrégé comme les innombrables rameaux d’un arbre sont contenus dans une seule racine. — S. Grég. (Moral. 10, 4 ; cf. Jb 2). Celui, en effet, qui pense à faire aux autres ce qu’il voudrait qu’on lui fit à lui-même s’applique à rendre le bien pour le mal, et le bien au centuple de ce qu’on lui fait. — S. Chrys. (hom. 24 sur S. Matth.) Il est donc évident que tous nous pouvons trouver en nous-mêmes la connaissance de ce qu’il nous importe de savoir et que nous ne pouvons prétexter d’ignorance. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ce précepte paraît avoir pour objet l’amour du prochain et non l’amour de Dieu, quoique Notre-Seigneur dise dans un autre endroit qu’il y a deux commandements qui renferment toute la loi et les prophètes. Mais ce dernier passage porte : « Toute la loi », ce que Notre-Seigneur ne dit pas ici pour réserver la place à l’autre commandement qui est celui de l’amour de Dieu. — S. Aug. (De la Trinité, liv. 8, chap. 34.) Ou bien encore, la sainte Écriture ne fait mention que du seul commandement de l’amour du prochain en disant : « Tout ce que vous voulez, » car celui qui aime son prochain aime nécessairement et premièrement l’amour lui-même. Or, Dieu est amour ; donc il aime Dieu lui-même par-dessus toutes choses.

 

v. 13-14.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 35.) Le Seigneur nous a recommandé plus haut la simplicité et la pureté du cœur qui font trouver Dieu. Mais c’est le partage d’un petit nombre. Aussi va-t-il nous parler de la recherche de la sagesse ; et tout ce qui précède avait pour but de rendre l’oeil de l’âme assez pur pour rechercher et contempler cette divine sagesse, et découvrir la voie resserrée et la porte étroite dont il est dit : « Entrez par la porte étroite. » 

 

La Glose. Ou bien, quoiqu’il soit difficile de faire aux autres ce que nous voudrions qu’on nous fît à nous-mêmes, cependant c’est une condition indispensable si nous voulons entrer par la porte étroite.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, cette troisième conséquence se rapporte au précepte du jeûne, et telle est la suite des idées : « Pour vous, lorsque vous jeûnez, parfumez votre tête », et puis ensuite : « Entrez par la porte étroite. » Il est en effet trois inclinations qui tiennent plus particulièrement à notre nature, et qui sont étroitement unies à notre corps. La première est celle du boire et du manger, la seconde l’affection de l’homme pour la femme, la troisième l’amour du sommeil, et ces trois inclinations sont plus difficiles à retrancher de notre nature que toutes les autres passions. Aussi la mortification d’aucune passion ne sanctifie autant le corps de l’homme comme d’être chaste, de jeûner, et de persévérer dans les veilles. Notre-Seigneur a donc en vue ces trois actes de vertu et en particulier le jeûne si rigoureux, lorsqu’il dit : « Entrez par la porte étroite.

La porte de la perdition c’est le démon, et c’est par cette porte qu’on entre dans l’enfer. Jésus-Christ, au contraire, est la porte de vie, porte qui nous ouvre l’entrée du royaume des cieux. Ce qui fait donner au démon le nom de porte large, ce n’est ni l’étendue, ni la grandeur de son pouvoir, mais le débordement de son orgueil effréné qui ne connaît point de bornes. Et si le Christ nous est présenté comme la porte étroite, ce n’est pas que son pouvoir soit faible et resserré, mais parce que son humilité lui a inspiré de se raccourcir et de se renfermer dans les étroites limites du sein d’une vierge, lui que le monde entier ne peut contenir. La voie de la perdition, c’est l’iniquité quelle qu’elle soit. Cette voie est appelée large parce qu’elle n’est pas contenue dans les sages limites de la règle et de la discipline, et que ceux qui prennent cette voie font profession de poursuivre tout ce qui a pour eux de l’attrait. Au contraire, tout acte de vertu est la voie qui conduit à la vie, et on l’appelle étroite pour des raisons opposées à celles que nous venons de dire. Or remarquez qu’il faut nécessairement marcher par cette voie pour arriver à la porte, car on ne peut arriver à une véritable connaissance du Christ qu’en suivant la voie de la justice ; de même qu’on ne tombe dans les mains du démon qu’en marchant dans la voie des pécheurs. — S. Grég. (hom. 17 sur Ezéch.) Quoique la charité mette le cœur au large, elle ne détache les hommes de la terre qu’en les faisant passer par des sentiers étroits et escarpés. N’est-ce pas être à l’étroit en effet que de tout mépriser, de n’aimer qu’une seule chose, de ne pas désirer la prospérité, de ne pas craindre l’adversité ? — S. Chrys. (homél. 24 sur S. Matth.) Mais comment le Sauveur qui bientôt nous dira : « Mon joug est doux, et mon fardeau léger, » peut-il appeler étroite et resserrée la voie qui conduit au ciel ? Pour comprendre cette douceur et cette suavité, il faut remarquer que Notre-Seigneur parle ici d’une voie et d’une porte, que ce qu’il appelle large et spacieux est aussi une voie et une porte. Ni l’une ni l’autre ne doivent toujours durer, et elles ne sont que passagères. Or la pensée qu’on ne fait que passer par les travaux et les peines pour arriver au bonheur, c’est-à-dire à la vie éternelle, ne suffit-elle pas pour adoucir toutes les souffrances de la vie ? Car si l’espérance seule d’une récompense périssable rend les tempêtes légères au matelot, et les blessures douces au combattant, à plus forte raison la vue du ciel qui nous est ouvert, et ses récompenses immortelles doivent-ils nous faire oublier les dangers qui nous menacent. D’ailleurs Notre-Seigneur n’appelle cette voie étroite que pour la rendre plus douce ; par là, en effet, il nous avertit d’être sur nos gardes, et il dirige nos désirs vers le but qu’il nous propose. N’est-il pas vrai que celui qui combat dans l’arène puise un nouveau courage quand il voit son souverain admirer ses généreux efforts ? Ne nous laissons donc pas abattre sous le poids des afflictions qui viendront fondre sur nous : la voie est étroite, mais non pas la cité. Ne cherchons pas le repos ici-bas, et ne redoutons pas de tribulations dans l’autre vie. En ajoutant : « Car il y en a peu qui la trouvent, » Notre-Seigneur fait allusion à la lâcheté d’un trop grand nombre, et il nous avertit de fixer nos regards non pas sur la prospérité de la multitude, mais sur les travaux du petit nombre.

 

S. Jér. Notre-Seigneur tient un langage distinct en parlant de ces deux voies. Il dit qu’il en est beaucoup qui marchent par la voie large, et qu’il en est peu qui trouvent la voie étroite. En effet, nous ne cherchons pas la voie large, et nous n’avons aucune peine à la trouver ; elle se présente d’elle-même, et c’est le chemin de ceux qui s’égarent. Tous au contraire ne trouvent pas la voie qui est étroite, et ne la suivent pas aussitôt qu’ils l’ont trouvée, cor il en est beaucoup qui après avoir trouvé la voie de la vérité, se laissent séduire par les voluptés de la terre, et reviennent sur leurs pas alors qu’ils étaient au milieu de leur course.

 

vv. 15-20.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur avait ordonné précédemment à ses disciples de ne point faire parade devant les hommes de leurs jeûnes, de leurs prières, de leurs aumônes, comme font les hypocrites. Or, pour leur apprendre que toutes ces bonnes oeuvres peuvent être faites dans un esprit d’hypocrisie, il leur dit : « Gardez-vous des faux prophètes. »

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 36.) Ou bien après avoir dit qu’il en est peu qui trouvent la petite porte et la voie étroite, Notre-Seigneur voulant nous prémunir contre les hérétiques qui font souvent de leur petit nombre un titre de recommandation, ajoute aussitôt : « Gardez-vous des faux prophètes. »

S. Chrys. (hom. 24.) Ou bien encore : Notre-Seigneur avait dit que la porte est étroite, et qu’il en est beaucoup qui pervertissent la voie qui doit y conduire, il ajoute donc : « Gardez-vous des faux prophètes. »  Il les appelle faux prophètes pour exciter la sollicitude de ses disciples à cet égard, en leur rappelant ce qui est arrivé à leurs pères, qui ont eu à subir cette même épreuve. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nous lisons dans un des chapitres suivants, il est vrai, que la loi et les prophètes ont prophétisé jusqu’à Jean-Baptiste, parce qu’après lui, il ne devait plus y avoir de prophétie relative au Christ. Il y a eu depuis ce temps, et il y a encore des prophètes, mais leurs prophéties n’ont point le Christ pour objet et ils interprètent simplement les prédictions anciennes relatives à Jésus-Christ ; ce sont les docteurs des Églises. Car personne ne peut interpréter le sens des prophéties, s’il ne participe lui-même à l’esprit prophétique. Le Seigneur, prévoyant donc qu’il viendrait de faux docteurs, qui enseigneraient diverses hérésies, nous prémunit contre eux en nous disant : « Gardez-vous des faux prophètes. » Ces faux prophètes ne devaient pas être des païens faciles à reconnaître, mais des séducteurs cachés sous le nom de chrétiens ; aussi ne dit-il pas : « Regardez, » mais : « Prenez garde. » En effet, quand une chose est évidente, on la regarde, c’est-à-dire qu’on la voit naturellement, si au contraire elle offre quelque incertitude, on y prend garde, c’est-à-dire qu’on l’examine avec précaution. Il nous dit encore : « Prenez garde, » parce que la plus sûre garantie du salut, est de connaître ceux que l’on doit fuir. Si Notre-Seigneur nous prémunit de la sorte, ce n’est pas que le démon puisse introduire les hérésies malgré la volonté de Dieu, il ne le peut que parce que Dieu le lui permet. Dieu veut que ses serviteurs soient soumis à l’épreuve, il leur envoie donc la tentation ; mais il ne veut pas que leur ignorance soit cause de leur perte, et c’est pour cela qu’il les avertit à l’avance. Et afin que les docteurs hérétiques ne puissent se défendre en disant : Ce n’est pas nous que le Seigneur appelle faux prophètes, mais les docteurs des Juifs et des Gentils, il ajoute expressément : « Qui viennent à vous couverts de peaux de brebis. » Les brebis sont les chrétiens, et les peaux de brebis sont les dehors de christianisme et les apparences d’une fausse religion. Or rien n’est plus contraire au bien que l’hypocrisie, car on ne peut connaître, et par conséquent on ne peut éviter le mal qui se cache sous l’apparence du bien. Et de peur que ces mêmes docteurs hérétiques ne prétendent qu’il est ici question des vrais docteurs, mais qui sont dans l’état de péché, il ajoute : « Au dedans ce sont des loups ravissants. » Or les docteurs catholiques qui deviennent esclaves de la chair lorsqu’ils succombent aux passions de la chair, ne sont pas appelés pour cela des loups ravissants, parce qu’ils ne cherchent pas à perdre les chrétiens. Il est donc évident qu’il veut parler ici des docteurs hérétiques qui prennent avec intention l’extérieur des chrétiens, pour déchirer plus facilement les fidèles sous les coups d’une séduction criminelle. C’est d’eux que l’Apôtre a dit : « Je sais qu’après mon départ il entrera parmi vous des loups ravissants qui n’épargneront pas le troupeau. »

 

S. Chrys. (hom. 22 sur S. Matth.) Cependant il paraît assez vraisemblable que par ces faux prophètes Notre-Seigneur veut désigner non pas les hérétiques, mais ceux qui mènent une vie corrompue sous les dehors de la vertu ; c’est pour cela qu’il dit : « Vous les connaîtrez à leurs fruits. » Or on rencontre souvent des moeurs vertueuses chez certains hérétiques, mais jamais dans ceux dont je viens de parler. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 36.) C’est donc une question des plus importantes que de bien connaître quels sont les fruits sur lesquels le Sauveur veut attirer notre attention. Plusieurs en effet prennent pour des fruits ce qui n’est que le vêtement des brebis, et c’est ainsi qu’ils se laissent tromper par les loups. Je veux parler ici des jeûnes, ou des aumônes, ou des prières qu’ils étalent devant les hommes sans autre but que de plaire à ceux qui sont frappés de la difficulté de ces oeuvres. Ce ne sont pas là les fruits qui peuvent nous aider à les reconnaître, car si ces actions sont faites dans la vérité avec une intention droite, elles sont, il est vrai, les vêtements propres aux brebis ; mais elles ne font que couvrir les coups lorsqu’elles partent d’un cœur où l’erreur règne en maître. Ce n’est pas toutefois une raison pour les brebis d’avoir horreur de ces vêtements, parce qu’ils servent quelquefois à couvrir les loups. A quels fruits donc reconnaîtrons-nous un mauvais arbre ? L’Apôtre nous l’apprend. « Les oeuvres de la chair sont évidentes, nous dit-il ; ce sont la fornication, l’impureté, » etc. (Ga 5) Le même Apôtre nous apprend à connaître les fruits du bon arbre par ce qui suit : « Les fruits de l’esprit sont la charité, la joie, la paix, » etc.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Les fruits que produit l’homme juste c’est aussi la confession de la foi, car celui qui en suivant l’inspiration de Dieu, fait en toute humilité une véritable confession de foi, celui-là est une brebis, tandis que celui qui fait entendre contre la vérité et contre Dieu les hurlements du blasphème, est un loup. — S. Jér. Ce que Notre-Seigneur dit ici des faux prophètes qui sont tout autres dans leur conduite qu’ils ne le paraissent dans leur extérieur et leurs discours, doit s’appliquer d’une manière toute spéciale aux hérétiques qui se couvrent de la continence et du jeûne comme du vêtement de la piété, et qui portant au-dedans un esprit empoisonné par le vice séduisent les cœurs simples de leurs frères. — S. Aug. (serm. sur la mont. 2, 12.) Mais on peut savoir, en examinant leurs oeuvres, si tout cet extérieur a pour principe un désir de vaine gloire. Lorsqu’en effet, à la suite de certaines épreuves, ils se voient enlever ou refuser ce qu’ils ont obtenu ou ce qu’ils ont voulu obtenir à l’aide de ce voile trompeur, on découvre alors nécessairement si c’était un loup caché sous la peau de la brebis, ou une brebis revêtue de sa propre peau. — S. Grég. (Moral., 31, 9.) L’hypocrite est comme dominé par la paix dont jouit l’Église ; voilà pourquoi il veut paraître à nos yeux couvert du voile de la religion (cf. Jb 39). Mais qu’une persécution éclate, aussitôt les instincts féroces du loup le dépouillent de la peau de la brebis, et en persécutant le bien il montre de quelle fureur il est animé contre lui.

 

S. Chrys. (hom. 24 sur S. Matth.) Il est facile de surprendre les hypocrites, car la voie qu’ils sont forcés de suivre est bien pénible. Or l’hypocrite ne choisira certainement pas de lui-même le travail et la peine. D’ailleurs, pour répondre à la prétendue impossibilité de les reconnaître, Notre-Seigneur vous apporte un exemple pris dans la nature en vous disant : « Peut-on cueillir des raisins sur des épines, ou des figues sur des ronces ? » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le raisin est une figure mystérieuse du Christ, car de même que la grappe par l’intermédiaire du bois de la vigne tient suspendus des grains nombreux, ainsi le Christ, par le bois de la croix retient dans une étroite union la multitude des fidèles. La figue, c’est l’Église qui retient aussi la multitude de ses enfants dans les doux embrassements de sa charité, comme la figue tient cachées une quantité considérable de graines sous une seule enveloppe. Or la figue est le signe tout à la fois de la charité par sa douceur, et de l’unité par l’union de ses graines. Le raisin est tout ensemble le symbole de la patience parce qu’il est foulé dans le pressoir ; de la joie, parce qu’il réjouit le cœur de l’homme ; de la sincérité, parce qu’il n’est pas mélangé d’eau et de la suavité par le plaisir qu’il donne. Au contraire les épines et les ronces présentent des pointes de toutes parts ; et c’est ainsi que les serviteurs du démon sont pleins d’iniquités, de quelque côté qu’on les considère. Ces ronces et ces épines ne peuvent produire aucun des fruits que demande l’Église. Notre-Seigneur ne se borne pas à cette comparaison particulière du figuier et de la vigne pour rendre sensible cette vérité, il la généralise par ces paroles : « C’est ainsi que tout arbre qui est bon porte de bons fruits, et tout arbre mauvais en porte de mauvais. »

 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 36.) Il faut se garder ici de l’erreur des Manichéens qui prétendent que dans ces deux arbres il faut voir deux natures, l’une qui vient de Dieu, l’autre qui lui est étrangère. Nous soutenons, nous, que ces deux arbres ne peuvent servir d’appui à leur opinion, car il ne s’agit évidemment que des hommes, comme le prouvent les antécédents et les conséquents. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 12, chap. 4 et 5.) Les hommes ont souvent de l’aversion pour les natures mêmes des choses, parce qu’ils les considèrent non pas en elles-mêmes, mais d’après l’utilité qu’ils peuvent en retirer. Or, toute nature ne rend gloire à son créateur qu’autant qu’on la considère en elle-même, et non pas dans l’utilité ou le désavantage qui peuvent en résulter pour nous. Les natures créées par le seul fait de leur existence ont leur manière d’être, leur beauté, un certain accord entre les différentes parties qui les composent, et par conséquent elles sont bonnes.

 

S. Chrys. (hom. 24.) On pouvait objecter qu’un mauvais arbre porte sans doute de mauvais fruits, mais qu’il peut aussi en porter de bons et qu’il est ainsi difficile de le bien connaître à cause de cette double apparence ; le Seigneur prévient cette difficulté en ajoutant : « Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, et un mauvais arbre n’en peut produire de bons. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) De ces dernières paroles, les Manichéens concluent qu’une âme qui est mauvaise ne peut devenir meilleure, ni celle qui est bonne devenir mauvaise, comme si Notre-Seigneur avait dit : « Un arbre bon ne peut devenir mauvais, ni un arbre mauvais devenir bon ; » mais, au contraire, il s’est exprimé de la sorte « Un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits, ni un mauvais arbre en produire de bons. » Or, l’arbre c’est l’âme, c’est-à-dire l’homme lui-même ; les fruits sont ses oeuvres. L’homme qui est mauvais ne peut donc faire de bonnes actions, ni celui qui est bon en faire de mauvaises. Si donc celui qui est mauvais veut faire de bonnes actions, qu’il commence par devenir bon lui-même. Tant qu’un homme est mauvais, il ne peut porter de bons fruits. Il peut se faire que ce qui a été de la neige ne soit plus de la neige, mais il est impossible que la neige soit chaude ; ainsi peut-il arriver que celui qui a été mauvais cesse de l’être, mais jamais en demeurant mauvais il ne peut faire le bien, et si parfois il paraît faire quelque chose d’utile, ce n’est pas à lui qu’il faut l’attribuer, mais à la divine Providence.

Rab. Cet arbre, bon ou mauvais, c’est l’homme suivant que sa volonté est bonne ou mauvaise ; les fruits, ce sont ses oeuvres, qui ne peuvent être bonnes si la volonté est mauvaise, de même qu’elles ne peuvent être mauvaises si la volonté est bonne.

S. Aug. (cont. Julien, liv. 1, chap. 3.) S’il est certain que la volonté vicieuse produit les actions mauvaises, comme un mauvais arbre produit de mauvais fruits, d’où vient à votre avis la mauvaise volonté elle-même, si ce n’est de l’ange considéré dans l’ange, et de l’homme considéré dans l’homme ? Or, qu’étaient ces deux volontés, avant qu’elles n’eussent produit le mal ? Un ouvrage digne de Dieu, deux natures bonnes et louables. C’est donc du bien que naît le mal, et on ne peut lui donner un autre principe d’existence que le bien. Je veux parler ici de la volonté mauvaise, car elle n’a été précédée ni d’aucun mal ni d’aucunes mauvaises actions, qui ne sortent que d’une volonté vicieuse comme d’un mauvais arbre. On ne peut dire cependant que la volonté mauvaise vient du bien en tant que bien, car c’est Dieu qui est essentiellement bon qui est l’auteur du bien ; mais elle est sortie d’un bien qui a été tiré du néant et non de Dieu.

S. Jér. Demandons aux hérétiques qui soutiennent l’existence de deux natures opposées l’une à l’autre, et qui prétendent qu’un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, comment Moïse, qui était un bon arbre, a pu pécher aux eaux de la contradiction, et comment Pierre a pu nier le Sauveur dans sa Passion en disant : « Je ne connais pas cet homme, » ou bien encore comment le beau-père de Moïse, qui était un mauvais arbre et qui ne croyait pas dans le Dieu d’Israël, a pu cependant donner un bon conseil ?

S. Chrys. (hom. 28.) Le Seigneur n’a point ordonné de châtiment contre les faux prophètes ; il les pénètre d’un effroi salutaire en les menaçant du supplice que Dieu leur réserve : « Tout arbre qui n’est pas bon, dit-il, sera coupé et jeté au feu. » Ce sont les Juifs qu’il paraît avoir en vue dans ces paroles ; c’est pourquoi il se sert des paroles de Jean-Baptiste et leur annonce dans les mêmes termes (cf. Mt 3, 10 ; Lc 9, 9) le châtiment qui les attend. Le saint précurseur, en effet, emploie les mêmes figures de hache, d’arbre et de feu qui ne s’éteint pas. Pour celui qui examine sérieusement les choses, ce sont deux peines différentes, d’être coupé et d’être brûlé. Celui qui est jeté au feu est retranché tout à fait du royaume, peine qui est la plus terrible. Il en est qui ne craignent que l’enfer ; pour moi, je déclare que la perte de cette gloire éternelle est mille fois plus amère que la peine de l’enfer. En effet, quelles souffrances, petites ou grandes, n’accepterait pas un père pour jouir de la vue d’un fils bien-aimé ? Tels doivent être nos sentiments à l’égard de cette gloire, car il n’est point de fils dont la vue soit si douce pour son père que doit l’être pour nous le repos au sein des honneurs et la dissolution du corps pour être éternellement avec Jésus-Christ (cf. Ph 1, 23). C’est un supplice intolérable que le supplice de l’enfer ; mais que l’on ajoute dix mille enfers à la suite les uns des autres, jamais ce supplice ne sera comparable à la peine d’être à jamais exclu de la gloire des bienheureux et d’être éternellement haï de Jésus-Christ.

La Glose. La comparaison qu’il vient de développer amène cette conclusion, dont l’évidence ressortait déjà de tout ce qui précède : « Vous les connaîtrez donc à leurs fruits. »

 

vv. 21-23.

S. Jér. Notre-Seigneur nous a commandé d’éviter ceux qui, sous les dehors de la vertu, professent des doctrines perverses ; ici, au contraire, il nous apprend à ne pas nous confier à ceux dont la doctrine est irréprochable, mais qui la détruisent par des oeuvres mauvaises. Les serviteurs de Dieu doivent nécessairement réunir ces deux choses : soutenir leurs oeuvres par leurs discours, appuyer leurs discours par leurs oeuvres. C’est pour cela qu’il ajoute : « Ce n’est pas celui qui me dit : Seigneur, » etc. — S. Chrys. (hom. 25.) Le Sauveur paraît ici faire allusion aux Juifs, pour qui les croyances étaient tout, et que saint Paul réprimande en ces termes : « Si vous, qui vous appelez Juifs, et qui vous reposez sur la loi, » etc.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, après nous avoir appris à reconnaître, d’après leurs fruits, les vrais et les faux prophètes, il nous enseigne ici plus clairement quels sont ces fruits qui peuvent nous servir à discerner les bons et les mauvais docteurs. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 39.) Il faut prendre garde, en effet, qu’à la faveur du nom du Christ les hérétiques, ceux qui comprennent aussi mal la vérité, ou les partisans de ce monde, ne cherchent à nous tromper. C’est pour cela qu’il ajoute : « Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, » etc. Mais ici se présente une difficulté ; comment concilier avec cette maxime ces paroles de l’Apôtre : « Personne ne peut dire : Seigneur Jésus, si ce n’est dans l’Esprit saint ; » car nous ne pouvons admettre que ceux qui n’entrent pas dans le royaume des cieux aient en eux ce divin Esprit. L’Apôtre saint Paul a employé ici le mot dire dans un sens propre pour exprimer la volonté, l’intelligence de celui qui prononce ces paroles ; parce qu’en effet celui-là seul parle dans le sens vrai du mot dont la parole exprime la pensée et l’intention. Le Seigneur, au contraire, a pris le mot dire dans son sens général. Celui, en effet, qui ne veut ni ne comprend ce qu’il dit paraît aussi parler dans un certain sens. — S. Jér. C’est l’ordinaire des Écritures de prendre les paroles pour les actions, et c’est dans ce sens que l’Apôtre dit : « Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres. »

 

S. Amb. (cf. 1 Cor 12) On peut dire aussi que toute vérité, quelle que soit la bouche qui la profère, vient de l’Esprit saint. — S. Aug. (serm. sur la mont.) N’allons pas croire que pour produire les fruits dont le Sauveur a parlé plus haut, il suffise de dire à Dieu : « Seigneur, Seigneur, » et d’avoir par là même l’apparence d’un bon arbre. Ces fruits consistent à faire la volonté de Dieu, comme l’indiquent les paroles suivantes : « Mais celui qui fait la volonté de mon Père, » etc. S. Hil. (can. 6 sur S. Matth.) C’est l’obéissance à la volonté de Dieu et non l’emploi répété de son nom qui nous fait trouver le chemin qui conduit au ciel. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Or, quelle est cette volonté de Dieu ? Le Seigneur nous l’enseigne lui-même lorsqu’il nous dit : « La volonté de mon Père qui m’a envoyé est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle. » Le mot croire comprend ici la profession extérieure et les oeuvres de la foi. Celui donc dont la foi ou dont la vie n’est pas conforme à la parole du Christ, n’entrera pas dans le royaume de Dieu. — S. Chrys. (hom. 25 sur S. Matth.) Il ne dit pas : « Celui qui fait ma volonté, » mais : « Celui qui fait la volonté de mon Père, » car c’était ce qu’il convenait d’abord de proposer à leur faiblesse ; mais par l’une de ces vérités il insinue l’autre indirectement, la volonté du Fils n’étant pas autre que celle du Père.

 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 40.) On peut rattacher à cette question l’avertissement suivant : Nous ne devons pas nous laisser tromper, d’abord par ceux qui, se couvrant du nom du Christ, invoquent ce nom sans en pratiquer les oeuvres ; mais nous devons encore nous défier de certains prodiges, de certains miracles tels que le Seigneur en opère en faveur des infidèles, tout en nous avertissant de ne pas nous laisser surprendre et de ne pas croire que ces miracles soient l’indice certain d’une sagesse intérieure et invisible : c’est pourquoi il ajoute : « Plusieurs me diront en ce jour-là, » etc. — S. Chrys. (hom. 10.) Voyez comme le Sauveur se produit insensiblement en termes encore voilés. Il a complété son enseignement comme maître ; il s’annonce maintenant comme juge. Il a déclaré plus haut que le châtiment était réservé à ceux qui pèchent ; il fuit connaître maintenant celui qui doit infliger ce châtiment par ces paroles : « Plusieurs me diront en ce jour-là. »

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est-à-dire alors qu’il viendra dans la majesté de son Père (cf. Lc 9, 26), alors que personne n’osera défendre le mensonge ou contredire la vérité à l’aide de discussions bruyantes ; alors que les oeuvres de tous les hommes parleront et que leurs bouches seront muettes ; alors que personne n’osera intervenir pour un autre, et que tous trembleront pour leur propre compte. Car dans ce jugement, les témoins ne seront pas les hommes enclins à la flatterie, mais les anges amis de la vérité, et le juge sera le Seigneur, la justice même. Le Sauveur a parfaitement exprimé les angoisses et l’effroi qu’éprouveront alors les hommes, en leur faisant répéter deux fois : « Seigneur, Seigneur, » car celui qui est en proie à une forte crainte ne se contente pas de dire une seule fois : « Seigneur. » — S. Hil. Ils prétendent que leur droit à la gloire leur vient de l’efficacité de leur parole, de leur esprit prophétique, du pouvoir qu’ils avaient de chasser les démons, et d’opérer d’autres prodiges semblables, et c’est pour cela qu’ils s’adjugent le royaume des Cieux par ces paroles : « Est-ce que nous n’avons pas prophétisé en votre nom ? »

S. Chrys. (sur S. Matth.) Il en est qui croient que ce langage était un mensonge dans leur bouche, et que c’est la raison pour laquelle ils ont été rejetés. Mais on ne peut supposer qu’ils aient porté l’audace jusqu’à mentir devant leur juge ; d’ailleurs la question comme la réponse prouvent qu’ils ont réellement opéré ces prodiges. Tandis qu’ils avaient été sur la terre l’objet de l’admiration par les miracles qu’ils opéraient aux yeux de tous, ils se voient punis dans l’autre vie, et dans leur étonnement ils disent : « Seigneur, n’avons-nous pas fait beaucoup de miracles en votre nom, etc ? (cf. 1 Cor 12, 10) » Quelques auteurs prétendent que ce n’est pas dans le temps qu’ils opéraient des prodiges, mais par la suite, qu’ils se rendaient coupables d’iniquité. Mais alors que devient cette vérité que le Seigneur veut établir que sans la vertu, ni la foi, ni les miracles n’ont de valeur à ses yeux ? C’est ce que saint Paul enseigne par ces paroles : « Quand j’aurais toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Remarquez qu’ils ne disent pas : « dans l’esprit, » mais « au nom, » car s’ils prophétisent au nom du Christ, c’est dans l’esprit du démon, comme font les devins. Or le signe auquel on peut les reconnaître, c’est que les oracles du démon sont souvent faux, ce qu’on ne peut jamais dire de ceux de l’Esprit saint. Dieu a permis au démon de dire quelquefois la vérité, de manière qu’il pût donner par ce rare mélange quelque valeur à ses mensonges. Ils chassent aussi les démons au nom de Jésus-Christ, tout en ayant l’esprit même de son ennemi ; ou plutôt ils les chassent en apparence et non en réalité, les démons étant en parfaite intelligence entre eux ; ils opèrent aussi des prodiges, c’est-à-dire des miracles, sans utilité, sans nécessité, et qui ne sont pas moins nuisibles que frivoles. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Lisez pour vous en convaincre les prodiges que les Mages d’Égypte ont opérés dans un esprit d’opposition à Moïse (Ex 7, 11.22 ; 8, 7).

S. Jér. Ou bien encore : Prophétiser, faire des miracles, chasser les démons, n’est pas toujours l’effet des mérites de celui qui opère ces prodiges ; c’est à l’invocation du nom de Jésus-Christ qu’il faut les attribuer, et Dieu les permet ou pour la condamnation de ceux qui invoquent ce nom, ou pour l’utilité de ceux qui en sont témoins, car tout en méprisant ceux qui font ces miracles, ils honorent Dieu par l’invocation duquel s’opèrent d’aussi grands prodiges. Saül (1 R 10), Balaam (Nb 23), Caïphe (Jn 11), n’ont-ils pas prophétisé ? Dans les Actes des Apôtres ne voyons-nous pas les enfants de Sceva chasser les démons (Ac 19), et Judas lui-même n’a-t-il pas fait plusieurs miracles avec les autres apôtres, quand son âme était déjà ouverte à la trahison ? — S. Chrys. (hom. 25 sur S. Matth.) Tous n’avaient pas toutes les qualités au même degré de perfection : les uns menaient il est vrai une vie pure, mais sans avoir une foi aussi grande ; pour les autres c’était le contraire. Dieu convertissait donc les premiers par les seconds et les amenait à faire profession d’une foi plus vive ; et par le don ineffable des prodiges qu’il accordait aux autres, il les appelait à devenir plus vertueux, et il leur communiquait ce pouvoir avec une grande libéralité, comme eux-mêmes le proclament : « Nous avons fait beaucoup de miracles. » Mais parce qu’ils n’ont eu que de l’ingratitude pour celui qui les avait ainsi comblés d’honneur, le Seigneur leur fait cette déclaration : « Alors je leur dirai hautement : Je ne vous ai jamais connus. » — S. Jér. C’est avec intention qu’il se sert de cette expression : « Je leur dirai hautement, » car il a gardé le silence pendant bien longtemps. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Une aussi grande sévérité devait être précédée par une grande patience, pour rendre ainsi plus juste le jugement de Dieu, et plus mérité le châtiment des pécheurs. Or il faut se rappeler que Dieu ne connaît pas les pécheurs en ce sens qu’ils ne sont pas dignes d’être connus de lui ; on ne peut pas dire qu’il ne les connaît pas du tout, mais il ne les connaît pas pour siens. Dieu par sa nature connaît tous les hommes, mais il paraît ne pas connaître ceux qu’il n’aime pas, de même qu’on peut dire de ceux qui ne lui rendent pas le culte qui lui est dû, qu’ils ne le connaissent pas. — S. Chrys. (homél. 25.) Il leur dit : « Je ne vous ai jamais connus : » non seulement au jour du jugement, mais alors même qu’ils faisaient des miracles, car il en est beaucoup qui sont pour Dieu un objet de haine dès ici-bas, et dont il se détourne avant de les punir. — S. Jér. Remarquez que ces paroles « Je ne vous ai jamais connus » sont une réfutation de ceux qui prétendent que tous les hommes ont toujours vécu comme il convient à des créatures raisonnables. — S. Grég. (cf. Jb 30) Cette sentence doit nous apprendre que c’est l’humble charité et non l’éclat des miracles qui a droit à notre vénération. Aussi la sainte Église n’a-t-elle que du mépris pour les miracles des hérétiques, parce qu’elle sait qu’ils ne sont pas une marque de sainteté ; en effet la preuve de la sainteté n’est pas de faire des miracles, c’est d’aimer le prochain comme soi-même, d’avoir sur Dieu des idées vraies et des autres une opinion plus favorable que de soi-même. — S. Aug. (contre l’ennemi de la loi et des proph., liv. 2, chap. 4.) A Dieu ne plaise que nous admettions avec les Manichéens, que le Seigneur ait voulu parler des saints prophètes ; il n’est ici question que de ceux qui plus tard, après la prédication de l’Évangile, se sont imaginé qu’ils parlaient en son nom, alors qu’ils ne savaient ce qu’ils disaient. — S. Hil. (can. 6 sur S. Matth.) Les hypocrites se glorifient de la sorte comme s’ils étaient les auteurs des choses merveilleuses qu’ils disent ou qu’ils opèrent, et qu’on ne dût pas les attribuer tout entières à la puissance divine qu’ils invoquent. La lecture du saint Évangile mettra cette doctrine dans tout son jour, alors qu’on y verra le nom de Jésus-Christ tourmenter les démons. C’est donc à nous de mériter cette bienheureuse éternité, et nous devons coopérer à notre salut, en voulant le bien, en évitant le mal, et en faisant plutôt ce que demande la volonté de Dieu, que ce que réclame notre gloire personnelle. Il les repousse donc, il les rejette à cause de leurs oeuvres d’iniquité. « Retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité. » — S. Jér. Comme il ne veut pas détruire le mérite du repentir il ne dit pas : Vous qui avez commis l’iniquité, mais vous qui la commettez, qui jusqu’à ce jour, jusqu’à l’heure même du jugement, conservez encore l’affection, le désir du péché, alors même que vous n’en avez plus le pouvoir.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, la mort sépare l’âme du corps, mais elle ne change pas les dispositions de l’âme.

 

vv. 24-27.

S. Chrys. (hom. 25.) Il devait s’en trouver qui tout en admirant la doctrine du Sauveur refuseraient de se déclarer ses disciples par les oeuvres ; il leur inspire donc par avance une salutaire frayeur par ces paroles : « Tout homme donc qui entend mes paroles, et les pratique, sera comparé à l’homme sage. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne dit pas : Je tiendrai pour un homme sage celui qui entend ces paroles et les pratique, mais il sera comparé à un homme sage. Donc celui qui est comparé, c’est l’homme. A qui est-il comparé ? Au Christ. Le Christ est donc cet homme sage qui a bâti sa maison, son Église, sur la pierre, c’est-à-dire sur la force de la foi. L’insensé, c’est le démon, qui a bâti sa maison, l’assemblée des impies, sur le sable, c’est-à-dire sur la terre sans consistance de l’infidélité, ou sur les hommes charnels, qu’il a comparés au sable à cause de leur stérilité, de leur défaut d’union entre eux, de la diversité des opinions qui les divisent, comme aussi de leur multitude innombrable. La pluie, c’est la doctrine dont l’esprit de l’homme est comme arrosé ; les nuages sont les sources qui répandent la pluie. Ces nuages sont souvent poussés par l’Esprit saint comme les apôtres et les prophètes ; d’autres suivent l’impulsion du démon, ce sont les hérétiques. Les vents favorables sont les esprits qui inspirent les différentes vertus, ou bien les anges qui agissent d’une manière invisible sur les sens de l’homme pour les amener à faire le bien. Les vents mauvais sont les esprits impurs, les fleuves salutaires sont les évangélistes et les docteurs, et les fleuves dont les eaux sont désastreuses, ceux qui sont remplis de l’esprit immonde, dont toute la science consiste dans des discours sans fin, comme les philosophes et les maîtres de la science profane, du sein desquels coulent des fleuves d’une eau morte. Or l’Église que le Christ a fondée n’est ni corrompue par la pluie d’une doctrine de mensonge, ni ébranlée par le souffle du démon, ni agitée par la violence des fleuves impétueux. On ne peut pas opposer à cette doctrine que plusieurs de ceux qui sont dans l’Église s’en séparent et tombent : car tous ceux qui portent le nom de chrétiens n’appartiennent pas à Jésus-Christ, mais le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent (cf. 2 Tm 2, 19). Quant à la maison bâtie par le démon, la pluie de la vraie doctrine est tombée sur elle ; les vents, c’est-à-dire les anges ou les grâces spirituelles ; les fleuves, c’est-à-dire les quatre évangélistes et les autres sages sont venus fondre sur elle, et cette maison, c’est-à-dire la gentilité, est tombée pour faire place à Jésus-Christ qui s’est élevé sur ses ruines ; et sa ruine a été grande, toutes les erreurs ayant été dissipées, le mensonge confondu, et les idoles détruites sur toute la face de la terre. Celui donc qui écoute les paroles de Jésus-Christ et les met en pratique est semblable au Christ, car il bâtit sur la pierre, c’est-à-dire sur le Christ, qui est le principe de tout bien ; de manière que tout homme qui construit sur le bien de quelque nature qu’il soit, construit sur Jésus-Christ. Or de même que l’Église bâtie par Jésus-Christ ne peut être renversée, de même le chrétien dont nous parlons qui a construit sur Jésus-Christ ne peut être renversé par aucune adversité d’après ces paroles : « Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ. » Au contraire, celui qui entend les paroles du Sauveur et ne les met pas en pratique, est semblable au démon. Les paroles qu’on écoute sans les mettre en pratique sont bientôt séparées et dispersées, et c’est pour cela qu’on les compare au sable. Le sable, c’est toute espèce de malice, ou encore tous les biens de la terre ; or de même que la maison du démon est bientôt renversée, ainsi tombent et sont détruits ceux qui ont assis les fondements de leur édifice sur le sable. La ruine est grande si elle atteint les fondements de la foi ; elle est moins grande si on s’est rendu coupable de fornication et d’homicide, car on peut alors se relever par la pénitence, à l’exemple de David.

 

Rab. Ou bien cette grande ruine c’est celle à laquelle Notre-Seigneur condamne ceux qui auront écouté ses enseignements sans les pratiquer, lorsqu’il leur dira : « Allez au feu éternel. » (Mt 25) — S. Jér. Ou bien encore, tout enseignement des hérétiques qui ne s’élève que pour tomber, est bâti sur le sable, qui est mouvant et n’est point capable de cohésion. — S. Hil. (can. 6 sur S. Matth.) Ou bien les pluies sont une figure des séductions flatteuses des voluptés qui se glissent insensiblement par toutes les fentes ouvertes, et commencent par rendre la foi moins ferme ; puis vient le choc impétueux des fleuves ou des torrents, c’est-à-dire des passions plus criminelles ; puis enfin les vents se déchaînent dans toute leur violence, c’est-à-dire que le souffle de la puissance du démon entre tout entier dans l’âme. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien encore la pluie, lorsqu’elle est prise au figuré, en mauvaise part, représente la superstition couverte de ténèbres ; les bruits confus du monde sont comparés aux vents ; et les fleuves aux passions charnelles qui s’écoulent aussi sur la terre ; et celui qui se laisse entraîner par la prospérité, se laisse aussi briser par le malheur. Au contraire rien de tout cela n’est à craindre pour celui dont la maison est bâtie sur la pierre, c’est-à-dire qui, non content d’écouter les préceptes du Seigneur, se fait un devoir de les accomplir. Dans toutes ces circonstances on s’expose à de grands dangers lorsqu’on écoute la parole de Dieu sans la pratiquer, car on ne peut affermir dans son âme les vérités que Dieu nous fait connaître, ou les préceptes qu’il nous donne que par la pratique. Or remarquez qu’en disant : « Celui qui entend ces paroles que je viens de dire, » Jésus-Christ nous fait suffisamment entendre que ce discours comprend tous les préceptes destinés à former à la vie chrétienne, à toute perfection, de manière que ceux qui voudront en faire la règle de leur vie sont comparés avec raison à celui qui bâtit sur la pierre.

 

vv. 28-29.

La Glose. Jésus-Christ ayant complété son enseignement, l’Évangéliste nous montre l’effet de sa doctrine sur la foule par ces paroles : « Et il arriva lorsqu’il eut achevé, » etc. — Rab. Cette dernière expression nous représente la perfection des paroles du Sauveur, et l’excellence de ses préceptes. Cette remarque faite par l’Évangéliste que les peuples étaient dans l’admiration se rapporte ou aux infidèles qui étaient dans l’étonnement, parce qu’ils ne croyaient pas aux paroles du Sauveur, ou tous ceux en général qui admiraient en lui la supériorité d’une sagesse aussi sublime. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si les raisons que l’on présente à l’esprit de l’homme sont de nature à le satisfaire, elles obtiennent ses louanges ; si elles triomphent de lui, elles excitent son admiration, car tout ce que nous ne pouvons louer comme il le mérite, nous l’admirons. Leur admiration cependant était bien plutôt un témoignage de la gloire de Jésus-Christ que de leur foi, car s’ils avaient cru en Jésus-Christ, ils ne l’auraient pas tant admiré. En effet qu’est-ce qui excite d’ordinaire cette admiration mêlée d’étonnement ? Ce qui surpasse la puissance de celui qui agit ou qui parle : aussi ne sommes-nous pas étonnés des paroles ou des oeuvres de Dieu, car elles sont toutes inférieures à sa puissance. C’était la foule qui était dans l’admiration, c’est-à-dire le vulgaire, et non les princes du peuple, qui n’écoutaient pas avec le désir d’apprendre. Le peuple simple au contraire écoutait avec simplicité, et son silence eût été troublé par les contradictions des princes du peuple, s’ils avaient été présents ; car plus il y a de science, plus la malice est grande, celui qui s’empresse trop d’être le premier ne pouvant se contenter d’être au second rang.

 

S. Aug. (De l’acc. des Ev., liv. 2, chap. 19.) De ce qui est dit ici on peut conclure que l’Évangéliste veut parler de la foule des disciples, dans le grand nombre desquels il en avait choisi douze à qui il donna le nom d’Apôtres, circonstance qu’omet saint Matthieu (cf. Lc 6, 12), car Notre-Seigneur Jésus-Christ paraît n’avoir adressé qu’à ses disciples qui étaient sur la montagne ce discours que saint Matthieu insère ici et sur lequel saint Luc garde le silence. Et lorsque ensuite il fut descendu, il en tint un autre semblable sur lequel saint Matthieu se tait et que rapporte saint Luc. On peut dire aussi comme plus haut que Notre-Seigneur n’a prononcé devant les Apôtres et le reste de la foule qu’un seul et même discours que saint Matthieu et saint Luc rapportent de la même manière, quant aux vérités qu’il renferme quoique sous une forme différente. Ainsi s’explique naturellement l’admiration de la foule.

S. Chrys. (hom. 26.) L’Évangéliste indique la cause de cette admiration : « Car il les enseignait, » etc. Si lorsque cette puissance se manifestait par des oeuvres, les scribes repoussaient le Christ loin d’eux, combien plus auraient-ils été scandalisés, alors que cette puissance ne se déclarait que par de simples paroles. Mais la foule n’éprouva pas cette impression ; car, lorsqu’une âme veut le bien, elle se laisse facilement persuader aux enseignements de la vérité. Notre-Seigneur manifestait cette puissance d’enseignement en captivant un grand nombre de ceux qui l’écoutaient, et en excitant leur admiration. Aussi le charme de ses paroles était si grand qu’ils ne voulaient pas le quitter, alors même qu’il avait cessé de parler, et c’est pourquoi ils le suivirent lorsqu’il descendit de la montagne. Ce qui les étonnait davantage dans cette puissance, c’est que Notre-Seigneur ne rapportait pas à un autre l’objet de son enseignement, comme Moïse et les prophètes, mais qu’il déclarait en toute circonstance qu’il était le souverain Maître ; en effet, il ne porte aucune loi sans cette formule : « Pour moi, je vous dis, » etc. — S. Jér. C’est comme étant le Dieu et le Maître de Moïse lui-même que, dans la plénitude de sa liberté, il ajoutait à la loi ce qui devait lui donner plus de clarté, ou même qu’il la changeait dans ses prédications au peuple, ainsi que nous l’avons vu plus haut : « Il a été dit aux anciens : Pour moi, je vous dis. » Les scribes, au contraire, ne faisaient qu’enseigner ce que contenaient les écrits de Moïse et des prophètes.

 

 

 S. Grég. (cf. Jb 33) (Moral., liv. 23, chap. 7.) Ou bien Jésus-Christ a eu ce privilège spécial de parler avec un pouvoir légitime, parce qu’il n’y a jamais en chez lui ni faute ni faiblesse. Pour nous, qui sommes faibles, consultons notre faiblesse pour apprendre d’elle ce que nous devons enseigner à nos frères faibles comme nous. — S. Hil. (can. 6 sur S. Matth.) Ou bien ils mesuraient l’effet de son pouvoir sur la vertu de ses paroles. — S. Aug. (serm. sur la mont.) C’est ce qui est ainsi figuré dans ces paroles des Psaumes : « J’agirai à son égard avec confiance ; les paroles du Seigneur sont des paroles chastes, de l’argent éprouvé par le feu, passé par le creuset, purifié sept fois. »

C’est ce nombre sept qui m’a donné la pensée de rapporter tous ces préceptes aux sept maximes qui forment l’exorde de ce discours, c’est-à-dire aux béatitudes. En effet, qu’un homme se mette en colère contre son frère, qu’il lui dise raca ou qu’il le traite de fou, c’est l’effet d’un grand orgueil contre lequel il n’y a qu’un remède, implorer de Dieu le pardon avec un esprit suppliant qui n’ait aucune enflure, aucun sentiment d’ostentation. « Bienheureux donc les pauvres d’esprit, parce que le royaume de Dieu leur appartient. » On se montre d’accord avec son adversaire, c’est-à-dire qu’on rend à la parole de Dieu le respect qui lui est dû en s’approchant pour ouvrir le testament du Père céleste non pas avec amertume et le désir de la chicane, mais avec la douceur qu’inspire la piété : « Bienheureux donc ceux qui sont doux parce qu’ils posséderont la terre. » Que celui qui sent l’attrait des voluptés sensuelles se révolter contre la droite volonté s’écrie : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de la mort de ce corps ? » (Rm 7, 24) et que par ses larmes il implore le secours de Dieu son consolateur. « Bienheureux donc ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés. » Que peut-on imaginer de plus dur que de triompher d’une habitude vicieuse en retranchant en soi les membres qui sont un obstacle à ce royaume des cieux, et cela sans être brisé par la douleur ; de supporter dans l’union conjugale toutes les choses qui n’ont pas le caractère de la fornication quoiqu’elles soient souverainement pénibles, de dire toujours la vérité, et de ne point l’appuyer sur des serments faits à tout propos, mais sur l’intégrité des moeurs ? Mais qui osera se dévouer à de si grands travaux, sans être enflammé de l’amour de la justice, et comme dévoré par la faim et par une soif ardente ? Bienheureux sont ceux qui ont faim et soif, parce qu’ils seront rassasiés. » Qui sera toujours prêt à supporter les outrages de ceux qui sont faibles, à donner à celui qui lui demande, à aimer ses ennemis, à faire du bien à ceux qui le haïssent, à prier pour ceux qui le persécutent, si ce n’est celui qui sera parfaitement miséricordieux ? « Bienheureux donc les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde. » Pour avoir l’oeil du cœur pur, il ne faut point se proposer pour fin de ses bonnes oeuvres le désir soit de plaire aux hommes, soit de pourvoir aux nécessités de la vie, ni condamner témérairement les intentions du prochain, et dans tout ce qu’on fait pour lui, il faut agir comme on voudrait qu’il agit à notre égard. « Bienheureux donc ceux qui ont le cœur pur, » etc. Il faut encore qu’à l’aide d’un cœur pur nous trouvions la voie étroite de la sagesse, que les séductions des esprits pervers veulent nous dérober. Si on parvient à les éviter, on est sûr d’arriver à la paix que donne la sagesse. « Bienheureux donc les pacifiques. » Mais soit qu’on admette cette liaison d’idées, soit qu’on en préfère un autre, c’est une obligation pour nous de mettre en pratique les préceptes que nous avons reçus du Seigneur, si nous voulons bâtir sur la pierre.

 

 

CHAPITRE VIII.

 

vv. 1-4.

S. Jér. Après la prédication et l’exposé de la doctrine, l’occasion se présente de faire des miracles pour confirmer par leur vertu et par leur éclat les enseignements du Sauveur. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur enseignait comme ayant autorité ; mais pour ôter toute apparence d’ostentation à cette manière d’enseigner, il la continue dans ses oeuvres miraculeuses, où il fait éclater le pouvoir qu’il avait de guérir ; c’est pourquoi l’Évangéliste dit : « Jésus étant descendu de la montagne, une grande foule de peuple le suivait. » — Orig. Tandis que le Seigneur enseignait sur la montagne il n’avait avec lui que ses disciples auxquels il avait été donné de connaître les secrets de la céleste doctrine ; maintenant qu’il descend de la montagne, il est suivi par la foule qui n’avait pu monter avec lui, car celui qui est accablé du fardeau de ses péchés ne peut point gravir les sublimes hauteurs des mystères. Mais lorsque le Seigneur descend et s’abaisse jusqu’à l’infirmité, jusqu’à l’impuissance des autres hommes, et qu’il a pitié de leurs imperfections et de leurs faiblesses, une grande foule de peuple le suit, les uns par un sentiment de charité, la plupart attirés par sa doctrine, quelques-uns parce qu’il les guérissait et prenait soin d’eux.

Haym. Ou bien encore, par cette montagne sur laquelle le Seigneur s’assied, il faut entendre le ciel dont il est écrit : « Le ciel est mon trône. » Lorsque le Seigneur est assis sur la montagne, ses disciples seuls s’approchent de lui, car avant qu’il se fût revêtu de notre nature fragile, Dieu n’était connu que dans la Judée. Mais lorsqu’il descendit des hauteurs de sa divinité pour prendre les faiblesses de notre humanité, les nations le suivirent en foule. Il apprend ainsi aux docteurs à suivre dans leurs prédications un genre tempéré, et à toujours annoncer la parole de Dieu de la manière qu’ils jugeront plus propre à la faire comprendre. Les docteurs montent sur la montagne lorsqu’ils enseignent aux plus parfaits les préceptes les plus sublimes, et ils en descendent lorsqu’ils développent à ceux qui sont plus faibles, les devoirs plus faciles de la vie chrétienne.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Parmi ceux qui ne purent gravir la montagne, se trouvait le lépreux qui ne pouvait monter, accablé sous le poids de ses péchés, car le péché de nos âmes est une véritable lèpre. Notre-Seigneur descend donc des hauteurs du ciel comme d’une montagne élevée pour guérir la lèpre de nos péchés, et le lépreux se présente à lui comme s’il attendait qu’il fût descendu ; c’est pourquoi il est dit : « Et voici qu’un lépreux venant à lui. » — Orig. (homél. 51.) Jésus guérit lorsqu’il est descendu, et il n’opère aucun prodige sur la montagne, car toute chose a son temps sous le ciel ; il y a le temps de la doctrine, et le temps de la guérison des malades. Sur la montagne il a enseigné, il a pris soin des âmes, il a guéri les cœurs ; après ces oeuvres spirituelles, comme il est descendu des hauteurs des cieux pour sauver des hommes revêtus d’une chair mortelle, voici qu’un lépreux vient à lui et l’adore. Avant de rien demander, il l’adore, et professe ainsi les sentiments de religion qui l’animent. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne demandait point sa guérison au Seigneur comme à un homme habile dans l’art de guérir, mais il l’adorait comme Dieu. Ce qui rend la prière parfaite c’est la foi et la confession que nous en faisons ; aussi le lépreux satisfait au précepte de la foi en adorant, et il accomplit l’obligation de la confession par le langage qu’il tient. « Il l’adorait en lui disant : » — Orig. (homél. 5.) Seigneur, c’est par vous que toutes choses ont été faites ; si vous voulez, vous pouvez me guérir ; vouloir et faire sont pour vous une même chose, et toutes les oeuvres obéissent à votre volonté. Vous avez autrefois guéri de la lèpre Naaman le Syrien par le prophète Élisée, et si vous le voulez maintenant, vous pouvez aussi me guérir. — S. Chrys. (hom. 26 sur S. Matth.) Il ne dit pas : « Si vous le demandez à Dieu, » ou bien « si vous recourez à la prière, » mais : « si vous le voulez, vous pouvez me guérir, » il ne dit pas non plus : « Seigneur, guérissez-moi, » mais il s’abandonne entièrement à lui, le proclame maître absolu, et confesse que sa puissance s’étend à toutes choses. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Au médecin spirituel, il offre une récompense spirituelle ; on reconnaît les services des médecins avec de l’argent ; c’est par la prière qu’on s’acquitte à l’égard de ce divin médecin des âmes, car nous ne pouvons rien offrir à Dieu qui soit plus digne de lui qu’une prière dictée par la foi. Lorsque le lépreux dit à Jésus : « Si vous voulez, » ce n’est pas qu’il doute que la volonté du Sauveur ne soit disposée à toute sorte de bonnes oeuvres ; mais comme la santé du corps n’est pas utile à tous, il ne savait pas si la guérison lui serait avantageuse. Il lui dit donc : « Si vous le voulez, » c’est-à-dire je crois que vous ne pouvez vouloir que ce qui est bon, mais j’ignore si ce que je demande l’est également.

S. Chrys. (hom. 26.) Il pouvait guérir ce lépreux par le seul acte de sa volonté, ou par une seule parole ; cependant il veut y employer les mains et le toucher. « Et ayant étendu la main, il le toucha. » C’est ainsi qu’il fait voir qu’il n’est pas soumis à la loi, et que rien n’est impur pour celui qui est pur lui-même. Élisée au contraire, pour se conformer aux prescriptions de la loi, ne sortit pas de sa demeure pour toucher Naaman, il se contenta de l’envoyer se laver dans le Jourdain. Le Seigneur prouve que ce n’est pas comme serviteur, mais comme maître qu’il touche et guérit ; car sa main ne fut point souillée par l’attouchement de la lèpre, mais le corps souillé de lèpre fut purifié par le contact de cette main si pure. En effet le Sauveur n’est pas venu seulement pour guérir les corps, mais aussi pour conduire les âmes vers la véritable sagesse. De même donc qu’il ne défendait plus de manger sans s’être lavé les mains, de même il nous apprend ici que nous ne devons redouter que la lèpre de l’âme, c’est-à-dire le pêché, et que la lèpre du corps n’est en aucune façon un obstacle pour la vertu.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur paraît violer la lettre de la loi, mais il en respecte l’intention. La loi en effet défendait de toucher la lèpre, parce qu’il était impossible que celui qui la touchait ne fût pas atteint de la contagion. Le but de cette défense n’était donc point de mettre obstacle à la guérison du lépreux, mais de garantir de cette maladie contagieuse ceux qui seraient tentés de le toucher. Or le Sauveur en touchant la lèpre n’en fut pas atteint, au contraire il la guérit par ce contact, et par là même il nous apprend qu’il n’y a que la lèpre de l’âme qui soit à craindre. — S. Jean Damas. Il n’était pas seulement Dieu, il était homme aussi, et c’est pourquoi il opérait les miracles par l’intermédiaire du toucher et de la parole, car son corps lui servait comme d’instrument pour l’accomplissement de ces actions toutes divines. — S. Chrys. (hom. 24.) Personne encore ne l’accuse de toucher un lépreux, car l’envie ne s’était pas encore emparée de ceux qui venaient l’entendre. — S. Chrys. (sur S. Matth.) S’il l’avait guéri sans parler, qui aurait pu savoir à quelle puissance était due cette guérison ? Notre-Seigneur avait la volonté de guérir, c’était pour le lépreux ; il prononce une parole de guérison, c’est pour ceux qui sont présents : « Je le veux, soyez guéri. » — S. Jér. La plupart des interprètes latins unissent ensemble, mais à tort, ces deux mots en leur donnant ce sens : « Je veux guérir ; » il faut les séparer de cette manière : Notre-Seigneur dit d’abord : « Je le veux, » puis il ajoute cette parole de commandement : « Soyez guéri. » En effet le lépreux avait dit : « Si vous le voulez ; » Notre-Seigneur lui répond : « Je le veux ; » il avait dit : « Vous pouvez me guérir ; » le Sauveur répond : « Soyez guéri. »

S. Chrys. (hom. 26.) Nous ne voyons pas que dans les actions les plus éclatantes, le Seigneur ait jamais prononcé ce mot : « Je le veux ; » il l’emploie dans cette circonstance pour affermir l’opinion que le peuple et le lépreux avaient de sa puissance. — S. Chrys. (homél. 26.) La nature obéit à ce commandement avec une respectueuse promptitude, comme l’indiquent les paroles suivantes : « Et aussitôt sa lèpre fut guérie ; » mais ce mot « aussitôt » ne saurait exprimer la rapidité de cette guérison. — Orig. (homél. 5.) Le lépreux n’a point hésité à croire, sa guérison ne se fait pas attendre ; il n’a point différé de professer sa foi, il est immédiatement purifié. — S. Aug. (de l’arc. des Evang., liv, 2, chap. 19.) Saint Luc rapporte aussi la guérison de ce lépreux, mais dans un autre endroit. Il suit en cela la méthode des Évangélistes qui placent plus loin dans leur récit ce qu’ils ont omis précédemment, ou qui racontent par anticipation ce qui n’est arrivé que plus tard, suivant en cela l’inspiration divine qui leur faisait écrire de souvenir ce qu’ils avaient appris auparavant.

S. Chrys. (hom. 26.) Après avoir opéré cette guérison, Jésus défend au lépreux d’en parler à personne. Et Jésus lui dit : « Gardez-vous de parler de ceci à personne. » Quelques-uns prétendent qu’il lui fit cette défense afin que la malignité ne pût s’emparer contre lui de cette guérison, ce qui n’a pas de sens. En effet en guérissant ce lépreux, a-t-il laissé le moindre doute sur sa guérison ? Si donc il lui défend d’en parler, c’est pour nous apprendre à éviter l’ostentation et la vaine gloire. Lors donc qu’il commande à un autre malade qu’il avait guéri de publier sa guérison, c’est pour nous enseigner que nous devons avoir une âme reconnaissante, car ce n’est pas sa propre gloire, mais celle de Dieu, qu’il lui ordonne de publier. Par l’un de ces deux infirmes, le lépreux, il nous apprend donc à fuir la vaine gloire ; par l’autre, à éviter l’ingratitude et à tout rapporter à la gloire de Dieu. — S. Jér. Et en effet, quelle nécessité de publier de vive voix ce que la guérison de son corps faisait assez connaître ? — S. Hil. (can. 7 sur S. Matth.) Ou bien le silence lui est commandé parce que cette guérison ne lui est accordée qu’après qu’il l’a demandée.

 

« Mais allez, montrez-vous au prêtre. » — S. Jér. Il l’envoie se présenter aux prêtres, premièrement pour lui faire pratiquer l’humilité par cet acte de déférence à leur égard ; secondement pour sauver les prêtres eux-mêmes, s’ils voulaient croire au Sauveur du monde, et les rendre inexcusables s’ils ne voulaient pas croire ; et en même temps pour prévenir le reproche qu’ils lui firent si souvent de violer la loi. — S. Chrys. (homél. 26.) Il ne la violait pas toujours, de même qu’il ne l’observait pas en toute circonstance ; mais tantôt il en négligeait les prescriptions pour ouvrir la voie à la sagesse de l’avenir, tantôt il les observait pour réprimer les discours insolents des Juifs, et condescendre à leur faiblesse. C’est pour la même raison que nous voyons les apôtres garder quelquefois, et quelquefois laisser de côté les observances de la loi. — Orig. (homél. 5.) Ou bien il envoie ce lépreux se présenter aux prêtres pour qu’ils reconnaissent que ce n’est point par la vertu ordinaire de la loi, mais par l’efficacité de la grâce, qu’il a obtenu sa guérison.

S. Jér. La loi ordonnait à ceux qui avaient été guéris de la lèpre d’offrir des présents aux prêtres. C’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Et offrez le don prescrit par Moïse afin qu’il leur serve de témoignage. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne faut pas entendre ces paroles en ce sens que Moïse ait prescrit cette offrande pour servir de témoignage aux prêtres. Notre-Seigneur dit : « Allez et offrez ce don pour qu’il leur serve de témoignage. — S. Chrys. (hom. 26.) Le Sauveur prévoyait qu’ils ne tireraient aucun profit de ce miracle, aussi ne dit-il pas : « Pour les rendre meilleurs, » mais « pour être un témoignage » (c’est-à-dire un chef d’accusation et de preuve) que j’ai fait tout ce que je devais faire. Il a bien prévu en effet qu’ils ne réformeraient pas leur vie, il n’a pas laissé de faire ce qu’il jugeait nécessaire. Mais pour eux ils ont persévéré dans la malice qui leur était propre. Il ne dit pas non plus : « Le don que je prescris, » mais, « le don que prescrit Moïse ; » il les renvoie ainsi de temps en temps à la loi pour fermer la bouche des méchants. Il ne veut pas qu’on puisse dire qu’il a ravi aux prêtres la gloire qui leur appartenait ; il accomplit l’oeuvre de la guérison, mais il leur laisse le soin d’en constater la preuve. — Orig. (homél, 5.) Ou bien, offrez votre présent, afin que tous ceux qui vous verront accomplir cette prescription croient au miracle de votre guérison.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, il lui ordonne de faire l’offrande prescrite, afin que si plus tard les prêtres avaient l’intention de le chasser, il pût leur dire : « Vous avez accepté mon offrande, comme venant d’un homme parfaitement guéri ; pourquoi donc me chassez-vous aujourd’hui comme lépreux ? » — S. Hil. (can. 7 sur S. Matth.) — Ou bien encore, on peut admettre ce sens : « Que Moïse a ordonné comme témoignage pour eux, » car ce que Moïse a ordonné dans la loi, n’est pas un effet mais un témoignage.

Bède. (Dimanche 3 après l’Epiph.) Peut-être sera-t-on surpris de ce que Notre-Seigneur paraît ici approuver le sacrifice prescrit par Moïse et que l’Église n’admet pas ; qu’on se rappelle donc que le Sauveur n’avait pas encore offert par sa passion son corps en holocauste. Or il entrait dans les desseins de Dieu que les sacrifices figuratifs fussent offerts jusqu’au temps où la divinité de celui qu’ils figuraient eût été annoncée par la prédication des Apôtres, et reconnue par la foi de tous les peuples. Or cet homme qui était non-seulement lépreux, mais d’après saint Luc tout couvert de lèpre (Lc 5), est la figure du genre humain ; car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu (Rm 3), c’est-à-dire qu’ils ont besoin que le Sauveur étende sur eux la main (par l’incarnation du Verbe de Dieu uni à la nature humaine) pour les guérir des vanités de leurs anciennes erreurs. C’est ainsi qu’après avoir été longtemps un objet d’abomination et d’horreur et rejetés hors du camp du peuple de Dieu, il leur est enfin permis d’entrer dans le temple, et de venir offrir leur corps comme une hostie vivante à celui dont le roi-prophète a dit : « Tu es prêtre pour l’éternité. » (Ps 109).

Remi. Le lépreux, au sens moral, signifie le pécheur ; car le péché rend l’âme impure et la couvre de mille plaies. Le pécheur se prosterne aux pieds de Jésus-Christ, lorsqu’il est confus des péchés qu’il a commis ; cependant il doit les confesser, et demander le remède de la pénitence, à l’exemple du lépreux qui découvre ses plaies et en la guérison. Le Seigneur étend la main lorsqu’il accorde le secours de sa divine miséricorde, qui est immédiatement suivi de la rémission des péchés. Le pécheur toutefois ne doit être réconcilié à l’Église que par le jugement du prêtre.

 

vv. 5-9

S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur, après avoir enseigné ses disciples sur la montagne, et guéri ce lépreux lorsqu’il fut descendu dans la plaine, vient à Capharnaüm pour y accomplir un mystère, celui de la guérison des Gentils, qui vient après celle des Juifs. — Haym. Capharnaüm, dont le nom signifie la terre de l’abondance ou le champ de la consolation, figure l’Église formée par la réunion des Gentils. C’est elle qui est remplie de cette abondance spirituelle dont il est dit (Ps 62) : « Que mon âme soit remplie et comme rassasiée et comme engraissée ; » elle qui au milieu des tribulations de cette vie reçoit les consolations célestes dont parle le même roi-prophète : « Vos consolations ont réjoui mon âme. » (Ps 93.) C’est pour cela que l’Évangéliste nous dit : « Lorsqu’il fut entré à Capharnaüm, le centurion s’approcha de lui. »

 

S. Aug. (serm. 6 sur les paroles du Seign.) Ce centurion était Gentil d’origine, car déjà la Judée était occupée par les armées romaines. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il fut le premier fruit de la foi chez les Gentils, et en comparaison de sa foi, celle des Juifs ne fut qu’incrédulité. Il n’avait pas entendu les enseignements du Sauveur, il n’avait pas été témoin de la guérison du lépreux, mais à peine l’eut-il apprise que sa foi alla bien au delà de ce qu’on lui racontait. Il était en cela la figure de ces nations qui devaient croire dans la suite sans avoir lu ni la loi ni les prophéties qui annonçaient le Christ, et sans l’avoir vu lui-même opérer des prodiges. Il s’approche donc de lui et lui fait cette prière : « Seigneur, mon serviteur est couché et malade de paralysie dans ma maison, et il souffre extrêmement. » Voyez la bonté du centurion qui se hâte plein de sollicitude pour la santé de son serviteur. Ce n’est pas un intérêt d’argent, c’est sa vie même que la mort de son serviteur semble devoir compromettre. Il ne fait aucune différence entre le maître et le serviteur ; car quoiqu’ils n’aient ni la même dignité, ni le même rang dans le monde, ils ont une même nature. Mais voyez aussi la foi de ce centurion, qui ne dit pas : « Venez et sauvez-le, » car tout en étant pour lors dans cet endroit, le Seigneur était présent en tout lieu ; admirez en même temps sa sagesse, car il ne lui dit pas : « Sauvez-le sans quitter d’ici. » Il savait en effet que sa puissance peut tout, que sa sagesse comprend tout, et que sa miséricorde est toujours prête à nous exaucer. Il se contente donc de lui exposer l’infirmité de son serviteur en lui disant : « Et il souffre extrêmement, » et il laisse le choix du remède à sa puissance miséricordieuse. On voit par là qu’il aimait son serviteur, car on s’imagine toujours que celui qu’on aime, quelque légère que soit son indisposition, est plus mal qu’il ne l’est en réalité. — Rab. Il accumule avec douleur tous ces mots : gisant, paralytique, souffrant, pour exprimer les angoisses de son âme et émouvoir le Seigneur. C’est ainsi que tous les maîtres doivent compatir aux souffrances de leurs serviteurs et en prendre soin.

S. Chrys. (hom. 27.) Il en est qui prétendent qu’en parlant de la sorte le centurion donne la raison pour laquelle il n’a point amené son serviteur, car il n’était pas possible de transporter un homme brisé par ses souffrances et presque au dernier soupir. Pour moi je vois dans ces paroles l’indice d’une grande foi : le centurion savait qu’une parole seule suffirait pour guérir ce paralytique, et il regardait comme inutile de l’amener à Jésus. — S. Hil. (can. 7 sur S. Matth.) Au sens spirituel on doit regarder les Gentils comme des malades en ce monde, anéantis sous le poids des maladies suites de leurs péchés, à qui leurs membres languissants et sans vigueur ne permettent ni de se soutenir ni de marcher. Le mystère de leur guérison s’accomplit dans le serviteur du centurion, qui, comme nous l’avons dit suffisamment, est le chef des nations qui devaient embrasser la foi. Quel est ce chef ? Le cantique de Moïse dans le Deutéronome nous l’apprend par ces paroles : « Il a marqué les bornes des nations d’après le nombre des anges de Dieu. (Dt 32, 8) — Remi. Ou bien le centurion figure les premiers qui crurent parmi les nations et qui pratiquèrent les vertus chrétiennes dans la perfection. Car on appelle centurion celui qui commande à cent hommes, et le nombre cent est un nombre parfait. C’est donc avec raison que le centurion prie pour son serviteur, de même que les prémices des nations prièrent le Seigneur pour le salut de toute la Gentilité.

S. Jér. Notre-Seigneur voyant la foi, l’humilité et la prudence du centurion, promit aussitôt d’aller lui-même guérir son serviteur. Et Jésus lui dit : « J’irai et je le guérirai. » — S. Chrys. (hom. 27.) Jésus fait ici ce qu’il n’a jamais fait jusqu’à présent. Partout ailleurs nous le voyons suivre la volonté de ceux qui s’adressent à lui ; ici il la prévient ; il promet au centurion non-seulement de guérir, mais d’aller visiter lui-même son serviteur, voulant ainsi nous faire connaître la foi du centurion.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, si le Sauveur ne lui avait pas dit : « J’irai et je le guérirai, » jamais le centurion n’eût répondu : « Je ne suis pas digne. » C’est aussi parce qu’il le prie pour son serviteur, que Notre-Seigneur promet d’aller le visiter, et il nous apprend ainsi à ne pas cultiver l’amitié des grands en méprisant les petits, mais à honorer également les pauvres et les riches. Nous trouvons admirable la foi du centurion qui crut que son serviteur paralytique pouvait être guéri par le Sauveur ; son humilité n’est pas moins éclatante lorsqu’il se reconnaît indigne que le Seigneur entre dans sa maison. Et le centurion lui répondit : « Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit. » — Rab. (cf. Lc 7) La conscience qu’il avait de sa vie païenne lui fit craindre que cette condescendance du Seigneur ne fût pour lui plutôt un fardeau qu’un secours ; car s’il croyait en lui, il n’avait cependant pas encore été renouvelé par les sacrements. — S. Aug. (serm. 6 sur les paroles du Seign.) En proclamant son indignité, il s’est rendu digne de voir entrer non pas dans sa maison, mais dans son cœur, le Christ Verbe de Dieu. Il n’eût point tenu un tel langage, s’il n’avait déjà porté dans son cœur celui qu’il craignait de voir entrer dans sa maison, et son bonheur eût été beaucoup moins grand si Jésus fût entré dans sa maison sans entrer dans son âme.

Sever. Dans le sens mystique, ce toit, cette demeure, c’est le corps qui sert d’enveloppe à l’âme et qui par un dessein du ciel couvre à tous les regards la liberté de l’âme. Or Dieu ne dédaigne pas de faire sa demeure dans notre chair mortelle, ni d’entrer sous le toit de notre corps. — Orig. (homél. 5.) Et maintenant encore lorsque de saints et vertueux prêtres entrent dans votre maison, le Seigneur y entre avec eux, et c’est lui-même que vous devez considérer dans leur personne. Et encore lorsque vous mangez le corps du Seigneur et que vous buvez son sang, c’est également le Seigneur qui entre sous votre toit ; humiliez-vous donc en sa présence, et dites : « Seigneur, je ne suis pas digne, » etc. Car lorsqu’il entre dans une âme qui est indigne de le recevoir, il n’y entre que pour sa condamnation. — S. Jér. Le centurion nous fait voir la sagesse qui l’anime en pénétrant au delà de l’enveloppe du corps pour voir la divinité qu’elle recouvrait ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il savait qu’autour de lui se tenaient invisiblement rangés les anges pour le servir, pour accomplir chacun de ses ordres, et qu’à leur défaut, les maladies disparaissent devant ses paroles pleines de vie. — S. Hil. (can. 7 sur S. Matth.) Le centurion dit qu’une seule parole peut guérir son serviteur, parce que le salut des nations dépend tout entier de la foi, et que la vie de tous les hommes est dans l’accomplissement des préceptes du Seigneur ; aussi ajoute-t-il : « Car quoique je ne sois moi-même qu’un homme soumis au pouvoir, ayant des soldats sous moi, je dis à l’un : allez, et il va ; et à l’autre : venez, et il vient ; et à mon serviteur : faites cela, et il le fait, » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le centurion, sous l’inspiration de l’Esprit saint, retrace ici le mystère des relations du Père et du Fils, comme s’il disait : « Quoique je sois placé sous la puissance d’un autre, j’ai cependant le pouvoir de commander à ceux qui sont sous moi : et vous aussi, quoique soumis à votre Père en tant qu’homme, vous avez cependant le pouvoir de commander aux anges. » Sabellius, qui ne veut pas faire de distinction entre le Père et le Fils, voudrait nous donner cette explication : « Si moi, qui suis placé sous la puissance d’un autre, je puis cependant commander ; à plus forte raison, vous qui n’êtes sous la puissance de personne. » Mais le texte lui-même est contraire à cette interprétation : car le centurion ne dit pas : « Si moi qui suis un homme soumis à l’autorité, » mais : « car moi qui suis un homme soumis à la puissance d’un autre, » paroles qui prouvent qu’il a voulu faire un raisonnement non pas de disparité, mais bien de similitude entre Jésus-Christ et lui. — S. Aug. (serm. sur les paroles du Seig.) Si moi qui suis soumis à l’autorité d’un autre, j’ai le pouvoir de commander, que ne pouvez-vous pas, vous de qui relèvent toutes les puissances ? — La Glose. Vous pouvez, par le ministère des anges et sans vous rendre présent, dire à la maladie de se retirer et elle se retirera ; à la santé de venir, et elle viendra.

 

Haym. On peut voir dans les serviteurs du centurion les vertus naturelles qui brillaient dans un grand nombre de Gentils, ou bien les pensées bonnes et les pensées mauvaises. Aux unes nous devons dire : retirez-vous, et elles se retireront ; aux autres : venez, et elles viendront ; nous devons également commander à notre serviteur, c’est-à-dire à notre corps, de se soumettre à la volonté de Dieu.

 

S. Aug. (de l’accord des Evang. ; liv. 2, chap. 20.) Le récit de saint Matthieu paraît ici en opposition avec celui de saint Luc (Lc 7), où nous lisons : « Le centurion, ayant entendu parler de Jésus, lui envoya quelques-uns des anciens d’entre les Juifs, le priant de venir et de guérir son serviteur ; » et plus loin : « comme il était peu éloigné de la maison, le centurion lui envoya ses amis pour lui dire : « Seigneur, ne vous donnez pas cette peine, car je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison. » — S. Chrys. (hom. 27.) Quelques interprètes pensent que ce n’est pas le même personnage dont il est question dans ces deux récits, et cette opinion ne manque pas de probabilité. En effet, les Juifs parlant de l’un, disent à Jésus : Il a construit notre Synagogue, et il aime notre nation, » tandis que le Sauveur lui-même a fait de l’autre cet éloge : « Je n’ai pas trouvé autant de foi dans Israël, » paroles qui feraient supposer qu’il était Juif. Pour moi, je pense que c’est le même dont parlent les deux Évangélistes. (cf. Jn 4, 43-54) Lorsque saint Luc raconte qu’il envoya prier Jésus de venir, il a voulu faire ressortir les bonnes dispositions des Juifs pour cet officier : car il est probable que le centurion voulant lui-même faire cette démarche en fut empêché par les Juifs qui s’empressèrent de lui dire : Nous irons nous-mêmes, et nous vous l’amènerons. Mais lorsqu’il fut débarrassé de leurs instances il envoya dire au Sauveur : « Ne pensez pas que c’est par indifférence que je ne suis pas venu en personne, c’est que je me jugeais indigne de vous recevoir dans ma maison. » Que saint Matthieu lui fasse tenir ce langage à lui-même sans l’intermédiaire de ses amis, il n’y a pas de contradiction, les deux Évangélistes expriment le vif désir de cet homme, et l’idée juste qu’il se faisait du Christ. On peut encore admettre qu’après avoir envoyé ses amis, il vint en personne exprimer les mêmes sentiments. Si saint Luc omet un détail, et saint Matthieu un autre, ils ne sont pas pour cela en contradiction, mais ils complètent réciproquement leurs récits. — S. Aug. (de l’acc. des Evange., liv. 2, chap. 20.) Saint Matthieu ne nous a pas raconté la démarche que le centurion avait faite près de Jésus par l’intermédiaire d’autres personnes, parce que son dessein était de faire ressortir sa foi (qui donne accès auprès de Dieu) et dont le Sauveur a fait ce magnifique éloge : « Je n’ai pas trouvé même dans Israël une si grande foi. » Saint Luc au contraire raconte le fait dans tous ses détails pour nous faire comprendre de quelle manière cet homme vint trouver Jésus selon le récit de saint Matthieu, qui n’a pu nous tromper. — S. Chrys. (hom. 27.) Il n’y a point non plus de contradiction à dire d’un côté que cet homme a élevé une synagogue et de l’autre qu’il n’était pas israélite, car il peut très bien se faire que sans être Juif il eût construit une synagogue et qu’il aimât la nation juive.

 

vv. 10-13.

S. Chrys. (hom. 27.) Le lépreux avait confessé la puissance de Jésus-Christ en lui disant : « Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir, » et Notre-Seigneur avait confirmé ces paroles en lui répondant : « Je le veux, soyez guéri ; » de même ici, non-seulement il ne blâme pas, mais il relève avec éloge le témoignage que le centurion vient de rendre à sa puissance. Il fait même quelque chose de plus, car l’Évangéliste, voulant faire ressortir l’étendue de cet éloge, ajoute : « Jésus, entendant ces paroles, » etc. — Orig. Considérez la grandeur, l’excellence de ce que le Fils unique de Dieu, Dieu lui-même, daigne admirer. L’or, les richesses, les royaumes, les empires sont devant lui comme une ombre ou comme une fleur qui tombe. Aucune de ces choses n’a droit à l’admiration de Dieu par sa grandeur ou par son prix ; la foi seule a ce privilège, il l’admire, il lui rend hommage, il proclame qu’elle lui est agréable.

 

S. Aug (sur la Genése contre les Manich., liv. 1, chap. 8.) Mais qui avait produit en lui cette foi, si ce n’est Dieu même qui l’admirait ? Et si un autre que lui en était l’auteur, pourquoi donc admirer ce qu’il avait dû prévoir ? Si donc le Seigneur donne ces marques d’admiration, c’est pour nous apprendre à ressentir nous-mêmes ces sentiments d’admiration dont nous avons encore besoin. Pour Jésus-Christ, au contraire, ces mouvements n’étaient pas le signe d’une âme agitée, mais ils tenaient à la forme même de son enseignement. — S. Chrys. (hom. 27.) Voilà pourquoi l’Évangéliste nous dit qu’il fut dans l’admiration en présence de tout le peuple, afin de lui donner l’exemple : « Et il dit à ceux qui le suivaient ; Je vous le dis en vérité, » etc. — S. Aug. (contre Fauste, liv. 22, chap. 74.) Il fit l’éloge de sa foi, mais il ne lui commanda pas d’abandonner la carrière des armes. — S. Jér. Notre-Seigneur ne parle ici que de ceux qui vivaient alors, et non pas de tous les patriarches et de tous les prophètes des temps anciens. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, André crut en Jésus-Christ, mais à la parole de Jean qui lui disait : « Voici l’Agneau de Dieu. » Pierre crut également, mais sur le témoignage d’André ; Philippe crut aussi, mais après avoir lu les Écritures, et Nathanaël n’offrit à Jésus l’hommage de sa foi qu’après avoir reçu de lui une preuve de sa divinité. — Orig. (hom. 25.) Jaïre, un des princes d’Israël, venant prier Jésus pour sa fille, ne lui dit pas : « Dites seulement une parole, » mais : « Venez au plus vite. » Nicodème, écoutant les divines leçons du Sauveur sur le mystère de la foi, s’écria : « Comment cela peut-il se faire ? » Marthe et Marie disent à Jésus : « Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne fut pas mort, » et elles semblent douter que la puissance divine pût s’étendre à tous les lieux.

 

S. Chrys. (sur S. Matth.) Si nous voulons reconnaître dans le centurion une foi plus grande que dans les Apôtres, il nous faut entendre le témoignage de Jésus-Christ en ce sens que le bien dans un homme doit se mesurer à sa position personnelle ; c’est ainsi que nous admirons une parole sage dans la bouche d’un homme sans instruction, tandis qu’elle n’aura rien d’étonnant dans celle d’un philosophe. C’est dans ce sens que Jésus a dit du centurion : « Je n’ai trouvé nulle part autant de foi dans Israël. » — S. Chrys. En effet, la foi n’avait ni la même facilité, ni le même mérite pour un juif et pour un païen.

 

S. Jér. Ou bien peut-être dans la personne du centurion, le Sauveur exalte la foi des Gentils au-dessus de celle d’Israël, comme paraissent l’indiquer ces paroles : « Je vous le dis en vérité, plusieurs viendront de l’Orient. » — S. Aug (serm. sur les par. du Seig.) Il ne dit pas tous, mais un grand nombre, et de l’Orient comme de l’Occident, c’est-à-dire de l’univers entier, qui est désigné par ces deux parties du monde. — Haym. Ou bien ceux qui viennent de l’Orient sont ceux qui abandonnent le monde immédiatement après avoir été éclairés des lumières de la foi ; ceux qui viennent de l’Occident sont ceux qui ont souffert persécution pour la foi jusqu’à la mort. Ou bien encore, celui-ci vient de l’Orient parce qu’il a commencé à servir Dieu dès son enfance ; celui-là vient de l’Occident lorsqu’il se convertit à Dieu dans son extrême vieillesse. — Orig. (hom. 5.) Mais comment Notre-Seigneur dit-il ailleurs qu’il y en a peu d’élus ? C’est qu’en effet dans chaque génération il y a un petit nombre d’élus, mais au jour où Dieu visitera le monde, lorsque les élus de toutes les générations seront réunis, le nombre en sera considérable. Et ils s’asseoiront, non pas en étendant leurs membres, mais en reposant leur âme fatiguée, non pas à des tables chargées des boissons de la terre, mais à la table des festins éternels ; ils prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, où se trouvent la lumière, l’allégresse, la gloire et la longévité de la vie éternelle. — S. Jér. Comme le Dieu d’Abraham, créateur du ciel, est le Père du Christ, Abraham se trouve dans le royaume des cieux, et avec lui viendront s’asseoir les nations qui ont cru en Jésus-Christ Fils du Créateur.

 

S. Aug. (serm. 6 sur les par. du Seig.) En même temps que nous voyons les chrétiens appelés au festin du ciel, dont la justice est le pain, la sagesse le breuvage, nous voyons la réprobation des Juifs annoncée dans ces paroles : « Les enfants du royaume, au contraire, seront jetés dans les ténèbres extérieures ; » c’est-à-dire les Juifs qui ont reçu la loi, qui célèbrent dans leurs cérémonies figuratives les mystères futurs, et qui ne les ont point reconnus lorsqu’ils s’accomplissaient. — S. Jér. Ou bien il appelle les Juifs les enfants du royaume, parce que Dieu avait autrefois régné sur eux.

 

S. Chrys. (hom. 27.) Ou bien ces fils du royaume sont ceux pour qui le royaume était préparé, ce qui devait produire sur eux une plus vive impression. — S. Aug. (cont. Faust, liv. 15, chap. 24.) Si donc Moïse n’a fait connaître au peuple d’Israël d’autre Dieu que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et que le Christ ne leur en prêche pas d’autre, on ne peut l’accuser d’avoir détourné ce peuple du culte de son Dieu. Donc, lorsqu’il les menace d’être précipités dans les ténèbres extérieures, c’est qu’il les voyait s’éloigner eux-mêmes de leur Dieu, dans le royaume duquel il nous montre toutes les nations appelées à prendre place avec Abraham, Isaac et Jacob, en récompense de la foi qu’ils ont toujours gardée au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Et dans ce témoignage que leur rend le Sauveur, nous ne voyons pas qu’ils aient attendu à la mort pour se convertir à Dieu, ou qu’ils n’aient été justifiés qu’après sa passion.

S. Jér. Il appelle ces ténèbres extérieures, parce que celui qui est chassé dehors par le Sauveur est abandonné par la lumière. — Haym. Que souffre-t-on dans ces ténèbres ? Notre-Seigneur nous l’apprend dans les paroles suivantes : « Il y aura là des pleurs et des grincements de dents. » Il décrit les tourments des damnés à l’aide d’une métaphore empruntée aux souffrances du corps. En effet, les yeux atteints par la fumée versent des larmes ; de même un froid très vif donne lieu à un grincement de dents ; preuve que les réprouvés dans l’enfer auront à supporter à la fois et une chaleur intolérable, et un froid des plus aigus, selon cette parole de Job : « Ils passeront des eaux de la neige à une excessive chaleur. » — S. Jér. Si les pleurs ne peuvent sortir que des yeux, si le grincement de dents prouve l’existence des os, il y aura donc résurrection véritable des corps et des mêmes membres qui auront été soumis à la mort. — Rab. Ou bien ce grincement de dents exprime un sentiment d’indignation, et ce mouvement (le repentir tardif et de colère après coup qu’éprouveront les réprouvés à la vue de leur opiniâtre persistance dans le mal. — Remi. Ou bien ces ténèbres extérieures figurent les nations étrangères, car au point de vue historique Notre-Seigneur prédit ici la ruine des Juifs, qui en punition de leur infidélité, devaient être emmenés captifs, et dispersés dans les différentes contrées de la terre. Or, comme les pleurs naissent ordinairement sous l’impression d’une ardente chaleur, et le grincement des dents sous l’action d’un froid aigu, les pleurs désignent ceux qui habiteront les contrées brûlantes de l’Inde et de l’Éthiopie, et le grincement de dents ceux qui seront exilés dans des pays plus froids comme l’Hircanie et la Scythie.

 

Chrys. (hom. 27.) Les paroles du Sauveur ne sont pas un vain éloge de la foi dont il vient de faire voir la nécessité ; aussi sont-elles suivies d’un miracle que l’Évangéliste raconte ainsi : « Et Jésus dit au centurion : Allez, et qu’il vous soit fait comme vous avez cru. » — Rab. C’est-à-dire, cette grâce vous est accordée dans la mesure de votre foi. » Le mérite du maître peut seconder le mérite du serviteur non seulement sous le rapport de la foi, mais encore dans l’observance de la loi. Voilà pourquoi l’Évangéliste ajoute : « Et le serviteur fut guéri dès ce moment. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Admirez cette promptitude, car ce n’est pas seulement la guérison, mais la guérison imprévue, instantanée, qui fait éclater la puissance du Christ. — S. Aug. (serm. sur les par. du Seigneur.) Le Seigneur n’est pas entré dans la maison du centurion, il en était absent corporellement, et la présence seule de sa majesté a guéri le serviteur ; ainsi n’a-t-il paru sous une forme extérieure qu’au milieu du peuple juif ; il n’a point renouvelé pour les autres nations les merveilles de sa naissance virginale, de sa passion, de ses souffrances, de ses miracles, et cependant ce que le roi-prophète avait prédit s’est trouvé accompli : « Le peuple qui ne me connaissait pas m’a servi, il m’a obéi aussitôt qu’il a entendu ma voix. » Le peuple juif l’a connu et l’a crucifié, l’univers n’a fait que l’entendre et a cru en lui.

 

vv. 14-15.

Rab. Après avoir montré dans ce lépreux la guérison du genre humain tout entier, et dans le serviteur du centenier celle des Gentils, par une suite naturelle, saint Matthieu nous montre dans la belle-mère de Pierre la guérison de la synagogue. Le Sauveur a commencé par la guérison du serviteur, parce que la conversion des Gentils a été à la fois un plus grand miracle et une grâce plus signalée, ou parce que ce n’est qu’à la fin des siècles après que la plénitude des nations sera entrée dans l’Église, que la synagogue se convertira tout entière (cf. Rm 11, 24-26). Or, la maison de Pierre était dans Bethsaïde.

 

S. Chrys. (hom. 28.) Mais pourquoi Jésus entra-t-il dans la maison de Pierre ? Je pense que c’était pour prendre quelque nourriture, comme paraissent l’indiquer les paroles suivantes : « Elle se leva et elle les servait. » Jésus s’arrêtait ainsi chez ses disciples pour leur faire honneur et rendre plus vif le désir qu’ils avaient de le suivre. Considérez ici le respect de Pierre pour Jésus-Christ, quoique sa belle-mère fût malade de la fièvre, il n’entraîna pas Jésus dans sa maison, mais il attendit qu’il eût terminé ses divines leçons et qu’il eût guéri les autres malades, car il avait appris dès le commencement à faire céder ses intérêts à ceux des autres. Aussi n’est-ce pas lui qui amène le Christ, mais le Christ qui vient de lui-même après ces paroles du centurion : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison, » montrant ainsi toute sa bonté pour son disciple. Il ne dédaigne pas d’entrer sous le pauvre toit d’un pêcheur, pour nous apprendre à fouler aux pieds en toute circonstance l’orgueil et la vanité. Remarquez aussi que tantôt il guérit par sa seule parole, tantôt il étend simultanément la main ; c’est ce qu’il fait ici : « Et il lui toucha la main. » Il ne voulut pas toujours faire des miracles extraordinaires, et il était nécessaire de voiler quelquefois sa divinité. En touchant le corps de cette femme, non-seulement il fit cesser la fièvre, mais encore il lui rendit tout à fait la santé. Cette maladie n’étant point naturellement incurable, il manifestait sa puissance par la manière dont il la guérissait, en faisant ce que la science de la médecine ne pouvait faire, c’est-à-dire en rendant aussitôt à cette femme une santé parfaite ; c’est ce que l’Évangéliste veut nous exprimer en disant : « Elle se leva et elle les servait. » — S. Jér. Nous éprouvons ordinairement après la fièvre un surcroît de lassitude, et dans les commencements de la convalescence nous ressentons encore les douleurs de la maladie. Mais la santé que rend le Seigneur revient tout entière en un moment. L’auteur sacré nous fait remarquer qu’elle se leva et qu’elle le servait : c’est une preuve tout à la fois de la puissance de Jésus-Christ et des dispositions de cette femme à son égard.

 Bède. Dans le sens mystique, la maison de Pierre figure la loi ou la circoncision ; sa belle-mère est la figure de la synagogue, qui est en quelque sorte la mère de l’Église confiée à Pierre. C’est elle qui est malade de la fièvre, de cette fièvre de jalousie dont elle brûlait en persécutant l’Église. Le Seigneur lui touche la main, en changeant ses oeuvres charnelles et en leur donnant une direction toute spirituelle. — Remi. Ou bien encore, par la belle-mère de Pierre, on peut entendre la loi, qui, selon l’Apôtre (Rm 8), était affaiblie par la chair, c’est-à-dire par le sens charnel qu’on lui donnait. Mais lorsque le Seigneur se fut rendu visible au milieu de la synagogue par le mystère de son incarnation, et qu’il eut fait voir dans ses oeuvres l’accomplissement de la loi, en même temps qu’il en donnait l’intelligence spirituelle, elle reçut bientôt tant de force de cette union avec la grâce de l’Évangile, qu’après avoir été un instrument de mort et de châtiment, elle devint comme le ministre de la vie et de la grâce (2 Cor 3, 9). Rab. Ou bien encore, toute âme qui est en lutte avec les passions de la chair, est comme travaillée par la fièvre ; mais à peine a-t-elle été touchée par la main de la miséricorde divine, elle recouvre la santé, elle réprime les désirs licencieux de la chair, et fait servir à la justice les membres qu’elle avait consacrés à l’impureté. — S. Hil. Ou bien enfin on peut voir dans la belle-mère de Pierre le vice pernicieux de l’infidélité, auquel se trouve toujours jointe la liberté de la volonté, et qui nous attache à lui comme par les liens les plus étroits. Mais aussitôt que le Seigneur entre dans la maison de Pierre c’est-à-dire dans notre corps, il guérit cette infidélité toute brûlante des ardeurs du péché, et débarrassée de l’accablante domination des vices, elle consacre la santé qu’elle recouvre au service du Seigneur.

 

S. Aug. (de l’accord des Evang. liv. 2, chap. 21.) A quel temps cette guérison a-t-elle eu lieu ? avant ou après quel événement ? Saint Matthieu ne le dit pas, car rien n’oblige à la placer après le récit qui la précède immédiatement. Toutefois saint Matthieu paraît raconter ici ce qu’il avait omis précédemment. En effet, saint Marc raconte cette guérison avant celle du lépreux, qu’il paraît placer après le sermon sur la montagne (dont cependant il ne parle pas). Saint Luc de son côté place la guérison de la belle-mère de Pierre après le même événement que saint Marc, et avant un discours fort long qui paraît être le même que saint Matthieu fait tenir à Jésus sur la montagne. Mais qu’importe la place qu’occupent les faits, ou l’ordre dans lequel ils sont présentés ? Qu’importe qu’un évangéliste raconte un fait qu’il avait omis précédemment, ou qu’il en fasse une narration anticipée, pourvu que ce fait ainsi placé ne contredise en rien d’autres faits racontés par lui ou par un autre ? Il n’est personne qui puisse raconter dans l’ordre où elles se sont passées, les choses qui lui sont le plus connues. Il est donc probable que chaque Évangéliste a cru devoir raconter les événements suivant l’ordre dans lequel Dieu les présentait à son souvenir. Aussi, lorsque la suite chronologique des faits ne nous paraît pas clairement marquée, nous ne devons pas nous préoccuper de l’ordre que chaque Évangéliste a cru devoir adopter dans son récit.

 

vv. 16-17.

S. Chrys. (hom. 24.) La multitude de ceux qui croyaient en Jésus-Christ s’était augmentée, et malgré le temps qui les pressait, ils ne voulaient pas se séparer du Sauveur ; aussi, le soir étant venu, ils lui amènent plusieurs possédés du démon. « Sur le soir, dit l’Évangéliste, on lui présenta un grand nombre de possédés. » — S. Aug. (de l’accord des Evang, liv, 2, chap. 21.) Ces expressions : « Le soir étant venu, » indiquent assez qu’il s’agit ici du même jour, bien qu’il ne soit pas nécessaire de les entendre toujours du soir de la même journée.

Remi. Or Jésus-Christ, Fils de Dieu, auteur du salut des hommes, source et origine de toute miséricorde, appliquait à tous un remède divin. « Et il chassait les esprits par sa parole, et il guérit tous ceux qui étaient malades. » Il mettait en fuite les démons et les maladies d’un seul mot, pour montrer par ces prodiges de sa puissance qu’il était venu pour le salut du genre humain tout entier.

 

S. Chrys. (hom. 28.) Considérez quelle multitude de guérisons particulières les Évangélistes passent sous silence ; ils ne font pas mention de chaque personne guérie, mais d’un seul mot ils nous mettent sous les yeux cet océan inexprimable de miracles. Et afin que la grandeur de ces prodiges ne devienne un motif de ne point admettre qu’une si grande multitude et tant de maladies aient été guéries en un instant, l’Évangéliste vous présente le Prophète appuyant de son témoignage ces faits miraculeux. Et ainsi fut accompli ce que le prophète Isaïe avait prédit : « Il a pris lui-même nos infirmités. » (cf. Is 53, 4 ; 1 P 2, 24) — Rab. Ce n’est pas sans doute pour les garder, mais pour nous en délivrer, et il s’est chargé de nos maladies afin de porter lui-même en notre place ce qui était un fardeau écrasant pour notre faiblesse. — Remi. Il s’est revêtu de l’infirmité de notre nature pour nous rendre forts et robustes, de faibles que nous étions. — S. Hil. (can. 7 sur S. Matth.) Par les souffrances qu’il a endurées dans son corps (selon les oracles des prophètes), il a fait disparaître complètement les infirmités de la faiblesse humaine. — S. Chrys. (hom. 28.) C’est surtout des péchés que le Prophète semble avoir voulu parler. Comment donc l’Évangéliste peut-il entendre ces paroles des maladies ? C’est qu’il a voulu les appliquer à un fait historique, ou bien nous faire comprendre que la plupart des maladies ont pour cause les péchés de notre âme, et que la mort elle-même n’a point d’autre origine.

 

S. Jér. — Remarquons que toutes ces guérisons s’opèrent non pas le matin, non pas au milieu du jour, mais vers le soir, lorsque le soleil est sur son coucher, et que le grain tombe dans la terre pour y mourir et produire des fruits en abondance. Rab. En effet, le coucher du soleil figure la passion et la mort de celui qui a dit : « Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde ; » de celui qui dans le temps de sa vie mortelle n’a enseigné qu’un très petit nombre de Juifs, mais qui après avoir détruit l’empire de la mort a promis les dons de la foi à toutes les nations répandues sur la face de la terre.

 

vv. 19-22.

S. Chrys. (hom. 28.) Comme Jésus-Christ ne guérissait pas seulement les corps, mais qu’il rendait encore les âmes meilleures en leur enseignant la vraie sagesse, il a voulu montrer dans sa personne non-seulement la puissance qui guérit les maladies, mais encore l’humilité qui fuit toute ostentation ; c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Or, Jésus se voyant environné d’une grande foule de peuple, ordonna à ses disciples de passer à l’autre bord. Il agissait de la sorte pour nous enseigner la modestie dans nos actions, calmer l’envie des Juifs, et nous apprendre à ne rien faire par amour de la vaine gloire. — Remi. Ou bien il agissait ici comme homme, pour se débarrasser des importunités de la foule. Ce peuple lui était fortement attaché, plein d’admiration pour sa personne, et ne pouvait se lasser de le voir. Qui aurait pu, en effet se séparer d’un homme qui opérait de tels prodiges ? Qui n’aurait voulu contempler l’auguste simplicité de son visage et la bouche d’où sortaient de tels oracles ? Si Moïse avait le visage resplendissant de gloire (Ex 34), et saint Etienne la figure d’un ange (Ac 7), comment le souverain Maître de toutes choses n’aurait-il point paru avec la majesté qui convenait à son auguste personne, et n’est-ce pas ce que le Roi-Prophète prédisait en ces termes : « Vous surpassez en beauté tous les enfants des hommes. »

 

S. Hil. (Can. 7 sur S. Matth.) Le nom de disciples ne s’applique pas seulement aux douze apôtres, car nous voyons qu’outre les apôtres, Jésus eut plusieurs disciples.

 

S. Aug. (de l’accord des Evang. liv. 2, chap. 22.) Il est évident que le jour où Jésus ordonna à ses disciples de passer à l’autre bord ne fut pas le lendemain du jour où il avait guéri la belle-mère de Pierre, car ce jour là il se retira dans le désert, comme le racontent saint Marc et saint Luc. — S. Chrys. (hom. 28.) Remarquez qu’il ne renvoie pas directement la foule, pour ne pas la blesser ; mais il ordonne à ses disciples d’aller au delà, en laissant au peuple l’espérance de pouvoir l’y suivre.

 

Remi. Mais que s’est-il passé entre l’ordre donné ici par le Sauveur et son exécution ? L’Évangéliste a pris soin de nous l’apprendre. Et voici qu’un scribe lui dit : « Maître, je vous suivrai partout où vous irez. » — S. Jér. Si ce scribe, qui ne connaissait que la lettre qui tue (cf. Rm 7), avait dit : « Seigneur, je vous suivrai partout ou vous irez, » il n’eût pas été repoussé par le Sauveur ; mais comme il ne le considérait que comme un maître ordinaire, qu’il n’était lui-même qu’un homme attaché à la lettre extérieure, et n’avait pas les oreilles intérieures de l’âme, il n’a rien en lui où Jésus puisse reposer sa tête. Nous voyons aussi que ce scribe a été rejeté, parce qu’à la vue des prodiges étonnants opérés par le Sauveur, il ne voulait le suivre que pour recueillir du profit de ces oeuvres. Il désirait ce que Simon le magicien voulait plus tard acheter de saint Pierre. (Ac 8.)

S. Chrys. (hom. 28.) Voyez aussi quel est son orgueil : il arrive, et à son langage, on voit qu’il dédaigne d’être confondu avec la foule, et qu’il veut montrer qu’il lui est supérieur. S. Hil. (can. 7 sur S. Matth.) Ou bien encore, ce scribe, qui est un des docteurs de la loi, demande à Jésus s’il doit le suivre, comme si la loi ne disait pas clairement que c’est le Christ, et qu’il a tout intérêt de marcher à sa suite. Il trahit donc l’incrédulité de son âme par cette question de défiance, car on ne doit pas interroger, mais suivre les inspirations et les enseignements de la foi.

S. Chrys. (hom. 28.) Le Sauveur répond ici non pas à la question contenue dans ses paroles, mais à la pensée renfermée dans son âme. Et Jésus lui dit : « Les renards ont leurs tanières et les oiseaux du ciel leurs nids, mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. » C’est-à-dire pourquoi voulez-vous me suivre dans l’espérance des richesses et des avantages du siècle, moi dont la pauvreté est si grande que je ne possède pas même un petit réduit, et que je couche sous un toit qui ne m’appartient pas. — S. Chrys. (hom. 28.) Notre-Seigneur ne lui tient pas ce langage pour le repousser, mais pour lui reprocher sa mauvaise intention, et il lui accorderait ce qu’il demande, s’il consentait à pratiquer la pauvreté en marchant à sa suite. Mais voyez, sa malice est si grande que cette leçon ne peut le convertir et qu’il ne s’écrie pas : « Je suis prêt à vous suivre. »

 

S. Aug. (serm. sur les par. du Seigneur.) Ou bien encore, le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête dans votre foi ; les renards ont leurs tanières dans votre âme pleine de ruses ; les oiseaux du ciel ont aussi leurs nids dans votre cœur dominé par l’orgueil ; avec cet esprit de ruse et d’orgueil vous ne pouvez me suivre ; celui qui est trompeur peut-il suivre celui qui marche simplement ? — S. Grég. (Moral. 19, 1.) Ou bien, les renards sont des animaux rusés qui se cachent dans des trous ou dans des cavernes. Lorsqu’ils en sortent, ce n’est point dans les droits chemins, mais dans les sentiers détournés qu’on les voit courir ; quant aux oiseaux, leur vol est très élevé au-dessus de terre. Il faut donc entendre par les renards les démons de la ruse et de la fourberie, et par les oiseaux les démons de l’orgueil. Voici donc le sens des paroles de Jésus : Les démons de la ruse et de la vaine gloire trouvent place dans votre cœur, mais mon humilité ne peut se reposer dans une âme livrée à l’orgueil. — S. Aug. (quest. sur l’Evang.) Il est à croire que, séduit par l’éclat des miracles du Sauveur, il voulut s’attacher à lui par un motif de vaine gloire, figurée ici par les oiseaux, et qu’il a joué le personnage d’un disciple obéissant, hypocrisie qui est représentée par les renards. — Rab. Les hérétiques qui mettent toute leur confiance dans leurs subtilités sont ici figurés par les renards, et les esprits malins par les oiseaux du ciel. Les uns et les autres avaient leurs tanières et leurs nids, c’est-à-dire leur demeure dans le cœur du peuple juif.

 

Un autre de ses disciples lui dit : « Seigneur, permettez-moi d’aller d’abord ensevelir mon père. » — S. Jér. Quelle différence entre le scribe et ce disciple ! Celui-ci l’appelle simplement maître, celui-là le reconnaît pour son Seigneur. L’un, obéissant à un sentiment de piété filiale, désire aller ensevelir son père ; l’autre promet de suivre Jésus partout, mais ce n’est pas la personne du Maître qu’il recherche, c’est le gain qu’il espère en retirer. — S. Hil. (Can. 7 sur S. Matth.) Ce disciple ne demande pas non plus s’il doit suivre Jésus ; il croit que c’est pour lui une obligation, et il demande simplement qu’il lui Soit permis d’aller ensevelir son père.

 

S. Aug. (serm. 7 sur les par. du Seig.) Lorsque le Seigneur prépare les hommes au ministère évangélique, il rejette toutes les excuses que suggèrent les sentiments de la nature et les sollicitudes de cette vie ; c’est ce que prouvent les paroles suivantes : « Or Jésus lui dit : Suivez-moi, et laissez les morts ensevelir leurs morts. » S. Chrys. (hom. 28.) Gardons-nous de croire que le Sauveur nous commande de refuser à nos parents l’honneur qui leur est dû ; il nous apprend à ne rien voir de plus nécessaire que l’affaire de nos intérêts éternels, à nous y appliquer avec toute l’ardeur possible, sans le plus léger retard, quelque inévitables, quelque irrésistibles que soient les attachements qui nous retiennent. Car quoi de plus nécessaire, et aussi quoi de plus facile que d’ensevelir son père ? L’accomplissement de ce devoir ne demandait pas grand temps. Par là encore le Seigneur a voulu nous arracher à une multitude de maux, à la douleur, à l’affliction, et à tout ce qui accompagne de semblables accidents. Après les funérailles, en effet, seraient venus les débats sur le testament, le partage de la succession, et ces agitations successives auraient pu l’éloigner considérablement de la vérité. Si votre cœur se soulève encore, rappelez-vous que souvent on laisse ignorer à des malades la mort de leur père, ou de leur fils, ou de leur mère, et qu’on ne leur permet pas de les accompagner jusqu’au lieu de leur sépulture. Loin que ce soit là de la cruauté, c’est la conduite contraire qui mériterait ce reproche. Ce serait un bien plus grand mal de détourner un homme des enseignements spirituels, alors surtout que d’autres pourraient le remplacer pour rendre ces derniers devoirs ; c’est justement ce qui avait lieu ici ; c’est ce qui fait dire au Sauveur : « Laissez les morts ensevelir leurs morts. » — S. Aug. (serm. 7 sur les par. du Seig.) C’est-à-dire : votre père est mort, il y a d’autres morts qui pourront ensevelir leurs morts, car ils sont dans l’infidélité. — Chrys. (hom. 28.) Ces paroles indiquent que celui qui était mort n’était pas un de ses disciples, mais qu’il était du nombre des infidèles. Vous admirez ce jeune homme qui, en présence d’un devoir aussi pressant, vient demander à Jésus ce qu’il faut faire, et ne veut point agir de lui-même ; mais qu’il est bien plus admirable d’avoir obéi à la défense qui lui était faite, non point par un sentiment d’ingratitude ou de négligence, mais pour ne pas interrompre une affaire plus importante ! — S. Hil. D’ailleurs, comme nous avons appris à dire au commencement de l’Oraison dominicale : « Notre Père qui êtes dans les cieux, » et que ce disciple représente tout le peuple croyant, le Seigneur lui rappelle ici qu’il n’y a pour lui qu’un Père qui est dans les cieux (Mt 23, 9), et que les droits que donne ce nom de père ne sont pas laissés au père infidèle à l’égard de son fils devenu fidèle. Il nous apprend encore à ne pas mêler à la mémoire des saints le souvenir de ceux qui sont morts dans l’infidélité, et à regarder comme morts ceux qui vivent en dehors de la vie de Dieu. Que les morts donc ensevelissent leurs morts ; car pour ceux qui sont vivants, ils doivent s’attacher au Dieu vivant par la foi qu’ils ont en lui.

S. Jér. Si donc c’est aux morts à ensevelir les morts, nous devons prendre soin des vivants, et non point des morts, de peur que cette préoccupation pour les morts ne nous fasse ranger nous-mêmes parmi les morts. — S. Grég. (Moral., liv. 4, chap. 25.) On peut dire encore que les morts ensevelissent leurs morts lorsque les pécheurs se montrent favorables aux pécheurs, car en prodiguant les louanges à celui qui pêche, ils enterrent pour ainsi dire ce mort sous le poids de leurs éloges. — Rab. Cette maxime du Sauveur nous apprend aussi qu’il faut quelquefois sacrifier un bien moins important à un bien qui l’est davantage. S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 23.) S. Matthieu raconte ce fait comme étant arrivé après que Jésus eut ordonné à ses disciples de passer sur l’autre bord, tandis que saint Luc le place au moment où ils étaient en chemin ; il n’y a ici aucune contradiction, puisqu’ils étaient en chemin pour arriver au bord de la mer.

 

vv. 23-27.

Orig. Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant fait éclater sur la terre de grands et d’étonnants prodiges, passe sur la mer pour y opérer des miracles plus extraordinaires encore, et se faire ainsi reconnaître partout comme le Seigneur de la terre et de la mer. « Et après qu’il fut monté dans une barque, » dit l’Évangéliste, il fut suivi de ses disciples qui n’étaient plus des disciples faibles, mais fermes et stables dans la foi. En le suivant, ils étaient moins attachés à ses pas qu’à la sainteté de sa vie qui les attirait à lui. — S. Chrys. (hom. 29.) Il prend ses disciples avec lui et les fait monter dans la même barque pour leur apprendre à ne pas s’effrayer au milieu des dangers, et leur enseigner à conserver toujours l’humilité au milieu des honneurs, car il permet qu’ils soient le jouet des flots, afin de prévenir la haute idée qu’ils auraient pu avoir d’eux-mêmes en voyant que Jésus les avait se tenus de préférence aux autres. Lorsqu’il opérait des prodiges éclatants, il permettait à la foule d’en être témoin ; mais lorsqu’il s’agit de se mesurer avec les tentations, avec les craintes, il ne prend avec lui que les athlètes qu’il devait former à combattre contre l’univers entier. — Orig. Après qu’il fut entré dans la barque, il commanda à la mer de s’agiter. « Et voici, dit le texte sacré, qu’une grande tempête s’éleva sur la mer. » Cette tempête ne s’éleva pas d’elle-même, mais elle obéit à la puissance de celui qui commande et qui fait sortir les vents de ses trésors. (Ps 134). La tempête fut grande pour que le miracle le fut également ; plus les flots venaient fondre sur la barque, plus aussi l’effroi bouleversait les disciples, et leur faisait désirer d’être délivrés par la puissance du Sauveur.

S. Chrys. (hom. 29.) Ils avaient été témoins des bienfaits que Jésus répandait si libéralement sur les autres ; mais comme nous ne jugeons pas de la même manière de ce qui se fait dans l’intérêt des autres, et de ce que l’on fait pour nous, Notre-Seigneur voulut les faire jouir de ses bienfaits par une expérience personnelle ; il permit donc cette tempête, pour que leur délivrance leur fît comprendre plus clairement ce qu’il faisait en leur faveur. Or cette tempête était la figure des tentations qu’ils devaient éprouver dans l’avenir, et dont saint Paul a dit : « Je ne veux pas vous laisser ignorer, mes frères, que nous avons été surchargés au-dessus de nos forces. » L’Évangéliste nous dit que Jésus dormait, parce qu’il voulait laisser à la crainte le temps de s’emparer de leur âme. Car si la tempête était survenue pendant qu’il était éveillé, ou ils n’auraient eu aucune crainte, ou ils n’auraient pas imploré son secours, ou ils n’auraient pas cru qu’il pût opérer un semblable miracle.

Orig. Chose étonnante et merveilleuse ! L’Évangéliste nous montre livré au sommeil celui qui ne dort, qui ne sommeille jamais (Ps 120, 4). Son corps dormait, mais la divinité veillait, et il prouvait par là qu’il portait un corps véritable comme le nôtre, et qu’il s’en était revêtu avec toutes ses faiblesses. Il dormait donc extérieurement pour apprendre à ses apôtres à veiller, et nous apprendre à tous à éviter le sommeil de l’âme. La crainte qui les bouleversait était si grande, qu’ils avaient presque perdu la tête, qu’ils se précipitaient près de lui et qu’au lieu de lui parler avec modération et avec douceur, ils le réveillent brusquement. Et ses disciples s’approchèrent, et ils l’éveillèrent en disant : « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons. »

 

S. Jér. Nous voyons une figure de cet événement dans le prophète Jonas, qui, pendant que tous tremblent à la vue du danger, seul est tranquille, et dort si profondément qu’il faut le réveiller. — Orig. Et vous les vrais disciples de Jésus-Christ, vous avez le Seigneur au milieu de vous, et vous craignez le danger ? La vie est avec vous, et la crainte de la mort vous préoccupe ? Peut-être vont-ils répondre : Nous sommes encore faibles, pusillanimes ; c’est pour cela que la crainte s’empare de nous. Aussi Jésus leur dit : « Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? » C’est-à-dire : vous avez été témoins de ma puissance sur la terre, pourquoi doutez-vous que cette puissance s’étende aussi à la mer ? Et quand la mort elle-même viendrait fondre sur vous, ne devriez-vous pas la supporter avec courage ? Celui qui croit faiblement sera repris, celui qui ne croit pas du tout sera condamné. — S. Chrys. (hom. 20.) Dira-t-on que réveiller Jésus ne fut pas chez eux un signe de peu de foi ? Au moins est-ce une preuve qu’ils n’avaient pas de lui une opinion convenable, car ils pensaient qu’il pourrait apaiser la mer étant éveillé, mais que cela lui serait impossible pendant son sommeil. Aussi est-ce pour cela qu’il n’opère pas ce miracle en présence de la foule, pour n’avoir pas à leur reprocher devant elle leur peu de foi ; il les prend seuls avec lui pour leur faire ce reproche et il apaise ensuite les flots soulevés. « Et se levant en même temps, il commanda aux vents et à la mer, et il se fit un grand calme.

 

S. Jér. Cet acte de puissance doit nous faire conclure que toutes les créatures ont le sentiment de leur Créateur, car ceux qui reçoivent un commandement doivent avoir sentiment de celui qui leur commande ; nous ne partageons pas cependant l’erreur des hérétiques qui considèrent tous les êtres comme animés, mais nous disons que la majesté du Créateur rend pour ainsi dire sensibles pour lui les créatures qui demeurent insensibles pour nous. — Orig. Il commanda donc aux vents et à la mer, et à cette grande agitation succéda un grand calme. Il est digne de celui qui est grand de faire de grandes choses, et c’est pour cela qu’après avoir troublé magnifiquement les profondeurs de la mer, il commande qu’un grand calme se fasse, afin que la joie de ses disciples égale la crainte qui les a troublés.

 

S. Chrys. (hom. 29.) Ces paroles nous font voir encore que la tempête a été calmée tout d’un coup et tout entière, sans qu’il restât la moindre trace d’agitation ; chose tout à fait extraordinaire, car lorsque le soulèvement des flots s’apaise selon les lois ordinaires de la nature, ils restent encore longtemps agités, taudis qu’ici toute agitation cesse dans un instant. Ainsi Jésus-Christ accomplit en sa personne ce que le Roi-Prophète avait dit de Dieu le Père : « Il a parlé et la tempête s’est apaisée, » car d’une seule parole et par son seul commandement il a calmé la mer et mis un frein à la fureur des flots. Ceux qui étaient avec lui, à son aspect, à son sommeil, à l’usage qu’il faisait d’une barque, le regardaient seulement comme un homme ; aussi ce miracle les jette dans l’étonnement. Or les hommes furent dans l’admiration, et ils disaient : « Quel est celui-ci ? » etc. — La Glose. Saint Chrysostome traduit ainsi : « Quel est cet homme ? » En effet, à ne considérer que son sommeil et son extérieur, c’était un homme ; mais la mer et le calme qu’il y ramena montraient qu’il était Dieu. Orig. Mais quels sont ces hommes qui furent dans l’admiration ? Ne croyez pas que cette expression désigne les Apôtres, car il n’est jamais parlé d’eux qu’en termes honorables, et ils sont toujours appelés ou apôtres ou disciples. Ceux qui étaient dans l’admiration furent donc ceux qui étaient avec le Sauveur dans la barque, et à qui cette barque appartenait. — S. Jér. Si quelqu’un cependant, par esprit de contradiction, prétend que ce sont les disciples de Jésus qui furent dans l’admiration, nous répondrons que c’est à juste titre que l’Évangéliste leur donne le nom d’hommes, car ils ne connaissaient pas encore la puissance du Sauveur.

Orig. En disant : « Quel est donc celui-ci ? » ils ne font pas une question, mais ils affirment que c’est à cet homme que les vents et la mer obéissent. « Quel est donc celui-ci ? » C’est-à-dire quelle est sa puissance, quelle est sa force, quelle est sa grandeur ? Il commande à toute créature, et elle ne transgresse pas ses ordres ; les hommes seuls lui résistent, et seront pour cela condamnés au jugement.

Dans le sens mystique, nous naviguons tous avec le Seigneur dans la barque de l’Église sur la mer orageuse du monde ; le Seigneur cependant dort d’un sommeil de miséricorde, et attend ainsi notre patience dans les maux et le repentir des pécheurs. S. Hil. (Can. 7 sur S. Matth.) Ou bien il dort, parce que notre propre sommeil l’assoupit au milieu de nous. C’est ce que Dieu permet pour nous faire espérer le secours du ciel au milieu de l’effroi que nous cause le danger, et plût à Dieu qu’une espérance même tardive nous donne l’assurance d’échapper au péril, grâce à la puissance du Christ qui veille au milieu de nous ! — Orig. Approchons-nous donc de lui avec empressement, en lui disant avec le Prophète : « Levez-vous ; pourquoi dormez-vous, Seigneur ? » (Ps 43). Et il commandera lui-même aux vents, c’est-à-dire aux démons qui soulèvent les flots, aux princes de ce monde qui suscitent les persécutions contre les saints, et le Christ fera régner un grand calme autour du corps et de l’esprit, en rendant la paix à l’Église et la tranquillité au monde.

 

Rab. Ou bien encore la mer, ce sont les flots agités du monde, la barque dans laquelle monte Jésus-Christ ; c’est l’arbre de la croix à l’aide duquel les fidèles traversent cette mer du monde et parviennent à la céleste patrie comme à un port assuré. Jésus-Christ monte dans cette barque avec ses disciples, et c’est pour cela qu’il dit plus bas : « Que celui qui veut venir après moi, se renonce lui-même, qu’il porte sa croix et qu’il me suive. » Lorsque le Christ fut attaché à la croix, il se fit une grande agitation, parce que l’âme de ses disciples fut troublée par le spectacle de la passion. La barque fut couverte par les flots, car la violence de la persécution se déchaîna autour de la croix sur laquelle Jésus-Christ succomba. C’est pour cela qu’il est dit : « Et lui cependant dormait. » Son sommeil était la mort. Les disciples éveillent leur Maître, alors que, bouleversés par sa mort, ils font les voeux les plus ardents pour sa résurrection, et lui disent : « Sauvez-nous en ressuscitant, car nous périssons dans le trouble où nous a jetés votre mort. Lorsqu’il ressuscite, il leur reproche la dureté de leur cœur, comme nous le voyons ailleurs. Le Seigneur a commandé aux vents, lorsqu’il a écrasé l’orgueil du démon ; il a commandé à la mer, en dissipant la fureur insensée des Juifs ; et il s’est fait un grand calme, car la frayeur des disciples s’apaisa lorsqu’ils furent témoins de la résurrection de leur Maître. — La Glose. Ou bien encore, la barque c’est l’Église de la terre, dans laquelle le Christ traverse avec les siens la mer de ce monde et apaise les flots des persécutions, digne objet de notre admiration et de notre reconnaissance.

 

vv. 28-34.

S. Chrys. (hom. 29.) Les hommes ne voyaient dans Jésus-Christ que la nature humaine ; les démons vinrent proclamer sa divinité, afin que ceux qui n’avaient point écouté la voix de la mer en fureur et soudain redevenue calme, entendissent la voix des démons ; c’est l’objet des versets suivants : « Jésus étant passé à l’autre bord, dans le pays des Géraséniens, » etc. — Rab. Gérasa est une ville de l’Arabie, située au delà du Jourdain auprès du mont Galaad ; elle était habitée par la tribu de Manassès et n’était pas éloignée du lac de Tibériade, dans lequel les pourceaux furent précipités.

 

S. Aug. (de l’accord des Evang., liv, 2, chap. 24.) Saint Matthieu parle ici de deux possédés, saint Marc et saint Luc ne parlent que d’un seul ; cette différence s’explique en disant qu’il y en avait un des deux plus connu et plus renommé, qui affligeait davantage cette contrée et dont les habitants désiraient plus ardemment la guérison, guérison qui eut aussi plus de retentissement. — S. Chrys. (hom. 29.) Ou bien saint Luc et saint Marc ont choisi le plus furieux pour sujet de leur récit, et ils nous retracent plus en détail ses souffrances. Saint Luc, en effet, dit qu’après avoir brisé ses liens, il était emporté dans le désert, et saint Marc qu’il se meurtrissait lui-même avec des cailloux. Cependant ils ne disent pas qu’il était seul, pour ne pas se mettre en contradiction avec saint Matthieu. Nous voyons ensuite qu’ils sortaient des tombeaux, ce qu’ils faisaient pour accréditer cette erreur pernicieuse que les âmes de ceux qui sont morts deviennent des démons. C’est par suite de cette erreur qu’un grand nombre d’aruspices égorgent des enfants pour associer leur âme à leurs criminelles opérations. C’est pour cela qu’on entend les possédés s’écrier : « Je suis l’âme d’un tel ! » Ce n’est pas l’âme de celui qui est mort qui s’exprime de la sorte, mais le démon qui emprunte sa voix pour tromper ceux qui l’entendent ; car si l’âme d’un mort pouvait entrer dans un corps étranger, à plus forte raison pourrait-elle rentrer dans celui qu’elle animait précédemment. Mais il est contraire à la raison de croire qu’une âme qui souffre des peines injustes prête son concours à celui qui les lui fait souffrir, ou qu’un homme puisse changer un être incorporel en une autre substance, c’est-à-dire une âme en la substance du démon ; car même pour les corps cela est impossible à l’homme, et il ne pourrait par exemple changer le corps d’un homme en celui d’un âne. D’ailleurs serait-il raisonnable de penser qu’une âme séparée de son corps soit comme errante sur la terre ? Les âmes des justes sont dans la maison de Dieu (Sg 3) ; de même aussi les âmes innocentes des enfants. Quant aux âmes des pécheurs, il est certain, d’après l’histoire de Lazare et du mauvais riche, qu’elles sont aussitôt enlevées de ce monde. (Lc 16.) Or comme personne n’osait amener ces possédés à Jésus-Christ, il va lui-même les trouver. L’Évangéliste nous donne une idée de leur fureur en ajoutant : « Ils étaient si furieux que personne n’osait passer, » etc. Mais ces furieux qui empêchaient les autres de passer trouvèrent à leur tour quelqu’un qui leur défendit d’aller plus loin ; ils se sentaient flagellés d’une manière invisible, et la présence seule du Christ leur causait des tourments intolérables, comme nous le voyons par ce qui suit : « Et ils se mirent à pousser des cris, en disant, « etc.

S. Jér. Mais ce n’est pas là cette confession volontaire que Dieu se plaît à récompenser aussitôt, c’est la force de la nécessité qui malgré eux leur extorque cet aveu. Ainsi lorsque des esclaves ont pris la fuite, et que bien longtemps après ils se trouvent en présence de leur maître, ils ne demandent qu’une chose, c’est d’échapper au châtiment qu’ils méritent ; ainsi les démons se trouvant tout à coup devant le Seigneur qu’ils voient descendre sur la terre, croyaient qu’il était venu pour les juger. Quelques auteurs trouvent absurde de dire que les démons connaissaient le Fils de Dieu, tandis que le prince des démons ne le connaissait pas, parce que leur malice est moins grande et qu’ils ne sont que ses satellites. Est-ce que, en effet, toute la science des disciples ne doit pas être rapportée au Maître ?

S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 21.) Dieu ne se fit connaître à eux qu’autant qu’il le voulut, et il ne le voulut qu’autant qu’il le fallait. Il ne se manifesta donc pas à leurs regards comme la vie éternelle et comme cette lumière qui éclaire les âmes pieuses, mais seulement par quelques effets temporels de sa puissance et par quelques-uns de ces signes secrets de sa puissance, qui sont sensibles pour les esprits angéliques, même pour ceux qui sont mauvais, plutôt que pour la faiblesse de notre nature. — S. Jér. Cependant il faut admettre que les démons et le diable lui-même ont soupçonné qu’il était le Fils de Dieu, plus qu’ils ne l’ont connu véritablement. — S. Aug. (quest. sur l’Anc. et le Nouir. Test.) Ce cri que poussent les démons : « Qu’y a-t-il de commun entre vous et nous, Jésus, Fils de Dieu, » est plutôt l’expression d’un soupçon, que d’une connaissance certaine, car s’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient permis que le Dieu de gloire fût crucifié. Remi. Toutes les fois qu’ils étaient tourmentés par les effets de sa puissance, ils croyaient que c’était le Fils de Dieu ; mais lorsqu’ils le voyaient soumis à la faim, à la soif et à d’autres nécessités semblables, le doute rentrait dans leur esprit, et ils le regardaient comme un simple mortel. Remarquons aussi que les Juifs incrédules, qui osaient dire que c’était par Belzébul que le Sauveur chassait les démons, et les Ariens, qui prétendaient que c’était une simple créature, sont condamnés tout à la fois et par le jugement de Dieu et par la confession des démons qui proclament que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. C’est avec raison qu’ils disent : « Qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? » etc. C’est-à-dire il n’y a rien de commun entre notre malice et votre grâce, car, d’après l’Apôtre (2 Co 6), il n’y a point d’union possible entre la lumière et les ténèbres. — S. Chrys. (hom. 20.) Ce qui prouve que cet aveu n’était pas dicté par la flatterie, c’est qu’une douloureuse expérience les force de s’écrier : « Vous êtes venu nous tourmenter avant le temps. — S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 23.) Peut-être regardaient-ils comme soudain ce qu’ils pensaient ne devoir leur arriver que beaucoup plus tard ; peut-être considéraient-ils comme leur perte ce qui allait arriver, d’être dévoilés et couverts de mépris, et cela avant le jour où ils entendraient l’arrêt de leur damnation éternelle. — S. Jér. La présence du Sauveur est elle-même un tourment pour les démons. — S. Chrys. (hom. 29.) Ils ne pouvaient pas dire qu’ils n’avaient commis aucune faute, car Jésus-Christ les avait surpris en flagrant délit, en se faisant un jeu de tourmenter une créature de Dieu. Aussi craignaient-ils qu’en raison de cette multitude de crimes dont ils étaient coupables, il n’attendît pas, pour les punir, la sentence suprême du dernier jugement.

 

S. Aug. (de l’accord des Evang, liv. 2, chap. 24.) Que les paroles des démons aient été rapportées différemment par les Évangélistes, il n’y a point à s’en inquiéter, car on peut ramener toutes ces variantes à une seule pensée, ou bien supposer même que toutes ces paroles ont été dites. On ne doit pas non plus s’étonner que dans saint Matthieu les démons parlent au pluriel, tandis que les autres Évangélistes les font parler au singulier, car ces derniers rapportent que le démon interrogé quel était son nom, répondit qu’il s’appelait légion, parce qu’en effet ils étaient plusieurs démons.

 

« Or il y avait non loin d’eux un nombreux troupeau de pourceaux qui paissaient. » — S. Grég. (Moral. liv, 2, chap. 6.) Le démon sait fort bien qu’il ne peut rien faire par sa propre puissance, puisque ce n’est point de lui même qu’il tient son existence comme esprit. — Remi. Ils ne demandèrent pas à entrer dans d’autres hommes, parce que celui qui les tourmentait paraissait revêtu de la nature humaine. Ils ne demandèrent pas non plus à entrer dans un troupeau de moutons, car ces animaux étaient purs d’après la loi et pouvaient être offerts dans le temple de Dieu. Parmi les animaux immondes, ils choisirent de préférence les pourceaux, parce qu’il n’y a point d’animal plus immonde. Le mot de pourceau en latin est même synonyme de couvert d’ordures, car cet animal se plaît au milieu des immondices. Comme eux aussi les démons se plaisent dans les souillures du péché. Ils ne demandèrent pas à être envoyés dans les régions de l’air, à cause de l’extrême désir qu’ils ont de nuire aux hommes.

 

Et il leur dit : « Allez. » — S. Chrys. (hom. 29.) Ce n’est point à leur persuasion que Notre-Seigneur agit de la sorte, mais pour plusieurs raisons dignes de sa sagesse : d’abord il voulait montrer combien sont malfaisants et pernicieux les démons qui cherchaient à perdre ces hommes ; en second lieu il voulait nous apprendre que sans sa permission ils n’osent rien entreprendre, même contre des pourceaux ; troisièmement il faisait voir par là qu’ils auraient fait endurer à ces hommes un traitement plus cruel qu’aux pourceaux, si la divine providence n’était venue à leur secours dans leur malheur, car les démons ont bien plus de haine contre les hommes que contre les animaux. Nous avons encore ici une preuve évidente que chacun de nous est l’objet des soins de la divine Providence ; elle ne suit pas à l’égard de tous les mêmes voies, elle n’emploie pas les mêmes moyens, et c’est en cela qu’éclate surtout sa sagesse, car la Providence se révèle en procurant à chacun de nous ce qui lui est le plus utile. En outre, nous voyons aussi que non-seulement elle a soin de tous en général, mais de chacun de nous en particulier, et nous en serons convaincus en considérant ce qui serait arrivé à ces possédés qui depuis longtemps auraient été étouffés si la divine Providence n’avait veillé sur eux. Jésus leur permit encore d’envahir ce troupeau de pourceaux, pour rendre sa puissance plus sensible aux habitants de cette contrée. En effet, dans les endroits où il n’était pas encore connu, il faisait des miracles plus éclatants pour attirer les hommes à la connaissance de sa divinité. — S. Jér. Ce n’est donc pas pour accéder à leur demande, qu’il leur dit : « Allez, » mais afin que la mort de ces pourceaux devint une occasion de salut pour les hommes. L’Évangéliste ajoute : « Et étant sortis (c’est-à-dire des possédés), ils entrèrent dans ces pourceaux, et aussitôt tout le troupeau courut avec impétuosité se précipiter dans la mer, et ils moururent dans les eaux. » Que le manichéen rougisse ici de son opinion ! Si les âmes des hommes et celles des bêtes ont une même substance et une même origine, comment deux mille porcs ont-ils été sacrifiés pour sauver un ou peut-être deux hommes ?

S. Chrys. (hom. 29.) Les démons firent périr ces pourceaux, parce qu’ils n’ont point d’autre occupation que de jeter les hommes dans la tristesse et de se réjouir de leurs pertes. La grandeur du dommage augmentait la renommée de ce prodige. Bien des personnes allaient le rendre public, ceux qui avaient été guéris, ceux à qui les pourceaux appartenaient, et leurs gardiens ; c’est ce que nous lisons dans la suite du récit : « Ceux qui les gardaient s’enfuirent, et étant venus à la ville, ils racontèrent tout ceci, et ce qui était arrivé aux possédés des mauvais esprits, et aussitôt toute la ville sortit au devant de Jésus. » Mais alors qu’ils auraient dû l’adorer et admirer sa puissance, ils le renvoient loin d’eux. « Et l’ayant vu, ils le priaient de se retirer des confins de leur pays. » Remarquez la douceur de Jésus-Christ après le miracle de sa puissance. Ces hommes qu’il vient de combler de ses bienfaits le chassent loin d’eux ; il ne résiste pas et il abandonne ceux qui se jugent indignes de ses divines leçons, leur laissant pour docteurs ceux qu’il vient de délivrer de la possession des démons, et les gardiens des pourceaux. — S. Jér. Ou bien on peut dire que ce n’est point par un sentiment d’orgueil, mais d’humilité, qu’ils prient Jésus de s’éloigner de leur contrée. Ils se jugent indignes de la présence de Dieu, à l’exemple de Pierre, qui disait : « Seigneur, retirez-vous de moi, car je suis un homme pécheur. »

 

Rab. Le mot Gerasa signifie celui qui repousse son habitant, ou bien l’étranger qui approche, c’est-à-dire la gentilité qui repousse loin d’elle le démon, et qui d’abord éloignée du Christ s’approche de lui lorsqu’après sa résurrection il la visite par ses Apôtres. — S. Amb. (Liv. 6 sur saint Luc, chap. 18.) Ces deux possédés du démon sont aussi la figure des païens, car Noé ayant eu trois enfants, Sem, Cham et Japhet, et la famille de Sem ayant seule formé le peuple de Dieu, ses deux frères sont comme la souche de la multitude des nations païennes. — S. Hil. (can. 8 sur S. Matthieu.) Voilà pourquoi les démons retenaient ces deux possédés hors de la ville, hors de la synagogue, de la loi et des prophètes ; en effet, les origines de ces deux nations étaient comme situées au milieu des demeures des défunts et des cadavres des morts, rendant le chemin de la vie présente dangereux à tous ceux qui le traversent. — Rab. Ce n’est pas sans raison que l’Évangéliste nous fait remarquer que ces deux possédés habitaient dans les tombeaux. Que sont en effet, les corps de ceux qui sont infidèles à leur Dieu, si ce n’est des tombeaux où est renfermée non pas la parole de Dieu, mais l’âme que les péchés ont mise à mort ? L’auteur sacré ajoute que personne ne pouvait passer par le chemin, parce qu’avant l’avènement du Sauveur la gentilité était en marche et dans le chemin. Ou bien encore, ces deux hommes représentent les Juifs et les païens qui n’habitaient plus dans leur maison, c’est-à-dire qui ne trouvaient plus de repos dans leur conscience, mais qui demeuraient dans des tombeaux, c’est-à-dire dans des oeuvres mortes, et personne ne pouvait plus passer par le chemin de la foi, que les attaques des Juifs rendaient impraticable.

 

S. Hil. (can. 8.) Ceux qui viennent au devant de Jésus figurent le concours de ceux qui se portent volontairement au devant du salut. Quant aux démons, voyant qu’ils ne peuvent plus demeurer au milieu des Gentils, ils demandent avec instance qu’on leur laisse habiter le cœur des hérétiques, et à peine s’en sont-ils emparés, que par 1’instinct qui leur est naturel, ils les précipitent dans la mer, c’est-à-dire dans les passions du monde, pour les y faire périr avec les restes de l’incrédulité. — Bède. Ou bien, les pourceaux sont ceux qui mettent leur jouissance dans la fange du vice, car le démon n’a de pouvoir sur personne à moins qu’il ne vive de la vie des pourceaux ou s’il a quelque pouvoir, ce n’est point celui de perdre, mais d’éprouver. Ces pourceaux qui ont été précipités dans le lac sont une figure de ceux qui après que les Gentils ont été délivrés de la tyrannie des démons, ont refusé de croire en Jésus-Christ et pratiquent dans des lieux retirés leurs rites sacrilèges, aveuglés qu’ils sont et comme submergés dans les abîmes de leur curiosité. Ces gardiens des pourceaux qui s’enfuient tout en annonçant ce prodige figurent ces princes des impies qui, tout en ne voulant point se soumettre à la loi chrétienne, ne cessent cependant de célébrer avec admiration la puissance de Jésus-Christ. Ceux qui frappés d’une grande crainte, prient le Sauveur de s’éloigner, représentent la multitude retenue par la fausse douceur de ses anciennes habitudes, qui ne veut point rendre honneur à la loi chrétienne, en disant qu’il lui est impossible de l’accomplir.

S. Hil. Ou bien encore, cette ville est une figure du peuple juif ; elle entend parler des oeuvres du Christ, et va au devant de son Seigneur, mais c’est pour lui défendre d’entrer sur les confins de son territoire et dans ses murs, car les partisans de la loi n’ont point voulu recevoir la prédication de l’Évangile.

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE IX

 

vv. 1-8

S. Chrys. (hom. 30, sur S. Matth.) Notre-Seigneur Jésus-Christ a montré précédemment sa puissance par sa doctrine, lorsqu’il enseignait comme ayant autorité ; dans la guérison du lépreux qu’il guérit par ces seules paroles : « Je le veux, soyez guéri ; » dans la personne du centurion qui lui dit : « Seigneur, dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri ; » sur la mer, dont il a enchaîné d’un seul mot la fureur, et sur les démons qui ont confessé sa divinité. Ici par une nouvelle et plus grande manifestation de sa puissance, il force ses ennemis de reconnaître qu’il est l’égal de son Père en dignité. C’est ce que nous lisons dans le passage suivant : « Et Jésus, étant monté dans une barque, traversa la mer, et vint en sa ville. » C’est dans une barque qu’il traverse le lac, bien qu’il pût le traverser à pied ; mais il ne voulait pas faire continuellement des miracles pour ne pas détruire la divine économie de son incarnation. — Jean, évêque. Le Créateur de toutes choses, le Maître de l’univers ayant résolu de se resserrer pour nous dans les limites étroites de la chair, voulut avoir une patrie sur la terre, être citoyen d’une ville juive ; lui de qui vient toute paternité, toute parenté, voulut avoir ici-bas des parents, afin d’attirer à lui par l’amour ceux que la crainte en avait éloignés.

 

S. Chrys. (hom. 30.) L’Évangéliste appelle Capharnaüm la ville du Sauveur ; car il y avait la ville où il était né, qui était Bethléem ; celle où s’étaient écoulées ses premières années, Nazareth, et la ville dont il fit ensuite son séjour ordinaire, c’est-à-dire Capharnaüm. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 25.) Il serait plus difficile de concilier saint Matthieu avec saint Marc, si saint Matthieu donnait le nom de Nazareth à la ville que saint Marc appelle Capharnaüm, et que saint Matthieu appelle simplement la cité du Seigneur. On conçoit très bien, au contraire, que de même que l’empire romain, composé de contrées si diverses est quelquefois désigné par le nom de cité romaine ; ainsi la Galilée a pu être appelée la cité du Christ, parce que Nazareth en faisait partie. Par la même raison, Notre-Seigneur Jésus-Christ étant venu dans la Galilée, l’Évangéliste a fort bien pu dire qu’il était venu dans sa ville, quelle que fût la cité de la Galilée où il se trouvât, d’autant plus que Capharnaüm était de beaucoup la ville la plus célèbre de cette région et en était considérée comme la métropole. — S. Jér. Ou bien il ne faut entendre par la ville du Christ que la ville de Nazareth, d’où lui est venu le nom de Nazaréen. — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 25.) D’après cette explication, il faut admettre que saint Matthieu a omis tout ce que Jésus a fait lorsqu’il fut venu dans sa ville, jusqu’à son arrivée à Capharnaüm, et qu’il a placé ici la guérison du paralytique. C’est ce que font souvent les Évangélistes : ils omettent les faits intermédiaires et ils donnent comme faisant suite à ce qui précède le fait qu’ils racontent immédiatement, sans marquer la transition. C’est ainsi que l’Évangéliste nous dit ici : « Et on lui présentait un paralytique couché sur un lit. »

 

S. Chrys. (hom. 30.) Ce paralytique n’est pas celui dont parle saint Jean (Jn 5) ; car celui-là était étendu dans la piscine, celui-ci se trouvait à Capharnaüm. Le premier n’avait personne pour le servir ; le second recevait les soins de plusieurs personnes qui l’apportèrent aux pieds de Jésus. — S. Jér. On le lui présenta sur un lit, car il était impossible à cet homme de marcher. — S. Chrys. (hom. 30.) Jésus n’exige pas toujours la foi des malades qui demandent leur guérison, par exemple, lorsqu’ils ont perdu la raison, ou que leur âme est absorbée par l’excès de la douleur ; c’est pour cela que 1’Évangéliste ajoute : « Or, Jésus voyant leur foi, » etc. — S. Jér. Non pas la foi du paralytique qu’on lui présentait, mais la foi de ceux qui le lui présentaient. — S. Chrys. (hom. 30.) Pour récompenser cette foi si grande, il fait éclater lui-même sa puissance, et par la plénitude de son pouvoir il remet les péchés au paralytique en lui disant : « Ayez confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis. » — S. Jean, évêque. Quel prix n’a pas auprès de Dieu la foi personnelle, puisqu’une foi étrangère en a eu un si grand à ses yeux qu’il accorde à cet homme la guérison de son âme et de son corps ? Le paralytique entend le pardon qui lui est accordé, et il se tait, aucune parole de reconnaissance ; la guérison de son corps le préoccupait beaucoup plus que celle de son âme. C’est donc avec raison que Jésus-Christ considéra la foi de ceux qui le portaient plutôt que l’insensibilité du paralytique lui-même. — S. Chrys. (hom. 30.) On peut dire aussi que la foi de cet homme était grande, car s’il n’avait pas eu la foi, il n’aurait jamais permis qu’on le descendit par le toit, comme le rapporte un autre Évangéliste. (Mc 2 ; Lc 5.)

 

S. Jér. Admirable humilité ! Jésus appelle son fils un homme délaissé, infirme, anéanti dans tous ses membres, et que les prêtres dédaignent de toucher. Il peut encore l’appeler justement son fils, parce qu’il lui a remis ses péchés. Nous pouvons apprendre par là que presque toutes les maladies sont la suite des péchés ; et si Jésus commence par remettre les péchés à cet homme, c’est afin que la santé lui soit plus facilement rendue lorsqu’il aura fait disparaître les causes de la maladie.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Les scribes, en cherchant à diffamer le Sauveur, ne firent, contre leur volonté, que mettre dans un plus grand jour le miracle qu’il avait opéré, car Jésus se servit de leur jalousie pour le rendre plus éclatant ; c’est là, en effet, un des traits de cette inépuisable sagesse, de faire servir la malice de ses ennemis à la manifestation de ses prodiges. C’est ce que l’Évangéliste rapporte en ces termes : « Et voilà que quelques scribes dirent en eux-mêmes : Cet homme blasphème. » — S. Jér. Nous lisons dans le Prophète (Is 43, 25) : « C’est moi qui efface toutes vos iniquités. » D’après ces paroles, les scribes, qui ne voyaient dans Jésus qu’un homme, et qui ne comprenaient pas la portée des oracles divins, l’accusent de blasphème. Mais le Seigneur, en dévoilant leurs pensées, leur prouve qu’il est le Dieu qui seul peut connaître le secret des cœurs, et son silence semble leur dire : En vertu de la même puissance qui me fait pénétrer vos pensées, je puis remettre aux hommes leurs péchés ; comprenez par vous-mêmes ce que je puis faire pour ce paralytique. C’est ce que signifient ces paroles : « Et Jésus ayant vu leurs pensées, leur dit : Pourquoi pensez-vous du mal dans vos cœurs ? » — S. Chrys. (hom. 30.) Jésus ne détruisit pas le soupçon qu’ils avaient, que c’était comme Dieu qu’il disait : « Vos péchés vous sont remis. » S’il n’était pas l’égal de Dieu son Père, il devait dire : Je suis loin d’avoir la puissance de remettre les péchés. Loin de là, il établit le contraire et par ses paroles, et par le prodige qu’il opère. Il ajoute donc : « Qu’est-il plus facile de dire : Vos péchés vous sont remis, ou de dire : Levez-vous et marchez ? » Plus l’âme est supérieure au corps, plus aussi la guérison de l’âme par la rémission des péchés, l’emporte sur la guérison du corps. Mais ce dernier prodige étant visible, tandis que le premier ne l’est pas, Jésus l’opère quoiqu’il soit moindre, pour rendre certain le premier qui est moins évident.

S. Jér. Celui-là seul qui remettait les péchés savait s’ils étaient remis au paralytique. Mais quant à l’effet de ces paroles : « Levez-vous et marchez, » chacun pouvait en juger, celui qui se levait comme ceux qui le voyaient. Quoiqu’il appartienne à la même puissance de guérir les infirmités du corps et de l’âme ; il y a cependant une grande différence entre dire et faire. Le Sauveur fait donc un miracle extérieur comme preuve de celui qu’il opère à l’intérieur. « Or, ajoute-t-il, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre ce pouvoir de remettre les péchés. » — S. Chrys. (hom. 30.) Il ne dit pas tout d’abord au paralytique : « Je vous remets vos péchés ; » mais « Vos péchés vous sont remis. » Or, comme les scribes se récriaient, il leur révèle qu’il a une puissance plus élevée, et leur déclare « que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés ; » et comme preuve qu’il est égal à son Père, il ne dit pas que le Fils de l’homme a besoin d’un secours étranger pour remettre les péchés, mais qu’il a lui-même ce pouvoir.

La Glose. Ces paroles : « Afin que vous sachiez » peuvent avoir été dites par Jésus-Christ, ou n’être qu’une réflexion de l’Évangéliste, comme s’il disait : « Ils doutaient qu’il pût remettre les péchés ; mais afin que vous sachiez bien que le Fils de l’homme a ce pouvoir, il dit au paralytique, » etc. Si au contraire on suppose ces paroles dans la bouche du Sauveur, voici le sens qu’on peut leur donner : « Vous doutez que je puisse remettre les péchés, mais afin que vous sachiez que le Fils de l’homme, » etc. La construction grammaticale de la phrase n’est point parfaite ; mais l’Évangéliste remplace ce qui devait suivre immédiatement et qu’il sous-entend par l’acte même que Jésus accomplit. Il dit au paralytique : « Levez-vous et emportez votre lit. » — Jean, évêque. Afin que ce qui a été la preuve de sa maladie devienne un témoignage de sa guérison. « Et allez dans votre maison. » Vous, guéri par la foi au Christ, ne restez pas davantage au milieu de la perfidie des Juifs. — S. Chrys. (hom. 30.) Jésus lui donne cet ordre afin que l’on ne prenne pas pour une simple apparence la guérison qu’il vient d’opérer, et c’est pour en démontrer la vérité que l’Évangéliste dit : « Il se leva et il alla dans sa maison. » Et cependant ceux qui en furent témoins se traînent encore dans des idées tout humaines. « Et le peuple voyant cela, » etc. Si leurs pensées avaient été justes et droites, est-ce qu’ils n’auraient pas dû reconnaître que Jésus était le Fils de Dieu ? Toutefois c’était déjà quelque chose que de le regarder comme supérieur à tous les hommes, et comme l’envoyé de Dieu.

 

S. Hil. Il y a une signification mystérieuse dans la conduite de Jésus revenant dans sa ville, après avoir été rejeté par la Judée. La cité de Dieu, c’est le peuple fidèle ; Jésus-Christ y est entré porté par une barque, c’est-à-dire par son Église. — Jean, évêque. Il n’a pas besoin de cette barque, mais la barque a besoin de Jésus-Christ, car jamais, sans la direction qui vient du Ciel, le vaisseau de l’Église ne pourrait traverser la mer du monde et arriver au port de l’éternité. — S. Hil. La personne du paralytique est la figure de l’universalité des nations dont on demande la guérison ; ce paralytique est présenté au médecin par le ministère des anges, parce qu’il est l’oeuvre de Dieu ; il lui remet les péchés dont la loi ne pouvait le délivrer, parce que la foi seule justifie le pécheur. Il est une preuve des merveilleux effets de la résurrection, car en emportant son lit il nous apprend que notre corps sera un jour affranchi de toute infirmité. — S. Jér. Dans le sens tropologique, on peut voir ici l’image d’une âme qui vit sans force au milieu de son corps, après avoir perdu toutes ses vertus, et que l’on présente au Seigneur, le docteur consommé, pour être guérie. Tout homme atteint de cette maladie doit intéresser à son état ceux qui peuvent demander à Dieu sa guérison, et à l’aide de la doctrine céleste rendre la force à ses pas chancelants. Souffrons donc que les conseillers de notre âme l’élèvent vers les choses supérieures, malgré la langueur où la retient la faiblesse de son corps mortel. — Jean, évêque. Le Seigneur sur cette terre ne s’inquiète pas du désir des insensés, mais il a égard à la foi d’autrui ; c’est ainsi que le médecin ne s’arrête point à la volonté des malades, lorsqu’ils demandent des choses qui leur sont contraires.

Rab. Se lever, c’est arracher son âme aux désirs de la chair ; enlever son lit, c’est élever son corps des désirs de la terre jusqu’aux aspirations de l’esprit ; aller dans sa maison, c’est retourner au paradis, ou a la garde intérieure de soi-même, pour ne plus retomber dans le péché. — S. Grég. (Moral. 23, 15.) Ou bien par le lit on peut entendre les voluptés sensuelles ; on ordonne à celui qui a recouvré la santé de porter ce lit où il était couché pendant sa maladie ; car tout homme qui trouve encore son plaisir dans le vice, est comme étendu sans force au milieu des voluptés de la chair. Mais lorsqu’il est guéri, il porte ce lit, parce qu’il supporte les assauts de cette même chair, au lieu de se reposer comme auparavant dans ses désirs coupables. — S. Hil. (can. 8 sur S. Matth.) La foule, à la vue de ce miracle, fut saisie de crainte ; en effet, c’est un grand sujet d’effroi de tomber entre les mains de la mort avant que Jésus-Christ nous ait pardonné nos péchés, car sans ce pardon il n’y a point de retour possible dans notre éternelle demeure. Lorsque cette crainte vient à cesser, on rend gloire à Dieu de ce que par le moyen de son Verbe il a donné aux hommes le pouvoir de remettre les péchés, de ressusciter les corps et de rouvrir les portes du ciel.

 

vv. 9-13

S. Chrys. (hom. 31.) Après avoir opéré ce miracle, Jésus ne crut pas devoir demeurer dans ce même endroit, pour ne pas donner un nouvel aliment à la jalousie des pharisiens. Imitons nous-mêmes cet exemple, et n’opposons pas de résistance obstinée à ceux qui nous dressent des embûches. C’est pour cela que l’écrivain sacré ajoute : « Et Jésus partant de là (du lieu où il avait fait le miracle) vit un homme assis au bureau des impôts et qu’on appelait Matthieu. » — S. Jér. Les autres Évangélistes n’ont pas voulu, par honneur et par respect pour lui, l’appeler du nom connu de Matthieu ; ils l’ont appelé Lévi, car il portait ces deux noms. Mais quant à lui il met en pratique cette maxime de Salomon : « Le juste est son propre accusateur » (Pv 18, 17), et se fait connaître sous le nom de Matthieu comme publicain ; il apprend ainsi à ceux qui liront son Évangile, que nul ne doit désespérer de son salut, s’il veut rentrer dans les sentiers de la vertu, puisque lui-même a été changé en un instant de publicain en apôtre. La Glose. Il était assis au bureau des impôts, c’est-à-dire dans une de ces maisons où l’on percevait les impôts ; car le nom qui lui est donné (teloniarius), receveur des impôts, vient du mot grec τελος, qui signifie impôt.

S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) Ce qui fait éclater encore davantage la puissance de celui qui l’appelle, c’est qu’il n’attend pas que Matthieu abandonne cette profession pleine de dangers, il l’arrache aux maux qui l’environnaient, comme Paul encore dans la fougue de ses égarements. (Ac 9.) Et il lui dit « Suivez-moi. » Vous avez vu la puissance de Dieu qui l’appelle, admirez aussi l’obéissance de celui qui est appelé. Il n’oppose aucune résistance ; il ne demande pas d’aller chez lui pour faire part de son dessein à sa famille. Remι. Il compte même pour rien le danger qu’il courait de la part de ses chefs, en quittant son emploi sans avoir réglé ses comptes. « Et se levant, il le suivit. » Il a sacrifié les gains d’une profession tout humaine ; par une juste compensation, il est devenu le dispensateur des talents du Seigneur.

S. Jér. Porphyre et l’empereur Julien accusent ici, ou l’Évangéliste d’avoir menti avec peu d’habileté, ou les disciples d’avoir suivi tout aussitôt le Sauveur sans aucune réflexion, comme s’ils s’étaient rangés contre toute raison sous la conduite du premier venu qui les appelait à le suivre. Mais au contraire, n’est-il pas certain que les Apôtres avant de croire avaient été les témoins des plus grands miracles et des plus grands prodiges ? Est-ce que d’ailleurs l’éclat et la majesté de la divinité qui, toute cachée qu’elle était, resplendissait sur la figure du Sauveur, ne suffisaient pas pour attirer à lui au premier abord ceux qui le voyaient ? Car si la pierre d’aimant a, dit-on, la force d’attirer à elle le fer, quelle puissance bien plus grande n’avait pas le Seigneur de toutes les créatures pour attirer à lui tous ceux qu’il voulait.

 

S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) Mais pourquoi Jésus-Christ ne l’a-t-il pas appelé en même temps que Pierre, Jean et les autres apôtres ? C’est qu’alors ses dispositions étaient encore imparfaites, et celui qui voit le fond des cœurs voulut attendre que ses nombreux miracles et l’éclat de sa réputation lui eussent rendu l’obéissance plus facile. — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 26.) Ou bien il paraît plus probable que saint Matthieu, on parlant ici de sa vocation, rappelle un fait qu’il avait omis précédemment ; car on doit admettre qu’elle précéda le sermon sur la montagne, puisque saint Luc (Lc 6) y fait mention des douze élus auxquels il donne le nom d’apôtres. La Glose. Saint Matthieu place sa vocation parmi les miracles ; ce fut en effet un grand miracle qu’un publicain devenu apôtre. — S. Chrys. (hom. 31.) Mais pourquoi donc, à l’exception de Pierre, d’André, de Jacques, de Jean et de Matthieu, ne savons-nous pas comment et à quelle époque eut lieu la vocation des autres apôtres ? C’est que ceux que nous venons de nommer appartenaient surtout à des professions basses et obscures ; car il n’y avait rien de moins honorable alors que la profession d’un receveur d’impôts ou le métier de pêcheur.

La Glose. Matthieu voulant témoigner à Jésus-Christ sa digne reconnaissance pour le céleste bienfait de sa vocation, lui prépare un grand repas dans sa maison ; et il offre ainsi les biens de la terre à celui dont il attendait les biens de l’éternité. « Et il arriva, nous dit-il, que comme Jésus était à table dans la maison. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Matthieu n’explique pas ici chez qui Jésus était à table ; on pourrait donc supposer que ce fait ne suit pas immédiatement celui qui précède, mais qu’il s’est passé antérieurement, et que saint Matthieu ne le raconte ici que suivant l’ordre de ses souvenirs, si d’ailleurs saint Marc et saint Luc ne nous apprenaient que c’est dans la maison de Lévi ou de Matthieu que Jésus s’est mis à table. — S. Chrys. (hom. 31.) Matthieu, honoré de ce que Jésus-Christ daignait entrer dans sa maison, invita avec lui tous les publicains qui étaient de la même profession. « Et voici, nous dit-il, que beaucoup de publicains, » etc. — La Glose. On appelle publicains ceux dont la vie se passe au milieu des embarras des affaires publiques, que l’on ne peut jamais ou presque jamais manier sans péché. Et ce fut là un magnifique présage, de voir celui qui devait être l’apôtre et le docteur des nations, dès le premier moment de sa conversion, attirer après lui dans les voies du salut la foule des pécheurs et former déjà par son exemple à la perfection ceux qu’il devait y conduire par sa parole. — S. Jér. Tertullien prétend que ces publicains étaient des païens, et il appuie son sentiment sur cette parole de l’Écriture : « Il n’y aura point d’impôt en Israël, » comme si saint Matthieu lui-même n’eût pas été juif. Ajoutons que le Seigneur ne mangeait pas avec les païens ; car il évitait avec le plus grand soin de paraître détruire la loi, lui qui avait dit à ses disciples : « N’allez pas dans la voie des nations. » Or ces publicains, voyant un des leurs se convertir du péché à la justice, et obtenir ainsi la grâce du repentir, ne désespèrent plus eux-mêmes de leur salut. S. Chrys. (hom. 31.) Ils s’approchèrent donc de notre Rédempteur, et ils furent admis non-seulement à lui parler, mais encore à manger avec lui. — Ce n’était pas seulement en discutant avec ses ennemis, en guérissant leurs malades, ou en les reprenant de leur malice, mais en mangeant avec eux qu’il ramenait bien souvent ceux qui étaient mal disposés à son égard. Il nous apprenait ainsi que chacun des instants comme chacune des actions de notre vie peut être pour nous l’occasion d’immenses avantages. Or, les pharisiens à cette vue furent indignés, et c’est d’eux que l’Évangéliste ajoute : « Ce que voyant les pharisiens, ils dirent à ses disciples : Pourquoi votre Maître mange-t-il avec des publicains ? » etc. Il est à remarquer que lorsqu’ils croient surprendre les disciples en faute, ils s’adressent à Jésus-Christ. « Voyez, lui disent-ils, vos disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire le jour du sabbat. » Ici c’est auprès des disciples qu’ils accusent le Maître. Toute cette conduite témoignait de leur malice et du désir qu’ils avaient de séparer du Maître le cœur de ses disciples. — Rab. Ils étaient sous le coup d’une double erreur : premièrement ils se croyaient justes, eux que leur orgueil plein de faste tenait si loin de la justice ; en second lieu, ils regardaient comme coupables ceux qui renonçaient à leur vie criminelle et se rapprochaient de la vertu.

S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Luc paraît raconter le même fait en termes tant soit peu différents. D’après son récit, les pharisiens disent aux disciples : « Pourquoi mangez-vous avec les publicains et avec les pécheurs ? » faisant ainsi tomber à la fois ce reproche sur Jésus-Christ et sur ses disciples. Mais en adressant ce reproche aux disciples, ne l’adressent-ils pas au Maître lui-même, dont les Apôtres faisaient profession de suivre les exemples ? La pensée est donc la même, et elle est d’autant plus certaine qu’elle est exprimée en termes différents, avec le même fond de vérité. — S. Jér. Ceux qui viennent à Jésus ne persévèrent pas dans leurs habitudes criminelles, comme le disent en murmurant les scribes et les pharisiens ; mais ils sont conduits par le repentir comme le Seigneur le fait connaître par ces paroles : « Mais Jésus les ayant entendus leur dit : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin, » etc. — Rabanus. Jésus se déclare médecin, lui qui par un traitement vraiment admirable a voulu être blessé pour nos péchés, afin de guérir les blessures de nos iniquités. Il appelle bien portants ceux qui, voulant établir leur propre justice, ne sont pas soumis à la véritable justice de Dieu. (Rm 10.) Il donne le nom de malades à ceux qui, vaincus par le sentiment de leur propre fragilité, et qui persuadés d’ailleurs que la loi est impuissante pour les justifier, se soumettent à la grâce de Dieu par le repentir.

 

S. Chrys. (hom. 31.) Après avoir raisonné avec eux en suivant les principes ordinaires de la raison, il leur cite l’Écriture, et leur dit : « Allez et apprenez ce que veut dire cette parole : Je veux la miséricorde et non pas le sacrifice (Os 6, 6). » — S. Jér. Il emprunte ce témoignage aux prophètes, pour condamner la sévérité des scribes et des pharisiens qui, se regardant comme justes, évitaient tout contact avec les pécheurs et les publicains. — S. Chrys. (hom. 31.) C’est comme s’il leur disait : Pourquoi me faites-vous un crime de convertir les pécheurs ? Mais alors accusez Dieu le Père lui-même. Car je désire la conversion des pécheurs comme il la désire. C’est ainsi qu’il leur démontre que non-seulement la loi ne défend pas ce qu’ils lui reprochaient, mais qu’elle place même sa manière d’agir au-dessus du sacrifice. Car il ne dit pas : Je veux la miséricorde et le sacrifice ; mais il fait un précepte de la miséricorde, en excluant le sacrifice.

La Glose. Ce n’est pas cependant que Dieu rejette le sacrifice séparé de la miséricorde ; mais il condamne ici la conduite des pharisiens qui offraient de fréquents sacrifices dans le temple pour paraître justes aux yeux du peuple, sans pratiquer les oeuvres de miséricorde, qui sont la preuve de la véritable justice. — Rab. Il leur enseigne donc à mériter par des oeuvres de miséricorde les récompenses de la miséricorde divine, et à ne pas se flatter que leurs sacrifices seront agréables à Dieu, s’ils y joignent le mépris des besoins du pauvre. C’est pourquoi il ajoute : « Allez, » c’est-à-dire quittez ces sentiments de blâme aussi téméraire qu’insensé, et qui font ressortir davantage la miséricorde. Il termine en se proposant lui-même comme exemple de la miséricorde qu’ils doivent pratiquer. « Car je ne suis pas venu, dit-il, pour appeler les justes, mais les pêcheurs. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Luc ajoute : « A la pénitence, » ce qui explique clairement la pensée du Sauveur, afin que personne ne croie qu’il aime les pécheurs en tant que pécheurs. D’ailleurs cette comparaison avec les malades nous fait bien connaître les desseins de Dieu ; il recherche les pécheurs comme un médecin recherche les malades, pour les délivrer de leurs iniquités, qui sont une véritable maladie, ce qui ne peut se faire que par la pénitence.

S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) Est-ce que le Christ n’était pas venu pour tous les hommes ? Comment donc peut-il dire qu’il n’est pas venu pour les justes ? Il était donc des hommes pour qui sa venue n’était pas nécessaire ? Non, mais c’est que personne n’est juste par la loi ; Jésus montre donc le néant de cette prétention à la justice, car les sacrifices de l’ancienne loi étant impuissants pour la justification, tous ceux qui vivaient sous la loi avaient besoin de la miséricorde. — S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) C’est ce qui nous ferait croire à une ironie de la part de Jésus-Christ comme dans ces autres paroles de Dieu : « Voici qu’Adam est devenu comme un de nous, » car S. Paul nous déclare positivement que personne n’est juste sur la terre : « Tous ont péché, dit-il, et ont besoin de la gloire de Dieu. » (Rm 3) Par là même aussi, il calme les inquiétudes de ceux qui étaient appelés, en leur disant : « Je suis si loin d’avoir en horreur les pécheurs, que ce n’est que pour eux que je suis venu. » — Rab. Ou bien c’est parce que ceux qui étaient justes (comme Nathanaël et Jean-Baptiste) n’avaient pas besoin qu’on les appelât à la pénitence. Ou bien encore, je ne suis pas venu appeler les faux justes qui, comme les pharisiens, se glorifient de leur justice, mais ceux qui se reconnaissent pécheurs. La vocation de saint Matthieu et celle des publicains représente la vocation des Gentils qui soupiraient avec ardeur après les richesses de la terre, et qui maintenant réparent leurs forces dans la compagnie du Seigneur. L’orgueil des pharisiens est la figure de la jalousie des Juifs à la vue de la conversion des Gentils. Ou bien Matthieu signifie l’homme qui poursuit avidement les biens de la terre, et que Jésus regarde, lorsqu’il jette sur lui les yeux de la miséricorde. Le nom de Matthieu signifie donné ; celui de Lévi, choisi, car le pénitent est choisi du milieu de la masse de ceux qui se perdent et il est donné à l’Église par la grâce de Dieu. Et Jésus lui dit : « Suivez-moi. » Jésus donne cet ordre au pêcheur, ou par la prédication, ou par la voix des Écritures, ou par une inspiration intérieure.

 

vv. 14-17

La Glose. A peine Notre-Seigneur s’est justifié de fréquenter les pécheurs et de participer à leurs repas qu’on l’attaque sur l’action de manger elle-même. « Alors, dit l’Évangéliste, les disciples de Jean vinrent le trouver, et lui dirent : Pourquoi les Pharisiens et nous, jeûnons-nous ? » etc. S. Jér. Question pleine d’orgueil, et coupable vanité du jeûne ! Les disciples de Jean étaient inexcusables de s’être joints aux pharisiens que leur Maître avait si hautement condamnés, ils le savaient bien, et qui calomniaient celui qu’il avait annoncé. — S. Chrys. (hom. 31.) Cette question revient à dire : « Soit, vous agissez de la sorte comme médecin ; mais pourquoi vos disciples, laissant là le jeûne, vont-ils s’asseoir à de pareilles tables ? » Pour rendre l’accusation plus forte par la comparaison, ils se mettent en regard, eux d’abord, et puis les pharisiens. Car ces derniers jeûnaient pour obéir à la loi, comme ce pharisien qui disait : « Je jeûne deux fois dans la semaine, » et les disciples de Jean, d’après la recommandation de leur Maître. — Rab. Car Jean ne but ni vin, ni rien de ce qui peut enivrer, et le mérite de son abstinence est d’autant plus grand, qu’il n’avait aucune puissance sur la nature. Mais quant au Seigneur qui peut remettre les péchés, pourquoi s’abstiendrait-il de manger avec les pécheurs, puisqu’il peut les rendre plus justes que ceux qui font profession d’abstinence. Jésus-Christ jeûne pour vous apprendre à ne pas éluder le précepte du jeûne, et il mange avec les pécheurs, pour vous faire comprendre sa puissance et l’efficacité de sa grâce.

S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Matthieu attribue cette question aux disciples de Jean ; le récit de saint Marc, au contraire (Mc 2), semblerait indiquer qu’elle fut faite par d’autres, c’est-à-dire par les convives, objectant l’exemple des disciples de Jean et des pharisiens ; ce que saint Luc (Lc 5) raconte en termes plus exprès. Si donc saint Matthieu s’exprime ainsi : « Alors les disciples de Jean s’approchèrent, » etc., c’est que ces disciples étaient présents, et que tous à l’envi faisaient autant qu’ils le pouvaient, cette objection. — S. Chrys. (hom. 31.) Ou bien, si saint Luc place cette question dans la bouche des pharisiens, tandis que saint Matthieu l’attribue aux disciples de Jean-Baptiste, c’est que les pharisiens les avaient poussés à faire cette question, comme ils firent encore plus tard à l’égard des hérodiens. Il est à remarquer que lorsqu’il s’agit de prendre la défense des étrangers, des publicains par exemple, Notre-Seigneur, pour consoler leur âme ulcérée par le chagrin, repousse avec force les accusations dont ils sont l’objet, tandis qu’il répond avec une extrême douceur lorsque le blâme tombe sur ses disciples. Et Jésus leur dit : « Les amis de l’Époux peuvent-ils être dans le deuil pendant que l’Époux est avec eux ? » Il vient de se présenter comme médecin, ici il se donne le nom d’époux, rappelant ainsi ces paroles de Jean-Baptiste (Jn 3) : « L’époux est celui qui a l’épouse. » — S. Jér. L’époux, c’est Jésus-Christ ; l’épouse, c’est l’Église. De cette union spirituelle sont nés les Apôtres, qui ne peuvent pas être dans le deuil tant qu’ils voient l’Époux dans la chambre nuptiale, et qu’ils savent qu’il est avec l’Épouse. Mais lorsque les jours des noces seront passés pour faire place au temps de la passion et de la résurrection, alors les fils de l’Époux jeûneront, comme il est dit : « Viendront des jours, » etc.

S. Chrys. (hom. 31.) Voici le sens des paroles du Sauveur : « Le temps présent est le temps de la joie et de l’allégresse ; il ne faut pas y mêler de cause de tristesse. Car le jeûne est une chose triste, non pas précisément en elle-même, mais pour ceux dont les dispositions sont imparfaites, c’est-à-dire pour ceux qui n’ont pas encore atteint la force de la perfection spirituelle ; car il est plein de douceur pour ceux qui veulent se livrer à la contemplation de la sagesse et travailler à leur perfection. Notre-Seigneur se conforme donc à leurs idées, et il montre par là que la conduite de ses disciples était l’effet non point de la sensualité, mais d’une économie pleine de sagesse.

S. Jér. Quelques-uns se fondent sur ces paroles pour conclure que l’on doit consacrer au jeûne les quarante jours qui suivent la passion, quoique les jours de la Pentecôte et la descente de l’Esprit saint qui suivent immédiatement, nous apportent de nouveaux sujets de joie. Montan, Prisca et Maximilla prennent occasion des mêmes paroles pour faire le carême après la Pentecôte, en alléguant que les fils de l’Époux doivent jeûner lorsque l’Époux a disparu. Mais la coutume de l’Église est de se disposer à la passion et à la résurrection du Seigneur par l’humiliation de la chair, et de nous préparer par le jeûne du corps à l’abondance spirituelle que les mystères tiennent pour nous en réserve.

S. Chrys. (hom. 31). Le Sauveur appuie de nouveau sa doctrine sur des exemples empruntés à la vie ordinaire : « Personne, dit-il, ne met une pièce de drap neuf à un vieux vêtement, » etc., paroles dont voici le sens : Mes disciples ne sont pas encore assez forts, ils ont encore besoin de condescendance, l’Esprit saint ne les a pas encore renouvelés ; dans cette disposition, il ne faut point leur imposer le lourd fardeau des préceptes. En parlant de la sorte, il trace à ses apôtres la règle qu’ils devront suivre, de traiter avec douceur les disciples qui leur viendront de toutes les parties de la terre. — Remi. Par ce vieux vêtement il veut désigner ses disciples, car ils n’étaient pas encore entièrement renouvelés ; ce morceau d’étoffe forte, c’est-à-dire neuve, signifie la grâce de la nouvelle loi, c’est-à-dire la doctrine de l’Évangile, dont le jeûne est une petite partie. Il ne convenait donc pas qu’il leur imposât la loi dure et pénible du jeûne, qui aurait pu les briser par sa rigueur et leur faire perdre la foi. C’est pour cela qu’il ajoute : « Car le neuf emporte une partie du vieux. »

 

La Glose. C’est comme s’il disait : Une pièce d’étoffe, c’est-à-dire neuve, ne doit pas être cousue à un vieil habit, car souvent elle emporte tout ce qu’elle recouvre, c’est-à-dire le vêtement presque tout entier, et la déchirure est plus grande. C’est ainsi qu’en imposant un lourd fardeau à un homme encore novice, on détruit souvent le bien qui existait auparavant dans son âme.

 

Remi. A ces deux comparaisons, celle des noces et celle d’une pièce d’étoffe neuve et d’un vêtement usé, il en ajoute une troisième, celle des outres et du vin : « Et l’on ne met point, dit-il, du vin nouveau dans de vieilles outres, » etc. Ces vieilles outres ce sont ses disciples, qui n’étaient pas encore parfaitement renouvelés ; et le vin nouveau signifie la plénitude de l’Esprit saint et les mystères du ciel, dont les disciples n’étaient pas encore capables de pénétrer la profondeur. Mais après la résurrection, ils devinrent des outres neuves ; ils reçurent le vin nouveau lorsque l’Esprit saint vint remplir leur cœur ; ce qui fait dire à quelques-uns : « Ils sont tous pleins de vin nouveau. » — S. Chrys. (hom. 31.) Le Sauveur nous donne ainsi la raison de tant de paroles simples et familières qu’il disait à ses apôtres, pour s’accommoder à leur faiblesse.

S. Jér. Nous pouvons encore entendre par ce vêtement usé et par ces vieilles outres, les scribes et les pharisiens. Ce morceau de drap neuf et le vin nouveau sont les préceptes de l’Évangile qu’on ne peut imposer aux Juifs, dans la crainte d’une déchirure plus grande. Les Galates voulaient faire quelque chose de semblable, en mêlant les prescriptions de la loi avec celles de l’Évangile, et en mettant du vin nouveau dans de vieilles outres ; mais l’Apôtre les en reprit en ces termes : « O Galates insensés, qui vous, a fasciné l’esprit pour vous rendre ainsi rebelles à la vérité ? » Il fallait donc verser d’abord la doctrine de l’Évangile dans le cœur des Apôtres, avant d’en faire part aux scribes et aux pharisiens qui, étant corrompus par les traditions de leurs ancêtres, ne pouvaient conserver la pureté sans mélange des préceptes du Christ. Il y a, en effet, une grande différence entre la pureté d’une âme virginale qu’aucune faute antérieure n’a soufflée, et celle d’une âme qui a traîné dans la fange de toutes les passions. — La Glose. Par là le Sauveur nous apprend que les Apôtres ne devaient pas être retenus captifs des anciennes observances, eux qui devaient être comme inondés des flots d’une grâce toute nouvelle.

 

S. Aug. (serm. du Carême). Ou bien encore, tout chrétien qui jeûne convenablement humilie son âme dans les gémissements de la prière et la mortification du corps, ou la détache des séductions de la chair sous le charme d’une sagesse toute spirituelle. Or, le Seigneur embrasse dans sa réponse ces deux espèces de jeûne. Il dit du premier qui tend à humilier notre âme : « Les fils de l’Époux ne peuvent pas être dans le deuil ; » et de celui qui offre à l’âme un aliment tout spirituel : « Personne ne met un morceau de drap neuf, » etc. Mais lorsque l’Époux nous est enlevé, c’est alors qu’il faut pleurer, et notre douleur sera véritable si nous brûlons du désir de le voir. Heureux ceux qui ont pu jouir de sa présence avant sa passion, l’interroger suivant leurs désirs, et l’écouter avec le respect qu’ils devaient à ses divines paroles. Nos pères ont désiré le voir avant sa venue, et ils ne l’ont point vu. Dieu leur avait donné une autre mission : ils devaient annoncer son avènement, mais ils ne devaient pas entendre sa parole, lorsqu’il serait descendu sur la terre. C’est en nous que se sont accomplies ces paroles du Sauveur : « Il viendra un temps où vous désirerez voir un de ces jours, et vous ne le pourrez pas. » Qui donc ne consentira à être dans le deuil ici-bas ? Qui ne dira : « Mes larmes sont devenues mon pain le jour et la nuit, pendant qu’on me dit tous les jours : Où est ton Dieu ? » C’est donc avec raison que l’Apôtre désirait d’être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ.

 

S. Aug. (de l’accord des Evan g., liv. 2, chap. 12.) Saint Matthieu emploie le mot tristesse là où saint Marc et saint Luc se sont servis de l’expression jeûner, parce que le jeûne dont parle ici le Seigneur renferme l’humiliation d’une âme affligée, tandis que les dernières comparaisons ont pour objet l’autre espèce de jeûne qui consiste dans la joie de l’âme que les douceurs spirituelles tiennent comme suspendue et détachée des aliments terrestres. Notre-Seigneur nous apprend ainsi que ceux qui sont trop occupés de leur corps et qui n’ont point dépouillé le vieil homme et ses inclinations, ne sont pas capables de cette espèce de jeûne.

S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, la réponse que Notre-Seigneur fait ici, en déclarant que ses disciples ne doivent point jeûner tant qu’ils jouissent de la présence de l’Époux, nous apprend la joie dont sa présence est pour nous le principe, et nous rappelle le sacrement où il nous donne une nourriture sainte, nourriture qui ne fera défaut à personne pourvu que Jésus-Christ soit présent, c’est-à-dire qu’on le possède au dedans de soi-même. Mais lorsque l’Époux leur sera enlevé, alors ils jeûneront, car aucun de ceux qui ne croiront pas à la résurrection du Christ, ne mangera le pain de vie, puisque le sacrement où nous recevons le pain du ciel nous est donné comme gage de notre foi en la résurrection. — S. Jér. Ou bien encore, c’est lorsque nos péchés ont forcé l’Époux de s’éloigner, qu’il faut recourir au jeûne et nous abandonner à la tristesse. — S. Hil. (Can. 9 sur S. Matth.) Ces exemples nous sont aussi proposés pour nous apprendre que les âmes, aussi bien que les corps affaiblis par d’anciens péchés, sont incapables de recevoir les sacrements de la grâce nouvelle.

 

Rab. Quoique ces diverses comparaisons n’aient qu’un même objet, elles diffèrent cependant l’une de l’autre. Le vêtement qui couvre notre corps représente les bonnes oeuvres que nous faisons extérieurement ; et le vin qui nous fortifie intérieurement signifie la ferveur de la foi et de la charité qui renouvelle l’intérieur de notre âme.

 

vv. 18-22

S. Chrys. (hom. 32.) Aux enseignements Jésus-Christ fait succéder les oeuvres, ce qui devait surtout fermer la bouche aux pharisiens ; car celui qui venait demander un miracle était un chef de la synagogue, et sa douleur était grande ; cette jeune personne était sa fille unique, et dans la première fleur de l’âge, puisqu’elle n’avait que douze ans. « Comme il leur parlait de la sorte, un chef s’approcha. » S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 28.) Saint Marc et saint Luc racontent le même fait, mais en suivant un ordre différent, et ils le placent après que Jésus eut traversé le lac, en quittant le pays des Gérazéniens, où il avait chassé les démons dans un troupeau de pourceaux. Selon le récit de saint Marc, ce fait ce serait passé après que Jésus eut de nouveau traversé le lac ; mais combien de temps après ? c’est ce qu’on ne peut savoir. Cependant s’il n’y avait eu aucun intervalle, il n’y aurait pas moyen de placer ce que raconte saint Matthieu du repas qui eut lieu dans sa maison, et c’est immédiatement après que le chef de la synagogue est venu trouver Jésus. Car si ce prince s’est présenté lorsque Jésus proposait la comparaison du drap neuf et du vin nouveau, on ne doit pouvoir placer aucune action, aucune parole intermédiaire. Or, dans la narration de saint Marc, on voit où l’on pourrait intercaler d’autres faits. Saint Luc lui-même n’est pas contraire à saint Matthieu, car la manière dont il commence son récit : « Et voici qu’un homme qui s’appelait Jaïre, » n’indique pas que ce soit immédiatement après ce qui précède, mais après ce que saint Matthieu raconte en ces termes du repas qu’il prenait avec les publicains : « Pendant qu’il parlait de la sorte, un prince (c’est-à-dire Jaïre, chef de la synagogue) s’approcha, et il l’adorait en lui disant : Seigneur, ma fille vient de mourir. » Pour faire disparaître toute contradiction, il faut remarquer que les deux autres Évangélistes ne disent pas qu’elle est morte, mais sur le point de mourir, tellement qu’ils ajoutent que des envoyés vinrent apprendre au père que sa fille était morte, et qu’il n’eût point à tourmenter davantage le Seigneur. Il faut donc admettre que pour abréger, saint Matthieu s’est attaché surtout à rapporter la prière qui fut adressée au Sauveur de faire ce qu’il fit en effet, c’est-à-dire de ressusciter celle qui venait de mourir. Il ne s’est donc pas arrêté à de que le père dit à Jésus de sa fille, mais, ce qui est bien plus important, aux sentiments et aux désirs qui l’agitaient. En effet, cet homme avait tellement désespéré de l’état de sa fille, que ce qu’il désirait, c’est qu’elle fût rendue à la vie, tant il croyait peu qu’il dût retrouver vivante celle qu’il avait laissée si près de la mort. Les deux autres évangélistes ont donc rapporté les paroles de Jaïre ; saint Matthieu nous fait connaître surtout ses désirs, ses pensées. Évidemment si l’un de ces deux Évangélistes avait prêté au père ces paroles, que Jésus n’eût pas à se mettre en peine, parce que sa fille était morte, le langage que lui fait tenir saint Matthieu serait contradictoire. Mais rien ne dit que cet homme ait partagé les sentiments de ses serviteurs. Nous trouvons ici un des principes d’explication les plus importants : c’est que dans les paroles d’un homme nous ne devons chercher que ce qu’il a l’intention de dire, que la volonté dont ses paroles sont l’expression, et que ce n’est point mentir que de raconter en d’autres termes ce qu’il a voulu dire sans rapporter les expressions dont il s’est servi. — S. Chrys. (hom. 32.) Ou bien encore, ce que ce chef de la synagogue dit de la mort de sa fille n’est qu’une manière d’exagérer son malheur. C’est l’ordinaire de tous ceux qui demandent une grâce d’amplifier les maux qu’ils souffrent, et d’ajouter à la vérité pour fléchir plus efficacement ceux dont ils implorent le secours. C’est pourquoi il dit à Jésus : « Mais venez lui imposer les mains, et elle vivra. » Voyez quelles idées grossières il avait encore sur le Sauveur. Il lui demande deux choses : et de venir en personne, et d’imposer les mains ; c’est ce que demandait ainsi Naaman au prophète Elisée. C’est qu’en effet ceux qui se trouvent dans ces dispositions imparfaites ont besoin de signes sensibles et frappants.

 

Remi. Admirons ici tout à la fois l’humilité et la douceur du Seigneur. A peine le centurion l’en a-t-il prié, qu’il consent à le suivre : « Alors Jésus, se levant, le suivit. » Le Sauveur instruit tout à la fois les supérieurs et ceux qui sont placés sous leur direction ; à ceux-ci il donne un exemple d’obéissance ; à ceux-là, il fait voir quelle doit être leur assiduité, leur sollicitude dans l’enseignement, et le zèle avec lequel ils doivent se transporter là où ils apprennent qu’un homme a perdu la vie de l’âme.

 

Suite. « Et ses disciples marchèrent avec lui. » S. Chrys. (hom. 32.) Suivant saint Marc et saint Luc, Jésus prit avec lui trois de ses disciples, Pierre, Jacques et Jean ; il ne choisit point Matthieu afin d’exciter en lui un désir plus vif, et aussi parce que ses dispositions étaient encore imparfaites. Il honore les premiers pour engager les autres à se rendre semblables à eux. C’était assez pour Matthieu d’être témoin de la guérison de cette femme qui souffrait d’une perte de sang : « Et voici, nous dit-il, qu’une femme qui souffrait d’une perte de sang depuis douze ans, s’approcha par derrière, et toucha la frange de son vêtement. »

 

S. Jér. Ce n’est ni dans la maison où était le Sauveur ni dans la ville que cette femme vient le trouver (car la loi lui défendait d’habiter dans les villes) (Lv 19, 25), mais elle se présente à Jésus au milieu du chemin, et c’est ainsi qu’en allant pour guérir une femme il rend la santé à une autre. — S. Chrys. (hom. 32,) Cette femme ne vient pas faire à Jésus-Christ un aveu public de son infirmité, elle en avait honte dans la persuasion qu’elle était impure ; car la loi considérait cette maladie comme une très-grande impureté ; c’est pourquoi elle se cache et veut se dérober à tous les regards. — Remi. Cette humilité est digne de tout éloge ; elle ne se présente pas devant le Sauveur, elle s’approche par derrière, et se juge indigne de toucher ses pieds. Ce n’est pas même son vêtement qu’elle touche, mais la frange seulement ; car le Seigneur portait une frange à son vêtement pour obéir à une prescription de la loi. (Nb 15, 38) Les pharisiens aussi portaient des franges qu’ils étalaient avec orgueil, et auxquelles ils ajoutaient des espèces d’épines. Mais les franges des vêtements du Sauveur n’avaient rien qui pût blesser, et ne pouvaient que guérir. Aussi cette femme disait en elle-même : « Si je touche seulement la frange de sa robe, je serai guérie. » Sa foi est vraiment admirable : elle a perdu tout espoir de la part des médecins qui lui ont dévoré tout son avoir, mais elle comprend qu’elle a trouvé un médecin descendu du ciel, c’est en lui qu’elle place toute son espérance, et c’est pour cela qu’elle mérita sa guérison. « Et Jésus se retournant alors, et la voyant, lui dit : Ma fille, ayez confiance : votre foi vous a guérie. » — Rab. Pourquoi donc lui recommander la confiance ? Si elle n’avait pas eu la foi, elle ne lui aurait pas demandé sa guérison. Ce qu’il exige d’elle, c’est la force et la persévérance de la foi, afin qu’elle parvienne à une guérison certaine et véritable. — S. Chrys. (hom. 32.) Ou bien, il veut rassurer cette femme trop craintive, en lui disant : « Ayez confiance. » Il l’appelle sa fille, car la foi l’avait rendue véritablement sa fille. — S. Jér. Il ne lui dit pas : Votre foi vous guérira, mais « votre foi vous a guérie ; » car vous êtes déjà guérie par cela seul que vous avez cru. — S. Chrys. (hom. 32.) Cependant cette femme n’avait pas encore une connaissance parfaite du Sauveur, puisqu’elle croyait pouvoir se dérober à ses regards. Mais il ne permit pas qu’elle demeurât cachée, non point pour la gloire qui pourrait lui en revenir, mais dans l’intérêt de tous ceux qui étaient présents. Premièrement, il bannit la crainte du cœur de cette femme qui aurait pu se reprocher d’avoir dérobé la grâce de sa guérison ; secondement, il rectifie la pensée qu’elle avait eue de pouvoir se cacher ; troisièmement, il révèle à tous sa foi pour les porter à l’imiter. Enfin, en montrant qu’il savait tout, il nous donne une preuve non moins grande de sa divinité qu’en arrêtant cette perte de sang. « Et cette femme, continue l’Évangéliste, fut guérie à l’heure même. » — La Glose. Ce fut au moment même où elle toucha le bord de sa robe, et non pas au moment qu’il se retourna vers elle, car alors elle était déjà guérie, comme les autres Évangélistes le remarquent expressément, et comme on peut le conclure des paroles mêmes du Seigneur. — S. Hil. Combien la puissance du Seigneur se montra ici admirable ! Cette puissance qui résidait dans son corps communiquait à des choses périssables la vertu de guérir, et l’opération divine s’étendait jusqu’aux franges de ses vêtements. C’est qu’en effet Dieu ne pouvait être ni circonscrit ni renfermé dans les limites étroites d’un corps, car en s’unissant à un corps mortel il n’y a point renfermé la nature de sa puissance, mais cette même puissance a élevé la fragilité de notre chair pour accomplir l’oeuvre de notre rédemption.

Dans le sens mystique, ce chef représente la loi qui vient demander à Jésus-Christ de rendre la vie au cadavre de ce peuple qu’elle lui avait préparé, et qu’elle avait nourri elle-même de l’espérance de son avènement. — Rab. Ou bien, ce prince de la synagogue représente Moïse, et il s’appelle Jaïre, c’est-à-dire qui illumine ou qui est illuminé ; car il a reçu les paroles de vie pour nous les transmettre, et éclairer ainsi les autres comme il est éclairé lui-même par l’Esprit saint. La fille du chef de la synagogue (c’est-à-dire la fille de la synagogue elle-même, âgée de douze ans, âge de la puberté) est abattue sous le poids des erreurs qui la minent, alors qu’elle devait enfanter à Dieu une famille toute spirituelle. Pendant que le Verbe de Dieu s’empresse d’aller trouver cette fille du chef de la synagogue pour sauver les enfants d’Israël, la sainte Église composée des Gentils, et dont les forces se perdaient au milieu des crimes qui se commettaient dans son sein, s’empare par sa foi de la guérison qui était destinée à d’autres. — Rab. Remarquez encore que la fille du chef de la synagogue est âgée de douze ans, et que cette femme souffre depuis douze ans de cette perte de sang, en sorte que l’une avait commencé à souffrir au moment où l’autre venait de naître : or, ce fut à peu près à la même époque que les patriarches donnèrent le jour à la synagogue, et que la multitude des nations étrangères se plongea dans les souillures de l’idolâtrie. Car la perte de sang dont il est ici question peut s’entendre de deux manières ou de la fange de l’idolâtrie, ou des plaisirs de la chair et du sang. Ainsi pendant que la synagogue avait encore toute sa force, l’Église était languissante ; mais le péché de la synagogue est devenu le salut des Gentils. Or, l’Église s’approche du Seigneur, et le touche, lorsqu’elle vient à lui par la foi.

 

La Glose. Elle crut, elle dit, elle toucha ; car c’est par ces trois choses la foi, la parole et les oeuvres, que l’on obtient le salut. — Rab. Elle s’approcha par derrière, obéissant par avance à cette parole : « Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il me suive. » Ou bien c’est parce que n’ayant point vu le Seigneur revêtu d’une chair mortelle, elle est parvenue à le connaître après l’accomplissement des mystères de son incarnation : c’est pour cela qu’elle touche la frange de son vêtement ; figure en cela du peuple des Gentils qui, sans avoir vu le Fils de Dieu incarné, a reçu la parole qui lui annonçait son incarnation. En effet, on peut dire que le mystère de l’incarnation de Jésus-Christ est comme le vêtement dont la divinité était enveloppée, et la doctrine de l’incarnation comme la frange de ce vêtement. Les Gentils ne touchent pas le vêtement, mais seulement la frange, car ils n’ont point vu le Seigneur incarné, mais ils ont reçu par les Apôtres la doctrine de l’incarnation. Heureux celui qui touche par la foi, ne fût-ce même que les extrémités du Verbe ! Ce n’est pas au milieu de la ville que cette femme est guérie, mais dans le chemin où marche le Sauveur ; c’est pour cela que les Apôtres ont dit plus tard : « Parce que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, voilà que nous allons vers les Gentils. » Or, ce fut dès l’avènement du Sauveur que la Gentilité reçut les prémices du salut.

 

vv. 23-26

La Glose. Après la guérison de l’hémorroïsse, vient la résurrection de la jeune fille que l’écrivain sacré raconte en ces termes : « Et lorsque Jésus fut arrivé dans la maison du chef de la synagogue. » — S. Chrys. (hom. 32.) Il est à remarquer que Notre-Seigneur semble user ici de lenteur, et qu’il s’entretient avec la femme qu’il vient de guérir pour laisser à la jeune fille le temps de mourir, et rendre ainsi plus éclatant le fait de sa résurrection. Il suivit la même conduite à l’égard de Lazare, qui demeura dans le tombeau jusqu’au troisième jour. « Et lorsqu’il eut vu les joueurs de flûte et une foule qui faisait grand bruit. » Nous avons là une preuve évidente que la jeune fille était morte. — S. Amb. (sur S. Luc, 6.) En effet, c’était un usage chez les anciens de faire venir des joueurs de flûte pour exciter la douleur et faire couler les larmes aux funérailles des morts. — S. Chrys. (hom. 32.) Mais Jésus-Christ chassa tous ces joueurs de flûte, et fit entrer les parents de la jeune fille afin que l’on ne pût attribuer à un autre sa résurrection. Avant même de la ressusciter, il relève leur courage par ces paroles : « Retirez-vous, car la jeune fille n’est pas morte, mais elle dort. » — Rab. C’est-à-dire elle est morte à vos yeux, mais pour Dieu qui peut la ressusciter, elle n’est qu’endormie dans son corps comme dans son âme. — S. Chrys. Par ces paroles, le Sauveur apaise l’agitation intérieure de ceux qui étaient présents, et il leur montre avec quelle facilité il peut ressusciter les morts. Il tint le même langage à Lazare (Jn 11) : « Notre ami Lazare dort, » et il nous apprend ainsi à ne pas redouter la mort. Comme il devait mourir lui-même, il voulut, en rendant la vie à quelques morts, ranimer la confiance de ses disciples, et leur apprendre à supporter la mort avec courage. Car dès qu’il s’approche, la mort n’est plus qu’un sommeil. Or, en entendant ces paroles, ils se moquaient de lui, mais il ne leur en fait aucun reproche : car il voulait que cette dérision, les flûtes et toutes les autres circonstances fussent autant de preuves de la mort de cette jeune fille. Comme il arrive bien souvent que les hommes refusent de croire aux miracles lorsqu’ils sont opérés, il veut les convaincre auparavant par leurs propres aveux ; c’est ce qu’il fit encore à la mort de Lazare, lorsqu’il demanda : « Où l’avez-vous mis ? » Afin que ceux qui lui répondirent : « Venez et voyez » fussent forcés de croire que Lazare était véritablement mort, et qu’il l’a ressuscité.

S. Jér. Mais ceux qui couvraient ainsi d’indignes outrages le Sauveur qui allait ressusciter cette jeune fille, n’étaient pas dignes d’assister au fait mystérieux de sa résurrection ; c’est pourquoi l’Évangéliste ajoute : « Et après qu’on eut fait sortir tout le monde, il entra, lui prit la main, et la jeune fille se leva. » — S. Chrys. (hom. 32.) Il n’introduit pas dans son corps une âme nouvelle, mais il y fait rentrer celle qui en était sortie, et rappelle la jeune fille comme d’un sommeil, pour préparer ainsi les esprits à croire en la résurrection. Non-seulement il ressuscite cette jeune fille, mais il lui fait encore donner à manger, pour que tous soient bien convaincus que cette résurrection n’est pas une chose imaginaire, mais bien une réalité. — » Et le bruit s’en répandit dans tout le pays. — La Glose. Cette circonstance fait ressortir la grandeur et la nouveauté de ce miracle, en même temps qu’elle devient une preuve évidente et irréfragable de sa vérité.

S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, Notre-Seigneur entre dans la maison du chef de la synagogue, c’est-à-dire dans la synagogue elle-même, au moment ou les cantiques de la loi font entendre en son honneur des chants funèbres. — S. Jér. Jusqu’à ce jour la jeune fille repose morte dans la maison de son père, et ceux qui paraissent être les maîtres sont les joueurs de flûte qui font entendre des airs lugubres. La foule des Juifs n’est pas le peuple des croyants, c’est une foule tumultueuse. Mais lorsque la plénitude des nations sera entrée, alors tout Israël sera sauvé. (Rm 11.) — S. Hil. Afin qu’il fût bien démontré que le nombre des croyants était limité, la foule tout entière fut mise dehors. Le Sauveur aurait bien désiré qu’elle fût sauvée, mais en se moquant de ses paroles et de ses actions, elle se rendit indigne d’être témoin de la résurrection de cette jeune fille. — S. Jér. « Jésus lui prit la main, et la jeune fille se leva, » car la synagogue ne peut avoir part à la résurrection avant que les mains des Juifs n’aient été purifiées du sang dont elles sont souillées. — S. Hil. Le bruit de cette résurrection se répand dans toute cette contrée ; en effet, après que Jésus a sauvé ceux qu’il avait élus, ils vont publier les bienfaits du Christ et ses oeuvres.

 

Rab. Dans le sens moral, la jeune fille morte dans la maison, c’est l’âme qui est morte dans ses pensées. Le Sauveur dit qu’elle n’est qu’endormie, parce que ceux qui pèchent dans la vie présente peuvent encore ressusciter par la pénitence. Les joueurs de flûte, ce sont les flatteurs qui applaudissent à celle qui est morte. — S. Grég. (Moral. 17, 25.) La foule est mise dehors avant que la jeune fille soit ressuscitée, car tant que la multitude des intérêts temporels n’est pas chassée des plus secrètes parties du cœur, l’âme qui est morte au dedans ne peut ressusciter. — Rab. Notre-Seigneur ressuscite cette jeune fille dans la maison en présence d’un petit nombre de témoins, le jeune homme en dehors de la porte de la ville, et Lazare devant un grand nombre de spectateurs, parce qu’une faute publique exige un remède public ; tandis qu’une faute légère peut être effacée par une pénitence secrète et plus douce.

 

vv. 27-31

S. Jér. Ces premiers miracles qui ont pour objet la fille du prince de la synagogue et la femme malade sont suivis, par une admirable conséquence, de la guérison de deux aveugles. Il fallait, en effet, que la privation de la vue démontrât ce que la mort et la maladie venaient elles-mêmes de proclamer ; c’est pour cela qu’il est dit : « Comme Jésus sortait de ce lieu (c’est-à-dire s’éloignait de la maison de Jaïre), deux aveugles le suivirent en criant et en disant : Fils de David, ayez pitié de nous. » — S. Chrys. (hom. 33.) C’est là un grand sujet d’accusation contre les Juifs : des hommes privés de la vue reçoivent la foi par l’ouïe seule, tandis que les Juifs, dont les yeux constataient la vérité de ces miracles, refusent d’y croire. Voyez encore le désir de ces aveugles ; ils ne se contentent pas d’approcher de Jésus, mais ils le font avec de grands cris, et en ne lui demandant qu’une seule chose, c’est qu’il ait pitié d’eux. Ils l’appellent Fils de David, parce que ce nom leur paraissait un titre d’honneur. — Remi. C’est avec raison d’ailleurs qu’ils lui donnent ce nom, car la Vierge Marie descendait de la race de David. — S. Jér. Que Marcion, que les Manichéens et les autres hérétiques se rendent attentifs à ces paroles, eux qui déchirent l’Ancien Testament, et qu’ils apprennent que le Sauveur est proclamé Fils de David. Or, s’il n’est pas né dans une chair mortelle, comment peut-il être appelé Fils de David ?

 

S. Chrys. (hom. 33.) Il est à remarquer que dans une foule de circonstances ce n’est qu’après qu’on l’en a prié que le Seigneur guérit les malades, car il ne veut pas laisser croire qu’il a couru après les miracles pour s’attirer de l’honneur et de la gloire. — S. Jér. Et cependant, ce n’est pas dans le chemin et en passant, comme ils le pensaient, qu’il guérit ces aveugles qui le prient, mais lorsqu’il est arrivé dans la maison ; ils s’avancent pour entrer, et tout d’abord il examine leur foi, afin de les préparer à recevoir la lumière de la vraie foi. « Lorsqu’il fut entré dans la maison, ces aveugles s’approchèrent de lui, et Jésus leur dit : « Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez ? » — S. Chrys. Il nous apprend une fois de plus à fuir la gloire que donne la multitude, car comme la maison n’était pas éloignée, il y conduit les aveugles pour les y guérir en secret. — Remi. Lui qui pouvait rendre la vue aux aveugles, ne pouvait ignorer s’ils avaient la foi ; il les interroge toutefois, afin qu’en confessant de bouche la foi qu’ils portaient dans leur cœur, ils pussent obtenir une récompense plus grande, selon ces paroles de l’Apôtre : « Il faut confesser de bouche pour obtenir le salut. » — S. Chrys. (hom. 33.) Et ce n’est pas la seule raison ; Jésus voulait encore montrer qu’ils étaient dignes d’être guéris, et prévenir cette difficulté : que si le salut était l’oeuvre exclusive de la miséricorde, tous devaient y avoir part. Il exige encore d’eux la foi, afin de les élever plus haut ; ils l’ont appelé Fils de David, il leur apprend qu’ils doivent avoir de lui de plus hautes idées. Aussi ne leur dit-il pas : « Croyez-vous que je puisse prier mon Père ? » mais : « Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez ? » Ils lui répondent : « Oui, Seigneur. » Ils ne l’appellent plus Fils de David, ils s’élèvent plus haut et confessent sa souveraineté. Il leur imposa alors les mains, comme dit le texte sacré, et il toucha leurs yeux en leur disant : « Qu’il vous soit fait selon votre foi. » Il leur parle de la sorte pour affermir leur foi et constater en même temps que ce qu’ils venaient de dire ne leur avait pas été dicté par la flatterie. L’Évangéliste rapporte ensuite leur guérison : « Et aussitôt leurs yeux furent ouverts. » Jésus leur défend d’en parler à qui que ce soit ; et ce n’est pas une simple défense, c’est un ordre exprès accompagné de menaces sévères. « Et Jésus leur défendit fortement d’en parler, en leur disant : « Prenez bien garde que qui que ce soit ne le sache ! » Mais eux, s’en étant allés, répandirent sa réputation dans tout le pays. » — S. Jér. C’est par amour pour l’humilité et pour fuir l’éclat de la vaine gloire que Jésus leur fait cette défense ; mais la reconnaissance qu’ils éprouvent d’un si grand bienfait, ne leur permet pas de garder le silence. — S. Chrys. Ce que Notre-Seigneur dit à un autre dans une circonstance différente : « Va et annonce la gloire de Dieu » (Lc 8), n’est pas contraire à ce qui est ici raconté. Jésus veut nous apprendre à fermer la bouche à ceux qui cherchent à nous louer, en rapportant à nous seuls les louanges qu’ils nous donnent. Mais si ces louanges doivent se rapporter à Dieu, bien loin de les défendre, nous devons les exciter et les prescrire. — S. Hil. Ou bien encore le Sauveur commande à ces aveugles de se taire, parce que c’était aux Apôtres qu’était réservé l’office de la prédication.

 

S. Grég. (Moral., 19, 14.) Examinons ici pourquoi le Tout-Puissant, pour qui vouloir et pouvoir sont une même chose a voulu que ses miracles demeurassent cachés, et que cependant ils fussent dévoilés comme malgré lui par ceux qui venaient de recouvrer l’usage de la vue. Il veut apprendre à ses disciples qui devaient marcher à sa suite, qu’ils devaient désirer que leurs vertus demeurassent cachées aussi aux yeux des hommes, et cependant les laisser publier malgré eux dans l’intérêt de ceux qui pourraient en profiter. Ils doivent donc rechercher le secret par inclination, et laisser dévoiler leurs oeuvres par nécessité. Qu’ils aiment à se cacher pour garder plus sûrement leur âme de tout danger, et qu’ils consentent à se voir divulgués dans l’intérêt des autres.

 

Remi. Dans le sens allégorique, ces deux aveugles sont la figure des deux peuples, du peuple juif, et des Gentils, ou bien des deux fractions du peuple juif qui se séparèrent sous Roboam (cf. 3 R 12). Notre-Seigneur Jésus-Christ choisit dans l’un et l’autre peuple qui croyait en lui, ceux qu’il devait éclairer dans la maison, qui est son Église, car en dehors de l’unité de l’Église, personne ne peut être sauvé. Or, ceux d’entre les Juifs qui crurent en Jésus publièrent son avènement dans tout l’univers. Rab. La maison du chef de la synagogue, c’est la synagogue elle-même qui est soumise à Moïse ; la maison de Jésus, c’est la céleste Jérusalem. Pendant que le Seigneur traverse ce monde pour retourner dans sa maison, les deux aveugles se mettent à le suivre ; en effet, après la prédication de l’Évangile par les Apôtres, un grand nombre d’entre les Juifs et d’entre les Gentils se sont rangés sous sa conduite. Mais après son ascension dans les cieux, il est entré dans sa maison (c’est-à-dire dans son Église), et là, il leur a rendu l’usage de la lumière.

 

vv. 32-34

Remi. Par un enchaînement admirable, le Sauveur, après avoir rendu la vue aux aveugles, délie la langue d’un muet, et guérit un homme possédé du démon, et il se déclare ainsi le Dieu de toute puissance, et l’auteur des guérisons divines, selon cet oracle d’Isaïe (Is 35) : « Alors les yeux des aveugles et les oreilles des sourds seront ouverte, et la langue des muets sera déliée. » Après leur départ, dit l’Évangéliste, « on lui présenta un homme muet. » — S. Jér. Le mot grec χωφος (cophos), dans le langage ordinaire, signifie plutôt sourd que muet, mais c’est l’usage des écrivains sacrés de le prendre indifféremment dans les deux sens. — S. Chrys. (hom. 33.) Cette infirmité n’était pas naturelle, elle venait de la malignité du démon. C’est pourquoi cet homme eut besoin d’un secours étranger pour arriver jusqu’à Jésus-Christ, et il ne put ni le prier par lui-même, n’ayant pas l’usage de la parole, ni le faire prier par d’autres, le démon tenant liée son âme aussi bien que sa langue. Aussi le Sauveur n’exige pas de lui la foi, mais il le guérit aussitôt, comme le rapporte l’écrivain sacré : « Et le démon ayant été chassé, le muet parla. » — S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) L’ordre naturel des choses est parfaitement observé, le démon est d’abord chassé, et le corps reprend immédiatement toutes ses fonctions.

 

« Et la multitude en fut dans l’admiration, et ils disaient : On n’a jamais rien vu de semblable en Israel ». — S. Chrys. (hom. 33.) Ce n’est pas seulement parce qu’ils admiraient en lui le pouvoir de guérir qu’ils le plaçaient au-dessus de tous les autres, mais parce qu’il guérissait avec une facilité et une promptitude merveilleuse une infinité de maladies la plupart incurables. Ce qui contristait surtout les pharisiens, c’est que la multitude le proclamait supérieur non-seulement à ceux qui existaient alors, mais encore à tous ceux qui avaient jamais paru en Israel. C’est ce qui les excite en sens contraire à calomnier Jésus-Christ, comme le dit l’Évangéliste : « Les pharisiens, au contraire, disaient : C’est par le prince des démons qu’il chasse les démons. » — Remi. Les scribes et les pharisiens niaient les miracles du Sauveur autant qu’il leur était possible de le faire, et ils interprétaient en mauvaise part ceux qu’ils étaient obligés d’admettre. Ils accomplissaient ainsi cette parole du Roi-Prophète : « La multitude de vos prodiges convaincra vos ennemis de mensonge. » — S. Chrys. (hom. 33.) Quoi de plus insensé que cette explication ? Peut-on imaginer qu’un démon chasse un autre démon ? Le démon applaudit à ses succès, mais il ne détruit pas ses oeuvres. Jésus-Christ, au contraire, ne chassait pas seulement les démons, mais il guérissait les lépreux, il ressuscitait les morts, il remettait les péchés, il prêchait le royaume de Dieu, et il amenait les hommes à son Père, ce que ne pouvait ni ne voulait faire le démon.

 

Rab. De même que dans le sens mystique les deux aveugles figuraient les deux peuples juif et gentil, ainsi cet homme muet et possédé est la figure du genre humain tout entier. — S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) Ou bien cet homme à la fois muet, sourd et possédé du démon représente le peuple des Gentils, indigne d’obtenir le salut, plongé qu’il est dans un abîme de maux, et comme enlacé dans tous les vices de la chair. — Remi. Le peuple des Gentils était muet, parce qu’il ne pouvait ouvrir la bouche pour confesser la vraie foi et publier les louanges de son Créateur, ou bien parce que, livré au culte des idoles muettes, il leur était devenu semblable. Il était possédé, parce que la mort de l’infidélité l’avait soumis à l’empire du démon. S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) La connaissance de Dieu ayant dissipé toutes les folles superstitions, l’homme recouvre tout à la fois l’usage de la vue, de l’ouïe, et de la parole du salut. — S. Jér. De même que les aveugles reçoivent la lumière, ainsi la langue des muets se délie pour confesser celui qu’ils avaient auparavant nié. Cette foule qui est dans l’admiration, c’est la multitude des nations qui confessent la divinité du Seigneur. Les pharisiens qui le calomnient sont une figure de l’infidélité des Juifs qui persévère jusqu’à ce jour. — S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) L’admiration de la foule est accompagnée de cet aveu : « Jamais on n’a rien vu de semblable en Israël, » parce qu’en effet la puissance divine du Verbe sauve aujourd’hui tous ceux qui n’avaient pu recevoir aucun secours de la loi. — Remi. Dans ceux qui présentent le muet au Seigneur pour être guéri, on peut voir la figure des Apôtres et des prédicateurs qui ont offert aux yeux de la divine miséricorde le peuple des Gentils pour qu’elle lui accordât le salut. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 29.) Saint Matthieu est le seul qui raconte ce double miracle des deux aveugles et du muet. Les deux aveugles dont parlent les autres Évangélistes (Mc 10, 46 ; Lc 18, 35) ne sont pas les mêmes ; cependant le fait est semblable, et si saint Matthieu ne racontait pas ce miracle avec toutes ses circonstances, on pourrait croire que son récit est le même que celui de saint Marc et de saint Luc. Nous ne devons jamais perdre de vue qu’il se rencontre dans les Évangiles des faits qui présentent les mêmes caractères. On a une preuve certaine que ces faits sont différents lorsqu’ils sont rapportés par le même Évangéliste. Lorsque donc nous rencontrons des faits de même nature dans chacun des Évangélistes, et qu’il s’y trouve des particularités impossibles à concilier, nous devons en conclure que ce n’est pas le même fait, mais un fait semblable dans sa nature ou dans ses circonstances.

 

vv. 35-38

S. Chrys. (hom. 33.) Le Seigneur voulut répondre par ses oeuvres à cette accusation des pharisiens : « C’est par le prince des démons qu’il chasse les démons. » Car lorsque le démon reçoit un outrage, il se venge non pas en faisant du bien, mais en cherchant à nuire à celui qui le déshonore. Le Seigneur tient une conduite contraire : après les injures et les outrages non-seulement il ne punit pas, il ne fait même pas de reproches ; bien plus il répand des bienfaits. C’est ce que l’Évangéliste ajoute : « Et Jésus parcourait toutes les villes et les bourgades. » C’est ainsi qu’il nous apprend à répondre à ceux qui nous accusent non par des accusations semblables, mais par des bienfaits. Celui qui, victime d’une accusation, cesse de faire le bien, montre qu’il n’agissait que pour s’attirer les louanges des hommes. Si au contraire Dieu est le principe du bien que vous faites à vos frères, quoiqu’ils entreprennent contre vous, leur conduite n’interrompra pas le cours de vos bienfaits, et votre récompense n’en sera que plus grande.

S. Jér. Vous voyez qu’il prêche également l’Évangile dans les villages comme dans les villes et dans les bourgs, c’est-à-dire aux petits comme aux grands ; il ne considère pas la puissance qui vient de la noblesse, il ne voit que le salut de ceux qui croient en lui. L’Évangéliste ajoute : « Il enseignait dans leurs synagogues, accomplissant ainsi l’oeuvre que son Père lui avait confiée et satisfaisant la faim qu’il éprouvait de sauver les infidèles par sa parole. » Il enseignait dans les synagogues l’Évangile du royaume, comme le dit expressément le texte sacré : « Et il prêchait l’Évangile du royaume. » — Remi. Par cet évangile du royaume, il faut entendre l’Évangile de Dieu, car si on n’annonce que des biens temporels, ce n’est point là l’Évangile ; c’est pour cela que ce nom n’est pas donné à la loi, parce qu’elle ne promettait à ceux qui l’observaient que des biens temporels, et non ceux de l’éternité.

S. Jér. Après avoir prêché l’Évangile et enseigné sa doctrine, il guérissait toutes les langueurs et toutes les infirmités, persuadant ainsi par ses oeuvres ceux que ses discours n’avaient pu persuader ; c’est ce qu’ajoute l’écrivain sacré : « Guérissant toute langueur et toute infirmité. » Ces paroles lui sont appliquées littéralement, car rien ne lui est impossible. — La Glose. La langueur, ce sont les longues souffrances ; l’infirmité, les maladies les plus légères. — Remi. Remarquez qu’il guérissait intérieurement l’âme de ceux dont il guérissait extérieurement le corps, ce que les autres hommes ne peuvent faire par eux-mêmes, mais seulement par la grâce de Dieu.

S. Chrys. (hom. 33.) La bonté de Jésus-Christ ne s’arrête pas là, il fait preuve à leur égard d’une autre sollicitude, et il ouvre sur eux les entrailles de sa miséricorde. « Et, voyant ces troupes, dit l’Évangéliste, il en eut compassion. » — Remi. Notre-Seigneur nous révèle ici les sentiments d’un bon pasteur si éloignés de ceux du mercenaire. Mais pourquoi cette compassion ? La suite nous l’apprend. — Rab. Ou bien ils étaient tourmentés par diverses erreurs ; ils étaient couchés, c’est-à-dire comme engourdis sans pouvoir se lever, et tout en ayant des pasteurs, ils étaient comme n’en ayant pas. — S. Chrys. (hom. 33.) Le crime des princes des Juifs, c’est qu’étant les pasteurs du troupeau, ils se conduisaient à son égard comme des loups ; car non-seulement ils ne travaillaient pas à la réforme du peuple, mais encore ils nuisaient à son avancement. Le peuple dans l’admiration s’écriait : « Jamais on n’a rien vu de semblable dans Israël, » et à ce témoignage ils opposaient cette calomnie : « C’est par le prince des démons qu’il chasse les démons. »

 

Remi. Mais du moment que le Fils de Dieu eut regardé du ciel sur la terre pour entendre les gémissements de ceux qui étaient enchaînés (Ps 101), la moisson déjà grande devint plus considérable encore ; car jamais la multitude du genre humain ne fût parvenue à la foi, si l’auteur du salut des hommes n’eût jeté du ciel un regard de miséricorde sur la terre, et c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Alors il dit à ses disciples : « La moisson est grande, il est vrai, mais les moissonneurs sont peu nombreux. — La Glose. La moisson, ce sont les hommes qui peuvent être moissonnés par les prédicateurs, séparés de la masse de perdition et conservés dans les greniers comme les grains détachés de la paille. — S. Jér. La grande moisson signifie la multitude des peuples, et le petit nombre d’ouvriers, la rareté de ceux qui doivent enseigner. — Remi. Le nombre des Apôtres était bien petit en effet, en comparaison de ces vastes moissons. Or, le Sauveur exhorte ses prédicateurs, c’est-à-dire les Apôtres et leurs successeurs, à demander tous les jours que leur nombre s’augmente. « Priez donc le Maître de la moisson, qu’il envoie des ouvriers dans sa maison. — S. Chrys. (hom. 33.) Il déclare ainsi indirectement qu’il est ce Maître dont il parle, car c’est lui-même qui est le Maître de la moisson. En effet, s’il a envoyé les Apôtres moissonner ce qu’ils n’avaient pas semé, il est évident qu’il n’a pu les envoyer recueillir la moisson d’autrui, mais ce que lui-même avait semé par les prophètes (Jn 4, 38). Mais comme ce sont les Apôtres qui sont les moissonneurs, il leur dit : « Priez donc le Maître de la moisson qu’il envoie des ouvriers en sa moisson. » Cependant il ne leur adjoignit personne. Ils restèrent douze, et il ne les multiplia qu’en ajoutant non pas à leur nombre, mais à leur puissance. Remi. Ou bien leur nombre a augmenté quand il en a désigné soixante-douze autres, et quand les prédicateurs sont devenus nombreux, l’Esprit Saint descendant sur les croyants. S. Chrys. (hom. 33.) Le Sauveur nous apprend quel don précieux c’est que de pouvoir annoncer convenablement la parole de Dieu, en nous recommandant de prier à cet effet. Ces paroles nous rappellent les comparaisons du précurseur, l’aire, le van, la paille et le blé (Mt 3). — S. Hil. Dans le sens mystique, au moment où le salut est donné aux nations, toutes les villes, toutes les bourgades sont éclairées par l’avènement et la vertu du Christ. Le Seigneur a pitié de son peuple tourmenté par la violence tyrannique de l’esprit impur, et fatigué du lourd fardeau de la loi, car il n’avait pas encore de pasteur qui pût lui assurer la garde de l’Esprit saint. Or, le fruit de ce don céleste était on ne peut plus abondant, et sa source féconde ne pouvait être épuisée par la multitude de ceux qui venaient y participer ; car quel que soit leur nombre, sa plénitude se répand toujours de la même manière. Et comme il faut un grand nombre de ministres pour distribuer cette grâce, Notre-Seigneur ordonne de prier le Maître de la moisson d’envoyer un grand nombre de moissonneurs pour recevoir ce don de l’Esprit saint. En effet, c’est par le moyen de la prière que Dieu répand sur nous cette grâce.

 

 

 

CHAPITRE X

 

vv. 1-4

La Glose. Depuis la guérison de la belle-mère de Pierre jusqu’à cet endroit, les miracles opérés par Jésus-Christ sont racontés sans interruption, et ils ont tous eu lieu avant le sermon sur la montagne, ainsi que le prouve jusqu’à l’évidence la vocation de saint Matthieu qui s’y trouve comprise, car saint Matthieu a été un des douze que Jésus a élus sur la montagne pour l’apostolat. Ici l’Évangéliste reprend son récit en suivant l’ordre dans lequel les faits se sont passés, après la guérison du serviteur du centurion. « Et Jésus ayant appelé les douze disciples. » — Remi. L’Évangéliste venait de raconter que Notre-Seigneur avait engagé ses disciples à prier le Maître de la moisson d’envoyer les ouvriers dans sa moisson, et il accomplit lui-même ce qu’il les a engagés à demander. Le nombre douze en effet, est un nombre parfait ; puisqu’il vient du nombre six qui est parfait lui-même, parce qu’il se compose de ses fractions qui sont un, deux trois. Or, ce nombre six étant doublé, forme le nombre douze. La Glose. Cette multiplication par deux peut signifier ou les deux préceptes de la charité ou les deux Testaments. — Raban. Le nombre douze, composé du nombre trois multiplié par quatre, signifie que les Apôtres prêcheront la foi en la sainte Trinité dans les quatre parties du monde. Ce nombre se trouve aussi figuré par avance de plusieurs manières dans l’Ancien Testament ; dans les douze enfants de Jacob (Gn 35) ; dans les douze chefs des enfants d’Israël (Nb 1) ; dans les douze sources d’eau vive d’Hélim (Ex 15) ; dans les douze pierres précieuses qui brillaient sur le rational d’Aaron (Ex 39) ; dans les douze pains de proposition (Lv 24) ; dans les douze hommes envoyés par Moïse pour examiner la terre promise (Nb 13) ; dans les douze pierres qui servirent à élever un autel (3 R 18) ; dans les douze autres pierres qui furent retirées du Jourdain (Jos 4) ; dans les douze boeufs qui supportaient la mer d’airain (3 R 7) ; et pour le Nouveau Testament, dans les douze étoiles qui forment la couronne de l’épouse (Ap 12) ; dans les douze pierres fondamentales ; dans les douze portes de la Jérusalem céleste qui fut révélée à saint Jean (Ap 21).

S. Chrys. (hom. 33.) Ce n’est pas seulement en leur représentant leur ministère comme une moisson prête à recueillir que le Sauveur inspire à ses Apôtres une vive confiance, mais encore en leur donnant d’exercer ce ministère avec puissance. « Et il leur donna puissance sur les esprits impurs, pour les chasser et pour guérir toutes les langueurs et toutes les infirmités. » — Remi. Nous avons ici une preuve évidente que l’accablement de cette multitude ne venait pas d’une seule cause, mais que leurs infirmités étaient nombreuses et variées, et c’est en donnant à ses disciples le pouvoir de les traiter et de les guérir que Jésus prend pitié d’elles. — S. Jér. Car le Seigneur est plein de bonté et de clémence ; c’est un Maître qui n’est pas jaloux de la puissance de ses serviteurs et de ses disciples ; aussi leur donne-t-il libéralement le même pouvoir qu’il avait exercé de guérir toutes les langueurs et toutes les infirmités. Mais il y a une grande différence entre posséder et accorder aux autres ce qu’on possède soi-même, entre donner et recevoir. Tout ce que fait Jésus-Christ, c’est avec un pouvoir souverain, tandis que les Apôtres, dans toutes leurs oeuvres, sont forcés de confesser leur propre faiblesse et la puissance du Seigneur, comme lorsqu’ils disent : « Au nom de Jésus, levez-vous et marchez (Ac 3, 6 ; 20, 34.) L’Évangéliste nous donne ici le nombre des Apôtres pour en exclure comme faux apôtres ceux qui n’y sont pas compris ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Or, voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon qui s’appelle Pierre, et André son frère. » Il n’appartenait qu’à celui qui pénètre le secret des cœurs d’assigner à chacun des Apôtres la place qu’il méritait. Le premier nommé, c’est Simon, et Jésus lui donne le surnom de Pierre pour le distinguer d’un autre Simon, le Chananéen, du bourg de Cana, ou Jésus changea l’eau en vin. — Rab. Le nom grec Πετρος, en latin Petrus, correspond au nom syriaque Cephas, dans chacune de ces trois langues, ce nom est dérivé du mot pierre. Or, il est hors de doute que cette pierre est celle dont saint Paul a dit : « La pierre était le Christ. »

Remi. — Quelques-uns ont voulu trouver dans ce nom, qui en grec comme en latin veut dire pierre, la signification d’un mot hébreu qui selon eux signifie dissolvant, ou déchaussant, ou connaissant. Mais cette interprétation a contre elles deux raisons, qui la rendent impossible, la première, c’est que dans la langue hébraïque la lettre P n’existe pas, et qu’elle est remplacée par la lettre F : ainsi on dit Philate ou Filate pour Pilate ; la seconde, c’est l’interprétation de l’Évangéliste qui raconte que le Seigneur dit à Pierre : Tu t’appelleras Cephas, et ajoute de lui-même : « c’est-à-dire Pierre. » (Jn 1) Or Simon signifie obéissant, car il obéit à la voix d’André, et vint avec lui trouver le Christ. (Jn 1) Peut-être aussi est-ce parce qu’il se montra plein d’obéissance pour la volonté divine, et que sur une seule parole du Sauveur il se mit à sa suite. (Mt 4) Ce nom, selon quelques autres interprètes, peut encore signifier celui qui dépose son chagrin, et qui entend une chose triste. En effet, à la résurrection du Sauveur, Pierre bannit la tristesse que lui avaient causé la passion du Sauveur et son propre reniement, et il entendit avec tristesse le Sauveur lui dire : « Un autre te ceindra, et te conduira là où tu ne veux pas. »

« Et André son frère. » C’est un grand honneur pour André que cette dénomination. Pierre est désigné par sa vertu, et André par la noblesse qui lui vient d’être le frère de Pierre. Saint Marc, au contraire, ne nomme André qu’après Pierre et Jean, les deux sommités du collège des Apôtres ; et en cela différant de saint Matthieu, il les classe suivant leur dignité. — Remi. André signifie viril, car de même que le mot virilis, en latin, vient du mot vir, ainsi en grec le nom d’André vient d’ανηρ. C’est à juste titre qu’on lui donne le nom de viril, parce qu’il a tout quitté pour suivre le Christ, et qu’il a persévéré avec courage dans la voie de ses commandements.

S. Jér. L’Évangéliste nous présente les Apôtres associés deux par deux. Il joint ensemble Pierre et André, beaucoup moins unis par les liens du sang que par ceux de l’esprit ; Jacques et Jean qui abandonnèrent leur père selon la nature pour suivre leur véritable Père qui est au ciel. « Jacques, est-il dit, fils de Zébédée, et Jean son frère. » Jacques est ainsi désigné à cause d’un autre Jacques qui est fils d’Alphée. — S. Chrys. (homél. 33.) Vous voyez que ce n’est point par rang de dignité qu’il les place, car Jean ne l’emporte pas seulement sur les autres, mais sur son frère. — Remi. Jacques veut dire supplantateur, ou celui qui supplante ; en effet non-seulement il supplanta les vices de la chair, mais encore il méprisa cette même chair jusqu’à la livrer au glaive d’Hérode (Ac 12). Jean signifie la grâce de Dieu, parce qu’il mérita d’être aimé de Dieu plus que tous les autres, et c’est ce privilège d’amour particulier qui lui valut de reposer pendant la Cène sur la poitrine du Sauveur (Jn 13). Viennent ensuite Philippe et Barthélemy : Philippe signifie l’ouverture de la lampe ou des lampes, parce qu’il s’empressa de répandre sur son frère, par le ministère de la parole, cette lumière dont le Sauveur l’avait éclairé lui-même. Barthélemi est un nom plutôt syriaque qu’hébreu ; il veut dire le fils de celui qui suspend le cours des eaux, c’est-à-dire le fils de Jésus-Christ, qui élève le cœur de ses prédicateurs au-dessus des choses de la terre et les suspend pour ainsi dire aux choses célestes, afin que plus ils pénètrent les secrets du ciel, plus aussi la rosée de leur prédication sainte puisse enivrer et pénétrer les cœurs de ceux qui les entendent.

 

« Thomas et Matthieu le publicain. » — S. Jér. Les autres Évangélistes en réunissant les deux noms mettent d’abord celui de Matthieu, ensuite celui de Thomas, et ils suppriment cette épithète de publicain pour éviter l’apparence même de l’outrage à l’égard de saint Matthieu en rappelant son ancienne profession. Mais lui-même se place après saint Thomas, et se dit hautement publicain, pour montrer que la grâce a surabondé là où le péché avait abondé. (Rm 5). Remi. Le nom de Thomas signifie abîme ou gémeau ; en grec il revient à celui de Didyme. Thomas mérite à la fois le nom d’abîme et de Didyme, car plus ses doutes se prolongèrent, plus aussi furent profondes et sa foi dans les effets de la passion du Seigneur et la connaissance qu’il eut de sa divinité, ce qu’il prouva en s’écriant : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Matthieu signifie donné, car c’est par la grâce de Dieu que de publicain il devint évangéliste. « Et Jacques fils d’Alphée, et Thadée. » — Raban. Jacques, fils d’Alphée, est celui qui dans l’Évangile et dans l’Épître aux Galates est appelé le frère du Seigneur (Mt 13, 55 ; Mc 5, 3 ; Gal 1, 19), parce que Marie épouse d’Alphée était la soeur de Marie, mère du Seigneur. Saint Jean l’appelle Marie, épouse de Cléophas, ou peut-être parce qu’Alphée portait aussi le nom de Cléophas, ou bien parce qu’après la naissance de Jacques, Marie ayant perdu Alphée, épousa Cléophas en secondes noces. — Remi. Ce n’est pas sans raison qu’il est appelé fils d’Alphée, c’est-à-dire de celui qui est juste ou savant, car non-seulement il triompha des vices de la chair, mais encore il méprisa tous les soins qu’elle réclame ; et il eut pour témoins de sa vertu les apôtres qui l’ordonnèrent évêque de l’Église de Jérusalem. L’histoire ecclésiastique raconte de lui, entre autres choses que jamais il ne mangea de viande, et qu’il ne but jamais ni vin ni bière. Il ne faisait point usage de bains, ne portait pas d’habits de lin ; nuit et jour il priait, les genoux en terre. Ses vertus étaient si éclatantes que tous unanimement l’appelaient le Juste. Thaddée est celui que saint Luc appelle Judas de Jacques, c’est-à-dire frère de Jacques. Dans son Épître que l’Église reçoit comme canonique, il s’appelle lui-même frère de Jacques. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 1. 2, ch. 30.) Quelques manuscrits lui donnent le mon de Lebbée ; mais qui empêche que le même homme porte simultanément deux ou trois noms différents ? — Remi. Judas signifie celui qui a confessé, parce qu’il a confessé la divinité du Fils de Dieu. — Rab. Thaddée ou Lebbée signifie sensé, ou celui qui s’applique à la culture du cœur.

 

« Simon le Chananéen et Judas Iscariote, qui le trahit. » — S. Jér. Simon le Chananéen est celui qui est appelé Zélotés par un autre Évangéliste, parce que Chana signifie zèle. Judas Iscariote est ainsi nommé ou du bourg où il a pris naissance, ou de la tribu d’Issachar, et il semble que ce soit par une espèce de prophétie qu’il soit né pour sa condamnation ; car Issachar signifie récompense, et ce nom semble indiquer le prix de sa trahison. — Remi. Le nom d’Iscariote signifie souvenir du Seigneur, parce qu’il se mit à la suite du Sauveur ; ou bien mémorial de la mort, signification qui se rapporte au dessein prémédité de la mort du Seigneur ; ou bien suffocation, parce qu’il s’étrangla de ses propres mains. Il est à remarquer que ce nom de Judas fut porté par deux des disciples de Jésus, qui sont la figure de tous les chrétiens : Judas frère de Jacques représente tous ceux qui persévèrent dans la foi ; Judas Iscariote, ceux qui abandonnent la foi pour retourner en arrière.

La Glose. Les Apôtres sont nommés deux par deux, comme témoignage d’approbation de la société conjugale prise dans le sens figuré. — S. Aug. (Cité de Dieu, 18.) Jésus les choisit donc pour disciples et donna le nom d’apôtres à ces hommes de naissance obscure, sans distinction, sans instruction, afin que lui seul fût reconnu pour l’unique auteur de ce qui paraîtrait de grand dans leur personne comme dans leurs actions. Parmi ces douze apôtres il s’en trouva un mauvais ; mais Jésus fit servir sa méchanceté même au bien, en accomplissant par elle le mystère de sa passion, et enseignant à son Église à supporter comme lui les méchants dans son sein. — Rab. Le choix de Judas pour apôtre n’est point le résultat d’une imprudence ; le Seigneur nous apprend par là combien grande est la vérité qui ne peut être affaiblie par la trahison même d’un de ses ministres. Il a voulu encore être trahi par un de ses disciples, pour vous apprendre lorsque vous serez trahi vous-même par un de vos amis, à supporter avec patience les suites de votre erreur et la perte de vos bienfaits.

 

vv. 5-8

La Glose. Comme toute manifestation de l’Esprit, d’après l’Apôtre, est donnée pour l’utilité de l’Église, après avoir donné ce pouvoir aux Apôtres, le Sauveur les envoie pour qu’ils puissent l’exercer dans l’intérêt des hommes ; c’est ce que nous indique l’Évangéliste par ces mots : « Jésus envoya ces douze. » — S. Chrys. (hom. 33.) Voyez comme Jésus choisit bien le moment pour leur donner cette mission, il les envoie après qu’ils l’ont vu ressusciter un mort, commander à la mer et faire d’autres prodiges semblables, et après qu’il leur a donné par ses paroles et par ses oeuvres des preuves suffisantes de sa divinité.

 

La Glose. En les envoyant, il leur enseigne où ils devaient aller, ce qu’ils doivent dire, et ce qu’ils doivent faire. Et d’abord où doivent-ils aller ? Il leur donne les instructions suivantes : « Vous n’irez point vers les Gentils, et vous n’entrerez pas dans les villes des Samaritains ; mais allez plutôt aux brebis perdues de la maison d’Israël. » — S. Jér. Ce commandement n’est pas contraire à celui qu’il leur donna plus tard : « Allez, enseignez toutes les nations, » car le premier a été donné avant, et le second après la résurrection du Sauveur. Il fallait en effet que l’Évangile fût d’abord annoncé aux Juifs, pour leur ôter cette excuse qu’ils avaient rejeté le Seigneur, parce qu’il avait envoyé ses Apôtres aux Samaritains et aux Gentils. — S. Chrys. (hom. 33.) Une autre raison pour laquelle il les envoie d’abord vers les Juifs, c’est pour les préparer dans la Judée comme dans une arène aux combats qu’ils devaient livrer à l’univers entier, et il les excite à prendre leur vol (cf Dt 32) comme de petits oiseaux encore faibles. — S. Grég. (hom. 4 sur les Evang.) Ou bien il voulut d’abord être annoncé aux Juifs seuls, et puis ensuite aux Gentils, de manière que la prédication du Rédempteur repoussée par les siens, s’adressât ensuite aux Gentils comme à des étrangers. Il y en avait cependant parmi les Juifs qui devaient être appelés, comme il y en avait parmi les Gentils qui ne devaient avoir part ni à cette vocation, ni au bienfait de la régénération, sans toutefois mériter un jugement sévère pour le mépris qu’ils avaient fait de la prédication évangélique. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) La loi devait avoir le privilège des prémices de l’Évangile, et l’incrédulité d’Israël devait être d’autant moins excusable, que les avertissements lui avaient été prodigués avec un plus grand zèle. — S. Chrys. (hom. 33.) Le Sauveur ne veut pas leur donner à penser qu’il nourrissait contre eux de la haine, parce qu’ils l’accablaient d’outrages et l’appelaient possédé du démon ; il s’applique donc à les rendre meilleurs, et il détourne ses disciples de toute autre occupation pour les leur envoyer comme des médecins et comme des docteurs. Il ne se contente pas de leur défendre de prêcher à d’autres qu’aux Juifs, il ne leur accorde même pas de prendre la route qui les aurait conduits chez les Gentils : « N’allez pas dans la voie qui mène aux nations. » Et parce que les Samaritains étaient les ennemis des Juifs, bien qu’ils fussent plus faciles à convertir à la foi, il ne permet pas à ses disciples de leur annoncer l’Évangile avant de l’avoir prêché aux Juifs. « Vous n’entrerez pas dans les villes des Samaritains. » — La Glose. Les Samaritains étaient des Gentils que le roi d’Assyrie laissa dans la terre d’Israël après en avoir emmené les habitants en captivité. Sous la pression des dangers auxquels ils furent exposés, ils se convertirent au judaïsme (4 R 13), se soumirent à la circoncision, admirent les cinq livres de Moïse, mais rejetèrent tout le reste avec horreur, ce qui empêcha les Juifs de se mêler jamais aux Samaritains. — S. Chrys. (hom. 33.) Jésus détourne donc ses disciples d’aller vers les Samaritains, et il les envoie aux enfants d’Israël, qu’il appelle des brebis qui périssent, et non pas des brebis qui s’éloignent d’elles-mêmes ; cherchant ainsi par tous les moyens à leur ménager le pardon et à gagner leur cœur. — S. Hil. (can. 40 sur S. Matth.) Le Sauveur les appelle des brebis ; mais ils ne s’en déchaînèrent pas moins contre lui avec la méchanceté des vipères et la férocité des loups. — S. Jér. Dans le sens tropologique il nous est ordonné à nous qui portons le nom du Christ, de ne pas suivre la voie des Gentils et des hérétiques, et de ne point imiter la vie de ceux dont la religion nous sépare.

 

La Glose. Après leur avoir appris où ils doivent aller, il leur enseigne quel doit être le sujet de leurs prédications. « Allez et prêchez, en disant que le royaume des cieux approche. » — Rab. Notre-Seigneur dit que le royaume des cieux approche, non pas sans doute par aucun mouvement extérieur des éléments, mais par la foi qui nous est donnée au Créateur invisible. C’est à juste titre que les saints sont appelés les cieux parce qu’ils possèdent Dieu par la foi et qu’ils l’aiment par la charité. — S. Chrys. (homél. 33.) Vous voyez la sublimité de ce mystère et la dignité des Apôtres ; ce ne sont pas des choses extérieures et sensibles qu’ils doivent annoncer comme Moïse et les prophètes, mais des vérités nouvelles et tout à fait inattendues. Moïse et les prophètes avaient annoncé des biens terrestres ; les Apôtres annoncent le royaume des cieux, et tous les biens qu’ils renferment.

S. Grég. (hom. 4 sur les Evang.) Au ministère sacré de la prédication, le Sauveur ajoute le pouvoir de faire des miracles, afin que la manifestation de cette puissance ouvrît les cœurs à la foi, et qu’une prédication toute nouvelle fût accompagnée d’oeuvres d’un ordre tout nouveau. C’est pour cela qu’il leur dit : « Rendez la santé aux malades, ressuscitez les morts, guérissez les lépreux, chassez les démons. » — S. Jér. Dans la crainte que personne ne voulût croire à ces hommes simples et grossiers, sans science, sans lettres, sans éloquence, qui venaient promettre le royaume des cieux, il leur donne le pouvoir d’opérer ces miracles, pour que la grandeur des prodiges fût une preuve de la grandeur des promesses. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Le Seigneur communique toute sa puissance, toute sa vertu aux Apôtres, afin que ceux qui avaient été crées à l’image d’Adam et à la ressemblance de Dieu, reçoivent maintenant une ressemblance parfaite avec le Christ, et qu’ils puissent guérir par cette participation à la puissance divine tous les maux dont l’instinct infernal du démon avait frappé le corps d’Adam. — S. Grég. (hom. 29 sur l’Evang.) Ces miracles étaient nécessaires alors que l’Église était à son berceau, car pour que la foi pût s’accroître, il fallait la nourrir avec des prodiges. — S. Chrys. Plus tard, ces miracles cessèrent lorsque la foi fut répandue en tous lieux, ou s’il y en eut encore, ce fut en très petit nombre. Car Dieu opère ordinairement ces prodiges lorsque le mal est arrivé à son comble, et c’est alors qu’il fait éclater sa puissance. — S. Grég. (hom. 29 sur l’Evang.) Cependant la sainte Église renouvelle tous les jours pour les âmes ces miracles extérieurs et sensibles des Apôtres, miracles d’autant plus grands qu’ils ont pour objet de rendre la vie non pas au corps, mais à l’âme. — Remi. Ces infirmes sont les âmes sans énergie, qui n’ont pas la force de mener une vie chrétienne ; les lépreux ceux qui sont couverts des souillures des oeuvres et des plaisirs de la chair ; les morts, ceux qui font des oeuvres de mort, les possédés, ceux que le démon a soumis à son empire. — S. Jér. Et parce que les dons spirituels s’avilissent toujours lorsqu’ils deviennent le prix d’une récompense temporelle, Notre-Seigneur condamne cette avarice en ces termes : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ; moi qui suis votre maître et votre Seigneur, je vous ai donné cette grâce sans vous la faire payer ; vous devez la donner de même. — La Glose. Son but ici est de détourner Judas qui portait la bourse de se servir de cette puissance pour amasser de l’argent, et de condamner en même temps la pernicieuse hérésie des Simoniaques. — S. Grég. (homél. 29.) Car il prévoyait qu’il y en aurait pour qui les dons de l’Esprit saint seraient un objet de trafic, et qui mettraient le don des miracles au service de leur avarice. — S. Chrys. (hom. 33). Voyez comme le Seigneur, en même temps qu’il sauvegarde la dignité des miracles, prend soin de régler la conduite de la vie en faisant voir que sans une vie réglée les miracles ne sont rien. En effet, il étouffe dans leur cœur tout sentiment d’orgueil par ces paroles : « Vous avez reçu gratuitement ; » et par ces autres : « Donnez gratuitement, » il leur commande de se garder purs de toute affection aux richesses. Ou bien en leur disant : « Vous avez reçu gratuitement, » il veut leur apprendre qu’ils ne sont pas les auteurs des bienfaits qu’ils répandent ; comme s’il leur disait : « Vous ne donnez rien de ce qui vous appartient, » vous ne l’avez reçu ni comme récompense, ni comme prix de votre travail, c’est une grâce que je vous ai accordée, donnez-la donc comme vous l’avez reçue, car jamais vous ne pourrez en trouver un prix qui réponde à sa valeur.

 

vv. 9-10

S. Chrys. (hom. 33.) Après avoir défendu à ses Apôtres le trafic des choses spirituelles, le Seigneur veut arracher de leur cœur la racine de tous les maux. « Ne possédez, dit-il, ni or, ni argent. » — S. Jér. Si la fin qu’ils se proposent, en prêchant l’Évangile, n’est point de recevoir une récompense pécuniaire, pourquoi auraient-ils d’ailleurs de l’or, de l’argent ou d’autre monnaie, puisque alors ce n’est plus le salut des hommes, mais l’amour de l’argent qui semblerait être le mobile de leurs prédications ? — S. Chrys. (hom. 33.) En leur donnant ce précepte, il élève d’abord ses disciples au-dessus de tout soupçon ; en second lieu, il les affranchit de toute sollicitude pour qu’ils puissent se donner tout entiers à la parole de Dieu, et il leur enseigne enfin jusqu’où va sa puissance, car il leur dira plus tard : « Lorsque je vous ai envoyés sans sac et sans bourse, vous a-t-il manqué quelque chose ? » (Lc 22.) — S. Jér. Ce n’est pas assez d’avoir coupé jusque dans sa racine l’amour des richesses représentées par l’or, l’argent et la monnaie courante, il semble vouloir retrancher jusqu’au soin des choses nécessaires à la vie. C’est qu’il veut que les Apôtres, prédicateurs de la vraie religion, qui devaient enseigner que le gouvernement de la providence divine s’étend à tout, se montrent eux-mêmes sans préoccupation pour le lendemain : et c’est pour cela qu’il ajoute : « Ni monnaie dans vos bourses. » — La Glose. Il y a deux sortes de choses nécessaires : l’une qui sert à acheter le nécessaire, c’est l’argent dans la bourse ; l’autre le nécessaire lui-même, qui est ici représenté par le sac. — S. Jér. Par ces paroles : « Ni sac dans la route, » le Sauveur condamne certains philosophes qu’on appelait Bactropérates, qui méprisant le monde, et comptant tout pour rien, portaient avec eux toutes leurs provisions. « Ni deux tuniques. » Ces deux tuniques dont parle le Seigneur signifient, à mon avis, deux vêtements différents. Il ne défend donc pas à ceux qui sont exposés au froid glacial de la Scythie où qui vivent sous d’autres climats rigoureux, de porter deux tuniques ; mais par la tunique il entend le vêtement, et dès lors que nous en avons un, il nous défend d’en avoir un autre en réserve, par un sentiment de crainte pour l’avenir. « Ni chaussures. » Platon lui-même a défendu de couvrir les deux extrémités du corps pour ne pas rendre trop délicats la tête et les pieds, car lorsque ces deux parties ont de la vigueur et de la fermeté, les autres parties du corps en deviennent elles-mêmes plus robustes. « Ni bâton. » Pourquoi chercher l’appui d’un bâton, nous qui avons pour soutien le Seigneur lui-même ? — Remi. Le Seigneur nous montre encore par ces paroles, qu’il rappelle les saints prédicateurs de la loi nouvelle à la dignité du premier homme, car tant qu’il posséda les trésors du ciel il ne désira point les trésors de la terre, et il n’y pensa que lorsqu’il eut perdu les richesses du ciel par son péché.

S. Chrys. (hom. 33.) Heureux échange ! au lieu de l’or, de l’argent et d’autres choses de même nature, ils ont reçu le pouvoir de guérir les malades, de ressusciter les morts, et de faire d’autres semblables miracles. Aussi le Sauveur ne leur a pas tout d’abord fait cette défense : « Ne possédez ni or ni argent, » mais il a commencé par leur dire : « Guérissez les lépreux, chassez les démons. » On voit ici que d’hommes qu’ils étaient, le Sauveur en fait pour ainsi dire des anges, qu’il affranchit de tout soin de la vie présente pour ne leur laisser qu’une seule préoccupation, celle de la doctrine. Et encore veut-il les délivrer de cette sollicitude, lors qu’il leur dit : « Ne vous mettez pas en peine de ce que vous direz » (Lc 12, 11). C’est ainsi qu’il leur rend léger et facile ce que l’on regarde comme une tâche lourde et pénible. Car quoi de plus doux que d’être affranchi de tout soin, de toute inquiétude, surtout lorsque avec cela on n’éprouve aucun dommage, parce que Dieu est présent et que son action remplace la nôtre ? — S. Jér. Comme il venait d’envoyer prêcher ses Apôtres dépouillés de tout, et sans leur rien laisser, et que la condition de ces maîtres de l’univers paraissait bien dure, il adoucit la sévérité de ces commandements en ajoutant : « Car l’ouvrier est digne de son salaire, » ce qui revient à dire : « Recevez tout ce qui vous est nécessaire pour le vêtement et pour la nourriture. » C’est ce que recommande aussi l’apôtre S. Paul : « Dès lors que nous avons la nourriture et le vêtement, soyons-en contents (1 Tm 6) ; et ailleurs : « Que celui que l’on instruit des choses de la foi fasse part de tous ses biens à celui qui l’instruit » (Ga 6) ; c’est-à-dire que les disciples qui moissonnent les biens spirituels de ceux qui les enseignent, les fassent participer à leurs biens temporels, non pour satisfaire à leur avarice, mais pour subvenir à leurs besoins.

S. Chrys. (hom. 33.) Il était nécessaire que les Apôtres fussent nourris par leurs disciples, car ils auraient pu s’élever au-dessus de ceux qu’ils enseignaient, parce qu’ils leur donnaient tout sans en rien recevoir ; et les disciples, à leur tour, auraient pu se croire méprisés, et s’éloigner de leurs maîtres. Il ne veut pas non plus que les Apôtres rougissent de leur mission et viennent dire : « Il veut donc que nous vivions comme des mendiants ? » Il leur montre que cette nourriture leur est due, en leur donnant le nom d’ouvriers, et en appelant salaire ce qu’ils reçoivent. Les Apôtres ne devaient pas regarder comme un léger bienfait l’Évangile qu’ils annonçaient, parce que ce ministère est tout entier dans la parole ; et c’est pour cela qu’il ajoute : « L’ouvrier mérite de recevoir sa nourriture. » Ce n’est pas qu’il veuille cependant leur donner une idée exagérée de leurs travaux et de la récompense qu’ils méritent ; mais son dessein est de tracer aux Apôtres une règle de conduite, et d’apprendre à ceux qui fournissent à leurs besoins qu’ils ne font en cela que s’acquitter de ce qu’ils doivent. — S. Aug. L’Évangile n’est pas une chose vénale et on ne doit point l’annoncer pour obtenir des biens temporels. Ceux qui trafiquent ainsi de l’Évangile vendent à vil prix une chose bien précieuse. Les prédicateurs peuvent donc recevoir des peuples qu’ils évangélisent la nourriture nécessaire à leur vie, et attendre de Dieu seul la récompense de leur ministère. Ce n’est pas un salaire que les fidèles donnent à ceux que la charité porte à leur annoncer l’Évangile, c’est un subside qui leur permet de continuer leurs travaux. S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 30.) Après avoir dit à ses Apôtres : « Ne possédez point d’or, » le Sauveur ajoute immédiatement : « L’ouvrier mérite qu’on le nourrisse ; » paroles qui font connaître la raison pour laquelle il ne veut pas qu’ils aient ou qu’ils portent avec eux de l’or ou de l’argent. Ce n’est pas que l’un et l’autre ne soient nécessaires à l’entretien de la vie ; mais il veut, en les envoyant prêcher l’Évangile, que l’on comprenne bien que ce salaire leur est dû par les fidèles qu’ils allaient évangéliser, comme la solde est due à ceux qui combattent. Nous voyons encore ici que l’intention du Seigneur n’est pas de défendre à celui qui annonce l’Évangile d’avoir d’autres moyens de subsistance que les offrandes des fidèles, car alors saint Paul aurait été contre cette défense, lui qui vivait du travail de ses mains (Ac 20, 34 ; 1 Th 2, 9). Mais il leur donne simplement le pouvoir de recevoir ces offrandes comme une chose qui leur est due. Ne pas faire ce que le Seigneur commande, c’est une désobéissance formelle ; mais il est permis de ne pas user d’un pouvoir qu’il donne, et d’y renoncer comme à un droit qui nous est acquis. Le Sauveur veut donc établir que ceux qui annoncent l’Évangile ont le droit de vivre de l’Évangile, et il recommande à ses Apôtres d’être sans inquiétude lorsqu’ils ne posséderont ni ne porteront aucune des choses nécessaires à la vie, quelle que soit leur importance ; c’est pourquoi il ajoute : « ni bâton, » pour apprendre aux fidèles qu’ils doivent tout aux ministres de l’Évangile, pourvu qu’ils ne demandent rien de superflu. D’après l’évangéliste saint Marc, Notre-Seigneur leur défend de rien emporter avec eux pour le chemin, si ce n’est un bâton, et le bâton est l’emblème de ce pouvoir qu’il leur donne. Lorsque d’après saint Matthieu il défend de porter même des chaussures, il veut qu’ils soient libres de toute inquiétude, car on ne songe à s’en pourvoir que dans la crainte qu’on vienne à en manquer. Il faut entendre dans le même sens ce qu’il dit des deux tuniques ; il leur défend d’en porter d’autre que celle dont ils sont revêtus, pour se prémunir contre les nécessités du voyage, puisqu’ils ont le droit d’en recevoir au besoin. Dans saint Marc, Notre-Seigneur leur permet d’avoir pour chaussures des sandales, et cette chaussure a nécessairement une signification mystique ; comme elle laisse le pied découvert par dessus, tandis qu’elle le garantit par dessous, elle signifie que l’Évangile ne doit pas être tenu dans le secret, et qu’il ne doit pas s’appuyer sur des intérêts temporels. Il leur défend expressément dans le même endroit non-seulement de porter deux tuniques, mais même de s’en revêtir ; c’est pour les avertir de fuir toute duplicité, et d’être toujours simples dans leur conduite. Il est donc incontestable que le Seigneur a dit tout ce que les Évangélistes ont rapporté, tant au sens littéral, qu’au sens figuré ; mais qu’ils ont rapporté les uns une partie de son discours, les autres une autre. Maintenant que celui qui prétendrait que le Sauveur n’a pu, dans le même passage, parler tantôt au sens figuré, tantôt au sens propre, jette les yeux sur d’autres parties de l’Évangile, et il se convaincra que cette opinion est aussi téméraire qu’elle est peu éclairée. Car lorsque le Seigneur recommande de laisser ignorer à la main gauche ce que fait la main droite, il sera forcé de prendre dans un sens figuré les aumônes et tout ce qui fait la matière de ce commandement.

 

S. Jér. Nous avons donné le sens historique, voyons maintenant le sens anagogique. Il est défendu aux docteurs de l’Évangile d’avoir ni or, ni argent, ni monnaie dans leur bourse. Nous voyons que l’or est souvent pris pour l’intelligence, l’argent pour la parole, la monnaie pour la voix. Or, nous ne pouvons recevoir ces trois choses de personne, si ce n’est de Dieu qui nous les donne, ni emprunter rien aux enseignements des hérétiques, des philosophes ou d’autres doctrines également perverses. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) La ceinture est une des choses nécessaires à celui qui remplit quelque office, et elle rend son action plus libre ; nous défendre d’avoir de l’argent dans nos ceintures, c’est nous défendre toute vénalité dans l’exercice de notre ministère. Nous ne devons point porter de sac pour le chemin, c’est-à-dire qu’il nous faut laisser toute préoccupation des soins matériels ; car tout trésor sur la terre ne peut que nous être funeste, parce que notre cœur sera nécessairement là où notre trésor est enfoui. Il ajoute : « Ni deux tuniques. » Il nous suffit, en effet, de nous être revêtus une fois de Jésus-Christ, et après avoir reçu l’intelligence de la vérité, nous devons rejeter les vêtements que nous présentent l’hérésie ou la loi ancienne. « Ni chaussures, » c’est-à-dire que, marchant sur une terre sainte et débarrassée d’épines et de ronces, ainsi qu’il fut dit à Moïse (Ex 3), nous ne devons couvrir nos pieds d’autre chaussure que de celle que nous avons reçue de Jésus-Christ. — S. Jér. Ou bien le Seigneur nous enseigne à ne pas enchaîner nos pieds dans les liens de la mort, mais à les dépouiller de tout pour entrer dans la terre sainte, à laisser même ce bâton qui pourrait se changer en serpent ; à ne nous appuyer sur aucun secours humain, car un bâton ou une baguette ne sont jamais que des roseaux qui, pour peu qu’on les presse, se brisent et déchirent la main de ceux qui s’y appuient. — S. Hil. (can. 10.) Nous n’avons besoin, du reste, d’aucun secours étranger, nous qui avons en main le rejeton qui est sorti de la tige de Jessé (Is 11, 1).

 

vv. 11-15.

S. Chrys. (hom. 33.) Le Seigneur venait de dire : « L’ouvrier est digne de son salaire ; mais son intention n’est point d’ouvrir indifféremment par ces paroles toutes les portes à ses disciples : aussi leur recommande-t-il d’user de la plus grande prudence dans le choix de ceux dont ils recevront l’hospitalité : « Dans quelque ville, leur dit-il, ou dans quelque bourg que vous entriez, demandez qui est digne de vous recevoir. » — S. Jér. Les Apôtres, en entrant dans une ville nouvelle pour eux, ne pouvaient connaître celui qui se trouvait dans ces conditions. Leur choix devait donc se guider sur l’opinion générale et sur le jugement des voisins, afin que la dignité de l’Apôtre ne fût pas compromise par la mauvaise réputation de celui qui le recevrait. — S. Chrys. (hom. 33.) Pourquoi donc alors le Sauveur s’est-il assis lui-même à la table d’un publicain (Lc 1, 27.28.29) ? C’est que ce publicain s’en était rendu digne par sa conversion. Or, cette manière d’agir ne devait pas seulement tourner à la gloire des Apôtres, mais encore leur procurer les choses nécessaires à la vie ; car si leur hôte était vraiment digne de leur choix, il devait fournir amplement à tous leurs besoins, alors surtout qu’on ne lui demanderait que le nécessaire. Remarquez comment en même temps qu’il les dépouille de tout, il leur donne tout en abondance, en leur permettant de demeurer dans la maison de ceux qu’ils évangélisaient. Car ils étaient ainsi délivrés de toute sollicitude ; et comme ils ne portaient rien avec eux, qu’ils ne demandaient que le nécessaire, et n’entraient pas indistinctement chez tout le monde, ils persuadaient plus facilement aux autres qu’ils n’étaient venus que pour les sauver. Le Seigneur voulait que ses Apôtres brillassent plus encore par leur vertu que par leurs miracles, et une marque des moins équivoques de la vertu, c’est de renoncer aux choses superflues. — S. Jér. Celui que les Apôtres choisissent pour lui demander l’hospitalité ne fait pas une grâce à celui qui demeure chez lui, mais au contraire il en reçoit une faveur ; et Jésus exige qu’il soit digne, pour lui faire comprendre qu’il reçoit plutôt qu’il ne donne. — S. Chrys. (hom. 33.) Remarquez que Notre-Seigneur ne leur accorde pas encore toute faveur, ainsi il ne leur donne pas de savoir qui est digne, et il leur commande de s’en informer. A cet ordre, il ajoute celui de ne pas aller de maison en maison : « Demeurez-y, dit-il, jusqu’à ce que vous vous en alliez ; » et cela pour ne pas contrister celui qui les a reçus, et ne pas encourir le reproche de légèreté ou de sensualité. — S. Amb. Ce n’est donc pas sans motif qu’il ordonne aux Apôtres de choisir la maison où ils devront demeurer, c’est afin de ne pas avoir ensuite de raison d’en changer ; mais les mêmes précautions ne sont pas recommandées à celui qui les reçoit, car en voulant y mettre trop de discernement, son hospitalité pourrait perdre de son prix.

« En entrant dans la maison, saluez-la en disant : Que la paix soit dans cette maison. » — La Glose. C’est-à-dire, demandez la paix pour celui qui vous reçoit, afin d’assoupir en lui toute résistance contre la vérité. — S. Jér. Ces paroles renferment implicitement le salut ordinaire des langues hébraïque et syriaque, car le mot à la fois hébraïque et syriaque salemalach ou salamalach répond au καιρε des Grecs et à l’ave des Latins, et veut dire : « La paix soit avec vous. » Or voici le sens de cette recommandation : en entrant dans une maison, demandez la paix pour celui qui l’habite, et autant que vous le pourrez, apaisez les discordes qui la troublent. Si on s’obstine à vouloir la dissension, vous recevrez votre récompense pour la paix que vous aurez offerte, et ceux qui l’ont rejetée auront la guerre en partage, comme l’indique le texte sacré : « Si cette maison en est digne, votre paix viendra sur elle ; si elle n’en est pas digne, votre paix reviendra sur vous. » — Remi. Ou bien il y aura dans cette maison un prédestiné à la vie, et il mettra en pratique la parole divine qu’il a entendue, ou s’il n’y a personne qui veuille l’entendre, le prédicateur ne demeurera pas sans fruit pour cela, car la paix lui revient, lorsqu’il reçoit du Seigneur la récompense de son travail et de son zèle. — S. Chrys. (hom. 33.) Le Seigneur recommande aux Apôtres de ne pas attendre que les autres les saluent, parce qu’ils sont eux-mêmes leurs docteurs, mais de les saluer les premiers et de les prévenir par ce témoignage d’honneur. En ajoutant : « Mais si cette maison n’est pas digne, » il leur fait voir qu’il s’agit non pas d’une simple salutation, mais d’une véritable bénédiction. — Remi. Le Seigneur veut donc que ses disciples offrent la paix en entrant dans une maison, afin que ce salut de paix les aide à reconnaître la maison ou l’hôte qui sont dignes de les recevoir. Il semble leur dire ouvertement : Offrez la paix à tous ; s’ils la reçoivent, ils prouveront qu’ils en sont dignes, s’ils la rejettent, ils s’en déclareront indignes. Quoique l’opinion générale ait dû les guider dans le choix de celui qui était digne de les recevoir, ils doivent cependant lui adresser ce salut, car il faut bien plutôt qu’on appelle les prédicateurs à cause de leur dignité, que de les voir s’introduire d’eux-mêmes sans être appelés. Or ce salut de paix renfermé dans ce peu de mots peut servir à reconnaître parfaitement si une maison ou celui qui l’habite sont dignes de leur donner l’hospitalité.

S. Hil. Les Apôtres saluent donc la maison avec un vif désir de paix, mais leurs paroles expriment plutôt la paix qu’ils ne la donnent. Quant à la paix proprement dite, qui sort des entrailles de la miséricorde, elle ne peut descendre sur cette maison qu’autant qu’elle la mérite ; si elle n’en est pas trouvée digne, le mystère de cette paix toute divine doit rester renfermé dans la conscience des Apôtres. Et ceux qui ont rejeté les préceptes du royaume des cieux n’ont plus à attendre que la malédiction éternelle que leur prédisent les apôtres en les quittant, et en secouant la poussière de leurs pieds. « Lorsque quelqu’un ne voudra point vous recevoir, ni écouter vos paroles, en sortant de cette maison ou de cette ville secouez la poussière de vos pieds. » Car lorsqu’on habite un endroit, il semble qu’on est en rapport, en communion avec lui. Mais en secouant la terre de ses pieds, on se sépare complètement du péché de cette maison, qui ne retire aucun avantage pour sa guérison des traces qu’y ont imprimées les pieds des Apôtres. — S. Jér. Ils secouent la poussière de leurs pieds, en témoignage de leurs travaux, et pour attester qu’ils sont entrés dans cette ville, et que la prédication évangélique est parvenue jusqu’à ses habitants. Ou bien cette poussière secouée, signifie qu’ils ne doivent rien recevoir, pas même le nécessaire, de ceux qui rejettent l’Évangile. — Rab. Ou bien les pieds des Apôtres figurent l’oeuvre même, la marche et le progrès de la prédication apostolique. Cette poussière dont ils sont couverts est la figure de la légèreté des pensées de la terre. Les docteurs les plus éminents ne peuvent entièrement s’en garantir, lorsqu’ils se livrent avec sollicitude aux oeuvres de zèle que réclame l’utilité de ceux qu’ils enseignent ; et en traversant les routes du monde, la poussière de la terre s’attache nécessairement à leurs pieds. Pour ceux donc qui méprisent leur doctrine, les travaux, les dangers, les ennuis, les inquiétudes des docteurs de l’Évangile deviennent un sujet de condamnation. Ceux au contraire qui reçoivent leur parole savent trouver une leçon d’humilité dans les soucis et les peines que supportent pour eux ceux qui les évangélisent. Et pour faire voir que ce n’est pas une faute légère de ne pas recevoir les Apôtres, le Sauveur ajoute : « Je vous le dis en vérité, au jour du jugement, Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement que cette ville. » — S. Jér. Car la prédication ne s’est pas fait entendre à Sodome et à Gomorrhe, tandis que cette ville l’a entendue et n’a pas voulu la recevoir. — Remi. Ou bien c’est parce que les habitants de Sodome et de Gomorrhe, au milieu des désordres où ils vivaient, exerçaient volontiers l’hospitalité, bien que ceux qu’ils ont reçus ne fussent pas des apôtres. —  S. Jér. Si la ville de Sodome est traitée moins rigoureusement que cette cité qui n’a pas reçu l’Évangile, il y a donc divers degrés dans les supplices des pécheurs. — Remi. Notre-Seigneur choisit ici pour exemple les villes de Sodome et de Gomorrhe, pour montrer que Dieu a surtout en horreur les péchés contre nature, péchés qui ont attiré sur le monde les eaux dans lesquelles il a été enseveli, qui ont amené la destruction de quatre villes entières, et qui tous les jours sont cause des maux incalculables qui viennent frapper les hommes.

S. Hil. Dans le sens mystique, le Seigneur nous enseigne à ne pas fréquenter les maisons, et à ne pas cultiver l’amitié des personnes qui se déclarent ennemis de Jésus-Christ ou qui ne le connaissent pas. Dans chaque ville, il nous faut donc demander qui est digne de nous recevoir, c’est-à-dire demander si l’Église est quelque part, et si Jésus-Christ a lui-même une habitation ; et une fois entrés, n’allons pas ailleurs, car cette maison et celui qui l’habite sont dignes que nous nous y arrêtions. Il devait s’en rencontrer beaucoup parmi les Juifs, dont l’attachement pour la loi serait si grand que tout en croyant en Jésus-Christ dont ils avaient vu et admiré les prodiges, ils ne pourraient cependant sortir des oeuvres de la loi. D’autres, curieux d’examiner la liberté dont Jésus-Christ est l’auteur, devaient user de feinte, en quittant la loi pour l’Évangile. Plusieurs autres enfin devaient être entraînés dans l’hérésie par la dépravation de leur intelligence, et comme tous prétendent, mais bien à tort, qu’ils sont en possession de la vérité catholique, il ne faut entrer qu’avec précaution dans cette maison qui se dit l’Église catholique.

 

vv. 16-18.

S. Chrys. (hom. 34.) Après avoir banni toute sollicitude du cœur de ses disciples et les avoir armés de la puissance de faire des miracles éclatants, il leur prédit les dangers qu’ils devaient courir. Il le fait, premièrement pour les convaincre de sa divine prescience ; secondement, pour éloigner de leur esprit le soupçon que ces épreuves leur arrivent à cause de la faiblesse de leur Maître ; troisièmement, pour prévenir l’étonnement mêlé de frayeur que ces maux leur causeraient, s’ils venaient fondre sur eux à l’improviste et contre toute espérance ; quatrièmement, afin qu’étant ainsi prévenus, le spectacle de la croix ne les jetât pas dans le trouble. Comme il veut ensuite leur apprendre les lois nouvelles de ce combat, il les envoie dépouillés de tout et il veut qu’ils soient nourris par ceux qui les recevront. Il ne s’arrête pas là, mais il leur donne une nouvelle idée de sa puissance, en ajoutant : « Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. » Remarquez que ce n’est pas seulement vers les loups qu’il les envoie, mais au milieu des loups, afin que sa puissance se manifeste avec plus d’éclat, lorsqu’on verra les brebis triompher des loups, tout en vivant au milieu d’eux, et qu’au lieu de périr sous leurs morsures répétées, elles parviendront à les changer et à les convertir. Or c’est une oeuvre bien plus grande et plus admirable de changer leurs âmes que de les mettre à mort. En s’exprimant de la sorte, il leur apprend à montrer la douceur des brebis au milieu des loups. — S. Grég. (homél. 17 sur l’Evang.) Celui qui se charge du ministère de la prédication, ne doit causer aucun mal, mais supporter celui qu’on veut lui faire. C’est par cette douceur qu’il adoucira la fureur de ceux qui se déchaînent contre lui, et que ressentant lui-même le contrecoup des afflictions des autres, il pourra guérir les blessures des pécheurs. Si quelquefois le zèle de la justice lui commande de sévir contre ceux qui lui sont soumis, il faut que l’amour et non pas la dureté soit le principe de sa colère, et que tout en maintenant au dehors les droits de la discipline outragée, il aime d’un amour paternel ceux qu’il est obligé de châtier extérieurement. Il en est beaucoup, au contraire, qui à peine revêtus de l’autorité du commandement, se montrent ardents à tourmenter leurs inférieurs, veulent imprimer la terreur du pouvoir, et paraître dominateurs ; ils oublient tout à fait qu’ils sont pères, et cette place qui leur fait un devoir de l’humilité, devient pour eux un sujet d’orgueil et de domination. Parfois peut-être ils vous flattent au dehors, mais ils exercent intérieurement leur fureur contre vous, et c’est d’eux qu’il a été dit : « Ils viennent à vous avec des vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravissants. » Remarquons ici que nous sommes envoyés comme des brebis au milieu des loups, parce que Dieu veut que nous conservions la pureté de l’innocence, sans jamais nous rendre coupables des morsures de la méchanceté. — S. Jér. Il donne le nom de loups aux Scribes et aux Pharisiens qui étaient comme les clercs de la religion juive. — S. Hil. Ces loups figurent aussi ceux qui dans leur fureur insensée devaient se déchaîner contre les Apôtres.

 

S. Chrys. (hom. 34.) Ils avaient une consolation dans leurs maux, c’était la puissance de Celui qui les envoyait : aussi le Sauveur cherche-t-il à les bien convaincre avant tout de cette puissance, lorsqu’il leur dit : « Voici que je vous envoie, » c’est-à-dire : Ne soyez pas effrayés d’être envoyés au milieu des loups, car j’ai assez de puissance pour vous préserver entièrement du mal qu’ils pourraient vous faire, non-seulement en vous arrachant à leur dent meurtrière, mais en vous rendant terribles aux lions eux-mêmes. Cependant il faut que vous passiez par ces épreuves, pour faire briller dans tout son éclat votre gloire et ma puissance. Toutefois, pour que les Apôtres puissent contribuer eux-mêmes à cette gloire et qu’on ne croie pas qu’ils ont été couronnés sans mérite, il ajoute : Soyez donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes. » — S. Hil. La prudence leur fera éviter les embûches, la simplicité les garantira du mal. Notre-Seigneur leur donne pour exemple la finesse du serpent, parce qu’il cache sa tête dans les replis de son corps afin de mettre à couvert le siége de sa vie. Ainsi devons-nous sauver au péril de tout notre corps notre tête, qui est Jésus-Christ, c’est-à-dire nous appliquer à conserver notre foi dans toute sa pureté (Ep 3, 17 ; 4, 15), dans toute son intégrité. — Rab. Le serpent a coutume aussi de se frayer un passage dans des ouvertures étroites, pour y laisser en passant son ancienne peau. C’est ainsi que le prédicateur, en traversant la voie étroite, doit se dépouiller entièrement du vieil homme. — Remi. Le Sauveur donne ici une belle leçon aux prédicateurs, en leur recommandant d’avoir la prudence du serpent ; car c’est par le serpent que le premier homme fut trompé, et il semble leur dire : Le serpent a été prudent et rusé pour tromper ; soyez prudents vous mêmes pour sauver ; il a fait l’éloge de l’arbre de la science ; exaltez vous-mêmes la puissance de la croix. — S. Hil. Le démon s’est d’abord attaqué à l’âme du sexe le plus faible, et l’a séduite par l’espérance, en lui promettant la participation à l’immortalité ; ainsi devons-nous choisir nous-mêmes l’occasion favorable (eu égard à la nature et aux dispositions d’un chacun) pour parler avec prudence, révéler l’espérance des biens éternels et prédire en toute vérité, en nous fondant sur la promesse de Dieu lui-même, ce que le démon n’a promis que par un mensonge, c’est-à-dire que ceux qui croient deviendront semblables aux anges. (Mt 22.)

 

S. Chrys. (hom. 24.) De même que nous devons avoir la prudence du serpent pour éviter d’être blessés dans ce que nous avons de plus cher, ainsi devons-nous avoir la simplicité de la colombe pour ne pas opposer la vengeance à l’injustice qui nous est faite, et ne pas dresser aux autres de pernicieuses embûches. — Remi. Le Sauveur réunit ces deux vertus, car la simplicité sans la prudence peut être facilement trompée, et la prudence a ses dangers lorsqu’elle n’est pas tempérée par la simplicité.

 

S. Jér. La simplicité des colombes nous est révélée dans la forme sous laquelle l’Esprit saint a voulu paraître, et c’est en faisant allusion à cette vertu que l’Apôtre a dit : « Soyez petits en malice. » — S. Chrys. (hom. 34.) Quoi de plus dur en apparence que de semblables commandements ? Non-seulement il faut souffrir le mal, il n’est pas même permis de s’en troubler, ce qui est le propre de la colombe ; car la colère n’apaise pas la colère, mais la douceur seule peut l’éteindre.

Rab. Ces loups dont il vient de parler, ce sont les hommes, comme le prouvent les paroles suivantes : « Gardez-vous des hommes. » La Glose. Il est donc nécessaire que vous soyez comme des serpents, c’est-à-dire pleins de finesse, car tout d’abord, suivant leur coutume, ils vous traduiront devant leurs tribunaux, et vous défendront de prêcher en mon nom ; et si vous n’obéissez, ils vous feront fouetter de verges et vous conduiront enfin devant les gouverneurs et devant les rois. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ce sont eux qui s’efforcent d’arracher un aveu à votre silence ou votre consentement à leurs projets.

 

S. Chrys. (hom. 34.) Il est vraiment surprenant qu’en parlant de la sorte le Sauveur n’ait pas vu s’éloigner aussitôt de lui ces hommes qui n’avaient jamais quitté les bords du lac dans lequel ils jetaient leurs filets. C’est là une preuve non-seulement de leur vertu, mais de la sagesse du docteur qui les enseignait ; car à chacun des maux qu’il leur prédisait il prenait soin de joindre un adoucissement. C’est pour cela qu’il ajoute : « A cause de moi. » C’est en effet une bien grande consolation de souffrir pour Jésus-Christ. Les Apôtres n’étaient pas persécutés comme des méchants et des scélérats ; Notre-Seigneur en donne la raison : « Pour leur servir de témoignage. » — S. Grég. (hom. 31.) C’est-à-dire à ceux qui leur ont donné la mort en les persécutant ou qui n’ont pas changé eux-mêmes de vie ; car la mort des saints est un puissant secours pour les bons comme elle est un témoignage contre les méchants qui périssent sans excuse là où les élus trouvent de salutaires exemples qui les conduisent à la vie.

 

S. Chrys. (hom. 34.) Ce qui les consolait dans ces paroles, ce n’est pas le désir de voir la ruine de leurs ennemis, mais la vive confiance qu’ils avaient que le Sauveur était toujours avec eux et prévoyait tout ce qui devait leur arriver. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ce témoignage non-seulement enlève aux persécuteurs toute excuse, mais encore ouvre aux nations le chemin de la foi en Jésus-Christ, qui leur fut prêchée jusqu’au milieu des tourments par la voix ferme et constante des confesseurs ; et c’est pour cela qu’il ajoute : « Et aux nations. »

 

vv. 19-20.

S. Chrys. (hom. 34.) Aux consolations qui précèdent, le Sauveur en ajoute une non moins grande. Les Apôtres auraient pu lui dire : Comment pourrons-nous persuader les esprits au milieu de tant de persécutions ? Jésus leur commande de ne point se préoccuper de ce qu’ils auront à répondre. « Lorsqu’on vous livrera, leur dit-il, ne vous mettez point en peine comment vous leur parlerez ; ni de ce que vous leur direz. » Il distingue ici deux choses : la réponse et la forme qu’on peut lui donner ; l’une qui a pour principe la sagesse, et l’autre qui est du ressort de la parole. Or, comme c’était de lui que venaient et les paroles qu’ils devaient dire, et la sagesse qui les inspirait, les prédicateurs de l’Évangile n’avaient nullement à se préoccuper soit du fond soit de la forme de leur discours. — S. Jér. Lorsque nous sommes traduits devant les juges de la terre pour la cause de Jésus-Christ, nous n’avons qu’une chose à faire : offrir pour lui notre volonté. Pour le reste, Jésus-Christ, qui lui-même habite en nous, parlera pour lui-même, et le Saint-Esprit nous prêtera son secours divin pour répondre. — S. Hil. Car si notre foi se donne tout entière à l’accomplissement des divins préceptes, Dieu de son côté lui donnera la science nécessaire pour répondre ; elle en a pour garant l’exemple d’Abraham à qui Dieu, après lui avoir demandé le sacrifice de son fils Isaac, fit trouver le bélier nécessaire au sacrifice. (Gn 22.) Aussi prend-il soin d’ajouter : « Car ce n’est pas vous qui parlez. » — Remi. Voici le sens de ces paroles : C’est vous qui marchez au combat, mais c’est moi qui en soutiens tout l’effort ; c’est vous qui prononcez les paroles, mais c’est moi-même qui parle par votre bouche. C’est ce qui faisait dire à saint Paul : « Est-ce que vous voulez faire l’expérience de Jésus-Christ qui parle par ma bouche ? » — S. Chrys. (hom. 34.) C’est ainsi qu’il revêt les Apôtres de la dignité des prophètes qui ont parlé sous l’inspiration de l’Esprit saint. Or, ce qu’il leur dit ici : « Ne soyez pas en peine de ce que vous direz, » n’est pas contraire à ce qui est dit ailleurs : « Soyez toujours prêts à répondre pour votre défense à tous ceux qui vous demanderont raison de l’espérance qui est en vous. » Lorsque la discussion s’engage entre nous et nos amis, nous devons nous préoccuper de ce que nous répondrons ; mais devant le tribunal effrayant des persécuteurs, au milieu d’un peuple en furie, alors que nous ne voyons de tous côtés que des sujets d’effroi, Jésus-Christ vient à notre secours et nous donne la force de parler avec une sainte hardiesse et d’être inaccessible à la crainte.

 

vv. 21-22.

La Glose. Notre-Seigneur a fait précéder la consolation, il prédit maintenant de plus grands dangers : « Le frère livrera son frère à la mort, et le père son fils, et les fils s’élèveront contre leurs parents. » — S. Grég. (hom. 35 sur les Evang.) Les peines que nous causent ceux dont l’affection et la fidélité nous paraissaient acquises, nous sont beaucoup plus sensibles que les épreuves qui nous viennent de personnes qui nous sont étrangères ; car alors, outre la douleur du corps, nous sommes déchirés par le regret de l’affection que nous avons perdue. — S. Jér. C’est ce qui arrive souvent dans les persécutions, et il n’y a point à compter sur l’affection de ceux qui n’ont point la même foi.

 

S. Chrys. (hom. 34.) Voici une épreuve plus terrible encore : « Et vous serez haïs de tous les hommes. » Et en effet on les poursuivait, et on voulait les chasser comme les ennemis communs du genre humain. Aussi leur présente-t-il de nouveau cette double consolation : « A cause de mon nom, » et cette autre : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. » Il en est beaucoup, en effet, qui, pleins d’ardeur dans les commencements, perdent insensiblement toute leur force ; c’est pourquoi le Sauveur demande la persévérance jusqu’à la fin. Car de quelle utilité peuvent être les semences qui donnent d’abord des fleurs, et qu’on voit ensuite se dessécher sur leur tige ? Aussi exige-t-il de ses disciples une persévérance constante. — S. Jér. Le caractère propre de la vertu, ce n’est pas de commencer, c’est d’achever. — Remi. Et ce n’est pas à ceux qui commencent, mais à ceux qui persévèrent, que la récompense est donnée.

 

S. Chrys. (hom. 34.) Notre-Seigneur prévient ici cette difficulté : Le Christ est l’auteur de tout ce que nous admirons dans les Apôtres ; il n’est donc pas surprenant qu’ils soient devenus ce qu’on les a vus, puisqu’ils n’avaient rien à supporter de pénible ; c’est pourquoi il ajoute que la persévérance leur est nécessaire. Car lors même qu’il les aurait arrachés aux premiers dangers, ils étaient réservés à d’autres plus grands encore, auxquels de nouveaux devaient succéder, puisqu’ils ne devaient pas vivre un instant sans avoir à redouter les piéges qu’on leur dressait, vérité qu’il leur révèle d’une manière indirecte, en leur disant : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. » Remi. C’est-à-dire celui qui n’abandonnera pas les préceptes de la foi, qui ne faiblira pas dans les persécutions, celui-là sera sauvé, et les persécutions de la terre lui mériteront les récompenses du royaume des cieux. Remarquez que le mot fin ne signifie pas toujours la destruction d’une chose, mais quelquefois sa perfection, comme dans ce passage : « Le Christ est la fin. » (Rm 10.) On peut donc adopter ce sens : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin, » c’est-à-dire dans le Christ. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 21, chap. 25.) En effet, persévérer dans le Christ, c’est persévérer dans la foi que nous avons en lui et qui agit par la charité.

 

v. 23.

S. Chrys. (hom. 35.) Après avoir prédit à ses Apôtres les épreuves terribles qui devaient leur arriver après son crucifiement, sa résurrection et son ascension, il ramène leur pensée sur des considérations moins sévères ; il ne leur fait pas un devoir d’affronter audacieusement la persécution, mais leur ordonne même de la fuir. « Lorsqu’ils vous persécuteront, fuyez. » Le Sauveur use à leur égard de cette condescendance, parce qu’ils étaient nouvellement convertis. — S. Jér. Il faut rapporter ces paroles au temps où il envoyait les Apôtres prêcher l’Évangile en leur disant : « N’allez pas dans la voie des Gentils ; » c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas craindre la persécution, mais l’éviter, c’est ce que nous voyons faire aux fidèles de la primitive Église ; la persécution s’étant élevée à Jérusalem, ils se dispersèrent dans toute la Judée (Ac 8), et c’est ainsi que la persécution devint elle-même le principe de la propagation de l’Évangile.

 

S. Aug (contre Faust, liv. 22, chap. 39.) Si le Sauveur leur ordonne de fuir, et si lui-même le premier leur en a donné l’exemple, ce n’est point par impuissance de défendre ses disciples, mais c’est pour enseigner à la faiblesse de l’homme à ne pas tenter Dieu, quand il est en son pouvoir de fuir le danger qu’il doit éviter. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 1, chap. 23.) Il aurait pu leur conseiller de mettre fin à leurs jours pour ne pas tomber entre les mains des persécuteurs. Or, puisqu’il n’a donné ni l’ordre ni le conseil de sortir ainsi de cette vie à ceux qu’il a promis de recevoir dans les demeures éternelles qu’il est allé leur préparer ; quels que soient les exemples que puissent nous opposer les nations qui ne connaissent pas Dieu, il est évident que se donner la mort est un crime pour ceux qui croient en un seul et vrai Dieu.

 

S. Chrys. (hom. 35.) Les Apôtres pouvaient lui objecter : Mais que ferons-nous si après avoir fui la persécution qui nous menace, on nous chasse encore de la contrée que nous aurons choisie ? Le Seigneur bannit cette crainte de leur cœur en ajoutant : « Je vous dis en vérité, vous n’aurez pas achevé toutes les demeures d’Israël jusqu’à ce que vienne le Fils de l’homme, » c’est-à-dire en parcourant la Palestine, vous ne devancerez pas le temps où je dois venir vous chercher et vous prendre avec moi. — Rab. Ou bien il leur prédit qu’ils ne convertiront pas à la foi par leurs prédications toutes les villes d’Israël avant la résurrection du Sauveur, et aussi avant qu’ils aient reçu le pouvoir de prêcher l’Évangile par toute la terre. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ou bien encore il leur conseille de fuir d’une ville dans une autre, parce que la prédication de l’Évangile, repoussée par la Judée, s’est fait entendre dans la Grèce. Elle s’est ensuite répandue dans toutes les villes de cette contrée par les persécutions multipliées des Apôtres, et de là elle s’est fixée, pour y demeurer, dans l’universalité des nations. Mais le Seigneur, voulant montrer que si les nations seraient amenées à la foi par la prédication des Apôtres, les restes d’Israël ne devraient leur conversion qu’à son avènement, il ajoute : « Vous n’achèverez pas toutes les villes, » c’est-à-dire qu’après la plénitude des nations, ce qui restera d’Israël pour consommer le nombre des saints sera réuni à l’Église par l’éclat du dernier avènement de Jésus-Christ.

 

S. Aug. (Lettre 180 à Honorat.) Que les serviteurs de Jésus-Christ ne craignent donc pas de faire ce qu’il a commandé ou permis, et ce qu’il a fait lui-même en fuyant en Egypte ; ils doivent donc fuir aussi de ville en ville lorsqu’ils seront l’objet particulier d’une persécution ; ceux au contraire qui ne sont pas personnellement recherchés, ne doivent pas abandonner leur Église, mais rester pour soutenir ceux de leurs frères qui n’attendent que d’eux leur subsistance. Mais lorsque le danger devient général et qu’il menace également les évêques, les clercs et les fidèles, que ceux qui doivent aux autres le secours de leur ministère n’abandonnent pas les fidèles qui ont droit de le réclamer, ou qu’ils fuient tous ensemble dans des lieux sûrs. Que ceux qui sont obligés de rester ne soient point abandonnés par ceux qui doivent subvenir à leurs besoins spirituels, mais qu’ils vivent ensemble, ou qu’ensemble ils partagent les épreuves auxquelles le père de famille veut les soumettre. — Remi. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que si le précepte de la persévérance dans les persécutions regarde spécialement les Apôtres et les hommes courageux qui leur ont succédé, la permission de fuir est donnée à ceux qui sont faibles dans la foi. Le bon Maître a voulu ainsi condescendre à leur faiblesse, dans la crainte qu’en se présentant d’eux-mêmes au martyre, ils ne fussent exposés à renoncer à la foi au milieu des tourments ; car il vaut mieux fuir qu’apostasier. Et bien qu’en fuyant ils ne fissent pas preuve d’une foi constante et parfaite ; cependant ils avaient un grand mérite, car ils étaient prêts, en prenant la fuite, à tout quitter pour Jésus-Christ. Or, si le Sauveur ne leur avait pas accordé la permission de fuir la persécution, il y aurait eu des hommes qui les auraient déclarés indignes de la gloire du royaume des cieux.

S. Jér. En prenant ces paroles dans le sens spirituel, nous pouvons dire : Lorsqu’ils nous persécuteront dans une ville, c’est-à-dire dans un livre, ou dans un texte de la sainte Écriture, fuyons vers d’autres villes, c’est-à-dire vers d’autres livres ; et quelque ami de la dispute que soit notre persécuteur, le secours du Seigneur nous arrivera avant qu’il ait remporté la victoire.

 

vv. 24-25.

S. Chrys. (hom. 35.) Aux persécutions dont il vient de parler devait se joindre la diffamation et la calomnie, qui seraient pour les Apôtres le supplice le plus pénible en les atteignant jusque dans leur réputation ; il leur apporte donc pour consolation son propre exemple, et leur rappelle tout ce qu’on a osé dire de lui, consolation qui, pour eux, était sans égale. — S. Hil. En effet, le Seigneur, la lumière éternelle, le chef des croyants, le père de l’immortalité, révèle par avance à ses disciples les consolations qui adouciront un jour leurs épreuves, afin de nous faire embrasser avec ardeur comme un titre de gloire cette carrière qui nous rend les égaux du Seigneur par les souffrances. C’est pour cela qu’il ajoute : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître, ni le serviteur, » etc. — S. Chrys. (hom. 35.) Il faut entendre ces paroles dans ce sens : tant qu’il reste disciple et serviteur. Alors, dis-je, il n’est pas au-dessus de son maître et de son seigneur, quant à l’honneur auquel il peut aspirer. Et ne m’objectez pas ici de rares exceptions, ces paroles doivent s’entendre de ce qui arrive le plus ordinairement. — Remi. Le maître et le seigneur c’est lui-même ; par le serviteur et le disciple, il veut désigner ses Apôtres. — La Glose. Telle est la leçon qu’il veut faire à ses disciples : « Ne vous irritez pas de souffrir ce que je souffre, car je suis votre Maître, et je vous enseigne ce qui doit vous être utile.

 

Remi. Comme cette maxime ne paraissait pas se rapporter parfaitement à ce qui précède, il leur fait connaître le but qu’il s’y est proposé en ajoutant : « S’ils ont appelé Béelzébub le père de famille, à combien plus forte raison traiteront-ils ses domestiques de la même manière. »

 

S. Chrys. (hom. 35.) Il ne dit pas ses serviteurs, mais ses domestiques, les gens de sa maison, pour exprimer dans quelle intimité il est avec eux, comme il le dit ailleurs : « Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, mais mes amis. » — Remi. Il semble leur dire par ces paroles : « Ne cherchez donc ni les honneurs de la terre, ni la gloire qui vient des hommes, vous qui me voyez racheter le monde en supportant tous les outrages et tous les opprobres. — S. Chrys. (hom. 35.) Il ne se contente pas de dire : S’ils ont outragé le Maître, mais il spécifie l’outrage : « s’ils l’ont appelé Béelzébub. » — S. Jér. Béelzébub était l’idole d’Accaron, qui est appelée dans le livre des Rois l’idole de la mouche. Béel est la même chose que Bel ou Baal, et Zébub signifie mouche. Les Juifs donnaient au prince des démons le nom de l’idole la plus impure, qu’on appelait mouche, à cause de ce qu’elle a d’immonde, car la mouche en tombant dans un parfum en détruit la bonne odeur.

 

vv. 26-28.

Remi. A cette première consolation, le Sauveur en ajoute une autre qui n’est pas moins grande : « Ne les craignez donc pas, » c’est-à-dire les persécuteurs. Et pourquoi ne doivent-ils pas les craindre ? « Parce qu’il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert. » — S. Jér. Comment donc alors les vices d’un si grand nombre demeurent-ils cachés pendant cette vie ? Notre-Seigneur veut parler ici du temps à venir. Lorsque le Seigneur jugera ce qui est caché dans le cœur des hommes (1 Co 4, 5), il portera la lumière dans les retraites les plus ténébreuses, et découvrira les plus secrètes pensées des cœurs. Tel est donc le sens de ces paroles : « Ne craignez ni la cruauté des persécuteurs, ni la rage des blasphémateurs, car viendra le jour du jugement qui mettra en évidence votre vertu et leur malice. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Il leur recommande donc de ne craindre ni les menaces, ni les outrages, ni la puissance des persécuteurs, parce que le jour du jugement dévoilera le néant et la faiblesse de leurs entreprises. — S. Chrys. (hom. 35.) Ou bien encore, au premier abord, les paroles du Sauveur présentent un sens général ; toutefois, on ne doit les entendre que de ce qui précède, dans ce sens : « S’il vous est pénible d’être en butte aux outrages, pensez que vous ne tarderez pas à être délivrés de cette épreuve. Ils vous prodigueront les noms injurieux de devins, de magiciens et de séducteurs ; mais attendez un peu, et tous vous proclameront à l’envi les sauveurs de l’univers, alors que par vos oeuvres vous en paraîtrez les bienfaiteurs, et les hommes cesseront de s’arrêter à leurs discours pour ne plus s’occuper que de la vérité des faits.

 

Remi. Il en est qui prétendent que Notre-Seigneur promet ici à ses disciples de révéler par eux tous les mystères cachés qui demeuraient voilés sous la lettre de la loi ; ce qui faisait dire à l’Apôtre : « Lorsqu’ils seront convertis à Jésus-Christ, le voile sera levé. » Tel serait donc le sens de ces paroles : « Pourquoi craindriez-vous vos persécuteurs, vous dont la dignité est si grande, puisque Dieu vous a choisis pour dévoiler les mystères de la loi et des prophètes. S. Chrys. (hom. 35.) Après les avoir délivrés de toute crainte, et les avoir rendus supérieurs aux opprobres, le moment est venu de leur parler de la liberté de la prédication ; c’est ce qu’il fait, en leur disant « Ce que je vous dis dans les ténèbres, » etc. S. Hil. Nous ne lisons nulle part que le Seigneur eût pour habitude de discourir pendant la nuit, et d’enseigner sa doctrine dans les ténèbres ; si donc il s’exprime ainsi, c’est que tous ses discours sont ténèbres pour les hommes charnels, et que sa parole est comme la nuit pour les infidèles. Il faut donc prêcher ses divins enseignements avec toute la liberté de la foi et de la prédication. — Remi. Voici donc le sens de ces paroles : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, » c’est-à-dire au milieu des Juifs incrédules, « dites-le à la lumière, » c’est-à-dire devant les fidèles ; et « ce que vous entendez à l’oreille, » c’est-à-dire ce que je vous dis en secret, « prêchez-le sur les toits, » c’est-à-dire en public et devant tout le monde. L’expression parler à l’oreille, dans le langage ordinaire, veut dire parler en secret.

 

Rab. Ces paroles : « Prêchez sur les toits, » sont une allusion à ce qui se fait dans la Palestine, où les toits servent d’habitation, parce qu’ils ne sont point terminés en pointe comme les nôtres, mais présentent une surface plane. Prêcher sur les toits, c’est donc prêcher publiquement, devant un grand nombre d’auditeurs. — La Glose. Ou bien encore : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, » c’est-à-dire pendant que vous êtes encore sujets à une crainte toute humaine ; « dites-le en plein jour, » c’est-à-dire avec la confiance que donne la vérité lorsque l’Esprit vous aura inondé de sa lumière ; « et ce que l’on vous dit à l’oreille, » c’est-à-dire ce que vous percevez par l’ouïe seule, « prêchez-le par les oeuvres, tandis que vous habitez sur les toits, » c’est-à-dire dans vos corps qui sont la demeure de vos âmes. — S. Jér. Ou bien encore : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, prêchez-le en plein jour, » c’est-à-dire, ce que je vous dis dans le mystère, prêchez-le à découvert ; « et ce que vous entendez à l’oreille, prêchez-le sur les toits, » c’est-à-dire ce que je vous ai enseigné dans un endroit resserré de la Judée, annoncez-le sans crainte à toutes les villes du monde entier.

 

S. Chrys. (hom. 35.) Le Sauveur nous montre ici que c’est lui qui opère toutes ces oeuvres par ses Apôtres, et de beaucoup plus grandes qu’il n’en a faites lui-même, comme il le dit ailleurs : « Celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes, » ce qui revient à dire : J’ai commencé par agir moi-même, mais c’est par vous que je veux accomplir ce qu’il y a de plus grand, paroles qui ne renferment pas seulement un commandement, mais une prédiction de l’avenir, et apprennent aux Apôtres qu’ils triompheront de tous les obstacles.

 

S. Hil. Il faut donc répandre continuellement la connaissance de Dieu, et révéler par la lumière de la prédication le profond secret de la doctrine évangélique, sans craindre nullement ceux qui n’ont de puissance que sur nos corps, et n’en ont aucune sur nos âmes ; c’est pour cela que le Sauveur ajoute : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme. — S. Chrys. (hom. 35.) Voyez comme il les rend supérieurs à tout, en leur persuadant de mépriser non-seulement toute sollicitude, les calomnies, les périls, mais encore ce qu’il y a de plus terrible, la mort elle-même, et de tout sacrifier à la crainte de Dieu. « Craignez plutôt, ajoute-t-il, celui qui peut envoyer votre corps et votre âme dans l’enfer. »

 

S. Jér. Le nom de géhenne ne se trouve pas dans les livres de l’ancienne loi, et c’est le Sauveur qui l’a employé le premier ; examinons à quelle occasion. Nous lisons en plusieurs endroits de l’Écriture (2 Par 24 ; 3 R 16) qu’il y avait une idole de Baal près de Jérusalem, au pied du mont Moria, là où coule la fontaine de Siloë. Cette vallée, qui forme une petite plaine, était arrosée de plusieurs ruisseaux, ombragée et pleine de charmes ; elle renfermait un bois consacré à cette idole. Le peuple d’Israël en était venu à cet excès de folie d’abandonner les parvis du temple pour venir immoler des victimes dans cette vallée, oublier au milieu de ses délices la sévérité de la vraie religion, et brûler ses enfants offerts comme victimes au démon. Ce lieu s’appelait Géhennon ou la vallée des fils d’Ennon (4 R 23, 10 ; 2 Par 16, 3 ; Jos 15, 8 ; Jr 7, 31 ; 19, 2.6). Ce nom se trouve souvent répété dans les livres des Rois, dans les Paralipomènes et dans Jérémie. Dieu y menace son peuple de remplir de cadavres ce lieu, qu’on n’appellera plus Tophet et Baal, mais Polyandrium, c’est-à-dire le tombeau des morts. Notre-Seigneur se sert donc de ce nom pour exprimer les supplices et les châtiments éternels qui attendent les pécheurs. — S. Aug. (Cité de Dieu, 13, 2.) Ces supplices ne commenceront pour le corps et pour l’âme à la fois, que lorsque l’âme sera réunie au corps d’une union qui ne pourra plus être brisée. Et cependant cet état est justement appelé la mort de l’âme, parce qu’alors elle ne vivra plus de la vie de Dieu, et la mort du corps, parce que sous le coup de cette éternelle damnation, bien que l’homme conserve le sentiment, ce sentiment n’étant plus pour son cœur la source d’aucune douceur, d’aucun repos, mais un principe de douleur et de peine, cet état mérite d’être appelé bien plutôt un état de mort qu’un état de vie. — S. Chrys. (hom. 35.) Remarquez encore qu’il ne leur promet pas de les affranchir de la mort, mais qu’il leur conseille de la mépriser, ce qui est bien plus grand que d’en être délivré, et que dans ce même discours il imprime dans leur âme la croyance de l’immortalité.

 

vv. 29-31.

S. Chrys. (hom. 35.) Après avoir banni de leur âme la crainte de la mort, le Sauveur ne veut pas que ses Apôtres pussent se croire abandonnés s’ils venaient à succomber ; il ramène de nouveau son discours sur la providence de Dieu, et leur dit : « Est-ce que deux passereaux ne se vendent pas une obole ? Et cependant pas un ne tombe à terre sans la permission de votre Père. »

 

S. Jér. Voici le sens de ces paroles : « Si de petits animaux ne périssent pas sans la permission de Dieu, si sa providence s’étend à toutes les créatures, et si celles d’entre elles qui sont sujettes à la mort ne peuvent périr sans la volonté de Dieu, vous dont la destinée est éternelle, devriez-vous craindre que la providence vous abandonne dans le cours de cette vie ?

 

S. Hil. Dans le sens mystique, ce qui est vendu, c’est le corps et l’âme, et celui auquel on le vend, c’est le péché. Ceux qui vendent deux passereaux pour une obole sont ceux qui étaient nés pour prendre leur essor et s’élever jusqu’au ciel sur les ailes de la grâce, et qui se vendent pour un misérable péché. Séduits par les voluptés de cette vie, et acquis par avance aux vanités du siècle, ils se prostituent tout entiers et se vendent à ce vil prix. Or, la volonté de Dieu c’est que l’une de ces deux substances s’élève par son essor au-dessus de l’autre ; mais une loi qui a également Dieu pour auteur veut que l’autre soit plus portée à tomber qu’à s’élever. De même que s’ils avaient pris leur vol ensemble, ils n’auraient fait qu’un, et que le corps serait ainsi devenu spirituel ; de même lorsqu’ils sont tous deux vendus au péché, l’âme devient terrestre et matérielle au milieu des souillures du vice, et les deux substances n’en font plus qu’une seule que les inclinations de la chair font tomber violemment à terre.

 

S. Jér. Ces paroles : « Tous les cheveux de votre tête sont comptés, » montrent l’immense providence de Dieu à l’égard des hommes, et sont une preuve de cet amour ineffable de notre Dieu pour lequel il n’y a rien de caché. — S. Hil. L’action de compter indique le soin que l’on prend d’une chose. — S. Chrys. (hom. 35.) Si Notre-Seigneur s’exprime de la sorte, ce n’est pas que Dieu compte littéralement nos cheveux, mais il veut nous apprendre la connaissance parfaite que Dieu a de nos besoins, et l’étendue de sa providence pour y subvenir.

 

S. Hil. Ceux qui nient la résurrection de la chair se moquent de l’interprétation de l’Église, comme si nous disions que les cheveux qui ont été comptés, et qui sont tombés sous les ciseaux, doivent ressusciter. Mais le Sauveur ne dit pas : « Tous vos cheveux seront conservés, mais « seront comptés. » Cette manière de parier prouve que Dieu connaît le nombre de nos cheveux, mais non pas qu’il les conservera tous. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. dern. chap. 19.) On pourrait aussi faire cette question : Tous les cheveux qui ont été coupés, reviendront-ils, et s’ils doivent repousser, qui n’aurait horreur de cette difformité ? Mais dès lors que l’on comprend et que l’on admet en principe que le corps ne perdra rien de ce qui peut lui donner de la grâce et de la beauté, on doit comprendre également que ce qui serait de nature à produire une hideuse difformité viendra se joindre à la masse du corps et non pas aux membres dont la forme en serait défigurée. Ainsi, qu’un vase de terre soit réduit en poussière et qu’il soit ensuite rendu à sa première forme avec la même matière, il ne serait pas nécessaire que la partie d’argile qui formait l’anse fût rendue à l’anse elle-même, ou que ce qui en formait le fond revînt au même endroit, il faudrait seulement que le tout revînt dans le tout, c’est-à-dire la totalité de la matière dans la totalité du vase, et qu’ainsi aucune partie ne fût perdue. Si donc les cheveux coupés tant de fois devaient rendre la tête difforme, ils ne lui seront pas rendus ; car grâce à la mutabilité naturelle de la matière, ils prendront la forme de la chair pour occuper n’importe quel endroit du corps, suivant que l’exigera l’harmonie des parties qui le composent. On pourrait d’ailleurs entendre cette parole : « Pas un cheveu de votre tête ne périra, » non de la longueur, mais du nombre des cheveux ; comme paraissent l’indiquer ces paroles : « Les cheveux de votre tête sont comptés. » — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) En effet, il ne serait pas digne de Dieu de compter ce qui doit périr. Aussi, afin que nous sachions bien que rien de ce qui compose notre être ne doit périr, il nous assure que nos cheveux eux-mêmes ont été comptés. Nous n’avons donc à craindre aucun danger pour nos corps, et Notre Sauveur nous confirme dans cette assurance par les paroles qui suivent : « Ne craignez pas, vous valez plus que beaucoup de passereaux. » — S. Jér. Ces paroles rendent plus clair le sens de ce qui précède, c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas craindre ceux qui ne peuvent que tuer le corps ; car si les plus petits animaux ne peuvent périr sans que Dieu le sache, combien moins l’homme que Dieu a revêtu de la sublime dignité d’apôtre ? — S. Hil. Ou bien, en leur disant qu’ils valent mieux qu’un grand nombre de passereaux, Notre-Seigneur montre qu’il préfère les fidèles qu’il a élus à la multitude des infidèles, parce que ceux-ci tombent sur la terre, tandis que ceux-là prennent leur vol vers les cieux.

 

Remi. Dans le sens mystique, Jésus-Christ est la tête, les Apôtres sont les cheveux ; et c’est avec raison qu’il assure que ces cheveux ont été comptés, parce que les noms des saints sont écrits dans le ciel (Jr 17, 13).

 

vv. 32-33.

S. Chrys. (hom. 35.) Notre-Seigneur, en bannissant la crainte qui troublait l’âme de ses disciples, leur donne une nouvelle force par les paroles qui suivent. Non-seulement il les délivre de toute crainte. mais il leur propose de plus grandes récompenses, et leur inspire ainsi le courage de prêcher hautement et librement la vérité : « Quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai moi-même devant mon Père qui est dans les cieux. » — S. Hil. (can. 40 sur S. Matth.) C’est la conclusion de ce qui précède, car une fois qu’on a puisé la force dans d’aussi sublimes enseignements, on doit confesser librement et avec constance le vrai Dieu. — Remi. C’est cette confession dont l’Apôtre a dit (Rm 10) : « Il faut croire de cœur pour obtenir la justice, et confesser de bouche pour obtenir le salut. » Ainsi, ne pensez pas pouvoir être sauvé sans la confession des lèvres, car Notre-Seigneur ne dit pas seulement : « Celui qui m’aura confessé, » mais il ajoute : « Devant les hommes, » et encore : « Celui qui m’aura renoncé devant les hommes, je le renoncerai moi-même devant mon Père qui est dans les cieux. » — S. Hil. Il nous apprend par là qu’il nous rendra devant son Père le même témoignage que nous lui aurons rendu devant les hommes. — S. Chrys. (hom. 35.) Remarquons ici que le châtiment comme la récompense sont supérieurs, l’un au mal, l’autre au bien. En effet, le Sauveur semble dire : Vous n’avez rien épargné les premiers, soit pour me confesser, soit pour me renoncer. Je n’épargnerai rien moi-même, et je serai magnifique dans la peine comme dans la récompense ; car c’est moi-même qui vous reconnaîtrai ou qui vous renoncerai. Si donc vous avez fait quelque bien sans en recevoir la récompense, ne vous en troublez pas, une récompense surabondante vous attend dans l’avenir. Si, au contraire, vous vous êtes rendu coupable sans en avoir été puni, ne vous laissez pas aller à un mépris insolent, car le châtiment vous est également réservé, à moins que vous ne changiez et que vous ne deveniez meilleurs.

 

Rab. Nous ferons observer que les païens eux-mêmes ne peuvent nier l’existence d’un Dieu, mais qu’ils peuvent fort bien ne pas reconnaître l’existence d’un Dieu Père et Fils. Or, le Fils reconnaîtra quelqu’un devant son Père, soit en lui donnant accès auprès de lui, et en lui disant : « Venez, les bénis de mon Père. » — Remi. Et il renoncera celui qui l’aura renoncé, en lui refusant tout accès auprès de Dieu le Père, et en le rejetant de la présence de sa divinité et de celle de son Père. — S. Chrys. (hom. 35.) Il exige non-seulement la foi intérieure de l’âme, mais encore la confession extérieure des lèvres, afin de nous inspirer une liberté plus grande pour la prédication et un amour plus fort pour lui, en nous rendant supérieurs à tout. Or, ce n’est pas seulement à ses Apôtres, mais à tous qu’il adresse cette recommandation, car il veut inspirer ce courage non-seulement à ses Apôtres, mais encore à leurs disciples. Celui qui sera fidèle à ce commandement non-seulement enseignera publiquement avec une sainte hardiesse, mais il portera facilement la persuasion dans les cœurs, car l’observation de ce précepte en a converti un grand nombre à la doctrine des Apôtres. — Rab. Ou bien on confesse Jésus par la foi, qui opère par l’amour, en accomplissant fidèlement ses commandements ; et on le renonce lorsqu’on ne craint pas de transgresser ses préceptes.

 

vv. 34-36.

S. Jér. Notre-Seigneur avait dit plus haut : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour ; » il apprend ici à ses Apôtres quels seront les effets de leur prédication : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix. — La Glose. Ou bien ces paroles sont la suite de ce qui précède, c’est-à-dire qu’ils doivent être inaccessibles aux affections charnelles comme à la crainte de la mort. — S. Chrys. (hom. 36.) Comment donc leur a-t-il ordonné de souhaiter la paix dans chaque maison où ils entreraient ? Comment les anges eux-mêmes ont-ils pu chanter cet hymne : « Gloire à Dieu dans les hauteurs des cieux, et paix aux hommes sur là terre ? » C’est que la paix consiste surtout à retrancher ce qui est malade, à séparer ce qui est une source de division ; c’est alors seulement qu’il sera possible d’unir le ciel avec la terre. Le médecin ne coupe-t-il pas ainsi le membre qui est incurable pour sauver le reste du corps ? C’est ce qui est arrivé à la tour de Babel, où une heureuse division vint mettre fin à une paix qui était mauvaise. (Gn 11.) C’est ainsi que saint Paul divisa ceux qui s’étaient déclarés contre lui. (Ac 23.) L’accord et la paix ne sont pas toujours une bonne chose, car on les voit régner même parmi les voleurs. Or cette guerre, ce n’est pas Jésus-Christ qui la rend nécessaire, mais bien la volonté de ses ennemis. — S. Jér. En effet, à peine la foi en Jésus-Christ fut-elle annoncée, que tout l’univers s’est trouvé divisé. Dans chaque maison on trouva des croyants et des infidèles, et cette division fut la cause d’une guerre heureuse qui fit cesser une paix pernicieuse dans ses résultats.

S. Chrys. (hom. 35.) En parlant de la sorte il veut consoler ses disciples, et il semble leur dire : « Ne vous troublez pas comme si ces événements devaient vous surprendre et tromper votre attente, car je suis venu pour apporter la guerre. » Et ce n’est pas seulement « la guerre, » mais ce qui est plus effrayant, « le glaive. » Il a voulu par la dureté même de son langage exciter leur attention, les empêcher de faiblir au milieu du danger, et prévenir ce qu’on aurait pu croire et dire que sous des expressions pleines de douceur, il avait caché les plus grandes difficultés ; car il vaut mieux éprouver la douceur dans les choses que dans les paroles. Il ne s’arrête pas à cette déclaration, il explique la nature de cette guerre et fait voir qu’elle est plus terrible même que la guerre civile : « Je suis venu séparer l’homme d’avec son père, la fille d’avec sa mère, et la belle-fille d’avec sa belle-mère. » Ainsi ce n’est pas seulement entre les amis que cet état de guerre existera, c’est entre ceux qui sont unis par les affections les plus vives et par les liens les plus étroits. Une des preuves les plus évidentes de la puissance du Christ, c’est que les Apôtres écoutèrent ces dures leçons et qu’ils les firent à leur tour recevoir et mettre en pratique.

 

S. Chrys. (hom. 35.) Ce n’est pas Jésus-Christ lui-même qui opérait cette séparation, mais la malice des hommes. Cependant il s’en déclare l’auteur, d’après la manière de s’exprimer de l’Écriture, par exemple dans ce passage : « Dieu leur a donné des yeux pour ne point voir. » (Is 6 ; Rm 11.) Nous avons ici une preuve du rapport intime qui existe entre l’Ancien et le Nouveau-Testament. C’est ainsi que nous voyons les Juifs se déclarer contre leurs frères et les mettre à mort lorsqu’ils eurent fabriqué le veau d’or (Ex 32,) et lorsqu’ils eurent immolé des victimes à Beelphegor. (Nb 25.) Or pour montrer que c’est toujours le même Dieu qui sous la loi nouvelle comme sous la loi ancienne a pour agréables ces mêmes sentiments, Notre-Seigneur cite un passage de la prophétie de Michée : « L’homme aura pour ennemis ceux de sa propre maison. (Mi 7.) La société juive présentait un spectacle semblable, il y avait de vrais et de faux prophètes, et le peuple était divisé, et les familles étaient partagées ; les uns croyaient aux premiers, les autres suivaient les seconds. — S. Jér. Ce passage se trouve presque mot pour mot dans le prophète Michée. Il faut observer du reste que toutes les fois que le Sauveur emprunte un témoignage à l’Ancien Testament, il importe peu s’il donne seulement le sens de ce passage, ou s’il rapporte textuellement les paroles.

 

S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, le glaive, qui est l’arme la plus aiguisée, est l’emblème de la souveraineté et du pouvoir judiciaire, de la sévérité et du droit de punir les coupables. Rappelons-nous donc que ce glaive figure la parole de Dieu ; il a été apporté sur la terre, c’est-à-dire que la prédication l’a fait pénétrer dans le cœur des hommes. Ce glaive a donc divisé entre eux les cinq habitants d’une même maison, trois contre deux et deux contre trois. Ces trois habitants nous les trouvons dans l’homme : c’est son corps, son âme et sa volonté. Car de même que l’âme a été unie et donnée au corps, ainsi le pouvoir d’user de l’un et de l’autre à son gré à été donné à l’homme, et c’est pour cela que Dieu a imposé des lois à la volonté, comme nous le voyons dans ceux qui sont sortis les premiers de sa main. Mais par suite du péché et de la désobéissance de notre premier père, le péché devint pour les générations suivantes le père de notre corps, l’infidélité la mère de notre âme, et la volonté adhère à l’un et à l’autre ; c’est ainsi que l’on trouve cinq habitants dans la même maison. Mais lorsque nous sommes renouvelés dans les eaux du baptême, la puissance de la parole nous sépare des péchés de notre origine, et ces retranchements qu’opère le glaive de Dieu rompent tous les liens d’affection qui nous attachaient à notre père et à notre mère. C’est ainsi qu’on voit éclater dans une même maison de sérieuses divisions ; l’homme régénéré trouve des ennemis dans ce qu’il y a de plus intime en lui, car il met toute sa joie dans la sainte nouveauté de son esprit, tandis que les restes de son ancienne origine veulent conserver ce qui faisait l’objet de leur bonheur. — S. Aug. (Quest. évang. sur S. Matth., quest. 3.) Ou bien dans un autre sens : « Je suis venu séparer l’homme d’avec son père parce qu’il renonce au démon dont il était le fils, et « la fille d’avec sa mère, » c’est-à-dire le peuple de Dieu d’avec la cité du monde, qui n’est autre que la société corrompue du genre humain, représentée dans l’Écriture tantôt par Babylone, tantôt par Sodome, tantôt par l’Égypte et sous plusieurs autres dénominations. (Ap 11, 8 ; 14, 8) « La belle-fille d’avec sa belle-mère, » c’est l’Église opposée à la synagogue qui a enfanté selon la chair le Christ, époux de l’Église. Tous sont divisés par le glaive de l’Esprit, qui est le Verbe de Dieu, « et les ennemis de l’homme sont ceux de sa maison avec lesquels il était lié par une intimité des plus étroites. — Rab. On est incapable de respecter aucun droit lorsqu’on est divisé sur le point de la foi. — La Glose. On peut encore interpréter ces paroles dans ce sens : Je ne suis pas venu parmi les hommes pour donner une nouvelle force aux affections de la chair, mais pour séparer par un glaive tout spirituel ceux qu’elles retiennent étroitement unis ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Et l’homme aura pour ennemi ceux de sa propre maison. » — S. Grég. (Moral. 3, 5.) Lorsque l’ennemi du salut, plein de ruse et de finesse, se voit chassé des cœurs vertueux, il s’adresse à ceux pour lesquels ils ont une vive affection, et leur met sur les lèvres un langage d’autant plus insinuant qu’ils sont aimés plus tendrement, et c’est ainsi qu’en même temps que la force de l’amitié pénètre au plus intime du cœur, le glaive de la persuasion franchit les retranchements de la droiture intérieure.

 

vv. 37-39.

S. Jér. Après avoir dit : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive, et séparer l’homme d’avec son père, d’avec sa mère, d’avec sa belle-mère, » Notre-Seigneur, ne voulant pas que les sentiments naturels l’emportent jamais sur la religion, ajoute : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. » Nous lisons dans le Cantique des Cantiques : « Il a réglé en moi la charité. » (Ct 2.) Dans toute affection nous devons conserver cet ordre. Aimez après Dieu votre père et votre mère, aimez après lui vos enfants. Mais si la nécessité vous force de mettre en présence l’amour de vos parents et de vos enfants, et que vous ne puissiez satisfaire en même temps à l’un et à l’autre, rappelez-vous qu’alors la haine pour les siens devient un véritable amour de Dieu. Il ne défend donc pas d’aimer son père ou sa mère, mais il ajoute d’une manière expressive : « plus que moi. » — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ceux en effet qui donneront la préférence à ces affections sur l’amour de Dieu se rendront indignes de l’héritage des biens futurs.

S. Chrys. (hom. 36.) Ne soyez pas étonné si d’ailleurs, saint Paul fait un commandement exprès d’obéir en tout à ses parents : il ne veut parler que de l’obéissance dans les choses qui ne sont pas contraires à la religion ; et c’est en effet un devoir sacré que de rendre alors à nos parents toute sorte d’honneur ; mais s’ils exigent au delà de ce qui leur est dû, il faut s’y refuser. Cette doctrine est conforme à l’Ancien Testament, où Dieu ordonne non-seulement de haïr, mais même de lapider ceux qui adoraient les idoles. (Lv 20.) Nous lisons encore dans le Deutéronome : « Celui qui dira à son père et à sa mère : Je ne vous connais pas, et à ses frères : Je vous ignore, ceux-là auront gardé votre parole. » — La Glose. On voit souvent les parents aimer leurs enfants plus qu’ils n’en sont aimés ; aussi Notre-Seigneur va-t-il par degrés, et après avoir enseigné que son amour doit passer avant l’amour des parents, il enseigne naturellement qu’il doit aussi l’emporter sur l’amour des enfants, en ajoutant : « Et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. » — Rab. Ce qui signifie qu’on est indigne de toute union avec Dieu quand on préfère les affections de la chair et du sang à l’amour spirituel qu’on doit avoir pour Dieu.

 

S. Chrys. (hom. 36.) Ces paroles pouvaient blesser ceux dont l’amour se trouve ainsi sacrifié à l’amour de Dieu ; Notre-Seigneur, pour leur faire supporter patiemment ce sacrifice, tient un langage plus élevé. En effet, rien n’est plus intime à l’homme que son âme, et cependant si vous ne haïssez votre âme, les plus grands maux vous attendent. Et il ne vous ordonne pas seulement de haïr votre âme, mais encore de la livrer à la mort et aux supplices les plus sanglants. Ainsi nous enseigne-t-il qu’il ne suffit pas d’être prêt à subir une mort quelconque, mais qu’il faut être disposé à souffrir la mort la plus violente, la plus ignominieuse, c’est-à-dire la mort de la croix, et c’est pour cela qu’il ajoute : « Et celui qui ne prend pas sa croix. » Il ne leur a pas encore parlé de sa passion, mais de temps en temps il les prépare à recevoir ce qu’il doit plus tard leur en dire. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ou bien encore, ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur corps avec ses vices et ses convoitises (Ga 5), et on est indigne de Jésus-Christ quand on ne marche pas à sa suite en prenant sa croix (par laquelle nous souffrons avec lui, nous mourons avec lui, nous sommes ensevelis avec lui, nous ressuscitons avec lui), pour vivre par ce mystère de la foi dans une sainte nouveauté d’esprit. — S. Grég. (hom. 35.) Le mot croix vient d’un mot latin (cruciatus) qui signifie tourment ; or nous portons la croix du Seigneur de deux manières, ou bien en mortifiant notre corps par la privation, ou par un sentiment de compassion qui nous fait regarder comme nôtres les misères du prochain. Mais il en est quelques-uns qui font profession de mortifier leur chair, non pour plaire à Dieu, mais par un sentiment de vaine gloire ; et d’autres qui témoignent à leur prochain une compassion qui n’a rien de spirituel, mais qui est toute charnelle, et qui, loin de les porter à la vertu, favorise par ce sentiment de fausse pitié leur penchant au vice. Ils semblent porter leurs croix, mais ils ne suivent pas le Seigneur, et c’est pour cela qu’il ajoute : « Et qui me suit. »

S. Chrys. (hom. 36.) Les commandements qu’il fait ici pouvaient paraître accablants ; il en fait donc ressortir les avantages immenses : « Celui qui conserve sa vie le perdra ; et celui qui aura perdu sa vie pour l’amour de moi, la retrouvera. » Comme s’il disait : « Non-seulement ces sacrifices que je vous impose ne vous causeront aucun tort, mais vous en recueillerez les fruits les plus précieux, tandis qu’une conduite opposée vous serait infiniment nuisible. Ici comme partout, le Sauveur prend ses inductions dans ce que les hommes désirent le plus. Pourquoi refusez-vous de faire peu de cas de votre vie ? semble-t-il leur dire. Parce que vous l’aimez. Mais c’est justement pour cela que vous devez la sacrifier, si vous voulez lui procurer les plus grands avantages. — S. Remi. L’âme ne signifie pas ici la substance même de l’âme, mais la vie présente, et tel est le sens de ces paroles : « Celui qui cherche son âme en cette vie, c’est-à-dire celui qui désire cette vie avec ses attachements et ses plaisirs, et qui cherche à la trouver toujours, parce qu’il veut la conserver toujours, la perdra, c’est-à-dire qu’il prépare son âme à la damnation éternelle. — Rab. Ou bien encore, celui qui cherche à sauver son âme pour l’éternité, n’hésitera pas à la perdre, c’est-à-dire à s’exposer à la mort. Ce qui suit est également favorable à l’un et à l’autre sens. « Et celui qui aura perdu sa vie pour moi la trouvera. » — Remi. C’est-à-dire, celui qui au temps de la persécution s’exposera, pour confesser mon nom, à perdre cette vie mortelle, ses affections et ses plaisirs, trouvera le salut éternel de son âme.

S. Hil. C’est ainsi qu’on perd sa vie en voulant la sauver, et qu’on la sauve en consentant à la perdre, car le sacrifice d’une vie qui passe si rapidement nous met en possession d’une vie qui ne finira jamais.

 

vv. 40-42.

S. Jér. Notre-Seigneur, en envoyant ses disciples prêcher 1’Évangile, leur apprend à ne craindre aucun danger, et à sacrifier toutes leurs affections aux devoirs de sa religion. Déjà, il s’en est déclaré, il ne veut pas d’or, il ne veut pas d’argent dans leurs bourses : c’est une condition bien dure que celle des Évangélistes. Mais comment pourvoir aux dépenses nécessaires, à la nourriture, aux choses nécessaires à la vie ? Notre-Seigneur adoucit donc la sévérité de ses préceptes par l’espérance des promesses. « Celui qui vous reçoit, leur dit-il, me reçoit. » Ainsi chaque fidèle doit être persuadé qu’il a reçu Jésus-Christ en recevant ses Apôtres. — S. Chrys. (hom. 36.) Ce qui précède suffisait pour produire cette persuasion dans ceux qui devaient recevoir les Apôtres. Car en voyant ces hommes héroïques qui méprisaient tout ce qui les concernait pour sauver leurs frères, qui ne les aurait accueillis avec le plus vif empressement ? Plus haut, Notre-Seigneur a menacé de punir ceux qui ne les recevraient point ; ici il promet de récompenser ceux qui les recevront. Et d’abord il leur promet cet honneur insigne de recevoir dans la personne des Apôtres Jésus-Christ et même son Père. « Et celui qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. » Que peut-on comparer à cet honneur de recevoir Dieu le Père et le Fils ? — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ces paroles nous apprennent en même temps son office de médiateur, car après que nous l’avons reçu, lui qui est sorti de Dieu, il nous fait entrer en communication avec Dieu lui-même, et d’après cet ordre que suit la grâce, recevoir les Apôtres, c’est recevoir Dieu, parce que le Christ est en eux, et que Dieu est dans le Christ.

 

S. Chrys. (hom. 36.) A cette récompense qu’il promet il en ajoute une autre : « Celui qui reçoit un prophète au nom du prophète, recevra la récompense du prophète, et celui qui reçoit le juste, » etc. Il ne dit pas simplement : Celui qui reçoit un prophète, ou celui qui reçoit un juste, mais : Celui qui reçoit un prophète, un juste, au nom du prophète, au nom du juste, c’est-à-dire parce qu’il est prophète, parce qu’il est juste, et non pas à cause de la dignité dont il peut-être revêtu en ce monde, ou en vue de quelque autre avantage temporel. Ou bien dans un autre sens, comme il avait recommandé aux disciples de recevoir les maîtres qui les enseignent, les fidèles pouvaient lui faire secrètement cette réponse : Nous devons donc recevoir tes faux prophètes et Judas le traître ? Le Seigneur prend donc soin de leur rappeler qu’ils ne doivent pas considérer les personnes, mais les noms qu’elles portent, et qu’on ne perdra pas sa récompense parce que celui qu’on aurait reçu en serait indigne. — S. Chrys. (hom. 30.) Notre-Seigneur dit : « Il recevra la récompense du prophète et la récompense du juste, » c’est-à-dire la récompense qui convient à celui qui reçoit le prophète ou le juste, ou celle que le prophète et le juste devront recevoir eux-mêmes. — S. Grég. (homél. 20 sur les Evang.) Il ne dit pas : C’est des mains du juste ou du prophète qu’ils recevront la récompense, mais : « la récompense du prophète et du juste ; » peut-être celui qu’ils reçoivent est-il juste, et plus il est dépouillé de tout en ce monde, plus grande aussi sera sa fermeté à défendre les intérêts de la justice. Or celui qui possède les biens de la terre et qui pourvoit aux besoins du prophète et du juste, participera au mérite de son indépendance, et partagera la récompense de justice de celui qu’il a secouru et nourri sur la terre. Cet apôtre est plein de l’esprit de prophétie, mais son corps a besoin d’aliments, et si ses forces ne sont pas réparées, il est certain que la voix lui fera défaut. Or celui qui pourvoit à la nourriture du prophète, lui donne la force de parler : il recevra donc avec le prophète la récompense du prophète, parce qu’il a subvenu à ses besoins dans l’intention de plaire à Dieu.

S. Jér. Dans le sens mystique, celui qui reçoit le prophète comme prophète, et qui comprend ce qu’il lui enseigne des choses futures, partagera sa récompense. Les Juifs donc, qui ne comprenaient les prophètes que dans un sens charnel, ne recevront pas la récompense des prophètes. — Remi. Dans ce prophète et dans ce juste, quelques-uns veulent voir Notre-Seigneur Jésus-Christ, de qui Moïse a dit : « Dieu vous suscitera un prophète, » etc. (Dt 18), et qui est juste aussi d’une manière incomparable. Celui donc qui recevra le prophète et le juste au nom du prophète et du juste, recevra la récompense des mains de celui pour l’amour duquel il a fait cette action.

 

S. Jér. Mais on pouvait lui alléguer cette excuse : Ma pauvreté me défend de donner l’hospitalité ; il la détruit en nous proposant la chose la moins coûteuse qui soit au monde, c’est-à-dire de donner de tout cœur un verre d’eau froide. « Et celui qui donnera à l’un de ces plus petits, un verre d’eau froide, etc. » Il dit un verre d’eau froide, et non d’eau chaude, de peur que s’il s’agissait d’eau chaude, on ne prétextât encore sa pauvreté et l’impossibilité de se procurer du bois pour la faire chauffer. Remi. Il ajoute : « Au plus petit, » c’est-à-dire non pas seulement aux justes ou aux prophètes, mais à l’un des plus petits et des plus misérables. — La Glose. Remarquez ici comme Dieu regarde beaucoup plus à la disposition du cœur qu’à la valeur de la chose que l’on donne. Ou bien les plus petits sont ceux qui ne possèdent rien absolument en cette vie, et qui jugeront un jour le monde avec Jésus-Christ. — S. Hil. (can. 40 sur S. Matth.) Ou bien il prévoyait qu’il y en aurait plusieurs dont toute la gloire consisterait dans le nom d’apôtre qu’ils déshonoreraient par tout le reste de leur vie ; il ne veut donc pas priver de récompense l’honneur qui leur est rendu au nom de la religion, car bien qu’ils soient les plus petits de tous, c’est-à-dire les derniers des pécheurs, les services qu’on leur rend, même les plus légers, et qui sont exprimés par ce verre d’eau froide, ne seront pas perdus, car ce n’est pas aux péchés de l’homme, mais à son titre d’apôtre qu’est rendu cet honneur.

 

CHAPITRE XI.

 

v. 1.

Rab. Le Sauveur avait donné à ses disciples qu’il envoyait prêcher l’Évangile les instructions nécessaires ; il accomplit maintenant lui-même ce qu’il leur avait enseigné en allant porter aux Juifs les prémices de sa prédication. « Après que Jésus eut achevé de donner ces instructions à ses douze disciples, il partit de là, » etc.

S. Chrys. (hom. 37.) L’Évangéliste dit qu’il partit de là, c’est-à-dire qu’ayant donné à ses Apôtres leur mission, il s’éloigna afin de leur laisser toute latitude pour le lieu et pour le temps où ils accompliraient ce qu’il venait de leur recommander. Car s’il avait continué à être présent au milieu d’eux et à guérir les malades, personne n’aurait eu recours à ses disciples. — Remi. C’est par suite d’un dessein plein de sagesse que le Sauveur passe de ces enseignements particuliers qui concernaient les apôtres, à des instructions qui s’adressent à tous et qu’il fait au milieu des cités, car il était descendu des cieux sur la terre pour éclairer tous les hommes, et il donne en cela aux prédicateurs remplis de l’esprit de Dieu l’exemple de s’appliquer à être utile à tous sans distinction.

 

vv. 2-6.

La Glose. L’Évangéliste vient d’exposer comment Notre-Seigneur, par ses miracles et par sa doctrine, avait instruit ses disciples aussi bien que le peuple ; il nous apprend maintenant comment ces enseignements parvinrent jusqu’aux disciples de Jean, qui paraissaient avoir quelque jalousie contre le Christ. « Or Jean ayant appris dans la prison, » etc.

 

S. Grég. (homél. 6 sur les Evang.) Il nous faut rechercher pourquoi Jean-Baptiste, prophète et plus que prophète, qui avait fait connaître le Sauveur, lorsqu’il vint se faire baptiser, en lui rendant ce témoignage : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde, » envoie de la prison où il est enfermé ses disciples pour demander : « Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Il semble ignorer celui qu’il a lui-même manifesté au peuple, et ne pas connaître le Sauveur qu’il a proclamé si hautement dans ses prédictions, lors de son baptême, et quand il le voyait venir à lui.

 

S. Ambr. (liv. 5, sur S. Luc.) Il en est qui expliquent cette difficulté en disant que Jean était un grand prophète qui connut le Christ, et annonça la rémission future des péchés ; mais qu’en prédisant sa venue comme un saint prophète, il n’avait pas cru qu’il devait être soumis à la mort. Ce n’est donc pas sa foi qui doute, mais sa piété ; et saint Pierre lui-même partagea ce doute lorsqu’il dit au Sauveur : « Épargnez-vous, Seigneur, cela ne vous arrivera pas. » (Mt 16, 11) — S. Chrys. (hom. 37.) Mais cette explication n’est pas fondée, car Jean ne pouvait pas ignorer même cette circonstance, puisque c’est la première chose à laquelle il a rendu témoignage par ces paroles : « Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte les péchés du monde. » En lui donnant le nom d’Agneau, il dévoile le mystère de la croix, puisque ce n’est que par la croix qu’il a effacé les péchés du monde. Comment d’ailleurs serait-il plus qu’un prophète s’il ignorait ce que les prophètes eux-mêmes ont connu et annoncé ? En effet Isaïe n’a-t-il pas dit (Is 53) : « Il a été conduit à la mort comme une brebis ? »

S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) On peut donner à cette question une solution différente en réfléchissant sur le temps où ce fait s’est passé. Sur les bords du Jourdain, Jean-Baptiste a déclaré que Jésus était le rédempteur du monde ; mais dans sa prison il envoie demander s’il doit venir. Ce n’est pas qu’il doute que Jésus soit le Rédempteur promis, mais il demande si celui qui est venu sur la terre en se faisant annoncer par lui, suivra le même ordre pour descendre dans les enfers. — S. Jér. C’est pour cela qu’il ne dit pas : « Est-ce vous qui êtes venu ? » mais : « Est-ce vous qui viendrez ? » Et tel est le sens de ces paroles : Faites-moi savoir, à moi qui dois descendre aux enfers, si je dois aussi vous y annoncer, ou si vous devez confier ce ministère à un autre. — S. Chrys. (hom. 37.) Mais comment cette opinion même peut-elle être soutenue ? Car pourquoi Jean n’a-t-il pas dit : « Est-ce vous qui devez venir dans les enfers ? » mais dit-il simplement : « Qui devez venir ? » D’ailleurs n’est-il pas ridicule qu’il ait demandé s’il devait en allant dans les enfers l’annoncer dans ce lieu ? La vie présente seule est le temps de la grâce, et après la mort il ne reste que le jugement et la peine ; quel besoin donc d’envoyer un précurseur en ce lieu ? Mais encore, si les infidèles pouvaient être sauvés par la foi après leur mort, aucun d’eux ne périrait ; car tous alors se repentiront et adoreront le Fils de Dieu, puisqu’alors tout genou fléchira devant lui, dans le ciel, sur la terre et dans les enfers.

 

La Glose. Remarquons que saint Jérôme et saint Grégoire n’ont pas dit que Jean-Baptiste devait annoncer la venue du Christ dans les enfers pour convertir à la foi un certain nombre de ceux qui ne croient pas en lui, mais pour consoler par l’espérance de son avènement prochain les justes qui s’y trouvaient en attendant la venue du Christ.

 

S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Il est cependant certain que l’erreur ne s’est point mêlée à cette connaissance parfaite qu’avait saint Jean, lui qui avait annoncé comme précurseur la venue du Messie, qui comme prophète le reconnut au milieu de la foule, et comme confesseur, rendit hommage au Sauveur qui venait à lui. On ne peut admettre que la grâce de l’Esprit saint lui ait fait défaut dans la prison, alors que plus tard l’apôtre devait répandre la lumière de sa puissance sur ceux qui partageaient ses fers.

 

S. Jér. Ce n’est point par ignorance qu’il interroge, mais de la même manière que le Sauveur demandait en quel endroit le corps de Lazare avait été déposé, afin de préparer ainsi à la foi ceux qui lui indiquaient le lieu de sa sépulture, et de les rendre témoins de la résurrection d’un mort. C’est ainsi que Jean-Baptiste, sur le point d’être mis à mort par Hérode, envoie ses disciples à Jésus-Christ, pour qu’ils aient occasion de voir ses miracles et ses prodiges, et qu’ils puissent croire en lui, et s’instruire eux-mêmes en l’interrogeant au nom de leur maître. Que les disciples de Jean aient nourri quelque sentiment d’envie contre le Christ, la question qu’ils lui ont faite précédemment le démontre suffisamment. « Pourquoi les Pharisiens et nous jeûnons-nous souvent, tandis que vos disciples ne jeûnent pas ? » (Mt 9.) — S. Chrys. (hom. 37.) Tant que Jean-Baptiste était avec eux, il leur parlait sans cesse du Christ, c’est-à-dire qu’il leur recommandait de croire en lui ; mais sentant sa mort prochaine, il redouble de zèle, car il craint de laisser dans ses disciples un levain de dangereuse erreur, et il redoute qu’ils ne demeurent éloignés de Jésus-Christ, à l’école duquel il a voulu les renvoyer tous dès le commencement. S’il leur avait dit : Allez à lui, parce qu’il est bien au-dessus de moi, il ne les aurait pas persuadés ; ils auraient cru qu’il parlait ainsi par un profond sentiment d’humilité, et ils lui seraient restés plus attachés qu’auparavant. Que fait-il donc ? Il attend que ses disciples viennent lui rapporter eux-mêmes que le Christ fait des miracles ; et parmi eux tous il n’en envoie que deux qu’il regardait peut-être comme plus faciles à être convaincus. Il les envoie afin que sa demande ne prête à aucun soupçon et qu’ils apprennent par les faits eux-mêmes la distance qui les sépare de Jésus-Christ.

 

S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Jean-Baptiste n’agit donc pas ici pour éclairer son ignorance, mais pour dissiper celle de ses disciples ; il les envoie considérer les oeuvres de Jésus afin de leur apprendre qu’il n’en a point annoncé un autre que lui, que ses prodiges donnent une nouvelle autorité à ses paroles, et qu’ils n’attendent pas un autre Christ que celui qui avait pour lui le témoignage des oeuvres. — S. Chrys. (hom. 37.) Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui connaissait la pensée de Jean, ne dit pas « C’est moi ; » car cette réponse aurait indisposé ceux qui l’entendaient ; ils auraient pu penser, quand ils ne l’auraient pas dit, ce que les Juifs lui objectèrent plus tard : « Vous vous rendez donc témoignage à vous-même ? » Il veut donc les instruire à l’école de ses miracles, pour donner ainsi à sa doctrine une autorité plus éclatante et plus irrécusable ; car le témoignage des oeuvres est plus digne de foi que le témoignage des paroles. Il guérit donc sous leurs yeux des aveugles, des boiteux, et beaucoup d’autres malades, non pour l’enseignement de Jean-Baptiste, qui n’en avait pas besoin, mais pour l’instruction de ses disciples qui étaient dans le doute. « Et Jésus leur répondit : Allez, rapportez à Jean ce que vous avez entendu, et ce que vous avez vu. Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés. » — S. Jér. Ce dernier trait n’est pas inférieur à ceux qui précèdent ; les pauvres évangélisés sont ou les pauvres d’esprit, ou ceux qui sont pauvres des biens de la terre ; ainsi la prédication ne met aucune différence entre la noblesse et l’obscurité de la condition, entre les riches et les pauvres ; et c’est là une preuve de la rigoureuse justice du maître, et de la vérité de ce divin précepteur : tous ceux qui peuvent être sauvés sont égaux à ses yeux.

 

S. Chrys. (hom. 37.) Ce qu’il ajoute : « Et heureux est celui qui ne prendra pas de moi un sujet de scandale, » tombe sur les envoyés qui étaient scandalisés à son sujet ; Notre-Seigneur ne dévoile pas leurs doutes intérieurs, il les abandonne au jugement de leur conscience, et leur adresse ce reproche indirect. — S. Hil. (can. 2 sur S. Matth.) En disant : Bienheureux celui qui ne prendra point de lui un sujet de scandale, il montre l’écueil contre lequel Jean a voulu les prémunir, car il n’a envoyé ses disciples vers le Christ que dans la crainte qu’ils ne fussent scandalisés à son sujet. — S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Jésus-Christ a été pour les infidèles un grand sujet de scandale lorsqu’après tant de miracles, ils le virent expirer sur la croix ; c’est ce que saint Paul exprime lorsqu’il dit : « Nous prêchons Jésus-Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs. » (1 Co 1) Que signifient donc ces paroles : Heureux est celui qui n’aura pas été scandalisé à mon sujet, si elles ne sont une déclaration manifeste de l’ignominie et des humiliations de sa mort ? N’est-ce pas comme s’il disait clairement à Jean-Baptiste : Je fais des choses admirables, mais je ne rougis pas d’en souffrir d’ignominieuses, et puisque ma mort doit suivre la vôtre, il faut que les hommes se gardent de la mépriser, après avoir admiré les prodiges que j’ai opérés ?

 

S. Hil. Le sens mystique nous offre encore une intelligence plus large de ce fait de la vie de Jean-Baptiste. C’est que comme prophète, et par la nature même de sa mission prophétique, il annonce que la loi est pour ainsi dire ensevelie dans sa personne. La loi, en effet, avait annoncé Jésus-Christ, prêché la rémission des péchés, promis le royaume des cieux, et Jean avait accompli toute cette oeuvre de la loi. Au moment donc où cesse la loi qui, retenue captive par les péchés du peuple, était comme chargée de chaînes, renfermée dans un cachot, et ne pouvait par conséquent reconnaître le Christ, elle envoie considérer le spectacle que présente l’Évangile, afin que l’incrédulité soit forcée de reconnaître la vérité de la doctrine dans la vérité des faits. — S. Amb. On peut voir aussi dans ces deux disciples les cieux peuples, les Juifs fidèles et les Gentils.

 

vv. 7-10.

S. Chrys. (hom. 37.) C’en était assez pour les disciples de Jean, et ils se retirèrent convaincus par les miracles opérés sous leurs yeux que Jésus était le Christ ; mais il fallait guérir les esprits de la multitude qui ne connaissait pas l’intention de Jean-Baptiste, et pour qui la question de ses disciples avait soulevé plus d’une difficulté. Car elle pouvait dire : Celui qui a rendu un si glorieux témoignage au Christ a-t-il donc changé de sentiment et doute-t-il aujourd’hui qu’il soit le Messie ? Est-ce par un esprit d’opposition à Jésus qu’il lui fait adresser cette question ? La prison aurait-elle affaibli sa grande âme ? Est-ce que les premiers témoignages n’étaient que de vaines paroles ? — S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Afin donc qu’on ne pût appliquer à Jean-Baptiste ce qu’il venait de dire, comme si le saint précurseur eût été scandalisé au sujet de Jésus-Christ, l’Évangéliste ajoute : « Lorsqu’ils s’en furent allés, Jésus commença à parler de Jean aux peuples. » — S. Chrys. (hom. 37.) Il attend que les disciples de Jean soient partis, pour qu’on ne l’accuse pas de flatterie à son égard ; il redresse les idées de la multitude sans dévoiler leurs soupçons, et en leur donnant simplement la solution de leurs difficultés, et il fait naître des doutes dans leur âme en leur montrant qu’il connaît les secrets de leur cœur. Cependant il ne leur dit pas comme aux Juifs : « Pourquoi pensez-vous le mal dans vos cœurs ? » Car s’ils pensaient le mal, c’était par ignorance, et non par méchanceté. Aussi ne les reprend-il pas avec sévérité, il se contente de justifier Jean, en leur montrant qu’il n’a point perdu ses droits à la haute opinion qu’ils avaient de lui. C’est ce qu’il fait, et par le témoignage qu’il lui rend et par celui de la multitude elle-même, dont il invoque non-seulement le témoignage verbal, mais le témoignage de la conduite ; c’est pour cela qu’il leur dit : « Qu’avez-vous été voir dans le désert ? » c’est-à-dire : « Pourquoi avez vous abandonné vos cités et vous êtes-vous réunis dans le désert ? » Car une multitude si nombreuse ne se serait pas rendue dans le désert avec un si grand empressement, si elle n’avait cru y rencontrer un personnage important, extraordinaire et plus ferme qu’un rocher. — La Glose. Ce n’est pas qu’ils fussent venus alors dans le désert pour y voir Jean-Baptiste, puisqu’il était en prison ; mais le Sauveur leur rappelle ce qu’ils avaient fait autrefois, lorsqu’ils allaient fréquemment dans le désert pour y voir Jean-Baptiste qui s’y trouvait encore.

S. Chrys. (hom. 38.) Et voyez comment, sans s’arrêter à justifier Jean-Baptiste de tout autre défaut, il éloigne de lui le reproche de légèreté que le peuple pouvait lui faire intérieurement en leur disant : « Est-ce un roseau agité par le vent ? » — S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Ce n’est point ici une affirmation, mais une interrogation ; le roseau, aussitôt qu’il est effleuré par le moindre vent, plie de l’autre côté, image de l’âme charnelle qui plie tour à tour sous le vent de la faveur ou de la contradiction des langues. Jean n’était donc pas un roseau agité par le vent, car aucune vicissitude des choses humaines ne pouvait faire fléchir la droiture de sa conduite. Voici donc le sens de ces paroles du Seigneur : — S. Jér. Avez-vous été dans le désert pour voir un homme semblable à un roseau tour à tour agité par tous les vents, et dont l’esprit léger douterait maintenant de celui auquel il a rendu un éclatant témoignage ? Est-ce que peut-être l’aiguillon de l’envie l’exciterait contre moi, est-ce qu’il poursuivrait la vaine gloire dans ses prédications ? Chercherait-il à en tirer profit ? Pourquoi désirerait-il les richesses ? pour s’asseoir à des tables splendidement servies ? Mais il se nourrit de sauterelles et de miel sauvage ; Est-ce pour se vêtir avec mollesse ? son vêtement est fait avec des poils de chameau ; et c’est pour cela que le Sauveur ajoute : « Mais qu’êtes-vous allés voir ? un homme vêtu mollement ? » — S. Chrys. Ou bien dans un autre sens, en allant dans le désert, vous avez prouvé par votre empressement que Jean n’était pas semblable à un roseau mobile. Et on ne peut dire que Jean, ferme et inébranlable de sa nature, est devenu inconstant en s’abandonnant à une vie de plaisirs ; car de même qu’un homme est naturellement colère, et qu’un autre le devient par suite de longues souffrances, ainsi il en est qui sont inconstants par nature, et d’autres qui le deviennent en se livrant à leurs passions. Or, Jean-Baptiste n’était pas inconstant par nature, et c’est pour cela que le Sauveur leur fait cette question : « Êtes-vous allés voir un roseau agité par le vent ? Ce n’est pas non plus en devenant l’esclave de la volupté qu’il a perdu cette élévation de caractère : le désert qu’il habitait, la prison où il est renfermé prouvent le contraire. S’il avait voulu se vêtir avec mollesse, il n’eût pas choisi pour habitation le désert, mais les palais des rois, car : « Ceux qui sont vêtus mollement, sont dans la maison des rois. » — S. Jér. Apprenons ici que la vie austère et la sévérité de la prédication doivent fuir les cours des rois et éviter les palais des hommes livrés à la mollesse.

S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Que personne ne s’imagine que la recherche des vêtements riches et précieux puisse être exempte de pêché ; car s’il en était ainsi, Notre-Seigneur n’aurait point loué Jean-Baptiste de porter un vêtement grossier, et saint Pierre n’aurait pas combattu dans les femmes l’amour des vêtements somptueux par ces paroles : « Ne recherchez pas les habits précieux. » — S. Aug. (Doct. chrét., liv. 3, chap. 12.) Cependant, ce n’est pas dans l’usage qu’on fait de toutes ces choses, mais dans l’excès et l’attachement immodéré de celui qui en use que se trouve le péché. Par conséquent, si l’on se conduit à cet égard avec plus de parcimonie que ne le comportent les usages des personnes au milieu desquelles on vit, c’est retenue excessive ou crainte superstitieuse ; mais si l’on dépasse en cela les limites posées par la coutume des personnes vertueuses, c’est mauvais signe, c’est dérèglement.

 

S. Chrys. (hom. 38.) Après avoir donné comme preuve de la vertu du saint précurseur, le lieu qu’il habitait, ses vêtements, et le concours du peuple, il le leur présente comme un prophète : « Qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et plus qu’un prophète. — S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Le ministère du prophète c’est de prédire les choses à venir, et non de les montrer ; donc Jean-Baptiste est plus qu’un prophète, car il annonçait comme présent, celui qu’il avait prédit en sa qualité de précurseur. — S. Jér. C’est par là qu’il était plus grand que les autres prophètes, et aussi parce qu’aux privilèges de la dignité de prophète il joignit la gloire de baptiser son Seigneur. — S. Chrys. (hom. 38.) Jésus fait voir ensuite en quoi il est supérieur aux autres, en ajoutant : « C’est de lui qu’il est écrit : Voici que j’envoie mon ange devant votre face. » — S. Jér. Pour relever le mérite de Jean-Baptiste, il emprunte le témoignage de Malachie qui l’avait annoncé comme un ange. Or, le nom d’ange est donné ici à Jean-Baptiste, non pas qu’il ait eu avec eux une même nature, mais parce qu’il a rempli le même ministère, c’est-à-dire celui de messager, en annonçant le Sauveur qui devait venir. — S. Grég. En grec, le mot ange correspond au mot latin messager : c’est donc avec raison que celui qui venait apporter à la terre un message des cieux reçoit le nom d’ange et qu’il porte ce titre glorieux que justifient ses oeuvres. — S. Chrys. (hom. 38.) Il montre donc en quoi Jean-Baptiste est plus grand que les prophètes, c’est parce qu’il a eu l’honneur d’être près du Christ. Ces paroles : « Devant votre face, » signifient auprès de vous. Car de même que ceux qui marchent auprès du char du roi sont les seigneurs les plus distingués de sa cour, ainsi Jean reçut un nouvel éclat de la présence du Christ. — La Glose. Ajoutons enfin que les autres prophètes ont eu pour mission d’annoncer l’avènement du Christ, et Jean-Baptiste de lui préparer les voies, et c’est pour cela qu’il est écrit : « Il vous préparera la voie où vous devez marcher, » c’est-à-dire qu’il vous rendra les cœurs accessibles en leur prêchant la pénitence et en leur donnant le baptême.

 

S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, le désert est le lieu qui est privé de la présence de l’Esprit saint, et que Dieu n’habite en aucune façon. Le roseau c’est l’homme tout resplendissant de la gloire du monde, c’est-à-dire par la futilité de sa vie, mais qui ne porte en lui-même aucun fruit de vérité ; ses dehors sont agréables, mais il est nul à l’intérieur ; le moindre vent, c’est-à-dire le moindre souffle des esprits immondes l’agite, il n’a aucune consistance, aucune fermeté, aucune force intérieure. Le vêtement représente le corps dont l’âme est revêtue, que le luxe et la volupté amollissent ; les rois sont l’image des anges prévaricateurs, car ils sont les puissants du Siècle et les maîtres du monde. Ceux donc qui sont vêtus avec mollesse habitent dans la maison des rois, c’est-à-dire que ceux dont le corps est amolli et a perdu sa force au sein des voluptés deviennent l’habitation des démons. — S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) On peut dire encore que Jean ne fut pas vêtu avec mollesse, parce qu’il n’a point encouragé par un langage flatteur les vices des pécheurs, mais qu’il les a pressés de ses réprimandes énergiques et de ses reproches les plus sévères, jusqu’à les appeler : « Race de vipères. » (Mt 3)

 

v. 11.

S. Chrys. (hom. 38.) Notre-Seigneur ne se contente pas de faire l’éloge de Jean-Baptiste, en rappelant le témoignage que lui rend le prophète, il fait connaître la haute opinion qu’il a personnellement de lui en disant : « Je vous le dis en vérité, il n’y en a point eu de plus grand, » etc. — Rab. Pourquoi semble-t-il dire, faire un éloge détaillé de Jean-Baptiste : « Je vous le dis en vérité, entre ceux qui sont nés des femmes, » etc. Il dit : Entre les enfants des femmes, et non des vierges. Le mot femmes exprime dans le sens propre celles qui n’ont plus leur virginité. Si Marie est quelquefois appelée femme dans l’Évangile, il faut se rappeler que cette expression n’est employée que pour désigner son sexe, comme dans ce passage : « Femme, voici votre fils. » — S. Jér. Notre-Seigneur élève donc Jean-Baptiste au-dessus des hommes qui sont nés des femmes et de leur union avec l’homme ; mais non pas au-dessus de celui qui est né de la Vierge et de l’Esprit saint. D’ailleurs, en disant : « Nul d’entre les enfants des femmes n’a été plus grand que Jean-Baptiste, » il ne le place pas précisément au-dessus des patriarches, des prophètes, et des autres hommes, mais il les met simplement sur le même rang ; car de ce que les autres ne sont pas plus grands que lui, il ne s’ensuit pas qu’il soit plus grand qu’eux. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Mais comme la justice est si élevée, qu’il n’y a que Dieu seul qui puisse en atteindre la perfection, je pense que les saints, aux yeux si pénétrants du souverain juge, sont dans un degré plus ou moins élevé les uns que les autres, et nous devons en conclure que celui au-dessus duquel il n’y en a point de plus grand est lui-même plus grand que tous les autres.

 

S. Chrys. (hom. 38.) Mais de peur que cette surabondance de louanges n’entraînât quelque inconvénient pour les Juifs, qui avaient de Jean-Baptiste une plus haute estime que de Jésus-Christ, le Sauveur prévient toute impression fâcheuse en ajoutant : « Mais celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui. » — S. Aug. (cont. l’advers. de la loi et des prophètes, liv. 4, chap. 5.) Les hérétiques, en raisonnant sur ce texte, veulent en conclure que Jean-Baptiste n’appartient pas au royaume des cieux, et encore moins les prophètes de ce peuple, auxquels Jean-Baptiste est supérieur. Or, ces paroles de Notre-Seigneur peuvent s’entendre de deux manières : ou bien ce royaume des cieux, c’est celui dont nous ne sommes pas encore en possession, et dont Notre-Seigneur doit dire à la fin du monde : « Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume, » etc., et comme les anges sont les habitants de ce royaume, le moindre d’entre eux est plus grand que le juste, qui, sur cette terre, porte un corps sujet à la corruption. Ou bien, si par le royaume des cieux il a voulu signifier 1’Église, dont tous les justes qui ont existé depuis la naissance du genre humain sont les enfants, c’est de lui-même qu’il a voulu parler, car il était au-dessous de Jean par son âge, et il lui était supérieur par son éternité divine et par sa puissance souveraine. Dans le premier sens, il faut donc diviser ainsi la phrase : « Celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux, » et ensuite : « Est plus grand que lui ; » et dans le second sens : « Celui qui est le plus petit, » et puis : « Est plus grand que lui dans le royaume des cieux. » — S. Chrys. (hom. 38.) « Dans le royaume des cieux, » c’est-à-dire dans toutes les choses spirituelles et célestes. Il en est qui pensent que Jésus-Christ a voulu parler ici de ses Apôtres. — S. Jér. Pour nous, nous entendons tout simplement ces paroles, en ce sens, que tout homme juste qui est déjà réuni au Seigneur, est plus grand que celui qui se trouve encore au milieu des combats ; car il y a une grande différence entre celui qui a déjà reçu la couronne de la victoire, et celui qui soutient encore sur le champ de bataille tous les efforts de ses ennemis.

 

vv. 12-15.

La Glose. Les paroles qui précèdent : « Celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que Jean-Baptiste, » pouvaient faire penser que Jean-Baptiste était étranger au royaume des cieux. Notre-Seigneur éloigne donc cette idée en ajoutant : « Depuis les jours, » etc. — S. Grég. (hom. 20 sur S. Matth.) Le royaume des cieux signifie le trône qui nous est préparé dans le ciel, et lorsque des pécheurs souillés de quelques crimes reviennent à Dieu par la pénitence et réforment leur conduite, ils entrent comme pécheurs dans un lieu qui leur est étranger, et ils ravissent avec violence le royaume des cieux.

S. Jér. Si Jean-Baptiste a le premier prêché la pénitence au peuple en ces termes : « Faites pénitence, car le royaume des cieux approche, » il est juste que depuis ce temps le royaume des cieux souffre violence, et que les violents seuls le ravissent. Il faut en effet que nous nous fassions une grande violence, nous dont la naissance est toute terrestre, pour chercher à mériter la gloire des cieux et conquérir par notre vertu ce que nous ne pouvons tenir de notre nature. — S. Hil. (can. 11.) Ou bien dans un autre sens, Notre-Seigneur avait ordonné à ses Apôtres d’aller vers les brebis perdues d’Israël (Mt 11), mais leur prédication tournait au profit des publicains et des pécheurs. C’est ainsi que le royaume des cieux souffre violence, et que les violents le ravissent, parce que la gloire qui était due aux patriarches d’Israël, que les prophètes avaient annoncée, et que Jésus-Christ est venu offrir, a été enlevée et ravie par la foi des nations. — S. Chrys. (hom. 38.) Ou bien encore, ceux qui s’empressent de se convertir sont ceux qui ravissent le royaume de Dieu par la foi en Jésus-Christ ; voilà pourquoi il dit : « Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu’à présent. » C’est ainsi qu’il les excite et les presse de croire en lui ; en même temps il confirme lui-même tout ce que Jean-Baptiste avait dit précédemment. Car si toutes choses ont été accomplies jusqu’à Jean-Baptiste, il est donc celui qui doit venir, et c’est pour cela qu’il ajoute : « Tous les prophètes ont prophétisé jusqu’à Jean. » — S. Jér. Ce n’est pas qu’il veuille dire qu’après Jean il n’y a plus eu de prophète, car nous lisons dans les Actes des Apôtres (Ac 11 ; Ac 21), qu’Agabus et les quatre vierges, filles de Philippe, prophétisèrent ; mais ces paroles signifient que toutes les prophéties de la loi et des prophètes ont eu Jésus-Christ pour objet. Ces paroles donc : « Ils ont prophétisé jusqu’à Jean, » indiquent le temps où devait venir le Christ, et où Jean-Baptiste a signalé la présence de Celui dont ils avaient prédit la venue.

 

S. Chrys. (hom. 38.) Il donne ensuite une autre explication de son avènement : « Et si vous voulez le comprendre, lui-même est cet Élie qui doit venir. » Dieu dit en effet par la bouche du prophète Malachie (Ml 4) : Je vous enverrai Élie de Thesba, et il dit de Jean-Baptiste : « J’enverrai mon ange devant vous. » — S. Jér. Jean est donc appelé Élie, non pas dans le sens de quelques philosophes insensés, et de certains hérétiques qui enseignent le retour des âmes dans de nouveaux corps, mais parce qu’au témoignage de l’Évangile lui-même, il est venu dans la vertu et dans l’esprit d’Élie, et qu’il a reçu la même grâce ou la même mesure de l’Esprit saint. Ajoutez que l’austérité de la vie et la sévérité des principes sont les mêmes dans Élie et dans Jean-Baptiste : ils habitaient tous les deux le désert, tous les deux ils portaient une ceinture de poils de chameau ; le premier fut obligé de fuir, parce qu’il avait reproché à Achab et à Jésabel leur impiété, le second eut la tête tranchée parce qu’il avait condamné l’union criminelle d’Hérode et d’Hérodiade. — S. Chrys. (hom. 38.) Le Sauveur dit avec raison : « Et si vous voulez le comprendre, » leur montrant ainsi qu’ils sont libres et qu’il exige une adhésion volontaire : or Jean est Élie, et à son tour Élie est Jean, parce que tous deux sont précurseurs. — S. Jér. Ces paroles : « Lui-même est Élie, » sont mystérieuses et ont besoin d’une intelligence particulière, comme le prouve ce qu’il ajoute : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. » Remi. C’est-à-dire : Que celui qui a les oreilles du cœur pour entendre ou pour comprendre, qu’il entende, qu’il comprenne, parce qu’en effet il a dit non pas que Jean-Baptiste ait été Élie en personne, mais seulement par l’esprit.

 

vv. 16-19.

S. Hil. (can. 11.) Tout ce discours est à la honte de l’incrédulité ; c’est l’expression d’un profond sentiment de mécontentement de ce que ce peuple arrogant avait résisté aux divers genres d’instructions qui lui avaient été faites. — S. Chrys. (hom. 38.) Le Sauveur procède avec raison par interrogation, pour montrer que rien n’a été oublié de ce qui devait contribuer à leur salut : « A qui comparerai-je cette génération ? » — La Glose. Comme s’il disait : Jean était un grand prophète, mais vous n’avez voulu croire ni à sa parole ni à la mienne ; à qui donc vous comparerai-je ? Dans ce mot de génération il comprend les Juifs, Jean-Baptiste lui-même.

Remi. Il se fait aussitôt cette réponse : « Elle est semblable à des enfants assis sur la place publique qui crient à leurs compagnons : Nous avons chanté pour vous, et vous n’avez pas dansé ; nous avons chanté des airs lugubres, et vous n’avez point témoigné de tristesse. — S. Hil. (Can. 11.) Par ces enfants, Notre-Seigneur entend les prophètes qui ont prêché comme des enfants dans la simplicité de leur âme, et qui, au milieu des synagogues comme au milieu d’une place publique, ont reproché aux Juifs de n’avoir pas conformé leurs oeuvres extérieures aux chants qu’ils leur adressaient, et de n’avoir pas obéi à leurs paroles ; car le mouvement de la danse doit se conformer à la mesure du chant. Or, les prophètes ont appelé le peuple à louer Dieu dans leurs chants, comme nous le voyons dans les cantiques de Moïse, d’Isaïe et de David (Ex 15 ; Dt 32 ; Is 12 ; 26 ; 2 R 26 ; Ps 17, etc.), etc. — S. Jér. Voici donc ce qu’ils reprochent aux Juifs : « Nous avons chanté pour vous, et vous n’avez pas dansé, » c’est-à-dire nous vous avons excités par nos chants à la pratique des bonnes oeuvres, et vous n’en avez rien fait ; nous avons pleuré pour vous appeler à la pénitence, et vous n’avez pas été plus dociles, vous avez méprisé toute espèce de prédication, et celle qui vous exhortait à la vertu, et celle qui vous appelait à faire pénitence de vos péchés. — Remi. Comment peut-il dire : « A leurs compagnons ? » Est-ce que les Juifs infidèles étaient les égaux et les compagnons des saints prophètes ? Non, mais il parle ainsi parce qu’ils étaient tous sortis d’une souche commune. — S. Jér. Les enfants sont encore ceux dont Isaïe a dit : « Me voici, moi et mes enfants, ceux que le Seigneur m’a donnés ; » ces enfants s’arrêtent sur la place publique où l’on fait trafic de tout, et ils disent : « Nous avons chanté pour vous, et vous n’avez pas dansé. » — S. Chrys. (hom. 38.) Je vous ai donné l’exemple d’une vie plus douce que sévère, et vous n’avez pas été persuadés ; Jean s’est soumis à une vie austère, et vous n’y avez pas fait plus d’attention ; il ne dit pas : Jean a suivi cette ligne de conduite, et moi cette autre ; mais il ne sépare pas leur cause, parce que leur intention était la même, et il ajoute : « Jean est venu, ne mangeant, ni ne buvant, et vous avez dit : Il est possédé. Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, » etc. — S. Aug. (cont. Faust. liv. 16, chap. 31.) Je voudrais bien que les Manichéens me disent ce que mangeait et ce que buvait Jésus-Christ, lui qui se disait mangeant et buvant, en comparaison de Jean-Baptiste qui ne mangeait ni ne buvait. Car il n’est pas dit que Jean ne buvait pas du tout, mais qu’il ne buvait ni vin ni rien de ce qui pouvait enivrer, il ne buvait donc que de l’eau ; on ne peut pas dire non plus qu’il ne mangeait rien absolument, mais il ne mangeait que du miel sauvage et des sauterelles. Pourquoi donc Notre-Seigneur dit-il qu’il ne mangeait ni ne buvait, si ce n’est parce qu’il n’usait pas des aliments ordinaires des Juifs ? Et si le Seigneur n’en avait pas lui-même fait usage, il n’aurait pu dire par comparaison avec Jean-Baptiste qu’il mangeait et buvait. Or, n’est-il pas étonnant qu’on dise de celui qui mangeait des sauterelles et du miel, qu’il ne mangeait pas, et qu’on présente comme mangeant celui qui se contentait de pain et de légumes ?

 

S. Chrys. (hom. 38.) « Le Fils de l’homme est venu, » etc., c’est-à-dire nous avons suivi, Jean et moi, des routes différentes, mais qui aboutissaient au même but, comme deux chasseurs qui poursuivent un animal par deux chemins différents pour le faire arriver sur l’un des deux. Les hommes sont généralement portés à admirer le jeûne et l’austérité de la vie ; c’est pour cela que Dieu voulut que dès son enfance Jean pratiquât ce genre de vie, pour donner ainsi par la suite plus d’autorité à ses paroles. Notre-Seigneur marcha lui-même dans cette voie lorsqu’il jeûna pendant quarante jours ; mais cependant il prit d’autres moyens pour persuader aux Juifs de croire en lui ; car il était bien-plus important que Jean-Baptiste lui rendît témoignage en marchant dans cette voie, qu’il ne l’était pour lui-même de suivre ce genre de vie. En effet, Jean ne fit éclater en lui que l’austérité de sa vie et l’amour de la justice, tandis que Jésus-Christ avait encore le témoignage des miracles. Il laissa donc Jean-Baptiste briller par le jeûne, et il suivit une voie différente en ne refusant pas de s’asseoir à la table des publicains pour manger et boire avec eux. — S. Jér. Si le jeûne vous est agréable, pourquoi Jean-Baptiste ne vous plaît-il pas ? Si la vie ordinaire a pour vous plus d’attrait, pourquoi le Fils de l’homme ne peut-il vous plaire ? Pourquoi avez-vous traité l’un de possédé, et l’autre d’ivrogne et d’intempérant ?

 

S. Chrys. Quelle sera donc désormais leur excuse ? c’est pour cela qu’il ajoute : « La sagesse a été justifiée par ses enfants, » c’est-à-dire : si vous n’êtes pas persuadés, vous n’avez pas, du moins, de raison de m’accuser. C’est ce que le Prophète-Roi dit de Dieu le Père : « Afin que vous soyez justifié dans vos paroles. » (Ps 50.) Quoique vous n’ayez tiré aucun profit de l’économie de la divine providence à votre égard, de son côté elle a fait tout ce qu’elle devait, de manière à ne laisser pas même l’ombre d’un doute à l’impudence et à l’ingratitude. — S. Jér. La sagesse a été justifiée par ses enfants, c’est-à-dire la doctrine et la conduite de Dieu. Ou bien la conduite du Christ qui est la vertu et la sagesse de Dieu a été justifiée par les Apôtres qui sont ses enfants. — S. Hil. Or, il est lui-même la sagesse, non par les effets merveilleux qu’elle a produits en lui, mais par nature. Il en est plusieurs qui cherchent à éluder la force de ces paroles de l’Apôtre qui proclament le Christ la puissance et la sagesse de Dieu (1 Co 1), en disant que la vertu de cette sagesse et de cette puissance divine s’est montrée dans l’oeuvre de son incarnation et de sa naissance d’une Vierge ; mais pour détruire par avance cette interprétation, il a déclaré qu’il était lui-même la sagesse, montrant ainsi que ce n’étaient pas seulement les oeuvres de la sagesse, mais la sagesse elle-même qui résidait en lui ; car l’oeuvre de la vertu n’est pas la vertu elle-même, et l’effet demeure distinct de celui qui le produit. — S. Aug. (Quest. Evang., liv. 2, chap. 11.) « La sagesse a été justifiée par ses enfants, » en ce sens que les saints Apôtres comprirent que le royaume des cieux n’était point dans le boire et dans le manger, mais dans la patience à supporter les épreuves ; aussi l’abondance ne leur inspirait aucun orgueil, et la pauvreté ne pouvait les abattre. C’est ce qui faisait dire à saint Paul : « Je sais être dans l’abondance, et je sais supporter la pauvreté. » — S. Hil. On lit dans quelques exemplaires : « La sagesse a été justifiée par ses oeuvres. » La sagesse, en effet, ne cherche pas le témoignage des paroles, mais celui des oeuvres. S. Chrys. (hom. 38.) Si cette comparaison empruntée aux enfants vous paraît vulgaire, n’en soyez pas surpris, car Jésus s’adressait à des auditeurs grossiers ; c’est ainsi qu’Ézéchiel se sert de plusieurs comparaisons en rapport avec l’intelligence des Juifs, mais qui ne convenaient nullement à la grandeur de Dieu, si toutefois l’on peut dire qu’une chose qui est utile aux hommes n’est pas digne de Dieu.

 

S. Hil. (can. 11.) Dans le sens mystique, la prédication elle-même de Jean-Baptiste fut impuissante pour convertir les Juifs, parce que la loi leur avait paru pénible, difficile et gênante à cause de ses prescriptions sur les aliments et sur les boissons. Elle renfermait pour ainsi dire en elle-même le péché auquel il donne le nom de démon, parce que la difficulté que présentait son observation en rendait presque inévitable la transgression. A son tour, la prédication de l’Évangile de Jésus-Christ ne leur fut pas agréable, malgré la liberté qu’elle leur rendait, en allégeant tout ce que la loi avait de difficile et d’accablant. Les publicains et les pécheurs embrassèrent la foi, mais pour les Juifs, après tant et de si grands avertissements, ils ne furent pas justifiés par la grâce, et ils furent abandonnés par la loi. C’est alors que la sagesse fut justifiée par ses enfants, c’est-à-dire par ceux qui ravissent le royaume des cieux par la justification qui vient de la foi, et en proclamant la justice des opérations de la sagesse de Dieu qui prive de ses grâces les esprits rebelles pour en faire part aux cœurs fidèles.

 

vv. 20-24.

La Glose. Jusqu’ici les reproches du Sauveur s’étaient adressés indistinctement à tous les Juifs, maintenant il les fait tomber en particulier sur quelques villes qu’il avait évangélisées d’une manière plus spéciale, et qui, cependant, n’avaient pas voulu se convertir. « Alors, dit l’Évangéliste, il commença à faire des reproches aux villes, » etc. — S. Jér. Ce chapitre s’ouvre par les reproches qu’il fait aux villes de Bethsaïde et de Capharnaüm, de ce qu’après tant de prodiges et de miracles opérés au milieu d’elles, elles n’ont pas fait pénitence. « Malheur à vous, Corozaïm ! malheur à vous, Bethsaïde ! » — S. Chrys. (hom. 38.) C’est pour vous apprendre que les habitants de ces villes n’étaient pas mauvais par leur nature qu’il nomme la ville de Bethsaïde, qui avait donné le jour à plusieurs d’entre les Apôtres. En effet, Philippe, et les deux principaux couples du collège apostolique, Pierre et André, Jacques et Jean, étaient de Bethsaïde. — S. Jér. Cette expression, « malheur, » nous montre que le Sauveur déplore le triste sort de ces villes, de ce qu’après tant de miracles et de prodiges opérés sous leurs yeux, elles n’ont pas fait pénitence. — Rab. Corozaïm qui veut dire mon mystère, et Bethsaïde, la maison des fruits ou la maison des chasseurs, sont des villes de Galilée assises sur les bords de la mer de Galilée. Le Seigneur déplore le triste sort de ces villes, à qui le mystère de Dieu a été révélé, qui auraient dû produire des fruits de vertu, et dans lesquelles il avait envoyé des chasseurs spirituels. — S. Jér. Le Sauveur leur préfère Tyr et Sidon, villes adonnées à l’idolâtrie et à tous les vices. « Car, ajoute-t-il, si les merveilles qui ont été opérées au milieu de vous avaient été faites au milieu de Tyr et de Sidon, il y a longtemps qu’eues auraient fait pénitence dans la cendre et le cilice. » — S. Grég. (Moral., 35, 2.) Le cilice signifie la componction et l’austérité de la pénitence ; la cendre, la poussière des morts. Tous deux sont mis en usage dans la pénitence, afin que les pointes du cilice nous rappellent ce que nous avons fait en péchant, et que la cendre nous fasse réfléchir sur ce que nous sommes devenus par le jugement de Dieu. — Rab. Tyr et Sidon sont des villes de Phénicie. Tyr veut dire angoisse, et Sidon, chasse ; elles représentent les nations que le démon a prises comme un chasseur dans les détroits resserrés du péché, mais que le Sauveur Jésus a délivrées par son Évangile.

 

S. Jér. Où donc voyons-nous que le Sauveur ait fait des miracles dans Corozaïm et dans Bethsaïde ? Nous lisons dans un des chapitres précédents : « Il parcourait toutes les villes et les villages, guérissant toutes les maladies, » etc. Il est donc à croire que Corozaïm et Bethsaïde étaient du nombre de ces villes et bourgades dans lesquelles le Sauveur avait opéré des miracles. — S. Aug. (de la persév., chap. 9.) Il n’est donc pas vrai de dire que l’Évangile n’ait pas été prêché dans les temps et dans les lieux où le Seigneur prévoyait l’inutilité de ses prédications pour tous ceux qui l’entendraient, aussi bien que pour un grand nombre de ceux qui n’ont pas voulu croire en lui, même après qu’ils l’eurent vu ressusciter des morts ; car voici le Seigneur qui nous assure que les habitants de Tyr et de Sidon eussent fait une pénitence pleine d’humilité, s’ils avaient été témoins des miracles de la puissance divine. Or, si les morts sont jugés sur ce qu’ils auraient fait s’ils avaient vécu, comme les habitants de ces villes se seraient convertis à la foi si l’Évangile leur eût été annoncé et confirmé par tant de miracles éclatants, il faudrait en conclure qu’ils seront exempts de tout châtiment ; et cependant ils seront punis au jour du jugement, d’après les paroles qui suivent : « Néanmoins je vous le dis, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous. » La peine des derniers sera donc plus légère, et le châtiment des autres plus rigoureux. — S. Jér. Et la raison, c’est que Tyr et Sidon ont foulé aux pieds la loi naturelle seule, tandis que ces villes, à la transgression de la loi écrite, ont joint le mépris des miracles qui ont été faits au milieu d’elles. — Rab. Nous sommes aujourd’hui témoins de l’accomplissement des paroles du Sauveur : Corozaïm et Bethsaïde ne voulurent pas croire en lui lorsqu’il les honorait de sa présence, tandis que Tyr et Sidon crurent plus tard à la prédication des Apôtres. — Remi. Capharnaüm était la métropole de la Galilée, et la ville la plus célèbre de cette province ; c’est pour cela que le Seigneur en fait une mention spéciale : « Et toi Capharnaüm, t’élèveras-tu jusqu’au ciel ? tu seras abaissée jusqu’aux enfers. » — S. Jér. On peut entendre ces paroles de deux manières : ou bien tu descendras jusqu’aux enfers, parce que tu as résisté avec orgueil à mes prédications ; ou bien, parce que élevée jusqu’au ciel par le séjour que j’ai daigné faire au milieu de toi, aussi bien que par les prodiges et par les merveilles que j’ai opérés dans ton sein, tu seras condamnée à de plus grands supplices pour avoir abusé de grâces si privilégiées, en refusant de croire en moi. — Remi. Ce ne sont pas seulement les péchés de Tyr et de Sidon, mais les crimes de Sodome et de Gomorrhe qui sont légers en comparaison. Car, ajoute-t-il, si les merveilles qui ont été opérées au milieu de toi eussent été faites dans Sodome, peut-être cette ville existerait encore. — S. Chrys. (hom. 39.) C’est ce qui rend leur accusation plus rigoureuse, car la plus forte preuve de méchanceté, c’est d’être plus mauvais non-seulement que les méchants qui existent, mais que ceux qui ont jamais existé.

 

S. Jér. Dans la ville de Capharnaüm, qui veut dire très belle maison de plaisance, se trouve condamnée Jérusalem, à qui Ézéchiel a dit : Sodome a été trouvée juste auprès de toi. — Remi. Le Seigneur qui connaît toutes choses, s’est servi ici du mot dubitatif peut-être, pour montrer que les hommes ont reçu de lui le don du libre arbitre. Il ajoute : « C’est pourquoi je vous déclare qu’au jour du jugement le pays de Sodome sera traité moins rigoureusement que vous. » Il faut se rappeler que sous le nom d’une ville ou d’une contrée, les reproches du Seigneur s’adressent non pas aux édifices ou aux murailles des maisons, mais aux hommes qui les habitent, d’après la figure appelée métonymie, qui exprime le contenu pour le contenant. Les paroles suivantes : « La peine sera plus légère au jour du jugement, » démontrent jusqu’à l’évidence qu’il y a dans l’enfer divers degrés de peines, de même qu’il y a divers degrés de gloire dans le royaume des cieux. — S. Jér. Un lecteur attentif me dira peut-être : Si les villes de Tyr, de Sidon et de Sodome auraient pu faire pénitence en entendant les prédications du Seigneur et devant l’éclat de ses miracles, elles ne sont pas coupables de n’avoir pas cru, mais la faute doit être imputée au silence de celui qui n’a pas voulu leur prêcher dans le temps où elles étaient disposées à faire pénitence. La réponse à cette difficulté est facile et claire : c’est que nous ignorons les jugements de Dieu, et les mystérieuses dispositions de sa providence. Notre-Seigneur s’était proposé de ne point sortir des frontières de la Judée, ne voulant pas fournir aux pharisiens et aux prêtres un motif ou un prétexte pour le persécuter. C’est pour cela qu’il fait cette recommandation aux Apôtres : « Vous n’irez pas dans le chemin des nations. » Or, Corozaïm et Bethsaïde sont condamnées, parce qu’elles ont refusé de croire à la parole du Seigneur lui-même présent au milieu d’elles ; Tyr et Sidon sont justifiées pour avoir cru à la parole de ses Apôtres. Pourquoi faire ici une question de temps alors que vous voyez que ceux qui croient sont sauvés ? — Remi. Voici une autre solution de cette difficulté : dans Corozaïm, il y en avait probablement plusieurs qui devaient croire, de même que dans Tyr et dans Sidon il en était plusieurs qui devaient rester dans l’incrédulité, et qui, par conséquent, n’étaient pas dignes de 1’Évangile. Notre-Seigneur a donc évangélisé les habitants de Corozaïm et de Bethsaïde, afin que ceux qui devaient croire pussent embrasser la foi ; et il ne voulut point porter la prédication de l’Évangile aux habitants de Tyr et de Sidon, dans la crainte que ceux qui refuseraient de croire, devenus plus coupables par le mépris de l’Évangile, ne fussent aussi plus rigoureusement punis.

 

S. Aug. (de la persévér., chap. 10.) Un controversiste catholique qui n’est pas à dédaigner explique ce passage de l’Évangile en disant que le Seigneur avait prévu que les Tyriens et les Sidoniens devaient plus tard abandonner la foi qu’ils auraient embrassée sur l’autorité des miracles opérés sous leurs yeux ; et c’est par miséricorde qu’il n’a point voulu faire de miracles au milieu d’eux, parce que en abandonnant la foi qu’ils avaient professée, ils se seraient rendus dignes de châtiments plus rigoureux que s’ils ne l’avaient jamais reçue. (Evang., chap. 12.) On peut dire encore que le Seigneur prévoit avec certitude les grâces auxquelles il a daigné attacher notre délivrance : c’est la prédestination des saints, c’est-à-dire la prescience et la préparation des grâces qui doivent infailliblement sauver ceux qui doivent l’être ; les autres, par un juste jugement de Dieu, sont laissés dans la masse de perdition, comme les habitants de Tyr et de Sidon qui auraient pu croire également s’ils avaient été témoins des nombreux miracles de Jésus-Christ ; mais comme le don de la foi ne leur a pas été accordé, les moyens de croire leur ont été refusés. On peut conclure de là qu’il y a des hommes qui ont naturellement dans leur esprit un don particulier d’intelligence qui les porterait vers la foi, s’ils voyaient des miracles ou s’ils entendaient des paroles conformes aux dispositions de leur âme ; et cependant si, par un profond jugement de Dieu, ils ne sont pas séparés de la masse de perdition par la grâce de la prédestination, ils n’entendront jamais ces paroles divines, ils ne verront jamais ces faits miraculeux qui deviendraient pour eux, s’ils en étaient témoins, des moyens assurés de parvenir à la foi. C’est dans cette masse de perdition que furent laissés les Juifs eux-mêmes qui ne purent croire aux miracles si éclatants qui furent opérés sous leurs yeux, et l’Évangile ne nous a pas caché la raison pour laquelle ils n’ont pu croire : « Bien que le Sauveur eût opéré sous leurs yeux d’aussi grands miracles, ils ne pouvaient pas croire, selon ce qu’Isaïe a dit : « Il a aveuglé leurs yeux (Is 6, 9 ; Ac 28, 18), et il a endurci leurs cœurs. » (Jn 12.) Les yeux des Tyriens et des Sidoniens n’étaient donc pas aveuglés de manière à ne pouvoir croire, s’ils avaient vu de semblables miracles ; mais comme ils n’étaient pas prédestinés, il ne leur servit de rien d’avoir pu croire, de même que ce n’eût pas été pour eux un obstacle de ne pouvoir croire si Dieu les eût prédestinés à recevoir la lumière de la loi malgré leur aveuglement, et s’il avait voulu leur ôter leur cœur le pierre, cause de leur endurcissement.

 

S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 32.) Saint Luc rapporte ces mêmes paroles, en les donnant comme la suite d’un discours du Seigneur. Cet Évangéliste paraît avoir suivi dans sa narration l’ordre dans lequel ces paroles ont été dites, tandis que saint Matthieu ne suit d’autre ordre que celui de ses souvenirs. Ou bien, la manière dont saint Matthieu s’exprime : « Alors il commença à faire des reproches, » etc., devrait être entendue en ce sens que le mot « alors » indiquerait le moment précis du temps où ces paroles ont été prononcées, et non l’espace de temps plus long dans lequel on pourrait placer un grand nombre d’autres actions, ou d’autres discours du Sauveur. En admettant cette opinion, il faut admettre que ces paroles ont été dites deux fois ; car, puisque dans un seul et même Évangile on trouve répétées comme dites dans deux circonstances différentes les mêmes paroles du Seigneur, par exemple, la recommandation qu’il fait de ne pas porter de sac en voyage (Lc 9 et 10), qu’y a-t-il d’étonnant que des paroles dites deux fois par le Sauveur soient rapportées par deux Évangélistes dans l’ordre où elles ont été prononcées ? Et la raison pour laquelle cet ordre est différent, c’est justement parce que chacun d’eux rattache ces paroles au temps où elles ont été dites.

 

vv. 25-26.

La Glose. Le Seigneur savait qu’un grand nombre douteraient de la vérité qu’il venait de leur révéler, c’est-à-dire que les Juifs ont rejeté le Christ, tandis que les Gentils l’ont retenu avec empressement ; il répond donc à ces doutes intérieurs : « Et Jésus, répondant, dit ces paroles : Je vous rends gloire, mon Père, » etc. C’est-à-dire vous qui faites les cieux, et qui laissez dans l’attachement aux choses de la terre ceux que vous voulez. Ou bien dans le sens littéral : — S. Aug. (serm. 9 sur les paroles du Seig.) Puisque Jésus-Christ dit : « Je vous confesse, » lui si éloigné de tout péché, la confession n’est donc pas toujours l’aveu des péchés, mais quelquefois aussi l’expression de la louange. Nous confessons donc soit en louant Dieu, soit en nous accusant nous-mêmes ; et ces mots : Je vous confesse, signifient non pas : je m’accuse, mais : je vous loue, je vous rends gloire.

 

S. Jér. Que ceux qui osent calomnier le Sauveur en niant sa naissance éternelle et en soutenant qu’il a été créé dans le temps, entendent et méditent ces paroles. Ils appuient leur opinion sur ce qu’il appelle ici son Père le Seigneur du ciel et de la terre. Mais s’il n’est qu’une simple créature, et qu’une créature puisse donner le nom de Père à son Créateur, il a fait une chose déraisonnable en ne l’appelant pas son Maître ou son Père comme il l’appelle le Maître et le Père du ciel et de la terre. Or il rend grâces à Dieu de ce qu’il révèle le mystère de son avènement aux Apôtres, mystère qu’il a laissé ignorer aux scribes et aux pharisiens qui étaient sages et prudents à leurs propres yeux. C’est le sens de ces paroles : « De ce que vous avez caché aux sages, » etc. — S. Aug. (serm. 9 sur les paroles du Seig.) Sous le nom de ces sages et de ces prudents on peut entendre les orgueilleux, comme Notre-Seigneur l’explique lui-même, en ajoutant : « Et que vous les avez révélés aux petits. » En effet, que veut dire « aux petits, » si ce n’est aux humbles ? — S. Grég. (Moral. 27, 7.) Il n’ajoute pas : vous les avez révélés aux insensés, mais aux petits, pour nous montrer qu’il ne condamne pas la pénétration, mais seulement l’enflure de l’esprit. S. Chrys. (hom. 39.) Ou bien encore, en nommant ici des sages, il n’a point voulu parler de la véritable sagesse, mais de celle que les scribes et les pharisiens ne tenaient que de leur éloquence ; c’est pour cela qu’il ne dit pas : « Vous les avez révélés aux insensés, » mais : « aux petits, » c’est-à-dire aux gens sans instruction et sans éducation. C’est ainsi qu’il nous apprend à fuir en tout l’orgueil, et à rechercher la pratique de l’humilité. — S. Hil. (can. 11.) Les secrets et la vertu des paroles célestes demeurent cachés pour les sages, c’est-à-dire pour ceux qui sont pleins d’une folle présomption, et dont la sagesse n’est pas le fruit de la prudence ; et ces mêmes secrets sont révélés aux petits, c’est-à-dire à ceux qui sont petits en malice, et non en intelligence. — S. Chrys. (hom. 39.) Que ces mystères aient été révélés aux uns, c’est un légitime sujet de joie, mais qu’ils restent cachés pour les autres, c’est un trop juste sujet de larmes. Aussi la joie du Sauveur vient-elle exclusivement de ce que les petits ont connu ce que les sages ont ignoré.

S. Hil. (can. 11.) Il confirme l’équité de cette conduite par le jugement de la volonté de son Père ; suivant ce jugement, ceux qui refusent d’être petits devant Dieu deviennent insensés dans leur propre sagesse ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Oui, je vous bénis, ô mon Père, parce qu’il vous a plu ainsi. » — S. Grég. (Moral., liv. 25, chap. 13.) Ces paroles renferment pour nous une leçon d’humilité, et nous apprennent à ne pas discuter témérairement les jugements de Dieu sur la vocation des uns, et sur la réprobation des autres, en nous montrant qu’il ne peut y avoir d’injustice dans ce qui a plu à celui qui est souverainement juste. — S. Jér. Notre-Seigneur tient encore ce langage affectueux à son Père, pour l’engager à consommer l’oeuvre qu’il a commencée dans ses Apôtres. — S. Chrys. (hom. 39.) Ces paroles de Jésus-Christ à ses Apôtres leur inspirèrent une plus grande vigilance ; le pouvoir qu’ils avaient reçu de chasser les démons était de nature à leur donner une haute idée d’eux-mêmes, il réprime donc cette idée en leur apprenant que les faveurs qui leur ont été accordées ne sont pas le fruit de leurs efforts, mais l’effet d’une révélation divine. Aussi les scribes et les pharisiens, infatués de leur sagesse et de leur prudence, sont-ils tombés victimes de leur orgueil. Si donc ils ont mérité pour cela que les mystères de Dieu demeurent cachés pour eux, craignez vous aussi, et appliquez-vous à rester petits, car c’est ce qui vous a donné droit à la révélation de ces mystères. Ces paroles : « Vous avez caché ces choses aux sages, » doivent être entendues dans le sens de ces autres de saint Paul : « Dieu les a livrés au sens réprouvé. » L’intention de l’Apôtre n’est pas d’attribuer à Dieu immédiatement cet effet, mais à ceux qui en ont posé la cause. C’est dans le même sens qu’il faut entendre ces paroles du Sauveur « Vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents. » Et pourquoi ces vérités sont-elles demeurées cachées pour eux ? Écoutez saint Paul qui vous répond : « Parce que, s’efforçant d’établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. »

 

v. 27.

S. Chrys. (hom. 39.) Ce que le Sauveur vient de dire : « Je vous rends gloire, mon Père, de ce que vous avez caché ces choses aux sages, » pouvait laisser penser qu’il rendait grâces à son Père, comme s’il était lui-même privé de cette puissance ; il ajoute donc pour prévenir cette idée : « Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains. » Que ces paroles : « Toutes choses m’ont été données par mon Père, » ne vous fassent soupçonner rien de naturel et d’humain ; Notre-Seigneur ne s’en est servi que pour détruire la pensée qu’il existe deux dieux non engendrés ; car c’est en même temps qu’il a été engendré qu’il est devenu le Maître de toutes choses. — S. Jér. Si nous entendions ces paroles d’après nos faibles idées, il faudrait admettre que celui qui donne cesse d’avoir au moment où celui qui reçoit commence à posséder. Ou bien par les choses qui lui sont remises entre les mains, il faut entendre non pas le ciel, la terre, les éléments, et toutes les autres choses qu’il a faites et créées, mais ceux qui, par le Fils ont accès auprès du Père. — S. Hil. (can. 11.) Ou bien encore, il s’exprime de la sorte, pour prévenir toute pensée qu’il soit en rien inférieur à son Père. — S. Aug. (cont. Maximin.) S’il était en quelque chose moins puissant que son Père, il n’aurait pas à lui tout ce qu’à son Père ; mais le Père, en engendrant son Fils, lui a donné la puissance, comme aussi par le même acte il a donné tout ce qui fait partie de sa substance à celui qu’il a engendré de sa propre substance.

S. Hil. (can. 11.) Ensuite, dans cette mutuelle connaissance du Père et du Fils, il nous donne à comprendre qu’il n’y a pas autre chose dans le Fils que dans le Père qui soit resté inconnu. « Et personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père, comme nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils. » — S. Chrys. (hom. 39.) En disant que seul il connaît le Père, il nous démontre indirectement qu’il lui est consubstantiel, comme s’il disait : « Qu’y a-t-il d’étonnant que je sois le Maître de toutes choses, alors que j’ai en moi quelque chose de plus grand encore, c’est-à-dire que je connais mon Père, et que j’ai avec lui une seule et même substance ? — S. Hil. Il nous enseigne que l’identité de nature, dans l’un et dans l’autre, est renfermée dans cette mutuelle connaissance de l’un et de l’autre, de manière que celui qui connaît le Fils connaîtra le Père dans le Fils ; car toutes choses lui ont été données par le Père. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces paroles : « Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, » signifient non pas que tous ignorent le Père absolument, mais que personne ne le connaît de la même manière qu’il le connaît lui-même, ce que l’on doit dire du Fils également ; car il n’est pas question ici d’un Dieu inconnu, comme le prétend Marcion.

S. Aug. (de la Trinité, liv. 1, chap. 8.) Enfin, comme la nature divine est inséparable, il suffit quelquefois de nommer le Père seul, ou le Fils seul, sans qu’on sépare pour cela l’Esprit de l’un et de l’autre, Esprit qu’on appelle proprement Esprit de vérité (Jn 14, 17 ; 15, 26 ; 16, 13). — S. Jér. Que l’hérétique Eunomius rougisse donc de son orgueilleuse prétention, qu’il a lui-même du Père et du Fils une connaissance aussi étendue que le Père et le Fils l’ont eux-mêmes l’un de l’autre ; qu’il cherche à soutenir et à consoler sa folle prétention, en s’appuyant sur les paroles suivantes : « Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler, » toujours est-il vrai qu’autre chose est de connaître par égalité de nature, autre chose de ne connaître que par la grâce d’une révélation. — S. Aug. (de la Trinité, liv. 7, chap. 3.) Or, le Père se révèle par son Fils, c’est-à-dire par son Verbe ; car si ce verbe que nous proférons, tout passager et transitoire qu’il est, se révèle lui-même et révèle notre propre pensée, à combien plus forte raison le Verbe de Dieu par qui toutes choses ont été faites ! Il fait donc connaître le Père tel qu’il est, parce qu’il est lui-même ce qu’est le Père. — S. Aug. (Quest. évang., liv. 2, chap. 1) En prononçant ces paroles : « Personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père, » il n’a pas dit : Et celui à qui le Père aura voulu le révéler ; mais après avoir dit : « Personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, » il ajoute : « Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler ; » paroles qu’il ne faut pas entendre dans le sens que le Fils ne puisse être connu autrement que par le Père. Quant au Père, il peut être connu non-seulement par le Fils, mais encore par ceux à qui le Fils l’aura révélé. S’il a choisi de préférence cette manière de s’exprimer, c’est pour nous faire comprendre que le Père et le Fils nous sont connus par la révélation du Fils, parce qu’il est lui-même la lumière de notre intelligence. Les paroles suivantes : Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler, doivent s’entendre non-seulement du Père, mais encore du Fils ; car elles se rapportent à tout ce qui précède. C’est par son Verbe, en effet, que le Père se fait connaître ; mais le Verbe ne révèle pas seulement ce qu’il est chargé de faire connaître, il se révèle encore lui-même. — S. Chrys. (hom. 39.) Si donc il fait connaître le Père, il se fait connaître en même temps lui-même, mais il passe sous silence comme assez claire cette dernière vérité, et il s’attache à la première sur laquelle il pouvait y avoir des doutes. Il nous enseigne en même temps qu’il est tellement d’accord avec son Père, qu’il n’est pas possible d’arriver au Père si ce n’est par le Fils ; car ce qui scandalisait surtout les Juifs, c’est qu’il leur paraissait en opposition avec Dieu, et il s’applique de toute manière à détruire cette erreur.

 

vv. 28-30.

S. Chrys. (hom. 39.) Le discours qui précède, et qui est plein de l’ineffable puissance du Sauveur, avait excité dans le cœur de ses disciples un vif désir de s’unir à lui ; il les appelle maintenant lui-même en leur disant : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés. » — S. Aug. (serm. 10 sur les paroles du Seig.) Pourquoi tous, tant que nous sommes, nous fatiguons-nous ? C’est parce que nous sommes des hommes mortels, portant des vases de boue (2 Co 4, 7), cause pour nous de mille anxiétés. Mais si ces vases de chair nous tiennent à l’étroit, dilatons du moins en nous les espaces de la charité. Car pourquoi vous dit-il : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués, » si ce n’est pour que vous cessiez de l’être. — S. Hil. (can. 11.) Il appelle aussi à lui ceux qui souffraient des difficultés de la loi, et qui étaient accablés sous les lourds fardeaux du péché. — S. Jér. Que le péché soit un fardeau accablant, le prophète Zacharie l’atteste lorsqu’il nous représente l’iniquité assise sur une masse de plomb (Za 5) ; et le Psalmiste le confirme par son exemple (Ps 27), quand il dit : « Mes iniquités se sont appesanties sur moi. »

 

S. Grég. (Moral. 30, 12.) C’est un joug bien rude, c’est un bien dur esclavage que de se soumettre volontairement aux choses du temps, de rechercher avec empressement les biens de la terre, de s’efforcer de retenir ce qui nous échappe, de vouloir se fixer sur un terrain sans consistance, de désirer les choses passagères, et de ne pas vouloir passer avec elles. Car, tandis qu’elles fuient toutes contre notre volonté, nous sommes profondément affectés et accablés de leur perte, après avoir été tourmentés du désir de les posséder.

S. Chrys. (hom. 39.) Il ne dit pas : Que celui-ci ou celui-là vienne à moi, mais : Venez, vous tous qui vivez dans l’anxiété, dans la tristesse, dans le péché ; venez, non pour recevoir le châtiment de vos péchés, mais pour en être délivrés ; venez, non pas que j’ai besoin de la gloire que vous pouvez me procurer, mais parce que je veux votre salut ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Et je vous rétablirai. » Il ne dit pas simplement : Je vous sauverai, mais ce qui est beaucoup plus je vous rétablirai, c’est-à-dire je vous ferai jouir d’un repos complet. — Rab. Non-seulement je vous déchargerai, mais je vous rassasierai de mes consolations intérieures. — Remi. « Venez, » nous dit-il, non en dirigeant vos pas vers moi, mais toute votre vie, par le mouvement de la foi et non par celui du corps ; car l’accès que Dieu nous donne près de lui est tout spirituel. Il ajoute : « Prenez mon joug sur vous. » Rab. Le joug du Christ, c’est son Évangile qui unit et associe les Juifs et les Gentils. Il nous ordonne de prendre ce joug sur nous, c’est-à-dire de le traiter avec honneur, de peur qu’en le mettant au-dessous de nous, c’est-à-dire en n’ayant que du mépris pour lui, nous ne venions à le fouler sous les pieds fangeux des vices ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Apprenez de moi. » S. Aug. (serm. 10 sur les paroles da Seig.) Apprenez de moi, non pas à créer l’univers, à faire des miracles dans ce monde, mais apprenez que je suis doux et humble de cœur. Voulez-vous devenir grand ? commencez par les plus petites choses. Vous proposez-vous de construire un édifice d’une hauteur prodigieuse ? occupez-vous tout d’abord d’asseoir les fondements à une grande profondeur ; plus l’édifice doit être élevé, plus les fondements que l’on creuse doivent être profonds. Or, jusqu’où doit s’élever le sommet de l’édifice que nous voulons construire ? Jusque sous les regards de Dieu.

 

Rab. Il nous faut donc apprendre de notre Sauveur à avoir des moeurs douces et des sentiments humbles, à ne blesser personne, à ne mépriser personne et à posséder dans le fond de notre cœur les vertus dont nous pratiquons les oeuvres au dehors. — S. Chrys. (hom. 39.) C’est pour cela que Notre-Seigneur a commencé l’exposition de ses lois divines par l’humilité, et qu’il lui promet une magnifique récompense en ajoutant : « Et vous trouverez le repos de vos âmes. » C’est là, en effet, la plus grande récompense ; car c’est ainsi que non-seulement vous deviendrez utiles aux autres, mais que vous vous procurerez à vous-mêmes le repos intérieur. Il vous donne dès maintenant cette récompense, en attendant le repos éternel qu’il vous réserve dans l’avenir. — S. Chrys. (hom. 39.) Pour bannir tout sentiment de crainte que pourrait inspirer l’idée seule de joug et de fardeau, il s’empresse d’ajouter : « Mon joug est doux, et mon fardeau léger. » — S. Hil. (can. 11.) Il nous propose l’image souriante d’un joug suave et d’un fardeau léger, pour donner à ceux qui croiront en lui comme un pressentiment du bonheur que lui seul a vu dans le sein de son Père. — S. Grég. (Moral. 4.) Quel fardeau si lourd impose-t-il donc à nos âmes en nous commandant de fuir tout désir qui porte le trouble dans notre cœur, et en nous avertissant d’éviter les sentiers si difficiles de ce monde ? — S. Hil. Qu’y a-t-il, au contraire, de plus doux que ce joug, de plus léger que ce fardeau : s’abstenir de tout crime, vouloir le bien, repousser le mal, aimer tous les hommes, n’avoir de haine pour personne, chercher à mériter les biens éternels, ne pas se laisser séduire par les choses présentes, et ne jamais faire à un autre ce qu’on ne voudrait pas souffrir soi-même ?

 

Rab. Mais comment le joug du Christ peut-il être plein de douceur, alors que lui-même nous dit plus haut (Mt 7) : « La voie qui conduit à la vie est étroite ? » C’est que ce sentier étroit dans le commencement, s’élargit avec le temps par les ineffables délices de la charité. — S. Aug. (serm. sur les paroles du Seig.) Disons encore que ceux qui ont pris sur eux avec courage le joug du Seigneur, ont à courir des dangers si considérables, qu’on peut dire avec vérité qu’ils ne passent jamais du travail au repos, mais toujours du repos au travail, ainsi que l’Apôtre le dit de lui-même. (2 Co 6.) Cependant l’Esprit saint était avec lui pour renouveler de jour en jour l’homme intérieur, au milieu des ruines toujours croissantes de l’homme extérieur, et grâce au repos spirituel qu’il fait goûter à l’âme, à l’abondance des délices toutes divines qu’il répand dans les cœurs, à l’espérance du bonheur éternel qu’il nous donne, il adoucissait pour lui toutes les rigueurs, et allégeait tous les fardeaux accablants de la vie présente. Les hommes consentent à être déchirés ou brûlés pour racheter, au prix de douleurs aiguës, non-seulement les douleurs éternelles, mais les souffrances prolongées de cette vie. Quelles tempêtes, quelles tourmentes n’ont pas affrontées les marchands pour acquérir des richesses grosses elles-mêmes d’orages ? D’ailleurs ceux qui ne les aiment pas ont à supporter les mêmes peines, et ceux qui les aiment, tout en les supportant, ne s’en trouvent pas accablés. Il en est ainsi de toutes les autres épreuves ; car l’amour rend facile et réduit presque à rien ce qu’il y a de plus terrible et de plus affreux. Combien plus sera-t-il donc vrai de dire que la charité rend facile le chemin qui conduit au vrai bonheur, lorsque la cupidité rend facile autant qu’elle le peut celui qui n’aboutit qu’à la misère ? — S. Jér. Comment peut-on dire que l’Évangile est un joug plus léger que la loi, alors qu’il punit la colère et la simple convoitise, tandis que la loi n’atteint que l’homicide et l’adultère ? C’est que la loi renferme un grand nombre de préceptes dont l’Apôtre déclare ouvertement l’accomplissement impossible. La loi exige les oeuvres ; l’Evangile demande surtout la volonté, et, n’eût-elle pas son effet, elle ne perd pas sa récompense. L’Evangile nous commande ce qui nous est possible, c’est-à-dire de ne pas nourrir de mauvais désirs, ce qui dépend de notre volonté ; la loi, qui n’atteint pas la volonté, punit seulement le fait pour vous détourner de l’adultère. Supposez qu’une vierge soit outragée dans une persécution, l’Évangile la recevra comme vierge, parce que sa volonté n’a pas consenti au péché, tandis que la loi la rejettera comme ayant perdu son honneur.

 

 

 

CHAPITRE XII.

vv. 1-8.

La Glose. Après avoir raconté les prédications et les miracles qui eurent lieu l’année qui précéda le supplice de Jean-Baptiste, 1’Évangéliste passe aux événements de l’année qui suivit la mort du saint précurseur, alors que Jésus-Christ commence à être en butte à toutes sortes de contradictions, et il ouvre son récit par ces paroles : « Dans ce temps-là, » etc.

 

S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 34.) Ce qui suit est raconté par saint Marc (Mc 2) et par saint Luc (Lc 6) sans l’ombre même de contradiction ; mais ils ne disent pas : « En ce temps là ; » d’où l’on peut conclure que saint Matthieu suit dans sa narration l’ordre des faits, et les autres l’ordre de leurs souvenirs, à moins qu’on ne donne un sens plus large à ces paroles : « En ce temps là, » c’est-à-dire dans le temps où toutes ces choses et une foule d’autres faits avaient lieu. Toutes ces choses se seraient donc passées après la mort de Jean ; car on croit qu’il fut décapité peu de temps après qu’il eut envoyé ses disciples consulter Jésus-Christ. Cette locution : « Dans ce temps-là, » exprimerait alors un temps indéterminé.

 

S. Chrys. (hom. 40.) Mais pourquoi le Sauveur, dont la prescience s’étendait à tout, conduisait-il ses Apôtres le long des blés un jour de sabbat si son intention n’était pas que le sabbat fût violé ? Il le voulait en effet, mais non pas absolument, c’est-à-dire sans raison, et il choisissait une occasion légitime de mettre fin à la loi, sans paraître la violer. Aussi pour adoucir les esprits des Juifs prévenus contre lui, il met en avant la nécessité : « Ses disciples ayant faim. » Ce n’est pas, sans doute, qu’il puisse y avoir jamais d’excuse, pour ce qui est évidemment péché ; ainsi ni l’homicide ne peut s’excuser par l’excès de la colère, ni l’adultère par la violence de ses désirs ou par toute autre cause ; ici néanmoins, en alléguant la nécessité de la faim, il délivre ses disciples de toute culpabilité.

 

S. Jér. Nous lisons dans un autre Évangéliste, que les disciples, importunés par la foule, n’avaient même pas le temps de manger : ils avaient donc naturellement faim. Ils apaisent cette faim en broyant entre leurs mains des épis de blé, preuve de l’austérité de leur vie ; ils n’ont pas besoin d’aliments recherchés, la plus simple nourriture leur suffit. — S. Chrys. (Hom. 40.) Admirez ces disciples, qui dans une aussi dure nécessité, n’ont aucun souci de leur corps, oublient la nourriture qu’il réclame, et qui, bien que pressés par la faim, ne se séparent pas de Jésus-Christ ; car ils n’auraient pas eu recours à ce moyen s’ils n’y avaient été poussés par une faim violente. Que trouvèrent donc à reprendre les pharisiens dans cette action ? L’Évangéliste nous l’apprend : « Ce que les pharisiens voyant, ils lui dirent Voilà que vos disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire le jour du sabbat. » — S. Aug. (du trav. des moines, chap. 23.) L’accusation des Juifs contre les disciples du Seigneur porte plutôt sur la violation du sabbat que sur le vol qu’ils auraient commis ; car la loi défendait aux enfants d’Israël, de ne saisir comme voleur dans leurs champs, que celui qui voulait emporter quelque chose avec lui, et ils devaient laisser aller en liberté, et sans lui infliger aucune peine, celui qui n’y avait pris que ce qu’il voulait manger (cf. Dt 23).

 

S. Jér. Remarquez que les premiers Apôtres du Sauveur, en détruisant l’observation littérale du sabbat, condamnent les Ébionites, qui reçoivent tous les Apôtres à l’exception de saint Paul, qu’ils rejettent comme transgresseur de la loi. Or, quelle excuse le Sauveur donne-t-il de leur conduite : « N’avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu’il avait faim ? » Pour détruire l’accusation calomnieuse des pharisiens, il leur rappelle ce fait de l’histoire ancienne, alors que David, fuyant la colère de Saül, vint à Nobé, où il fut reçu par le grand-prêtre Achimélech, et lui demanda de lui donner à manger. (1 R 21.) Achimélech, n’ayant pas de pain ordinaire, lui donna les pains sanctifiés, qu’il n’était permis de manger qu’aux prêtres seuls et aux lévites (Lv 24) ; il jugea qu’il valait mieux arracher des hommes au danger de la faim que d’offrir un sacrifice à Dieu, car sauver les hommes, c’est une hostie qui lui est on ne peut plus agréable. C’est cette raison que le Seigneur leur oppose par ce raisonnement : si vous regardez David comme un saint, si vous n’osez incriminer la conduite du grand-prêtre Achimélech, alors que tous deux ont transgressé la loi pour une raison plausible, tirée de la faim qu’il éprouvait, pourquoi ne pas accepter en faveur de mes disciples le motif d’excuse que vous approuvez dans les autres ? Il y avait d’ailleurs une grande différence entre ces deux faits : les uns ne faisaient que broyer quelques épis entre leurs mains le jour du sabbat, tandis que les autres avaient mangé des pains destinés aux seuls lévites dans un jour où les fêtes des Néoménies (cf. Nomb., 28, 11.15 ; 10, 10) venaient s’ajouter à la solennité du sabbat. C’était, en effet, à l’occasion de ces fêtes que David, qui devait s’asseoir à la table du roi, s’était enfui de la cour.

 

S. Chrys. (hom. 40.) Notre-Seigneur cite l’exemple de David pour excuser ses disciples, car l’autorité du Roi-Prophète était grande parmi les Juifs. Et ils ne pouvaient lui objecter que David était prophète, car ce titre ne lui donnait aucun droit de manger des pains réservés aux prêtres seuls. Or, plus l’exemple qu’il choisit est grand, plus le motif d’excuse qu’il invoque en faveur de ses disciples est péremptoire. D’ailleurs si David était prophète, les gens de sa suite ne l’étaient pas. — S. Jér. Remarquez cependant que ni David ni les gens de sa suite ne mangèrent des pains de proposition qu’après avoir affirmé qu’ils étaient purs de tout contact avec les femmes. — S. Chrys. (hom. 41.) Mais on me dira : Que fait cet exemple à la question qui nous occupe ? car David n’a pas transgressé le sabbat. Notre-Seigneur nous montre ici son admirable sagesse, en choisissant l’exemple d’une transgression plus grande que la violation du sabbat, car on est beaucoup moins coupable de transgresser le sabbat, ce qui est bien souvent arrivé, que de toucher à cette table sainte, ce qui n’était permis à personne. Il donne ensuite une solution différente et plus directe en ajoutant : « Est-ce que vous n’avez pas lu dans la loi que les prêtres violent le sabbat dans le temple, et ne sont pas néanmoins coupables ? » — S. Jér. Comme s’il disait : Vous accusez mes disciples de ce qu’étant pressés par la faim ils ont broyé quelques épis le jour du sabbat, lorsque vous-mêmes vous violez le sabbat dans le temple en immolant des victimes, en égorgeant des taureaux, en brûlant des holocaustes sur des bûchers enflammés ; et d’après le texte d’un autre Évangéliste (Jn 7), vous donnez la circoncision à vos enfants le jour du sabbat, violant ainsi la loi du sabbat pour en observer une autre. Les lois de Dieu ne se détruisent pas réciproquement, et c’est avec une sagesse vraiment admirable que pour justifier ses Apôtres de les avoir transgressées, il montre qu’ils n’ont fait que suivre les exemples d’Achimélech et de David. Il fait voir en même temps que les auteurs de cette calomnie sont eux-mêmes coupables d’une transgression du sabbat bien plus réelle, sans avoir pour eux l’excuse de la nécessité.

 

S. Chrys. (hom. 40.) Et ne me dites pas que ce n’est pas se justifier que de s’appuyer sur l’exemple d’un autre qui est également coupable ; car lorsque l’auteur d’un fait n’est pas accusé, ce fait peut être invoqué comme moyen de justification. Mais Notre-Seigneur ne se contente pas de cette raison, et il en apporte une bien plus forte en ajoutant que ceux qu’il a choisis pour exemples ne sont point coupables. Et voyez que de circonstances réunies : le lieu, c’est dans le temple ; le temps, c’est le jour du sabbat ; le fait lui-même, ce n’est pas une simple infraction, c’est une violation de la loi, et cependant non-seulement ils ne sont soumis à aucune peine, mais ils sont exempts de toute faute ; ce qu’il exprime en ces termes : « Et ils ne sont pas coupables. » Or, ce second exemple n’est cependant point semblable au premier. Le premier n’a eu lieu qu’une fois, il a été donné par David qui n’était pas prêtre, et qui avait pour lui l’excuse de la nécessité ; le second, au contraire, se reproduit tous les jours du sabbat dans la personne des prêtres, et il est selon la loi, et ainsi ce n’est plus seulement par indulgence, mais en suivant la rigueur de la loi, que la conduite de ses disciples est justifiée. Mais est-ce que les disciples sont prêtres ? Ils sont plus que prêtres, car ils avaient avec eux le Seigneur du temple, qui n’est plus une figure, mais bien la vérité ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Je vous dis qu’il y a ici quelqu’un plus grand que le temple. » — S. Jér. Le mot hic doit être pris ici non pas comme pronom, mais comme adverbe de lieu, c’est-à-dire que le lieu où se trouvait le maître du temple était plus grand que le temple lui-même.

S. Aug. (Quesi. évang., liv. 2, chap. 40.) Il faut remarquer que Notre-Seigneur emprunte le premier exemple à la puissance royale dans la personne de David, et le second au ministère sacerdotal dans la personne des prêtres qui violent le sabbat pour le service du temple. L’accusation tirée des épis froissés le jour du sabbat ne pouvait donc en aucune manière peser sur lui, qui était vrai roi et le prêtre véritable. — S. Chrys. (hom. 40.) Ce qu’il venait de dire pouvait paraître dur à ceux qui l’entendaient ; il les ramène de nouveau à la pensée de la miséricorde, et en parle avec une certaine force de langage en leur disant : « Si vous saviez bien ce que signifie cette parole : Je veux la miséricorde et non le sacrifice, vous n’auriez jamais condamné des innocents. » — S. Jér. Nous avons déjà expliqué plus haut (Mt 9, 13) ce que signifient ces paroles : « J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice. » Quant à celles qui suivent : « Jamais vous n’auriez condamné des innocents, » elles doivent s’entendre des Apôtres dans ce sens : « si vous approuvez la commisération d’Achimélech qui donne du pain à David pressé par la faim, pourquoi condamnez-vous mes disciples ? » — S. Chrys. (hom. 40.) Voyez comment il revient de nouveau sur la nécessité de la miséricorde, et comment il prouve que les disciples sont au-dessus du pardon, en déclarant qu’ils sont innocents, comme il l’avait dit plus haut des prêtres. Il donne ensuite une nouvelle raison de leur innocence, en ajoutant : « Le Fils de l’homme est maître même du sabbat. » Remi. Or, le Fils de l’homme, c’est lui-même, et voici le sens de ces paroles : Celui que vous regardez comme un simple mortel est Dieu, le Seigneur de toutes les créatures, et le maître du sabbat ; il peut donc changer la loi à son gré, puisque c’est lui qui l’a faite. — S. Aug. (cont. Faust, 16, 28.) Il ne défend pas à ses disciples de broyer des épis le jour du sabbat, pour condamner les Juifs d’alors et les Manichéens qui devaient venir plus tard, et qui n’osent arracher l’herbe, de peur de commettre un homicide.

 

S. Hil. (can. 12 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, remarquons tout d’abord que ce discours commence par ces paroles : « Dans ce temps-là, » c’est-à-dire dans le temps où il rendit grâces à Dieu son Père du salut auquel il appelait les Gentils. Ce champ que traversent les disciples, c’est le monde ; le sabbat, c’est le repos ; la moisson, le progrès de ceux qui doivent embrasser la foi et s’avancer vers la maturité. Donc cette entrée dans le champ le jour du sabbat, c’est l’avènement du Seigneur dans le monde, lorsque la loi était comme frappée d’inactivité ; cette faim, c’est le désir qu’il avait du salut des hommes. — Rab. Ils cueillent des épis, lorsqu’ils attachent les hommes aux désirs de la terre ; ils broient ces épis lorsqu’ils dépouillent les âmes de la concupiscence de la chair ; ils mangent les grains, lorsqu’ils incorporent à l’Église les âmes qu’ils viennent de purifier. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 2.) Personne ne peut faire partie du corps de Jésus-Christ, s’il ne s’est dépouillé de ses vêtements charnels, selon cette recommandation de l’Apôtre : « Dépouillez-vous du vieil homme. » (Col 3.) — La Glose. Les Apôtres font cette action le jour du sabbat, c’est-à-dire dans l’espérance du repos éternel auquel ils invitent tous les hommes. — Rab. On peut dire aussi que ceux qui trouvent leurs délices dans la méditation des Écritures, marchent le long des blés avec le Seigneur ; ils ont faim, parce qu’ils ont le désir d’y trouver le pain de vie, c’est-à-dire l’amour de Dieu ; ils arrachent les épis et ils les broient lorsqu’ils discutent les témoignages de l’Écriture pour y trouver ce qui est caché sous la lettre, et ils font cela le jour du sabbat, alors qu’ils sont plus libres des pensées tumultueuses du monde.

S. Hil. Les pharisiens, qui croyaient avoir entre leurs mains la clef des cieux, reprochent aux disciples d’avoir fait ce que la loi leur défendait. Le Seigneur leur répond en leur donnant un avertissement qui contient une espèce de prophétie ; et pour montrer que ce genre d’actions renfermait une souveraine efficacité, il ajoute : « Si vous saviez ce que signifient ces paroles : Je préfère la miséricorde au sacrifice. » En effet, l’oeuvre de notre salut ne dépend pas du sacrifice, mais de la miséricorde ; et, la loi cessant d’exister, nous sommes sauvés par la bonté de Dieu. Or, s’ils avaient compris la grandeur de ce don, jamais ils n’auraient condamné des innocents, c’est-à-dire les Apôtres, qu’ils accusaient par jalousie d’avoir transgressé la loi. Car les anciens sacrifices étant abrogés, la loi nouvelle, loi de miséricorde, venait au secours de tous les hommes par le moyen des Apôtres.

 

vv. 9-13.

S. Jér. Comme Notre-Seigneur avait victorieusement justifié ses disciples du reproche qu’on leur faisait d’avoir violé le jour du sabbat, les pharisiens s’attachent à le calomnier lui-même. « Étant parti de là, dit l’écrivain sacré, il vint dans leur synagogue. » — S. Hil. (can. 12.) Ce qui précède s’était passé au milieu des champs, et ce n’est qu’après qu’il entre dans la synagogue. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 35.) On pourrait croire que le fait des épis et la guérison que saint Matthieu raconte à la suite ont eu lieu le même jour, puisque dans ce dernier cas il fait encore mention du jour du sabbat, si d’ailleurs saint Luc ne nous apprenait qu’il opéra cette guérison un autre jour de sabbat. Cette manière de s’exprimer de saint Matthieu : « Et partant de là, il vint dans leur synagogue, » signifie donc seulement qu’il ne vint dans la synagogue qu’après avoir quitté le champ, sans indiquer si c’est immédiatement ou plusieurs jours après ; et cela suffit pour donner raison au récit de saint Luc, qui rattache cette guérison à un autre jour de sabbat.

 

S. Hil. (can. 12.) A peine est-il entré dans la synagogue, qu’ils lui présentent un homme dont la main est desséchée, et lui demandent s’il est permis de guérir le jour du sabbat, pour trouver dans sa réponse une occasion de le condamner. « Et il se trouva là un homme qui avait une main desséchée, et ils l’interrogeaient, » etc.

 

S. Chrys. (hom. 41.) Ils interrogent non pour s’instruire, mais pour trouver occasion de l’accuser, comme l’Évangéliste le dit clairement : « Afin de pouvoir l’accuser. » Le fait seul suffisait à leurs mauvais desseins, mais ils veulent le prendre dans ses paroles pour se ménager contre lui un plus grand nombre de sujets d’accusation. — S. Jér. Ils lui demandent s’il est permis de guérir le jour du sabbat, afin de l’accuser de cruauté, d’impuissance s’il s’en abstient, et de transgression de la loi s’il guérit cet homme.

 

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 35.) On peut être surpris de ce que saint Matthieu dit que ce sont les pharisiens eux-mêmes qui demandent au Seigneur s’il est permis de guérir le jour du sabbat, tandis que saint Marc et saint Luc racontent que c’est le Seigneur lui-même qui leur fait cette question : « Est-il permis de faire du bien le jour du sabbat ou de faire du mal ? » Il faut donc comprendre qu’ils l’interrogèrent les premiers, en lui demandant : « Est-il permis de guérir le jour du sabbat ? » Le Seigneur, voyant dans leur pensée qu’ils cherchaient une occasion de l’accuser, place au milieu d’eux celui qu’il devait guérir, et leur adresse la question rapportée par saint Marc et saint Luc (Mc 3, 4 ; Lc 6, 9) ; et comme ils gardent le silence, il leur propose la comparaison de la brebis, et il conclut en leur disant : « Il est donc permis de faire du bien les jours du sabbat. » Il leur répond donc en ces termes : « Quel est celui qui, parmi vous, ayant une brebis, » etc. — S. Jér. La réponse qu’il fait à cette question est une condamnation de leur avarice. Comment, leur dit-il, vous vous hâtez, le jour du sabbat, de retirer une brebis ou un autre animal de la fosse où ils sont tombés, et cela non point par compassion pour cet animal, mais par un sentiment de vil intérêt, et moi je ne devrais pas délivrer un homme qui vaut mille fois plus qu’une brebis ! — Rab. Cet exemple est parfaitement choisi pour répondre à leur question et pour leur prouver qu’ils violent continuellement le sabbat par esprit de cupidité, eux qui lui reprochent de le violer pour une oeuvre de charité, et qui, par une fausse interprétation de la loi, prétendent que les bonnes oeuvres sont interdites le jour du sabbat, tandis qu’on ne doit s’abstenir que des mauvaises ; c’est pour cela qu’il est dit : « Vous ne ferez pas ces jours-là d’oeuvres serviles, » c’est-à-dire de péchés. C’est ainsi que dans le repos éternel il y aura cessation du mal et non pas du bien. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 35.) La conclusion de cette comparaison, c’est qu’il est permis de faire de bonnes oeuvres le jour du sabbat. « Donc, leur dit-il, il est permis de faire du bien les jours du sabbat. »

 

S. Chrys. (hom. 41.) Remarquez que d’excuses différentes il apporte pour justifier la violation du sabbat ; mais comme la maladie de cet homme était incurable, il en vient à sa guérison. Alors il dit à cet homme : « Étendez votre main. » — S. Jér. Dans l’Évangile dont se servent les Nazaréens et les Ébionites, et que plusieurs regardent comme l’Évangile authentique de saint Matthieu, il est dit que cet homme, dont la main était desséchée, était maçon, et qu’il pria Jésus en ces termes : « J’étais maçon, demandant ma nourriture au travail de mes mains ; je vous en prie, ô Jésus, rendez-moi la santé, afin que je ne sois pas réduit à mendier honteusement mon pain. » Rab. Jésus choisit le jour du sabbat de préférence pour enseigner et pour guérir, non-seulement en vue du sabbat spirituel, mais aussi à cause du grand concours de peuple qui était plus favorable au salut de tous, unique objet de ses désirs.

 

S. Hil. Dans le sens mystique, après le retour des champs où les Apôtres avaient cueilli les fruits de la moisson, Jésus vient dans la synagogue pour y préparer l’oeuvre d’une nouvelle moisson ; car plusieurs de ceux qui furent guéris se joignirent plus tard aux Apôtres. — S. Jér. Jusqu’à l’avènement du Dieu Sauveur, la main dans la synagogue des Juifs demeura desséchée et incapable des oeuvres de Dieu ; mais lorsqu’il fut venu sur la terre, les Apôtres rendirent l’usage de cette main droite à ceux qui embrassèrent la foi, et elle recouvra la même force d’action qu’auparavant. — S. Hil. Toute guérison se fait par la parole, et la main redevient semblable à l’autre, c’est-à-dire qu’elle devient propre au ministère du salut comme celle des Apôtres. Aussi le Sauveur apprend-il aux pharisiens à ne pas voir avec peine l’oeuvre du salut des hommes confiée aux Apôtres, puisqu’eux-mêmes, s’ils veulent croire, deviendront dignes du même ministère. — Rab. Ou bien cet homme, dont la main est desséchée, c’est le genre humain qui est devenu complètement stérile en bonnes oeuvres pour avoir étendu vers le fruit défendu cette main qu’a guérie une autre main innocente étendue sur la croix. C’est dans la synagogue que se trouve cette main desséchée, parce que la science, lorsqu’elle est départie avec abondance, expose à des fautes plus graves et sans excuse. Jésus commande d’étendre cette main desséchée qu’il veut guérir ; car l’infirmité d’une âme ne peut être guérie par un remède plus efficace que par d’abondantes aumônes. Cet homme avait la main droite desséchée, parce qu’elle était comme engourdie pour les oeuvres de charité ; sa main gauche était saine, parce qu’elle servait ses intérêts. A l’arrivée du Seigneur, la main droite devient saine comme la gauche, parce qu’elle distribue par un sentiment de charité ce qu’elle avait amassé par esprit d’avarice.

 

vv. 14-21.

S. Hil. (can. 12.) L’envie soulève contre Jésus l’esprit des pharisiens, parce qu’ils ne voyaient en lui que l’homme, et qu’ils ne voulaient pas y découvrir Dieu dans les oeuvres qu’il opérait. L’Évangéliste ajoute donc : « Mais les pharisiens, étant sortis, » etc. — Rab. Ils sortent, parce que leur âme s’est détournée de Dieu ; ils tinrent conseil pour prendre les moyens de perdre la vie et non de la trouver pour eux-mêmes. — S. Hil. (can. 42.) Jésus, connaissant leurs desseins, se retire pour s’éloigner de ce conseil d’iniquité. « Or, Jésus, le sachant, » etc. — S. Jér. Il se retire, parce qu’il connaît les piéges qu’ils veulent lui tendre, et qu’il veut leur ôter l’occasion d’exercer contre lui leurs projets impies. — Remi. Ou bien il se retire comme homme pour se dérober à leurs embûches, ou bien encore parce que ce n’était ni le temps ni le lieu où il devait souffrir ; car il ne convenait pas qu’un prophète fût mis à mort hors de Jérusalem, comme il le dit lui-même. (Lc 13.) Il s’éloigne encore de ceux qui le haïssent et le persécutent, pour aller où il trouvera un grand nombre de cœurs qui l’aiment et qui lui sont dévoués. C’est ce que l’Évangéliste nous indique en disant : « Et beaucoup de personnes le suivirent. » Ainsi, tandis que les pharisiens réunissent tous leurs efforts pour le perdre, une multitude sans instruction le suit, en professant pour lui un attachement unanime. Aussi ne tarde-t-il pas à récompenser leurs désirs ; il est dit, en effet : « Et il les guérit tous. » — S. Hil. Il commande à ceux qu’il guérit de garder le silence sur leur guérison. « Et il leur commanda de ne point le faire connaître. » La santé qu’il avait rendue à chacun d’eux était un témoignage en sa faveur ; mais en commandant le silence, ou en faisant une obligation du secret, il évite toute occasion de vaine gloire ; et cependant il se fait connaître par cela seul qu’il commande le secret, puisqu’on ne garde le silence qu’à l’égard d’une chose dont on ne doit point parler. — Hil. Il nous apprend aussi, lorsque nous avons fait quelque action importante, à ne point rechercher les louanges des hommes.

Remi. Un autre motif pour lequel il leur commande de ne point le découvrir, c’est afin de ne point rendre ses persécuteurs plus coupables. — S. Chrys. (hom. 41.) De peur que ces actes de folie, incroyables dans les pharisiens, ne vous jettent dans le trouble, Jésus apporte le témoignage du Prophète. Car l’exactitude des prophètes est si grande en ce qui concerne le Christ, qu’ils ont rapporté les moindres détails de sa vie, ses voyages, ses marches, et jusqu’aux intentions qui le faisaient agir, pour vous montrer que toutes ces choses leur étaient dictées par l’Esprit saint. Il est impossible, en effet, de connaître les pensées d’un homme, à plus forte raison les intentions du Christ, à moins que l’Esprit saint ne les révèle. L’Évangéliste ajoute donc : « Afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie : « Voici mon serviteur, » etc. — Remi. Notre-Seigneur est appelé le serviteur du Dieu tout-puissant, non pas comme Dieu, mais suivant l’économie de son incarnation ; car par la coopération du Saint-Esprit il a pris dans le sein de la Vierge une chair exempte de la tache du péché. Quelques exemplaires portent : « L’élu que j’ai choisi ; » car il a été choisi, c’est-à-dire prédestiné par Dieu le Père, pour être non pas son fils adoptif, mais son propre fils. — Rab. Il dit : « Je l’ai choisi » pour une oeuvre que nul autre n’a faite, pour racheter le genre humain, et rétablir la paix entre le monde et Dieu.

 

Suite. « Mon bien-aimé, en qui j’ai mis mon affection, » car lui seul est cet Agneau sans tache dont le Père a dit : « Voici mon Fils bien-aimé en qui mon âme a mis ses complaisances. » — Remi. Ces paroles : « Mon âme, » ne doivent pas être entendues en ce sens que Dieu le Père ait une âme comme la nôtre ; c’est par métaphore que le prophète lui attribue une âme pour exprimer son affection. Et en cela rien d’étonnant, puisque nous lui attribuons de la même manière les différents membres de notre corps. — S. Chrys. (hom. 41.) Le Prophète a commencé par l’énumération de ces deux caractères, pour vous indiquer que tout ce qui suit s’est fait selon le bon plaisir du Père ; car celui qui est aimé agit conformément à la volonté de celui qui l’aime. De même celui qui est élu ne détruit pas la loi par opposition à celui qui l’a choisi, il ne se présente pas comme l’ennemi du législateur, mais comme en parfaite harmonie avec lui. Or, c’est parce qu’il est mon bien-aimé que « je ferai reposer mon esprit sur lui. » — Remi. Dieu le Père fit reposer son esprit sur lui, lorsque par l’opération du Saint-Esprit il prit un corps dans le sein de la Vierge Marie, et lorsqu’étant fait homme, il fut inondé de la plénitude de l’Esprit saint.

 

S. Jér. L’Esprit saint repose non pas sur le Verbe de Dieu, sur ce Fils unique qui sort du sein du Père (Jn 1, 18 ; 8, 4), mais sur celui dont il a été dit : « Voici mon serviteur. » Que doit-il opérer par son ministère ? Écoutez la suite : « Il annoncera la justice aux nations. » — S. Aug. (Cité de Dieu, 21, 30.) C’est qu’en effet, il est venu annoncer le jugement à venir à ceux qui l’ignoraient. — S. Chrys. (hom. 41.) Il fait ensuite connaître son humilité, en ajoutant : « Il ne disputera point, » car il s’est offert selon le bon plaisir de son Père, et il s’est livré de lui-même entre les mains de ses persécuteurs. « Il ne criera point, » car il s’est tu comme un agneau devant celui qui le tond. « Personne n’entendra sa voix sur les places publiques. » — S. Jér. La voie qui conduit à la perdition est large et spacieuse, et il en est beaucoup qui la prennent ; or il en est beaucoup qui n’entendent pas la voix du Sauveur, parce qu’ils sont non dans la voie étroite, mais dans la voie large (Mt 7, 13). — Remi. Le mot grec πλατεια, correspondant au mot latin platea, place publique, veut dire étendue ; personne donc n’a entendu sa voix dans les lieux spacieux, parce qu’il a promis à ceux qui l’aiment, non pas les jouissances de la vie, mais de rigoureuses privations.

S. Chrys. (hom. 41.) Le Sauveur voulait, par cette douceur, guérir l’esprit des Juifs ; mais bien qu’ils aient rejeté les avances de sa bonté, il ne voulut pas leur résister en les détruisant. Aussi le Prophète nous fait-il connaître à la fois sa puissance et leur faiblesse dans les paroles suivantes : « Il ne brisera pas le roseau cassé, et il n’éteindra pas la mèche qui fume encore. » — S. Hil. Celui qui ne tend pas la main au pécheur, et qui ne porte point le fardeau dont son frère est chargé, achève de briser le roseau cassé ; et celui qui méprise la plus petite étincelle de foi dans le dernier des croyants, éteint la mèche qui fume encore. S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 30.) Il ne voulut donc ni briser ni éteindre les Juifs ses persécuteurs, comparés ici au roseau brisé, parce qu’ils n’avaient plus leur intégrité, et à la mèche qui fume, parce qu’ils avaient perdu la lumière ; cependant il leur pardonne, car il n’était pas encore venu pour les juger, mais pour être jugé par eux. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 3.) A l’occasion de cette mèche qui fume, remarquez qu’en perdant sa lumière, elle exhale une mauvaise odeur.

S. Chrys. (hom. 41.) Ou bien par ces paroles : « Il n’achèvera pas de briser le roseau cassé », il leur fait voir qu’il lui était facile de les briser tous, comme on brise un roseau, et non pas un roseau quelconque, mais un roseau déjà cassé. Ce qui suit : « Il n’éteindra pas la mèche qui fume encore, » nous montre leur fureur allumée contre lui, et la toute-puissance de Jésus-Christ pour éteindre cette fureur avec la plus grande facilité, et c’est en cela qu’il fait paraître l’excès de sa douceur. — S. Hil. (can. 12.) Ou bien par ce roseau qu’il n’achève pas de briser, il nous apprend que les nations fragiles et déjà brisées, n’ont pas été broyées entièrement, mais qu’elles ont été réservées pour le salut ; et en ajoutant : « Il n’éteindra pas la mèche qui fume encore, » il nous montre que la dernière étincelle de feu n’est pas éteinte dans cette mèche qui fume encore, c’est-à-dire que l’esprit de la grâce ancienne n’a pas entièrement disparu du milieu des restes d’Israël, parce qu’elles ont conservé, avec la faculté de faire pénitence, le pouvoir de recouvrer la lumière dans tout son éclat. — Rab. Ou bien, au contraire, ce roseau brisé, ce sont les Juifs agités par le vent, et dispersés bien loin les uns des autres. Cependant le Seigneur ne les condamne pas immédiatement, mais il les supporte avec patience. Cette mèche qui fume encore serait alors le peuple, formé des nations, qui, après avoir éteint dans son cœur la chaleur de la loi naturelle, était enveloppé de toutes parts d’erreurs. ténébreuses, semblables à une épaisse fumée qui blesse les yeux. Or, non seulement le Seigneur n’éteignit pas cette mèche fumante, et ne la réduisit pas en cendres, mais au contraire il fit jaillir de cette étincelle la flamme la plus vive et le feu le plus ardent.

S. Chrys. (hom. 41.) On pourra peut-être objecter : Quoi donc, en sera-t-il toujours ainsi ? supportera-t-il jusqu’à la fin ceux qui se laissent emporter à cet excès de malignité et de folie ? Non ; mais lorsque sa mission sera terminée, il passera à un autre ordre de choses, et c’est ce qu’il nous déclare par ces mots : « Jusqu’à ce qu’il fasse triompher la justice de sa cause. » Comme s’il disait : Lorsqu’il aura accompli l’objet de sa mission, ce sera le tour de la vengeance absolue ; car alors ses ennemis seront sévèrement châtiés, lorsqu’il aura rendu son triomphe si éclatant qu’il n’y aura plus de place pour leurs insolentes contradictions. — S. Hil. (can. 12.) Ou bien jusqu’à ce qu’il fasse triompher le jugement en dépouillant la mort de toute sa puissance et en faisant revenir avec lui la justice dans son retour triomphant. — Rab. Ou bien encore jusqu’à ce que le jugement dont il était l’objet aboutisse à une victoire éclatante, car après avoir triomphé de la mort par sa résurrection, après avoir chassé le prince de ce monde, il est rentré triomphant dans le royaume des cieux et s’est assis à la droite de son Père, jusqu’à ce qu’il ait réduit tous ses ennemis sous ses pieds (1 Co 1, 15.) — S. Chrys. (hom. 41.) Mais sa puissance ne se bornera pas à punir ceux qui auront refusé de croire en lui, il entraînera encore après lui tout l’univers : « Et les nations espéreront en son nom. » — S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 30.) Nous voyons déjà l’accomplissement de cette dernière partie de la prophétie, et cet accomplissement qui est incontestable nous garantit l’accomplissement du jugement dernier, que quelques-uns ont la témérité de nier, jugement qui aura lieu sur la terre parce que le Christ descendra lui-même du haut des cieux. En effet, qui aurait jamais cru que les nations espéreraient dans le nom du Christ, alors qu’il était au pouvoir de ses ennemis, chargé de chaînes, frappé de verges, bafoué et attaché sur une croix, et quand ses disciples eux-mêmes avaient perdu le peu d’espérance qu’ils avaient placée en lui. Ce qu’alors un voleur seul avait à peine espéré sur la croix, est devenu l’objet de l’espérance de toutes les nations répandues sur la face de la terre, et tous les hommes recourent au signe de cette croix sur laquelle il est mort pour se garantir eux-même de la mort éternelle. Que personne donc ne doute que Jésus-Christ n’accomplisse un jour ce dernier jugement tel qu’il a été prédit.

Remi. Remarquons que ce témoignage du prophète ne vient pas confirmer seulement la vérité de ce passage, mais la vérité d’une multitude d’autres. Ainsi ces paroles : « Voici mon serviteur, » se rapportent à cet endroit où le Père dit : « Celui-ci est mon Fils, » (Mt 3) ; et ces autres : « Je placerai mon esprit en lui, » au miracle de l’Esprit saint descendant sur le Seigneur au moment de son baptême. (Lc 3.) Ce qu’il ajoute : « Il annoncera la justice aux nations, » se rapporte à ce que saint Matthieu dit ailleurs : « Lorsque le Fils de l’homme s’assiéra sur le trône de sa gloire. » (Mt 25) Ces autres paroles : « Il ne disputera ni ne criera » se sont vérifiées lorsque le Seigneur ne répondit presque rien au prince des prêtres et à Pilate (Mt 26, 27), et qu’il garda un silence absolu devant Hérode (Lc 23). Ce qui suit : « Il n’achèvera pas de briser le roseau cassé » se rapporte à ce trait de la vie du Sauveur où il se dérobe à la fureur de ses ennemis pour leur éviter un plus grand crime (Jn 7 et 8) ; enfin ces paroles : « Les nations espéreront en son nom » peuvent se rapporter à ce passage de saint Matthieu : « Allez, enseignez toutes les nations. » (Mt 28.)

 

vv. 23-24.

La Glose. — Le Seigneur venait de réfuter les calomnies des pharisiens qui lui reprochaient de faire des miracles le jour du sabbat ; mais comme, par une méchanceté plus noire encore, ils dénaturaient les miracles eux-mêmes qu’il opérait par une vertu toute divine en les attribuant à l’esprit impur, 1’Évangéliste raconte le prodige qui fut pour eux l’occasion de ce blasphème : « Alors on lui présenta un possédé. »

 

Remi. Ce mot alors se rapporte au moment où il sortait de la synagogue après avoir guéri cet homme dont la main était desséchée. Ou bien cette expression alors signifie un espace de temps plus étendu et voudrait dire alors qu’il prononçait tous les discours, ou qu’il faisait les oeuvres qui sont ici racontés. — S. Chrys. (hom. 41.) Quelle malice surprenante dans le démon ! il avait fermé les deux passages par lesquels la foi aurait pu entrer dans cet homme, c’est-à-dire la vue et l’ouïe ; mais le Seigneur va ouvrir l’un et l’autre : « Et il le guérit, » ajoute l'Evangéliste. — S. Jér. Nous voyons ici trois prodiges opérés dans un seul homme : l’aveugle voit, le muet parle, le possédé est délivré du démon, et ce miracle extérieur et sensible se renouvelle tous les jours dans la conversion de ceux qui embrassent la foi ; après que le démon est chassé de leur âme ils voient la lumière de la foi, et leur bouche, jusqu'alors muette, s’ouvre pour proclamer les louanges de Dieu. — S. Hil. (can. 12 sur S. Matth.) Ce n'est pas sans un des­sein particulier de Dieu qu’après avoir parlé d'une multitude de per­sonnes guéries en commun, l’Évangéliste nous raconte la guérison particulière d'un homme qui était tout à la fois possédé, aveugle et muet. Il convenait en effet qu'après la guérison dans la synagogue de l’homme dont la main était desséchée, celui dont il est ici question devînt la figure de la guérison spirituelle des nations, et qu'après avoir été possédé du démon, aveugle et muet, il devint l'habitation de Dieu, vît et reconnut le vrai Dieu dans la personne du Christ et rendît gloire à Dieu pour les œuvres qu’il opérait. — S. Aug. (Quest. Evang., 2, 4.) Celui qui ne croit point et qui est l’esclave du démon est tout à la fois possédé, aveugle et muet; il ne comprend pas, il ne confesse pas la foi ou il ne rend pas gloire à Dieu. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 2, 37.) Ce n’est pas dans le même ordre que saint Luc raconte ce fait (Lc 11) ; il parle d’un muet seulement, sans ajou­ter qu'il fût aveugle; mais de ce qu'il omet une circonstance de ce genre, on ne peut conclure qu’il veut raconter une guérison diffé­rente, car la suite de son récit revient à celui de saint Matthieu.

S. Hil. (can. 12.) A la vue de ce miracle, la foule est dans l'étonnement, mais l’envie des pharisiens ne fait que s’accroître : « Et tout le peuple étonné disait : N’est-ce point là le fils de David ? » — La Glose. Ils l'appellent le Fils de David à cause de sa bonté et de ses bienfaits. — Rab. Tandis que le peuple moins instruit ne cessait d'ad­mirer les prodiges du Sauveur, ceux-ci s’appliquaient toujours à les nier, ou, lorsqu'ils ne le pouvaient, à les révoquer du moins en doute, à les dénaturer par des interprétations malveillantes, comme s'ils étaient l'œuvre non pas de la divinité, mais de l’esprit immonde, de Beelzébub qui passait pour le dieu d’Accaron. C’est ce qu’ils firent dans cette circonstance. « Les pharisiens entendant cela dirent : Cet homme ne chasse les démons que par Beelzébub, prince des démons. »

Remi. Beelzébub n’est autre chose que Beel ou Baal, ou Beelphégor. Beel fut le père de Ninus, roi des Assyriens; il fut appelé Baal parce qu’on l’adorait sur les hauteurs, et Beelphégor à cause de la montagne de Phéga, où son idole était placée. Zébul fut un serviteur d’Abimélech, fils de Gédéon. C’est cet Abimélech qui, après le meurtre de ses soixante-dix frères, éleva un temple à Baal et y établit prêtre Zébub pour chasser les mouches qui s’y rassemblaient en grand nombre à cause de la grande quantité de sang des victimes immo­lées (cf. Jg 9, 28); car Zébub signifie mouche et Beelzébub veut dire l’homme des mouches. Ils l’appelaient prince des démons à cause des impuretés qui déshonoraient son culte. Ne trouvant donc rien de plus infâme à objecter contre le Sauveur, ils disaient que c’était par Beelzébub qu’il chassait les démons. Il faut remarquer que ce nom doit être écrit avec un b à la fin et non avec un t ou avec un d, comme on le voit dans quelques exemplaires fautifs.

 

vv. 25-26.

S. Jér. Les pharisiens attribuaient au prince des démons les oeuvres de Dieu ; Notre-Seigneur répond non à ce qu’ils disaient mais à ce qu’ils pensaient au-dedans d’eux-mêmes (cf. Ps 7, 9 ; Jr 17, 10), pour les forcer de croire à la puissance de Celui qui voyait le fond des cœurs. « Or Jésus connaissant leurs pensées, » etc. — S. Chrys. (hom. 42 sur S. Matth.) Ils avaient déjà accusé plus haut le Seigneur de chasser les démons par Beelzébub, sans qu’il les en eût repris ; il voulait laisser à la multitude de ses miracles de leur faire connaître sa puissance, et à sa doctrine de révéler sa grandeur ; mais comme ils persévéraient dans cette interprétation calomnieuse, il leur en fait des reproches sévères, bien que cette accusation n’eût pas le moindre fondement, car l’envie n’examine pas la nature de ses accusations, pourvu qu’elle accuse. Cependant Jésus ne leur répond point avec mépris, mais ses paroles sont pleines de douceur et de dignité pour nous apprendre à être doux envers nos ennemis, à ne point nous troubler alors même qu’ils nous accuseraient de choses que nous ne reconnaissons pas en nous et qui n’ont aucun fondement. Cette conduite fait même ressortir l’odieux de leurs calomnies, car un possédé du démon n’aurait pu faire ni paraître une aussi grande douceur, ni connaître les pensées des cœurs. C’est du reste parce que leurs accusations étaient dépourvues de toute raison, qu’ils redoutaient la multitude, et qu’ils n’osaient rendre publique cette accusation contre le Christ ; ils se contentaient de l’agiter au fond de leur cœur. C’est pour cela que l’Évangéliste dit : « Or, Jésus connaissant leurs pensées. » Le Sauveur, dans sa réponse, ne relève point cette volonté qu’ils avaient de l’accuser ; il ne divulgue pas leur méchanceté, il se contente de leur répondre, car son désir était d’être utile aux pécheurs et non pas de dévoiler leurs crimes. Il ne se justifie point non plus à l’aide de témoignages de 1’Écriture, car ils n’y auraient fait aucune attention et les auraient expliqués dans un autre sens, mais il tire sa réponse des choses qui arrivent ordinairement. Les guerres qui viennent de l’extérieur sont bien moins funestes que les guerres civiles : c’est ce qui se vérifie également pour tous les corps comme pour tous les êtres. Mais le Seigneur emprunte ses exemples aux choses qui sont plus connues : « Tout royaume divisé contre lui-même sera ruiné, » etc. Rien n’est plus puissant sur la terre qu’un royaume, cependant la division est pour lui un principe certain de ruine ; que dire après cela d’une ville, d’une maison, divisées contré elles-mêmes. Grand ou petit, tout ce qui combat contre soi-même se détruit nécessairement. — S. Hil. (can. 12.) Le sort d’une maison ou d’une cité est ici le même que celui d’un royaume ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Toute ville ou toute maison divisée contre elle-même ne pourra subsister. » S. Jér. De même que la concorde fait croître les plus petites choses, ainsi la division fait tomber les plus grandes.

 

S. Hil. (can. 12) La parole de Dieu est riche et féconde, et soit qu’on l’entende dans le sens le plus simple, soit qu’on pénètre dans ses profondeurs, elle est indispensable à tout progrès de l’âme. Laissons donc de côté l’interprétation commune assez claire d’elle-même, et arrêtons-nous au sens intime de ces paroles. Le Seigneur, ayant à repousser l’accusation de faire des miracles par Béelzébub, fait retomber cette accusation sur ses auteurs. En effet, la loi vient de Dieu et la promesse du royaume d’Israël découle de la loi : si le royaume de la loi est divisé contre lui-même, il faut nécessairement qu’il se détruise, et c’est ainsi que le royaume d’Israël a perdu la loi, alors que le peuple de la loi attaquait dans le Christ l’accomplissement de la loi. C’est la ville de Jérusalem qui est ici désignée, elle qui, après avoir dirigé contre le Christ tous les flots de la fureur populaire et mis en fuite les Apôtres avec la multitude des croyants, ne tiendra pas contre cette division, et le Sauveur prédit ici la ruine de cette ville, qui suivit de près cette division. Il ajoute ensuite : Et si Satan chasse Satan, comment son royaume subsistera-t-il ? — S. Jér. C’est-à-dire : Si Satan combat contre lui-même et si le démon se déclare l’ennemi du démon, la fin du monde devrait être proche, car il n’y aurait plus de place pour ces puissances ennemies dont les divisions assurent la paix aux hommes. — La Glose. Le Seigneur les renferme donc dans un dilemme dont ils ne peuvent sortir : ou bien le Christ chasse le démon par la puissance de Dieu, ou bien par la vertu du prince des démons. Si c’est par la puissance de Dieu, vos calomnies tombent à faux ; si c’est par le prince des démons, le royaume des démons est donc divisé contre lui-même, et il ne peut subsister. C’est pour cela que les pharisiens se retirent de son royaume, et le Sauveur insinue que c’est de leur propre choix, parce qu’ils ont refusé de croire en lui. — S. Chrys. (hom. 42.) Ou bien si ce royaume est divisé, il s’est affaibli par cette division et il est perdu ; et, s’il est perdu, comment peut-il en renverser un autre ? — S. Hil. (can. 12.) Ou bien encore si le démon est forcément l’auteur de cette division intestine, et qu’il porte le trouble parmi les démons eux-mêmes, il faut en conclure que celui qui est parvenu à les diviser a plus de puissance que ceux qu’il a divisés ; donc le royaume du démon, devenu le théâtre d’une telle division, est détruit. — S. Jér. Si vous pensez, scribes et pharisiens, que les démons se retirent pour obéir à leurs chefs, pour tromper par cette démarche simulée les hommes ignorants, que pouvez-vous dire de ces guérisons miraculeuses dont le Sauveur est l’auteur ? A moins que vous ne reconnaissiez aussi dans le démon la puissance de guérir les infirmités du corps et le pouvoir d’opérer des prodiges spirituels.

 

vv. 27-28.

S. Chrys. (hom. 42.) A cette première réponse, Notre-Seigneur en ajoute une seconde beaucoup plus évidente encore : « Et si c’est par Béelzébub que je chasse les démons, par qui vos enfants les chasseront-ils ? » Par les enfants des Juifs, il entend les exorcistes établis par la loi ou les Apôtres sortis de la nation juive. S’il veut parler des exorcistes qui chassaient les démons en invoquant le nom de Dieu, il force les pharisiens par cette question adroite de reconnaître en eux l’oeuvre de l’Esprit saint ? Si le pouvoir de chasser les démons, leur dit-il, est dans vos enfants l’oeuvre de Dieu, et non pas des démons, pourquoi cette puissance aurait-elle en moi un autre principe ? Ils seront donc eux-mêmes vos juges, non par la puissance qu’ils exerceront sur vous, mais par l’opposition de leur conduite avec la vôtre, puisque c’est à Dieu qu’ils font remonter le pouvoir de chasser les dénions, tandis que vous l’attribuez au prince des démons. Si au contraire ces paroles doivent s’entendre des Apôtres, ce qui est plus probable, ils seront leurs juges, parce qu’ils siégeront sur douze siéges pour juger les douze tribus d’israël. (Mt 19.) — S. Hil. (can. 12.) Or, c’est à juste titre que les Apôtres seront établis leurs juges, eux qui ont été revêtus du pouvoir de chasser les démons, pouvoir que les pharisiens ont refusé de reconnaître dans le Christ lui-même. — Rab. Ou bien encore, c’est parce que les Apôtres avaient la conscience que le Christ ne les avait initiés à aucune science funeste.

S. Chrys. (hom. 42.) Le Sauveur ne dit pas ici : Mes disciples, ni mes Apôtres, mais « vos enfants, » afin de leur donner toute facilité de reprendre leur dignité, ou, s’ils persévéraient dans leur ingratitude, d’ôter toute excuse à leur impudence. Or, les Apôtres chassaient les démons en vertu du pouvoir que le Sauveur lui-même leur avait donné ; cependant les pharisiens ne songeaient pas à les accuser, car ce n’était pas le fait lui-même qu’ils attaquaient, mais la personne du Christ. Il prend les Apôtres pour exemple, afin de leur prouver que c’était sous l’inspiration de l’envie qu’ils parlaient ainsi de lui. Il les conduit ensuite de nouveau à la connaissance de lui-même, en leur démontrant qu’ils sont les ennemis déclarés de leur propre bonheur, et qu’ils s’opposent à leur salut, tandis qu’ils devraient se réjouir de ce qu’il était venu pour leur communiquer des biens ineffables. Or, poursuit-il, si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc parvenu jusqu’à vous. » Il leur montre par là que chasser les démons n’est pas l’effet d’une grâce ordinaire ; mais un acte de puissance extraordinaire, et c’est pour établir cette vérité qu’il tire cette conclusion : « Donc le royaume de Dieu est parvenu jusqu’à vous. » Comme s’il disait : S’il en est ainsi, vous ne pouvez douter de la venue du Fils de Dieu sur la terre. Mais il laisse cette conséquence dans l’obscurité, pour ne pas leur être insupportable. Au contraire, comme il veut les attirer à lui, il ne se contente pas de dire : Le royaume de Dieu est arrivé, mais « il est arrivé jusqu’à vous. » Il semble leur dire : Les biens vous arrivent et se répandent sur vous ; pourquoi donc vous déclarer contre ce qui doit être votre salut ? Ces oeuvres si grandes de la puissance divine ont été prédites par tous les prophètes comme le signe de la présence du Fils de Dieu sur la terre. — S. Jér. Il se désigne lui-même comme ce royaume de Dieu, dont il est dit ailleurs : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous. » (Lc 17 ;) Et encore : « Il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas. » (Jn 1.) Ou bien encore, c’est ce royaume que Jean-Baptiste et le Seigneur lui-même ont annoncé en ces termes : « Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche. » (Mt 3.) Il est un troisième royaume de la sainte Écriture qui est enlevé aux Juifs pour être donné à une nation qui lui fera porter des fruits. (Mt 21.) — S. Hil. (can. 12.) Si donc les disciples agissent par la vertu du Christ, et que le Christ agisse lui-même par la vertu de l’Esprit saint, le royaume de Dieu arrive, puisqu’il a été communiqué aux Apôtres par le ministère du médiateur lui-même. — La Glose. On peut dire aussi que l’affaiblissement du pouvoir du démon est une augmentation du royaume de Dieu. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 5.) On peut donc donner aussi cette explication : Si je chasse les démons par Béelzébub, même dans votre pensée, le royaume de Dieu est parvenu jusqu’à vous ; car ce royaume du démon qui, de votre aveu, est divisé contre lui-même, ne peut subsister. Ce royaume de Dieu dont il parle, c’est celui où les impies subissent leur condamnation, et où ils sont séparés des fidèles qui font maintenant pénitence de leurs péchés.

 

 

v. 29.

S. Chrys. (hom. 42.) A cette seconde réponse, Notre-Seigneur en ajoute encore une troisième : « Comment quelqu’un peut-il entrer dans la maison du fort ? » etc. Que Satan ne puisse chasser Satan, c’est chose évidente d’après ce qui précède, et il est également hors de doute que personne ne peut le chasser sans l’avoir tout d’abord vaincu. Notre-Seigneur reproduit donc, mais avec une nouvelle force, la raison qu’il a donnée précédemment : Je suis si loin de demander au démon son appui, que je suis en guerre avec lui et que je le tiens captif, et la preuve, c’est que j’enlève tout ce qu’il possède. C’est ainsi qu’il établit le contraire de ce que ses ennemis cherchaient à lui reprocher. Que voulaient-ils en effet ? Persuader que ce n’était point par sa propre puissance qu’il chassait les démons. Or, il leur démontre qu’il a fait captifs, non-seulement les démons, mais leur chef lui-même. Ce qu’il a fait le prouve suffisamment. Car comment, sans l’avoir réduit le premier, aurait-il pu se rendre maître des démons qui sont sous ses ordres ? Ces paroles contiennent, à mon avis, une prophétie ; car non-seulement il chasse actuellement les démons, mais il fera disparaître l’erreur de toute la face de la terre, et détruira tous les artifices du démon. Il ne dit pas : Il enlèvera, mais : « Il arrachera, » pour montrer la puissance avec laquelle il agit. — S. Jér. La maison du démon, c’est le monde qui est soumis à l’empire du malin esprit, non par la volonté de son Créateur, mais par la grandeur de sa faute. Le fort a été chargé de chaînes, relégué dans l’enfer et brisé sous les pieds du Seigneur. Toutefois nous ne devons pas être sans crainte ; car notre adversaire est proclamé « le fort » par la bouche même de son vainqueur. — S. Chrys. (hom. 42.) Il l’appelle le fort, pour exprimer son antique tyrannie, due tout entière à notre lâcheté. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 5.) Satan tenait les hommes captifs, et ils ne pouvaient s’arracher de ses mains par leurs propres forces, si la grâce de Dieu n’était venu les délivrer. Ce qu’il appelle ses armes, ce sont les infidèles. Il a lié le fort en lui enlevant le pouvoir qu’il avait de s’opposer à la volonté des fidèles qui veulent suivre le Christ, et conquérir le royaume de Dieu. — Rab. Il a pillé sa maison, parce qu’il a délivré des pièges du démon, pour les réunir à son Église, ceux qu’il avait prévus devoir être à lui, ou bien lorsqu’il a donné le monde entier à convertir à ses Apôtres et à leurs successeurs. Par cette comparaison si claire, il leur montre donc qu’il n’est point associé aux opérations mensongères du démon, comme ils l’en accusaient faussement, mais que c’est par la puissance divine qu’il a délivré les hommes de la tyrannie des démons.

 

v. 30.

S. Chrys. (hom. 42.) A cette troisième raison en succède une quatrième : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. » — S. Hil. (can. 12.) Jésus fait connaître combien il s’en faut qu’il ait emprunté la moindre puissance au démon, et il nous laisse entrevoir combien il est dangereux de se faire une mauvaise idée de lui, puisque ne pas être avec lui c’est être contre lui. — S. Jér. Il ne faut pas croire cependant que ces paroles se rapportent aux hérétiques et aux schismatiques, quoiqu’on puisse les leur appliquer par extension ; car le contexte et la suite du récit nous forcent de les entendre du démon, en ce sens qu’on ne peut comparer les oeuvres du Seigneur aux oeuvres de Béelzébub. Le désir du démon, c’est de tenir les âmes captives ; le désir du Seigneur, c’est de les délivrer ; l’un prêche le culte des idoles, l’autre la connaissance du vrai Dieu ; le démon entraîne au mal, le Sauveur rappelle à la pratique des vertus. Or, quel accord est possible entre ceux dont les oeuvres sont si contraires ?

S. Chrys. (hom. 42.) Comment donc celui qui n’amasse pas avec moi et qui n’est pas avec moi, peut-il être d’accord avec moi pour chasser les démons ? il désire bien plutôt disperser et détruire ce qui m’appartient. Mais dites moi, si vous aviez un combat à livrer, celui qui ne voudrait pas venir à votre secours ne serait point par là même contre vous. Car le Seigneur lui-même a dit dans un autre endroit : « Celui qui n’est pas contre vous est pour vous. » Il n’y a point ici de contradiction entre ces deux passages : d’un côté le Seigneur veut parler du démon qui est en guerre ouverte avec lui ; de l’autre, d’un homme qui était en partie avec les disciples, et dont ils disaient : « Nous avons vu un homme chasser les démons en votre nom. » Ce sont les Juifs qu’il paraît surtout avoir ici en vue, et qu’il range dans le parti du démon ; ils étaient en effet contre lui, et ils dispersaient ce qu’il cherchait à réunir. On peut admettre aussi qu’il veut parler de lui-même, car il était l’ennemi déclaré du démon, et s’efforçait de détruire ses oeuvres.

 

vv. 31-32.

S. Chrys. (hom. 42.) Le Seigneur a répondu aux pharisiens en justifiant sa conduite ; il leur inspire maintenant une salutaire frayeur. Car une partie importante de la correction, c’est non-seulement de justifier sa manière d’agir, mais aussi d’y ajouter les menaces. — S. Hil. (can. 12.) Il prononce un jugement sévère contre l’opinion injuste des pharisiens et contre la perversité de ceux qui la partagent, en promettant le pardon de tous les péchés, mais en le refusant au blasphème contre l’Esprit. « C’est pourquoi je vous déclare que tout péché et tout blasphème sera remis. » Remi. Remarquons, toutefois, que le pardon n’est pas accordé indistinctement à tout le monde, mais à ceux qui auront fait une pénitence proportionnée à leurs péchés. Ces paroles sont la condamnation de l’erreur de Novatien, qui prétendait que les fidèles ne pouvaient se relever de leurs chutes par la pénitence, ni mériter le pardon de leurs péchés, surtout ceux qui avaient renoncé la foi dans les persécutions.

« Mais le blasphème contre le Saint-Esprit ne leur sera point remis. » — S. Aug. (serm. sur les paroles du Seig.) Quelle différence entre cette locution : « Le blasphème contre l’Esprit ne sera pas pardonné, » et cette autre que nous lisons dans saint Luc : « Si quelqu’un blasphème contre l’Esprit saint, il ne lui sera pas remis » (Lc 11), si ce n’est que la pensée est rendue plus clairement d’une façon que de l’autre, et que le second Évangéliste explique le premier sans le contredire ? En effet, cette expression : le blasphème de l’Esprit, a quelque obscurité, parce qu’on ne dit pas de quel esprit il s’agit, et c’est pour la faire disparaître que Notre-Seigneur ajoute : « Et quiconque aura dit une parole contre le Fils de l’homme. » Après avoir parlé en général de toute espèce de blasphème, il veut spécifier en particulier le blasphème contre le Fils de l’homme, blasphème qui nous est représenté comme un péché très grave dans l’Évangile de saint Jean, où nous lisons : « Il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement ; de péché, parce qu’ils n’ont pas cru en moi. » (Jn 16.) — Le Sauveur ajoute : « Mais celui qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit, il ne lui sera point pardonné. » Ces paroles ne signifient donc pas que dans la Trinité l’Esprit saint est supérieur au Fils, erreur que n’a jamais soutenue personne, pas même les hérétiques.

S. Hil. (can. 12.) Qu’y a-t-il de plus impardonnable que de nier la nature divine dans le Christ, que de le dépouiller de la substance de l’Esprit du Père qui demeure en lui, alors qu’il opère toutes ses oeuvres par l’Esprit de Dieu, et que Dieu est en lui pour se réconcilier le monde ? — S. Jér. Ou bien ce passage doit être entendu ainsi : Si quelqu’un dit une parole contre le Fils de l’homme, scandalisé qu’il est par la chair dont je suis revêtu, et ne voyant en moi qu’un homme, cette opinion, bien qu’elle soit un blasphème et une erreur coupable, sera cependant digne de pardon, à cause de la faiblesse de la nature humaine qui paraît en moi ; mais celui qui, en présence d’oeuvres incontestablement divines dont il ne peut nier la puissance, osera cependant me calomnier sous l’inspiration de l’envie, et dire que le Christ, le Verbe de Dieu, et les oeuvres de l’Esprit saint doivent être attribuées à Béelzébub, ne peut espérer de pardon ni dans ce monde ni dans l’autre. — S. Aug. (serm. 2 sur les paroles du Seig.) Si tel était le sens de ces paroles, il ne serait question d’aucun autre blasphème, et le seul qui serait irrémissible serait le blasphème contre le Fils de l’homme, c’est-à-dire celui qui ne veut voir en lui qu’un homme. Mais comme il a commencé par dire : « Tout péché et tout blasphème sera remis aux hommes, » il est hors de doute que le blasphème contre le Père lui-même est compris dans cette proposition générale ; et le seul blasphème qu’il déclare irrémissible est celui qui attaque l’Esprit saint. Est-ce que le Père lui-même a pris la forme d’un esclave, de manière que sous ce rapport l’Esprit saint lui soit supérieur ? Et quel est celui qu’on ne pourrait convaincre d’avoir parlé contre l’Esprit saint avant qu’il devint chrétien et catholique ? Est-ce que d’abord les païens, lorsqu’ils osent attribuer les miracles de Jésus-Christ à des opérations magiques, ne sont pas semblables à ceux qui lui reprochaient de chasser les démons au nom du prince des démons ? Et les Juifs eux-mêmes, et tous les hérétiques qui confessent l’Esprit saint, mais qui nient sa présence perpétuelle dans le corps du Christ, qui est l’Église catholique, ressemblent aux pharisiens qui niaient que l’Esprit saint fût en Jésus-Christ. D’ailleurs, il y a eu des hérétiques, comme les Ariens, les Eunomiens et les Macédoniens, qui ont osé soutenir que l’Esprit saint n’était qu’une créature, ou qui ont nié son existence, jusqu’à prétendre que le Père seul était Dieu, et qu’on lui donnait tantôt le nom de Fils, tantôt le nom de l’Esprit saint ; ce sont les Sabelliens. Les Photiniens soutiennent aussi que le Père seul est Dieu, que le Fils n’est qu’un homme, et ils nient complètement l’existence de la troisième personne, de l’Esprit saint. Il est donc évident que les païens, les hérétiques et les Juifs blasphèment contre l’Esprit saint. Faut-il donc les abandonner ou les considérer comme n’ayant plus d’espérance ? Si le blasphème qu’ils ont proféré contre l’Esprit saint, ne doit pas leur être remis, c’est donc inutilement qu’on leur promet qu’ils recevront la rémission de leurs péchés dans le baptême, ou par leur entrée dans l’Église ? Car Notre-Seigneur ne dit pas : Ce péché ne lui sera remis que dans le baptême, mais : « Il ne lui sera remis ni dans ce monde ni dans l’autre, » et ainsi il n’y aurait pour être exempts de ce crime énorme que ceux qui sont catholiques dès leur enfance. — Et au chap. 15 : Il en est quelques-uns qui prétendent que le blasphème contre l’Esprit saint est le péché exclusif de ceux qui, après avoir été purifiés dans l’Église par l’eau régénératrice, et après avoir reçu l’Esprit saint, répondent par l’ingratitude, à ce bienfait inestimable du Sauveur, et se plongent de nouveau dans l’abîme du péché mortel, tels que les adultères, les homicides, ou les apostats du nom chrétien ou de l’Église catholique. Mais je ne sais quelle preuve on peut apporter à l’appui d’un pareil sentiment, alors que l’Église ne ferme à aucun crime les portes de la pénitence, et que l’Apôtre nous avertit de reprendre les hérétiques eux-mêmes (2 Tm 2), dans l’espérance que Dieu les amènera par la pénitence à la connaissance de la vérité. Enfin le Seigneur n’a pas dit : « Le fidèle catholique qui aura proféré une parole contre l’Esprit saint, mais : « Celui qui aura dit, » c’est-à-dire : Quiconque aura dit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle ni dans l’autre.

S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 43.) Nous lisons dans l’apôtre saint Jean (1 Jn 5) : « Il est un péché qui conduit à la mort ; je ne dis pas que quelqu’un doive prier pour ce péché. » Or, je dis que ce péché du frère qui engendre la mort, est le péché de celui qui, après avoir connu Dieu par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, attaque la sainte fraternité, ou qui, poussé par une ardente jalousie, se déclare contre la grâce elle-même à laquelle il doit sa réconciliation avec Dieu. L’énormité de ce crime est telle, qu’elle ne laisse plus de place à l’humilité de la prière, alors même que les remords de la conscience forcent le pécheur de reconnaître et d’avouer son crime. Il faut croire que cette disposition de l’âme, à cause de la grandeur du péché, produit déjà quelque chose de l’impénitence finale et de la damnation, et c’est peut-être là ce qu’on peut appeler pécher contre l’Esprit saint, c’est-à-dire par malice et par envie, attaquer la charité fraternelle après avoir reçu la grâce de l’Esprit saint. C’est ce péché qui, selon la déclaration du Seigneur, ne sera remis ni dans ce monde ni dans l’autre. Cette explication nous amène à examiner si les Juifs commirent ce péché contre l’Esprit saint lorsqu’ils accusèrent Notre-Seigneur de chasser les démons au nom de Béelzébub, prince des démons, c’est-à-dire si nous devons regarder cette accusation comme dirigée personnellement contre le Seigneur, parce qu’il dit de lui-même dans un autre endroit : « S’ils ont appelé le père de famille Béelzébub, à combien plus forte raison ses serviteurs. » Ou bien, comme ils ne parlaient de la sorte que par un excès de jalousie, et qu’ils n’avaient que de l’ingratitude pour de si grands bienfaits, ne peut-on pas croire que par l’excès même de leur jalousie ils ont péché contre l’Esprit saint, quoiqu’ils ne fussent pas encore chrétiens ? Cette explication ne ressort pas des paroles du Seigneur, mais on peut dire cependant qu’il les avertit de recevoir la grâce qui leur est offerte, et après l’avoir reçue, de ne plus retomber dans le péché qu’ils avaient déjà commis. Ils avaient proféré contre le Fils de l’homme une parole pleine de méchanceté ; elle aurait pu leur être pardonnée s’ils avaient voulu se convertir et croire en lui ; mais si après avoir reçu l’Esprit saint ils avaient continué à porter envie à leurs frères, et à se déclarer contre la grâce qu’ils avaient reçue, ce péché ne leur sera pardonné ni dans ce monde ni dans l’autre. Et en effet, si le Sauveur les avait considérés comme déjà condamnés, sans nulle espérance de retour, il n’aurait pas continué de leur donner des conseils en ajoutant immédiatement : « Ou faites un arbre bon, » etc. — S. Aug. (Rétract., 1, 19.) Je n’ai pas appuyé cette interprétation, parce que j’ai dit que tel était mon sentiment, en ajoutant, toutefois, pourvu que l’on arrive à la fin de cette vie dans cette disposition d’esprit si criminelle. Il ne faut, en effet, désespérer pendant cette vie d’aucun pécheur, quelque dépravé qu’il soit, et ce ne sera jamais témérité de prier pour celui dont il est permis encore d’espérer le salut.

S. Aug. (serm. 2 sur les paroles du Seig., chap. 1 et 5.) Ce passage renferme un grand mystère, et il faut demander à Dieu la lumière nécessaire pour bien l’exposer. Je vous le déclare, mes très chers frères, peut-être dans toutes les saintes Écritures ne trouve-t-on pas une question plus importante et plus difficile. Remarquez d’abord que Notre-Seigneur n’a pas dit : Aucun blasphème contre l’Esprit saint ne sera remis, ni : Celui qui aura dit une parole quelconque contre l’Esprit saint, mais : « Celui qui aura dit la parole. » — Et au chap. 6 : Il n’est donc point nécessaire de regarder comme irrémissible tout blasphème, toute parole contre l’Esprit saint, il faut seulement reconnaître qu’il y a une parole qui dite contre l’Esprit saint, ne peut obtenir de pardon. Les saintes Écritures ont, en effet, l’habitude de s’exprimer de manière que lorsqu’une chose n’a été dite ni du tout ni de la partie, il n’est pas nécessaire qu’elle puisse s’appliquer à la totalité pour nous défendre de l’entendre de la partie. Ainsi le Seigneur dit aux Juifs (Jn 15) : « Si je n’étais pas venu, et si je ne leur avais point parlé, ils ne seraient pas coupables ; » Notre-Seigneur n’a pas voulu nous dire que les Juifs eussent été absolument sans péché, mais qu’il y avait un péché que les Juifs n’auraient pas eu si le Christ n’était pas venu. — Et au chap. 18 : L’ordre que nous nous sommes prescrit nous fait un devoir d’expliquer quelle est donc cette espèce de blasphème contre l’Esprit saint. Le caractère particulier sous lequel nous est représenté le Père, c’est l’autorité ; pour le Fils, c’est la naissance ; pour le Saint-Esprit, c’est l’union du Père et du Fils. Or le lien qui unit le Père et le Fils est aussi dans leurs desseins, celui qui doit nous unir tous ensemble entre nous et avec eux : « Car sa charité a été répandue en nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné. » Nos péchés nous ayant privés de la possession des biens véritables, la charité couvre la multitude des péchés. (1 P 1.) Que ce soit, en effet, dans l’Esprit saint que Jésus-Christ nous remette les péchés, nous pouvons le conclure de ce qu’après avoir dit à ses Apôtres : « Recevez l’Esprit saint, » il ajoute aussitôt : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez. » La première grâce que reçoivent ceux qui croient, c’est donc la rémission des péchés dans l’Esprit saint ; c’est contre ce don gratuit que s’élève le cœur impénitent. Donc l’impénitence est ce blasphème contre l’Esprit saint qui ne sera remis ni dans ce monde ni dans l’autre. Car celui qui, « par sa dureté et par l’impénitence de son cœur, amasse un trésor de colère pour le jour de la colère, » (Rm 2,) celui-là, soit dans sa pensée, soit verbalement, prononce une parole criminelle contre l’Esprit saint par lequel les péchés sont remis. Or, cette impénitence ne peut espérer aucun pardon, ni dans ce monde ni dans l’autre, parce que la pénitence obtient dans ce monde le pardon qui nous ouvre les portes de l’autre vie. — Et au chap. 13 : Or, cette impénitence ne peut être définitivement jugée pendant cette vie, car on ne doit désespérer de personne tant que la patience de Dieu peut l’amener à se repentir. (Rm 2.) Car enfin qu’arrivera-t-il si ceux que vous voyez livrés à toute sorte d’erreurs, et que vous condamnez comme ayant perdu tout espoir, font pénitence avant le moment de leur mort ? Quoique ce blasphème se compose de plusieurs paroles et qu’il puisse être très étendu, l’Écriture, suivant sa coutume, en parle comme si ce n’était qu’une seule parole. Ainsi, bien que Dieu ait adressé plusieurs paroles aux prophètes, on lit cependant : « Parole qui fut adressée à tel ou à tel prophète. » — Et au chap. 15 : Si l’on nous fait ici cette question : Est-ce l’Esprit saint qui seul remet les péchés, ou est-ce le Père et le Fils ? nous répondrons que c’est également le Père et le Fils, car le Fils dit du Père : « Votre Père vous remettra vos péchés » (Mt 6,) et il dit de lui-même : « Le Fils a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés. » Pourquoi donc cette impénitence qui demeure sans pardon n’a-t-elle pour cause que le blasphème contre l’Esprit saint, comme si celui qui se trouve lié par ce péché d’impénitence résistait au don de l’Esprit saint, don qui nous confère la rémission des péchés ? — Et au chap. 17 : C’est que les péchés qui ne peuvent être remis en dehors de l’Église ne doivent être remis que par la vertu de cet Esprit qui est le principe de l’unité de l’Église, etc. Donc la rémission des péchés, qui est l’oeuvre de la Trinité tout entière, est attribuée spécialement à l’Esprit saint ; car il est cet Esprit d’adoption des enfants dans lequel nous crions : Mon Père, mon Père (Rm 8), afin que nous puissions lui dire : « Pardonnez-nous nos offenses. » Et comme le dit saint Jean, c’est en cela que nous connaissons que le Christ demeure en nous, parce qu’il nous a rendus participants de son Esprit (1 Jn 4, 13.) C’est ce même Esprit qui est l’auteur de cette société qui ne fait de nous qu’un seul corps, le corps du Fils unique de Dieu. — Et au chap. 20. : Car l’Esprit saint est lui-même en quelque sorte la société du Père et du Fils, etc. Et au chap. 22 : Celui donc qui se rendra coupable d’impénitence contre l’Esprit saint, qui réunit toute l’Église dans les liens d’une même communion et d’une seule unité, il ne lui sera jamais pardonné.

S. Chrys. (hom. 43.) On peut encore dire, suivant la première interprétation, que les Juifs ne connaissaient pas la personne du Christ, mais ils avaient de l’Esprit saint une connaissance suffisante, car c’est lui qui avait inspiré les prophètes. Voici donc le sens des paroles du Sauveur : J’admets que la chair dont je suis revêtu soit pour vous une cause de scandale ; mais quant à l’Esprit saint, pouvez-vous dire : Nous ne le connaissons pas ? Et vous en subirez le châtiment dans cette vie et dans l’autre ; car chasser les démons et guérir les maladies est une oeuvre de l’Esprit saint ; ce n’est donc pas à moi seul que vous faites outrage, mais à l’Esprit saint : c’est pourquoi votre condamnation est inévitable dans ce monde et dans l’autre. Il en est qui ne sont punis que dans cette vie, comme ceux qui ont participé indignement aux saints mystères chez les Corinthiens (1 Co 11, 29.30) ; il en est qui ne reçoivent leur châtiment que dans l’autre monde, comme le mauvais riche dans l’enfer. Il en est enfin qui sont punis dans ce monde et dans l’autre, comme les Juifs qui furent cruellement châtiés lors de la prise de Jérusalem, et qui auront encore à endurer d’affreux supplices dans l’enfer.

Rab. L’autorité divine de ces paroles condamne l’erreur d’Origène, qui assure qu’après bien des siècles, tous les pécheurs obtiendront leur pardon ; et Notre-Seigneur l’a détruite par ces seuls mots : « Il ne lui sera pardonné ni dans cette vie ni dans l’autre. » — S. Grég. (Dialog. 4, 34.) Ce passage nous donne à entendre que certaines fautes sont pardonnées en ce monde, tandis que d’autres ne sont remises que dans l’autre ; car ce qui n’est nié que pour une seule chose est affirmé pour quelques autres. Et cependant on ne peut espérer ce pardon que pour les fautes les plus légères, comme des paroles oiseuses, des rires immodérés, ou les fautes que l’on commet dans la gestion de ses affaires, fautes que peuvent à peine éviter, ceux même qui savent comment on doit se garder de tout péché ; ou bien enfin l’ignorance en matière légère. Il est encore d’autres fautes dont nous demeurons chargés après la mort, si elles ne nous ont pas été remises pendant cette vie, etc. Mais il ne faut pas oublier que personne n’obtiendra le pardon de ses fautes légères après la mort, à moins d’avoir mérité dans cette vie par ses bonnes oeuvres que ce pardon lui soit accordé.

 

vv. 33-35.

S. Chrys. (hom. 43.) Notre-Seigneur ne se contente pas de cette première réfutation, il veut les confondre par de nouvelles raisons. Ce n’est pas sans doute pour se justifier à leurs yeux, il l’avait fait suffisamment, mais pour changer les dispositions de leur cœur. Il leur dit donc : « Ou dites qu’un arbre est bon, » etc., paroles qui veulent dire : Personne d’entre vous n’a osé dire qu’il était mal de délivrer les hommes du démon. Toutefois, comme ils n’attaquaient pas les oeuvres elles-mêmes, mais qu’ils prétendaient que le démon en était l’auteur, il leur démontre que cette accusation est contraire à toutes les règles du raisonnement ainsi qu’à toutes les idées reçues, et que de pareilles inventions sont le comble de l’impudence. — S. Jér. Il les tient resserrés dans un raisonnement que les Grecs appellent αφυχτον et que nous pouvons appeler raisonnement qu’on ne peut éluder. Il les renferme comme dans un cercle d’où ils ne peuvent sortir et les presse par les deux faces de cet argument : Si le démon est mauvais, leur dit-il, il ne peut faire des actions qui soient bonnes ; et si les actions dont vous avez été témoins sont bonnes, le démon ne peut en être l’auteur, car il n’est pas possible que le bien puisse naître du mal ou le mal venir du bien. — S. Chrys. (hom. 43.) En effet, on juge l’arbre à son fruit, et non pas le fruit par l’arbre, comme le dit Notre-Seigneur lui-même : « Car c’est par le fruit que l’on connaît l’arbre. » — Bien que ce soit l’arbre qui produise le fruit, c’est cependant le fruit qui détermine l’espèce de l’arbre. Mais pour vous, vous faites le contraire. Vous ne trouvez rien à reprendre dans les oeuvres, et vous condamnez l’arbre en m’appelant possédé du démon.

 

S. Hil. (can. 12.) Il réfute donc les calomnies des Juifs qui, tout en comprenant que les oeuvres du Christ exigeaient une puissance divine, ne voulurent pas cependant reconnaître sa divinité ; mais en même temps il condamne tous ceux dont la foi pervertie devait dans la suite embrasser avec ardeur les différentes hérésies qui ont nié sa divinité et son unité de nature avec le Père, malheureux qui ne pouvaient, comme les Gentils, s’excuser sur leur ignorance, et qui cependant n’avaient pas la connaissance de la vérité. Cet arbre, c’est le Sauveur lui-même revêtu de la nature humaine, parce qu’en effet la fécondité intérieure de sa puissance se répand au dehors en fruits abondants et variés. Il faut donc faire un bon arbre avec de bons fruits, ou un arbre mauvais avec de mauvais fruits, non pas qu’un bon arbre puisse être mauvais ou qu’un mauvais arbre puisse être bon, mais par cette comparaison le Sauveur veut nous faire comprendre qu’il faut abandonner le Christ comme étant inutile, ou s’attacher à lui comme étant la source féconde de tout bon fruit. Vouloir prendre un moyen terme, attribuer quelques privilèges au Christ et nier ses qualités essentielles, le vénérer comme Dieu, et le dépouiller de son union substantielle avec Dieu, c’est un blasphème contre l’Esprit saint. Saisi d’admiration à la vue de la grandeur de ses oeuvres, vous n’osez pas lui refuser le nom de Dieu, et par je ne sais quelle mauvaise disposition de votre esprit vous lui contestez la noblesse de son origine en niant son unité de nature avec le Père. — S. Aug. (serm. 12 sur les paroles du Seigneur.) Ou bien encore le Seigneur nous rappelle ici l’obligation d’être de bons arbres si nous voulons produire de bons fruits, car ces paroles : « Faites un bon arbre et que ses fruits soient bons » renferment un précepte salutaire auquel nous devons obéir, tandis que les paroles suivantes : « Faites un arbre mauvais et que ses fruits soient mauvais » ne nous imposent pas l’obligation d’agir de la sorte, mais nous avertissent d’éviter une pareille conduite. Notre-Seigneur avait ici en vue des hommes qui, tout mauvais qu’ils étaient, prétendaient pouvoir dire de bonnes choses ou faire de bonnes actions ; il leur déclare que cela est impossible, car il faut changer l’homme si l’on veut changer ses oeuvres ; si l’homme persiste dans ce qui le rend mauvais, il ne peut faire de bonnes oeuvres ; s’il persévère dans ce qui le rend bon, il ne peut en faire de mauvaises. Or, le Christ a trouvé tous les arbres mauvais, mais il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à tous ceux qui croyaient en lui.

 

S. Chrys. (hom. 43.) Comme il défendait ici non pas ses intérêts, mais les oeuvres de l’Esprit saint, il leur adresse ces reproches justement mérités : « Race de vipères, comment pouvez-vous dire de bonnes choses, vous qui êtes mauvais ? » En leur parlant de la sorte, il accuse leur conduite et tout à la fois il la fait servir de preuve de ce qu’il vient de dire. Vous qui êtes de mauvais arbres, semble-t-il leur dire, vous ne pouvez pas porter de bons fruits : je ne suis donc pas étonné que vous parliez de la sorte, car vos pères étaient vicieux, votre éducation a été mauvaise, et vous avez une âme portée au mal. Remarquez qu’il ne dit pas : « Comment pouvez-vous dire de bonnes choses alors que vous êtes une race de vipères ? » car voici la construction naturelle de la phrase : « Comment pouvez-vous dire de bonnes choses, étant mauvais comme vous l’êtes ? » Il les appelle race de vipères parce qu’ils se glorifiaient de leurs ancêtres et, pour anéantir leur orgueil, il les sépare de la race d’Abraham et leur déclare que leurs aïeux leur ressemblaient. — Rab. Ou bien en les appelant race de vipères il veut dire qu’ils sont les enfants et les imitateurs du démon, eux qui interprètent ses actions en mauvaise part, ce qui est le propre du démon.

 

« La bouche parle de l’abondance du cœur. » Un homme parle de l’abondance du cœur quand il connaît l’intention qui le fait parler, vérité que le Sauveur développe plus clairement en ajoutant : « L’homme qui est bon tire de bonnes choses de son bon trésor, et celui qui est mauvais tire de mauvaises choses d’un trésor mauvais. » Le trésor du cœur c’est l’intention que l’âme se propose et d’après laquelle le juge intérieur détermine le mérite de l’action ; c’est elle qui fait que des actions éclatantes ne reçoivent quelquefois qu’une légère récompense, et que, par suite de la négligence d’un cœur que la tiédeur domine, des actes de vertus héroïques sont faiblement récompensés par le Seigneur. — S. Chrys. (hom. 43.) Il donne encore ici une preuve de sa divinité qui pénètre le fond des cœurs, et il nous apprend que non-seulement les paroles coupables, mais les mauvaise pensées, recevront leur châtiment. Du reste, c’est une conséquence naturelle que l’excès de la malice du cœur se répande au dehors par les paroles qui sortent de la bouche. Aussi, lorsque vous entendez un homme proférer de mauvais discours, tenez pour certain que la malice de son âme est bien plus grande que ne l’indiquent ses paroles, car elles ne sont que l’exubérance de la corruption de son cœur ; c’est en cela que ce reproche est plus sévère et plus sensible pour les Juifs, car si leurs paroles sont si mauvaises, jugez combien la source d’où elles découlent doit être corrompue. Voici en effet ce qui arrive ordinairement : c’est que la langue, retenue par la honte, ne répand pas immédiatement tout son venin, tandis que le cœur, qui n’a aucun homme pour témoin de ses actes, se livre sans crainte à tout le mal qui se présente à la volonté, car Dieu est son moindre souci, et lorsque le mal déborde à l’intérieur, il se répand à l’extérieur par les paroles, ce qui fait dire au Seigneur : « C’est de l’abondance du cœur que la bouche parle ; » et encore : « L’homme tire ses paroles du trésor de son cœur. »

 

S. Jér. En disant : « L’homme qui est bon tire de bonnes choses d’un bon trésor, » le Sauveur fait voir aux Juifs coupables de blasphème à l’égard de Dieu dans quel trésor ils ont puisé ces blasphèmes ; ou bien cette pensée se rapporte à ce qui précède et leur montre que de même qu’un homme qui est bon ne peut dire de mauvaises choses, de même celui qui est mauvais ne peut en dire de bonnes ; ainsi le Christ ne peut faire de mauvaises oeuvres et le démon ne peut en faire de bonnes.

 

 

vv. 36-37.

S. Chrys. (hom. 43.) A la suite de ces reproches, le Seigneur cherche à inspirer aux Juifs une grande crainte en leur apprenant que ceux qui se seront rendus coupables de crimes semblables seront punis du dernier supplice : « Or, je vous déclare que les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole inutile qu’ils auront dite. » — S. Jér. Voici le sens de ces paroles : Si une parole oiseuse qui n’édifie en rien ceux qui l’entendent n’est point sans danger pour celui qui la dit, et si au jour du jugement chacun doit rendre compte de ses discours, à combien plus forte raison vous qui calomniez les oeuvres de l’Esprit saint, et qui dites que je chasse les démons par Beelzéhub, rendrez-vous compte de semblables calomnies. — S. Chrys. (hom. 43.) Il ne dit pas : « La parole inutile que vous aurez dite », car son dessein est d’enseigner tout le genre humain et de rendre son discours moins dur pour les Juifs. Or, la parole oiseuse est celle qui contient un mensonge ou une calomnie ; quelques-uns l’étendent à la parole vaine, à celle par exemple qui excite un rire immodéré ou qui est contraire à la décence et à la pudeur. — S. Grég. (hom. 9, sur les Evang.) Ou bien la parole oiseuse est celle qui n’est motivée ni par une véritable utilité, ni par une juste nécessité.

S. Jér. C’est une parole qui est sans utilité pour celui qui parle comme pour celui qui écoute ; par exemple, lorsqu’au lieu d’entretiens sérieux nous nous entretenons de choses frivoles ou que nous racontons les récits fabuleux de l’antiquité. Quant à celui qui se livre aux bouffonneries, rit à gorge déployée et blesse la pudeur dans ses discours, il n’est pas seulement coupable d’une parole oiseuse, mais de discours criminels. — Remi. A cette vérité se rattache la maxime suivante : « C’est d’après vos paroles que vous serez condamnés ; c’est d’après vos paroles que vous serez justifiés. » Nul doute qu’on ne soit condamné pour les mauvaises paroles qu’on aura dites ; mais quant aux bonnes paroles, elles ne pourront justifier que celui qui les aura dites avec une conviction intime et une intention vertueuse. — S. Chrys. (hom. 43.) Remarquez que ce jugement n’a rien de trop sévère : vous serez jugés non point sur ce qu’on aura dit de vous, mais sur ce que vous aurez dit vous-même ; ce ne sont donc pas ceux qui sont accusés qui doivent craindre, mais ceux qui accusent les autres, car personne ne sera forcé de s’accuser du mal qu’il aura entendu et dont il aura été l’objet, il ne sera responsable que du mal qu’il aura dit lui-même.

 

vv. 38-40.

S. Chrys. (hom. 44.) Le Seigneur avait bien des fois réduit les pharisiens au silence et mis un frein à leur impudence ; ils se rejettent donc de nouveau sur ses oeuvres, ce que l’Évangéliste étonné nous raconte en ces termes : « Alors quelques-uns des scribes lui dirent, » etc. Alors, c’est-à-dire quand ils auraient dû se rendre, pleins d’admiration et d’étonnement ; mais ils persévèrent dans leur malice et ils lui disent pour le surprendre : « Nous voudrions que vous nous fassiez voir un prodige. »

S. Jér. Ils demandent des prodiges, comme si les faits qu’ils ont vus jusqu’ici n’étaient pas des prodiges. Saint Luc explique plus clairement quelle espèce de miracle ils lui demandent : Nous voudrions que vous nous fassiez voir un prodige dans le ciel (Lc 11). Peut-être voulaient-ils que comme Elie il fît descendre le feu du ciel, ou qu’à l’exemple de Samuel (4 R 1), il fît en plein été et contrairement à ce qui arrive dans ces contrées, il fit gronder le tonnerre, briller les éclairs et tomber la pluie (1 R 7 et 12). Mais n’auraient-ils pas trouvé le moyen de calomnier ces prodiges en disant qu’ils étaient le résultat de causes secrètes et variées qui agissent sur l’atmosphère ? Car, puisque vous calomniez ce que vous voyez de vos yeux, ce que vous touchez de la main, ce dont vous ressentez l’utilité, que ne diriez-vous pas d’un miracle qui viendrait du ciel ? Vous répondriez sans doute que les magiciens en Egypte ont fait eux-mêmes beaucoup de prodiges dans les airs.

S. Chrys. (hom. 43.) Leurs paroles sont pleines à la fois d’adulation et d’ironie. Ils avaient commencé par outrager le Sauveur en le traitant de possédé du démon ; ils cherchent à le flatter maintenant en l’appelant Maître. Aussi leur répond-il avec sévérité : « Cette génération méchante, » etc. Lorsqu’ils le chargeaient d’injures, il leur répondait avec douceur ; mais lorsqu’ils veulent le prendre par la flatterie il leur fait les plus vifs reproches ; il prouve ainsi qu’il était supérieur à toute faiblesse, incapable de s’irriter des outrages ou de faiblir devant la flatterie. Or, voici le sens de ces paroles : « Qu’y a-t-il d’étonnant que vous agissiez ainsi contre moi qui suis pour vous un inconnu, quand vous vous êtes conduit de la même manière à l’égard de mon Père dont vous aviez éprouvé tant de fois la puissance et que vous avez abandonné pour courir aux autels du démon ? » Il les appelle « génération méchante » parce qu’ils n’ont jamais eu que de l’ingratitude pour leurs bienfaiteurs. Les bienfaits ne font que les rendre plus mauvais, ce qui est le comble de la perversité. — S. Jér. Le mot « adultère » qu’il ajoute est parfaitement choisi, parce que cette génération avait abandonné son mari et que, suivant Ezéchiel, elle s’était livrée à plusieurs amants (Ez 16, 15.24.25.33). — S. Chrys. (hom. 43.) Il se déclame ainsi l’égal de Dieu son Père, puisque c’est pour n’avoir pas voulu croire en lui que cette génération est devenue adultère.

Rab. Il va maintenant leur répondre non pas en leur faisant voir un prodige dans le ciel, mais en le tirant des profondeurs de la terre. Il a donné ce signe dans le ciel, mais à ses disciples, en leur dévoilant la gloire de l’éternelle félicité, d’abord en figure sur la montagne (Mt 18), et puis en réalité lorsqu’il s’éleva dans les cieux. (Mc 16.) Il ajoute : « On ne lui donnera pas d’autre signe. » — S. Chrys. (hom. 43.) Il parle ainsi, parce que ce n’était pas pour les amener à lui qu’il faisait des miracles, car il savait qu’ils étaient plus durs que la pierre, mais c’était pour en convertir d’autres. Ou bien c’est parce qu’ils ne devaient pas être témoins d’un signe tel qu’ils le demandaient. En effet, il leur donna plus tard un signe, alors qu’ils apprirent à connaître sa puissance par leur propre châtiment, et c’est ce qu’il leur fait entendre à mots couverts en leur disant : « On ne lui donnera pas de signe, » paroles dont voici le sens : J’ai répandu sur vous mes bienfaits à profusion, aucun d’eux ne vous a portés à rendre hommage à ma puissance ; vous la connaîtrez donc par le châtiment qui vous attend, lorsque vous verrez la destruction de votre cité. Il entremêle ici une prédiction de sa résurrection, qu’ils devaient aussi connaître un jour par leur supplice, « si ce n’est le signe du prophète Jonas. » La croix n’aurait jamais été l’objet de la foi si elle n’avait eu pour elle le témoignage des miracles, et si elle n’avait pas été crue, la résurrection ne l’aurait pas été davantage ; c’est pour cela qu’il l’appelle un signe, et que pour en faire reconnaître la vérité il en rappelle une figure prophétique : « Car, de même que Jonas fut dans le ventre de la baleine, » etc. — Rab. Il fait voir aux Juifs qu’ils sont aussi coupables que les Ninivites, et que leur ruine est imminente s’ils ne font pénitence ; mais de même que Jonas, en annonçant le châtiment, indique les moyens de l’éviter, ainsi les Juifs ne doivent pas désespérer de leur pardon, si du moins, après la résurrection de Jésus-Christ, ils font pénitence. Jonas, dont le nom signifie colombe et celui qui gémit, figure celui sur lequel l’Esprit saint descendit en forme de colombe (Lc 3), et qui s’est chargé de nos souffrances. (Is 53.) La baleine qui engloutit Jonas au milieu de la mer (Jon 2) signifie la mort que Notre-Seigneur Jésus-Christ a endurée sur la croix. Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, le Christ demeura le même temps dans le tombeau. Jonas fut jeté sur le rivage, le Christ a ressuscité dans sa gloire.

 

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 24.) Quelques auteurs qui paraissent ignorer la manière de s’exprimer de l’Écriture, ont voulu compter pour une nuit les trois heures qui s’écoulèrent de la sixième à la neuvième et pendant lesquelles le soleil fut obscurci, et pour un jour les trois autres heures, depuis la neuvième jusqu’au coucher du soleil, pendant lesquelles il éclaira de nouveau la terre. Vint ensuite la nuit du sabbat, et en la comptant avec le jour qui suivit on a deux nuits et deux jours. Après le jour du sabbat vient la nuit du premier jour de la semaine (c’est-à-dire la nuit qui précède le dimanche) dans laquelle le Seigneur est ressuscité. Nous avons donc deux nuits et deux jours et de plus une nuit, alors même qu’on devrait la comprendre tout entière, et que nous ne prouverions pas que le point du jour était la partie extrême de cette nuit. C’est ainsi que sans compter ces six heures (dont trois heures de nuit et trois heures de jour), nous avons réellement trois jours et trois nuits, et il ne nous reste plus qu’à démontrer que cette explication est conforme à l’usage de l’Écriture, qui prend souvent la partie pour le tout. — S. Jér. Ce n’est pas que Jésus-Christ ait été les trois jours entiers et les trois nuits dans les enfers, mais on entend que ces trois jours et ces trois nuits sont formés d’une partie du jour de la Pâque, d’une partie du dimanche et du jour du sabbat tout entier. — S. Aug. (De la Trinité, 4, 9.) L’Écriture elle-même nous témoigne que ces trois jours ne furent pas complets ; mais la seconde partie du premier jour et la première partie du troisième jour sont comptées pour des jours entiers ; quant au jour intermédiaire, c’est-à-dire le deuxième jour, il est complet et a ses vingt-quatre heures, douze de nuit et douze de jour. La nuit qui précéda la première aurore où la résurrection du Seigneur eût lieu appartient au troisième jour. Car de même que les premiers jours de l’homme sur la terre se comptent du jour à la nuit comme symbole de sa chute future, de même les jours se comptent ici de la nuit au jour comme figure de la réparation de l’homme. — S. Chrys. (hom. 44.) Il ne leur dit pas clairement qu’il ressusciterait, car ils se seraient moqués de lui ; mais il le leur donne à entendre pour qu’ils pussent croire par la suite ce qu’il avait prédit par avance. Il ne dit pas simplement : « Dans la terre, » mais « dans les entrailles de la terre » pour exprimer une véritable sépulture, et afin que personne ne pût soupçonner que sa mort n’était qu’apparente. Il dit clairement qu’il y restera trois jours, afin que l’on ne pût douter de la réalité de sa mort. D’ailleurs la figure de la résurrection est une preuve de sa réalité, car Jonas ne fut pas seulement en apparence, mais bien réellement dans le ventre de la baleine. Or la vérité n’aurait-elle existé qu’en apparence, tandis que la figure a existé en réalité ? Les disciples de Marcion sont donc de véritables enfants du démon, en affirmant avec leur maître que la passion du Christ n’a été qu’imaginaire ; ajoutons que le signe du prophète Jonas, qui devait être donné à cette génération est une preuve que le Sauveur devait souffrir la mort pour les Juifs, quoiqu’ils n’en dussent tirer aucun profit (cf. Jon 1, 5).

 

vv. 41-42.

S. Chrys. (hom. 44.) On aurait pu croire que les Juifs auraient un jour le même sort que les Ninivites, et qu’ils se convertiraient après la résurrection du Sauveur, comme les Ninivites s’étaient convertis à la voix de Jonas et avaient ainsi sauvé leur ville de la destruction qui la menaçait. Notre-Seigneur déclare ici qu’un sort tout différent leur est réservé ; et loin que le bienfait de sa mort leur soit utile, elle ne fera qu’aggraver leur supplice, comme il le prouvera plus bas par l’exemple du démon. Il montre d’abord ici l’équité de leur condamnation : « Les habitants de Ninive se lèveront, dit-il, au jour du jugement contre cette génération. » — Remi. Le Seigneur, en s’exprimant de la sorte, établit clairement qu’il n’y aura qu’une seule résurrection pour les bons et pour les méchants, contre quelques hérétiques qui ont prétendu qu’il y aurait une résurrection pour les bons et une pour les méchants. Il détruit en même temps cette opinion fabuleuse des Juifs qui disent que la résurrection aura lieu mille ans avant le jugement, et il déclare ouvertement, au contraire, que le jugement suivra immédiatement la résurrection : « Et ils condamneront cette génération. » — S. Jér. Ce ne sera pas en prononçant contre elle le jugement souverain, mais par la simple opposition de leur conduite ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Parce qu’ils ont fait pénitence à la voix de Jonas, et voilà plus que Jonas ici. » Le mot hic doit être pris comme adverbe de lieu, et non pas comme pronom. Jonas (selon la version des Septante) ne prêcha que pendant trois jours ; j’ai prêché pendant un temps beaucoup plus long ; il s’adressait aux Assyriens, nation infidèle ; je m’adresse aux Juifs, peuple de Dieu ; il ne fit que prêcher sans opérer de miracles, et moi, après tant et de si grands prodiges, je suis accusé calomnieusement de connivence avec Béelzébub.

S. Chrys. (hom. 44.) Le Seigneur, non content de cet exemple, en ajoute un autre : « La reine du Midi, » etc. Cet exemple est plus frappant encore que le premier. Jonas alla trouver les Ninivites ; la reine du Midi n’attendit pas que Salomon se rendit près d’elle, mais elle alla le trouver elle-même, et c’était une femme, une barbare, habitant des contrées éloignées ; elle n’était pas dominée par la crainte de la mort, mais par le seul désir d’entendre les paroles de la sagesse. Cette femme s’est donc rendue ici, moi j’y suis venu ; elle est arrivée des extrémités de la terre, et moi je parcours les villes et les campagnes ; elle discuta sur les arbres et sur les plantes, et moi j’enseigne d’ineffables mystères. — S. Jér. Cette reine du Midi condamnera le peuple juif, de la même manière que les Ninivites condamneront les Israélites incrédules. Cette reine est la reine de Saba dont il est question au livre 3 des Rois et au 2 des Paralipomènes. Elle abandonna son peuple et son royaume et à travers mille difficultés elle vint dans la Judée pour entendre la sagesse de Salomon, et lui offrit une multitude de présents (3 R 10 et 11 ; Paralip., 9). Les Ninivites et la reine de Saba sont la figure des nations qui ont embrassé la foi et qui ont été préférées au peuple d’Israël. — Rab. Les Ninivites représentent ceux qui renoncent au péché ; la reine de Saba, ceux qui ne connaissent pas le péché ; car la pénitence efface le péché, mais la sagesse apprend à l’éviter.

Remi. Le nom de reine convient admirablement à l’Église, parce qu’elle sait diriger sa conduite ; c’est d’elle que le Psalmiste a dit : « La reine s’est tenue debout à votre droite. » (Ps 44.) C’est la reine du Midi, parce qu’elle est pleine du feu de l’Esprit saint. Le vent brûlant du Midi est une figure de l’Esprit saint. Salomon, dont le nom signifie le pacifique, représente celui dont il est dit « C’est lui qui est notre paix. » (Ep 2.)

 

vv. 43-45

S. Chrys. (hom. 44.) Le Seigneur avait dit aux Juifs : « Les habitants de Ninive s’élèveront au jour du jugement et condamneront cette génération. » Mais dans la crainte que le temps si éloigné de cette condamnation ne la leur fit mépriser et n’encourageât leur négligence, il leur apprend qu’ils auront à souffrir des châtiments très sévères non-seulement dans l’autre vie, mais dans celle-ci, et il leur fait connaître sous le voile d’une parabole le supplice qui leur est réservé : « Lorsque l’esprit impur, » etc. — S. Jér. Il en est quelques-uns qui prétendent que ce passage s’applique aux hérétiques. L’esprit immonde qui habitait d’abord en eux, lorsqu’ils étaient encore infidèles, disent-ils, a été chassé par la confession de la vraie foi ; mais lorsqu’ils ont embrassé le parti de l’hérésie, et qu’ils ont orné de fausses vertus la maison intérieure de leur âme, le diable revient les trouver après avoir pris avec lui sept autres esprits, il fixe en eux son séjour, et rend leur dernier état pire que le premier. Le sort des hérétiques est, en effet, plus déplorable que celui des infidèles ; car dans les infidèles vous pouvez rencontrer l’espérance de la vraie foi, mais dans les hérétiques vous ne trouverez que les luttes et les déchirements de la discorde. Cette explication a pour elle quelque probabilité et quelque apparence de science, cependant je ne sais si elle est fondée sur la vérité. En effet, la conclusion de cette parabole : « C’est ce qui arrivera à cette génération criminelle, » nous force de l’appliquer, non aux hérétiques, ou à n’importe quels autres hommes, mais au peuple juif, si nous voulons que l’ensemble de ce passage ne reste pas vague, indéterminé, susceptible de sens divers, et ne perde de sa clarté par des interprétations sans fondement, mais qu’il forme un tout parfaitement en rapport avec les antécédents et les conséquences. L’esprit impur est donc sorti des Juifs lorsque la loi leur fût donnée et lorsqu’ils l’eurent chassé, il a erré dans les solitudes des nations, comme l’indiquent les paroles suivantes : « Il va par des lieux arides. » Remi. Les lieux arides, ce sont les cœurs des Gentils que n’ont jamais arrosés les eaux salutaires, c’est-à-dire les saintes Écritures. — Rab. Ou bien, ces lieux arides, ce sont les cœurs des fidèles qui, après avoir été purifiés de la mollesse des pensées dissolues, sont explorés par l’ennemi perfide de notre salut qui cherche à y fixer son séjour ; mais il s’éloigne des âmes chastes, et ne peut trouver que dans le cœur des méchants un repos qui lui soit agréable. C’est pour cela que le Seigneur ajoute : « Et il ne le trouve pas. »

 

Remi. Le démon pensait avoir trouvé dans le cœur des Gentils un repos éternel, mais Notre-Seigneur ajoute : « Et il ne le trouve pas, » parce que les Gentils ont embrassé la foi, lorsque le Fils de Dieu se fut rendu visible par le mystère de l’incarnation. — S. Jér. Après la conversion des Gentils, le démon, ne trouvant plus en eux de repos, dit : « Je reviendrai dans la maison d’où j’étais sorti, chez les Juifs que j’avais quittés en premier lieu, et, en y revenant, il trouve cette maison vide, nettoyée et parée. » En effet, ce temple des Juifs était vide, et le Christ n’y demeurait plus, lui qui avait dit : « Levez-vous, sortons d’ici. » (Jn 14.) Les Juifs n’étant plus sous la garde de Dieu et de ses anges, et n’ayant pour ornement que les observances superflues de la loi, et les traditions des pharisiens, le démon revient dans sa première demeure, il en prend possession avec sept autres esprits, et le dernier état de ce peuple devient pire que le premier. En effet, les Juifs qui blasphèment contre Jésus-Christ dans les synagogues sont les esclaves d’un bien plus grand nombre de démons que ne l’étaient leurs ancêtres dans l’Egypte avant d’avoir reçu la loi ; car on n’était pas aussi coupable de ne pas croire en celui qui devait venir, que de ne pas le recevoir lorsqu’il était venu. Ce nombre de sept autres esprits que le démon prend avec lui est mis ici ou à cause des jours de la semaine, ou à cause du nombre des dons de l’Esprit saint. Ainsi de même que dans Isaïe sept esprits de vertus différentes viennent se reposer sur la fleur de la tige de Jessé, de même, à l’opposé, nous voyons un nombre égal de vices consacré dans la personne du démon. C’est donc avec dessein que Jésus dit du démon qu’il prend sept esprits avec lui, ou à cause de la violation du sabbat, ou à cause des péchés mortels qui sont contraires aux sept dons du Saint-Esprit.

S. Chrys. (hom. 44.) Ou bien le Sauveur veut faire comprendre aux Juifs la grandeur du châtiment qui les attend. Voyez, leur dit-il, ceux qui, étant possédés du démon, sont délivrés de cette tyrannie ; s’ils tombent ensuite dans le relâchement, ils s’attirent de plus terribles épreuves ; ainsi en sera-t-il de vous-mêmes. Vous étiez autrefois les esclaves du démon, lorsque vous adoriez les idoles, et que vous immoliez vos enfants aux démons ; cependant je ne vous ai pas abandonnés, j’ai chassé le démon par les prophètes, et je suis venu moi-même en personne pour vous délivrer d’une manière plus complète. Mais loin de répondre à de si grands bienfaits, vous n’en êtes devenus que plus mauvais (car c’est un plus grand crime de mettre à mort le Christ qu’un prophète), c’est pourquoi de plus terribles châtiments vous sont réservés. Et en effet, ce qu’ils eurent à souffrir sous Vespasien et Titus fut mille fois plus affreux que ce qu’ils avaient enduré en Égypte, à Babylone, et sous Antiochus (1 M 1, et 2 M 5, 6, 7). Il va plus loin encore, et leur fait voir le triste état de leur âme dépouillée de toutes vertus, et devenue pour le démon une proie bien plus facile qu’auparavant. Or, ce n’est pas seulement dans les Juifs, mais dans nous-mêmes que cette parabole trouve son application. Si après avoir reçu la lumière de la foi et la rémission de nos premières fautes, nous y retombons de nouveau, la peine des fautes suivantes sera beaucoup plus sévère ; c’est pour cela que Notre-Seigneur dit au paralytique : « Vous voilà guéri, ne péchez plus, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pis. » — Rab. Lorsqu’un homme se convertit à la foi, le démon, chassé de son âme par le baptême, parcourt les lieux arides, c’est-à-dire les cœurs des fidèles. — S. Grég. (Moral. 33, 3.) Les lieux arides et sans eau sont les cœurs des justes ; la règle forte et sévère qu’ils s’imposent dessèche dans leur âme les eaux des concupiscences charnelles. Les lieux humides, au contraire, sont les âmes des hommes attachés à la terre ; la concupiscence de la chair, en les pénétrant de ses eaux corrompues, les rend molles et sans cohésion, et le démon y imprime d’autant plus profondément les traces de son iniquité, qu’il marche dans ces âmes comme sur une terre détrempée et sans consistance.

Rab. Or, en rentrant dans sa maison d’où il était sorti, il la trouve vide de bonnes actions par suite de sa négligence, purifiée de toutes souillures, c’est-à-dire de ses anciens vices, par le baptême ; ornée de fausses vertus par l’hypocrisie. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 8.) Le Seigneur nous apprend encore par ces paroles qu’il en est dont la foi sera si faible, qu’ils retourneront au monde, incapables qu’ils seront des travaux de la mortification. En nous faisant remarquer que le démon prend avec lui sept autres esprits, il veut nous faire comprendre que celui qui tombe des hauteurs de la justice devient en même temps hypocrite. En effet, lorsque la concupiscence de la chair, chassée par les oeuvres ordinaires de la pénitence, ne trouve pas un lieu d’agréable repos, elle revient avec plus d’empressement, et s’empare de nouveau du cœur de l’homme, pour peu qu’il se soit laissé aller à la négligence. Alors la parole de Dieu ne peut plus avoir d’accès par la saine doctrine pour habiter cette maison une fois nettoyée de ses souillures ; et comme cette concupiscence de la chair ne prend pas seulement avec elle les sept vices qui sont opposés aux sept dons de l’Esprit saint, mais qu’elle affectera par hypocrisie d’avoir ces mêmes vertus, on peut dire qu’elle revient avec sept démons plus méchants, c’est-à-dire avec les sept démons de l’hypocrisie, de manière que l’état de cet homme devienne pire que le premier. — S. Grég. (Moral. 7, 7.) Il arrive souvent aussi que, lorsque l’âme vient à s’enorgueillir de ses premiers pas dans la perfection, et veut en être louée comme de véritables vertus, elle donne entrée à son ennemi furieux contre elle, et qui s’acharne avec d’autant plus de violence à sa ruine, qu’il a éprouvé de douleur d’en avoir été chassé, ne fût-ce que pour quelque temps.

 

vv. 46-50.

S. Hil. (can. 12 sur S. Matth.) Comme il avait dit tout ce qui précède au nom de la puissance et de la majesté de son Père, 1’Évangéliste nous apprend ce qu’il répondit lorsqu’on vint lui annoncer que ses frères et sa mère l’attendaient au dehors. « Pendant qu’il parlait encore au peuple, » etc. — S. Aug. (de l’accord des évang., 2, 40.) Nous devons penser que Notre-Seigneur fit cette réponse dans des circonstances qui la motivaient ; car avant de la rapporter l’Evangéliste fait cette remarque « : Lorsqu’il parlait encore au peuple. » Que veut dire ce mot « encore » si ce n’est au moment même où il tenait ce discours ? Saint Marc (Mc 3) place également ce fait après avoir rapporté ce qui concerne le blasphème sur le Saint-Esprit, et il ajoute : « Et ses frères et sa mère étant venus. » Saint Luc n’a pas gardé ici l’ordre historique ; mais il a raconté ce fait par anticipation, d’après l’ordre de ses souvenirs. — S. Jér. (contre Helvid.) Helvidius veut appuyer une de ses erreurs sur ce que nous voyons dans l’Évangile des frères de Notre-Seigneur. Pourquoi, demande-t-il, les aurait-on appelés les frères du Seigneur s’ils n’avaient pas été réellement ses frères ? Or, il faut savoir que dans l’Écriture le nom de frères est entendu de quatre manières différentes. Il y a les frères de nature, les frères de nation, les frères de parenté, et les frères d’affection : les frères de nature, comme Esaü et Jacob, les frères de nation, tous les Juifs, par exemple, qui se donnent entre eux le nom de frères, comme nous le voyons dans le Deutéronome : « Vous ne pourrez placer à votre tête un étranger qui ne soit point votre frère (Dt 17) ; les frères de parenté, c’est-à-dire ceux qui sont d’une même famille ; c’est dans ce sens qu’Abraham dit à Loth dans la Genèse (Gn 13) : « Qu’il n’y ait point de débat entre vous et moi, car nous sommes frères. » Enfin il y a les frères d’affection, qui le sont d’une manière ou particulière, ou générale : particulière, comme le sont tous les chrétiens d’après ces paroles du Sauveur : « Allez, dites à mes frères » (Jn 20) ; générale, comme tous les hommes nés d’un même père sont unis entre eux par les liens d’une même fraternité, et c’est dans ce sens qu’il est dit dans Isaïe : « Dites à ceux qui vous haïssent : Vous êtes nos frères (Is 66, 5). » Or, je vous le demande, dans quel sens l’Évangile prend-il les frères du Seigneur ? Est-ce selon la nature ? Mais l’Écriture ne les appelle ni les enfants de Marie ni ceux de Joseph. Est-ce comme ayant une même nationalité ? Mais il serait absurde de donner ce nom à un petit nombre de Juifs, alors que tous les Juifs qui étaient présents y avaient droit. Est-ce d’après l’affection qu’inspire la nature ou la grâce ? Mais à ce titre, qui méritait mieux ce nom de frères que les Apôtres, qui recevaient les instructions les plus secrètes du Seigneur ? Ou bien si tous les hommes sont ses frères par cela qu’ils sont hommes, c’était une absurdité de donner ici ce nom comme propre et personnel en disant : « Voici que vos frères vous cherchent. » Il ne reste donc plus de possible que la dernière interprétation, qui explique ce nom de frères dans le sens de la parenté et non point dans le sens de l’affection, de la nationalité ou de la nature. — S. Jér. (sur S. Matth.) Il en est qui ont supposé que ces frères du Seigneur étaient des enfants que Joseph avait eus d’une première épouse ; ils suivent en cela les extravagances des Évangiles apocryphes et imaginent l’existence de je ne sais quelle femme qu’ils appellent Escha. Pour nous, nous voyons dans ces frères du Seigneur, non pas les enfants de Joseph, mais les cousins du Seigneur, enfants de la soeur de Marie, tante du Seigneur, qui est appelée mère de Jacques le Mineur, de Joseph et de Jude, auxquels l’Évangile, dans un autre endroit, donne le nom de frères du Seigneur. Or, toute l’Écriture atteste qu’on étend ce nom de frères jusqu’aux cousins.

S. Chrys. (homélie 45.) Or, voyez quel est l’orgueil des frères du Seigneur ! Leur devoir était d’entrer et de se mêler à la foule pour écouter ses enseignements, ou, si telle n’était pas leur intention, d’attendre qu’il eût terminé son instruction pour venir le trouver. Mais non, ils l’appellent au dehors, et ils l’appellent en présence de tous, faisant ainsi preuve d’une excessive vanité, et voulant montrer qu’ils commandaient au Christ avec autorité. C’est ce que l’Évangéliste semble vouloir nous indiquer indirectement par ces mots : « Lorsqu’il parlait encore, » comme s’il voulait dire : Est-ce qu’ils n’auraient pu choisir un autre moment ? Mais que voulaient-ils lui dire ? Si c’était une question de doctrine qu’ils voulaient lui proposer, ils devaient le faire devant le peuple pour que tous pussent en profiter ; et s’ils n’avaient à l’entretenir que de leurs affaires particulières, ils devaient attendre : il est donc évident qu’ils agissaient ainsi par un motif de vaine gloire.

 

S. Aug. (De la nat. et de la grâce, 36.) Mais quoi que l’on puisse dire des frères du Seigneur, lorsqu’on parle de péché, pour l’honneur du Christ, je ne veux pas qu’il soit question en aucune manière de la Vierge Marie, car nous savons qu’elle a reçu une grâce plus abondante pour triompher en tout du péché, parce qu’elle devait concevoir et enfanter celui qui, bien certainement, ne fut jamais souillé d’aucun péché.

« Et quelqu’un lui dit : Voici que votre mère et vos frères sont dehors et veulent vous parler. » — S. Jér. Celui qui vient lui annoncer cette nouvelle ne me paraît pas l’avoir fait avec simplicité et naturellement, mais pour lui tendre un piége et voir s’il sacrifierait aux affections de la nature une oeuvre toute spirituelle. Le Sauveur refuse donc de sortir, non qu’il méconnaisse sa mère et ses frères, mais parce qu’il veut répondre à ceux qui cherchent à le prendre en défaut. — S. Chrys. (hom. 45.) Il ne dit pas : Allez, et dites-lui qu’elle n’est pas ma mère, il adresse la parole à celui qui vient de lui porter cette nouvelle : « Mais s’adressant à celui qui lui parlait, il lui dit : Quelle est ma mère, quels sont mes frères ? » — S. Hil. (can. 12.) N’allons pas croire qu’il ait éprouvé un sentiment de dédain pour sa mère, lui qui du haut de la croix lui témoigna tant d’affection et une si tendre sollicitude. (Jn 19.) — S. Chrys. (hom. 45.) S’il avait voulu renier sa mère, il l’aurait fait lorsque les Juifs lui faisaient un reproche de la condition de sa mère. — S. Jér. Il n’a donc pas renié sa mère, comme le prétendent Marcion et les Manichéens, pour nous faire croire que sa naissance n’était qu’imaginaire, mais il a voulu montrer qu’il préférait les Apôtres à ses parents, pour nous apprendre à préférer nous-mêmes les affections de l’esprit aux affections de la chair. — S. Amb. (sur S. Luc., liv. 6.) Il ne condamne pas les devoirs de piété filiale qu’un fils doit à sa mère, mais il veut nous apprendre qu’il se doit bien plus aux devoirs mystérieux qui l’attachent à son père, et à l’amour qu’il a pour lui, qu’à son affection pour sa mère ; aussi l’Évangéliste ajoute : « Et, étendant la main vers ses disciples, il dit : Voici ma mère, et voici mes frères. » — S. Grég. (homélie 31 sur les Evang.) Notre-Seigneur a daigné appeler les fidèles ses frères lorsqu’il a dit : « Allez, annoncez à mes frères. » (Mt 28.) On peut donc se demander comment celui qui est devenu le frère du Seigneur en embrassant la foi, peut devenir aussi sa mère. C’est que celui qui est devenu le frère et la soeur de Jésus-Christ par la foi, mérite de devenir sa mère par la prédication, car il enfante le Seigneur en le produisant dans le cœur de ses auditeurs, et il devient sa mère s’il fait naître par ses paroles l’amour du Sauveur dans l’âme du prochain.

S. Chrys. (hom. 45.) Aux leçons qui précèdent, il en ajoute encore une autre, c’est que la confiance que peut nous inspirer notre parenté ne doit pas nous faire négliger la pratique de la vertu, car s’il ne servait de rien à la mère de Jésus d’être sa mère, sans l’éminente vertu qui la distinguait, qui peut se flatter d’être sauvé grâce à sa parenté ? Il n’y a qu’une seule noblesse, c’est de faire la volonté de Dieu, comme il nous l’apprend dans les paroles suivantes : « Quiconque fera la volonté de mon Père qui est au ciel, celui-là est mon frère, ma mère et ma soeur. » Bien des mères ont proclamé le bonheur de la sainte Vierge et de son chaste sein ; elles ont désiré pour elles une maternité semblable. Qui les empêche d’obtenir ce bonheur ? Le Sauveur vous a ouvert une large voie, et il est permis non-seulement aux femmes, mais encore aux hommes de devenir mère de Dieu (cf. Ga 4, 19).

S. Jér. Nous pouvons encore donner une autre explication. Le seigneur parle à la foule et enseigne les nations dans l’intérieur de la maison ; sa mère et ses frères, c’est-à-dire la synagogue et le peuple juif, se tiennent dehors. — S. Hil. (can. 12.) Ils avaient cependant comme les autres la faculté d’arriver jusqu’à lui ; mais comme il est venu parmi les siens, et que les siens ne l’ont pas reçu (Jn 12), ils refusent d’entrer et d’approcher de lui.

S. Grég. (hom. 31.) Pourquoi la mère du Sauveur reste-t-elle dehors, comme s’il ne la connaissait pas ? Parce que la synagogue n’est plus reconnue par celui qui l’a établie, car en s’attachant exclusivement à l’observation de la loi, elle a perdu l’intelligence spirituelle et s’est condamnée elle-même à être au dehors la gardienne de la lettre. — S. Jér. Après qu’ils auront demandé, prié et envoyé un messager, il leur sera répondu qu’ils sont libres d’entrer et de croire eux-mêmes, s’ils le veulent.

 

 

CHAPITRE XIII.

vv. 1-9.

S. Chrys. (hom. 45.) Après avoir donné cette leçon à celui qui lui avait annoncé la présence de sa mère et de ses frères, Jésus se rend cependant à leurs désirs et il sort de la maison. C’est ainsi qu’après avoir guéri d’abord dans ses frères le mal de la vaine gloire, il rend ensuite à sa mère l’honneur qui lui était dû. « Ce jour-là même, Jésus étant sorti, » etc. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 11, 41.) Cette expression : « Ce jour-là » indique suffisamment que ce fait eut lieu immédiatement après ce qui précède ou peu de temps après, à moins que l’on ne donne ici au mot jour le sens qu’il a quelquefois dans l’Écriture, c’est-à-dire qu’on le prenne pour un temps indéfini (Jn 14 ; 16, 23.25).

Rab. Non-seulement les paroles et les actions du Seigneur, mais encore ses courses et les lieux témoins de ses prédications et de ses miracles sont pleins d’enseignements mystérieux. Après le discours qu’il avait prononcé dans cette maison où d’horribles blasphémateurs l’avaient appelé possédé du démon, il sort pour enseigner sur le bord de la mer ; il montre ainsi qu’il abandonne la Judée pour la punir de sa perfidie et qu’il va porter le salut aux nations. En effet, les cœurs des infidèles, longtemps dominés par l’orgueil et l’incrédulité, sont comparés aux flots amers et soulevés de l’Océan. Quant à la maison du Seigneur, qui ne sait que c’était la Judée qui l’était devenue pour la foi ?

S. Jér. Remarquons encore que le peuple ne pouvait entrer dans la maison de Jésus, ni s’y joindre aux Apôtres pour y entendre ses mystérieuses leçons. C’est pour cela que le Seigneur, plein de miséricorde, sort de la maison et s’assied sur le rivage de la mer de ce siècle pour réunir autour de lui la foule, pour lui adresser sur le rivage les enseignements qu’elle n’était pas digne d’entendre dans l’intérieur de la maison. « Et il s’assembla autour de lui une grande foule de peuple. » — S. Chrys. (hom. 45.) Ce n’est pas sans raison que l’Évangéliste rapporte cette circonstance ; il veut nous faire remarquer l’intention expresse du Sauveur, qui voulait réunir une grande multitude et l’avoir tout entière devant les yeux, sans laisser une seule personne derrière lui. — S. Hil. (can. 13.) La suite du récit nous explique pourquoi Notre-Seigneur s’assied dans la barque, tandis que le peuple reste sur le rivage. Il allait parler en paraboles, et, en agissant de la sorte, il nous apprend d’une manière figurée que ceux qui sont hors de l’Église ne peuvent avoir aucune intelligence de la parole divine. Cette barque représente l’Église, la parole de la vie qu’elle renferme dans son sein est prêchée à ceux qui sont au dehors ; mais, semblables au sable stérile, ils ne peuvent la comprendre. — S. Jér. Jésus est au milieu des flots, la mer vient battre tout autour de lui ; tranquille dans sa majesté, il fait approcher la barque du rivage, afin que le peuple, libre de toute crainte et affranchi des épreuves qui eussent été au-dessus de ses forces, se tienne ferme sur le rivage pour entendre de là ses paroles. — Rab. Ou bien il monte dans cette barque et s’y assied au milieu de la mer pour figurer que le Christ devait monter par la foi dans les âmes des Gentils et rassembler son Église au milieu de la mer, c’est-à-dire au milieu des peuples qui devaient le contredire. Cette foule qui se tient sur le rivage et qui n’est ni sur la mer ni dans la barque, nous représente ceux qui reçoivent la parole de Dieu et qui sont séparés par la foi des flots de la mer, c’est-à-dire des réprouvés, sans être encore pénétrés des mystères du royaume des cieux.

« Et il leur dit beaucoup de choses en paraboles. » — S. Chrys. (hom. 45.) Il n’avait pas suivi cette méthode dans son discours sur la montagne, qui n’était point ainsi composé de paraboles, car il ne s’adressait alors qu’à la multitude seule et à des esprits simples et sans déguisement, tandis qu’il comptait ici parmi ses auditeurs des scribes et des pharisiens. Mais ce n’est pas le seul motif pour lequel il parle en paraboles, il veut encore donner plus de clarté à ses enseignements, les graver plus profondément dans la mémoire en les plaçant pour ainsi dire sous les regards. — S. Jér. Remarquez que tous ses enseignements ne sont pas en paraboles, mais une grande partie seulement, car s’il n’avait parlé qu’en paraboles, le peuple n’en eût retiré aucun fruit ; mais en mêlant des choses claires à des choses moins évidentes, l’intelligence des unes excite à pénétrer l’obscurité des autres. La foule, d’ailleurs, n’est pas animée des mêmes sentiments, mais elle est composée de volonté diverses : il lui adresse donc un grand nombre de paraboles pour satisfaire par la diversité de l’enseignement à la diversité des désirs et des besoins.

S. Chrys. (hom. 45.) Il commence par la parabole qui devait rendre ses auditeurs plus attentifs ; car, comme il devait leur parler en figures, il éveille tout d’abord leur attention par ces paroles : « Celui qui sème sortit pour semer. » — S. Jér. Or, ce semeur qui répand sa semence, c’est le Fils de Dieu qui est venu semer parmi les peuples la parole de son Père. — S. Chrys. (hom. 45.) Mais d’où a pu sortir celui qui est présent en tous lieux, et comment est-il sorti ? Il n’est pas sorti comme on sort d’un endroit que l’on quitte, mais il s’est rapproché de nous par son incarnation et par la nature humaine dont il s’était revêtu. Nous ne pouvions arriver jusqu’à lui, nos péchés étaient pour nous un obstacle insurmontable ; il est venu jusqu’à nous. — Rab. Ou bien il est sorti lorsque dans la personne de ses Apôtres, il a abandonné la Judée pour aller évangéliser les Gentils. — S. Jér. Ou bien encore il était au dedans, lorsque, dans l’intérieur de la maison il dévoilait à ses disciples les mystères du royaume des cieux. Il sort donc de cette maison pour répandre la semence au milieu de la foule. — S. Chrys. (hom. 45.) Lorsque vous entendez Notre-Seigneur vous dire : « Celui qui sème sortit pour semer, » ne regardez pas ces deux expressions comme identiques. Le semeur sort bien souvent, et pour d’autres motifs ; par exemple, pour labourer la terre, pour couper les mauvaises herbes, pour arracher les épines ou pour d’autres travaux semblables. Mais ici il sort pour semer. Et que deviendra cette semence ? Trois parties sont perdues, une seule est conservée, non pas d’une manière égale, mais avec quelque différence : « Et pendant qu’il sème, une partie de la semence tomba sur le chemin. » — S. Jér. Valentin se sert de cette parabole pour établir son hérésie et appuyer son système des trois natures : la nature spirituelle, la nature naturelle ou animale, et la nature terrestre. Or nous voyons ici quatre espèces différentes de terre : l’une qui est le long du chemin, l’autre qui est un terrain pierreux, la troisième couverte d’épines, et la quatrième qui est une bonne terre. — S. Chrys. (hom. 45.) Mais quelle apparence de raison dans la conduite de celui qui sèmerait au milieu des épines, sur les pierres ou le long du chemin ? Si l’on prend la semence et la terre dans leur sens matériel et ordinaire, ce serait folie d’agir de la sorte, car il n’est au pouvoir ni de la pierre de devenir terre, ni du chemin de ne pas être un chemin, ni des épines de ne pas être des épines. Mais lorsqu’on entend la terre et la semence de la terre des âmes et de la semence de la parole de Dieu, cette conduite est on ne peut plus louable, car dans ce sens il est possible à la pierre de devenir une terre fertile, au chemin de ne plus être foulé aux pieds, et aux épines d’être arrachées. Quant au surplus de la semence qui est perdu, la faute n’en est pas à celui qui sème, mais à la terre qui reçoit la semence, c’est-à-dire à l’âme, car le semeur ne fait aucune distinction entre le pauvre et le riche, entre le sage et l’ignorant ; il s’adresse à tous, faisant de son côté tout ce qui dépend de lui, tout en prévoyant ce qui doit arriver et motiver ce reproche : « Qu’ai-je dû faire que je n’aie pas fait ? » Or, s’il ne dit pas clairement qu’une partie de la semence est tombée sur les âmes négligentes qui l’ont laissé enlever, une autre sur les riches qui l’ont étouffée, une autre sur les âmes molles qui l’ont perdue, c’est qu’il ne veut pas blesser trop vivement les Juifs et les jeter dans le découragement. Cette parabole apprend encore à ses disciples à ne point négliger le ministère de la prédication, bien qu’un grand nombre de leurs auditeurs ne laissent pas de se perdre, puisque ce triste résultat n’a pas empêché le Seigneur qui prévoyait toutes choses, de répandre la semence de sa parole dans les cœurs.

S. Jér. Remarquez encore que c’est ici la première parabole que Notre-Seigneur fait suivre de son explication, et toutes les fois qu’il explique lui-même ses paroles, gardez-vous de les entendre autrement ou de leur donner un sens plus ou moins étendu que l’explication donnée par le Seigneur lui-même. — Rab. Disons quelques mots de ce que le Sauveur nous laisse libres d’interpréter. Le chemin c’est l’âme pleine de zèle foulée et desséchée sous les pas des mauvaises pensées ; la pierre, c’est la dureté d’une âme audacieuse ; la terre, c’est la douceur d’une âme obéissante ; le soleil, c’est l’ardeur de la persécution qui sévit. La profondeur de la terre, c’est la droiture de l’âme formée par les célestes enseignements. Nous avons déjà fait observer que les choses n’ont pas toujours un seul et même sens dans l’interprétation allégorique. — S. Jér. Toutes les fois que Notre-Seigneur nous donne cet avertissement : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende, » nous sommes prévenus de donner toute notre attention pour comprendre ses divines paroles. — Remi. Les oreilles pour entendre, ce sont les oreilles de l’âme qui doivent servir à l’intelligence et à l’accomplissement des commandements de Dieu.

 

 

vv. 10-17.

La Glose. Les disciples, remarquant qu’il y avait de l’obscurité dans le discours que le Seigneur adressait au peuple, voulurent lui conseiller de ne plus parler en paraboles : « Et ses disciples, s’approchant de lui, lui dirent, » etc. — S. Chrys. (hom. 46.) La conduite des Apôtres est vraiment digne d’admiration ; malgré le désir qu’ils ont de s’instruire, ils choisissent le moment pour interroger, et ils ne le font pas publiquement, ce que saint Matthieu nous indique par ces paroles : « Alors ses disciples s’approchant, » etc. Saint Marc est encore plus explicite, et dit clairement qu’ils vinrent le trouver en particulier. — S. Jér. On peut se demander comment ils purent s’approcher du Seigneur, puisqu’il se trouvait alors dans la barque. Il faut l’entendre dans ce sens qu’ils étaient montés avec lui dans cette barque, et que c’est là qu’ils lui demandèrent l’explication de la parabole. — Remi. L’Évangéliste dit qu’ils s’approchèrent pour marquer qu’ils l’interrogèrent ; ou bien ils ont pu s’approcher réellement de lui, bien qu’il n’y eût qu’une légère distance qui les en séparât.

S. Chrys. (hom. 46.) Remarquez aussi avec quelle vive affection ils se préoccupent du soin et des intérêts du prochain, avant de penser à ce qui les concerne, car ils ne lui disent pas : « Pourquoi nous parlez-vous en paraboles, » mais : « Pourquoi leur parlez-vous en paraboles ? » « C’est, leur répond-il, que pour vous autres, il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux. » — Remi. Pour vous, dis-je, qui me suivez, et qui croyez en moi. Les mystères du royaume des cieux, c’est la doctrine évangélique ; mais pour eux, c’est-à-dire pour ceux qui sont au dehors et ne veulent pas croire en lui (les scribes, les pharisiens et tous les autres qui persévèrent dans leur infidélité), il ne leur a pas été donné de les comprendre. Joignons-nous donc aux disciples pour approcher du Seigneur avec un cœur pur, afin qu’il daigne nous expliquer la doctrine de I’Évangile, selon cette parole du Deutéronome (Dt 33) : « Ceux qui se tiennent à ses pieds recevront sa doctrine. » — S. Chrys. (hom. 46.) En parlant de la sorte, Notre-Seigneur n’établit pas le système de la nécessité ou de la fatalité ; il veut simplement montrer que ceux qui n’ont pas reçu cette faveur sont eux-mêmes la cause de tous leurs maux, et que la connaissance des mystères divins est un don de Dieu et une grâce qui descend du ciel. Cependant le libre arbitre n’est pas pour cela détruit, ces paroles et celles qui suivent le prouvent évidemment. En effet, pour ne pas jeter dans le désespoir ceux qui n’ont pas reçu cette grâce, ou dans la négligence ceux à qui elle a été donnée, il nous dit clairement que la raison première de ces dons vient de nous : « Celui qui a déjà, on lui donnera encore, » etc., paroles dont voici le sens : Celui qui est plein d’ardeur et de zèle recevra en abondance tous les dons de Dieu, mais s’il en est dépourvu et qu’il ne prête en aucune manière son concours, il ne recevra pas les dons de Dieu, et il perdra même ce qu’il a ; non pas que Dieu le lui enlève, mais parce qu’il se rend indigne de conserver ce qu’il possède. Si donc nous voyons un de nos frères entendre la parole de Dieu avec négligence, et que nos efforts soient impuissants pour réveiller son attention, gardons le silence ; car en insistant davantage, nous ne ferions qu’accroître sa négligence. Mais pour celui qui a le désir de s’instruire, nous l’attirons facilement, et nous ne craignons pas de prolonger nos discours. Notre-Seigneur a bien raison de dire : « Ce qu’il paraît avoir ; » car il ne possède pas même ce qu’il a.

 

Remi. Celui qui a le désir de la lecture recevra le don de l’intelligence, et celui qui n’a pas ce désir, se verra enlever jusqu’aux dons qu’il tenait de la nature. Ou bien, celui qui a la charité recevra toutes les autres vertus ; mais celui qui n’a pas la charité en sera dépouillé, parce qu’il n’y a pas de bien possible sans la charité. — S. Jér. Ou bien encore, les Apôtres qui ont cru en Jésus-Christ, n’eussent-ils qu’une vertu médiocre, en recevront l’accroissement ; mais les Juifs, qui n’ont pas voulu croire en lui, bien qu’il fût le Fils de Dieu, se verront enlever même les biens naturels qu’ils paraissent avoir ; car ils ne peuvent rien comprendre avec sagesse, parce qu’ils n’ont pas en eux le principe de la sagesse. — S. Hil. (can. 13.) Ajoutons que les Juifs, n’ayant pas la foi, ont perdu la loi qu’ils avaient reçue ; car la foi chrétienne renferme tout don parfait ; dès qu’on l’a reçue, elle s’enrichit de nouveaux fruits ; mais si on la rejette, elle enlève jusqu’aux dons qu’on avait reçus précédemment.

 

S. Chrys. (hom. 46.) Notre-Seigneur veut rendre encore plus claire cette vérité, et il ajoute : « Je leur parle en paraboles, parce qu’en voyant ils ne voient point. » Si cet aveuglement venait de la nature, le Sauveur aurait dû leur ouvrir les yeux ; mais comme il était volontaire, il ne dit pas simplement : Ils ne voient pas, mais « en voyant, ils ne voient pas. » Ils l’ont vu, en effet, chasser les démons, et ils ont dit : « C’est par Béelzébub qu’il chasse les démons. » (Mt 12.) Ils entendaient dire qu’il attirait tout le monde à Dieu, et ils disaient : « Cet homme ne vient pas de Dieu. » (Jn 9.) Mais comme ils affirmaient le contraire de ce qu’ils voyaient et de ce qu’ils entendaient, ils perdent la faculté de voir et d’entendre. En effet, cette faculté, ne leur a servi de rien qu’à rendre leur condamnation plus terrible. Aussi dans le commencement il ne leur parlait pas en paraboles, mais en termes clairs et sans énigme, et il ne se sert de paraboles que parce qu’ils dénaturent tout ce qu’ils voient et tout ce qu’ils entendent. — Remi. Et remarquez que non-seulement ses paroles, mais encore ses actions elles-mêmes, étaient autant de paraboles, c’est-à-dire des symboles des choses spirituelles, ce que prouvent évidemment les paroles suivantes : « Parce qu’en voyant ils ne voient point ; » car on ne peut voir les paroles, mais seulement les entendre. — S. Jér. Notre-Seigneur parle ainsi de ceux qui sont sur le rivage, et qui, autant par suite de la distance qui les sépare de Jésus, que du bruit des flots, n’entendaient pas clairement ce qu’il disait.

 

S. Chrys. (hom. 46.) Afin qu’ils ne pussent dire : C’est notre ennemi qui nous accuse, il leur cite le Prophète qui rend pleinement témoignage à ce qu’il vient de dire : « Et la prophétie d’Isaïe s’accomplit en eux : vous entendrez de vos oreilles, et vous ne comprendrez pas, et en voyant, vous ne verrez pas », c’est-à-dire vous entendrez de vos oreilles des paroles, mais vous n’en comprendrez pas le sens ; vous verrez de vos yeux mon humanité, et vous ne verrez pas, c’est-à-dire vous ne comprendrez pas ma divinité. — S. Chrys. (hom. 46.) Il leur parle de la sorte, parce qu’ils se sont privés eux-mêmes de la faculté de voir et d’entendre en fermant leurs oreilles et leurs yeux, et en laissant leur cœur s’appesantir ; car leur crime n’était pas seulement de ne pas entendre, mais d’être contrariés d’entendre ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Leur cœur s’est appesanti. » — Rab. Le cœur des Juifs s’est appesanti sous le poids de leur malice, et c’est la multitude de leurs péchés qui leur a fait entendre avec peine les paroles du Seigneur qu’ils recevaient avec une superbe ingratitude. — S. Jér. De peur que nous ne pensions que cet appesantissement du cœur et cette surdité de l’ouïe étaient un vice de la nature et non de la volonté, il prouve que c’était la suite du mauvais usage de leur liberté en ajoutant : « Et ils ont fermé les yeux. »

 

S. Chrys. (hom. 46.) Jusqu’ici il a fait voir l’étendue de leur malice et leur éloignement affecté à l’égard de Dieu ; mais comme son désir est de les attirer à lui, il ajoute : « Et que s’étant convertis, je ne les guérisse, » paroles qui prouvent que s’ils voulaient se convertir, il les guérirait. Ainsi lorsqu’on dit d’une personne quelconque : S’il m’en avait prié, je lui aurais immédiatement pardonné, on déclare à quelles conditions le pardon est offert ; de même en disant : « De peur que s’étant convertis je ne les guérisse, » Notre-Seigneur montre et qu’il leur est possible de se convertir, et qu’en faisant pénitence ils seront sauvés.

S. Aug. (Quest. évang.). Ou bien encore, ils ont fermé les yeux afin de ne pas voir de leurs yeux, c’est-à-dire qu’eux-mêmes ont été cause que Dieu leur a fermé les yeux, comme le dit un autre Évangéliste (Jn 12) : « Il a aveuglé leurs yeux. » Est-ce de telle sorte qu’ils ne voient jamais, ou bien est-ce afin qu’ils ne voient point en regrettant et en déplorant leur aveuglement, de manière qu’étant profondément humiliés de cet état, ils soient amenés à confesser leurs péchés et à chercher Dieu avec amour ? C’est ainsi que saint Marc l’entend : « De peur qu’ils ne viennent à se convertir, et que leurs péchés ne leur soient pardonnés. » (Mc. 4.) Nous voyons donc clairement que par leurs péchés ils se sont rendus indignes de comprendre, et que cependant, par un effet de la miséricorde de Dieu, ils ont pu connaître leurs péchés, et en obtenir le pardon par leur conversion. Mais la manière dont saint Jean rapporte ce passage : « Ils ne pouvaient croire, parce que, Isaïe a dit encore : Il a aveuglé leurs yeux, et il a endurci leur cœur, de peur qu’ils ne voient de leurs yeux, et ne comprennent du cœur, et qu’ils se convertissent, et que je les guérisse, » paraît contredire cette explication, et nous force d’entendre ces paroles : « De peur qu’ils ne voient de leurs yeux, » non pas d’un aveuglement qui leur permettra de voir un jour, mais dans ce sens que cet aveuglement sera perpétuel. En effet, saint Jean dit clairement : « Afin qu’ils ne voient pas de leurs yeux, » et en ajoutant : « C’est pour cela qu’ils ne pouvaient pas croire, » il montre assez que cet aveuglement n’a pas eu lieu, afin que, vivement touchés de cet état et regrettant de ne pas comprendre, ils se convertissent en faisant pénitence (car c’est ce qu’ils ne pourraient faire sans croire tout d’abord, puisque la foi est ce principe de leur conversion, comme la conversion est le principe de leur guérison, et leur guérison la condition nécessaire pour comprendre) ; mais cet Évangéliste nous déclare, au contraire, qu’ils ont été aveuglés, de manière que la foi leur fût impossible, puisqu’il dit ouvertement : « C’est pour cela qu’ils ne pouvaient croire. » Or, s’il en est ainsi, qui ne prendrait la défense des Juifs et ne proclamerait qu’ils ne sont nullement coupables de n’avoir pas cru ? Car s’ils n’ont pas cru, c’est que Dieu a aveuglé leurs yeux. Mais comme nous ne devons point supposer l’ombre de faute en Dieu, il nous faut reconnaître que certains autres péchés ont été causes de cet aveuglement qui leur a rendu la foi impossible. Car voici comme s’exprime saint Jean : « Ils ne pouvaient croire, parce qu’Isaïe a dit encore : Il a aveuglé leurs yeux. » C’est donc en vain que nous nous efforçons de comprendre qu’ils ont été aveuglés à cette fin qu’ils pussent se convertir, puisqu’au contraire ils ne pouvaient pas se convertir parce qu’ils ne croyaient pas, et qu’ils ne pouvaient croire parce qu’ils étaient aveugles. Toutefois on peut dire, avec quelque apparence de raison, qu’un certain nombre de Juifs auraient pu être guéris, mais que cependant l’excès de leur orgueil était monté à un tel point, qu’il leur était avantageux de ne pas croire tout d’abord. Ils ont donc été aveuglés pour ne pas comprendre les paraboles du Seigneur ; ne les comprenant pas, ils ne crurent pas en lui, et ne croyant pas en lui, ils le crucifièrent avec les autres Juifs qui étaient perdus sans espoir. Mais après la résurrection ils se convertirent, alors que profondément humiliés du crime du déicide qu’ils avaient commis, ils aimèrent avec plus d’ardeur celui qu’ils reconnaissaient avec joie leur avoir pardonné un si grand crime ; car il fallait que la grandeur de leur orgueil fût abattue par cet excès d’humiliation. Cette explication pourrait paraître singulière si les faits ne lui donnaient raison, comme nous le lisons expressément au livre des Actes (2, 37). La manière dont saint Jean s’exprime : « C’est pour cela qu’ils ne pouvaient croire, parce qu’il a aveuglé leurs yeux, afin qu’ils ne voient point, » ne lui est pas contraire ; nous disons, en effet, qu’ils ont été aveuglés, afin qu’ils pussent se convertir, c’est-à-dire que les paroles du Seigneur leur furent d’abord cachées sous le voile des paraboles, afin qu’après sa résurrection, ils fussent ramenés à lui par une pénitence salutaire. Aveuglés d’abord par l’obscurité de ce langage, ils ne comprirent pas les paroles du Seigneur ; ne les comprenant pas, ils ne crurent pas en lui, et ne croyant pas en lui, ils le crucifièrent. Mais après sa résurrection, saisis d’épouvante à la vue des miracles qui se faisaient en son nom, ils furent touchés jusqu’au fond du cœur de l’énormité d’un si grand crime, et donnèrent les preuves du plus humble repentir, et lorsqu’ils eurent reçu le pardon de leurs péchés, leur obéissance fut d’autant plus grande que leur amour était plus ardent ; mais cet aveuglement ne fût pas ainsi pour tous le principe de leur conversion. — Remi. Cette phrase peut être entendue en ce sens qu’à chaque membre on sous-entende la particule négative ; afin qu’ils ne voient pas de leurs yeux, qu’ils n’entendent pas de leurs oreilles, qu’ils ne comprennent pas de leur cœur, et qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse.

La Glose. Les yeux de ceux qui voient et ne veulent pas croire sont donc bien malheureux. Mais pour vous, vos yeux sont heureux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent. » — S. Jér. Si nous n’avions pas lu plus haut que, pour exciter l’attention de ceux qui l’écoutaient, le Sauveur avait dit : « Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre, » nous aurions pu croire que ce sont les yeux et les oreilles du corps qu’il proclame bienheureux. Mais pour moi, ces yeux sont heureux qui peuvent connaître les mystères de Jésus-Christ, et heureuses ces oreilles dont Isaïe a dit : « Le Seigneur m’a donné une oreille pour l’écouter. » La Glose. En effet, l’âme est véritablement un oeil, parce qu’elle s’applique par son énergie naturelle à l’intelligence des choses ; l’âme est aussi l’oreille parce qu’elle peut recevoir les enseignements des autres. — S. Hil. (can. 43.) Ou bien il veut parler ici du bonheur des Apôtres, à qui il fut donné de voir de leurs yeux et d’entendre de leurs oreilles le salut de Dieu, que les prophètes et les justes avaient désiré voir et entendre, et qui ne devait être révélé que dans la plénitude des temps, comme Notre-Seigneur le dit en termes exprès : « Car je vous dis en vérité, que beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont point entendu.

S. Jér. Ce que le Sauveur dit ici paraît contraire à ce qu’il dit ailleurs : « Abraham a désiré voir mon jour, et il l’a vu, et il en a été réjoui. » Rab. Isaïe lui-même, Michée et d’autres prophètes ont vu la gloire du Seigneur, et c’est pour cela qu’ils ont été appelés voyants. — S. Jér. Aussi ne dit-il pas : Tous les prophètes et tous les justes, mais plusieurs, car dans ce nombre, les uns ont pu voir, et les autres être privés de cette faveur. Toutefois cette interprétation n’est pas sans danger, car elle paraît établir entre les saints différents degrés de mérite (quant à la foi qu’ils avaient en Jésus-Christ). Abraham vit sous des emblèmes, sous des nuages obscurs ; mais vous avez sous vos yeux et vous possédez votre Seigneur, vous l’interrogez comme vous voulez, et vous vivez avec lui. — S. Chrys. (hom. 46.) Ce que les Apôtres voient et entendent, c’est sa présence, ses miracles, sa voix, sa doctrine, et en cela il proclame leur sort préférable non-seulement à celui des méchants, mais encore à celui des bons qui les ont précédés, et il les déclare plus heureux que les anciens justes, parce qu’ils voient non-seulement ce que les Juifs ne voient point, mais encore ce que les prophètes et les justes ont désiré voir et n’ont pas vu. En effet, les anciens justes n’ont vu le Christ que par la foi, tandis que les Apôtres le voient de leurs yeux et sans obscurité. Admirez le parfait accord de l’Ancien Testament avec le Nouveau. Si les prophètes avaient été les serviteurs d’un dieu étranger ou opposé au vrai Dieu, jamais ils n’auraient désiré voir le Christ.

 

vv. 18-23.

La Glose. Notre-Seigneur avait déclaré plus haut qu’il n’a pas été donné aux Juifs, mais seulement aux Apôtres, de connaître le royaume de Dieu. Comme conséquence de ces paroles, il leur dit : « Pour vous, écoutez donc la parabole de celui qui sème, » vous à qui sont communiqués les mystères du ciel.

S. Aug. (sur la Genèse, 8, 4.) Ce que l’Évangéliste raconte, c’est-à-dire que le Seigneur a parlé de la sorte, a véritablement eu lieu ; mais le récit du Seigneur n’a été qu’une parabole, et dans ce genre de récit on n’exige pas que toutes les circonstances qui le composent aient leur application littérale. — La Glose. Notre-Seigneur explique ensuite cette parabole : « Celui qui écoute la parole du royaume et ne la comprend pas, » phrase qu’il faut entendre ainsi : « Tout homme qui entend la parole, » c’est-à-dire ma prédication, laquelle donne les moyens de mériter le royaume des cieux, et qui ne comprend pas. Or, d’où vient ce défaut d’intelligence ? Le voici : « L’esprit malin, c’est-à-dire le démon, vient, et il enlève ce qui avait été semé dans son cœur. Or, tout homme à qui ce malheur arrive, c’est celui qui a été semé le long du chemin. Remarquez aussi que le mot semer s’entend de différentes manières : on dit d’une semence qu’elle a été semée, et aussi d’un champ qu’il a été semé, et nous voyons ici cette double signification. Dans cette phrase : « Il enlève ce qui a été semé, » c’est de la semence qu’il est question ; dans cette autre : « Celui qui a été semé le long du chemin, » ce n’est pas de la semence, mais du lieu où elle été répandue, c’est-à-dire de l’homme, qui est le champ ensemencé par la parole de Dieu.

Remi. Dans ces paroles, Notre-Seigneur nous explique ce que c’est que la semence, c’est-à-dire la parole du royaume ou de la doctrine évangélique. Il en est qui reçoivent la parole de Dieu sans aucune affection ; aussi les démons enlèvent aussitôt la semence de la parole divine répandue dans leur cœur, comme une semence tombée sur un chemin battu. « Celui qui est semé sur la pierre écoute la parole, mais il n’a pas de racines. » En effet, la semence ou la parole de Dieu qui tombe sur la pierre, c’est-à-dire sur un cœur dur et indompté, ne peut fructifier ; sa dureté est trop grande, son désir du ciel trop faible, et cette excessive dureté ne lui permet pas d’avoir de racines. — S. Jér. Faites attention à cette parole : « Il est aussitôt scandalisé. » Il y a donc une différence entre celui que l’excès des tribulations et de la douleur force pour ainsi dire de renier Jésus-Christ, et celui que le premier vent de la persécution scandalise et fait tomber. — « Celui qui est semé au milieu des épines, » etc. Ce qui a été dit autrefois à Adam dans un sens littéral : « Tu mangeras ton pain au milieu des ronces et des épines (Gn 2) » s’entend ici dans le sens allégorique de tout homme qui se livre aux voluptés du siècle et aux soins de ce monde et qui par là mange le pain céleste et l’aliment de la vérité au milieu des épines. — Rab. C’est avec raison que Notre-Seigneur appelle ces plaisirs des épines, parce qu’ils déchirent l’âme avec les pointes aiguës de leurs pensées, étouffent dans leur germe les fruits spirituels des vertus et ne leur permettent pas de se développer. — S. Jér. Cette expression : « La séduction des richesses étouffe la parole » est aussi élégante que vraie, car les richesses sont séduisantes, et elles ne tiennent pas ce qu’elles ont promis. Rien de plus fragile que leur possession ; elles portent tantôt d’un côté, tantôt de l’autre leur faveur inconstante, ou bien elles abandonnent celui qui les possédait, ou bien elles viennent enrichir ceux qui en étaient dépourvus : aussi le Seigneur affirme-t-il qu’il est difficile aux riches d’entrer dans le royaume des cieux (Mc 10, 23 ; Lc 15, 34), parce que les richesses étouffent la parole de Dieu et amollissent la vigueur des vertus. — Remi. Ces trois natures de terre différentes représentent tous ceux qui peuvent entendre la parole de Dieu, mais qui ne peuvent lui faire produire des fruits de salut, à l’exception des Gentils, qui n’ont pas même mérité de l’entendre. « Enfin celui qui reçoit la semence dans la bonne terre. » La bonne terre, c’est la conscience pure des élus, l’âme des saints qui reçoit la parole de Dieu avec joie, avec désir, avec amour, qui la conserve courageusement dans la prospérité comme dans l’adversité, et lui fait produire des fruits. « Et il porte du fruit, et rend cent, ou soixante, ou trente pour un. »

S. Jér. Remarquez que comme il y a trois sortes de mauvaises terres, le chemin, la pierre et le champ couvert d’épines, il y a de même trois espèces différentes de bonnes terres : celle qui rend cent pour un, celle qui rend soixante, celle qui rend trente. Et ce qui fait cette différence, ce n’est pas la nature de la terre, qui est la même d’un côté comme de l’autre, mais la volonté. Or, dans les incrédules comme dans ceux qui croient, c’est le cœur qui reçoit la semence ; c’est pour cela que Notre-Seigneur a dit de la première espèce de terre : « L’esprit malin vient et enlève ce qui a été semé dans son cœur, » et des deux autres : « C’est celui qui reçoit la parole. » Lorsqu’il en vient à la bonne terre, il dit également : « C’est celui qui reçoit la parole. » Nous devons donc d’abord entendre, puis comprendre, et, après avoir compris, produire les fruits des enseignements que nous avons reçus, et rendre ou cent, ou soixante, on trente pour un. — S. Aug. (Cité de Dieu, 2, chap. dern.) Il en est qui entendent ce passage dans ce sens que les saints, suivant la diversité de leurs mérites, pourront délivrer, les uns trente âmes, les autres soixante, d’autres enfin cent, au jour du jugement, et non dans les temps qui suivront. Or, un sage, voyant que les hommes abusaient pour faire le mal de cette opinion et se promettaient l’impunité au jour du jugement, parce que tous pourraient être sauvés par cette voie, leur répondit qu’il était bien plus prudent de vivre de manière à se trouver parmi ceux dont l’intercession devait délivrer les autres. En effet, ils pourraient être si peu nombreux que, lorsque chacun d’eux aurait délivré le nombre qui lui est assigné, il en restât un plus grand nombre qui ne pourraient être sauvés par leur intercession, et parmi ces derniers se trouveraient tous ceux qui, par une témérité sans fondement, avaient mis toute leur confiance dans les mérites des autres.

Remi. Celui qui prêche la foi en la sainte Trinité rend trente pour un ; soixante pour un, celui qui recommande la perfection dans les bonnes oeuvres, car c’est en six jours que l’oeuvre de la création fut achevée (Gn 2) ; et cent pour un, celui qui promet la vie éternelle, car le nombre cent passe de la gauche à la droite. Or, par la gauche, il faut entendre la vie présente, et par la droite la vie future. Dans un autre sens, la parole de Dieu rend trente pour un lorsqu’elle fait germer les bonnes pensées ; soixante, lorsqu’elle produit les bonnes paroles ; cent, lorsqu’elle fait arriver jusqu’aux fruits des bonnes oeuvres.

 

S. Aug. (Quest. évang., 1, 10.) Ou bien le nombre cent, c’est le fruit que produisent les martyrs ou par la sainteté de leur vie ou par le mépris qu’ils font de la mort ; le nombre soixante, c’est le fruit que rendent les vierges qui, goûtant les douceurs du repos intérieur, n’ont plus à soutenir les combats de la chair ; en effet, on donne la retraite après l’âge de soixante ans aux soldats ou aux fonctionnaires publics ; le nombre trente est celui des époux, car c’est l’âge de ceux qui sont appelés à combattre, et ils ont en effet les plus rudes assauts à soutenir pour ne pas être vaincus par leurs passions. Ou bien il faut lutter contre l’amour des biens temporels pour lui disputer la victoire ; ou bien il faut le tenir dompté et soumis pour réprimer avec facilité ses moindres mouvements, lorsqu’il veut se soulever ; ou enfin, il faut l’éteindre entièrement de manière à ce qu’il ne puisse plus exciter la moindre émotion dans notre âme. Voilà pourquoi nous voyons les uns affronter la mort avec courage pour la défense de la vérité, les autres sans s’émouvoir, d’autres enfin avec joie. Ces trois degrés de vertu correspondent aux fruits que peuvent donner les trois espèces de terre : l’une trente, l’autre soixante, l’autre cent pour un, et il faut au moment de la mort faire partie d’une de ces trois espèces de terre si l’on veut sortir de cette vie dans les conditions qui assurent la récompense.

S. Jér. — Ou bien encore la terre qui rend cent pour un, signifie les vierges ; celle qui rend soixante, les veuves ; celle qui rend trente ceux qui mènent une vie chaste dans l’état du mariage. Ou bien enfin le nombre trente est une figure du mariage, parce que ce nombre, qui s’exprime par le rapprochement des doigts qui s’unissent par un doux embrassement, représente l’union de l’homme et de la femme. Le nombre soixante représente les veuves qui vivent dans les larmes et dans la tribulation (aussi le nombre soixante s’exprime en abaissant le doigt inférieur), car leur récompense est d’autant plus grande qu’il leur est plus difficile de résister aux séductions de la volupté dont elles ont déjà fait l’épreuve. Enfin, le nombre cent, pour lequel la main droite remplace la main gauche et qui s’exprime par le cercle que forment les mêmes doigts de cette main, représente la couronne de la virginité.

 

vv. 24-30.

S. Chrys. (hom. 47 sur S. Matth.) Dans la parabole précédente, le Seigneur s’est proposé ceux qui ne reçoivent pas la parole de Dieu ; ici il veut parler de ceux qui reçoivent une parole de corruption, car c’est un des artifices du démon de mêler toujours l’erreur à la vérité : « Il leur proposa une autre parabole, » etc. — S. Jér. Notre-Seigneur agit comme un homme riche qui sert à ses convives une table couverte de mets variés, où chacun peut choisir dans cette variété ce qui convient à son estomac. L’Évangéliste ne dit pas « l’autre parabole, » mais « une autre parabole, » car s’il avait dit « l’autre, » nous n’aurions pu en espérer une troisième, tandis qu’en disant « une autre, » il nous fait entendre que d’autres paraboles doivent la suivre. Il nous explique ensuite le sujet de cette parabole en disant : « Le royaume des cieux est semblable à un homme qui sème de bon grain, » etc. — Remi. Le royaume des cieux, c’est le Fils même de Dieu, et le royaume est semblable à un homme qui a semé de bon grain dans son champ. — S. Chrys. (hom. 47.) Il nous apprend ensuite de quelle manière le démon tend ses embûches : « Pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint et sema de l’ivraie au milieu du blé, et il s’en alla. » Notre-Seigneur nous enseigne par là que l’erreur ne vient qu’après la vérité, ce que l’expérience ne prouve que trop. En effet, ce n’est qu’après les prophètes que sont venus les faux prophètes ; après les Apôtres, les faux apôtres ; après le Christ, l’Antéchrist. Si le démon ne voit rien qu’il puisse imiter, s’il ne voit personne qu’il puisse faire tomber dans le piége, il s’abstient de tenter ; mais comme il voit ici que l’un rend cent pour un, l’autre soixante, l’autre trente, et qu’il n’a pu enlever ou étouffer ce qui a pris racine, il a recours à d’autres artifices, il mêle les erreurs à la vérité ; il leur en donne autant qu’il peut la couleur et la ressemblance pour tromper plus facilement ceux sur qui la séduction exerce depuis longtemps son empire. C’est pour cela que Notre-Seigneur ne dit pas qu’il y sème une autre semence, mais de l’ivraie, parce qu’elle a quelque ressemblance pour la forme avec le grain de froment. Le démon fait éclater encore sa malignité en ne répandant l’ivraie que lorsque les semailles étaient terminées, afin de nuire davantage aux travaux du laboureur.

 

S. Aug. (Quest. évang.) Il ajoute : « Lorsque les hommes dormaient. » C’est en effet lorsque les premiers pasteurs de l’Église se laissèrent aller à la négligence, ou bien lorsque les Apôtres se sont endormis du sommeil de la mort, que le démon est venu et qu’il a semé par-dessus la bonne semence ceux que le Seigneur appelle les mauvais enfants. On peut demander avec raison s’il a voulu désigner par là les hérétiques, ou bien les catholiques dont la vie n’est pas conforme à leur foi. Il nous dit qu’ils ont été semés au milieu du froment, il semble donc qu’il a voulu désigner ceux qui appartiennent à une même communion. Cependant, comme lui-même nous déclare que ce champ est non-seulement l’Église, mais le monde entier, on peut très-bien voir dans cette ivraie les hérétiques qui dans ce monde se trouvent mêlés aux justes. Ceux qui conservent la vraie foi tout en la déshonorant par leur vie sont plutôt semblables à la paille qu’à l’ivraie, parce que la paille a la même origine et la même racine que le froment. Quant aux schismatiques, ils ressemblent bien plus aux pailles brisées ou coupées que l’on sépare de la moisson. Il ne faut pas en conclure cependant que tout hérétique et tout schismatique soient extérieurement séparés de l’Église ; l’Église en renferme un grand nombre dans son sein qui n’attirent pas l’attention de la multitude en défendant leurs erreurs d’une manière éclatante. S’ils le faisaient, l’Église les retrancherait de la communion. — Et plus bas : Lors donc que le démon en répandant ses détestables erreurs et ses fausses doctrines eut semé de l’ivraie au milieu du blé, c’est-à-dire eut jeté les hérésies sur la vérité en se couvrant du nom du Christ, il se cacha avec plus de soin et se rendit invisible ; c’est ce que Notre-Seigneur veut exprimer par ce mot : « Et il s’en alla. » Il faut cependant admettre, comme il l’explique lui-même, que sous le nom d’ivraie il a voulu comprendre non pas seulement quelques scandales, mais tous les scandales et tous ceux qui opèrent l’iniquité.

S. Chrys. (hom. 47.) Notre-Seigneur, dans ce qui suit, nous trace avec soin le portrait des hérétiques : « Lorsque l’herbe eut poussé et qu’elle fut montée en épis, alors l’ivraie parut elle-même. » Les hérétiques dissimulent d’abord leur présence, mais lorsque leur confiance s’est accrue, qu’ils sont parvenus à se faire écouter, et qu’ils ont fait quelques prosélytes, ils répandent leur venin. — S. Aug. (Quest. évang.) (cf. 1 Co 2, 15). Ou bien dans un autre sens, lorsque l’homme spirituel commence à juger toutes choses, alors les erreurs se dessinent à ses yeux, il voit clairement que ce qu’il a entendu, ce qui a fait l’objet de ses lectures s’éloignait de la règle de la vérité ; mais tant qu’il n’a pas atteint la perfection spirituelle, la vue de tant d’erreurs, de tant d’hérétiques qui se sont couverts du nom du Christ, peut faire impression sur lui, comme nous le voyons dans la suite de la parabole : « Alors les serviteurs du père de famille vinrent le trouver, et lui dirent : Seigneur, n’avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? » Ces serviteurs sont-ils les moissonneurs dont il sera bientôt question ? Notre-Seigneur lui-même, dans l’explication de la parabole, nous dit que les moissonneurs sont les anges, et comme on ne peut dire que les anges ignoraient quel était celui qui avait semé l’ivraie au milieu du blé, il faut entendre par ces serviteurs les fidèles eux-mêmes ; et il n’y a rien d’étonnant s’il les désigne en même temps comme étant la bonne semence, car une même chose peut être représentée sous différentes figures, suivant le rapport sous lequel on la considère ; c’est ainsi que le Sauveur a dit de lui-même qu’il était la porte, et aussi qu’il était le pasteur.

Remi. Ils s’approchent de Dieu, non par le mouvement du corps, mais par le cœur et par le désir de l’âme, et Notre-Seigneur leur apprend que cela est arrivé par la malice du démon : « C’est l’homme ennemi qui a fait cela. » — S. Jér. Le démon est appelé l’homme ennemi, parce qu’il a cessé d’être Dieu ; et c’est de lui qu’il est écrit au psaume neuvième : « Levez-vous, Seigneur, que l’homme ne s’affermisse pas dans sa puissance. » Aussi celui qui est placé à la tête de l’Église ne doit pas se laisser aller au sommeil, de peur que l’homme ennemi ne profite de sa négligence pour semer par dessus le bon grain l’ivraie, c’est-à-dire les erreurs des hérétiques. — S. Chrys. (hom. 47.) Notre-Seigneur l’appelle l’homme ennemi, à cause du mal qu’il fait aux hommes. C’est sur nous que tombent les effets de sa haine, quoique la cause du mal qu’il nous fait soit non pas son inimitié contre nous, mais son opposition contre Dieu. — S. Aug. (Quest. évang.) Lorsque le serviteur de Dieu aura compris que le démon n’avait recours à cette manoeuvre frauduleuse que parce qu’il sentait qu’il ne pouvait rien contre la puissance d’un nom si grand, et qu’il était obligé de couvrir ses fourberies du prestige de ce nom, il peut sentir en lui le désir de faire disparaître de tels hommes du commerce des choses humaines, s’il en avait le temps ; mais il consulte la justice de Dieu, pour savoir s’il doit le faire. « Les serviteurs lui dirent Voulez-vous que nous allions l’arracher ? » — S. Chrys. (hom. 47.) Nous pouvons admirer ici le zèle et la charité de ces serviteurs : ils ont hâte d’aller arracher l’ivraie, preuve de leur sollicitude pour la semence ; ils n’ont en vue qu’une chose, ce n’est pas de faire punir qui que ce soit, mais que les semences ne soient pas perdues. Quelle fut la réponse du Seigneur ? « Et il leur répondit : Non. » — S. Jér. Dieu veut laisser le temps au repentir, et il nous enseigne à ne pas nous hâter de retrancher un de nos frères de la communion des fidèles, car il peut arriver que celui-là même, dont l’esprit est perverti par une erreur dangereuse, se convertisse et devienne un zèle défenseur de la vérité ; c’est pour cela qu’il ajoute : « De crainte qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le froment. » S. Aug. (Quest. évang.) Cette réponse est des plus propres à les calmer et à leur inspirer une grande patience. Le père de famille répond de la sorte, parce que les bons qui sont encore faibles ont besoin dans certaines circonstances d’être mêlés aux méchants, soit afin que ce mélange serve d’épreuve à leur vertu, ou afin que ce rapprochement soit pour les méchants une exhortation puissante à devenir meilleurs. Ou bien peut-être le blé est déraciné lorsqu’on arrache l’ivraie, parce qu’il en est beaucoup qui ne sont d’abord que de l’ivraie et qui deviennent ensuite froment. Or, si on ne les supportait avec patience lorsqu’ils sont mauvais, on ne verrait jamais en eux ce changement admirable ; si donc on les arrache, on déracine en même temps le froment, puisqu’ils devaient devenir froment si on les eût épargnés. Dieu veut donc qu’on ne les arrache pas de cette vie, car en s’efforçant de faire périr les méchants on s’exposerait à faire périr les bons, puisqu’ils deviendront peut-être bons ; ou à nuire aux bons eux-mêmes puisque les méchants sont pour eux une occasion involontaire de vertu. Ce retranchement se fera donc bien plus à propos lorsqu’à la fin ils n’auront plus le temps de changer de vie, et que le spectacle de leurs erreurs ne pourra plus être pour les bons une occasion de progrès dans la vérité ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, » c’est-à-dire jusqu’au jugement.

S. Jér. Cette recommandation paraît en opposition avec ce précepte : « Faites disparaître le mal du milieu de vous. » (1 Co 5.) Car s’il nous est défendu d’arracher, et si nous devons attendre avec patience la moisson, comment pouvons-nous en retrancher quelques-uns du milieu de nous ? Le froment et l’ivraie (en latin lolium) se ressemblent beaucoup tant qu’ils sont en herbe et que leur tige n’est pas encore couronnée d’épis, et il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de les distinguer. Le Seigneur nous recommande donc de ne pas nous hâter de prononcer la sentence sur ce qui est douteux, et de laisser le jugement à Dieu, qui, au jour du jugement, rejettera de l’assemblée des saints, non pas sur de simples conjectures, mais pour des crimes évidents. — S. Aug. (contre la lettre de Parmen., 3, 2.) Lorsqu’un chrétien, dans le sein de l’Église, est reconnu coupable d’un crime qui mérite anathème, et qu’on n’a pas à craindre le schisme, qu’il soit soumis à l’anathème, avec un sentiment de charité qui se propose, non pas de le déraciner, mais de le corriger. S’il ne reconnaît pas sa faute, s’il n’en fait pas pénitence, il sera mis hors de l’Église, et séparé par sa propre volonté de la communion des fidèles. C’est pour cela que le Seigneur, après avoir dit : « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, » en donne cette raison : « De crainte qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le froment. » Il est donc évident que, lorsqu’on n’a pas à craindre cet inconvénient, et qu’on est tout à fait certain que le bon grain ne court aucun danger, c’est-à-dire lorsque le crime est connu de tous, et qu’il inspire une telle horreur qu’il ne trouve point de défenseur, ou au moins de défenseur qui puisse devenir l’auteur d’un schisme, on ne doit pas laisser dormir la sévérité de la discipline. La répression du crime sera d’autant plus efficace, que les lois de la charité auront été plus respectées ; mais si le mal a gagné la multitude, la seule chose utile à faire, c’est de s’affliger et de gémir. Il faut donc reprendre avec miséricorde ce qu’on peut corriger ; et ce qui est incorrigible, il faut le supporter avec patience, pleurer et gémir par un sentiment de charité jusqu’à ce que Dieu lui-même se charge de reprendre et de corriger, et attendre jusqu’à la moisson pour arracher l’ivraie et pour jeter la paille au vent. Mais lorsqu’on peut élever la voix au milieu du peuple, il faut atteindre la multitude des coupables par des reproches généraux, surtout si un fléau envoyé du Ciel nous offre l’occasion favorable de leur rappeler qu’ils ont reçu le châtiment qu’ils méritaient. Alors le malheur qui les frappe leur fait écouter avec humilité la parole qui leur démontre la nécessité de changer de vie, et cette parole inspire à leurs cœurs affligés les gémissements d’une confession pleine de repentir plutôt que les murmures de la résistance. Mais alors même qu’aucune calamité ne serait venu frapper les coupables, on peut, toutes les fois que l’occasion s’en présente, reprendre les vices de la multitude en s’adressant à elle directement ; car de même que les hommes s’irritent de ce qui leur est reproché en particulier, les reproches qui sont adressés à la multitude dont ils font partie excitent en eux des gémissements salutaires.

 

S. Chrys. (hom. 47.) Le Seigneur fait cette recommandation pour défendre les meurtres ; car mettre à mort les hérétiques, ce serait donner naissance à une guerre implacable dans l’univers. Et c’est pour cela qu’il a dit : « De peur que vous n’arrachiez le blé, » c’est-à-dire si vous recourez aux armes, si vous mettez à mort les hérétiques, vos coups atteindront nécessairement un grand nombre de saints. Ce qu’il défend, ce n’est donc point de jeter en prison les hérétiques, et de s’opposer à la licence de leurs prédications, à la réunion de leurs synodes, et de rendre inutiles leurs efforts, mais de les mettre à mort. — S. Aug. (Lettre 18 à Vinc.) C’était d’abord mon sentiment qu’il ne fallait forcer personne d’embrasser l’unité du Christ, mais agir simplement par la parole, combattre par la discussion, vaincre par la raison, afin d’éviter d’avoir pour catholiques hypocrites ceux que nous avions pour hérétiques déterminés. Cependant mon opinion était combattue, si non par des raisons, du moins par des exemples contraires. En effet, la frayeur qu’inspirent ces lois promulguées par des rois qui servent le Seigneur avec crainte, produit les plus heureux effets (cf. Ps 2, 10.11). Ainsi les uns disent : C’était depuis longtemps notre volonté, mais grâces soient rendues à Dieu qui nous a fourni l’occasion favorable, et ôté tout prétexte de différer ; d’autres : Nous savions que c’était la vérité, mais nous étions retenus par je ne sais quelles habitudes ; grâces à Dieu qui a brisé nos liens ; d’autres : Nous ne savions pas que telle était la vérité et nous n’avions aucun désir de l’apprendre, mais la crainte nous a forcés d’y être attentifs et de prendre les moyens de la connaître ; grâces au Seigneur qui a secoué notre négligence avec l’aiguillon de la terreur ; d’autres encore : Nous craignions d’entrer dans l’Église, retenus par de faux bruits dont nous n’aurions pas reconnu la fausseté si nous n’y étions pas entrés, et nous n’y serions pas entrés si une contrainte salutaire ne nous eût forcés ; grâces à Dieu qui par cette sévérité a fait cesser nos hésitations et nous a fait connaître par expérience la futilité et la fausseté des bruits que des voix trompeuses répandaient sur son Église ; d’autres enfin : Nous pensions qu’il importait peu de croire en Jésus-Christ dans une religion ou dans une autre ; mais grâces au Seigneur qui a mis un terme à notre séparation et nous a enseigné que le seul culte agréable à Dieu est celui qui lui est rendu dans l’unité. Que les rois de la terre se montrent donc les serviteurs du Christ en publiant des lois en faveur de la religion du Christ. — S. Aug. (Lettre 50 au comte Bonif.) Quel est celui d’entre vous qui voudrait, je ne dis pas qu’un hérétique périsse, mais qu’il éprouvât même la moindre perte ? Cependant la maison de David ne put recouvrer la paix qu’après que son fils Absalon eut été enseveli dans la guerre impie qu’il faisait contre son père (2 R 18) ; quoique David eût recommandé avec le plus grand soin aux chefs de son armée de prendre tous les moyens pour conserver la vie à son fils et que son cœur de père n’attendît que son repentir pour lui pardonner. Mais lorsqu’il fut tombé victime de sa rébellion, que resta-t-il à son père que de pleurer sa mort et de se consoler par la pensée que son royaume avait recouvré la paix ? C’est ainsi que notre mère, la sainte Église catholique, lorsqu’elle rassemble dans son sein un grand nombre de ses enfants au prix de la perte de quelques-uns, adoucit et calme la douleur de son cœur maternel par le spectacle de tant de peuples affranchis et délivrés de l’erreur. Que veut donc dire ce qu’ils ne cessent de crier : N’est-on pas libre de croire ou de ne pas croire ? A qui donc le Christ a-t-il fait violence ? Quel est celui qu’il a contraint d’embrasser la vérité ? Nous leur répondons par l’exemple de l’apôtre saint Paul, qui les force de reconnaître que Jésus-Christ a usé de violence à son égard avant de l’enseigner, qu’il l’a frappé avant de le consoler. Et il est remarquable que celui que Dieu a forcé par un châtiment extérieur de se soumettre à l’Évangile a travaillé à la propagation de l’Évangile plus que ceux dont la vocation n’avait été déterminée que par une seule parole. Pourquoi donc l’Église ne forcerait-elle pas ses enfants égarés de revenir dans son sein, alors que ces mêmes enfants en ont forcé tant d’autres à périr ?

 

« Et au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Ramassez d’abord l’ivraie et liez-la en bottes pour la brûler. » Remi. La moisson c’est le temps où l’on recueille, c’est-à-dire le jour du jugement où les bons seront séparés d’avec les mauvais. — S. Chrys. (hom. 47.) Mais pourquoi dit-il : « Arrachez d’abord l’ivraie ? » C’est pour ôter aux bons toute crainte que le blé ne partage le sort de l’ivraie. — S. Jér. Or, en commandant d’arracher l’ivraie pour la jeter au feu, et d’amasser le blé dans les greniers, il déclare ouvertement que les hérétiques et les hypocrites sont destinés à brûler dans les feux de l’enfer, et que les saints qu’il appelle le blé ou le bon grain seront recueillis dans les greniers, c’est-à-dire dans les demeures éternelles. — S. Aug. (Quest. évang.) On peut demander pourquoi il ne commande pas de faire une seule botte ou un seul tas de toute l’ivraie ; c’est peut-être à cause des différentes sortes d’hérétiques qui non-seulement sont séparés du bon grain, mais qui sont encore séparés entre eux. Il a donc voulu exprimer par ces bottes d’ivraie les conventicules de chaque hérésie, dont tous les membres sont unis entre eux par des liens communs. Or, ils sont liés ensemble et destinés au feu du moment qu’ils se séparent de la communion catholique et qu’ils commencent à former des Églises particulières. Mais ils ne seront jetés au feu qu’à la fin des temps, bien que depuis, longtemps ils soient réunis en bottes. Cependant s’il en était ainsi, il n’y en aurait pas un si grand nombre qui regretteraient leurs erreurs et les abjureraient pour rentrer dans l’Église catholique. Ce n’est donc qu’à la fin que les bottes seront liées, afin que leur opiniâtreté ne soit point punie sans discernement, mais que chacun d’eux soit puni d’une manière proportionnée à sa perversité.

 

Rab. Remarquez qu’en disant : « Il a semé du bon grain, » il nous fait connaître la bonne volonté dont les élus sont l’objet et qui est en eux ; en ajoutant : « L’ennemi vient, » etc., il nous avertit d’avoir à nous tenir sur nos gardes ; lorsque l’ivraie ayant crû, il dit : « C’est l’homme ennemi qui a fait cela, » il nous recommande la patience ; et en ajoutant plus bas : « De peur qu’en arrachant l’ivraie, » il nous donne l’exemple du discernement dont nous devons faire usage. Les paroles suivantes : « Laissez-les croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, » nous font un devoir de la longanimité, et il nous recommande la justice par celles qui terminent : « Liez-la en bottes pour la brûler. »

 

 

vv. 31-32.

S. Chrys. (hom. 47.) Notre-Seigneur venait de dire que trois parties de la semence étaient perdues et qu’une seule produisait du fruit et que dans cette dernière la perte est encore considérable à cause de l’ivraie qu’on a semée par dessus. Ses disciples pouvaient lui dire : Mais quels seront donc les fidèles, et quel sera leur nombre ? Il va au-devant de cette crainte en leur proposant la parabole du grain de sénevé : « Il leur dit encore cette autre parabole : Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé, » etc. — S. Jér. Le royaume des cieux, c’est la prédication de 1’Évangile et la connaissance des Écritures, qui conduisent à la vie et dont Notre-Seigneur dit aux Juifs : « Le royaume de Dieu vous sera enlevé. » Or, ce royaume du ciel est semblable à un grain de sénevé. — S. Aug. (Quest. Evang., liv. 1, quest. 2.) Le grain de sénevé figure la ferveur de la foi, à cause de la vertu qu’on lui attribue d’expulser le poison, c’est-à-dire tous les dogmes pervers des hérétiques.

 

« Qu’un homme prend et sème dans son champ. » — S. Jér. Cet homme qui sème dans son champ, c’est, d’après le sentiment le plus commun, le Sauveur qui sème la vérité dans l’âme des fidèles. Selon quelques autres, c’est l’homme lui-même qui sème dans son champ, c’est-à-dire dans son cœur. Or, quel est celui qui sème en nous si ce n’est notre intelligence et notre sentiment ? Ils reçoivent le grain de la prédication, et le nourrissant avec le suc de la foi, ils lui donnent la force de se développer dans le champ de notre cœur.

« Ce grain est la plus petite de toutes les semences. » La prédication de l’Évangile est la plus humble de toutes les doctrines, car au premier coup d’oeil elle n’obtient pas la croyance due à la vérité, en prêchant un homme-Dieu, un Dieu mort, et le scandale de la croix. Rapprochez-la des doctrines et des écrits des philosophes, de l’éclat de leur éloquence, de leurs discours étudiés, et vous reconnaîtrez combien la semence de 1’Évangile est inférieure aux autres semences.

S. Chrys. (hom. 47.) Ou bien la semence de l’Évangile est la plus petite, parce que les disciples étaient les plus faibles des hommes ; mais comme ils avaient en eux une grande vertu, leur prédication s’est répandue par toute la terre, comme l’indique la suite de la parabole : « Mais lorsqu’il a crû, il est le plus grand de tous les légumes, » c’est-à-dire de tous les dogmes. — S. Aug. (Quest. évang.) Les dogmes des sectes sont leurs propres sentiments, c’est-à-dire les opinions dont elles sont convenues. — S. Jér. La doctrine des philosophes, lorsqu’elle se développe, ne présente rien de piquant et n’a aucune apparence de vie, et sa nature molle et languissante ne produit que des plantes et des herbes que l’on voit bientôt se dessécher et périr. Au contraire, la prédication évangélique, qui paraissait peu de chose dans ses commencements lorsqu’elle fut semée, soit dans l’âme des fidèles, soit dans tout l’univers, n’a point produit de simples plantes, mais s’est élevée jusqu’à la hauteur d’un arbre, et sur les branches sont venus habiter les oiseaux du ciel, c’est-à-dire les âmes des fidèles ou les vertus qui sont consacrées au service de Dieu. « Et il devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent se reposer sur ses branches. » Je suis porté à croire que ces branches de l’arbre évangélique, qui sont sorties du grain de sénevé, figurent la variété des dogmes, sur lesquels chacun des oiseaux dont nous avons parlé vient se reposer. Prenons donc aussi nous-mêmes les ailes de la colombe (cf. Ps 54, 7) et élevons-nous bien haut, afin de pouvoir habiter sur les branches de cet arbre, nous construire un nid au milieu des vérités divines, et nous hâter de fuir la terre et de gagner le ciel.

 

S. Hil. (can. 43.) Ou bien encore le Seigneur se compare lui-même à ce grain de sénevé qui est d’un goût très piquant, la plus petite de toutes les semences, et dont la force augmente lorsqu’il est broyé.

 

S. Grég. (Moral., 19, 1.) Il est en effet ce grain de sénevé qui, après avoir été semé dans le jardin de sa sépulture, s’est élevé comme un grand arbre ; c’était un grain lorsqu’il mourut, ce fut un arbre lorsqu’il ressuscita ; c’était un grain par l’humilité de la chair, il devint un arbre par la puissance de sa majesté. — S. Hil. (can. 43.) Lorsque ce grain eut été semé dans la terre, c’est-à-dire lorsque le Sauveur fut tombé au pouvoir de la multitude, qu’il eut été livré par elle à la mort et que son corps eut été enseveli dans le tombeau comme un grain qu’on sème dans un champ, il devint plus grand que tous les légumes et surpassa de beaucoup la gloire des prophètes. La prédication des prophètes fut donnée comme une herbe salutaire au peuple d’Israël encore faible et infirme, mais aujourd’hui les oiseaux du ciel se reposent sur les branches de l’arbre. Ces branches de l’arbre, ce sont les Apôtres qui par la puissance du Christ se sont étendus sur toute la surface du monde pour lui donner un doux ombrage. C’est sur ces branches que toutes les nations de la terre viendront dans l’espérance d’y trouver la vie et un lieu de repos comme sur les branches d’un arbre, contre la violence des vents, c’est-à-dire contre les orages que soulève le souffle du démon. — S. Grég. (Moral., 19, 1.) Sur ces branches se reposent les oiseaux du ciel ; en effet, les saintes âmes qui s’élèvent au-dessus des pensées de la terre sur les ailes des vertus, se reposent des fatigues de la vie dans leurs saintes conversations et dans les consolations dont elles sont la source.

 

 

v. 33.

S. Chrys. (hom. 47.) C’est pour établir la même vérité que Notre-Seigneur propose la parabole du levain : « Il leur dit encore cette autre parabole : Le royaume des cieux est semblable au levain, » etc., c’est-à-dire : de même que le levain change et modifie une grande quantité de farine, en lui communiquant sa saveur ; ainsi vous changerez le monde entier. Et remarquez ici la sagesse du Sauveur ; il emprunte ses comparaisons à des faits naturels et il montre ainsi que de même qu’il est impossible que ces faits ne se produisent pas suivant leur nature, ainsi en est-il du royaume des cieux. Or, il ne dit pas simplement : Le levain qu’elle place, mais « qu’elle cache, qu’elle mêle, » paroles dont voici le sens : C’est ainsi que vous-mêmes vous triompherez de vos persécuteurs après vous être mêlés et confondus avec eux. Car de même que le levain, bien qu’il soit comme perdu dans la masse, n’est point détruit, mais communique insensiblement sa force à toute la pâte, ainsi en sera-t-il de votre prédication. Ne craignez donc pas les persécutions que je vous ai prédites, car elles ne serviront qu’à vous rendre plus éclatants et à vous faire triompher de tous vos ennemis. Notre-Seigneur prend ici les trois mesures de farine pour une grande quantité, et il donne au nombre trois la signification d’un nombre considérable et indéterminé. — S. Jér. La mesure dont il est ici question est une mesure en usage dans la Palestine et qui représente un boisseau et demi. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 12.) Ou bien le levain c’est la charité, parce qu’elle excite et qu’elle échauffe : la femme représente la sagesse. Ces trois mesures de farine sont ces trois choses qui se trouvent dans l’homme et qui sont exprimées par ces paroles : « De tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit. » (Mt 22.) Ou bien elles représentent les trois récoltes qui donnent : l’une cent, l’autre soixante et l’autre trente ; ou bien les trois espèces d’hommes dont il est parlé dans Ezéchiel : Noé, Daniel et Job (Ez 14, 14.16).

 

Rab. Il dit : « Jusqu’à ce que toute la pâte soit levée, » parce que la charité cachée dans notre âme doit s’y développer jusqu’à ce qu’elle ait communiqué sa perfection à l’âme tout entière, ce qui se commence dans cette vie et s’achève dans l’autre. — S. Jér. Ou bien encore cette femme qui prend du levain et le met dans trois mesures de farine, c’est la prédication des Apôtres, ou l’Église formée de différentes nations. Elle prend le levain, c’est-à-dire l’intelligence des Écritures, et elle le cache dans trois mesures de farine : l’esprit, l’âme et le corps, afin de les ramener à l’unité, et qu’il n’y ait entre eux aucun désaccord. Ou bien encore, nous lisons dans Platon qu’il y a trois parties dans l’âme : la partie raisonnable, la partie irascible et la partie concupiscible ; si donc nous avons reçu le levain évangélique des saintes Écritures, nous devons posséder la prudence dans la partie raisonnable, la haine contre le mal dans la partie irascible, le désir des vertus dans la partie concupiscible, et tout cela doit être le fruit de la doctrine évangélique que notre mère la sainte Église nous a communiquée. Je crois devoir rapporter également l’interprétation de quelques auteurs, d’après laquelle cette femme est aussi l’Église, qui a mêlé la foi à trois mesures de farine, c’est-à-dire à la croyance dans le Père, dans le Fils et dans le Saint-Esprit, et lorsque ce précieux levain de la foi a fait fermenter toute la masse, elle nous conduit à la connaissance non pas de trois Dieux, mais d’un seul et même Dieu. C’est une pieuse interprétation ; mais ni les paraboles, ni l’explication douteuse d’un discours énigmatique ne peuvent servir d’appui et de preuve aux dogmes de la foi.

S. Hil. (can. 13.) Ou bien encore le Seigneur se compare lui-même au levain ; le levain est fait avec de la farine et il rend à la masse d’où il est sorti la vertu qu’il en a reçue. Or, c’est ce levain qu’une femme, la synagogue, a pris et a caché par la condamnation à mort qu’elle a prononcée contre le Seigneur. Ce levain, mélangé avec trois mesures de farine, c’est-à-dire mêlé dans des proportions égales à la loi, aux prophètes, à l’Évangile, ne fait qu’une seule chose de ces trois éléments, parce que la propagation de l’Évangile vient accomplir les prescriptions de la loi et les prédictions des prophètes. Je me rappelle cependant en avoir entendu plusieurs qui interprétaient ces trois mesures de farine de la vocation des nations sorties de Sem, de Cham et de Japhet. Mais je ne sais si cette interprétation est fondée en raison, car quoique toutes les nations aient été appelées à l’Évangile, on ne peut dire que Jésus-Christ y ait été caché ; puisqu’au contraire il s’y est manifesté avec éclat ; et d’ailleurs ce céleste levain n’a point communiqué sa vertu à toute la masse des infidèles.

 

vv. 34-35.

S. Chrys. (hom. 48.) Après avoir rapporté ces paraboles, l’Évangéliste, voulant prouver que Notre-Seigneur n’introduisait pas en cela de nouveautés, cite le prophète qui avait prédit ce mode d’enseignement. « Or Jésus dit toutes ces choses, » etc. Saint Marc dit qu’il parlait en paraboles pour se mettre à la portée de leur intelligence (Mc 4). Ne soyez donc pas surpris si, en parlant du royaume des cieux, il emprunte les comparaisons de la semence et du levain ; il s’adressait à des hommes ignorants et qui avaient besoin de cette méthode simple pour être amenés à la vérité. — Remi. Le mot parabole, en grec comme en latin, signifie comparaison qui sert à démontrer la vérité, car elle nous découvre dans les différentes parties de la comparaison des expressions figurées et des images de la vérité.

 

S. Jér. Ce n’est pas aux disciples, mais au peuple qu’il parlait en paraboles, et encore aujourd’hui c’est le langage que le peuple entend volontiers ; aussi l’Évangéliste ajoute-t-il : « Et il ne leur parlait point sans paraboles. » — S. Chrys. (hom. 48.) Cependant il a parlé souvent au peuple sans paraboles, mais dans cette circonstance il ne leur parla qu’en paraboles. — S. Aug. (Quest. év.) Ou bien l’Évangéliste s’exprime ainsi, non que le Seigneur n’ait jamais parlé dans le sens littéral, mais parce qu’il n’a presque jamais fait de discours où il n’ait enseigné quelque vérité sous le voile de la parabole, bien qu’il y ait parlé en même temps dans le sens littéral ; c’est-à-dire que souvent son discours est tout entier composé de paraboles, tandis qu’on n’en trouve aucun qui soit tout entier dans le sens littéral. Par discours entiers et complets, j’entends ceux que le Seigneur faisait suivant que l’occasion se présentait, jusqu’à ce que la matière qu’il traitait, étant terminée, il passait à un autre sujet. On ne peut nier du reste que souvent un évangéliste présente en un seul discours ce qu’un autre évangéliste rapporte comme ayant été dit en plusieurs circonstances différentes, parce qu’il s’attache dans sa narration, non pas à l’ordre historique des faits, mais à l’ordre dans lequel ils se présentent à son souvenir.

Or, l’auteur sacré nous apprend pourquoi il parlait en paraboles : « C’est afin que cette parole du Prophète fût accomplie. » — S. Jér. Ce témoignage est emprunté au Ps 77. Dans quelques manuscrits, au lieu de la traduction de la Vulgate que nous avons rapportée : « Afin que cette parole du prophète fut accomplie, » on lit : « Cette parole du prophète Isaïe. » — Remi. Porphyre prend occasion de là pour faire cette objection aux chrétiens : Votre Évangéliste a poussé la sottise jusqu’à attribuer à Isaïe ce qui se trouve dans les psaumes et à citer ce témoignage comme venant du prophète Isaïe. — S. Jér. Comme cette citation ne se trouvait nullement dans Isaïe, j’avais d’abord pensé que des hommes instruits avaient fait disparaître le nom du prophète. Mais je crois maintenant que le texte portait primitivement : « Ce qui a été écrit par le prophète Asaph. » En effet, le Ps 72, auquel est emprunté ce témoignage, a pour titre : « Au prophète Asaph. » Les premiers copistes n’auront pas compris ce nom d’Asaph et, croyant que c’était une faute d’écriture, ils auront remplacé ce nom par le nom plus connu d’Isaïe ; car il faut se rappeler que non-seulement David, mais tous les autres dont les noms se trouvent en tête des psaumes, des hymnes et des divins cantiques, tels qu’Asaph, Idithun, Eman, Ezarite et d’autres dont l’Écriture fait mention, méritent le nom de prophète. Quant à ce qui est dit de la personne du Christ : « J’ouvrirai ma bouche en paraboles, » etc., si nous considérons attentivement ces paroles, nous y verrons la description de la sortie d’Israël de la terre d’Égypte, et le récit de tous les miracles qui sont contenus dans l’Exode ; d’où nous devons conclure que tout ce qui se trouve écrit dans ce livre doit être pris dans un sens allégorique et nous révèle des mystères cachés. Ce sont ces vérités mystérieuses que le Seigneur promet de dévoiler, lorsqu’il dit : « J’ouvrirai ma bouche en paraboles. » La Glose. Ces paroles veulent dire : J’ai parlé autrefois par les prophètes ; je parlerai maintenant moi-même en paraboles, et je ferai sortir du trésor de mes secrets des mystères qui s’y trouvaient cachés depuis la création du monde.

 

vv. 36-43.

S. Chrys. (hom. 48.) Le Seigneur avait parlé au peuple en paraboles pour lui donner l’occasion de l’interroger ; mais quoiqu’il leur eût dit beaucoup de choses en paraboles, personne cependant ne lui adressait la parole. Il renvoya donc la multitude, comme le remarque l’Évangéliste : « Alors, ayant renvoyé le peuple, il revint dans la maison. » Aucun des scribes ne l’y suit, ce qui prouve clairement qu’ils ne le suivaient auparavant que pour le surprendre dans ses discours. — S. Jér. Or, Jésus renvoie le peuple et rentre dans la maison pour donner à ses disciples la facilité de s’approcher de lui, et de lui faire en secret des questions sur ce que le peuple ne méritait ni n’était capable d’entendre.

 

Rab. Dans le sens mystique, c’est après avoir congédié la foule tumultueuse des Juifs qu’il entre dans l’Église formée des nations, et c’est là qu’il expose aux fidèles les mystères du royaume des cieux : « Et alors ses disciples s’approchèrent, » etc. — S. Chrys. (hom. 48.) Autrefois, pleins du désir d’apprendre, ils craignaient de l’interroger ; maintenant, ils le font librement et avec confiance, parce qu’il leur a dit : « Il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux. » C’est pour cela qu’ils l’interrogent en particulier, c’est-à-dire en secret et non point par un sentiment de jalousie contre la multitude qui n’avait pas reçu la même faveur. Ils laissent de côté la parabole du levain et celle du sénevé comme plus claire, et ils l’interrogent sur la parabole de l’ivraie, parce qu’elle a de l’analogie avec la parabole de la semence et qu’elle contient quelques particularités de plus. Le Seigneur leur explique donc cette parabole : « Et leur répondant, il leur dit : Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme. » — Remi. Notre-Seigneur s’est appelé le Fils de l’homme pour nous laisser un exemple d’humilité, ou bien parce qu’il devait se rencontrer des hérétiques qui nieraient son humanité. Ou bien encore, c’est afin que par la foi à son humanité, nous puissions nous élever jusqu’à la connaissance de sa divinité.

 

« Le champ, c’est le monde, » etc. — S. Chrys. (hom. 48.) Comme c’est lui-même qui sème son champ, il faut en conclure que le monde actuel lui appartient. « La bonne semence, ce sont les enfants du royaume. » Remi. C’est-à-dire les saints et les élus qui sont mis au nombre des enfants de Dieu. — S. Aug. (Contre Fauste, 18, 7.) L’ivraie, d’après l’explication du Sauveur, ce ne sont pas quelques erreurs mêlées à la vérité des saintes Écritures (suivant l’interprétation des Manichéens), mais ce sont tous les enfants de l’esprit mauvais, c’est-à-dire les imitateurs des mensonges du démon. « L’ivraie, dit Notre-Seigneur, ce sont les enfants d’iniquité, » dénomination qui comprend tous les impies et tous les méchants. — S. Aug. (Quest. évang., liv. 6, quest. 2.) Toutes les mauvaises herbes qui se trouvent dans les moissons reçoivent le nom d’ivraie. L’ennemi qui la sème, c’est le démon. — S. Chrys. (hom. 48.) C’est en effet une des ruses du démon de mêler toujours l’erreur à la vérité. « La moisson, c’est la fin du monde. » Notre-Seigneur dit dans un autre endroit, mais en parlant des Samaritains : « Levez vos yeux et regardez les campagnes comme elles blanchissent déjà pour la moisson. » (Jn 4.) Et ailleurs : « La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers, » paroles qui signifient que le temps de la moisson est arrivé. Pourquoi donc déclare-t-il qu’elle n’aura lieu que plus tard ? C’est qu’il l’entend ici dans un autre sens. Aussi, tandis que dans les paroles qui précèdent il dit que l’un sème et que l’autre moissonne, il déclare ici que c’est le même qui sème et qui moissonne ; car lorsqu’il dit que celui qui sème n’est pas celui qui moissonne, ce n’est pas entre lui et les prophètes, mais entre les prophètes et les Apôtres qu’il veut établir une distinction, puisque c’est le Christ qui a semé lui-même par les prophètes dans la Judée et dans la Samarie. C’est donc sous deux sens différents qu’il prend dans ces deux circonstances les mots de semence et de moisson. Lorsqu’il parle d’obéissance et de soumission à la foi, il se sert du nom de moisson, parce qu’elle est le principe et la cause de toute perfection ; mais lorsqu’il est question du fruit qu’on doit retirer de la parole de Dieu, comme dans cet endroit, il appelle la moisson la consommation de toutes choses. — Remi. La moisson désigne le jour du jugement où les bons seront séparés des méchants par le ministère des Anges, ainsi qu’il le dira plus bas : « Le Fils de l’homme viendra juger le monde avec ses anges ; » et c’est pour cela qu’il dit : « Les moissonneurs sont les anges. »

 

« De même que les moissonneurs ramassent l’ivraie, ainsi les anges feront disparaître de son royaume tous les scandales. » — S. Aug. (Cité de Dieu, 9.) Est-ce donc de ce royaume où il n’y a plus de scandales ? Non, c’est de ce royaume qui est sur la terre, c’est-à-dire de l’Église, qu’ils les feront disparaître. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 10.) L’ivraie qu’on met d’abord de côté signifie que c’est après que les persécutions auront exercé leur empire que les bons seront séparés des méchants ; ce sont les bons anges qui feront cette séparation, car ils peuvent s’acquitter de cette oeuvre de justice avec une intention droite et pure, tandis que les méchants sont incapables d’accomplir le ministère de la miséricorde. — S. Chrys. (hom. 48.) Ou bien on peut entendre par ce royaume l’Église du ciel, et Notre-Seigneur nous révèle ici la double peine des réprouvés, la privation de la gloire, par ces paroles : « Et ils enlèveront tous les scandales de son royaume, » pour les en bannir à tout jamais, et le supplice du feu par ces autres : « Et ils les précipiteront dans la fournaise du feu. » — S. Jér. Tous les scandales sont figurés ici par l’ivraie ; mais en disant : « Ils enlèveront de son royaume tous les scandales, et tous ceux qui font l’iniquité, » Notre-Seigneur veut distinguer entre les hérétiques et les schismatiques. Ceux qui sont une cause de scandale sont les hérétiques, ceux qui commettent l’iniquité représentent les schismatiques. — La Glose. Ou bien dans un autre sens, il faut entendre par les scandales tous ceux qui sont pour le prochain une occasion de chute ou de ruine, et par ceux qui commettent l’iniquité, les pécheurs quels qu’ils soient. — Rab. Remarquez que Notre-Seigneur dit : « Ceux qui font, » et non pas ceux qui ont fait l’iniquité ; car ce ne sont pas ceux qui font pénitence, mais ceux qui persévèrent dans leurs péchés qui seront livrés aux supplices éternels.

S. Chrys. (hom. 48.) Considérez ici l’amour ineffable de Dieu pour les hommes, il est toujours prêt à répandre sur nous ses bienfaits et il ne punit qu’à la dernière extrémité. Lorsqu’il s’agit de semer, c’est lui-même qui sème, et lorsqu’il faut qu’il punisse, il se décharge de ce soin sur les anges.

« C’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. » — Remi. Ces paroles sont une preuve de la résurrection véritable des corps et nous y voyons annoncés la double peine de l’enfer, une excessive chaleur et un froid des plus rigoureux. Or, de même que l’ivraie représente tous les scandales, ainsi tous ceux dont Notre-Seigneur dit ici : « Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père, » seront mis au nombre des enfants du royaume. Dans ce monde, la lumière que répandent les saints brille aux yeux des hommes ; après la consommation des siècles, les justes brilleront eux-mêmes comme le soleil dans le royaume de leur Père. — S. Chrys. (hom. 48.) Notre-Seigneur ne veut pas dire que leur éclat sera tout juste égal à l’éclat du soleil, mais il se sert de cette comparaison parce que parmi les astres qui nous éclairent, il n’en est point qui brille d’un plus vif éclat que le soleil. — Remi. Ces paroles : « Alors ils brilleront, » signifient que les saints brillent sur cette terre par leurs exemples, mais qu’ils brilleront alors comme le soleil pour la plus grande gloire de Dieu.

 

« Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre. » Raban. C’est-à-dire que celui qui a de l’intelligence comprenne, parce que toutes ces paroles doivent être entendues dans un sens mystérieux.

 

 

v. 44.

S. Chrys. (hom. 48.) Les paraboles précédentes du levain et du grain de sénevé avaient pour objet de faire ressortir la puissance de la prédication évangélique qui a triomphé du monde entier ; Notre-Seigneur veut faire connaître maintenant tout le prix et la magnificence de cette sublime doctrine, et il se sert pour cela de la parabole du trésor et de la pierre précieuse : « Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ. » La prédication de l’Évangile est cachée dans le monde, et si vous ne vendez pas tout ce que vous possédez, vous ne pourrez l’acheter. Il faut de plus faire ce sacrifice avec joie. « Lorsqu’un homme le trouve, il le cache. » — S. Hil. Ce trésor se trouve sans qu’il en coûte rien, car la prédication de l’Évangile est sans condition ; mais il faut nécessairement acheter le droit d’user de ce trésor et d’en devenir le possesseur ainsi que du champ qui le renferme, car on ne peut posséder les richesses du ciel sans être disposé à leur sacrifier les biens de la terre. — S. Jér. Il cache ce trésor, ce n’est point par un sentiment d’envie, mais il le cache dans son cœur par le désir de conserver et par la crainte de perdre ce trésor qu’il a su préférer aux richesses qu’il possédait.

S. Grég. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien ce trésor caché dans un champ, c’est le désir du ciel : le champ dans lequel il est caché, c’est la perfection et la sainteté de la vie qui conduit au ciel. Lorsqu’un homme a trouvé ce trésor, il le cache pour le conserver, car le goût et le désir ardent des biens célestes ne suffisent pas pour défendre ce trésor contre les esprits mauvais, si celui qui le possède ne s’efforce pas de le dérober aux attaques des louanges des hommes. En effet, la vie présente est semblable à une route que nous parcourons pour arriver à la patrie ; mais cette route se trouve assiégée par les esprits mauvais comme par autant de voleurs de grand chemin. Ceux donc qui portent ce trésor à découvert semblent vouloir devenir la proie des voleurs. Je ne veux pas dire que notre prochain ne doive pas être témoin de nos bonnes oeuvres, mais simplement qu’il ne faut pas dans nos actions nous proposer les louanges des hommes. Or, le royaume des cieux est comparé aux choses de la terre, pour que notre esprit puisse s’élever de ce qu’il connaît à ce qu’il ne connaît pas encore, et que de l’amour qu’il donne aux choses dont il a la connaissance, il apprenne à aimer ce qu’il ne connaît pas. « Et dans la joie qu’il en ressent, » etc. On achète le champ avec le prix de tous les biens qu’on a vendus, lorsqu’on renonce aux voluptés charnelles et qu’on foule aux pieds tous les désirs terrestres par une obéissance entière aux lois qui conduisent au ciel.

S. Jér. Ou bien encore ce trésor dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science (cf. Col 2, 3), c’est ou le Verbe Dieu qui est comme caché dans la nature humaine de Jésus-Christ, ou bien les saintes Écritures dans lesquelles est renfermée la connaissance du Sauveur. — S. Aug. (Quest. Evang., liv. 1, chap. 13.) Ce trésor caché dans le champ, ce sont les deux Testaments qui se trouvent dans l’Église ; lorsqu’un homme parvient à les atteindre par une partie seulement de son intelligence, il comprend que ce champ renferme de grandes richesses, il s’en va, il vend tout ce qu’il possède et il l’achète, c’est-à-dire que par le mépris des choses temporelles il achète le repos, afin de s’enrichir ainsi du trésor de la connaissance de Dieu.

 

 

vv. 45-46.

S. Chrys. (hom. 48.) La prédication de l’Évangile n’est pas seulement une source de richesses multipliées, comme l’est un trésor, mais elle est précieuse encore comme une perle, et c’est pour cela qu’après la parabole du trésor, Notre-Seigneur propose la parabole de la pierre précieuse. « Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de bonnes perles. » Pour la prédication de l’Évangile, deux choses sont nécessaires : la séparation des affaires de la terre, et la vigilance, deux conditions qui se trouvent exprimées dans cette comparaison du commerce. Or, la vérité est une et ne peut être divisée en plusieurs parties ; c’est pour cela qu’il n’est question que d’une seule pierre précieuse, et de même que celui possède une perle d’un grand prix connaît bien sa richesse, tandis que tous les autres l’ignorent, car cette perle est si petite qu’elle tient tout entière dans sa main ; de même dans la prédication de l’Évangile, ceux qui ont le bonheur de la recevoir savent quelles richesses spirituelles ils ont acquises, richesses complètement ignorées de ceux qui ne connaissent pas la valeur de ce trésor.

S. Jér. Dans les bonnes perles, on peut voir figurés la loi et les prophètes. Comprenez donc, Marcion, et vous autres Manichéens que la loi et ces prophètes sont de bonnes perles. La perle qui est d’un très grand prix, c’est la science du Sauveur, le mystère de sa passion et de sa résurrection. Lorsque l’homme qui est dans le commerce a trouvé cette perle, à l’exemple de l’Apôtre saint Paul il méprise comme de la boue, pour gagner Jésus-Christ (Ph 3), tous les mystères de la loi et des prophètes, et ces observances anciennes au milieu desquelles il avait vécu d’une manière irréprochable. Ce n’est pas que la découverte de cette perle précieuse détruise le prix et la valeur de celles qu’il possédait auparavant ; mais auprès d’elles toutes les autres sont d’un prix inférieur.

S. Grég. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien encore cette pierre précieuse c’est la douceur de la vie céleste, celui qui l’a trouvée vend pour l’acheter tout ce qu’il possède. Celui qui a pu goûter parfaitement, autant qu’on le peut, la suavité de cette vie céleste abandonne bien volontiers pour elle tout ce qu’il avait aimé sur la terre. Il trouve désormais sans beauté tous les objets créés qui l’avaient séduit par leur apparence, parce que l’éclat seul de cette perle précieuse brille maintenant aux yeux de son âme.

S. Aug. (Quest. évang. sur S. Matth., chap. 13.) Ou bien enfin cet homme qui cherche de belles perles et qui en trouve une de grand prix, est celui qui recherche la compagnie des hommes vertueux pour mener avec eux une vie sainte, et trouve le seul homme qui soit sans péché, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ou bien celui qui, cherchant à connaître les préceptes dont l’observation le fera vivre saintement au milieu des hommes, trouve le précepte de la charité fraternelle qui renferme tous les autres au témoignage de l’Apôtre. Ou bien celui qui cherche de bonnes pensées et trouve cette parole qui renferme toutes choses. « Au commencement était le Verbe, » (Jn 1), Verbe qui brille de tout l’éclat de la vérité, qui est ferme de toute la force de l’éternité, et qui, semblable de toutes parts à lui-même, resplendit de la beauté même de la divinité ; Verbe dans lequel il faut reconnaître un Dieu sous l’enveloppe de chair dont il est revêtu. Quelle que soit parmi ces trois choses ou parmi d’autres celle qui est signifiée par cette perle précieuse, c’est nous qui en sommes le prix, et nous ne sommes libres de l’acquérir qu’en méprisant pour obtenir cette heureuse délivrance tout ce que nous possédons sur la terre. Car, après avoir tout vendu, nous n’avons pas de biens d’un plus grand prix que nous-mêmes (puisque nous n’étions pas à nous lorsque ces biens nous enlaçaient comme autant de chaînes), et c’est nous-mêmes qu’il faut donner pour acquérir cette perle précieuse, non pas que nous soyons d’une valeur égale, mais parce que nous ne pouvons donner davantage.

 

 

vv. 47-50.

S. Chrys. (hom. 48.) Notre-Seigneur, craignant que nous ne mettions toute notre confiance dans la prédication seule, et que nous ne croyions que la foi seule suffit pour le salut, après avoir relevé le prix de la prédication évangélique dans les paraboles qui précèdent, en ajoute une autre qui est effrayante : « Le royaume des cieux est encore semblable à un filet. » — S. Jér. Après que cette prophétie de Jérémie fut accomplie : « Je vous enverrai un grand nombre de pécheurs » (Jr 16) ; après que Pierre, André, Jacques et Jean eurent entendu ces paroles : « Suivez-moi et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes, » (Mt 4) ils se firent à l’aide de l’Ancien et du Nouveau Testament un filet entrelacé des vérités de l’Évangile ; ils le jetèrent dans la mer de ce monde, et il est resté tendu jusqu’à présent au milieu des flots pour prendre dans ces gouffres amers et trompeurs tout ce qui se présente, c’est-à-dire les hommes bons et mauvais : « Et qui prend toute sorte de poissons. »

S. Grég. (hom. 10 sur les Evang.) Ou bien la sainte Église est comparée à un filet parce qu’elle est confiée à des pêcheurs, et c’est par elle que chacun de nous est tiré des flots de ce monde sur le rivage du royaume des cieux et arraché aux abîmes de la mort éternelle. Ce filet recueille des poissons de toute espèce, car l’Église appelle à la rémission des péchés les sages et les ignorants, les hommes libres et les esclaves, les riches et les pauvres, les forts et les faibles. Ce filet, c’est-à-dire la sainte Église, sera tout à fait rempli lorsqu’à la fin des temps la destinée du genre humain sera consommée. C’est pour cela qu’il est dit : « Lorsqu’il fut plein, » etc. — De même que la mer figure le monde, ainsi le rivage de la mer représente la fin du monde. C’est alors que les bons poissons seront recueillis dans des vaisseaux et les mauvais jetés au loin, c’est-à-dire que les élus seront reçus dans les tabernacles éternels, tandis que les méchants, privés de la lumière qui éclaire le royaume intérieur, seront traînés dans les ténèbres extérieures. Pendant cette vie, les filets de la foi contiennent indifféremment les bons et les mauvais, comme des poissons mêlés ensemble ; mais le rivage fera reconnaître ceux que contenait le filet de l’Église. — S. Jér. En effet, lorsque ce filet sera tiré sur le rivage, alors on verra comment doit s’opérer la séparation des bons avec les mauvais.

S. Chrys. (hom. 48.) Quelle différence y a-t-il entre cette parabole et celle de l’ivraie ? De part et d’autre, les uns sont sauvés et les autres périssent ; mais dans la parabole de l’ivraie, c’est la perversité des dogmes hérétiques qui est la cause de leur perte ; dans la parabole de la semence, c’est le défaut d’attention à la parole de Dieu, et dans celle-ci c’est la vie criminelle des hommes qui sera pour eux un obstacle à leur salut, bien qu’ils aient été pris dans le filet, c’est-à-dire bien qu’ils aient reçu la connaissance de Dieu. Et ne soyez pas tenté de regarder comme un supplice peu rigoureux pour les mauvais d’être jetés dehors, car écoutez Notre-Seigneur qui vous fait connaître dans l’explication de cette parabole combien ce supplice sera terrible : « Il en sera de même à la fin des temps. Les Anges viendront et sépareront les mauvais, » etc. Il dit ailleurs que c’est lui-même qui les séparera comme un pasteur sépare les brebis d’avec les boucs. Ici ce sont les Anges qui font cette séparation, comme dans la parabole de l’ivraie.

S. Grég. (hom. 10.) Il faut bien plutôt trembler en entendant ces paroles, que chercher à les expliquer, car les tourments des pécheurs y sont prédits ouvertement et personne ne peut s’excuser ici sur son ignorance en prétextant l’obscurité du dogme des supplices éternels. — Rab. Lorsque la fin du monde sera venue, on connaîtra les véritables signes qui doivent servir à séparer les poissons entre eux, et là comme dans un port, à 1’abri de toute agitation, les bons seront placés dans les vaisseaux des célestes demeures, et les mauvais jetés dans les flammes de l’enfer qui doivent les brûler et les tourmenter pendant l’éternité.

 

 

vv. 51-52.

S. Chrys. (Hom. 48.) Après que le peuple s’est retiré, le Seigneur continue de parler à ses disciples en paraboles, parce que cette méthode d’enseignement a ouvert leur intelligence et leur a fait comprendre les paroles du Sauveur. Il leur demande donc : « Avez-vous compris toutes ces choses ? Ils lui répondent : Oui. » — S. Jér. Il s’adresse particulièrement aux Apôtres, car il ne veut pas seulement qu’ils entendent comme le peuple, mais comme des hommes qui doivent un jour enseigner les autres.

S. Chrys. Il les félicite de nouveau de ce qu’ils ont compris par les paroles suivantes : « C’est pourquoi tout docteur tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes. »

S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 4.) Il ne dit pas des choses anciennes et des choses nouvelles, ce qu’il n’eût pas manqué de faire, s’il n’avait préféré suivre l’ordre que prescrivait le mérite de ces choses plutôt que l’ordre des temps. Les Manichéens qui prétendent n’être en possession que des promesses nouvelles de Dieu, restent ensevelis dans la vétusté de la chair et introduisent en même temps la nouveauté de l’erreur. — S. Aug. (Quest. évang.) Notre-Seigneur a-t-il voulu expliquer ici quel est ce trésor caché dans le champ et que l’on peut entendre des saintes Écritures composées de l’Ancien et du Nouveau Testament ; ou bien son dessein est-il de nous apprendre qu’on doit regarder comme un homme docte dans l’Église celui qui comprend les anciennes Écritures, même sous la forme de paraboles, en puisant dans les nouvelles les principes d’une bonne interprétation (puisque le Sauveur lui-même a parlé en paraboles dans le Nouveau Testament) ? Car s’il est celui en qui toutes les Écritures reçoivent leur accomplissement et leur manifestation, et que cependant il parle encore en paraboles jusqu’à ce que sa passion ait déchiré le voile et qu’il n’y ait rien de caché qui ne soit révélé, nous devons en conclure que ce qui avait été prédit de lui si longtemps avant sa venue sur la terre était plus que tout le reste caché sous le voile des paraboles. Et en voulant entendre ces prédictions à la lettre, les juifs ont refusé de devenir instruits de ce qui concerne le royaume des cieux.

S. Grég. (hom. 13.) Si par ces choses nouvelles et anciennes nous entendons les deux Testaments, nous serons forcés de ne point regarder Abraham comme docte et instruit, lui qui connaissait sans doute les faits de l’Ancien et du Nouveau Testament, mais qui n’en a point parlé. Nous ne pourrons pas non plus comparer Moïse à ce docte père de famille, car s’il a enseigné les préceptes de l’Ancien Testament, il n’a point promulgué les vérités de la loi nouvelle. Nous devons donc entendre que Notre-Seigneur ne parlait que de ceux qui existaient autrefois, mais de ceux qui pouvaient faire partie de l’Église. Ce sont ces derniers qui tirent de leur trésor des choses nouvelles et des choses anciennes lorsque par leur vie comme par leurs paroles, ils annoncent les vérités renfermées dans les deux Testaments. — S. Hil. (can. 14.) Jésus parle ici à ses disciples et il les appelle scribes ou docteurs à cause de leur science, parce qu’ils ont compris ce qu’il leur a enseigné de nouveau et d’ancien, c’est-à-dire son Évangile, et ce qu’il leur a expliqué de la loi. La loi et l’Évangile ont tous les deux pour auteur le même père de famille et sortent tous les deux du même trésor. Sous ce nom de père de famille, il établit aussi une comparaison entre ses disciples et lui-même, parce qu’ils ont puisé la doctrine des vérités anciennes et des vérités nouvelles dans le trésor de l’Esprit saint.

S. Jér. Ou bien il donne aux Apôtres le nom de scribes doctes et instruits, parce qu’ils étaient comme les secrétaires du Sauveur, et qu’ils écrivaient ses paroles et ses préceptes sur les tables de chair du cœur humain. (2 Co 3.) Riches des mystères du royaume des cieux et des richesses du père de famille, ils tiraient du trésor de leur doctrine des choses nouvelles et des choses anciennes, c’est-à-dire qu’ils appuyaient toutes les vérités de l’Évangile sur des témoignages de la loi et des prophètes. C’est pour cela que l’épouse dit dans le Cantique des cantiques (Ct 7) : « Mon bien-aimé, je vous ai réservé les choses nouvelles avec les choses anciennes. » — S. Grég. (hom. 12.) Ou bien encore, la chose ancienne, c’est que le genre humain, par suite de ses crimes, devait périr victime d’un supplice éternel, et la chose nouvelle, c’est qu’il se convertisse et qu’il vive d’une vie immortelle dans le royaume des cieux. Il nous a donné d’abord comme figure du royaume le trésor trouvé et la pierre précieuse ; il nous a fait connaître ensuite les peines de l’enfer où les méchants brûleront éternellement, et il conclut par ces paroles : « C’est pourquoi tout scribe instruit tire de son trésor des choses nouvelles et anciennes, paroles dont voici le sens : Celui-là doit être regardé dans l’Église comme un prédicateur instruit qui sait dire des choses nouvelles sur les douceurs ineffables du royaume des cieux, et des choses anciennes sur la rigueur effrayante des supplices éternels, afin que les châtiments épouvantent ceux qui demeurent insensibles à l’attrait des récompenses.

 

 

vv. 53-58.

S. Jér. Après ces paraboles que Notre-Seigneur avait proposées au peuple et que les apôtres seuls avaient comprises, il vint dans sa patrie pour y enseigner plus ouvertement. C’est ce que l’Évangéliste rapporte en ces termes : « Lorsque Jésus eut achevé ces paraboles, » etc. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 45.) Saint Matthieu passe de ces discours en paraboles à un autre sujet sans indiquer qu’il suit un ordre rigoureux d’autant plus que saint Marc (Mc 4) et saint Luc (Lc 8), en cela différents de saint Matthieu, paraissent avoir disposé leur narration d’une manière plus conforme à l’ordre chronologique des faits, en plaçant après ces paraboles les deux miracles du sommeil de Jésus dans la barque pendant la tempête et des démons chassés, miracles que saint Matthieu a entremêlés précédemment dans son récit.

S. Chrys. (hom. 49.) L’Évangéliste appelle ici Nazareth sa patrie ; il n’y fit pas beaucoup de miracles, ainsi qu’il le dit plus bas, mais il les multiplia dans Capharnaüm, où il développa en même temps sa doctrine qui ne devait pas moins les frapper d’admiration que ses miracles. — Remi. Il enseignait dans les synagogues où les Juifs se rassemblaient en foule, parce qu’il était descendu du ciel sur la terre pour le salut d’un grand nombre. — « De sorte qu’étant saisis d’étonnement, ils disaient : D’où lui est venue cette sagesse et cette puissance ? » La sagesse se rapporte à sa doctrine, la puissance aux miracles qu’il opérait.

S. Jér. Aveuglement inconcevable des Nazaréens, ils s’étonnent que la sagesse possède la sagesse, et que la puissance fasse éclater la puissance (cf. 1 Co 1, 24). La cause de leur erreur est évidente ; ils ne voient dans Jésus que le fils d’un charpentier. — S. Chrys. (hom. 49.) Leur aveuglement et leur folie s’étendent à tout, ils cherchent à le rabaisser par celui qu’ils regardent comme son père ; cependant l’histoire des temps anciens leur offrait un grand nombre d’exemples d’enfants illustres nés de parents sans distinction : David était fils de Jessé, simple laboureur ; Amos était fils de bergers et berger lui-même. C’était au contraire une raison de lui témoigner plus d’honneur, puisque, malgré sa naissance si humble, il prêchait une doctrine si relevée, car il était évident quelle n’était pas le résultat d’une éducation tout humaine, mais un effet de la grâce divine. — S. Aug. (Serm. pour la Nativ. de Notre-Seign.). Le Père du Christ est en effet ce divin charpentier qui a fait l’univers avec tout ce qu’il renferme, qui a donné le plan de l’arche de Noé et fait connaître à Moïse l’ordonnance du tabernacle, établi l’arche d’alliance ; divin charpentier, dis-je qui aplanit les intelligences raboteuses et retranche toutes les pensées orgueilleuses. — S. Hil. (can. 14.) Il était aussi le Fils de cet ouvrier qui dompte le fer par le feu, qui dissout toute la puissance du monde dans les ardeurs de son jugement, qui plie la matière aux usages de l’homme et qui donne à nos corps leur forme pour que les membres puissent remplir leurs divers offices et concourir aux oeuvres de la vie éternelle.

S. Jér. Après s’être trompés sur le père de Jésus, il n’est point surprenant qu’ils se trompent également sur ses frères : « Est-ce que sa mère ne s’appelle pas Marie et ses frères Jacques et Joseph ? » — S. Jér. (contre Helvid.) Ceux qu’ils appellent les frères du Seigneur sont les enfants de sa tante, Marie de Cléophas, femme d’Alphée et mère de Jacques et de Joseph : Cette Marie était aussi la mère de Jacques le Mineur. — S. Aug. (Quest. évang., quest. 17 sur S. Matth.) Il n’est pas étonnant qu’on ait appelé frères du Seigneur tous ses parents du côté maternel, puisque les Juifs, qui pensaient que Joseph était son père, appellent également ses frères tous ceux qui étaient parents de Joseph. — S. Hil. Le Seigneur se voit donc méprisé à cause de ses parents, et quoique la sagesse de son enseignement et l’éclat de ses miracles dussent exciter leur admiration, ils ne peuvent croire que c’est Dieu qui agit ici dans l’homme, parce qu’ils cherchent à l’outrager en lui rappelant le métier de son père. Au milieu donc de tant de merveilles qu’il opérait sous leurs yeux, son humanité seule fait impression sur eux, et ils disent : « D’où lui viennent toutes ces choses ? »

« Et il leur était un sujet de scandale. » — S. Jér. Cette erreur des Juifs est la cause de notre salut et en même temps la condamnation des hérétiques ; ils s’obstinaient tellement à ne voir qu’un homme en Jésus-Christ, qu’ils le regardaient comme le fils d’un charpentier. — S. Chrys. (hom. 49.) Mais admirez ici la douceur de Jésus-Christ : il ne leur dit aucune injure, mais leur répond avec la plus grande modération : « Et Jésus leur dit : Un prophète n’est sans honneur que dans son pays et dans sa maison. » — Remi. Il se donne le nom de prophète et c’est le nom que Moïse lui avait donné, lorsqu’il disait : « Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères. » (Dt 18) Remarquons ici que ce n’est pas seulement Jésus-Christ, le chef de tous les prophètes, mais encore Jérémie et Daniel, et les autres prophètes qui ont reçu plus d’honneur et de gloire parmi les étrangers qu’au milieu de leurs concitoyens. — S. Jér. En effet, il est presque dans la nature que les habitants d’un même pays se jalousent mutuellement ; ils ne considèrent pas les oeuvres actuelles de l’homme fait, ils ne se rappellent que les faiblesses de son enfance, comme s’ils n’avaient point eux-mêmes passé par les mêmes degrés pour arriver à la maturité de l’âge.

S. Hil. (can. 14.) Il déclare qu’un prophète est sans honneur dans sa patrie, parce qu’il ne devait recevoir que des mépris dans la Judée jusqu’au jour où il devait être condamné à la mort de la croix, et que ce n’est qu’au milieu des fidèles qu’il a été reconnu comme la vertu de Dieu. Il ne voulut point faire de miracles par suite de leur incrédulité, comme le remarque l’Évangéliste : « Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur incrédulité. » S. Jér. Ce n’est pas que leur incrédulité rendît ces miracles impossibles, mais il ne voulait pas que ces nombreux miracles fussent une cause de condamnation pour ses concitoyens. — S. Chrys. (hom. 49.) Mais puisqu’ils ne pouvaient s’empêcher d’admirer les prodiges qu’il opérait, pourquoi ne pas les multiplier parmi eux ? C’est que le Sauveur n’agissait point par ostentation et ne recherchait que l’utilité des autres ; or, il ne voyait pas ici cette utilité, il néglige donc ce qui lui est personnel pour ne pas augmenter leur culpabilité et leur châtiment. Mais pourquoi donc en fit-il quelques-uns ? Afin de leur ôter tout prétexte de dire : « Si vous aviez fait des miracles, nous aurions cru. » — S. Jér. On peut encore entendre ces paroles dans un autre sens, c’est-à-dire que Jésus a été méprisé dans sa maison et dans sa patrie (par le peuple juif), et qu’il n’y a fait que peu de miracles, afin qu’ils ne fussent pas entièrement inexcusables. Tous les jours, au contraire, il opère par ses Apôtres de plus grands prodiges au milieu des nations, moins pour la guérison des corps que pour le salut des âmes.

 

 

 

 

CHAPITRE XIV.

vv. 1-5.

La Glose. L’Évangéliste, après nous avoir raconté l’interprétation calomnieuse que les pharisiens donnaient des miracles de Jésus-Christ et comment ses concitoyens, tout en les admirant, n’avaient cependant que du mépris pour lui, rapporte l’opinion qu’Hérode avait conçue du Christ au récit des prodiges qu’il opérait : « En ce temps-là, Hérode apprit, » etc. — S. Chrys. (hom. 49.) Ce n’est pas sans raison que l’Évangéliste désigne ici le temps d’une manière précise ; il veut vous apprendre tout à la fois l’orgueil du tyran et son indifférence. En effet, ce n’est point tout d’abord et un des premiers, mais beaucoup plus tard, qu’il apprend les prodiges opérés par le Christ ; c’est ainsi que la plupart des puissants du monde, séduits par le faste qui les environne, négligent de s’instruire des vérités du salut, parce qu’ils n’y attachent pas grande importance.

 

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 43.) Saint Matthieu dit : « En ce temps-là, » et non pas : « Dans ce jour-là, » ou « A cette heure » ; c’est qu’en effet saint Marc, qui raconte le même fait de la même manière (Mc 6), ne suit pas le même ordre. Il le place après que Notre-Seigneur a envoyé ses disciples prêcher l’Évangile et sans faire supposer qu’il y ait une liaison rigoureuses entre ces deux faits. Saint Luc (Lc 9) suit le même ordre que saint Marc, mais sans nous forcer d’admettre que c’est l’ordre dans lequel les faits se sont passés.

S. Chrys. (hom. 49.) Voyez quelle est la puissance de la vertu : Hérode redoute Jean-Baptiste, bien qu’il soit mort, et s’entretient de sa résurrection : « Et il dit à ses courtisans : C’est Jean-Baptiste. » — Rab. Nous pouvons juger ici combien grande était la jalousie des Juifs. Hérode, qui n’est qu’un étranger, déclare que Jean-Baptiste est peut-être ressuscité d’entre les morts, et cela sans que personne le lui ait attesté, et les Juifs ont mieux aimé croire que le Christ, dont les prophètes avaient annoncé la résurrection, avait été enlevé frauduleusement de son tombeau, plutôt que d’admettre sa résurrection, preuve que les Gentils étaient bien mieux disposés à embrasser la foi que les Juifs. — S. Jér. Un interprète ecclésiastique demande ici comment Hérode a pu soupçonner que Jean était ressuscité d’entre les morts. Ce n’est point à nous de rendre raison d’une erreur qui nous est étrangère, et l’hérésie de la métempsycose ne peut s’appuyer sur ce passage pour soutenir qu’après bien des années révolues les âmes viennent animer des corps différents, puisque Notre-Seigneur avait trente ans lorsque Jean fut décapité.

 

Rab. Tous ceux qui croient à la résurrection des morts ont admis en même temps avec raison que les saints jouiront alors d’une puissance plus grande que celle qu’ils avaient lorsqu’ils étaient appesantis par l’infirmité de la chair. C’est pour cela qu’Hérode dit : « Et il se fait des miracles par lui. » — S. Aug. (de l’accord des Evang.) Dans saint Luc, au contraire, nous lisons : « Et Hérode dit : J’ai fait mourir Jean ; quel est donc celui-ci dont j’apprends de telles choses ? » Puisque saint Luc nous représente Hérode étant encore dans le doute, il faut admettre que ce doute fit place à la conviction dans son esprit sur ce qu’on lui avait rapporté, lorsqu’il dit à ses courtisans, d’après saint Matthieu : « Celui-ci est Jean-Baptiste ; » ou bien il faut voir dans ces paroles l’expression d’un esprit qui doute encore, car elles sont susceptibles de ces deux sens et peuvent signifier ou bien qu’Hérode était convaincu par le rapport des autres, ou qu’il doutait encore, comme saint Luc paraît l’indiquer. — Remi. Peut-être nous demandera-t-on ici pourquoi saint Matthieu s’exprime de la sorte : « En ce temps-là Hérode apprit, » etc., tandis qu’il raconte bien auparavant que ce n’est qu’après la mort d’Hérode que le Sauveur revint d’Egypte, Cette difficulté n’existe plus dès qu’on admet qu’il y eut deux Hérodes. Le premier Hérode étant mort, eut pour successeur Archélaüs, son fils, qui dix ans après fut exilé à Vienne, dans les Gaules. César-Auguste divisa alors ce royaume en quatre principautés ou tétrarchies, et en donna trois parties aux enfants d’Hérode. Cet Hérode qui fit décapiter Jean-Baptiste est donc le fils du grand Hérode sous le règne duquel naquit Notre-Seigneur, et c’est pour bien marquer cette différence que l’Évangéliste lui donne le nom de tétrarque.

La Glose. L’Évangéliste ayant rapporté ce que pensait Hérode de la résurrection de Jean, sans rien dire de sa mort, revient sur ses pas pour raconter la manière dont mourut le saint précurseur. — S. Chrys. (hom. 49.) Il n’a point donné à ce récit une très grande importance, car tout son dessein était de nous transmettre ce qui avait rapport à Jésus-Christ et rien autre chose, si ce n’est ce qui pouvait concourir au même but. Il le commence donc en ces termes : « Hérode ayant fait arrêter Jean, l’avait fait charger de chaînes. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 44.) Saint Luc ne rapporte pas ce fait dans le même ordre, mais il le joint au récit qu’il fait du baptême de Notre-Seigneur. C’est donc la narration anticipée d’un événement qui n’arriva que longtemps après, puisqu’il le place immédiatement après les paroles de Jean-Baptiste qui nous montrent le Seigneur le van à la main. Or, d’après l’Évangéliste saint Jean, cet événement n’arriva pas aussitôt le baptême de Jésus, puisqu’il nous raconte qu’aussitôt son baptême, Jésus alla dans la Galilée, puis revint dans la Judée, y baptisa sur les bords du Jourdain, et tout cela avant que Jean fût mis en prison. Ni saint Matthieu, ni saint Marc n’ont raconté dans cet ordre la captivité de Jean-Baptiste, comme le prouvent leurs écrits, car ils rapportent que lorsque le saint précurseur fut arrêté, le Seigneur se trouvait dans la Galilée, et après avoir raconté les nombreux miracles qu’il y opéra, à l’occasion de la renommée du Christ qui parvint jusqu’aux oreilles d’Hérode, ils racontent tout ce qui a rapport à la prison et à la mort de Jean-Baptiste : Quant à la cause pour laquelle il fut jeté en prison, saint Matthieu nous la fait connaître, par ce qu’il ajoute : « A cause d’Hérodiade, épouse de son frère ; car Jean lui disait : Il ne vous est pas permis d’avoir cette femme. »

S. Jér. Une ancienne histoire nous apprend que Philippe, fils du premier Hérode, et frère de celui-ci, épousa Hérodiade, fille d’Aretas, roi d’Arabie. Plus tard son beau-père, par suite de certains débats qu’il eut avec son gendre, reprit sa fille, et pour punir son premier mari la donna pour femme à Hérode, ennemi de Philippe. Or, Jean-Baptiste qui était venu dans l’esprit et la vertu d’Elie, reprit Hérode et Hérodiade de cette union criminelle avec la même autorité dont Elie avait fait preuve à l’égard d’Achab et de Jézabel (3 R 21, 14. 15. 16. 19). Il lui déclara que du vivant de son frère, il ne pouvait épouser sa femme ; et il aima mieux encourir la haine implacable du roi que de sacrifier par une basse flatterie les commandements de Dieu. — S. Chrys. (hom. 49.) Cependant ce n’est pas à cette femme qu’il s’adresse, mais à celui qui l’a épousée, parce qu’il était le chef et le maître ; d’ailleurs il professait probablement la loi judaïque, et c’est au nom de cette loi que Jean lui défend l’adultère.

« Et il voulait le faire mourir, mais il craignait le peuple. » — S. Jér. Il craignait que la réputation de Jean qui avait baptisé un grand nombre de juifs n’excitât une sédition populaire ; mais il était esclave de sa passion pour cette femme, et cette passion lui faisait perdre de vue les préceptes de la loi divine. — La Glose. La crainte de Dieu réforme la volonté coupable ; la crainte des hommes l’arrête pour un instant, mais ne la change pas ; elle rend plus ardents pour le crime ceux dont elle a enchaîné quelque temps les violents désirs.

 

vv. 6-12.

La Glose. Après avoir raconté l’emprisonnement de Jean-Baptiste, l’Évangéliste nous fait le récit de sa mort : « Or, le jour de la naissance d’Hérode, » etc. — S. Jér. Nous ne voyons dans 1’Écriture que Pharaon et Hérode qui aient célébré l’anniversaire de leur naissance ; il était juste qu’ils fussent unis pour la célébration de cette fête comme ils l’étaient par leur impiété.

Remi. Il faut se rappeler que non-seulement les femmes riches, mais encore les plus pauvres ont coutume d’élever leurs filles dans de si grands sentiments de pudeur, qu’elles demeurent presque invisibles pour les étrangers. Mais cette femme impudique apprit à sa fille à braver toute pudeur, et loin de lui donner des leçons de modestie, lui enseigna des danses lascives. Hérode ne fut pas moins coupable d’avoir oublié que sa maison était une maison royale et d’avoir permis à cette femme d’en faire une salle de spectacle. « Et elle plut à Hérode, » etc.

S. Jér. Je ne puis excuser Hérode, d’avoir commis cet homicide malgré lui et contre sa volonté, et par respect pour son serment ; car peut-être ne l’avait-il fait que pour préparer les voies à ce meurtre affreux. Mais puisqu’il veut se justifier en alléguant son serment, l’aurait-il exécuté si on lui eût demandé la mort de son père ou de sa mère ? Il n’aurait fait aucun cas de ce serment s’il se fût agi de personnes qui le touchassent de si près ; ne devait-il pas le respecter davantage quand on lui demandait la tête d’un prophète ? — Isid. Lorsque vos promesses sont mauvaises, gardez-vous de les mettre à exécution ; la promesse qui ne peut s’accomplir que par un crime est une impiété, et on ne doit pas observer un serment par lequel on s’est imprudemment engagé à commettre le mal.

 

« Celle-ci ayant été instruite auparavant par sa mère dit : Donnez-moi présentement dans un bassin la tête de Jean-Baptiste. » — S. Jér. Hérodiade, craignant qu’Hérode ne vint à se repentir ou ne se réconciliât avec son frère Philippe, et que les liens criminels qui l’unissaient à Hérode ne fussent rompus par une répudiation, commande à sa fille de demander immédiatement et au milieu du repas la tête de Jean. Le sang était le digne prix des pas d’une infâme danseuse.

S. Chrys. (hom. 49). Cette fille est doublement coupable, par sa danse lascive, et pour avoir séduit Hérode à ce point qu’elle pût demander un meurtre pour récompense. Voyez quelle cruauté dans cette danseuse impudique, et quelle faiblesse dans Hérode : il se lie par un serment, et il la rend maîtresse de la demande qu’elle voudra lui faire. Lorsqu’il vit le crime qui allait résulter de cette demande, il s’attriste, dit l’Évangéliste : « Et le roi fut contristé. » Car la vertu force les méchants eux-mêmes à lui payer le tribut de leur admiration et de leurs louanges. — S. hért. Ou bien dans un autre sens, c’est la coutume des Écritures que l’écrivain sacré rapporte comme la vérité l’opinion la plus commune parmi les contemporains. Ainsi, de même que Marie elle-même appelle Joseph le père de Jésus (Lc 2, 48), ainsi l’Évangéliste nous dit qu’Hérode fut contristé, parce que telle fut l’opinion des convives. Car ce fourbe, habile à dissimuler les sentiments de son âme, cet artisan d’homicide affectait un air triste pendant que son cœur était dans la joie. « A cause du serment, » etc. Il fait servir son serment d’excuse à son crime et devient impie en se couvrant du manteau de la religion. L’Évangéliste ajoute : « Et à cause de ceux qui étaient à table avec lui. » C’est-à-dire qu’Hérode veut les rendre tous complices de son crime, et, dans un festin où préside l’impureté, leur servir des mets ensanglantés.

 

S. Chrys. (hom. 49.) Mais s’il craignait d’avoir des témoins de son parjure, ne devait-il pas craindre beaucoup plus d’avoir tant de témoins de ce meurtre impie ? — Remi. C’est ainsi qu’un premier crime l’a entraîné dans un crime plus grand encore, il n’a point étouffé un désir impudique, il est tombé dans la débauche, et pour n’avoir pas mis de frein à sa passion voluptueuse, il s’est précipité dans le crime affreux de l’homicide. « Et il envoya couper la tête à Jean, » etc. — S. Jér. Nous lisons dans l’histoire romaine que Flaminius, général romain, ayant près de lui, dans un festin, une courtisane qui lui disait qu’elle n’avait jamais vu d’homme décapité, commanda qu’un criminel condamné à mort fût exécuté sous ses yeux, au milieu même du banquet. Les censeurs le chassèrent du sénat pour avoir osé associer l’horreur du sang répandu aux joies d’un festin, et donné comme un spectacle agréable la mort d’un homme, bien que coupable, joignant ainsi le libertinage à l’homicide. Mais combien plus grand fut le crime d’Hérode, d’Hérodiade et de cette jeune fille qui, comme prix d’une danse lascive, demande la tête d’un prophète, pour avoir en sa puissance cette langue qui avait condamné un commerce criminel.

« Et la tête de Jean fut donnée à cette fille » — S. Grég. (Moral. 3, 5). Ce n’est pas sans un étonnement profond que je considère cet homme, rempli de l’esprit de prophétie dès le sein de sa mère (Lc 1), et qui n’en eut point de plus grand que lui parmi ceux qui sont nés des femmes, jeté en prison par les méchants, décapité pour récompenser la danse lascive d’une jeune fille, et mourant, lui d’une sainteté si éminente, pour l’amusement de gens infâmes ! Pourrions-nous penser, en effet, que cette mort ignominieuse a été la peine de quelques fautes de sa vie ? Non, Dieu n’abaisse et n’humilie ainsi ses élus sur la terre, que parce qu’il sait comment il les récompensera dans les cieux ; concluons de là ce que souffriront un jour ceux qu’il réprouve, s’il tourmente ainsi ceux qu’il aime. — S. Grég. (Moral. 29, 16). Jean-Baptiste n’a pas été mis à mort pour avoir confessé le nom du Christ, mais comme victime de la vérité et de la justice. Or, comme le Christ est la vérité, c’est pour le Christ qu’il a combattu jusqu’à la mort.

« Ses disciples vinrent ensuite, » etc. — S. Jér. Nous pouvons entendre ici les disciples de Jean aussi bien que ceux du Sauveur. — Rab. Josèphe raconte que Jean fut amené chargé de chaînes au château de Machéronte, et que ce fut là qu’il fut décapité. L’histoire nous apprend d’ailleurs qu’il fut enseveli dans Sébaste, ville de Palestine, appelée autrefois Samarie.

S. Chrys. (hom. 50.) Remarquez comment les disciples de Jean sont entrés dans une plus grande intimité avec Jésus ; ce sont eux qui viennent le trouver pour lui annoncer la mort du saint précurseur : « Et ils vinrent l’annoncer à Jésus. » Ils abandonnent tous les autres pour se réfugier auprès de Jésus-Christ, après avoir été amenés à lui peu à peu, et par la réponse qu’il leur avait faite, et par le malheur qu’ils venaient d’éprouver.

 

S. Hil. (can. 12.) Dans le sens mystique, Jean est la figure de la loi, parce que c’est la loi qui a prédit le Christ, et c’est en prenant son point de départ dans la loi qu’il annonçait lui-même le Christ. Hérode est le roi du peuple, et en cette qualité, il représente seul la personne et la cause de tout le peuple qui lui est soumis. Jean-Baptiste rappelait à Hérode qu’il lui était défendu d’épouser la femme de son frère ; car le peuple de la circoncision et les Gentils forment deux peuples distincts. Ces peuples sont frères et descendent de la souche commune du genre humain. Mais la loi défendait au peuple d’Israël de se mêler aux oeuvres des Gentils et d’imiter leur incrédulité, qui leur était étroitement unie comme par les liens intimes du mariage. Or, le jour de sa naissance, c’est-à-dire au milieu des joies profanes de la terre, la fille d’Hérodiade dansa ; car la volupté qui est comme la fille de l’infidélité, se mêlait à toutes les joies d’Israël avec tous les mouvements désordonnés de ses charmes séducteurs, et le peuple lui était vendu comme par un serment. En effet, les Israélites vendirent honteusement les biens ineffables de la vie éternelle en se livrant aux péchés et aux voluptés du siècle. Cette volupté, sous l’inspiration de sa mère, c’est-à-dire de l’incrédulité, a demandé qu’on lui apportât la tête de Jean-Baptiste, c’est-à-dire la gloire de la loi ; mais le peuple, convaincu du bien que renfermait la loi, ne consent pas aux exigences de la volupté sans ressentir une vive douleur du danger auquel il s’expose ; il sait qu’il n’aurait pas dû sacrifier la gloire des commandements qui lui ont été donnés, mais enchaîné par ses péchés comme par un serment, dépravé et vaincu par la crainte et par l’exemple des princes qui l’entourent, il obéit avec tristesse aux séductions de la volupté. La tête de Jean est donc apportée dans un plat à la fin des joies dissolues de ce peuple impudique. C’est toujours au détriment de la loi qu’on voit se développer et s’accroître la volupté des sens et le luxe des mondains. Cette tête passe des mains de la mère dans celles de la fille ; c’est ainsi que le peuple d’Israël, par un trait de honteuse lâcheté, livre la gloire de la loi à la débauche et à l’incrédulité. Les temps que devait durer la loi étant expirés et ensevelis avec Jean-Baptiste, ses disciples viennent annoncer au Sauveur ce qui vient d’avoir lieu, et passent ainsi de la loi à l’Évangile.

 

S. Jér. Ou bien encore, nous voyons jusqu’à ce jour dans cette tête de Jean-Baptiste, qui était prophète, les Juifs qui ont perdu Jésus-Christ, la tête et le chef des prophètes. — Rab. C’est parmi eux que le prophète a perdu la langue et la voix. — Remi. Ou bien la décollation de Jean-Baptiste signifie la diminution, l’amoindrissement que subit sa réputation dans l’opinion des Juifs, qui s’étaient imaginés qu’il était le Christ (Lc 3, 15) ; de même que l’élévation du Seigneur sur la croix représente le progrès de la foi, et c’est dans ce sens que Jean avait dit (Jn 1) : « Il faut qu’il croisse, et moi que je diminue. »

 

vv. 13-14.

La Glose. Le Sauveur ayant appris la mort de celui qui l’avait baptisé, se retira dans la solitude : « Jésus l’ayant appris, il monta dans une barque et se retira dans un lieu désert. » S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 45.) L’Évangéliste place cette retraite du Sauveur immédiatement après le martyre de Jean-Baptiste : donc ce n’est qu’après la mort du précurseur qu’est arrivé ce fait qu’il a raconté d’abord : « Hérode, troublé de ce qu’on lui apprenait de Jésus, dit : C’est Jean-Baptiste ! » On doit donc regarder comme arrivés postérieurement les faits racontés par saint Luc, que le bruit public porte jusqu’aux oreilles d’Hérode, et qui lui font demander avec inquiétude quel est celui dont il apprend de telles choses, après qu’il a fait lui-même mourir Jean-Baptiste. — S. Jér. S’il se retire dans un lieu désert, ce n’est point par crainte de la mort, comme se l’imaginent quelques-uns, mais pour épargner à ses ennemis d’ajouter un second homicide au premier. Peut-être aussi voulait-il différer sa mort jusqu’à la fête de Pâques, jour où l’agneau figuratif devait être immolé, et où les portes des croyants devaient être marquées de son sang. Peut-être encore se retira-t-il pour nous donner l’exemple de ne point nous exposer avec témérité à la persécution ; car tous ne supportent pas les tourments avec la même constance qu’ils mettent à les affronter. C’est pour cela qu’il nous dit dans un autre endroit : « Lorsqu’ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre. » (Mt 10) L’expression dont se sert l’Évangéliste est d’ailleurs parfaitement choisie ; car il ne dit pas : Il s’enfuit dans un lieu désert, mais : Il se retira, de manière qu’il se dérobe plutôt à ses persécuteurs qu’il ne les craint. Il a pu aussi, en apprenant la mort de Jean-Baptiste, se retirer dans le désert pour un autre motif, c’est-à-dire pour éprouver la foi de ceux qui croyaient en lui. — S. Chrys. (hom. 50.) Ou bien encore, c’est qu’il voulait agir comme homme dans beaucoup de choses, le temps n’étant pas encore arrivé de dévoiler sa divinité ; c’est pour cela qu’il défend ailleurs à ses disciples de dire à personne qu’il est le Christ, tandis qu’après sa résurrection il veut qu’on le publie hautement. C’est pour le même motif qu’il ne voulut pas se retirer avant qu’on lui eût appris ce qui venait d’arriver, bien qu’il le sût parfaitement de lui-même, pour établir en toute circonstance la vérité de son incarnation, et la faire croire non-seulement par le témoignage des yeux, mais par celui des oeuvres. Or, il se retire, non pas dans une ville, mais dans le désert, et en montant dans une barque, afin que personne ne pût le suivre. Mais le peuple ne l’abandonne pas, et ne laisse pas de le suivre, sans être effrayé de ce qui est arrivé à Jean-Baptiste. « Et le peuple l’ayant su, le suivit à pied, » etc.

S. Jér. Le peuple suit le Sauveur non sur des chars ou sur des bêtes de somme, mais en se soumettant aux fatigues d’un long voyage à pied, pour montrer le désir qu’il avait de s’attacher à Jésus. — S. Chrys. (hom. 50.) Cette sainte ardeur fut aussitôt récompensée. « Lorsqu’il sortait, dit l’Évangéliste, il vit une grande multitude et il en eut compassion, et il guérit leurs malades. » L’affection de ce peuple, qui abandonnait ses demeures pour le chercher avec tant d’empressement, était bien grande ; mais ce qu’il faisait en leur faveur était bien supérieur aux efforts de leur zèle : aussi l’Évangéliste donne-t-il comme cause de ces guérisons la miséricorde. Quelle plus grande miséricorde, en effet, que celle qui guérit tous les malades qu’on lui présente, sans exiger d’eux la foi !

S. Hil. (can. 14.) Dans le sens mystique, le Verbe de Dieu, lorsque la loi a cessé d’exister, monte dans une barque pour se réunir à l’Église et se dirige vers le désert ; il rompt tout commerce avec le peuple d’Israël et passe dans les cœurs qui étaient vides de la connaissance de Dieu. Le peuple, l’ayant appris, sort de la ville pour le suivre au désert, et quitte ainsi la synagogue pour entrer dans l’Église. A cette vue, le Sauveur a pitié d’eux et guérit toutes leurs langueurs et toutes leurs infirmités, c’est-à-dire qu’il purifie les âmes et les corps plongés dans la léthargie de l’incrédulité, pour les rendre capables de comprendre la doctrine de la loi nouvelle. — Rab. Remarquons encore que c’est après qu’il s’est retiré dans le désert que la foule le suit, car il n’était adoré que par un seul peuple avant qu’il se rendît dans la solitude des nations. — S. Jér. Ils abandonnent leurs villes, c’est-à-dire leurs anciennes habitudes et leurs diverses croyances. Jésus va à leur rencontre et nous apprend par là que si ce peuple avait la volonté de venir le trouver il n’en avait pas la force, et c’est pour cela qu’il sort lui-même et le prévient.

 

vv. 15-21.

S. Chrys. (hom. 50.) Ce qui montre la foi de ce peuple, c’est que malgré la faim qu’il éprouve, il persévère avec le Sauveur jusqu’au soir. « Le soir étant venu, ses disciples s’approchèrent de lui et lui dirent : Ce lieu-ci est désert. » Notre-Seigneur, qui a le dessein de donner à manger à cette multitude, attend cependant qu’il en soit prié. C’est ainsi que jamais Il ne s’empresse de faire des miracles, mais qu’il attend toujours qu’on lui en fasse la demande. Mais pourquoi donc n’en est-il pas un seul dans toute cette multitude pour s’approcher de lui ? C’est par un profond sentiment de respect, et le désir ardent d’être toujours avec lui leur fait oublier le besoin de la faim. Les disciples eux-mêmes ne viennent pas lui dire : Donnez-leur à manger, car leurs dispositions étaient encore trop imparfaites ; mais ils lui représentent que le lieu est désert. Ce que les Juifs avaient regardé comme un miracle impossible dans le désert, lorsqu’ils disaient : « Est-ce qu’il pourra nous dresser une table dans le désert ? » (Ps 77) c’est ce que Jésus se propose de faire. Il conduit ce peuple dans le désert, afin que ce miracle ne laisse aucune place au doute et que personne ne puisse penser que c’est un des bourgs voisins qui a fourni le pain qu’il distribue à ce peuple. Ce lieu est désert, il est vrai, mais celui qui nourrit tout ce qui respire le remplit de sa présence, et quoique l’heure soit passée, comme le font remarquer les Apôtres, celui qui parle ici n’est pas soumis aux heures dont se composent nos journées. Bien que pour préparer ses disciples à ce miracle il eût commencé par guérir un grand nombre de malades, ils étaient encore si imparfaits qu’ils ne pouvaient soupçonner le miracle qu’il devait opérer en multipliant les pains, et c’est pour cela qu’ils lui disent : « Renvoyez le peuple, » etc. Remarquez la sagesse du divin Maître : il ne leur dit pas immédiatement : « Je les nourrirai, » car ils ne l’auraient pas cru facilement, mais il leur répond : « Il n’est pas nécessaire qu’ils s’en aillent, donnez-leur vous-mêmes à manger. » — S. Jér. Il les presse ainsi de distribuer du pain à la multitude, pour que la grandeur du miracle devînt plus éclatante par l’aveu qu’ils feraient eux-mêmes qu’ils n’avaient pas de pain à lui donner.

S. Aug. (De l’accord des Evang., 2, 46.) On peut être embarrassé pour concilier la narration de saint Jean, d’après laquelle Notre-Seigneur, à la vue de toute cette multitude, demande à Philippe comment on pourrait donner à manger à tout ce peuple, avec ce que raconte ici saint Matthieu, que les disciples prièrent Notre-Seigneur de renvoyer le peuple pour qu’il pût acheter des aliments dans les villages voisins. Pour résoudre cette difficulté, il suffit de dire que c’est après ces paroles que le Seigneur, ayant vu cette grande multitude, adresse à Philippe les paroles que saint Jean rapporte et qu’ont omises saint Matthieu et les autres évangélistes. Et en général, disons qu’un évangéliste peut raconter ce qu’un autre a passé sous silence, sans qu’on doive se laisser arrêter par de semblables difficultés.

S. Chrys. (hom. 50.) Cette réponse du Sauveur ne suffit pas pour donner aux disciples de plus hautes idées ; ils continuent de lui parler comme s’il n’était qu’un homme : « Et ils lui répondirent : Nous n’avons ici que cinq pains, » etc. Cependant les disciples nous donnent ici une preuve de leur sagesse dans le peu de souci qu’ils prennent de la nourriture. Ils étaient douze et n’avaient que cinq pains et deux poissons. Ils méprisaient les besoins du corps, et ils étaient tout entiers aux choses spirituelles. Mais comme leurs pensées se tramaient encore sur la terre, le Sauveur les amène insensiblement au miracle qu’il veut opérer : « Et il leur dit : Apportez-moi ces pains. » Pourquoi donc n’a-t-il pas tiré du néant ces pains avec lesquels il doit nourrir la foule ? C’est pour fermer la bouche à Marcion et aux Manichéens, qui soutiennent que les créatures sont complètement étrangères à Dieu, et pour montrer par ses oeuvres que toutes les choses visibles sont sorties de sa main et ont été créées par lui. C’est ainsi qu’il prouve quel est celui qui produisit les fruits et qui a dit au commencement : « Que la terre produise les plantes verdoyantes. » (Gn 1.) Le miracle qu’il va faire n’est pas moins grand, car il ne faut pas une moindre puissance pour nourrir une grande multitude avec cinq pains et quelques poissons que pour faire sortir les fruits de la terre, et du sein des eaux les reptiles et les animaux qui ont la vie et le mouvement, double création qui le proclame le Seigneur de la terre et de la mer. L’exemple des disciples nous apprend que le peu même que nous possédons nous devons aimer à le verser dans le sein des pauvres. En effet, aussitôt que le Seigneur leur ordonne d’apporter leurs cinq pains, ils obéissent sans songer à répondre : « Comment pourrons-nous apaiser notre faim ? » « Et après avoir commandé au peuple de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et, levant les yeux au ciel, il les bénit, » etc. Pourquoi lever les yeux au ciel et bénir ces pains ? C’était pour déclarer qu’il venait du Père et qu’il était son égal. Il prouvait qu’il était égal à son Père en agissant en tout avec puissance, et il montrait qu’il venait du Père en lui rapportant tout ce qu’il faisait et en l’invoquant avant toutes ses oeuvres. C’est comme preuve de cette double vérité que tantôt il opérait ses miracles avec puissance, tantôt il priait avant de les faire. Il faut de plus remarquer que pour les miracles moins importants il lève les yeux vers le ciel, et que pour les plus éclatants, il agit avec une puissance absolue. Ainsi, lorsqu’il ressuscite les morts, quand il met un frein à la fureur des flots, quand il juge les pensées secrètes des cœurs, quand il ouvre les yeux de l’aveugle-né, oeuvres qui ne peuvent avoir que Dieu pour auteur, nous ne le voyons pas recourir à la prière ; mais lorsqu’il multiplie les pains (miracle inférieur à ceux qui précèdent), il lève les yeux au ciel pour vous apprendre que même dans les prodiges moins importants il n’agit point par une puissance différente de celle de son Père. Il nous apprend en même temps à ne jamais prendre nos repas avant d’avoir rendu grâces à Celui qui nous donne la nourriture. Notre-Seigneur veut en outre opérer un miracle avec ces cinq pains pour amener ses disciples à croire en lui, car ils étaient encore bien faibles dans la foi. C’est pourquoi il lève les yeux vers le ciel. Car s’ils avaient déjà été témoins d’un grand nombre de miracles, ils n’en avaient pas encore vu de semblable.

S. Jér. Le Sauveur rompt le pain, et le pain se multiplie. Si ces pains étaient restés entiers et qu’ils n’eussent pas été partagés par morceaux, ni multipliés en si grande quantité, jamais ils n’auraient pu rassasier une si grande multitude. Or, remarquons que c’est par l’intermédiaire des Apôtres que le peuple reçoit du Seigneur cette nourriture. « Et il les donne à ses disciples. » — S. Chrys. (hom. 50.) Il veut en cela non-seulement leur faire honneur, mais rendre impossible et l’incrédulité, et l’oubli à l’égard d’un miracle auquel leurs mains elles-mêmes rendaient témoignage. Il permet que la multitude éprouve d’abord le besoin de la faim, que les disciples s’approchent de lui, l’interrogent et lui remettent les pains entre les mains pour multiplier les preuves de ce miracle et les circonstances qui devaient en conserver le souvenir. En ne donnant aux peuples que des pains et des poissons, et en les leur distribuant d’une manière égale, il leur enseigne l’humilité, la tempérance et la charité qui devait leur faire regarder toutes les choses comme communes entre eux. Le lieu même où il les nourrit, l’herbe sur laquelle il les fait asseoir, contiennent un enseignement, car il ne veut pas seulement apaiser leur faim, mais aussi nourrir leur âme. Or, les pains et les poissons se multipliaient entre les mains des disciples, comme l’indique la suite du récit : « Et tous en mangèrent, » etc. Le miracle ne s’arrêta pas là et la multiplication s’étendit au delà du nécessaire, de manière qu’après avoir multiplié les pains entiers, il permit qu’il restât une grande quantité de morceaux. Le Seigneur veut prouver ainsi que ce sont vraiment les restes des pains qu’il a multipliés, convaincre les absents de la vérité du miracle et montrer à tous que ce n’est pas un prodige imaginaire : « Et ils emportèrent douze paniers pleins des morceaux qui étaient restés. » — S. Jér. Chacun des apôtres remplit son panier avec les restes des pains multipliés miraculeusement par le Sauveur, et ces restes prouvent que ce sont de vrais pains qu’il a multipliés. — S. Chrys. (hom. 50.) Il voulut qu’il restât douze corbeilles pleines, afin que Judas pût aussi porter la sienne. Il fait aussi emporter ces restes par ses disciples, et non par la foule, dont les dispositions étaient moins parfaites. — S. Jér. Le nombre de ceux qui furent rassasiés était de cinq mille et correspondait aux cinq pains qui furent distribués : « Or, le nombre de ceux qui mangèrent était de cinq mille hommes. » — S. Chrys. (hom. 50.) Un trait à la louange de ce peuple, c’est que les femmes comme les hommes suivaient Jésus-Christ quand le miracle fut opéré. — S. Hil. Les pains ne se multiplient pas en d’autres pains entiers, mais aux premiers morceaux en succèdent d’autres, et le pain se multiplie soit dans l’endroit qui sert de table, soit dans les mains de ceux qui s’en nourrissent.

Rab. Saint Jean, avant de raconter ce miracle (Jn 6), nous fait observer que la Pâque était proche. Saint Matthieu et saint Marc le placent immédiatement après le martyre de Jean-Baptiste, d’où nous devons conclure que le saint Précurseur fut décapité aux approches de la fête de Pâques et que c’est l’année suivante, au retour de la même fête, que s’accomplit le mystère de la passion du Sauveur.

S. Jér. Toutes les circonstances de ce miracle sont pleines de mystères. Notre-Seigneur l’opère non le matin, ni au milieu de la journée, mais le soir, lorsque le soleil de justice est couché. — Remi. Le soir signifie la mort du Sauveur, car c’est lorsque le soleil de vérité se coucha sur l’autel de la croix qu’il rassasia ceux qui étaient tourmentés par la faim. Ou bien le soir est la figure du dernier âge du monde, cet âge où le Fils de Dieu vint nourrir la multitude de ceux qui croyaient en lui. — Rab. Les disciples prient le Sauveur de renvoyer le peuple pour qu’il achète de quoi manger dans les villages voisins ; c’est le dégoût que les Juifs ont pour les Gentils, qu’ils regardent comme plus propres à chercher leur nourriture dans les écoles de philosophes que dans les divins pâturages des livres sacrés.

S. Hil. (can. 14.) Mais le Seigneur répond : « Il n’est point nécessaire qu’ils y aillent ; » il nous apprend ainsi que ceux qu’il a guéris n’ont pas besoin de se nourrir d’une doctrine vénale et qu’il n’est pas nécessaire de retourner dans la Judée pour s’y procurer des aliments. Il commande donc à ses disciples de leur donner eux-mêmes à manger. Est-ce donc qu’il ignorait qu’ils n’avaient rien à leur donner ? Mais toutes les circonstances de ce miracle demandent à être expliquées dans un sens figuré. Les Apôtres n’avaient pas encore reçu le pouvoir de consacrer et de distribuer le pain du ciel qui devait être la nourriture de la vie éternelle. Leur réponse doit être entendue dans le sens spirituel ; ils étaient réduits à n’avoir que cinq pains, c’est-à-dire les cinq livres de la loi, et deux poissons, c’est-à-dire qu’ils n’avaient d’autre nourriture que la prédication de Jean-Baptiste et des prophètes. — Rab. Ou bien par ces deux poissons il faut entendre les psaumes et les prophéties ; car l’Ancien Testament comprend ces trois choses la loi, les prophètes et les psaumes.

 

S. Hil. (can. 14.) Les Apôtres ne purent d’abord donner au peuple que ces trois choses qui étaient en leur possession ; mais la prédication de l’Évangile, en venant s’y ajouter, y puisa le principe de cette force divine dont les développements vont toujours croissants. Le Sauveur fait ensuite asseoir le peuple sur le gazon, ce n’est plus sur la terre qu’il se repose, mais sur le lit que lui présente la loi, et comme l’herbe repose sur la terre, chacun s’assied et se repose sur les fruits de ses oeuvres. — S. Jér. Ou bien il les fait asseoir sur le gazon, et d’après un autre Évangéliste (Mc 6), par groupe, de cinquante et de cent, afin qu’après avoir foulé aux pieds les inclinations de la chair, et placé au-dessous d’eux les voluptés du siècle comme un gazon desséché, ils s’élèvent par la pénitence, représentée par le nombre cinquante, à la perfection du nombre cent. Il lève les yeux vers le ciel, pour leur apprendre à diriger leurs regards de ce côté ; il leur rompt le pain de la loi avec celui des prophètes, et leur en expose les mystères, afin que ce qui ne pouvait servir de nourriture en demeurant dans son entier, pût rassasier la multitude des nations, lorsqu’il serait divisé en plusieurs parties.

S. Hil. (can. 14.) Les pains sont remis entre les mains des Apôtres, car c’était par eux que les dons de la grâce divine devaient être distribués. Le nombre de ceux qui mangèrent fut le même que le nombre de ceux qui devaient embrasser la foi ; car nous lisons dans le livre des Actes (Ac 4), que sur la multitude presque innombrable du peuple juif, cinq mille se convertirent à la foi. — S. Jér. Parmi ceux qui mangèrent de ces pains, il y eut cinq mille hommes parvenus à la plénitude de l’âge ; les femmes et les enfants, (c’est-à-dire la faiblesse du sexe et celle de l’âge), ne sont pas dignes d’être compris dans ce nombre. Aussi dans le livre des Nombres (Nb 1), les esclaves, les femmes, les enfants et le bas peuple ne sont pas compris dans le dénombrement. — Rab. Pour nourrir cette multitude affamée, le Sauveur ne créé pas de nouveaux aliments, mais il prend ceux qui étaient entre les mains de ses disciples, et il les bénit ; il nous apprenait ainsi qu’en venant dans une chair mortelle, il n’annonçait pas d’autres vérités que celles qui avaient été prédites, et il montrait que la loi et les prophètes renfermaient dans leur sein les plus grands mystères. Les disciples emportent les morceaux qui restent ; ce sont les mystères les plus secrets, qui ne peuvent être compris des esprits grossiers ; ils ne doivent pas être reçus avec négligence, mais devenir l’objet de l’étude la plus sérieuse de la part des douze Apôtres et de leurs successeurs, figurés ici par les douze paniers. Les paniers ou corbeilles servent à des usages communs, et Dieu a choisi ce qui est vil et bas aux yeux du monde, pour confondre ce qui est fort (1 Co 1). On peut voir dans ces cinq mille hommes les cinq sens du corps humain, et une figure de ceux qui, sous la livrée du monde, font un bon usage des choses extérieures.

 

vv. 22-33.

S. Chrys. (hom. 50.) Notre-Seigneur, voulant livrer à un examen sérieux le miracle qu’il vient d’opérer, ordonne à ceux qui en ont été les témoins de se séparer de lui ; car en supposant que lui présent, on pût croire qu’il n’avait fait ce miracle qu’en apparence, on ne pourrait en porter le même jugement lorsqu’il aurait disparu. C’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Et aussitôt Jésus obligea ses disciples d’entrer dans une barque et de le précéder. » — S. Jér. Nous avons ici une preuve que c’était malgré eux que les disciples se séparaient du Sauveur, et que dans l’affection qu’ils avaient pour ce divin Maître, ils ne voulaient même pas le quitter un seul instant.

S. Chrys. (hom. 50 et 51). Remarquons que toutes les fois que le Seigneur a opéré de grandes choses, il renvoie le peuple, et nous engeigne ainsi à ne pas rechercher la gloire qui vient des hommes, et à ne pas attirer le peuple après nous. Il nous apprend aussi à ne pas nous mêler continuellement à la multitude et à ne pas la fuir non plus toujours, mais à fréquenter tour à tour le monde et la solitude. « Après avoir renvoyé la foule, il monta seul sur la montagne, » etc. Il nous enseigne ici les avantages de la solitude, lorsque nous voulons nous entretenir avec Dieu. Jésus se rend dans le désert, et il y passe la nuit en prières, pour nous apprendre à choisir les temps et les lieux où nous pourrons nous livrer dans le calme à la prière. — S. Jér. Ces paroles : « Il monta seul pour prier, » ne doivent pas être rapportées à la nature divine qui vient de rassasier cinq mille tommes avec cinq pains, mais à la nature humaine qui se retire dans la solitude en apprenant la mort de Jean-Baptiste. Ce n’est pas que nous divisions la personne du Seigneur, mais il faut admettre une distinction entre les oeuvres qui viennent de Dieu, et celles qui ne viennent que de l’homme.

 

S. Aug. (De l’acc. des Evang., liv. 2, chap. 47.) Il semble qu’il y ait ici contradiction entre saint Matthieu, d’après lequel Jésus, après avoir renvoyé le peuple, monte seul sur la montagne pour y prier, et saint Jean, qui rapporte qu’il était sur la montagne lorsqu’il nourrit la multitude. Mais comme saint Jean raconte qu’après ce miracle il s’enfuit sur la montagne pour ne pas être retenu par le peuple qui voulait le faire roi, il est évident qu’il était descendu de la montagne dans la plaine lorsqu’il fit distribuer les pains à la foule. Ce que dit saint Matthieu : « il monta sur la montagne pour prier, » n’est pas contraire à ce que dit saint Jean : « Lorsqu’il sut qu’ils allaient venir pour le faire roi, il s’enfuit tout seul sur la montagne. » Le désir de prier n’exclut pas l’intention qu’il avait de fuir ; au contraire, le Seigneur nous apprend ici que nous avons une raison pressante de prier lorsque nous sommes obligés de fuir. Il n’y a pas plus de contradiction entre le récit de saint Matthieu, où Notre-Seigneur ordonne d’abord à ses disciples de monter dans la barque, et congédie ensuite le peuple avant de monter seul sur la montagne pour y prier, et le récit de saint Jean, où nous lisons : « Il s’enfuit seul sur la montagne. Et lorsque le soir fut venu, ses disciples descendirent au bord de la mer, et lorsqu’ils furent montés dans la barque, » etc. Car qui ne voit que saint Matthieu raconte sommairement et par récapitulation, tandis que saint Jean ne rapporte qu’ensuite ce que firent les disciples, c’est-à-dire ce que Notre-Seigneur leur avait ordonné avant de s’enfuit sur la montagne.

 

S. Jér. C’est avec bien de la raison que les disciples ne se séparent du Seigneur que malgré eux, et contre leur volonté, dans la crainte d’être exposés à un naufrage en son absence, car, ajoute l’Évangéliste : « Le soir étant venu, la barque était battue par les flots. » — S. Chrys. (hom. 51.) Les disciples essuient de nouveau une tempête, mais la première fois ils avaient le Sauveur avec eux dans leur barque ; et maintenant ils sont seuls ; c’est ainsi qu’il les conduit par degrés à de plus grandes épreuves, et qu’il leur apprend à tout supporter avec courage. — S. Jér. Pendant que le Seigneur est sur le sommet de la montagne, soudain un vent contraire s’élève, agite la profondeur de la mer, et met les disciples en danger, et ils sont menacés du naufrage jusqu’au moment où Jésus arrive.

S. Chrys. (hom. 51.) Pendant toute la nuit il les laisse ballottés par les flots, il veut, par là, relever leur âme abattue par la crainte, leur inspirer un vif désir de sa personne qui le rende continuellement présent à leur souvenir. C’est pour cela qu’il ne vient pas immédiatement à leur secours ; car l’Évangéliste ajoute : « Or, à la quatrième veille de la nuit. » — S. Jér. Les heures de la nuit sont divisées en trois parties d’après les veilles où l’on relevait les postes militaires établis lour la nuit, et en rapportant que le Seigneur ne vint à eux qu’à la quatrième veille, c’est nous indiquer qu’ils furent en danger toute la nuit. S. Chrys. (hom. 51.) Il leur apprend ainsi à ne pas chercher avec trop d’empressement à échapper aux maux qui les menacent, mais supporter avec courage les épreuves qui leur arrivaient. Or, c’est justement au moment où ils espéraient être délivrés, que leur crainte est à son comble. « Et lorsqu’ils le virent marcher sur les flots, ils lurent troublés, » etc. Telle est la conduite du Seigneur lorsqu’il est sur le point de mettre fin à une épreuve. C’est alors qu’il fait naître de nouveaux dangers, et inspire de plus grandes appréhensions ; car le temps de l’épreuve ne devant pas être bien long, lorsque les combats des justes touchent à leur fin, il augmente leurs dangers pour augmenter leurs mérites ; c’est ce qu’il fit pour Abraham, dont la dernière épreuve fut l’immolation de son fils.

 

S. Jér. Ces cris confus, ces voix sans expression sont l’indice d’une crainte excessive. Or, s’il est vrai, comme le prétendent Marcion et les Manichéens, que le Seigneur ne soit pas né d’une vierge, et qu’il n’ait qu’une apparence fantastique, comment les Apôtres craignent-ils de voir un fantôme. — S. Chrys. (hom. 51.) Ce n’est qu’après qu’ils ont jeté ces cris que le Seigneur se révèle à ses disciples ; car plus leur frayeur avait été grande, plus aussi leur joie fut vive en le voyant au milieu d’eux. Aussitôt Jésus leur parla et leur dit : « Rassurez-vous, c’est moi ; ne craignez pas. » Cette parole dissipe leurs craintes, et ouvre leur âme à la confiance. — S. Jér. Il dit : « C’est moi, » et il n’explique pas qui il est ; mais comme sa voix leur était connue, ils pouvaient le reconnaître malgré la profonde obscurité de la nuit. Ou bien encore, ils reconnurent en lui celui qu’ils savaient avoir ainsi parlé à Moïse (Ex 3) : « Voilà ce que vous direz aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous. » Partout on retrouve la foi vive de Pierre ; c’est cette foi vive, qui dans cette circonstance comme dans toutes les autres, lui fait espérer, alors que tous les autres gardent le silence, qu’il pourra faire par la puissance du Maître ce qui lui était naturellement impossible. « Or, Pierre, prenant la parole, lui dit : « Seigneur, si c’est vous, commandez-moi d’aller à vous, » etc. Commandez-moi, et soudain les flots s’affermiront, et mon corps pesant par sa nature, deviendra léger. — S. Aug. (serm. 13 sur les par. du Seig.) Je ne le puis de moi-même, mais par votre puissance. Pierre reconnut ainsi ce qu’il avait de lui-même, et la puissance supérieure à toute faiblesse humaine que le Sauveur pouvait lui communiquer et dont il lui donnait l’assurance. — S. Chrys. (hom. 51.) Voyez combien grande est sa ferveur, combien grande est sa foi, il ne dit pas : Demandez, priez, mais : « Ordonnez. » Il ne s’est pas borné à croire que le Christ pouvait marcher sur les flots, mais il a cru qu’il pouvait communiquer cette puissance aux autres, et il désire vivement aller le rejoindre, non point par ostentation, mais par amour pour son divin Maître. En effet, il ne dit pas : Commandez que je marche sur les eaux, mais : « Commandez que je vienne à vous. » Il est évident qu’après avoir montré par le premier miracle qu’il vient d’opérer que la mer lui est soumise, il en fait maintenant un plus grand et plus admirable encore : « Et Jésus lui dit : Venez. » Et Pierre, descendant de la barque, marchait sur l’eau pour aller à Jésus. — Que ceux qui prétendent que le corps dit Seigneur n’est pas véritable, parce qu’il a marché comme une substance aérienne et légère sur les eaux qui cèdent si facilement, expliquent comment Pierre a pu marcher sur ces mêmes eaux, bien qu’ils soient obligés de reconnaître en lui un homme véritable. — Rab. Théodore a soutenu aussi que le corps du Seigneur était sans pesanteur, et qu’il avait marché sur la mer sans peser sur elle ; mais cette opinion est contraire à la foi catholique ; car saint Denis a écrit que Notre-Seigneur marchait sur l’eau sans que ses pieds fussent mouillés, bien qu’ils fussent pesants et matériels comme tous les corps (liv. des Noms divins, chap. 1.)

S. Chrys. (hom. 51.) Pierre, qui vient de triompher de la plus grande difficulté en marchant sur les eaux de la mer, se laisse troubler par un obstacle beaucoup moindre, par le souffle du vent. « Mais, voyant la violence du vent, » etc. Telle est la nature humaine, elle déploie souvent un courage admirable au milieu des grandes épreuves, et elle faiblit dans les circonstances ordinaires. Cette crainte qu’éprouve Pierre, montre la différence qui séparait le maître du disciple, et en même temps elle calmait la jalousie des autres Apôtres. Car s’ils furent contrariés de la demande faite par les deux frères de s’asseoir à la droite du Sauveur (Mt 20), ils l’eussent été bien davantage de la fermeté avec laquelle saint Pierre eût marché sur les eaux. Ils n’étaient pas encore remplis de l’Esprit saint, ce n’est que plus tard que devenus tout spirituels, ils accordent en toute circonstance la primauté à Pierre, et lui donnent la première place dans toutes leurs assemblées. — S. Jér. Dieu laisse un peu d’action à la tentation, pour augmenter la foi de Pierre, et lui faire comprendre que ce qui l’a sauvé du danger, ce n’est point la prière qu’il lui adresse si facilement, mais la puissance divine. Sa foi était vive, mais la fragilité humaine l’entraînait dans l’abîme.

S. Aug. (serm. 13 sur les paroles du Seig.) Pierre mit donc sa confiance dans le Seigneur, et le Seigneur lui rendit le pouvoir qu’il lui avait accordé, il chancela par suite de la faiblesse de l’homme, mais il revint aussitôt au Seigneur. « Et lorsqu’il commençait à enfoncer, il s’écria, » etc. Est-ce que le Seigneur laisserait chanceler celui dont il a entendu la prière ? « Et aussitôt Jésus étendant la main, » etc.

S. Chrys. (hom. 51.) Jésus ne commande pas aux vents de s’apaiser, mais il étend la main pour le soutenir, parce qu’il fallait que pierre fit preuve de foi. Lorsque tous nos moyens humains font défaut, c’est alors que Dieu fait paraître sa puissance. Et pour le convaincre que ce n’est pas la violence du vent, mais son peu de foi qui l’a mis en danger, il lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi avez-vous douté ? » Preuve que le vent n’aurait pu rien contre lui, si sa foi avait été plus ferme. Notre-Seigneur Jésus-Christ fait ici ce que fait la mère qui voit le petit oiseau sortir du nid avant d’être assez fort, et sur le point de tomber, elle le prend sur ses ailes, et le reporte dans son nid. « Et lorsqu’il fut monté dans la barque, ceux qui étaient là se jetèrent à ses pieds, en disant : Vous êtes vraiment le Fils de Dieu. » — Rab. Paroles qu’on peut entendre des matelots ou des Apôtres. — S. Chrys. (hom. 51.) Voyez comme il les conduisait tous par degrés vers ce qui est plus élevé. Il a commandé précédemment à la mort, mais sa puissance paraît bien plus grande lorsqu’il marche sur la mer, qu’il commande à un autre d’en faire autant, et qu’il le sauve du danger qui le menace. Aussi s’empressent-ils de reconnaître sa divinité : « Vous êtes vraiment le Fils de Dieu, » ce qu’ils n’avaient pas fait auparavant. — S. Jér. En voyant Jésus rendre à la mer par un seul signe le calme qu’elle ne recouvre ordinairement qu’après de violentes secousses, les matelots et les passagers le proclament le vrai I”ils de Dieu. Pourquoi donc Anus ose-t-il enseigner dans l’Église qu’il n’est qu’une créature ? —

S. Aug. (serm. 14 sur les par. du Seig.) Dans le sens mystique, la montagne, c’est l’élévation ; mais qu’y a-t-il dans l’univers de plus élevé que le ciel ? Or, notre foi connaît celui qui monte au ciel. Mais pourquoi y monte-t-il seul ? Parce que personne ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel (Jn 3). Lors même qu’à la fin des temps il viendra pour nous faire monter avec lui jusqu’au ciel, il y montera seul encore, car la tête avec le corps ne forment qu’un seul Christ. Maintenant le chef seul y est monté, et pour prier, parce qu’il y est monté afin d’intercéder pour nous. — S. Hil. (can. 14.) Il est seul vers le soir, figure de l’abandon où il doit être au temps de sa passion lorsque la crainte aura dispersé tous ses disciples. — S. Jér. Il monta encore seul sur la montagne, parce que la foule ne peut s’élever avec lui vers les choses sublimes, avant qu’il ne l’ait enseigné près de la mer, sur le rivage. — S. Aug. (serm. 14 sur les par. du Seig.) Cependant dans le temps où le Christ prie sur la montagne, la barque est agitée sur la mer par une violente tempête, et les vagues qui la couvrent peuvent la submerger. Dans cette barque, vous devez voir l’Église, et dans cette mer agitée, le monde présent. — S. Hil. (can. 14.) Il ordonne à ses Apôtres de monter dans la barque, et de traverser le détroit pendant qu’il congédie la foule, et, après l’avoir renvoyée, il monte sur la montagne ; c’est-à-dire au sens figuré, qu’il nous commande de rester dans le sein de l’Église et de voguer sur la mer du monde jusqu’au temps où il reviendra dans la gloire pour sauver les restes d’Israël et leur pardonner leurs péchés. Après avoir renvoyé le peuple d’Israël, ou plutôt après l’avoir admis dans le royaume céleste, il s’assiera dans sa gloire et dans sa majesté en rendant à Dieu le Père d’éternelles actions de grâces. Mais en attendant, les disciples sont le jouet des vents et de la mer, et livrés à ces agitations du monde que soulève contre eux l’esprit du mal. — S. Aug. (serm. 14 sur les par. du Seig.) Lorsqu’un homme qui joint à une volonté impie une grande puissance, cherche à persécuter l’Église, c’est la mer en furie qui se soulève contre la barque du Christ. — Rab. Aussi est-ce avec raison que l’Évangéliste nous représente la barque au milieu de la mer, tandis que Jésus est seul sur la terre, car souvent l’Église gémit sous le poids de telles afflictions, que le Seigneur paraît l’avoir abandonnée pour un moment.

 

S. Aug. (serm. 14 sur les paroles du Seigneur.) Le Seigneur vint trouver ses disciples battus par les flots, à la quatrième veille, c’est-à-dire vers la fin de la nuit, car la veille est de trois heures et la nuit est divisée en quatre veilles. — S. Hil. La première veille fut celle de la loi ; la seconde, celle des prophètes ; la troisième, celle de l’avènement corporel du Sauveur ; la quatrième sera celle de son retour dans la gloire. — S. Aug. (serm. 14 sur les paroles du Seigneur.) Il vient à la quatrième veille de la nuit, lorsque la nuit touche à sa fin, et c’est aussi à la fin du monde, lorsque la nuit de l’iniquité aura disparu, qu’il viendra juger les vivants et les morts. Il vient les trouver d’une manière merveilleuse ; les flots se soulevaient, mais il les foulait aux pieds ; ainsi, quel que soit le soulèvement des puissances de ce monde, leur tête orgueilleuse se trouve foulée aux pieds de celui qui est notre tête. — S. Hil. (can. 14.) Lorsque le Christ reviendra à la fin des temps, il trouvera l’Église fatiguée et comme assiégée de tous côtés, et par l’esprit de l’Antéchrist, et par les agitations du monde entier. Et comme les fourberies de l’Antéchrist inspireront aux fidèles une juste défiance contre toute nouveauté, ils seront effrayés même de l’avènement du Seigneur, craignant d’être le jouet de fausses représentations et de fantômes destinés à tromper les yeux. Mais le bon Maître dissipera toutes leurs craintes en leur disant : « C’est moi, » et par la foi qu’ils auront en son avènement, il les délivrera du naufrage qui les menace. — S. Aug. (Quest. évang., liv. 1, quest. 14.) Ou bien les disciples, en croyant que c’est un fantôme, sont la figure de ceux qui se sont laissé vaincre par le démon et qui douteront de l’avènement du Christ. Pierre, au contraire, qui implore le secours du Seigneur pour ne pas être submergé, représente l’Église qui, après la dernière persécution, aura encore besoin d’être purifiée par quelques tribulations, vérité qu’exprime l’apôtre saint Paul, lorsqu’il dit : « Il ne laissera pas d’être sauvé, mais comme par le feu. » (1 Co 3.) — S. Hil. Ou bien encore Pierre qui, de tous ceux qui sont dans la barque, est le seul pour oser adresser la parole au Seigneur et lui demander l’ordre d’aller à lui sur les eaux, semble prédire les dispositions de son âme au temps de la passion, alors que s’attachant aux pas du Sauveur, il voulut le suivre jusqu’à la mort. Mais la crainte qui s’empare de lui annonce aussi la faiblesse qu’il a montrée dans cette épreuve, lorsque la crainte de la mort le porta jusqu’à renier son divin Maître. Le cri qu’il jette exprime les gémissements de sa pénitence. — Rab. Le Seigneur jeta sur lui un regard et le convertit ; il étendit la main et lui accorda le pardon de sa faute ; et c’est ainsi que ce disciple trouva le salut qui ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. — S. Hil. Jésus n’accorda pas à Pierre le pouvoir de venir jusqu’à lui ; il se contenta de le soutenir en lui tendant la main, et en voici la raison : c’est que lui seul devait souffrir pour tous les hommes et pouvait les délivrer de leurs péchés, et il ne veut partager avec personne l’oeuvre du salut qu’il accomplit seul pour l’universalité du genre humain. — S. Aug. (serm. 13 et 14 sur les paroles du Seigneur.) Dans ce seul apôtre (c’est-à-dire dans pierre, le premier, le chef du collège apostolique et qui figure l’Église), nous sont représentées les deux classes d’hommes : les forts, lorsqu’il marche sur les eaux ; les faibles, lorsque le doute s’empare de son âme. La tempête, c’est la passion qui domine chacun de nous. Vous aimez Dieu ? Vous marchez sur la mer et vous foulez aux pieds la crainte du monde. Vous aimez le monde ? Il vous submerge. Mais lorsque votre cœur est agité par les flots des passions, si vous voulez en triompher, invoquez la divinité du Sauveur.

Remi. Le Seigneur viendra certainement à votre secours, lorsqu’après avoir apaisé les flots des tentations, il vous donnera l’espoir d’échapper au danger par la protection dont il vous couvre ; c’est ce qu’il fera aux approches de l’aurore, car, lorsque la fragilité humaine, comme assiégée par les épreuves, considère son peu de force, elle ne voit que ténèbres autour d’elle, mais si alors elle élève sa pensée vers le secours qui vient d’en haut, elle aperçoit aussitôt le lever du jour qui éclaire toute la veille du matin. — Rab. Il n’est point étonnant que le vent cesse au moment où le Seigneur monte dans la barque, car toutes les guerres s’apaisent bientôt dans tout cœur où le Seigneur est présent par sa grâce. — S. Hil. (can. 14.) Le calme que Jésus rend aux vents et à la mer est une figure de cette paix et de cette tranquillité éternelles qu’il doit rendre à 1’Église en revenant dans sa gloire. Et comme cet avènement sera beaucoup plus éclatant que le premier, tous s’écrient pleins d’admiration : « Vous êtes vraiment le Fils de Dieu, » car tous proclameront alors d’une manière absolue et publique que le Fils de Dieu descendu sur la terre non plus dans l’humilité de la chair, mais au milieu de là gloire dont il est environné dans les cieux, a rendu la paix à son Église. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 14.) Nous voyons encore ici une figure de la manifestation éclatante qu’il fera de lui-même à ceux qui marchent ici-bas dans la foi et qui le verront alors tel qu’il est.

 

vv. 34-36.

Remi. L’Évangéliste nous a fait connaître précédemment l’ordre donné par le Seigneur à ses disciples de monter dans la barque et de le devancer au delà du détroit. Il continue son récit et nous apprend où ils abordèrent après cette traversée : « Et ayant traversé le lac, ils vinrent dans la terre de Génézareth.

Rab. La terre de Genezar, qui s’étend sur les bords du lac de Génézareth, tire son nom de la nature même du lieu. Ce nom vient d’un mot grec qui signifie s’engendrant à elle-même le vent, parce que la surface du lac, toujours ridée, produit une brise continuelle.

 

S. Chrys. L’Évangéliste nous apprend que ce fut après une longue absence que Jésus vint dans ce pays, en ajoutant : « Et lorsqu’ils le connurent, » etc. Ils apprirent son arrivée par la renommée et non en le voyant de leurs yeux, quoique certainement par suite des grands miracles qu’il opérait dans ces contrées, un grand nombre de personnes le connaissaient de vue. Et voyez quelle est la foi de ces habitants de la terre de Génézareth : ils ne se contentent pas de la guérison de ceux qui vivent au milieu d’eux ; mais ils envoient aux villes d’alentour pour les presser d’accourir toutes au souverain médecin. — S. Chrys. Ils ne l’entraînent plus dans leurs maisons comme auparavant et ne lui demandent plus d’imposer les mains, mais ils méritent ses faveurs par une foi plus grande : « Et ils lui présentèrent tous les malades, le priant qu’il leur permît seulement de toucher le bord de son vêtement. » Cette femme qui souffrait d’une perte de sang leur avait enseigné cette haute sagesse, qu’en touchant seulement la frange des vêtements du Christ ils seraient sauvés. On voit d’après cela que l’absence du Sauveur non-seulement ne leur fit point perdre la foi, mais au contraire la rendit plus vive, et c’est par la vertu de cette foi qu’ils furent tous sauvés : « Et tous ceux qui le touchaient étaient guéris. » — S. Jér. Si nous connaissions la signification du mot Génézareth dans notre langue, nous comprendrions comment, sous cette figure des Apôtres et de leur barque, Jésus veut nous représenter l’Église qu’il fait aborder au rivage après l’avoir sauvée du naufrage et qu’il fait reposer dans le port, à l’abri de toute agitation. — Rab. Genezar signifie le principe de la naissance ; or, nous jouirons d’une tranquillité entière et parfaite quand Jésus-Christ nous rendra l’héritage du ciel et le vêtement de joie que nous avions porté autrefois. — S. Hil. Ou bien, dans un autre sens, les temps de la loi étant expirés et cinq mille hommes d’Israël entrés dans l’Église, le peuple des croyants sauvé par la foi, quoique sorti de la loi, présente au Seigneur ce qui lui reste d’infirmes et de malades, qui tous désirent toucher les franges de ses vêtements, et doivent être sauvés par la foi. Mais de même que les franges pendent du vêtement tout entier, ainsi la vertu de l’Esprit saint sortait de Jésus-Christ, et cette vertu communiquée aux Apôtres, comme sortis eux-mêmes du même corps, guérit tous ceux qui désirent s’en approcher. — S. Jér. ou bien encore, par cette frange de la robe, vous pouvez entendre les plus petits commandements ; celui qui les transgresse sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux ; ou bien encore le corps qu’il a revêtu pour nous faire parvenir jusqu’au Verbe de Dieu. — S. Chrys. Pour nous, non-seulement nous pouvons toucher le vêtement ou la frange de Jésus-Christ, mais même son corps qu’il nous donne à manger. Or, si ceux qui touchèrent seulement la frange de son vête. ment en ressentirent une influence si salutaire, que n’éprouverons. nous pas, nous qui le recevons tout entier ?

 

 

CHAPITRE XV.

vv. 1-6.

Rab. Les habitants de Génézareth et les esprits les plus simples croient en Jésus-Christ, tandis que ceux qui paraissent sages à leurs propres yeux viennent pour lui livrer combat, selon ces paroles : Vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et vous les avez révélées aux petits. » C’est ce que 1’Évangéliste veut exprimer lorsqu’il dit : « Alors des scribes et des pharisiens, qui étaient venus de Jérusalem s’approchèrent de Jésus. » S. Aug. (De l’accord des Evang., 2, 49.) Saint Matthieu a disposé l’ordre de son récit de manière que ces paroles : « Alors des scribes et des pharisiens s’approchèrent, » etc., servent à la fois de transition et indiquent la suite chronologique des événements.

S. Chrys. (hom. 52.) L’Évangéliste nous marque ici le temps pour dévoiler l’excès de leur méchanceté sans égale, car ils choisissent pour l’attaquer le moment où il vient de faire une multitude de miracles et de guérir les malades par le seul contact de la frange de sa robe. Ces scribes, ces pharisiens viennent de Jérusalem ; ce n’est pas qu’ils ne fussent disséminés dans toutes les tribus, mais ceux qui habitaient la métropole étaient pires que les autres à cause des grands honneurs qui leur étaient rendus et de l’orgueil excessif qui en était la suite. — Remi. Ils sont doublement coupables, parce qu’ils venaient de Jérusalem, la ville sainte, et parce qu’ils étaient les anciens du peuple et les docteurs de la loi et que leur intention n’était pas de consulter le Sauveur, mais de trouver à le reprendre : « Et ils lui dirent : Pourquoi vos disciples violent-ils la tradition des anciens ? » — S. Jér. Étonnante folie des pharisiens et des scribes ! Ils reprochent au Fils de Dieu de ne point garder les traditions et les préceptes des hommes. — S. Chrys. (hom. 54.) Voyez comme ils sont pris dans leurs propres paroles : ils ne demandent point pourquoi transgressent-ils la loi de Moïse, mais pourquoi violent-ils les traditions des anciens ? preuve évidente que les prêtres introduisaient un grand nombre de nouveautés, malgré cette défense de Moïse : « Vous n’ajouterez rien aux paroles que je vous dis aujourd’hui et vous n’en retrancherez rien. » C’est alors qu’ils devaient s’affranchir de ces pratiques, qu’ils se liaient par un plus grand nombre de vaines observances, parce qu’ils craignaient qu’on ne vînt leur enlever l’autorité souveraine, et qu’ils voulaient se rendre redoutables en leur qualité de législateurs.

 

Remi. — Quelles étaient ces traditions ? Saint Marc nous l’apprend : Les pharisiens et tous les Juifs ne mangent point qu’ils ne se lavent fréquemment les mains. » (Mc 7.) Voilà pourquoi ils adressent ce reproche aux disciples de Jésus : « Ils ne lavent pas leurs mains. » — Bède (sur S. Matth.) Comme ils entendaient les paroles des prophètes dans un sens charnel, ils n’observaient ce précepte que Dieu donne par Isaïe : « Lavez-vous et soyez purs » qu’en lavant leurs corps, et ils avaient donc établi qu’on ne pouvait manger qu’après s’être lavé les mains. — S. Jér. On doit se laver les mains, c’est-à-dire purifier les oeuvres non du corps, mais de l’âme, pour qu’elles puissent accomplir la parole de Dieu. — S. Chrys. (hom. 52.) Les disciples mangeaient sans s’être lavé les mains, parce qu’ils rejetaient les observances superflues pour ne s’attacher qu’au nécessaire ; ils ne se croyaient obligés ni à se laver, ni à ne se pas laver les mains, et ils pratiquaient l’un et l’autre suivant les occasions. Car, comment auraient-ils pu attacher de l’importance à une semblable tradition, eux qui n’avaient même aucun souci de la nourriture qui leur était nécessaire ? — Remi. Ou bien ce que les pharisiens reprochent aux disciples du Seigneur n’est pas de manquer à l’usage reçu de se laver les mains lorsqu’il eu est besoin, mais de ne pas observer ici les coutumes inutiles, introduites par les traditions des anciens (cf. Mc 7).

 

S. Chrys. (hom. 52.) Jésus-Christ n’excuse pas directement ses disciples ; mais, prenant le rôle d’accusateur, il fait voir aux scribes et aux pharisiens que ce n’est pas à ceux qui se rendent coupables de fautes énormes qu’il appartient de reprendre les fautes légères que peuvent commettre les autres. Mais il leur répondit : Pourquoi vous-mêmes violez-vous le commandement de Dieu ? » etc. Il ne dit pas que ses disciples font bien pour ne pas donner aux. Juifs occasion de les calomnier ; mais il ne les blâme pas non plus, pour ne point paraître approuver leurs traditions Il n’accuse pas non plus les anciens, ce qu’ils auraient repoussé comme un outrage, mais il reprend ceux qui sont venus le trouver, tout en blâmant indirectement les anciens qui avaient établi cette tradition. « Et vous, pourquoi violez-vous les commandements de Dieu pour votre tradition ? » — S. Jér. C’est-à-dire : Comment, vous violez les Commandements de Dieu pour une tradition tout humaine, et vous reprochez à mes disciples d’attacher peu d’importance aux prescriptions des anciens pour observer les commandements de Dieu ? car Dieu a fait ce commandement : « Honore ton père et ta mère. » Cet honneur dont parle l’Écriture consiste moins en marques de déférence, de respect, que dans l’assistance et dans les secours effectifs qu’on leur donne : « Honorez les veuves qui sont vraiment veuves, » dit saint Paul (1 Tm 5), honneur qu’il faut entendre des secours qui leur sont donnés. Dieu, en faisant ce commandement, avait eu en vue les Infirmités, l’âge ou l’indigence des parents, et voulait que les enfants honorassent leurs parents en leur procurant les choses nécessaires à la vie (cf. Ex 20 ; Dt 5 ; Qo 3). — S. Chrys. (hom. 52.) Dieu a voulu montrer combien les parents devaient être honorés par leurs enfants, en sanctionnant ce précepte par la récompense et par le châtiment. Mais Notre-Seigneur, passant sous silence la récompense promise à ceux qui honorent leurs parents, c’est-à-dire une longue vie sur la terre, s’arrête de préférence à ce qui est de nature à les effrayer, c’est-à-dire au châtiment, pour inspirer une vive crainte aux uns et convertir les autres. C’est pour cela qu’il ajoute : « Que celui qui aura outragé son père ou sa mère soit puni de mort. » Il leur prouve par là qu’ils sont vraiment dignes de mort ; car si celui qui outrage de paroles son père ou sa mère est puni de mort, combien plus méritez-vous ce châtiment, vous qui les outragez par vos actions. Et non-seulement vous manquez à l’honneur qui est dû à vos parents, mais encore vous enseignez aux autres à le leur refuser. Comment donc osez-vous accuser mes disciples, vous qui ne méritez pas même de vivre ?

Notre-Seigneur leur fait connaître la manière dont ils violent ce commandement de Dieu, en ajoutant : « Mais vous, vous dites : Quiconque aura dit à son père ou à sa mère : Tout don que j’offre de mon bien, tourne à votre profit. » — S. Jér. Les scribes et les pharisiens, voulant détruire cette loi divine et providentielle, pour couvrir leur impiété sous l’apparence de la religion, enseignèrent aux enfants dénaturés que s’ils avaient l’intention de consacrer à Dieu, qui est le Père véritable, ce qui était destiné à leurs parents, ils devaient préférer ce sacrifice aux secours que leur père et leur mère avaient droit d’attendre d’eux. — La Glose. Voici donc le sens de ces paroles : Ce que j’offre à Dieu vous servira aussi bien qu’à moi ; vous ne devez donc pas prendre pour votre usage ce qui m’appartient, mais permet que je l’offre à Dieu. — S. Jér. Ou bien il est probable que les parents, dans la crainte d’encourir le crime de sacrilège, n’osaient prendre ce qu’ils voyaient consacré à Dieu, et qu’ils étaient réduits à la dernière pauvreté ; il arrivait ainsi que l’offrande faite par les enfants sous le prétexte du temple et de Dieu, tournait au profit des prêtres. La Glose. Le sens serait donc celui-ci : Quiconque, c’est-à-dire dire vous, jeunes gens, qui aura dit (ou qui aura pu dire, ou qui dira) à son père ou à sa mère : Mon père, le don que j’offre à Dieu de mon bien, tournera à votre profit, servira à votre usage ; c’est-à-dire vous ne devez pas le prendre, pour ne pas vous rendre coupable de sacrilège. Ou bien encore, on peut dire, en suppléant à ce qui manque : Quiconque dira à son père, etc., sous-entendez, accomplira le commandement de Dieu, ou accomplira la loi, ou sera digne de la vie éternelle. — S. Jér. On peut encore donner cette explication abrégée : Vous forcez les enfants de dire à leurs parents : Le don que j’allais offrir à Dieu, je l’emploie par là même à votre entretien, et il tourne à votre profit, mon père et ma mère ; mais non, il n’en est pas ainsi. — La Glose. Et c’est ainsi que par suite des conseils que lui aura donnés votre avarice, ce fils n’aura aucun respect pour son père et sa mère, comme il le dit en propres termes : Et il n’honorera ni son père ni sa mère, » comme s’il disait : Voila les mauvais conseils que vous donnez aux enfants, et vous êtes cause que ce fils, plus tard, ne rendra ni à son père ni à sa mère l’honneur qu’il leur doit. C’est ainsi que ce commandement de Dieu qui fait un devoir aux enfants d’assister leurs parents, vous l’avez rendu inutile à cause de votre tradition en servant les intérêts de votre avarice. — S. Aug. (contre l’ennemi de la loi et des prophètes, 2, 1) Jésus-Christ nous montre ainsi avec évidence, que c’est la loi de Dieu même dont l’hérétique fait l’objet de ses blasphèmes, et que les Juifs ont des traditions étrangères aux livres prophétiques, et que l’Apôtre appelle des fables profanes et des contes de vieilles femmes (1 Tm 4.) — S. Aug. (cont. Faust., 16, 24.) Notre-Seigneur nous enseigne ici plusieurs choses, d’abord qu’il ne détournait pas les Juifs du Dieu qu’ils adoraient ; et que bien loin de violer lui-même ses commandements, il condamnait ceux qui se rendaient coupables de cette transgression, et qu’enfin ce n’était que par Moïse qu’il avait donné ces préceptes. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 15.) Ou bien dans un autre sens : « Le présent que j’offre de mon bien tournera à votre profit, » c’est-à-dire : Le présent que vous offrez pour moi, vous appartiendra désormais ; paroles qui signifient que les enfants n’avaient plus besoin des sacrifices que leurs parents offraient pour eux, lorsqu’ils étaient arrivés à l’âge où ils pouvaient les offrir eux-mêmes. Parvenus à cet âge, où ils pouvaient tenir ce langage à leurs parents, les pharisiens niaient qu’ils fussent coupables de manquer à l’honneur qu’ils leur devaient.

 

vv. 7-11.

S. Chrys. (hom. 52.) Le Seigneur vient de prouver aux pharisiens qu’ils n’avaient pas droit d’accuser ceux qui transgressaient la tradition des anciens, alors qu’ils violaient eux-mêmes la loi de Dieu. Il établit encore la même vérité par le témoignage du prophète : « Hypocrites, leur dit-il, Isaïe a bien prophétisé de vous. » Rem. Un hypocrite est un homme qui feint, qui simule, et qui affecte de paraître au dehors tout autre qu’il n’est au fond du cœur. C’est avec raison qu’il les appelle hypocrites, eux, qui sous prétexte d’honorer Dieu, ne cherchaient qu’à amasser les biens de la terre. — Rab. Isaïe a prévu cette hypocrisie des Juifs qui les porterait à combattre artificieusement l’Évangile ; et c’est pour cela qu’il a dit au nom du Seigneur : « Ce peuple m’honore des lèvres, » etc. — Remi. Le peuple juif paraissait s’approcher de Dieu, et l’honorer des lèvres et de la bouche ; car il se faisait gloire de n’adorer qu’un seul Dieu ; mais son cœur s’éloigna de lui, parce qu’après avoir vu tant de prodiges et de miracles, il ne voulut ni reconnaître sa divinité, ni le recevoir. — Rab. Ils l’honoraient des lèvres, lorsqu’ils disaient : « Maître, nous savons que vous êtes vrai ; » mais leur cœur était bien loin de lui, lorsqu’ils envoyèrent des hommes pour lui tendre des pièges et le surprendre dans ses discours. — La Glose. Ou bien ils l’honoraient en recommandant les purifications extérieures et légales, mais comme ils n’avaient point la pureté intérieure, leur cœur était loin de Dieu, et l’honneur qu’ils lui rendaient était sans fruit pour eux, comme l’ajoute le Sauveur : « Et c’est en vain qu’ils m’honorent, enseignant des maximes et des ordonnances humaines. » — Rab. Ils n’auront point de part à la récompense des vrais adorateurs, eux qui enseignent des doctrines et des préceptes purement humains, au mépris des commandements qui viennent de Dieu.

S. Chrys. (hom. 52.) Après avoir donné un nouveau poids à l’accusation dirigée contre les pharisiens, en l’appuyant de l’autorité du prophètes sans qu’il ait pu les amener à de meilleurs sentiments, il cesse de leur parler, et il s’adresse au peuple : « Puis, ayant appelé le peuple, il leur dit : Écoutez, et comprenez bien ceci. » Comme il doit exposer à la foule une vérité élevée et pleine de sagesse, avant de l’énoncer, il prépare les esprits à la recevoir, en témoignant d’abord des égards et de la sollicitude pour ce peuple ; ce que l’Évangéliste nous indique par ces paroles : « Puis, ayant appelé le peuple. » Les circonstances sont d’ailleurs on ne peut plus favorables pour ce qu’il valeur dire ; car ce n’est qu’après avoir ressuscité des morts et triomphé des pharisiens qu’il propose sa loi pour la faire plus facilement accepter. Il ne se contente pas d’appeler la foule, mais il la rend plus attentive par ces paroles : « Entendez, et comprenez, » c’est-à-dire prêtez votre attention, et élevez votre esprit pour comprendre mes paroles. Il ne leur dit pas : Il ne faut pas faire de distinction entre les aliments, ou c’est à tort que Moïse a prescrit cette distinction ; mais, puisant ses preuves dans la nature même des choses, il parle sous forme d’avertissement et de conseil, et il dit : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, » etc. La traduction de saint Jérôme porte : Qui rend commun (cf. Mc 7, 15). — S. Jér. Le mot communicat est une expression particulière aux Écritures, et qui n’est point employé dans le langage ordinaire. Le peuple juif qui se vantait d’être l’héritage de Dieu, donnait le nom de nourriture commune ou impure aux viandes dont se nourrissent tous les hommes, comme la viande de porc, de lièvre, et d’autres animaux qui n’ont pas le sabot fendu, qui ne ruminent pas, et parmi les poissons, ceux qui n’ont point d’écailles. C’est dans ce sens que nous lisons dans les Actes des Apôtres (Ac 10) : « Ne regardez pas comme commun ce que Dieu a sanctifié. » Ainsi le mot commun, qui exprime ce qui est permis aux autres hommes, comme ne faisant point partie de l’héritage de Dieu, est pris ici dans le sens d’impur.

S. Aug. (cont. Faust., 6, 7.) L’Ancien Testament, qui défend certains aliments, n’est nullement en opposition avec ce que le Seigneur dit ici : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille, » ni avec ces autres paroles de l’Apôtre : « Tout est pur pour ceux qui sont purs » (Tt 1), et encore : « Toute créature de Dieu est bonne. » (1 Tm 4.) Que les Manichéens, s’ils le peuvent, comprennent que l’Apôtre a voulu parler ici des substances considérées en elles-mêmes, tandis que la sainte Écriture, pour établir certaines figures qui étaient en rapport avec le temps, considère certains animaux comme impurs, non pas de leur nature, mais par la signification qui s’y trouve attachée. Ainsi, par exemple, que l’on demande si le porc et l’agneau sont purs de leur nature, il faudra répondre affirmativement, parce que « toute créature de Dieu est bonne. » Mais si on les considère sous un certain rapport significatif, l’agneau est pur, le porc ne l’est pas. Il en est de même pour les mots fou et sage : l’un et l’autre sont purs, si on les considère dans le son de la voix qui les prononce, aussi bien que dans les lettres et les syllabes qui les composent ; mais considérés dans leur signification, le nom de fou, peut recevoir la qualification d’impur, non pas dans sa nature, mais parce qu’il signifie quelque chose d’impur. Peut-être aussi que le fou est dans l’ordre des réalités ce que le porc est dans l’ordre des figures. Ainsi cet animal et ce mot latin de deux syllabes (stultus), que nous traduisons par fou, auraient une seule et même signification ; car la loi répute le porc immonde, parce qu’il ne rumine pas, ce qui tient à sa nature, et n’est point un vice en lui. Il est des hommes qui sont figurés par cet animal, et qui sont impurs par leur propre faute et non par nature, parce qu’après avoir écouté volontiers les leçons de la sagesse, ils n’y pensent plus en aucune façon. Car si après avoir reçu des enseignements utiles, vous les rappelez comme des entrailles de votre mémoire, et que vous reportiez la douceur de ce souvenir comme dans la bouche de la pensée, que faites-vous en cela, que ruminer spirituellement ? Ceux qui agissent différemment sont figurés par les animaux impurs. Or, cette multitude de choses qui nous sont proposées ou dans des expressions allégoriques, ou dans des observances figuratives, font sur les esprits raisonnables une douce et salutaire impression. Mais un grand nombre de ces choses étaient pour le peuple juif autant de préceptes qu’il devait non seulement écouter, mais encore mettre en pratique. C’était le temps où les mystères, dont Dieu réservait la révélation aux siècles qui suivirent, devaient être prophétisés non-seulement par des paroles, mais encore par des faits. Lorsque plus tard ces mystères ont été révélés par le Christ, et dans le Christ, ces observances n’ont pas été imposées comme un joug aux nations qui embrassèrent la foi, mais l’autorité de la prophétie qu’elles contenaient a conservé toute sa force. Or, je demanderai aux Manichéens si cette maxime du Seigneur : « Ce qui entre dans la bouche ne souille pas, » est vraie ou fausse ; s’ils prétendent qu’elle est fausse, pourquoi leur docteur Adimantus, qui reconnaît qu’elle vient de Jésus-Christ, s’en fait une arme pour battre en brèche l’Ancien Testament ? Si elle est vraie, comment peuvent-ils admettre contre sa déclaration que la nourriture souille l’homme ?

S. Jér. Un lecteur attentif pourra nous faire cette difficulté : « Si ce qui entre dans la bouche de l’homme ne le souille pas, pourquoi ne pas manger des viandes offertes aux idoles ? Nous répondons que les aliments et toute créature de Dieu sont purs par eux-mêmes ; mais que l’invocation des idoles et des démons rend impures ces viandes immolées aux idoles pour ceux qui les mangent avec la conviction qu’ils font un acte idolâtrique, et ainsi leur conscience qui est faible, en est souillée, suivant la parole de l’Apôtre (1 Co 8). — Remi. Mais celui qui est doué d’une foi assez grande pour comprendre que ce que Dieu a créé ne peut être souillé en aucune manière, sanctifie sa nourriture par la prière et par la parole de Dieu, et il peut manger ce qu’il voudra, à moins, toutefois, que cette liberté ne devienne un scandale pour les personnes faibles, comme le fait remarquer le même Apôtre.

 

vv. 12-14.

S. Jér. Une seule parole du Sauveur vient de détruire toute cette superstition des observances légales auxquelles tenaient tant les Juifs, persuadés que toute leur religion consistait à prendre telle nourriture ou à rejeter telle autre. — S. Chrys. (hom. 52.) Les pharisiens, ayant entendu la doctrine que Jésus vient d’enseigner, n’osent plus le contredire, car il les avait fortement convaincus non-seulement en repoussant leurs accusations, mais encore en dévoilant leurs fourberies, mais ils furent scandalisés (les pharisiens et non le peuple). « Alors les disciples s’approchant lui dirent : Savez-vous bien que les pharisiens, ayant entendu ce que vous venez de dire, s’en sont scandalisés ? — S. Jér. Comme le mot scandale est souvent employé dans la sainte Écriture, il nous faut expliquer en peu de mots ce qu’il signifie. Nous croyons pouvoir le définir, une pierre d’achoppement, une cause de chute ou un choc des pieds. Lors donc que nous lisons : « Quiconque aura scandalisé, » nous devons l’entendre dans ce sens : Celui qui en paroles ou en action aura été pour son frère une occasion de chute ou de ruine.

 

S. Chrys. (hom. 52.) Notre-Seigneur Jésus-Christ ne cherche pas à faire disparaître le scandale des pharisiens ; au contraire, il donne un nouveau cours à ses reproches : « Toute plante que n’a pas plantée mon Père céleste sera arrachée. » Les Manichéens prétendent qu’il veut parler ici de la Loi, mais cette opinion se trouve réfutée par ce qu’il a dit plus haut ; car, s’il avait ici la Loi en vue, comment aurait-il pris plus haut la défense de la Loi en leur disant : « Pourquoi transgressez-vous la loi de Dieu, à cause de votre tradition ? Comment aurait-il pu citer à l’appui l’autorité du prophète ? Si c’est Dieu qui a fait ce commandement : « Honorez votre père et votre mère, » comment ce précepte, qui fait partie de la Loi, ne serait-il pas la plantation de Dieu ? — S. Hil. (can. 14.) Donc ces paroles : « Toute plante qui n’a pas été plantée par mon Père céleste sera arrachée, » signifient que toute tradition humaine qui sert de prétexte à la violation de la loi doit être arrachée et rejetée. — Remi. Toute fausse doctrine, toute observance superstitieuse ne peuvent avoir de durée non plus que leurs auteurs, et comme elles ne viennent pas du Père, elles seront déracinées avec eux ; celle-là seule demeurera qui a été plantée par Dieu le Père. — S. Jér. Est-ce que cette plantation dont l’Apôtre a dit : « J’ai planté, Apollon a arrosé » serait aussi déracinée ? La réponse à cette question se trouve dans les paroles suivantes : « C’est Dieu qui a donné l’accroissement ». L’Apôtre ajoute encore : « Vous êtes le champ que Dieu cultive, vous êtes l’édifice que Dieu bâtit, » et dans le même verset : « Nous sommes les coopérateurs de Dieu ; » or, si nous sommes ses coopérateurs, donc lorsque Paul plante et qu’Apollon arrose, c’est Dieu qui plante et arrose avec ses coopérateurs. Ceux qui soutiennent le système de plusieurs natures différentes abusent de ce passage en disant : « Si la plantation que n’a pas faite le Père doit être arrachée, donc celle qu’il a faite ne sera jamais déracinée. » Jérémie leur répond : « Je vous ai planté comme une vigne choisie, comment êtes-vous devenus pour moi une vigne étrangère et pleine d’amertume ? » Dieu a planté, il est vrai, et personne ne peut déraciner ce qu’il a plante ; mais, comme cette plantation a ses racines dans le libre arbitre, aucun autre ne pourra la déraciner si elle ne donne son consentement. — La Glose. Ou bien cette plantation signifie les docteurs de la loi et leurs disciples, qui n’avaient pas Jésus-Christ pour fondement. Le Sauveur donne la raison pour laquelle ils seront déracinés : « Laissez-le ; ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles. » — Ils sont aveugles, c’est-à-dire privés de la lumière des commandements de Dieu, et ils sont conducteurs d’aveugles parce qu’ils entraînent les autres dans le précipice ; ils suivent eux-mêmes les sentiers de l’erreur et ils y égarent les autres. (1 Tm 3.) C’est pour cela qu’il ajoute : « Si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tombent tous deux dans la fosse. » — S. Jér. C’est le commandement que l’Apôtre avait fait à son disciple : « Fuyez celui qui est hérétique après le premier ou le second avertissement, en vous rappelant qu’un tel homme est perverti. » (Tt 3.) C’est dans le même sens que le Sauveur nous ordonne d’abandonner les docteurs de mensonge à leur volonté dépravée, convaincu qu’il était qu’on ne pouvait que difficilement les ramener à la vérité.

 

vv. 15-20.

Remi. Notre-Seigneur avait l’habitude de parler en paraboles. Pierre, ayant donc entendu ces paroles : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, » crut que c’était une expression parabolique ou figurée, et il fit au Sauveur la question suivante : « Expliquez-nous cette parabole. » Il parlait ainsi au nom de tous ; aussi le Seigneur fait tomber le reproche à la fois sur lui et sur les autres : « Et vous aussi, vous êtes encore sans intelligence ? — S. Jér. Le Sauveur fait un reproche à Pierre de regarder comme une parabole une vérité exprimée clairement, sans la moindre figure. Apprenons de là qu’on n’est pas un bon disciple lorsqu’on veut entendre avec clarté ce qui est obscur, ou regarder comme obscur ce qui est d’une clarté évidente. — S. Chrys. (hom. 52.) Ou bien le Seigneur le reprend, parce que ce n’était pas pour dissiper ses doutes que Pierre l’interrogeait, mais parce qu’il se scandalisait comme les pharisiens. Le peuple, en effet, n’avait pas compris ce qu’avait dit le Sauveur ; mais pour les disciples, ils en avaient été scandalisés. Aussi avaient-ils voulu d’abord l’interroger comme au nom des pharisiens ; mais ils en furent empêchés par cette grande vérité qu’ils entendent sortir de la bouche de Jésus : « Toute plante que mon Père n’a pas plantée sera arrachée, » etc. Mais Pierre, dont l’ardeur éclate partout, ne peut garder le silence. Aussi Jésus le reprend vivement et motive ainsi ses reproches : « Vous ne comprenez donc pas que ce qui entre dans la bouche descend dans le ventre et est jeté ensuite au lieu secret ? »

S. Jér. Il en est qui ont pris occasion de ces paroles pour reprocher au Seigneur d’avoir ignoré les lois physiques de la nutrition en pensant que tous les aliments descendent dans le ventre et sont jetés ensuite dans un lieu secret, tandis que la nourriture, soumise immédiatement à une espèce de dissolution, est distribuée dans les membres, dans les veines, dans les nerfs et jusque dans la moëlle des os. Mais ils doivent savoir aussi que lorsque les aliments ont subi, sous l’action d’un fluide délié, une opération qui les rend liquides et qu’ils ont été comme cuits et digérés dans les membres, ils descendent vers les parties inférieures du corps, que les Grecs appellent pores, et sont jetés ensuite dans un lieu secret. — S. Aug., (De la vraie relig., chap. 40.) Les aliments, après qu’ils ont été soumis à la dissolution et qu’ils ont perdu leur forme, sont distribués dans toutes les parties du corps et y deviennent des éléments réparateurs. Le mouvement vital les sépare en deux parties distinctes : l’une, parfaitement préparée, sert à développer l’admirable organisation de notre corps ; l’autre, dépouillée de tout principe nutritif, est rejetée par les canaux destinés à cet usage. Ainsi une partie, la plus grossière, est rendue à la terre pour y prendre de nouvelles formes ; une autre se sécrète et s’exhale par tous les pores du corps ; une autre enfin se répand dans toute l’économie intérieure du corps humain et devient un des principes de la génération.

S. Chrys. En parlant de la sorte à ses disciples, Notre-Seigneur se conforme encore aux idées imparfaites du judaïsme, il dit : La nourriture ne reste pas, mais elle s’en va, bien qu’elle ne pût souiller, même en restant dans le corps. Mais ils ne pouvaient encore comprendre cette doctrine, car Moïse leur avait ordonné de se considérer comme impurs tant que la nourriture était dans leurs entrailles, et de se laver et de se purifier le soir, qui est comme le temps où la digestion est faite et où le corps se débarrasse du reste des aliments. — S. Aug. (De la Trinité, 15, 18.) Le Seigneur, sous une même dénomination, a compris deux sortes de bouches dans l’homme : la bouche du corps et la bouche de l’âme. Dans ces paroles : « Tout ce qui entre dans la bouche, » etc., il ne peut être question que de la bouche du corps, tandis que c’est de la bouche du cœur que Notre-Seigneur veut parler dans le passage suivant : « Ce qui sort de la bouche part du cœur, et c’est ce qui souille l’homme. » — S. Chrys. (hom. 52.) Les choses qui sont au fond du cœur restent dans l’homme et le souillent non-seulement lorsqu’elles y restent, mais surtout lorsqu’elles en sortent ; c’est pour cela qu’il ajoute : « C’est du cœur que sortent les mauvaises pensées. » Il met les mauvaises pensées en première ligne, parce que c’était le vice particulier des Juifs qui lui tendaient des embûches. — S. Jér. La faculté principale de l’âme n’est donc pas, comme le veut Platon, dans le cerveau, mais dans le cœur, d’après Jésus-Christ, et cette doctrine condamne l’opinion de ceux qui prétendent que les pensées nous sont suggérées par le démon et ne sont pas le fruit de notre propre volonté. Le démon peut devenir l’auxiliaire et le fauteur des mauvaises pensées, mais non pas en être l’auteur. Car bien que cet ennemi, qui se tient toujours en embuscade, puisse développer par son souffle l’étincelle de nos pensées et en produire un grand incendie, nous devons en conclure non pas qu’il scrute les secrets cachés de notre cœur, mais que sur l’apparence extérieure et d’après nos actions, il conjecture ce qui se passe au fond de notre âme. Ainsi, par exemple, s’il nous voit jeter souvent les yeux sur une femme d’un extérieur agréable, il comprend que notre cœur a été blessé par ces regards de la flèche d’un amour coupable.

 

La Glose. Les pensées mauvaises produisent aussi les mauvaises actions et les paroles coupables défendues par la loi. C’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute les homicides que la loi proscrit par ce commandement : « Vous ne tuerez pas ; » les adultères et les fornicateurs par cet autre : « Vous ne commettrez pas d’adultère ; » les vols, par celui-ci : « Vous ne déroberez pas ; » les faux témoignages, par cet autre : « Vous ne ferez pas de faux témoignage contre votre prochain ; » les blasphèmes enfin, par ce précepte : « Vous ne prendrez pas le nom de Dieu en vain. »

Remi. Après avoir énuméré les vices que défend la loi divine, le Seigneur ajoute avec raison : « Voilà ce qui souille l’homme, » c’est-à-dire qui le rend immonde et impur. — La Glose. Et, comme pour développer cette doctrine, il a pris occasion de la méchanceté des pharisiens qui préféraient leurs traditions aux préceptes divins, il conclut en insistant sur le peu de raison de cette tradition : « Mais manger sans avoir lavé ses mains ne souille pas l’homme. » — S. Chrys. (homélie 52.) Il ne dit pas : Manger les viandes défendues par la loi ne souille pas l’homme, pour ne point soulever de nouvelles contradictions ; il ne comprend dans sa conclusion que ce qui avait été l’objet de la discussion.

 

vv. 22-28.

S. Jér. Notre-Seigneur laisse là les Juifs, les pharisiens et les calomniateurs et il se rend dans le pays de Tyr et dans celui de Sidon pour étendre ses bienfaits jusqu’aux habitants de cette contrée : « Et Jésus, étant parti de là, se retira dans le pays de Tyr et de Sidon. »

Remi. Tyr et Sidon étaient des villes habitées par des Gentils ; Tyr était la métropole des Chananéens, Sidon était situé sur les frontières de leur pays, du côté du nord. — S. Chrys. (hom. 53.) Remarquons que c’est au moment qu’il affranchit les Juifs des observances qui leur interdisaient certaines nourritures, qu’il ouvre aux Gentils la porte de l’Évangile. C’est ainsi que Pierre reçut dans une vision l’ordre de s’affranchir de cette loi, et qu’il fut envoyé immédiatement vers le centurion Corneille (Ac 10.) Si l’on demande pourquoi le Sauveur, qui avait dit à ses disciples : « Vous n’irez pas vers les nations, » y a été lui-même, nous répondrons d’abord qu’il n’était pas soumis aux préceptes qu’il donnait à ses disciples, et, en second lieu, qu’il n’y alla point pour prêcher 1’Évangile, mais pour y chercher une retraite, puisque saint Marc nous apprend (Mc 7) qu’il désirait que personne ne le sût.

Remi. Il y alla aussi pour faire sentir les effets de sa bonté aux habitants de Tyr et de Sidon, c’est-à-dire pour délivrer du démon la fille de cette pauvre femme et confondre, par l’exemple de sa foi, la méchanceté des scribes et des pharisiens. C’est cette femme, dont l’Évangéliste dit : « Voici qu’une femme chananéenne, qui était sortie de ce pays, » etc. — S. Chrys. (hom. 53.) Il nous fait remarquer qu’elle était Chananéenne pour nous faire voir l’efficacité de la présence de Jésus-Christ dans cette contrée. Les Chananéens, en effet, qui avaient été chassés de la Judée dans la crainte qu’ils ne vinssent à pervertir les Juifs, font ici preuve d’une plus grande sagesse en sortant de leur pays et en venant trouver Jésus-Christ. Or, cette femme, en s’approchant de Jésus, n’implore que sa miséricorde. Elle se met à crier à haute voix : « Ayez pitié de moi, Seigneur, fils de David. »

 

La Glose. Nous voyons ici la grande foi de la Chananéenne ; elle reconnaît un Dieu dans celui qu’elle appelle son Seigneur, elle confesse en même temps son humanité en l’appelant fils de David. Elle avoue qu’elle n’a aucun droit, aucun mérite, c’est la seule miséricorde de Dieu qu’elle implore en disant : « Ayez pitié de moi, » car la douleur de la fille est la douleur de la mère. Pour toucher davantage le cœur du Seigneur, elle lui fait le tableau du malheur qui l’afflige : « Ma fille est misérablement tourmentée par le démon » paroles qui découvrent au médecin les plaies qu’il doit guérir et qui lui font connaître la grandeur et la nature du mal : sa grandeur, lorsqu’elle dit : « Elle est tourmentée misérablement ; » sa nature, lorsqu’elle ajoute : « Par le démon. »

S. Chrys. (hom. 17 sur divers textes de S. Matth.) Voyez la sagesse de cette femme : elle n’a pas été trouver les hommes qui auraient pu la tromper ; elle n’a point eu recours à de vaines amulettes ; mais, abjurant toutes les pratiques du culte des démons, elle vient trouver le Seigneur. Elle ne s’adresse pas à Jacques, elle ne choisit pas Jean pour médiateur, elle ne vient pas trouver Pierre ; elle se couvre de la protection du repentir et accourt seule se jeter aux pieds du Sauveur. Mais quel résultat inattendu ! elle prie, elle fait retentir l’air de ses lamentations et de ses cris, et ce Dieu si bon, si tendre pour les hommes, ne lui répond pas un mot, comme le rapporte l’Évangéliste : « Et il ne lui répondit pas un mot. » — S. Jér. Ce n’est point sans doute par orgueil, comme les pharisiens ; ce n’est point par arrogance, comme les scribes, mais pour ne point paraître contredire cet ordre qu’il avait donné : « Vous n’irez point vers les nations. » Il ne voulait pas donner lieu à la calomnie et il réservait aux temps qui devaient suivre sa passion et sa résurrection la parfaite conversion des Gentils. — La Glose. S’il diffère de l’exaucer, s’il ne lui répond pas, c’est pour faire éclater la patience et la persévérance de cette femme. Disons encore que c’est pour donner lieu à la médiation des Apôtres et nous apprendre ainsi la nécessité de l’intercession des saints pour obtenir les grâces que nous demandons : « Et ses disciples s’approchant de lui, le priaient, » etc. — S. Jér. Les disciples, qui ne connaissaient pas encore la conduite mystérieuse du Sauveur, le priaient pour cette Chananéenne, soit par un sentiment de compassion soit par le désir de se débarrasser de ses importunités.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 2, 49.) Il semblerait qu’il y a ici une certaine contradiction entre le récit de saint Matthieu et celui de saint Marc, qui raconte que cette femme vint trouver Notre-Seigneur dans une maison où il se trouvait alors. Or, on peut dire que saint Matthieu n’a point parlé de cette circonstance, tout en racontant le même fait ; mais comme il rapporte que les Apôtres ont dit au Seigneur : « Renvoyez-la, parce qu’elle crie après nous, » il paraît indiquer clairement que cette femme adressait ses supplications au Seigneur en marchant à sa suite. Saint Marc, de son côté, raconte que cette femme entra dans la maison où était Jésus, parce qu’il avait dit précédemment que le Sauveur était dans cette maison, tandis que saint Matthieu, en disant : « Il ne lui répondit pas, » donne à entendre ce que ni l’un ni l’autre n’ont rapporté, que Jésus sortit de la maison en gardant le silence, et ainsi tout le reste se lie parfaitement sans l’ombre même de contradiction.

S. Chrys. (hom. 53.) Je présume que les disciples furent attristés du malheur de cette femme, cependant ils n’osèrent dire au Seigneur : « Accordez-lui cette grâce, » ils se contentent de lui dire : « Renvoyez-la. » C’est ainsi que souvent, lorsque nous voulons amener quelqu’un à notre sentiment, nous lui disons le contraire de ce que nous désirons. « Jésus leur répondit : Je ne suis envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël. » — S. Jér. Il ne dit pas d’une manière absolue qu’il n’est pas envoyé aux Gentils, mais il déclare qu’il a été envoyé premièrement au peuple d’Israël, et, ce peuple rejetant l’Évangile qui lui était offert, c’était avec justice que Dieu en faisait part aux Gentils. Remi. Il est aussi envoyé particulièrement pour le salut des Juifs, en ce sens qu’il devait les enseigner lui-même visiblement et en personne. — S. Jér. C’est avec intention qu’il dit : « Aux brebis perdues de la maison d’Israël, » pour nous faire comprendre qu’il est ici question de cette brebis égarée dont il parle dans une autre parabole. (Lc 15.) — S. Chrys. (hom. 53.) Mais lorsque cette femme vit que les Apôtres ne pouvaient rien pour elle, elle devînt impudente de la bonne sorte et saintement hardie ; car elle n’avait osé d’abord se présenter devant lui, comme l’indiquent ces paroles des disciples : « Elle crie après nous, » et c’est au moment où il semble qu’elle va se retirer dans de mortelles angoisses, qu’elle s’approche de plus près : « Mais elle s’approcha de lui et l’adora. » — S. Jér. Remarquez que cette Chananéenne commence par appeler à plusieurs reprises le Sauveur, Fils de David, puis ensuite, Seigneur, et qu’elle finit par l’adorer comme Dieu. — S. Chrys. (hom. 53.) Aussi ne lui dit-elle pas : « Priez ou intercédez auprès de Dieu, » mais « Seigneur, secourez-moi. » Mais plus cette femme multiplie ses supplications, plus aussi Jésus multiplie ses refus. Ce n’est plus le nom de brebis, mais celui d’enfants, qu’il donne aux Juifs ; tandis qu’il ne donne à cette femme que le nom de chienne. « Et il lui répondit : Il n’est pas bon, » etc. — La Glose. Les enfants, ce sont tes Juifs engendrés et nourris par la loi dans le culte d’un seul Dieu ; le pain, c’est l’Evangile, les miracles, et tout ce qui concourt à notre salut. Or, il n’est pas convenable que toutes ces grâces soient enlevées aux enfants et données aux Gentils qui sont ici désignés par les chiens, jusqu’à ce que les Juifs aient rejeté les biens qui leur sont offerts. — Rab. Les Gentils sont appelés chiens à cause de leur idolâtrie, parce que semblables aux chiens qui se nourrissent de sang et qui dévorent les cadavres, ils sont atteints d’une espèce de rage.

S. Chrys. (hom. 53.) Admirez ici la prudence de cette femme : ni elle n’ose contredire le Sauveur, ni elle ne s’attriste des louanges qu’il donne aux autres, ni elle ne se laisse abattre par cette parole, outrageante. Mais elle répliqua : « Il est vrai, Seigneur ; mais les petits chiens mangent au moins des miettes qui tombent de la table de leur maître. » Jésus lui avait dit : « Il n’est pas juste ; » elle répond : « Il est vrai, Seigneur. » Il appelle les Juifs les enfants, elle enchérit et les appelle maîtres. Il lui a donné le nom de chienne, elle ajoute à cette qualification en rappelant ce que font les chiens, et semble dire au Sauveur : Si je suis un chien, je ne suis point étrangère. Vous me donnez le nom de chien, nourrissez-moi donc comme un chien, je ne puis m’éloigner de la table de mon Maître. — S. Jér. Quel exemple de foi, de patience, d’humilité dans cette femme ; de foi, elle croit fermement que sa fille peut obtenir sa guérison ; de patience, si souvent rebutée, elle continue de prier ; d’humilité, elle se compare, non pas aux chiens, mais aux petits des chiens : « Je sais, dit-elle, que je ne suis pas digne de manger le pain des enfants, ni de recevoir une portion entière, ni de m’asseoir à table avec le père de famille ; mais je me contente des restes que l’on donne aux petits chiens, afin de m’élever par l’humilité de ces miettes jusqu’à l’honneur de m’asseoir à la table où on sert le pain tout entier. — S. Chrys. (hom. 53.) Voici la raison du retard que Jésus mettait à l’exaucer : il savait qu’elle lui tiendrait ce langage, et il ne voulait pas qu’une si grande vertu demeurât cachée, « Alors Jésus, lui répondant, lui dit : O femme, votre foi est grande, qu'il vous soit fait comme vous le désirez. » Ne semble-t-il pas lui dire : « Votre foi mériterait d'obtenir bien davan­tage, mais en attendant, qu'il vous soit fait comme vous le désirez. » Remarquez ici la part considérable qui revient à cette femme dans la guérison de sa fille. Aussi Jésus ne lui dit pas : « Que votre fille soit guérie, » mais : « Votre foi est grande, qu'il vous soit fait comme vous le désirez, » pour vous apprendre qu'elle parlait avec simplicité, sans flatterie, et que sa prière était animée par la foi la plus vive. Or, cette parole du Sauveur est semblable à cette autre que Dieu pro­nonça au commencement du monde : Que le firmament soit fait, et il fut fait ; » car l'Évangéliste ajoute : « Et sa fille fut guérie. » Remar­quez encore qu'elle obtient elle-même ce que les Apôtres n'ont pu ob­tenir, tant la prière persévérante a de puissance ! Dieu, en effet, aime mieux que nous le prions beaucoup nous-mêmes pour nos péchés, que d'avoir recours aux prières des autres.

Remi. Nous avons encore ici un exemple de la nécessité d'instruire et de baptiser les enfants. Cette femme, en effet, ne dit pas : « Sau­vez ma fille, ou secourez-la, » mais : « Ayez pitié de moi, et secou­rez-moi. » De là est venue, dans l'Église, la coutume que les fidèles engagent leur foi pour leurs enfants, alors que ceux-ci n'ont ni l'âge ni la raison pour l'engager eux-mêmes à Dieu ; et de même que c'est par la foi de cette femme que sa fille fut guérie, de même aussi c'est par la foi des parents catholiques que les péchés sont remis à leurs enfants.

Dans le sens allégorique, cette femme est la figure de la sainte Église, formée et rassemblée de toutes les nations. Le Seigneur, en abandonnant les scribes et les pharisiens pour venir dans le pays de Tyr et de Sidon, figurait l'abandon où il devait laisser les Juifs pour porter l'Évangile aux Gentils. Cette femme a passé les frontières de son pays, de même la sainte Église a quitté ses anciennes erreurs et ses vices d'autrefois. — S. Jér. Cette fille de la Chananéenne, ce sont les âmes des fidèles cruellement tourmentées par le démon, alors qu'elles étaient privées de la connaissance de leur Créateur et qu'elles adoraient des idoles de pierre. — Remi. Les enfants, ce sont les pa­triarches et les prophètes de ce temps-là ; la table figure la sainte Écriture ; les miettes, les préceptes secondaires, ou les mystères inté­rieurs dont se nourrit la sainte Église ; les croûtes de pain, les préceptes extérieurs et charnels qu'observaient les Juifs. Les miettes sont mangées sous la table, parce que l'Église se soumet avec humilité à l'accomplissement des préceptes divins. — Rab. Les petits chiens ne mangent pas les croûtes, mais les miettes du pain des enfants. Ainsi lorsque ceux qui étaient l'objet du mépris parmi les nations se convertissent à la foi, ils ne cherchent pas l'écorce de la lettre dans les saintes Écritures, mais le sens spirituel qui peut hâter leur progrès dans les bonnes œuvres.

S. Jér. Quel étonnant changement s'est opéré ! Autrefois les Israélites étaient les enfants et nous étions les chiens ; mais la foi si différente dans les uns et dans les autres a changé cette dénomination. Plus tard, alors que s'accomplissait ce mystère au temps de la passion, il est dit des Juifs : « Un grand nombre de chiens dévorants m'ont entouré. » Pour nous, au contraire, nous avons entendu avec la Chananéenne cette parole : « Votre foi vous a sauvée. » — Rab. C'est à juste titre que le Sauveur déclare que cette foi est grande ; car sans avoir été ni pénétrés des enseignements de la loi, ni instruits par les oracles des prophètes, les Gentils ont obéi à la prédication des Apôtres aussitôt qu'ils ont entendu leur voix, et ont ainsi mérité la grâce du salut. Mais si le Seigneur diffère d'accorder le salut d'une âme aux pre­mières larmes de l'Église suppliante, il ne faut ni désespérer, ni cesser de demander, mais redoubler de persévérance dans la prière.

S. Aug. (Quest. évang., 1, 16 ou 17.) Le serviteur du centurion et la fille de la Chananéenne ont été guéris sans que le Seigneur soit entré dans leurs maisons, et figurent les nations, qui, sans être visitées extérieurement par Jésus-Christ, seront sauvées par sa parole. C'est à la prière du centurion et de la Chananéenne que leurs enfants sont guéris, et ils sont en cela la figure de l'Église, qui est tout à la fois pour elle-même et la mère, et les enfants ; car la réunion de tous ceux qui composent l'Église, porte le nom de mère, et chacun des membres reçoit le nom d'enfant. — S. Hil. Ou bien encore, cette femme, qui franchit les frontières de son pays, est la figure des prosélytes ; elle sort du milieu des nations, pour venir au milieu d'un peuple qui lui est étranger ; elle prie pour sa fille, c'est-à-dire pour le peuple des Gentils, soumis à la domination des esprits immondes, et comme la loi lui a fait connaître le Seigneur, elle l'appelle fils de David. — Rab. Disons encore que celui dont la conscience est souillée de la tache du péché a sa fille tourmentée cruellement par le démon ; de même celui qui empoisonne ses bonnes œuvres par le venin du péché, a également sa fille agitée par les fureurs de l'esprit impur, et ils doivent tous deux avoir recours aux prières et aux larmes, et réclamer le recours et l'intercession des saints.

 

 

vv. 29-31.

La Glose. Après avoir guéri la fille de la Chananéenne, Notre-Seigneur retourne dans la Judée : « Jésus, étant sorti de là, vint le long de la mer de Galilée. » — Remi. Cette mer porte différents noms ; elle s'appelle mer de Galilée, parce qu'elle est proche de la Galilée, et mer de Tibériade, parce que la ville de Tibériade est bâtie sur ses bords.

« Et, étant monté sur la montagne, il s'y assit. » — S. Chrys. (hom. 83.) Remarquons que tantôt le Sauveur parcourt le pays pour guérir les malades, tantôt il s'assied pour les attendre. C'est donc avec raison que l'Évangéliste ajoute : « Et de grandes troupes de peuple vinrent le trouver. » — S. Jér. Le mot grec κυλλους, que le traducteur latin a rendu par infirmes, ne signifie pas infirmité en général, mais une infirmité particulière ; et de même qu'on appelle boiteux celui qui boite d'un pied, ainsi on appelle κυλλίς ou manchot celui qui est privé de l'usage d'une main. — S. Chrys. Or, ces infirmes manifestaient leur foi de deux manières et en gravissant la montagne, et en étant convaincus qu'il leur suffisait pour être guéris d'être jetés aux. pieds de Jésus. Ils ne cherchent pas encore à toucher la frange de ses vêtements, mais ils font preuve d'une foi plus grande, comme le remarque l'Évangéliste : « Et ils les mirent à ses pieds. » Il a guéri la fille de la Chananéenne après l'avoir fait longtemps attendre, pour faire éclater la vertu de cette femme, tandis qu'il guérit immédia­tement tous ces infirmes, non pas qu'ils fussent meilleurs, mais afin de fermer la bouche aux Juifs incrédules : « Et il les guérit tous. » Le grand nombre de ceux qui étaient guéris, et la promptitude avec laquelle il les guérissait les jetaient dans l'étonnement, « de telle sorte, » dit le texte sacré, « que ces peuples étaient dans l'admiration en voyant les muets qui parlaient, » etc.

S. Jér. Il ne dit rien de ceux qui étaient estropiés, parce qu'il ne pouvait exprimer leur guérison en un seul mot.

Rab. Dans le sens mystique, Notre-Seigneur, après avoir donné une figure de la conversion des Gentils dans la guérison de la fille de la Chananéenne, vient dans la Judée, parce qu'en effet, après que la plénitude des nations sera entrée dans l'Église, tout Israël sera sauvé. » (Rm 11.) — La Glose. La mer, sur les bords de laquelle arrive Jésus, est la figure du trouble et de l'agitation de cette vie ; c'est la mer de Galilée, parce que les hommes passent de la pratique des vices a celle des vertus. — S. Jér. Il monte sur le sommet de la montagne comme l'oiseau qui provoque ses petits encore faibles à prendre leur essor. — Rab. C'est afin d'élever l'esprit de ses auditeurs jusqu'à la méditation des vérités sublimes et célestes. Il s'assied sur le sommet, pour nous montrer qu'on ne doit chercher le repos que dans les choses du ciel. Pendant qu'il est assis sur la montagne, c'est-à-dire dans la cité des cieux, une multitude de fidèles s'approchent de lui avec un saint empressement, conduisant avec eux les muets et les aveugles, » etc., et ils les mettent aux pieds de Jésus, parce que c'est à lui seul qu'ils présentent pour être guéris ceux qui confessent leurs péchés. La manière dont il les guérit excite l'admiration de la foule, et ils rendent gloire au Dieu d'Israël ; c'est ainsi que les fidèles chantent les louanges de Dieu, lorsqu'ils voient ceux dont l'âme était languissante et ma­lade, s'enrichir des œuvres des vertus chrétiennes. — La Glose. Les muets sont ceux qui ne louent jamais Dieu ; les aveugles, ceux qui ne comprennent pas les voies de la véritable vie ; les sourds, ceux qui n'obéissent pas à sa parole ; les boiteux, ceux qui ne marchent pas droit dans le chemin du devoir ; les infirmes et les estropiés, ceux qui sont comme frappés d'impuissance par les bonnes œuvres.

 

vv. 32-38.

S. Jer. Notre Seigneur Jésus-Christ a commencé par rendre la santé aux infirmes, il nourrit maintenant ceux qu’il vient de guérir : Il réunit ses disciples et leur apprend ce qu’il va faire : « Et Jésus, » etc. Il agit ainsi pour enseigner aux maîtres, par son exemple, a communiquer leurs desseins à leurs inférieurs et à leurs disciples, et aussi pour que cet entretien rende plus éclatant le mi­racle qu’il va faire. — S. Chrys. (hom. 54.) Cette multitude, qui n’é­tait venue que pour obtenir sa guérison, n’osait demander du pain ; mais Jésus, qui est l’ami des hommes et qui prend soin de tous, leur en donne sans attendre qu’ils en demandent : « J’ai compassion de ce peuple, leur dit-il. Et pour qu’on ne puisse pas dire qu’ils avaient apporté leur nourriture avec eux, il ajoute : « Car voilà trois jours qu’ils demeurent continuellement avec moi et ils n’ont rien à man­ger. » Quand même ils auraient eu des vivres avec eux lorsqu’ils arri­vèrent, ils étaient déjà consommés ; aussi ne fait-il pas ce miracle le premier ou le second jour, mais le troisième, alors que toutes les provisions étaient épuisées, afin que le sentiment du besoin leur fit recevoir avec un désir plus ardent le prodige qu’il allait opérer. Il fait voir qu’ils étaient venus de loin et qu’il ne leur restait plus rien en disant : « Je ne veux pas les renvoyer qu’ils n’aient mangé. » Son intention est bien de les nourrir par un nouveau miracle ; cependant il en diffère l’exécution, car il veut, par cette question et par la réponse qui doit la suivre, rendre ses disciples plus attentifs et les forcer à manifester leur foi, en lui demandant de faire une nouvelle multiplication des pains. Mais quoique Jésus-Christ eût réuni dans le premier miracle les circonstances qui devaient en rendre toujours présent le souvenir à leur esprit, comme de distribuer eux-mêmes le pain, de recueillir les restes dans les corbeilles, cependant leurs dis­positions étaient encore bien imparfaites, ainsi que le prouve la réponse qu’ils font à Jésus : « Comment pourrons-nous trouver, » etc. Cette réponse, qui indique une foi faible, met cependant à l’abri de tout soupçon le miracle qui va s’opérer. Car, afin qu’on ne puisse supposer que les provisions ont été apportées de quelque bourg voisin ; le miracle se fait dans la solitude, à une grande distance de tout endroit habité. Cependant, le Sauveur, pour élever leur âme, leur adresse une question dont la nature seule doit leur rappeler le premier miracle : « Et Jésus leur dit : Combien avez-vous de pains ? — Sept, lui dirent-ils. » Mais ils n’ajoutent pas comme la première fois : « Qu’est-ce que cela pour un si grand nombre ? » Ils avaient fait quelques progrès, quoiqu’il y eût encore bien des choses qu’ils ne pussent comprendre. Admirez toutefois leur amour pour la vérité ils ne songent pas, dans un récit dont ils sont les auteurs, à cacher leurs plus grands défauts ; car ce n’est pas une accusation ordinaire, ce n’est pas une faute légère que l’oubli si rapide d’un aussi grand prodige. Admirez encore un autre trait de leur sagesse : comme ils savent dompter le besoin de la faim, et ne se préoccupent guère des soins de la nourriture. Ils sont dans le désert et ils y restent trois jours, n’ayant seulement avec eux que sept pains. Notre-Seigneur suit la même marche que pour le premier miracle : il fait asseoir la foule sur la terre et multiplie les pains dans les mains de ses dis­ciples : « Et il ordonna à la foule de s'asseoir, » etc. — S. Jér. Il est inutile de rappeler ici ce que nous avons dit plus haut ; arrêtons-nous seulement aux circonstances qui nous offrent quelque différence.

S. Chrys. (hom. 54.) Ces deux miracles ne se terminent pas de la même manière. Ils emportent ici sept corbeilles pleines des morceaux qui étaient restés. Or, ceux qui en mangèrent étaient au nombre de quatre mille hommes, » etc. Pourquoi les restes furent-ils moins con­sidérables dans ce miracle que dans le premier, alors que ceux qui mangèrent étaient en plus petit nombre ? C'est peut-être que les cor­beilles étaient plus grandes que les paniers, ou bien le Sauveur vou­lut-il que la différence de ces deux miracles en rendît le souvenir plus facile. Voilà pourquoi dans le premier il y avait autant de paniers que de disciples, tandis que dans celui-ci il y a autant de corbeilles qu'il y avait de pains.

Remi. Dans ce récit de l'Évangile, nous devons considérer la double opération de la divinité et de l'humanité dans Jésus-Christ. La com­passion qu'il ressent pour ce peuple est une preuve qu'il a pris les sentiments de notre faible nature, et le miracle qu'il fait en multi­pliant les pains et en nourrissant cette multitude fait éclater en lui la toute-puissance divine. Ainsi se trouve renversée l'erreur d'Eutychès, qui ne voulait reconnaître en Jésus-Christ qu'une seule nature.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 2, 50.) Il n'est pas inutile de remar­quer ici que si l'un des Évangélistes avait raconté ce miracle sans avoir rapporté, celui de la multiplication des cinq pains, on pourrait le supposer en contradiction avec les autres. Mais comme ce sont les mêmes qui ont raconté à la fois le miracle des cinq et celui des sept pains, il n'y a plus de difficulté et il faut admettre la vérité de ces deux miracles. Nous faisons cette remarque afin que lorsque l'on trouve dans un Évangéliste un fait de la vie de Notre-Seigneur qui paraît contredire dans une de ses circonstances un fait semblable raconté par un autre Évangéliste, sans qu'on puisse les concilier, on en conclue que ces deux faits distincts ont eu lieu et que l'un a été raconté par un Évangéliste et l'autre par un autre.

La Glose. Remarquons encore que Notre-Seigneur commence par guérir les infirmités et qu'il donne ensuite à manger à ceux qu'il a guéris, parce qu'en effet il faut d'abord faire disparaître les péchés de l'âme avant de la nourrir de la parole de vie. — S. Hil. (can. 13.) Ce peuple qu'il a nourri en premier lieu représentait les Juifs qui em­brassèrent la foi ; ainsi cette nouvelle multitude est une figure du peuple des Gentils, et dans ces quatre mille personnes rassemblées nous voyons représentée cette multitude innombrable réunie des quatre parties du monde. — S. Jér. Nous ne comptons pas ici cinq mille personnes, mais quatre mille seulement. Le nombre quatre a toujours une signification heureuse : la pierre qui est carrée ne vacille pas, elle n'est point sujette à chanceler, et c'est pourquoi les Évangiles se trouvent consacrés par ce nombre quatre. Dans le miracle précédent, comme le chiffre de la multitude se rapproche du nombre des cinq sens, ce n'est pas le Seigneur qui paraît y faire attention, mais ses disciples ; ici, au contraire, c'est le Sauveur lui-même qui déclare qu'il a compassion de ce peuple qui depuis trois jours persévère avec lui, parce qu'en effet ils croyaient au Père, au Fils et au Saint-Esprit. — S. Hil. (can. 3.) Ou bien ils passent avec le Seigneur un temps égal à celui de sa passion ; ou bien encore, avant de recevoir le baptême, ils con­fessent qu'ils croient à sa passion et à sa résurrection ; ou bien enfin, par un mouvement de sympathique compassion, ils veulent jeûner tout le temps qu'a duré la passion du Seigneur. — Rab. Ou bien, dans un autre sens, cette circonstance nous rappelle les trois époques où, pendant toute la durée des siècles, la grâce nous est donnée ; la première avant la loi, la seconde sous la loi, la troisième sous la grâce, la quatrième s'accomplira dans le ciel dont la perspective ranime celui qui en fait le terme de tous ses efforts. — remi. Ou bien enfin, c'est qu'en faisant pénitence des péchés qu'on a commis, on se convertit au Seigneur dans les pensées, dans les paroles et dans les actions. Le Seigneur ne voulut pas renvoyer ce peuple sans qu'il eut mangé, de peur qu'il ne tombât en défaillance dans le chemin, car c'est ainsi que les pécheurs convertis par la pénitence sont exposés a périr dans le cours de cette vie qui passe, si on les renvoie privés de la nourriture de la sainte doctrine.

La Glose. Les sept pains sont les écrits du Nouveau Testament qui nous révèle et nous donne à la fois la grâce de l'Esprit saint. Ce ne sont point des pains d'orge, comme précédemment, parce que, dans le Nouveau Testament, l'aliment qui donne la vie n'est pas de même que sous la loi, enveloppé de figures, comme d'une paille qui adhère fortement. Nous n'avons point ici deux poissons, figure des deux seules personnes qui, sous la loi, recevaient l'onction sainte, le grand-prêtre et le roi, mais quelques poissons, figure des saints du Nouveau Testament, qui, arrachés aux flots du siècle, supportent les agitations de la mer et, nous ranimant par leur exemple, nous em­pêchent de défaillir dans le chemin.

S. Hil. Or, la multitude s'asseoit sur la terre, car elle n'avait pu se reposer sur aucune des œuvres de la loi, et elle tenait encore forte­ment à l'origine de son corps et à la source de ses péchés. — La Glose. Ou bien on peut dire que dans le premier miracle elle s'asseoit sur le gazon pour comprimer les désirs de la chair : ici elle est assise sur la terre, car il lui est ordonné d'abandonner le monde. La mon­tagne sur laquelle le Seigneur nourrit ce peuple, c'est la hauteur du Christ. D'un côté, la terre est recouverte de gazon, parce que la hau­teur du Christ s'y trouve recouverte, pour les hommes charnels, d'es­pérance et de désirs terrestres ; ici, au contraire, tout désir charnel est éloigné, et la fermeté d'une espérance permanente soutient les convives du Nouveau Testament. Là il y a cinq mille hommes, parce que les hommes charnels sont esclaves de leurs sens ; ici, quatre mille, figure des quatre vertus qui donnent à l'âme la vie spirituelle, c'est-à-dire la tempérance, la prudence, la force, la justice. De ces quatre vertus, la première donne la connaissance de ce qu'il faut rechercher et de ce qu'il faut éviter ; la deuxième met un frein à la cupidité des plaisirs des sens ; la troisième nous donne la fermeté pour supporter toutes les épreuves de la vie ; la quatrième, qui se répand dans toutes les autres, est l'amour de Dieu et du pro­chain. De part et d'autre, les femmes et les enfants ne sont point comp­tés, car, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, ceux qui ne peuvent atteindre l'état de l'homme parfait, soit par faiblesse, soit par légèreté d'esprit, ne peuvent être admis près du Seigneur. Ces deux collations ont eu lieu sur la montagne, car les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament nous rappellent à la fois la sublimité des préceptes divins et des récompenses célestes et proclament la grandeur et l'élévation du Christ. Quant aux mystères plus sublimes que la multitude ne peut comprendre, les Apôtres les soulèvent et les accom­plissent, et ils sont en cela la figure des cœurs parfaits que la grâce de l'Esprit aux sept dons a remplis d'intelligence. Les corbeilles sont ordinairement faites avec des joncs et des feuilles de palmier ; elles re­présentent les saints qui enfoncent la racine de leur cœur dans la source même de la vie ; semblables au jonc dans l'eau, ils ne sont point exposés à se dessécher et ils portent dans leur cœur la palme de la récompense éternelle.

 

v. 39.

S. Chrys. (hom. 54.) Le Seigneur renvoie maintenant le peuple, comme il a fait après le miracle des cinq pains, et il ne prend pas pour se retirer le chemin de terre, mais il monte dans une barque pour que la foule ne puisse le suivre. « Après cela, Jésus ayant ren­voyé la foule, monta dans une barque et vint sur les confins de Mageddan. — S. Aug. (De l'acc. des Evang., 2, 51.) Saint Marc (Mc 8) dit : « dans le pays de Dalmanutha ; » mais il est évident qu'il s'agit du même lieu, car, même dans plusieurs exemplaires de saint Marc, on ne trouve que le mot Mageddan. — Rab. Mageddan est un pays situé en face de Gerasam ; il signifie fruits ou nouvelles et il est une figure de ce jardin dont il est dit : « Jardin fermé, fontaine scellée, » (Ct 4) jardin qui produit les fruits des vertus et où le nom du Seigneur est annoncé. Cette interprétation apprend aux prédicateurs qu'après avoir distribué au peuple le pain de la parole sainte, ils doivent, dans le secret de leurs cœurs, reprendre de nouvelles forces en se nourrissant des fruits des vertus.

 

 

CHAPITRE XVI

vv. 1-4.

Remi. « Les pharisiens et les sadducéens s'approchèrent de lui, » etc. Etonnant aveuglement des pharisiens et des sadducéens ! Ils de­mandent un prodige dans le ciel, comme si les faits dont ils étaient témoins n'étaient pas de véritables prodiges. Saint Jean nous apprend (Jn 6) quelle espèce de miracle ils lui demandaient, en rappor­tant qu'après que Jésus eut nourri le peuple avec cinq pains, le peuple s'approcha de lui, et lui dit : « Quel miracle faites-vous, afin que nous le voyions et que nous croyions en vous ? » Nos pères ont mangé la manne dans le désert, ainsi qu'il est écrit : Il leur a donné à man­ger le pain du ciel. (Ps. 77.) C'est dans ce même sens que les pha­risiens lui disent ici : « Faites-nous voir un prodige dans le ciel, » c'est-à-dire faites tomber la manne un ou deux jours de suite, afin que tout le peuple soit rassasié, comme cela s'est fait si longtemps dans le désert. Mais le Sauveur qui, comme Dieu, pénétrait leurs pensées, et savait bien qu'alors même qu'il ferait paraître à leurs yeux un prodige dans le ciel » ils ne croiraient pas davantage, ne vou­lut pas leur donner le signe qu'ils demandaient. « Il leur répondit : Le soir vous dites : Il fera beau, » etc. — S. Jér. Cette phrase manque dans plusieurs des exemplaires grecs. Le sens, d'ailleurs, en est clair, c'est-à-dire que d'après les phénomènes réguliers des éléments, on peut prédire d'avance le beau temps et les jours de pluie. Mais les scribes et les pharisiens qui paraissaient être les docteurs de la loi, ne pouvaient reconnaître dans les oracles des prophètes le temps de la venue du Christ. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 20.) Ces paroles du Seigneur : « Le soir vous dites : Il fera beau, car le ciel est rouge, » peuvent signifier que la rémission des péchés est accordée dans le premier avènement par le sang que Jésus-Christ a versé dans sa pas­sion ; et les autres : « Le matin vous dites : il y aura de l'orage au­jourd'hui, car le ciel est d'un rouge sombre, » que dans le second avènement le Christ sera précédé par le feu. — La Glose. Ou bien dans un autre sens, le ciel est sombre et rougeâtre, c'est-à-dire les Apôtres auront à souffrir après ma résurrection, et vous pouvez savoir qu'après eux, je dois exercer mon jugement ; car si je n'épargne pas les souffrances à mes serviteurs, à plus forte raison ne les épar­gnerai-je pas aux autres un jour à venir.

« Vous savez donc discerner les différentes apparences du ciel, et vous ne savez pas reconnaître les signes des temps ? » — Rab. Ces signes des temps sont dans la pensée, du Seigneur, son avènement ou sa passion qui nous sont représentés par un ciel qui est rouge le soir ; et la tribulation qui précédera son second avènement, figurée par un ciel qui, le matin, est sombre et rougeâtre.

S. Chrys. (hom. 54.) De même que dans le ciel les signes qui an­noncent le beau temps sont différents de ceux qui présagent la pluie, ainsi en est-il de ce qui me concerne. Maintenant, dans mon premier avènement, il est nécessaire que j'opère ces prodiges qui éclatent sur la terre, ceux qui auront le ciel pour théâtre sont réservés pour mon second avènement. Je suis venu actuellement comme un médecin alors je viendrai comme un juge. C'est pour cela qu'aujourd'hui je suis venu en voilant ma divinité ; alors je viendrai avec un grand éclat, et toutes les puissances du ciel seront ébranlées. Mais le temps de ces prodiges n'est pas encore arrivé ; car je suis venu pour mou­rir, et souffrir auparavant toutes les ignominies. Cette génération corrompue et adultère demande un prodige, et il ne lui sera pas donné. — S. Aug. (de l'accord des Evang.) Saint Matthieu a déjà rap­porté ces mêmes paroles (Mt 12), ce qui doit nous convaincre que le Seigneur a souvent dit plusieurs fois la même chose ; et lorsque nous ne pouvons faire disparaître la contradiction qui existe entre deux récits, nous devons en conclure que ces paroles ont été dites dans deux circonstances différentes. — La Glose. Il les appelle génération corrompue et adultère, c'est-à-dire, n'ayant qu'une intelligence char­nelle, incapable de comprendre les choses spirituelles. — Rab. Le Seigneur ne donnera donc point à cette génération qui le tente de prodige dans le ciel, comme ils le demandent, eux qu'il a rendus témoins de tant de prodiges sur la terre ; mais il réserve ces prodiges pour la génération de ceux qui cherchent le Seigneur (Ps 23, 6 ; Ps 99, 9.10), c'est-à-dire pour les Apôtres qui le virent monter au ciel, et auxquels il envoya l'Esprit saint.

S. Jér. Nous avons dit plus haut ce que signifie ce prodige de Jonas (Mt 12.) — S. Chrys. (hom. 54.) Or, les pharisiens qui en­tendaient cette réponse pour la seconde fois auraient dû interroger le Sauveur, et lui demander quel était le sens de ces paroles ? Mais ils se sont gardés de faire cette demande au Seigneur dans le désir de s'ins­truire. C'est pourquoi Notre-Seigneur se sépare d'eux. « Et, les laissant là, il s'en alla. » — Rab. C'est-à-dire ayant quitté cette mauvaise gé­nération des Juifs, il passa au delà du lac, et le peuple des Gentils le suivit. Et remarquez qu'il n'est point dit qu'il se retira après avoir renvoyé le peuple comme dans les autres circonstances, mais qu'il les abandonna, parce que l'erreur de l'incrédulité s'était emparée de leurs esprits orgueilleux.

 

 

vv. 5-11.

La Glose. Notre-Seigneur avait abandonné les pharisiens en punition de leur incrédulité ; par une conséquence naturelle, il en­seigne à ses disciples qu'ils doivent éviter leur doctrine. « Or, ses disciples étant passés au delà du lac, avaient oublié de prendre des pains. — Remi. Ils étaient si étroitement attachés à leur Maître, qu'ils ne pouvaient s'en séparer, même un instant. Remarquons encore combien les disciples de Jésus étaient loin de rechercher les délices de la vie, eux qui se préoccupaient si peu du nécessaire, qu'ils oubliaient même de prendre du pain, nourriture indispensable de notre faible nature.

« Il leur dit : Ayez soin de vous garder du levain des phari­siens, » etc. — S. Hil. Le Sauveur avertit ici les Apôtres de n'avoir aucun commerce avec la doctrine des Juifs ; car les œuvres de la loi n'avaient été ordonnées que pour recevoir leur accomplissement par la foi, et comme figure de ce qui devait se réaliser dans l'avenir. Ceux donc qui avaient le bonheur de vivre dans le temps où la vérité se manifestait sur la terre, devaient regarder comme désormais inutiles les figures de la vérité, de peur que la doctrine des pharisiens, qui ne connaissaient pas le Christ, ne vînt à corrompre les effets de la vérité de l'Évangile. — S. Jér. Celui qui se garde du levain des pharisiens cl des sadducéens, ne s'attache pas aux préceptes de la loi et de la lettre, et ne se met pas en peine des traditions humaines ; son unique souci c'est d'accomplir les commandements de Dieu. C'est là ce levain dont l'Apôtre a dit : « Un peu de levain corrompt toute la masse. » (1 Co 5 ; Ga 5.) Il faut à tout prix se garder d'un tel levain, qui est celui de Marcion, de Valentin, et de tous les hérétiques. Le levain a une force telle, que si on le mêle à la farine en petite quantité, il se dé­veloppe bientôt, et communique la saveur qui lui est propre à toute la pâte à laquelle il se trouve mêlé ; il en est de même de la doctrine des hérétiques : quelque faible que soit l'étincelle qu'elle aura jetée dans votre cœur, vous la verrez bientôt produire un grand incendie qui envahit l'homme tout entier. — S. Chrys. (hom. 54.) Mais pourquoi le Sauveur ne leur dit-il pas ouvertement : « Gardez-vous de la doctrine des pharisiens ? » parce qu'il veut leur rappeler le miracle de la multiplication des pains qui vient d'avoir lieu. Il savait qu'ils l'a­vaient oublié, et comme il ne jugeait pas à propos de leur reprocher directement cet oubli, il profite de l'occasion qu'ils lui présentent pour leur rendre ce reproche plus supportable. C'est pour cela que l'Évangéliste nous dévoile ce qui se passait dans leur âme : « Et ils pensaient entre eux, et disaient : Nous n'avons pas pris de pains. » — S. Jér. Comment se fait-il qu'ils étaient sans pain, eux qui, après en avoir rempli sept corbeilles, montent dans la barque, viennent sur les fron­tières de Magedan et entendent Jésus leur dire pendant la traversée, qu'ils doivent se garder du levain des pharisiens et des sadducéens ? Nous répondons à cette question que l'Écriture affirme qu'ils avaient oublié de prendre des pains avec eux.

S. Chrys. (hom. 54.) Comme les Apôtres se traînaient encore dans l'attachement aux observances judaïques, Notre-Seigneur leur en fait un vif reproche dans la pensée d'être utile à tous les autres. « Ce que Jésus connaissant, il leur dit : Pourquoi vous entretenez-vous ensemble que vous n'avez point de pain, » hommes de peu de foi ? — La Glose. C'est-à-dire pourquoi pensez-vous que j'ai voulu parler de ces pains matériels, au sujet desquels vous ne devez avoir aucun doute après qu'un si petit nombre de pains a produit des restes si considérables ? — S. Chrys. (hom. 54.) Son dessein, ici, est de les affranchir de toute inquiétude pour la nourriture. Mais pourquoi ne leur a-t-il pas adressé ce reproche lorsqu'ils lui exprimèrent cette pensée de défiance : « Comment pourrons-nous trouver un si grand nombre de pains dans le désert ? » Il semble qu'il eût été mieux placé dans cette circonstance. Cependant Notre-Seigneur ne les reprend pas alors, pour ne point paraître prendre l'initiative des miracles qu'il opère, et aussi pour que le peuple ne fût pas témoin des reproches qu'il leur adressait. Ces re­proches, d'ailleurs, furent bien plus motivés lorsque après le double miracle de la multiplication des pains, il les voit encore inquiets de leur nourriture. Mais voyez quelle douceur dans ce reproche. Il ré­pond lui-même comme pour excuser ceux qu'il vient de reprendre, en ajoutant : « Ne comprenez-vous point encore, et ne vous souvient-il point que cinq pains ont suffi pour cinq mille hommes, et combien vous avez remporté de paniers ? et que sept pains ont suffi pour quatre mille hommes ? » etc. — La Glose. C'est-à-dire : « Est-ce que vous ne comprenez pas ce mystère ? Est-ce que vous n'avez pas conservé le souvenir de ma puissance ? » — S. Chrys. Il leur remet ainsi en mémoire les miracles qui avaient eu lieu, et les rend plus attentifs à ceux qui doivent suivre.

S. Jér. En leur adressant ce reproche ; « Pourquoi ne comprenez-vous pas ? » il veut leur apprendre en même temps ce que signifient les cinq pains, et ensuite les sept autres qui furent multipliés ; et encore les cinq mille hommes, et après les quatre mille qu'il nourrit dans le désert. Car si le levain des pharisiens et des sadducéens ne si­gnifie pas le pain matériel, mais les traditions corrompues et les dogmes des hérétiques, pourquoi les pains qui servirent à nourrir le peuple de Dieu ne figureraient-ils pas la doctrine pure et véritable ? — S. Chrys. (hom. 54.) Si vous voulez connaître l'efficacité du re­proche de Jésus sur ses disciples, et comment il réveilla leur âme en­dormie, écoutez ce que dit l'Évangéliste : « Ils comprirent alors qu'il ne leur avait pas dit de se garder du levain qu'on met dans le pain, mais de la doctrine des pharisiens et des sadducéens, » bien que Jésus ne leur ait pas donné cette explication. Le reproche du Seigneur les sépare des observances judaïques, leur fait secouer leur indifférence, les rend plus attentifs, et fortifie leur foi encore si faible. Et s'il leur arrive maintenant d'être presque sans pain, ils seront sans crainte, et apprendront à mépriser jusqu'aux nécessités de la vie.

 

vv. 13-19.

La Glose. Après avoir inspiré à ses disciples un profond éloignement pour la doctrine des pharisiens, Notre-Seigneur choisit ce moment favorable pour jeter dans leurs âmes les fondements profonds de la doctrine évangélique, et pour donner à son enseignement plus de solennité, l'Évangéliste nous désigne l'endroit où elle se passa : « Or, Jésus vint dans les environs de Césarée de Philippe. » Il ne dit pas simplement Césarée, mais Césarée de Philippe ; car il y a une autre ville de Césarée, celle de Straton. Ce n'est point dans celle-là, mais dans la première, que Jésus fait cette question à ses disciples ; il les emmène loin des Juifs, afin que, sans crainte aucune, ils disent librement ce qu'ils ont dans le cœur. — Rab. Ce Philippe était frère d'Hérode, il était tétrarque de l'Iturée et de la Trachonitide. Il avait appelé Césarée, en l'honneur de Tibère, la ville qui est maintenant connue sous le nom de Panéas.

La Glose. Le Sauveur veut confirmer ses disciples dans la foi, il commence donc par éloigner de leur esprit les opinions et les erreurs que d'autres pouvaient y avoir jetées. « Et il interrogea ses disciples en leur demandant : Que disent les hommes qu'est le Fils de l'homme ? » — Orig. En interrogeant ainsi ses disciples, il veut nous ap­prendre par leurs réponses qu'il y avait alors sur le Christ diverses opinions parmi les Juifs, et aussi nous faire rechercher nous-mêmes l'opinion que les hommes peuvent avoir de nous. S'ils en disent du mal, nous devons cesser d'y donner occasion, et s'ils en disent du bien, nous devons redoubler nos efforts pour mériter leur approba­tion. Les disciples des évêques doivent apprendre aussi, à l'exemple des Apôtres, à informer leurs supérieurs de ce qu'ils entendent dire au dehors sur leur personne.

S. Jér. L'expression dont il se sert : « Que disent les hommes qu'est le Fils de l'homme, » est parfaitement choisie, car ceux qui parlent du Fils de l'homme sont des hommes ; mais ceux qui comprennent sa divinité sont appelés, non pas des hommes, mais des dieux. — S. Chrys. (hom. 54.) Il ne leur demande pas : Que disent de moi les pharisiens et les scribes ? mais : « Que disent les hommes ? » Car il cherche à connaître la pensée du peuple, qui n'était pas tourné au mal. L'idée que le peuple avait du Christ était sans doute bien au-dessous de la réalité, mais au moins elle était pure de toute malice, tandis que l'opinion que les pharisiens se formaient de sa personne était pleine de méchanceté.

S. Hil. (can. 16 sur S. Matth.) « Que disent les hommes qu'est le Fils de l'homme ? » Il nous apprend par ces paroles que l'on doit voir en lui autre chose que ce qui paraît au dehors, car il était vrai­ment le Fils de l'homme. Quelle idée voulait-il donc qu'on eût de lui ? Non pas, sans doute, celle qu'il avait fait connaître lui-même ; la vé­rité qui faisait l'objet de cet examen était cachée, et c'est cette vérité que la foi des chrétiens doit embrasser. Or, telle doit être notre profession de foi : nous devons croire qu'il est le Fils de Dieu comme il est le Fils de l'homme ; car l'une de ces deux croyances, sans l'autre, ne peut en rien nous donner l'espérance du salut ; aussi est-ce avec intention qu'il dit : « Que disent les hommes du Fils de l'homme ? » — S. jér. Il ne dit pas : Que disent-ils que je suis, mais : « Que disent-ils qu'est le Fils de l'homme ? » pour éviter dans cette question toute apparence de recherche personnelle. Remarquons encore que partout où nous lisons dans l'Ancien Testament : Fils de l'homme, le texte hébreu porte : Fils d'Adam.

Orig. Les disciples rapportent les différentes opinions qu'on se formait du Christ, « Et ils lui répondirent : Les uns disent Jean-Baptiste, c'est-à-dire ceux qui partageaient l'opinion d'Hérode ; les autres, Élie, et ceux-là pensaient ou bien qu'Élie avait reçu une seconde naissance, ou que n'ayant point été autrefois soumis à la mort du corps, il se manifestait dans le temps présent ; les autres, Jérémie, que le Sei­gneur avait établi prophète parmi les nations, et ils ne comprenaient pas que Jérémie était la figure du Christ ; ou l'un des prophètes, pour une raison semblable, à cause des choses que Dieu avait révélées aux prophètes, bien qu'elles n'aient pas reçu leur accomplissement en eux, mais seulement dans Jésus-Christ. — S. Jér. Cependant le peuple a bien pu se tromper en prenant le Christ pour Élie et pour Jérémie, de même qu'Hérode qui le prenait pour Jean-Baptiste ; aussi suis-je étonné de voir quelques interprètes rechercher les causes de toutes ces erreurs.

S. Chrys. (hom. 54.) Après que les disciples lui ont fait connaître l'opinion du peuple, il les presse par une seconde question de se former une plus haute idée de lui ; « Et Jésus leur dit : Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Vous, dis-je, quiètes toujours avec moi, qui avez été témoins de plus grands miracles que le peuple, vous ne devez point partager sa manière de voir. Aussi ne leur fît-il pas cette question au début, de sa prédication, mais après avoir fait un grand nombre de miracles, et leur avoir souvent parlé de sa divinité. — S. Jér. Remarquez que d'après ce langage du Sauveur, les Apôtres ne sont pas appelés des hommes, mais des dieux, car après avoir dit : « Les hommes, que disent-ils qu'est le Fils de l'homme ? » il ajoute : « Et vous, que dites-vous que je suis ? » c'est-à-dire les hommes qui ne sont que des hommes ont de moi une opinion tout humaine ; mais vous qui êtes des dieux, que pensez-vous que je suis ?

Rab. Ce n'est point sans doute par ignorance que le Sauveur s'in­forme de l'opinion que ses disciples et le peuple peuvent avoir de sa personne ; s'il demande à ses disciples ce qu'ils pensent de lui, c'est pour récompenser dignement leur confession de foi, conforme à la vérité. Aussi s'informe-t-il d'abord de l'opinion du peuple, afin qu'après avoir rapporté les jugements de ceux qui se trompent, on soit obligé de reconnaître que les disciples ont puisé la vérité de leur profession de foi, non pas dans les idées du peuple, mais dans une révélation particulière du Sauveur.

S. Chrys. (hom. 54.) Lorsque Notre-Seigneur demande quelle opi­nion le peuple a de lui, tous répondent ; mais lorsqu'il demande à ses disciples quelle est leur opinion personnelle, Pierre répond au nom de tous comme étant la bouche et la tête du collège apostolique : « Simon Pierre, prenant la parole, lui dit : Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant. » — Orig. Pierre rejette toutes les fausses idées que les Juifs se faisaient de Jésus, et il confesse hautement cette vérité qu'igno­raient les Juifs : « Vous êtes le Christ, » et ce qui est bien plus grand : « Le Fils du Dieu vivant, » qui avait dit par les prophètes : « Moi je vis, dit le Seigneur (Is 49, 18 ; Jr 22, 24 ; Ez 5, 11 ; 14, 16.18.20 ; 17, 19 ; 18, 3 ; 33, 11.27 ; 34, 8). » On l'appelait vivant, mais d'une manière éminente, parce qu'il est supérieur à tous les êtres qui ont la vie ; car seul il possède l'immortalité, et il est la source de la vie. C'est lui que nous appelons dans un sens véritable Dieu le Père. Or, celui qui dit : « Je suis la vie » (Jn 11), est lui-même la vie qui sort comme de la source. — S. Jér. Pierre dit : « Du Dieu vivant, » par opposition avec ces dieux qu'on regarde comme des dieux, et qui ne sont que des morts : je veux parler de Saturne, de Jupiter, de Vénus, d'Hercule, et des autres divinités. — S. Hil. Au contraire, la foi vraie et inviolable, c'est que le Fils est sorti Dieu de Dieu, et que de toute éternité il a possédé l'éternité du Père. Croire et confesser qu'il a pris un corps semblable au nôtre, et qu'il s'est fait homme, c'est la per­fection de la foi. Aussi la déclaration de l'Apôtre embrasse tout, en formulant aussi clairement la nature et le nom du Christ, et résume toutes les vertus. — Rab. Par un admirable contraste, c'est Notre-Seigneur lui-même qui confesse les humiliations de la nature humaine dont il s'est revêtu, tandis que le disciple proclame les grandeurs de son éternelle divinité.

S. Hil. La confession de Pierre mérita une récompense digne d'elle, parce qu'il avait reconnu le Fils de Dieu sous les dehors de l'homme : « Jésus lui répondit : Vous êtes heureux, Simon, fils de Jean, parce que ce n'est ni le sang ni la chair qui vous ont révélé ceci. » — S. Jér. Le Sauveur paie d'un juste retour le témoignage que lui a rendu son apôtre. Pierre lui avait dit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ; » Jésus-Christ lui répond : « Vous êtes heureux, Simon, fils de Jean. » Pourquoi ? parce que ce n'est ni la chair ni le sang, mais mon Père qui vous a révélé cette vérité. Ce que la chair ni le sang n'ont pu révéler, l'a été par la grâce de l'Esprit saint. Cette confession lui a donc mérité le nom qui lui est donné de fils de l'Esprit saint, à qui il devait cette révélation ; car dans notre langue, Barjona veut dire fils de la colombe. Quelques-uns l'entendent simplement en ce sens que Simon (c'est-à-dire Pierre), était fils de Jean, d'après cette question que le Sauveur lui adressa dans un autre endroit : « Simon, fils de Jean, m'aimez-vous ? » Ils pré­tendent que c'est par une erreur des copistes qu'au lieu de Bar-joanna, c'est-à-dire : fils de Jean, nous lisons Barjona, avec une syl­labe de moins. Or, Joanna signifie grâce de Dieu, et ces deux noms peuvent recevoir une interprétation spirituelle, c'est-à-dire que la colombe représente le Saint-Esprit, et la grâce de Dieu, les dons spi­rituels.

S. Chrys. (hom. 54.) Il eût été inutile de dire : Vous êtes le fils de Jona, ou de Joanna, si le Sauveur n'avait eu l'intention de montrer que le Christ est aussi naturellement le Fils de Dieu que Pierre est fils de Jona, c'est-à-dire de la même substance que celui qui l'a en­gendré.

S. Jér. Comparez ces paroles : « Ce n'est point la chair ni le sang qui vous l'ont révélé, » à ces autres de l'Apôtre : « Aussitôt j'ai cessé de prendre conseil de la chair et du sang (Ga 1) ; ce sont les Juifs qu'il veut désigner sous le nom de la chair et du sang, et nous y trouvons une preuve que dans cet endroit, ce n'est point par la doc­trine des pharisiens, mais par la grâce de Dieu, que le Christ, Fils de Dieu, a été révélé à Pierre. — S. Hil. Ou bien dans un autre sens, Pierre est heureux parce qu'il a eu le mérite d'étendre ses regards au delà de ce qui est humain, et que sans s'arrêter à ce qui venait de la chair et du sang, il a contemplé le Fils de Dieu par un effet de la révélation divine, et a été jugé digne de reconnaître le premier que la divinité était dans le Christ.

Orig. (traité 1 sur S. Matth., 16.) C'est ici le lieu de demander si, lorsque le Sauveur envoya ses disciples prêcher l'Évangile, ils savaient déjà qu'il était le Christ, car d'après ce passage, Pierre confesse ici pour la première fois que le Sauveur était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Comprenez donc, si vous le pouvez, que c'est une grâce bien moindre de croire que de connaître que Jésus est le Christ, et nous dirons alors que lorsqu'il envoyait ses disciples prêcher l'Évangile, ils croyaient qu'il était le Christ, mais qu'ensuite ils arrivèrent jusqu'à le connaître. Ou bien nous répondrons que les Apôtres n'avaient alors que le commencement de la connaissance du Christ et que cette con­naissance était très restreinte, mais qu'ensuite ils firent tant de progrès dans cette connaissance, qu'ils comprirent ce que le Père avait révélé du Christ, comme Pierre, que Jésus proclame bienheureux, non-seulement pour avoir dit : « Vous êtes le Christ, » mais surtout pour avoir ajouté : « Le Fils du Dieu vivant. »

S. Chrys. (hom. 54.) Or, si Pierre n'avait pas confessé que le Christ est réellement né du Père, il n'aurait pas eu besoin de révélation, et il n'aurait pas été proclamé bienheureux pour avoir cru que le Christ était un des nombreux enfants adoptifs de Dieu. En effet, bien aupa­ravant, ceux qui étaient dans la barque lui avaient dit : « Vous êtes vraiment le Fils de Dieu » (Mt 14) ; Nathanaël lui-même lui avait dit : « Maître, vous êtes le Fils de Dieu. » (Jn 1.) Cependant ils n'ont pas été déclarés bienheureux, parce qu'ils n'ont pas confessé la même filiation que Pierre. Ils croyaient que le Christ était semblable à beaucoup d'autres, mais non pas qu'il fût le Fils de Dieu ; ou bien s'ils lui reconnaissaient une supériorité réelle sur tous les autres, ils ne le re­gardaient cependant pas comme étant né de la substance même du Père. Vous voyez donc comme le Père révèle le Fils, et comment le Fils révèle le Père ; car on ne peut connaître le Fils que par le Père, comme on ne peut connaître le Père que par le Fils, ce qui établit clairement que le Fils est consubstantiel au Père, et doit recevoir les mêmes adorations. Or, Jésus prend occasion de cela pour enseigner à ses Apôtres que plusieurs croiront un jour ce que Pierre vient de confesser : « Et moi, je vous dis que vous êtes Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église. » — S. jér. C'est-à-dire parce que vous avez fait cette confession de foi : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant, » moi je vous dis non point par un discours vain et sans objet, mais je vous dis (car pour moi, dire c'est faire) : « Vous êtes Pierre. » De même que précédemment lui qui est la véritable lumière avait donné à ses Apôtres le nom de lumière du monde et d'autres noms figuratifs ; ainsi il a donné le nom de Pierre à Simon, qui croyait que Jésus-Christ était la pierre par excellence. — S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 53.) Il ne faut pas croire cependant que ce fut dans cette circonstance que Pierre reçut son nom ; ce nom lui fut donné dans une autre circonstance rapportée par saint Jean, alors que Jésus-Christ lui dit : « Vous vous appellerez Céphas, » ce qui veut dire Pierre.

S. Jér. C'est en suivant cette métaphore de la pierre que le Sau­veur lui dit : C'est sur vous que je bâtirai mon Église, comme il l'a­joute en effet : « Sur cette pierre, je bâtirai mon Église. » — S. Chrys. (hom. 54.) C'est-à-dire, sur cette foi et sur cette confession, je bâtirai mon Église. Nous apprenons de là qu'un grand nombre croiront ce que Pierre vient de confesser, et il élève en même temps son intelli­gence et lui donne la charge de suprême pasteur. — S. Aug. (Liv. de Retract., 1, 21.) J'ai dit dans un certain endroit, de l'apôtre saint Pierre, que l'Église avait été bâtie sur lui comme sur la pierre ; mais je me rappelle avoir plus tard expliqué cette parole : « Vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai, » etc., en ce sens que d'après ces paroles du Sauveur, l'Église est bâtie sur celui que Pierre a confessé en ces terme ? : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. » De cette manière, l'Apôtre aurait reçu son nom de cette pierre et il représenterait l'Église qui est bâtie sur cette pierre. En effet, le Sau­veur ne lui dit pas : Vous êtes la pierre (petra), mais « Vous êtes Pierre » (Petrus) ; la pierre, c'était le Christ (1 Co 10) dont Simon a confessé la divinité, comme toute l'Église le confesse, et c'est pour cela qu'il a reçu le nom de Pierre. Le lecteur peut choisir entre ces deux opinions celle qui lui paraîtra la plus probable.

S. Hil. Dans ce nouveau nom donné au prince des Apôtres, nous trouvons un présage heureux de la solidité des fondements de l'Église et une pierre digne de cet édifice qui devait briser et réduire eu poudre les lois et les portes de l'enfer et tous les cachots de la mort, et c'est pour montrer la force de l'Église bâtie sur cette pierre que Jésus ajoute : « Et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. » — S. Jér. Les portes de l'enfer sont, à mon avis, les vices et les péchés des hommes, ou du moins les doctrines des hérétiques qui séduisent les hommes et les entraînent dans l'abîme.

 

Orig. Tous les esprits de malice répandus dans les airs sont aussi les portes de l'enfer auxquelles sont opposées les portes de la jus­tice (Ps 97, 19). — Rab. Les portes de l'enfer sont encore les tourments et les séductions que mettent en usage les persécuteurs. Ce sont aussi les œuvres mauvaises des incrédules, et leurs discours absurdes, parce qu'ils font connaître le chemin de la perdition. — Orig. Notre-Sei­gneur ne précise pas si c'est contre la pierre sur laquelle le Christ a bâti son Église ou si c'est contre l'Église elle-même, bâtie sur la pierre, que ces portes de l'enfer ne prévaudront pas. Mais il est évi­dent qu'elles ne prévaudront ni contre la pierre, ni contre l'Église. — S. Cyr. D'après cette promesse du Seigneur, l'Église apostolique, placée au-dessus de tous les évêques, de tous les pasteurs, de tous les chefs des Églises et des fidèles, demeure pure de toutes les séductions et de tous les artifices des hérétiques dans ses pontifes, dans sa foi toujours entière et dans l'autorité de Pierre. Tandis que les autres Églises sont déshonorées par les erreurs de certains hérétiques, seule elle règne, appuyée sur des fondements inébranlables, imposant silence et fermant la bouche à tous les hérétiques ; et nous, si nous ne sommes ni égarés par une téméraire présomption de notre salut, ni enivrés du vin de l'orgueil, nous confessons et nous prêchons en union avec elle la règle de la vérité et de la sainte tradition apostolique. — S. Jér. Qu'on ne s'imagine pas que ces paroles doivent s'entendre en ce sens que les Apôtres n'ont pas été soumis à la mort, quand on sait la gloire éclatante de leur martyre. — Orig. Et à nous aussi il sera dit : « Vous êtes Pierre. » Aussitôt que nous aurons confessé que Jésus-Christ est le Fils du Dieu vivant par un effet de la révélation du Père qui est dans les cieux, c’est-à-dire lorsque nous-mêmes nous vivrons déjà pour ainsi dire dans le ciel. Car la pierre, c’est tout fidèle imitateur du Christ ; mais celui contre lequel prévalent les portes de l’enfer n’est ni la pierre sur laquelle le Christ bâtit son Église, ni cette Église, ni aucune partie de cette Église, dont le Seigneur asseoit les fondements sur la pierre.

 

S. Chrys. (hom. 54.) Le Sauveur donne ensuite une autre prérogative à Pierre, en ajoutant : « Et je vous donnerai les clefs du royaume des cieux. » C’est-à-dire : De même que mon Père vous a fait la grâce de me connaître, je vous accorderai aussi une faveur particulière, c’est-à-dire les clefs du royaume des cieux. — Rab. Celui qui a reconnu et confessé le roi des cieux avec plus d’ardeur que tous les autres reçoit aussi d’une manière plus particulière que tous les autres les clefs du royaume des cieux, afin qu’il fût bien démontré pour tous que sans cette confession et sans cette foi, personne ne peut entrer dans le royaume des cieux. Les clefs du royaume des cieux sont la puissance et le droit de juger : la puissance, pour lier et délier, le pouvoir de juger, de discerner ceux qui sont dignes et ceux qui ne le pas. — La Glose. « Et ce que vous lierez, » c’est-à-dire celui que vous aurez jugé indigne d’absolution pendant sa vie, en sera jugé indigne devant Dieu lui-même. » Et ce que vous aurez délié, » c’est-à-dire celui que vous aurez jugé digne d’être absous ici-bas, recevra de Dieu la rémission de ses péchés. — Orig. Voyez quelle grande puissance a été donnée à cette pierre sur laquelle l’Église est bâtie ; ses jugements sont irrévocables, comme si Dieu lui-même les avait prononcés par sa bouche. — S. Chrys. (Hom. 54.) Voyez aussi comme Jésus-Christ inspire à Pierre une haute idée de sa personne il promet de lui donner ce qui n’appartient qu’à Dieu seul, c’est-à-dire le pouvoir de remettre les péchés et de rendre l’Église immuable au milieu de toutes les tempêtes, des persécutions et des souffrances.

 

Rab. Quoique le Seigneur paraisse donner exclusivement à Pierre ce pouvoir de lier et de délier, il l’accorde également aux autres Apôtres (Mt 18, 18) et maintenant encore à toute l’Église dans la personne des évêques et des prêtres ; mais Pierre a reçu d’une manière plus particulière les clefs du royaume des cieux et la primauté du pouvoir judiciaire, afin que tous les fidèles répandus dans l’univers comprennent que du moment où, de quelque manière que ce soit, on se sépare de l’unité de la foi ou de la société de Pierre, on ne peut être délivré des liens du péché, ni voir ouvrir devant soi les portes du royaume du ciel.

 

La Glose. Notre-Seigneur a donné d’une manière particulière ce pouvoir à Pierre pour nous inviter à l’unité ; il l’a établi prince des Apôtres afin que l’Église eût au-dessus de tous les autres un seul vicaire de Jésus-Christ, auquel tous les membres de l’Église pussent recourir si la division venait à s’introduire parmi eux ; s’il y avait plusieurs chefs dans 1’Église, le lien de l’unité serait rompu. Quelques-uns prétendent que cette expression : « Sur la terre » signifie que ce pouvoir de lier et de délier ne lui a été donné que sur les vivants et non sur les morts, car celui qui exercerait ce pouvoir sur les morts ne l’exercerait pas sur la terre.

 

Conc. de Constant. Comment s’en trouve-t-il qui osent dire que ce pouvoir ne doit s’exercer que sur les vivants ? Ignorent-ils donc que la sentence d’anathème n’est autre chose qu’une sentence de séparation ? On doit toujours éviter tout commerce avec ceux qui sont esclaves de crimes énormes, qu’ils soient du nombre des vivants ou parmi les morts, car on doit toujours se séparer de ce qui est coupable et nuisible. D’ailleurs nous avons d’Augustin, de pieuse mémoire, et qui jeta un si vif éclat parmi les évêques d’Afrique, plusieurs lettres où il enseigne qu’il faut anathématiser les hérétiques même après leur mort. Les autres évêques d’Afrique ont conservé cette tradition ecclésiastique, et la sainte Église romaine elle-même a anathématisé aussi quelques évêques après leur mort, quoique leur foi n’eût pas été incriminée pendant leur vie.

 

S. Jér. Quelques évêques et quelques prêtres qui n’ont pas l’intelligence de ce passage, affectent en quelque sorte d’imiter la conduite orgueilleuse des pharisiens en condamnant les innocents et en s’imaginant qu’ils peuvent absoudre les coupables, lorsqu’ils devraient savoir que Dieu tient compte non tant de la sentence des prêtres que des dispositions des coupables. Nous lisons, dans le passage du Lévitique qui ordonne aux lépreux de se présenter devant les prêtres (chap. 13 et 14), que, s’ils sont atteints de la lèpre, ils soient alors déclarés impurs par le prêtre, non pas que ce soient les prêtres qui les rendent lépreux et impurs, mais parce qu’ils connaissent les caractères qui distinguent le lépreux de celui qui ne l’est pas, celui qui est pur de celui qui est impur. De même donc que dans l’ancienne loi le prêtre déclarait le lépreux impur, ainsi l’évêque ou le prêtre exercent le pouvoir de lier et de délier, non pas à l’égard de ceux qui sont innocents et purs, mais dans ce sens qu’après avoir entendu la confession des diverses espèces de péchés, ils savent quels sont ceux qu’ils doivent lier et ceux qui méritent d’être déliés.

 

Orig. Celui donc qui exerce le pouvoir de lier et de délier de manière à être jugé vraiment digne d’exercer ce pouvoir dans le ciel est irrépréhensible. Or, les clefs du royaume des cieux sont données aussi comme récompense à celui qui par ses vertus peut fermer les portes de l’enfer. » En effet, lorsqu’un homme commence à pratiquer toutes les vertus chrétiennes, il s’ouvre à lui-même la porte du royaume des cieux, c’est-à-dire que le Seigneur la lui ouvre par sa grâce, de manière que la même vertu est tout à la fois la porte et la clef de la porte. Peut-être même pourrait-on dire que chacune des vertus est le royaume des cieux.

 

 

vv. 20-21

La Glose. Après que Pierre a confessé que Jésus était le Christ, Fils du Dieu vivant, le Sauveur, ne voulant pas que ses disciples publient pour le moment cette vérité, leur commande de ne dire à personne qu’il était le Christ. — S. Jér. Lorsqu’il a envoyé précédemment ses disciples prêcher l’Évangile, il leur a commandé d’annoncer son avènement. Comment concilier cet ordre avec celui qu’il leur donne ici de ne pas publier qu’il est le Christ. Je crois donc qu’il y a une différence entre prêcher le Christ et prêcher Jésus-Christ ; le nom de Christ exprime en général la dignité, celui de Jésus est le nom propre du Sauveur. — Orig. Ou bien on peut dire que les Apôtres parlaient très peu de Jésus et seulement comme d’un homme étonnant et extraordinaire, mais sans annoncer qu’il était le Christ. Si l’on prétend que les Apôtres aient publié dès lors cette vérité, il faudra dire que le dessein du Sauveur était que les Apôtres ne donnassent d’abord de temps à autre qu’une légère idée de ce qu’il était, afin que dans l’intervalle ces premières notions du Christ eussent le temps de pénétrer dans l’esprit de leurs auditeurs. Ou bien il faut résoudre cette difficulté en disant que l’ordre qu’ils avaient reçu d’annoncer le Christ ne devait être accompli que dans les temps qui suivirent sa résurrection. La défense, au contraire, qu’il fait ici aux Apôtres est pour le temps actuel, car il était inutile de prêcher le Christ sans parler de sa croix. Il leur défend donc de dire à personne qu’il fut le Christ, et cependant il les préparait à prêcher plus tard qu’il était le Christ qui a été crucifié et qui est ressuscité d’entre les morts.

 

S. Jér. Que personne ne suppose que cette explication n’est que le fruit de notre invention, car le Sauveur lui-même nous indique dans ce qui suit les raisons de cette défense : « Dès lors Jésus commença à découvrir à ses disciples qu’il fallait qu’il souffrit, » etc. Voici le sens de ces paroles : Vous prêcherez mon nom lorsque j’aurai souffert ces tourments, car il ne servirait de rien d’annoncer publiquement le Christ et de faire connaître sa majesté au milieu des peuples qui seraient témoins quelque temps après de sa flagellation et de sa mort sur la croix.

 

S. Chrys. (hom. 54.) Si on arrache ce qui a déjà poussé des racines et qu’on veuille le planter de nouveau, il tiendra difficilement dans l’esprit d’un grand nombre ; mais, au contraire, si une vérité qui a jeté une fois ses racines n’est ébranlée, on lui voit prendre bientôt de grands accroissements. Or, le Sauveur s’étend longuement sur ces tristes prédictions pour ouvrir l’intelligence de ses disciples.

 

Orig. Remarquez que l’Évangéliste ne dit pas : Il commença à leur dire ou à leur enseigner, mais : « Il commença à leur découvrir, » car de même qu’on découvre et qu’on montre les choses extérieures, ainsi Notre-Seigneur rend sensibles les choses dont il parle. Or, je suis persuadé que le mystère de sa passion ne fut pas découvert aussi clairement à ceux qui virent de leurs yeux ses innombrables souffrances, qu’il le fut aux disciples dans le discours que Jésus leur adresse sur le mystère de sa passion et de sa résurrection. Et cependant il ne fit alors que commencer à leur découvrir ce mystère, et ce ne fut que plus tard, lorsqu’ils furent devenus capables, qu’il le leur développa tans sa plénitude, car tout ce que Jésus commence il le perfectionne. Il fallait qu’il allât à Jérusalem pour être immolé dans la Jérusalem d’ici-bas (dans la Jérusalem terrestre), mais il devait régner par sa résurrection dans la Jérusalem d’en haut, c’est-à-dire dans la Jérusalem céleste (Ga 4) ; car, après que Jésus-Christ fut ressuscité et beaucoup d’autres avec lui, ce n’est plus sur la terre, mais dans le ciel qu’il faut chercher Jérusalem, c’est-à-dire la maison de la prière. Il a beaucoup à souffrir de la part des anciens de la Jérusalem terrestre avant d’être glorifié par ceux qui jouissent de ses bienfaits, c’est-à-dire les anciens de la Jérusalem céleste (Ap 4, 40 ; 5, 8.19.14 ; 13, 16 ; 19, 4). Le troisième jour, il ressuscite d’entre les, morts et obtient à ceux qu’il a délivrés du démon la grâce d’être baptisés dans leur esprit, dans leur âme et dans leur corps, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, de manière que ces trois jours soient perpétuellement présents à la mémoire de ceux qu’ils ont rendu enfants de lumière.

 

vv. 22-23.

Orig. Jésus ne faisais encore que découvrir à ses Apôtres le commencement de ces mystères, que déjà Pierre les regardait comme indignes du Fils du Dieu vivant, et comme s’il oubliait que le Fils du Dieu vivant ne peut faire aucune action qui mérite le blâme, il ose le reprendre de ce qu’il vient de dire : « Et Pierre, le prenant à part, » etc. — S. Jér. Nous avons souvent rappelé que Pierre fait preuve d’une ardeur excessive et d’un amour extraordinaire pour le Sauveur. Or, comme il ne veut pas voir détruit l’effet de sa confession et de la récompense qu’il en a reçue du Sauveur, et qu’il ne croit point que le Fils de Dieu puisse être mis à mort, il le prend dans son affection et le conduit à l’écart pour ne point paraître blâmer son Maître en présence des autres disciples. Il commence donc à le reprendre par un sentiment d’amour, et à le contredire en lui disant : « A Dieu ne plaise, Seigneur. » Ou suivant le texte grec qui est préférable : « Soyez vous favorable, cela ne vous arrivera pas. » — Orig. Comme si le Sauveur avait besoin de cette disposition favorable à son égard. Jésus, tout en acceptant ce témoignage d’affection, lui reproche son ignorance. « Mais Jésus, se retournant, dit à Pierre Retirez-vous derrière moi, Satan. » — S. Hil. Le Seigneur, qui connaît la nature des artifices du démon, dit à Pierre : « Retirez-vous derrière moi, » c’est-à-dire suivez l’exemple de ma passion. Il se retourne vers celui qui avait suggéré à Pierre les paroles qu’il venait de prononcer, et il ajoute : « Satan, vous m’êtes un sujet de scandale, » car il n’est pas convenable de rapporter à Pierre ce nom de Satan, et de faire tomber sur lui ce reproche de scandale après les promesses magnifiques de bonheur et de puissance qui lui ont été faites. — S. Jér. Pour moi, je ne verrai jamais une suggestion du démon dans l’erreur de l’Apôtre, erreur qui a pour cause un sentiment d’affection. Que le lecteur prudent veuille bien remarquer que cette béatitude et cette puissance ne lui sont pas données en ce moment, mais seulement promises pour l’avenir ; car si Jésus lui eût accordé immédiatement cette faveur, jamais cette grossière erreur n’eût trouvé accès dans son esprit.

 

S. Chrys. (hom. 54.) Qu’y a-t-il de surprenant que Pierre soit dans ces dispositions, puisque ce mystère ne lui avait pas été révélé. Voulez-vous être convaincu que la profession de foi qu’il vient de faire à l’égard du Christ n’est pas le fruit de ses propres pensées ? Voyez quel trouble lui inspire la perspective des choses qui ne lui ont pas été révélées. Il ne considère tout ce qui a rapport au Christ qu’à un point de vue tout terrestre et tout humain, et il lui semble que c’est une honte et une indignité pour le Sauveur d’être soumis aux souffrances et à la mort, et c’est pour cela que le Sauveur ajoute : « Vous ne goûtez pas les choses de Dieu, mais celles des hommes. » — S. Jér. C’est-à-dire c’est la volonté de mon Père et la mienne, que je meure pour le salut des hommes. Pour vous, vous ne considérez que votre volonté, vous ne voulez pas que le grain de froment tombe dans la terre pour produire beaucoup de fruits (Jn 12, 24), et puisque votre langage est opposé à ma volonté, vous méritez d’être appelé mon ennemi. En effet, le mot Satan signifie adversaire ou ennemi. Ce n’est pas cependant, comme plusieurs le pensent, que Pierre soit frappé de la même condamnation que Satan. Jésus dit à Pierre : « Retirez-vous derrière moi, Satan, » c’est-à-dire : Suivez-moi, vous qui êtes opposé à ma volonté, Il dit au contraire à Satan : « Retire-toi, Satan, » sans qu’il ajoute : derrière, de manière que l’on puisse sous-entendre : va dans le feu éternel. — Orig. (traité 1 sur S. Matth.) Jésus dit donc à Pierre : « Retirez-vous derrière moi, » parce qu’il avait cessé, par son ignorance, de marcher à la suite du Christ. Il l’appelle Satan à cause de cette même ignorance qui l’a mis en opposition avec Dieu. Cependant, heureux celui vers lequel se tourne le Christ, quand même ce serait pour le réprimander ! Mais pourquoi dit-il à Pierre : « Vous m’êtes un sujet de scandale, » alors que nous lisons dans le Psaume 118 : « Une paix abondante est le partage de ceux qui aiment votre loi, et il n’y a point de scandale pour eux. » Nous répondons que Jésus n’est pas le seul qui ne puisse être scandalisé, mais encore tout homme qui a dans le cœur la charité parfaite ; et cependant on peut être par ses actions ou par ses paroles un sujet de scandale pour cet homme, bien qu’il ne puisse en être victime.

Ou bien on peut dire qu’il appelle un sujet de scandale pour lui, tout fidèle qui pèche ; dans le sens de saint Paul, qui disait (2 Co 11) : « Qui est scandalisé sans que je sois brûlé de douleur ? »

 

 

vv. 24-25.

S. Chrys. (hom. 56.) Après que Pierre eut dit au Sauveur : « Soyez-vous favorable, cela ne vous arrivera pas, » et qu’il en a reçu cette réponse : « Retirez-vous derrière moi, Satan, » Notre-Seigneur, non content de lui avoir fait ce reproche, veut lui démontrer pleinement toute l’inconvenance de son langage et les fruits de sa passion : « Alors Jésus dit à ses disciples « Si quelqu’un veut venir après moi, » paroles dont voici le sens : Vous me dites : Épargnez-vous, Seigneur, et moi je vous dis que non-seulement c’est une chose funeste pour vous de me dissuader de souffrir, mais que vous-mêmes vous ne pourrez être sauvés sans souffrir et mourir, et sans un renoncement continuel à votre vie. Remarquez, du reste, qu’il n’impose pas ici de nécessité. Il ne dit pas : Quand même vous ne voudriez pas, il vous faut souffrir, mais : « Si quelqu’un veut, » paroles qui étaient pour ses disciples un attrait bien plus puissant, car en laissant toute liberté à celui qui vous écoute, vous l’attirez plus sûrement, tandis que vous l’éloignez davantage si vous lui faites violence. Ce n’est pas, du reste, à ses disciples seuls qu’il propose ces conditions, c’est en général à tout l’univers : « Si quelqu’un veut, » c’est-à-dire si une femme, si un homme, si un roi, si un esclave, etc. Or, ces conditions sont au nombre de trois : Qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix, et qu’il me suive.

 

S. Grég. (hom. 32 sur les Evang.) Si nous ne commençons, en effet, par nous détacher de nous-mêmes, nous ne pouvons nous approcher de celui qui est au-dessus de nous ; mais si nous nous laissons nous-mêmes, où pourrons-nous aller en dehors de nous ? Ou bien, que devient celui qui s’en va, s’il s’abandonne lui-même ? Rappelons-nous ici que le péché nous a fait déchoir de l’état où Dieu nous avait créés dans l’origine ; nous nous laissons donc nous-mêmes, nous nous renonçons nous-mêmes lorsque nous évitons ce que nous suggérait le vieil homme, et que nous tendons vers cette sainte nouveauté à laquelle Dieu nous appelle. — S. Grég. (hom. 40 sur Ezéch.) On se renonce encore soi-même quand on réforme sa conduite, et que l’on commence d’être ce qu’on n’était pas en cessant d’être ce qu’on était. — S. Grég. (Moral., 33, 6.) C’est encore se renoncer soi-même que de fouler aux pieds l’enflure de l’orgueil et de se montrer aux yeux de Dieu tout à fait dépouillé de soi-même.

 

Orig. (traité 11 sur S. Matth.) Mais quand même nous nous abstiendrions de tout péché, si nous n’embrassons par la foi la croix de Jésus-Christ, on ne peut pas dire que nous sommes crucifiés avec lui. — S. Chrys. (hom. 55.) Ou bien encore, celui qui renonce son frère, ou son serviteur, ou n’importe quel autre homme, c’est celui qui ne lui porte aucun secours lorsqu’il le voit déchiré sous les coups de fouets, ou soumis à d’autres tourments. Ainsi le Sauveur veut-il que nous ne ménagions pas davantage notre corps, soit qu’on nous frappe de verges, soit qu’on nous accable d’autres mauvais traitements ; car c’est l’épargner en réalité, de même que les pères épargnent véritablement leurs enfants, lorsque les confiant aux soins de leurs maîtres, ils leur recommandent de n’avoir pour eux aucun ménagement. Et ne croyez pas que ce renoncement à soi-même ne doive s’étendre qu’aux paroles injurieuses et aux outrages. Notre-Seigneur nous découvre clairement jusqu’où il faut porter ce renoncement, jusqu’à la mort la plus honteuse, jusqu’à la mort de la croix, comme il nous l’exprime par ces paroles : « Qu’il porte sa croix, et qu’il me suive. » — S. Jér. Il faut suivre le Seigneur en prenant suit nous la croix de sa passion, et l’accompagner, sinon en réalité, du moins par l’intention et le désir du cœur.

 

S. Chrys. (hom. 55.) Mais comme les voleurs eux-mêmes sont exposés à de nombreuses et à de rudes épreuves, Notre-Seigneur, ne voulant pas vous laisser croire qu’il suffit de souffrir en général, vous fait connaître la cause pour laquelle vous devez souffrir, en ajoutant : « Et qu’il me suive. » C’est-à-dire qu’il vous faut tout supporter pour l’amour de lui, et pratiquer à son exemple toutes les vertus ; car la seule manière légitime de suivre Jésus-Christ, c’est d’être plein de zèle pour les vertus, et de tout supporter pour l’amour de lui. — S. Grég. (hom. 32.) Il y a aussi deux manières de porter sa croix, lorsqu’on mortifie son corps par l’abstinence, ou lorsqu’on afflige son âme en compatissant aux misères du prochain. Mais comme les vertus sont toujours entremêlées de quelques vices, il faut nous avouer à nous-mêmes que la vaine gloire vient quelquefois attaquer la mortification de la chair ; car la maigreur extérieure du corps, la pâleur du visage, découvrent la vertu et l’exposent aux louanges des hommes. D’un autre côté, la compassion dégénère presque toujours secrètement en une fausse tendresse, qui l’entraîne quelquefois jusqu’à la condescendance pour les vices ; et c’est pour nous faire éviter ce danger qu’il ajoute : « Et qu’il me suive. » — S. Jér. Ou bien encore, celui qui est crucifié au monde porte sa croix, et celui pour lequel le monde est crucifié marche à la suite du Seigneur attaché sur la croix.

S. Chrys. (hom. 55.) Notre-Seigneur adoucit par les paroles qui suivent ce que ce langage pouvait avoir de trop sévère pour ceux qui l’entendaient ; il promet des récompenses supérieures aux peines endurées pour son nom, en même temps qu’il prédit les châtiments réservés à la méchanceté et à la négligence. « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra. »

 

Orig. Ces paroles peuvent s’entendre de deux manières : premièrement, si quelqu’un, par affection pour la vie présente, épargne son âme dans la crainte de la mort, et parce qu’il croit que cette mort est la perte de son âme, en voulant sauver son âme, de cette manière, il la perdra, et lui fera perdre tous ses droits à la vie éternelle. Mais celui, au contraire, qui méprise la vie présente et qui aura combattu jusqu’à la mort pour la vérité (cf. Si 4, 23), celui-là perdra son âme pour cette vie, mais comme il la perd pour Jésus-Christ, il la sauve infailliblement pour la vie éternelle. Ou bien encore, dans un autre sens Si quelqu’un comprend en quoi consiste le salut véritable, et veut procurer ce salut à son âme, en se renonçant lui-même, il perd son âme pour Jésus-Christ, quant à la jouissance des plaisirs charnels ; et en perdant son âme de cette manière, il la sauve par les oeuvres de piété. Cette expression : « Celui qui voudra, » indique que cette proposition et celle qui précède n’ont qu’un seul et même sens. Si donc ce que Jésus a dit plus haut : « Qu’il se renonce lui-même, » doit s’entendre de la mort du corps, nous devons conclure que tout doit s’entendre de cette mort seule. Si, au contraire, se renoncer soi-même c’est se dépouiller de toute habitude de vie sensuelle, perdre son âme, c’est Vivre entièrement séparé des plaisirs de la chair.

 

vv. 26-28.

S. Chrys. (hom. 55.) Notre-Seigneur avait dit : « Celui qui veut sauver, perdra ; et celui qui perdra, sauvera, » mettant ainsi des deux côtés le salut et la perdition ; mais afin qu’on ne puisse supposer que le salut et la perdition sont les mêmes dans les deux cas, il ajoute : « Et que servirait-il à l’homme de gagner le monde entier, et de perdre son âme. » C’est-à-dire : Ne m’alléguez pas que celui qui a échappé aux dangers qui le menacent pour la cause du Christ, sauve son âme, mettez même avec son âme l’univers tout entier, que lui en reviendra-t-il si son âme vient à périr pour l’éternité ? Si vos serviteurs étaient dans la joie, sous vos yeux, tandis que vous, au contraire, vous seriez plongé dans des maux extrêmes, quel avantage vous reviendrait-il d’être leur maître ? Appliquez cette considération à votre âme, puisqu’elle est destinée avec la chair coupable à une perte éternelle.

Orig. Je pense que c’est gagner le monde que de ne pas se renoncer soi-même, et de ne pas perdre son âme en la privant des plaisirs de la chair, et on perd alors véritablement son âme. Aussi entre ces deux partis qui nous sont proposés, ne devons-nous pas hésiter à perdre plutôt le monde entier pour gagner nos âmes.

 

S. Chrys. (hom. 55.) Mais quand bien même vous régneriez sur l’univers entier, vous ne pourriez pas racheter votre âme, et c’est pour cela que le Sauveur ajoute « Et qu’est-ce que l’homme donnera en échange de son âme ? » c’est-à-dire si vous perdiez vos richesses, vous pourriez donner d’autres richesses pour rentrer en possession des premières ; mais si vous perdez votre âme, vous ne pouvez donner ni une autre âme, ni quoi que ce soit pour la racheter. Qu’y a-t-il d’étonnant qu’il eu soit ainsi pour votre âme ? Est-ce qu’il n’en est pas de même pour votre corps ? Car vous auriez beau placer dix mille diadèmes sur un corps atteint d’une maladie incurable, ils seraient impuissants pour le guérit. — Orne. Au premier abord, il semble que l’homme pourrait donner, en échange de son âme, ses richesses en les distribuant aux pauvres pour la sauver ; mais l’homme n’a rien qu’il puisse donner en échange pour délivrer sort âme de la mort. Dieu, au contraire, a donné comme prix d’échange pour les âmes des hommes, le sang précieux de son Fils. — S. Grég. (hom. 32 sur les Evang.) Ou bien encore, on peut établir de la sorte la liaison dans le discours du Sauveur. La sainte Église traverse des temps de paix et des temps de persécution, et pour ces temps si divers, le Rédempteur nous donne des préceptes différents. Dans les temps der persécution, nous devons sacrifier notre vie, et dans les temps de paix, dompter et réduire les désirs terrestres qui peuvent nous tyranniser davantage ; c’est pour cela qu’il dit : « Que sert à l’homme ? » etc. — S. Jér. L’exhortation qu’il vient de faire à ses disciples de se renoncer eux-mêmes, et de porter leur croix, les a remplis d’effroi. A cette doctrine sévère il fait donc succéder des prédictions plus agréables : « Le Fils de l’homme viendra, dit-il, dans la gloire de son Père avec ses anges, » etc. Vous craignez la mort ? écoutez quelle sera la gloire du triomphateur ; vous redoutez la croix ? entendez quel sera le ministère des anges. — Orig. C’est-à-dire : Maintenant le Fils de l’homme est venu sur la terre, mais ce n’est pas dans la gloire ; car il ne convenait pas qu’il se chargeât de nos péchés, étant environné d’honneur et de gloire. Mais alors il viendra dans toute sa gloire, lorsqu’il aura préparé ses disciples, et après qu’il s’est fait semblable à eux, pour les rendre semblables à lui, c’est-à-dire participants de sa propre gloire. — S. Chrys. Il ne dit pas : Le Fils de l’homme viendra dans une gloire semblable à celle de son Père, pour ne pas laisser supposer que ce sont deux gloires différentes, mais : « Dans la gloire du Père, » montrant ainsi qu’il s’agit absolument de la même gloire. Or, si la gloire est une, il est évident qu’il n’y a également qu’une substance. Que craignez-vous donc, Pierre, en entendant parler de mort ? Vous me verrez alors dans la gloire ; et si je suis dans la gloire, vous y serez aussi vous-même. Mais cependant à ces prédictions de gloire il entremêle une pensée effrayante, c’est celle du jugement. « Et alors il rendra à chacun selon ses oeuvres. » — S. Jér. Il n’y a point de distinction entre les Juifs et les Gentils, entre les hommes et les femmes, entre les pauvres et les riches, là où l’on tient compte non des personnes, mais des oeuvres. — S. Chrys. (hom. 55.) Notre-Seigneur s’exprime de la sorte, pour rappeler aux pécheurs les supplices qui les attendent, et aussi aux justes les récompenses et les couronnes qui leur sont réservées.

 

S. Jér. Les Apôtres pouvaient se scandaliser intérieurement de ces paroles et se dire en eux-mêmes : Vous nous annoncez une mort éternelle dans un avenir prochain, mais la promesse que vous nous faites de venir dans votre gloire, ne doit s’accomplir que dans des temps bien éloignés. Celui qui pénètre les secrets des cœurs, prévoyant cette objection, oppose à la crainte des maux présents la perspective d’une récompense prochaine : « Je vous le dis en vérité, il y en a de ceux qui sont ici présents, qui n’éprouveront pas la mort avant qu’ils aient vu le Fils de l’homme venant en son règne, » — S. Chrys. (hom. 55.) Il veut leur apprendre quelle était cette gloire dans laquelle il doit venir plus tard, et il la leur révèle en cette vie, autant qu’ils en étaient capables, afin que la pensée de sa mort ne fût pas pour eux un sujet de tristesse. — Remi. Cette prédiction du Sauveur eut son accomplissement pour les trois disciples, devant lesquels il fut transfiguré sut la montagne où il leur découvrit les joies des récompenses éternelles. Ils le virent venant dans son règne, c’est-à-dire resplendissant de cette gloire dans laquelle, après le jugement, il apparaîtra aux yeux de tous les saints. — S. Chrys. (hom. 55.) Il ne leur fait pas connaître les noms de ceux qui doivent le suivre sur la montagne, car les autres auraient vivement désiré l’accompagner pour être témoins de cette manifestation de sa gloire, et auraient souffert de la préférence donnée sur eux aux autres disciples. — S. Grég. (hom. 32.) Ou bien encore, il appelle le royaume de Dieu l’Église actuelle ; et comme plusieurs de ses disciples devaient vivre assez longtemps pour voir établie cette Église que Dieu opposait à la gloire du monde, il leur fait cette promesse consolante : « Plusieurs de ceux qui sont ici présents, » etc.

Orig. Dans le sens moral, on peut dire que le Verbe de Dieu a pour ceux qui sont nouveaux dans la foi l’apparence d’un esclave, tandis que pour ceux qui sont parfaits, il paraît dans la gloire de son Père. Les anges sont les discours des prophètes qu’il est impossible de comprendre dans le sens spirituel avant d’avoir l’intelligence spirituelle du Verbe du Christ, de manière qu’on les voit apparaître en même temps dans la majesté. C’est alors qu’il donnera de la gloire à chacun suivant ses actes, car plus on est vertueux, plus aussi on a l’intelligence spirituelle de Jésus-Christ et de ses prophètes. Ceux qui se tiennent où est Jésus sont ceux qui ont jeté près de lui les fondements de leur âme et de leurs affections. Ceux qui sont plus solidement assis ne goûtent pas la mort avant qu’ils aient vu le Verbe de Dieu dans son règne. Ils verront la grandeur sublime de Dieu qui reste invisible pour ceux qui sont enveloppés dans les épais nuages de leurs péchés, ce sont ces derniers qui goûtent la mort ; car l’âme pécheresse est frappée de mort. De même, en effet, que le Christ est la vie et le pain vivant qui est descendu du ciel, ainsi son ennemi, c’est-à-dire la mort, est le pain de mort. Il en est qui mangent très peu de ces pains, qui ne l’ont que les goûter ; d’autres au contraire, s’en nourrissent abondamment. Ceux qui ne commettent que des fautes rares et peu nombreuses, ne font que goûter la mort ; ceux, au contraire, qui pratiquent dans leur perfection les vertus spirituelles, ne goûtent pas la mort, mais se nourrissent continuellement du pain de vie. Ces paroles : « Jusqu’à ce qu’ils voient, ne précisent pas l’époque après laquelle doit arriver ce qui n’avait pas encore reçu son accomplissement ; elles expriment simplement une chose qui se fera nécessairement. Celui, en effet, qui aura une fois vu Jésus dans sa gloire, ne goûtera jamais la mort.

Rab. Au témoignage du Sauveur, les saints ne font que goûter et comme effleurer la mort du corps ; mais la vie de l’âme demeure toujours en leur possession.

 

CHAPITRE XVII

 

vv. 1-4.

Remi. Six jours après cette prédiction, Notre-Seigneur accomplit dans sa transfiguration sur la montagne, la promesse de cette apparition glorieuse qu’il avait faite à ses disciples. « Et six jours après, dit l’Évangéliste, Jésus prit Pierre, Jacques et Jean, » etc. — S. Jér. On se demande comment, d’après saint Matthieu, ce fut six jours après que Jésus prit avec lui ses disciples, tandis que saint Luc compte huit jours d’intervalle. La réponse est facile : saint Matthieu ne compte que les jours pleins qui séparent ces deux événements, tandis que S. Luc compte de plus le premier et le dernier jour. — S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth., dans les nouvelles éditions, 56.) Ce n’est point immédiatement après cette promesse, mais six jours après, qu’il les conduit sur la montagne ; il veut, par ce retard de quelques jours, étouffer tout sentiment humain d’envie dans les autres disciples, et exciter dans l’âme de ceux qu’il doit prendre avec lui un plus vif désir et le soin d’une préparation plus parfaite. — Rab. Le nombre six n’est point mis ici sans raison ; c’est après six jours écoulés que le Sauveur manifeste sa gloire, figure de la résurrection qui doit avoir lieu à la fin des six âges de l’homme. — Orig. Ou bien encore, comme ce monde visible a été créé après le nombre complet de six jours, celui qui s’élève au-dessus de toutes les choses du monde, peut monter sur cette montagne élevée pour y contempler la gloire du Verbe de Dieu.

 

S. Chrys. Notre-Seigneur prend avec lui ces trois disciples, parce qu’ils étaient supérieurs aux autres Apôtres. Remarquez ici que saint Matthieu ne cherche point à taire le nom de ceux qui lui furent préférés ; c’est ce que fait également saint Jean, en rapportant les magnifiques prérogatives accordées à saint Pierre, car le collège des Apôtres était pur de tout sentiment d’envie et de vaine gloire. — S. Hil. (can. 17.) Ces trois disciples que Jésus prend avec lui figurent l’élection future de tous les peuples qui descendent de la triple souche de Sem, de Cham et de Japhet. — Rab. Ou bien, il ne prend avec lui que trois disciples, parce qu’il y en a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Ou bien encore, parce que ceux-là seuls qui conservent dans une âme pure la foi en la sainte Trinité, jouiront alors de l’éternelle vision des cieux.

 

Remi. Notre-Seigneur, sur le point de découvrir à ses disciples la splendeur de sa gloire, les conduit sur une montagne : « Et il les conduisit sur une haute montagne. » Ainsi enseigne-t-il à tous ceux qui désirent arriver à la contemplation de Dieu, qu’ils ne doivent point rester plongés dans les vils plaisirs des sens, mais s’élever toujours par les affections de leur cœur jusqu’aux biens invisibles des cieux. Il veut apprendre aussi à ses disciples à ne point chercher la gloire de la divine clarté dans les basses régions de ce monde, mais dans le royaume de la félicité céleste. Il les conduit à l’écart, parce que les saints sont ici-bas séparés des méchants par les dispositions de leur âme et l’intention de leur foi, et qu’ils en seront complètement séparés dans le siècle futur. Ou bien encore, parce qu’il y en a beaucoup d’appelés et peu d’élus. (Mt 20.)

 

« Et il fut transfiguré, » etc. Il apparut aux yeux des Apôtres tel qu’il apparaîtra au jour du jugement. Ne nous imaginons pas, toutefois, qu’il ait quitté sa première forme et sa figure ordinaire, et qu’il ait laissé le corps véritable dont il était revêtu, pour prendre un corps spirituel ou aérien. L’Évangéliste nous apprend la manière dont s’opéra cette transfiguration : « Son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la neige. » Puisque l’Évangéliste nous décrit l’éclat de son visage et la blancheur de ses vêtements, la substance n’en fut donc pas détruite, l’éclat seul en fut changé. Sans doute le Seigneur fut transformé en cette gloire dont il sera revêtu lorsqu’il viendra pour établir son règne ; mais cette transformation lui donna un nouvel éclat, sans changer ni les traits ni la nature de son visage. Supposons que son corps soit devenu un corps spirituel, est-ce que la nature de ses vêtements fut également changée ? Ils devinrent si blancs, dit un autre Évangéliste (Mc 9), que nul foulon sur la terre ne pourrait leur donner une pareille blancheur. Or des objets de ce genre ont une forme corporelle, on peut les toucher, et ce n’est pas quelque chose de spirituel et d’aérien qui fait illusion aux regards et n’a qu’une apparence fantastique. — Remi. Si le visage du Sauveur est devenu brillant comme le soleil, et que le visage des saints doive aussi briller un jour comme cet astre, faut-il en conclure que la gloire du Seigneur et celle des serviteurs auront le même éclat ? Non, sans doute, mais comme rien dans la création n’approche de l’éclat du soleil, les saintes Écritures, pour nous donner une idée de la résurrection future, nous disent que le visage du Seigneur resplendit comme le soleil, et que les justes brilleront eux-mêmes un jour comme cet astre.

Orig. Dans le sens mystique, celui qui, comme nous l’avons dit, s’est élevé au-dessus des six jours, voit Jésus transfiguré devant les yeux de son cœur ; car le Verbe de Dieu a diverses formes, et il se découvre à chacun de la manière qu’il sait lui être la plus utile, sans jamais se dévoiler au delà des dispositions de son âme. Aussi l’Évangéliste ne dit-il pas simplement : « il fut transfiguré, mais il fut transfiguré devant eux. » En effet, dans l’Évangile, Jésus est compris d’une manière simple et ordinaire par ceux qui ne peuvent monter sur la montagne élevée de la sagesse par les saints exercices des entretiens spirituels. Ceux, au contraire, qui sont assez heureux pour gravir cette montagne, ne le connaissent plus selon la chair, mais voient en lui le Verbe de Dieu. C’est devant eux que Jésus se transfigure et non pas devant ceux qui vivent ici-bas d’une vie toute terrestre. Ceux devant lesquels Jésus se transfigure, deviennent les enfants de Dieu ; il se découvre à leurs yeux comme le soleil de justice, et ses vêtements deviennent brillants comme la lumière. Ces vêtements sont les discours et les récits de l’Évangile, dont Jésus est comme revêtu, et que les Apôtres nous ont conservés dans leurs écrits. — La Glose. Ou bien les vêtements du Christ figurent les saints dont Isaïe a dit : « Ils seront pour vous comme un habillement d’honneur dont vous serez revêtu. » (Is 49) Ils sont comparés à la neige, parce qu’ils auront l’éclat pur de la vertu, et que le feu des passions ne pourra plus les atteindre.

 

S. Chrys. (hom. 56.) « En même temps, ils virent paraître Moïse, » etc. On peut donner plusieurs raisons de cette apparition ; premièrement, comme le peuple disait que Jésus était Élie ou Jérémie, ou un des prophètes, il paraît entouré des premiers des prophètes, pour montrer la différence qui existe entre le maître et les serviteurs. Deuxièmement, les Juifs accusèrent continuellement Jésus d’être un blasphémateur, un transgresseur de la loi, un usurpateur de la gloire de son Père ; pour établir son innocence sur ces deux points, il fait paraître deux hommes qui ont brillé surtout par leur zèle pour la loi, comme pour la gloire de Dieu ; car c’est Moïse qui donna la loi, et Élie fut un des plus zélés défenseurs de la gloire de Dieu. Troisièmement, il veut leur apprendre qu’il est le maître de la vie et de la mort, et c’est dans ce dessein qu’il fait paraître Moïse, qui avait payé le tribut à la mort, et Élie, qui n’y avait pas encore été soumis. Une quatrième raison que nous fait connaître l’Évangéliste, c’était pour dévoiler la gloire de la croix et calmer les inquiétudes et les craintes de Pierre et des autres disciples à l’égard de la passion ; car, comme le remarque un autre Évangéliste : « Ils s’entretenaient avec lui de sa mort qui devait s’accomplir dans Jérusalem » (Lc 9). Il se montre donc au milieu de ceux qui se sont exposés à la mort pour être agréables à Dieu, et pour le peuple fidèle ; car tous deux se présentèrent avec fermeté devant deux tyrans, Moise devant Pharaon (Ex 5), et Élie devant Achab (3 R 10). Il les fait encore paraître dans cette circonstance, pour exciter ses disciples à imiter leurs vertus, c’est-à-dire la douceur de Moïse et le zèle d’Élie. — S. Hil. Moïse et Élie sont choisis de préférence parmi tous les saints, pour nous montrer le règne de Jésus-Christ établi au milieu de la loi et des prophètes ; car il doit juger Israël, assisté des mêmes témoins qui ont annoncé sa venue. — Orig. Celui qui comprend le rapport qui existe entre l’esprit de la loi et les paroles de Jésus, et qui sait trouver dans les prophéties la sagesse cachée du Christ, celui-là voit Moïse et Élie dans la même gloire que Jésus. — S. Jér. Remarquons encore que tandis qu’il refusa de faire voir aux scribes et aux pharisiens un prodige dans le ciel, il en fait éclater un de cette nature devant les Apôtres, pour augmenter leur foi, puisqu’il fait descendre Élie du ciel où il était monté, et ressusciter Moïse des enfers. C’est ce double prodige qu’Isaïe conseillait à Achab de demander au plus profond de l’abîme ou au plus haut des cieux (Is 7).

 

Orig. Mais que dit ici Pierre, toujours plein d’ardeur ? « Or, Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : Seigneur, nous sommes bien ici, » etc. Comme il avait appris de Jésus lui-même qu’il lui fallait aller à Jérusalem, il craint encore pour son Maître ; mais après le reproche qu’il en a reçu, il n’ose plus lui dire : « Gardez-vous en bien, Seigneur ; » mais il exprime la même pensée sous une autre forme. Il voyait sur la montagne un grand calme et une solitude profonde, et d’après la disposition des lieux, il pense y pouvoir trouver une demeure convenable, comme il le dit au Sauveur : « Nous sommes bien ici, » Il voudrait même y rester toujours, et il parle d’y élever des tentes : « Faisons, s’il vous plaît, trois tentes. » Il espérait que s’il pouvait s’établir sur la montagne, Jésus n’irait pas à Jérusalem, et qu’en évitant d’aller dans cette ville, il éviterait en même temps la mort ; car il savait que les scribes tramaient sa perte. Il se confiait encore sur la présence d’Élie, qui avait fait descendre le feu sur la montagne (4 R 1), et sur celle de Moïse (Ex 24, 23), qui était entré dans la nuée pour parler à Dieu. Ils auraient pu ainsi se dérober à tous les regards et à toutes les recherches des persécuteurs. Remi. Ou bien, dans un autre sens, à la vue de la gloire du Seigneur et de ses deux fidèles serviteurs, Pierre fut tellement ravi de joie, qu’il oublie toutes les choses de la terre, et qu’il voudrait rester toujours dans cet endroit. Or, si tel fut l’enivrement et le transport de cet Apôtre, quelle douceur et quelle suavité de voir un jour le Roi de gloire dans toute sa beauté (cf. Is 33 17), et de se trouver mêlé aux choeurs des anges et de tous les saints ? Cette parole de Pierre : « Seigneur, si vous le voulez, » est une preuve tout à la fois de son dévouement et de son obéissance.

 

S. Jér. Vous êtes cependant dans l’erreur, Pierre, et comme le remarque un autre Évangéliste (Lc 9) : « Vous ne savez ce que vous dites. » Ne cherchez pas à élever trois tentes, lorsqu’il ne doit y avoir qu’une seule tente, celle de l’Évangile, qui contient le mystérieux abrégé de la loi et des prophètes. Si cependant vous voulez trois tentes, n’égalez pas les serviteurs au maître, mais établissez trois tentes (ou plutôt une seule), pour le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Que ces trois personnes qui n’ont qu’une seule et même divinité, n’aient aussi dans votre cœur qu’une seule et même demeure. — Remi. L’erreur de Pierre fut encore de vouloir établir sur la terre le royaume des élus, que Jésus avait promis d’établir un jour dans les cieux ; il se trompa encore en oubliant qu’il était mortel, lui et les deux autres disciples, et en voulant entrer dans l’éternelle félicité sans avoir passé par la mort. — Rab. Il se trompa enfin, en croyant qu’il fallait des tentes pour la vie du ciel, où il n’est nul besoin d’habitation, alors qu’il est écrit : « Je n’ai pas vu de temple dans la céleste Jérusalem. » (Ap 21)

 

vv. 5-9.

S. Jér. Ceux qui désiraient une tente matérielle faite avec des branches ou des tentures, sont enveloppés et couverts d’un nuage brillant. « Lorsqu’il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit, » etc. — S. Chrys. (hom. 56.) Quand le Seigneur menace, il fait apparaître une nuée ténébreuse, comme sur le mont Sinaï ; mais ici il fait briller une nuée lumineuse, parce qu’il veut, non pas épouvanter, mais instruire. — Orig. Cette nuée qui couvre et protège les saints, c’est la vertu du Père, ou bien l’Esprit saint ; je dirai même que notre Sauveur est la nuée lumineuse qui couvre l’Évangile, la loi et les prophètes, comme le comprennent bien ceux qui peuvent y contempler sa lumière. — S. Jér. La demande de Pierre était imprudente : aussi le Seigneur ne lui fait pas de réponse, mais c’est le Père lui-même qui répond pour le Fils, afin d’accomplir cette parole du Seigneur : « Celui qui m’a envoyé, c’est lui-même qui me rend témoignage. » (Jn 8.)

 

S. Chrys. (hom. 56.) Ce n’est ni Moïse ni Élie qui prennent la parole, mais c’est le Père, qui est au-dessus d’eux tous, qui fait entendre sa voix du sein de la nuée, afin que les disciples ne puissent douter que cette voix vient de Dieu, car Dieu apparaît ordinairement dans une nuée, comme il est écrit dans le livre des Psaumes (Ps 97) : « Une nuée est autour de lui, et l’obscurité l’environne, » c’est ce que nous voyons ici : « Et une voix vint de la nuée, » etc. — S. Jér. Le Père fait entendre sa voix du haut du ciel, pour rendre témoignage à son Fils, pour dissiper l’erreur de Pierre, et lui enseigner la vérité, ainsi qu’aux autres Apôtres par son intermédiaire ; c’est pour cela qu’il dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » C’est pour lui qu’il faut dresser une tente, c’est à lui qu’il faut obéir, c’est lui qui est le Fils, les autres ne sont que les serviteurs ; ils doivent, à votre exemple, préparer au Seigneur une tente dans le secret de leur cœur. — S. Chrys. (hom. 56.) Soyez donc sans crainte, Pierre : si Dieu est puissant, il est évident que son Fils a une puissance égale à la sienne ; s’il en est aimé, n’ayez aucune crainte ; personne ne trahit et n’abandonne celui qu’il aime. Or, vous ne l’aimez pas autant que l’aime son Père ; car il n’aime pas seulement son Fils parce qu’il l’a engendré, mais parce qu’il n’a qu’une seule et même volonté avec lui. « Dans lequel j’ai mis toute mon affection. » C’est-à-dire dans lequel je repose et que j’ai pour agréable, parce qu’il remplit avec zèle toutes les volontés de son Père. Sa volonté est la même que celle de son Père ; si donc il veut souffrir la mort de la croix, ne vous y opposez pas. — S. Hil. La voix qui sort de la nuée proclame non-seulement qu’il est le Fils, qu’il est le bien-aimé, celui en qui le Père met son affection, mais encore celui qu’il faut écouter, afin qu’il fût regardé comme le Maître de tels docteurs, lui qui, après sa mort, devait confirmer par un exemple éclatant la gloire du royaume céleste. — Remi. Il dit donc : « Écoutez-le, » c’est-à-dire en d’autres termes : Que les ombres de la loi disparaissent, ainsi que les figures des prophètes, et ne suivez plus que la lumière brillante de l’Évangile. — Ou bien encore, ces paroles : « Écoutez-le, » signifient qu’il est celui que Moïse avait prédit en ces termes : « Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères : vous l’écouterez comme moi. » (Dt 18.) C’est ainsi que le Seigneur se procure des témoins de tous côtés, la voix du Père du haut du ciel, Élie qui vient du paradis, Moïse sortant des limbes, les Apôtres choisis parmi les hommes : « Afin qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse, sur la terre, dans le ciel et dans les enfers. » (Ph 2.) — Orig. La voix qui sort de la nuée s’adressait à Moïse et à Élie qui désiraient voir et entendre le Fils de Dieu, ou bien aux Apôtres pour les instruire.

La Glose. Remarquons le rapport admirable qui existe entre le mystère de cette seconde régénération, qui doit avoir lieu à la résurrection, lorsque notre corps ressuscitera, et le mystère de la première qui a lieu dans le baptême, où l’âme renaît à une vie nouvelle. Dans le baptême de Jésus-Christ, nous voyons concourir les trois personnes de la Trinité : le Fils s’y montre revêtu d’une chair comme la nôtre, l’Esprit saint y apparaît sous la forme d’une colombe, et le Père s’y déclare dans la voix qui se fait entendre. De même dans la transfiguration, qui est un symbole mystérieux de la seconde régénération, toute la Trinité apparaît, le Père dans la voix, le Fils sous la forme de l’homme, l’Esprit saint dans la nuée. On se demande pourquoi l’Esprit saint apparut d’un côté dans une nuée, et de l’autre sous la forme d’une colombe ; la raison en est que l’Esprit saint manifeste ses dons sous des formes sensibles ; c’est ainsi que dans le baptême il donne l’innocence figurée par l’oiseau, symbole de la simplicité ; dans la résurrection, il nous donnera l’éclat et le rafraîchissement ; le rafraîchissement, figuré par la nuée ; l’éclat des corps ressuscités, figuré par ce nuage de lumière.

« Et ses disciples, entendant ces paroles, tombèrent le visage contre terre, et furent saisis de crainte. » — S. Jér. Ils sont saisis d’effroi pour trois raisons : ou bien parce qu’ils ont reconnu leur erreur, ou bien parce que cette nuée lumineuse les avait enveloppés, ou bien enfin parce qu’ils avaient entendu la voix de Dieu le Père ; car la fragilité humaine ne peut supporter la vue d’une gloire bien au-dessus d’elle ; l’épouvante s’empare de tout son être, et elle tombe la face contre terre ; en effet plus l’homme veut étendre et agrandir ses recherches, plus il fait de lourdes chutes, quand il méconnaît ses forces. — Remi. Les saints Apôtres tombent la face contre terre (Gn 17, 3.17 ; Nb 16, 4 ; 16, 52 ; Tb 12, 16 ; Gn 49, 17 ; Is 28, 13 ; Jn 18, 26), circonstance qui est une preuve de leur sainteté ; car dans les saintes Écritures, nous voyons les saints tomber le visage contre terre, tandis que les impies sont renversés en arrière. — S. Chrys. (hom. 56.) Mais comment se fait-il que les disciples tombent ainsi sur la montagne, alors qu’au baptême de Jésus-Christ, quand une voix semblable se fit entendre, personne, dans la multitude qui était présente, n’éprouva cette impression extraordinaire de crainte ? C’est que la solitude, l’élévation de la montagne, le silence profond qui s’étendait au loin, la transfiguration elle-même, si propre à saisir l’imagination, et cette lumière si pure, et cette nuée lumineuse, toutes ces circonstances réunies impressionnaient vivement les disciples.

 

S. Jér. Comme ils étaient étendus à terre et ne pouvaient se relever, il s’approcha avec bonté et les toucha, pour dissiper ainsi leur crainte, et fortifier leurs membres affaiblis : « Mais Jésus s’étant approché, les toucha. » Il les avait guéris en les touchant, il complète leur guérison par cette parole de commandement : « Levez-vous, et ne craignez point. » Il chasse d’abord la crainte, afin de pouvoir ensuite les instruire. « Alors, levant les yeux, ils ne virent plus que Jésus seul. » Effet d’une conduite pleine de sagesse ; car si Moïse et Élie étaient restés avec le Seigneur, on n’aurait pas su d’une manière certaine à qui la voix du Père rendait témoignage. Ils voient Jésus debout, alors que la nuée est dissipée, et que Moïse et Élie ont disparu ; car après que l’ombre de la loi et des prophètes s’est retirée, on les retrouve tous deux dans l’Évangile. — Suite. « Et lorsqu’ils descendaient de la montagne, Jésus leur fit ce commandement et leur dit : Vous ne direz à personne ce que vous avez vu. » Il ne veut pas que cet événement soit prêché au peuple, dans la crainte que la grandeur même du prodige ne le rendît incroyable, et que la croix qui devait suivre la manifestation d’une si grande gloire ne fut un scandale pour les esprits grossiers. — Remi. Ou bien encore, si ce mystère de sa gloire avait été publié parmi le peuple, il se serait opposé à l’économie de sa passion, et la rédemption du genre humain aurait pu être ainsi retardée. — S. Hil. Il leur ordonne encore de garder le silence sur les choses qui viennent de s’accomplir, il veut qu’ils soient remplis de l’Esprit saint avant de rendre témoignage aux faits spirituels qui se sont passés sous leurs yeux.

 

vv. 10-13.

S. Jér. Suivant une tradition des pharisiens, fondée sur un passage du prophète Malachie (Ml 4, 5), la venue d’Élie doit précéder l’avènement du Sauveur pour ramener le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères, et pour tout rétablir dans le premier état. Les disciples pensèrent donc que cette transformation glorieuse était celle dont ils venaient d’être témoins sur la montagne ; comme nous le voyons par la question qu’ils lui adressent : « Les disciples l’interrogèrent alors et lui dirent : Pourquoi donc les scribes disent-ils qu’il faut qu’Élie vienne auparavant ? » C’est-à-dire : Vous êtes déjà venu dans votre gloire, pourquoi votre précurseur ne paraît-il point ? Et ce qui les porte à parler ainsi, c’est la disparition d’Élie.

 

S. Chrys. (hom. 57.) Ce n’est point d’après les Écritures que les disciples savaient qu’Élie devait venir, mais parce que les scribes le leur avaient appris, et cette opinion sur Élie et sur le Christ était répandue dans la classe ignorante, du peuple. Or, les scribes n’expliquaient point d’une manière conforme à la vérité l’avènement du Christ et d’Élie. En effet, les Saintes Écritures annoncent deux avènements du Christ, celui qui a déjà eu lieu et celui qui doit s’accomplir plus tard. Mais les scribes, pour tromper le peuple, ne lui parlaient que d’un seul avènement, et lui disaient que si Jésus était le Christ promis, il devait être précédé par Élie. Le Sauveur donne ici à ses disciples la solution de cette difficulté : « Mais Jésus leur répondit Il est vrai qu’Élie doit venir et rétablir toutes choses. Or, je vous déclare qu’Élie est déjà venu, » etc. Ne croyez pas que Notre-Seigneur commette une erreur en disant d’une part qu’Élie doit venir, et de l’autre qu’il est déjà venu. En effet, lorsqu’il prédit qu’Élie doit venir et rétablir toutes choses, il parle d’Élie lui-même en personne. Élie rétablira toutes choses en guérissant l’infidélité des Juifs qui existeront alors, c’est-à-dire, suivant l’Écriture, en réunissant les cœurs des pères avec leurs enfants, ce qui doit s’entendre du cœur des Juifs avec les Apôtres. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 21.) Ou bien, il rétablira toutes choses, c’est-à-dire ceux que la persécution de l’Antéchrist aura ébranlés ; ou bien, il rétablira toutes choses, c’est-à-dire il acquittera sa dette eu mourant. — S. Chrys. (hom. 57.) Si la présence d’Élie doit produire de si grands biens, pourquoi Dieu ne l’a-t-il pas envoyé alors ? Nous répondons que les Juifs ont pris le Christ pour Élie et qu’ils n’ont pas cru en lui. Mais alors ils croiront en lui, car lorsqu’après une si longue attente, il viendra leur annoncer Jésus, ils seront plus disposés à recevoir sa parole. Mais lorsque le Sauveur dit qu’Élie est déjà venu, il donne le nom d’Élie à Jean-Baptiste à cause du ministère qui lui était confié ; car de même qu’Élie sera le précurseur du second avènement, Jean-Baptiste a été le précurseur du premier. Il appelle Jean-Baptiste Élie, pour montrer le rapport de son premier avènement avec l’Ancien Testament et avec les prophéties.

 

S. Jér. Celui donc qui doit venir en personne lors du second avènement du Sauveur est déjà venu en esprit et en vertu dans la personne de Jean-Baptiste. « Et ils ne l’ont pas connu, » etc. C’est-à-dire qu'ils l’ont méprisé et mis à mort. — S. Hil. Ainsi, celui qui était le précurseur de l’avènement du Sauveur le fut aussi de sa passion, dans les outrages et les persécutions qu’il endura ; ce que Notre-Seigneur indique par les paroles suivantes : « C’est ainsi qu’ils feront souffrir le Fils de l’homme. » — S. Chrys. (hom. 57.) Le Sauveur choisit l’occasion favorable pour leur parler de sa passion, en leur faisant trouver une puissante consolation dans le rapprochement qu’il en fait avec celle de Jean-Baptiste. — S. Jér. Comment peut-on dire qu’Hérode et Hérodias qui ont fait décapiter Jean-Baptiste, ont aussi crucifié Jésus-Christ, alors que nous lisons dans l’Évangile que ce furent les scribes et les pharisiens qui le mirent à mort ? Nous répondrons en peu de mots que la faction des pharisiens fut complice de la mort de Jean, et qu’Hérode joignit sa volonté à celle des Juifs qui crucifièrent le Sauveur en le renvoyant à Pilate pour qu’il fût crucifié, après s’en être moqué et l’avoir couvert de son mépris.

Rab. En rapprochant la pensée de la passion du Seigneur, qu’il leur avait souvent prédite, de la mort du précurseur, qui était un fait accompli, les disciples comprirent que c’était de Jean-Baptiste qu’il leur avait parié sous le nom d’Élie. « Alors les disciples comprirent, » etc. — Orig. Quant à ce que Notre-Seigneur dit de Jean : « Élie est déjà venu, » etc, il ne faut pas l’entendre de l’âme d’Élie, pour ne pas tomber dans la croyance à la métempsycose, qui est contraire à la doctrine de l’Église, mais comme l’ange l’a expliqué à Zacharie, c’est-à-dire qu’il est venu dans l’esprit et la vertu d’Élie.

 

vv. 14-17.

Orig. Pierre, qui désirait cette vie glorieuse qui venait de lui être révélée, et préférait ses intérêts aux intérêts du grand nombre, disait : « Nous sommes bien ici. » Mais la charité ne cherche pas ses intérêts personnels (1 Co 13) ; aussi Jésus n’accéda point au désir de son disciple, il descendit vers le peuple comme de la montagne élevée de sa divinité, afin de secourir ceux qui ne pouvaient monter jusqu’à lui, par suite des infirmités de leur âme. C’est ce que signifient ces paroles : « Et lorsqu’il fut venu vers le peuple. » Car s’il n’était pas venu le premier vers ce peuple avec les disciples qu’il avait choisis, il n’eût pas vu s’approcher de lui cet homme dont il est dit : « Un homme s’approcha de lui, et se jetant à ses pieds, il lui dit : Seigneur, ayez pitié de mon fils. » Remarquons ici que tantôt ce sont les malades eux-mêmes dont la foi sollicite la guérison ; tantôt ce sont d’autres personnes qui la demandent pour eux, comme cet homme prosterné aux genoux de Jésus le prie pour son fils ; tantôt, enfin, le Sauveur guérit de lui-même sans en avoir été prié. Or, examinons d’abord ce que signifient ces paroles : « Il est lunatique, et il souffre beaucoup. » Les médecins interprètent cette maladie à leur manière, ils ne veulent point y voir l’action de l’esprit impur, mais l’effet d’une douleur matérielle ; ils prétendent que les humeurs sont mises en mouvement dans la tête d’après certain rapport d’influence exercé par la lune. Pour nous, qui croyons à l’Évangile, nous disons que c’est l’esprit impur qui est l’auteur de cette maladie dans les hommes. Il observe certaines phases de la lune, et il agit de manière à faire adopter aux hommes cette erreur que leurs maladies sont la suite des influences lunaires, et à leur faire conclure que les créatures de Dieu sont mauvaises. C’est ainsi que d’autres démons observent d’autres signes dans les étoiles pour tendre des pièges aux hommes, et proférer contre le ciel des paroles d’iniquité, c’est-à-dire qu’il existe des étoiles malfaisantes, et d’autres douées de qualités contraires, quand il est vrai de dire que Dieu n’a créé aucune étoile qui puisse faire du mal aux hommes.

 

« Car souvent il tombe dans le feu, » etc. — S. Chrys. (hom. 57.) Remarquons que si cet homme n’avait pas été protégé par la Providence, il fût mort depuis longtemps ; car le démon qui le précipitait dans le feu et dans l’eau l’aurait fait périr, si Dieu n'eût mis frein à sa fureur. — S. Jér. « Je l’ai présenté à vos disciples, et ils n’ont pu le guérir. » Il accuse indirectement les Apôtres, bien que cependant le défaut de guérison ne vienne pas toujours de l’impuissance de ceux qui essaient de guérir, mais du peu de foi de ceux. qui veulent être guéris. — S. Chrys. (hom. 57.) Voyez, d’ailleurs, comme cet homme est imprudent ; c’est en présence de la foule qu’il cherche à indisposer Jésus contre ses disciples ; mais Jésus les justifie aussitôt en rejetant sur lui seul le défaut de guérison. Nous avons, en effet, plusieurs preuves de son peu de foi. Cependant le Sauveur, pour ne pas le décourager, ne fait pas tomber sur lui seul ses reproches, mais sur tous les Juifs ; car il est probable que plusieurs d’entre eux avaient mauvaise opinion de ses disciples. Or, Jésus répondit : « Jusques à quand serai-je avec vous ? » etc., paroles qui nous montrent le désir qu’il avait de sortir de la vie et de souffrir la mort.

 

Remi. Il faut se rappeler que ce n’est pas seulement de ce jour, mais de longtemps auparavant, que le Seigneur avait à souffrir de la méchanceté des Juifs ; c’est pour cela qu’il dit : « Jusques à quand serai-je avec vous ? » C’est-à-dire j’ai souffert depuis trop longtemps de vos injustices, et vous êtes indignes de ma présence. — Orig. Ou bien, ses disciples n’ayant pu guérir cet homme par suite de leur peu de foi, c’est à eux qu’il adresse ce reproche : « O génération incrédule ! » Il ajoute : « Et dépravée, » pour nous apprendre que le mal a pour cause sur la terre la perversité des hommes, et non leur nature, et c’est, je pense, cette perversité de tout le genre humain qui le fait s’écrier comme accablé sous le poids de tant de malice : « Jusques à quand serai-je avec vous ? » — S. Jér. N’allons pas croire que le Sauveur se soit laissé abattre par l’ennui, et que lui, si doux et si pacifique, ait éclaté en paroles de colère ; non, il agit ici comme un médecin qui, voyant un malade aller contre ses ordonnances, dirait : Jusques à quand viendrai-je ici ? jusques à quand perdrai-je mes soins et mes peines, puisque vous faites le contraire de ce que je vous ordonne ? Une preuve qu’il n’est pas irrité contre cet homme, mais seulement contre sa mauvaise disposition, et que dans sa personne il veut reprendre l’incrédulité de tous les Juifs, c’est qu’il ajoute : « Amenez-moi ici cet enfant. » — S. Chrys. (hom. 57.) Après avoir excusé, ses disciples, il inspire au père de cet enfant l’espérance douce et certaine de la guérison de son fils, et pour amener le père à croire à ce miracle, il menace le démon qu’il voit s’agiter et trembler au seul son de sa voix. « Et Jésus le menaça, » non pas celui qui souffrait, mais le démon. — Remi. Il laisse en cela un exemple aux prédicateurs, c’est de reprendre et de poursuivre les vices, mais de soulager les hommes. — S. Jér. Ou bien il réprimande cet enfant, parce que ses péchés étaient cause qu’il était tourmenté par le démon.

« Et le démon sortit de lui. » — Rab. Car aucune infirmité ne résiste à l’action du Tout-Puissant qui donne la guérison.

 

S. Jér. Pour moi, je crois que dans le sens figuré le lunatique est celui qui, par moment, retourne au vice, et qui tantôt se précipite dans le feu, parce que le cœur des adultères est comme une fournaise embrasée (Os 7, 4 ; 7, 6) ; tantôt se jette dans les eaux des voluptés et des désirs charnels qui ne peuvent éteindre la charité. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 22.) Ou bien, le feu signifie la colère, parce qu’il tend à s’élever en haut ; et l’eau les voluptés de la chair. — Orig. L’Esprit saint, parlant de l’inconstance du pécheur, dit : « L’insensé est changeant comme la lune. » (Si 27.) On voit, en effet, ces hommes se livrer avec une espèce d’impétuosité à la pratique des bonnes oeuvres, et puis soudain, comme emportés par un mauvais esprit, devenir les esclaves de leurs passions, et déchoir du haut degré de vertu où on les croyait inébranlables. Peut-être est-ce l’ange à qui Dieu a confié la garde de ce lunatique, qui est appelé ici son père, et c’est lui qui prie le médecin des âmes comme pour son fils, et lui demande de délivrer celui que n’a pu guérir la parole impuissante des disciples du Christ, parole qu’il n’a point voulu entendre, comme s’il était atteint de surdité ; il faut la parole du Christ pour qu’il agisse désormais suivant les inspirations de la raison.

 

vv. 18-20.

S. Chrys. (hom. 57.) Les Apôtres avaient reçu le pouvoir de chasser les esprits immondes, et comme cependant ils n’avaient pu délivrer le démoniaque qui leur avait été présenté, on peut supposer qu’ils doutaient s’ils avaient encore le pouvoir qui leur avait été donné. C’est ce que 1’Évangéliste nous exprime en disant : « Alors les disciples vinrent trouver Jésus, » etc. Ils l’interrogent en particulier, non par un sentiment de crainte ou de honte, mais parce qu’ils avaient à lui demander l’explication d’une chose extraordinaire et mystérieuse.

 

« Jésus leur répondit : A cause de votre incrédulité. » — S. Hil. Les Apôtres avaient la foi, sans doute ; mais elle était loin d’être parfaite ; car pendant le séjour du Seigneur sur la montagne, elle s’était bien affaiblie au contact de la foule, au milieu de laquelle ils étaient restés. — S. Chrys. (hom. 57.) Il est donc évident, d’après ces paroles, que quelques-uns des disciples, mais non pas tous, avaient faibli dans la foi ; car ceux qui étaient comme les colonnes (Ga 2, 9), c’est-à-dire Pierre, Jacques et Jean, n’étaient pas alors avec eux. — S. Jér. C’est cette vérité que le Seigneur leur rappelle dans un autre endroit (Jn 15) : « Tout ce que vous demanderez en mon nom, vous le recevrez, si vous avez la foi. » Donc toutes les fois que nous ne recevons pas, ce n’est pas l’impuissance de celui qui accorde, mais la faute de ceux qui demandent qui en est cause.

S. Chrys. (hom. 57.) Il faut cependant se rappeler que souvent la foi de celui qui prie suffit pour obtenir le miracle qu’il demande, pie bien des fois aussi la puissance de celui qui opère le miracle suffit également, lors même que ceux qui demandent ce miracle n’ont pas la foi. Car si d’un côté ceux qui vinrent trouver Pierre en faveur du centurion Corneille attirèrent sur lui la grâce de l’Esprit saint par la foi personnelle ; d’un autre côté, le mort qui fut jeté dans le tombeau d’Elisée ressuscita par la vertu seule du corps du saint prophète. (4 R 13.) Or, il arriva que les disciples faiblirent ici dans la foi, parce que leurs dispositions étaient imparfaites avant la passion du Sauveur. C’est pour cela qu’il donne ici la foi comme la cause des miracles : « Je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi, » etc. — S. Jér. Il en est qui pensent que la foi qui est ici comparée au grain de senevé, est petite et faible ; mais qu’ils écoutent le grand Apôtre s’écriant : « Quand j’aurais une foi si grande, que je pourrais transporter les montagnes. » (1 Co 13.) C’est donc une grande chose que la foi que le Sauveur compare ici à un grain de senevé.

S. Grég. (Moral. 1, 2 ou 4, Pref.) Si le grain de sénevé n’est broyé, il ne fait point sentir sa vertu ; ainsi, c’est lorsque la persécution accable et broie pour ainsi dire l’homme juste, que tout ce qui paraissait en lui de méprisable et d’informe se change en vertu pleine de ferveur. — Orig. (Traité 4 sur S. Matth.) Ou bien encore, la foi est comparée au grain de sénevé, parce que les hommes n’ont pour elle que du dédain et la regardent comme une chose de peu d’importance et sans aucune valeur. Mais lorsque cette semence trouve une âme bonne, comme une terre bien disposée, elle devient un grand arbre. Or, la maladie de ce lunatique est si forte et si difficile à guérir parmi toutes les autres, qu’elle est comparée ici à une montagne et qu’elle ne peut être guérie que par toute la foi de celui qui entreprend cette guérison. — S. Chrys. (hom. 57.) C’est pour cela que le Sauveur la compare indirectement au transport d’une montagne, et qu’il va même au delà en ajoutant : « Et rien ne vous sera impossible. » Rab. Ainsi la foi rend notre âme capable de recevoir tous les dons du Ciel et d’obtenir avec la plus grande facilité tout ce que nous pouvons demander au Seigneur, fidèle dans ses promesses.

 

S. Chrys. (hom. 57.) Si vous me demandez : Quand donc les Apôtres ont-ils transporté des montagnes ? je vous répondrai qu’ils ont opéré des prodiges bien plus grands en ressuscitant plusieurs fois des morts. Mais l’histoire nous apprend qu’après les Apôtres, des saints qui leur étaient inférieurs ont réellement transporté des montagnes dans des nécessités pressantes. Si les Apôtres eux-mêmes n’ont pas fait de miracles de ce genre, ce n’est point impuissance de leur part, mais parce qu’ils ne l’ont pas voulu, n’y voyant aucune nécessité. Le Seigneur ne dit pas d’ailleurs qu’ils feraient ce miracle, mais qu’ils pourraient le faire. Il est probable cependant qu’ils ont opéré ce prodige, mais les Évangélistes ne nous en ont point conservé le souvenir, car ils n’ont pas rapporté tous les miracles faits par les Apôtres. — S. Jér. Ou bien encore, la montagne qu’il s’agit ici de transporter n’est point une de ces montagnes qui peut être aperçue des yeux du corps, mais cette montagne qui fut enlevée de l’âme du lunatique et dont Jérémie a dit qu’elle corrompait toute la terre. (Jr 51, 25.)

 

La Glose. Voici donc le sens de ces paroles : Vous direz à cette montagne, c’est-à-dire au démon plein d’orgueil : Transporte-toi d’ici, c’est-à-dire de ce corps que tu obsèdes, dans les profondeurs de la mer, c’est-à-dire dans les abîmes de l’enfer ; et il s’y transportera, et rien ne vous sera impossible, c’est-à-dire qu’il n’y aura point de maladie que vous ne puissiez guérir. — S. Aug. (De l’acc. des Ev., 1, 22.) Ou bien, dans un autre sens, de peur que les Apôtres ne vinssent à s’enorgueillir des miracles qu’ils opéraient, Notre-Seigneur les avertit de chercher plutôt à remplacer la vanité naturelle à l’homme, figurée ici par une montagne élevée, par l’humilité de la foi, qu’il compare à un grain de sénevé.

 

Rab. En enseignant aux Apôtres ce qu’ils doivent faire pour chasser les démons, il nous apprend à tous les règles de la vie spirituelle, c’est-à-dire que nous pouvons surmonter les plus fortes tentations, qu’elles viennent des esprits impurs ou des hommes, par la prière et par le jeûne, et que c’est encore un des moyens les plus efficaces d’apaiser la colère de Dieu ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Cette sorte de démon ne se chasse que par la prière et par le jeûne. » — S. Chrys. (homélie 57.) Le Sauveur ne parle pas ici seulement de l’espèce des lunatiques, mais de tous les démons, quels qu’ils soient ; car le jeûne est une source abondante de sagesse ; il rend l’homme semblable à un ange descendu du ciel et le revêt d’une force toute divine pour combattre les puissances invisibles. Mais la prière lui est encore plus nécessaire, car celui qui joint le jeûne à une prière bien faite est affranchi de bien des nécessités ; il n’est plus esclave de l’avarice ; au contraire, sa main se répand facilement en aumônes. De même celui qui jeûne est beaucoup plus dégagé, sa prière est plus attentive et plus recueillie ; il éteint dans son cœur les mauvais désirs, se rend Dieu propice et humilie l’orgueil de son âme. Celui donc qui sait unir la prière au jeûne a, pour ainsi dire deux ailes plus rapides que les vents ; il ne se laisse atteindre dans la prière ni par l’ennui, ni par la tiédeur, défauts si communs dans un grand nombre ; mais il est plus ardent que le feu et plus élevé que la terre, et un tel homme est pardessus tout redoutable au démon. Rien n’est plus fort que l’homme qui sait bien prier. Si la faiblesse de votre tempérament ne vous permet pas de jeûner continuellement, au moins vous permet-elle de prier, et si vous ne pouvez jeûner, vous pouvez au moins ne pas vous livrer à la volupté. Or, c’est là un acte de haute importance et qui égale presque le mérite du jeûne. — Orig. Si donc nous devons, un jour entreprendre et poursuivre la guérison d’un mal semblable, n’adjurons pas l’esprit impur, ne l’interrogeons pas comme s’il nous entendait ; mais chassons ces esprits malins par nos jeûnes et par nos prières. — La Glose. Ou bien encore on ne peut vaincre cette espèce de démon, c’est-à-dire cette inconstance des voluptés charnelles, qu’en fortifiant son esprit par la prière et en macérant son corps par les jeûnes. — Remi. Ou bien enfin, le jeûne doit s’entendre ici dans un sens plus étendu, non-seulement de l’abstinence des aliments, mais du renoncement à toute volupté charnelle et à toutes les passions qui portent au péché ; il faut entendre également la prière dans un sens général en tant qu’elle comprend les oeuvres de la piété et de la charité, prière que l’Apôtre recommande quand il dit : « Ne cessez point de prier. »

 

vv. 21-22.

Remi. Notre-Seigneur prédit souvent à ses disciples les mystères de sa passion, afin que la connaissance plus grande qu’il leur en donne par avance les aide à supporter plus facilement cette épreuve lorsqu’elle sera arrivée ; c’est pour cela que nous lisons ici : « Comme ils étaient en Galilée, Jésus leur dit : Le Fils de l’homme doit être livré, » etc. — Orig. Au premier abord, ces paroles paraissent être les mêmes que celles qui ont été rapportées plus haut, et on pourrait dire qu’elles n’en sont qu’une répétition, mais il n’en est pas ainsi ; en effet, dans les paroles qui précèdent, il n’est pas dit que le Fils de l’homme sera livré ; ici, au contraire, nous voyons que non-seulement il sera livré, mais qu’il sera livré entre les mains des hommes. L’Apôtre déclare que le Fils a été livré par Dieu le Père (Rm 8) ; mais il est également vrai qu’il fut livré entre les mains des hommes par les puissances ennemies.

 

S. Jér. Notre-Seigneur entremêle toujours des pensées consolantes aux souvenirs affligeants ; en effet, si la prédiction de sa mort est de nature à les contrister, la pensée de sa résurrection doit les combler de joie. — S. Chrys. (hom. 57.) Il leur prédit qu’il ne restera pas longtemps dans le sein de la mort, mais qu’il ressuscitera le troisième jour. — Orig. Cependant cette prédiction du Seigneur les jette dans la tristesse, comme le remarque l’Évangéliste : « Et ils furent profondément affligés. » Ils ne firent point attention aux paroles suivantes : « Et il ressuscitera le troisième jour, » et ne réfléchirent point quel était celui qui n’avait besoin que de trois jours pour triompher de la mort. — S. Jér. Or, cette tristesse profonde qu’ils éprouvent ne vient pas de l’incrédulité, mais de l’amour qu’ils avaient pour leur Maître et qui ne leur permettait d’entendre rien qui lui fût contraire ou qui parût indigne de lui.

 

vv. 23-26.

La Glose. Comme les disciples avaient été attristés en entendant parler des souffrances du Sauveur, afin que personne n’attribuât sa passion à la nécessité plutôt qu’à son humilité, l’Évangéliste rapporte un fait qui démontre à la fois la liberté et l’humilité de Jésus-Christ : « Et étant venu à Capharnaüm, ceux qui recevaient le tribut de deux drachmes s’approchèrent, » etc. S. Hil. On vient demander au Seigneur de payer l’impôt de deux drachmes, c’est-à-dire de deux deniers. La loi commandait à tous les Israélites, pour le rachat de leur corps et de leur âme, cet impôt destiné à l’entretien des ministres du temple. — S. Chrys. (hom. 58.) Lorsque le Seigneur immola les premiers-nés des Égyptiens, il prit la tribu de Lévi en souvenir de cet événement. Mais comme le nombre des premiers-nés des Juifs était plus considérable que le nombre des membres de la tribu de Lévi, il ordonna de payer un sicle pour le prix de ceux qui dépassaient ce nombre ; et de là vint la coutume de payer cet impôt pour les premiers-nés. Or, comme Jésus-Christ était premier-né et que Pierre paraissait être le premier des disciples, ils s’adressent à lui. Je ne crois pas du reste qu’ils demandaient ce tribut dans toutes les villes, et s’ils viennent trouver Jésus à Capharnaüm, c’est qu’ils pensaient que c’était sa patrie.

 

S. Jér. Ou bien encore on peut dire qu’après César-Auguste, la Judée, étant devenue tributaire, l’impôt personnel atteignait tous les individus ; c’est pour cela que Joseph et Marie, qui étaient de la même tribu, partirent pour Bethléem, afin de s’y faire inscrire. Mais comme Notre-Seigneur avait été élevé à Nazareth, qui est un bourg de la Galilée, voisin de Capharnaüm, on lui demande de payer le tribut dans cet endroit ; ceux qui percevaient cet impôt, n’osant pas le demander à Jésus-Christ lui-même, intimidés qu’ils étaient par la grandeur de ses miracles, ils s’adressent à son disciple. — S. Chrys. (hom. 58.) Ils l’interrogent sans arrogance, mais avec douceur et sans formuler d’accusation. C’est une simple question qu’ils lui posent : « Votre maître ne paie-t-il pas le tribut des deux drachmes ? » — S. Jér. Ou bien ils l’interrogent avec malice pour savoir s’il paie les impôts et s’il n’est pas en opposition avec les ordres de César.

 

S. Chrys. (hom 58.) Or, quelle est la réponse de Pierre ? « Et il leur répondit : Oui. » C’est à eux que s’adresse sa réponse et non pas à Jésus-Christ, car il rougissait d’avoir à lui parler de choses semblables. — La Glose. Ou bien dans un autre sens, Pierre répond oui, c’est-à-dire : il est vrai qu’il ne le paie pas. Pierre voulait faire connaître indirectement au Sauveur que les hérodiens exigeaient cet impôt ; mais le Seigneur va au devant : « Et lorsqu’il fut entré dans la maison, il le prévint. » — S. Jér. Avant même que Pierre lui ait fait part de cette question, Notre-Seigneur l’interroge, afin que ses disciples ne soient pas scandalisés de ce qu’on lui demande de payer l’impôt, en voyant qu’il sait parfaitement ce qui s’est passé en son absence.

 

« Et il répondit : Des étrangers ; Jésus lui dit : Donc les enfants en sont exempts. » Orig. Cette réponse peut s’entendre de deux manières différentes. Dans le premier sens, les fils des rois de la terre sont libres et exempts chez les rois de la terre et les étrangers qui habitent au delà des frontières sont libres aussi ; mais ceux qui les oppriment comme les Égyptiens opprimaient les enfants d’Israël, les rendent esclaves. Dans le second sens, bien que quelques-uns soient étrangers aux fils des rois de la terre, par cela même qu’ils sont les enfants de Dieu, ils sont libres ; ce sont ceux qui persévèrent dans les enseignements de Jésus, qui ont connu la vérité et que la vérité a délivrés de la servitude du péché. Au contraire, dans ce sens, les fils des rois de la terre ne sont pas libres, car quiconque commet le péché est esclave du péché. (Jn 8.) — S. Jér. Quant à Notre-Seigneur, il était fils de roi et selon la chair et selon l’esprit, étant tout à la fois sorti de la souche de David, et le Verbe du Père tout-puissant ; donc, comme fils de roi, il ne devait pas les impôts. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 23.) Le Sauveur dit que dans tout royaume les enfants sont libres, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas soumis à l’impôt ; donc à plus juste titre, les fils de ce roi de qui relèvent tous les royaumes doivent être libres de l’impôt dans tous les royaumes de la terre. — S. Chrys. (hom. 58.) Or, s’il n’était pas le fils, ce langage serait sans raison. On me dira peut-être : Il est le fils, mais non pas le propre fils ; il est donc étranger, et ainsi cet exemple n’a aucune force. Je réponds que le Sauveur parle ici des fils proprement dits, par opposition aux étrangers qui ne sont pas nés de la substance même des parents. Or, voyez comme Jésus-Christ confirme ici la vérité que le Père céleste avait révélée à Pierre et qui lui avait dicté ces paroles : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. »

S. Jér. Cependant, quoiqu’il fût libre, comme il avait pris toutes les humiliations de notre nature, il dut accomplir toute justice. Il ajoute donc : « Mais, afin que nous ne les scandalisions pas, » etc. — Orig. Comme conséquence naturelle de ces paroles, nous devons comprendre que toutes les fois que des hommes se présentent pour nous prendre les biens de la terre au nom de la justice, ce sont les rois de la terre qui leur transmettent l’ordre d’exiger de nous ce qui leur appartient, et le Seigneur nous défend par son exemple de donner aucun scandale à ceux qui sont chargés de cette mission, ou pour ne pas les exposer à de plus grandes fautes, ou pour les amener au salut. C’est ainsi que le Fils de Dieu, qui ne fit jamais aucune oeuvre servile, paya cependant l’impôt et la capitation, parce qu’il avait revêtu la forme d’esclave par amour pour les hommes. — S. Jér. Je ne sais ce que je dois en premier lieu admirer ici, ou la prescience ou la puissance du Sauveur : la prescience, qui lui fit connaître qu’un poisson avait une pièce de monnaie dans la bouche et que ce poisson devait être le premier pris ; sa puissance, si une seule parole a suffi pour créer cette pièce de monnaie dans la bouche d’un poisson et s’il a été ainsi l’auteur de ce qui devait arriver. Jésus-Christ, dans son excessive charité, a donc souffert la mort de la croix et payé les impôts, et nous, malheureux que nous sommes, qui portons le nom du Christ et qui n’avons jamais rien fait de digne d’une si grande majesté, nous sommes affranchis du tribut par honneur pour lui, et exempts d’impôts comme les fils des rois. Ces paroles, comprises dans leur sens le plus simple, sont encore un sujet d’édification pour ceux qui les entendent et qui apprennent ainsi que Notre-Seigneur fut si pauvre, qu’il n’avait pas de quoi payer l’impôt pour lui et pour son disciple. On nous objectera peut-être : Mais alors comment Judas pouvait-il porter de l’argent dans une bourse ? Nous répondons que Jésus regarda comme un crime d’appliquer à son usage l’argent destiné aux pauvres et qu’il nous a donné cet exemple à imiter. — S. Chrys. Ou bien il ne veut pas qu’on prenne de l’argent qui est en réserve pour montrer que son empire s’étend sur la mer et sur les poissons qui l’habitent. — Orig. Ou bien, comme Jésus ne portait pas de pièce de monnaie à l’effigie de César, parce que le prince de ce monde n’avait aucun droit sur lui, il prit une pièce de monnaie à l’image de César non dans ce qui pouvait lui appartenir, mais dans le sein de la mer ; et encore il n’alla pas la chercher lui-même et n’en fit pas sa propriété, afin qu’on ne pût trouver l’effigie de César auprès de l’image du Dieu invisible. Voyez quelle prudence dans la conduite de Jésus-Christ : il ne refuse pas le tribut, il ne veut pas non plus qu’on le paie de la manière ordinaire ; mais il fait d’abord remarquer qu’il n’y est pas soumis, et c’est alors seulement qu’il le paie. Ainsi, d’un côté il commande de payer l’impôt pour ne pas scandaliser ceux qui sont chargés de le percevoir, et il montre, de l’autre, qu’il n’y est pas soumis pour ne pas scandaliser ses disciples. Dans une autre circonstance, nous le voyons mépriser le scandale que pouvaient prendre les pharisiens de sa doctrine sur les aliments, et il nous enseigne par là à discerner les circonstances où il faut ne faire aucune attention à ceux qui se scandalisent et celles où il faut en tenir compte. — S. Grég. (hom. 7 sur Ezech.) Remarquons, en effet, que nous devons, autant que nous le pouvons sans péché, éviter de scandaliser le prochain ; mais si c’est la vérité même qui donne lieu au scandale, il vaut mieux le permettre que de sacrifier la vérité — S. Chrys. (hom. 58.) La puissance du Christ vous paraît ici admirable ; mais admirez également la foi de Pierre, qui obéit dans une chose aussi difficile. Aussi Notre-Seigneur, voulant récompenser sa foi, daigne se l’associer dans le paiement de l’impôt, ce qui fut pour Pierre un témoignage insigne d’honneur. « Ouvrez la bouche de ce poisson, lui dit-il ; vous y trouverez une pièce d’argent de quatre drachmes ; donnez-la pour vous et pour moi. » La Glose. C’était la coutume que chacun payât pour soi un didrachme, et le statère valait deux drachmes.

Orig. Dans le sens figuré, Notre-Seigneur, dans le champ de la consolation (car c’est ce que signifie le mot Capharnaüm), console tous ses disciples, les déclare des enfants libres et leur donne le pouvoir de pêcher ce premier poisson dans lequel Pierre trouve sa consolation, comme dans le fruit de sa pêche. — S. Hil. En commandant à Pierre d’aller pêcher le premier poisson, le Seigneur nous déclare que d’autres viendront à la suite. Le bienheureux Etienne, le premier des martyrs, est le premier tiré de l’eau, et il a dans la bouche le didrachme de la prédication nouvelle, de la valeur de deux deniers, car il prêchait en contemplant dans son martyre la gloire de Dieu et Notre-Seigneur Jésus-Christ. — S. Jér. Ou bien le premier poisson qui est tiré de l’eau, c’est le premier Adam qui est délivré par le second Adam ; et ce qui est trouvé dans sa bouche, c’est-à-dire dans sa confession, est donné à la fois pour Pierre et pour le Seigneur. — Orig. Lorsque vous verrez un avare corrigé par quelque nouveau Pierre qui lui aura retiré de la bouche le langage des intérêts de la terre ; vous pourrez dire qu’il a été tiré à l’aide du hameçon de la raison du sein de la mer, c’est-à-dire des flots des sollicitudes de l’avarice, et qu’il a été pris et sauvé par ce nouvel Apôtre qui lui a enseigné la vérité, et lui a donné à la place des deux drachmes l’image de Dieu, c’est-à-dire sa parole. — S. Jér. Il est à remarquer que c’est la même somme qui est payée, mais dans un sens différent ; car pour Pierre elle est payée comme pour un pécheur. Notre-Seigneur, au contraire, n’a commis aucun péché. Cependant, comme preuve qu’il avait une chair semblable à la nôtre, la même somme est payée pour le Seigneur et pour le serviteur.

 

 

CHAPITRE XVIII.

vv. 1-6.

S. Jér. Les disciples, voyant que le même impôt avait été payé également pour Pierre et pour le Sauveur, en conclurent que Pierre était placé au-dessus de tous les autres Apôtres. — S. Chrys. (homélie 58.) Cette pensée leur inspira un sentiment tout naturel et tout humain, que l’Évangéliste nous exprime en ces termes : « En ce même temps, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : Qui pensez-vous qui soit le plus grand dans le royaume des cieux ? » Ils rougissent d’avouer le sentiment de jalousie qui les domine ; ils ne demandent pas ouvertement : Pourquoi avez-vous honoré Pierre plus que nous ? mais ils lui font cette question en général : « Quel est le plus grand ? » Lorsqu’ils avaient vu ces marques d’honneur accordées à trois d’entre eux dans la transfiguration, ils n’éprouvèrent rien de semblable ; mais ils furent péniblement affectés quand cet honneur sembla se concentrer sur un seul. Remarquez cependant qu’ils ne demandent rien des choses de la terre et qu’ils étouffèrent ensuite ce sentiment de jalousie, tandis que pour nous, nous ne pouvons même nous élever jusqu’à leurs défauts, car nous ne cherchons pas à savoir quel est le plus grand dans le royaume des cieux, mais quel est plus grand dans les royaumes de la terre.

 

Orig. (Traité 5 sur S. Matth.) Nous devons imiter la conduite des disciples toutes les fois qu’il s’élève en nous quelques doutes que nous ne pouvons résoudre. Il nous faut venir d’un commun accord trouver Jésus, qui a la puissance d’éclairer le cœur des hommes et de leur faire comprendre la solution de toutes les difficultés ; interrogeons aussi un des docteurs qui sont à la tête des églises. Les disciples, en faisant cette question, savaient bien que les saints ne sont pas égaux dans le royaume du ciel, mais ils désiraient savoir par quel moyen on parvenait à être le plus grand et comment on arrivait à être le plus petit. Ou bien encore, d’après ce que Notre-Seigneur leur avait dit précédemment, ils savaient quel était le plus petit et quel était le plus grand ; mais ils ignoraient quel était le premier dans le nombre de ceux qui passaient pour grands.

 

S. Jér. Jésus, voyant leurs pensées, voulut guérir ce désir de vaine gloire en leur proposant un combat tout d’humilité : « Et ayant appelé un petit enfant. » — S. Chrys. (hom. 58.) Rien de plus sage que la conduite de Notre-Seigneur plaçant au milieu d’eux un tout petit enfant, exempt de toute passion. — S. Jér. Il veut ainsi montrer réunis en lui l’âge et le symbole de l’innocence. Ou bien c’est lui-même qu’il place au milieu d’eux comme un petit enfant, lui qui n’était pas venu pour être servi, afin de leur donner un exemple frappant d’humilité. D’autres entendent par ce petit enfant l’Esprit saint, que Jésus plaça dans le cœur de ses disciples pour changer leur orgueil en humilité. « Et il leur dit : Je vous dis en vérité que si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme de petits enfants, » etc. Il ne fait pas un précepte à ses disciples de reprendre l’âge des enfants, mais d’avoir leur innocence et d’atteindre par leurs efforts à ce que les enfants possèdent par le privilège de leur âge, c’est-à-dire d’être petits en malice et non en sagesse (1 Co 14). Voici le sens de ces paroles : Voyez cet enfant dont je vous propose l’exemple : il ne persévère pas dans sa colère, il oublie les injures, il ne met pas son plaisir dans la vue d’une belle femme, il ne parle pas autrement qu’il ne pense. Or, à moins d’avoir cette innocence et cette pureté d’âme, vous ne pourrez entrer dans le royaume des cieux. — S. Hil. (can. 14 sur S. Matth.) Ces enfants sont aussi tous les fidèles, à cause de leur obéissance à la foi, car ils se font gloire de suivre leur père, d’aimer leur mère ; ils ignorent ce que c’est que de vouloir le mal ; ils négligent les soucis des affaires, n’ont ni arrogance, ni haine, ni habitude du mensonge ; ils croient à ce qu’on leur dit et tiennent pour vrai ce qu’ils entendent. Tel est aussi le sens littéral de ces paroles.

 

La Glose. (interlin.). Si vous ne dépouillez ces sentiments d’orgueil et de secrète irritation qui vous dominent actuellement, pour devenir tous innocents et humbles par vertu, comme les enfants le sont par leur âge, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux, car on n’y entre pas à d’autres conditions. Quiconque donc s’humiliera comme cet enfant, celui-là sera le plus grand dans le royaume des cieux ; car plus on s’humiliera, plus aussi on deviendra grand dans le royaume des cieux. — Remi. C’est-à-dire dans la connaissance de la grâce, ou bien dans la hiérarchie ecclésiastique, ou certainement dans l’éternelle félicité. — S. Jn. Ou bien encore, quiconque s’humiliera comme cet enfant, c’est-à-dire celui qui s’humiliera à mon exemple, celui-là entrera dans le royaume des cieux.

 

« Et quiconque reçoit en mon nom un enfant tel que celui que je viens de dire, c’est moi qu’il reçoit. » Paroles dont voici le sens : Ce n’est pas seulement en devenant semblables à cet enfant, mais encore en honorant à cause de moi ceux qui leur ressemblent, que vous aurez droit à la récompense, et je vous assigne comme récompense de l’honneur que vous leur aurez témoigné, le royaume des cieux. Mais une récompense bien supérieure encore, c’est ce qui suit : « C’est moi qu’il reçoit. » — S. Jér. Car c’est Jésus-Christ que l’on reçoit en recevant celui qui reproduit dans toute sa vie l’humilité et l’innocence du Sauveur. Mais de peur que les Apôtres ne s’attribuent d’eux-mêmes cet honneur qu’on pourra leur rendre, le Sauveur ajoute avec sagesse que ce n’est pas à cause de leur mérite, mais en considération de leur Maître qu’ils recevront cet honneur.

 

S. Chrys. (hom. 58.) Pour leur faire recevoir et pratiquer plus facilement ces vérités, il leur donne ensuite la sanction des châtiments : « Si quelqu’un scandalise, » etc., c’est-à-dire : de même que ceux qui honorent ces petits à cause de moi seront jugés dignes de récompense, ainsi, ceux qui les méprisent seront punis des derniers châtiments. Ne soyez pas surpris de l’entendre appeler les outrages un scandale, car bien souvent les caractères faibles sont scandalisés par le mépris qu’on fait d’eux. — S. Jér. Remarquez que ce sont les petits qui sont scandalisés, car ceux qui sont plus forts ne se scandalisent pas si facilement. Or, bien que cette condamnation, prononcée par le Sauveur, atteigne en général tous ceux qui sont pour les autres une occasion de scandale, la suite du discours nous permet aussi de l’appliquer aux Apôtres eux-mêmes ; car cette question : Quel est le plus grand dans le royaume des cieux, paraissait être entre eux une question de prééminence, et s’ils avaient persévéré dans cette mauvaise disposition, ils auraient pu perdre, par ce scandale, ceux qu’ils appelaient à la foi et qui les auraient vus divisés par une question de préséance. — Orig. Mais comment expliquer que celui qui s’est converti et qui est devenu semblable à un enfant soit donné comme petit et susceptible d’être scandalisé ? Voici comment on peut résoudre cette difficulté. Celui qui croit au Fils de Dieu et vit d’une manière conforme à l’Évangile s’est transformé jusqu’à devenir semblable à un enfant. Celui au contraire qui n’a point subi cette bienheureuse transformation, ne peut entrer dans le royaume des cieux. Or, dans la multitude innombrable de ceux qui ont embrassé la foi, il en est qui sont nouvellement convertis et qui travaillent à devenir semblables à des enfants, mais qui ne le sont pas encore devenus ; ces derniers sont faibles en Jésus-Christ et peuvent être facilement scandalisés.

 

S. Jér. En ajoutant : « Il vaudrait mieux pour lui qu’on lui attachât une meule de moulin au cou, » etc., Notre-Seigneur parle d’après l’usage de ces contrées, car chez les anciens Juifs la peine infligée aux plus grands crimes était d’être précipité dans la mer après avoir été attaché à une pierre. Or, il lui serait avantageux qu’il en fût ainsi, car il vaut beaucoup mieux subir pour sa faute une peine de courte durée que d’être réservé à des châtiments éternels. — S. Chrys. (homélie 58.) Il était ce semble naturel et logique que le Sauveur terminât cette seconde partie en disant : « C’est moi qu’il ne reçoit pas, » ce qui était de tous les châtiments le plus sensible ; mais comme les disciples étaient encore peu avancés et qu’une peine semblable ne pouvait les impressionner, il leur fait connaître, par la comparaison d’un fait qui leur est connu, le supplice qui leur est préparé, et il leur déclare qu’il vaudrait mieux pour eux subir ce châtiment temporel, parce qu’un supplice bien plus terrible leur est réservé.

S. Hil. Dans le sens mystique, le supplice de la meule, c’est la peine de l’aveuglement spirituel ; car c’est après qu’on leur a couvert les yeux que l’on fait tourner la meule aux animaux. Nous voyons aussi souvent les Gentils désignés sous le symbole de l’âne, parce qu’ils sont renfermés dans l’ignorance d’un travail dont ils ne peuvent voir la fin. Pour les Juifs, au contraire, la loi leur a tracé le chemin de la science, et, s’ils viennent à scandaliser les Apôtres du Christ, il aurait mieux valu pour eux qu’on leur eût attaché une meule de moulin au cou et qu’on les eût précipités dans la mer ; c’est-à-dire qu’il leur eût été plus avantageux d’être condamnés aux durs travaux des Gentils et de rester ensevelis dans les ténèbres du siècle, car c’eût été pour eux un moindre crime de ne pas connaître Jésus-Christ que de refuser de recevoir le Seigneur et le Maître des prophètes.

 

S. Grég. (Moral., 6, 17.) Ou bien, dans un autre sens, que doit-on entendre par la mer, si ce n’est le siècle, et par cette meule de moulin, si ce n’est l’action des choses de la terre qui, en étreignant l’âme et en la prenant comme au cou par des désirs insensés, la condamne à tourner péniblement dans le même cercle ? Or, il en est plusieurs qui, en se séparant des actions terrestres et en voulant s’élever jusqu’à l’exercice de la contemplation, sans prendre conseil de l’humilité, non-seulement se précipitent dans l’erreur, mais encore détachent les faibles du sein de la vérité. Celui-là donc qui scandalise un de ces petits, il vaudrait mieux qu’il fût précipité dans la mer avec une meule au cou, car il eut été plus avantageux à cette âme dépravée de se livrer aux affaires du monde, que de faire servir les saints exercices de la contemplation à la perte d’un grand nombre. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 24.) Ou bien encore, celui qui scandalisera un de ces petits, c’est-à-dire un des humbles, tels que doivent être ses disciples, en refusant d’obéir ou en résistant à l’autorité, comme l’Apôtre le dit d’Alexandre d’Ephèse (2 Tm 4, 14 ; 1 Tm 4) : « il vaudrait mieux qu’on lui attachât une meule de moulin au cou et qu’il fût précipité dans le fond de la mer ; » c’est-à-dire qu’il serait préférable pour lui que la passion pour les biens de la terre, passion qui est comme le poids auquel sont attachés les insensés et les aveugles, l’entraînât à la mort.

 

vv. 7-9.

La Glose. Notre-Seigneur venait de dire qu’il vaudrait mieux pour celui qui scandalise, qu’on lui attachât une meule de moulin au cou ; il en donne maintenant la raison. « Malheur au monde, à cause de ses scandales ! » Orig. (Traité 3 sur S. Matth.) Ce que Notre-Seigneur appelle ici le monde, ce ne sont pas les éléments du monde extérieur, mais les hommes qui sont dans le monde. Or, les disciples de Jésus-Christ ne sont pas du monde ; par conséquent, cette malédiction, qui tombe sur les scandales, ne les atteint pas, car les scandales ont beau être multipliés, ils ne touchent point celui qui n’est pas du monde. S’il est encore du monde, parce qu’il aime le. monde et les choses qui sont dans le monde, les scandales n’auront de prise sur lui qu’en proportion de ce qu’il serait engagé dans les liens du monde,

 

« Il est nécessaire que les scandales arrivent. » — S. Chrys. (homélie 59.) En disant : Il est nécessaire, le Sauveur ne détruit pas le libre arbitre et ne le soumet à aucune fatalité ; il ne fait que prédire ce qui arrivera. Les scandales, c’est tout ce qui fait obstacle dans la voie droite. Or, ce n’est point la prédiction de Jésus-Christ qui est la cause des scandales, ce n’est point parce qu’il les a prédits que les scandales arrivent, mais c’est parce qu’ils devaient certainement arriver qu’ils les a prédits. On me dira peut-être : Si tous viennent à se corriger de leurs défauts et qu’il n’y ait plus personne pour donner de scandale, comment établir la vérité de cette parole de Jésus-Christ ? Rien de plus facile, car c’est justement parce qu’il a prévu qu’il y aurait des hommes qui ne se corrigeraient pas, qu’il a dit : « Il est nécessaire qu’il arrive des scandales, » c’est-à-dire : ils arriveront nécessairement. Or, si tous les hommes avaient dû réformer leur conduite, il n’aurait pas tenu ce langage. — La Glose. » Ou bien il faut qu’il arrive des scandales, parce qu’ils sont nécessaires ou du moins utiles pour faire connaître ceux qui sont d’une vertu éprouvée (1 Co 11, 19). — S. Chrys. (hom. 59.) En effet, les scandales réveillent les hommes, les rendent plus attentifs et plus sur leurs gardes et relèvent aussitôt celui qui tombe, en lui inspirant pour l’avenir une plus grande vigilance.

S. Hil. (can. 18 sur S. Matth.) Ou bien encore, c’est l’humilité de la passion qui a été un scandale pour le monde. En effet, ce qui retient le plus les hommes dans l’ignorance des mystères du salut, c’est qu’ils n’ont pas voulu reconnaître le Dieu de la gloire éternelle sous les dehors ignominieux de la croix. Or, qu’y a-t-il au monde de plus dangereux que de ne pas recevoir Jésus-Christ ? Il déclare donc qu’il est nécessaire qu’il arrive des scandales, parce qu’il fallait qu’il subît toutes les humiliations de sa passion pour accomplir le mystère qui devait nous rendre la bienheureuse éternité. — Orig. Ou bien ces scandales qui arrivent sont les anges de Satan. Gardez-vous de croire cependant que ces anges soient scandales par leur nature ou par leur substance ; c’est leur libre arbitre qui a produit le scandale dans quelques-uns qui n’ont pas voulu supporter l’épreuve à laquelle Dieu avait soumis leur vertu, il n’y a de bien véritable que celui qui est combattu par le mal. Il est donc nécessaire que les scandales arrivent, comme il est nécessaire que nous ayons à souffrir de la malice des esprits célestes dont la haine s’enflamme d’autant plus que le Verbe de Dieu le Christ établit plus solidement son empire parmi les hommes et chasse loin d’eux toutes les malignes influences. Aussi ces mauvais anges cherchent-ils des instruments pour produire des scandales, et c’est à eux surtout que le Sauveur dit : Malheur, car le jugement sera bien plus sévère pour celui qui scandalise que pour celui qui est scandalisé ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Malheur à l’homme par qui arrive le scandale. » — S. Jér. C’est-à-dire : Malheur à l’homme qui, par sa propre faute, devient cause de ce qui doit arriver nécessairement dans le monde. Cette sentence, qui est générale, atteint en particulier Judas, qui avait déjà préparé son âme à la trahison. — S. Hil. Ou bien, sous cette dénomination générale, il veut désigner le peuple juif, auteur de ce scandale qui a eu pour objet la passion de Jésus-Christ et qui a exposé le monde au danger de renoncer, à cause même de sa passion, à Jésus-Christ, dont la loi et les prophètes avaient annoncé les souffrances.

 

S. Chrys. (hom. 59.) Pour vous faire comprendre que les scandales ne sont pas d’une absolue nécessité, écoutez ce qui suit : « Si votre pied ou votre main vous scandalise, » etc. Il ne veut point parler ici des membres du corps, mais des amis que nous regardons comme nous étant aussi nécessaires que nos membres, car rien n’est plus nuisible que de mauvaises fréquentations. — Rab. Le mot scandale est un mot grec qu’on peut traduire par pierre d’achoppement, ou par chute ou choc des pieds. Celui-là donc scandalise son frère qui, par une parole ou par une action contraire à la règle, devient pour lui une occasion de chute. — S. Jér. Notre-Seigneur retranche donc d’une manière absolue tout prétexte fondé sur les liens du sang ou de l’amitié, pour que les fidèles ne soient pas exposés aux scandales par suite d’un sentiment d’affection quelconque. Si quelqu’un, leur dit-il, vous est aussi étroitement uni que votre main, votre pied, votre oeil, s’il est pour vous d’une utilité incontestable, plein de vigilance et de sollicitude pour vos intérêts, mais qu’il vous soit une cause de scandale et vous entraîne dans l’abîme par le contraste de ses moeurs déréglées, il vous est beaucoup plus avantageux de rompre toute liaison avec lui et de renoncer aux avantages temporels que vous en retiriez, que de conserver près de vous une cause certaine de ruine en tenant aux avantages que vous procurent ces parents et ces amis. Chaque fidèle connaît ce qui peut lui nuire, ce qui est pour son âme une cause de séduction ou de tentation fréquente. Or, il vaut mieux qu’il vive dans la solitude que de perdre la vie éternelle pour les biens si fragiles de la vie présente. — Orig. Ou bien, dans un autre sens également raisonnable, on peut entendre par l’oeil les prêtres, qui sont comme l’oeil de l’Église, parce qu’ils en sont comme les sentinelles ; par la main, les diacres et les autres ministres par qui s’accomplissent les oeuvres spirituelles. Les fidèles, au contraire, sont comme les pieds du corps de l’Église. Et aucun d’eux ne doit être épargné s’il devient une cause de scandale pour l’Église. Ou bien encore, l’action de l’âme, c’est la main qui pêche ; la marche de l’âme, c’est le pied ; la vue de l’âme, c’est l’oeil coupable ; il faut les couper et les arracher s’ils nous sont un sujet de scandale, car souvent les actions des membres désignent dans la sainte Écriture les membres eux-mêmes.

 

vv. 10-14.

S. Jér. Notre-Seigneur venait de déclarer par la comparaison de la main, du pied et de l’oeil qu’il fallait couper tous les liens du sang et de l’amitié qui pouvaient être un sujet de scandale ; il adoucit maintenant ce que ce précepte pouvait avoir de sévère par les paroles suivantes : « Prenez garde de ne mépriser aucun de ces petits, » c’est-à-dire Gardez-vous en toute occasion de les mépriser, et, en faisant votre salut, cherchez à les sauver eux-mêmes ; mais s’ils persévèrent dans leurs péchés, il vaut mieux que vous vous sauviez seuls, que de périr avec la multitude. — S. Chrys. (hom. 59.) Ou bien, dans un autre sens, il est souverainement avantageux et de fuir les méchants, et d’honorer les bons. Aussi, après nous avoir enseigné à rompre tout commerce avec ceux qui nous scandalisent, il nous apprend ici à rendre à ceux qui sont saints l’honneur et les devoirs qui leur sont dus. — La Glose. Ou bien encore, puisque c’est un si grand mal que le scandale donné à nos frères, prenez garde de ne mépriser aucun de ces petits. — Orig. Ces petits sont ceux qui sont nouvellement nés en Jésus-Christ ou ceux qui ne font aucun progrès et qui sont toujours comme des enfants qui viennent de naître. Mais Jésus-Christ n’a pas cru nécessaire de défendre de mépriser les fidèles plus parfaits ; il ne parle que des petits, comme précédemment : « Si quelqu’un scandalise un de ces petits, » etc. ; Peut-être donne-t-il ici le nom de petits à ceux qui sont parfaits, d’après ce qu’il dit dans un autre endroit : « Celui qui aura été le plus petit parmi vous sera le plus grand. » (Lc 22.) — S. Chrys. Ou bien encore, est-ce parce que ceux qui sont parfaits sont regardés par un grand nombre comme petits, c’est-à-dire comme pauvres et méprisables. — Orig. Cependant cette interprétation ne s’accorde pas avec ces paroles : « Si quelqu’un scandalise un de ces petits, » etc., car l’homme parfait ne se laisse ni scandaliser, ni entraîner à sa perte. Toutefois si on veut admettre cette interprétation comme vraie, on peut dire que l’âme du juste est soumise à la mutabilité, et par là soumise, bien que difficilement, au scandale.

 

La Glose. La raison pour laquelle il ne faut pas mépriser ces petits, c’est qu’ils sont tellement chers à Dieu, qu’il a député des anges pour veiller sur eux. C’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Car je vous déclare, » etc. Quelques auteurs prétendent que Dieu donne aux hommes un ange gardien aussitôt qu’ils ont reçu dans le bain sacré de la régénération une nouvelle naissance en Jésus-Christ ; et ils ajoutent qu’il n’est pas croyable qu’un des saints anges soit préposé à la garde des incrédules et des pécheurs qui, dans le temps de leur infidélité et de leurs égarements, sont sous la puissance des anges de Satan. D’autres veulent que Dieu donne un ange gardien, aussitôt leur naissance, à tous ceux qui ont été l’objet de la prescience divine. — S. Jér. Qu’elle est grande la dignité des âmes, puisqu’à chacune d’elles, aussitôt son entrée dans la vie, Dieu donne un ange pour veiller à sa garde !

 

S. Chrys. (hom. 59.) Le Sauveur ne parle pas ici de tous les anges indistinctement, mais de ceux qui ont la prééminence sur les autres. Ces paroles : « Ils voient la face de Dieu, » signifient qu’ils jouissent d’un accès plus facile près de Dieu, et de plus grands honneurs dans la cour céleste. — S. Grég. (hom. 34 sur les Evang.) On dit que Denis l’Aréopagiste, un des Pères les plus anciens et les plus vénérables, prétend (comme il l’enseigne en effet, liv. des célestes hiér., chap. 42), que Dieu choisit dans les rangs inférieurs des anges pour les missions extérieures ou intérieures qu’il leur confie, mais qu’il n’en est point dans les hiérarchies supérieures qui soient employés dans des ministères extérieurs. — S. Grég. (Moral., 2, 2.) Les anges ne cessent jamais de voir la face du Père, même quand ils sont envoyés vers nous ; ils descendent jusqu’à nous pour nous protéger de leur présence toute spirituelle, et cependant ils demeurent par la contemplation intérieure dans le lieu qu’ils viennent de quitter, car ils conservent, en venant à nous, le don de la vision divine, et ne sont point privés, par conséquent, des joies de la contemplation intérieure. — S. Hil. Tous les jours les anges offrent à Dieu les prières de ceux qui doivent être sauvés par Jésus-Christ ; il est donc souverainement dangereux de mépriser celui dont les désirs et les prières montent jusqu’au trône du Dieu éternel et invisible, par l’entremise et par le ministère des anges. — S. Aug. (Cité de Dieu, 22, 29.) Ou bien, nous appelons nos anges ceux qui sont les anges de Dieu ; ils sont les anges de Dieu, parce qu’ils ne quittent pas sa présence, ils sont nos anges, parce que nous sommes déjà leurs concitoyens. De même donc qu’ils jouissent maintenant de la vue de Dieu, ainsi nous le verrons nous-mêmes un jour face à face, selon ces paroles de saint Jean : « Nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jn 3.) La face de Dieu c’est la manifestation de son être, et non la partie du corps que nous appelons de ce nom.

 

S. Chrys. (hom. 59.) Le Sauveur nous donne une nouvelle raison de ne pas mépriser les petits, et cette raison est plus forte que celle qui précède : « Car le Fils de l’homme est venu, » etc. — Remi. C’est-à-dire ne méprisez pas les petits, car j’ai daigné me faire homme pour eux. En effet, après ces mots : « Ce qui était perdu, » nous devons sous-entendre le genre humain ; car tous les éléments gardent fidèlement l’ordre dans lequel ils ont été placés, mais l’homme s’est égaré, parce qu’il est sorti de l’ordre qui lui avait été tracé. — S. Chrys. (hom. 59.) Il ajoute à cette raison une parabole qui met dans tout son jour la volonté qu’a le Père céleste de sauver le genre humain : « Si un homme a cent brebis, et qu’une seule vienne à s’égarer, que pensez-vous qu’il fasse alors ? » etc. — S. Grég. (hom. 24 sur les Evang.) Cet homme c’est le Créateur des hommes ; car le nombre cent étant un nombre parfait, il fut le pasteur de cent brebis lorsqu’il eut créé la nature des anges et celle des hommes. — S. Hil. Dans cette seule brebis qui s’égare, il faut voir l’homme, et dans ce seul homme se trouve compris le genre humain tout entier ; car tout le genre humain a péché dans la faute du seul Adam. Celui qui est à la recherche de cet homme, c’est Jésus-Christ, et les quatre-vingt-dix-neuf brebis qui sont laissées, c’est la multitude des esprits qui jouissent de la gloire des cieux. — S. Grég. (hom. 34 sur S. Matth.) L’Évangéliste dit que ces quatre-vingt-dix-neuf brebis sont laissées sur les montagnes, c’est-à-dire sur les lieux élevés, parce que les brebis qui ne se sont point égarées se tenaient sur les hauteurs spirituelles de la foi. — Bède. Le Seigneur a donc retrouvé la brebis perdue, quand il eut accompli l’oeuvre de la réparation de l’homme, et il y a dans le ciel une joie bien plus grande pour cette seule brebis qui est retrouvée, que pour les quatre-vingt dix-neuf autres. En effet, la réparation du genre humain donne beaucoup plus de gloire à Dieu que la création des anges ; car, si la création des anges est une oeuvre admirable de la puissance de Dieu, la rédemption des hommes est bien plus admirable encore. — Rab. Remarquez qu’il manque une unité au nombre neuf pour atteindre le nombre dix, et à quatre-vingt-dix-neuf, pour atteindre le nombre cent. Les nombres auxquels il manque une unité pour arriver à un nombre parfait, peuvent varier par leur quantité plus ou moins grande, mais l’unité invariable en elle-même perfectionne les autres nombres en venant s’y ajouter ; et c’est pour que le nombre des brebis fût complet dans le ciel que le Sauveur est venu chercher sur la terre l’homme qui s’était égaré. — S. Jér. D’autres pensent que les quatre-vingt-dix-neuf brebis représentent le nombre des justes, et cette brebis qui s’égare, le nombre des pécheurs, selon ce que le Sauveur dit ailleurs : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. » (Mt 9.)

S. Grég. (hom. 34.) Mais pourquoi Notre-Seigneur déclare-t-il que la conversion des pécheurs cause dans le ciel une plus grande joie que la persévérance des justes ? C’est que ceux qui ont une très grande confiance de n’avoir point commis de fautes graves sont presque toujours pleins de tiédeur pour la pratique des vertus élevées. Au contraire, il arrive souvent que ceux qui ont la conscience d’avoir commis quelque grande faute, sous l’impression de la douleur qu’ils en ressentent, s’embrasent du feu de l’amour divin. Comme ils ont toujours leurs égarements devant les yeux, ils réparent les pertes précédentes par les gains qu’ils réalisent ensuite. C’est ainsi que, dans une bataille, un général préfère le soldat qui, après s’être enfui, revient presser vigoureusement l’ennemi, à celui qui n’a jamais tourné le dos, mais qui aussi n’a jamais fait d’action d’éclat. Mais il est cependant des justes qui donnent à Dieu une si grande joie, qu’on ne pourrait leur préférer aucun pécheur repentant ; car bien qu’ils n’aient conscience d’aucune faute, on les voit renoncer à toutes les jouissances permises, et s’humilier en toutes choses. Combien grande sera donc la joie, lorsque le juste gémira dans l’humiliation, alors qu’il y a sujet de se réjouir, de ce que le pécheur condamne hautement le mal qu’il a commis.

Bède. Ou bien encore, les quatre-vingt-dix-neuf brebis qui sont laissées sur la montagne, sont les orgueilleux auxquels il manque l’unité pour arriver à la perfection désignée par le nombre cent. Lorsque le Sauveur aura retrouvé le pécheur qui s’égarait, il se réjouira donc davantage, c’est-à-dire qu’il fera éprouver aux siens plus de joie de cette conversion, que de la prétendue persévérance des faux justes.

S. Jér. Les paroles suivantes : « Ainsi votre Père qui est dans les cieux, ne veut pas qu’un seul de ces petits périsse, » etc., se rapportent à ce qu’il a dit plus haut : « Prenez garde de mépriser un seul de ces petits, » et le Sauveur nous enseigne par là que cette parabole a pour but de nous enseigner à ne pas mépriser les petits ; en ajoutant : « Votre Père ne veut pas, » il nous apprend que toutes les fois qu’il périt un de ces petits, ce n’est point par la volonté du Père qu’il périt.

 

vv. 15-17.

S. Chrys. (hom. 60.) Le Sauveur s’était exprimé avec force contre les auteurs du scandale, et avait rempli leur âme d’une vive crainte ; mais il veut empêcher aussi ceux à qui le scandale était donné, tout en évitant une faute, de tomber dans une autre, c’est-à-dire dans la négligence ; car en s’imaginant qu’on doit avoir pour eux toute sorte d’égards, ils pourraient se laisser facilement dominer par l’orgueil ; il étouffe donc ces sentiments dans leur âme, et leur fait un devoir de reprendre leur frère lorsqu’il est en faute : « Si votre frère pèche contre vous, » etc. — S. Aug. (serm. 16 sur les par. du Seig.) Notre-Seigneur nous recommande de ne pas rester indifférents aux péchés les uns des autres, en cherchant non pas précisément à reprendre, mais à corriger ; car c’est l’amour qui doit inspirer la correction, et non pas le désir de faire de la peine. Mais si vous négligez ce devoir, vous devenez plus coupable que celui qui avait besoin de correction ; il vous avait offensé, et il s’était par là même profondément blessé ; mais vous méprisez cette blessure de votre frère, et vous êtes plus coupable par votre silence qu’il ne l’est par l’outrage qu’il vous a fait. — S. Aug. (Cité de Dieu, 1, 9.) Souvent, en effet, on dissimule d’une manière coupable la vérité, en négligeant d’instruire ou d’avertir, quelquefois de reprendre et de corriger ceux qui font mal, soit qu’on recule devant la difficulté, soit qu’on veuille éviter leur inimitié, dans la crainte qu’ils ne cherchent à nous traverser ou à nous nuire dans la jouissance de ces biens temporels que notre cupidité désire encore trop vivement acquérir, ou que notre faiblesse redoute de se voir enlever. Mais si nous nous abstenons du devoir de la réprimande et de la correction à l’égard de ceux qui font mal, soit parce que nous attendons une occasion plus favorable, soit parce que nous avons obtenu ainsi qu’ils ne deviennent plus mauvais, ou qu’ils ne nous empêchent de former les autres chrétiens faibles à une vie vertueuse et fervente, et ne les influencent pour les détourner de la foi, alors ce n’est plus par un motif de cupidité, mais par un principe de charité que nous agissons. Or, ceux qui sont placés à la tête des églises pour les diriger, ont une obligation bien plus rigoureuse de ne point négliger le devoir de la correction ; et, toutefois, lors même qu’on ne serait pas à la tête des autres, dès lors qu’on leur est uni par les relations ordinaires de la vie, et que l’on remarque en eux bien des choses qu’il faut reprendre ou corriger, on n’est pas entièrement exempt de faute lorsqu’on néglige de le faire, parce qu’on veut éviter de les offenser dans la crainte d’être troublé dans la jouissance des biens de cette vie qu’on possède légitimement, mais pour lesquels on éprouve un attachement beaucoup trop vif.

 

S. Chrys. (hom. 60.) Remarquons que quelquefois Notre-Seigneur amène celui qui a été l’auteur de l’offense à celui qu’il a offensé, par exemple, lorsqu’il dit : « Si vous vous rappelez que votre frère a quelque chose contre vous, allez vous réconcilier avec votre frère, » et que d’autres fois il ordonne à celui qui a été offensé de pardonner à son prochain, comme dans ces paroles : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous les pardonnons, » etc. Ici il nous propose un nouveau mode de réconciliation, il conduit celui qui a reçu l’offense à celui qui l’a faite ; il prévoit, en effet, que celui qui a commis l’injustice, ne viendrait pas facilement excuser sa conduite, retenu qu’il serait par la honte ; il lui amène donc celui qui a souffert l’offense, et ce n’est pas de sa part une simple démarche qu’il veut ici, mais il demande la réparation du mal qui a été fait : « Allez et reprenez-le. » — Ran, Il ne commande pas de pardonner indistinctement à tout homme qui pèche, mais à celui qui est disposé à écouter, c’est-à-dire à obéir et à faire pénitence, afin que le pardon ne soit pas trop difficile, ou que l’indulgence ne soit excessive. — S. Chrys. (hom. 60.) Il ne dit pas : Accusez, faites de vifs reproches, tirez vengeance ; mais : « Reprenez-le, » c’est-à-dire rappelez-lui sa faute, dites-lui ce qu’il vous a fait souffrir. Pour lui, il est plongé dans sa colère comme dans un profond sommeil causé par l’ivresse, il faut donc que vous qui êtes affranchi de cette infirmité, vous alliez trouver celui qui est malade.

S. Jér. Il faut vous rappeler cependant, que si votre frère a péché contre vous, et vous a offensé de quelque manière que ce soit, non-seulement vous avez le pouvoir, mais vous êtes dans l’obligation de lui pardonner ; car il nous est commandé de remettre leurs dettes à ceux qui nous doivent. C’est pourquoi Notre-Seigneur nous dit ici « Si votre frère a péché contre vous. » S’il a péché contre Dieu (cf. 1 R 2, 25), il n’est pas en notre pouvoir de lui pardonner ; mais nous, au contraire, nous sommes pleins d’indulgence pour les offenses commises contre Dieu, et remplis d’animosité pour venger celles qui s’adressent à nous. — S. Chrys. (hom. 60.) C’est à celui qui a reçu l’injure, et non pas à un autre, que Notre-Seigneur impose le devoir de la correction, car celui qui a commis l’offense est disposé à recevoir plus facilement de sa part la réprimande, surtout lorsqu’elle se fait sans témoin ; et rien n’est plus propre à l’apaiser que de voir celui qui avait le droit d’exiger une réparation sévère, montrer tant de zèle pour son salut. — S. Aug. (serm. 16 sur les par. du Seig.) Lors donc qu’un de nos frères pèche contre nous, montrons-nous empressés, non pas de défendre nos droits (car rien n’est plus glorieux que d’oublier une offense), mais d’oublier l’injure qui nous est faite, sans oublier la blessure qu’elle a faite à notre frère. Reprenez-le donc entre vous et lui, en ne vous appliquant qu’à le corriger et en ménageant sa honte. Car il pourrait arriver que sous l’impression de ce sentiment, il entreprit de justifier la faute qu’il a commise, et ainsi en voulant le corriger, vous le rendriez plus coupable. — S. Jér. Il faut reprendre votre frère en secret, de peur que, s’il vient à perdre tout sentiment de honte et de crainte, il ne persévère dans son péché.

S. Aug. (serm. 16), etc. L’Apôtre nous fait cette recommandation : « Reprenez devant tout le monde le pécheur scandaleux, afin que les autres aient de la crainte. » Il faut donc que vous sachiez qu’il est des circonstances où il faut reprendre votre frère seul à seul, et d’autres où il faut le reprendre devant tout le monde. Mais que devons nous faire avant d’en arriver là ? Écoutez et retenez : « Si votre frère, dit-il, a péché contre vous, reprenez-le entre vous et lui seul. » Pourquoi ? Parce qu’il a péché contre vous. Que veulent dire ces paroles : « il a péché contre vous ? » Vous savez qu’il a péché, et puisque son offense contre vous a été secrète, que votre correction le soit également ; car si vous êtes le seul pour connaître qu’il a pêché contre vous, et que vous vouliez cependant le reprendre publiquement, ce n’est plus une correction, mais une accusation publique. Votre frère a donc pêché contre vous, mais si vous êtes le seul pour le savoir, c’est vraiment contre vous seul qu’il a péché ; s’il vous a offensé devant un grand nombre de personnes, il a péché contre tous ceux qu’il a rendu témoins de sa faute. Il faut donc reprendre publiquement les fautes publiques, et en secret les fautes secrètes, Apprenez à discerner les temps et les occasions, et vous concilierez les Écritures. Or, pourquoi reprenez-vous le prochain ? Est-ce parce que vous éprouvez de la peine d’en avoir été offensé ? A Dieu ne plaise, si vous le faites par amour pour vous, vous ne faites rien ; si, au contraire, vous le reprenez dans son intérêt, vous agissez dans la perfection. Or, apprenez des paroles elles-mêmes de Notre-Seigneur, dans qu’elle intention vous devez faire cette réprimande, si c’est dans votre intérêt, ou dans celui de votre frère : « S’il vous écoute, vous aurez gagné votre frère, » etc. Faites-le donc pour lui, afin de le gagner. Reconnaissez qu’en péchant contre votre frère, vous vous êtes perdu, car, autrement, comment vous aurait-il gagné ? Que personne donc ne regarde comme indifférente l’offense faite à un de ses frères. — S. Chrys. (hom. 60.) Ces paroles nous prouvent encore que l’inimitié porte dommage aux deux parties, aussi ne dit-il pas : il s’est gagné lui-même, mais vous l’avez gagné, preuve que tous deux, vous et lui vous avez souffert de ce désaccord. — S. Jér. En procurant le salut d’un autre, nous assurons ainsi notre propre salut.

S. Chrys. (hom. 60.) Mais que devez-vous faire si vous ne pouvez persuader votre frère ? Les paroles suivantes vous l’apprennent : « S’il ne vous écoute point, prenez encore avec vous une ou deux personnes ; » car plus il montrera d’impudence et d’opiniâtreté, plus il faut s’appliquer à le guérir sans se laisser aller à la colère ou à la haine. Ainsi, lorsqu’un médecin voit que la maladie s’aggrave, loin d’abandonner son malade, il redouble d’efforts pour triompher de l’extrémité du mal. Remarquez aussi que cette réprimande ne doit point se faire sous l’inspiration de la vengeance, mais dans le seul but de corriger notre frère. C’est pour cela que le Sauveur ne nous commande pas de prendre d’abord deux témoins, mais alors seulement que notre frère refuse d’écouter notre réprimande ; et encore n’est-ce pas un grand nombre de personnes, mais une ou deux qu’il faut prendre avec soi ; mesure qu’il appuie du témoignage de la loi : « Tout sera assuré par la déposition de deux ou de trois témoins (Dt 19, 15) ; » comme s’il disait : Vous pouvez alors vous rendre le témoignage que vous avez fait tout ce qui dépendait de vous. — S. Jér. Ou bien, on peut admettre cette autre interprétation : S’il ne veut pas vous écouter, prenez d’abord avec vous un seul témoin ; s’il refuse encore de l’écouter, prenez-en un troisième, afin que votre admonition ou du moins la honte, le force de reconnaître sa faute, ou qu’alors il soit convaincu devant témoins. — La Glose. Ou bien encore, pour lui prouver qu’il a péché, s’il venait à le nier.

 

S. Jér. Or, s’il refuse encore de les écouter, il faut alors déclarer sa faute à un plus grand nombre, afin de leur inspirer pour lui une vive horreur, et essayer de sauver par l’opprobre celui qui n’a pu être sauvé par la honte : « Que s’il ne les écoute pas non-plus, dites le à l’Église. » — S. Chrys. (hom. 60.) C’est-à-dire à ceux qui sont à la tête de l’Église. — La Glose. Ou bien, dites-le à toute l’Église, pour lui faire essuyer une plus grande honte. Tous ces moyens épuisés, il faut en venir à l’excommunication qui doit être prononcée par la bouche de l’Église, c’est-à-dire par le prêtre qui est l’organe de toute l’Église, lorsqu’il prononce la sentence d’excommunication : « S’il n’écoute pas l’Église, » etc. — S. Aug. (serm. 16 sur les par. du Seig.) Ne le comptez plus dès lors au nombre de vos frères ; cependant ne négligez pas son salut ; car si nous ne regardons pas comme nos frères les étrangers, c’est-à-dire les Gentils et les païens, nous ne laissons pas de chercher à les sauver. — S. Chrys. (hom. 60.) Toutefois le Seigneur, à l’égard de ceux qui sont hors de l’Église, ne nous a rien commandé de semblable à ce que nous devons faire pour reprendre et corriger nos frères. Voici ce qu’il nous ordonne de faire à l’égard de ceux qui sont en dehors de l’Église (Mt 5) : « Si quelqu’un vous frappe sur une joue, présentez-lui l’autre joue, » et saint Paul : « Pourquoi voudrais-je juger ceux qui sont hors de l’Église ? » Mais pour nos frères, il faut les reprendre et les retirer du mal, et, s’ils ne veulent point obéir, les séparer de l’Église pour les couvrir de confusion. — S. Jér. En nous disant : « Qu’il soit à votre égard comme un païen et comme un publicain, » le Sauveur nous apprend à concevoir plus d’horreur pour celui qui, sous le nom de chrétien, se conduit en infidèle, que pour ceux qui sont ouvertement connus pour païens. Ou appelait publicains ceux qui étaient avides d’argent, et qui exigeaient les impôts en recourant au trafic, aux fraudes, au vol et à des parjures horribles.

Orig. (Traité 6 sur S. Matth.) Il faut remarquer ici que cette conduite que nous recommande le Sauveur, ne doit pas être appliquée à toute espèce de péché. Car si un de nos frères vient à commettre un de ces péchés qui conduisent à la mort, et qu’il soit, par exemple, abominable et infâme, adultère, homicide ou efféminé, est-ce qu’il serait raisonnable de le réprimander seul à seul, et s’il se montrait docile à vos observations, de dire aussitôt : Je l’ai gagné ? Ou bien s’il ne voulait pas vous écouter, serait-il convenable pour le chasser du sein de l’Église d’attendre que, malgré la réprimande faite devant les témoins et devant l’Église, il ait persévéré dans son crime ? Il en est qui, considérant l’immense miséricorde de Jésus-Christ, prétendent que c’est aller contre cette miséricorde que de restreindre ces paroles aux seuls péchés plus légers, parce que Notre-Seigneur ne fait aucune distinction de péchés. D’autres, examinant plus attentivement ces paroles, soutiennent qu’elles ne s’appliquent pas à toute sorte de péchés ; car, disent-ils, celui qui se rend coupable de crimes énormes n’est plus notre frère, il n’en a plus que le nom, et l’Apôtre nous défend même de manger avec lui. Or, de même que ceux qui n’appliquent pas ce passage à toute espèce de péchés, favorisent la négligence, et l’invitent, pour ainsi dire, au péché ; ainsi, celui qui enseigne que le fidèle qui n’est coupable que de fautes légères et vénielles, doit être regardé comme un païen et un publicain après avoir subi la réprimande devant témoins ou devant l’Église, me paraît introduire une doctrine par trop sévère. Car enfin nous ne pouvons pas prononcer que cet homme est tout à fait perdu, parce que d’abord, s’il a résisté à trois réprimandes, il peut se rendre à la quatrième ; en second lieu, parce que souvent on ne lui rend pas selon ses oeuvres, mais au delà de ce que méritent ses fautes, ce qui est souvent avantageux en ce monde ; enfin, Jésus-Christ n’a point dit absolument : Qu’il soit comme un païen et un publicain, mais : « Qu’il soit pour vous. » Si donc après l’avoir repris trois fois d’une faute légère, il ne s’en corrige pas, nous devons le considérer comme un païen et un publicain, afin de le couvrir de confusion eu nous abstenant de le voir ; mais que Dieu le juge aussi comme un païen et un publicain, ce n’est pas à nous de l’affirmer ; c’est au jugement de Dieu lui-même.

 

vv. 18-20.

S. Jér. Notre-Seigneur venait de dire : « S’il n’écoute pas l’Église, qu’il soit pour vous comme un païen et comme un publicain. » Celui qui se trouvait ainsi rejeté, aurait pu répondre ou du moins penser : Vous me méprisez, et moi aussi je vous méprise ; vous me condamnez, je vous condamne également ; il donne donc ici aux Apôtres un pouvoir vraiment extraordinaire, de manière à faire comprendre à ceux qui sont frappés par leur condamnation, que la sentence de la terre est confirmée par le jugement de Dieu ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez, » etc. — Orig. Il ne dit pas : « dans les cieux, » comme dans le pouvoir qu’il a donné à pierre, mais « dans le ciel » au singulier ; car les Apôtres n’étaient pas aussi parfaits que Pierre. — S. Hil. L’intention du Sauveur dans ces paroles est d’inspirer à tous les hommes la crainte la plus vive, pour les contenir ici-bas dans le devoir ; c’est pour cela qu’il déclare irrévocable le jugement prononcé par le tribunal sévère des Apôtres, jusque là que tous ceux qu’ils auront liés sur la terre, c’est-à-dire qu’ils auront laissés dans les liens du péché, et ceux qu’ils auront déliés en leur donnant dans la rémission des péchés le gage du salut, seront liés ou déliés dans les cieux. — S. Chrys. (hom. 60.) Et remarquez qu’il ne dit pas à celui qui est à la tête de l’Église : Liez un tel, mais : « Si vous liez, les liens ne pourront être rompus. » Il laisse ainsi à son propre jugement la conduite qu’il doit tenir. Voyez encore comme il a chargé d’une double chaîne le pécheur incorrigible, d’abord par une peine actuelle, c’est-à-dire sa séparation de l’Église, dont il a parlé plus haut en ces termes : « Qu’il soit pour vous comme un païen, » et par le supplice de l’autre vie, qui est d’être lié dans le ciel ; et c’est par cette multitude de jugements qu’il veut éteindre l’indignation du frère coupable. — S. Aug. (serm. 16 sur les par. du Seig.) Ou bien dans un autre sens : Vous avez commencé à regarder votre frère comme un publicain, vous le liez sur la terre, mais faites attention de le lier pour des motifs justes ; car l’éternelle justice brise les liens qui sont imposés injustement. Lorsqu’au contraire vous aurez corrigé votre frère, et rétabli l’accord entre vous et lui, vous l’avez délié, et lorsque vous l’aurez délié sur la terre, il sera également délié dans le ciel. Or, en cela, vous rendez un service signalé, non pas à vous, mais à votre frère, parce qu’il s’est fait à lui-même un tort immense plutôt qu’à vous. — La Glose. Ce n’est pas seulement l’efficacité de l’excommunication, mais encore la puissance de toute prière des fidèles priant de concert dans l’unité de l’Église, que Notre-Seigneur confirme en ajoutant : « Je vous dis encore que si deux d’entre vous s’unissent ensemble sur la terre (soit pour recevoir un pénitent, soit pour rejeter un orgueilleux ou pour toute autre chose qu’ils demanderont et qui ne sera pas contraire à l’unité de l’Église), ce qu’ils demandent leur sera accordé par mon Père qui est dans les cieux. » Par ces paroles : « Qui est dans les cieux, » il nous montre que son Père est au-dessus de toutes choses, et qu’il peut ainsi exaucer les prières qui lui sont adressées. Ou bien : « Il est dans les cieux, » c’est-à-dire dans les saints, ce qui prouve qu’il leur accordera certainement l’objet de leurs prières, si toutefois cet objet est digne de Dieu, parce qu’ils ont en eux-mêmes celui à qui s’adressent leurs demandes ; et voilà pourquoi Dieu exauce et ratifie les désirs de ceux qui sont unis entre eux, parce qu’il habite au milieu d’eux, suivant ces paroles : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis moi-même au milieu d’eux. » — S. Chrys. (hom. 60.) Comme il avait dit : « Ce qu’ils demandent leur sera accordé par mon Père, » il veut leur apprendre que c’est également de lui-même comme de son Père que découlent ces faveurs, et il ajoute ; « Là où sont réunis deux ou trois, je suis moi-même au milieu d’eux. » Orig. Il ne dit pas : « Je serai au milieu d’eux, » mais au présent : « Je suis ; » car aussitôt que quelques personnes s’unissent entre elles, Jésus-Christ se trouve au milieu d’elles. — S. Hil. Il est lui-même la paix et la charité, et il établira son trône et son habitation dans les volontés droites et pacifiques. — S. Jér. Ou bien encore, tout ce qui précède était une invitation à la charité et à la concorde ; le Sauveur sanctionne cet appel par la récompense qu’il promet, et pour nous faire embrasser plus promptement la paix fraternelle, il nous déclare qu’il sera au milieu de deux ou trois personnes dès lors qu’elles seront unies entre elles.

S. Chrys. (hom. 60.) Il ne dit pas simplement : « Là où seront réunis, » mais il ajoute : « En mon nom, » comme s’il disait : Si je suis le motif principal de l’affection qu’un chrétien a pour son frère, je serai avec lui, pourvu qu’il ait d’ailleurs toutes les autres vertus. Mais comment donc se fait-il que des personnes parfaitement unies entre elles n’obtiennent pas ce qu’elles demandent ? Premièrement, parce qu’elles demandent des choses qu’il ne leur est pas avantageux d’obtenir ; en second lieu, parce qu’elles sont personnellement indignes d’être exaucées, et qu’elles n’apportent pas à la prière les dispositions convenables ; aussi Notre-Seigneur prend-il soin de dire : « Si deux d’entre vous, » c’est-à-dire de ceux dont la vie est conforme à l’Évangile ; troisièmement, parce qu’elles prient contre ceux qui les ont offensés, ou quatrièmement, enfin parce qu’elles implorent la miséricorde divine pour des pécheurs sans repentir. — Orig. Voici encore une autre cause qui détruit l’effet de nos prières ; nous ne sommes parfaitement unis entre nous, ici-bas, ni par la foi, ni par la conformité de la vie. Car de même que la musique ne peut charmer les oreilles, s’il y a défaut d’accord dans les voix, de même si l’harmonie ne règne dans l’Église, Dieu ne peut ni s’y complaire ni écouter les voix de ses enfants. — S. Jér. Nous pouvons encore entendre ces paroles dans un sens spirituel) et dire que là où l’esprit, l’âme et le corps sont unis entre eux, et n’offrent pas le spectacle de volontés opposées, ils obtiendront tout ce qu’ils demanderont au Père céleste ; car nul ne doute que là ou le corps a la même volonté que l’esprit, la prière n’ait pour objet des choses agréables à Dieu. — Orig. Ou bien encore, celui en qui les deux Testaments s’accordent et s’unissent entre eux, peut être certain que sa prière, quel qu’en soit l’objet, devient agréable à Dieu.

 

vv. 21-22.

Notre-Seigneur avait fait plus haut cette recommandation : « Prenez garde de mépriser aucun de ces petits ; » il avait ajouté : « Si votre frère pèche contre vous, recevez-le, » etc., et il avait promis de récompenser cette conduite en leur disant : « Si d’eux d’entre vous sont unis entre eux, tout ce qu’ils demanderont leur sera accordé » Pierre, excité par ces paroles, interroge le Sauveur comme l’Évangéliste le rapporte : « Alors Pierre s’approchant, lui dit : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? » Et, tout en faisant cette question, il donne son avis : « Est-ce jusqu’à sept fois ? » — S. Chrys. (hom. 61.) Pierre croit avoir fait un acte héroïque ; mais que lui répond Jésus, le tendre ami des hommes ? « Jésus lui dit : Je ne vous dis pas jusqu’à sept fois, » etc. — S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) J’ose le dire, quand même il aurait péché septante fois huit fois, pardonnez-lui ; eût-il péché cent fois, pardonnez-lui encore ; en un mot, toutes les fois qu’il pèche, ne cessez de lui pardonner. Car si Jésus-Christ, bien qu’il ait trouvé en nous des milliers de péchés, nous les a tous pardonnés, ne refusez donc pas de faire vous-mêmes miséricorde, ainsi que l’Apôtre vous le recommande en ces termes (Col 3) : « Vous pardonnant entre vous les sujets de plainte que vous pourriez avoir les uns contre les autres, comme Dieu vous a pardonné en Jésus-Christ (cf. 2 Co 5, 10). » — S. Chrys. (hom. 61.) En disant : « Jusqu’à septante fois sept fois, le Sauveur ne précise pas un nombre et ne circonscrit pas le pardon dans un chiffre quelconque, mais il veut dire qu’il ne faut mettre aucune restriction, aucune limite à ce pardon. — S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Cependant ce n’est point au hasard que le Sauveur choisit le nombre de septante fois sept fois ; car la loi a été donnée en dix commandements. Si la loi est représentée par le nombre dix, le péché l’est par le nombre onze, car il va au delà du nombre dix. Le nombre sept se prend ordinairement pour un tout complet, car le temps fait sa révolution en sept jours. Or, onze fois sept font soixante-dix-sept ; le Sauveur, en choisissant ce nombre soixante-dix-sept, a donc voulu que tous les péchés que nos frères pourraient commettre fussent pardonnés. — Orig. (Traité 6 sur S. Matth.) Ou bien encore, comme le nombre six paraît désigner l’action et le travail, et le nombre sept le repos et la tranquillité, on peut dire que celui qui aime le monde et qui fait les oeuvres du monde, pèche sept fois en se livrant à ces actions toutes mondaines. Pierre croyait sans doute qu’il était question de ces oeuvres, quand il pensait qu’il fallait pardonner sept fois ; mais comme Jésus-Christ savait qu’il en est dont les péchés s’étendent bien au delà, il ajoute le nombre septante au nombre sept pour nous apprendre que nous devons pardonner à nos frères qui vivent dans le monde et qui pèchent dans l’usage qu’ils font des choses du monde. Mais si quelqu’un multiplie les transgressions au delà de ce nombre, il n’a point de pardon à espérer. — S. Jér. Ou bien il faut entendre ces septante fois sept fois dans le sens de. quatre cent quatre-vingt-dix fois, c’est-à-dire que vous devez pardonner à votre frère autant de fois qu’il pourra pécher. — Rab. Toutefois, il y a une différence entre le pardon que nous accordons à un frère qui le demande et avec lequel nous renouons les liens étroits qui nous unissaient (comme Joseph avec ses frères), et le pardon que nous accordons à un ennemi qui nous persécute, à qui nous voulons, et à qui même, s’il est possible, nous faisons du bien, comme David lorsqu’il fuyait devant Saül.

 

vv. 23-35.

S. Chrys. (hom. 61.) Notre-Seigneur ajoute une parabole à ce qu’il vient de dire pour montrer par un exemple que ce n’était point une chose héroïque de pardonner septante fois sept fois. — S. Jér. C’est l’usage en Syrie et en Palestine d’entremêler à tous les discours des paraboles, afin de graver plus facilement dans l’esprit des auditeurs, à l’aide de comparaisons et d’exemples, le précepte qu’ils ne pourraient retenir s’il était présenté dans sa simplicité. C’est pour cela que Notre-Seigneur dit ici : « Le royaume des cieux est semblable, » etc. — Orig. (Traité 7 sur S. Matth.) De même que le Fils de Dieu est la sagesse, la justice (1 Co 1, 30 ; 1 Jn 5, 6 ; Jn 8, 22 ; 14, 6) et la vérité, il est aussi le royaume, non pas de ceux dont les affections rampent sur la terre, mais de tous ceux qui tiennent leur cœur eu haut, qui font régner la justice et les autres vertus dans leurs âmes, et qui deviennent pour ainsi dire comme les cieux en portant l’image de l’homme céleste (1 Co 15, 49). Ce royaume des cieux, c’est-à-dire le Fils de Dieu, est devenu semblable à un homme roi, lorsqu’il s’est uni notre humanité et qu’il a été fait à la ressemblance de la chair du péché. — Remi. Ou bien encore, ce royaume des cieux, c’est la sainte Église dans laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ fait lui-même ce qu’il exprime dans cette parabole. Sous le nom d’un homme, c’est quelquefois le Père qui nous est désigné, comme dans cette parabole : « Le royaume des cieux est semblable à un homme roi qui fit les noces de son fils ; » quelquefois c’est le Fils : ici on peut l’entendre de l’un et de l’autre, du Père et du Fils qui sont un seul Dieu. Or, Dieu est appelé roi, parce qu’il dirige et gouverne tout ce qu’il a créé. — Orig. Les serviteurs, dans ces paraboles, sont exclusivement les dispensateurs de la parole et ceux à qui Dieu a confié la charge de négocier et de faire produire des intérêts pour le ciel. — Remi. Ou bien les serviteurs de ce roi représentent tous les hommes qu’il a créés pour le louer et à qui il a donné la loi naturelle. Il leur fait rendre compte à chacun, lorsqu’il examine leur vie, leurs moeurs, leurs actions, pour rendre à chacun suivant ses oeuvres. (Rm 2.) « Et ayant commencé à faire rendre compte, » etc. — Orig. Nous devrons rendre compte au roi de toute notre vie, lorsqu’il nous faudra tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ. (2 Co 5). Si nous nous exprimons de la sorte, qu’on se garde de croire que ce jugement demandera beaucoup de temps, car lorsque Dieu voudra passer au crible les âmes de tous les hommes, par un effet admirable de sa puissance, il fera revivre en un seul instant dans le souvenir de chacun toutes les actions qui ont rempli le cours de sa vie. Notre-Seigneur ajoute : « Et lorsqu’il eut commencé à faire rendre compte, parce que le jugement doit commencer par la maison de Dieu. (1 P 4.) Lorsqu’il commençait donc à se faire rendre compte, on lui présenta un homme qui lui devait une somme incalculable de talents ; il avait fait des pertes énormes et, sous le poids de grandes obligations, il n’avait fait aucun profit. Peut-être cet homme nous est-il représenté comme ayant perdu autant de talents qu’il avait perdu d’hommes, et il est ainsi devenu débiteur de cette somme énorme de talents, parce qu’il avait suivi cette femme assise sur un talent de plomb dont le nom est l’iniquité (Za 5, 7).

S. Jér. Il en est, je le sais, qui prétendent que cet homme qui devait dix mille talents est la figure du démon ; ils entendent par cette femme et par ses enfants qui sont vendus, parce qu’il persévère dans sa méchanceté, l’extravagance de sa conduite et les mauvaises pensées. Car, de même que la femme de l’homme juste est l’image de la sagesse, la femme. de l’homme injuste et pécheur est la figure de la folie. Mais comment le Seigneur peut-il remettre au démon dix mille talents, et ne nous remet-il pas à nous, ses compagnons, cent deniers ? C’est une interprétation contraire à celle de l’Église et qu’aucun homme sage n’admettra jamais. — S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Il faut donc dire que la loi ayant été donnée en dix préceptes, cette homme devait dix mille talents qui représentent tous les péchés que l’on peut commettre contre la loi.

Remi. L’homme qui peut bien pécher de lui-même et par sa propre volonté ne peut en aucune manière se relever par ses propres forces, et il n’a pas de quoi rendre ce qu’il doit, parce qu’il ne trouve rien en soi qui puisse l’affranchir de ses péchés ; c’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Mais comme il n’avait pas le moyen de les lui rendre, » etc. Or, la femme de l’insensé est la folie et la volupté ou la convoitise. — S. Aug. (Quest. Evang., 1, 25.) Cette circonstance nous apprend que celui qui transgresse les préceptes du décalogue doit subir des châtiments sévères pour ses passions et ses mauvaises actions représentées ici par la femme et par les enfants. Or, le prix de cet homme qui est vendu, c’est le supplice du damné. — S. Chrys. (hom. 61.) Si ce roi donne cet ordre, ce n’est point par cruauté, mais par un sentiment d’ineffable affection ; il veut simplement l’effrayer par ces menaces pour le porter à demander en grâce de ne pas être vendu ; c’est en effet ce qui arrive : « Ce serviteur, se jetant à ses pieds, le conjurait, » etc. — Remi. Nous voyons dans ces paroles l’humiliation et la satisfaction du pécheur ; ces autres : « Ayez un peu de patience, » sont l’expression de la prière du pécheur qui demande à Dieu de le laisser vivre et de lui accorder le temps de faire pénitence. Or, la bonté et la clémence de Dieu §ont sans bornes à l’égard des pécheurs qui se convertissent, car il est toujours prêt à pardonner les péchés par le baptême ou par la pénitence. « Alors son maître, touché de compassion, » etc. — S. Chrys. (hom. 61.) Voyez l’excès de l’amour de Dieu : le serviteur demande un simple délai ; son maître lui accorde bien plus qu’il ne demande : il lui fait remise entière et absolue de tout ce qu’il lui devait. C’était ce qu’il désirait faire dès le commencement ; mais il ne voulait pas que tout dans ce don vînt de lui seul ; il voulait que ce serviteur y contribuât par sa prière pour ne point le laisser aller sans mérite. Il ne lui remit pas ce qu’il devait avant de lui avoir fait rendre compte, pour lui faire comprendre l’énormité des dettes dont il le déchargeait, et le disposer à user lui-même de douceur à l’égard de son compagnon. Jusque là, en effet, sa conduite fut digne d’éloges, car il avoua sa dette et promit de la payer ; il se jeta à genoux pour demander du temps et reconnut la grandeur des sommes qu’il devait ; mais ce qu’il fit ensuite fut indigne d’un si beau commencement : « Or, ce serviteur étant sorti, trouva un de ses compagnons qui lui devait cent deniers, et, le prenant à la gorge, il l’étouffait, » etc.

S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Cette somme de cent deniers qu’il devait à son compagnon vient du même nombre dix, qui est le nombre des préceptes de la loi, car cent multiplié par cent fait dix mille et dix fois dix font cent ; ainsi ces dix mille talents et ces dix deniers ne s’éloignent pas du nombre des commandements qui sont la matière aux transgressions ; ces deux serviteurs sont donc tous deux débiteurs, tous deux dans la nécessité de demander pardon, car tout homme est débiteur de Dieu, et a son frère pour débiteur. — S. Chrys. Il y a autant de différence entre les péchés commis contre Dieu et ceux que l’on commet contre son frère, qu’il y en a entre dix mille talents et cent deniers, différence que rend encore plus sensible la distance qui sépare les personnes et l’a continuité des offenses. En effet, si nous avons l’oeil de l’homme pour témoin, nous nous abstenons et nous craignons même de pécher ; mais, placés que nous sommes sous les yeux de Dieu, nous ne laissons passer aucun jour sans l’offenser, nous parlons et nous agissons en tout contre lui sans la moindre crainte. Et ce n’est pas le seul caractère de gravité que présentent nos péchés contre Dieu, ils en ont un autre qui vient des bienfaits dont il nous a comblés. C’est lui, en effet, qui nous a donné l’être, et qui a créé pour nous tout cet univers ; il a répandu sur nous par son souffle divin une âme raisonnable ; il a envoyé son Fils sur la terre, il nous a ouvert le ciel et nous a fait ses enfants. Et quand même nous donnerions tous les jours notre vie pour lui, pourrions-nous reconnaître dignement ses bienfaits ? Non, sans doute, car ce sacrifice lui-même tournerait à notre avantage. Mais nous, bien au contraire, nous ne cessons de transgresser ses lois. — Remi. Ainsi donc le serviteur qui doit dix mille talents représente ceux qui tombent dans les grands crimes, et celui qui doit cent deniers ceux qui commettent des fautes moins graves. — S. Jér. Rendons cette vérité plus sensible par un exemple : si quelqu’un parmi vous a commis un adultère, un homicide, un sacrilège, crimes énormes, ces dix mille talents lui seront remis sur sa demande, s’il pardonne lui-même les légères offenses commises contre lui.

S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Mais ce serviteur méchant, ingrat, inique, ne voulut pas accorder ce qu’on lui avait remis malgré son indignité : « Et le saisissant à la gorge, il l’étouffait, en disant : Rends ce que tu dois. » — Remi. C’est-à-dire qu’il le pressait avec violence pour en tirer vengeance. — Orig. Il l’étouffait, ce qui doit faire supposer qu’il était sorti de chez le roi, car il n’aurait pas osé, en la présence du roi, se porter à cette extrémité sur son compagnon. — S. Chrys. (hom. 60.) Ces paroles mêmes « Il ne fut pas plus tôt sorti » nous montrent que ce ne fut pas longtemps après, mais immédiatement, alors qu’il entendait encore retentir à son oreille le pardon bienfaisant de son maître, qu’il abuse indignement, pour se venger, de la liberté qui vient de lui être rendue ; or, que fit alors son compagnon ? « Et se jetant à ses pieds, il le conjurait en disant : Prenez patience, » etc. — Orig. Remarquez le choix admirable des expressions dans l’Écriture : le serviteur, qui devait une somme énorme de talents, se jette aux pieds du roi pour l’adorer, tandis que celui qui ne devait que cent deniers s’était bien jeté aux pieds de son compagnon, mais sans l’adorer, il le conjurait seulement en lui disant : « Prenez patience. » — S. Chrys. (hom. 60.) Mais cet ingrat serviteur n’eut même pas le moindre respect pour ces paroles auxquelles il devait son salut, comme nous l’indique la suite du récit : « Mais il ne voulut pas l’écouter. » — S. Aug. (Quest. évang., 1, 35.) C’est-à-dire qu’il persévéra dans la volonté de le livrer à la justice et au châtiment : « Et il s’en alla. » — Remi. Il poursuivit avec une colère plus violente le projet qu’il avait de se venger, et il le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il eût payé sa dette, c’est-à-dire que, s’étant saisi de son frère, il en tira une cruelle vengeance.

 

S. Chrys. (hom. 60.) Voyez la charité du maître et la cruauté de ce serviteur. Il a le premier demandé grâce pour dix mille talents, son compagnon pour cent deniers ; l’un priait son maître, l’autre son compagnon ; l’un obtint la remise totale de sa dette, l’autre ne demandait qu’un délai et ne put l’obtenir. Les autres serviteurs, voyant ce qui se passait, en furent vivement attristés, selon la remarque de l’auteur sacré. — S. Aug. (Quest. évang.) Par ces compagnons, il faut entendre l’Église qui exerce le pouvoir de lier l’un et de délier l’autre. — Remi. Ou bien les compagnons de ce serviteur représentent peut-être les anges ou les prédicateurs de la sainte Église, ou tous ceux des fidèles qui, en voyant un de leurs frères sans compassion pour son frère après qu’il a obtenu lui-même le pardon de ses péchés, s’affligent sensiblement de sa perte : « Et ils vinrent, et ils avertirent leur maître, » etc. Ils viennent non pas d’une manière sensible, mais par les sentiments de leur cœur. Raconter au Seigneur, c’est lui exposer par les mouvements de l’âme les douleurs et la tristesse du cœur. — Suite. « Alors son maître l’ayant fait venir. » — Il le fit venir en prononçant la sentence de mort et en lui ordonnant de sortir de ce monde, et il lui dit : « Méchant serviteur, je vous avais remis tout ce que vous me deviez, parce que vous m’en aviez prié. » — S. Chrys. (hom. 61.) Lorsque ce serviteur lui devait dix mille talents, il ne l’a point appelé de la sorte ; il ne lui a dit aucune parole outrageante, mais il a eu pitié de lui. Lorsqu’au contraire il voit son ingratitude à l’égard de son compagnon, il l’appelle : « Méchant serviteur, » et lui reproche l’indignité de sa conduite : « Ne fallait-il pas avoir pitié vous-même, » etc. — Remi. Remarquons qu’on ne voit pas que ce serviteur ait osé faire aucune réponse à son maître, ce qui nous apprend, qu’au joui du jugement et cette vie une fois terminée, tout moyen de justification nous sera ôté.

S. Chrys. (hom. 60.) Le bienfait ne l’a pas rendu meilleur ; c’est donc au châtiment de le corriger : « Et son maître irrité le livra entre les mains des bourreaux, » etc. Notre-Seigneur ne dit pas simplement : Il le livra, mais : « il le livra tout en colère, » remarque qu’il n’a point faite lorsque le maître commanda de vendre ce serviteur, car il n’agissait pas alors par colère, mais plutôt par amour, et dans le dessein de le rendre meilleur. Ici, au contraire, c’est une sentence qui emporte condamnation au supplice et à la peine. — Remi. Dans le langage de l’Écriture, Dieu se met en colère, lorsqu’il exerce sa juste vengeance contre les pécheurs. Les bourreaux, ce sont les démons, qui sont toujours prêts à se saisir des âmes perdues et condamnées, et à les tourmenter dans les supplices de l’enfer. Mais une fois plongé dans cet abîme d’éternelle damnation, le pécheur pourra-t-il trouver le moyen de devenir meilleur et d’échapper à ces supplices ? Non ; le mot « jusqu’à ce que » exprime ici une durée infinie, et veut dire qu’il paiera toujours sans pouvoir jamais s’acquitter et que son supplice sera éternel. — S. Chrys. (hom. 60.) Ces paroles sont une preuve qu’il sera toujours, c’est-à-dire éternellement puni, sans qu’il puisse jamais acquitter sa dette. Quoique les dons et la vocation de Dieu soient irrévocables (Rm 11, 29), cependant l’excès de la malice a été si loin qu’elle a détruit jusqu’à cette loi de miséricorde. — S. Aug. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Dieu nous a dit : « Remettez, et il vous, sera remis. » Or, je vous ai remis le premier, remettez du moins à mon exemple, car si vous ne remettez pas, je vous rappellerai devant moi et je reviendrai sur le pardon que je vous ai accordé. En effet, Jésus-Christ ne peut ni se tromper, ni nous tromper, lorsqu’il ajoute : « C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si vous ne pardonnez chacun à vos frères du fond de vos cœurs. Il vaut mieux que vous soyez sévère et emporté dans vos paroles, tout en pardonnant du fond du cœur, que d’avoir un langage caressant avec une âme implacable. C’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : « Du fond de vos cœurs ; il veut que, si la charité vous fait un devoir de punir, vous conserviez toujours la douceur au fond de votre âme. Qu’y a-t-il de plus compatissant que le médecin qui approche du malade le fer à la main ? Il sévit contre la plaie pour guérir le malade, car, s’il use de ménagements à l’égard de la blessure, l’homme est perdu. — S. Jér. Le Sauveur ajoute : « Du fond de vos cœurs » pour prévenir toute hypocrisie et tout faux semblant de réconciliation. Par cette comparaison du roi et du serviteur qui avait demandé et obtenu la remise des dix mille talents qu’il devait à son maître, le Seigneur fait une obligation à Pierre de remettre à ses frères les légères offenses dont ils se rendront coupables à son égard. — Orig. Il veut aussi nous enseigner à pardonner facilement à ceux qui nous ont fait du tort, surtout s’ils réparent leur faute et viennent implorer leur pardon.

 

Rab. Dans le sens allégorique, ce serviteur, qui devait dix mille talents, c’est le peuple juif soumis au décalogue de la Loi, et à qui Dieu a souvent remis ses dettes lorsque, réduit aux dernières extrémités, il faisait pénitence et implorait miséricorde ; mais une fois délivré de ces épreuves, il n’avait aucune commisération et exigeait avec une rigueur implacable tout ce qui pouvait lui être dû. Il ne cessait de tourmenter les Gentils, comme s’ils lui étaient soumis ; il exigeait d’eux l’observation de la circoncision et des prescriptions légales et massacrait impitoyablement les prophètes et les Apôtres qui lui apportaient la parole de réconciliation. C’est pour cela que Dieu les livra aux Romains qui détruisirent leur cité de fond en comble, ou plutôt aux esprits mauvais pour être tourmentés par eux dans les supplices éternels.

 

 

CHAPITRE XIX

 

vv. 1-8.

S. Chrys. (hom. 62.) Notre-Seigneur était précédemment sorti de la Judée à cause de la jalousie de ses ennemis ; il y revient maintenant fixer son séjour, parce que le temps de sa passion n’était plus éloigné. Cependant il ne s’avance pas au cœur de la Judée, mais il s’arrête sur ses frontières. « Et il arriva, dit l’auteur sacré, que lorsque Jésus eut achevé tous ces discours, » etc. — Rab. L’Évangéliste commence donc à raconter les actions, les enseignements de Jésus et aussi ce qu’il eut à souffrir, d’abord au delà du Jourdain, à l’Orient, ensuite en deçà du Jourdain, lorsqu’il vint à Jéricho, à Bethphagé et à Jérusalem : « Et il vint aux confins de la Judée. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il agit en cela avec justice, comme le Seigneur de tous les hommes, qui aime les uns sans délaisser les autres. — Remi. Il faut se rappeler que tout le pays habité par les Israélites portait le nom général de Judée, mais que ce nom était donné d’une manière spéciale à la partie méridionale habitée par la tribu de Juda et par celle de Benjamin, pour la distinguer des autres pays renfermés dans la même province, comme la Samarie, la Galilée, la Décapote et d’autres encore.

« Et de grandes troupes le suivirent. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) ils l’accompagnaient, comme de jeunes enfants conduisent leur père partant pour un long voyage. Et le Sauveur, comme un père, qui est sur son départ, leur laissa pour gages de sa tendresse la guérison de leurs maladies, comme l’indique l’auteur sacré : « Et il les guérit. » — S. Chrys. (hom. 63.) Remarquons ici que le Seigneur ne s’applique continuellement ni à enseigner le peuple, ni à faire des miracles, mais il fait alternativement l’un et l’autre pour confirmer par les miracles l’autorité de ses paroles, et montrer, par la nature de ses enseignements, l’utilité des miracles.

Orig. (traité 7 sur S. Matth.) Notre-Seigneur guérissait tout ce peuple au delà du Jourdain où le baptême était donné, car c’est vraiment dans le baptême que tous les hommes sont délivrés de leurs infirmités spirituelles ; et s’il en est beaucoup qui suivent Jésus-Christ comme la multitude, tous cependant n’imitent pas la conduite de saint Matthieu, qui se leva aussitôt et quitta tout pour suivre le Christ. — Rab. Il guérit aussi les Galiléens sur les confins de la Judée, pour montrer qu’il comprend les Gentils dans le pardon qu’il préparait à la Judée. — S. Chrys. (hom. 62.) Jésus-Christ guérissait les hommes, et les bienfaits dont ils étaient l’objet se répandaient par eux sur une foule d’autres, car leur guérison était pour un grand nombre une occasion d’acquérir la connaissance de sa divinité. Ce n’était pas toutefois pour les pharisiens, que ses miracles ne faisaient qu’endurcir comme l’indiquent les paroles suivantes : « Et les pharisiens s’approchèrent de lui pour le tenter, et ils lui dirent : Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme, » etc. — S. Jér. Ils veulent le prendre dans ce dilemme sans réplique, et le faire tomber dans le piège, quelle que soit sa réponse : S’il dit qu’on peut renvoyer sa femme pour toute sorte de raisons et eu prendre une autre, il se trouvera en contradiction avec sa doctrine sur la pureté des moeurs ; s’il répond, au contraire, qu’il est défendu de la renvoyer pour toute espèce de motifs, il sera convaincu de sacrilège et d’opposition à la doctrine de Moïse et de Dieu lui-même. — S. Chrys. (Hom. 62.) Voyez comme leur méchanceté paraît jusque dans la manière dont ils l’interrogent. Le Sauveur avait déjà eu occasion d’expliquer ce commandement, et ils viennent le questionner comme s’ils n’en avaient jamais parlé, s’imaginant sans doute qu’il avait oublié ce qu’il avait pu dire. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Lorsque vous voyez un homme cultiver avec soin l’amitié des médecins, vous en concluez qu’il est atteint de quelque infirmité ; de même, lorsque vous voyez un homme et une femme qui viennent questionner sur les moyens de renvoyer sa femme ou son mari, concluez sûrement que cet homme, que cette femme mènent une vie dissolue ; car la chasteté se plaît dans les liens du mariage, mais le libertinage regarde ces liens comme un esclavage et un supplice. Les pharisiens savaient bien qu’ils n’avaient aucune raison valable pour renvoyer leurs femmes, si ce n’est des motifs honteux, et ils ne laissaient pas de contracter avec l’une et avec l’autre de nouveaux engagements. Ils n’osèrent pas demander à Jésus pour quels motifs il était permis de renvoyer sa femme, afin de ne pas se trouver resserrés dans les limites étroites de raisons claires et précises ; mais ils lui demandent s’il est permis de la renvoyer pour toute espèce de raisons, car ils savaient bien que la passion ne sait ni s’arrêter ni se contenir dans les bornes d’un seul mariage, mais que plus on la satisfait, plus elle s’enflamme.

 

Orig. (Traité 7 sur S. Matth.) En voyant que Notre-Seigneur a voulu être ainsi tenté, qu’aucun de ses disciples, chargé d’enseigner les autres, ne s’attriste d’être éprouvé de la même manière, mais qu’il considère le Sauveur, faisant à ceux qui le tentent, une réponse pleine de religion et de piété. — S. Jér. Il pèse tous les termes de sa réponse, de manière à éviter le piége qu’ils lui tendent, et il produit tout à la fois le témoignage de l’Écriture et de la loi naturelle, pour mettre ainsi en comparaison la première déclaration de Dieu avec la seconde : « Et il leur répondit : N’avez-vous pas lu que Celui qui a créé l’homme dès le commencement créa un seul homme et une seule femme ? » C’est ce qui est écrit au commencement de la Genèse. Or, ces paroles : « Un seul homme et une seule femme, » prouvent qu’on doit éviter de s’engager dans les liens d’un second mariage. En effet, Notre-Seigneur n’a pas dit : mâle au singulier et femelle au pluriel, ce que les Juifs avaient en vue en répudiant leur première épouse, mais mâle et femelle, tous deux au singulier, afin qu’on ne s’engageât dans les liens que d’un seul mariage. — Rab. C’est par un dessein salutaire de Dieu qu’il a été établi que l’homme devrait aimer dans la femme une partie de son propre corps et ne pas regarder comme lui étant étrangère une chair qu’il reconnaîtrait avoir été tirée de lui. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Or, si Dieu a créé d’une seule et même chose l’homme et la femme pour établir entre eux une parfaite unité, pourquoi l’homme et la femme ne naissent-ils pas simultanément du même sein, comme il arrive pour certains oiseaux ? Parce que, bien que Dieu ait créé l’homme et la femme en vue de la génération des enfants, cependant il est toujours l’ami de la chasteté et l’auteur de la continence. C’est pourquoi Dieu n’a pas suivi la même règle dans la génération humaine. D’après cette règle, si l’homme veut se marier selon l’ordre établi dès la création, il doit comprendre parfaitement ce qu’est l’homme et la femme, et, s’il ne veut pas se marier, il n’y est point comme forcé par une union qui daterait de sa naissance, et il ne devient point ainsi, en gardant la continence, la perte d’un autre qui ne s’y croirait pas appelé. C’est ainsi que le Seigneur, le mariage une fois contracté, défend aux époux de se séparer l’un de l’autre, si ce n’est d’un consentement mutuel. — S. Chrys. (hom. 60.) Ce n’est pas seulement d’après la règle suivie dans la création, mais d’après une loi formelle qu’il établit, que le mariage est l’union indissoluble d’un seule avec une seule ; c’est pour cela qu’il ajoute : « L’homme abandonnera son père et sa mère et s’attachera à son épouse. » — S. Jér. Il dit encore ici « à son épouse, » et non « à ses épouses, » et il ajoute expressément : « ils seront deux dans une seule chair ; » car un des principaux avantages de l’union conjugale, c’est de réunir deux corps en une seule chair. — La Glose. Ou bien ces paroles : « dans une seule chair » signifient l’union elle-même des deux sexes. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si donc parce que la femme vient de l’homme et qu’ils sont tous deux d’une même chair, l’homme doit abandonner son père et sa mère, on doit voir exister une plus grande affection entre les frères et soeurs qui sortent des mêmes parents, tandis que les époux viennent de familles différentes. Cependant l’affection des époux est de beaucoup supérieure, parce que l’institution divine est plus forte que la force même de la nature ; en effet, les préceptes divins ne sont point soumis à la nature, tandis que la nature obéit aux commandements de Dieu. D’ailleurs, les frères sortent d’une seule et même union pour suivre des routes différentes ; l’homme et la femme, au contraire, naissent de parents divers pour accomplir ensemble la même destinée. L’ordre que suit la nature vient ici confirmer l’ordre établi de Dieu ; car ce que la sève est dans les arbres, l’amour l’est dans les hommes. Or, la sève monte de la racine pour former le corps de la plante, et de là s’élève encore plus haut pour se transformer en semence. C’est ainsi que les parents aiment leurs enfants et n’en sont pas également aimés, car l’homme applique surtout son affection non pas à aimer ceux qui lui ont donné le jour, mais aux enfants qui naissent de son union, comme il est écrit : « L’homme abandonnera son père et sa mère et s’attachera à son épouse. »

S. Chrys. (hom. 62.) Admirez la sagesse de ce divin Maître. On lui demande : « Est-il permis ? » Il ne répond pas aussitôt : « Il n’est pas permis, » pour ne pas les troubler et les déconcerter, mais il appuie cette défense sur des preuves. Dieu, en effet, dès le commencement, fit l’homme et la femme, et il ne les unit pas d’une manière ordinaire, mais il leur ordonna d’abandonner leur père et leur mère. Il ne se contente pas non plus de commander à l’homme d’aller trouver la femme, il veut qu’il lui soit uni, et, par la manière dont il s’exprime, il établit l’indivisibilité du mariage. Mais il montre encore plus fortement combien cette union est étroite en ajoutant : « Et ils seront deux dans une seule chair. » S. Aug. (sur la Genèse dans le sens litter., 9.) Ces paroles, au témoignage de l’Écriture, ont été dites par le premier homme ; le Seigneur, cependant, les attribue à Dieu lui-même. Nous devons donc comprendre qu’Adam, par suite de l’extase qui avait précédé, a pu dire ces paroles par inspiration et comme prophète. — Remi. L’Apôtre saint Paul nous enseigne que c’est là un grand mystère en Jésus-Christ et en son Église. (Ep 5.) En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ abandonna en quelque sorte son Père, lorsqu’il descendit des cieux sur la terre ; il abandonna sa mère, c’est-à-dire la synagogue, en punition de son infidélité, et il s’attacha à son épouse, c’est-à-dire à la sainte Église, et ils sont deux dans une chair, c’est-à-dire Jésus-Christ et l’Église dans un seul corps.

S. Chrys. (hom. 62,) Après avoir rapporté les paroles et les faits de la loi ancienne, Jésus les interprète lui-même avec autorité, et il établit la loi en ces termes : « Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. » De même qu’on dit de ceux qui s’aiment d’un amour spirituel, qu’ils ne font qu’une seule âme, comme l’atteste l’Écriture : « Tous les croyants n’avaient qu’un cœur et qu’une âme » (Ac 4) ; ainsi on dit de l’homme et de la femme qui s’aiment d’un amour selon la chair, qu’ils ne sont qu’une même chair ; or, si c’est une chose horrible de couper ou de déchirer sa propre chair, il ne l’est pas moins de séparer la femme de son mari. — S. Aug. (Cité de Dieu, 14, 22.) Notre-Seigneur dit qu’ils ne font qu’un, ou bien à cause de leur union, ou à cause de l’origine de la femme, qui a été tirée du côté de l’homme. — S. Chrys. (hom. 62) Enfin, il fait intervenir l’autorité de Dieu lui-même en disant : « Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni ; paroles qui démontrent que renvoyer sa femme, c’est agir à la fois contre la nature et contre la loi : contre la nature, en divisant une seule et même chair ; contre la loi, parce que renvoyer sa femme, c’est rompre des liens que Dieu lui-même avait assemblés et déclarés indissolubles. — S. Jér. Dieu a formé cette union en ne faisant qu’une chair de l’homme et de la femme ; ce n’est donc pas à l’homme, mais à Dieu seul de la séparer ; or, l’homme sépare, lorsqu’il renvoie sa première femme par le désir d’en prendre une autre ; Dieu sépare, lui qui avait uni, lorsque, d’un mutuel consentement et en vue du service de Dieu, nous avons une femme ; mais que nous sommes comme n’en ayant pas. (1 Co 7.) — S. Aug. (contre Fauste, 19, 29.) Voilà donc les Juifs convaincus par les livres de Moïse qu’on ne doit pas renvoyer son épouse, eux qui croyaient agir conformément à la loi de Moïse, lorsqu’ils répudiaient leurs femmes. Nous apprenons en même temps par le témoignage de Jésus-Christ que Dieu a fait l’homme et la femme, et les a unis entre eux, doctrine qui condamne les Manichéens qui nient cette vérité et se mettent ainsi en opposition avec l’Évangile de Jésus-Christ.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Une déclaration aussi conforme à la chasteté est accablante pour des fornicateurs ; ils ne peuvent rien opposer à la raison, mais ils ne se rendent pas pour cela à la vérité. Ils s’appuient donc de l’autorité de Moïse, comme des hommes qui ayant une mauvaise cause à défendre ont recours à des personnages haut placés, pour remporter par leur influence un triomphe qu’ils ne peuvent espérer de la justice de leur cause. « Mais pourquoi donc, lui disent-ils, Moïse a-t-il commandé, » etc. — S. Jér. Ils découvrent l’accusation calomnieuse qu’ils avaient préparée, bien que le Sauveur n’ait point donné son propre sentiment, mais qu’il n’ait fait que rappeler un fait de l’histoire ancienne et les commandements de Dieu. — S. Chrys. (hom. 62.) Si Notre-Seigneur eût été en opposition avec l’Ancien Testament, il n’eût point pris la défense de Moïse ; il n’aurait pas non plus montré le rapport des faits anciens avec ce qui le concernait. Cependant l’ineffable sagesse du Sauveur va jusqu’à justifier ses accusateurs dans sa réponse : « Et il leur répondit : C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis, » etc. C’est ainsi qu’il justifie MoIse de l’accusation qu’ils semblaient vouloir lui intenter, tour la faire retomber tout entière sur leur tête. — S. Aug. (contre Fauste, 19, 29.) Quelle n’était pas en effet leur dureté, puisque l’acte de répudiation qui offrait un moyen de séparation aux hommes justes et prudents, ne pouvait ni les fléchir, ni ramener dans leurs cœurs l’affection qui doit régner entre les époux. Mais quelle est donc la fourberie des Manichéens, qui reprochent à Moïse d’avoir détruit le mariage en autorisant le billet de répudiation et qui louent Jésus-Christ d’avoir confirmé l’indissolubilité du lien conjugal ? Dans leur opinion sacrilège, ils devraient, au contraire, louer Moïse d’avoir séparé ce que le démon avait uni, et blâmer Jésus-Christ d’avoir resserré des liens formés par le démon.

 

S. Chrys. (hom. 62.) Comme cette réponse pouvait produire une impression fâcheuse, le Sauveur en revient aussitôt à la loi et ajoute : « Mais au commencement, il n’en a pas été ainsi. » — S. Jér. Paroles dont voici le sens : Est-ce que Dieu peut être en contradiction avec lui-même, à ce point d’établir une loi et de la détruire par un Commandement contraire ? c’est ce qu’on ne peut admettre. Mais Moïse, voyant que le désir d’épouser d’autres femmes, ou plus riches ou plus jeunes ou plus belles, était pour les premières épouses une cause de mauvais traitements et de mort, ou pour les maris de conduite licencieuse, aima mieux permettre le divorce, que de laisser persister les haines et les homicides. Remarquez encore qu’il ne dit pas : A cause de la dureté de votre cœur, Dieu vous a permis, mais : « Moïse vous a permis ; » car, selon la remarque de l’Apôtre (1 Co 7, 12), c’était un conseil de l’homme et non pas un commandement de Dieu. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Aussi est-ce avec dessein qu’il dit : « Moïse vous a permis, » et non : Moïse vous a commandé ; car ce que nous commandons est l’expression d’une volonté qui persévère, tandis que ce que nous permettons, nous l’accordons malgré nous, parce que nous ne pouvons pas arrêter entièrement la mauvaise volonté des hommes. Moïse vous a donc permis de faire mal, pour vous empêcher de faire plus mal encore ; donc, en nous accordant cette permission, il ne vous a pas fait connaître ce qu’exige la justice de Dieu ; il a simplement déchargé le péché de culpabilité, de manière qu’en paraissant agir d’après votre loi, ce qui était péché cessât de l’être pour vous.

 

v. 9.

S. Chrys. (hom. 62.) Après leur avoir ainsi fermé la bouche, Notre-Seigneur établit d’autorité la loi en ces termes : « Aussi je vous déclare que quiconque aura renvoyé son épouse, » etc. — Orig. On dira peut-être que Jésus, par ces paroles : « Quiconque aura renvoyé sa femme, si ce n’est en cas d’adultère, » a donc permis au mari de renvoyer son épouse, aussi bien que Moïse, qui, au témoignage du Sauveur, leur a donné cette permission à cause de la dureté de leur cœur. Nous répondons que l’adultère, crime pour lequel, selon la loi, on devait être lapidé (Jn 8, 5 ; Lv 20, 20 ; Dt 22, 22), n’est point ce défaut honteux, pour lequel Moïse permet de donner l’acte de répudiation ; car, dans le cas d’adultère, cet acte de répudiation n’était pas nécessaire. Peut-être Moïse a-t-il voulu désigner, par cette chose honteuse, toute faute commise par la femme qui autorise le mari à lui donner un acte de répudiation. Mais s’il n’est permis de renvoyer sa femme que pour le seul crime d’adultère, que doit-on faire si une femme, innocente de ce crime, est coupable d’un crime plus énorme, comme d’avoir empoisonné ou mis à mort ses enfants ? Le Seigneur a tranché cette difficulté dans un autre endroit en ces termes (Mt 5) : « Quiconque renverra sa femme, si ce n’est pour cause d’adultère, la fait tomber dans l’adultère en l’exposant à contracter un second mariage.

S. Jér. Il n’y a donc que l’adultère qui puisse triompher de l’affection qu’on doit à son épouse ; en effet, dès lors qu’elle a partagé son corps avec un autre, et que par le crime de la fornication elle s’est séparée de son mari, il ne doit point la garder, de peur de tomber lui-même sous cette malédiction de l’Écriture : « Celui qui retient une adultère est insensé et méchant. » (Pv 18, 22.) — S. Chrys. (sur S. Matth.) De même qu’un homme se rendrait coupable de cruauté et d’injustice en renvoyant une femme chaste, ainsi serait il insensé et inique s’il retenait une adultère, car c’est patronner l’infamie que de dissimuler le crime d’une épouse — S. Aug. (Des mariages adult. 2, 9) Cependant, après que le crime d’adultère a été commis et expié, la réconciliation des époux ne doit être ni difficile, ni regardée comme honteuse, alors que les clefs du royaume des cieux donnent la certitude de la rémission des péchés ; ce n’est pas sans doute que le mari doive rappeler sa femme adultère après la séparation, mais il ne doit plus la traiter d’adultère après qu’elle a été jugée digne de l’union de Jésus-Christ.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Toute chose se détruit par les mêmes causes qui l’ont fait naître ; or, ce n’est point l’acte du mariage, mais la volonté des époux qui constitue l’union conjugale ; donc ce n’est pas la séparation du corps qui la détruit, mais la séparation de volonté. Celui donc qui se sépare de son épouse, sans en prendre une autre, reste toujours l’époux de la première ; car, bien qu’il en soit séparé de corps, il lui reste uni par la volonté ; ce n’est que lorsqu’il en a pris une autre que la séparation est complète et absolue. Aussi Notre-Seigneur ne dit pas : Celui qui renvoie son épouse est adultère, mais : « Celui qui en prend une autre. » — Remi. Il n’y a qu’une seule raison matérielle qui puisse légitimer le renvoi d’une épouse : c’est l’adultère ; il n’y a qu’une seule raison spirituelle, et c’est la crainte de Dieu ; mais il n’en est aucune qui permette de prendre une autre épouse du vivant de celle qu’on a renvoyée. — S. Jér. Il pouvait facilement arriver qu’un homme calomniât une épouse innocente, et lui imputât un crime imaginaire, afin de pouvoir contracter un second mariage. En permettant donc de renvoyer la première femme, le Sauveur défend d’en prendre une autre du vivant de la première. Et encore, comme il pouvait également se faire qu’en vertu de la même loi, une femme donnât à son mari un acte de répudiation, la même défense lui est faite de prendre un second mari. Notre-Seigneur va plus loin : une femme de mauvaise vie et qui s’est rendue coupable d’adultère ne craint pas beaucoup l’opprobre ; il est défendu à celui qui voudrait devenir son second mari de la prendre, sous peine du crime d’adultère. « Et celui qui épouse celle qu’un autre a renvoyée commet aussi un adultère. » — La Glose. Notre-Seigneur veut effrayer celui qui prendrait cette femme, parce qu’une adultère ne redoute ni la honte, ni l’opprobre.

 

vv. 10-12.

S. Jér. C’est un lourd fardeau qu’une épouse, s’il n’est point permis de s’en séparer, sauf le cas d’adultère. Eh quoi ! si elle est sujette à l’ivrognerie, à la colère, si elle est de moeurs licencieuses, faudra-t-il donc la garder ? C’est en considérant ce joug pesant du mariage, que les Apôtres expriment leur sentiment : Ses disciples lui dirent : « Si la condition d’un homme est telle à l’égard de sa femme, il n’est pas avantageux de se marier. » — S. Chrys. (hom. 62.) Car il est plus facile de lutter contre la concupiscence et contre soi-même que contre une mauvaise femme. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Or, le Seigneur ne répond point que cela est avantageux, au contraire, il convient avec eux que ce n’est pas avantageux ; mais il tient compte en même temps de l’infirmité de la chair, et il ajoute : « Tous ne comprennent pas cette parole, » c’est-à-dire tous ne sont pas capables de cette résolution. — S. Jér. Gardons-nous de penser qu’en disant : « Ceux à qui il a été donné, » le Sauveur ait voulu parler du destin ou du hasard, en ce sens que ceux qui ont reçu le don de la virginité, n’en soient redevables qu’au hasard ; car ce don est accordé à ceux qui l’ont demandé à Dieu, qui l’ont voulu, et qui ont fait des efforts pour l’obtenir. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si donc tous ne comprennent pas cette parole, c’est qu’ils ne veulent pas la comprendre. La palme est offerte à tous, que celui qui désire la gloire, ne pense pas à la fatigue, personne ne pourrait remporter la victoire, si tous craignaient le danger. De ce qu’il en est qui ne tiennent pas la résolution qu’ils ont prise d’être chastes, nous ne devons pas en être plus négligents dans la pratique de cette vertu ; ainsi ceux qui tombent sur le champ de bataille n’amortissent pas le courage des autres. En s’exprimant de la sorte : « Ceux à qui il a été donné, » le Sauveur nous apprend que sans le secours de la grâce, tous nos efforts seraient inutiles. Or, ce secours de la grâce n’est jamais refusé à ceux qui le demandent ; car le Seigneur a dit : « Demandez et vous recevrez. » S. Chrys. (hom. 62.) Il prouve ensuite la possibilité de cette vertu, en ajoutant : « Il y a des eunuques, » etc., paroles dont voici le sens : Pensez à ce que vous feriez si vous étiez devenu eunuque par la main des hommes. Vous seriez privé et de la volupté, et de la récompense de la chasteté. — S. Chrys. (sur S. Matth.) De même que l’action séparée de la volupté ne peut constituer le péché, ainsi l’acte, sans la volonté, ne peut être imputé à justice. La chasteté, vraiment méritoire et glorieuse, n’est donc pas celle qui vient de l’impuissance d’un corps incapable d’enfreindre cette vertu, mais celle qui résulte de la résolution libre et sainte de garder la continence.

S. Jér. Il établit donc trois genres d’eunuques, deux dans le sens matériel, et le troisième dans le sens spirituel : les uns sont nés ainsi dès le sein de leur mère ; les autres sont ceux que la captivité a rendu tels, ou qui ont été mutilés pour le plaisir des personnes de qualité ; les troisièmes sont ceux qui se sont faits eunuques eux-mêmes pour le royaume des cieux, et qui, pouvant être des hommes jouissant de la virilité, se sont faits eunuques par amour pour Jésus-Christ ; c’est à ces derniers qu’il promet la récompense ; mais les autres, pour qui la chasteté est une nécessité et non pas un sacrifice volontaire, n’ont rien à espérer. — S. Hil. D’un côté nous voyons la nature dans celui qui est eunuque de naissance, de l’autre, la nécessité dans celui qui l’est devenu de la main des hommes, de l’autre, enfin, la volonté dans celui qui a résolu de vivre tel, dans l’espérance du royaume des cieux. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Qu’il y en ait qui soit eunuques de naissance, on ne peut l’attribuer qu’à la création, de même que ceux qui naissent avec six ou quatre doigts ; car si Dieu laissait la nature de chacun des êtres créés suivre d’une manière immuable l’ordre qu’il a établi dès le commencement, les hommes finiraient par oublier l’opération de la toute-puissance divine. C’est pourquoi la nature des choses contrevient de temps en temps aux lois naturelles établies, pour rappeler sans cesse au souvenir des hommes, que Dieu est l’artisan souverain de la nature.

S. Jér. Nous pouvons donner une autre explication : Ceux qui sont eunuques dès le sein de leur mère sont ceux qui sont d’un tempérament froid et sans inclination pour le plaisir ; ceux qui le sont par le fait des hommes, sont ceux que les médecins ont faits eunuques ou à qui on fait prendre les moeurs efféminées des femmes pour servir au culte des idoles ; ou bien ceux qui, à la persuasion des hérétiques, simulent la chasteté pour se couvrir des dehors trompeurs de la vraie religion. Or, aucun d’eux n’obtiendra le royaume des cieux, à l’exception de ceux qui se sont rendus eunuques pour Jésus-Christ. C’est pour cela que le Sauveur ajoute : « Qui peut comprendre ceci le comprenne. » C’est-à-dire que chacun interroge ses forces pour voir s’il peut remplir les devoirs qu’impose la virginité et la pureté. La chasteté a des charmes naturels, elle attire à soi tout le monde, mais il faut que chacun examine ses forces, et que celui qui peut comprendre comprenne. » C’est la parole du Seigneur qui exhorte ses soldats, et les appelle à conquérir la palme de la chasteté, et il leur tient ce langage : « Que celui qui peut combattre, ne refuse pas le combat, qu’il remporte la victoire et qu’il triomphe. » — S. Chrys. (hom. 62.) Lorsque le Seigneur dit qu’il en est qui se sont faits eunuques, il ne veut point parler du retranchement d’aucun membre, mais de la mortification des pensées mauvaises ; car celui qui se mutile lui-même est soumis à la malédiction, parce qu’il se rend coupable du crime des homicides, donne occasion aux Manichéens de rabaisser la créature, et qu’il imite la conduite des païens qui se mutilent ainsi eux-mêmes ; la pensée de se retrancher un membre ne peut venir que d’une tentation du démon. D’ailleurs, en agissant ainsi, on n’éteint pas les feux de la concupiscence, on ne fait que les irriter, puisque le sperme qui est en nous a d’autres sources, et surtout dans les désirs impurs et dans la négligence de l’âme. Si l’âme est mortifiée, elle n’a rien à craindre des mouvements naturels de la concupiscence ; de même que cette mutilation d’un membre ne suffit pas pour réprimer les tentations, et pour donner la paix à l’âme, en mettant comme un frein aux pensées mauvaises.

 

vv. 13-15.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur venait de parler de la chasteté ; quelques-uns de ceux qui l’avaient écouté lui présentèrent des enfants d’une grande pureté, car ils pensaient que le Sauveur n’avait relevé le mérite que de la pureté du corps : « On lui présenta alors des enfants, » etc. — Orig. Ils savaient par l’expérience de ses miracles que l’imposition seule de ses mains, jointe à la prière, suffisait pour repousser tout accident funeste ; ils lui présentent donc des enfants, dans la pensée, qu’après que le Seigneur leur aurait communiqué, en les touchant, une vertu toute divine, ils seraient à l’abri de tout malheur, et des attaques du démon (cf. Ps 110, 6). — Remi. C’était une coutume chez les anciens de présenter les petits enfants aux vieillards, pour que ces derniers pussent les bénir de la main ou par leurs paroles, et c’est en vertu de cet usage que ces petits enfants sont présentés au Seigneur.

S. Chrys. (sur S. Matth.) L’homme charnel, qui ne peut se réjouir dans le bien, l’oublie facilement, tandis qu’il ne perd jamais le souvenir du mal qu’il a entendu. Jésus venait à peine de prendre un enfant et de dire : « Si vous ne devenez comme cet enfant, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux, » et voilà qu’aussitôt les disciples, oubliant l’innocence de cet âge, éloignaient les enfants du Sauveur comme indignes de s’approcher de lui. « Et comme ses disciples les repoussaient, » etc. — S. Jér. Ce n’est pas qu’ils voulussent s’opposer à ce que Jésus les bénît de la main et de la voix, mais n’ayant pas encore une foi très grande, ils s’imaginaient qu’en cela, semblable aux autres hommes, le Sauveur était fatigué de l’importunité de ceux qui lui présentaient ces enfants. — S. Chrys. (hom. 62.) Ou bien encore, les disciples repoussaient les enfants par égard pour la dignité de Jésus-Christ ; mais le Seigneur, voulant les former à l’humilité et leur apprendre à fouler aux pieds les prétentions de l’orgueil humain, prend ces petits enfants, les tient dans ses bras, et promet le royaume des cieux à ceux qui leur ressemblent. « Et Jésus leur dit : Laissez les enfants, et ne les empêchez pas, » etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Qui mériterait, en effet, d’approcher de Jésus si on éloigne de lui la simplicité de l’enfance ? Aussi ajoute-t-il : « Et ne les empêchez pas, » etc. ; car, s’ils doivent être un jour des saints, pourquoi défendre aux fils d’approcher de leur père ; et s’ils doivent devenir pécheurs, pourquoi prononcer la sentence de condamnation avant d’avoir vu leurs fautes. — S. Jér. C’est avec dessein qu’il dit : « C’est à ceux qui leur ressemblent qu’appartient le royaume des cieux, » et non pas « à ceux-ci ; » il veut montrer que ce n’est pas à l’âge, mais à la pureté des moeurs qu’appartient le royaume des cieux, et que c’est à ceux qui imitent leur innocence et leur simplicité que la récompense est promise.

« Et lorsqu’il leur eut imposé les mains, » etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce passage de l’Évangile apprend à tous les parents qu’ils doivent présenter leurs enfants aux prêtres ; car ce n’est pas le prêtre qui leur impose alors les mains, c’est Jésus-Christ, au nom duquel se fait cette imposition. En effet, si celui qui offre à Dieu par la prière la nourriture qu’il va prendre, mange cette nourriture, sanctifiée par la parole de Dieu et la prière, selon la doctrine expresse de l’Apôtre (1 Tm 4, 5), combien plus est-il nécessaire d’offrir les enfants à Dieu pour qu’il les sanctifie. La raison pour laquelle nous bénissons notre nourriture avant de la prendre, c’est que le monde tout entier est sous l’empire de l’esprit malin (1 Jn 5, 19), et que, par conséquent, toutes les choses corporelles qui forment une grande partie du monde créé lui sont soumises ; les enfants eux-mêmes, lorsqu’ils viennent au monde, sont donc également sous son empire quant à leur corps.

Orig. Dans le sens mystique, nous appelons enfants ceux qui sont encore charnels en Jésus-Christ, et qui ont encore besoin de lait. (1 Co 3.) Ceux au contraire, qui professent la doctrine du Verbe, mais qui sont encore simples et nourris d’un enseignement approprié à la faiblesse du jeune âge, sont encore novices, ce sont eux qui présentent au Sauveur les enfants et les petits ; mais ceux qui sont plus parfaits, c’est-à-dire les disciples de Jésus, avant de connaître les dispositions de la justice divine à l’égard des enfants, s’élèvent contre ceux qui, à l’aide d’une doctrine élémentaire, présentent à Jésus-Christ les enfants et les petits, c’est-à-dire les moins instruits. Or, le Seigneur veut apprendre à ses disciples parvenus à la maturité de l’âge, à condescendre à la faiblesse des enfants et aux exigences de leur âge, et à devenir comme des enfants pour les enfants, afin de les gagner à Jésus-Christ, et il leur dit : « Le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent, car lui-même, qui avait la nature de Dieu, a daigné se faire enfant ». (1 Ph 2.) Voilà donc ce qu’il nous faut considérer attentivement afin que le désir d’une sagesse plus excellente et d’un progrès spirituel plus avancé ne nous porte à mépriser les petits enfants comme si nous étions au-dessus d’eux, et à les empêcher de s’approcher de Jésus. Et comme les enfants ne sont pas capables de suivre tous les enseignements de Jésus, il leur impose les mains, et après leur avoir communiqué une vertu particulière par ce divin attouchement, il les laisse comme étant encore incapables de le suivre, à l’exemple des autres disciples plus parfaits. — Remi. Il bénit les enfants en leur imposant les mains, pour signifier que les humbles d’esprit sont dignes de sa grâce et de sa bénédiction. — La Glose. Il leur imposa aussi les mains pour marquer que la grâce du secours divin serait départie à ceux dont la pureté égale l’humilité. — S. Hil. (can. 19 sur S. Matth.) Les enfants sont encore la figure des Gentils qui ont retrouvé le salut par la foi et par ce qu’ils ont entendu. Cependant les disciples, dans le désir qu’ils ont de sauver d’abord le peuple d’Israël, les empêchent d’approcher. Le Seigneur, alors, leur défend de les éloigner ; car le don du Saint-Esprit devait être accordé aux Gentils par l’imposition des mains et par la prière, après l’abolition des prescriptions légales.

 

vv. 16-22.

Rab. Ce jeune homme avait peut-être entendu dire à Notre-Seigneur que ceux-là seuls étaient dignes d’entrer dans le royaume des cieux, qui s’appliquent à devenir semblables aux petits enfants, mais il veut en être plus certain, il demande donc qu’on lui explique, non point en paraboles, mais en termes clairs, par quels moyens on peut mériter la vie éternelle : « Alors un jeune homme s’approcha, et lui dit : Bon maître, quel bien faut-il que je fasse, » etc. — S. Jér. Celui qui fait cette question est un jeune homme riche et plein de lui-même, il interroge, non par le désir d’apprendre, mais pour tenter le Seigneur, et la preuve, c’est qu’après que Jésus lui eut répondu : « Si vous voulez entrer dans la vie, gardez les commandements, » il demande de nouveau artificieusement, quels sont ces commandements, comme s’il ne les avait pas lus bien des fois, ou comme si le Sauveur pouvait lui commander des choses contraires aux préceptes divins. — S. Chrys. (hom. 63.) Je n’hésite pas à dire que ce jeune homme était esclave de l’avarice et de l’amour des richesses, puisque le Seigneur lui-même lui a reproché ce vice ; mais je ne puis le regarder en aucune façon comme un hypocrite, parce qu’il est dangereux de juger en matière incertaine, surtout lorsqu’il s’agit d’accuser. En effet, saint Marc détruit entièrement ce soupçon, car il rapporte que cet homme accourut, et se mit à genoux devant Jésus pour lui faire cette question, et que Jésus, l’ayant regardé, conçut pour lui de l’affection. Or, s’il était venu pour le tenter, l’Évangéliste nous l’aurait fait remarquer, comme il le fait ordinairement pour les autres, et en supposant qu’il eût gardé le silence sur ce point, le Sauveur n’aurait pas permis que son hypocrisie demeurât cachée, mais il lui en aurait fait des reproches publics, ou il l’en aurait repris en secret, ce qu’il ne fait en aucune façon, car voici la suite du récit : « Et il lui dit : Pourquoi m’appelez-vous bon ? »

S. Aug. (de l’accord des évang., 2, 63.) Il y a, ce semble, une différence assez grande entre ce que dit ici saint Matthieu : « Pourquoi me demandez-vous le bien que vous devez faire ? » et celles que rapportent saint Marc et saint Luc : « Pourquoi m’appelez-vous bon ? » La première variante : « Pourquoi me demandez-vous le bien que vous devez faire ? » se rapporte plus directement à cette question : « Quel bien faut-il que je fasse ? » Car ce jeune homme y parle expressément du bien, et en fait l’objet même de sa question, tandis qu’en disant : « Bon maître, » il n’interroge pas encore. On peut donc admettre parfaitement que Notre-Seigneur lui a répondu par ces deux questions : « Pourquoi m’appelez-vous bon, et pourquoi m’interrogez-vous sur le bien que vous devez faire ? » — S. Jér. Comme ce jeune homme l’avait appelé bon maître, mais sans reconnaître qu’il était Dieu ou le Fils de Dieu, Jésus lui répond qu’aucun homme, quelque saint qu’il soit, n’est bon en comparaison de Dieu, dont il est dit : « Louez le Seigneur, parce qu’il est bon (Ps 105, 1 ; 106, 1 ; 117, 1 ; 135, 1 ; 1 Parai., 16, 34 ; 5, 13 ; Dn 3, 89). » Et c’est pour cela qu’il ajoute : « Il n’y a que Dieu seul qui soit bon. » Mais que personne ne pense que ces paroles : « Il n’y a que Dieu seul qui soit bon, » ne comprennent pas le Fils de Dieu dans cette bonté qui est l’attribut de la divinité ; car nous lisons dans un autre passage : « Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis. » — S. Aug. (de la Trinit., 1, 13.) Ou bien dans un autre sens, ce jeune homme cherchait la vie éternelle, qui consiste dans la contemplation de Dieu, dont la claire vision est une cause non de peine, mais de joie éternelle. Or, il ne comprenait pas quel était celui avec lequel il parlait, et le regardait seulement comme Fils de l’homme. Le Sauveur lui répond donc : « Pourquoi me demandez-vous le bien qu’il faut faire, et m’appelez-vous bon maître en ne consultant que ce qui frappe vos yeux ? » Cette forme du Fils de l’homme apparaîtra au jour du jugement, non-seulement aux yeux des justes, mais des impies, et cette vue sera pour eux un supplice, parce qu’elle leur sera imposée comme châtiment. Mais il est une autre vision de cette nature par laquelle je suis égal à Dieu, et c’est ce Dieu un dans sa nature, Père, Fils et Saint-Esprit qui est seul bon, parce que sa vue n’est pour personne un sujet de deuil et de gémissement, mais une source de salut et de joie véritable. — S. Jér. Le Sauveur ne refuse pas de recevoir ce témoignage rendu à sa bonté ; il repousse simplement l’erreur qu’il était maître sans être Dieu. — S. Chrys. (hom. 63.) Mais quelle utilité à lui répondre de la sorte ? C’était pour te ramener peu à peu, lui apprendre à se dépouiller de l’esprit de flatterie et de l’amour des biens de la terre, et lui persuader de s’attacher à Dieu, de chercher les biens futurs, et de s’appliquer à la connaissance de celui qui est véritablement bon, la racine et la source de tous les biens.

 

Orig. (traité 8 sur S. Matth.) Jésus-Christ, en s’exprimant de la sorte, répond encore à la question que lui faisait ce jeune homme : Quel bien faut-il que je fasse, » etc. En effet, lorsque nous nous éloignons du mal, et que nous faisons le bien, on appelle bien ce que nous faisons relativement à ce que font les autres hommes, mais considéré dans la vérité et d’après ces paroles : « Il n’y a que Dieu seul qui soit bon, » le bien que nous faisons ne peut être appelé bien. On peut encore dire que le Seigneur, sachant que l’intention de celui qui l’interrogeait n’était pas de pratiquer le bien même tout naturel, lui répond : « Pourquoi me demandez-vous quel bien vous devez faire ? » c’est-à-dire : « Pourquoi me questionner sur le bien, alors que vous n’êtes pas disposé à le pratiquer ? » il ajoute ensuite : « Si vous voulez entrer dans la vie, » etc. Remarquez qu’il parle à ce jeune homme comme s’il était hors de la vie : « Si vous voulez entrer dans la vie, » car dans un sens véritable l’homme, qui vit éloigné de celui qui a dit : « Je suis la vie » (Jn 11 et 14), est en dehors de la vie. D’ailleurs tout homme sur la terre, est seulement dans l’ombre de la vie, entouré qu’il est d’un corps périssable et mortel. Or, il entrera dans la vie en s’abstenant des oeuvres mortes, et en désirant les oeuvres de la vie. Il y a aussi des paroles de mort et des paroles de vie, des pensées de mort et des pensées de vie, etc. ; c’est pour cela que Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à ce jeune homme : « Si vous voulez entrer dans la vie. » — S. Aug. (serm. 17 sur les par. du Seig.) Il ne lui dit pas : si vous voulez arriver à la vie éternelle, mais : « Si vous voulez entrer dans la vie, » établissant ainsi que la seule et véritable vie est la vie éternelle. Considérons ici combien cette vie éternelle est digne de nos affections, alors que nous aimons tant cette misérable vie qui doit sitôt finir.

 

Remi. Ces paroles sont une preuve que la loi promettait à ceux qui l’accomplissaient, non-seulement les biens temporels, mais encore la vie éternelle, et, comme ce jeune homme l’avait entendu dire, il devient attentif et demande : « Quels sont ces commandements ? » — S. Chrys. (hom. 63.) Il fait cette question sans intention de tenter le Seigneur, mais parce qu’il pensait qu’en dehors des préceptes de la loi, il en était d’autres qui seraient pour lui un principe de vie.

 

Remi. Jésus use à son égard d’une grande condescendance comme avec un malade, et lui expose avec douceur les préceptes de la loi Jésus lui dit : « Vous ne commettrez pas d’homicide, » etc. L’exposition abrégée de ces préceptes se trouve dans la proposition suivante : « Et vous aimerez votre prochain comme vous-même, » ainsi que le dit l’Apôtre : « Celui qui aime le prochain a accompli la loi. » (Rm 16.) Si l’on examine pourquoi Notre-Seigneur ne rappelle ici que les préceptes de la seconde table, on reconnaîtra que c’est, sans doute, parce que ce jeune homme s’appliquait à développer en lui l’amour de Dieu, ou bien, parce que l’amour du prochain est un degré pour s’élever à l’amour de Dieu. — Orig. Ou bien peut-être, ces préceptes suffisent pour qu’on puisse entrer dans ce que j’appellerai le commencement de la vie, mais ils ne suffisent pas, non plus que d’autres semblables pour nous introduire dans la partie la plus intime de la vie. Or, celui qui aura transgressé un de ces commandements, n’entrera même pas dans le commencement de la vie.

S. Chrys. (hom 63.) Après que le Sauveur eut rappelé les préceptes qui se trouvent dans la loi, ce jeune homme lui dit : « J’ai observé tous ces commandements dès ma jeunesse ; » et il ne s’arrête pas là, mais il interroge de nouveau le Sauveur : « Que me manque-t-il encore ? » question qui est une preuve du vif désir dont il était animé. — Remi. Notre-Seigneur enseigne à ceux qui veulent devenir parfaits dans la grâce, comment ils peuvent arriver à la perfection : Jésus lui dit : Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez. » Faites attention à ces paroles ; il ne dit pas « Allez, mangez tout ce que vous avez, » mais : « Allez et vendez. » Et il ne dit pas seulement : « Vendez une partie de vos biens, » comme firent Ananie et Saphire, mais : « Vendez tout, » et il ajoute avec dessein : « Tout ce que vous avez. » Or, nous avons les choses que nous possédons justement ; ce sont ces choses que nous devons vendre, quant à celles que nous possédons injustement, nous devons les rendre à ceux à qui nous les avons enlevées. Il ne dit pas enfin : « Donnez-en le prix à vos parents ou aux riches qui pourraient vous rendre en échange des biens semblables, » mais : « Donnez-en le prix aux pauvres. » — S. Aug. (du trav. des moines, chap. 25.) Il ne faut pas, d’ailleurs, se préoccuper dans quels monastères, ou dans quel endroit on distribuera ce qu’on possède à ses frères indigents, car tous les chrétiens ne forment qu’une seule société. Toutes les fois donc, qu’un chrétien distribue aux pauvres, n’importe dans quel endroit, les choses nécessaires à la vie, ou bien toutes les fois qu’il reçoit n’importe de quelles mains ce qui lui est nécessaire, il reçoit de ce qui appartient à Jésus-Christ.

Rab. Voici deux sortes de vies que le Sauveur propose aux hommes : la vie active, à laquelle se rapporte ce précepte : « Vous ne tuerez pas, » et tous les autres préceptes de la loi ; et la vie contemplative que Notre-Seigneur a en vue dans ces paroles : « Si vous voulez être parfait, » etc. La vie active appartient à la loi ancienne, et la vie contemplative à l’Évangile ; car de même que l’Ancien Testament a précédé le Nouveau, ainsi la vie pleine de bonnes oeuvres doit précéder la contemplation. — S. Aug. (cont. Faust., 5, 9.) Cependant, il n’y a pas que ceux qui, pour être parfaits, vendent ou abandonnent tous leurs biens qui posséderont le royaume des cieux ; le divin commerce de la charité unit à cette partie de la milice chrétienne un grand nombre de fidèles qui se rendent volontairement tributaires des pauvres, et à qui le Sauveur dira au dernier jour : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger. » Loin de nous la pensée qu’ils doivent un jour être privés de la vie éternelle comme étant étrangers aux préceptes de l’Évangile.

S. Jér. (cont. Vigilance.) Quant à ce que prétend Vigilance, qu’il est mieux de jouir de ses biens et d’en distribuer successivement les fruits aux pauvres, plutôt que de vendre ces biens et de leur en donner immédiatement le prix, ce n’est pas moi, mais Dieu lui-même qui lui répondra : « Si vous voulez être parfait, allez et vendez. » Cet état que vous louez n’est que le deuxième ou le troisième degré, nous l’approuvons nous mêmes, à la condition de ne pas oublier que le premier état est préférable au second et au troisième. — Genn. (des dogmes de l’Église., chap. 71.). C’est une chose louable de distribuer ses biens aux pauvres avec une certaine mesure, mais il est mieux de les leur donner tous à la fois, pour accomplir le dessein de suivre le Sauveur, et s’affranchir de tout souci en partageant la pauvreté de Jésus-Christ. — S. Chrys. (hom. 63.) Comme il était ici question des richesses de la terre, et que Notre-Seigneur exhortait ce jeune homme à s’en dépouiller, il lui montre que la récompense qu’il accordera sera plus grande que ce sacrifice, et le surpassera de toute la distance qui sépare le ciel de la terre : « Et vous aurez, ajoute-t-il, un trésor dans le ciel ; » car un trésor annonce la richesse et la durée de la récompense.

Orig. Si tous les commandements sont renfermés dans cette parole : « Vous aimerez le prochain comme vous-même, » et si, d’ailleurs, celui qui les accomplit tous est parfait, comment le Seigneur, entendant ce jeune homme lui dire : « J’ai gardé tous ces commandements dès ma jeunesse, » lui dit comme s’il n’avait pas encore atteint la perfection : « Si vous voulez être parfait ? » Peut-être que ces paroles : « Vous aimerez le prochain, » n’ont pas été dites par le Seigneur, mais qu’elles ont été ajoutées par quelque copiste, chose d’autant plus probable, que saint Marc et saint Luc, qui rapportent ce même trait, ne font aucune mention de ces paroles. Voici une autre explication : Nous lisons dans l’Évangile selon les Hébreux, qu’après que le Seigneur eut dit ces paroles : « Allez et vendez tout ce que vous avez, » ce jeune homme qui était riche, se gratta la tête d’hésitation, et ne goûta point ce langage. Alors le Seigneur lui dit : « Comment dites-vous : J’ai accompli tout ce qui est écrit dans la loi et dans les prophètes ? Il est écrit dans la loi : Vous aimerez le prochain comme vous-même, et voilà qu’un grand nombre de vos frères sont couverts de haillons mal propres, mourants de faim, tandis que votre maison regorge de richesses, et qu’il n’en sort rien absolument pour subvenir à leur détresse. » Le Seigneur, voulant donc convaincre et éprouver ce riche, lui dit : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres, c’est alors que l’on verra si vous aimez le prochain comme vous-même. Mais si la perfection consiste dans la réunion de toutes les vertus, comment suffit-il pour devenir parfait de vendre tout ce qu’on possède, et de le donner aux pauvres ? » Supposons un homme qui ait accompli ce généreux sacrifice, sera-t-il aussitôt sans colère, sans concupiscence, orné de toutes les vertus, exempt de tous les vices ? Quelque esprit sage pourra dire que celui qui a donné ses biens aux pauvres se trouve aidé de leurs prières, et qu’il reçoit de leur abondance spirituelle de quoi subvenir à son indigence spirituelle, et que c’est ainsi qu’il devient parfait, tout en conservant quelques passions qui tiennent à l’humanité. Ou bien encore, celui qui a pris la pauvreté en échange de la richesse afin de devenir parfait, en vertu de sa foi aux paroles de Jésus-Christ, recevra la grâce nécessaire pour devenir sage en Jésus-Christ, juste, chaste et sans aucune passion. Ce n’est pas, sans doute, qu’il atteindra le comble de la perfection du moment où il aura donné ses biens aux pauvres, mais, dès ce jour, la méditation des choses divines lui rendra peu à peu familières toutes les vertus. On peut encore donner une autre interprétation toute morale, en disant que les biens de chaque fidèle sont ses actes. Or, dans ce sens, Jésus-Christ ordonne de vendre tous les biens qui sont viciés pour quelque cause que ce soit, et de les donner à ceux qui pourront en tirer profit, et qui sont pauvres de tout bien ; car de même que la paix que souhaitent les Apôtres, revient à eux, lorsqu’elle ne rencontre pas un fils de la paix (Mt 10.) ; ainsi tous les péchés reviennent à ceux qui les ont commis lorsqu’il ne se trouve personne qui puisse en faire sortir quelque bien. Dans ce sens, on ne peut douter que celui qui a vendu de la sorte tous ses biens, ne soit réellement parfait. Or, il est évident que celui qui agit de la sorte, a un trésor dans le ciel, et qu’il est devenu lui-même un homme céleste. Il a, en effet, dans le ciel qui lui appartient, le trésor de la gloire de Dieu et les richesses inépuisables de la sagesse divine. Il pourra donc suivre Jésus-Christ, puisqu’il n’en sera détourné par aucun bien possédé injustement.

 

S. Jér. Il en est beaucoup qui abandonnent leurs richesses et qui ne suivent pas le Seigneur. Or, cela ne suffit pas pour parvenir à la perfection ; il faut, après avoir professé un généreux mépris pour les richesses, se mettre à la suite du Sauveur ; en d’autres termes, après qu’on s’est séparé du mal, il faut encore faire le bien, parce qu’il est plus facile de faire peu de cas de sa bourse que de sa volonté. C’est pourquoi Jésus ajoute : « Puis venez, et suivez-moi ; » car c’est suivre le Seigneur et marcher sur ses traces que de l’imiter. — Suite. « Ce jeune homme, ayant entendu ces paroles, s’en alla tout triste. » C’est cette tristesse qui conduit à la mort, et l’Évangéliste nous en fait connaître la cause : « Car il avait de grands biens, » c’est-à-dire des épines et des ronces qui étouffèrent la semence que le Seigneur avait jetée dans son cœur. — S. Chrys. (hom. 63.) Ceux qui ont peu de biens et ceux qui en possèdent en abondance n’en sont pas également esclaves, car l’accroissement des richesses, en rend le désir plus ardent et la cupidité plus vive. — S. Aug. (Lettre à Paulin et à Thérèse, 34.) Je ne sais pas comment il arrive, lorsqu’on aime les biens superflus de la terre, que ceux qu’on possède enchaînent plus étroitement que ceux qu’on désire ; car, pourquoi ce jeune homme s’en alla-t-il tout triste, si ce n’est parce qu’il avait de grands biens ? Il est bien différent, en effet, de vouloir s’incorporer, pour ainsi dire, les biens que l’on n’a pas, ou de se séparer de ces biens, lorsqu’ils font, pour ainsi dire, partie de notre corps ; car, d’un côté, on les rejette comme quelque chose d’étranger ; de l’autre, on ne s’en sépare que comme des membres qu’il faut retrancher. — Orig. D’après le récit évangélique, ce jeune homme est digne d’éloges pour n’avoir commis ni meurtre, ni adultère, mais il est blâmable de s’être attristé des paroles de Jésus-Christ, qui l’appelait à la perfection. Il était jeune encore dans son âme, et c’est pour cela qu’il abandonna le Sauveur et s’en alla.

 

vv. 23-26.

La Glose. Notre-Seigneur prend occasion de cet avare, dont il vient d’être question, pour parler de tous ceux qui sont esclaves de l’avarice : « Et Jésus dit à ses disciples : Je vous le dis en vérité, » etc. S. Chrys. (hom. 63.) Ce ne sont point les richesses qu’il accuse ici, mais ceux qui s’en rendent esclaves, et il enseigne en même temps à ses disciples, qui étaient pauvres, à ne pas rougir de leur pauvreté. — S. Hil. (can. 19.) Ce n’est point un crime d’avoir des richesses, mais il faut les posséder avec modération ; en effet, comment pourra-t-on soulager les nécessités des saints (Rm 12), si l’on ne garde pas de quoi venir à leur secours ? — Rab. Mais il y a une grande différence entre posséder les richesses et aimer les richesses ; or, le plus sûr est de ne pas les avoir et de ne pas les aimer. — Remi. Aussi le Seigneur, expliquant lui-même, dans saint Marc, le sens de ce passage déclare « qu’il est difficile à ceux qui mettent leur confiance dans les richesses, d’entrer dans le royaume des cieux. » Ils mettent leur confiance dans leurs richesses en y plaçant toutes leurs espérances. — S. Jér. Comme il est difficile de mépriser et de sacrifier les richesses qu’on possède, Notre-Seigneur ne dit pas qu’il est impossible, mais qu’il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux, la difficulté n’emporte pas l’impossibilité, mais indique seulement la rareté du fait. — S. Hil. (can. 19.) C’est une chose pleine de dangers que de vouloir s’enrichir, et l’innocence qui cherche à accroître ses richesses, se charge d’un lourd fardeau. Dans le service de Dieu, on ne peut acquérir les biens du monde, sans s’exposer à contracter les vices du monde, et c’est ce qui rend difficile aux riches l’entrée du royaume des cieux.

S. Chrys. (hom. 63.) Après avoir déclaré qu’il était difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux, Notre-Seigneur entreprend de prouver que cette difficulté va même jusqu’à l’impossibilité : « Je vous le dis encore une fois, il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. » — S. Jér. D’après ces paroles, personne, ce semble, ne pourra être sauvé. Mais si nous lisons dans le prophète Isaïe (Is 25), comment les chameaux de Madian et d’Epha se rendent à Jérusalem chargés de dons et de présents, et comment ceux qui étaient courbés et contournés sous le poids des vices, entrent par la porte de cette cité, nous comprendrons comment ces chameaux, qui sont la figure des riches, pourront entrer par la voie étroite et resserrée qui conduit à la vie, après s’être déchargés du poids si lourd de leurs péchés et de toute la dépravation des sens. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Les âmes des païens sont comparées ici à des chameaux mal conformés, et qui sont courbés sous la bosse de l’idolâtrie, car c’est la connaissance de Dieu qui relève les âmes. L’aiguille, c’est le Fils de Dieu, dont la première partie, celle qui représente sa divinité, est d’une finesse extrême, tandis que l’autre partie, qui figure son humanité, est beaucoup moins aiguisée. Or, cette aiguille, dans toute sa longueur, est droite, et ne présente aucune déviation, et c’est par la blessure qu’elle a faite dans la passion, que les Gentils sont entrés dans la vie éternelle. C’est cette aiguille qui a cousu la tunique de l’immortalité ; c’est cette aiguille qui a cousu et uni la chair à l’esprit, c’est elle qui a uni le peuple juif au peuple des Gentils ; c’est elle, enfin, qui a établi des liens étroits entre les anges et les hommes. Il est donc plus facile aux Gentils de passer par le trou de l’aiguille, qu’aux Juifs qui se croient riches, d’entrer dans le royaume des cieux ; car si l’on ne peut arracher les Gentils qu’avec peine au culte insensé des idoles, combien sera-t-il plus difficile de détacher les Juifs des cérémonies du culte du vrai Dieu, cérémonies si conformes à la raison. — La Glose. On donne encore cette autre explication, qu’il y avait à Jérusalem une porte qu’on appelait le trou de l’aiguille, et par laquelle un chameau ne pouvait passer qu’après avoir déposé son fardeau et plié les genoux. C’était le symbole de cette vérité, que les riches ne peuvent entrer dans la voie étroite qui conduit à la vie, qu’après s’être déchargés des souillures de leurs péchés et de leurs richesses, en cessant, du moins, de les aimer. — S. Grég. (Moral., 35, 11.) Ou bien, sous le nom de riches, Notre-Seigneur veut que nous entendions tout homme orgueilleux, et sous celui de chameau, ses humiliations personnelles. Le chameau passe par le trou de l’aiguille, lorsque notre Rédempteur a pénétré jusqu’à la mort par la porte étroite et resserrée de ses souffrances, souffrances qui ont été pour lui comme une aiguille, parce qu’elles ont transpercé son corps de douleur. Or, le chameau passe par le trou d’une aiguille, plus facilement que le riche n’entre dans le royaume des cieux, parce que si Jésus n’avait commencé par nous donner l’exemple de l’humilité dans sa passion, jamais notre orgueilleuse raideur n’aurait voulu s’abaisser jusqu’à son humilité.

S. Chrys. (hom. 63.) Ces paroles jettent le trouble dans l’âme des Apôtres qui, cependant, menaient une vie pauvre ; mais ils sont inquiets pour le salut des autres, et ont déjà les entrailles paternelles qui conviennent aux docteurs et aux maîtres des nations. Ils lui disent donc : « Qui pourra être sauvé ? » — S. Aug. (Quest. évang., 1, 26.) Comme le nombre des riches est peu considérable en comparaison de la multitude des pauvres, nous devons comprendre que les disciples mettaient au nombre des riches tous ceux qui désirent les richesses. — S. Chrys. (hom. 63.) Notre-Seigneur montre ensuite que c’est là l’oeuvre de Dieu, et qu’il faut à l’homme une grâce signalée pour se bien diriger au milieu des richesses. Aussi l’Évangéliste ajoute : « Or, Jésus, les regardant, leur dit : Cela est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu. » Il nous fait remarquer que Jésus regarde ses disciples pour signifier que par ce regard plein de bonté, il veut enhardir leur timidité. — Remi. Il ne faut pas, toutefois, entendre les paroles du Sauveur, en ce sens qu’il soit possible à Dieu de faire entrer dans le royaume des cieux un riche cupide, avare et superbe, mais qu’il le convertira d’abord pour qu’il puisse y entrer. — S. Chrys. (hom. 64.) Et s’il s’exprime de la sorte, ce n’est pas pour que vous vous découragiez et que vous vous arrêtiez comme devant une impossibilité ; mais afin, qu’étant bien convaincu de la grandeur de l’entreprise, vous franchissiez cet obstacle en recourant à Dieu par la prière.

 

vv. 27-30.

Orig. (traité 9 sur S. Matth.) Pierre avait entendu ces paroles du Sauveur : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-en le prix aux pauvres. » Il vit ensuite ce jeune homme s’en aller tout triste, et combien il était difficile pour un riche d’entrer dans le royaume des cieux. Il interroge donc le Sauveur avec confiance, comme un homme qui a consommé une oeuvre difficile ; car si son frère et lui ont quitté des choses de peu d’importance, Dieu ne les a pas estimées de la sorte, mais il a considéré la perfection de l’amour qui a été le principe de leur détachement, et qui leur aurait fait sacrifier les plus grandes richesses, s’ils les avaient possédées. Aussi je pense que c’est en se fondant plutôt sur les sentiments de son cœur que sur la valeur des choses qu’il a quittées, que Pierre s’adresse au Sauveur avec tant de confiance : « Alors Pierre, prenant la parole, lui dit : Voilà que nous avons tout quitté. »

S. Chrys. (hom. 63.) Quelles sont donc toutes ces choses, ô bienheureux Pierre ! une ligne, un filet, une barque. Il dit : « Nous avons tout quitté, » en parlant de ces choses, non pas, sans doute, pour en rehausser le prix, mais pour inspirer de la confiance au pauvre peuple qui l’entend. Car le Seigneur ayant dit : « Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous avez, » etc., les pauvres pouvaient répondre : Mais quoi, nous ne possédons rien, nous ne pouvons donc être parfaits ? Or, Pierre fait cette question, afin que vous qui êtes pauvre vous ne vous croyiez ici inférieur en rien à ceux qui sont riches ; car celui qui avait reçu les clefs du royaume des cieux, espère avec confiance les autres biens que le ciel renferme, et c’est au nom de l’univers tout entier qu’il interroge son divin Maître. Or, considérez comme il répond avec précision aux deux conditions exigées par Jésus-Christ. Le Sauveur a demandé deux choses à ce riche, de donner aux pauvres tout ce qu’il avait, et de le suivre ; c’est pourquoi Pierre ajoute : « Et nous vous avons suivi. » — Orig. C’est-à-dire, d’après la révélation que le Père a faite à Pierre, que Jésus était son Fils, nous vous avons suivi, vous qui êtes la justice, la sanctification et toute vertu semblable. Il demande donc comme un athlète qui est vainqueur, quel sera le prix du combat.

 

S. Jér. Comme en effet il ne suffit pas de tout abandonner, Pierre ajoute ce qui est le caractère propre de la perfection : « Et nous vous avons suivi. » Nous avons fait ce que vous avez ordonné ; quelle sera donc notre récompense ? C’est ce que signifient ces paroles : « Que nous sera-t-il donc donné ? » Or, Jésus leur dit : « Je vous le dis en vérité, que pour vous qui m’avez suivi, » etc. S. Jér. Il ne dit pas : « Pour vous qui avez quitté toutes choses, » car c’est ce qu’a fait le philosophe Cratès, et beaucoup d’autres qui ont méprisé les richesses ; mais : « Pour vous qui m’avez suivi, » ce qui est le caractère propre des Apôtres et des vrais fidèles. — S. Hil. (can. 20.) Les Apôtres ont suivi Jésus-Christ dans la régénération, c’est-à-dire dans les eaux du baptême et dans la sanctification que donne la foi ; c’est cette régénération que les Apôtres ont suivi et que la loi n’avait pu leur donner. — S. Jér. Ces paroles du Sauveur peuvent encore recevoir cet autre sens : « Vous qui m’avez suivi, vous serez assis au jour de la régénération, » c’est-à-dire lorsque les morts ressusciteront incorruptibles du sein de la corruption (1 Co 15), vous serez assis sur les trônes des juges pour condamner les douze tribus d’Israël, parce que, témoins de votre foi, elles ont refusé d’en être les imitateurs. — S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 5.) Car votre corps sera régénéré par le don de l’incorruptibilité, comme votre âme sera régénérée par la foi. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Les Juifs auraient pu dire au jour du jugement : « Seigneur, en vous voyant revêtu d’une chair mortelle, nous n’avons pu vous reconnaître pour le Fils de Dieu. Et qui, parmi les hommes, pouvait voir ce trésor caché dans la terre, ce soleil couvert de nuages ? » Mais les disciples répondront : « Et nous-mêmes, nous étions des hommes du peuple, sans instruction ; vous, au contraire, vous étiez des prêtres et des scribes ; mais notre volonté droite a été comme une lampe qui a éclairé notre grossière ignorance, tandis que votre malice a été comme un nuage qui a couvert de ténèbres toute votre science.

S. Chrys. (hom. 64.) Il ne dit pas : Pour juger les nations de l’univers, mais : « Pour juger les tribus d’Israël, » parce que les Juifs et les Apôtres avaient été élevés suivant les mêmes lois et sous les mêmes institutions. Aussi lorsque les Juifs viendront dire : Nous avons refusé de croire au Christ, parce que la loi le défendait, on leur opposera les disciples de Jésus, qui ont reçu et observé la même loi. Mais on dira peut-être : Quelle si grande récompense leur a-t-il promise, s’ils ne doivent recevoir que ce que la reine du Midi et les Ninivites recevront eux-mêmes ? Il leur a déjà promis et il leur promettra encore d’autres récompenses bien plus magnifiques, mais ici-même il indique que ce qui leur est destiné est bien supérieur à ce que recevront les Ninivites. En parlant de ces derniers, il dit simplement qu’ils se lèveront contre cette génération pour la condamner, mais lorsqu’il s’agit des Apôtres, il s’exprime en ces termes : « Lorsque le Fils de l’homme siégera sur le trône de sa gloire, vous serez assis vous-mêmes sur douze trônes, » etc. Il est donc certain qu’ils partageront et sa royauté et sa gloire. C’est cet honneur et cette gloire qui sont figurés ici par les trônes. Or, comment s’est accomplie cette promesse ? Est-ce que Judas siégera aussi avec les autres Apôtres ? Non, assurément, car voici la loi que le Seigneur a établie par le prophète Jérémie : « Je me déclarerai en faveur d’une nation ou d’un royaume pour l’établir et pour l’affermir, mais si ce royaume ou cette nation pêche devant mes yeux, je me repentirai aussi du bien que j’avais résolu de lui faire ; » c’est-à-dire : S’ils se rendent indignes de mes promesses, je me garderai bien de les accomplir. Or, Judas s’est rendu indigne de l’honneur qui lui avait été promis. Aussi n’est-ce pas sans conditions que le Sauveur fait cette promesse à ses disciples ; car il ne dit pas d’une manière absolue : « Vous serez assis, » mais il fait précéder ces paroles de celles-ci : « Vous qui m’avez suivi, » paroles qui excluaient Judas, et qui attiraient à lui ceux qui devaient plus tard marcher à sa suite ; car ce n’était ni aux disciples seuls, ni à Judas, qui s’en était déjà rendu indigne, que Notre-Seigneur les adressait.

S. Hil. (can. 20.) Jésus-Christ, en plaçant ses Apôtres sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël, les associe à la gloire des douze patriarches, et nous devons conclure de ce passage que Jésus doit juger un jour, assisté de ses disciples. Aussi dit-il aux Juifs dans un autre endroit : « C’est pourquoi ils seront vos juges. » (Mt 12 ; Lc 11.) Nous ne devons pas croire, toutefois, que ces douze hommes seront les seuls qui jugeront avec lui, parce qu’il est question de douze trônes sur lesquels ils seront assis ; le nombre douze représente ici la multitude de tous ceux qui seront associés à ce jugement, parce qu’il est composé des deux parties du nombre sept, qui signifie souvent l’universalité des choses ; en effet, ses deux parties, trois et quatre, multipliées l’une par l’autre, donnent le nombre douze. D’ailleurs, l’apôtre saint Mathias ayant été élu pour remplacer le traître Judas, il s’ensuivrait donc que l’apôtre saint Paul, qui a travaillé plus que les autres, ne trouverait plus de siége pour juger, lui qui nous déclare qu’il doit un jour faire partie du nombre des juges avec les autres saints : « Ignorez-vous que nous jugerons les anges ? » — S. Aug. (de la pénit.). Il faut donc placer au nombre de ceux qui jugeront alors avec Jésus-Christ, tous ceux qui ont abandonné leurs biens et suivi le Seigneur. — S. Grég. (Moral., 10, 37.) Tout homme, en effet, qui pressé par l’aiguillon de l’amour divin, aura sacrifié tout ce qu’il possédait, parviendra au faîte de la puissance judiciaire, et exercera les fonctions de juge avec le juge souverain, parce qu’il a embrassé ici-bas les rudes privations de la pauvreté volontaire.

S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 5.) Il faut entendre de la même manière le nombre douze, appliqué à ceux qui doivent être jugés, car de ce que le Sauveur dit : « Pour juger les douze tribus d’Israël, » il ne s’ensuit pas que la tribu de Lévi ne sera pas soumise à ce jugement, ou que le peuple juif seul sera jugé à l’exclusion des autres peuples. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, par ces paroles : « Au temps de la régénération, » Notre-Seigneur a voulu exprimer ces premiers temps du christianisme qui suivirent immédiatement son ascension ; car les hommes furent alors régénérés par le baptême, et c’était le temps où lui-même était assis sûr le trône de sa majesté. Et remarquez que ces paroles s’appliquent, non pas au jour du jugement dernier, mais à la vocation de tous les peuples, car le Sauveur ne dit pas : « Lorsque le Fils de l’homme viendra, assis sur le trône de sa majesté, mais au temps de la régénération, lorsqu’il s’assiera sur le trône de sa majesté. C’est ce qui arriva lorsque les mitions commencèrent à croire en Jésus-Christ, selon ces paroles du Roi-Prophète : « Le Seigneur régnera sur les nations, le Seigneur est assis sur son trône qui est saint. » (Ps 46.) Alors aussi les Apôtres furent assis sur leurs douze trônes, c’est-à-dire dans le cœur de tous les chrétiens ; car tout chrétien qui reçoit la parole de Pierre, devient le siége de Pierre, et il en est ainsi de tous les autres Apôtres. Or, les Apôtres sont assis sur douze trônes distincts, suivant la différence des dispositions des âmes et des cœurs que Dieu seul connaît. Car le peuple chrétien est divisé en douze tribus comme le peuple juif, de manière que certaines âmes appartiennent à la tribu de Ruben, d’autres âmes aux autres tribus, suivant la différence de leurs vertus. En effet, toutes les vertus ne sont pas au même degré dans tous les hommes, mais tel excelle dans celle-ci, et tel autre dans celle-là. Les Apôtres jugeront donc les douze tribus d’Israël, c’est-à-dire tout le peuple juif, sur ce chef que leur prédication a été reçue par toutes les nations. L’universalité des chrétiens forme les douze trônes des Apôtres, mais l’unique trône de Jésus-Christ. En effet, toutes les vertus sont comme le siége unique de Jésus-Christ ; car il est le seul qui soit également parfait dans toutes les vertus. Parmi les Apôtres, chacun d’eux excelle aussi dans une vertu spéciale : Pierre dans la foi, Jean dans l’innocence. Pierre se repose donc dans la foi comme sur un trône, Jean, dans l’innocence, et ainsi des autres Apôtres. Les paroles suivantes montrent que Jésus-Christ voulait aussi parler de la récompense que les Apôtres devaient recevoir en ce monde : « Et quiconque aura quitté pour mon nom sa maison ou ses frères, » etc. ; car s’ils reçoivent le centuple en ce monde ; il est certain que le Sauveur leur promettait une récompense même pour cette vie. — S. Chrys. (hom. 64.) Ou bien, il ne promet à ses disciples que les biens à venir, parce qu’ils étaient supérieurs aux promesses terrestres, et ne cherchaient rien des biens de la vie présente que le Seigneur promet aux autres hommes. — Orig. Ou bien dans un autre sens, celui qui aura abandonné tous ses biens, et qui aura suivi Jésus-Christ, recevra, lui aussi, tout ce qui a été promis à Pierre ; mais si son sacrifice n’a pas été entier, et qu’il n’ait abandonné que ce qui est ici mentionné d’une manière spéciale, il recevra dès ici-bas une récompense bien supérieure à ce qu’il a quitté, et aura pour héritage la vie éternelle.

S. Jér. Il en est quelques-uns qui ont pris occasion de ces paroles pour avancer qu’après la résurrection il y aurait une durée de mille ans, pendant laquelle nous recevrons le centuple de tout ce que nous avons sacrifié sur la terre, centuple qui sera suivi de la vie éternelle. Ils ne comprenaient pas qu’en supposant que cette promesse fût digne relativement à tout le reste, elle serait une honte en ce qui concerne les épouses, car celui qui en aurait sacrifié une, devrait, d’après cette opinion, en recevoir cent dans la vie future. Voici donc le sens de ces paroles : Celui qui aura abandonné pour Jésus-Christ les biens temporels, recevra les biens spirituels, qui seront aux premiers, en valeur et en mérite, ce qu’est le nombre cent comparé à un nombre de beaucoup inférieur. — Orig. Même dès cette vie pour les frères selon la chair qu’il a quittés, il trouvera un grand nombre de frères selon la foi, il aura pour pères tous les évêques et les prêtres, et pour enfants tous ceux qui sont dans l’âge de l’enfance. Il aura encore pour frères les anges, et pour soeurs toutes les vierges qui ont consacré leur virginité au Seigneur, aussi bien celles qui vivent encore sur la terre, que celles qui jouissent déjà dans le ciel de la vie éternelle. Les champs et les maisons, ce sont les demeures multipliées qui sont préparées dans le repos du paradis et dans la cité de Dieu ; et ce qui est au-dessus de toutes ces récompenses, ils recevront la vie éternelle. — S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 8.) L’Apôtre saint Paul, expliquant en quelque manière ces paroles : « Il recevra le centuple, » dit : « Nous sommes comme n’ayant rien, et nous possédons toutes choses ; » car le nombre cent est employé quelquefois comme nombre universel et indéterminé. — S. Jér. Ces autres paroles : « Celui qui abandonnera, » etc. se rapportent à ces autres : « Je suis venu séparer l’homme d’avec son père, » etc. Ceux donc qui, pour la foi chrétienne, et pour la prédication de l’Évangile, auront méprisé toutes les richesses et les voluptés de la terre, ceux-là recevront le centuple, et posséderont la vie éternelle. — S. Chrys. (hom. 63.) Lorsque Notre-Seigneur dit : « Celui qui aura quitté sa femme, » il ne veut pas dissoudre d’une manière absolue le lien du mariage, mais il veut que nous sacrifiions toutes les affections au sentiment de la foi. Il fait ici, d’ailleurs, une allusion indirecte aux temps de persécution, où on devait voir des pères entraîner leurs enfants dans l’impiété. Or, s’ils en viennent à cet excès, il ne faut plus les considérer comme des pères.

Rab. Comme il en est beaucoup qui ne poursuivent pas la carrière de la vertu avec la même ferveur qu’ils avaient en y entrant, mais qui se laissent aller à la tiédeur, ou qui ne sont pas longtemps sans faire de lourdes chutes, le Sauveur ajoute : « Plusieurs qui étaient les premiers seront les derniers, et plusieurs qui avaient été les derniers seront les premiers. » — Orig. Il exhorte par là ceux qui ont fait tout récemment profession d’obéir à la parole de Dieu, à se hâter de s’élever jusqu’à la perfection, en n’imitant point ceux qui paraissent avoir vieilli et s’être affaiblis dans la foi. Ces paroles peuvent aussi servir à humilier ceux qui se glorifient uniquement d’avoir été élevés dans le sein de la religion par des parents chrétiens, et à inspirer de la confiance à ceux qui ont été tout nouvellement initiés aux vérités de la foi. D’après une autre signification, les premiers sont les Israélites qui par leur incrédulité sont devenus les derniers, tandis que les Gentils qui étaient les derniers sont devenus les premiers. C’est avec dessein que le Sauveur emploie l’expression « plusieurs, » et non pas « tous. » Car tous les premiers ne seront pas les derniers, et réciproquement tous les derniers ne seront pas les premiers. Enfin, il est un grand nombre d’hommes qui, inférieurs aux anges, et comme les derniers par leur nature, sont devenus supérieurs à quelques-uns des anges par leur vie tout angélique, tandis que bien des anges, qui étaient les premiers par leur nature, sont devenus les derniers par leur faute. — Remi. On peut encore rapporter d’une manière toute spéciale ces paroles à la tristesse qu’éprouva ce jeune homme riche ; il paraissait être le premier par l’accomplissement fidèle des préceptes de la loi, mais il devint le dernier en préférant à Dieu les richesses de la terre. Les saints Apôtres paraissaient, au contraire, être les derniers, mais en abandonnant tout par l’effet de la grâce et de l’humilité, ils sont devenus les premiers. Enfin, il en est un grand nombre qui, après avoir fait preuve d’un grand zèle pour les bonnes oeuvres, en abandonnent tout à fait la pratique, et deviennent les derniers après avoir été les premiers.

 

 

CHAPITRE XX

vv. 1-16.

Remi. Notre-Seigneur venait de dire que plusieurs de ceux qui étaient les premiers seraient les derniers, et que plusieurs de ceux qui étaient les derniers deviendraient les premiers ; pour confirmer cette vérité, il propose la parabole suivante : « Le royaume des cieux est semblable, » etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le père de famille c’est Jésus-Christ, le ciel et la terre sont comme sa maison ; sa famille, ce sont toutes les créatures qui habitent le ciel, la terre et les enfers ; la vigne c’est la justice en général qui renferme toutes les différentes espèces de justices comme autant de plants de vigne, la douceur, la patience, et les autres vertus qui sont toutes comprises sous le nom général de justice. Les ouvriers de cette vigne sont les hommes. Le texte ajoute : « Il sortit le matin pour louer des ouvriers, » etc. Dieu a comme répandu la justice dans nos facultés, non pas pour lui, mais pour notre utilité. Nous sommes donc, ne l’oublions pas, des mercenaires qui avons été loués. Or, personne ne loue un mercenaire uniquement pour qu’il travaille à gagner sa nourriture ; ainsi Jésus-Christ ne nous a pas appelés à son service pour nous occuper seulement de nos intérêts, mais encore pour travailler à la gloire de Dieu. Et de même que le mercenaire commence par remplir sa tâche avant de songer à la nourriture de chaque jour, ainsi nous devons d’abord nous appliquer à ce qui doit procurer la gloire de Dieu, avant de songer à nos propres intérêts. Le mercenaire, encore, consacre toute sa journée au service de son maître, et ne réserve qu’une heure seulement par jour pour prendre sa nourriture ; ainsi nous devons consacrer toute notre vie à la gloire de Dieu, et n’en donner qu’une faible partie à nos besoins temporels. Enfin si le mercenaire passe un jour sans travailler, il n’ose paraître devant son maître pour demander son pain, et comment ne rougissez-vous pas d’entrer dans l’église de Dieu et de paraître en sa présence le jour où vous n’avez fait aucune bonne action sous ses yeux. — S. Grég. (hom. 15.) Dans un autre sens, le père de famille, c’est-à-dire notre Créateur, a une vigne, qui est l’Eglise universelle, et qui, depuis le juste Abel jusqu’à la fin du monde, a poussé autant de ceps qu’elle a produit de saints. Or, dans aucun temps, Dieu n’a cessé d’envoyer des ouvriers pour instruire son peuple comme pour cultiver sa vigne ; car il l’a cultivée successivement, d’abord par les patriarches, puis par les docteurs de la loi, ensuite par les prophètes, et enfin par les Apôtres comme par autant d’ouvriers. On peut dire, toutefois, que tout homme qui fait le bien avec une intention droite est en quelque manière et dans une certaine mesure un des ouvriers de cette vigne.

Orig. (traité 10 sur S. Matth.) Nous pouvons bien dire que toute cette vie n’est qu’un seul jour, jour d’une grande étendue par rapport à nous, mais d’une courte durée si on le compare à la vie de Dieu. — S. Grég. (Hom. 19.) Le matin de ce jour du monde fut l’époque qui s’écoula depuis Adam jusqu’à Noé ; c’est pour cela que Notre-Seigneur dit : « Il sortit de grand matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne, » et il ajoute les conditions dont il est convenu avec eux : « Et étant convenu avec, eux d’un denier, » etc. — Orig. Je pense que le denier figure ici le salut éternel. — Remi. Le denier était une pièce de monnaie qui valait dix as, et qui portait l’effigie du roi : le denier désigne donc parfaitement la récompense qui est accordée à l’observation du Décalogue. C’est aussi avec dessein qu’il est dit : « Etant convenu avec eux, » etc. ; car dans le champ de la sainte Église, chacun travaille dans l’espoir de la récompense future. — S. Grég. La troisième heure est le temps qui s’écoula de Noé à Abraham, et c’est de cette époque que le Sauveur veut parler ; quand il dit : « Etant sorti vers la troisième heure, il vit d’autres ouvriers qui se tenaient sans rien faire sur la place publique. » — Orig. La place publique, c’est tout ce qui est en dehors de la vigne, c’est-à-dire en dehors de l’Église de Jésus-Christ. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Dans ce monde, les hommes vivent d’un échange mutuel d’achats et de ventes, et pourvoient à leur subsistance par un commerce de fraudes réciproques. — S. Grég. C’est avec justice que l’on peut adresser le reproche d’oisiveté à celui qui ne vit que pour lui et se nourrit des plaisirs des sens, parce qu’il ne travaille pas à produire les fruits des oeuvres de Dieu. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces ouvriers oisifs ne sont pas les pécheurs, qui sont bien plutôt morts, mais tous ceux qui n’accomplissent pas les oeuvres de Dieu. Voulez-vous donc ne pas rester oisif ? Ne prenez pas le bien d’autrui, et donnez de vos propres biens ; vous aurez travaillé dans la vigne du Seigneur, en cultivant le cep de la miséricorde. « Et il leur dit : Allez-vous en aussi dans ma vigne. » Remarquez que ce n’est qu’avec les premiers qu’il s’engage de donner un denier ; il loue les autres pour un prix indéterminé : « Je vous donnerai ce qui sera juste. » Le Seigneur, qui prévoyait la prévarication d’Adam, et qu’après lui tous les hommes devaient périr dans les eaux du déluge, fit avec lui un traité bien précis, afin qu’il ne pût prétexter qu’il avait abandonné la voie de la justice, parce qu’il ignorait quelle en serait la récompense ; mais il ne s’est point engagé de cette manière avec les derniers, parce que son intention était de les récompenser bien au delà de ce que pouvaient espérer des mercenaires. — Orig. Ou bien encore, comme il a loué les ouvriers de la troisième heure pour faire l’ouvrage tout entier, il se réserve d’apprécier leur travail avant de leur donner une juste récompense ; car ils pouvaient travailler autant que ceux qui avaient commencé le matin en s’appliquant à leur travail dans un court espace de temps avec une laborieuse activité qui compenserait l’inaction du matin. — S. Grég. La sixième heure est celle qui s’étend d’Abraham à Moïse, et la neuvième, celle qui s’est écoulée de Moïse jusqu’à l’avènement du Seigneur. « Et il sortit de nouveau, » etc.

S. Chrys. Notre-Seigneur réunit ensemble la sixième et la neuvième heure, parce que c’est alors qu’eut lieu la vocation du peuple juif, et que Dieu renouvela fréquemment ses alliances avec les hommes, comme pour leur annoncer que le temps marqué pour le salut du genre humain n’était pas éloigné. — S. Grég. La onzième heure c’est le temps qui s’écoulera depuis l’avènement du Seigneur jusqu’à la fin du monde. L’ouvrier du matin, de la troisième, de la sixième et de la neuvième heure, c’est donc cet ancien peuple hébreu qui, dans la personne de ses élus, n’a point cessé de travailler à la vigne du Seigneur depuis le commencement du monde, en s’efforçant d’adorer Dieu avec une foi droite et sincère. A la onzième heure, ce sont les Gentils qui sont appelés. « Vers la onzième heure, il sortit, » etc. Ils avaient négligé, dans le cours de tant de siècles, de travailler à la culture de leur âme, et ils passaient ainsi tout le jour sans rien faire. Mais remarquez ce qu’ils répondent à la question qui leur est faite : « Personne, lui dirent-ils, ne nous a loués. » Aucun patriarche, en effet, aucun prophète n’était venu vers eux, et que signifient ces paroles : « Personne ne nous a loués, » si ce n’est : « Personne ne nous a fait connaître le chemin de la vie. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Quelle est donc la nature de cette convention, et quelle récompense y est promise ? C’est la promesse de la vie éternelle ; car les Gentils étaient les seuls qui ne connaissaient ni Dieu ni les promesses éternelles de Dieu. — S. Hil. (can. 20.) Le Seigneur les envoie donc à sa vigne. « Et il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne. »

Rab. Après avoir fait connaître les conditions du travail pour la journée, le Sauveur, continuant son récit, arrive à l’heure du salaire, et dit : « Le soir étant venu, » etc., c’est-à-dire lorsque le jour, qui comprend toute la durée du monde, était sur son déclin, et approchait de la consommation de toutes choses. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Remarquez que c’est le soir du même jour, et non le matin suivant, que le père de famille donne à chacun ce qui lui est dû. Ce sera donc pendant la durée du siècle présent qu’aura lieu le jugement après lequel chacun recevra sa récompense ; et cela pour deux raisons : la première, c’est que la bienheureuse éternité doit être la récompense de la justice, et qu’il faut par conséquent que le jugement la précède ; la seconde raison pour laquelle le jugement doit précéder le jour de l’éternité, c’est afin que les pécheurs ne soient pas témoins du bonheur de ce jour éternel.

 

« Et le maître dit à son intendant, » c’est-à-dire le Fils à l’Esprit saint. — La Glose. Ou bien, si vous aimez mieux, le Père dit au Fils, car le Père agit par le Fils, et le Fils par l’Esprit saint, sans qu’il y ait entre eux aucune différence de nature ou de dignité. — Orig. Ou bien encore, le maître dit à son intendant, c’est-à-dire à l’ange chargé de la distribution des récompenses, ou à l’un de ces nombreux intendants dont l’Apôtre a dit : « L’héritier est sous la puissance des tuteurs et des curateurs pendant tout le temps de son enfance. » (Ga 1.) — Remi. Ou bien enfin, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, qui est à la fois le père de famille et l’intendant du maître de la vigne, comme il est lui-même la porte et le portier ; car c’est lui qui doit venir juger les hommes, et rendre à chacun selon ses oeuvres. C’est donc au moment où les hommes seront réunis pour le jugement dernier, après lequel chacun recevra selon ses oeuvres, qu’il appellera les ouvriers pour leur donner une récompense.

 

Orig. Or, les premiers ouvriers, que leur foi avait rendus recommandables, n’ont pas reçu l’effet des promesses, le père de famille ayant voulu, par une faveur particulière pour nous, qu’ils ne reçoivent qu’avec nous l’accomplissement de leur félicité. (He 11.) Et comme nous avons été l’objet d’une miséricorde toute spéciale, nous espérons recevoir les premiers la récompense, tandis que ceux qui ont travaillé avant nous ne la recevront qu’après nous : « Appelez les ouvriers, et payez-les en commençant par les derniers. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, nous donnons toujours plus volontiers à ceux qui n’ont aucun droit à notre libéralité ; car nous donnons alors en vue de l’honneur qui nous en revient. Dieu se montre donc juste en donnant aux saints la récompense qu’il leur a promise, et miséricordieux, en l’accordant aux Gentils selon ces paroles de saint Paul : « Or, les Gentils doivent glorifier Dieu de la miséricorde qu’il leur a faite ; » voilà pourquoi le maître ajoute : « En commençant par les derniers jusqu’aux premiers. » C’est aussi pour faire éclater son ineffable miséricorde que Dieu récompense ainsi les derniers et les moins dignes, avant de récompenser les premiers ; car une miséricorde infinie n’examine pas l’ordre et le rang des personnes. — S. Aug. (de l’esprit et de la lettre, chap. 24.) Ou bien, les moins dignes ou les derniers se trouvent les premiers, parce qu’ils ont attendu moins longtemps leur récompense.

« Ceux donc qui n’étaient venus qu’à la onzième heure s’étant approchés, » etc. — S. Grég. Les ouvriers qui n’avaient travaillé qu’à la onzième heure reçurent pour salaire, comme ceux qui avaient commencé à la première heure, le même denier qu’ils avaient ardemment désiré ; parce que, en effet, ceux qui se sont convertis à Dieu à la fin du monde ont reçu la même récompense, la même vie éternelle que ceux qui avaient été appelés dès le commencement du monde. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Or, il n’y a en cela aucune injustice, car que fait à celui qui a vécu dès les premiers jours du monde, et qui n’a pas dépassé le temps qui lui était marqué, que le monde ait continué à exister après lui ? Et quant à ceux qui naissent à la fin des temps, ils vivent nécessairement le nombre de jours qui leur a été assigné. En quoi donc leur travail serait-il allégé, si le monde venait à finir aussitôt, puisqu’ils doivent achever leur tâche avant la fin du monde ? D’ailleurs, il ne dépend pas de l’homme, mais de la puissance divine, de naître plus tôt ou plus tard ; celui qui est né en premier lieu ne doit pas revendiquer la première place ou l’honneur d’être te premier, et celui qui n’est venu qu’après ne doit pas être considéré comme étant d’un mérite inférieur. « Et en recevant ce denier, ils murmuraient contre le père de famille, et disaient, » etc. Mais s’il est vrai, comme nous venons de le dire, que les premiers et les derniers aient vécu chacun leur temps, ni plus ni moins, et que la mort ait été pour les uns comme pour les autres la consommation de leur destinée, pourquoi donc les premiers disent-ils : « Nous avons porté le poids du jour et de la chaleur ? » C’est que nous avons besoin d’une plus grande force pour pratiquer la justice, nous qui savons que la fin du monde approche. Aussi est-ce pour nous armer d’un nouveau courage que le Christ disait : « Le royaume des cieux est proche. » Au contraire, c’était pour ceux qui ont vécu les premiers une occasion de tiédeur, de savoir que le monde devait durer longtemps encore, et bien que leur vie n’ait pas égalé la durée du monde, ils paraissent cependant en avoir supporté toutes les incommodités. Ou bien, « le poids du jour, » ce sont les commandements de la loi ; « la chaleur, » c’est la tentation brûlante de l’erreur qu’allumaient en eux les esprit de malice en les excitant à la jalousie contre les Gentils. Les Gentils, au contraire, en embrassant la foi chrétienne, n’ont pas été soumis à ces difficultés, et ont été entièrement sauvés par la grâce qui résume tout dans son mystérieux travail. — S. Grég. Ou bien encore : « Porter le poids du jour et de la chaleur, » c’est pendant toute la durée d’une longue vie, supporter les fatigues d’une lutte continuelle contre les ardeurs de la concupiscence. Mais comment donc expliquer les murmures dans ceux qui sont appelés à entrer dans le royaume des cieux ? Car aucun murmurateur ne peut y entrer, comme aucun de ceux qui le reçoivent pour récompense, ne peut se laisser aller aux murmures.

S. Chrys. (hom. 64.) On ne doit point chercher à concilier exactement tous les détails d’une parabole avec l’ensemble du récit, mais bien comprendre la fin que l’auteur s’y est proposée, et ne pas aller au delà. L’intention du Sauveur n’est donc pas ici de nous montrer ceux qui étaient les premiers atteints d’une violente jalousie, mais de nous faire voir les derniers en possession d’une gloire si grande qu’elle était capable d’inspirer aux autres de l’envie. — S. Grég. Ou bien encore, les anciens patriarches, quelle que fût d’ailleurs leur justice, n’ayant pu entrer dans le royaume des cieux avant l’avènement du Sauveur, se laissent en quelque sorte aller aux murmures. Nous, au contraire, qui sommes venus à la onzième heure, nous ne murmurons pas après notre travail, parce qu’étant venus dans le monde après l’avènement du Médiateur, nous entrons dans le royaume des cieux aussitôt que nous sommes sortis de notre corps. — S. Jér. Ou bien tout homme qui n’est appelé qu’après les Gentils leur porte envie et se fait comme un supplice de la grâce de l’Évangile qu’ils ont reçue avant lui. — S. Hil. (can. 20.) Ce murmure des ouvriers avait déjà éclaté sous Moise par la bouche insolente de ce peuple opiniâtre.

« Mais il répondit à l’un d’eux : Mon ami, je ne vous fais point de tort. » — Remi. Dans ce seul homme auquel il s’adresse, on peut voir tous ceux d’entre les Juifs qui ont cru en Jésus-Christ et à qui le Sauveur donne le nom d’amis à cause de la foi qu’ils ont embrassée. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ils se plaignaient non pas d’avoir, été frustrés du salaire qui leur était dû, mais de ce que les autres recevaient, à leur avis, plus qu’ils ne méritaient. C’est ainsi que les envieux s’attristent du bien que l’on fait à un autre, comme si l’on diminuait par là celui qu’ils possèdent, preuve évidente que l’envie vient de la vaine gloire ; car on ne se plaint d’être le second que parce qu’on a désiré être le premier, et c’est ce mouvement d’envie que le Seigneur combat par ces paroles : « Est-ce que vous n’êtes pas convenu d’un denier avec moi ? » — S. Jér. Le denier porte l’effigie du roi ; vous avez donc reçu le salaire que je vous avais promis, c’est-à-dire mon image et ma ressemblance. Que demandez-vous de plus ? Ce que vous désirez, ce n’est pas de recevoir davantage, c’est que l’autre ne reçoive rien du tout : « Prenez ce qui vous appartient, et vous en allez. » — Remi. C’est-à-dire, recevez votre récompense et entrez dans la gloire : « Je veux donner à ce dernier venu, » au peuple gentil, « autant qu’à vous, » comme il le mérite. — Orig. Peut-être est-ce au premier homme que s’adressent ces paroles : « Mon ami, je ne vous fais pas tort : est-ce que vous n’êtes pas convenu d’un denier avec moi ? » Prenez ce qui vous appartient, et allez-vous-en ; le denier, c’est-à-dire le salut, vous est acquis. « Pour moi, je veux donner à ce dernier autant qu’à vous. » On peut, avec assez de vraisemblance, voir dans cet ouvrier, venu le dernier, l’apôtre saint Paul, qui n’a travaillé qu’une heure, et qui cependant a travaillé peut-être plus que tous ceux qui ont vécu avant lui (1 Co 15, 9 ?).

S. Aug. (De la Virgin., chap. 26.) La vie éternelle sera également accordée à tous les saints, ainsi que le figure ce denier donné à tous comme la récompense commune de leur travail. Mais comme dans la vie éternelle les mérites des saints brilleront d’un éclat différent, il y a aussi plusieurs demeures dans la maison du Père céleste. Si donc le denier, qui est le même pour tous, signifie que la vie éternelle sera égale en durée pour tous les saints dans le ciel, le grand nombre de demeures différentes prouve que la gloire sera plus éclatante pour les uns que pour les autres. — S. Grég. Comme nous n’entrons dans le royaume des cieux que par un effet du bon vouloir de Dieu, le Sauveur ajoute avec raison : « Ne m’est-il donc pas permis de faire ce que je veux ? » C’est un acte de folie de la part de l’homme, de murmurer contre la volonté de Dieu. Il aurait lieu de se plaindre si Dieu ne donnait point ce qu’il doit ; mais qui peut se plaindre de ce qu’il ne donne point ce qu’il ne doit pas ? C’est ce que le Maître exprime en termes clairs : « Est-ce que votre oeil est mauvais parce que je suis bon ? » Remi. L’oeil signifie ici l’intention ; les Juifs avaient un oeil mauvais, c’est-à-dire une intention vicieuse, parce qu’ils s’attristaient du salut des Gentils.

Les paroles qui suivent : « Ainsi les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers, » nous font connaître le but de cette parabole, qui est de nous apprendre que les Juifs ont passé de la tête, où ils étaient, à l’extrémité opposée, tandis que nous, placés à cette extrémité, nous sommes devenus la tête. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien Notre-Seigneur déclare que les premiers seront les derniers, et les derniers les premiers, non pour donner aux derniers la prééminence sur les premiers, mais pour nous apprendre que l’époque différente de leur vocation n’a établi entre eux aucune différence, et qu’ils sont, sous ce rapport, parfaitement égaux. Quant aux paroles qui terminent : « Il y en a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus, » elles se rapportent, non pas aux saints dont il vient d’être question, mais aux Gentils, parmi lesquels, en effet, beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. — S. Grég. Il en est beaucoup, en effet, qui embrassent la foi, mais il en est peu qui parviennent jusqu’au royaume des cieux, car la plupart font profession de suivre Dieu et s’éloignent de lui par leurs moeurs. Nous devons donc faire ici deux réflexions : la première, c’est que personne ne doit se laisser aller à la présomption, car bien qu’il soit appelé à la foi, il ne sait pas s’il sera du nombre des élus qui entreront en possession du royaume ; la seconde, c’est qu’il ne faut jamais désespérer de son prochain quand on le voit croupir dans le vice, car nous ne connaissons pas les trésors de la miséricorde divine. — Et plus haut Ou bien, dans un autre sens, notre matin, c’est notre enfance ; la troisième heure, c’est l’adolescence ou la chaleur de l’âge qui se développe et qui est comme le soleil qui s’élève dans les hauteurs des cieux. La sixième heure, c’est la jeunesse, alors que la plénitude de la force s’établit en l’homme, comme le soleil qui semble se fixer au milieu du firmament. La neuvième heure est comme la vieillesse dans laquelle l’âge descend tous les jours des hauteurs brûlantes de la jeunesse, comme le soleil qui descend des points élevés du ciel. La onzième heure, c’est l’âge de la caducité et de la décrépitude.

 

S. Chrys. (hom. 64.) Le père de famille n’a pas loué tous ses ouvriers à la même heure, mais les uns le matin, les autres à la troisième heure et ainsi de tous ceux qui suivent ; mais la cause en est dans les différentes dispositions de leur âme ; car le Seigneur les appelle lorsqu’ils sont prêts à lui obéir ; c’est ainsi qu’il appela le larron au moment où il prévoyait qu’il répondrait à sa vocation. Il est vrai que ces ouvriers disent : « Personne ne nous a loués ; » mais, comme nous l’avons dit, il ne faut pas chercher la raison de toutes les circonstances des paraboles. D’ailleurs, ces paroles ne viennent pas du père de famille, mais des ouvriers ; et quant à Dieu, au contraire, il appelle tous les hommes dès le premier âge de la vie, comme le prouvent ces paroles : « Il sortit de grand matin pour louer des ouvriers. » — S. Grég. Ceux donc qui ont tardé jusqu’au dernier âge à vivre pour Dieu, sont ceux qui se tiennent dans l’oisiveté jusqu’à la onzième heure, et cependant le père de famille ne laisse pas de les appeler, et souvent il les récompense les premiers, parce qu’ils sortent de cette vie pour entrer dans l’éternité avant ceux qui ont été appelés dès leur première enfance. — Orig. Or, ces paroles : « Pourquoi demeurez-vous ainsi tout le jour sans travailler ? » ne s’adressent pas à ceux qui, après avoir commencé par l’esprit, finissent par la chair (Ga 3), s’ils veulent revenir plus tard à la vie de l’esprit. En parlant ainsi, notre intention n’est pas de détourner ces enfants voluptueux, qui ont dissipé toute la richesse de la doctrine évangélique en vivant dans la débauche, de revenir dans la maison paternelle ; nous voulons simplement dire qu’on ne peut nullement les comparer à, ceux qui ont péché dans leur jeunesse avant d’avoir reçu les enseignements de la foi. — S. Chrys. (hom. 64.) Jésus termine en disant : « Les derniers seront les premiers et les premiers les derniers, » et il fait ici allusion indirecte tant à ceux qui, après avoir brillé d’abord d’un vif éclat, ont ensuite méprisé les leçons de la vertu, qu’aux autres, qui, ramenés des sentiers du vice, se sont élevés au-dessus d’un grand nombre par la sainteté de leur vie. Cette parabole a donc été composée pour exciter l’ardeur de ceux qui ne se sont convertis que dans leur extrême vieillesse, et les délivrer de la crainte de recevoir une récompense moins grande que les autres.

 

vv. 17-19.

S. Chrys. (hom. 65.) Notre-Seigneur, en quittant la Galilée, ne vint pas immédiatement à Jérusalem ; mais il opéra d’abord un grand nombre de miracles, confondit les pharisiens, donna à ses disciples les leçons de la perfection chrétienne et leur fit connaître la récompense qui lui était réservée. Maintenant qu’il est sur le point de se rendre à Jérusalem, il leur parle de nouveau de sa passion : « Et Jésus, s’en allant à Jérusalem, prit en particulier les douze, » etc. — Orig. (Traité 11 sur S. Matth.) Judas se trouvait encore au nombre des douze Apôtres, car il était peut-être encore digne d’apprendre en particulier avec les autres coque son maître devait souffrir. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le salut des hommes repose tout entier dans la mort de Jésus-Christ, et cette mort doit être le premier et le plus digne sujet de nos actions de grâces. Le Sauveur annonce en secret à ses Apôtres le mystère de sa passion, parce que c’est dans les meilleurs vases qu’on renferme les plus précieux trésors. Si d’autres avaient entendu prédire la passion du Christ, il est probable que cette prédiction aurait troublé les hommes à cause de l’imperfection de leur foi, et les femmes par suite de la faiblesse naturelle à leur sexe, faiblesse qui leur fait verser des larmes dans de semblables circonstances. — S. Chrys. (hom. 65.) Ce n’est pas que le Sauveur n’ait parlé de ce mystère à la foule ; mais c’est d’une manière voilée, comme dans ces paroles : « Détruisez ce temple » (Jn 2) ; et dans ces autres : « il ne leur sera pas donné d’autre signe que celui du prophète Jonas. » (Mt 12.) Au contraire, il en parle clairement à ses disciples : « Voici que nous allons à Jérusalem, » etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cette expression : « Voici » marque l’intention formelle que les disciples gardent dans leurs cœurs le souvenir de cette prédiction. « Voici que nous allons à Jérusalem, » c’est-à-dire : Remarquez que c’est volontairement que je vais à la mort, et, lorsque vous me verrez suspendu à la croix, gardez-vous de croire que je ne sois qu’un homme ; » car, s’il est dans la nature de l’homme de mourir, il n’est point dans sa nature de vouloir marcher de lui-même à la mort.

Orig. Cet exemple doit nous apprendre, à nous qui connaissons bien souvent les épreuves qui nous attendent, que nous devons nous-mêmes nous offrir au danger ; mais, comme le Sauveur nous dit ailleurs : « Lorsqu’on vous poursuivra dans une ville, fuyez dans une autre, celui qui est sage en Jésus-Christ doit discerner le temps où il doit aller au-devant de la persécution et celui où il peut la fuir.

S. Jér. Bien souvent il avait parlé à ses disciples de sa passion ; mais comme les entretiens nombreux qu’il avait eus avec eux sur d’autres sujets avaient pu leur faire oublier ce qu’il leur en avait dit, avant d’aller à Jérusalem avec eux, il les prépare à cette grande épreuve, pour qu’il ne fussent pas scandalisés lorsqu’ils seraient eu présence de la persécution et de l’ignominie de la croix. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, lorsque la tentation nous trouve préparés, elle nous paraît bien plus légère que si elle nous avait surpris tout d’un coup. — S. Chrys. (hom. 65.) Il leur fait encore cette prédiction pour leur apprendre que c’est après l’avoir prévu, après l’avoir voulu, qu’il endurera les souffrances de sa passion. Mais tandis qu’au commencement il ne leur avait prédit que sa mort seule, lorsqu’il les trouve bien préparés, il  va plus loin et leur annonce qu’il sera livré aux Gentils. — Rab. En effet, Judas livra Jésus aux Juifs, et ceux-ci à leur tour le livrèrent à Pilate, c’est-à-dire au pouvoir des Romains. Or, le Seigneur ne voulut point des prospérités de ce monde, mais il leur préféra les souffrances, pour nous apprendre, à nous dont la chute avait eu pour cause l’attrait du plaisir, par quelles amertumes nous pour-lions nous relever ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Afin qu’ils le traitent avec dérision, qu’ils le fouettent et le crucifient. » — S. Aug. (Cité de Dieu, 18, 49.) Par sa passion, il nous enseigne ce que nous devons souffrir pour la vérité, et par sa résurrection ce que nous devons espérer dans l’éternité : « Et le troisième jour, il ressuscitera. » — S. Chrys. (homélie 66.) Il s’exprime de la sorte pour que leur âme, attristée par la perspective de ses souffrances, se repose dans l’espérance de la résurrection : « Il ressuscitera le troisième jour. » — S. Aug. (De la Trinité, 4, 3.4.) Une seule mort, celle du Sauveur selon le corps, nous a sauvés de deux morts, et sa seule résurrection a été pour nous le principe de deux résurrections différentes. Or, cette relation d’un à deux vient du nombre trois, qui se compose de ces deux premiers nombres. — Orig. Nous ne voyons pas que les disciples aient rien dit ou rien fait en entendant cette triste révélation des souffrances de Jésus-Christ ; ils se rappelaient les paroles du Seigneur à Pierre, et ils craignaient de s’attirer un semblable et peut-être plus sévère reproche. Et maintenant, voici que les scribes, qui se flattent de connaître les saintes Écritures, condamnent Jésus à mort et le flagellent par leurs accusations, et ils le crucifient pour faire disparaître sa doctrine ; mais après avoir paru succomber un instant, il se relève et apparaît à ceux qui ont reçu le pouvoir de le voir et de le reconnaître.

 

vv. 22-23.

S. Jér. Le Seigneur venait de terminer son discours en disant : « Et il ressuscitera le troisième jour. » Cette femme s’imagine donc que son règne commencerait aussitôt après sa résurrection, et avec la vivacité de désirs naturelle à son sexe, elle veut jouir de ce qu’elle voit déjà comme présent, sans penser à ce qui doit arriver dans l’avenir : « Alors la mère des enfants de Zébédée s’approcha, » etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cette mère des enfants de Zébédée est Salomée, dont un autre Évangéliste (Mc 15, 16) nous fait connaître le nom, femme vraiment pacifique, qui a enfanté les enfants de la paix. Nous pouvons juger ici du mérite et de la gloire de cette femme qui, non contente de voir ses enfants quitter leur père, abandonne elle-même son mari pour suivre Jésus-Christ ; car son mari pouvait vivre sans elle, mais pour elle, elle ne pouvait obtenir le salut sans Jésus-Christ. On peut admettre, d’ailleurs, que Zébédée était mort dans l’espace de temps qui s’écoula de la vocation des Apôtres à la passion du Sauveur. C’est donc alors que cette femme d’un sexe faible et accablée par l’âge, marchait à la suite de Jésus-Christ ; car la foi ne vieillit point, et la piété ne connaît point la fatigue. L’affection naturelle pour ses enfants lui, donne la hardiesse de faire au Sauveur une demande. « Elle l’adora en lui témoignant qu’elle voulait lui demander quelque chose, » c’est-à-dire elle commence par lui rendre ses hommages pour assurer le succès de sa demande. « Il lui dit : Que voulez-vous ? » S’il lui fait cette question, ce n’est point qu’il ignore ce qu’elle désire, mais il veut lui montrer tout ce que la demande qu’elle allait lui adresser avait de déraisonnable. « Et elle lui dit : Ordonnez que mes deux enfants soient assis, » etc.

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 64.) Saint Matthieu met dans la bouche de la mère la demande qui, d’après saint Marc, a été faite par les enfants de Zébédée eux-mêmes, parce qu’elle n’a été auprès du Seigneur que l’interprète de leurs désirs, et ainsi saint Marc, pour abréger, leur attribue cette demande. — S. Chrys. (hom. 65.) Ces deux disciples se voyaient plus honorés que les autres, ils avaient entendu dire au Sauveur : « Vous serez assis sur douze trônes, » ils demandent donc d’occuper les premiers. Ils savaient bien qu’ils étaient plus élevés en dignité que les autres auprès de Jésus-Christ, mais ils craignaient que Pierre n’obtint la primauté sur eux. Aussi un autre Évangéliste nous rapporte que, comme ils approchaient de Jérusalem, ils s’imaginaient que le royaume de Dieu allait s’établir, c’est-à-dire un royaume visible, preuve évidente qu’ils ne demandaient rien de spirituel, et qu’ils n’avaient aucune idée d’un royaume plus élevé. — Orig. (traité 12 sur S. Matth.) Dans les cours des rois de la terre, on regarde comme un grand honneur d’être assis près du roi, il n’est donc pas étonnant que cette femme, dans la simplicité et l’inexpérience de son sexe, ait cru pouvoir faire au Sauveur une semblable demande. Ses deux enfants eux-mêmes, qui étaient encore bien imparfaits, et n’avaient pas des pensées fort élevées du règne du Christ, partagèrent les idées de leur mère sur la destinée de ceux qui seront assis avec Jésus. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien dans un autre sens, nous ne prétendons pas que la demande de cette femme soit légitime, mais nous disons qu’elle désirait pour ses enfants, non pas les biens de la terre, mais les biens du ciel. Elle ne partageait pas les sentiments des autres mères, qui aiment le corps de leurs enfants, et ne font aucun cas de leur âme, et qui désirent les voir réussir et prospérer en ce monde, sans avoir aucun souci de ce qu’ils auront à souffrir dans l’autre ; elles montrent ainsi qu’elles sont les mères des corps, mais non des âmes de leurs enfants. Je pense donc que ces deux frères ayant entendu le Seigneur prédire sa passion et sa résurrection, se dirent en eux-mêmes dans le sentiment de foi qui les animait : voici que le roi du ciel va descendre dans le royaume des enfers pour détruire l’empire de la mort ; lorsque sa victoire sera consommée, que lui restera-t-il, que de recevoir les honneurs et la gloire de la royauté ? — Orig. C’est, en effet, après qu’il a détruit le péché qui régnait dans nos corps mortels et toute la puissance des esprits de malice, que Jésus-Christ reçoit parmi les hommes les honneurs de la souveraineté, ce qui est pour lui s’asseoir sur le trône de sa gloire. Dieu agit en toute puissance à sa droite et à sa gauche, en ne souffrant aucun mal en sa présence. Parmi ceux qui s’approchent de Jésus-Christ, ceux qui sont les plus élevés, sont à sa droite ; ceux qui sont au-dessous, sont à sa gauche. Par la droite du Christ, peut-être peut-on comprendre toute créature invisible ; et par la gauche toute créature visible et corporelle. Dans le nombre de ceux qui s’approchent du Christ, les uns prennent la droite, c’est-à-dire les choses intelligibles, les autres la gauche, c’est-à-dire les choses sensibles.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Comment celui qui s’est donné lui-même aux hommes, pourrait-il ne pas leur donner part à la gloire de son royaume ? La négligence de celui qui prie est donc seule coupable, là où la miséricorde de celui qui donne ne peut être mise en doute. Les deux frères se dirent probablement à eux-mêmes : Si nous nous adressons directement au maître, peut-être notre démarche fera mauvaise impression sur l’âme de nos frères ; car bien qu’ils ne puissent être vaincus par une jalousie toute charnelle, régénérés qu’ils sont par l’esprit, cependant ils peuvent encore y être accessibles dans ce qui reste en eux de charnel. Envoyons donc notre mère à notre place, elle priera pour nous en son nom ; si l’on trouve sa démarche répréhensible, elle en obtiendra facilement le pardon ; si au contraire, elle est accueillie, elle obtiendra plus facilement ce qu’elle demande pour ses enfants ; car le Seigneur, qui a rempli le cœur des mères d’amour pour leurs enfants, exaucera plus facilement une prière inspirée par l’affection maternelle. Voilà pourquoi le Seigneur, qui connaît le secret des cœurs, ne répond pas à la prière que cette femme lui adresse, mais à la pensée de ses enfants qui la lui avaient dictée. Car si leur désir était bon, leur demande était inconsidérée. Et, toutefois, bien que leur prière ne dût pas être exaucée, elle ne méritait pas d’être humiliée, parce qu’elle avait pour principe un grand amour du Seigneur. Aussi ne les réprimande-t-il que de leur ignorance : « Mais Jésus répondit : Vous ne savez ce que vous demandez. » — S. Jér. Il n’est pas étonnant que le Sauveur les reprenne de leur ignorance, puisqu’il est dit de Pierre lui-même : « Il ne savait pas ce qu’il disait. » (Lc 9.) — S. Chrys. (hom. sur S. Matth.) Souvent, en effet, le Seigneur permet que ses disciples aient des pensées, tiennent des discours répréhensibles, pour y trouver l’occasion d’expliquer les règles de la vie chrétienne ; car il sait que leur erreur ne peut leur nuire tant que leur maître est avec eux, et la doctrine qu’il leur expose devient une source d’édification, non-seulement dans le présent, mais pour l’avenir. — S. Chrys. (hom. 66.) Or, en s’exprimant de la sorte, il leur fait comprendre qu’ils ne demandent rien de spirituel, et que s’ils avaient su ce qu’ils demandaient, jamais ils n’auraient songé à en faire l’objet d’une prière dont l’accomplissement surpasse le pouvoir des puissances célestes. — S. Hil. (can. 20.) Ils ne savent encore ce qu’ils demandent, parce que la gloire réservée aux Apôtres ne pouvait faire l’objet d’aucune discussion, après qu’il leur avait prédit si clairement qu’ils devaient juger le monde. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien, vous ne savez ce que vous demandez, c’est-à-dire : Je vous ai appelés à ma droite de la gauche où vous étiez (cf. Mt 25, 33), et vous, de votre propre choix, vous vous hâtez de repasser à la gauche. Aussi est-ce pour cela, peut-être, que cette demande se négociait par le moyen d’une femme ; le démon recourut à ses armes habituelles, à la femme, pour séparer ces deux frères de leur maître par la suggestion de leur mère, comme il avait dépouillé Adam par le moyen de sa femme. Mais la ruine ne pouvait plus arriver jusqu’aux saints par une femme, depuis que le salut de tous les hommes était sorti par les mains d’une femme. Ou bien encore, ces paroles : « Vous ne savez ce que vous demandez, » nous apprennent que nous devons penser non-seulement à la gloire que nous voulons obtenir, mais à éviter la ruine dont le péché nous menace. Ainsi dans les guerres qui ont lieu sur la terre, celui qui ne pense qu’aux dépouilles et aux richesses de la victoire, triomphe difficilement, ils auraient donc dû faire cette prière : « Donnez-nous le secours de votre grâce, afin que nous puissions triompher de tout mal. »

Rab. Ils ne savaient pas encore ce qu’ils demandaient, eux qui voulaient obtenir du Seigneur le trône de gloire qu’ils n’avaient pas encore mérité. La perspective d’une si grande gloire avait pour eux de l’attrait, mais il leur fallait auparavant prendre la voie du travail qui pouvait seule les y conduire ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Pouvez-vous boire le calice ? » — S. Jér. Le mot calice, dans le style des Écritures, signifie souffrance, comme dans le Ps 115 : « Je prendrai le calice du salut ; » et le Roi-Prophète explique aussitôt quel est ce calice : « La mort de ses saints est précieuse aux yeux de Dieu. ». — S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur savait qu’ils étaient disposés à le suivre jusque dans ses souffrances, mais il leur fait cette question pour nous apprendre que personne ne peut régner avec lui sans avoir participé à sa passion ; car un trésor aussi précieux ne peut s’acquérir à vil prix (cf. 2 Tm 2, 12 ; Rm 8, 17). Or, la passion du Sauveur, ce n’est pas seulement la persécution des Gentils, mais toute violence que nous souffrons en combattant contre le péché. — S. Chrys. (hom. 66.) Il leur dit donc : « Pouvez-vous boire ? » etc., c’est-à-dire : « Vous me parlez de gloire et de couronnes, et moi je vous parle de combats et de fatigues, car le temps des récompenses n’est pas encore venu. » Par la manière dont il leur fait cette question, il les encourage et les attire ; il ne leur dit pas : Pourrez-vous répandre votre sang ? mais : « Pouvez-vous boire le calice ? » et il ajoute : « Que je dois boire, » pour enflammer plus vivement leurs désirs par ce rapprochement. — S. Hil. (can. 20.) Or, les deux disciples qui avaient déjà la liberté et la constance du martyre, promettent de boire ce calice. « Ils lui dirent : Nous le pouvons. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien ils font cette réponse moins par confiance dans leur propre force que par ignorance de leur fragilité ; car la tentation de la souffrance et de la, mort paraît légère à ceux qui ne l’ont pas éprouvée. — S. Chrys. (hom. 65.) Ou bien encore, ils promettent de boire ce calice par le désir qu’ils en ont ; car ils n’auraient jamais parlé de la sorte, si ce qu’ils demandaient n’avait été l’objet de leur attente. Or, le Seigneur leur prédit des biens du plus grand prix, c’est-à-dire qu’ils seront rendus dignes de souffrir le martyre.

 

« Il leur répartit : il est vrai que vous boirez le calice que je boirai. » Orig. Jésus-Christ ne leur dit pas : Vous pouvez boire mon calice, mais les yeux fixés sur la perfection à laquelle ils devaient atteindre, il leur dit : « Il est vrai que vous boirez mon calice. » — S. Jér. On se demande dans quel sens les deux enfants de Zébédée, Jacques et Jean, ont bu le calice du martyre, puisque d’après l’Écriture, Jacques seul fut décapité par Hérode (Ac 12), et que Jean mourut de mort naturelle. Mais puisque nous lisons dans l’histoire ecclésiastique que Jean fut plongé dans une chaudière d’huile bouillante, et qu’il fut exilé dans l’île de Pathmos, nous voyons qu’il eut vraiment l’esprit du martyre, et qu’il but le calice du confesseur de la foi, calice que burent aussi les trois enfants dans la fournaise, bien que leur persécuteur n’ait pas répandu leur sang.

 

S. Hil. (can. 20.) Notre-Seigneur, tout en louant la foi qui les anime, leur déclare qu’ils seront associés à ses souffrances, mais que Dieu, son Père, avait disposé en faveur d’autres de l’honneur de s’asseoir à sa droite et à sa gauche : « Mais pour ce qui est d’être assis à ma droite et à ma gauche, » etc. Dans notre opinion, cet honneur n’est pas tellement réservé à d’autres, que les Apôtres n’y aient point de part, eux qui, assis sur les sièges des patriarches, jugeront les douze tribus d’Israël. Autant que l’Évangile nous permet de le conclure, nous verrons assis aux côtés du Sauveur Moise et Elle, au milieu desquels il parut sur la montagne dans tout l’éclat de sa gloire. (Mt 18 ; Mc 9 ; Lc 9.) — S. Jér. Quant à moi, telle n’est pas mon opinion, mais je pense que le Sauveur ne nomme pas ceux qui seront assis dans le royaume des cieux, dans la crainte que cette désignation spéciale de quelques-uns, ne parût une exclusion pour les autres. En effet, la gloire du royaume des cieux ne dépend pas seulement de celui qui la donne, mais aussi de celui qui la reçoit ; car Dieu ne fait acception de personne, et celui qui se rendra digne de ce royaume, recevra ce que Dieu a préparé, non pas à la personne, mais à la vie sainte et pure. Si donc vous vous rendez dignes par vos vertus du royaume des cieux, vous en serez mis en possession. Cependant il ne leur dit pas : Vous ne serez pas assis à ma droite, pour ne pas les couvrir de confusion, ni : Vous y serez assis, pour ne pas froisser les autres disciples. — S. Chrys. (hom. 65.) Ou bien dans un autre sens, cette place est inaccessible, non-seulement aux hommes, mais encore aux anges ; car saint Paul nous déclare en ces termes qu’elle est l’apanage exclusif du Fils unique : « A qui, parmi les anges, a-t-il jamais dit : Asseyez-vous à ma droite ? » C’est donc uniquement par condescendance pour ceux qui l’interrogent, et non pour établir que quelques-uns des saints seraient assis à ses côtés, qu’il répond à leur question ; car le Seigneur leur répond : « Vous mourrez, en effet, pour moi, mais cela ne suffit pas pour : que vous obteniez la première place ; car s’il s’en trouve un autre qui joint au martyre une vertu plus parfaite, mon amour pour vous ne peut aller jusqu’à lui enlever la première place pour vous la donner. » Mais il ne veut pas que l’on croie que c’est impuissance de sa part, aussi ne dit-il pas simplement : Ce n’est point à moi de donner, mais : « Ce n’est point à moi de vous le donner, » cela est réservé à ceux à qui mon Père l’a préparé, c’est-à-dire à ceux qui peuvent briller par l’éclat de leurs bonnes oeuvres. — Remi. Ou bien encore : « Ce n’est point à moi de vous le donner, c’est-à-dire de le donner à des orgueilleux comme vous, mais cela est réservé aux humbles de cœur auxquels mon Père céleste l’a préparé. » — S. Aug. (de la Trinité, 1, 12.) Ou bien enfin, le Seigneur répond à ses disciples comme homme revêtu de la forme de serviteur : « Mais pour ce qui est d’être assis à ma droite, ce n’est point à moi de vous le donner, » etc. Or, ce que le Père a préparé, le Fils l’a également préparé ; car le Fils et le Père ne sont qu’un.

 

vv. 24-28.

S. Chrys. (hom. 65.) Tant que Jésus-Christ n’a fait qu’exprimer sa volonté à l’égard des deux disciples, les autres Apôtres n’éprouvèrent aucun sentiment de peine ; ils ne s’indignent que lorsqu’il les reprend : « Et les dix autres ayant entendu, » etc. — S. Hil. Ce n’est pas sur la mère qu’ils font retomber la témérité d’une pareille demande, mais sur les enfants qui, paraissant ignorer ce qu’ils étaient, se sont laissé dominer par une ambition aussi démesurée. — S. Chrys. (hom. 65.) Ils comprirent que cette demande venait des deux frères, quand le Sauveur leur adressa ce reproche. Jusque-là, lorsqu’ils avaient vu les marques particulières d’honneur qu’il leur donnait, comme dans sa transfiguration, quelle que fût la peine qu’ils en ressentaient intérieurement, ils n’osaient pas la faire paraître au dehors, par respect pour leur divin Maître. — S. Chrys. (sur S. Matth.) La demande des deux disciples avait été toute charnelle, la tristesse des dix autres fut de même nature, car s’il est blâmable de vouloir s’élever au-dessus des autres, il est on ne peut plus glorieux d’accepter que d’autres soient élevés au-dessus de nous.

 

S. Jér. Toutefois le divin Maître ne reproche ni leur ambition aux deux disciples, ni leur indignation jalouse aux dix autres : « Mais Jésus les appela à lui, » etc. — S. Chrys. (hom. 66.) Comme il les voit dans le trouble, il les appelle à lui pour les consoler en leur adressant la parole de plus près, car les deux frères s’étaient séparés de la société des dix Apôtres pour se rapprocher du Seigneur et lui parler en particulier. Or, il apaise les sentiments de leur âme, non plus comme précédemment, en plaçant un petit enfant au milieu d’eux, mais par un exemple tout opposé : « Vous savez, leur dit-il, que les princes des nations dominent sur elles. » — Orig. C’est-à-dire : Vous savez que, non contents de gouverner leurs sujets, ils aspirent à une domination tyrannique ; mais pour vous, qui êtes mes disciples, il n’en sera pas de la sorte, car, si les choses matérielles sont soumises à la nécessité, les choses spirituelles dépendent de la volonté. Ceux donc qui sont revêtus d’une puissance toute spirituelle doivent faire reposer toute leur autorité sur l’affection de ceux qui leur sont soumis, plutôt que sur la crainte des châtiments extérieurs. — S. Chrys. (hom. 66.) Il leur montre en même temps que c’est le propre des nations idolâtres d’ambitionner la primauté, et par cette comparaison il apaise l’agitation de leur âme. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est une chose louable de désirer le travail du ministère, car le travail dépend en partie de notre volonté, aussi bien que la récompense qui la suit ; mais c’est une vanité que d’ambitionner l’honneur des premières dignités, parce qu’elles dépendent de la volonté de Dieu. Aussi, quand bien même nous obtiendrions cet honneur, nous ne savons pas si nous méritons la couronne de justice. En effet, l’Apôtre ne sera pas trouvé digne d’éloges aux yeux de Dieu pour avoir été apôtre, mais pour avoir bien rempli les devoirs de l’apostolat ; de même ce n’est pas aux mérites qui ont précédé sa vocation que l’Apôtre doit l’honneur de l’apostolat ; mais il a été jugé digne de ce ministère, d’après les dispositions de son âme. Disons encore que les premières dignités vont au devant de ceux qui les fuient, et fuient ceux qui les recherchent. Ce qu’il faut désirer, ce n’est donc point un rang plus élevé, mais une vie plus vertueuse. C’est donc pour éteindre l’ambition des deux frères et l’indignation des autres Apôtres, que le Sauveur établit cette différence entre les princes du monde et les chefs de l’Église, et il montre ainsi que le pouvoir ecclésiastique ne doit être ni recherché par celui qui ne l’exerce pas, ni envié à celui qui en est revêtu. Les princes du monde semblent n’être établis que pour faire peser leur domination sur leurs inférieurs, les réduire en servitude, les dépouiller et les exploiter jusqu’à la mort au profit de leur propre gloire et de leur utilité personnelle. Les princes de l’Église, au contraire, ne sont placés à sa tête que pour servir leurs inférieurs, leur distribuer tout ce qu’ils ont reçu de Jésus-Christ, pour veiller aux intérêts des fidèles au détriment de leurs intérêts personnels, et ne point reculer devant la mort même pour les sauver. Il n’est donc ni juste, ni utile de désirer la puissance et les honneurs dans l’Église, car quel est l’homme tant soit peu sage qui voudrait se soumettre de lui-même à une si grande servitude et au danger effrayant de rendre compte pour toute l’Église, à moins qu’il n’ait perdu toute crainte des jugements de Dieu, et qu’il ne veuille faire un abus indigne de la puissance ecclésiastique en la transformant en un pouvoir tout séculier ?

S. Jér. Jésus termine en se proposant comme exemple pour faire rougir par ses actions ceux que ses paroles laisseraient insensibles : « Comme le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi. » — Orig. Les anges et Marthe l’ont servi, il est vrai ; il n’est cependant pas venu pour être servi, mais pour servir, et il poussa si loin cette servitude à l’égard des autres, qu’il accomplit les paroles suivantes : « Et pour donner sa vie en mourant pour la rédemption de plusieurs, » qui ont cru en lui. Mais comme il a été le seul qui fût libre entre les morts (Ps 87), et plus fort que toute la puissance de la mort, il a par là même affranchi de la mort tous ceux qui ont voulu le suivre. Les princes de l’Église doivent donc imiter Jésus-Christ qui se rendait accessible, ne dédaignait pas de parler aux femmes, d’imposer les mains sur les petits enfants, et de laver les pieds à ses disciples pour les engager à en faire autant à leurs frères. Mais, malgré cet exemple, nous offrons dans notre conduite le spectacle d’un orgueil qui va au delà de l’orgueil des princes du monde ; car, soit que nous ne voulions pas comprendre, soit que nous méprisions le précepte de Jésus-Christ, nous voulons, comme les rois de la terre, nous faire précéder par des gardes, nous cherchons à nous rendre redoutables et de difficile accès, surtout à l’égard des pauvres ; nous n’avons pour les autres et nous ne voulons pour nous-mêmes aucune marque d’affabilité.

S. Chrys. (hom. 66.) Donc, à quelque degré que vous puissiez vous humilier, jamais vous ne descendrez aussi bas que votre Sauveur et votre Dieu.

 

vv. 29-34.

S. Chrys. (sur S. Matth.) De même qu’une abondante moisson témoigne en faveur du travail du laboureur, ainsi une nombreuse assemblée est une preuve du zèle de celui qui enseigne : « Et lorsqu’ils sortaient, une foule nombreuse le suivit. » Aucun d’eux ne fut arrêté par les difficultés de la route, car l’amour spirituel n’est point sujet à la fatigue, aucun d’eux ne fut retenu par la pensée de ses intérêts temporels, car ils entraient en possession du royaume des cieux. Celui, en effet, qui a une fois goûté en vérité le bien céleste, ne trouve plus rien sur la terre qui soit digne de son affection. Or, ces deux aveugles se rencontrent très-à propos sur le passage de Jésus-Christ, car, après avoir recouvré la vue, ils le suivront à Jérusalem pour rendre témoignage à sa puissance : « Et voici que deux aveugles, » etc. Ces deux aveugles entendaient les pas de ceux qui marchaient, mais ne pouvaient les voir. Ils n’avaient de libre dans tout leur corps que la voix ; et comme ils ne pouvaient se mettre à la suite du Sauveur, ils l’accompagnent de leurs cris et de leurs supplications : « Et ayant entendu que Jésus passait, » etc.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 2, 56.) Saint Marc raconte ce même fait, mais ne parle que d’un seul aveugle, difficulté dont voici la solution. Des deux aveugles que saint Matthieu comprend dans son récit, l’un était très-connu dans la ville, et ce qui le prouve, c’est que saint Marc a cru devoir nous faire connaître son nom et celui de son père. Ce Bartimée, fils de Timée, était probablement déchu d’une grande fortune et devait à cette circonstance d’être très-connu. Il était non-seulement aveugle, mais encore assis près du chemin comme un mendiant. C’est donc de celui-là seulement que saint Marc a voulu parler, parce que sa guérison eut autant d’éclat que ses malheurs avaient eu de retentissement. Quant à Saint Luc, bien qu’il raconte un fait absolument semblable, il faut admettre qu’il s’agit dans son récit d’un autre aveugle, qui fut l’objet d’un semblable miracle, car il place sa guérison lorsque Jésus approchait de Jéricho, tandis que, suivant les autres Évangélistes, les deux aveugles furent guéris lorsque Jésus sortait de Jéricho.

 

« Et le peuple les reprenait pour les faire taire. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ils voyaient les haillons repoussants dont cet homme était couvert, et, ne considéraient pas l’éclatante beauté de son âme. Voilà bien la sagesse insensée des hommes. Ils s’imaginaient que c’était un outrage pour les grands de recevoir les hommages des pauvres, car, quel est le pauvre qui eut osé saluer en public un riche ? — S. Hil. Ou bien ce n’est point par honneur pour le Sauveur qu’ils font taire ces deux aveugles, mais parce qu’il leur faisait peine d’entendre affirmer par ces aveugles ce qu’ils niaient eux-mêmes, c’est-à-dire que Jésus était fils de David. — Orig. (Traité 13 sur S. Matth.) Ou bien peut-être c’étaient ceux qui croyaient en Jésus-Christ qui reprenaient les aveugles de ne lui donner que le nom trop peu digne fie fils de David, au lieu de dire : « Fils de Dieu, ayez pitié de nous. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Mais la défense qui leur était faite, loin fie leur fermer la bouche ; les excitait davantage. C’est ainsi que la foi s’accroît et se fortifie par la contradiction ; aussi est-elle calme et tranquille parmi les dangers, tandis qu’elle n’est pas sans crainte au milieu de la paix. « Et ils se mirent à crier encore plus haut : Ayez pitié de nous, fils de David. » Ils avaient crié d’abord parce qu’ils étaient aveugles, ils se mettent à crier plus haut encore parce qu’on les empêche d’approcher de la lumière. — S. Chrys. (hom. 66.) Le Sauveur permettait qu’on leur fît cette défense pour faire éclater la vivacité de leurs désirs. Apprenez de là que, quelque soit notre misère et notre abjection, nous obtiendrons par nous-mêmes tout ce que nous demanderons, en nous approchant de Dieu avec ferveur.

 

« Alors Jésus s’arrêta, et, les ayant appelés, » etc. — S. Jér. Le Seigneur s’arrêta, parce que les aveugles ne savaient de quel côté ils devaient se diriger. Il y avait auprès de Jéricho beaucoup d’excavations, d’endroits escarpés pendant en précipices ; le Seigneur s’arrêta donc pour qu’ils pussent venir jusqu’à lui. — Orig. Ou bien le Seigneur ne continue pas son chemin, mais s’arrête pour que le bienfait qu’il va leur accorder ne se répande pas au delà ; mais que la miséricorde coule sur eux comme d’une source permanente et durable. — S. Jér. Il les fait appeler pour que la foule ne les empêche pas d’approcher, et il leur demande ce qu’ils veulent, afin que leur réponse rende évidentes leur infirmité et la puissance qui doit les guérir. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien il leur fait cette demande pour faire connaître leur foi, et, par l’exemple de ces aveugles qui confessent qu’il est le Fils de Dieu. confondre ceux qui voient et ne le regardent que comme un homme. Ils avaient appelé le Christ Seigneur, et en cela ils disaient la vérité ; mais eu ajoutant : Fils de David, ils affaiblissaient la force de leur profession de foi. En effet, on donne aux hommes, par extension et par abus, le nom de seigneur ; mais il n’y a de véritable seigneur que Dieu. Lors donc qu’ils appellent Jésus « Seigneur, fils de David, » ils l’honorent simplement comme homme ; s’ils l’appelaient Seigneur, sans aucune addition, ils confesseraient par là même sa divinité. C’est pourquoi il les interroge en ces termes : « Que voulez-vous que je vous fasse ? » Alors ils ne l’appellent plus : « Seigneur, Fils de David, » mais simplement « Seigneur : » « Et ils lui dirent : Seigneur, que nos yeux s’ouvrent. » En effet, le fils de David ne peut ouvrir les yeux des aveugles ; il n’y a que le Fils de Dieu qui ait cette puissance. Tant qu’ils se sont contentés de dire : « Seigneur, Fils de David, » leur guérison a été comme suspendue ; mais aussitôt qu’ils eurent dit : « Seigneur, » leurs yeux se sont ouverts. En effet, l’Évangéliste ajoute : « Et Jésus, ayant pitié d’eux, toucha leurs yeux. » Il les toucha, comme homme, avec la main, et il les guérit comme Dieu. — S. Jér. Le Créateur leur donne ce que la nature leur avait refusé, ou du moins la miséricorde leur rend ce que la maladie leur avait ôté.

 

S. Chrys. (hom. 56.) La reconnaissance de ces aveugles, après qu’ils eurent reçu cette grâce, égala leur persévérance avant de l’avoir obtenue. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ils offrirent à Jésus-Christ un présent qui lui fut bien agréable, car l’auteur sacré nous apprend qu’ils le suivirent ; c’est là ce que Dieu demande de vous par le prophète : « Marchez avec crainte en présence de votre Dieu. » (Mi 6.) — S. Jér. Ces aveugles, qui étaient assis près de la ville de Jéricho, retenus par leur infirmité et qui ne pouvaient que gémir et crier, suivent maintenant Jésus, moins par le mouvement des pieds que par leurs vertus. — Rab. Jéricho, dont le nom signifie lune, est une figure de l’inconstance humaine. — Orig. Dans le sens mystique, Jéricho signifie le monde, au milieu duquel Notre-Seigneur est descendu. Ceux qui habitent Jéricho ne peuvent sortir de la sagesse du monde avant d’avoir vu non-seulement Jésus, mais encore ses disciples sortir de Jéricho. Or, une foule nombreuse, à la vue de cette guérison miraculeuse, les suivit, pleine de mépris pour le monde et pour les choses du monde, afin de monter, sous la conduite de Jésus-Christ, jusqu’à la Jérusalem céleste. Dans ces deux aveugles, nous pouvons voir les deux peuples de Juda et d’Israël (cf. 3 R 12), qui étaient aveugles avant l’avènement du Christ, parce qu’ils ne voyaient pas la parole de vérité qui était renfermée dans la loi et les prophètes, et parce qu’étant assis le long du chemin de la loi et des prophètes, et n’ayant que l’intelligence charnelle de la lettre, ils élevaient la voix seulement vers celui qui est né de la race de David selon la chair. (Rm 1.) — S. Jér. Ou bien encore, par ces deux aveugles, la plupart entendent les pharisiens et les sadducéens. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 20.) Ou bien, dans un autre sens, ces deux aveugles sont la figure de ceux qui, dans les deux peuples, s’attachent par la foi à l’économie de la vie humaine de Jésus-Christ, par laquelle il est notre voie, et qui désirent d’être éclairés, c’est-à-dire de comprendre quelque chose de l’éternité du Verbe. Or, c’est ce qu’ils espèrent obtenir lorsque Jésus vient à passer, c’est-à-dire par le mérite de la foi, qui reconnaît que le Fils de Dieu s’est fait homme, est né et a souffert pour nous. En effet, d’après cette économie de l’incarnation, Jésus ne fait pour ainsi dire que passer, parce que cette action ne dure qu’un temps. Or, il leur fallait crier assez haut pour dominer le bruit de la foule, qui couvrait leur voix, c’est-à-dire il  leur fallait s’appliquer avec persévérance à la prière, aux saints désirs, pour arriver à vaincre, par la force de l’intention l’habitude des désirs charnels, qui, comme une foule tumultueuse, empêche l’âme de voir la lumière de l’éternelle vérité, ou bien la foule elle-même des hommes charnels qui veulent nous rendre impossibles les exercices spirituels de la prière et de la vertu. — S. Aug. (serm. 18 sur les par. du Seig.) En effet, les mauvais chrétiens et ceux qui vivent dans la tiédeur font de l’opposition aux bons chrétiens qui veulent accomplir les préceptes divins, mais que ceux-ci ne cessent pas de crier sans se lasser ; car tout chrétien qui commence à pratiquer la vertu et à mépriser le monde est sûr de trouver au début de sa conversion des censeurs de sa conduite dans les chrétiens dont la charité s’est refroidie ; mais s’il persévère, il se verra bientôt applaudi et appuyé par ceux-là même qui voulaient d’abord lui créer des obstacles. — S. Aug. (Quest. évang., 5.) Jésus qui a dit : « On ouvrira à celui qui frappe » (Mt 7, Lc 11) les ayant entendus, s’arrête, les touche et ouvre leurs yeux à la lumière. En effet, comme c’est la foi au mystère de l’Incarnation qui s’est accompli dans le temps, qui nous prépare à l’intelligence des choses de l’éternité, lorsque Jésus passe, ils sont avertis que la lumière va leur être rendue, et il s’arrête, en effet, pour leur ouvrir les yeux, car les choses du temps passent et celles de l’éternité sont immuables. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il en est qui voient dans les deux aveugles deux sortes de Gentils, issus, les uns de Cham, les autres de Japhet. « Ils étaient assis le long du chemin, » c’est-à-dire qu’ils étaient proches de la vérité, sans pouvoir la trouver ; ou bien ils conformaient leur vie aux préceptes du Verbe, mais sans se diriger d’après les principes surnaturels du Verbe, parce qu’ils n’avaient pas encore reçu la connaissance du Verbe. — Rab. Mais aussitôt qu’ils apprirent la grande réputation de Jésus-Christ, ils cherchèrent à s’attacher à lui, et c’est alors qu’ils trouvèrent de nombreux contradicteurs ; d’abord dans les Juifs, comme nous le lisons dans les Actes et puis dans les Gentils qui suscitèrent contre eux une persécution encore plus violente, sans que tous leurs efforts aient pu priver du salut ceux qui étaient prédestinés à la vie. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est donc les yeux du cœur que le Sauveur toucha en donnant aux Gentils, et aussitôt qu’ils furent éclairés ils ont marché à sa suite par la pratique des bonnes oeuvres. — Orig. Et nous aussi, qui sommes assis le long du chemin des Écritures et qui comprenons sous quel rapport nous sommes aveugles, si nous prions par amour de la vérité, Jésus touchera les yeux de notre âme et les ténèbres de l’ignorance se retireront de notre esprit pour nous laisser voir et suivre celui qui ne nous a rendus à la lumière que pour nous permettre de marcher à sa suite.