L'EXPLICATION SUIVIE DE L’EVANGILE DE SAINT MARC

PAR SAINT THOMAS

 

Explication suivie

des

QUATRE EVANGILES

par le docteur angélique

Saint Thomas d’Aquin

 

composée des interprètes grecs et latins, et surtout des ss. Pères

admirablement coordonnés et enchaînés

de manière à ne former qu’un seul texte suivi et appelé à juste titre

la

 

CHAINE D’OR

 

Edition où le texte corrigé par le P. Nicolaï a été revu avec le plus grand soin sur les textes originaux grecs et latins

 

TRADUCTION NOUVELLE

par

M. L’ABBE J.-M. PERONNE

Chanoine titulaire de l’Eglise de Soissons, ancien professeur d’Ecriture sainte et d’éloquence sacrée

 

Tome premier

 

PARIS

LIBRAIRIE DE LOUIS VIVÈS, ÉDITEUR

rue Delambre, 9

1868

 

cf. reproduction offset aux « Editions pamphiliennes », rue St. Louis, F 84400 Saignon

 

 

PRÉFACE.. 4

CHAPITRE PREMIER. 6

Vv. 2-3. 6

Vv. 4-8. 8

Vv. 9-11. 11

Vv. 12, 13. 12

Vv. 14, 15. 14

Vv. 21, 22. 16

Vv. 23-28. 17

Vv. 29-31. 18

Vv. 32-34. 19

Vv. 35-39. 20

Vv. 40-45. 20

CHAPITRE II 23

Vv. 1-12. 23

Vv. 13-17. 26

Vv. 18-22. 27

Vv. 23-28. 29

CHAPITRE IIl 31

Vv. 1-5. 31

Vv. 6-12. 32

Vv. 13-19. 34

Vv. 20-22. 36

Vv. 23-30. 37

Vv. 30-35. 38

CHAPITRE IV.. 39

Vv. 1-20. 39

Vv. 21-25. 43

Vv. 26-29. 45

Vv. 30-34. 46

Vv. 35-40. 47

CHAPITRE V.. 48

Vv. 1-20. 48

Vv. 21-34. 52

Vv. 35-43. 54

CHAPITRE VI 56

Vv. 1-6. 56

Vv. 7-13. 58

Vv. 14-16. 60

Vv. 17-19. 61

Vv. 30-35. 63

Vv. 35-44. 64

Vv. 45-52. 66

Vv. 53-56. 68

CHAPITRE VII 69

Vv. 1-13. 69

Vv. 14-20. 70

Vv. 24-30. 72

Vv. 31-37. 74

CHAPITRE VIII 76

Vv. 1-9. 76

Vv. 10-21. 78

Vv. 22-26. 80

Vv. 27-33. 81

Vv. 34-39. 83

CHAPITRE IX.. 85

Vv. 1-7. 85

Vv. 8-12. 88

Vv. 13-28. 90

Vv. 29-36. 93

Vv. 37-42. 94

Vv. 42-49. 97

CHAPITRE X.. 99

Vv. 1-12. 99

Vv. 13-16. 102

Vv. 17-27. 103

Vv. 28-31. 106

Vv. 32-34. 107

Vv. 35-40. 108

Vv. 41-45. 109

Vv. 46-52. 110

CHAPITRE XI 113

Vv. 1-11. 113

Vv. 12-14. 116

Vv. 15-19. 117

Vv. 20-26. 119

Vv. 27-33. 120

CHAPITRE XII 121

Vv. 1-12. 121

Vv. 13-17. 124

Vv. 18-27. 125

Vv. 28-34. 126

Vv. 35-37. 127

Vv. 38-40. 128

Vv. 41-44. 129

CHAPITRE XIII 130

Vv. 1-3. 130

Vv. 3-8. 131

Vv. 9-13. 132

Vv. 14-20. 133

Vv. 21-27. 135

Vv. 28-31. 137

Vv. 32-37. 138

CHAPITRE XIV.. 139

Vv. 1-2. 140

Vv. 3-9. 140

Vv. 10-11. 143

Vv. 12-16. 144

Vv. 17-2I. 145

Vv. 22-25. 146

Vv. 26-31. 148

Vv. 32-42. 150

Vv. 43-52. 152

Vv. 53-60. 154

Vv. 61-65. 155

Vv. 66-72. 157

CHAPITRE XV.. 158

Vv. 1-5. 158

Vv. 6-15. 159

Vv. 16-20. 160

Vv. 21-28. 161

Vv. 29-32. 165

Vv. 33-38. 166

Vv. 39-41. 167

Vv. 42-47. 168

CHAPITRE XVI 170

Vv. 1-8. 170

Vv. 9-13. 174

Vv. 14-18. 176

Vv. 19-20. 178

 

PRÉFACE

 

Le prophète Isaïe prédit clairement la vocation des Gentils et ce qui devait être la cause de leur salut, lorsqu'il dit : " Mon Dieu est devenu ma force et il a dit : C'est peu que tu sois, mon serviteur pour réveiller de leur assoupissement les tribus de Jacob, et pour convertir les restes d'Israël. Je t'ai établi la lumière des nations, et le salut que j'envoie jusqu'aux extrémités delà terre. " — S. Jér. (Ps 21) Nous voyons dans ces paroles que Jésus-Christ est appelé le serviteur de Dieu en tant qu'il a été formé dans le sein d'une femme, car nous lisons un peu auparavant : " Voilà ce que dit le Seigneur, lui qui m'a formé dès le sein de ma mère pour être son serviteur. " La volonté du Père était que ces vignerons pervers fissent bon accueil à son Fils qu'il leur envoyait, et c'est d'eux que Jésus-Christ parlait lorsqu'il disait à ses disciples : " N'allez pas dans le chemin des Gentils, mais allez plutôt aux brebis perdues de la maison d'Israël. " Mais comme le peuple d'Israël n'a pas voulu revenir à Dieu, le Fils de Dieu s'adresse en ces termes aux Juifs incrédules : " Mon Dieu est devenu ma force, et il m'a consolé de la tristesse que m'a causée l'abandon de mon peuple. Et il m'a dit : Ce n'est point assez que vous me serviez pour relever les tribus de Jacob (qui sont tombées par leur faute) et pour convertir la lie, c'est-à-dire, les tristes restes d'Israël. Je vous ai établi en échange pour être la lumière de toutes les nations pour éclairer le monde entier, et faire parvenir jusqu'aux extrémités de la terre le salut que j'envoie aux hommes. " — La Glosé. Des paroles qui précèdent, nous pouvons conclure deux choses : la première, c'est la puissance divine qui était en Jésus-Christ et qui lui donna la force d'éclairer toutes les nations : " Mon Dieu est devenu ma force. " Dieu était donc dans Jésus-Christ pour se réconcilier le monde, comme l'Apôtre le dit aux Corinthiens : " L'Evangile qui sauve ceux qui croient, est donc la force de Dieu pour tout croyant, " comme le même Apôtre l'écrit aux Romains. La seconde chose à conclure, c'est que toutes les nations ont été éclairées, et le monde sauvé par Jésus-Christ d'après une disposition particulière de Dieu le Père, et qui se trouve exprimée dans ces paroles : " Je t'ai établi pour être la lumière des nations. " Aussi est-ce pour accomplir cette volonté de son Père, que le Seigneur, après sa résurrection, envoie les uns prêcher l'Evangile aux Juifs, et les autres aux Gentils. Mais comme l'Evangile ne devait pas être seulement prêché pour ceux qui vivaient alors, mais qu'il devait être écrit pour les générations à venir, la même différence s'observe à l'égard des Evangélistes, car saint Matthieu écrivit son Evangile en hébreu pour les Juifs, et saint Marc l'écrivit le premier pour les Gentils.

Eusèbe. Lorsque la lumière éclatante du Verbe de Dieu se fut levée sur la ville de Rome, la parole de vérité et de lumière que prêchait saint Pierre, remplissait les âmes de tous les fidèles d'une clarté paisible, et quoiqu'ils l'entendissent tous les jours, ils n'en étaient jamais rassasiés. Aussi ne leur suffisait-il pas de l'entendre, ils conjurèrent donc Marc, son disciple, d'écrire les prédications de son maître pour qu'ils pussent en conserver le souvenir et les méditer en toute circonstance, et ils ne cessèrent leurs prières qu'après avoir obtenu ce qu'ils demandaient. Tel fut le motif qui porta saint Marc à écrire l'Evangile qui porte son nom. Lorsque saint Pierre vit que l'Esprit saint l'avait ainsi dépouillé par un pieux larcin, il fut dans la joie, et voyant dans ce fait une preuve de la foi et de la piété des fidèles, il approuva cet Evangile écrit et le donna aux Eglises pour y être lu à jamais.

S. Jér. Saint Marc commence par la prédication de Jésus-Christ, lorsqu'il fut arrivé à l'âge parfait, et comme il traite de la perfection du Fils de Dieu, il ne s'arrête pas à décrire sa naissance comme petit enfant.

S. Chrys. Le récit de saint Marc est court et abrégé, et en cela il imite son maître saint Pierre, dont le style est toujours concis. — S. Aug. Saint Matthieu, qui avait pour but de montrer surtout le caractère royal de la personne de Jésus-Christ, s'est adjoint comme suivant, et comme abréviateur, saint Marc, pour marcher en quelque sorte sur ses traces, car les rois ne vont jamais sans avoir des personnes à leur suite. Au contraire, comme le grand-prêtre entrait seul dans le saint des saints, l'Evangéliste saint Luc, qui s'est appliqué à faire ressortir le caractère sacerdotal de Jésus-Christ, n'a pas eu de compagnon à son service pour abréger son récit.

Bède. Il faut remarquer également que les saints Evangélistes ont terminé chacun leur récit comme ils l'avaient commencé d'une manière différente. Saint Matthieu commence par la naissance du Seigneur, et conduit son récit jusqu'à sa résurrection. Saint Marc débute par le commencement de la prédication du Sauveur, et va jusqu'à son ascension, et jusqu'à la prédication de ses disciples par tout l'univers. Saint Luc commence son récit par la naissance du Précurseur, et le termine par l'ascension du Seigneur. Saint Jean ouvre son Evangile, en remontant jusqu'à l'éternité du Verbe de Dieu, et continue son récit jusqu'à la résurrection du Sauveur. — S. Ambr. C'est avec raison que saint Marc, qui commence son Evangile par la description de la puissance divine, nous est représenté sous la figure d'un lion. — RemI. Il nous est peint encore sous cette figure, parce que semblable au lion qui fait retentir le désert de ses terribles rugissements , saint Marc commence par ces paroles : " Voix de celui qui crie dans le désert. " — S. AUG. Cependant on peut expliquer différemment ces symboles ; saint Marc, qui ne s'est proposé, ni de raconter l'origine royale de Jésus-Christ, comme saint Matthieu (qui pour cela est figuré par le lion), ni sa descendance sacerdotale comme saint Luc (qui nous est figuré par le bœuf), ni sa parenté ou sa consécration, mais qui paraît avoir voulu raconter ce que Jésus-Christ a fait comme homme, nous est représenté sous la figure d'un homme dans le tableau symbolique des quatre animaux. — Théophyl. Ou bien l'Evangile de saint Marc est figuré par l'aigle, car il le commence par la prophétie, qui a pour objet Jean-Baptiste, et la prophétie, comme l'aigle, embrasse dans son regard perçant les choses les plus éloignées.

 

EXPLICATION

SUIVIE

DES QUATRE ÉVANGILES

PAR SAINT THOMAS

LE

SAINT ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST

SELON SAINT MARC

 

CHAPITRE PREMIER.

 

V. 1.

S. Jér. (Prolog.) L'évangéliste saint Marc exerçait les fonctions du sacerdoce en Israël. Il était issu de la tribu de Lévi. Après sa conversion au Seigneur, il écrivit son Evangile en Italie. Il y fait ressortir ce que Jésus-Christ devait à sa race. Car en commençant son récit par la parole du prophète, il montre le choix que Dieu fit de l'ordre lévitique, lorsqu'il nous annonce la venue de Jean, fils de Zacharie, que Dieu envoya comme un ange devant le Sauveur. — " Commencement de l'Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. " — S. Jér. Le mot évangile vient du grec, et signifie bonne nouvelle, parce qu'il se rapporte dans son sens propre au royaume de Dieu et à la rémission des péchés ; car c'est par l'Evangile que sont venues la rédemption des saints et la félicité des saints. Les quatre Evangiles n'en font qu'un, et un seul les renferme tous les quatre. Le mot hébreu Jésus correspond au mot grec soter σωτήρ, et au mot latin salvator qui veut dire Sauveur ; et le mot Christ est un mot grec χριστός qui veut dire en hιbreu Messie, et en latin, unctus ou oint, c'est-à-dire roi et prêtre. — Bède. Il faut comparer le commencement de cet Evangile avec le commencement de l'Evangile de saint Matthieu. Ce dernier s'exprime ainsi : " Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de David, Fils d'Abraham, " tandis que saint Marc l'appelle Fils de Dieu; car Nôtre-Seigneur possède les deux natures, et il est à la fois Fils de Dieu et Fils de l'homme. Or, c'est par un dessein plein de sagesse que le premier Evangéliste l'appelle Fils de l'homme, tandis que le second le proclame Fils de Dieu, afin que notre esprit s'élevât peu à peu aux vérités d'un ordre supérieur, et parvînt par la foi au mystère de l'incarnation, jusqu'à la connaissance des mystères de la divine éternité. Il était également convenable, que celui qui devait décrire la génération humaine de Jésus-Christ, le présentât d'abord comme Fils de l'homme, c'est-à-dire de David et d'Abraham ; et que saint Marc, dont l'Evangile s'ouvrait par le commencement de la prédication de Jésus-Christ, l'appelât Fils de Dieu ; car il appartenait à la nature humaine de prendre une chair véritable en sortant de la race des patriarches, et il était réservé à la puissance divine d'annoncer l'Evangile au monde. — S. hil. Ce n'est point par le nom seul qu'il atteste que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, mais parce qu'il en a la nature et les attributs. Nous sommes aussi les enfants de Dieu, mais le Fils de Dieu ne l'est pas de la munie manière ; car il est le vrai, le propre Fils de Dieu, par origine et non par adoption, en réalité ; et non-seulement par le nom qu'il porte ; par sa naissance et non par création.

Vv. 2-3.

bède. Saint Marc, avant de commencer le récit des faits évangéliques, cite les témoignages des prophètes pour établir dans tous les esprits, sans y laisser l'ombre de doute, l'autorité des faits qu'il va raconter, en démontrant que les prophètes les ont prédits par avance. En même temps, par ce seul et même exorde, il prépare les Juifs qui avaient reçu la loi et les prophètes, à recevoir aussi la grâce de l'Evangile, et les mystères qui annonçaient leurs prophéties. En même temps, il dispose les Gentils qui sont venus à Jésus-Christ par la prédication de l'Evangile, à reconnaître et à vénérer l'autorité de la loi et des prophètes. Voilà pourquoi il ajoute : " Comme il est écrit dans le prophète Isaïe : Voici que j'envoie, " etc. — S. jér. (lettre 101 à Pammachius.) Ces dernières paroles ne sont pas d'Isaïe, mais du prophète Malachie, le dernier des douze prophètes. L'Evangéliste réunit ici on une seule deux prophéties diverses qui se trouvent dans deux prophètes différents. Ainsi dans le prophète Isaïe, après l'histoire d'Ezéchias, on lit ces paroles : " Voix de celui qui crie dans le désert, " et ces autres dans le prophète Malachie : " Voilà que j'envoie mon ange. " Saint Marc, coupant pour ainsi dire ces deux prophéties, les donne comme venant d'Isaïe, et n'en forme qu'un seul témoignage, sans dire à quel prophète il emprunte ces dernières paroles : " Voilà que j'envoie mon ange. " — S. AUG. Comme il savait que toute chose doit être rapportée à son auteur, il attribue cette citation à Isaïe, parce qu'il en avait le premier indiqué le sens. Aussi dès qu'il a cité les paroles du prophète Malachie, il ajoute aussitôt : " Voix de celui qui crie dans le désert, " afin "le réunir sous le nom de premier prophète, ces deux témoignages qui présentent la même pensée. — bède. Ou bien, on peut donner cette autre explication, que ces paroles ne se trouvent pas textuellement dans Isaïe, mais qu'on en trouve le sens dans un grand nombre de passages de ce prophète, et surtout dans celui que cite saint Marc : " Voix de celui qui crie dans le désert. " Car ce que dit Malachie que Dieu enverra un ange devant la face du Seigneur pour lui préparer la voie, c'est ce que dit Isaïe lui-même en recommandant d'écouter la voix qui crie dans le désert : " Préparez la voie du Seigneur. " Des deux côtés, ce qui est recommandé, c'est de préparer la voie du Seigneur, il a pu se faire aussi qu'au moment où saint Marc écrivait son Evangile, le nom d'Isaïe se soit présenté à son esprit pour celui de Malachie, comme il arrive quelquefois ; et saint Marc au mit certainement corrigé cette faute sur l'observation de ceux qui ont pu lire son Evangile de son vivant, s'il n'avait réfléchi que ce n'était pas sans raison que le nom d'un prophète s'était présenté pour un autre à son souvenir, dirigé par l'Esprit saint; car Dieu nous apprend ainsi que dans toutes les prophéties que le Saint-Esprit a dictées aux prophètes, ce qui appartient à l'un appartient à tous et réciproquement. — S. jér. C'est donc par Malachie que la voix du Père se fait entendre au Fils qui est l'image du Père, et par lequel il s'est fait connaître aux hommes.

bêde. Le nom d'ange est donné à Jean, non pas qu'il en ait eu la nature, selon l'erreur d'Origène, mais parce qu'il en a rempli les sublimes fonctions. En effet, le mot grec ange άγγελος se traduit en latin par nuntius ou envoyé, et on a pu très bien donner ce nom à celui qui a été envoyé pour rendre témoignage à la lumière, et annoncer au monde le Seigneur qui venait s'y incarner, puisqu'il est certain qu'on peut légitimement donner le nom d'anges à ceux qui sont revêtus du sacerdoce, à cause du pouvoir qu'ils ont reçu d'annoncer l'Evangile, d'après ces paroles du prophète Malachie : " Les lèvres du prêtre garderont la science, et l'on recherchera la loi de sa bouche, parce qu'il est l'ange du Seigneur des armées. " — théop. Le nom d'ange est donc donné au Précurseur de Jésus-Christ, à cause de sa vie tout angélique, et de sa sublime dignité. Ces paroles : " Devant votre face, " signifient : Votre envoyé est près de vous, ce qui prouve combien le Précurseur touchait de près à Jésus-Christ ; car ceux-là seuls sont admis à marcher aux côtés des rois, qui tiennent de plus près à leur personne. " II préparera la voie devant vous. " C'est en effet par le baptême qu'il a préparé les âmes des Juifs à recevoir Jésus-Christ. — S. jér. Ou bien la voie par laquelle le Seigneur entre dans le cœur de l'homme c'est la pénitence, c'est pour cela que saint Jean prend pour exorde de sa prédication ces paroles : " Faites pénitence. "

bède. De même que Jean-Baptiste a pu être appelé l'ange du Seigneur, parce qu'il lui a préparé les voies par la prédication, il a pu aussi être appelé la voix, parce qu'il précédait le Verbe de Dieu en faisant retentir sa voix : " Voix de celui qui crie, " etc. C'est une vérité certaine, en effet, que le Fils unique de Dieu s'appelle le Verbe du Père, et nous savons, d'après notre manière de parler, que la voix doit commencer par retentir pour que la parole puisse se faire entendre. — Il est appelé la voix de celui qui crie, parce que le cri s'adresse à ceux qui sont sourds et éloignés, ou parce qu'il est l'expression de l'indignation. Or, c'est ce qui s'est vérifié pour le peuple juif, selon ces paroles du Roi-prophète : " Le salut est loin des pécheurs, " et ils ont été comme les aspics qui se rendent sourds en se bouchant les oreilles, " et ils ont ainsi mérité d'entendre de la bouche de Jésus-Christ des paroles d'indignation, de colère et de tribulation. — S. chrys. Le prophète ajoute : " Dans le désert, " pour établir clairement que les vérités divines ne devaient pas être annoncées dans Jérusalem, mais dans le désert, ce qui s'accomplissait à la lettre dans la personne de Jean-Baptiste, qui annonçait la présence salutaire du Verbe de Dieu dans le désert situé sur les bords du Jourdain. Cette prophétie nous apprend encore qu'outre le désert que Moïse fit connaître au peuple de Dieu, et au milieu duquel il lui traçait un chemin, il y en avait un autre où il annonçait la présence du salut que Jésus-Christ venait apporter au monde. — S. jér. Ou bien cette voix et ce cri se font entendre dans le désert, parce que les Juifs étaient abandonnés par l'esprit de Dieu, comme une maison vide et balayée (Mt 12 ; Lc 11), et qu'ils étaient d'ailleurs sans roi, sans prêtre, sans prophète.

bède. Mais que criait-il ainsi à haute voix ? " Préparez les voies du Seigneur, rendez droits ses sentiers. " Tout homme qui prêche la vraie doctrine et la pratique des bonnes œuvres, que fait-il autre chose que de préparer la voie au Seigneur dans le cœur de ceux qui l'écoutent, pour qu'il les pénètre par l'efficacité de sa grâce, et qu'il les éclaire par la lumière de sa vérité. Il rend aussi droits les sentiers, lorsque par sa parole il engendre de bonnes pensées dans l'âme de ses auditeurs. — S. jér. Ou bien dans un autre sens : " Préparez la voie du Seigneur, " c'est-à-dire : Faites pénitence et prêchez : " Rendez droits ses sentiers, " c'est-à-dire qu'en marchant par la voie royale, nous devons aimer le prochain comme nous-mêmes, et nous-mêmes comme le prochain. Ceux qui s'aiment eux-mêmes, sans aimer leur prochain, se jettent à droite de la voie. Il en est, en effet, beaucoup dont la vie est irréprochable, mais qui négligent la correction des autres, comme fut Héli (cf. 1 R 8), par exemple. Celui, au contraire, qui se hait soi-même sans aimer le prochain, se jette à gauche de la voie, car il en est aussi beaucoup qui savent bien corriger les autres, mais qui ne se reforment pas eux-mêmes, tels étaient les scribes et les pharisiens. Or, les sentiers font suite à la voie, c'est-à-dire que les préceptes moraux ne peuvent être expliqués et aplanis qu'après la pénitence. — théophyl. Ou bien, la voie c'est le Nouveau Testament, et les sentiers, l'Ancien Testament semblable à un chemin battu. Il était nécessaire, en effet, de préparer la voie; c'est-à-dire le Nouveau Testament, et de rendre droits les sentiers de l'Ancien Testament.

Vv. 4-8.

S. jér. Selon la prophétie d'Isaïe qui précède, Jean prépare la voie du Seigneur par la foi, le baptême et la pénitence. Il rend droits les sentiers, par cet extérieur austère, ce vêtement de poils de chameau, cette ceinture de cuir, ces sauterelles et ce miel sauvage et ce langage plein d'humilité. Aussi, est-il écrit : " Jean parut dans le désert, " car Jean, aussi bien que Jésus cherche ce qui a été perdu dans le désert, lui-même, où Satan a remporté la victoire, il est vaincu à son tour ; l'homme se relève là où il est tombé. Jean signifie grâce de Dieu, or, c'est par la grâce que commence ce récit évangélique. En effet, le mot qui suit est celui-ci : baptisant ; et c'est par le baptême que la grâce nous est donnée, puisqu'il remet gratuitement les péchés. Mais ce qui est consommé par l'Epoux c'est le paranymphe de l'Epoux qui le commence. Ainsi les catéchumènes, c'est-à-dire, ceux que l'on instruit, reçoivent-ils du prêtre les premiers éléments de la foi, et de l'évêque l'onction du saint-chrême, et c'est là ce qu'expriment les paroles suivantes : " Il prêchait le baptême de la pénitence. " — bède. Il est évident que Jean n'a pas seulement prêché le baptême de la pénitence, mais qu'il l'a administré à un certain nombre ; mais il n'a pu donner le baptême pour la rémission des péchés, car la rémission des péchés ne nous est accordée que dans le baptême de Jésus-Christ. II est donc écrit : " II prêchait le baptême de la pénitence " pour la rémission des péchés, parce que ne pouvant donner le baptême qui remet véritablement les péchés, il en était du moins le prédicateur ; et de même qu'il était le précurseur du Verbe incarné par sa prédication, ainsi il précédait et figurait par son baptême, qui ne pouvait remettre le péché, le baptême de la pénitence où les péchés nous sont pleinement remis. — thEophyl. Ou bien encore : Quoique le baptême de Jean ne pût remettre les péchés, cependant il les conduisait à la pénitence. Il prêchait donc son baptême de pénitence, et cette prédication conduisait à la rémission des péchés. En d'autres termes, ceux qui recevaient Jésus-Christ avec des sentiments de pénitence, le recevaient pour la rémission de leurs péchés.

S. jér. C'est par Jean, en sa qualité d'ami de l'époux que l'épouse est présentée à Jésus-Christ comme autrefois Rébecca fut présentée à Isaac par Eliézer, son intendant (Gn 24) : " Et toute la Judée, continue l'Evangéliste, sortait pour venir à lui, " car la gloire et la louange marchent devant lui (Ps 95, 6), c'est-à-dire, devant l'Epoux. Celle en effet qui se hâte de descendre de son chameau, c'est l'Eglise qui maintenant s'abaisse et s'humilie à la vue du véritable Isaac, Jésus-Christ son époux. Le mot Jourdain, signifie descente étrangère, parce que étrangers à l'égard de Dieu, éloignés de lui par l'orgueil, mais humiliés dans les eaux du baptême, nous sommes relevés jusqu'aux cieux.— bède. Ce qui suit : " Confessant leurs péchés, " enseigne clairement, à ceux qui désirent le baptême, l'obligation de confesser leurs péchés, et de promettre de mener une vie plus sainte.

S. chrys. Jean qui prêchait le baptême de la pénitence, en portait les signes dans son vêtement comme dans sa nourriture. " Et Jean était vêtu de poils de chameau. " Il était vêtu de poils de chameau et non de laine. Les poils de chameau sont la marque de l'austérité du vêtement, la laine signifie plutôt une vie molle et sensuelle. La ceinture de cuir qu'il portait comme Elie, est le symbole de la mortification (cf. 4 R 1). Et ce qui suit : " II se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage, " annonce un habitant du désert, qui ne recherche pas les mets délicieux, mais qui satisfait simplement aux nécessités de la vie matérielle. — S. jér. Le vêtement de Jean, sa nourriture, tout son genre de vie représente la vie austère des prédicateurs, et la vocation future des nations au bienfait de la grâce divine dont Jean est le symbole par son nom aussi bien que leur union intérieure et extérieure avec Jésus-Christ, car les poils de chameau signifient les riches parmi les nations ; et la ceinture de cuir, les pauvres qui sont morts au monde ; les sauterelles vagabondes, ce sont les vrais sages du siècle qui, abandonnant aux Juifs leurs pailles arides, emportent comme sur leurs chars, le froment mystérieux, et, dans l'ardeur de leur foi, s'élancent vers les hauteurs. Par le miel sauvage, il faut entendre les fidèles saintement inspires qui s'engraissent du produit d'une forêt inculte. — théophyl. Ou bien : Le vêtement de poils de chameau était le signe extérieur de la douleur qui, comme l'insinue Jean-Baptiste, doit pénétrer un cœur pénitent, car le sac ou le cilice est le symbole de la douleur. La ceinture signifiait la mortification du peuple juif. La nourriture de Jean n'est pas seulement la preuve de son abstinence, mais encore de l'aliment spirituel dont le peuple se nourrissait alors, non qu'il pût encore élever bien haut ses pensées, mais il essayait de s'élever et il retombait bien vite à terre. Ainsi en est-il de la sauterelle qui saute et retombe aussitôt. Le peuple se nourrissait à ta vérité d'un miel composé par les abeilles, c'est-à-dire, par les prophètes, mais sans être préparé et à l'état sauvage, car les Juifs avaient bien les Ecritures, comme un miel précieux, mais ils n'en avaient qu'une faible intelligence.

S. grég. (Moral., 31, 12). Ou bien, par ce genre de nourriture, Jean-Baptiste figurait le Seigneur dont il était le précurseur. En effet, lorsqu'il est venu pour nous racheter, la gentilité stérile jusqu'alors, fut à sa bouche comme un miel sauvage, et lorsqu'il s'est incorporé la nation juive, il s'est nourri en quelque sorte de sauterelles qui s'élancent par bonds subits et retombent soudain à terre. Les Juifs, en effet, semblaient vouloir s'élancer lorsqu'ils promettaient d'accomplir les préceptes du Seigneur, mais ils retombaient à terre, lorsque par leurs œuvres, ils reniaient ces divins oracles, c'est-à-dire qu'ils bondissaient en paroles, et qu'ils retombaient à terre par leurs œuvres. — bède. Le vêtement et la nourriture de Jean peuvent aussi exprimer la nature de sa vie intérieure. Il portait des vêtements grossiers et austères parce qu'il ne flattait pas les pécheurs dans leur conduite déréglée, mais les reprenait par de rigoureuses invectives; il portait une ceinture de cuir autour des reins parce qu'il crucifia sa chair avec ses vices et ses convoitises (Ga 5, 24). Il mangeait du miel sauvage, parce que sa prédication respirait je ne sais quelle douceur qui ravissait la multitude, et lui faisait croire qu'il était peut-être le Christ (Lc 3) ; mais cette prédication eut un résultat plus désirable et le peuple finit par comprendre qu'il n'était pas le Christ, mais le précurseur et le prophète du Christ. Et, en effet, la qualité du miel, c'est la douceur, le propre des sauterelles, c'est un vol rapide. L'Evangéliste ajoute : " Et il prêchait ainsi : II en vient un après moi qui est plus puissant que moi. " — la glose. Il tient ce langage pour combattre l'opinion de la foule qui croyait qu'il était le Christ, et il annonce que le Christ est plus puissant que lui, parce qu'il remettrait les pêches, ce qu'il ne pouvait faire lui-même. — S. jér. Quel est celui qui est plus puissant que la grâce qui lave et efface les péchés (et dont Jean est le symbole), celui qui remet les péchés septante fois sept fois (Mt 18, 21 ; 3 ; Ap 7, 4 ; 14, 1). La grâce du baptême apparaît la première, il est vrai, mais elle ne remet les péchés qu'une fois, tandis que la miséricorde s'exerce à l'égard des pécheurs depuis Adam jusqu'à Jésus-Christ pendant soixante-dix-sept générations et sur cent quarante-quatre mille personnes.

S. chrys. On aurait pu le soupçonner en parlant ainsi de vouloir se comparer à Jésus-Christ, il ajoute donc : " Lui dont je ne suis pas digne, etc. " Or, délier sa chaussure comme le dit ici saint Marc, n'est pas la même chose que de porter sa chaussure, selon l'expression de saint Matthieu. Et, en effet, les Evangélistes suivant le cours de leur récit, et sans se tromper en quoique ce soit, disent que saint Jean a employé ces deux termes qui ont un sens différent. Les commentateurs l'expliquent l'un et l'autre de plusieurs manières : la courroie ce sont les cordons qui retiennent la chaussure ; il use de cette expression pour faire ressortir l'excellence du pouvoir du Christ, et la grandeur de sa divinité comme s'il disait : " Je ne suis pas digne d'être rangé au nombre de ses serviteurs. " C'est une grande faveur, en effet, de se prosterner en quelque sorte aux pieds du Christ, pour étudier ce qui a rapport à sa nature corporelle, pour considérer ici-bas l'image de ses perfections divines, et dénouer (pour ainsi dire), chacune des merveilles inexplicables du mystère de l'Incarnation. — S. jér. La chaussure se place à l'extrémité du corps : ainsi le Sauveur s'est incarné pour accomplir toute justice, à l'extrémité des temps. C'est pour cela que le Prophète dit (Ps. 49 ; 107) : " J'étendrai mes pas jusqu'à l'Idumée. " — S. grég. La chaussure se fait avec la dépouille d'animaux morts : ainsi le Seigneur venant dans le monde, par son incarnation, apparaît pour ainsi dire avec cette chaussure, Lui qui a élevé jusqu'à sa divinité la dépouille de notre nature mortelle corruptible. Dans un autre sens : c'était un usage chez les anciens que lorsqu'un homme refusait de recevoir pour épouse celle qui lui revenait de droit, son plus proche parent l'épousait alors par droit de parenté, et lui déliait la chaussure. Jean-Baptiste se déclare donc à juste titre indigne de dénouer les cordons de la chaussure du Sauveur, comme s'il disait ouvertement : Je ne puis délier la chaussure du Christ, parce que je me reconnais indigne de prendre le titre d'époux. — théophyl. On peut encore l'entendre ainsi : Tous ceux qui venaient trouver Jean-Baptiste et qui recevaient son baptême, étaient délivrés des liens de leurs péchés par la pénitence, et en vertu de leur foi en Jésus-Christ. Jean-Baptiste dénouait donc les cordons, c'est-à-dire les liens du péché" mais il ne put dénouer la chaussure de Jésus-Christ parce qu'il ne trouva pas en lui l'ombre même du péché.

bède. Saint Jean ne proclame point encore la divinité, la filiation divine du Seigneur, mais il le présente seulement comme un homme plus puissant que lui ; car ses auditeurs, encore grossiers, ne pouvaient pénétrer les profondeurs d'un si grand mystère et comprendre que le Fils éternel de Dieu eût daigné se faire homme dans le sein d'une vierge, et prendre une seconde naissance pour venir dans le monde ; mais il fallait les initier peu à peu, par la connaissance de son humanité glorifiée, à la foi de son éternelle divinité. Néanmoins, il leur déclare en termes voilés que celui qu'il annonce est véritablement Dieu, en leur disant : " Je vous baptise dans l'eau ; mais lui vous baptisera dans le Saint-Esprit, " car qui peut douter qu'un autre que Dieu puisse donner la grâce de l'Esprit saint. — S. jér. Quel rapport y a-t-il donc entre l'eau et le Saint-Esprit qui était porté sur les eaux ? (Gn 1) L'eau, c'est le signe mystérieux de l'homme ; l'Esprit, c'est le signe mystérieux de Dieu. — bède. Nous sommes baptisés dans l'Esprit saint, non seulement lorsqu'au jour du baptême nous sommes purifiés de nos péchés dans cette source, de vie , mais chaque jour, lorsque, parla grâce de ce même Esprit, nous sommes enflammés d'un saint zèle pour l'accomplissement de la volonté de Dieu.

Vv. 9-11.

S. jér. L'évangéliste saint Marc, comme le cerf qui aspire aux sources d'eaux vives, bondit dans la plaine et sur le sommet des collines; comme l'abeille ruisselante de miel effleure et déguste le sommet des fleurs, et il nous montre aussitôt Jésus qui vient de Nazareth : " Et il arriva qu'en ces jours-là, " etc. — S. chrys. Jésus-Christ devait instituer un autre baptême ; cependant il vient recevoir celui de Jean qui, rapproché du sien, était bien incomplet, et qui d'ailleurs différait du baptême des Juifs et tenait pour ainsi dire le milieu entre ces deux baptêmes. Il voulait nous apprendre, par la nature même de ce baptême, qu'il n'était point baptisé pour la rémission des péchés, ni comme ayant besoin de recevoir le Saint-Esprit; car le baptême de Jean ne conférait aucune de ces deux grâces. Mais il fut baptisé pour se faire connaître à tous, afin que tous pussent croire en lui et pour accomplir toute justice, c'est-à-dire les préceptes du Seigneur, puisqu'ils commandaient entre autres choses de recevoir le baptême du Prophète. — bède. Il fut baptisé d'une part pour sanctionner, par l'autorité de son exemple, le baptême de Jean ; il voulut aussi sanctifier l'eau du Jourdain et signifier par la descente de la colombe la venue du Saint-Esprit dans les eaux régénératrices des fidèles : " Et comme il sortait de l'eau, dit l'Evangéliste, il vit les deux ouverts et l'Esprit saint descendant sous la forme d'un colombe et demeurant sur lui. "

Or, les cieux sont ouverts, non dans ce sens que les éléments se replient sur eux-mêmes, mais ils sont ouverts aux yeux de l'âme, comme ils le furent pour Ezéchiel dans la vision qu'il raconte au commencement de ses prophéties. Si Jésus-Christ vit les cieux ouverts après son baptême, c'est en notre faveur que fut opéré ce prodige, nous à qui la porte du royaume céleste est ouverte par le bain de la régénération. — S. chrys. Ou encore, c'était pour montrer que la sanctification dos hommes prenait sa source dans le ciel, et l'union étroite des choses de la terre avec les choses du ciel. " Le Saint-Esprit descendit sur lui, " non pas qu'il vint en lui pour la première fois, mais pour faire comprendre que le Christ, qui était baptisé par Jean, était pour ainsi dire signalé du doigt à la foi de tous les hommes ! — bède. La descente visible du Saint-Esprit sur Jésus-Christ dans son baptême est le signe de la grâce spirituelle qui devait nous être conférée dans le baptême. — S. jér. C'est là cette onction du Christ incarné, c'est-à-dire le Saint-Esprit lui-même, onction dont il est dit (Ps 44) : " Dieu, votre Dieu, vous a sacré d'une huile de joie qui vous met au-dessus de tous ceux qui doivent la partager. "

bède. Il convenait que l'Esprit saint descendît sous la forme de la colombe, qui est simple, sans fiel, sans malice, afin de nous faire comprendre par cette figure qu'il cherche les cœurs simples et qu'il dédaigne d'habiter dans les cœurs impies. — S. jér. L'Esprit saint descend sous la forme d'une colombe par cette autre raison que dans le Cantique des Cantiques, le divin Epoux dit à l'Eglise : Mon épouse, mon amie, ma chérie, ma bien-aimée, ma colombe. Elle est épouse dans les patriarches, amie dans les prophètes, intime dans Marie et Joseph, bien-aimée dans Jean-Baptiste, colombe dans le Christ et les Apôtres, à qui Jésus dit : " Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes. " — bède. La colombe se reposa sur la tête de Jésus pour ne point laisser penser que cette voix du Père céleste, s'adressait à Jean et non au Seigneur. Saint Marc ajoute très-justement : " Elle demeura sur lui, " car c'est par un privilège particulier à Jésus-Christ que l'Esprit saint, dont il est rempli, ne s'en sépare jamais. La grâce du Saint-Esprit, au contraire, est conférée aux fidèles pour opérer des miracles et des prodiges, et peut ensuite leur être ôtée. Il n'y a d'exception que pour les œuvres de piété et de justice, pour l'amour de Dieu et du prochain où la grâce du Saint-Esprit leur est toujours présente. Lorsque Jésus vient à Jean comme les autres, pour recevoir son baptême, la voix du Père nous enseigne qu'il ost le vrai Fils de Dieu qui baptisera dans le Saint-Esprit : " Et cette parole se fit entendre du ciel : Vous êtes mon fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mes complaisances. " Ces paroles n'apprennent pas au Fils de Dieu ce qu'il ignorait jusque là, mais nous enseignent ce que nous devons croire nous-mêmes.— S. aug. (De l'accord, des Evang., 5, 4.) Saint Matthieu rapporte que la voix fit entendre ces paroles : " Celui-ci est mon fils bien-aimé, " pour montrer leur rapport avec ces autres : " Celui-ci est mon Fils, " et faire comprendre à ceux qui les entendaient que Jésus était vraiment le Fils de Dieu. Et si vous voulez savoir laquelle de ces deux locutions la voix céleste a fait entendre, choisissez celle qu'il vous plaira, pourvu que vous admettiez que les deux Evangélistes, tout en différant dans l'expression, ne diffèrent nullement dans la pensée, Que Dieu se soit complu en son Fils, c'est ce qui ressort de cette parole : "J'ai mis en vous mes complaisances. " — bède. Cette même voix nous enseigne aussi que par l'eau du baptême et l'Esprit sanctificateur, nous pouvons devenir enfants de Dieu. Le mystère de la Trinité nous est aussi révélé dans ce baptême : Le Fils est baptise ; l'Esprit saint descend sous la forme d'une colombe, et on entend la voix du Père qui rend témoignage à son Fils.

S. jér. Dans le sens moral : Nous sortons de l'instabilité (Ct 1-3 ; Is 66, 2) de ce monde, et, attirés par le parfum et la beauté des fleurs, nous courons avec le jeune âge à la suite de l'époux. De même aussi, dans le sacrement de baptême, nous puisons avec la grâce de la rémission de nos péchés, l'amour de Dieu et du prochain, et nous élevant sur les ailes de l'espérance, nous contemplons, avec les yeux d'un cœur pur, les secrets des cieux. Nous recevons ensuite l'Esprit saint dans un cœur contrit et humilié, l'Esprit saint qui descend dans les âmes amies de la simplicité et de la douceur, et qui fait sa demeure dans une âme où règne une charité persévérante. Cotte parole du Seigneur descend aussi du ciel sur nous, enfants chéris de Dieu (Mt 5) : " Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu ; " et alors le Père, avec le Fils et le Saint-Esprit, mettent en nous leur complaisance, lorsque nous devenons un seul et même esprit avec Dieu.

Vv. 12, 13.

S. chrys. (hom. 13 sur S. Matth.) Jésus-Christ, qui dans toutes ses notions comme dans toutes ses épreuves se proposait notre instruction , commence après son baptême par habiter le désert, et il y combat contre le démon, afin que tout chrétien, après son baptême, apprît à supporter patiemment de plus fortes tentations, ne se laissât point troubler comme si elles lui arrivaient contre son attente ; mais qu'après en avoir vaillamment soutenu le choc, il en demeurât vainqueur. Dieu permet il est vrai les tentations pour beaucoup d'autres motifs, mais il les permet aussi pour faire connaître que la tentation relève l'homme et l'honore. Le démon, en effet, ne s'attaque qu'à celui qu'il voit environné d'un plus grand éclat. " Et aussitôt, dit l'Evangéliste, l'Esprit le poussa dans le désert. " II nous montre Jésus, non pas allant simplement, mais comme chassé dans le désert, afin de nous faire comprendre qu'il obéissait ici aux secrets de la divine Providence. Par là aussi, l'Evangéliste nous apprend que l'homme ne doit pas s'exposer lui-même à la tentation, mais que si nous y sommes poussés par une cause étrangère, la victoire nous est assurée. — bède. Il pouvait s'élever quelque doute sur la nature de cet Esprit qui poussait Jésus dans le désert ; saint Luc commence donc par dire très à propos que Jésus revint du Jourdain tout rempli du Saint-Esprit, et il ajoute aussitôt : " Et il était poussé par l'Esprit dans le désert, afin que personne ne pût s'imaginer que l'esprit immonde ait eu quelque puissance sur celui qui, rempli du Saint-Esprit, allait et agissait d'après sa propre volonté.

S. chrys. (hom. 13.) L'Esprit le poussa donc dans le désert : Jésus-Christ se proposait de provoquer les tentations du démon ; il lui en fournit donc l'occasion, non-seulement par la faim qu'il endure, mais encore par le lieu qu'il choisit pour demeure, car le démon attaque de préférence ceux qui vivent dans la solitude. — bède. Il se retira aussi dans le désert pour nous enseigner à fuir les séductions du monde, la société des méchants, et à observer fidèlement tous les divins préceptes. Il est tenté seul par le démon pour nous faire comprendre que a tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ souffrent persécution. " (2 Tm 3.) " Et il était dans le désert pendant quarante jours et pendant quarante nuits, et il était tenté par Satan. " Or, il est tenté quarante jours et quarante nuits pour nous apprendre que tant que nous serons ici-bas le Seigneur, soit que la prospérité (figurée par les jours) nous sourie, soit que nous soyons exposés aux coups de l'adversité (représentée par la nuit), en tout temps l'ennemi est là et ne cesse d'entraver nos pas par ses tentations. Les quarante jours et les quarante nuits représentent toute la durée des siècles. Le monde au milieu duquel nous servons Dieu peut en effet se diviser en quatre parties : il y a dix préceptes par l'observation desquels nous luttons contre l'ennemi, et dix répété quatre fois font quarante.

" Et il était avec les bêtes sauvages. " — S. CHRYS. L'Evangéliste nous fait ici le tableau de ce désert : II n'y avait pas trace d'homme, et il était rempli de bêtes sauvages : " Et les anges le servaient. " Car après sa tentation, et sa victoire sur le démon, Jésus opéra le saint des hommes, et comme dit l'Apôtre (He 1) : " Les anges sont envoyés pour remplir leur ministère en faveur de ceux qui reçoivent l'héritage du salut. " II faut remarquer ici que les anges viennent se mettre au service de ceux qui sont vainqueurs de la tentation. — bède. Remarquons encore que Jésus-Christ demeure au milieu des bêtes sauvages en tant qu'homme, et qu'il se sert du ministère des anges comme Dieu. Et nous aussi, lorsque dans la solitude d'une vie sainte, notre cœur reste pur, malgré le contact des mœurs corrompus des hommes charnels, nous méritons l'assistance des anges qui, après notre délivrance des liens du corps, nous transporteront au séjour de l'éternelle béatitude. — S. jér. Ou bien, les bêtes de la terre sont en paix avec nous comme dans l'arche de Noé, les animaux purs avec les animaux impurs (Gn 7), lorsque la chair cesse de convoiter contre l'esprit (Ga 5, 17). Les anges, après cela, sont envoyés pour nous servir et pour apporter aux cœurs vigilants les oracles et les consolations célestes.

Vv. 14, 15.

S. chrys. L'évangéliste saint Marc suit saint Matthieu pour l'ordre des faits. Ainsi après avoir dit que les anges le servaient, il ajoute : " Aussitôt l'emprisonnement de Jean, Jésus vint, " etc. Après qu'il a été tenté, et après avoir été servi par les anges, Jésus vint en Galilée, nous apprenant par là à ne point résister aux violences des méchants. — thEophyl. Il veut aussi nous enseigner qu'il vaut mieux fuir les persécutions que de les attendre ; mais que lorsqu'elles nous surprennent, il faut alors les supporter avec courage. — S. chrys. Il se retira encore pour conserver une vie qu'il devait employer à instruire les hommes et à guérir leurs infirmités avant sa passion ; afin qu'après avoir rempli sa mission toute entière il se rendît obéissant jusqu'à la mort.

bède. Jean ayant été mis en prison, c'était pour le Seigneur le moment convenable de commencer sa prédication : " Il vint prêchant l'Evangile, " etc. En effet, à la loi qui finit succède l'Evangile qui commence. — S. JER. L'ombre disparaît, la vérité brille. Jean dans la prison, c'est la loi dans la Judée ; Jésus en Galilée ; c'est Paul prêchant aux nations l'Evangile du royaume. Car au royaume terrestre succède la pauvreté, et c'est à la pauvreté chrétienne qu'est accordé le royaume éternel. Quant aux honneurs delà terre, c'est une vile écume, une eau glacée, une fumée, ou un songe. — bède. Il ne faut pas croire, du reste, que Jean ait été jeté en prison aussitôt la tentation des quarante jours, et le jeûne du Seigneur. Car pour tout lecteur attentif de l'Evangile de saint Jean, il est évident qu'avant l'emprisonnement de Jean-Baptiste, le Seigneur avait déjà enseigné pendant un assez long temps, et opéré un grand nombre de miracles. Eu effet nous lisons dans cet Evangéliste : " Ce fut le premier des miracles que fit Jésus. " (Jn 2) Et ensuite : " Jean n'avait pas encore été mis en prison. " Ou rapporte que saint Jean ayant lu l'Evangile de Saint Matthieu, de saint Marc et de saint Luc, en approuva la teneur, et rendit témoignage à la vérité de leur récit, mais en faisant remarquer qu'ils n'avaient écrit que l'histoire des faits d'une seule année, celle où eut lieu la passion de Jésus, et qui suivit l'emprisonnement de Jean-Baptiste ; il laissa donc de côté l'année dont les faits avaient été suffisamment racontés par les trois premiers Evangélistes, pour s'attacher à ce qui avait précédé l'emprisonnement du saint Précurseur. Après avoir dit que Jésus vint en Galilée prêcher l'Evangile du royaume, saint Marc ajoute : " Parce que le temps est accompli," etc. — S. Chrys. Et, en effet, c'est lorsque le temps fut accompli, c'est-à-dire quand vint la plénitude des temps, et que Dieu eut envoyé son Fils (Ga 4), qu'il convenait que le genre humain recueillit les derniers fruits de la divine miséricorde. Voilà pourquoi Jésus-Christ annonce que le royaume de Dieu est proche. Le royaume de Dieu est le même, quant à la substance, que le royaume des cieux : il n'en diffère que par une distinction purement rationnelle. On entend par ce royaume de Dieu, celui où Dieu règne souverainement. Or, ce royaume se réalisera pour nous dans la région des vivants (Ps 114), où les élus verront Dieu face à face, et posséderont les biens qui leur ont été promis. A moins que par cette région des vivants, on n'aime mieux entendre l'amour divin, ou la nouvelle assurance des biens surnaturels que les cieux désignent ; car il est évident que le royaume de Dieu n'est limité ni par l'espace ni par le temps. — théophyl. Ou bien le Seigneur déclare que le temps de la loi est accompli, comme s'il disait : Jusqu'ici la loi faisait son œuvre ; maintenant le royaume de Dieu va être rétabli ; ce royaume qui est une vie conforme à l'Evangile ; car rien ne ressemble plus au royaume des cieux. En effet, lorsque vous voyez un homme vivre dans ce corps mortel, conformément à l'Evangile, ne dites-vous pas qu'il possède en lui le royaume des cieux, qui ne consiste pas dans le boire et le manger, mais dans la justice, la paix et la joie du Saint-Esprit.

Jésus-Christ ajoute : " Faites pénitence. " — S. jér. Celui qui veut jouir du bonheur éternel, c'est-à-dire du royaume de Dieu, fait pénitence. Celui, en effet, qui désire goûter le fruit de la noix, en brise l'enveloppe. La douceur du fruit dédommage de l'amertume de la racine ; l'espoir du gain va jusqu'à rendre agréable les périls de la mer. L'espoir de la guérison adoucit la douleur que cause l'opération du médecin. Or, pour annoncer dignement les oracles du Christ, il faut avoir obtenu de la divine miséricorde la grâce du pardon, et voilà pourquoi après avoir dit : " Faites pénitence, " il ajoute : " Croyez à l'Evangile, car si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas (Is 7, 15) ". " Faites donc pénitence, et croyez, " c'est-à-dire renoncez aux œuvres mortes. A quoi, en effet, servirait la foi, sans les bonnes œuvres. Ce n'est pas cependant le mérite des bonnes œuvres qui nous conduit à la foi, mais la foi commence, et les bonnes œuvres viennent ensuite.

Vv- 16-20.

la glose (1). L'Evangéliste, après avoir rapporté la prédication de Jésus-Christ au peuple, nous fait connaître la vocation des Apôtres, dont il fit les ministres de la prédication évangélique : " Et comme il passait le long de la mer de Galilée, il vit Simon, " etc. — théophYl. Pierre et André, au rapport de saint Jean (Jn 1), étaient disciples du Précurseur. Mais d'après le témoignage que Jean-Baptiste avait rendu à Jésus, ils s'attachèrent à lui. Affligés ensuite de l'emprisonnement de Jean-Baptiste, ils retournèrent à leur première profession : " II les vit, dit l'Evangéliste, qui jetaient leurs filets dans la mer ; car ils étaient pêcheurs. " Nous voyons par là qu'ils gagnaient leur vie par un travail honnête, et non des produits d'une industrie coupable. De tels hommes méritaient d'être les premiers disciples de Jésus-Christ : " Et Jésus leur dit : Suivez-moi. " C'est ici la seconde vocation des Apôtres, car nous voyons dans saint Jean, qu'ils avaient déjà été appelés une première fois. Jésus leur fait connaître la fin de leur vocation : " Je ferai de vous des pêcheurs d'hommes. " — remi. En effet, c'est dans les filets de la sainte prédication, qu'ils ont retiré les poissons, c'est-à-dire les hommes des profondeurs de la mer, c'est-à-dire de l'infidélité, pour les amener à la lumière delà foi. Pèche vraiment digne d'admiration ; car à peine les poissons sont-ils hors de l'eau, qu'ils meurent, tandis que les hommes trouvent la vie dans les filets de la prédication, où ils sont pris. — bède. Or, ce sont des pêcheurs, des hommes illettrés que Jésus envoie pour prêcher l'Evangile, afin que la foi des croyants fût regardée comme un effet de la puissance divine, et non comme le fruit de l'éloquence et de la sagesse humaines.

" Et aussitôt, ayant laissé leurs filets, ils le suivirent." — théophyl. Quand Dieu appelle, il ne faut pas différer, mais le suivre sans retard. Après ces premiers disciples, Jésus recueille dans ses filets Jacques et Jean, qui, tout pauvres qu'ils étaient, nourrissaient de leur travail la vieillesse de leur père : " De là s'étant un peu avancé, il vit Jacques et Jean, fils de Zébédée, " etc. Or, ils quittèrent leur père parce qu'il eût été un obstacle à ce qu'ils suivissent Jésus-Christ. Et vous aussi, lorsque vos parents vous sont un empêchement, laissez-les, et allez fermement à Dieu. On peut conclure de là, que Zébédée ne crut pas à Jésus ; mais la mère de ces deux apôtres crut en lui, et après la mort de Zébédée, elle suivit le Sauveur.

Bede. On pourrait demander ici comment Jésus appelle et tire de leurs barques ces pécheurs deux par deux, d'abord Pierre et André, et après s'être avancé quelque peu, deux autres , c'est-à-dire les fils de Zébédée; tandis que d'après saint Luc (Lc 5), Jacques et Jean furent appelés pour aider Pierre et André ; que c'est à Pierre seul que Jésus adressa cette parole : " Ne craignez point, vous serez désormais un pécheur d'hommes ; " et que tous ensemble cependant; ayant tiré leurs barques sur le rivage, ils le suivirent. Il faut donc comprendre que tout ce que rapporte saint Luc se passa lors de la première vocation des Apôtres, et qu'étant ensuite retournés à leurs filets et à leurs occupations ordinaires, Jésus les appela de nouveau, comme le raconte ici saint Marc. C'est alors que sans tirer leurs barques à terre, comme s'ils eussent eu l'intention d'y revenir, ils suivirent tout de bon le Seigneur qui les appelait, et leur commandait de marcher à sa suite.

S. JÉR. Dans le sens mystique, ces quatre pêcheurs figurent un char à quatre chevaux qui nous enlève aux deux, comme autrefois Elie (2 R 4 ; Ct 1, 4). Ce sont les quatre angles, sur lesquels est bâtie la sainte Eglise. Dans ces quatre lettres hébraïques, nous reconnaissons les quatre lettres dont est composé le nom du Seigneur. L'exemple des Apôtres nous apprend qu'il faut répondre à la voix de Dieu qui nous appelle, oublier ce monde de vices qui nous entoure, quitter et la maison paternelle, et notre genre de vie primitive, (qui n'est que folie aux yeux de Dieu) ; et ces filets, ces toiles d'araignées dans lesquelles l'air nous louait suspendus dans le vide comme des moucherons exposés à une chute certaine ; détester enfin le genre de vie ou nous étions tristement embarqués. Adam, notre père selon la chair, est revêtu de la dépouille de bêtes mortes ; mais pour nous qui avons dépouillé le vieil homme avec ses actes, et qui marchons sur les traces de l'homme nouveau, nous sommes revêtus des riches fourrures de Salomon, vêtement splendide dont l'Epouse se glorifie et qui rehausse sa beauté. Simon signifie obéissant ; André, viril ; Jacques, qui supplante : Jean signifie grâce. Les quatre vertus figurées par ces quatre noms, nous transforment en l'image de Dieu, l'obéissance pour l'écouter, le courage viril pour combattre, la ruine de nos ennemis pour persévérer, la grâce pour assurer notre salut. Ces quatre vertus se rapportent aux quatre vertus cardinales. En effet, la prudence nous rend l'obéissance facile ; la justice nous fait agir avec énergie ; la tempérance foule aux pieds le serpent infernal ; la force nous fait mériter la grâce de Dieu. — théophyl. On pont dire encore que celui qui représente l'action est appelé le premier, ensuite, celui qui figure la contemplation. Pierre signifie la vie active, Jean représente la vie contemplative. Pierre, en effet, fut remarquable par son ardente ferveur, par une sollicitude plus grande que celle de tous les autres ; comme Jean fut le théologien par excellence.

Vv. 21, 22.

S. jér. Saint Marc a disposé dans sa pensée le plan des événements de l'Evangile, sans suivre l'ordre des faits, et en s'attachant seulement à celui des mystères. Voilà pourquoi, le jour du sabbat, il mentionne son premier miracle, opéré par Jésus : " Et ils entrèrent à Capharnaüm. —théophyl. Ils venaient de Nazareth. Or, c'est au jour du sabbat où les scribes s'assemblaient, que Jésus entre dans la synagogue pour enseigner : " Et aussitôt, étant entré le jour du sabbat, dans la synagogue, il les instruisait. " En effet, la loi ordonnait aux Juifs de solenniser le jour du sabbat, afin qu'ils pussent se réunir pour étudier la loi en commun. Or, Jésus-Christ les enseignait non en les flattant, à la manière des pharisiens, mais en les reprenant. " Et ils s'étonnaient de sa doctrine ; " car ils les enseignait avec autorité, et non point comme les scribes. " II enseignait aussi avec autorité, en ce sens qu'il ramenait au bien les hommes égarés, et qu'il menaçait du supplice ceux qui refusaient de croire à sa parole. — bède. Les scribes enseignaient au peuple ce qui est écrit dans Moïse et les prophètes ; mais Jésus, en sa qualité de Dieu souverain et de Maître de Moïse lui-même, ou ajoutait à la loi les éclaircissements qu'il jugeait nécessaires, ou bien l'enseignait au peuple avec tel changement qu'il lui plaisait d'y introduire, comme nous le voyons dans saint Matthieu : " II a été dit aux anciens, et moi je vous dis, " etc. (Mt 5)

Vv. 23-28.

bède. C'est par l'envie du démon que la mort est entrée dans le inonde (Sg 2) ; c'est donc contre cet auteur de la mort, que Jésus dut mettre d'abord en usage le remède du salut : " I1 y avait dans leur synagogue un homme possédé de l'esprit impur. " — S. chrys. Le nom d'esprit s'applique à l'ange, à l'air, à l'âme et aussi à l'Esprit saint. Aussi dans la crainte que cette ressemblance de nom ne donnât lieu à l'erreur, l'Evangéliste ajoute la qualification d'impur : ce nom lui est donné à cause de sou impiété et de son éloignement de Dieu et parce qu'il prend part à toutes les œuvres immondes et perverses.

S. AUG. (Cité de Dieu, 9, 20.) L'humilité du Dieu qui est apparu sous la forme de l'esclave, est si puissante contre l'orgueil des démons, qu'ils sont forcés de le reconnaître et de le confesser publiquement devant 1e Seigneur revêtu de l'infirmité de notre chair : " Et il s'écria : Qu'y a-t-il de commun entre vous et nous, Jésus de Nazareth ? " Il est évident par ces paroles qu'ils avaient la science sans avoir la charité, car ils redoutaient le châtiment qu'il venait leur infliger et n'aimaient pas en lui la justice qu'il apportait à la terre. — béde. Car les démons, voyant Notre-Seigneur sur la terre, croyaient qu'il allait les juger immédiatement. — S. chrys. Ou bien, voici le sens de ces paroles : En purifiant l’âme humaine, et en y faisant naître des pensées divines, vous ne nous laissez plus d'asile dans le cœur des hommes. — théophyl. Car sortir de l'homme, c'était pour le démon une ruine certaine, parce qu'en effet, les démons étant essentiellement cruels, ils regardent comme une sorte de supplice de ne pas tourmenter les hommes.

Il ajoute : " Je sais que vous êtes le saint de Dieu. " — S. Chrys. Comme s'il disait : Je considère attentivement votre avènement; car il n'avait pas une connaissance claire et certaine de la venue de Dieu en ce monde. II l'appelle saint, non pas un saint comme beaucoup d'autres parce que chaque prophète aussi était saint, mais il le proclame saint d'une manière spéciale. L'article qui se trouve dans le grec indique qu'il est le saint par excellence, mais la crainte qu'il éprouve fait qu'il le reconnaît pour le souverain Maître de toutes choses. — S. Aug. (Cité de Dieu, 9) Il ne se fit connaître aux démons que dans la mesure qu'il voulut, et il ne le voulut que dans la mesure qui était nécessaire. Toutefois il ne se manifesta pas à eux comme aux anges qui jouissent de sa vue comme Verbe, et participent à son éternelle félicité, mais il devait se manifester aux démons pour les faire trembler, puisqu'il venait délivrer les hommes de l'empire tyrannique de ces esprits mauvais. Il s'est donc fait connaître aux démons non pas comme étant la vie éternelle, mais par certains effets sensibles de sa toute-puissance qui ne pouvaient échapper aux regards de la nature angélique plus pénétrants même dans les esprits mauvais que les vaux de la faiblesse humaine.

S. Chrys. Mais l'éternelle vérité ne voulait pas des témoignages des esprits impurs : " Et Jésus les menaça en leur disant, " etc. Jésus nous donne ici un enseignement salutaire, c'est de ne jamais ajouter foi aux démons quand bien même ils nous annonceraient la vérité. " Et l'esprit le déchirant, " etc. Comme cet homme venait de dire des paroles sages et sensées, dans la crainte qu'on s'imaginât qu'il parlait, non sous l'inspiration du démon, mais de son propre cœur, Jésus-Christ permit que cet infortuné fût déchiré par le démon afin qu'il fût manifeste que c'était lui aussi qui parlait par sa bouche. — Théophyl. Ce fut aussi pour que les témoins de ce prodige comprissent de quel affreux malheur était délivré cet homme, et qu'ils missent en Jésus par suite de ce miracle. — Bède. Il y a, ce semble, une sorte de contradiction entre ces paroles : " Et le déchirant, " ou comme portent certains exemplaires, le courbant, et ces autres : " II sortit sans lui avoir fait aucun mal, " selon saint Luc. Mais cet Evangéliste dit aussi que " le démon ayant jeté violemment cet homme au milieu de l'assemblée sortit de son corps, sans lui avoir fait aucun mal. " II faut donc comprendre que ces paroles de saint Marc : " Et le tourmentant, ou le déchirant, " reviennent à celles-ci de saint Luc : " Et l'ayant jeté violemment au milieu de tout le peuple. " Et alors ce que saint Luc ajoute : " Il ne lui fit aucun mal, " signifie que cette agitation violente, cette secousse imprimée aux membres de cet homme n'épuisa pas ses forces et que le démon sortit sans lui couper ou lui arracher quelque membre, comme il arrive quelquefois en pareille circonstance. Or, les témoins de ce prodige admirent la nouveauté de la doctrine du divin Maître, et ce qu'ils voient les détermine à approfondir ce qu'ils entendent. "  Et tous étaient dans l’étonnement, " etc. Car le but des miracles était de faire croire d'une foi plus certaine à l'Evangile du royaume de Dieu. Voilà pourquoi les apôtres qui promettaient des joies célestes aux habitants de ce monde, faisaient éclater à leurs yeux ici-bas, des œuvres célestes et toutes divines. Tout d'abord, d'après le témoignage de l'Evangéliste, Jésus-Christ enseignait les hommes avec autorité ; et maintenant le peuple lui-même lui rend ce témoignage qu'il commande avec autorité aux esprits immondes, et qu'ils lui obéissent. " Et sa renommée se répandit, " etc. — la glose. Car ce que les hommes admirent le plus, ils s'empressent de le divulguer, parce que la bouche parle de l'abondance du cœur.

S. jér. Capharnaüm dans le sens mystique signifie ville de la consolation, le mot sabbat signifie repos. Cet homme possédé de l'esprit immonde, c'est le genre humain en qui l'impureté a régné depuis Adam jusqu'à Moïse. Car les hommes ont péché sans la loi, et ils périront sans la loi (Rm 2). Cet esprit impur qui connaissait le saint de Dieu, reçoit l’ordre de se taire, parce qu'il est des hommes qui, connaissant Dieu, ne l'ont pas glorifié comme Dieu, mais ont mieux aimé servir et adorer la créature plutôt que le Créateur (Rm 1). L'esprit immonde déchirant cet homme sortit de son corps. A l'approche du salut, la tentation se fait sentir. Pharaon abandonné par le peuple d'Israël, le poursuit à outrance (Ex 14) Le démon méprisé, cherche à produire du scandale.

Vv. 29-31.

bède. Il fallut d'abord refréner la langue du serpent pour qu'elle cessât de vomir ses poisons, et guérir ensuite de la fièvre de la concupiscence charnelle la femme qui fut séduite la première : " Et bientôt après, sortant de la synagogue, ils vinrent, " etc.— Théophyl. Jésus se retira, selon sa coutume, le jour du sabbat, vers le soir, pour se rendre dans la demeure de ses disciples. Or, celle qui devait les servir était en proie à la fièvre : " La belle-mère de Simon Pierre était couchée, tourmentée par la fièvre. " — S. Chrys. Les disciples qui espéraient recueillir quelque avantage de la présence du Sauveur, sans attendre le soir, le priaient de guérir la belle-mère de Pierre : " Aussitôt ils lui parlèrent à son sujet. " — bède. Saint Luc dit qu'ils lui adressèrent une prière en sa faveur (Lc 4) Car le Sauveur guérissait les maladies, tantôt sur la prière qu'on lui en faisait, tantôt de son propre mouvement, montrant par là qu'il prête l'oreille aux prières des fidèles qui demandent la guérison de leurs passions vicieuses ; et qu'il leur donne de comprendre ce que jusque-là ils ne comprenaient nullement; ou qu'il accorde à une pieuse supplication le pardon des fautes méconnues, comme le demandait le Psalmiste : "c Seigneur, purifiez-moi de mes fautes cachées. " (Ps 18) Ici donc, c'est à la prière qu'il accorde la guérison : " Et s'approchant, il la fit lever, et lui ayant pris la main, " etc. — Théophyl. Nous apprenons ici que celui qui se rend le serviteur des saints pour l'amour de Jésus-Christ peut espérer obtenir de Dieu sa guérison. — Bède. En distribuant surtout le jour du sabbat, les bienfaits de ses guérisons et de sa doctrine, il nous enseigne qu'il n'est pas soumis à la loi, mais qu'il est au-dessus de la loi ; et qu'il a fait choix, non du sabbat judaïque, mais du véritable sabbat, et que le repos qui plaît au Seigneur, c'est de joindre le zèle pour le salut des âmes à l'abstention de toute œuvre servile, c'est-à-dire de toute œuvre coupable : " Et aussitôt la fièvre la quitta, " etc. La santé que le Seigneur rend à cette femme lui revient pleine et entière, et avec un tel retour de force qu'elle peut servir sur-le-champ ceux qui lui avaient porté secours. S'il est vrai, comme nous l'avons dit, que cet homme délivré du dé-mou figure l'âme délivrée des pensées mauvaises, cette femme délivrée de la fièvre, à la parole du Seigneur, nous représente sous une image très-juste la chair guérie par les préceptes de la continence des brûlantes ardeurs de la concupiscence. — S. Jér. Car la fièvre signifie l'intempérance dont nous sommes guéris, nous qui ne sommes pas les enfants de la synagogue, mais de l'Eglise à l'aide d'une discipline salutaire, et par l'élévation de nos désirs, pleins d'un saint empressement à servir ensuite celui à qui nous devons notre guérison. — théophyl. Cette fièvre représente celui qui s'irrite, et en vient, sous l'impulsion de sa colère, à des violences que rien n'arrête ; mais si la raison retient son bras, il se lève et devient ainsi le serviteur de la raison.

Vv. 32-34.

théophyl. Comme la multitude s'imaginait qu'il n'était permis à personne de guérir des malades le jour du sabbat, elle attendait le coucher du soleil, pour amener à Jésus ceux dont elle sollicitait la guérison : " Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui apportait tous ceux qui étaient malades, " etc.; et il en guérit un grand nombre qui étaient affligés de diverses maladies. — S. chrys. Quand l'Evangéliste dit un grand nombre, il faut entendre tous, selon l'usage de l'Ecriture. — théophyl. Ou bien, il dit un grand nombre, parce qu'il s'en trouvait parmi ces malades quelques-uns qui ne croyaient pas, et qui ne furent pas guéris à cause de leur incrédulité. Il guérit donc un grand nombre de ceux qui lui furent présentés, c'est-à-dire ceux qui avaient la foi.

" Et il chassait grand nombre de démons. " — S. aug. (Quest. sur le Nouv. et l'Anc. Test., 66) Les démons savaient qu'il était le Christ promis dans la loi ; et ils voyaient réunis en lui tous les signes qu'avaient prédits les prophètes; mais ils ignoraient le mystère de sa divinité aussi bien que les chefs des Juifs; car s'ils l'avaient connu, jamais ils n'eussent crucifié le Seigneur de la gloire (I Co 2) — bède. Le démon l'avait regardé d'abord comme un homme épuisé qu'il était par un jeune de quarante jours, sans pouvoir néanmoins , par ses tentations, s'assurer s'il était le Fils de Dieu, maintenant à la vue des prodiges de sa puissance, il comprit, où plutôt il soupçonna qu'il était le Fils de Dieu. Si donc il persuada les Juifs de le crucifier, ce n'est point qu'il pensât qu'il n'était pas le Fils de Dieu, mais parce qu'il no prévit point que la mort de Jésus serait sa propre condamnation.— theophyl. Il ne permettait point aux démons de parler, pour nous apprendre à ne pas les croire, môme lorsqu'ils disent la vérité. Cari lorsqu'ils rencontrèrent des esprits disposés à les croire, ils mêlent le mensonge à la vérité. — S. Chrys. Ce que nous, lisons ici, ne contredit en rien ce que dit saint Luc (Lc 4), que les démons sortaient en criant : " Vous êtes le Christ, Fils de Dieu. " Car il ajoute : Et Jésus, les menaçant, ne leur permettait pas de parler. Saint Marc, qui omet beaucoup de faits pour abréger son récit, ne reproduit ici que la fin des paroles que nous venons de citer.

bède. Dans le sens mystique, le coucher du soleil signifie la passion et la mort de celui qui dit : " Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. " C'est après le coucher du soleil, que les naïades et les démoniaques sont guéris en plus grand nombre qu'auparavant, parce que celui qui, aux jours de sa vie mortelle, a enseigné un petit nombre de juifs, a communiqué ensuite à toutes les nations de l'univers les dons de la foi et du salut. — S. jér. Dans le sens moral, la porte signifie la pénitence qui, avec la foi, opère la guérison de nos diverses infirmités (2 Co 7, 10) ; car les vices qui frappent de langueur la cité du monde sont variés et nombreux.

Vv. 35-39.

théophyl. Après avoir opéré ces guérisons, le Sauveur se retira à l'écart : " Et se levant de grand matin, il sortit et s'en alla dans le désert. " C'est ainsi qu'il nous enseigne à ne rien faire par ostentation, et à ne point divulguer les bonnes œuvres que nous pouvons faire. " Et là, il priait. " — S. chrys. Ce n'est pas qu'il eût besoin de prier (lui qui recevait les supplications des hommes), mais il agissait ainsi dans notre intérêt, et daignaient nous donner en sa personne l'exemple des vertus que nous devions pratiquer. — théophyl. Il nous apprend aussi, par cette conduite, que nous devons rapporter à Dieu tout ce que nous faisons de bien, et lui dire : Tout don excellent vient d'eu haut, et descend de vous, ô mon Dieu ! (Jc 1) " Et Simon le suivit et ceux qui étaient avec lui. " — S. chrys. Saint Luc dit que la foule s'approcha de Jésus et qu'elle lui adressa cette parole que saint Marc met dans la 1 touche des Apôtres : a Et quand ils furent arrivés près de lui, voilà, lui dirent-ils, que tous sont à votre recherche. " II n'y a ici aucune contradiction entre les deux Evangélistes. Jésus-Christ permit d'abord aux Apôtres, puis à cette multitude, comme haletante à ses pieds, de s'approcher de lui. Il les accueillait avec joie : toutefois, il voulait les congédier , afin que pendant la courte durée de sa vie mortelle, il pût faire participer tous les autres peuples ù sa doctrine. " Et il dit : Allons dans les villages voisins et dans les villes d'alentour, afin que j'y prêche aussi. " — théophyl. Il se rend près de ceux qui ont un plus grand besoin de lui, parce que la lumière de sa doctrine ne devait pas être concentrée eu un seul lieu, mais devait faire briller partout les rayons. " Car, ajoute-t-il, je suis venu pour cela. " — S. chrys. Il manifeste ainsi tout à la fois le mystère de son anéantissement (c'est-à-dire de son incarnation), et le souverain domaine de sa divinité, en déclarant qu'il est venu spontanément dans le monde. D'après saint Luc, Nôtre-Seigneur dit (Lc 4) : " C'est pour cela que j'ai été envoyé, " et il exprime, ainsi le décret providentiel, et la volonté miséricordieuse du Père sur l'incarnation de son Fils.

" Et il prêchait dans leurs synagogues, et dans toute la Galilée. — S. AUG. (accord, des Evang., 2, 23.) Dans cette prédication que d'après l'Evangéliste, Jésus lit en Galilée, il faut comprendre le sermon sur la montagne dont saint Matthieu fait mention et que saint Marc passe entièrement sous silence. Ce dernier Evangéliste ne dit rien qui ressemble à ce discours, si ce n'est quelques sentences sans liaison, qu'il sème dans son récit, parce que le Seigneur les a sans doute prononcées en d'autres circonstances.

théophyl. A la doctrine, il joint les œuvres ; car peu après sa prédication, il chassa les démons, comme nous le voyons par ce qui suit: " Et il chassait les démons. " C'est qu'en effet, si Jésus-Christ n'avait pas opéré de miracles, on n'aurait pas cru à sa parole. Et vous aussi, après avoir enseigné, agissez, afin que votre enseignement ne demeure pas stérile.

bède. Si par le coucher du soleil ou entend, dans le sens mystique, la mort du Sauveur, pourquoi ne pas voir sa résurrection dans le retour du matin ? Après que sa lumière eut brillé sur le monde, il s'en alla dans le désert des nations idolâtres, et lu il priait dans la personne de ses fidèles, parce qu'il excitait leurs cœurs par la grâce du Saint-Esprit à la vertu de prière.

Vv. 40-45.

bède. Après que la langue insidieuse des dénions eût été réduite au silence, et que la femme qui avait été séduite la première fut guérie de sa fièvre, en troisième lieu, l'homme qui s'était perdu, en écoutant les paroles pernicieuses de son épouse, est guéri de la lèpre de son égarement, afin que l'ordre suivi par le Sauveur dans la réparation du genre humain, fût le même que l'ordre suivi dans la chute de nos premiers parents. " Et un lépreux vint à lui, le suppliant, " etc. — S. AUG. (Harm. des Evang., 11, 19) Tout ce que dit ici saint Marc de la guérison de ce lépreux, nous autorise à croire que c'est le même dont saint Matthieu rapporte la guérison opérée par le Seigneur, lorsqu'il descendit de la montagne après son discours. — bède. Et comme le Seigneur a déclaré qu'il n'était pas venu détruire la loi, mais l'accomplir; ce lépreux que la loi excluait du commerce des hommes, et qui espérait sa guérison de la puissance du Seigneur fit voir que la grâce qui avait la vertu de purifier les souillures d'un lépreux ne venait pas de la loi, mais lui était bien supérieure. Nous voyons éclater ici tout à la fois la vertu de la puissance du Seigneur, et la fermeté de la foi de cet homme : " Et il l'implorait à genoux en disant : Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. " II se prosterna le visage contre terre (ce qui est une marque d'humilité et de confusion), pour apprendre à chacun de nous à rougir des fautes qui souillent notre âme. Mais la honte n'empêcha point l'aveu de sa misère. Il découvrit sa blessure et en implora le remède, et sa confession est pleine de religion et de foi : " Si vous voulez, dit-il, vous pouvez. " II fait dépendre la puissance du Seigneur de sa volonté. — théophyl. Il ne dit pas : Si vous priez Dieu, mais : " Si vous voulez, " comme un homme qui croit à la divinité du Sauveur. — bède. Du reste, cet homme ne douta pas ni de la volonté du Seigneur ni de ça commisération, mais à la pensée de la lèpre dont il était couvert, il osait à peine en espérer la guérison.

" Or, Jésus, ému de compassion, étendit la main, et le touchant, lui dit : Je le veux; soyez guéri. " — S. jér. Il ne faut pas donner à ces paroles le sens que lui donnent la plupart des latins qui traduisent : "Je veux te guérir, " mais il faut séparer les deux mots et lire : " Je le veux, " puis à l'impératif : " Soyez guéri." — S. chrys. (hom. 26 sur S. Matth., et hom. 21 de l'ouv. imp.) Ce n'est point par sa seule parole qu'il guérit ce lépreux, mais il le touche de sa main, parce qu'il est écrit dans la loi de Moïse : " Celui qui aura touché un lépreux sera impur jusqu'au soir. " (Lv 12, 45.) Il voulait montrer que cette souillure n'était qu'extérieure, et que la loi n'avait pas été portée pour lui, mais pour les simples mortels, et que pour lui, il est en réalité le Maître de la loi, et qu'il guérissait ce lépreux, non en serviteur, mais comme Maître de la loi ; il convenait donc qu'il touchât ce lépreux, bien que cependant ce contact ne fût pas nécessaire pour opérer sa guérison. — béde. Il le toucha aussi pour prouver qu'il ne pouvait contracter de souillures, lui qui venait en délivrer les autres. C'est d'ailleurs une chose vraiment admirable, que de voir le Sauveur guérir ce lépreux en se conformant à sa prière : " Si vous voulez, lui dit le lépreux, vous pouvez me guérir. " " Je le veux, répond Jésus, vous voilà maître de ma volonté, soyez guéri. " Voilà l'effet de ma commisération pour vous. — S. chrys. En parlant ainsi, non-seulement il ne détruit point, mais il confirme plutôt l'opinion qu'avait le lépreux de sa puissance. I1 le guérit d'une seule parole ; et il accomplit par cette œuvre miraculeuse le vœu que le lépreux avait exprimé. " Des qu'il eût parlé, la lèpre le quitta, " etc. — bède. Car il n'y a point d'intervalle entre l'œuvre de Dieu et son commandement, parce que dans son commandement est renfermée son œuvre : " I1 a dit, et tout a été fait. "

" Et Jésus le renvoya en lui disant d'un ton sévère : Gardez-vous de parler à personne de ce miracle. " Jésus-Christ nous apprend ainsi fi ne point rechercher l'estime des hommes, en retour de nos bonnes œuvres : " Allez, montrez-vous au prince des prêtres. " Or, il l'envoie au prince des prêtres pour faire constater sa guérison, et afin qu'il ne fût pas chassé hors du temple, mais qu'il lui fût permis de se joindre au peuple pour la prière publique. — II l'envoie encore pour accomplir la loi et fermer la bouche à la malignité des Juifs. Il a opéré, le miracle ; il leur laisse le soin de le constater. — bède. Il veut aussi faire comprendre au prêtre que cet homme devait sa guérison non à la vertu de la loi, mais à la grâce de Dieu qui est au-dessus de la loi.

" Et offrez pour votre guérison ce que Moïse a prescrit pour leur servir de témoignage, " —théophyl. Il leur commande d'offrir le présent qu'avaient l'habitude d'offrir ceux qui étaient purifiés, pour témoigner qu'il n'agissait pas contre la loi, mais qu'il la confirmait, puisqu'il en accomplissait les prescriptions.

bède. Si l'on est surpris de voir le Seigneur approuver les sacrifices judaïques que l'Eglise rejette, il faut se rappeler qu'il n'avait point encore offert son holocauste dans sa passion. Or, les sacrifices figuratifs ne devaient cesser qu'après que le sacrifice qu'ils représentaient serait confirmé par le témoignage des Apôtres et la foi de tous les peuples.

théophyl. Le lépreux publie le bienfait du Seigneur, malgré la défense qu'il lui en a faite : " Or, le lépreux s'en allant, commença à publier et à répandre la nouvelle de sa guérison. Il faut que celui qui a reçu un bienfait soit reconnaissant et rende grâce au bienfaiteur, bien que celui-ci n'ait point besoin de reconnaissance.— S. grég. (Moral., 19, 10 ou 18 dans les anc. édit.) (Mt 9, 30) On demande ici avec raison pourquoi le miracle que le Seigneur avait opéré et qui par sou ordre devait être tenu secret, ne put rester caché un seul instant. A cela, nous répondons que Jésus, qui avait opéré ce miracle, ordonna de le tenir secret, sans toutefois l'obtenir, pour apprendre à ses élus, dans les grandes choses qu'ils pourraient faire, à imiter son exemple en désirant rester cachés et en ne consentant à être mis en évidence qu'à regret, et pour l'édification des autres. On ne peut donc dire que le Sauveur voulut ici ce qu'il ne put obtenir, mais avec toute l'autorité de son caractère, il enseigne à ses membres quelles doivent être leurs intentions, et aussi ce qui doit arriver malgré leur volonté. — bède. La guérison d'un seul homme amena au Seigneur une foule nombreuse : " En sorte qu'il ne pouvait paraître publiquement dans une ville, mais qu'il était obligé de se tenir dehors dans des lieux déserts. — S. chrys. Car le lépreux publiait partout cette guérison merveilleuse, de sorte que tous accouraient pour voir celui qui l'avait opérée. C'est ce qui empêchait le Seigneur de prêcher l'Evangile dans les villes, et l'obligeait à demeurer dans les lieux déserts : " Et ils venaient en foule à lui de tous côtés. "

S. jer. Dans le sens mystique, notre lèpre, c'est le péché du premier homme, poché qui a commencé par envahir la tête, quand Adam a désiré les royaumes de ce monde. Car la racine de tous les maux, c’est la cupidité. Ainsi Giezi, pour avoir ouvert son cœur à l'avarice, "st tout couvert do lèpre. (4 R 5, 27) — bède. Mais le Sauveur ayant étendu la main (c'est-à-dire le Verbe de Dieu s'étant incarné et s'étant mis en contact avec la nature humaine), l'a guérie de la lèpre de ses anciennes erreurs. — S. jér. Or, cette lèpre qui est montrée au prêtre selon l'ordre de Melchisédech, est guérie moyennant l'offrande qui est faite, conformément aux paroles du divin Maître : " Donnez l'aumône et tout sera pur pour vous. " (Lc 11) Quant à l'impossibilité où était Jésus d'entrer dans les villes, elle signifie qu'il ne s'est pas manifesté à tous, à ceux particulièrement qui recherchent les vaines louanges, les bruyantes acclamations des places publiques et la satisfaction de leur volonté propre, mais bien à ceux qui sortent dehors avec Pierre, qui aiment la solitude du désert, solitude que Jésus recherchait pour prier et pour nourrir le peuple; à ceux enfin qui sacrifient les vains plaisirs du monde et tout ce qu'ils possèdent, pour dire : " Le Seigneur est mon partage. " Et la gloire du Seigneur se manifeste à ceux qui viennent de toutes parts (par les chemins unis comme par ceux qui sont plus difficiles), et que rien ne peut séparer de la charité de Jésus-Christ. — bède. Après avoir opéré ce miracle dans la ville, le Seigneur se retira dans le désert pour montrer qu'il préfère la vie tranquille, éloignée des sollicitudes du siècle, et que c'est dans le désir d'en goûter les charmes qu'il consacre ses soins à la guérison des hommes.

 

CHAPITRE II

Vv. 1-12.

bède. La miséricorde divine, loin d'abandonner les hommes charnels, daigne leur accorder la faveur de sa visite, afin d'en faire des hommes spirituels. C'est pour cela que Jésus-Christ quitte le désert pour revenir dans la ville : " Et il entra de nouveau à Capharnaüm, " etc. — S. aug. (De l'accord des Evang., 2, 25) Saint Matthieu rapporte (Mt 9) que le miracle qui suit, fut opéré dans la ville du Sauveur; Saint Marc le place à Capharnaüm. Il serait difficile de résoudre cette difficulté, si saint Matthieu avait dit positivement que cette ville est Nazareth. Mais comme la Galilée a très bien pu être appelée la patrie du Seigneur, parce que Nazareth se trouvait dans la Galilée, on peut dire que le Seigneur a fait ce miracle dans sa ville, puisqu'il l’a opéré dans Capharnaüm, ville de Galilée, surtout si l'on se rappelle que Capharnaüm dominait tellement sur toutes les villes de la Galilée, qu'elle en était regardée comme la métropole. Ou bien saint Matthieu ne parle des miracles opérés par Jésus-Christ à Nazareth, que quand il fût arrivé ù Capharnaüm, et ce n'est qu'après avoir dit : " Et il vint dans sa ville," qu'il ajoute, en parlant de la guérison du paralytique : " Et voici qu'ils lui présentaient un paralytique. "—S. chrys. (hom. 30 sur S. Matth.) Ou bien saint Matthieu appelle Capharnaüm la ville du Sauveur, parce que Jésus y allait souvent et qu'il y faisait beaucoup de miracles.

" Et lorsqu'on sut qu'il était dans la maison, il s'y assembla un grand nombre de personnes, " etc. Le désir de l'entendre triomphait des difficultés qu'on avait de l'approcher. C'est alors qu'on introduisit le paralytique, dont parle saint Matthieu et saint Luc : " Et on lui amena un paralytique qui était porté par quatre hommes, " et trouvant la porte obstruée par la foule, ils furent quelque temps sans pouvoir entrer. Toutefois les porteurs, espérant que le paralytique pourrait obtenir la grâce de sa guérison, le soulevèrent avec son lit, et l'introduisirent par une ouverture qu'ils firent au toit, et le déposèrent sous les yeux du Sauveur : " Et comme ils ne pouvaient le lui présenter, " etc. Or, Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : " Mon fils, vos péchés vous sont remis. " L'Evangéliste veut parler de la foi non du paralytique, mais de ceux qui le portaient ; car il arrive quelquefois qu'on doit sa guérison à la foi d'autrui. — bède. Quelle n'est pas, près de Dieu, la puissance de la foi personnelle de chaque fidèle, si la puissance de la foi d'autrui et de leurs mérites, a été si grande, qu'elle a obtenu pour cet homme la guérison complète de son corps et de son âme, et la rémission de ses péchés ! — théophyl. Jésus vit aussi la foi du paralytique ; car s'il n'eût pas eu foi en sa guérison, il ne se serait pas laissé porter aux pieds de Jésus-Christ.

bède. Le Seigneur, avant de guérir cet homme de sa paralysie, commence par briser les liens de ses péchés, afin de montrer que c'étaient ces liens funestes qui l'avaient condamné à cet anéantissement de ses membres, et qu'il n'en pouvait recouvrer l'usage qu'après avoir été délié de ses fautes. O admirable humilité de Jésus ! Cet homme méprisé et faible, dont les membres ont perdu tout ressort et toute force, Jésus l'appelle son fils, lui que les prêtres n'auraient même pas voulu toucher. Ou bien encore, il lui donne le nom de fils, parce que ses péchés lui sont remis.

Or, il y avait là quelques scribes assis, qui pensaient dans leurs cœurs : " Comment cet homme parle-t-il ainsi ? il blasphème. "

S. cyr. Ils l'accusent de blasphème, et dans leur précipitation homicide, ils portent contre lui une sentence de mort. Car la loi ordonnait que quiconque blasphémerait contre Dieu, serait puni de mort. Or, ils l'accusaient de ce crime, parce qu'il s'attribuait la puissance de remettre les péchés. Qui peut, en effet, ajoutent-ils remettre les péchés, sinon Dieu seul ? Celui-là seul qui est le juge de tous les hommes a le pouvoir de remettre les péchés. — bède. Dieu remet encore les péchés, par ceux qui ont reçu de lui le pouvoir de les remettre ; et une prouve évidente de la divinité de Jésus-Christ, c'est qu'il peut remettre les péchés comme Dieu. Les Juifs sont donc dans l'erreur, lorsque tout en reconnaissant que le Christ est Dieu, et qu'il peut remettre les péchés, ils refusent de croire que Jésus est le Christ promis ù leurs pères. Mais, l'erreur des ariens est encore plus absurde, eux qui, convaincus par les paroles de l'Evangile, n'osent nier que Jésus soit le Christ, qu'il puisse remettre les péchés, et ont néanmoins l'audace d'affirmer qu'il n'est pas Dieu. Toutefois, Jésus, qui désire sauver ces âmes perfides, fait éclater sa divinité, et par la manifestation des pensées secrètes du cœur et par la puissance de ses œuvres. " Aussitôt, Jésus, connaissant dans son esprit ce qu'ils pensaient en eux-mêmes, il leur dit : Pourquoi pensez-vous ces choses dans vos cœurs ? " II leur prouve ainsi qu'il est Dieu, puisqu'il peut connaître les secrets des cœurs ; et son silence semble leur dire en quelque sorte : Cette vertu divine ; cette majesté souveraine qui pénètre vos pensées les plus cachées, peut pareillement remettre aux hommes leurs péchés.

THEOPHYL. Mais quoique leurs pensées fussent ainsi révélées, ils n'en restent pas moins insensibles, et ne veulent pas reconnaître que celui qui pénètre le fond de leurs cœurs, puisse remettre les péchés. Aussi, le Seigneur prouve la guérison de l'âme par la guérison du corps, il démontre l'invisible par ce qui est visible, ce qui est plus difficile par ce qui est facile, bien que telle ne fût pas leur manière de juger. Car ils regardaient la guérison du corps comme plus difficile, parce qu'elle est extérieure, et celle de l'âme comme plus facile, parce qu'elle est invisible, tel était donc à peu près leur raisonnement : II renonce à guérir les corps, et il prétend guérir l'âme qui est invisible. Mais s'il en avait le pouvoir, il aurait déjà guéri le corps de cet homme, et ne se serait pas retranché dans la guérison invisible de l'âme. Le Sauveur donc, pour leur démontrer qu'il peut l'un et l'autre, leur dit : " Qui est le plus facile ? " c'est-à-dire, en opérant la guérison du corps qui, en réalité, est plus facile, mais qui vous paraît à vous plus difficile, je vous forcerai de reconnaître la guérison de l'âme qui est plus difficile. — S. chrys. Mais comme il est plus aisé de dire que de faire, ils persévéraient ouvertement dans leur incrédulité, parce qu'il n'avait pas encore opéré le fait extérieur qu'ils désiraient. Aussi, ajoute-t-il : " Or, afin que vous sachiez, " etc. Comme s'il disait : Puisque vous doutez de ma parole, j'y joindrai les œuvres, pour confirmer la vérité de ce qui ne paraît pas à vos yeux, il dit donc clairement : " Le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, " pour montrer qu'il a uni par un lien indissoluble la puissance divine avec la nature humaine. Il s'est fait homme, il est vrai, mais il n'en demeure pas moins le Verbe de Dieu ; il a daigné, par son incarnation, converser avec les hommes, mais il n'en avait pas moins la puissance de faire des miracles, et d'accorder la rémission des péchés ; car son humanité n'a diminué en rien les attributs de sa divinité ; et la divinité n'a point empêché que le Verbe de Dieu se fit sur la terre Fils de l'homme, en réalité et d'une manière permanente. — théophyl. Il dit donc au paralytique : " Prenez votre lit, " pour établir plus clairement la vérité du miracle, et pour montrer qu'il n'est pas seulement apparent, mais bien réel, et qu'avec la guérison, il rend à cet homme la force. C'est ainsi qu'il ne se contente pas de retirer les âmes du péché, mais qu'il leur donne encore la force pour accomplir les commandements.

bêde. Jésus opère donc un prodige extérieur, pour rendre témoignage au miracle intérieur, bien qu'à vrai dire, il appartînt à la même puissance de guérir les maladies du corps et celles de l'âme : " Et aussitôt, il se leva, et ayant pris son lit, il s'en alla en présence de tous. " — S. chrys. Il commença par guérir ce qu'il était venu chercher, c'est-à-dire les âmes en remettant leurs péchés, pour opposer ensuite au doute des pharisiens un miracle sensible, confirmer sa parole par ses œuvres, et prouver par l'évidence du prodige extérieur la vérité du prodige intérieur, c'est-à-dire la guérison de l'âme rendue manifeste par la guérison du corps. — bède. Nous devons aussi comprendre par là, que les péchés sont la source de la plupart des infirmités corporelles ; et c'est probablement pour cela, que les péchés sont remis tout d'abord, afin que la santé ne soit rendue que lorsque les causes de l'infirmité ont disparu. En effet, les hommes sont soumis aux infirmités de la chair, pour cinq causes : c'est pour augmenter leurs mérites, comme nous le voyons dans Job et dans les martyrs ; ou pour conserver l'humilité, comme il advint à saint Paul, tourmenté par l'ange de Satan ; ou pour nous faire comprendre la malice de nos péchés et la nécessité de nous en corriger, comme Dieu le permit pour Marie, sœur de Moïse, et pour le paralytique ; ou pour la gloire de Dieu, comme l'aveugle-né et Lazare en sont une preuve; ou comme un commencement de damnation, comme il arriva pour Hérode et Antiochus. Or, nous devons admirer la vertu de la puissance divine, qui, sur-le-champ, et d'une seule parole, opère le salut de cet homme. Aussi, lisons-nous : " Et ils étaient dans l'admiration, " etc. — victor d'antioche. Ils négligent le plus important, c'est-à-dire la rémission des péchés, pour admirer ce qui frappe les yeux, la guérison du corps. — théophyl. Ce paralytique n'est point celui dont saint Jean raconte la guérison. Ce dernier n'avait point d'homme pour le porter. Celui dont il est ici question, en a quatre. L'un est guéri dans la piscine, l'autre dans une maison particulière. Mais c'est le même dont saint Marc et saint Matthieu rapportent la guérison. Il y a aussi une signification mystérieuse dans le lieu choisi par Jésus-Christ pour opérer ce miracle, c'est Capharnaüm, le lieu de la consolation. —bède. Jésus, prêchant dans cette maison, ne peut être entendu de ceux qui étaient à la porte, c'est-à-dire que lorsque Jésus prêchait dans la Judée, les Gentils ne purent entrer pour l'entendre, mais cependant il envoya des prédicateurs à ceux qui étaient dehors pour leur enseigner sa doctrine.

S. jer. La paralysie est l'image de la torpeur spirituelle, dans laquelle languit le paresseux, engourdi par une honteuse mollesse, tout en conservant le désir du salut de son âme. — théophyl. Si donc dans le funeste relâchement des puissances de mon âme, semblable à un paralytique, je tends mollement vers le bien ; et que porté par les quatre Evangélistes, je sois présenté à Jésus-Christ, j'entendrai cette parole : " Mon fils, vos péchés vous sont remis ; " car on devient fils de Dieu par l'accomplissement de ses préceptes. — bède. Ou bien ces quatre hommes représentent les quatre vertus que l'on nomme la prudence, la force, la tempérance, la justice, et sur lesquelles l'homme s'appuie, pour parvenir à la guérison. Ces vertus désirent présenter le paralytique au Sauveur, mais elles ne peuvent arriver jusqu a Jésus, a cause de la foule qui empêche tout accès près de lui. Souvent, en effet, l'âme, qui après les langueurs des infirmités du corps, désire se renouveler à l'aide de la grâce divine, se sent retardée par l'obstacle de ses habitudes anciennes. Souvent aussi, au milieu des douceurs de l'oraison mentale et du colloque délicieux de l'âme avec son Dieu, la foule des pensées étrangères vient à la traverse, obscurcit l'œil intérieur, et l'empêche de jouir de la vue de Jésus-Christ. Il ne faut donc pas demeurer dans les basses régions, ou s'agite la foule, mais il faut monter dans la partie supérieure de la maison, c'est-à-dire qu'il faut entrer avec empressement dans les sublimités de la sainte Ecriture, en méditant la loi divine.

théophyl. Mais comment serai-je porté aux pieds de Jésus-Christ, à moins que le toit ne soit entr'ouvert ? Car ce toit figure l'intelligence qui domine toutes les puissances de notre être. Cette intelligence tient beaucoup à la terre, si l'on considère les tuiles faites d'argile, c'est-à-dire les choses terrestres qui l'enveloppent. Mais si on les soulève, la vertu de notre intelligence, comme allégée, retrouve toute sa force. Il faut ensuite nous faire entrer par cette ouverture, c'est-à-dire il faut que l'âme s'humilie ; car elle doit, non s'enfler de ce que l'intelligence est délivrée d'un accablant fardeau, mais s'humilier davantage. — bède. Ou bien encore, le malade est introduit par le toit entr'ouvert, pour signifier qu'on parvient à la connaissance du Christ, par les mystères des Ecritures qui nous sont découverts, c'est-à-dire qu'on descend jusqu'à ce Dieu humilié, par une foi pleine de piété. Ce malade, couché sur son grabat, signifie que Jésus-Christ doit être connu par l'homme, encore enveloppé de sa chair mortelle ; se lever de son grabat, c'est soustraire son âme aux désirs charnels, qui la tenaient assujettie ; emporter son lit, c'est soumettre sa chair au frein salutaire de la continence, et la séparer des jouissances terrestres, dans l'espérance des récompenses du ciel ; retourner dans sa maison en emportant son lit, c'est retourner vers le paradis. Ou bien encore, celui qui était malade revient guéri, et emporte son lit dans sa maison, c'est-à-dire que l'âme, après avoir reçu la rémission de ses péchés, s'astreint à la garde intérieure d'elle-même et des sens. — théophyl. Disons encore qu'il faut emporter son lit, c'est-à-dire soulever son corps, pour opérer le bien ; car ce n'est qu'alors que nous pourrons parvenir aux sublimes hauteurs de la contemplation, et dire au fond de notre cœur : Jamais nous n'avons vu avec tant de clarté, c'est-à-dire jamais nous n'avons si bien compris les célestes vérités, que depuis la guérison de notre paralysie ; car celui qui est purifié du péché, a l'œil de l'âme plus limpide et plus pur.

Vv. 13-17.

béde. Après que le Seigneur eut enseigné dans Capharnaüm, il sortit du côté de la mer, afin d'instruire, non-seulement les habitants des villes, mais aussi, afin de prêcher l'Evangile du royaume des cieux à ceux qui habitaient sur les bords de la mer, et de leur apprendre à mépriser et à vaincre, par la fermeté de leur foi, les mouvements désordonnés de choses périssables. Aussi lisons-nous : " Et il sortit du côté du la mer, et tout le peuple venait à lui. " — théophyl. Ou bien encore, il se dirige du côté de la mer après le miracle qu'il vient d'opérer, pour s'enfoncer dans la solitude ; mais la foule se précipite vers lui de nouveau, afin de nous apprendre que plus on fuit la gloire et plus elle nous fuit ; tandis qu'au contraire, si vous la cherchez, elle vous poursuit. Or, c'est en sortant de la ville que le Seigneur appela Matthieu : " Et comme il passait, il vit Lévi, fils d'Alphée, à son bureau, " etc.

S. chrys. Cet apôtre a reçu trois noms différents des Evangélistes ; il est appelé Matthieu par lui-même (Mt 9) ; simplement Lévi par saint Luc, et par saint Marc Lévi, fils d'Alphée ; car il était fils d'Alphée. Nous voyons dans l'Ecriture d'autres personnes qui portent deux noms. Ainsi le beau-père de Moïse porte tantôt le nom de Jéthro (Ex 3), tantôt celui de Raguel (Ex 2). — bède. Lévi désigne la même personne que Matthieu ; mais saint Luc et saint Marc, par respect et par égard pour l'Evangéliste, n'ont pas voulu le désigner par le nom qu'il portait habituellement. Saint Matthieu, fidèle à cette maxime (Pr 13) : " Le juste est son propre accusateur, " se désigne sous le nom de Matthieu et déclare qu'il est publicain, afin d'apprendre à ceux qui liront son Evangile qu'aucun pécheur converti ne doit désespérer de son salut, puisque de publicain il a été tout à coup changé en Apôtre. Il dit qu'il était assis au bureau des impôts, c'est-à-dire qu'il s'occupait du recouvrement des deniers publics, car τέλος en grec, et vectigal en latin veulent dire impôts.—théophyl. Il était assis selon l'usage au bureau des impôts, pressant les uns, vendant ses paroles aux autres, ou se livrant à quelque occupation semblable, comme font les receveurs des impôts dans leurs bureaux. C'est de cet état qu'il s'éleva jusqu'à tout abandonner pour suivre Jésus-Christ, lorsqu'il eut entendu cette parole : " Suivez-moi, " etc. — bède. Or, suivre Jésus-Christ, c'est l'imiter. C'est pour cela qu'afin de pouvoir suivre Jésus-Christ pauvre, non-seulement extérieurement, mais encore par l'affection du cœur il abandonne son propre bien, lui qui volait celui des autres. Non-seulement il renonce au bénéfice de sa charge, mais il méprise le danger auquel il s'exposait de la part du prince, en laissant des comptes irréguliers et en désordre. Car le Seigneur, qui par sa parole l'avait invité à le suivre, l'avait embrasé intérieurement du désir de répondre sans tarder à son appel.

S. jér. C'est donc ainsi que Lévi, dont le nom signifie ajouté, ayant abandonné le bureau des affaires séculières, suit le Verbe seul qui a dit (Lc 14) : " Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple."—théophyl. Celui qui auparavant était impitoyable pour les autres, devient tout à coup si bienveillant, qu'il en invite un grand nombre à s'asseoir à sa table. " Et il arriva, dit l'Evangéliste, que Jésus étant à table, beaucoup de publicains, " etc. — BÈDE. On donnait le nom de publicains à ceux qui percevaient les deniers publics, ou à ceux qui administraient les ressources du fisc et des affaires publiques. On désignait encore sous ce nom ceux qui recherchent dans le négoce les richesses de la terre. Ainsi donc tous ces publicains qui voyaient un des leurs obtenir le pardon de ses péchés et se convertir à une vie meilleure, ne désespèrent pas de leur salut. Ils viennent à Jésus, non pas en demeurant attachés à leurs vices, comme les scribes et les pharisiens le reprochent à Jésus par leurs murmures, mais en faisant pénitence de leur vie passée ; c'est ce que prouve clairement les paroles suivantes : " Car il y en avait beaucoup qui marchaient à la suite de Jésus. " Nôtre-Seigneur prenait part aux festins des pécheurs pour avoir occasion de les instruire et pour distribuer à ceux qui l'invitaient la nourriture spirituelle. — rab. (Mt 9) Tous ces faits sont des figures parfaites des mystères qu'ils renferment. En effet, celui qui reçoit Jésus-Christ dans la maison intérieure de son âme est nourri et comme enivré d'ineffables délices. Aussi le Seigneur y fait-il volontiers son entrée, et repose-t-il avec amour dans l'âme du vrai croyant, et c'est là ce festin spirituel des bonnes œuvres, d'où est exclu le riche orgueilleux et auquel le pauvre est admis.

théophyl. Les pharisiens blâment cette conduite du divin Maître, et voudraient par là se faire passer pour des hommes purs de tout péché. " Et les scribes et les pharisiens, voyant qu'il mangeait avec des publicains, murmuraient, " etc. —béde. Si l'élection de saint Matthieu et la vocation des publicains figurent la foi des nations qui d'abord n'aspiraient qu'aux richesses du monde, .il semble que l'orgueil des scribes et des pharisiens représente l'envie de ceux qui s'attristent du salut des nations.

" Jésus, entendant ces paroles, leur dit : Ceux qui se portent bien n'ont pas besoin de médecin, " etc. Il reprend par là les scribes et les pharisiens qui, prétendant être justes, évitaient la compagnie des pécheurs. Il se donne le nom de médecin, lui qui par une manière de guérir vraiment merveilleuse, a été blessé lui-même à cause de nos iniquités ; lui, dont les blessures ont été notre guérison (Is 53). Les saints et les justes dont il parle sont ceux qui voulant établir leur propre justice, ne sont pas soumis à la justice de Dieu (Rm 10). Au contraire, il appelle malades et pécheurs ceux qui, reconnaissant leur fragilité au fond de leur cœur, et voyant qu'ils ne peuvent être justifies par la loi, se soumettent par la pénitence au joug de la grâce de Jésus-Christ. Car, comme il le dit : " Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, " etc. — théophyl. Non pas, sans doute, pour qu'ils restent pécheurs, mais afin qu'ils se convertissent et fassent pénitence.

Vv. 18-22.

la glose. Après avoir incriminé le Maître près de ses disciples en l'accusant de fréquenter les pécheurs et de manger avec eux, voilà maintenant qu'ils accusent les disciples près du Maître et leur font un crime de ne pas jeûner, pour semer ainsi entre eux des germes de division. "Les disciples de Jean et ceux des pharisiens jeûnaient, " etc. — théophyl. Les disciples de Jean, qui n'étaient pas encore dans la voie de la perfection, suivaient les coutumes judaïques. — S. aug. (De l'accord des Evang., 2, 27) On peut admettre que saint Marc a joint les pharisiens aux disciples de saint Jean, parce qu'ils auraient fait avec eux l'observation qui suit : " Et ils dirent au Seigneur, " etc. Saint Matthieu n'attribue cependant ces paroles qu'aux disciples de Jean. Mais la suite indique plutôt que ce ne sont ni les uns ni les autres qui l'ont faite. En effet, nous lisons : " Et ils vinrent et dirent à Jésus : Pourquoi les disciples de Jean, " etc. Ces paroles prouvent assez que les convives présents vinrent à Jésus, et qu'ils adressèrent à ses disciples l'observation ci-dessus. Ainsi, quand saint Marc dit : " Et ils vinrent à Jésus, " il n'entend point parler de ceux dont il vient de dire : " Et les disciples de Jean et ceux des pharisiens jeûnaient ; " mais à l'occasion de ce jeune, d'autres qui s'en préoccupent viennent trouver Jésus. D'où vient donc que saint Matthieu dit formellement : " Et les disciples de Jean s'approchèrent de lui, et lui dirent, " etc. ? Gela prouve uniquement qu'eux aussi étaient là présents, et que tous en cette circonstance s'empressent de faire cette question. — S. CHRYS. Les disciples de Jean et ceux des pharisiens dévorés d'envie contre Jésus-Christ, lui demandent s'il sera le seul avec ses disciples pour prétendre, sans abstinence et sans efforts, triompher des passions. — bède. Jean-Baptiste ne but ni vin ni aucune boisson fermentée, et cette abstinence augmentait son mérite, lui qui ne possédait de sa nature aucune puissance particulière. Mais pourquoi le Seigneur, qui avait naturellement le pouvoir de pardonner les péchés, se serait-il séparé de ses disciples qu'il pouvait rendre plus purs que ceux qui observaient ces pratiques d'abstinence? Si donc Jésus-Christ jeûne, c'est afin de ne pas éluder le précepte, et s'il mange avec les pécheurs, c'est pour faire éclater à la fois sa miséricorde et sa puissance.

" Et Jésus leur répondit : Est-ce que ceux qui sont conviés aux noces, " etc. ? — S. aug. (comme plus haut.) Saint Marc appelle ici conviés aux noces (ou fils des noces) ceux que saint Matthieu appelle les fils ou les amis de l'Epoux, et il faut entendre par ces invités aux noces les amis, non-seulement de l'Epoux, mais de l'Epouse. — S. chrys. Il s'appelle l'Epoux, parce qu'il doit prendre l'Eglise pour Epouse. Or, ses épousailles, ce sont les arrhes qu'il a données, c'est-à-dire la grâce de l'Esprit saint qui a conquis à la foi l'univers entier. — théophyl. Il s'appelle encore l'Epoux, non-seulement parce qu'il s'unit les âmes virginales, mais encore parce que le temps de son premier avènement n'est point pour ceux qui croient en lui un temps de douleur, de tristesse et de travail pénible, mais un temps de repos. Ça effet, il nous affranchit des œuvres légales, et nous donne le repos par le baptême, qui nous sauve sans aucun travail de notre part. Or, les conviés aux noces ou les amis de l'Epoux, ce sont les Apôtres qui, par la grâce de Dieu, sont devenus dignes de tous les biens célestes et rendus participants d'un bonheur sans mesure. — S. chrys. Il déclare que son commerce est exempt de toute amertume, lorsqu'il ajoute : " Tant qu'ils ont avec eux l'Epoux, " etc. Celui-là s'attriste qui ne possède pas actuellement le bonheur ; mais celui qui en jouit est dans la joie et ne connaît point la tristesse. Or afin de détruire dans leur cœur tout sentiment d'orgueil et de montrer qu'il ne gardait pas ses disciples pour les vaines joies de la terre, il ajoute : " Viendront les jours où l'Epoux leur sera enlevé, " etc. Comme s'il disait : viendra le temps où ils pourront manifester leur force et leur vigueur. Car, quand l’Epoux leur sera enlevé, ils jeûneront alors ; ils aspireront ardemment après sa venue, afin d'unir à ce divin Epoux leurs cœurs purifiés par les épreuves de la terre. Il montre aussi par là qu'il n'y a nulle nécessité pour ses disciples de jeûner, puisqu'ils ont au milieu d'eux l'Epoux de la nature humaine, qui partout préside aux œuvres de la Providence divine et répand le germe de la vie dans les urnes. — II les appelle fils de l'Epoux, parce qu'en effet ils sont encore enfants et qu'ils ne peuvent en cette qualité se conformer pleinement à leur Epoux et à leur Père qui, eu égard à la fragilité de leur âge, les dispense de l'obligation du jeûne. Mais après le départ de l'Epoux, ils regretteront de l'avoir perdu et ils jeûneront alors. Toutefois, lorsqu'ils auront atteint la perfection et qu'ils seront unis à l'Epoux dans des noces toute célestes, oh ! alors, ils savoureront éternellement les mets du royal festin. théophyl. On peut aussi entendre ces paroles dans un autre sous : Tout homme qui fait le bien est ami de l'Epoux., possède avec lui l'Epoux qui est Jésus-Christ, et il ne jeûne pas, c'est-à-dire il ne se livre pas aux œuvres de pénitence parce qu'il ne pèche pas. Mais quand l'Epoux est enlevé à celui qui tombe dans le péché, cet homme jeûne alors et fait pénitence pour la guérison de, sa faute.

bede. Voici comment, dans le sens mystique, ou peut expliquer ces paroles : Les disciples de Jean et les pharisiens jeûnent, parce que l'homme qui, sans la foi, se glorifie dans les œuvres de la loi, qui suit les traditions humaines, qui ne prête aux oracles du Christ que l'oreille du corps plutôt qu'un cœur animé par la foi, se prive ainsi des biens spirituels, se dessèche et dépérit par suite de ce jeûne intérieur. Celui, au contraire, qui par un amour fidèle s'unit au corps de Jésus-Christ, ne peut jeûner, puisqu'il se nourrit avec délices de sa chair et de son sang.

" Personne ne coud un morceau de drap neuf à un vieux vêtement, " etc. — S. Chrys. C'est-à-dire : Ils sont les prédicateurs du Nouveau Testament ; il n'est donc pas possible de les assujettir aux lois anciennes. Pour vous, qui suivez les anciennes coutumes, c'est avec raison que vous observez les jeûnes prescrits par la loi de Moïse. Eux, au contraire, qui vont enseigner aux hommes de nouvelles et merveilleuses observances, devront laisser les anciennes et pratiquer les vertus intérieures. Toutefois, viendra le temps où ils seront fidèles à la pratique du jeûne et des autres vertus ; mais ce jeûne diffère de celui de la loi : Ce dernier était imposé, celui de mes disciples sera volontaire, et le fruit d'une sainte ferveur dont ils ne sont pas encore capables, ce que veulent dire les paroles suivantes : " Personne ne met de vin nouveau dans des outres vieilles, " etc. — bède. Nôtre-Seigneur compare ses disciples à de vieilles outres, et il déclare qu'ils sont incapables de contenir le vin nouveau, c'est-à-dire ses préceptes spirituels qui les feraient éclater. Mais ils deviendront des outres nouvelles, lorsque, après l'ascension du Seigneur, ils seront comme renouvelés par le désir de ses divines consolations. C'est alors que le vin nouveau s'épanchera dans des outres neuves, c'est-à-dire que la ferveur de l'Esprit saint remplira les cœurs de ces hommes tout spirituels. Ces paroles du Sauveur signifient encore que celui qui enseigne doit prendre garde de confier à une âme qui reste plongée dans ses anciennes iniquités les secrets des mystères nouveaux. — théophyl. Ou bien encore, les disciples sont comparés à de vieux vêtements à cause de la faiblesse de leur âme, incapable de supporter le joug rigoureux de la loi du jeune. C'est là une petite partie de la doctrine qui trace les règles de la tempérance chrétienne, doctrine qui enseigne à s'abstenir généralement de toutes les joies et plaisirs déréglés d'ici-bas. La fidélité à ces règles ou à cette doctrine nouvelle opère en quelque sorte une scission avec l’ancienne, et il n'y a plus de rapport entre l'une et l'autre. Le vêtement nouveau signifie les bonnes œuvres extérieures, et le vin nouveau figure la ferveur de la foi, l'espérance et la chanté qui réforment notre intérieur.

Vv. 23-28.

S. chrys. Affranchis de la loi figurative, unis à la vérité, les disciples de Jésus-Christ n'observent plus le repos figuratif du septième jour. " Et il arriva encore, " etc., dit l'Evangéliste. — bède. La suite du récit nous apprend qu'il y eu avait beaucoup qui venaient trouver Jésus-Christ, et un grand nombre qui revenaient vers lui, de sorte que les disciples n'avaient pas même le temps de manger et qu'ils souffraient naturellement de la faim.— S. chrys. Or, ils apaisaient leur faim par une nourriture simple qui ne flattait point la sensualité, et n'avait pour but que de satisfaire aux nécessités de la nature. Les pharisiens, esclaves des ombres et des figures, accusaient les disciples, comme s'ils eussent été coupables. " Et les pharisiens disaient : Pourquoi vos disciples font-ils? " etc. — S. aug. (Du travail des moines, 23.) La loi prescrivait au peuple d'Israël de n'arrêter personne dans les champs, comme voleur, que celui qui voulait emporter quelque chose. Celui qui n'emportait que ce qu'il voulait manger pouvait s'en aller libre et impuni (Dt 23, 24-25). Aussi les disciples, en arrachant les épis, sont accusés par les Juifs d'enfreindre le sabbat plutôt que la justice.

S. chrys. Le Seigneur, pour détruire cette vaine accusation, justifie ses disciples par l'exemple de David qui, lui aussi, mangea, contrairement aux prescriptions de la loi, des pains réservés aux prêtres seuls. " N'avez-vous pas lu, leur dit-il, ce que fit David?" —théophyl. David, en effet, lorsqu'il fuyait devant Saul vint trouver le grand-prêtre, mangea des pains de proposition et enleva l'épée de Goliath, offrandes consacrées à Dieu (I R 21). Il en est qui demandent comment il se fait que l'Evangéliste donne à ce prince des prêtres le nom d'Abiathar, tandis que le livre des Rois le désigne sous le nom d'Abimélech. — bède. I1 n'y a là aucune contradiction : car, lorsque David survint, qu'il demanda et mangea les pains de proposition, Abimélech, prince des Prêtres, et Abiathar, son fils, étaient présents l'un et l'autre. Or, Abimélech ayant été mis à mort par Saul, Abia-thar se réfugia près de David et devint le compagnon de son exil. Quand David monta ensuite sur le trône, Abiathar obtint la dignité de grand-prêtre qu'il honora plus que n'avait fait son père. Aussi il mérita que le Seigneur conservât son nom à la postérité et qu'il le désignât comme grand-prêtre, même du vivant de son père. " Et il leur dit encore : le sabbat a été établi pour l'homme, " etc. Car le soin que l'homme doit prendre de sa santé et de sa vie est de beaucoup préférable à l'observance du sabbat. C'était une loi, sans doute, de garder le sabbat, mais s'il y avait nécessité, on pouvait l'enfreindre sans péché. Aussi il n'était pas défendu de circoncire le jour du sabbat, parce qu'il y avait nécessité. Les Machabées eux-mêmes, obéissant à la nécessité, combattirent le jour du sabbat. De même la nécessité excusa les disciples, pressés par la faim, de faire ce qui leur était interdit par la loi, comme aujourd'hui un malade pourrait enfreindre le jeûne sans se rendre coupable. Il ajoute : " Mais le Fils de l'homme est maître, même du sabbat ; " paroles dont voici le sens : Le roi David est excusable d'avoir mangé des aliments réservés aux prêtres : à plus forte raison le Fils de l'homme, le vrai Roi et le vrai Prêtre, le Maître du sabbat est-il sans péché pour avoir permis à ses Apôtres de cueillir quelques épis le jour du sabbat. — S. chrys. Jésus-Christ s'appelle lui-même le Maître du sabbat et la Fils de l'homme, parce qu'en effet tout Fils de Dieu qu'il était, il a permis qu'on l'appelât Fils de l'homme, par amour pour les hommes. Or, il est évident que la loi n'oblige pas le législateur et le souverain. La puissance d'un roi s'étend bien au delà des lois. C'est pour les faibles que la loi est portée et non pour les parfaits, dont les œuvres sont supérieures à la loi (1 Tm 1, 9).

bède. Dans le sens mystique, les disciples qui traversent ces champs couverts de moissons, ce sont les saints docteurs qui, pieusement affamés du salut des hommes, et remplis d'une sollicitude toute apostolique, passent en revue les âmes qu'ils ont gagnées à la foi. Arracher les épis, c'est arracher les hommes à toutes les intentions terrestres ; les froisser entre les mains, c'est dégager par l'exemple des vertus la pureté de l'âme de la concupiscence charnelle, comme d'une sorte de paille légère. Manger le grain c'est, après l'épuration des vices, sous le souffle eu quelque sorte de la prédication évangélique, être incorporé aux membres de l'Eglise. L'Evangéliste remarque fort à propos que les disciples précédaient leur Maître lorsqu'ils agirent de la sorte, parce qu'il faut en effet que la parole du prédicateur précède et que la grâce, venant à la suite, illumine de ses célestes rayons le cœur des auditeurs. C'est le jour du sabbat, parce que les docteurs eux-mêmes ne se livrent au labeur de la prédication qu'avec l'espoir du repos futur, et qu'ils doivent rappeler à leurs auditeurs qu'eux aussi sont obligés de se condamner aux plus rudes travaux, en vue de l'éternel repos. — théophyl. Ou bien cette action signifie que les prédicateurs qui ont commencé à imposer le calme à leurs passions deviennent pour les autres des maîtres de vertus en détruisant en eux tout ce qui est terrestre. — bède. Ceux-là parcourent la campagne avec le Seigneur, qui aiment à méditer les saintes Ecritures. fis ont faim, lorsqu'ils désirent y trouver le pain de vie. C'est le jour du sabbat, lorsque dans le calme de leur âme ils fuient le tumulte des pensées terrestres. Ils cueillent des épis, ils dégagent le grain de sa paille légère, pour le rendre propre à devenir leur nourriture, lorsque, s'emparant par la lecture des sentences de l'Ecriture sainte, ils s'en nourrissent par la méditation, et ne cessent de l'approfondir jusqu'à ce qu'ils y aient trouvé la moelle de l'amour divin. Toutefois, cette nourriture des âmes n'est pas du goût des insensés ; mais le Seigneur l'approuve.

CHAPITRE IIl

Vv. 1-5.

THEOPHYL. Après avoir confondu, par l'exemple de David, les Juifs qui accusaient ses disciples de cueillir des épis le jour du sabbat, le Seigneur, pour les rapprocher de plus en plus de la vérité, opère un miracle le jour du sabbat, et leur montrer par là que si c'est une œuvre de piété d'opérer des miracles le jour du sabbat pour le salut des hommes, ce n'est point un mal de pourvoir ce même jour à tous les besoins du corps. " Et étant entré une autre fois dans la synagogue, " etc. — bède. Le Seigneur avait pleinement justifié ses disciples du reproche de violer le sabbat, en alléguant l'exemple irrécusable de David ; maintenant donc, ils l'observent avec l'intention de l'accuser faussement ou de transgresser le sabbat, s'il guérit cet homme eu ce jour-là, ou d'inhumanité ou d'impuissance s'il ne le guérit pas.

" Et Jésus dit à cet homme qui avait une main desséchée : Tenez-vous là debout, au milieu. " — S. chrys. (hom. 41 sur S. Matth.) Jésus-Christ le place au milieu de cette assemblée, afin qu'ils soient frappés d'étonnement et touchés de compassion à la vue de son infirmité, et qu'ils renoncent à tout sentiment de malignité. — bède. Pour prévenir la calomnie que les Juifs s'apprêtaient à diriger contre lui, Jésus va les convaincre de violer la loi par leur interprétation coupable. Il leur dit donc " Est-il permis le jour du sabbat, de faire le bien ou de faire le mal? " Il leur adresse cette question, parce qu'ils s'imaginaient que le jour du sabbat il fallait s'abstenir même des bonnes actions, bien que la loi n'interdisait que les mauvaises (Lv 23) : " Vous ne ferez en ce jour-là aucune œuvre servile, " c’est-à-dire aucun péché., puisque celui qui fait le péché est esclave du péché (Jn 8, 34). Cette question préliminaire : "Est-il permis de faire le bien ou de faire du mal, " est la même que celle qui suit : " De sauver une âme ou de la perdre ? " C'est-à-dire de guérir un homme ou non ? Non pas que Dieu, souverainement bon, puisse être l'auteur de notre perdition, mais parce que dans le langage de l'Ecriture, pour Dieu, ne pas sauver, c'est perdre. Maintenant, si l'on s'étonne que le Seigneur, sur le point d'opérer une guérison corporelle, parle du salut de l'âme, qu'on se rappelle que dans l'Ecriture, l'âme désigne l'homme tout entier, comme dans ces paroles : " Voici les âmes qu’engendra Jacob. " On peut dire encore que Jésus opérait ces miracles en vue du salut de l'âme, ou bien enfin que la guérison de cette main desséchée était la figure de la guérison de l'âme. — S. aug. (De l'accord, des Evang., liv. 1, 35.) On peut aussi s'étonner que saint Matthieu met dans la bouche des Juifs, cette question : " Est-il permis d'opérer des guérisons le jour du sabbat, " tandis que saint Marc nous représente Jésus-Christ leur adressant lui-même cette question : " Est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal ? " Comprenons donc que les Juifs commencent par demander au Seigneur s'il était permis d'opérer des guérisons le jour du sabbat ; Jésus, voyant l'intention coupable qui leur faisait chercher l'occasion de l'accuser, place au milieu d'eux l'homme qu'il allait guérir et leur fait les questions rapportées par saint Marc et saint Luc ; et c'est alors qu'il leur proposa la comparaison de la brebis, et qu'il tire de là cette conclusion qu'il est permis de faire du bien le jour du sabbat.

" Et ils se taisaient. " Car ils savaient que Jésus allait guérir cet homme. " Et les regardant avec colère. " Ce regard courroucé, cette tristesse qu'il éprouve à la vue de l'aveuglement de leur cœur, lui sont inspirés par la nature humaine qu'il a daigné prendre pour nous. A la parole, il joint le miracle, et c'est ainsi que cet homme est guéri au seul son de sa voix. Et il étendit la main, et elle retrouva sa première souplesse. En agissant ainsi, il répondait aux accusations dirigées contre ses disciples, et montrait en même temps qu'il était lui-même au-dessus de la loi.

bede. Dans le sens mystique, cet homme dont la main est desséchée, c'est le genre humain, incapable de produire aucune bonne oeuvre, mais qui est guéri par la miséricorde du Seigneur. Oui, c'est le genre humain, dont la main s'est desséchée pour avoir cueilli le fruit défendu, dans la personne de notre premier père ; mais la grâce du Rédempteur, étendant sur l'arbre de la croix ses mains innocentes, lui a rendu la sève des bonnes œuvres, sa vigueur première. C'est dans la synagogue que nous apparaît cette main desséchée, car c'est là où le don de la science est départi plus abondamment que se trouve aussi le danger plus grave d'une faute inexcusable. — S. jér. Ou bien encore, l'infirmité de cet homme représente les avares, qui, pouvant donner, aiment mieux recevoir, préfèrent la rapine aux largesses, que l'on invite à étendre les mains, et à qui l'on semble dire : " Que celui qui dérobait ne dérobe plus, mais qu'il travaille plutôt, et qu'il exerce ses mains à une utile industrie, afin d'avoir de quoi assister ceux qui sont dans le besoin (Ep 4, 28.)

théophile. Ou bien encore, celui qui a la main desséchée est l'homme qui néglige d'opérer le bien ; car dès lors que notre main ne s'exerce plus qu'à des œuvres coupables, elle se dessèche et devient impuissante à opérer le bien, mais elle retrouvera sa force, quand cet homme coupable voudra se tenir ferme dans la vertu. Voilà pourquoi Jésus-Christ dit : " Levez-vous, " c'est-à-dire sortez du péché, tenez-vous là au milieu, et alors sa vertu ne péchera ni par défaut, ni par exagération.

Vv. 6-12.

bède. Les pharisiens, regardant comme un crime l'acte par lequel le seigneur avait, d'une parole, rendu à la main desséchée de cet homme sa vigueur première, tinrent conseil pour faire mourir Jésus : " Et étant sortis, les pharisiens, " etc. Comme si chacun d'eux ne travaillait pas bien davantage le jour du sabbat, en portant les aliments, en présentant la coupe, en faisant toutes les actions nécessaires aux besoins de la vie matérielle, car celui qui n'a eu qu'un mot à dire pour qu'il fut fait selon sa parole pouvait-il être convaincu d'avoir violé, par le travail, le jour du sabbat ?

théoph. Or, les Hérodiens étaient les partisans du roi Hérode, car il s'était élevé une certaine hérésie qui prétendait qu'Hérode était le Messie. La prophétie de Jacob (Gn 49, 10) annonçait en effet que le Christ viendrait lorsque s'éteindrait la race des princes de Juda. Or, comme au temps du roi Hérode, il ne restait plus aucun prince de race juive, et qu'Hérode, étranger à la Judée, régnait sur cette contrée, il y en eut qui s'imaginèrent qu'il était le Christ et qui donnèrent naissance à cette hérésie. Ils réunissaient donc leurs efforts à ceux des pharisiens, pour faire mourir Jésus-Christ. — bède. Ou l'Evangéliste donna le nom d'hérodiens aux ministres d'Hérode le tétrarque, qui, partageant la haine de leur maître contre Jean-Baptiste, retendaient jusqu'au Sauveur lui-même, qu'annonçait le Précurseur, et le poursuivaient de leur haine en lui tendant des pièges.

" Mais Jésus se retira vers la mer avec ses disciples. " — bède. Il fuit, comme homme, les embûches de ses persécuteurs, parce que l'heure de sa passion n'était pas encore venue, et qu'il ne devait pas souffrir hors de Jérusalem. Par cet exemple, Jésus autorise ses disciples à fuir d'une ville dans une autre lorsqu'ils seraient persécutés. — théoph. Il s'éloigne aussi des ingrats, afin de faire du bien à un plus grand nombre. Beaucoup, en effet, le suivirent, et il les guérit, selon la remarque de l'Evangéliste : " Et une foule nombreuse le suivit de la Galilée, " etc. Les Tyriens et les Sidoniens, des étrangers, profitent des grâces que leur apporte le Christ, et ses proches, c'est-à-dire les Juifs, se font ses persécuteurs. Ainsi, la parenté ne sert de rien, à moins qu'il n'y ait conformité entière de vertu. — bède. C'est le spectacle de ses œuvres merveilleuses et la doctrine qu'il leur enseigne qui excitent les Juifs à le persécuter. Les Tyriens au contraire, attirés par le bruit de ses miracles, viennent en foule pour l'entendre et solliciter le secours du salut. " Et il dit à ses disciples de lui préparer une barque, " etc. — théoph. Voyez comme il cache sa gloire : De peur, en effet, d'être accablé par la foule, il demande une barque, et il y entre pour se mettre à couvert de la foule.

" Tous ceux qui avaient quelques plaies, " etc. —théoph. Il appelle plaies les infirmités, car Dieu nous châtie comme un père châtie ses enfants. — bede. Ils se prosternaient donc aux pieds du Sauveur, et ceux qui avaient des plaies, des infirmités corporelles, et ceux qui étaient tourmentés par des esprits immondes. Les premiers demandaient simplement à être guéris de leurs infirmités ; les possédés, ou plutôt les démons qui habitaient eu eux, non-seulement se prosternaient, terrassés qu'ils étaient par une crainte divine, mais encore ils étaient contraints de proclamer sa divinité : " Et il s'écriaient : Vous êtes le Fils de Dieu. " Qui ne s'étonnerait, après cela, de l'aveuglement des Ariens, qui, malgré la gloire de sa résurrection, refusent le titre de Fils de Dieu à celui dont les démons proclament la filiation divine, lorsqu'il est encore revêtu de sa chair mortelle.

" Et il leur défendait, avec de grandes menaces, de révéler qui il était, " car Dieu dit au pécheur (Ps 49) : " Pourquoi oses-tu raconter mes justices ? " La prédication de la vérité est donc interdite au pécheur, dans la crainte que ses disciples, en prêtant l'oreille à sa parole, ne le suivent dans ses égarements. Un mauvais maître, en effet, est un démon tentateur, qui, au vrai, mêle le faux, afin de cacher ses menées frauduleuses sous l'apparence de la vérité. Du reste, non-seulement les démons, mais ceux que Jésus-Christ guérissait, les Apôtres eux-mêmes, recevaient l'ordre de taire les miracles qu'il opérait, dans la crainte que la manifestation de sa majesté divine ne retardât l'œuvre salutaire de sa passion.

Dans le sons allégorique, Jésus, sortant de la synagogue pour se retirer vers la mer, figure le salut des nations qu'il daigna visiter, en leur communiquant le don de la foi, après qu'il eut abandonné les Juifs à cause de leur perfidie, car les nations agitées par les flots des erreurs sont comparées justement à l'agitation de la mer. Une foule nombreuse le suivit des diverses provinces, c'est-à-dire qu'il reçut avec bonté un grand nombre de nations qui, plus tard, vinrent à lui, attirées par la prédication des Apôtres. La barque qui porte le Seigneur sur les flots, c'est l'Eglise, formée des divers peuples de la terre. Il monta dans cette barque pour n'être point accablé par la foule, c'est-à-dire qu'il fuit le tumulte et l'agitation des âmes charnelles : il vient à ceux qui méprisent la vanité du siècle, et se complaît à faire en eux sa demeure, il y a une différence marquée entre presser, accabler le Seigneur et le toucher. Ceux-là le pressent et l'accablent qui, par des pensées ou des actes charnels, troublent la paix où la vérité demeure. Toucher le Christ, au contraire, c'est par la foi et l'amour le recevoir dans son cœur. Aussi nous voyons que l'Evangéliste fait remarquer que ceux qui le touchèrent furent guéris.

théoph. Dans le sens moral, les hérodiens sont les hommes charnels qui veulent faire mourir Jésus-Christ, car Hérode signifie couvert de peaux ; mais ceux qui quittent leur pays, c'est-à-dire leurs habitudes vicieuses, suivent Jésus-Christ et leurs plaies, c'est-à-dire leurs péchés, qui sont les blessures de leurs âmes, sont guéries par le Sauveur Jésus en nous, c'est la raison qui veut que notre barque, c’est-à-dire notre corps, soit au service de ce divin Maître, dans la crainte d'être submergée sous les vagues dos choses de la terre.

Vv. 13-19.

bède. Après avoir défendu aux esprits mauvais de proclamer sa divinité, Jésus choisit les saints Apôtres, qui devaient chasser les esprits immondes et prêcher son Evangile. " Et étant monté ensuite sur une montagne, " etc.—théoph. Saint Luc dit qu'il gravit cette montagne pour se livrer à la prière. Après avoir opéré des miracles, il prie, pour nous apprendre à rendre à Dieu nos actions de grâces du bien que avons pu faire, et à en renvoyer toute la gloire à la puissance de Dieu. — S. chrys. II enseigne aussi par là, aux premiers pasteurs de l'Eglise, à passer lus nuits eu prières avant les ordinations, afin que leur ministère ne soit point privé de son efficacité. Lors donc que le jour fut venu, dit saint Luc, il appela ceux qu'il voulut, car il y en avait plusieurs qui marchaient à sa suite. — bède. En effet, leur vocation à l'apostolat était une affaire qui dépendait, non de leur choix et de leur volonté propre, mais bien de la grâce et de la miséricorde divine. Celte montagne, où le Seigneur daigne les choisir, figure l'éminence de la sainteté à laquelle ils devaient tendre et qu'ils devaient ensuite prêcher aux hommes. —S. jer. (Ps 57 ; Is 2, 2) Ou bien encore, dans le sens spirituel, Jésus-Christ est cette montagne d'où jaillissent les eaux vives, où se prépare le lait pour le salut des enfants, où l'on trouve l'abondance des richesses spirituelles, et, avec la foi, le trésor du souverain bien. Toutes ces faveurs célestes sont là, comme en dépôt, sur cette mystérieuse montagne. Aussi, est-ce sur cette montagne que le Sauveur appelle ceux qui excellent par leurs discours et leurs œuvres, afin "lue l'élévation du lieu soit en rapport avec l'élévation de leurs mérites.

" Et ils vinrent à lui, " etc. Le Seigneur a aimé la beauté do Jacob (Ps 46). De même que les douze Apôtres doivent s'asseoir sur douze trônes, pour juger les douze tribus d'Israël, ainsi doivent-ils veiller par groupes de trois, répétés quatre fois, près du tabernacle du Seigneur, et porter en quelque sorte sur leurs épaules ses oracles sacrés. —bède. Ce nombre mystérieux était figuré autrefois par les enfants d'Israël, qui campaient autour du tabernacle. Trois tribus stationnaient aux quatre côtés du tabernacle ; or, trois fois quatre font douze, et c'est au U0mbre de douze que les Apôtres furent envoyés pour prêcher l'Evangile aux quatre parties du monde, et baptiser les nations au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, " Et il leur donna le pouvoir, " etc. Il voulait par là que la grandeur et l'éclat de leurs œuvres servissent de témoignage à la grandeur des promesses célestes, et que des prodiges nouveaux vinssent confirmer la doctrine nouvelle qu'ils annonçaient.

tiiéoph. Il désigne les douze Apôtres par leur nom, afin qu'on pût les discerner des faux Apôtres, qu'il fallait éviter : " Et il donna à Simon le nom de Pierre, " etc. — S. aug. (De l'accord des Evang., liv. 2, 17) Il ne faut pas croire cependant que c'est alors seulement que Simon reçut ce nouveau nom de Pierre, ce qui serait opposé à ce que rapporte saint Jean, qui place bien avant cette parole de Jésus : " Tu t'appelleras Céphas, " c'est-à-dire Pierre. C'est ce que saint Marc rappelle comme par manière de récapitulation. Il avait dessein d'énumérer les noms des Apôtres, et il devait nécessairement parler de Pierre, il eut donc la pensée d'insinuer très brièvement qu'il n'avait pas toujours porté ce nom, mais que le Seigneur le lui avait donné. — bède. Le Sauveur voulut qu'il prit un autre nom tout d'abord, pour appeler l'attention sur le mystère dont ce changement était la figure. Le mot Pierre, en grec comme en latin (en syriaque Céphas), dérive de petra, rocher ou pierre, et nul doute que cette pierre ne soit autre que celle dont l'Apôtre dit (1 Co 10) :" Or, cette pierre était Jésus-Christ. " Carde même que Jésus-Christ était la vraie lumière (Jn 1), et qu'il donna aux Apôtres le privilège d'être appelés la lumière du monde, de même il accorda à Simon, plein de foi en Jésus-Christ, qui est la pierre angulaire, ce nom glorieux de Pierre. — S. jér. De l'obéissance figurée par le nom de Simon, il s'élève à la connaissance que le nom de Pierre signifie.

" Et Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, " etc. — bède. Il faut sous-entendre : " Et, étant monté sur la montagne, il appela à lui Jacques et Jean, " etc.—S. jér. Jacques, c'est-à-dire qui supplante et détruit tous les désirs de la chair ; Jean, c'est-à-dire celui qui reçoit de la grâce ce que les autres obtiennent par leurs efforts. " Et il les surnomma fils du tonnerre. " — S. chrys. Il appela ainsi les fils de Zébédée, parce qu'ils devaient répandre par toute la terre les oracles majestueux et éclatants de la divinité. — S. jér. Ou bien encore, cette dénomination fait ressortir les vertus éminentes de ces trois premiers Apôtres, qui ont mérité d'entendre sur la montagne la voix retentissante du Père, qui fit retentir comme un tonnerre, du sein de la nuée (Mt 17), ces paroles : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé. " Le Sauveur voulait aussi que ses Apôtres fussent sous la nuée de la chair qui les enveloppait, et par le feu de la parole, des foudres spirituels, versant la pluie sur la terre, semblables en cela au Seigneur, qui change en pluie les éclats de la foudre, et éteint par l'eau de la miséricorde le feu de la vengeance.

" Et André. " — S. jér. Le mot André signifie qui attaque avec une vigueur toute virile ce qui fait notre ruine, afin de trouver toujours en lui une réponse de mort, et que son âme soit toujours comme entre ses mains. — bêde. André est un nom grec, qui signifie viril, parce qu'il s'attacha au Seigneur avec courage.

" Et Philippe. "—S. jér. Ce nom signifie bouche de la lampe, c'est-à-dire celui dont les lèvres peuvent révéler ce que son cœur a conçu, parce que le Seigneur lui a ouvert la bouche pour éclairer le autres. Nous savons en effet qu'il est d'usage, dans l'Ecriture, d'attacher aux noms hébreux une signification mystérieuse.

" Et Barthélemi. " — S. jér. Qui est le fils de Celui qui suspend les eaux ; de Celui qui a dit (Is 5) : " Et je commanderai aux nuages de ne point verser leurs eaux sur la terre. " Ce nom de fils de Dieu, on l'acquiert par un esprit pacifique, par l'amour de ses ennemis. " Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils sont enfants de Dieu " (Mt 5); " Aimez vos ennemis, afin d'être les enfants de Dieu. "

" Et Matthieu. " — S. jér. Qui est comblé des dons du Seigneur, parce qu'en effet il reçut, non-seulement la rémission de ses péchés, mais encore la faveur d'être admis au nombre des Apôtres. Et Thomas, c'est-à-dire qui est un abîme, car après avoir acquis la connaissance des plus profonds mystères, il les publie, lui et les autres Apôtres, avec l'assistance divine, " Et Jacques, fils d'Alphée, " c'est-à-dire du docte ou du millième, et mille tomberont à ses côtés (Ps 60). C’est cet autre Jacob qui doit lutter, non point contre la chair et le sang, mais contre la malice spirituelle de Satan (Ep 6). " Et Thadée, " Corculus, c'est-à-dire qui cultive son cœur, qui le garde avec le plus grand soin (Pr 4). — bêde. Thadée est celui que saint Luc, dans son Evangile (Lc 6), et dans les Actes des Apôtres (Ac 1), désigne sous le nom de Jude, frère de Jacques. Il était en effet frère de Jacques, lequel était lui-même frère, c'est-à-dire cousin germain du Seigneur, comme il l'écrit dans son Epître.

" Et Simon le Chananéen, et Judas Iscariote, qui le livra. " L'Evangéliste ajoute ici quelques explications : il veut distinguer ceux dont il parle de Simon-Pierre et de Juda ou Jude, frère de Jacques. Simon est appelé Chananéen, de Chana, bourg de la Galilée. Judas est surnommé Iscariote, du bourg où il était né, ou de la tribu d'Issachar. — théoph. L'Evangéliste le met au nombre des Apôtres, pour nous apprendre que Dieu ne rejette personne en prévision de sa méchanceté future, mais qu'il l'honore, au contraire, par égard pour sa vertu présente. — S. jér. Simon signifie qui dépose la tristesse. " Bienheureux ceux qui pleurent, dit Jésus-Christ, parce qu'ils seront consolés (Mt 5). Simon s'appelle le Chananéen, ou Zélotès, c'est-à-dire celui qui est dévoré du zèle de la gloire de Dieu (Ps 68). Judas Iscariote, c'est-à-dire celui qui n'efface point par la pénitence son péché, et dont le souvenir ne s'efface pas davantage ; car Judas signifie celui qui confesse ou qui est avide de gloire ; et Iscariote signifie souvenir de mort. Et en effet il y a, dans l'Eglise, beaucoup de confesseurs superbes et vains, comme Simon le magicien, Arius et les autres hérétiques, et dont la funeste mémoire -n'est rappelée dans l'Eglise qu'afin d'en éloigner les âmes chrétiennes.

Vv. 20-22.

bède. Le Seigneur ramène à la maison ceux qu'il avait choisis sur la montagne, comme pour leur apprendre qu'après avoir reçu la dignité de l'apostolat ils devaient rentrer dans leur conscience. " Et ils vinrent à la maison, et la foule s'y assembla de nouveau, de sorte qu'ils ne pouvaient pas même prendre leur repas. " — S. chrys. Les chefs de la nation étaient pleins d'une superbe ingratitude, et ne pouvaient, à cause de leur orgueil, parvenir à la connaissance de la vérité. Mais la multitude du peuple, pleine de reconnaissance, vient à Jésus. — bède. Et combien est heureuse cette foule qui afflue vers Jésus, et qui a tellement à cœur d'obtenir son salut qu'elle ne laisse ni à celui qui en est l'auteur, ni à ses disciples le temps de prendre leur nourriture. Toutefois, remarquons que celui que la foule extérieure recherche et fréquente ne recueille de la part de ses proches qu'une médiocre estime. Ecoutez l'Evangéliste : " Ce que les siens ayant appris, " etc. En effet, ils ne comprenaient pas la profondeur de la sagesse qu'il leur enseignait, et ils s'imaginaient que son langage était dépourvu de sens. Ils disaient donc : " II a perdu l'esprit. " — théoph. C'est-à-dire qu'il est possédé du démon et qu'il est furieux. Ils voulaient se saisir de lui, pour l'enfermer comme un démoniaque ; et c'étaient les siens qui voulaient prendre cette mesure, c'est-à-dire ses proches, peut-être ses compatriotes ou ses frères.— victor d'antioche. N'était-ce pas une inconcevable folie de traiter d'insensé l'auteur de si grands miracles, et Celui qui enseignait une doctrine toute céleste, ou plutôt les oracles de la divine sagesse ?

béde. Il y a du reste une grande différence entre ceux qui ne comprennent point la parole de Dieu, par suite de la lenteur de leur intelligence, tels qu'étaient ceux dont il est ici question, et ceux qui comprenant très-bien cette divine parole, la poursuivent sciemment de leurs blasphèmes, comme le firent ceux dont l’Evangéliste ajoute : " Et les scribes qui étaient venus de Jérusalem, " etc. Ils s'efforcent en effet de dénaturer par une interprétation maligne les faits qu'ils ne pouvaient nier, comme si ces faits n'étaient pas l'œuvre de la divinité, mais qu'ils eussent pour auteur le plus immonde des esprits, Béelzébub, qui était le dieu d'Accaron ; car Beel a le môme sens que Baal, et zébub signifie mouche. Béelzébub signifie doue l'homme des mouches, à cause des souillures qu'elles laissaient sur le sang immolé, à ce faux dieu. Cette infâme dénomination de prince des démons, ils la donnaient à Notre-Seigneur lui-même, en ajoutant : " Il chasse les démons au nom du prince des démons. "

S. jer. Dans le sens mystique, cette maison à laquelle ils viennent, c'est la primitive Eglise. La foule qui empêche de manger le pain , ce sont les péchés et les vices: car celui qui mange ce pain indignement, mange et boit sa condamnation. (1 Co 11) — bède. Les scribes qui viennent de Jérusalem blasphèment, mais la foule qui en vient également suit le Seigneur aussi bien que les Juifs, et les Gentils qui vinrent des autres contrées. C'est ce qu'on devait voir encore au temps de la passion, où le peuple juif le conduirait en triomphe à Jérusalem des palmes dans les mains et en célébrant ses louanges, les Gentils demanderaient à le voir, tandis que les scribes et les pharisiens machineraient sa mort.

Vv. 23-30.

S. chrys. (hom. 42 sur S. Matth. et dans l'Ouvrage imparfait, hom. 29.) Le Seigneur, relevant ce blasphème des scribes, leur montre l'impossibilité du fait qu'ils avancent et confirme sa démonstration par un exemple : " Et les ayant assemblés, il leur disait en parabole : Comment Satan peut-il chasser Satan ? " C'est-à-dire : Un royaume divisé contre lui-même par une guerre intestine sera nécessairement entraîné à sa ruine ; c'est ce qui arrive aussi bien dans une famille que dans une cité. Si donc le royaume de Satan est divisé contre lui-même, de sorte que Satan chasse Satan du milieu des hommes, la ruine du royaume des démons est imminente. Or, le règne des démons consiste à tenir les hommes asservis à leur tyrannie. Si donc ils sont chassés loin des hommes, dès lors leur empire est détruit ; mais, s'ils conservent encore leur pouvoir sur les hommes, il est évident que le royaume de ce malin esprit est encore debout, et qu'il n'est point divisé contre lui-même. — la glose. Après avoir démontré par cet exemple que le démon ne peut chasser le démon, Jésus enseigne la manière de le chasser : " Personne, dit-il, ne peut enlever les armes du fort armé, à moins qu'il ne l'ait enchaîné auparavant, " etc. — théophyl. Voici le sens de cette comparaison : le fort, c'est le démon ; ces armes, ce sont les hommes où il fait sa demeure. À moins donc qu'on n'ait auparavant vaincu et enchaîné Satan, comment lui ravir ses armes, c'est-à-dire les infortunés qu'il possède ? C'est ainsi que moi, qui lui ravis ses armes, c'est-à-dire qui délivre les hommes de la possession du démon, je commence par enchaîner et vaincre ces esprits de ténèbres et je me constitue leur ennemi. Gomment donc pouvez-vous dire que je suis possédé par Béelzébub et que je suis l'ami des démons, moi qui les chasse et les mets en fuite ?—bède. Le Seigneur a aussi enchaîné le fort, c'est-à-dire le démon, en paralysant les moyens de séduction qu'il emploie contre les élus. Et étant entré dans la maison, c'est-à-dire dans le monde, il a pillé sa maison et ravi ses meubles, c'est-à-dire les hommes qu'il soustrait aux pièges de Satan et incorpore à son Eglise. Ou bien encore, il a pillé sa maison parce que les diverses parties du monde où dominait cet antique ennemi du genre humain ont été données en partage à ses Apôtres et à leurs successeurs, pour ramener tous ces peuples dans la voie de la vie. Le Seigneur leur montre l'énormité du crime qu'ils commettaient en osant attribuer au démon ce qu'ils savaient très-bien être l'œuvre de Dieu. Il ajoute donc : "Je vous la dis en vérité, tous les péchés seront remis, " etc. Et en effet, tous les péchés, les blasphèmes ne sont pas indifféremment remis à tous les hommes ; mais seulement à ceux qui font ici-bas une digne pénitence de leurs égarements. Ainsi il ne faut admettre ni l’erreur de Novatien, qui refusait le pardon aux martyrs qui étaient tombés, malgré leur repentir ; ni l'erreur d'Origène, qui prétend qu'après le jugement universel, après les innombrables évolutions des siècles, les pécheurs obtiendront le pardon de leurs péchés. Notre-Seigneur combat cette erreur dans les paroles suivantes : " Celui qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit ne recevra jamais son pardon. " — S. chrys. Jésus-Christ déclare que le blasphème contre sa personne trouvera son pardon, parce qu'il avait paru sur la terre comme un homme méprisé et de basse extraction ; mais l'outrage contre Dieu n'a point de pardon à espérer. Or, le blasphème contre le Saint-Esprit s'adresse directement à Dieu même. Car le règne de Dieu est l'œuvre de l'Esprit saint, et c'est pour cela que Jésus-Christ déclare que le blasphème contre le Saint-Esprit ne sera jamais pardonné. Au lieu de ces paroles : " Mais il sera coupable d'un crime éternel, " un autre Evangéliste (Mt 12) dit : " II ne sera remis ni en ce monde ni en l'autre. " II faut entendre par là le jugement prescrit par la loi juive, et le jugement futur. La loi juive, en l'Ilot, condamnait à mort celui qui blasphémait contre Dieu (Lv 24, 15), et aux yeux de la loi nouvelle il est également sans excuse. Or, quiconque reçoit le baptême est par là même placé en dehors du siècle présent, et cette vertu du baptême qui remet les péchés était ignorée des Juifs. Celui donc qui attribue au démon les miracles et l'expulsion des démons qui sont l'œuvre propre de l'Esprit saint tout soûl, celui-là ne peut excuser son blasphème, et un blasphème aussi énorme ne peut être remis, parce qu'il est contre le Saint-Esprit. Or voici en quoi consistait ce blasphème : " Et ils disaient : Il est possédé de l'esprit immonde. "

THEOPHYL. Il faut entendre qu’ils n’obtiendront pas leur pardon à moins qu'ils ne se repentent et ne fassent pénitence. Lorsqu'ils se scandalisaient des humiliations qui étaient la conséquence de l'incarnation du Christ, même sans repentir, ils étaient tant soit peu excusables et obtenaient quelque chose du pardon de leur crime.—S. jér. Ou bien ces paroles signifient que celui qui, reconnaissant Jésus pour le Christ, ose l'appeler le prince des démons, ne méritera point de faire pénitence, ni d'obtenir par là son pardon.—bede. Toutefois, ceux qui ne croient pas à la divinité du Saint-Esprit ne sont pas coupables de ce blasphème irrémissible, parce que cette erreur est l'effet non point d'une malice diabolique, mais bien plutôt de l'ignorance humaine. — S. aug. (serm. 11, chap. 12 sur les paroles du Seign.) Ou bien encore, cette impénitence elle-même est le blasphème contre le Saint-Esprit, blasphème qui sera irrémissible. Car celui dont le cœur impénitent s'amasse un trésor de colère (Rm 2) se rend coupable de blasphème contra le Saint-Esprit, soit par ses pensées, soit par ses discours. L'Evangéliste ajoute : " Parce qu'ils disaient : Il est possédé d'un esprit immonde. " Il veut montrer par là que Jésus-Christ prononce cet anathème contre les Juifs, parce qu'ils l'accusaient de chasser les démons au nom de Béelzébub. Ce n'est pas que ce fût là un blasphème absolument irrémissible, puisqu'on peut en obtenir le pardon par un repentir sincère ; mais le Seigneur proféra cette terrible sentence, parce qu'ils l'accusaient de recourir à l'intervention de l'esprit immonde, et il leur démontre qu'il serait ainsi, divisé contre lui-même, tandis que le Saint-Esprit unit par un lien indivisible ceux qu'il rassemble en pardonnant les péchés, qui de leur nature sont des principes de division intestine. Or il n'y a, pour rejeter ce don de la miséricorde divine, que celui dont le cœur est endurci par l'impénitence. En effet, dans un autre endroit, les Juifs accusèrent Jésus d'être possédé du démon (Jn 8), et cependant il ne les accuse point de blasphème contre le Saint-Esprit. C'est qu'alors ils ne mirent point en avant l'esprit immonde, et ne fournirent pas au Sauveur l'occasion de leur démontrer, par leur propre témoignage, qu'il serait divisé contre lui-même, comme le serait Béelzébub par la puissance duquel ils prétendaient que les démons pouvaient être chassés.

Vv. 30-35.

théophyl. Comme les parents du Sauveur, qui le croyaient atteints de folie, étaient venus pour s'emparer de sa personne, sa mère, conduite par son amour, vint le trouver. " Et sa mère et ses frères, dit l'Evangile, vinrent à lui. " — S. chrys. Ces paroles prouvent évidemment que sa mère et ses frères n'étaient pas toujours avec lui. Mais comme ils l'aimaient tendrement, ils viennent le trouver, conduits par le respect et l'affection, et ils l'attendent au dehors, " car toute la foule était assise autour de lui. " — bède. Les frères du Seigneur, dont il est ici question, lie sont pas, comme le prétend Helvidius, les fils de Marie, qui est restée toujours vierge, ni les fils de Joseph, qu'il aurait eus d'une autre épouse, selon l'opinion de quelques autres, mais simplement ses parents. — S. Chrys. Un autre Evangéliste dit (Jn 7) que ses frères ne croyaient pas encore en lui, ce qui se rapporte parfaitement à ce qui est dit ici, qu'ils le cherchaient et l'attendaient au dehors. Aussi, se conformant à leurs dispositions, il semble ne pas se souvenir qu'ils sont ses parents, et il répond : " Quelle est ma mère et qui sont mes frères ? " En parlant de la sorte, il ne renie ni sa mère, ni ses frères, mais il montre qu'il faut placer l'estime qu'on doit faire de son âme bien au-dessus de tous les liens du sang, et il donne cette leçon à ceux qui recherchaient la conversation de leurs proches, comme une chose plus utile que la doctrine du salut.

bede. Malgré leurs instances, il n'en continue pas moins la prédication de la divine parole, non qu'il oubliât les devoirs de la piété filiale, mais afin de montrer qu’il se devait bien plus aux mystères de son Père qu'aux devoirs de la tendresse filiale envers sa mère. Il ne témoigne aucun mépris pour ses frères, mais il préfère les œuvres spirituelles aux liens de la parenté, et il nous enseigne que le lien qui unit les cœurs est plus sacré que celui qui ne fait qu'unir les corps. " Et regardant ceux qui étaient assis autour de lui : Voici, dit-il, ma mère et mes frères. " — S. chrys. Nôtre-Seigneur nous apprend encore ici qu'il faut honorer plus que nos proches ceux qui nous sont unis par la foi. On devient la mère de Jésus par la prédication, car on lui donne une sorte de naissance en l'enfantant dans le cœur de ceux qu'on est chargé d'enseigner. — S. jér. Or, sachons que nous sommes les frères et les sœurs de Jésus, à cette condition que nous accomplirons la volonté de son Père, afin d'être un jour ses cohéritiers, car Jésus discerne ses frères et ses sœurs d'après leurs actes et non d'après la différence des sexes. " Celui qui fait la volonté de mon Père est mon frère, etc. " — théoph. Il ne refuse pas à sa mère ce titre glorieux, mais il montre qu'elle est digne de le porter, non-seulement parce qu'elle a enfanté le Christ, mais encore parce qu'elle est un modèle accompli de toutes les vertus.

bede. Dans le sens mystique, la mère et le frère de Jésus sont la synagogue et le peuple juif, qui lui aussi est sorti de la synagogue. Ils ne peuvent entrer dans l'intérieur de la maison pendant que Jésus y enseigne, parce qu'ils ne s'appliquent point à entendre, dans le sens spirituel, ses divins oracles. Mais la foule prévient les Juifs et parvient jusqu'à Jésus, c'est-à-dire que, tandis que la nation juive ne s'empresse nullement de venir à Jésus, les Gentils affluent vers lui de toutes parts. Les parents de Jésus, qui se tiennent dehors, et qui veulent le voir, ce sont les Juifs, qui, se tenant dehors, se constituent gardiens de la lettre, et qui aiment mieux presser Jésus de sortir, pour leur donner un enseignement tout charnel, plutôt que d'entrer, pour recueillir sa doctrine toute spirituelle. Si donc, par cela seul qu'ils se tiennent dehors, Jésus ne voulut point reconnaître ses parents, comment nous reconnaîtra-t-il si nous restons dehors, car c'est au dedans qu’est le Verbe, c’est au dedans qu’est la lumière.

CHAPITRE IV

Vv. 1-20.

THEOPH. Les dernières paroles du Sauveur sembleraient indiquer une certaine indifférence pour sa mère ; cependant, il a pour elle les plus grands égards, car c'est à sa considération qu'il se dirige sur les bords de la mer. " Et il se mit de nouveau à enseigner. " —bède. Le récit de saint Matthieu prouve que ce discours que Jésus va prononcer sur le bord de la mer a eu lieu le même jour que celui qui précède, car cet Evangéliste, après avoir rapporté le premier discours, ajoute immédiatement : " Ce même jour, Jésus sortit de la maison et vint s'asseoir sur le bord de la mer. " — S. jér. Il commence à enseigner sur le bord de la mer, comme pour indiquer, par la nature du lieu qu'il choisit, l'amertume et l'inconstance de ses auditeurs. — bède. Il sort de la maison, et continue ses enseignements sur le bord de la mer, pour figurer qu'il devait laisser la synagogue pour réunir la multitude des nations par le ministère de ses Apôtres : " Et une foule nombreuse se réunit autour de lui, " etc. — S. chrys. Le choix qu'il fait de cet emplacement n'est pas sans raison : le Sauveur voulait ne laisser personne derrière lui, il tenait à avoir tous ses auditeurs devant les yeux. — bède. Cette barque, dans laquelle il monte, était la figure de l'Eglise, qu'il devait bâtir au milieu des nations, et dans laquelle il devait se consacrer une demeure qui lui serait chère.

" Et il leur enseignait beaucoup de choses en paraboles. " — S. jér. Une parabole est le rapprochement, au moyen d'une similitude, de choses distinctes par leur nature. En effet, le mot grec parabole signifie comparaison ; nous nous servons de paraboles lorsque nous exprimons, par des comparaisons, ce que nous voulons faire comprendre ; c'est ainsi que nous disons d'un homme qu'il est de fer, quand nous voulons exprimer sa force ou sa résistance ; nous le comparons aux oiseaux, au vent, si nous voulons faire ressortir son agilité. Le Sauveur, selon la conduite ordinaire de sa sagesse, se sert de paraboles pour instruire le peuple, afin que ceux qui ne pourraient atteindre les choses célestes dans leur nature pussent les comprendre à l'aide d'une comparaison empruntée aux choses de la terre. — S. chrys. Notre-Seigneur, par la parabole, éveille l'esprit des auditeurs et les prépare à l'intelligence d'un enseignement plus clair, en plaçant, pour ainsi-dire, les objets sous leurs yeux.

théoph. Afin de rendre ses auditeurs plus attentifs, il choisit, pour sujet de sa première parabole le semence, qui n'est autre que la parole de Dieu. Il leur disait dans sa manière d'instruire (car il n'emprunte pas la manière d'enseigner de Moïse ou des prophètes, l'enseignement qu'il donne lui est propre, c'est son Evangile) : Ecoutez : " Celui qui sème sortit, " etc. Et c'est Jésus Christ lui-même qui est cette semence.— S. chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Il n'est point sorti en changeant de lieu, puisqu'il est présent dans tous les lieux et les remplit de son immensité. Cette expression signifie simplement l'économie divine, d'après laquelle, dans son Incarnation, le fils de Dieu s'est comme rapproché de nous, en se revêtant de notre chair. Nous ne pouvions aller à lui, retenus que nous étions par les liens de nos péchés ; il est venu lui-même à nous ; il est venu jeter la semence de son amour, qu'il a répandue avec profusion. " Celui qui sème sortit pour semer. " Ne voyons pas, dans cette répétition, une redondance inutile, car le semeur sort, tantôt pour semer, tantôt pour préparer la terre à de nouvelles semailles, ou bien pour arracher les mauvaises herbes, ou enfin pour quelqu'autre travail de ce genre ; mais Jésus-Christ est sorti pour semer. — bède. Ou bien il sortit pour semer, c'est-à-dire qu'après avoir appelé à la foi la partie de là synagogue qu'il avait prédestinée, il alla répandre les dons de sa grâce sur les Gentils, qu'il avait également appelés à croire en lui.

S. chrys. (Ibid.) Comme celui qui sème ne fait pas de distinction entre les différentes parties du champ qu'il ensemence, mais jette partout et indistinctement le grain qu'il sème, de même Dieu fait entendre sa parole à tous sans distinction, et c'est ce que signifient ces paroles : " Et, pendant qu'il semait, une partie de la semence tomba sur la route. " —théoph. Remarquez qu'il ne dit pas que celui qui sème a jeté lui-même sa semence sur la voie, mais qu'elle y est tombée, car celui qui sème la parole sainte la répand, autant qu'il dépend de lui, dans la bonne terre ; mais si cette terre est mauvaise, c'est elle-même qui altère la parole qu'elle a reçue. La voie, c'est Jésus-Christ ; le long de cette voie, sont les infidèles qui sont hors de Jésus-Christ. — bède. Ou bien, la route, c'est l'âme continuellement battue sous les pas des mauvaises pensées, qui empêchent la semence de la parole de germer en elle ; aussi, tout ce qui tombe de bonne semence le long de ce chemin ne tarde pas à périr et à être enlevé par les démons. " Et les oiseaux du ciel survinrent et mangèrent la semence. " Les démons sont figurés par ces oiseaux du ciel, soit à cause de leur nature spirituelle et céleste, soit parce qu'ils habitent les airs. Ou bien encore, ceux qui sont le long de la voie sont les négligents et les paresseux. " Une autre partie de la semence tomba sur un endroit pierreux. " La pierre, c'est la dureté d'une âme entièrement pervertie ; la terre, la douceur d'une âme obéissante ; enfin, le soleil représente l'ardeur de la persécution. La profondeur de la terre qui doit recevoir ta semence divine, c'est la bonté d'une âme façonnée à l'exercice des vertus chrétiennes, et formée, par une sage règle, à obéir aux enseignements divins ; les endroits pierreux, qui n'ont pas la force de fixer la racine, ce sont les âmes que le charme de la parole sainte et la suavité des espérances célestes enflamment subitement, mais qui, à l'heure de la tentation, ne savent pas résister ; le désir du salut est trop faible chez elles pour faire germer la parole de vie. — théoph. Ou bien, les endroits pierreux figurent ces âmes trop légèrement attachées à la pierre, , c'est-à-dire à Jésus-Christ, qui ont à peine accueilli les célestes enseignements qu'elles les repoussent et se retirent. " Et une autre partie de la semence tomba au milieu des épines. " Ces épines, ce sont les âmes qui se laissent habituellement préoccuper de mille soucis, dont les épines sont la figure.

S. chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) En dernier lieu vient la bonne terre. " Une autre partie de la semence tomba dans la bonne terre. " La récolte varie suivant la qualité de la terre. Celui qui sème atteste sa bienveillance pour les hommes : il fait l'éloge des premiers, ne repousse pas les seconds et réserve une place plus avantageuse aux troisièmes. — théoph. Que les méchants sont nombreux, et, au contraire, qu’il en est peu qui se sauvent ! le quart seulement de la semence a produit des fruits.—S. ciirys. (hom. 45 sur S. Matth.) Ce n'est pas au mineur qu'il faut attribuer la perte de la plus grande partie de sa semence, mais à la terre qui l'a reçue, c'est-à-dire à l'âme qui écoute la parole de Dieu. Le laboureur qui sèmerait de cette façon ne pourrait justifier sa conduite : il sait parfaitement qu'un chemin battu, un terrain pierreux, ou couvert de ronces et d'épines, ne peut devenir fertile. Il n'en est pas ainsi de la culture spirituelle : la pierre même peut y devenir fertile ; le chemin peut cesser d'être foulé aux pieds des passants, et on peut en arracher les épines. S'il n'en était pas ainsi, le divin semeur n'aurait pas répandu sa semence sur ces terrains. En le faisant, il nous a donc laissé l'espérance du pardon.

" Et il disait : Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre. " — bede. Toutes les fois que nous rencontrons cet avertissement dans l'Evangile ou dans l'Apocalypse de saint Jean (Mt 11, 5 ; 12, 9. 43 ; Mc, 7, 16 ; Lc 8, 8 ; 14, 35 ; Ap 2, 7. 11. 17. 19 ; 3, 6. 13. 22 ; 13, 9), nous devons comprendre qu'il y a quelque chose de mystérieux, et l'Esprit saint veut nous donner une instruction salutaire. Les oreilles pour entendre sont les oreilles intérieures de notre cœur, qui nous portent à obéir fidèlement à ce qui nous est ordonné.

" Et lorsqu'il fut seul, ses disciples l'interrogèrent, et il leur répondit : Pour vous, il vous est donné, " etc. — S. chrys. C'est-à-dire, vous qui êtes dignes d'apprendre tout ce qui doit faire la matière de la prédication, vous allez connaître le sens caché de cette parabole. Pour les autres, au contraire, je me suis servi du langage parabolique, parce que leur mauvaise volonté les rend indignes de tout autre mode d'enseignement. Rebelles à la loi qui leur a été donnée, ils ne méritent pas de comprendre l'enseignement de la loi nouvelle ; ils restent étrangers à l'un et à l'autre. Il oppose l'obéissance des disciples au crime de ces hommes, qui les a rendus indignes de recevoir la céleste doctrine. Il achève enfin de confondre leur malice par le témoignage du prophète, qui les a condamnés si longtemps à l'avance. " De sorte que voyant, ils voient et ne voient point, et qu'en entendant, ils ne comprennent point, " paroles qui reviennent à celles-ci : " Voici l'accomplissement de cette prophétie. " —théophyl. Dieu les a créés avec la faculté de voir, c'est-à-dire de comprendre ce qui est bien ; et cependant ils ne voient point, ils font tous leurs efforts pour persuader aux autres et se persuader à eux-mêmes qu'ils ne voient point, de peur d'être contraints de se convertir, et de travailler à se corriger , comme s'ils étaient jaloux de leur propre salut. " De peur que se convertissant, ils n'obtiennent le pardon de leurs péchés. " — S. chrys. Ils voient donc, et ne voient point ; ils entendent et ne comprennent point. C'est à la grâce de Dieu qu'ils doivent de voir et d'entendre ; mais ce qu'ils voient ils ne le comprennent point, parce qu'ils repoussent cette grâce, ils ferment leurs yeux, ils feignent de ne point voir, ils résistent à la parole sainte ; ainsi, bien loin que le spectacle qu'ils ont sous les yeux et la prédication qu'ils entendent leur obtienne le changement de leur vie coupable, ils n'en deviennent au contraire que plus mauvais. — théophyl. Ou bien ces paroles signifient que pour les autres, le Sauveur les enseignait au moyen de paraboles, afin que voyant ils ne vissent point, et qu'entendant ils ne comprissent point. Car Dieu accorde la lumière et l'intelligence à ceux qui les demandent, mais il laisse les autres dans leur aveuglement, pour ne pas avoir à châtier plus rigoureusement des hommes qui, comprenant leurs devoirs, ont refusé de les accomplir : " De peur qu’ils ne se convertissent, et que je leur pardonne leurs péchés. " — S. AUG. (quest. sur l'Evang.) (Quest. 14 sur St. Matth.) Ou bien ce sont leurs péchés qui les ont privés du don de l'intelligence ; et cependant dans un dessein de miséricorde, Dieu leur avait donné la grâce de les connaître, et d'en obtenir le pardon par une conversion sincère.

S. jér. Les paroles et les actions du Sauveur, tout est parabole pour ceux qui sont en dehors de lui ; ils ne reconnaissent sa divinité, ni dans les prodiges qu'il opère, ni dans les mystères qu'il enseigne ; aussi ils ne méritent point d'obtenir la rémission de leurs péchés. — S. chrys. Il ne leur parlait, il est vrai, qu'en paraboles, mais il ne cessait de leur faire entendre sa parole, pour nous montrer qu'il ne refuse pas d'exposer les secrets de sa doctrine à ceux qui font quelques pas vers le bien, quand même ils ne seraient pas encore établis dans le bien. Quiconque apportera à l'étude de sa doctrine un grand respect et un cœur droit, obtiendra d'en pénétrer toute la profondeur. Mais celui qui nourrit des dispositions contraires, ne méritera ni de comprendre, ni même d'entendre les vérités accessibles au plus grand nombre.

" Et il leur dit : Vous ne comprenez point cette parabole ? Comment donc comprendrez-vous toutes les autres ? " — S. jér. C’était un devoir pour ceux à qui il parlait en paraboles, de demander l'explication de ce qu'ils ne comprenaient point ; et c'était de la bouche des Apôtres qu'ils méprisaient, qu'ils devaient apprendre les mystères du royaume de Dieu, qui leur étaient inconnus. — la glose. En leur tenant ce langage, le Sauveur déclare à ses Apôtres que c'est une obligation pour eux de comprendre et cette parabole, et toutes les paraboles suivantes. Aussi leur en donne-t-il à l'instant l'explication : " Le semeur, c'est celui qui sème la parole de Dieu. " — S. chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Un prophète avait comparé l'enseignement donné au peuple à une vigne plantée dans un champ ; Jésus-Christ le compare à une graine semée dans la terre, comme pour nous faire entendre qu'aujourd'hui la pratique de la loi est devenue plus simple et plus facile, et que les fruits ne se feront pas longtemps attendre.

bède. Dans l'explication que le Sauveur donne lui-même de cette parabole, se trouvent comprises les diverses classes de personnes qui entendent la parole sainte, et qui cependant ne peuvent parvenir au salut. II en est qui l'entendent sans foi, sans intelligence, sans même faire un effort pour en tirer quelque profit. C'est d'eux qu'il est dit : " Ceux qui se trouvent le long du chemin. " A peine la parole sainte a-t-elle été déposée dans leur cœur, qu'elle en est enlevée par les esprits impurs, semblables aux oiseaux qui enlèvent la semence qui est tombée sur un chemin battu. D'autres reconnaissent l'utilité et ressentent le désir de pratiquer la parole qu'ils viennent d'entendre, leurs efforts n'aboutissent à rien, mais ils cèdent les uns à la crainte des tribulations, les autres, à l'attrait des plaisirs que promet la prospérité. Les premiers sont figurés par " ce grain qui tombe dans une terre pierreuse, " et les seconds, " par la partie qui tombe au milieu des épines. " Les richesses sont assimilées aux épines, parce qu'elles percent l'âme de la pointe de leurs préoccupations, et que souvent, en l'entraînant au péché, elles lui font une sanglante blessure. " Les épines, dit le Sauveur, ce sont les sollicitudes du siècle et les illusions des richesses. " En effet, dès lors que l'homme s'est laissé séduire par le désir immodéré des richesses, il ne peut échapper aux soucis incessants qui le déchirent. Il ajoute : " Les autres objets de la convoitise. " Car celui qui met de côté la loi du Seigneur, et laisse ses désirs s'égarer sur les objets sensibles, se ferme à lui-même le chemin de la joie et du bonheur. Ces passions étouffent la parole sainte en étant au bon désir la force de parvenir jusqu'au cœur ; elles tuent l'âme en la privant du souffle destiné à entretenir la vie intérieure. Dans ces diverses classes ne sont point compris les infidèles qui ne méritent même point d'entendre la parole de Dieu.

théophyl. Ceux qui reçoivent la semence de la parole divine, se partagent aussi en trois classes : " Voici ceux qui sont représentés par la bonne terre. " Quelques-uns rapportent cent pour un, ce sont ceux qui ont embrassé la vie de la perfection et de l'obéissance, comme les vierges et les solitaires. D'autres rapportent seulement soixante pour un, ce sont ceux qui mènent une vie ordinaire, comme ceux qui pratiquent la continence et qui vivent en communauté ; enfin il en est qui ne rapportent que trente, ce sont ceux qui n'ont qu'une vertu imparfaite, et qui ne produisent de fruit que dans une mesure ordinaire, ce sont les laïques et ceux qui vivent dans l'état du mariage. — bède. Ou bien la terre produit trente, lorsque le prédicateur imprime dans le cœur des élus la croyance au mystère de la sainte Trinité ; elle en produit soixante, lorsqu'il enseigne les principes de la vie parfaite ; elle en produit cent, lorsqu'il fait le tableau des récompenses du royaume céleste ; car le nombre cent est signifié par le passage de la gauche à la droite ; l'enseignement qui fructifie au centuple, est donc l'image exacte de la félicité éternelle. Enfin la bonne terre, c'est la conscience des élus, dans laquelle s'accomplit le contraire de ce qui se passe dans les trois terrains précédents ; elle reçoit avec joie la semence de la parole divine, et quels que soient les événements heureux ou malheureux qui l'attendent, elle conserve avec fidélité la divine semence jusqu'au temps où elle produit ses fruits. — S. jér. Ou bien les fruits de la terre sont représentés par ces divers nombres, trente, soixante, cent, c'est-à-dire par les époques de la loi, des prophètes et de l'Evangile.

Vv. 21-25.

S. chrys. Après avoir répondu aux questions de ses disciples, et jour avoir exposé le sens de cette parabole, le Sauveur ajoute : " Apporte-t-on la lampe pour la mettre sous le boisseau ? " etc. C'est-à-dire j'ai proposé cette parabole, non pour que le sens en demeurât énigmatique et caché, comme une lampe placée sous un boisseau ou sous le lit, mais pour en faire connaître le sens à ceux qui en sont dignes. Cette lampe, c'est cette nature spirituelle et intelligente qui est en nous et qui, selon la mesure de sa flamme, projette ou une lumière éclatante, ou une lueur indécise ; elle ne tarde pas à s'éteindre complètement, si on néglige les méditations sérieuses, propres à entretenir dans cette lampe spirituelle la lumière et les pieux souvenirs. — S. jér. Ou bien la lampe est la parabole des trois semences : le boisseau ou le lit, c'est l'intelligence, de ceux qui n'obéissent point ; le chandelier, ce sont les Apôtres, que la parole de Dieu a illuminés de ses divines clartés. " Tout ce qui est caché, " etc. Cette chose cachée, dérobée aux regards, c'est la parabole de la semence ; la lumière vient l'éclairer, quand le Seigneur en donne l'explication. — théophyl. On pont dire encore que le Seigneur recommande ici à ses Apôtres d'être éclatants dans leur vie et dans toutes leurs actions. Une lampe, semble-l-il leur dire, est destinée à répandre la lumière autour d'elle, ainsi tous les hommes auront les yeux fixés sur votre vie ; appliquez-vous donc à la rendre sainte ; ne cherchez point les lieux obscurs, soyez véritablement une lampe. Une lampe ne se place point sous le lit, mais sur un chandelier, d'où elle puisse éclairer ce qui l'environne. Ce chandelier, sur lequel il faut placer cette lampe, c'est une vertu éminente, conforme aux enseignements divins, et dont l'éclat lumineux puisse éclairer tous ceux qui la voient. Que la lampe ne soit point cachée sous le boisseau, ni sous le lit, c'est-à-dire dans les plaisirs de la table ni dans l'oisiveté ; car l'homme, esclave de la sensualité ou de la paresse, ne sera jamais une lampe propre à répandre la lumière autour d'elle. — bède. Ou bien ce boisseau est l’image naturelle de notre vie renfermée dans la mesure déterminée par la Providence ; ce lit, c'est notre corps, qui sert d'habitation et de lieu de repos à notre âme pendant cette vie. Placer la lampe sous le boisseau ou sous le lit, c'est donc cacher la parole de Dieu par un amour excessif de cette vie passagère et des jouissances charnelles. Au contraire, la placer sur le chandelier, c'est assujettir son corps au ministère de la parole divine. Aussi le Sauveur veut-il inspirer ici, à ses Apôtres, une sainte confiance dans l'exercice de la prédication : " II n'y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni rien de secret qui ne doive venir au grand jour ; c'est-à-dire ne rougissez pas de l'Evangile, mais, au milieu des ténèbres des persécutions, élevez bien haut la lumière de la parole divine sur le chandelier de votre corps, et conservez profondément imprimé dans votre âme le souvenir du jour où le Seigneur lui-même éclairera ce qui est caché dans les ténèbres (l Co 4, 5) ; en ce jour, Dieu nous comblera de gloire et d'honneur, tandis qu'il fera peser sur les ennemis de la vérité le poids des châtiments éternels. — S. chrys. (hom. 15 sur S. Matth.) Ou bien encore : Rien de ce qui est caché , " etc., c'est-à-dire si notre vie se passe dans la pratique d'une sainte vigilance, aucune accusation ne pourra obscurcir notre lumière. — théophyl. Tous les actes de notre vie passée, soit bons, soit mauvais, arrivent à la connaissance du public dans le temps présent, à plus forte raison dans la vie future. Quoi de plus caché que Dieu ? et cependant il s'est manifesté lui-même dans notre nature humaine.

" Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende. " — bède. Que celui qui a reçu l'intelligence de la parole de Dieu ne se dérobe pas à l'accomplissement de son devoir ; mais qu'au lieu d'appliquer son esprit à l'étude des choses frivoles, il médite sérieusement l'enseignement de la vérité, qu'il applique ses mains à la mettre en pratique dans ses œuvres, et sa langue à la publier par la prédication.

" Et il leur disait : Méditez attentivement ce que vous entendez. " théophyl. Afin de ne perdre aucune des paroles que je vous ai dites : " On emploiera à votre égard la même mesure dont vous vous serez servis vous-mêmes ; " c'est-à-dire le fruit que produiront en vous mes paroles sera proportionné à l'application que vous aurez mise à les entendre. — bède. Ou bien encore, si vous vous appliquez à pratiquer dans toute son étendue le bien qui dépend de vous, et à en inspirer l'amour aux autres, la miséricorde divine vous donnera ici-bas une intelligence plus grande des vérités les plus hautes et une charité plus ardente pour accomplir des œuvres plus parfaites, et dans la vie future il y ajoutera les récompenses éternelles ; c'est ce que signifient ces paroles : " Et on vous le donnera par surcroît. — S. jér. Ou bien autrement, l'intelligence des mystères est départie à chacun selon la mesure de sa foi, et au don d'intelligence vient se joindre celui des vertus. " A celui qui a, on donnera encore ; " c'est-à-dire s'il a la foi, il recevra la vertu ; s'il exerce le ministère de la parole, il recevra l'intelligence des mystères. Au contraire, celui qui n'a pas la foi n'aura point non plus la vertu ; et s'il n'exerce pas le ministère de la prédication, il n'aura pas l'intelligence du mystère ; et celui qui n'en a pas l'intelligence, bientôt cessera même d'entendre. — S. chrys. (sur S. Matth.) Ou bien autrement encore, on donnera à celui qui a le désir et la volonté d'entendre et de demander, mais celui qui n'a pas ce désir d'entendre la parole divine, se verra enlever le peu qu'il pouvait posséder de la loi écrite. — bède. Il n'est pas rare de voir un esprit subtil et pénétrant perdre par sa négligence une science qu'un autre, doué d'une nature moins vive, mais appliquée, acquiert par son travail. — S. ciirys. On peut dire que cet homme ne possède rien, parce qu'il ne possède pas la vérité. Le Sauveur dit cependant qu'il possède quelque chose, car celui dont l'intelligence est pleine d'erreurs s'imagine faussement posséder quelque chose.

Vv. 26-29.

S. chrys. Le Sauveur vient d'exposer la parabole de la semence, dont trois parties ont été perdues de diverses manières, et une seule a été conservée ; et il nous a montré dans cette dernière partie trois classes de fidèles, distinguées par des degrés divers de foi et de vie chrétienne. Cette nouvelle parabole n'a pour objet que ceux qui sont sauvés : " Et il disait : Il en est du royaume de Dieu comme d'un homme qui a semé, " etc. —S. jér. Le royaume de Dieu, c'ost son Eglise qu'il dirige lui-même, et qui à son tour dirige les hommes et foule aux pieds les vices et les puissances qui s'opposent à son action. — S. chrys. Ou bien le royaume de Dieu, c'est la foi en Jésus-Christ et le mystère de son incarnation. Il en est de ce royaume comme d'un homme qui jette en terre de la semence, car le Sauveur, Dieu et Fils de Dieu par sa nature, devenu homme sans altération de su substance divine, a jeté pour nous sa semence sur la terre, c'est-à-dire qu'il a éclairé le monde entier par la parole qui lui a donné la connaissance de Dieu. — S. jér. La semence, c'est la parole de vie ; lu terre qui reçoit la semence, c'est le cœur de l'homme, et le semeur qui se livre au sommeil, c'est la mort du Sauveur. La semence germe et pousse le jour et la nuit ; ainsi le nombre des fidèles, après le sommeil de Jésus-Christ, ne cessa de germer par la foi et de se développer par les œuvres à travers les vicissitudes des événements tour à tour heureux ou malheureux.—S. chrys. Ou bien, ce semeur qui se lève, c'est Jésus-Christ qui d'abord restait assis, attendant avec une miséricordieuse bienveillance que les âmes qui avaient reçu la semence produisent du fruit. Il se lève ensuite lorsque, par la douce influence de sa parole, il aide notre fécondité par les armes de justice qu'il nous met dans la main droite, et dont le jour est le symbole, et dans la main gauche, qui est représentée par la nuit des persécutions ; voilà ce qui lait germer la semence et l'empêche de se dessécher. — théophyl. Ou bien encore, le Christ dort, c'est-à-dire qu'il monte au ciel, ou quoiqu'il paraisse dormir, il se lève, soit la nuit, en nous envoyant des épreuves qui nous rappellent son souvenir, soit le jour, lorsque, exauçant nos prières, il multiplie pour nous les moyens de salut.

S. jér. Ces paroles : " Sans qu'il sache comment, " sont une expression figurée, c'est-à-dire que Jésus-Christ nous laisse ignorer qui de nous portera du fruit jusqu'à la fin.— S. chrys. Ou bien cette expression : " Sans qu'il le sache " nous apprend la liberté laissée à ceux qui reçoivent la parole. Il confie à notre volonté l'œuvre de notre salut; il ne produit pas seul tout le bien dans notre âme, afin qu'elle ne paraisse pas l'accomplir involontairement; aussi ajoute-t-il : " La terre produit d'elle-même, " c'est-à-dire notre âme n'est pas contrainte à produire des fruits, et sa volonté concourt à sa fécondité : " Elle produit d'abord de l'herbe. " — S. jer. Cette herbe, c'est la crainte de Dieu qui est le commencement de la sagesse (Ps 110) : " Puis un épi, " c'est-à-dire la pénitence avec ses larmes ; et enfin le blé qui remplit l'épi, c'est-à-dire la charité, car la charité est le parfait accomplissement de la loi (Rm 13.).

S. chrys. Ou bien l'herbe qui pousse d'abord, c'est le fruit de la loi de nature qui ne se développe que lentement ; plus tard se montrent les épis qui seront réunis en gerbes et offerts à l'autel du Seigneur sous la loi de Moïse ; enfin sous l'influence de l'Evangile, le fruit parvient à sa maturité. On peut dire encore que nous devons non seulement nous couvrir des feuilles de l'obéissance, mais par la pratique de la prudence nous tenir droits et fermes comme la tige de l'épi, sans aucun souci des vents qui nous agitent. Enfin, nous devons nous appliquer, aidés du secours de la mémoire, à faire produire à notre aine des fruits comme l'épi chargé de grains, c'est-à-dire le développement complet de la vertu. — théophyl. La semence produit d'abord de l'herbe, c'est le commencement du bien ; puis un épi, c'est la résistance aux tentations ; puis le blé qui remplit l'épi, c'est l'œuvre arrivée à sa perfection.

" Et lorsque la semence a produit son fruit, on y mot la faucille. " — S. jer. La faux, c'est la mort ou le jugement qui tranche tout; la moisson, c'est la fin et la consommation des siècles. — S. grég. (hom. 14 sur Ezéch.) Ou bien, l'homme qui répand la semence sur la terre, c'est le chrétien qui sème dans son âme une intention sainte ; il semble dormir quand il se repose dans la douce espérance que produit une bonne vie ; et il se lève le jour et la nuit lorsqu'il avance dans la vertu, tant au milieu des épreuves qu'au sein de la prospérité. Le grain germe sans qu'il le sache, car lorsqu'il est incapable d'en mesurer les progrès, la vertu dont il a conçu le désir arrive à son complet développement. Lors donc que nous concevons de bons désirs, nous répandons la semence dans la terre ; lorsque nous commençons à faire le bien, nous produisons de l'herbe ; lorsque nous faisons des progrès dans la pratique des bonnes œuvres, nous devenons un épi ferme et vigoureux ; et si enfin nous parvenons à la perfection de la vertu, nous présentons au regard de Dieu un épi rempli de grains parvenus à la maturité.

Vv. 30-34.

S. chrys. Après avoir exposé, dans les paraboles précédentes, comment la semence de l'Evangile fructifie, le Sauveur en ajoute une autre pour faire ressortir la supériorité de la doctrine évangélique sur toutes les autres doctrines. Il disait encore : " A quoi comparerons-nous le royaume de Dieu ? " — théophyl. Quoi de moins considérable que la parole de la foi : Croyez eu Dieu et vous serez sauvés ? Et cependant la prédication de cette parole, répandue et comme semée par toute la terre, y a pris de tels développements qu'elle a offert un abri aux oiseaux du ciel, c'est-à-dire aux âmes contemplatives, aux esprits plongés dans la méditation des grandes vérités. Combien de philosophes, parmi les Gentils, ont abandonné leur vaine sagesse pour venir reposer leur âme sous l'arbre de la prédication évangélique. Et c'est ainsi que cet arbre de la prédication de la foi a surpassé tous les autres. — S. chrys. Comme cet enseignement si concis est ce que les parfaits appellent la vraie sagesse, il a eu plus de succès que tout autre enseignement, parce que rien n'est comparable à cette parole de vérité. — théophyl. Cet arbre a étendu au loin ses branches ; les apôtres, comme les rameaux de cet arbre, se sont répandus partout : les uns à Rome, les autres dans l'Inde, les autres dans toutes les autres parties de l'univers. —S. jér. Ou bien cette semence, petite dans le cœur où règne la crainte, se développe dans la charité qui est la plus grande de toutes les plantes ; car Dieu est charité (I Jn 4), et toute chair est comme l'herbe des champs (Is 4). Cet arbre a étendu les rameaux de la compassion et de la miséricorde, lorsqu'il a offert aux pauvres de Jésus-Christ, figurés par les oiseaux du ciel, un abri et un doux lieu de repos. — bède. L'homme qui sème est, suivant les uns, le Sauveur lui-même, suivant les autres, l'âme chrétienne qui répand dans son cœur la semence qui lui a été confiée.

S. chrys. Saint Marc, qui aime à abréger son récit, ajoute ensuite pour montrer la nature et le but des paraboles : " II les enseignait ainsi sous diverses paraboles. " — théophyl. Comme la multitude à laquelle s'adressait le Sauveur était peu instruite, il n'usait que d'expressions et de comparaisons empruntées aux objets ordinaires et connus, et l'Evangéliste nous dit qu'il ne leur parlait pas sans parabole, comme pour les encourager à s'approcher de lui et à l'interroger : " Mais en particulier il expliquait tout à ses disciples. " Le Sauveur n'expliquait pas absolument toutes choses, soit obscures, soit évidentes, mais simplement celles qu'ils ignoraient et dont ils lui demandaient l'explication. — S. jér. Ils étaient dignes d'entendre en particulier l’explication des mystères dans la retraite profonde de leur amour de la sagesse, eux qui, loin du tumulte des pensées mauvaises, vivaient habituellement dans la solitude silencieuse des vertus ; car c'est dans le repos et le calme du cœur que la sagesse fait entendre ses leçons.

Vv. 35-40.

S. jer Après ces enseignements, ils s'embarquent sur la mer, où les flots se soulèvent et les agitent. " O même jour, dit l'Evangéliste, le soir étant venu, Jésus leur dit : Passons de l'autre côté. " — remi. Nous voyons dans lus saints Evangiles que Jésus avait trois lieux de refuge ; la barque, la montagne et le désert. Toutes les fois qu'il était pressé par la foule, il se réfugiait dans l'une de ces retraites. Ici, le Seigneur se voyant entouré d'une grande multitude de peuple, et voulant (comme homme) se dérober à leur importunité, il ordonna ù ses disciples de passer à l'autre bord.

" Après qu'il eut renvoyé cette foule, " etc. — S. chrys. Le Seigneur prend avec lui ses disciples, pour les rendre témoins du miracle qu'il allait opérer; mais il ne reçoit aucune autre personne avec eux, pour ne pas exposer au grand jour la faiblesse de leur foi. C'est pour nous apprendre que les autres personnes étaient montées dans d'autres barques que le texte sacré ajoute : " D'autres barques accompagnaient la sienne. " Pour garantir ses disciples de l'orgueil que pouvait leur inspirer le choix spécial dont ils étaient l'objet, il permet qu'ils soient exposés à un extrême danger ; il veut en même temps leur apprendre à supporter courageusement les épreuves : " Et il s’éleva un vent impétueux. " Afin que le miracle dont ils vont être témoins laisse dans leur âme une plus vive impression, il se livre au sommeil, pour laisser à la crainte l'occasion de s'emparer d'eux : " Et Jésus était à la poupe dormant sur un oreiller. " S'il avait veillé, ou les disciples n'auraient eu aucune frayeur et n'auraient pas eu recours à lui au fort de la tempête, ou bien ils n'auraient pas cru qu'il pût faire un si grand miracle. — théoph. Il les laissa donc tomber dans cette frayeur en face du danger, pour leur faire éprouver personnellement les effets de sa puissance, eux qui l'avaient vu s'exercer en faveur des autres. Or, il dormait sur l'oreiller du navire, c'est-à-dire la tête appuyée sur une planche. — S. chrys. Le Sauveur nous donne ainsi une leçon d'humilité et aussi de grande sagesse. Or, ses disciples, qui l’entouraient, ne connaissaient pas encore l'étendue de sa puissance : ils croyaient sans doute qu'il pouvait, étant éveillé, commander aux vents et à la mer ; mais ils étaient loin de lui supposer ce pouvoir pendant son repos et son sommeil. " Ils l'éveillent donc et lui disent : Maître, ne vous mettez-vous point en peine que nous périssions ? "—théoph. Et le Sauveur s'éveillant, parla en maître, d'abord au vent qui soulevait cette tempête et agitait les flots : " Et, se levant, il paria au vent avec menaces ; " puis à la mer : " Et il dit à la mer : Tais-toi et calme ta fureur. " — la glose. L'agitation des flots produit un bruit qui est comme la voix de la mer annonçant un danger. C'est donc avec raison que le Sauveur, dans un langage métaphorique, pour ramener le calme, ordonne à la mer de se taire ; de même, pour réprimer la violence des vents qui bouleversent la mer, il leur fait comme des menaces, suivant l’expression de l’Evangéliste. C’est ainsi que les dépositaires de l'autorité, par la menace des châtiments, imposent un frein aux perturbateurs de la tranquillité publique. Le Sauveur agit donc ici comme un souverain qui fait usage de menaces contre des sujets turbulents, et qui, par de sages édits, met un terme aux murmures des rebelles. Roi de toutes les créatures, il enchaîne, par sa parole menaçante la violence des vents, et contraint la mer de rentrer dans le silence. Ses paroles sont aussitôt suivies de leur effet : " Et le veut cessa (sur la menace qui lui était faite), et il se fit un grand calme. " —THEOPHYL. Il réprimande ensuite ses disciples sur leur peu de foi : " Pourquoi êtes-vous effrayés, leur dit-il, vous n'avez donc pas encore la foi ? " Et, en effet, s'ils avaient eu vraiment la foi, ils auraient été persuadés qu'il pouvait les sauver, même pendant son sommeil. Ils furent donc saisis d'une grande crainte, et ils se dirent l'un à l'antre : " Qui est donc ? " etc. Ces paroles indiquent le doute où ils étaient à son sujet. Ce n'est point à l'aide d'une verge mystérieuse qu'il avait apaisé la mer, comme avait fait Moïse (Ex 14) ; ce n'est point par la prière, comme Elisée se frayant un chemin à travers le Jourdain (4 R 2) ; ce n'est point au moyen de l'Arche, comme Josué (Jos 3), c'est par une seule parole. Aussi, à ce signe, les disciples reconnaissent en lui une puissance divine, mais le sommeil auquel il s'abandonne ne leur fait voir en lui qu'un homme.

S. jér. Dans le sens mystique, la poupe du navire, c'est le commencement de l'Eglise ; le Seigneur y dort, mais seulement de corps, car " celui qui garde Israël ne dort jamais. " (Ps 120) La poupe, sous les peaux de bêtes mortes, contient des hommes vivants ; elle éloigne le flots et sa force est dans le bois ; c'est l'Eglise, qui est sauvée par la croix et la mort du Sauveur. L'oreiller, c'est le corps du Seigneur, sur lequel la divinité, figurée par la tête, a bien voulu se reposer. Les vents déchaînés, la mer furieuse, ce sont les démons et les persécuteurs ; le Sauveur leur impose silence, lorsqu'il lui plaît de frapper d'impuissance les décrets injustes des rois de la terre. Enfin le calme profond qui succède à la tempête, c'est la paix rendue à l'Eglise après la persécution, ou bien, c'est le repos de la vie contemplative, qui succède au mouvement de la vie active. — bède. Ou bien, la barque dans laquelle monte le Sauveur, c'est l'arbre de la croix, qui est la voie par laquelle les fidèles abordent à la demeure de la patrie céleste, comme dans un port assuré et inaccessible à la tempête. Les barques qui accompagnent celle du Sauveur sont la figure des âmes qui, comme imprégnées de la foi dans la croix de Jésus-Christ, sont à l'abri des tempêtes des tribulations, ou bien abordent enfin au séjour de la paix, après avoir subi la tourmente des épreuves. C'est pendant que les disciples naviguent sur la mer que le Sauveur se livre au sommeil ; ainsi verront-ils un jour arriver la passion de leur divin Maître, au moment même où ils méditeront sur le repos de son royaume futur. C'est le soir que ce fait eu lieu, parce que le coucher du véritable soleil devait être figuré, non-seulement par le sommeil du Seigneur, mais encore par l'heure même où l'astre du jour se dérobe à nos regards. Lorsque le Sauveur monte sur la poupe de la croix, il voit se soulever autour de lui les flots des blasphèmes de ses persécuteurs, excités par une tempête qui vient de l'enfer, tempête qui ne peut troubler sa patience, mais qui ébranle la faiblesse de ses disciples. Leur empressement à éveiller leur Maître figure le désir ardent qu'ils ont eu de le voir ressusciter, après l'avoir vu mourir. Jésus s'éveillant, commande en maître aux vents irrités, et il ordonne à la mer de faire silence ; ainsi, par la gloire de sa résurrection, il écrase l'orgueil du démon, et anéantit la race des Juifs. Il adresse des reproches à ses disciples, comme, après sa résurrection, il leur reproche leur incrédulité. Nous aussi, lorsque, marqués du signe de la croix, nous nous préparons à quitter cette terre, nous entrons dans la barque avec Jésus, nous nous efforçons du traverser la mer. Mais, dans le cours de la traversée, il s'endort au milieu des frémissements de l'abîme; c'est la flamme de l'amour, qui, malgré nos efforts pour pratiquer la vertu, s'affaiblit et devient languissante, au milieu de la lutte contre les esprits impurs, ou contre les hommes méchants, ou contre le tourbillon de nos propres pensées. Cependant, au milieu de ces bouleversements intérieurs, ayons soin d'éveiller notre Sauveur, et, à l'instant, sa voix calmera la tempête, rendra à notre ame sa tranquillité, et nous ouvrira le port bienheureux du salut.

CHAPITRE V

Vv. 1-20.

théoph. La question que s'étaient faite ceux qui étaient dans la barque : " Que pensez-vous que soit celui-ci ? " reçoit une éclatante réponse de la bouche même des ennemis du Sauveur. C'est un possédé du démon qui proclame qu'il est le Fils de Dieu, et l'Evangéliste commence en ces termes le récit de ce fait extraordinaire : " Et ils vinrent de l'autre côté de la mer dans le pays des Géraséniens. " — BEDE. Gérasa est une ville importante d'Arabie, située au delà du Jourdain, près de la montagne de Galaad, elle fut habitée par la tribu de Manassé, et n'est pas éloignée du lac de Tibériade dans lequel les pourceaux se précipitèrent. — S. chrys. Cependant, les exemplaires les plus authentiques ne portent ni Géraséniens, ni Gadaréniens, mais Gergéséniens. Gérasa est une ville de Judée, aux environs de laquelle il n'y a point de mer ; Gadara est une ville d'Arabie, près de laquelle également on ne trouve ni lac ni mer. Ce qui justifie donc d'une erreur flagrante les Evangélistes qui connaissaient parfaitement la Judée, c'est que Gergésa, d'où vient le nom de Gergéséniens, est une ville très-ancienne, située non loin de celle qui est appelée aujourd'hui Tibériade, auprès de laquelle se trouve le plus grand lac de Judée.

" Et comme Jésus descendait de la barque, tout-à-coup vint à lui, du milieu du sépulcre, un homme possédé de l'esprit impur. " — S. aug. (De l'acc. des Evang., 25, 24.) Saint Matthieu rapporte qu'ils étaient deux possédés ; saint Marc et saint Luc ne parlent que d'un seul ; il faut donc entendre que l'un d'eux était un homme plus considérable et plus connu, dont tout le pays plaignait le triste sort. — S. CHRYS. (hom. 29 sur S. Matth.) Ou bien, peut-être saint Luc et saint Marc se sont-ils attachés à celui des deux qui était le plus malheureux, et dont ils dépeignent plus en détail le déplorable état. " Et personne ne pouvait le tenir lié, même avec des chaînes. " Ces deux Evangélistes parlent donc d'un possédé, sans s'occuper du nombre. Peut-être ont-ils voulu par là faire ressortir davantage la puissance de celui qui devait le délivrer, car il est évident que celui qui pouvait guérir un tel possédé pouvait en guérir beaucoup d'autres. D'ailleurs, il n'y a ici aucune contradiction, puisque les deux Evangelistes ne disent pas que ce possédé était seul, ce qui les aurait mis en contradiction avec saint Matthieu. Or, ces démons habitaient dans les tombeaux, pour insinuer plus facilement aux hommes cette pernicieuse doctrine que les âmes des morts deviennent des démons.

S. GREG. DE NICE. Cependant, la troupe des démons s'était préparée à résister à la puissance divine. Lorsqu'ils voient s'approcher celui dont le pouvoir s'étend sur tout ce qui existe, ils proclament hautement la grandeur de sa puissance : " Voyant de loin Jésus, il accourut et l'adora, et, jetant un grand cri, il dit : Qu'y a-t-il de commun entre vous et moi, Fils du Dieu très -haut ?" — S. cyr. Voyez le démon, partagé entre deux sentiments : l'audace et la crainte. Il résiste et prie tout à la fois ; il semble adresser au Sauveur une question, pour savoir ce qu'il y a de commun entre Jésus et lui, dont voici le sens : Pourquoi me chassez-vous du corps des hommes, puisqu'ils sont à moi ? — bède. Quelle n'est pas l'impiété des Juifs d'oser dire que c'est par le prince des démons que Jésus chasse les démons, alors que les démons confessent qu'il n'a rien de commun avec eux. — S. chrys. (hom. précéd.) Il a recours ensuite aux supplications : " Je vous adjure, au nom de Dieu, ne me tourmentez pas. " Ou bien, il considérait comme un supplice d'être chassé du corps de ce possédé, un la présence de Jésus le tourmentait d'une manière invisible. Malgré toute leur perversité, les démons savent cependant qu'un supplice les attend un jour en punition de leurs péchés ; mais ils savaient aussi, à n'en pouvoir douter, que le temps du dernier châtiment n'était pas encore venu, puisqu'il leur était permis encore de vivre au milieu des hommes. Mais, comme d'un autre côté Jésus-Christ les avait surpris se livrant à des actes d'une méchanceté inouïe, ils pouvaient penser que l'excès de leur malice hâterait le temps de leur supplice, et c'est pour cela qu'ils le conjurent de ne point les tourmenter. — bède. C'est en effet un grand tourment pour le démon de ne pouvoir plus continuer de faire du mal à l'homme, et il y renonce d'autant plus difficilement qu'il en est le maître depuis plus longtemps.

" Car Jésus lui disait : Esprit impur, sors de cet homme. " — S. cyr. Considérez l'invincible puissance de Jésus-Christ : il secoue et fait trembler Satan, et ses paroles sont pour lui comme le feu et la flamme, selon cette parole du Psalmiste : " Lés montagnes, c'est-à-dire les puissances orgueilleuses et superbes, se sont fondues comme de la cire devant la face du Seigneur " (Ps 96).

" Et il lui demanda : Quel est ton nom ? " — théophyl. Si Nôtre-Seigneur fait cette question, ce n'est pas qu'il en eût besoin pour le connaître, mais pour apprendre à tous ceux qui étaient présents le grand nombre de démons qui étaient dans cet homme. — S. chrys. S'il l'avait dit lui-même, on ont peut-être refusé de le croire, il veut donc, forcer les démons eux-mêmes de déclarer qu'ils sont en grand nombre : " Et il lui dit : Mon nom est légion, parce que nous sommes nombreux. " Le démon ne précise pas le nombre, il se contente de dire qu'ils sont plusieurs ; car la connaissance du nombre précis n'était pas nécessaire.

bède. L'aveu public du mal affreux qui tourmentait ce possédé, rend plus précieuse et plus chère la puissance de celui qui devait le guérir. Aujourd'hui encore, les prêtres qui ont le pouvoir de chasser les démons par la grâce des exorcismes, avouent que les possédés ne peuvent être délivrés et guéris, qu'en confessant publiquement autant qu'ils peuvent le savoir, tout ce qu'ils ont à souffrir des esprits impurs par les divers sens de la vue, de l'ouïe, du goût, du toucher ou dans toute autre partie du corps.

" Et ils le priaient instamment de ne pas les chasser hors de ce pays. " —S. CHRYS. Saint Luc dit : " Dans l'abîme ; " car l'abîme est cette profondeur qui s'étend au delà de ce monde, et c'est dans ces ténèbres extérieures, préparées à Satan et à ses anges, que les démons ont mérité d'être précipités. Nôtre-Seigneur aurait pu leur infliger ce supplice, il leur permit cependant de rester sur la terre, pour donner aux hommes, par leurs tentations, une occasion de victoires et de triomphes. — théophyl. Il voulait aussi que nos fréquentes luttes avec eux, nous rendissent plus habiles dans l'exercice du combat.

" Or, il y avait là un grand troupeau de pourceaux qui paissaient le long de la montagne. " — S. aug. (de l'acc. des Evang., 2, 24.) Saint Marc dit que ce troupeau paissait autour de la montagne ; saint Luc, qu'il était sur la montagne ; il n'y a en cela aucune contradiction, car ce troupeau pouvait être assez nombreux pour qu'une partie fut sur la montagne, et l'autre partie sur le penchant de la montagne.

" Et les démons le suppliaient en lui disant : Envoyez-nous dans ces pourceaux, afin que nous y entrions. " — remi. (sur S. Matth.) Ce n'est pas d'eux-mêmes qu'ils entrent dans ces pourceaux, mais sur la permission que le Sauveur leur accorde à leur demande ; il veut nous apprendre par là que les démons ne peuvent jamais nuire aux hommes sans une permission divine. Ils ne demandent point d'être envoyés dans des hommes, parce que celui dont la puissance les tourmentait, leur apparaissait revêtu d'une forme humaine. Ils ne demandent pas non plus d'être envoyés dans des troupeaux de bœufs ou de moutons, parce que c'étaient des animaux purs destinés à être offerts à Dieu dans son temple ; mais ils demandent d'être envoyés dans des pourceaux, car il n'est point d'animal plus immonde que le pourceau, et les démons ne se plaisent eux-mêmes que dans ce qui est immonde.

" Et Jésus leur accorda aussitôt. " —bède. Notre-Seigneur leur accorde cette permission pour que la mort de ces pourceaux devînt une occasion de salut pour les hommes. — S. ciiuys. (homélie 29 sur S. Matth.) Il voulait aussi donner à tous les hommes une preuve de la fureur des démons contre eux, et des excès de méchanceté auxquels ils se porteraient, s'ils n'en étaient empêchés par la puissance divine ; et comme sa bonté ne pouvait souffrir que les hommes fussent les victimes de leur malice, il leur permet d'entrer dans des pourceaux, pour faire éclater en eux toute leur force et leur fureur.

" Et ces esprits impurs, sortant du possédé, " etc. — tite de bostr. Les gardiens des pourceaux s'enfuirent, pour éviter dépérir avec eux, et pour aller jeter l'alarme dans les cités voisines : " Ceux qui gardaient les troupeaux, s'enfuirent. " Le dommage qu'ils venaient d'éprouver les amène au Sauveur, c'est ainsi que souvent Dieu répand ses bienfaits dans les âmes, alors qu'il les éprouve par la perte de leurs biens temporels : " Et ils vinrent trouver Jésus, et ils virent celui qui avait été tourmenté par le démon, assis , " etc., c'est-à-dire qu'ils virent calme, tranquille, et vêtu aux pieds de son Sauveur celui que les chaînes ne pouvaient comprimer et qui ne pouvait souffrir aucun vêtement. " Et ils furent remplis de crainte. " Ils apprennent toutes les circonstances de ce miracle, et par ce qu'ils voient, de leurs yeux, et par eu qu'ils entendent raconter : " Et ceux qui avaient été témoins du prodige, leur ayant rapporté, etc. " — THEOPHYL.Le récit de ce miracle, les remplit d'étonnement et de frayeur, et ils conjurent Jésus de s'éloigner de leurs frontières, dans la crainte d'avoir quelque dommage semblable à souffrir. Ainsi le regret que leur inspire la perte de ces pourceaux leur fait renoncer aux bienfaits de la présence du Sauveur. — bede. Peut-être aussi la connaissance qu'ils ont de leur faiblesse fait qu'ils se jugent indignes de cette divine présence.

" Comme il remontait dans la barque, celui qui avait été tourmenté par le démon le supplia qu'il lui permît d'aller avec lui."—théophyl. Il craignait que les démons, venant à le rencontrer, ne s'emparassent de lui de nouveau. — Mais le Seigneur le renvoie dans sa maison en lui faisant comprendre que bien qu'absent, il le défendrait par sa puissance ; il veut aussi que sa guérison miraculeuse serve au salut des autres : " Jésus ne voulut pas y consentir, mais il lui dit : Allez dans votre maison auprès des vôtres, et annoncez-leur les grandes grâces que vous avez reçues du Seigneur, et comment il a eu pitié de vous. " Voyez l'humilité du Sauveur ; il ne dit pas : Racontez toutes les grâces que je vous ai faites, mais toutes les grâces que le Seigneur vous a faites ; c'est ainsi qu'il vous apprend à ne point rapporter à vous-mêmes, mais à Dieu seul le bien que vous pouvez faire. — S. chrys. Le Sauveur qui défendait à tous ceux qu'il guérissait de publier leur guérison, commande avec raison à cet homme de raconter la sienne, parce que toute cette contrée en proie aux démons était privée, et de la connaissance et du culte du vrai Dieu. — théophyl. Il exécute l'ordre du Seigneur, et tous ceux qui l'entendent, sont dans l'admiration : " Et cet homme s'en étant allé, commença à publier, dans la Décapole les grandes grâces que Jésus lui avait faites. " — bède. Dans le sens mystique, Géraza ou Gergeza, comme disent quelques-uns, signifie qui renvoie l'habitant ou l'étranger qui approche, parce qu'en effet le peuple des Gentils a chassé l'ennemi de son cœur, et que celui qui était éloigné s'est approché (Ep 2, 13). — S. jér. Ce possédé du démon représente l'état désespéré des Gentils qui n'étaient retenus ni par la loi naturelle, ni par la crainte de Dieu ou des hommes. — bède. Il habitait dans les tombeaux, c'est-à-dire qu'il se plaisait dans les œuvres mortes qui sont les péchés. La nuit comme le jour, il était en fureur, figure du peuple des Gentils, qui dans la prospérité comme dans l'infortune, ne cessait d'être asservi sous le joug des esprits mauvais, habitait dans les tombeaux par la corruption de ses œuvres, errait dans les montagnes par les excès de son orgueil, et se déchirait comme avec des pierres par les blasphèmes d'un cœur endurci par l'incrédulité. Le démon répond : " Légion est mon nom, " parce que le peuple des Gentils était livré à diverses sortes d'idolâtrie. Ces esprits immondes, en sortant de cet homme, entrent dans les pourceaux et les précipitent dans la mer ; c'est ainsi qu'après que le peuple des Gentils est délivré de la tyrannie des démons ; ceux qui ont refusé de croire à Jésus-Christ sont condamnés à célébrer dans des retraites profondes leurs rites sacrilèges. — théophyl. Ou bien c'est la figure des démons entrant dans les hommes dont la vie ressemble à celle des pourceaux, et qui se vautrent dans le bourbier de toutes les voluptés ; les démons les précipitent dans l'océan de ce monde comme dans l'abîme de la perdition où ils sont étouffés et perdent la vie. — S. jér. Ou bien ils sont étouffés dans les enfers par la violence d'une mort prématurée, sans qu'ils puissent avoir recours à la miséricorde, et ce châtiment inspire à un grand nombre un éloignement salutaire, parce que la vue des châtiments de l'insensé rende le sage plus prudent. — bède. Le refus que fait Nôtre-Seigneur d'admettre à sa suite cet homme qui lui en faisait la demande, nous apprend qu'après avoir obtenu la rémission des péchés, chacun de nous doit entrer dans sa conscience purifiée par la grâce et se dévouer au service de l'Evangile pour le salut des autres, en attendant le repos éternel avec Jésus-Christ. — S. grég. (Moral., 6, 17.) Lorsque nous avons reçu une faible partie seulement de la connaissance divine, nous éprouvons du dégoût pour revenir aux choses de ce monde, et nous cherchons le repos de la contemplation, mais l'ordre de Dieu est que nous ne parvenions aux douceurs de la contemplation que par les fatigues et les sueurs de l'action. — S. jér. Cet homme, après sa guérison, évangélise dans la Décapole ; et c'est ainsi que les Juifs, attachés à la lettre du Décalogue, sont aujourd'hui convertis par les prédicateurs qui partent de l'empire romain.

Vv. 21-34.

thêophyl. Après le miracle de la délivrance de ce possédé, Notre-Seigneur en opère un autre en ressuscitant la fille du chef de la synagogue et l'Evangéliste commence de la sorte le récit de ce miracle : " Et lorsque Jésus fut remonté dans la barque pour aller au delà de la mer. " — S. AUG. (De l'accord des Evang., 2, 28.) Il faut donc entendre que la résurrection de la fille du chef de la synagogue eut lieu après que Jésus eut de nouveau repassé la mer ; mais combien de temps après, on ne le voit pas clairement. S'il n'y avait aucun intervalle, on ne saurait où placer le festin que saint Matthieu donna dans sa maison, et auquel succède immédiatement la résurrection de la fille du chef de la synagogue. En effet, cet Evangéliste a tellement lié les différentes parties de son récit, que la transition elle-même indique clairement que ce fait a eu lieu dans l'ordre qu'il lui assigne dans sa narration (Mt 9, 18).

" Et un chef de la synagogue, nommé Jaïre, vint le trouver. " — S. chrys. L'Evangéliste donne le nom de cet homme, à cause des Juifs, pour qui ce nom devenait une preuve de plus du miracle qu'il allait opérer. — suite. " Et dès qu'il le vit, il se jeta à ses pieds, et il le suppliait avec de grandes instances, en lui disant : Ma fille est à l'extrémité. " D'après le récit de saint Matthieu, le chef de la synagogue apprend que sa fille est morte ; d'après le récit de saint Marc, qu'elle était gravement malade, et ce n'est que lorsque Jésus se préparait à le suivre, qu'on vient annoncer à cet homme que sa fille est vraiment morte. Le récit de saint Matthieu tend au même résultat qui était de prouver que Nôtre-Seigneur avait ressuscité cette fille lorsqu'elle était réellement morte, et c'est pour abréger qu'il dit tout d'abord qu'elle était morte, parce qu'il était certain qu'elle l'était lorsque Notre-Seigneur la rendit à la vie.— S. aug. (De l'accord des Evang., 2, 28.) II s'attache moins aux paroles de cet homme qu'à la pensée qui remplissait son âme, car il avait tellement perdu tout espoir que ce qu'il désirait, c'était de la voir rendre à la vie, et il ne croyait pas que le Sauveur pût trouver encore vivante celle qu'il avait laissée presque mourante. — théophyl. Cet homme avait en partie la foi, puisqu'il tombe aux pieds de Jésus, mais cette foi n'était pas aussi grande qu'elle devait être, puisqu'il le suppliait de venir chez lui. Il devait simplement lui faire cette prière : " Dites une parole, et ma fille sera guérie. "

" Jésus s'en alla avec lui, et voici qu'une femme malade d'une perte de sang, " etc. — S. chrys. Cette femme avait une espèce de célébrité et était connue de tous ; c'est pourquoi elle n'osait approcher publiquement du Sauveur, ni se présenter devant lui, parce que la loi la déclarait immonde. Elle s'approche donc par derrière et en secret, parce qu'elle n'osait le faire ouvertement, et encore ne touche-t-elle pas le vêtement, mais la frange du vêtement du Sauveur ; ce n'est pas du reste la frange du vêtement, mais ses dispositions intérieures qui ont été la cause de sa guérison.

" Car elle disait : Si je touche seulement son vêtement, je serai sauvée. "— théophyl. Voyez comme elle est pleine de foi : elle espère être guérie, si elle parvient à toucher seulement la frange du vêlement du Sauveur, et cette foi lui obtient sa guérison : " Et aussitôt la source du sang qu'elle perdait fut desséchée. " — S. chrys. Jésus-Christ communique ses vertus et tous les dons de sa bienveillante volonté à tous ceux qui le touchent avec foi : " Et Jésus, connaissant en lui-même la vertu qui était sortie de lui, se retourna au milieu de la foule et dit : " Qui est-ce qui a touché mes vêtements ? " Les vertus du Sauveur sortent de sa personne divine, non d'une manière locale ou matérielle, et en cessant de demeurer en lui ; comme elles sont incorporelles, elles sortent de lui pour se communiquer aux autres ; mais sans cesser d'être dans celui d'où elles sont sorties, comme les connaissances que le docteur communique à ses disciples sans les perdre lui-même. Les paroles qui suivent : " Jésus connaissant en lui-même la vertu qui était sortie de lui, " nous apprennent que ce n'est pas à son insu que cette femme fut guérie, mais qu'il le savait fort bien. S'il fait cependant cette question : " Qui m'a touché ? " bien qu'il sut parfaitement que c'était cette femme, c'est pour faire connaître son action, proclamer sa foi, et graver dans l'esprit de tous le souvenir de cette action miraculeuse : " Et ses disciples lui disaient : Vous voyez cette foule qui vous presse de toutes parts et vous dites : Qui m'a touché ? " Le Sauveur avait demandé : " Qui m'a touché ? " c'est-à-dire par les sentiments du cœur et par la foi ; car cette foule qui me presse de toutes parts ne me touche pas véritablement, parce qu'elle ne s'approche de moi ni par l'esprit, ni par la foi.

" Et il regardait tout autour de lui pour voir celui qui l'avait touché. " Nôtre-Seigneur voulait faire connaître cette femme, d'abord pour donner des éloges à sa foi, puis pour inspirer au chef de la synagogue la confiance que sa fille serait guérie de la même manière, et dissiper en même temps la frayeur dont cette femme était saisie. Elle craignait, en effet, parce qu'elle venait pour ainsi dire de dérober sa guérison : " Et cette femme, saisie de crainte et de frayeur, " etc. — bède. La question faite par le Sauveur tendait donc à faire avouer à cette femme sa longue infidélité, sa foi soudaine et sa guérison instantanée, et il voulait ainsi la confirmer dans la foi, et la donner en exemple aux autres : " Et il lui dit : Ma fille, votre foi vous a guérie. Allez en paix et soyez délivrée de votre maladie. " Il ne lui dit pas : " Votre foi sera la cause de votre guérison, mais elle vous guérit à l'instant, c'est-à-dire : " Du moment que vous avez cru, vous avez été guérie. " — S. chrys. Il l'appelle sa fille, parce que c'est la foi qui a été le principe de sa guérison, et que c'est la foi en Jésus-Christ qui nous fait enfants de Dieu. — théophyl. Il lui dit : " Allez en paix, " c'est-à-dire : Soyez en repos, comme s'il lui disait : Allez, jouissez maintenant de la paix et du repos, vous qui jusqu'ici avez été dans les angoisses et les tourments. — S. chrys. Ou bien encore, par ces paroles : " Allez en paix, " le Sauveur veut l'établir dans celui qui est la fin et la réunion de tous les biens, c'est-à-dire en Dieu qui habite dans la paix, et il vous apprend en même temps que cette femme a été non-seulement guérie dans son corps, mais affranchie des causes de sa maladie, c'est-à-dire de ses péchés.

S. jér. Dans le sens mystique, Jaïre, chef de la synagogue, vient à Jésus après la guérison de cette femme, et il représente le peuple d'Israël qui sera sauvé, lorsque la plénitude des nations sera entrée dans l'Eglise (Rm 11). Le nom de Jaïre signifie qui illumine ou qui est illuminé, et il figure le peuple juif qui, sorti des ombres de la lettre, est inondé des lumières de l'Esprit saint, se prosterne aux pieds de Jésus-Christ (c'est-à-dire s'humilie devant l'incarnation du Verbe), et le prie de rendre la vie à sa fille, car celui qui a la vie en lui-même cherche à communiquer la vie aux autres. C'est ainsi qu'Abraham, Moïse et Samuel prient pour leur peuple frappé de mort spirituelle, et Jésus se rend à leurs prières.

bède. Pendant que Nôtre-Seigneur se dirige vers la maison de Jaïre pour guérir sa fille, la foule le presse de toutes parts ; et c'est ainsi qu'au moment où il donne au peuple juif les enseignements du salut, il est comme accablé sous le poids des habitudes coupables de ce peuple charnel. Cette femme qui est atteinte d'une perte de sang et que le Seigneur guérit, représente l'Eglise qui a été formée des nations réunies ; car cette perte de sang peut très-bien s'entendre des souillures du culte des idoles et de tous les crimes qui ont pour objet les plaisirs de la chair et du sang. Or, tandis que le Verbe de Dieu se disposait à sauver le peuple juif, le peuple des nations, plein d'une ferme espérance, dérobe pour ainsi dire le salut préparé et promis à d'autres. — théophyl. On peut encore, dans cette hémorrhoïsse, voir la nature humaine ; car le péché, en nous donnant la mort, coulait pour ainsi dire en répandant le sang de notre âme. Un grand nombre de médecins (c'est-à-dire les sages de ce monde) avaient inutilement cherché à guérir cette femme. La loi et les prophètes avaient été également impuissants ; mais dès qu'elle a touché le bord du vêtement (c'est-à-dire la chair) de Jésus-Christ, elle est aussitôt guérie ; car toucher le bord des vêtements du Sauveur, c'est croire au Fils de Dieu incarné. — bède. Jésus n'est touché que par une femme fidèle, alors que la foule le presse de toutes parts, c'est-à-dire qu'il est accablé sous le poids des fausses doctrines des hérétiques ou des mœurs perverses des mauvais chrétiens, tandis qu'il ne reçoit que de la seule Eglise catholique un culte fidèle. L'Eglise, formée des nations, s'approche de Jésus par derrière, car elle n'a pas vu le Seigneur dans sa chair, et ce n'est qu'après l'accomplissement des mystères de l'incarnation qu'elle est parvenue à la foi en Jésus-Christ ; et en méritant d'être guérie de ses péchés par la participation aux sacrements du Sauveur, elle a comme tari par le contact de ses vêtements la source du sang qui s'écoulait. Or, Nôtre-Seigneur regarde tout autour pour voir celle qui l'a touchée, parce qu'il juge dignes des regards de sa miséricorde tous ceux qui méritent la grâce du salut.

Vv. 35-43.

théophyl. Les serviteurs du chef de la synagogue ne voyaient dans Jésus-Christ qu'un prophète, et ils regardaient comme nécessaire qu'il vînt prier sur la jeune fille mourante pour la guérir. Mais comme elle venait d'expirer, ils conclurent que tonte prière était inutile : " Il parlait encore, lorsque les gens du chef de la synagogue vinrent lui dire : Votre fille est morte, pourquoi fatiguer davantage le Maître ? " Mais Nôtre-Seigneur veut amener le père de cette jeune fille à reconnaître la puissance de Dieu : " Jésus, ayant entendu cette parole, dit au chef de la synagogue : Ne craignez rien, et croyez seulement. " — S. aug. (De l'accord des Evang., 2, 28.) Nous ne lisons pas que cet homme ait partagé les sentiments des gens de sa maison qui s'opposaient à ce que le Maître vînt chez lui, et ces paroles que Jésus lui adresse : " Ne craignez point, croyez seulement, " ne sont point un reproche de défiance, mais tendent simplement à rendre sa foi plus forte et plus robuste. Mais si saint Marc avait mis dans la bouche du chef de la synagogue les paroles des gens de sa maison, qu'il fallait cesser de fatiguer Jésus, ces paroles seraient eu contradiction avec le langage que lui prête saint Matthieu lorsqu'il lui fait annoncer à Jésus que sa fille était morte.

" Et il ne permit à personne de le suivre, si ce n'est à Pierre, à Jacques et à Jean, frère de Jacques. " — théophyl. Car le Sauveur, plein d'humilité, n'a voulu rien faire par ostentation.

" En arrivant à la maison du chef de la synagogue, il vit une troupe confuse de gens qui pleuraient et qui poussaient de grands cris. " — S. chrys. Mais pour lui, il leur défend ces pleurs et ces cris, comme si la jeune fille n'était pas morte, mais simplement endormie : " Et étant entré, il leur dit : Pourquoi vous troubler et pleurer de la sorte ? " — S. jér. On est venu dire à Jaïre : " Votre fille est morte ; " Jésus, au contraire, dit : " Elle n'est pas morte, mais elle dort. " Ces deux manières de parler sont également vraies, car Jésus semble dire : " Elle est morte à vos yeux, mais pour moi elle ne fait que dormir."—bede. Elle était morte, en effet, pour les hommes qui ne pouvaient la ressusciter, mais elle dormait aux yeux de Dieu, dans le sein duquel son âme vivait d'une vie immortelle, et dont la Providence veillait sur sa chair qui reposait dans l'attente de la résurrection, et c'est de là qu'est venue chez les chrétiens la coutume d'appeler ceux qui dorment les morts dont la résurrection est pour eux certaine (1 Th 4).

" Et ils se moquaient de lui. " — théophyl. Ils se moquent de lui, comme s'il ne pouvait rien faire de plus ; mais il leur prouve ainsi par leur propre témoignage, que s'il la ressuscite, ce sera littéralement des bras de la mort, et que cette résurrection sera vraiment miraculeuse.—bede. Mais comme au lieu de croire aux paroles de celui qui a le pouvoir de ressusciter, ils ont mieux aimé s'en moquer, Nôtre-Seigneur les fait justement sortir et les juge indignes d'être témoins de la puissance de celui qui ressuscite, et de la résurrection mystérieuse de cette jeune fille : " Mais lui, les ayant tous renvoyés, " etc. — S. chrys. (hom. 32 sur S. Matth.) Ou bien, c'est pour éviter toute apparence d'ostentation qu'il ne permet pas à tous de rester avec lui ; mais il retient les trois principaux d'entre ses disciples pour rendre plus tard témoignage à sa puissance divine, et le père et la mère de la jeune fille, comme plus nécessaires que tous les autres. C'est en touchant de la main cette jeune fille et en lui adressant la parole qu'il lui rend la vie : " Et prenant la main de la jeune fille, il lui dit : Thabitha cumi, " que l'on interprète ainsi : Jeune fille, je vous le commande, levez-vous ; car la main de Jésus étant elle-même pleine de vie, rend la vie à ce cadavre, et sa parole la soulève de son lit de mort : " Et aussitôt, ajoute l'Evangéliste, la jeune fille se leva, et se mit à marcher. " — S. jér. (Du meilleur mode d'interprét. à Pammach., let. 101.) Il s'en trouvera peut-être qui accuseront d'erreur l'Evangéliste pour avoir ajouté : " Je vous le dis, " alors que dans la langue hébraïque Thabitha cumi veut dire simplement : " Jeune fille, levez-vous ; " mais cette addition, dans l'esprit de l'Evangéliste, a uniquement pour objet d'exprimer la pensée de celui qui appelle cette jeune fille et le commandement qu'il lui fait.

" Et elle était âgée de douze ans. " — la glose. L'Evangéliste ajoute cette circonstance pour montrer que cette jeune fille était dans l'âge de marcher. Or, en marchant, elle prouvait à tous non-seulement qu'elle était ressuscitée, mais que sa guérison était entière et parfaite. — suite. " Et ils furent tous frappés de stupeur, " etc., et Jésus ordonna de lui donner à manger. " — s. chrys. (hom. 32 sur S. Matth.) Nouvelle preuve que sa résurrection était véritable et non pas seulement apparente.

bede. Dans le sens allégorique, la fille du chef de la synagogue dont ou vient annoncer la mort, au moment où cette femme était guérie d'une perte de sang, est la figure de la synagogue qui, lorsque l'Eglise formée des nations est purifiée des souillures de ses vices, et reçoit le nom de fille à cause du mérite de sa foi, succombe victime de sa perfidie et de son envie ; de sa perfidie, parce qu'elle a refusé de croire en Jésus-Christ ; de sa jalousie, parce qu'elle a vu avec peine que l'Eglise embrassait la foi. Ce langage des serviteurs du chef de la synagogue est encore aujourd’hui sur les lèvres de ceux qui regardent la synagogue comme entièrement abandonnée de Dieu, sans espérance aucune de rétablissement, et qui pensent qu'il est mutile de demander à Dieu sa résurrection. Mais si le chef de la synagogue, c'est-à-dire si l'assemblée des docteurs de la loi veut embrasser la foi, la synagogue qui lui est soumise sera sauvée. Remarquez qu'elle est étendue morte au milieu de cette multitude qui pleure et pousse des cris, parce que son incrédulité lui a fait perdre la joie qu'elle goûtait dans la présence du Seigneur. Le Sauveur ressuscite cette jeune fille en lui prenant la main, pour nous apprendre que la synagogue frappée de mort ne peut ressusciter, si les Juifs ne purifient d'abord leurs mains pleines de sang (Is 1). La guérison de l'hémorrhoïsse et la résurrection de cette jeune fille sont la figure du salut du genre humain, pour lequel Dieu a établi cet ordre : que quelques-uns du peuple d'Israël embrasseraient d'abord la foi, puis la plénitude des nations entrerait dans l'Eglise, et ensuite tout Israël serait sauvé (Rm 11). Cette jeune fille était âgée de douze ans, et cette femme avait souffert douze ans entiers, parce que les péchés des Juifs incrédules ne furent découverts que lorsque les premiers fidèles embrassèrent la foi selon ces paroles de l'Ecriture : " Abraham crut à la parole de Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice. "

S. grég. (Moral., 4, 25.) Au sens moral, voici ce que représentent cette jeune fille ressuscitée dans la maison, le jeune homme rendu à la vie hors des portes de la ville, et Lazare rappelé du sépulcre où il était depuis quatre jours. Celui qui est étendu sans vie dans l'intérieur de la maison, c'est celui dont le péché reste encore caché ; celui que l'on conduit hors des portes de la ville, c'est le pécheur dont l'iniquité pousse la démence jusqu'à s'afficher en public ; celui enfin qui est comme comprimé sous la pierre du sépulcre figure le pécheur, qui à force de commettre le mal se trouve comme accablé sous le poids de l'habitude.

bède. Remarquez encore que les fautes plus légères et que nous commettons tous les jours peuvent être effacées par une pénitence moins sévère; c'est ainsi que le Seigneur n'emploie que cette parole simple et facile : " Jeune fille, levez-vous, " pour ressusciter cette jeune fille qui était encore dans son lit. Mais lorsqu'il fallut arracher aux horreurs du tombeau ce mort de quatre jours, il frémit en son esprit, il se troubla lui-même, il répandit des larmes (Jn 11). Plus donc la mort de l'âme est grave et profonde, et plus aussi la pénitence doit être sévère et fervente. Remarquez encore qu'à des fautes publiques il faut un remède public, et c'est pour cela que Lazare sort du tombeau aux yeux de tout le peuple qui est présent, tandis que les fautes légères n'ont besoin pour être effacées que d'une pénitence secrète ; ainsi cette jeune fille, étendue sur son lit, ressuscite devant un petit nombre de témoins, et encore leur recommande-t-on de n'en rien dire. Nôtre-Seigneur chasse même dehors la foule qui remplissait la maison avant de ressusciter cette jeune fille, parce qu'en effet l'âme frappée de mort spirituelle ne peut revenir à la vie qu'après avoir chassé des parties les plus secrètes de son cœur la multitude des préoccupations du siècle. Elle se met à marcher aussitôt qu'elle est ressuscitée, parce que l'âme qui sort de la mort du péché ne doit pas seulement se séparer des souillures de ses crimes, mais marcher dans la pratique des bonnes œuvres. Elle doit aussi se hâter de se nourrir du pain céleste, c'est-à-dire de la parole divine et de la participation du sacrement de l'autel.

CHAPITRE VI

Vv. 1-6.

théophyl. Après les miracles que l'Evangéliste vient de raconter, le Seigneur revient dans son pays, bien qu'il sût qu'il y serait l'objet du mépris de ses concitoyens ; mais il voulait leur ôter tout prétexte de dire : Si vous étiez venu parmi nous, nous eussions cru en vous. " Et étant parti de là, il vint dans son pays, " etc. — bède. L'Evangéliste appelle Nazareth le pays du Sauveur, parce qu'il y avait été élevé. Mais quel est l'aveuglement extraordinaire dans les habitants de Nazareth que de mépriser, à cause de l'obscurité de sa famille, celui que ses paroles aussi bien que ses actions auraient dû leur faire reconnaître pour le Christ ? " Or, un jour de sabbat étant venu, il commença à enseigner, " etc. Cette sagesse qu'ils admirent, c'est sa doctrine, et les merveilles, qui sont également l'objet de leur admiration, ce sont les guérisons et les miracles qu'il opérait.

" N'est-ce pas là ce charpentier, fils de Marie ? " — S. aug. (De l'accord des Evang., 2, 22.) D'après le récit de saint Matthieu, ils l'appelèrent le fils du charpentier, et il n'y a en cela rien d'étonnant, puisqu'ils ont pu dire l'un et l'autre, d'autant plus qu'ils ne le croyaient charpentier lui-même que parce qu'ils pensaient qu'il était fils du charpentier. — S. jér. Jésus est appelé fils du charpentier, mais de ce divin charpentier qui a fait l'aurore et le soleil (Ps 73, 16), c'est-à-dire la première et la seconde Eglise, l'Eglise juive et l'Eglise chrétienne, qui sont figurées dans la femme et dans la jeune fille guéries par Nôtre-Seigneur. — bède. Car bien qu'on ne puisse comparer les choses humaines aux choses divines, la figure cependant est ici parfaite, parce que le Père du Christ opère par le feu et par l'Esprit.

" Est-ce qu'il n'est pas le frère de Jacques, de Joseph, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici parmi nous ? " Ils attestent que les frères et les sœurs de Jésus sont avec lui ; gardons-nous de voir dans ces frères et dans ces sœurs les enfants de Marie, comme le veulent les hérétiques, ce sont simplement ses parents, suivant la manière de s'exprimer de l'Ecriture ; c'est ainsi qu'Abraham et Loth sont appelés frères (Gn 13), parce que Loth était le fils du frère d'Abraham. ce Et ils se scandalisaient de lui. " Le scandale et l'erreur des Juifs sont pour nous une occasion de salut, et, pour les hérétiques, un sujet de condamnation. Leur mépris pour Nôtre-Seigneur Jésus-Christ allait jusqu'à l'appeler charpentier et fils de charpentier : " Mais Jésus leur disait : Un prophète n'est sans honneur que dans sa patrie, " etc. Nôtre-Seigneur Jésus-Christ est souvent appelé prophète dans les Ecritures, au témoignage de Moïse, qui prédisant l'Incarnation future du Fils de Dieu, s'exprime de la sorte : " Le Seigneur vous suscitera un prophète du milieu de vos frères. " Et ce n'est pas seulement le Seigneur des prophètes, mais Elie, mais Jérémie, et les autres prophètes, qui ont été moins considérés dans leur pays que parmi les étrangers, tant il est naturel aux concitoyens de se jalouser entre eux. Ils n'ont aucune considération pour les œuvres actuelles d'un homme, et ne se souviennent que des faiblesses de son enfance. — S. jér. Souvent, d'ailleurs, l'origine d'un homme est obscure, et donne lieu à ce langage : " Qu'est-ce que le fils d'Isaï ? " (1 R 25, 10) parce qu'en effet le Seigneur regarde les choses basses et ne voit que de loin celles qui sont hautes (Ps 137). — théophyl. Bien plus, alors même qu'un prophète aurait des parents illustres, considérés, ses concitoyens ne laisseraient pas de les haïr et de lui refuser tout honneur. " Et il ne put faire là aucun miracle, " etc. Quand l'Evangéliste dit qu'il ne put faire aucun miracle, il faut entendre qu'il ne consentit pas, qu'il ne voulut pas ; ce n'était pas impuissance de sa part, leur incrédulité seule en était la cause. Si donc il ne fait point de miracles au milieu d'eux, c'est par ménagement pour des gens qui, en refusant de croire à ces miracles, encourraient un jugement bien plus sévère. On peut encore donner cette raison que, pour faire des miracles, à la puissance de celui qui les opère, il faut joindre la foi de celui qui en est l'objet. Or, cette foi faisait ici défaut, et c'est pourquoi Nôtre-Seigneur ne voulut faire aucun miracle en cet endroit.

" Et il s'étonnait de leur incrédulité. " —bède. Il s'étonne de leur incrédulité, non pas comme d'une chose inopinée et imprévue pour lui, puisqu'il connaît toutes choses avant même qu'elles existent; mais bien qu'il pénètre les secrets des cœurs, lorsqu'il veut qu'une chose produise en nous un sentiment d'étonnement, il affecte d'en paraître étonné lui-même devant les hommes. Il veut donc que nous soyons étonnés de l'aveuglement des Juifs, qui n'ont voulu croire ni à leurs prophètes qui leur annonçaient le Christ, ni au Christ lui-même qui était né parmi eux. Dans le sens mystique, Jésus est l'objet du mépris dans sa famille et dans son pays, c'est-à-dire au milieu du peuple juif. Il ne fait parmi eux qu'un petit nombre de miracles, pour qu'ils ne soient pas entièrement excusables ; mais il fait tous les jours des miracles plus fréquents et plus considérables au milieu du peuple des Gentils, miracles qui ont moins pour objet la guérison des corps que le salut des âmes.

Vv. 7-13.

théophyl. Nôtre-Seigneur ne prêchait pas seulement dans les villes, mais dans les bourgs et dans les villages, pour nous apprendre à ne pas mépriser ce qui est petit et à ne pas rechercher toujours les grandes villes, mais à semer la parole de Dieu dans les villages obscurs et de peu d'importance : " Et il parcourait les villages d'alentour, et il y enseignait. "

bède. Nôtre-Seigneur, maître plein de bonté et de douceur, n'envie point à ses serviteurs les miracles qu'ils pouvaient opérer, et il communique à ses Apôtres le pouvoir qu'il avait de guérir toute langueur et toute infirmité : " Alors, appelant les douze... il leur donna puissance sur les esprits impurs. " Mais il y a une grande différence entre donner et recevoir : tout ce que fait Nôtre-Seigneur il le fait en vertu de la puissance qui lui est propre, tandis que ses disciples, dans les miracles qu'ils opèrent, sont obligés de confesser leur faiblesse et la puissance du Seigneur, en disant comme saint Pierre : " Au nom de Jésus, lève-toi et marche. " (Ac 3)

théophyl. Il envoie les Apôtres deux à deux, pour leur inspirer plus d'ardeur et d'activité, car comme dit l'Ecclésiaste (Qo 4, 9) : " II vaut mieux être deux ensemble que d'être seul. " Si, au contraire, il les eût envoyé plus de deux ensemble, le nombre des Apôtres n'eût pas suffi pour tous les bourgs dans lesquels ils devaient prêcher l'Evangile. — S. grég. (hom. 17 sur les Evang.) Le Sauveur les envoie deux par deux, pour figurer que le précepte de la charité a un double objet : l'amour de Dieu et l'amour du prochain, et aussi parce qu'il faut deux termes pour que la charité puisse avoir lieu. Il nous enseigne encore par là que celui qui n'a pas la charité pour le prochain ne doit en aucune façon se charger du ministère de la prédication.

" Et il leur commanda de ne rien porter en chemin, " etc. — bède. Le prédicateur doit avoir dans la providence de Dieu une si grande confiance, que, sans se préoccuper de ce qui est nécessaire à l'entretien de la vie, il doit être assuré que rien ne lui manquera, car si son esprit se laisse prendre par les soucis des choses temporelles, il sera moins en état d'inspirer aux autres l'amour des biens éternels. — S. chrys. En leur faisant cette recommandation, le Seigneur veut encore que leur extérieur seul fasse comprendre combien ils étaient éloignés du désir des richesses. — théophyl. Il leur enseigne encore à ne point rechercher les présents, afin qu'en ne possédant rien, ils donnent ainsi plus de force et d'efficacité à leurs prédications sur la pauvreté. — S. aug. (De l'acc, des Evang., 2, 30.) Ou bien enfin, comme, d'après saint Matthieu, Nôtre-Seigneur ajoute aussitôt : " L'ouvrier est digne de son salaire, " nous voyons la raison pour laquelle il leur défend de posséder ou de porter rien avec eux. Ce n'est pas que toutes ces choses ne soient nécessaires à l'entretien de la vie ; mais en les envoyant ainsi dépourvus de tout, il voulait apprendre à ceux à qui ils prêchaient l'Evangile que c'était pour eux un devoir de subvenir à l'entretien des Apôtres. Toutefois, il est évident que le Seigneur n'impose pas ici à ses disciples l'obligation de ne vivre que des offrandes qui leur seraient faites par les fidèles qu'ils évangélisaient, ou bien, il faudrait dire que saint Paul s'est mis en contradiction aveu ce précepte en vivant du travail de ses mains (Ac 20, 34.35 ; 1 Co 4, 12 ; 1 Th 2, 1 ; 2 Th 3, 8.9) ; mais il donne à ses Apôtres un véritable pouvoir, et veut qu'ils soient convaincus qu'ils ont droit à ces offrandes. On se demande encore comment saint Matthieu et saint Luc rapportent que Nôtre-Seigneur avait défendu à ses disciples de porter même un bâton, tandis que nous lisons dans saint Marc : " II leur commanda de ne rien porter eu chemin qu'un bâton seulement. " Pour résoudre cette difficulté, il faut admettre que le bâton que les Apôtres peuvent porter avec eux, d'après saint Marc, doit être pris dans un autre sens que celui que le Sauveur leur défend de porter suivant le récit de saint Matthieu et de saint Luc. Nôtre-Seigneur a donc pu leur dire d'une manière abrégée : " Ne portez avec vous aucune des choses nécessaires à la vie, pas même un bâton ou rien qu'un bâton. " Ainsi en disant : " Pas même un bâton, " il exclut jusqu'aux moindres choses, et en ajoutant : " Rien qu'un bâton, " il veut que l'on comprenne qu'en vertu du pouvoir qui leur est donné, et qui est figuré par le bâton, aucune des choses qu'il leur défend de porter ne leur fera défaut. Notre-Seigneur a donc exprimé ces deux pensées ; mais comme aucun des Evangélistes ne les a rapportées toutes deux à la fois, on est porté à croire que celui qui a parlé du bâton à porter dans un sens, est en contradiction avec celui qui rapporte la défense faite de porter même un bâton, pris dans un autre sens. L'explication que nous venons de donner fait disparaître toute contradiction. Ainsi, lorsque Nôtre-Seigneur, d'après saint Matthieu, défend à ses Apôtres d'emporter avec eux des chaussures, il leur défend la préoccupation qui les leur ferait emporter, dans la crainte qu'elles ne viennent à leur manquer. Il faut entendre, dans le même sens, la recommandation de ne point porter deux tuniques, Nôtre-Seigneur veut délivrer ses Apôtres de l'embarras d'en porter une autre que celle qui sert à les couvrir, puisque leur ministère leur donne le droit d'en recevoir, au besoin, une seconde. Donc, lorsque d'après saint Marc, le Sauveur leur recommande de chausser leurs sandales, il faut voir, dans ces sandales, une signification symbolique et mystérieuse, c'est-à-dire que la chaussure doit laisser le pied du prédicateur découvert par dessus et protégé par dessous, ce qui signifie que l'Evangile ne doit ni rester caché, ni s'appuyer sur les avantages de la terre. Que signifie encore la défense faite d'avoir et de porter deux tuniques, et la défense plus expresse de se vêtir de plus d'une tunique, si ce n'est que les Apôtres doivent marcher dans la simplicité, sans la moindre duplicité ? Et si quelqu'un pense que Nôtre-Seigneur n'a pu, dans un seul et même discours, mêler le sens figuré au sens propre et littéral, qu'il jette les yeux sur les autres discours du Sauveur, et il verra bientôt qu'il avance cette assertion avec autant de témérité que d'ignorance.

bède. Ces deux tuniques me paraissent indiquer deux vêtements distincts, car on ne peut admettre que, dans les contrées glaciales de la Scythie toujours couvertes de neige, on doive se contenter d'une seule tunique ; la tunique est donc prise ici pour le vêtement tout entier, et Nôtre-Seigneur nous défend d'en avoir un second en réserve, dans la crainte de ce qui peut arriver. — S. chrys. Ou bien encore, au rapport de saint Matthieu et de saint Luc, Nôtre-Seigneur ne permet de porter ni chaussures, ni bâton, et c'est ce qu'il y a de plus parfait ; d'après saint Marc, au contraire, il autorise ses disciples à porter un bâton et des sandales, et c'est une simple permission qu'il leur donne.

bède. Dans le sens allégorique, la besace représente les charges et les embarras du siècle ; le pain, les délices de la terre, et l'argent dans la bourse la sagesse qui reste cachée. C'est qu'en effet celui qui est revêtu des fonctions de docteur ne doit ni plier sous le poids des affaires du siècle, ni se laisser amollir par les désirs de la chair, ni cacher le talent de la parole qui lui est confiée sous la négligence d'un corps livré à l'oisiveté : " Et il leur disait : En quelque maison que vous entriez, " etc. Il leur donne ici le précepte général de la persévérance dans l'observation des lois de l'hospitalité, et leur déclare qu'il est indigne d'un prédicateur du royaume des cieux d'aller de maison en maison. — théophyl. Il ne veut pas qu'en changeant ainsi de maison, ils donnent lieu au reproche de sensualité, " Et quant à ceux qui ne vous recevront point et ne vous écouteront point, lorsque vous sortirez, secouez la poussière de vos pieds, " etc. Le dessein du Sauveur, en leur faisant ce commandement, est de montrer aux peuples qu'ils évangélisent qu'ils ont entrepris une longue route dans l'intérêt de leurs âmes, ou qu'ils n'ont voulu rien recevoir d'eux, pas même la poussière ; et ils doivent secouer cette poussière, pour être on témoignage contre eux, c'est-à-dire une véritable accusation. — S. chrys. Ou bien, pour être un témoignage des fatigues de la route qu'ils ont supportées pour eux, ou pour signifier que la poussière des péchés des prédicateurs retombe sur eux. " Etant donc partis, ils prêchaient aux peuples de faire pénitence, " etc. Saint Marc seul rapporte qu'ils oignaient d'huile les malades; saint Jacques, dans son Epître canonique dit quelque chose de semblable (Jc 5). Or, l'huile repose le corps fatigué, et elle produit tout à la fois la lumière et la joie. L'huile de l'onction figure la miséricorde de Dieu, la guérison des infirmités, la lumière du cœur, toutes choses qui sont le fruit de la prière. — théophyl. L'huile représente encore la grâce de l'Esprit saint, qui nous fait passer des fatigues du travail à la lumière et à la joie de l'esprit. — bède. Aussi, il est admis comme certain que c'est des Apôtres eux-mêmes que l'Eglise a reçu la coutume d'oindre les énergumènes et les malades avec de l'huile consacrée par la bénédiction pontificale.

Vv. 14-16.

la glose. Le récit de la prédication des Apôtres et des miracles que le Sauveur opérait, amène naturellement l'Evangéliste à parler de la réputation de Jésus qui se répandait parmi le peuple : " Or, le roi Hérode entendit parler de lui. " — S. chrys. Cet Hérode était le fils du premier Hérode, sous le règne duquel Joseph avait emmené Jésus en Egypte. Saint Matthieu et saint Luc lui donnent le nom de tétrarque, parce qu'il n'avait plus à gouverner que la quatrième partie du royaume de son père, les Romains, après la mort d'Hérode, son père, ayant divisé son royaume en quatre parties. Saint Marc, au contraire, lui donne le titre de roi, en se conformant à l'usage des Juifs qui l'appelaient ainsi, parce qu'ils avaient donné ce nom à son père, ou parce qu'ils savaient que cela lui était agréable. — S. jér. " Car son nom était devenu célèbre. " II n'est pas permis en effet de cacher la lampe sous le boisseau, " Et Hérode, disait : Jean-Baptiste, est ressuscité d'entre les morts ; c'est pourquoi des miracles sont opérés par lui. " Nous pouvons voir ici combien grande fut l'envie des Juifs. Jean-Baptiste n'a fait aucun miracle, au témoignage de saint Jean l'Evangéliste, et les Juifs, sans aucune preuve, croient qu'il est ressuscité ; mais pour Jésus, au contraire, que Dieu avait rendu célèbre par tontes sortes de prodiges, de miracles, et à la résurrection duquel les anges, les apôtres, les hommes et les femmes avaient rendu témoignage, plutôt que de croire à sa résurrection, ils ont mieux aimé se l'expliquer en disant qu'on avait secrètement enlevé son corps. Ils attribuent à Jean-Baptiste ressuscité d'entre les morts l'opération des miracles, et en cela ils ont une juste idée de la résurrection qui doit revêtir les saints d'une plus grande puissance que celle qu'ils avaient sur la terre, lorsqu'ils étaient encore sous le poids de l'infirmité de la chair.

" Mais d'autres disaient : C'est Elie. " En effet, Jean-Baptiste n'avait pas craint d'adresser de vifs reproches à un grand nombre de ceux qui venaient le trouver, en les appelant race de vipères. " Et d'autres : C'est un prophète, " c'est-à-dire l'un des anciens prophètes. — S. chrys. Ils veulent ici parler de ce prophète dont Moïse a dit : " Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères. " Cette idée était juste ; mais les Juifs ne tenaient ce langage que parce qu'ils craignaient d'avouer ouvertement que Jésus était le Christ. Ils invoquent le témoignage de Moïse comme pour couvrir le soupçon qu'ils avaient de la divinité de Jésus-Christ, par crainte de ceux qui étaient à leur tête. " Ce qu'Hérode ayant entendu, il dit : Jean, que j'ai décapité, est ressuscité d'entre les morts. " Hérode parle ainsi par ironie.—théophyl. On peut encore dire qu'Hérode, sachant qu'il avait fait mettre à mort Jean-Baptiste sans raison et malgré son innocence, pouvait croire qu'il était ressuscité et qu'il avait reçu par sa résurrection même le pouvoir de faire des miracles.

S. AUG. (De l'ace, des Evang., 2, 34.) Saint Luc vient confirmer ici le récit de saint Marc, en ce sens qu'il attribue aussi à d'autres qu'à Hérode lui-même ces paroles : " Jean est ressuscité d'entre les morts. " (Lc 9) Mais comme il nous présente Hérode d'abord dans l'hésitation, et puis s'exprimant de la sorte : " J'ai fait décapiter Jean-Baptiste, quel est donc celui dont j'entends dire de telles choses ? il faut admettre qu'après ce premier moment d'hésitation Hérode fut convaincu de ce qu'il entendait dire aux autres, lorsqu'il dit à ses serviteurs, selon le récit de saint Matthieu (Mt 14) : " Celui-ci est Jean-Baptiste ; c'est lui qui est ressuscité des morts. " On peut dire aussi que ces paroles expriment encore un reste d'hésitation, d'autant plus que saint Marc, qui avait prêté à d'autres qu'à Hérode ces paroles : " Jean est ressuscité d'entre les morts, " finit par faire dire à Hérode lui-même : " Celui que j'ai décapité est ressuscité d'entre les morts. " Or, ces paroles peuvent s'entendre de deux manières, ou comme l'expression d'une conviction certaine, ou comme le langage d'un homme qui hésite et doute encore.

Vv. 17-19.

théophyl. Saint Marc prend occasion de ce qu'il vient de dire pour raconter la mort du saint précurseur : " Hérode avait envoyé prendre Jean et l'avait fait mettre en prison, " etc. — bède. Un historien ancien rapporte que Philippe, fils d'Hérode le Grand, sous le règne duquel Notre-Seigneur s'enfuit en Egypte, et frère de cet Hérode sous lequel eut lieu la passion du Sauveur, épousa Hérodiade, fille du roi Aretas. Plus tard, son beau-père, à la suite de quelques différends qui s'étaient élevés entre lui et son gendre, donna Hérodiade, en haine de son premier mari, à Hérode, ennemi de Philippe. Ce que Jean-Baptiste reprochait à Hérode, c'est donc cette union criminelle, puisqu'il n'est pas permis d'épouser la femme de son frère, du vivant même de son frère. — théophyl. La loi faisait un devoir au frère de celui qui était mort sans enfants d'épouser sa veuve ; mais ici Hérodiade avait une fille, et sous tous rapports ce mariage était un crime.

" Aussi Hérodiade lui tendait des embûches, " etc. — bède. Hérodiade craignait qu'Hérode ne vint à se repentir ou qu'il ne se réconciliât avec son frère, et qu'un divorce ne vînt dissoudre cette union scandaleuse.

" Hérode, sachant que Jean-Baptiste était un homme juste et saint, le craignait, "la glose. Il le craignait, parce qu'il le vénérait ; car il savait qu'il était juste aux yeux des hommes et saint devant Dieu. " Et il le protégeait, " contre les embûches d'Hérodiade qui en voulait à sa vie. " II faisait beaucoup de choses d'après ses conseils, " parce qu'il le regardait comme parlant sous l'inspiration de l'Esprit saint, " Il l'écoutait volontiers, parce que ses discours lui paraissaient pleins des leçons les plus utiles. " — théophyl. Voyez à quels excès peut se porter la violence de la concupiscence. Hérode est plein de crainte et de vénération pour Jean-Baptiste, et il oublie tout pour ne penser qu'à sa passion. — remi. (sur S. Matth.) Son inclination voluptueuse le força de faire charger de chaînes celui dont il connaissait la justice et la sainteté, et nous pouvons apprendre de là qu'une faute moins grande conduit à une faute plus grave, selon cette parole de l'Apocalypse : " Que celui qui est souillé se souille encore davantage. "

" Or, un jour favorable s'étant présenté, et Hérode ayant donné un grand repas pour l'anniversaire de sa naissance, " etc. — bède. Nous ne voyons dans l'Ecriture que deux hommes, Pharaon (Gn 40, 22) et Hérode, qui aient célébré par des fêtes le jour de leur naissance, et tous deux ont inauguré ces fêtes sous de fâcheux auspices en souillant de sang le jour anniversaire de celui où ils étaient nés. Mais l'impiété d'Hérode surpasse d'autant plus celle de Pharaon qu'il a mis à mort le docteur de la vérité, dont la sainteté et l'innocence lui étaient connues, et qu'il commit ce crime pour satisfaire au désir et à la demande d'une danseuse : " Elle dansa et plut tellement à Hérode et à ceux qui étaient à table avec lui, que le roi dit à la jeune fille : Demandez-moi ce que vous voulez, et je vous le donnerai. " — théophyl. Pendant que le repas s'achève, c'est Satan lui-même qui danse dans la personne de cette jeune fille, et qui inspire à Hérode ce serment criminel : " Et il ajouta avec serment : Quoi que ce soit que vous me demandiez, je vous le donnerai. " — bède. Ce serment ne l'excuse pas d'homicide, car peut-être ne l'a-t-il fait que pour avoir l'occasion de mettre à mort le saint précurseur. Et en effet, si Hérodiade lui eût demandé la mort de son père et de sa mère, nul doute qu'Hérode la lui eût refusée. — " Etant sortie, elle dit à sa mère : Que demanderai-je ? Celle-ci lui répondit : La tête de Jean-Baptiste. " A une action aussi digne que la danse, il faut du sang pour juste récompense.

" Aussitôt revenant près du roi en grande hâte, elle lui fit cette demande, " etc. Cette méchante femme demande qu'on lui donne aussitôt et sur l'heure la tête de Jean-Baptiste, tant elle craint qu'Hérode ne vienne à changer de résolution. " — suite. " Le roi en fut centriste. " Les écrivains sacrés ont coutume, dans l'appréciation d'un fait, de se conformer à l'opinion générale qui régnait alors ; c'est ainsi que Marie elle-même appelle Joseph le père de Jésus (Lc, 2, 48) ; de même l'Evangéliste nous dit qu'Hérode fut contristé, c'est-à-dire que c'était la pensée des convives. Cet hypocrite raffiné affectait un visage triste, alors que son âme était dans la joie, et il cherche à excuser son crime par le serment qu'il vient de faire, comme pour commettre l'action la plus impie sous le masque de la piété : " Néanmoins à cause de son serment, et à cause de ceux qui étaient à table avec lui, il ne voulut pas l'affliger d'un refus. " — théophyl. Hérode ne se possède plus, et la passion qui le domine lui fait accomplir son serment et mettre le juste à mort. Cependant le parjure eût été ici mille fois préférable à un si grand crime. — bède. L'auteur sacré ajoute : " Et à cause de ceux qui étaient à table avec lui, " c'est-à-dire qu'il les veut rendre tous complices de son crime, en leur faisant servir des mets sanglants dans un festin où l'impureté et la débauche faisaient tous les frais : " Et il envoya un de ses gardes, et lui commanda d'apporter la tète de Jean-Baptiste dans un bassin. " — théôphyl. Le mot spiculator, que nous traduisons par garde ou satellite, veut dire bourreau, dont le métier est de mettre les hommes à mort. —bède. Hérode n'eut point honte de placer sous les yeux des convives la tète d'un homme qu'il venait de tuer ; nous ne lisons pas que Pharaon se soit jamais laissé aller à de pareils excès. Quoi qu'il en soit, ces deux exemples nous apprennent qu'il nous est bien plus utile de nous rappeler souvent le jour de notre mort, et de vivre ainsi dans la crainte et dans la chasteté, que de célébrer par des débauches le jour de notre naissance. L'homme, en effet, vient au monde pour le travail, et les élus ne parviennent au repos qu'en sortant du monde par la mort.

" Et il lui trancha la tête dans la prison, " etc. — S. grég. (Moral., 3, 5.) Je ne puis considérer sans un profond étonnement cet homme rempli de l'esprit de prophétie dès le sein de sa mère, le plus grand de tous ceux qui sont nés des femmes, et qui est jeté en prison par des hommes pervers, décapité pour payer la danse d'une courtisane, et mis à mort, lui d'une vie si austère, pour égayer des hommes voluptueux et infâmes. Pourrions-nous penser qu'il y eût dans cette vie si humble et si pénitente une seule tache que cette mort dût effacer ? Comment aurait-il pu pécher par intempérance, lui qui ne se nourrissait que de sauterelles et de miel sauvage ? Quelle faute dans ses rapports avec le monde, lui qui ne quitta jamais son désert ? Comment le Dieu tout puissant peut-il abandonner d'une manière si terrible en ce monde ceux qu'il a choisis par une vocation si sublime avant tous les siècles ? Donnons-en une raison évidente pour la piété des vrais fidèles, c'est que Dieu éprouve ainsi ses élus dans cette vie si fragile et si courte, parce qu'il sait comment il doit les récompenser dans les hauteurs des cieux ; et il les laisse tomber extérieurement dans le mépris et l'abjection, parce qu'il les conduit intérieurement jusqu'aux biens incompréhensibles et immortels. Concluons de là combien souffriront dans la vie future ceux que Dieu réprouve, s'il abandonne à des tourments si cruels ceux qu'il aime.

" Ce que les disciples de Jean ayant appris, ils vinrent prendre son corps, et le déposèrent dans un sépulcre. " — bède. L'historien Josèphe raconte que Jean-Baptiste fut amené chargé de chaînes dans la forteresse de Macheronte, et qu'il y fût décapité, et l'histoire ecclésiastique ajoute qu'il fut enseveli dans Sébaste, ville de Palestine, qui était autrefois appelée Samarie. La décapitation de saint Jean signifie la diminution de cette croyance répandue parmi le peuple qu'il était le Christ, de même que l'élévation de Jésus-Christ sur la croix figurait le progrès toujours croissant de la foi ; et en effet, celui que la multitude ne regardait que comme un prophète, fut bientôt reconnu par tous comme le Fils de Dieu. Et c'est peut-être pour cela que Jean-Baptiste, dont la réputation devait décroître, est né à cette époque de l'année, où la lumière du jour commence à décroître, tandis que Nôtre-Seigneur est venu au monde à l'époque où les jours commencent à croître.

théophyl. Dans le sens mystique, Hérode, dont le nom signifie qui est de peau, représente le peuple juif, qui avait aussi une épouse, c'est-à-dire la vaine gloire dont la fille danse et s'agite encore aujourd'hui autour de l'esprit des Juifs, je veux parler de la fausse interprétation des Ecritures. Ils ont décapité Jean, c'est-à-dire la parole des prophètes, et ils ont cette parole privée, de Jésus-Christ qui est son chef. — S. jér. Ou bien encore dans un autre sens : La tête de la loi, c'est-à-dire Jésus-Christ, est retranchée de son corps, c'est-à-dire du peuple juif, et elle est donnée aune jeune fille, qui vient des Gentils, c'est-à-dire à l'Eglise romaine, et la jeune fille la donne à sa mère qui vit dans l'adultère, c'est-à-dire à la synagogue, qui doit embrasser la foi à la fin du monde. Le corps de Jean est enseveli, sa tête est mise dans un bassin ; la lettre qui vient des hommes, est recouverte, et l'Esprit reçoit sur l'autel l'adoration des fidèles, et devient leur nourriture.

Vv. 30-35.

la glose (1). Après le récit de la mort de Jean-Baptiste, l'Evangéliste raconte ce que firent Jésus-Christ et ses disciples après que le saint Précurseur fût mort : " De retour près de Jésus, les Apôtres lui rendirent compte, " etc. — S. jér. Les fleuves reviennent au lieu d'où ils sont sortis (Qo, 1, 7) ; et les envoyés de Dieu lui rendent toujours grâces des bienfaits qu'ils en ont reçus.— théophyl. Apprenons nous aussi, lorsqu'on nous envoie remplir quelque ministère, à ne pas trop nous étendre, à ne pas outrepasser l'objet de notre mission, mais à revenir à celui qui nous l'a donnée, pour lui rendre compte de tout ce que nous avons fait et enseigné. — bède. Il ne suffit pas d'enseigner, il faut encore agir. Or, les Apôtres ne rapportent pas seulement au Seigneur ce qu'ils avaient fait et enseigné, mais encore ce que Jean-Baptiste avait souffert pendant qu'ils étaient occupés du ministère de la prédication ; et ici, comme le rapporte saint Matthieu, les disciples de Jean se joignent à eux pour informer le Sauveur de la mort de leur maître.

" Et il leur dit : Venez à l'écart, " etc. — S. aug. (de l'ace, des Evang. 2, 45.) L'Evangéliste nous raconte ce fait comme ayant immédiatement suivi la mort de Jean-Baptiste ; ce n'est donc qu'après, qu'il faut placer les faits racontés précédemment, et qui impressionnent Hérode au point de lui faire dire : " Celui-ci est Jean à qui j'ai fait trancher la tête. " — théophyl. Jésus se retire dans le désert par un sentiment d'humilité ; et il invite ses disciples à prendre un peu du repos, pour apprendre aux supérieurs ecclésiastiques que ceux qui sont livrés aux œuvres extérieures et à la prédication, ne peuvent continuellement travailler, et qu'ils ont droit à prendre quelques instants de repos.

bède. Quelle était la raison qui rendait ce repos nécessaire aux disciples , la voici : " II y avait un tel concours de personnes qui venaient et s'en allaient, que les Apôtres n'avaient pas même le temps de manger. " Heureux temps, où tous rivalisaient ainsi de zèle et de fatigues, les uns pour enseigner, les autres pour être instruits. "Et étant montés dans une barque, " etc. Les disciples ne montent pas seuls dans cette barque, ils prennent le Seigneur avec eux pour gagner le désert, comme le raconte saint Matthieu (Mt 14). Le Sauveur veut par là éprouver la foi de la multitude ; car en se rendant dans un lieu désert, il veut s'assurer de sa fidélité à le suivre. Or, tout ce peuple en le suivant, sans aucun moyen de transport, et malgré les fatigues d'une longue marche à pied, fait voir le zèle qu'elle a pour son salut. " Mais beaucoup de gens, les ayant vus partir, et ayant connu leur dessein, y accoururent à pied, " etc. Puisque cette multitude, qui suit à pied Nôtre-Seigneur, le précède, il est évident que le Sauveur et ses disciples n'abordèrent point à une rive opposée de la mer et du Jourdain, mais qu'ils s'arrêtèrent dans un lieu voisin de celui d'où ils étaient partis, et où ils furent devancés par ceux qui s'y étaient rendus à pied. — théophyl. A leur exemple, n'attendez pas que Jésus-Christ vous appelle, mais hâtez-vous de le devancer.— " Et étant sorti de la barque, il vit une grande multitude, et il en eut compassion, " etc. Les pharisiens, ces loups ravisseurs, loin de nourrir le peuple, le dévoraient ; aussi se presse-t-il en foule autour de Notre-Seigneur, le vrai pasteur qui lui distribue la nourriture spirituelle de la parole de Dieu : " Et il commença à leur enseigner beaucoup de choses. " Il voit dette multitude que la vue de ses miracles attire à sa suite malgré les fatigues d'une longue route, il en a compassion, et il satisfait à son désir en l'instruisant. — bède. Saint Matthieu (Mt 14) rapporte qu'il guérit ceux qui étaient malades ; en effet, la vraie compassion pour les pauvres, est de leur ouvrir par l'enseignement la voie de la vérité, et de les délivrer de leurs souffrances corporelles.

S. jér. Dans le sens mystique, Nôtre-Seigneur emmène à l'écart ceux qu'il a choisis pour ses disciples, de peur qu'en vivant au milieu des méchants, ils ne soient exposés à imiter leurs exemples ; ainsi que Loth le fût dans Sodome (Gn 19), Job dans la terre de Hus (Jb 1), et Abdias dans la maison d'Achah. (3 R 18.) — bède. Après avoir abandonné la synagogue dans le désert, les prédicateurs de l'Eglise que les Juifs accablaient sous le poids des tribulations, trouvent le repos au milieu des Gentils auxquels ils ont communiqué la grâce de la foi. — S. jér. Toutefois, ce repos des saints sur la terre est de courte durée, le travail est long, mais après cette vie, il leur sera dit : " Qu'ils se reposent de leurs travaux. " (Ap 14, 13.) Nous voyons arriver dans l'Eglise ce qui se passa autrefois dans l'arche de Noé ; les animaux qu'elle contenait étaient envoyés dehors, et ceux qui étaient dehors étaient reçus au dedans (Gn 8). Ainsi Judas se retire de l'Eglise, mais le bon larron y entre, et toutefois, lorsqu'un de ses enfants abandonne la vraie foi, le repos de l'Eglise n'est pas sans amertume : c'est Rachel qui pleure ses enfants, et ne veut pas de consolation (Jr 31 ; Mt 11) Ce n'est pas encore ce festin où l'on servira du vin nouveau, où des hommes nouveaux chanteront aussi un nouvel hymne, lorsque ce corps mortel sera revêtu d'immortalité. (1 Co 15) Alors que Jésus-Christ s'avance vers le désert des nations, il est suivi d'une multitude innombrable de fidèles qui ont abandonné les habitudes de leur vie ancienne.

Vv. 35-44.

théophyl. Notre-Seigneur, après avoir donné à cette multitude ce qui est le plus utile, la nourriture de la parole de Dieu, lui distribue aussi la nourriture corporelle, et l'Evangéliste commence ainsi le récit de ce miracle : " Et comme l'heure était déjà fort avancée, ses disciples s'approchèrent de lui, et lui dirent : Ce lieu est désert, " etc. — bède. Cette heure avancée c'était le soir et la nuit qui approchait, comme saint Luc le dit clairement (Lc 9) : " Le jour commençait à baisser. " — théophyl. Voyez le progrès des disciples dans l'amour du prochain ; pleins de compassion pour cette multitude, ils s'approchent de Jésus et le prient de venir à son secours ; mais le Sauveur veut les éprouver et savoir par expérience s'ils lui reconnaissent une assez grande puissance pour nourrir un si grand nombre de personnes : " Et il leur répondit : Donnez-leur vous-mêmes à manger. " — bède. Il presse les Apôtres de leur donner à manger, afin que l'aveu qu'ils feront de leur impuissance, rende plus éclatant le miracle qu'il doit opérer.

théophyi. L'observation que les disciples font au Sauveur, suppose qu'il ignorait la quantité de pain nécessaire pour nourrir une si grande multitude, et ils lui répondent avec une espèce de trouble : " Irons-nous donc acheter pour deux cents deniers de pain, afin de leur donner à manger. " — S. aug. (de l'acc. des Evang., 2, 46.) Dans saint Jean, c'est Philippe qui fait cette réponse (Jn 6), saint Marc la place dans la bouche de tous les disciples, et veut nous faire entendre que Philippe l'avait faite au nom de tous les autres, quoiqu'il ait très-bien pu employer le pluriel pour le singulier, selon l'usage fréquent de la sainte Ecriture (Lc 22). " Et il leur demanda : " Combien avez-vous de pains ? Allez et voyez. " Les autres Evangélistes n'ont point fait mention de cette dernière circonstance. " Et s'en étant instruits, ils vinrent lui dire : " Cinq pains et deux poissons. " La réponse que saint Jean prête à André au sujet des cinq pains et des deux poissons, est attribuée à tous les disciples par les autres Evangélistes qui emploient le pluriel pour le singulier. — " Et il leur commanda de les faire tous asseoir, " etc. Saint Luc rapporte qu'on les fit asseoir par groupes de cinquante ; saint Marc, par groupes de cinquante et de cent, il n'y a en cela aucune contradiction, l'un n'a mentionné qu'une partie, et l'autre le tout. Celui qui parle, des groupes de cent, a suppléé à ce que l'autre avait omis. — théophyl. L'Evangéliste nous donne ainsi à entendre que toute cette multitude fut distribuée par groupes ; car dans le texte grec, cette expression, par troupes, par sociétés, se trouve répétée, comme s'il y avait : " Par groupes et par groupes.

" Et Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, " etc. — S. chrys. (hom. 50 sur S. Matth. ) II lève les yeux au ciel dans une intention toute de sagesse ; les Juifs, avant de recevoir la manne dans le désert, avaient osé dire : " Est-ce que Dieu pourra nous donner du pain ? " (Ps 67, 20.) C'est pour bannir de leur esprit ce doute injurieux, qu'avant d'opérer ce miracle, il rapporte à Dieu l'action qu'il allait faire. — théophyl. Il lève encore les yeux au ciel, pour nous apprendre à demander à Dieu notre nourriture, et non au démon, comme ceux qui se nourrissent injustement aux dépens des travaux d'autrui. Il prouve encore à cette multitude qu'il n'était pas ennemi de Dieu, puisqu'il l'invoquait. Il charge ses disciples de distribuer le pain au peuple, afin qu'en tenant ce pain dans leurs mains, il ne leur reste aucun doute sur la réalité du miracle : " Et ils mangèrent tous, et ils furent rassasiés, " etc. Mais ce miracle parut bien plus éclatant aux yeux de tout ce peuple, lorsqu'il vit douze corbeilles pleines de morceaux qui restaient, et chacun des apôtres rapportant sur ses épaules une de ces corbeilles. C'était l'œuvre, en effet, d'une puissance qui n'est point restreinte, non-seulement de nourrir une si grande multitude, mais encore de faire en sorte qu'on recueillit une si grande quantité de morceaux qui restaient. Moïse avait bien donné la manne au peuple de Dieu " mais il n'en donnait à chacun que le nécessaire, et ce qui dépassait cette mesure était aussitôt corrompu par les vers. (Ex 16) Elle, que Dieu avait chargé de nourrir la veuve de Sarepta, ne le faisait également que dans la mesure du nécessaire (3 R 17) ; Jésus seul donne en maître et avec une libéralité surabondante.

bède. Dans le sens mystique, le Sauveur nourrit cette multitude affamée vers le déclin du jour, parce qu'en effet c'est aux approches de la fin des temps, ou lorsque le soleil de justice (Ml 4, 2) s'est couché dans le tombeau, que nous avons été délivré des suites de la disette spirituelle. Il charge ses Apôtres de rompre le pain au peuple, pour leur apprendre qu'ils doivent tous les jours donner à nos âmes la nourriture dont elles ont besoin, autant par leurs exemples que par leurs écrits. Or, les cinq pains figurent les cinq livres de la loi, et les deux poissons, les psaumes et les prophètes. —théophyl. Ou bien, les deux poissons sont les écrits des pêcheurs, c'est-à-dire l'Evangile et les Epîtres. — bède. L'homme a cinq sens extérieurs, et ces cinq mille hommes qui suivent le Seigneur représentent ceux qui, tout en vivant encore au milieu du monde, savent cependant faire un bon usage des choses extérieures. — S. grég. (Moral., 16, 23) Les divers groupes assis sur l'herbe sont la figure des diverses Eglises du monde, qui ne font entre elles qu'une seule Eglise catholique. Le nombre cinquante a ici une signification mystérieuse : il figure le repos du jubilé, et ce nombre cinquante se trouve répété pour former le nombre cent. Ils s'assoient donc par groupes de cinquante et de cent, et ils figurent ainsi le premier repos, qui consiste à s'abstenir du mal, et le repos plus complet est où l'âme jouira de la pleine connaissance de Dieu. — bède. Ce n'est qu'après qu'ils sont assis sur l'herbe que le Seigneur les nourrit de ce pain miraculeux, et ils représentent ainsi ceux qui, après avoir foulé aux pieds la concupiscence par la pratique de la chasteté, s'appliquent tout entiers à écouter et à observer la parole de Dieu. Le Sauveur ne tire pas du néant de nouveaux aliments, parce qu'en effet, en venant sur la terre revêtu de notre chair, il n'a point annoncé d'autres vérités que celles qui avaient été prédites; mais il a fait voir que la loi et les prophètes portaient comme dans leur sein, et étaient prêts à enfanter les mystères de la grâce. Il leva les yeux au ciel, pour nous apprendre que c'est là qu'il faut chercher la lumière. Il rompt le pain et le donne à ses disciples, pour qu'ils le distribuent à la foule ; c'est ce qu'il a fait encore en découvrant aux saints docteurs les secrets mystérieux des prophéties, qu'ils devaient eux-mêmes faire connaître à tout l'univers. Les disciples recueillent les restes que laisse la foule, c'est-à-dire qu'il ne faut pas laisser perdre négligemment les vérités plus augustes que les esprits grossiers ne peuvent comprendre, mais les recueillir et les approfondir avec soin pour les âmes plus parfaites. Ainsi, ces douze corbeilles sont la figure des douze Apôtres et des docteurs qui sont venus après eux. De même que les corbeilles sont destinées aux usages, les plus communs, ils ont extérieurement peu d'apparence aux yeux des hommes, mais ils sont remplis au dedans des restes précieux de la nourriture du salut. — S. jér. Ou bien encore, ils recueilleront ces douze corbeilles pleines de morceaux, lorsqu'ils s'assoiront sur douze trônes, pour juger les douze tribus d'Israël (Mt 19, 28), qui sont comme les restes d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, alors que les restes d'Israël seront sauvés (Rm 11, 5).

Vv. 45-52.

la glose. Dans le miracle de la multiplication des pains, Nôtre-Seigneur avait montré qu'il était le créateur de toutes choses ; en marchant sur la mer, il fait voir que son corps est affranchi du poids accablant de nos péchés, et, en apaisant les vents et en calmant la fureur des flots soulevés, il prouve qu'il est le souverain Maître des éléments : " Et aussitôt, il fît monter ses disciples, " etc. — S. chrys. Nôtre-Seigneur renvoie le peuple après l'avoir comblé de bénédictions et guéri ses malades ; mais il est obligé de forcer ses disciples, selon l'expression de l'Evangéliste, de traverser la mer, parce qu'ils ne se séparaient que difficilement de sa personne, tant à cause du vif attachement qu'ils avaient pour lui que parce qu'ils étaient en peine comment ils pourraient le rejoindre. — bède. On se demande avec raison comment après le miracle de la multiplication des pains, saint Marc a pu dire que les disciples traversèrent la mer pour se rendre à Bethsaïde, tandis que selon saint Luc, c'est à Bethsaïde même qu'aurait eu lieu ce miracle. Cette apparente contradiction disparaît en admettant que saint Luc, par ces paroles : " II se retira dans un lieu désert, qui est Bethsaïde, " a voulu désigner, non l'intérieur de la ville qui porte ce nom, mais un lieu désert situé près de cette ville, tandis que saint Marc, en disant : " Pour le précéder à Bethsaïde, " a voulu parler de la ville elle-même de Bethsaïde.

" Et après avoir renvoyé le peuple, il s'en alla sur la montagne pour prier. " — S. chrys. Il faut entendre ces paroles de Jésus-Christ en tant qu'il est homme, et il agit de la sorte pour nous enseigner l'assiduité dans la prière. —théophyl. Après avoir renvoyé la foule, il monte sur une montagne pour y prier, car la prière réclame le silence et le repos. — bède. Tous ceux qui prient ne montent pas sur la montagne ; il n'y a que ceux qui prient convenablement, et qui cherchent Dieu dans la prière. Mais celui qui ose demander à Dieu les richesses de la terre, les honneurs du siècle ou la mort de son ennemi reste plongé dans les choses basses et n'offre à Dieu que de viles et misérables prières. Saint Jean nous fait connaître le motif pour lequel Nôtre-Seigneur se retira sur une montagne pour prier, après avoir congédié le peuple : " Jésus, ayant connu qu'ils devaient venir pour l'enlever et le faire roi, il s'enfuit de nouveau sur la montagne tout seul. "

" Et le soir étant venu, la barque se trouvait au milieu de la mer, " etc. — théophyl. Nôtre-Seigneur permit que ses disciples fussent exposés au danger pour leur donner lieu de pratiquer la patience. Aussi ne vient-il pas immédiatement à leur secours, mais il permet que le danger dure toute la nuit, pour leur apprendre à attendre avec patience et à ne pas compter que le secours leur viendrait aussitôt au milieu de leurs tribulations : " Et voyant ses disciples qui se fatiguaient à ramer, " etc. — S. chrys. (comme précéd.) L'Ecriture, suivant l'usage des anciens, divise la nuit en quatre veilles, et chaque veille en trois heures ; ainsi, la quatrième veille est celle qui commence après la neuvième heure, c'est-à-dire à la dixième ou à la dernière.

" Et il voulait les devancer. " — S. AUG. (De l'acc. des Evang., 2, 47.) Les Apôtres ne purent comprendre que Jésus voulait les devancer que parce qu'il se dirigeait en sens contraire. Il voulait les dépasser comme des hommes qui lui étaient étrangers, et qui le reconnaissaient si peu qu'ils le prenaient pour un fantôme : " Mais eux le voyant marcher sur la mer, crurent que c'était un fantôme, " etc. — THEOPHYL. Remarquez que c'est au moment même où le Sauveur devait calmer leur effroi, qu'il leur inspire une crainte plus vive ; mais il les rassure aussitôt en lui adressant la parole : " Aussitôt il leur parla, et leur dit : Rassurez-vous, c'est moi, ne craignez pas. " — S. chrys. Et en effet, ils le reconnurent aussitôt à sa voix , et ils cessèrent de craindre. — S. aug. (De l'acc. des Evang.) On ne peut expliquer que Notre-Seigneur voulut dépasser ses disciples dont il dissipe si pleinement l'épouvante, qu'en admettant que son intention n'avait d'autre but en les dépassant que de leur faire pousser ce cri qu'il attendait pour venir à leur secours. —bède. Un certain Théodore, qui fut autrefois évêque de Pharan, soutint que Nôtre-Seigneur avait eu un corps sans pesanteur, ce qui explique comment il avait pu marcher sur la mer : mais la foi catholique enseigne que la chair du Sauveur était soumise aux lois de la pesanteur, car, dit saint Denis (Des noms div., 2), nous ne savons comment le Sauveur, avec des pieds qui avaient leur pesanteur naturelle et qui soutenaient tout le poids du corps, a pu marcher sans enfoncer sur la mer, élément liquide et sans consistance.—théophyl. Mais à peine est-il entré dans la barque qu'il apaise la tempête : " Et il monta avec eux dans la barque, et le vent cessa. " C'était déjà un grand miracle que de marcher sur la mer, mais la tempête et le vent contraire rendent encore ce miracle plus éclatant. Aussi les Apôtres, que le miracle de la multiplication des pains n'avait pas suffisamment convaincus de la puissance de Jésus-Christ, la comprennent mieux en voyant la tempête miraculeusement apaisée : " Et leur étonnement en devint plus grand, car ils n'avaient pas compris le miracle des pains. " — béde. La grandeur de ces miracles étonnait les disciples qui étaient encore charnels ; mais ils ne pouvaient encore reconnaître dans le Sauveur la vérité de la majesté divine : " Parce que leur cœur était aveuglé. "

Dans le sens allégorique, le travail des disciples qui se fatiguent à ramer et le vent qui est contraire, sont une figure des travaux de la sainte Eglise, qui malgré les flots soulevés du monde et les tempêtes déchaînées par les esprits impurs, s'efforce de parvenir au repos de la patrie céleste. Ce n'est point sans raison que cette barque nous est représentée au milieu de la mer, tandis que Jésus est seul sur le rivage, parce que l'Eglise, quelquefois, est tellement accablée par les persécutions des infidèles, que le divin Rédempteur paraît l'avoir complètement abandonnée. Mais le Seigneur ne perd pas de vue ses serviteurs qui luttent contre les flots soulevés ; il les fortifie d'un regard de sa miséricorde pour qu'ils ne succombent pas sous le poids de leurs tribulations, et quelquefois même il les délivre d'une manière éclatante. Il vient à leur secours à la quatrième veille, et lorsque le jour approche, parce qu'en effet, lorsque l'homme ouvre les yeux de son âme à la lumière du secours qui vient d'en haut, le Seigneur vient lui-même eu personne, et tous les dangers des tentations sont assoupis. — S. chrys. Ou bien la première veille est le temps qui s'est écoulé jusqu'au déluge ; la seconde s'étend jusqu'à Moïse ; la troisième, jusqu'à l'avènement du Sauveur; c'est dans la quatrième veille que le Seigneur arrive et adresse la parole à ses disciples. — bède. Souvent la bonté divine paraît avoir abandonné les fidèles au milieu des tribulations, et il semble encore que Jésus veuille passer outre sans jeter un regard sur ses disciples qui luttent contre la fureur de la nier. Il est encore aussi des hérétiques qui pensent que le Sauveur eut un corps sans réalité, et qu'il n'a point pris une chair véritable dans le sein de la Vierge Marie. — S. jer. Jésus dit à ses disciples : " Ayez confiance, c'est moi, ne craignez point, " parce qu'un jour nous le verrons tel qu'il est. Le vent tombe et la tempête s'apaise aussitôt que Jésus s'est assis ; c'est-à-dire aussitôt qu'il exerce l'autorité de roi dans la barque qui est la figure de l'Eglise universelle. — bède. De même encore, aussitôt qu'il entre dans un cœur par la grâce du divin amour il apaise et fait cesser aussitôt toutes les guerres soulevées par les passions, par le monde et les esprits mauvais.

Vv. 53-56.

la glose. L’Evangéliste, après avoir raconté le danger qu'avaient couru les disciples au milieu de la mer et le miracle qui les en avait délivré , nous fait connaître le lieu où ils vinrent aborder : " Après avoir traversé le lac, ils vinrent au territoire de Génésareth. " — théophyl. Ce fut après un assez long espace de temps que le Seigneur aborda dans ce lieu , ce qui explique ces paroles de l'Evangéliste : " Et dès qu'ils furent sortis de la barque, les habitants de ce pays le reconnurent. " — bède. Ils le connurent, non de visage, mais de réputation, peut-être aussi plusieurs d'entre eux le connaissaient de vue à cause de l'éclat de ses miracles. Voyez quelle est la foi de ces habitants de Génésareth : il ne leur suffit pas que Jésus guérisse les malades qui sont au milieu d'eux ; ils faut parcourir toutes les villes des environs pour les inviter à venir trouver le médecin : " Et parcourant toute la contrée, ils lui apportèrent les malades dans des lits. " — théophyl. Ils ne le priaient point d'entrer dans les maisons pour guérir les malades; ils préféraient les apporter devant lui. " Et partout où il entrait, dans les bourgs, dans les villages ou dans les villes, ils mettaient les malades sur les places publiques, " etc. Le miracle que le Sauveur avait opéré en faveur de l'hémorrhoïsse était parvenu à la connaissance d'un grand nombre, et leur inspirait cette loi qui était la cause de leur guérison : " Et tous ceux qui le touchaient étaient guéris. "

bède. Dans le sens allégorique, la frange du vêtement du Sauveur représente le moindre de ses commandements ; quiconque le transgressera sera le moindre dans le royaume des cieux. Ou bien encore, elle peut représenter la chair qu'a prise le Fils de Dieu, qui nous conduit jusqu'au Verbe de Dieu et nous fait ensuite entrer en jouissance de sa majesté. — S. jér. Les paroles suivantes : " Et tous ceux qui le touchaient étaient sauvés, " s'accompliront quand il n'y aura plus ni gémissements ni douleur (Is 35, 10).

 

CHAPITRE VII

Vv. 1-13.

bêde. Les habitants de Génésareth, dont l'instruction était moins développée, non-seulement viennent trouver Nôtre-Seigneur, mais ils lui amènent leurs malades, pour qu'ils puissent toucher au moins la frange de ses vêtements. Les pharisiens et les scribes, au contraire, qui auraient dû être les docteurs du peuple, s'empressent autour du Sauveur, non pour en obtenir la guérison de leurs maladies, mais pour soulever de vaines disputes en lui proposant des questions sans fin : " Des pharisiens et plusieurs scribes s'assemblèrent près de Jésus. " — théophyl. Les disciples de Jésus, à qui leur divin Maître avait enseigné surtout la pratique sérieuse de la vertu, prenaient leur nourriture sans s'être lavé les mains; les pharisiens qui ne cherchaient qu'un prétexte, saisirent celui-ci pour les accuser. Ils ne leur reprochent pas précisément de transgresser la loi, mais de ne pas se conformer aux traditions des anciens : " Car les pharisiens et tous les Juifs ne mangent point sans s'être à plusieurs reprises lavé les mains, suivant en cela la tradition des anciens. " —bède. Ils prenaient dans un sens purement matériel les paroles toutes spirituelles des prophètes, et entendaient exclusivement de la purification du corps des recommandations qui n'avaient pour objet que les pensées et les œuvres, comme celles-ci : " Lavez-vous, et soyez purs " (Is 1) : " Soyez purs, vous qui portez les vases du Seigneur ; " (Is 52). C'est donc une tradition toute humaine et superstitieuse, quand on s'est lavé une fois les mains, de les laver encore à plusieurs reprises avant de prendre sa nourriture, et de ne vouloir point se mettre à table en revenant de la place publique, sans s'être purifié. Mais il est nécessaire que ceux qui désirent participer au pain descendu du ciel, ne cessent de purifier leurs œuvres par les aumônes, les larmes, et par d'autres fruits de justice. Il faut aussi purifier sous l'action incessante des bonnes pensées et des actions vertueuses, les souillures que l'on contracte nécessairement au milieu des préoccupations des affaires du siècle. Mais pour les Juifs, c'est inutilement qu'ils se lavent fréquemment et se purifient en revenant de la place publique, tant qu'ils refusent de venir se purifier dans la fontaine du Sauveur; et c'est en vain qu'ils observent la purification des vases, eux qui négligent de purifier leurs corps et leurs cœurs de leurs véritables souillures.

" Et les pharisiens et les scribes lui demandèrent : Pourquoi vos disciples ne se conforment-ils pas à la tradition des anciens, mais prennent-ils leurs repas avec des mains impures ? " — S. jér. (sur S. Matth., 15). Quel aveuglement étonnant dans les pharisiens et dans les scribes ! Ils reprochent au Fils de Dieu que ses disciples n'observent pas les traditions et les préceptes des hommes. Le mot latin commune, commun, veut dire ici qui est impur. Le peuple juif, qui se considérait comme le partage de Dieu, regardait comme impurs certains aliments dont les autres peuples se nourrissaient, comme les huîtres, la chair de porc, les lièvres et autres animaux semblables.

S. jér. Nôtre-Seigneur oppose à cette ridicule agression des pharisiens, l'arme de la raison, c'est-à-dire, les reproches que faisaient autrefois Moïse et Isaïe, et il nous apprend ainsi à nous servir des paroles de la sainte Ecriture, pour combattre et vaincre les hérétiques. " Il leur répondit : Isaïe a bien prophétisé de vous, hypocrites, lorsqu'il dit : Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. " — S. chrys. (hom. 52 sur S. Matth.) Comme ils accusaient injustement ses disciples de transgresser, non les préceptes de la loi, mais la tradition des anciens, il les confond en les traitant d'hypocrites, eux qui professent un respect exagéré pour des choses qui ne le méritent pas. Il leur applique ensuite cette parole d'Isaïe, comme leur étant adressée directement. Ceux à qui le prophète reprochait d'honorer Dieu des lèvres, tandis que leur cœur était loin de lui, se vantaient inutilement d'observer les règles de la vraie religion, il en est ainsi de vous-mêmes qui négligez de guérir le mal intérieur dont vous êtes atteint, et qui accusez ceux qui suivent les règles de la justice. — S. JÉR. Il faut rayer et détruire la tradition des pharisiens sur la purification des tables et des vases, car souvent on sacrifie à de semblables traditions les commandements de Dieu : " Car vous négligez la loi de Dieu, et vous observez avec soin la tradition des hommes, purifiant les vases et les coupes, " etc. — S. chrys. Et pour leur montrer qu'ils ont sacrifié le commandement de Dieu et le respect qu'ils lui devaient, à la tradition des anciens opposée aux divines Ecritures, il ajoute : " Car Moïse a dit : Honore ton père et ta mère, " etc.—bède. L'honneur dans le langage des saintes Ecritures, consiste moins dans les marques extérieures de respect et de déférence, que dans l'assistance et les secours effectifs donnés à ceux qui en ont besoin : Honorez, dit l'Apôtre, les veuves qui sont vraiment veuves (l Tm 5). — S. chrys. Et vous, malgré l'existence de cette loi divine et malgré les menaces qui sont faites à ceux qui la transgressent, vous transgressez pour rien le précepte divin, vous contentant d'observer les traditions des anciens. " Et vous dites : Si un homme dit à son père ou à sa mère : Tout corban, c'est-à-dire, tout don fait à Dieu de mon bien vous profite, " il sera par-là même affranchi de l'observation de ce commandement : " Et vous le dispensez de rien faire davantage pour son père et pour sa mère. " — théophyl. Les pharisiens, avides de s'emparer des offrandes qui étaient faites, enseignaient aux enfants qui avaient quelque argent, à répondre à leurs parents qui leur demandaient des secours : le corban, c'est-à-dire, le don que vous me demandez, a déjà été offert à Dieu. C'est ainsi qu'ils persuadaient aux parents de ne plus demander ces offrandes comme faites à Dieu, et ayant satisfait par là même à tous leurs besoins; et qu'ils induisaient les enfants en erreur, en les détournant de l'honneur qu'ils devaient à leurs parents, afin de pouvoir eux-mêmes dévorer les offrandes qui étaient faites à Dieu dans le temple. Nôtre-Seigneur leur reproche donc de transgresser la loi divine pour l'appât d'un gain sordide : " Et c'est ainsi que vous annulez la parole de Dieu par une tradition dont vous êtes les auteurs. — S. chrys. (comme précéd.) On peut dire encore que les pharisiens enseignaient aux jeunes gens, que, si pour réparer les torts qu'ils faisaient à leurs parents, ils offraient à Dieu des présents, ils étaient quittes en donnant à Dieu ce qui leur était dû, et c'est ainsi qu'ils détruisaient le précepte qui fait un devoir d'honorer ses parents. — bêde. On peut enfin donner de ces paroles : " Le don que je fais à Dieu vous servira, " cette explication abrégée : Vous forcez les enfants à dire à leurs parents : Ce que je devais offrir à Dieu, je vais l'employer à vous nourrir, et cela vous servira, ô mon père et ma mère : ce qui revenait à dire : Cela ne vous servira pas. Car les parents craignant d'employer à leur usage ce qu'ils voyaient destiné à l'autel, aimaient mieux mener une vie pauvre que de se nourrir des choses consacrées à Dieu.

S. jér. Dans le sens allégorique, les disciples qui mangeaient sans s'être lavé les mains, figurent la communion qui devait exister entre toutes les nations. Les ablutions et les purifications pharisaïques sont stériles, tandis que la coutume suivie par les apôtres de s'affranchir des purifications légales, a étendu ses branches jusqu'à la mer.

Vv. 14-20.

S. chrys. Les Juifs attachaient la plus grande importance aux purifications légales, et murmuraient du peu d'estime qu'en faisaient Nôtre-Seigneur, et c'est pour cela qu'il tient à bien établir la doctrine contraire : " Et appelant de nouveau le peuple, il leur dit : Ecoutez-moi tous, et comprenez. Il n'est rien en dehors de l'homme, qui entrant en lui, puisse le souiller, mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui souille l'homme. " Les préceptes de Jésus-Christ ont surtout pour objet l'intérieur de l'homme, tandis que les prescriptions légales sont surtout pour l'extérieur, et c'est à ces observances trop matérielles que la croix de Jésus-Christ devait bientôt mettre fin.

théophyl. En parlant de la sorte, Nôtre-Seigneur veut apprendre au peuple qu'il fallait entendre dans un sens spirituel les prescriptions légales sur la nourriture, et il prend occasion de là pour leur faire connaître le but que se proposait la loi. — S. chrys. Il ajoute : " Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. " En effet, il n'avait pas expliqué ouvertement quelles étaient ces choses qui sortaient de l'homme et le souillaient, et cet avertissement du Sauveur fit croire aux apôtres, que les paroles qui précèdent avaient un sens plus profond, c'est pourquoi : " Etant entré dans une maison après avoir quitté le peuple, ses disciples l'interrogeaient sur cette parabole, etc. " Le mot parabole veut dire ici un discours qui renferme quelque obscurité.

théophyl. Nôtre-Seigneur commence par leur faire un reproche : " Et il leur dit : Vous aussi, vous avez si peu d'intelligence ? " — bède. On est mauvais auditeur, ou quand on veut comprendre trop clairement des choses naturellement obscures, ou quand on veut laisser planer de l'obscurité sur des choses évidentes. — théophyl. Nôtre-Seigneur leur dévoile ensuite ce qu'il y avait d'obscur pour eux dans ces paroles, en leur disant : " Ne comprenez-vous pas que tout ce qui du dehors entre dans l'homme ne peut le souiller ?" Un lecteur attentif fera peut-être cette difficulté : Pourquoi donc alors ne mangeons-nous pas des viandes immolées aux idoles ? Nous répondons que la viande immolée aux idoles ne doit pas être considérée comme impure par elle-même. — bède. Elle n'est pas impure, en tant qu'elle est une nourriture créée de Dieu, mais c'est l'invocation des idoles ou des démons qui eu fait une viande souillée et illicite. Nôtre-Seigneur donne la raison de ce qu'il vient de dire : " Parce que cela n'entre pas dans son cœur. " Le siège principal de l'âme, suivant Platon, est dans le cerveau, mais d'après Jésus-Christ, il est dans le cœur. —laglose. Il dit : " Dans le cœur, " c'est-à-dire, dans cette partie supérieure de l'âme d'où dépend toute la vie de l'homme, et qui rend ses actes innocents ou coupables ; et il est donc évident que ce qui ne parvient pas jusqu'à l'âme, ne peut être la cause d'aucune souillure dans l'homme. Donc les aliments qui ne peuvent arriver jusqu'à l'âme, ne peuvent de leur nature la souiller en aucune façon, mais l'usage immodéré des aliments qui vient du dérèglement de l'esprit, peut produire une véritable souillure dans l'âme. Or, Notre-Seigneur prouve que les aliments ne peuvent parvenir jusqu'à l'âme, en ajoutant : " Mais se rend dans le ventre et est jeté dans le lieu secret, " etc. Il s'exprime de la sorte, pour qu'on n'applique pas ce qu'il vient de dire à la partie des aliments qui reste dans le corps, car le corps conserve tout ce qui est nécessaire pour sa nourriture et son accroissement, et il laisse sortir tout ce qui est inutile par un travail qui purifie pour ainsi dire la partie des aliments qui reste à l'intérieur. — S. AUG. (Livre des 83 quest.). Il est des choses qui entrent en nous pour être à la fois la cause et l'objet d'un changement, comme les aliments qui perdent leur nature pour s'assimiler à notre corps, et qui en même temps accroissent et transforment notre force. — bède. Lorsque la partie des aliments qui reste dans le corps a été comme cuite et digérée dans les veines et dans les artères, il se produit une légère substance liquide qui s'échappe par des conduits secrets que les Grecs appellent pores, et qui de là est rejetée au dehors.

bède. Ce ne sont donc pas les aliments qui rendent les hommes impurs, c'est la malice qui est la source des passions intérieures : " Mais, disait le Sauveur, ce qui sort de l'homme, c'est là ce qui souille l'homme, " etc. — la glose. Et il en donne la raison : " Car c'est du dedans du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées. " D'où il faut conclure que les mauvaises pensées viennent de l'âme (que Nôtre-Seigneur appelle ici le cœur), c'est-à-dire, du principe qui rend l'homme bon ou mauvais, pur ou impur. — béde. Ces paroles sont la condamnation de ceux qui prétendent que les mauvaises pensées nous sont envoyées par le démon, et ne viennent pas de notre propre volonté. Le démon peut être l'instigateur et le fauteur des mauvaises pensées, mais il ne peut en être l'auteur. — la glose. Des mauvaises pensées, sortent à leur tour, toutes les actions mauvaises : les adultères, qui font outrage au lit d'autrui ; les fornications, c'est-à-dire, les relations criminelles avec des personnes non mariées; les homicides, qui sont un attentat à la vie du prochain ; les vols, par lesquels on s'empare injustement de ses biens ; les faits d'avarice qui sont la détention injuste des biens d'autrui; les méchancetés, qui portent atteinte à la réputation du prochain ; les fourberies qui le trompent ; les impudicités qui embrassent toutes les actions qui corrompent l'âme ou le corps. — théophyl. L'œil mauvais, c'est la haine et la flatterie, car celui qui nourrit de la haine contre son frère, le voit d'un œil mauvais et envieux ; or, celui qui le flatte, l'entraîne au mal, en ne voyant pas d'un œil droit ses véritables intérêts. Les blasphèmes sont les outrages faits à Dieu ; l'orgueil, c'est le mépris que l'on fait de Dieu, en attribuant, non à Dieu mais à ses propres forces le bien que l'on opère ; la folie, c'est l'outrage commis contre le prochain. — la glose. Ou bien, la folie consiste à n'avoir pas des idées saines et droites sur Dieu, elle est opposée à la sagesse qui est la connaissance des choses divines. — suite. " Toutes ces choses sortent du dedans et souillent l'homme. " Car on doit imputer à l'homme ce qu'il est libre de faire ou de ne pas faire ; or, telles sont toutes les choses qui viennent de la volonté intérieure, qui rend l'homme le maître de ses actes.

Vv. 24-30.

théophyl. Après les enseignements que Notre-Seigneur vient de donner aux Juifs sur les aliments, la vue de leur incrédulité lui fait franchir les confins des pays idolâtres, et puisqu'ils persévèrent dans leur infidélité, le salut va trouver les Gentils : " Et partant ensuite de là, il s'en alla sur les confins de Tyr et de Sidon. " — S. chrys. Tyr et Sidon étaient des villes habitées par des Chananéens. Le Seigneur vient donc les trouver, non comme des alliés, mais comme des gens qui n'avaient rien de commun avec les patriarches auxquels les promesses avaient été faites. Aussi en arrivant au milieu d'eux, il fait en sorte que les Tyriens et les Sidoniens ne connussent pas son arrivée : " Et étant entré dans une maison, il voulut que personne ne le sût. " En effet, le temps n'était pas encore venu où il devait habiter ouvertement au milieu des Gentils, et leur apporter la foi, ce temps ne devait arriver qu'après sa mort sur la croix et sa résurrection. — théophyl. Ou bien il vient secrètement dans ce pays pour ne point donner lieu aux Juifs de l'accuser d'être entré en relation avec des peuples qu'ils considéraient comme immondes.

" Et il ne put demeurer caché. " — S. aug. (Quest. sur l'Anc. et le Nouv. Test., 2, 77.) S'il ne l'a pu, et cependant qu'il l'ait voulu, sa volonté a donc été impuissante. Mais il est impossible que la volonté du Sauveur n'ait pas son effet, et il ne peut d'ailleurs vouloir que ce qui doit se faire ; il faut donc admettre qu'il a voulu tout ce qui s'est fait. Il faut remarquer que cette action se passa sur les confins de la Gentilité, à laquelle l'Evangile ne devait pas encore être prêché ; cependant on ne pouvait, sans être accusé de jalousie, ne pas accueillir ceux qui venaient spontanément pour embrasser la foi. Voilà pourquoi ce ne furent pas les disciples qui firent connaître la venue du Sauveur; mais ceux qui le virent entrer dans la maison et qui répandirent le bruit de son arrivée. Il ne voulait pas que ses disciples le fissent connaître, mais il voulait être recherché, et c'est ce qui eut lieu en effet. — bède. Lorsqu'il fut entré dans cette maison, il défendit à ses disciples de dire à aucun habitant de ce pays inconnu qui il était. Il voulait ainsi leur apprendre, en leur donnant le pouvoir de guérir les malades, à fuir autant qu'ils le pourraient la gloire humaine dans les miracles qu'ils pourraient faire, et cependant à ne point refuser le pieux exercice de leur puissance, lorsqu'il serait justement réclamé par la foi des âmes justes, ou que l'infidélité des méchants les forcerait d'en faire usage. C'est ainsi qu'il fit connaître son arrivée dans ce pays à cette femme et à tous ceux qu'il en avait jugé dignes.

S. AUG. (Quest. sur le Nouv. et l'Anc. Test.) Aussitôt que cette femme connut son arrivée, elle s'empressa de venir le trouver, et certainement elle n'eût pas obtenu cette grâce, si elle ne se fût auparavant soumise par la foi au Dieu des Juifs : " Cette femme, aussitôt qu'elle eut appris, " etc. — S. chrys. (comme précéd.) Le Sauveur enseignait à ses disciples, dans sa conduite à l'égard de cette femme, qu'il ouvrait aux païens eux-mêmes la porte du salut. C'est pour cela que l'Evangéliste prend soin de faire connaître le peuple auquel elle appartenait : " C'était une femme païenne syrophénicienne de nation ; elle le priait de chasser le démon hors de sa fille, " etc. — S. AUG. (De face, des Evang., 2, 49.) Il semble qu'il y ait une espèce de contradiction entre saint Marc, qui rapporte que cette femme vint trouver le Seigneur dans la maison pour le prier ; et saint Matthieu, dans lequel nous lisons que les disciples disaient à Jésus : " Renvoyez-la, parce qu'elle crie derrière nous" (Mt 15). Or, saint Matthieu ne veut dire ici qu'une chose : c'est que cette femme suivait le Sauveur en lui adressant ses supplications. Mais comment saint Marc remarque-t-il de son côté que c'était dans la maison ? Le voici : Saint Marc rapporte que cette femme entra dans la maison où était Jésus, parce qu'il venait de dire que Jésus s'y trouvait ; mais saint Matthieu, en faisant remarquer que le Sauveur ne lui répondit pas un seul mot, nous donne à entendre que Jésus sortit de la maison sans lui avoir répondu, et c'est ainsi qu'on peut lier au récit de saint Marc celui de saint Matthieu, qui ne présente plus l'ombre même de contradiction.

" Jésus lui dit : Laissez d'abord rassasier les enfants. " — bêde. C'est-à-dire : Un jour viendra ou vous aurez part aussi vous-mêmes au salut ; mais il faut d'abord rassasier du pain céleste les Juifs qui, par suite du choix ancien que Dieu a fait de leurs pères, sont appelés les enfants de Dieu, et ce n'est qu'ensuite que la nourriture de la vie sera distribuée aux Gentils : " Car il n'est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens, " etc. — S. chrys. Ce refus n'est pas un aveu de l'impuissance où il était de répandre ses faveurs sur tous les hommes, mais il craignait qu'en distribuant également ses bienfaits aux Juifs et aux Gentils qui n'avaient entre eux aucun rapport, il n'augmentât la rivalité qui les séparait. — théophyl. Il donne le nom de chiens aux Gentils, que les Juifs regardaient comme coupables de tous les crimes, et le pain dont il parle, ce sont les grâces que le Seigneur a promises aux enfants, c'est-à-dire aux Juifs. Le véritable sens de ces paroles, c'est donc qu'il ne convenait pas de donner d'abord aux Gentils ce qui avait été promis surtout aux Juifs. Nôtre-Seigneur n'exauce pas aussitôt la prière de cette femme ; il diffère de lui accorder la grâce qu'elle sollicite. Il veut ainsi faire éclater la persévérance de sa foi et nous apprendre à ne pas nous décourager quand nous prions, et à persévérer jusqu'à ce que nous soyons exaucés. S. chrys. Il voulait encore montrer aux Juifs qu'il ne traitait pas les étrangers comme eux dans la distribution de ses grâces, et rendre plus visible l'incrédulité des Juifs en l'opposant à la foi de cette femme. En effet, elle ne s'offensa pas de la réflexion du Sauveur, mais elle la reçut avec un profond respect : " Elle répondit, et lui dit : II est vrai, Seigneur, cependant les petits chiens mangent sous la table les miettes des enfants. " — théophyl. C'est-à-dire : Les Juifs possèdent tout entier le pain qui est descendu du ciel et la plénitude de vos grâces ; moi, je ne demande que les miettes de ce pain, c'est-à-dire la plus petite partie de vos bienfaits. — S. chrys. (comme précéd.) C'est par un sentiment de respect qu'elle consent à descendre au rang des chiens, et elle semble dire : Je regarde comme une faveur d'être du nombre des chiens et de manger les restes non d'une table étrangère, mais de la table de mon maître.

théophyl. Cette réponse pleine de sagesse lui mérite la grâce qu'elle demandait : " Et il lui dit : A cause de cette parole, allez, le démon est sorti de votre fille. " Il ne lui dit pas : C'est ma puissance qui vous a sauvée ; mais : " A cause de ces paroles (c'est-à-dire pour récompenser votre foi qui vous a inspiré ce langage), allez, le démon est sorti de votre fille. "

" Et lorsqu'elle revint dans sa maison, elle trouva que le démon était sorti. " — bède. C'est le langage plein d'humilité et de foi de la mère qui fit sortir le démon du corps de sa fille : exemple qui confirme l'usage de catéchiser et de baptiser les enfants qui dans le baptême sont délivrés de la puissance du démon par la foi et la vie chrétienne de leurs parents dans un âge où ils sont incapables par eux-mêmes de connaître ou de faire le bien ou le mal.

S. jér. Dans le sens allégorique, cette femme païenne qui vient prier le Sauveur pour sa fille ; c'est notre mère l'Eglise romaine ; sa fille, qui est sous l'empire du démon, ce sont les peuples barbares de l'Occident, dont la foi a fait des brebis, de chiens qu'ils étaient ; ce qu'ils désirent pour leur nourriture, c'est non pas les morceaux de pain que la lettre pourrait leur rompre, mais les miettes de l'interprétation spirituelle. — théophyl. Cette femme représente encore l'âme de chacun de nous lorsqu'elle vient à pécher ; sa fille malade, ce sont les actions coupables, et cette fille est possédée du démon, parce que les actions vicieuses appartiennent au démon. Les pécheurs sont comparés à des chiens couverts de souillures ; et c'est ce qui nous rend indignes de recevoir le pain de Dieu et de participer aux mystères si purs de la religion immaculée. Mais si nous reconnaissons humblement que nous méritons d'être comparés à des chiens, et que nous confessions sincèrement nos péchés, alors notre fille, c'est-à-dire nos œuvres mauvaises seront guéries.

Vv. 31-37.

théophyl. Nôtre-Seigneur ne voulut pas rester plus longtemps parmi les Gentils, pour ne pas donner occasion aux Juifs de l'accuser d'être un transgresseur de la loi, en se mêlant aux idolâtres : " Et quittant de nouveau les confins de Tyr, " etc. La Décapole est une contrée qui comprend dix villes situées au delà et à l'est du Jourdain en face de la Galilée. Lors donc que l'Evangéliste rapporte que Nôtre-Seigneur est venu à la mer de Galilée, au milieu du pays de la Décapole, il ne veut pas dire qu'il est entré sur les confins de la Décapole même, puisqu'il ne lui fait pas traverser la mer, mais qu'il est venu jusqu'au bord de la mer, dans un endroit d'où au delà de la mer il pouvait apercevoir les confins de la Décapole.

" Et on lui amena un sourd-muet, " etc. — théophyl. Ce fait trouve sa place naturelle après la délivrance du possédé, car cette infirmité venait du démon.

" Et le tirant à part hors de la foule, " etc. — Jésus mène hors de la foule ce sourd-muet qui lui est présenté, parce qu'il ne veut pas opérer ce miracle aux yeux de tous, et il nous apprend ainsi à fuir la vaine gloire et tout sentiment d'orgueil, car il n'y a rien qui puisse attirer davantage la grâce de faire des miracles, comme l'humilité et la modestie. Il met ses doigts dans les oreilles de cet homme, lui qui pouvait le guérir d'une seule parole, pour montrer que ce corps qui était uni à la divinité, était revêtu ainsi que ses actions d'une puissance toute divine. Par suite du péché d'Adam, la nature humaine avait été condamnée à de nombreuses infirmités, et l'homme était profondément blessé dans ses membres et dans ses sens ; Jésus-Christ est donc venu pour nous montrer en lui-même la nature humaine rétablie dans sa perfection ; et c'est la raison pour laquelle il ouvre les oreilles avec ses doigts, et lui rend l'usage de la parole au moyen de la salive : " II toucha sa langue avec de la salive. " — théophyl. Il prouvait ainsi que tous les membres de son corps sacré étaient saints et divins, et qu'il en était de même de cette salive qui délia la langue du sourd-muet ; toute salive, en effet, est une superfluité ; mais dans le Sauveur, tout revêtait une puissance divine.

" Et levant les yeux au ciel, il poussa un soupir, " etc. — bède. Il lève les yeux au ciel pour nous apprendre que c'est de là que les muets doivent attendre la parole, les sourds l'ouïe, et tous les malades leur guérison. Il gémit, non que ce gémissement fût nécessaire pour obtenir ce qu'il demandait à son Père, avec lequel il exauce lui-même toutes les prières, mais pour nous apprendre que c'est avec des gémissements qu'il faut implorer le secours de la miséricorde divine pour nos péchés ou pour les péchés des autres. — S. chrys. (comme precéd.) Il gémit encore, parce qu'il s'est chargé de nos intérêts, et qu'il est touché de compassion pour notre nature, en voyant la profonde misère dans laquelle le genre humain était tombé. — bède. Cette parole : Ephphetha (c'est-à-dire ouvrez-vous) s'applique plus particulièrement aux oreilles, puisqu'il fallait les ouvrir pour les rendre capables d'entendre, tandis que la langue, pour recouvrer l'usage de la parole, devait voir tomber les liens qui la retenaient captive : " Et aussitôt ses oreilles s'ouvrirent, sa langue se délia, et il parlait distinctement. " Nous voyons ici clairement les deux natures distinctes dans la seule personne de Jésus-Christ ; il lève les yeux au ciel en tant qu'il est homme ; mais aussitôt d'un seul mot, auquel il communique une puissance toute divine, il rend à cet homme l'usage de l'ouïe et de la parole.

" Et il leur défendit d'en rien dire à personne. "— S. jér. Il nous apprenait ainsi à nous glorifier, non dans notre puissance ou dans notre vertu, mais dans la croix et l'humiliation. — S. chrys. (comme précéd.) Il défend encore de publier ce miracle, pour ne pas exciter avant le temps marqué dans les Juifs l'envie qui devait les rendre coupables de déicide. — S. jér. Mais une ville qui est située sur une montagne et qui est aperçue de tous côtés ne peut rester cachée, et l'humilité est toujours suivie de la gloire (Pr 15, 33). Aussi : " Plus il le leur défendait, et plus ils le publiaient, " etc.— théophyl. Apprenons de là, lorsque nous avons fait quelque bien à l'un de nos frères, à ne point rechercher les applaudissements et les louanges ; et au contraire, quand nous recevons un bienfait à proclamer et à louer nos bienfaiteurs, même malgré leur volonté. — S. AUG. (De l'acc. des Evang.) Mais puisque Jésus, qui connaît comme présentes les intentions futures des hommes, savait qu'ils publieraient d'autant plus ce miracle qu'il le leur défendait; pourquoi leur faisait-il cette défense ? C'était pour apprendre aux âmes négligentes avec quel zèle et quel empressement elles doivent publier ses bienfaits, quand il leur en fait un devoir, puisque ceux mêmes à qui il défend d'en parler ne peuvent garder le silence. — la glose. A mesure que le bruit des guérisons opérées par Jésus-Christ se répandait, l'admiration de la foule croissait, et elle proclamait hautement ses bienfaits : " Et leur admiration allait toujours croissant, et ils disaient : II a bien fait toutes choses, il a fait parler les muets et entendre les sourds. "

S. jér. Dans le sens allégorique, Tyr, qui signifie endroit resserré, représente la Judée à qui le Seigneur dit par son prophète : " La couche est trop étroite ; "et c'est ce qui le force de se transporter chez d'autres nations. Sidon veut dire chasse. L'animal indompté qu'il faut prendre, c'est notre nation, et la mer figure l'inconstance et la mobilité du monde. C'est au milieu de la Décapole qui représente les dix commandements, que le Sauveur vient pour sauver les nations. — Le genre humain, composé d'une multitude de membres et semblable à un homme affecté de diverses infirmités, se trouve figuré dans le premier homme ; il devient aveugle tout en voyant, sourd en entendant, muet tout en parlant. On vient prier le Seigneur de lui imposer les mains ; ce sont les patriarches et les justes qui désiraient si vivement voir s'accomplir son incarnation. — bède. Ou bien encore, cet homme sourd-muet, c'est celui qui n'a point d'oreilles pour entendre les paroles de Dieu, ni l'usage de la langue pour les annoncer aux autres ; et ceux qui depuis longtemps ont appris à entendre et à parler ce langage divin doivent s'empresser d'amener ces infirmes au Seigneur pour qu'il les guérisse. — S. jér. Mais il faut tout d'abord s'arracher aux pensées tumultueuses, aux actions coupables et aux paroles déréglées, si l'on veut obtenir sa guérison. Les doigts que le Sauveur met dans les oreilles du sourd-muet sont les paroles ou les dons de l'Esprit saint dont il est dit : " Le doigt de Dieu est ici. " La salive, c'est la divine sagesse qui ouvre les lèvres longtemps fermées du genre humain, de manière à ce qu'il puisse dire : " Je crois en Dieu le Père tout-puissant. " Il pousse un soupir en levant les yeux au ciel, et il nous enseigne la pratique des saints gémissements, et aussi à élever vers le ciel les trésors de notre cœur, car ce sont les gémissements de la componction qui purifient les joies frivoles de la chair. Les oreilles s'ouvrent aux hymnes, aux cantiques et aux psaumes. Le Seigneur délie la langue pour qu'elle puisse faire entendre la bonne parole sans crainte ni des menaces, ni des supplices.

CHAPITRE VIII

Vv. 1-9.

théophyl. Après le premier miracle de la multiplication des pains, Nôtre-Seigneur profite d'une occasion convenable pour faire un miracle semblable : " En ce jour-là, comme la multitude était grande, " etc. L'objet de ses miracles n'était pas toujours de procurer de la nourriture au peuple qui l'aurait alors suivi pour un motif trop intéressé. Et dans cette circonstance même, il n'eut pas fait ce miracle, s'il n'eût pas vu ce peuple en danger : " Et si je les renvoie sans leur donner de nourriture, ils tomberont de défaillance en chemin; car plusieurs d'entre eux sont venus de loin. " — bède. Saint Matthieu nous donne plus clairement la raison pour laquelle ils étaient venus de si loin, et restaient depuis trois jours près du Sauveur : " Et étant monté sur la montagne, nous dit-il, il s'y assit, et une grande multitude s'approcha de lui, ayant avec elle des muets, des aveugles, des boiteux, des infirmes, et beaucoup d'autres malades ; et on les mit à ses pieds et il les guérit. "

théophyl. Ses disciples ne comprenaient pas encore, et malgré les premiers miracles, ils ne croyaient pas encore à sa puissance divine : " Et ses disciples lui répondirent : Comment pourrait-on les rassasier de pain dans le désert ? " Toutefois, le Sauveur ne leur fait point de reproche, et il nous apprend à ne pas nous laisser aller à l'indignation et à la colère contre les ignorants et ceux qui n'ont point d'intelligence, mais plutôt à compatir à leur ignorance : " Et il les interrogea : Combien avez-vous de pains ? Ils répondirent, sept. " — remi. (sur S. Matth.) S'il les interroge, ce n'est pas qu'il ignorât lui-même ce qu'ils avaient de pains, mais il voulait que leur réponse, en constatant le petit nombre de pains qu'ils avaient, rendit le miracle plus digne de foi et plus éclatant : " Et il commanda à la multitude de s'asseoir sur la terre. " Lors de la première multiplication des pains, il la fit asseoir sur le gazon (Mt 14, 18 ; Lc 9, 13 ; Jn 6), ici il la fait asseoir sur la terre : " Et prenant sept pains, il les rompit en rendant grâces, " etc. En rendant ainsi grâces, il nous apprend par sou exemple à toujours rendre grâces à Dieu de toutes les faveurs que nous en recevons. Remarquons encore que ce n'est pas entre les mains de la foule, mais dans celles des disciples que Nôtre-Seigneur remet les pains, afin qu'ils les distribuent à la multitude : " II les rompit et les donna à ses disciples, et les disciples les distribuèrent au peuple. Ce ne sont pas seulement les pains, mais les poissons qu'il leur ordonne de distribuer après les avoir bénis : " Ils avaient en outre quelques petits poissons, " etc. — bède. Le récit de ce miracle nous donne lieu de constater les opérations distinctes de la divinité et de l'humanité dans la seule et même personne de notre Rédempteur, et par conséquent, de rejeter bien loin du symbole des chrétiens et du sein même du christianisme, l'erreur d'Eutichès, qui osait avancer qu'il n'y avait en Jésus-Christ qu'une seule opération. Qui ne voit en effet que le sentiment de pitié que Nôtre-Seigneur éprouve pour cette multitude, est un sentiment de compassion propre à la nature humaine ? Mais qui ne voit en même temps que rassasier quatre mille hommes avec sept pains et quelques poissons, est une œuvre de la puissance divine ?

" Et de ce qui restaient de morceaux, ils remportèrent sept corbeilles. " Cette multitude qui vient de manger et de se rassasier n'emporte pas avec elles les restes des pains, mais elle les laisse recueillir par les disciples dans des corbeilles, comme précédemment, et cette circonstance expliquée dans le sens littéral, nous apprend à être contents du nécessaire, et à ne jamais rechercher rien au delà. L'Evangéliste nous fait ensuite connaître le nombre de ceux qui ont été rassasiés : " Or ceux qui mangeaient étaient environ quatre mille, et il les renvoya. " Considérons ici que Nôtre-Seigneur Jésus-Christ ne veut renvoyer personne à jeun, car il veut au contraire donner à tous les hommes la nourriture de sa grâce. — bède. Dans le sens figuré, il y a cette différence entre ce second miracle et la première multiplication des cinq pains et des deux poissons, que la première figure la lettre de l'Ancien Testament qui était comme pleine de la grâce spirituelle du nouveau, tandis que la seconde représentait la vérité et la grâce du Nouveau Testament abondamment communiquées aux fidèles. La multitude qui, au témoignage de saint Matthieu, attend trois jours la guérison de ses malades (Mt 15) représente les élus dans la foi de la sainte Trinité qui implorent le pardon de leurs péchés par une prière persévérante, ou ceux qui se convertissent au Seigneur par leurs pensées, leurs paroles et leurs actions. — theoph. Ou bien encore, ce peuple qui attend trois jours, figure ceux qui ont reçu le baptême, car le baptême est appelé illumination, et on l'administre par une triple immersion.

S. greg. (Moral, 1, 8.) Il ne veut point renvoyer cette multitude sans qu'elle ait mangé de peur que plusieurs ne succombent en route : II faut en effet que l'homme reçoive par la prédication la parole de la consolation, ou alors n'étant plus soutenu par la nourriture de la vérité, il est exposé à succomber sous le poids des fatigues de cette vie. — S. ambr. (sur S. Luc, 9) Le Seigneur, plein de bonté, demande le zèle, mais il donne la force nécessaire, il ne veut pas les renvoyer sans nourriture, de peur qu'ils ne succombent en chemin, c'est-à-dire, ou dans le cours de cette vie, ou avant d'arriver au terme de leur course, c'est-à-dire, au Père, et de comprendre que c'est du Père qu'est sorti le Christ, car il est à craindre qu'en croyant qu'il est né de la Vierge, ils ne reconnaissent en lui que la puissance de l'homme, et non la toute puissance de Dieu. Nôtre-Seigneur Jésus-Christ partage donc la nourriture, il veut la distribuer à tous sans exception, il en est le dispensateur universel ; mais lorsqu'il rompt les pains et les donne à ses disciples, si vous n'étendez pas les mains pour recevoir votre nourriture, les forces vous manqueront en chemin, et vous ne pourrez en accuser celui qui, dans un sentiment de compassion, vous avait préparé le pain qui devait vous soutenir.

bede. Ceux qui après les crimes de chair, après les vols, les violences et les homicides, reviennent à Dieu par la pénitence, viennent de loin trouver le Seigneur ; car plus ils se sont égarés dans la voie du vice, plus ils se sont éloignés du Dieu tout-puissant. Ceux qui parmi les gentils ont embrassé la foi, sont venus de loin à Jésus-Christ, tandis que les Juifs, à qui la loi et les prophètes avaient donné la connaissance du Christ, sont venus de près. Lors de la multiplication des cinq pains, la multitude s'assied sur le gazon, ici elle s'assied sur la terre ; cela signifie au figuré, que la loi commandait de comprimer les désirs de la chair, mais dans le Nouveau Testament, nous devons y ajouter le mépris de la terre et des biens temporels.

théophyl. Les sept pains sont tous les discours qui viennent de l'Esprit saint, car le nombre sept qui partage toute notre vie en périodes égales et parfaites, est le symbole de l'Esprit saint qui est le principe de toute perfection. — S. jér. Ou bien les sept pains représentent les dons de l'Esprit saint, et les morceaux qui restent sont les significations mystiques de ces sept dons du Saint-Esprit. — bède. Nôtre-Seigneur rompt les pains en figure des mystères qu'il devait révéler. Il rend grâces, pour nous montrer combien le salut du genre humain lui cause de joie ; il donne les pains à ses disciples pour qu'ils les distribuent au peuple, parce qu'en effet, c'est aux apôtres qu'il a fait part des dons spirituels de la science sacrée, et c'est par leur ministère qu'il a voulu distribuer à son Eglise la nourriture de vie. — S. jér. Les poissons qu'il bénit sont les livres du Nouveau Testament, parce que Nôtre-Seigneur, après sa résurrection, demande une partie du poisson que ses disciples avaient fait rôtir (Lc 24, 42), ou bien encore, les poissons figurent les saints dont la foi, la vie et les souffrances sont contenues dans les écrits du Nouveau Testament, et qui, retirés des flots tumultueux du siècle, donnent à notre âme par leurs exemples la nourriture intérieure qui lui convient. — béde. Lorsque la foule est rassasiée, les Apôtres recueillent les morceaux qui restent ; c'est qu'en effet, les préceptes de perfection éminente que la foule ne peut atteindre, s'adressent à ceux qui s'élèvent au-dessus de la vie ordinaire du peuple, de Dieu. Cependant l'Evangéliste fait remarquer que le peuple était rassasié, car bien qu'il ne puisse abandonner ce qu'il possède, et pratiquer la perfection qui est propre aux vierges, cependant il parvient à la vie éternelle par l'accomplissement des commandements de Dieu. — S. jér. Les sept corbeilles sont les sept Eglises (Jn 1, 4) ; les quatre mille personnes représentent l'année du Nouveau Testament partagée en quatre saisons. C'est par un dessein particulier que cette multitude est composée de quatre mille personnes, car ce nombre seul indique qu'ils étaient nourris de la doctrine des Evangiles. — théophyl. Ou bien encore, ces quatre mille personnes figurent ceux qui sont parfaits dans les quatre vertus, et qui, mangeant en proportion de leur force, laissent peu de la nourriture qui leur est servie. Dans ce second miracle, les Apôtres remportent sept corbeilles des morceaux qui restèrent ; dans le premier où Nôtre-Seigneur multiplia miraculeusement cinq pains, ils en remportèrent douze corbeilles, parce que la foule était composée de cinq mille personnes qui figuraient ceux qui sont esclaves de leurs sens, et c'est pour cela qu'ils mangèrent beaucoup moins, et qu'il resta une si grande quantité de morceaux.

Vv. 10-21.

théophyl. Après ce second miracle de la multiplication des pains, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ se retire dans un autre endroit, dans la crainte qu'à la suite de ce miracle, le peuple ne se saisit de sa personne pour le faire roi : " Et montant aussitôt dans une barque avec ses disciples, il vint dans le pays de Dalmanutha (Mc 8, 10 ; Mt 15, 39). " — S. aug. (De l’acc. des Evang., 20, 51.) On lit dans saint Matthieu, qu'il vint sur les confins de Magedan, mais nul doute que ce ne soit le même lieu sous un nom différent, car la plupart des manuscrits de l'Evangile selon saint Marc portent le nom de Magedan.

" Et les pharisiens l’étant venu trouver, commencèrent à disputer avec lui, lui demandant pour le tenter, un signe du ciel, " — bêde. Les pharisiens lui demandent un signe du ciel, c'est-à-dire, que puisqu'il a nourri avec quelques pains plusieurs milliers de personnes, il renouvelle dans les derniers temps le miracle de Moïse, en nourrissant le peuple avec la manne qu'il ferait tomber du ciel et qui couvrirait toute l'étendue de la contrée. C'est cette demande qu'ils lui font aussi dans l'Evangile selon saint Jean, lorsqu'ils lui disent : " Quel miracle faites-vous, pour que le voyant, nous croyions en vous ? Nos pères ont mangé la manne dans le désert, selon qu'il est écrit (Ex 6, 15 ; Ps 77, 24 ; 104, 40). Il leur a donné à manger le pain du ciel. " — théophyl. Ou bien le miracle qu'ils lui demandent du ciel, c'est qu'il arrête le cours du soleil et de la lune, qu'il fasse tomber de la grêle et change l'état de l'atmosphère, car ils ne croyaient pas qu'il pût opérer un prodige de ce genre, et ils pensaient qu'il ne pouvait faire de miracles que sur la terre et encore à l'aide de Béelzébub.

bède. Nous avons vu précédemment le Sauveur rendre grâces à Dieu avant de nourrir cette multitude qui croyait en lui ; ici cette demande insensée des pharisiens lui arrache un profond soupir. C'est qu'en effet, il a pris sur lui les sentiments de notre nature, et qu'il s'attriste des erreurs des hommes, comme il se réjouit de leur salut : " Et poussant un profond soupir, il dit : Pourquoi cette génération demande-t-elle un prodige ? en vérité, je vous le dis, s'il sera donné un prodige à cette génération, " c'est-à-dire, il ne lui en sera point donné, comme dans ces paroles du Roi-prophète : " Je l'ai juré une fois par ma sainteté, si je mens à David, " (Ps 88), c'est-à-dire, je ne lui mentirai pas. — S. aug. (De l'acc. des Evang.) Saint Marc ne prête pas à Nôtre-Seigneur la même réponse que saint Matthieu, d'après lequel il leur déclare qu'ils n'auront point d'autre prodige que celui de Jonas, tandis qu'ici il leur répond qu'il ne leur en sera donné aucun, c'est-à-dire, il ne leur en sera point donné comme ils en demandaient, et cette explication fait disparaître toute difficulté ; saint Marc a tout simplement omis de parler du miracle de Jonas, dont saint Matthieu a fait mention.

théophyl. Nôtre-Seigneur ne se rend pas à leur demande, parce que le temps des prodiges qui auront lieu dans le ciel sera tout autre, ce sera le temps du second avènement où les vertus des cieux seront ébranlées, et où la lune ne donnera plus sa lumière (Mt 24, 29), tandis que le premier avènement ne doit point être accompagné de prodiges semblables, car tout y est plein de mansuétude. — bède. D'ailleurs, cette génération qui venait tenter le Seigneur, ne méritait pas d'obtenir ce prodige du ciel, et le Sauveur le réservait à la génération qui cherche le Seigneur (Ps 23, 6), c'est-à-dire, à ses apôtres, qu'il rendit témoins de son ascension au plus haut des cieux.

" Et les laissant, il remonta dans la barque, et passa de l'autre côté de la mer. " — théophyl. Il abandonne les pharisiens comme incapables d'être ramenés au bien ; il faut insister en effet tant qu'il y a espoir de retour, mais quand le mal est irrémédiable, il n'y a plus qu'à se retirer.

" Or, les disciples oublièrent de prendre des pains, et ils n'avaient qu'un seul pain avec eux. " — bjède. Mais comment peut-il se faire qu'ils n'avaient pas de pain, eux qui montèrent dans la barque aussitôt après en avoir rempli sept corbeilles. Il faut nous en tenir à la sainte Ecriture, qui atteste qu'ils oublièrent de prendre des pains avec eux (Mt 16) ; preuve du peu de soin que les Apôtres prenaient en général de leur corps, puisque le zèle avec lequel ils suivent le Seigneur, ne laisse dans leur âme aucune place aux préoccupations du besoin le plus légitime, celui de la nourriture.

théophyl. C'est du reste par suite d'un dessein providentiel qu'ils oublièrent de prendre des pains avec eux. Jésus voulait que le reproche qu'il leur ferait, les rendit meilleurs, et les fît parvenir à une connaissance plus exacte de sa divine puissance : " Et Jésus leur donna cet avertissement : Gardez-vous avec soin du levain des pharisiens et du levain d'Hérode. " — S. chrys. Saint Matthieu dit : " Du levain des pharisiens et des sadducéens " (Mt 16) ; saint Marc : " Du levain des pharisiens et d'Hérode ; " saint Luc : " Du levain des pharisiens seulement " (Lc 12) Ces trois Evangélistes ont donc fait une mention expresse des pharisiens, comme étant les premiers dont il fallait se garder ; saint Matthieu et saint Marc se sont partagé ceux qui avaient un rôle secondaire, et saint Marc ajoute : " Du levain d'Hérode, " saint Matthieu ayant laissé à saint Marc de compléter son récit en parlant des hérodiens. Par cet avertissement, le Sauveur découvre peu à peu à ses disciples le sens et le but de cette recommandation. — théophyl. Le levain des pharisiens et des hérodiens, c'est leur doctrine remplie d'un venin corrupteur et mortel, et toute pleine d'une malice invétérée ; car il y avait des docteurs hérodiens qui prétendaient qu'Hérode était le Christ. — bède. Ou bien le levain des pharisiens consiste à préférer les traditions humaines aux préceptes de la loi divine, à exalter la loi en paroles, et à la combattre par ses actions, à tenter le Seigneur et à refuser toute croyance à sa doctrine comme à ses oeuvres. Le levain d'Hérode, c'est l'adultère, l'homicide, le serment téméraire, l'hypocrisie en matière de religion, la haine de Jésus-Christ et de son saint précurseur.

théophyl. Mais les disciples crurent que le Seigneur leur parlait du levain ordinaire : " Et ils s'entretenaient entre eux en disant : Nous n'avons pas de pains. " En tenant ce langage, ils montraient qu'ils ne comprenaient pas la puissance de Jésus-Christ qui peut tirer des pains du néant, aussi le Sauveur leur en fait-il un reproche : " Ce qu'ayant connu, Jésus leur dit : Pourquoi vous entretenez-vous de ce que vous n'avez point de pains ? " — bède. L'occasion qui a donné lieu à cette recommandation : Gardez-vous du levain des pharisiens et des hérodiens, nous donne en même temps l'explication allégorique des cinq pains et des sept pains multipliés par le Sauveur, ce qu'il rappelle en leur disant : " Ne vous souvenez-vous pas quand je rompis les cinq pains entre les cinq mille hommes, " etc. En effet, si le levain dont il vient déparier signifie les mauvaises traditions, pourquoi ces pains qui servirent à la nourriture du peuple de Dieu, ne seraient-ils pas la figure de la véritable doctrine ?

Vv. 22-26.

la glose. Le miracle de la multiplication des pains est suivie de la guérison de l'aveugle : ce Lorsqu'ils furent arrivés à Bethsaïde, on lui amena un aveugle, qu'on le pria de toucher." béde. — Ceux qui lui firent cette prière savaient que le toucher du Seigneur est aussi puissant pour rendre la vue à un aveugle, que pour guérir un lépreux.

" Et prenant la main de l'aveugle, il le conduisit hors du bourg. " — tiiéophyl. La ville de Bethsaïde était, il paraît, infectée d'incrédulité au premier chef, ce qui lui attira ces reproches du Seigneur : " Malheur à toi, Bethsaïde ! car si les miracles qui ont été faits au milieu de toi, avaient été faits dans Tyr et Sidon, elles auraient fait pénitence, " etc. (Mt 11). Il fait donc sortir de ce bourg cet aveugle qu'on y avait fait entrer, car la foi de ceux qui l'avaient amené, n'était pas véritable.

" II lui mit de sa salive sur les yeux, et lui ayant imposé les mains, il lui demanda s'il voyait quelque chose. " — S. chrys. Jésus lui met de la salive sur les yeux, et lui impose les mains ; il veut ainsi montrer que c'est le Verbe divin joint à l'action extérieure qui opère le miracle ; car la main est le signe de l'action, et la salive le symbole de la parole qui sort de la bouche. Il demande à cet homme s'il voyait quelque chose (ce qu'il n'a jamais fait pour les autres guérisons), et il nous apprend ainsi que c'est la foi imparfaite de l'aveugle et de ceux qui l'ont amené, qui est cause que ses yeux ne sont pas tout à fait ouverts : " Et regardant, il dit : Je vois les hommes qui marchent semblables à des arbres. " II était encore dans les ténèbres de l'incrédulité, et c'est pour cela que de son aveu, il ne voyait les hommes que d'une manière confuse. — bède. Il aperçoit bien les formes vagues des corps qui se détachent sur les ombres, mais sa vue encore trouble ne peut en saisir les traits et les contours. C'est ainsi que dans le lointain, ou dans l'obscurité de la nuit, les massifs d'arbres apparaissent d'une manière indéterminée, de manière qu'on ne peut distinguer facilement si ce sont des arbres ou des hommes.— théoph. Jésus n'accorde pas aussitôt à sa foi une guérison complète ; il ne recouvre la vue qu'en partie, parce que sa foi était encore imparfaite ; car le Sauveur mesure la guérison sur le degré de la foi.— S. chrys. Mais de ce premier degré de guérison, le Sauveur le conduite une foi parfaite, qui lui obtient l'usage complet de ses yeux : " Jésus lui mit de nouveau les mains sur les yeux, et il commença à voir, et il fut guéri, de sorte qu'il voyait clairement toutes choses. "

" Et il le renvoya dans sa maison, en disant : Allez dans votre maison, et si vous entrez dans le bourg, ne parlez de ceci à personne. " — théoph. Il lui fait cette défense, à cause de l'incrédulité des habitants de Bethsaïde dont nous avons déjà parlé, il ne voulait pas exposer cet homme à voir sa foi attaquée, ni les habitants de cette ville à devenir plus coupables par une incrédulité plus obstinée. — bède. Il apprend aussi par là à ses disciples à ne point se servir des actions éclatantes qu'ils peuvent faire pour rechercher l'estime et la faveur des hommes.

S. jér. Dans le sens allégorique, Bethsaïde veut dire la maison de la vallée, c'est-à-dire le monde, qui est vraiment une vallée de larmes. On amène au Sauveur un aveugle, c'est-à-dire un homme qui ne voit pas ce qu'il a été, ce qu'il est, et ce qu'il sera. On le prie de toucher cet homme ; et quel est celui que le Seigneur touche, si ce n'est celui dont le cœur est brisé par la componction ? — bède. En effet, le Seigneur nous touche lorsqu'il répand la lumière dans notre âme par le souffle de son Esprit, et qu'il nous excite à reconnaître notre propre faiblesse et à nous livrer avec zèle à la pratique des bonnes œuvres. Il prend la main de l'aveugle, pour lui donner la force de mènera bonne fin les œuvres qu'il doit entreprendre. — S. jér. Il le conduit hors du bourg, c'est-à-dire de la cité, et il lui met de la salive sur les yeux pour qu'il voie la volonté de Dieu par le souffle de l'Esprit saint. Après lui avoir imposé les mains, il lui demande s'il voit, parce que c'est comme au travers des œuvres de Dieu qu'on voit sa majesté. — bède. Une autre raison pour laquelle le Sauveur lui met de la salive sur les yeux, et lui impose les mains pour lui rendre l'usage de la vue, c'était de montrer qu'il a dissipé l'aveuglement du genre humain par ses dons invisibles, et par le mystère de son incarnation. La salive qui vient de la tète de l'homme, signifie la grâce de l'Esprit saint. Nôtre-Seigneur pouvait guérir cet homme d'une seule parole, cependant il ne lui rend la vue que graduellement, pour nous montrer combien grand était l'aveuglement de la nature humaine qui ne peut rouvrir les yeux à la lumière qu'avec peine et comme par degrés, et aussi pour nous apprendre la marche de sa grâce qui nous prête son secours pour franchir les différents degrés de perfection. Or, tout homme qui a été si longtemps enseveli dans une si profonde obscurité qu'il ne pouvait plus discerner le bien du mal, aperçoit les hommes qui marchent comme des arbres, parce qu'il voit sans la lumière du discernement les actions de la multitude qui l'entoure.—S. jér. Ou bien encore, il voit les hommes comme des arbres, parce qu'il les considère comme lui étant supérieurs. Jésus lui met de nouveau les mains sur les yeux pour rendre à sa vue toute sa netteté, c'est-à-dire pour lui faire voir les choses invisibles comme à travers les choses visibles, et pour que les yeux de son cœur purifié puissent contempler ce que l'œil de l'homme n'a jamais vu, la clarté brillante d'une âme purifiée de la rouille du péché. Nôtre-Seigneur le renvoie dans sa maison, c'est-à-dire dans son cœur, afin qu'il pût voir en lui ce qu'il n'y avait jamais vu, car l'homme qui désespère de son salut regarde comme absolument impossible ce qui paraît on ne peut plus facile à l'âme que la grâce inonde de ses lumières. — théophyl. Ou bien encore, après l'avoir guéri, le Sauveur le renvoie dans sa maison, c'est-à-dire dans le ciel, car le ciel où il y a plusieurs demeures (Jn 14, 2) est la maison de chacun de nous. — S. jér. " Jésus lui dit : Et si vous entrez dans le bourg, ne parlez de ceci à personne, " c'est-à-dire ne cessez de raconter à ceux avec, qui vous vivez votre aveuglement passé, mais ne parlez jamais de vos vertus.

Vv. 27-33.

théophyl. Après avoir conduit ses disciples loin de la foule, Nôtre-Seigneur leur demande ce qu'ils pensent de lui, afin qu'ils puissent répondre la vérité sans aucune crainte des Juifs : " Et Jésus étant entré avec ses disciples dans les villages qui sont aux environs de Césarée de Philippe. " — bède. Ce Philippe fut le frère d'Hérode, et nous en avons parlé plus haut ; c'est lui qui en l'honneur de Tibère César appela Césarée de Philippe, la ville qui porte aujourd'hui le nom de Paneas.

" Et en chemin il leur adressa cette question . Qui dit-on que je suis ? " — S. chrys. Il les interroge, bien qu'il sût ce qu'ils pensaient, parce qu'il était juste que ses disciples lui rendissent un plus glorieux témoignage que la foule. — bède. C'est pour cela qu'il leur demande d'abord ce que les hommes pensent de lui pour éprouver leur foi, et afin qu'elle ne repose point sur les fausses opinions du peuple.

" Ils répondirent : Les uns disent que vous êtes Jean-Baptiste, les autres Elie, les autres un des prophètes. " —théophyl. Plusieurs croyaient en effet, à l'exemple d'Hérode, que Jean était ressuscité des morts et qu'il avait opéré des miracles après sa résurrection. Mais après qu'il leur a demandé les différentes opinions des hommes à son sujet, il les interroge sur ce qu'ils pensent eux-mêmes de lui : " Alors il leur dit : Pour vous, qui dites-vous que je suis ? "

S. chrys. (hom. 55 sur S. Matth.) La manière même dont il les interroge élève leur esprit dans une sphère plus haute et les dispose à se faire de sa personne une idée plus grande et plus juste que celle de la foule. Mais écoutons ce que répond à cette question faite à tous le chef des Apôtres, celui qui était comme leur bouche et leur oracle : " Pierre, prenant la parole, lui dit : Vous êtes le Christ. " théophyl. Il confesse qu'il est le Christ prédit par les prophètes ; mais saint Marc passe sous silence la réponse que lui fit le Sauveur, et comment il le proclama bienheureux ; il craignit peut-être de paraître agir en cela par complaisance pour Pierre qui était son maître, tandis que saint Matthieu, an contraire, raconte cette circonstance dans toute son étendue. — ORIG. (Traité 1 sur S. Matth.) Peut-être encore saint Marc et saint Luc ont-ils passé sous silence la réponse que fit le Sauveur à la confession de saint Pierre, parce qu'à ces paroles : " Vous êtes le Christ " ils n'ont pas ajouté comme saint Matthieu : " Le Fils du Dieu vivant. "

" Et il leur défendit avec menace de le dire à personne. " — théophyl. Il voulait pour le moment cacher sa gloire, pour ne pas exposer un grand nombre au scandale de sa passion et à un châtiment plus sévère. — S. chrys. Ou bien encore, il voulait attendre que le scandale de sa croix fût passé pour établir dans leur cœur une foi pure et entière à sa divinité ; aussi n'est-ce qu'après sa passion et immédiatement avant son ascension qu'il leur dit : " Allez, enseignez toutes les nations. " — théophyl. Après avoir reçu la profession de foi de ses disciples, qui le reconnaissent comme vrai Dieu, le Sauveur leur révèle le mystère de sa croix : " En même temps, il commença à leur enseigner qu'il fallait que le Fils de l'homme souffrît beaucoup, etc. " II leur parle ouvertement des souffrances qu'il doit endurer ; mais les Apôtres ne comprenaient pas encore la suite des desseins de Dieu, l'idée de la résurrection ne pouvait encore entrer dans leur esprit, et ils croyaient que le mieux pour leur divin Maître était d'échapper à toute souffrance. — S. chrys. Et cependant il leur faisait cotte prédiction pour leur apprendre qu'après sa mort sur la croix et sa résurrection, ils devraient lui rendre témoignage par leur prédication. Or, Pierre, toujours bouillant de zèle, est le seul parmi tous les disciples qui ose ici discuter avec son maître : " Et Pierre, le prenant à part, commença à le reprendre : A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne vous arrivera pas. " — bède. Pierre parlait ainsi par un vif sentiment d'affection et le désir d'éviter la souffrance au Sauveur. Non, cela ne peut être, lui dit-il, et mes oreilles ne peuvent admettre que le Fils de Dieu doive être mis à mort.

S. chrys (hom. 55 sur S. Matth.) Mais comment se fait-il que Pierre, à qui le Père avait révélé le mystère de la divinité de son Fils, soit descendu si vite de ces hauteurs et qu'il ait fait preuve d'une si grande inconstance ? Rien d'étonnant qu'il ait ignoré le mystère des souffrances du Sauveur, puisqu'il ne lui avait pas été révélé. C'est par révélation qu'il avait appris que le Christ était le Fils du Dieu vivant, mais aucune révélation ne l'avait instruit des mystères de la croix et de la résurrection. Or, Nôtre-Seigneur, pour apprendre à ses disciples que sa passion était une chose nécessaire, adresse à Pierre un vif reproche : " Mais Jésus se retournant et regardant ses disciples, gourmanda Pierre, disant : Retire-toi de moi, Satan, " etc. —théophyl. Le Seigneur voulait que ses disciples fussent convaincus que sa passion était nécessaire au salut des hommes, et comme Satan seul s'opposait à ses souffrances dans la crainte que le genre humain fût sauvé, il appelle Pierre Satan, parce qu'il partageait les idées de Satan, en s'opposant ouvertement à la passion du Christ, car Satan veut dire qui s'oppose. — S. chrys. Jésus n'avait point dit au démon qui le tentait : Retire-toi derrière moi ; mais il le dit à Pierre, c'est-à-dire : Suis-moi, et cesse de l'opposer au dessein d'une mort que je n'endure que parce que je le veux. " Car tu n'as pas le goût des choses de Dieu, mais des choses des hommes. " — théophyl. Jésus reproche à Pierre d'avoir le goût des choses des hommes, c'est-à-dire le goût des affections terrestres, puisqu'il voulait que le Christ préférât une vie tranquille à sa mort sur la croix.

Vv. 34-39.

bède. Après que Nôtre-Seigneur a prédit à ses disciples le mystère de sa passion et de sa résurrection, il les exhorte conjointement avec la multitude à imiter les exemples qu'il leur donnera dans sa passion : " Et appelant le peuple avec ses disciples, il leur dit : Si quelqu'un veut me suivre, qu'il se renonce lui-même. " — S. ghrys. (hom. 56 sur S. Matth.) Jésus semble dire à Pierre : Vous me reprochez d'aller volontairement au-devant des souffrances. Or, je vous déclare qu'en cela vous faites une chose-nuisible, mais que vous-même vous ne pouvez être sauvé que par les souffrances et par la mort. Il leur dit : " Si quelqu'un veut venir après moi, " c'est-à-dire je vous appelle à la possession de biens qui doivent être l'objet des désirs de tous les hommes, et non pas comme vous le pensez, à souffrir des choses pénibles et intolérables. En effet, celui qui cherche à forcer la volonté l'empêche souvent de se déterminer ; mais celui qui laisse à son auditeur toute sa liberté l'attire bien plus sûrement. Or, on se renonce soi-même quand on professe une souveraine indifférence pour son corps, et qu'on est disposé à souffrir avec patience les coups ou tout autre mauvais traitement semblable. — théophyl. Celui qui, par exemple, renonce son frère ou son père, n'éprouve aucun sentiment de pitié au d'indignation, bien qu'il les voie couverts de blessures et mis à mort ; telle est l'indifférence, tel le mépris que nous devons professer pour notre corps ; qu'il soit aussi couvert de plaies et l'objet des plus mauvais traitements ; nous ne devons pas nous en mettre en peine. — S. chrys. Remarquez que le Sauveur ne dit pas que l'homme doit s'épargner lui-même, mais ce qui est bien plus considérable, qu'il doit se renoncer comme s'il n'avait rien de commun avec lui-même, qu'il doit s'exposer aux dangers et les supporter, comme si un autre que lui en était la victime. Et c'est vraiment là s'épargner soi-même, de même que les parents font preuve d'indulgence envers leurs enfants lorsqu'on les remettant entre les mains de leurs maîtres, ils leur recommandent de ne point les épargner. Or, jusqu'où doit aller ce renoncement ? Le voici : " Et qu'il porte sa croix, " c'est-à-dire jusqu'à la mort la plus ignominieuse. — théophyl. La croix était alors un supplice honteux et infâme, parce qu'on n'y attachait que d'insignes malfaiteurs.

S. jér. Ou bien encore, Notre-Seigneur agit comme un pilote habile qui, prévoyant la tempête lorsque le temps est calme, veut y préparer ses matelots, et c'est dans ce sens qu'il leur dit : " Si quelqu'un veut me suivre, qu'il se renonce lui-même, " etc. — bède. En effet, nous nous renonçons nous-mêmes lorsque nous évitons toutes les actions qui appartenaient au vieil homme, et que nous nous efforçons de pratiquer cette sainte nouveauté à laquelle nous sommes appelés. Nous portons notre croix, ou lorsque nous mortifions notre corps par la privation des biens sensibles, ou lorsque notre esprit s'attriste en compatissant aux maux du prochain.

théophyl. Mais il ne suffit pas de porter sa croix, il faut s'élever à une vertu plus grande : " Et qu'il me suive. " — S. chrys. Ce n'est pas sans raison que Nôtre-Seigneur ajoute cette recommandation, car il peut arriver que tout en portant sa croix, on ne suive pas Jésus-Christ, lorsque, par exemple, ce n'est pas pour Jésus-Christ qu'on souffre. Suivre Jésus-Christ, c'est marcher véritablement à sa suite, c'est se conformer à sa mort, c'est mépriser ces puissances, ces princes dos ténèbres sous l'empire desquels on se livrait au péché avant l'avènement de Jésus-Christ : " Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie pour l'amour de moi et de l'Evangile la sauvera. " Jésus semble leur dire : " C'est dans une pensée toute d'indulgence que je vous fais cette recommandation, car celui qui veut trop ménager son fils devient la cause de sa perte, et celui qui ne le ménage pas le sauve. Il nous faut donc être continuellement préparés à la mort, car si dans les combats où la vie naturelle est enjeu, le plus brave soldat est celui qui a fait le sacrifice de sa vie (bien que personne ne puisse le ressusciter après sa mort), à combien plus forte raison eu doit-il être ainsi dans les combats spirituels, où nous avons l'espérance certaine de la résurrection, et l'assurance ; que qui sacrifie son âme la sauve. — remi. L'âme doit s'entendre ici de la vie présente, et non de la substance même de l'âme. — S. chrys. Comme Nôtre-Seigneur avait dit: " Celui qui voudra sauver son âme la perdra, " et qu'on aurait pu croire qu'il était égal de la sauver ou de la perdre, il ajoute : " Et que sert à l'homme de gagner le monde entier, et de se perdre soi-même ? " C'est-à-dire : ne dites pas qu'un homme a sauvé sa vie, parce qu'il a échappé au supplice de la croix, car quand même à la conservation de son âme, c'est-à-dire de cette vie, il joindrait la conquête du monde entier, quel fruit lui en reviendra-t-il, s'il vient à perdre son âme ? En a-t-il une autre qu'il puisse donner en échange ? On peut recevoir pour une maison une somme d'argent, mais celui qui vient à perdre son âme ne peut donner une autre âme en échange. C'est avec dessein que le Sauveur se sert de cette expression ; " Et que donnera l'homme en échange de soi-même ? " Car Dieu a donné en échange pour notre salut le sang précieux de Jésus-Christ. — bède. Ou bien cette recommandation est pour les temps de persécution, où Dieu demande le sacrifice de notre vie. Dans les temps de paix, nous devons mortifier les désirs terrestres, et c'est ce que veulent dire les paroles suivantes : " Que sert à l'homme de gagner tout l'univers ? " Mais souvent une fausse honte nous empêche d'exprimer de vive voix les sentiments que nous avons dans notre âme, et c'est contre ce sentiment coupable que le Sauveur s'élève en disant : " Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, " etc. — théophyl. Ne regardons pas comme suffisante la foi qui est renfermée dans l'âme ; Dieu demande de plus la confession extérieure, car si l'âme est sanctifiée par la foi, c'est par la profession de foi extérieure que le corps est lui-même sanctifié.

S. chrys. Celui qui est pénétré de ces divins enseignements attend avec un vif désir le moment où il pourra sans aucune honte confesser Jésus-Christ. Le Sauveur appelle génération adultère celle qui a osé abandonner Dieu, son véritable époux, qui n'a point suivi la doctrine de Jésus-Christ, mais qui s'est rendue l'esclave des démons, et a reçu d'eux les semences de l'impiété, et c'est pour cela qu'il l'appelle génération criminelle. Celui donc qui, au milieu de cette génération, aura nié le légitime empire de Jésus-Christ et les paroles du Dieu qu'il nous a révélées dans son Evangile, recevra le juste châtiment de son impiété, en entendant lors du second avènement ces paroles terribles : " Je ne vous connais pas. " — théophyl. Celui, au contraire, qui aura confessé que Jésus crucifié est son Dieu, Jésus-Christ aussi le reconnaîtra pour sien, non pas en cette vie où Jésus est regardé comme pauvre et misérable, mais dans sa gloire et au milieu de la multitude des anges. — S. grég. (hom. 32 sur les Evang.) II en est quelques-uns qui confessent sans difficulté Jésus-Christ, parce qu'ils voient que tout le monde est devenu chrétien ; car si le nom de Jésus-Christ n'était pas environné d'une si grande gloire, l'Eglise ne compterait pas tant de fidèles qui font profession de lui appartenir. La foi légitime et véritable ne doit donc pas consister seulement dans ce témoignage extérieur que l'on peut donner sans rougir au milieu de tout un peuple qui fait profession de christianisme. Mais même dans les temps de paix, nous aurons des occasions du nous faire connaître à nous-mêmes ; nous craignons souvent le mépris du prochain, nous regardons comme une faiblesse de supporter patiemment les outrages ; s'il s'élève un différend avec un de nos frères, nous rougissons défaire les premières avances, car le cœur étant dominé par les affections charnelles ne peut rechercher la gloire qui vient des hommes, sans repousser la vertu d'humilité.

théophyl. Notre-Seigneur venait de parler de sa gloire ; il veut montrer à ses disciples que ce ne sont pas là de vaines promesse : " Et il ajouta : En vérité, je vous le dis, parmi ceux qui sont ici quelques-uns ne goûteront point la mort qu'ils n'aient vu le royaume de Dieu venant dans sa puissance. " C'est-à-dire : II en est quelques-uns (Pierre, Jacques et Jean) qui ne mourront pas, avant que je leur ai découvert dans ma transfiguration, une image de la gloire dont je serai environné lors de mon second avènement. En effet, la transfiguration était comme l'annonce du second avènement où Jésus-Christ et les saints paraîtront au milieu d'une gloire éclatante. — bède. C'est par un dessein providentiel plein de bonté que Dieu fait apercevoir cl goûter pour quelques instants aux apôtres une partie des joies de l'éternité, afin de les encourager au milieu des épreuves qui les attendent. — S. chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) Le Sauveur ne fait pas connaître le nom de ceux qui devaient l'accompagner sur le Thabor, pour ne pas éveiller dans l'âme des autres disciples un sentiment de jalousie. Mais il ne laisse pas de prédire cet événement pour les rendre plus attentifs à contempler ce mystère. — bède. Ou bien encore le royaume de Dieu, c'est l'Eglise de la terre. Quelques-uns des Apôtres devaient prolonger leur vie assez longtemps pour voir de leurs yeux l'établissement de l'Eglise, élevée sur les ruines de la gloire du monde. Il fallait, en effet, donner aux disciples encore grossiers quelques consolations pour la vie présente, afin de les rendre plus forts pour l'avenir. — S. chrys. Dans le sens allégorique, la vie, c'est Jésus-Christ, et la mort, le démon. Celui qui persévère dans le péché, goûte la mort, de même que tout homme qui s'attache à une doctrine bonne ou mauvaise, goûte le pain de la vie ou de la mort, c’est un moindre mal de voir la mort ; c'est un mal plus grand de la goûter, un plus grand encore de la suivre, et le plus grand de tous les malheurs de s'en rendre l'esclave.

 

CHAPITRE IX

 

Vv. 1-7.

S. jer. Après avoir confirmé le grand mystère de la croix, Jésus révèle la gloire de la résurrection, afin que, témoins de l'état triomphant de sa résurrection future, ses Apôtres fussent à l'épreuve des opprobres de la croix. " Et six jours après, " etc. — S. chrys. Saint Luc, en disant : " Huit jours après, " n'est point en contradiction avec, saint Marc ; car il comprend dans ces huit jours celui où si-lit cette prédiction et celui où elle s'accomplit. Or, pourquoi le Sauveur laissa-t-il s'écouler un intervalle de six jours ? C'était afin que dans cet intervalle le désir des Apôtres devînt plus vif et leur inspirai une vigilance et une attention plus grande pour les grandes choses qu'ils allaient contempler. — théophyl. Le Sauveur prend avec lui les trois têtes du collège apostolique : Pierre, qui a proclamé la divinité de Jésus et qui brûle d'amour pour lui ; Jean, le disciple bion-aimé ; enfin Jacques, le prédicateur courageux et le théologien que sa sainteté rendait tellement odieux aux Juifs qu'Hérode le fit mourir pour leur être agréable.

S. chrys. Ce n'est pas dans une maison que Jésus révèle sa gloire à ses disciples ; il les conduit sur une haute montagne qui, par son élévation, était le symbole de la sublimité de la grandeur qu'il allait manifester. — tiiéophyl. Jésus-Christ les conduit à l'écart, parce qu'il allait leur révéler des vérités mystérieuses. Le mot transfiguration ne signifie pas que les traits de sa figure furent modifiés ; son visage resta le même, mais resplendit d'une lumière que la parole humaine ne peut exprimer. — S. chrys. Qu'on ne s'imagine donc pas voir un jour dans le ciel, soit dans la personne du Sauveur, soit dans celle des saints qui partageront l'éclat de sa gloire une transformation quelconque dans les traits du visage ; une clarté resplendissante viendra simplement s'ajouter à leur nature. — bède. Le Sauveur, dans sa transfiguration, n'a rien perdu de sa nature corporelle ; il nous a seulement découvert quelle sera la gloire que la résurrection devait communiquer, soit à son corps, soit aux nôtres. Après le jugement, tous les élus le verront tel qu'il a apparu à ses Apôtres sur le Thabor.

" Ses vêtements devinrent éclatants, " etc.— S. grég. (Moral., 22, 7.) C'est-à-dire que les justes qui auront brillé sur la terre de l’éclat d'une vie sainte seront unis intimement au Sauveur dans la clarté immortelle du ciel ; car les vêtements figurent ici les justes que Jésus s'est attaché.

" Elie leur apparut avec Moïse. " — S. chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) Notre-Seigneur fait paraître Moïse et Elie, pour plusieurs raisons. L'opinion du peuple était que Jésus était Elie ou un des prophètes. Le Sauveur se montre à ses Apôtres conjointement avec Moïse et Elie pour leur apprendre la différence qui sépare le Maître de ses serviteurs. — Les Juifs avaient reproché à Jésus-Christ de violer la loi : ils l'avaient traité de blasphémateur, s'attribuant la gloire de Dieu son Père ; il fait paraître deux hommes célèbres par des vertus opposées à ces deux crimes : Moïse, qui a donné la loi ; Elie, qui a été l'Apôtre zélé de la gloire de Dieu, et la présence de ces deux hommes prouve que Jésus ne s'est rendu coupable ni contre Dieu, ni contre la Loi. — Moïse, qui a subi la mort, Elie qui en a été préserve jusqu'alors, déclarent en se rendant à l'appel du Sauveur qu'il est le Maître de la vie et de la mort. Leur présence signifie encore que l'enseignement des prophètes a été l'introduction à la doctrine de Jésus-Christ. Enfin elle met en évidence l'union des deux Testaments, ci montre comment, lors de la résurrection générale, les Apôtres se joindront aux prophètes et s'avanceront d'un commun accord au-devant de leur commun Maître.

" Et Pierre dit à Jésus : Maître, il fait bon pour nous d'être ici," etc. BEDE. L'humanité transfigurée de Jésus et la présence de deux saints pendant un instant seulement a tant de charmes que Pierre s'efforce par ses prières d'obtenir la prolongation de ce bonheur ; que sera donc la félicité du ciel, où nous contemplerons la Divinité elle-même au milieu des chœurs angéliques. " Car il ne comprenait point ce qu'il disait. " Quoique Pierre, plongé dans un étonnement qu'explique la faiblesse de la nature humaine, ne sache pas ce qu'il dit, ses paroles ne laissent pas de manifester les sentiments de son âme : Car s'il ne comprend point ce qu'il dit, c'est parce qu'il oublie que le royaume que Dieu a promis à ses saints n'est point sur la terre, mais dans le ciel ; c'est qu'il ne s'est point rappelé que tant qu'ils seront enveloppés d'un corps mortel, ni lui ni les autres Apôtres ne pourront entrer en participation de cette vie immortelle ; c'est qu'il a oublié enfin que dans la maison du Père céleste toute construction humaine est inutile. Ajoutons qu'aujourd'hui encore ce serait une folie de prétendre faire une distinction entre la loi, les prophètes et l'Evangile, puisque ces trois objets forment un tout indivisible.

S. chrys. Pierre ne comprenait pas non plus que la transfiguration n'avait pour objet que de donner à ceux qui en étaient les témoins une preuve de la véritable gloire du ciel ; que Moïse n'était point présent en corps et en urne ; que ce qui se passait là était une leçon donnée aux chrétiens qui devaient un jour s'éloigner du monde et habiter dans le désert. " La frayeur les avait jetés hors d'eux-mêmes. " — S. chrys. Cette frayeur avait fait sortir leur âme de son état ordinaire pour l'élever dans une région supérieure ; ils voyaient de leurs yeux Moïse et Elie, mais en même temps leur âme, comme soustraite par la contemplation aux impressions des sens, était tout absorbée par un sentiment tout céleste.

thêophyl. Ou bien Pierre craint de descendre de la montagne, parce que le temps approchait où Jésus-Christ devait être crucifié, et il lui dit : " II nous est bon de demeurer ici, " dit-il, et de ne point nous aller mêler de nouveau à ce peuple. Si sa fureur contre votre personne les fait monter ici, nous comptons sur la puissance de Moïse lui a triomphé des Egyptiens, et sur celle d'Elie qui à sa parole a vu le feu descendre du ciel et consumer cinquante hommes. — orig. (Traité. sur S. Matth.) C'est de lui-même que saint Marc dit : " Pierre ne comprenait point ce qu'il disait. " Ces paroles signifient que dans l'égarement où se trouvait son esprit, Pierre était sans doute poussé par un esprit étranger, peut-être par cet esprit môme qui fit de lui un objet de scandale pour Jésus-Christ, lorsqu'il entreprit de détourner son divin Maître de souffrir la mort qui devait sauver le monde ; cet esprit séducteur veut encore ici, sous l'apparence du bien, détourner Jésus-Christ d'avoir compassion de la misère dus hommes, de venir à eux et de mourir pour les sauver.

bede. Pierre avait demandé une tente matérielle ; Dieu lui donne pour abri un nuage, il lui apprend ainsi qu'après la résurrection les élus sont abrités sous les rayons glorieux de l'Esprit saint, et non plus sous le toit d'une habitation faite par la main des hommes. " Et il survint une nuée qui les couvrit. " Ils ont fait une demande indiscrète, et ils ne méritent pas que le Sauveur leur réponde ; c'est Dieu le Père, qui répond à la place de son Fils : " Une voix sortit de la nuée, et fit entendre ces paroles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, " etc. — S. chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) C'est afin de bien persuader aux Apôtres que cette voix venait de Dieu lui-même, qu'elle sort d'une nuée dans laquelle Dieu avait coutume d'apparaître. Ces paroles : " Voici mon Fils bien-aimé, " attestent que le Père et le Fils ont une même volonté, et que, sauf la filiation, le Fils ne fait qu'un avec le Père qui l'a engendré. — bede. Ce grand prophète qui, d'après la parole de Moïse (Dt 18), doit venir au monde, et dont l'enseignement doit être écouté par tout homme qui veut être sauvé, c'est lui qui est venu, revêtu de notre chair et dont Dieu le Père recommande à ses disciples d'écouter la doctrine : " Et aussitôt, regardant autour d'eux, ils ne virent plus personne. " Le Fils vient d'être révélé, les serviteurs disparaissent aussitôt, afin que la parole du Père ne parût point s'adresser à eux (Ex 13, 21 ; 16, 10 ; 19, 9 ; 34, 9 ; 40, 32 ; Lv 16, 2 ; Nb 11, 25 ; 12, 5 ; Dt 31, 15).

théophyl. Dans le sens mystique, après la consommation de ce inonde qui a été fait en six jours, Jésus, si nous sommes ses disciples, nous transportera sur une montagne élevée, c'est-à-dire dans le ciel, et là nous jouirons de la magnificence de sa gloire divine. — bède. Les vêtements du Seigneur, ce sont les saints qui, au ciel, brilleront d'un éclat tout nouveau. Le foulon, c'est celui à qui le Psalmiste adresse cette prière : " Lavez-moi de plus en plus clé mon iniquité, et purifiez-moi de mon péché ; " (Ps 1) car Dieu ne peut donner à ses fidèles sur la terre l'éclat qu'il leur réserve dans le ciel. — remi. (sur S. Matth.) Ou bien par le foulon, nous pouvons entendre les saints prédicateurs et ceux qui purifient les âmes sur la terre ; aucun d'eux ne peut vivre si saintement que la pureté de son âme ne soit ternie par quelque tache ; mais après la résurrection, ils seront purifiés de toutes les souillures du péché. La grâce de Dieu les revêtira d'une sainteté que ni les rigueurs de la pénitence, ni les exemples, ni l'enseignement des prédicateurs ne pourraient leur donner.—S. chrys. Ou bien encore, ces vêtements blancs, ce sont les écrits des Evangélistes et des Apôtres, écrits plus lumineux que tous les écrits des hommes, dont les interprètes ne pourront jamais atteindre la clarté. — ORIG. (Traité 3 sur S. Matth.) Enfin, nous pouvons désigner sous le nom de foulons sur la terre les sages de ce monde qui embellissent de l'éclat de leur génie leurs honteuses inventions ou leurs dogmes menteurs ; mais jamais les ressources de leur art ne pourront réaliser une oeuvre égale à la parole qui enseigne aux ignorants la splendeur des pensées divines renfermées dans les Ecritures, qui sont méprisées pourtant d'un si grand nombre.

bede. La présence de Moïse et d'Elie, dont l'un a subi la mort (Dt 34) et l'autre a été transporté vivant dans le ciel (IV R 2) est le symbole de la gloire future de tous les saints. Le jour du jugement les trouvera ou vivants dans leurs corps, ou sur le point de sortir du tombeau où la mort les retenait depuis longtemps ; tous régneront avec Jésus-Christ. — théophyl. Ou bien leur présence signifie que dans la gloire céleste nous verrons la loi et les prophètes s'entretenant avec Jésus-Christ ; c'est-à-dire nous contemplerons la conformité des événements avec les prédictions inspirées par Jésus-Christ à Moïse et aux autres prophètes, et nous entendrons la voix du Père qui nous fera connaître son Fils en nous disant : " Celui-ci est mon Fils, " et en même temps une nuée lumineuse, c'est-à-dire l'Esprit saint, source de toute sagesse, nous couvrira de son ombre.

bede. Il est à remarquer que le mystère de la sainte Trinité qui avait d'abord été révélé au baptême de Nôtre-Seigneur dans le Jourdain, est ici proclamé de nouveau dans sa glorification sur le Thabor, Dieu nous apprend ainsi que nous verrons et que nous louerons après la résurrection la gloire que nous professons par la foi dans le baptême. Et ce n'est pas sans raison que l'Esprit saint, qui avait d'abord apparu sous la forme d'une colombe, manifeste ici sa présence dans une nuée éclatante ; il veut nous enseigner dans quelle éclatante lumière nous contemplerons l'objet de notre foi, si nous avons fidèlement pratiqué ses enseignements dans la simplicité de notre cœur. Pendant que la voix du Père céleste se faisait entendre sur son Fils, les disciples ne voient plus que Jésus seul, parce qu'en effet, lorsque Jésus se sera manifesté à ses élus, Dieu sera tout en tous, comme le dit saint Paul (1 Co 15) : " De même que le Fils ne fait qu'un avec le corps, Jésus-Christ brillera éternellement en tout, et ne fera plus qu'un avec ses saints.

 

Vv. 8-12.

orig. (sur S. Matth.) Après la manifestation du mystère de la gloire sur la montagne, alors que les disciples en descendent, Jésus leur recommande de ne publier sa transfiguration qu'après le triomphe île sa mort et de sa résurrection. " Comme les disciples descendaient de la montagne, Jésus leur défendit, " etc. — S. chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) Le Sauveur ne se borne pas à leur ordonner le silence ; il leur fait entendre qu'il doit souffrir la mort et que tel est le motif du silence qu'il leur recommande. — théophyl. Les hommes se seraient scandalisés d'entendre raconter des choses si glorieuses de celui qu'ils devaient voir mourir sur une croix : il ne convenait donc pas de leur faire connaître avant sa passion la gloire qui devait la suivre ; après la résurrection au contraire, ce mystère n'avait plus rien d'incroyable pour eux. — S. CHRYS. Les Apôtres, qui ignoraient le mystère de la résurrection, conservèrent la parole qu'ils avaient entendue, et elle fut pour eux un objet de discussion : " Ils retinrent cette parole en eux-mêmes. " — S. jér. Cette observation, qui est personnelle à saint Marc, signifie que quand la mort aura été absorbée dans la victoire, tout ce qui aura précède sera mis en oubli (1 Co 15, 54 ; Is 65, 17 ; 25, 8 ; Ap 21, 4).

" Et ils demandèrent à Jésus : Que veulent donc dire, " etc. — S. chrys. Voici, ce me semble, l'intention des Apôtres, en faisant au Sauveur cette question : " Nous avons vu Elie avec vous, mais nous vous avons vu avant de voir Elie ; et cependant les scribes enseignent qu'Elie apparaîtra avant le Messie ; ils nous ont donc trompés. " — bede. Ou bien les Apôtres, regardant la transfiguration, dont ils viennent d'être les témoins sur la montagne, comme la transformation glorieuse de Jésus-Christ, ils lui disent : Si c'est ici votre avènement glorieux, comment no voyons-nous pas votre précurseur ? Elie, en effet, avait disparu. — S. chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) Et Jésus répond à leur question dans les paroles suivantes : " Lorsque Elie viendra, " etc. Il leur apprend donc qu'Elie viendra avant le second avènement ; car les Ecritures distinguent deux avènements, l'un qui a déjà eu lieu, et l'autre qui doit s'accomplir plus tard. Or, le Sauveur déclare qu'Elie sera le précurseur de ce second avènement. — bède. Elie rétablira toutes choses, comme Malachie l'a annoncé (Ma 4) : " Je vous enverrai mon prophète Elie, qui réconciliera le cœur des pères avec leurs enfants, et le cœur des enfants avec leurs pères ; " il acquittera aussi envers la mort, la dette dont sa vie prolongée a différé le paiement. — THEOPHYL. Le Sauveur combat ici l'opinion des pharisiens, qui prétendaient qu'Elie était le précurseur du premier avènement, et il en fait voir les inconvénients : " Et comment il est écrit, " etc., c'est-à-dire, lorsque Elie de Thesbé viendra, il pacifiera les Juifs, et les amènera à la foi, et c'est ainsi qu'il sera le précurseur du second avènement. Mais s'il doit être le précurseur du premier avènement, comment expliquer ce que dit l'Ecriture, que le Fils de l'homme doit souffrir ? Car de deux choses l'une : ou Elie n'est pas le précurseur du premier avènement, elles Ecritures sont véridiques ; ou il l'est réellement, et les Ecritures ne disent pas la vérité, lorsqu'elles déclarent qu'il faut d'abord que le Christ souffre, puisqu'elles ajoutent qu'Elie doit tout rétablir, qu'il ne restera plus un seul Juif incrédule, que tous ceux qui l'entendront, ajouteront foi à sa prédication. — BÈDE. Ou bien, ces paroles de Jésus, " comment est-il écrit, " etc., signifient de même qu'il est écrit dans un grand nombre de prophéties, que le Christ doit souffrir, de même quand Elie viendra, il sera l'objet du mépris des impies qui lui feront souffrir mille outrages.

S. chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) Le Sauveur vient d'affirmer qu'Elie serait le précurseur du dernier avènement ; il déclare en même temps que c'est Jean-Baptiste qui a été le précurseur du premier. " Mais je vous dis qu'Elie est déjà venu. " II donne à Jean le nom d'Elie, non qu'il eut été Elie en personne, mais parce qu'il avait rempli le ministère d'Elie et qu'il avait été le précurseur du premier avènement, comme Elie le sera du second. — théophyl. Jean avait été comme Elie, un censeur sévère, et, plein de zèle, un ami de la solitude ; mais les Juifs ont été moins dociles à sa parole qu'ils ne le seront à celle d'Elie ; ils l'ont mis à mort au milieu d'une fête criminelle, eu lui tranchant la tête, " ils lui ont fait tout ce qu'ils ont voulu. " — S. chrys. Ou bien encore, ce sont les disciples qui demandent à Jésus le sens de cette parole de l'Ecriture, que le Fils de l'homme doit souffrir; " et Jésus leur répond : Jean est venu pour remplir un ministère semblable à celui d'Elie, et comme Elie, les Juifs l'ont maltraité ; de même le Fils de l'homme doit souffrir, comme les Ecritures l'ont prédit. "

 

Vv. 13-28.

théophyl. Après avoir manifesté sa gloire à trois de ses disciples, Jésus-Christ vient retrouver les autres qui n'étaient point montés avec lui sur le Thabor ; " lorsqu'il fut retourné auprès de ses autres disciples, il les vit environnés d'une foule nombreuse. " Les pharisiens s'étaient empressés de profiter de la courte absence du Sauveur, pour aborder les disciples et essayer de les attirer à eux. — S. jér. Il n'y a point de repos pour l'homme sous le soleil (Qo 8, 23) ; les âmes basses sont victimes de leur jalousie (Jb 5, 2) ; les hautes montagnes sont frappées par la foudre ; l'assemblée des fidèles se compose, et de ceux qui, comme te peuple, recueillent avec foi l'enseignement, et de ceux qui, comme les scribes, sont pleins d'une orgueilleuse envie.

" Et le peuple, à la vue de Jésus, fut saisi d'étonnement, " etc. — bède. Remarquons, que dans toutes les circonstances, les sentiments du peuple sont bien différents de ceux des scribes. Chez ces derniers, nous ne voyons aucun témoignage de piété, de foi, d'humilité, de respect, à l'égard du Sauveur ; le peuple, au contraire, à l'approche de Jésus, s'émeut, s'ébranle, et court au-devant de lui pour lui offrir ses hommages ; " Et étant accourus, ils le saluaient. "—THEOPHYL. Tel était le désir du peuple pour voir Jésus, qu'à son approche seule il s'empressait de lui offrir ses hommages. Suivant quelques interprètes, le visage de Jésus avait conservé de sa transfiguration un tel éclat, que la foule était attirée comme invinciblement à venir le saluer.—S. JER. La présence de Jésus jeta le peuple dans l'admiration et le saisissement, mais les disciples ne partagèrent pas cette impression, parce que l'amour bannit la frayeur (1 Jn 4). L'esclave est dominé par la crainte ; l'étonnement, la stupeur, sont naturels à l'insensé. " Et Jésus-Christ demanda : Quel est le sujet de vos discussions ? " Il veut par cette question, les faire parler pour les sauver, il nous engager à lui exposer dans un langage plein de confiance, le trouble qui agile notre âme.— S. chrys. L'objet de leurs discussions était sans doute l'impuissance où ils s'étaient trouvés, eux, les disciples du Sauveur, de guérir le démoniaque qui se trouvait au milieu d'eux ; c'est ce que donnent à entendre les paroles qui suivent : " Un homme élevant la voix, du milieu de la foule, dit : Maître, j'ai apporté mon fils, " etc. — S. chrys. (hom. 50 sur S. Matth.) Cet homme n'avait qu'une foi bien faible, comme le prouve cette parole du Sauveur : " O race incrédule ! " Et cette autre qu'il adresse à cet homme lui-même : " Si vous pouvez croire. " Cependant, quoique ce fût son manque de foi qui eût rendu impossible l'expulsion du démon, il ne craint pas d'en rejeter la faute sur les disciples. " J'ai prié vos disciples de le chasser, et ils ne l'ont pu. " Voyez la conduite insensée de cet homme au milieu de la foule, il adresse sa prière à Jésus, et il accuse en même temps ses disciples. Aussi le Seigneur lui impute-t-il à lui-même, en présence de tout le peuple, cette impossibilité dont il le rend responsable aussi bien que tous les Juifs qui étaient présents ; car un grand nombre d'entre eux s'étaient sans doute scandalisés, et avaient jugé sévèrement les disciples. " Jésus leur répondit : O race incrédule, jusqu'à quand serai-je avec vous ? jusque à quand vous souffrirai-je ? " paroles qui attestent et le désir qu'il avait de mourir, et l'ennui qu'il éprouvait de vivre au milieu d'eux.

bède. Jésus est si loin de s'irriter contre cet homme, dont il blâme seulement le peu de foi, qu'il ajoute aussitôt : " Amenez-le moi. " — S. CHRYS. (hom. 58 sur S. Matth.) Notre-Seigneur permet ce qui arrive dans l'intérêt de ce pauvre père, afin qu'à la vue des tortures que le démon fait souffrir à son enfant, il fut déterminé à croire par le miracle qui allait le délivrer. — theophyl. Il permet que cet enfant soit ainsi tourmenté, pour nous faire connaître toute la fureur du démon, qui l'aurait fait mourir, si le Seigneur ne fût venu à son secours. " Et- il demanda au père : Combien y a-t-il de temps ? " etc. — bède. Que Julien soit ici confondu, lui qui ose soutenir que nous sommes nés sans aucune souillure, et que notre naissance a été aussi innocente que celle d'Adam. Pourquoi, en effet, enfant, a-t-il été, dès ses plus tendres années, l'objet de si cruels traitements de la part du démon, s'il n'était point souillé de la tache originelle, puisqu'il est certain qu'il n'était coupable d'aucun péché qui lui fût propre ? — la glose. Cet homme manifeste bien dans les termes mêmes de sa demande la faiblesse de sa foi : " Si vous avez quelque puissance. " Les disciples de Jésus n'ayant pu guérir son fils, il doute de la puissance du Maître lui-même, il ajoute : " Ayez pitié de moi, " pour exprimer l'état misérable de l'enfant qui souffre, et du père qui partage sa souffrance.

" Jésus lui dit : Si vous pouvez croire, " etc. — S. jér. Cette expression, " si vous pouvez, " prouve l'existence du libre arbitre. Or, quelles sont toutes ces choses possibles à celui qui croit ? celles qui sont demandées avec larmes au nom de Jésus, c'est-à-dire, qui ont pour objet notre salut. — bède. Jésus fait à cet homme une réponse parfaitement en rapport avec sa demande : " Si vous avez quelque puissance, aidez-nous. " Oui, répond le Sauveur, " si vous-même vous pouvez croire. " Le lépreux qui criait avec persévérance : " Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir, " avait une foi bien plus vive, aussi est-elle magnifiquement récompensée par cette réponse : " Oui, je le veux, soyez guéri. " (Mt 8 ; Mc 1) — S. chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) La réponse de Jésus-Christ signifie : Ma puissance est si grande, si étendue, que non-seulement je puis guérir votre fils par moi-même, mais donnez à d'autres cette même puissance ; croyez comme il faut, et vous-même vous pourrez le guérir, lui, et un grand nombre d'autres. C'est ainsi qu'il amenait à la foi celui qui, tout à l'heure, tenait un langage inspiré par l'infidélité. " Aussitôt le père élevant la voix, s'écrie avec larmes : Je crois, aidez mon incrédulité. " — victor d'antioche. Si ce mot : " Je crois ! " atteste une foi réelle, pourquoi ajoute-t-il : " Aidez mon incrédulité ? " c'est qu'il y a deux espèces de foi, la première qui n'est qu’une foi préparatoire, l'autre qui est parfaite. Cet homme qui commençait seulement à croire, suppliait le Sauveur de développer la foi dans son âme. — bède. La perfection n'est pas l'œuvre d'un instant ; celui qui veut y parvenir, doit, dans une conduite régulière, commencer par les petites choses, pour parvenir ensuite aux grandes ; la vertu, en effet, a des degrés différents, son commencement, son progrès, sa perfection. Comme donc la foi se développe, sous l'inspiration secrète de la grâce, par les degrés successifs de ses mérites, il arriva ici que, dans un seul et même temps, celui qui ne croyait pas encore parfaitement était à la fois incrédule et croyant. — S. jér. Cet exemple nous apprend encore que notre foi est toujours faible, tant qu'elle ne s'appuie pas sur le secours et l'aide de Dieu. Mais lorsqu'elle est accompagnée de larmes, elle obtient toujours l'accomplissement de ses désirs. " Et Jésus voyant le peuple accourir en foule, s 'empresser autour de lui, menaça l'esprit impur, et lui dit : Esprit sourd et muet, " etc. — théophyl. Jésus se contente de menacer l'esprit immonde en présence de la multitude qui accourt, parce qu'il ne voulait pas opérer le miracle sous ses yeux, pour nous apprendre à fuir l'ostentation. — S. chrys. A ces menaces, à ce ton de maître : " Je te le commande, " on reconnaît la puissance divine. Jésus ne se contente pas de dire : " Sors de cet homme ; " il ajoute : " Et garde-toi bien de rentrer en lui, " car le démon était toujours près de reprendre possession de ce jeune homme, parce que la foi du père était encore trop faible ; mais la défense expresse de Dieu était pour lui un obstacle insurmontable. " Alors cet esprit ayant jeté un grand cri, et l'ayant agité par de violentes convulsions, sortit, " etc. En présence de la véritable vie, le démon fut impuissant à donner la mort.

BEDE. Celui que l'ennemi du genre humain avait comme frappé de mort, le Sauveur le guérit et le sauve en le touchant de sa main miséricordieuse. " Jésus l'ayant pris par la main, le releva. " Par cet acte de puissance, il prouve qu'il est véritablement Dieu ; et en le touchant à la manière des hommes, il démontre la réalité de sa nature humaine. L'insensé Manès prétend que Jésus ne s'est pas revêtu d'un corps véritable ; mais le Sauveur, en rendant par son toucher, la santé, la pureté, la lumière à tant de malades, a condamné son hérésie avant même qu'elle eut paru.

" Et lorsque Jésus fut entré dans la maison, ses disciples, lui demandèrent : " Pourquoi n'avons-nous pu le chasser ? " — S. chrys. Comme ils avaient reçu le pouvoir de chasser les esprits immondes, ils craignaient d'avoir perdu cette grâce qui leur avait été donnée. " Jésus leur répondit : Cette espèce de démons, " etc. — theophyl. C'est-à-dire, les démons lunatiques, ou simplement toute espèce de démons. Il faut que celui qui désire être guéri, jeûne, ainsi que celui qui doit le guérir ; la prière n'est parfaite, que lorsqu'elle est accompagnée du jeune ; lorsque celui qui prie, ne se laisse point appesantit par la nourriture, mais pratique la vertu de sobriété.

bede. Dans le sens mystique, nous apprenons ici que c'est sur les lieux élevés que le Seigneur découvre à ses disciples les mystères de son royaume, et dans les régions inférieures qu'il reproche an peuple son incrédulité, et qu'il chasse les esprits malins des corps qu'ils tour il fortifie, instruit, et châtie même les âmes encore charnelles et inintelligentes, et donne avec plus de liberté aux parfaits les enseignements de la vie éternelle. — théophyl. Ce démon est sourd et muet : sourd, parce qu'il ne veut pas entendre la parole de Dieu; muet, parce qu'il ne veut pas donner aux autres l'enseignement dont ils ont besoin. — S. jer. Le pécheur écume de folie, grince des dents par colère, et la paresse le dessèche. L'esprit mauvais déchire celui qu'il voit s'approcher du salut, et il bouleverse par des terreurs et des maux de tout genre, ceux qu'il veut engloutir dans son sein, comme il fit dans la personne de Job. — bêde. Souvent, en effet, lorsque, après avoir péché, nous voulons revenir à Dieu, cet antique ennemi de notre salut nous tend des pièges nouveaux et plus dangereux, afin de nous inspirer de l'aversion pour la vertu, ou de se venger de l'affront d'avoir été chassé. — S. GREG. (Mor., 10, 17.) Celui qui est délivré de la puissance de l'esprit impur, paraît comme mort; c'est-à-dire, que le chrétien qui a pu assujettir tous les désirs de la terre, voit s'éteindre en lui la vie des habitudes charnelles. Aux yeux du monde il paraît mort, et un grand nombre le tiennent réellement pour Mort, car dans l'ignorance où ils sont de la vie spirituelle, ils regardent comme tout à fait éteinte la vie qui ne court plus à la recherche des biens sensuels. — S. jér. Ce possédé, tourmenté dès son enfance, est le peuple gentil, chez qui on voit se développer, dès son origine, ce culte criminel des idoles, et qui, dans sa folie, alla jusqu'à immoler ses enfants aux démons. Le père dit que l'esprit malin précipita son enfant dans l'eau et dans le feu, et il exprime ainsi les deux principaux objets de l'idolâtrie des gentils, le feu et l'eau. — bede. Ou bien, ce démoniaque est l'image de l'âme, qui, souillée dès son origine de la tache du péché, n'en peut être purifiée que par la foi en Jésus-Christ et par sa grâce toute-puissante. Le feu représente le bouillonnement de la colère, et l'eau les voluptés charnelles dont le propre est de miner les forces de l'âme par les plaisirs du corps. Ce n'est pas à l'enfant qui souffre, mais au démon qui le tourmente, que Jésus adresse ses menaces ; il veut nous apprendre que celui qui désire corriger un pécheur doit aimer et consoler l'homme, et réserver pour le péché seul qu'il doit détruire ses réprimandes, sa haine, ses invectives.

S. jêr. Le Seigneur attribue ici au démon les effets qu'il produit dans l'homme, en lui disant : " Esprit sourd et muet, " car jamais il n'entendra ni ne dira ce qu'entend et dit le pécheur pénitent. Le démon une fois sorti d'un homme, n'y rentre plus, si cet homme a soin de tenir son cœur fermé avec les clefs de l'humilité et de la charité, et s'il est garanti et protégé par la porte qui le met à l'abri de tout danger. L'homme qui est guéri paraît comme mort, car c'est aux âmes guéries du péché qu'il est dit : " Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ (Col 3). — théophyl. Dès que Jésus nous tient la main, c'est-à-dire, dès que la parole évangélique nous donne la force d'agir, nous sommes délivrés du démon. Car, vous le voyez, Dieu commence par nous aider, puis il demande notre coopération à sa grâce. " Jésus le releva, " dit l'Evangile, voilà la grâce divine ; et " le malade se tint debout ; " voilà la coopération de l'homme.

BEDE. En enseignant à ses Apôtres le secret de chasser les démons les plus pernicieux, le Seigneur nous présente à tous une règle de vie : il nous apprend que nous triompherons des plus grandes épreuves, qu'elles aient pour auteurs les démons ou les hommes, par le jeûne et par la prière, et que le feu de la colère de Dieu tout prêt à châtier nos crimes, cédera lui-même à l'efficacité de ce remède tout-puissant. Par le jeûne, il faut entendre eu général l'abstinence, non-seulement d'aliments, mais de toute jouissance sensuelle, et même l’exemption de toute passion coupable. De même aussi la prière, prise dans sa généralité, ne consiste pas seulement dans les paroles dont nous faisons usage pour implorer la bonté divine, mais encore dans tous les actes inspirés par la foi et la piété, pour rendre hommage à notre Créateur, au sens de saint Paul, quand il dit (1 Th 5) : " Priez sans cesse. " — S. jer. La folie, qui a pour objet les jouissances de la chair, est guérie par le jeûne ; de même aussi la paresse est chassée par la prière. A chaque plaie il faut appliquer le remède convenable : ce n'est point par un remède appliqué sur le pied que l'on guérit l'œil malade. Ainsi donc, employez le jeûne contre les passions du corps, et la prière contre les maladies de l'âme.

 

Vv. 29-36.

théophyl. Aux prodiges, Jésus fait succéder un entretien sur sa Passion ; pour prévenir et combattre la pensée que c'est malgré lui qu'il a souffert. " Au sortir de ce lieu, ils traversèrent la Galilée ; et Jésus leur disait : Le Fils de l'homme sera livré, " etc. — bède. Aux événements prospères, Jésus-Christ mêle habituellement la prédiction d'événements fâcheux, afin que leur arrivée inopinée ne soit pas pour les Apôtres un sujet d'épouvante, mais qu'ils les trouvent préparés à les supporter courageusement. — théophyl. Après avoir rapporté la tristesse des Apôtres à cette nouvelle, l’Evangéliste ajoute ce qui devait les consoler : " Après que le Fils de l'homme aura été mis à mort, il ressuscitera le troisième jour ; " ainsi nous apprend-il qu'aux souffrances doit succéder la joie.

" Les Apôtres n'entendaient rien à ces paroles, " etc. — bêde. Cette ignorance dans les Apôtres n'avaient pas précisément pour cause la lenteur de leur esprit, mais plutôt l'amour qu'ils portaient au Sauveur. Encore charnels, et incapables de comprendre le mystère du salut par la croix, ils ne pouvaient croire que celui qu'ils reconnaissaient pour le vrai Dieu, fût sujet à la mort. Ils l'avaient si souvent entendu parler dans un langage métaphorique, que dans la frayeur que leur inspirait l'annonce de sa mort, ils voulaient ne donner encore qu'un sens figuré à ce qu'il leur prédisait de la trahison dont il serait l'objet, et de la passion qui devait en être la suite.

" Et ils arrivèrent à Capharnaüm. " — S. jer. Capharnaüm signifie lieu de consolation ; le sens de ce mot s'accorde parfaitement avec les dernières paroles de Jésus : " II ressuscitera le troisième jour après sa mort. " " Et lorsqu'ils furent entrés dans la maison, Jésus leur demanda : De quoi vous entreteniez-vous en chemin ? Mais ils ne répondirent rien. " —S. chrys. Saint Matthieu dit que ce lurent les Apôtres qui s'approchèrent de Jésus, et lui demandèrent : " Qui est, selon vous, le plus grand dans le royaume des cieux ? " Cet Evangéliste omet le commencement de ce récit ; il ne dit rien de la connaissance qu'avait le Sauveur des pensées et des paroles de ses disciples. On peut dire, il est vrai, que les Apôtres communiquaient à leur Maître tout ce qu'ils disaient ou pensaient même en son absence ; car tout lui était connu, comme s'il l'avait entendu, " Ils avaient, dans le chemin, disputé pour savoir quel était le plus grand parmi eux. " Saint Luc dit seulement que " cette pensée entra dans leur esprit. " Selon le récit évangélique, le Seigneur mit au jour la pensée et l'intention secrète renfermées dans leurs paroles. — S. jér. Il est assez naturel de s'entretenir eu chemin du pouvoir; un chemin en est une image frappante. On quitte le pouvoir comme on y est entré ; pendant même qu'on l'exerce, on le voit s'échapper ; et on ignore dans quel endroit, c'est-à-dire, quel jour on en sera dépouillé complètement. — bède. Cette dispute des Apôtres sur la prééminence paraît s'être élevée entre eux à l'occasion du choix que Jésus avait fait de Pierre, Jacques et Jean, pour les conduire avec lui sur la montagne, où ils s'imaginaient que leur Maître avait confié à ces trois disciples quelque secret; ils savaient aussi, d'après ce que dit saint Matthieu (Mt 16), que les clefs du royaume des deux avaient été promises à Pierre. Le Seigneur, qui voit leurs pensées, leur présente l'humilité comme remède de leur ambition ; et pour leur apprendre à ne pas rechercher l'autorité, il fait cette simple recommandation d'humilité : " S'étant assis, il appela ses douze Apôtres, et leur dit : Celui qui veut être le premier, il sera le dernier de tous. " — S. JER. Remarquez que c'est en marchant, que les disciples disputent sur la question de prééminence, et que Jésus s'asseoit pour leur enseigner l'humilité. Le travail et la fatigue sont le partage de ceux qui commandent, le repos celui des humbles. — S. chrys. Les disciples avaient un vif désir d'être honorés, glorifiés par leur divin Maître ; plus un homme est grand, plus il est digne de grands honneurs. Aussi le Sauveur ne réprime pas ce désir, il veut simplement qu'il soit tempéré par l'humilité. — théophyl. Il nous défend d'usurper injustement les honneurs, et il veut que nous n'y parvenions que par l'humilité.

BEDE. A cette recommandation, Jésus joint l'exemple de la simplicité de l'enfance. " Et prenant un enfant, " etc. — S. chrys. (hom. 59 sur S. Matth.) Il leur met sous les yeux mêmes un modèle d'humilité et de simplicité ; car l'enfant ne connaît ni la jalousie, ni la vaine gloire, il est pur de toute ambition. Et il ne leur dit pas seulement : une grande récompense vous est réservée, si vous devenez semblables à cet enfant, mais il ajoute, si vous honorez, pour l'amour de moi, quiconque lui ressemblera : " Ayant embrassé cet enfant, il leur dit : Celui qui accueillera un de ses petits enfants, " etc. — bède. Le Sauveur recommande ici à ceux qui aspirent aux dignités, de faire à ses pauvres un digue accueil par honneur pour lui-même ; ou bien il leur recommande d'avoir la candeur de l'enfance, et d'être simples sans fierté, charitables sans envie, affectueux sans colère. Le baiser qu'il donne à cet enfant, nous apprend que c'est aux petits qu'il réserve son affection et ses embrassements. Il ajoute : " En mon nom, " c'est-à-dire, que la vertu qui, chez l'enfant, n'est autre chose qu'une inclination naturelle, doit être chez nous un acte de la raison fait au nom de Jésus-Christ. Enfin, quand il veut que nous le considérions lui-même dans la personne de l'enfant, ce n'est pas seulement de sa nature visible qu'il veut parler : " Celui qui me recevra, ce n'est pas moi qu'il reçoit, mais celui qui m'a envoyé, " etc. Il veut que ses disciples croient qu'il a la même nature et la même grandeur que son Père. — théophyl. Voyez de quel prix est l'humilité, elle attire dans l'âme, le Père, le Fils et le Saint-Esprit (Jn 14, 23 ; 1 Jn 4, 16).

 

Vv. 37-42.

bede. Jean, que distinguait entre tous les autres un ardent amour pour Jésus-Christ, croyait que celui qui ne s'acquittait pas exactement de son office devait être privé des grâces qui lui étaient attachées : " Jean, prenant la parole, lui dit : Maître, nous avons vu, " etc. — S. chrys. Un grand nombre de ceux qui croyaient en Jésus-Christ avaient reçu de lui des dons, des pouvoirs particuliers, sans être cependant avec le Sauveur; tel était celui que nous voyons ici chasser les démons. Tous, en effet, ne réunissaient pas toutes les conditions d'une vie sainte ; les uns avaient une vie pure, mais leur foi était encore imparfaite ; chez d'autres, c'était le contraire.— theophyl. Ou bien encore, quelques incrédules, témoins des prodiges opérés par le nom de Jésus, prononçaient eux-mêmes ce nom divin et opéraient ainsi des miracles, tout indignes qu'ils fussent de la grâce de Dieu, car Dieu voulait se servir même des indignes pour répandre la connaissance de son nom.

S. chrys. Ce n'était ni par un zèle exagéré, ni par un sentiment d'envie que Jean voulait interdire à cet homme le pouvoir de chasser les démons ; sa pensée était que tous ceux qui invoquaient le nom du Seigneur devaient suivre Jésus-Christ et faire partie du nombre de ses disciples. Mais le Seigneur voulait se servir de ceux qui l'ont des miracles, malgré leur indignité, pour amener les autres à la foi et les exciter eux-mêmes par cette grâce ineffable à une vie plus sainte : " Jésus lui répondit : Ne l'en empêchez pas, " etc. — bede. Le Sauveur nous apprend ainsi à ne pas retirer à quelqu'un le bien qu'il possède à un degré médiocre, mais à lui inspirer le désir d'une vertu plus parfaite. — S. chrys. Il explique pourquoi il n'est pas convenable de faire cette défense à cet homme : " II n'est personne qui ayant fait un miracle en mon nom puisse aussitôt dire du mal de moi. " II parle ici de ceux qui devaient tomber dans l'hérésie, comme Simon, Ménandre et Cerinthe, qui ne faisaient point de vrais miracles au nom de Jésus-Christ, mais qui trompaient les fidèles par de faux prodiges. Ceux-ci, au contraire, bien qu'ils ne soient point avec nous, ne pourront jamais se déclarer contre moi dans leurs discours, puisqu'ils honorent mon nom en recourant à lui pour opérer des prodiges. — théophyl. Comment, eu effet, celui qui doit à mou nom la gloire qu'il s'attire, et qui opère des miracles eu l'invoquant, pourrait-il parler mal de moi ?

" Celui qui n'est point contre vous est pour vous. " — S. aug. (De l'acc. des Evang., 4, 5.) Mais cette maxime du Seigneur n'est-elle pas en opposition avec cette autre : " Celui qui u'est pas avec moi, est contre moi ? " Dira-t-on que ces deux maximes diffèrent, en ce que d'un côté Jésus parle de ses disciples : " Celui qui n'est pas contre vous est pour vous, " tandis que de l'autre, il parle de lui-même : " Celui qui n'est pas avec moi est contre moi. " Mais n’est-il pas évident qu'on est nécessairement avec Jésus-Christ, lorsqu'on ne fait qu’un corps avec ses disciples qui sont ses membres ? Où serait alors la vérité de ces paroles : " Qui vous reçoit me reçoit ? " (Mt 10) Par la même raison, n'est-on pas contre lui, quand on est contre ses disciples ? Comment aurait-il pu dire : " Celui qui vous méprise me méprise ? " Voici donc dans quel sens le Sauveur veut que nous entendions ces deux maximes. On n'est pas avec lui en tant qu'on est contre lui ; on est avec lui dans les actions où on agit de concert avec lui. Prenons pour exemple cet homme qui faisait des miracles au nom de Jésus-Christ, sans faire partie du nombre des Apôtres ; il n'était pas contre eux, il était même avec eux eu tant qu'il faisait des miracles au nom de Jésus ; mais eu tant qu'il n'appartenait pas à leur société, il n'était pas avec eux, il était contre eux. Or, les Apôtres voulaient lui interdire de faire ce en quoi il était d'accord avec eux, et c'est pour cela que Jésus leur dit : " Ne l'empêchez pas ; " ce à quoi ils devaient se borner, c'était de lui défendre d'agir en dehors de leur société, c'était de lui conseiller de rentrer dans l'unité de l'Eglise. Ils devaient le laisser libre dans ce qu'il avait de commun avec eux, l'invocation du nom de leur Maître, de leur Seigneur pour chasser les démons. Telle est justement la conduite de l'Eglise catholique, ce qu'elle condamne chez les hérétiques, ce ne sont pas les sacrements qui leur sont communs avec nous, mais leur séparation d'avec nous, mais les doctrines opposées à la vérité et à la paix, car sous ce rapport, ils sont contre nous. — S. chrys. Ou bien ces paroles du Sauveur s'appliquent à ceux qui croient eu lui ; mais qui ne peuvent le suivre, parce qu'ils mènent une vie relâchée. Les autres paroles doivent s'entendre des démons, dont les efforts tendent à nous séparer tous de Dieu et à dissiper son Eglise.

" Quiconque vous aura donné à boire un verre d'eau froide, " etc. — theophyl. Nôtre-Seigneur semble dire : Non-seulement je ne m'oppose pas à celui qui fait des miracles par l'invocation de mou nom ; mois je vous déclare que celui qui vous aura fait la moindre chose, et vous aura reçu à cause de moi, et non par un motif d'intérêt ou de vaine gloire, ne perdra pas sa récompense.—S. aug. (De l'accord des Evang., 4, 6.) Nous voyons par là que cet homme dont Jean vient de parler n'était pas séparé de la société des disciples au point de la condamner, comme ferait un hérétique. Sa conduite était celle de ces hommes qui n'ayant pas encore le courage de recevoir les sacrements de Jésus-Christ, se montrent pourtant pleins de bienveillance pour le nom chrétien, traitent affectueusement les chrétiens dans le seul but d'honorer en eux le nom de chrétiens. C'est d'eux que le Sauveur dit qu'ils ne perdront point leur récompense. Ce n'est pas que leurs bons sentiments à l'égard des chrétiens puissent leur donner une complète assurance, une pleine sécurité quant à leur salut éternel, sans que leur âme ait été purifiée dans les eaux du baptême, sans être membres du corps de l'Eglise ; mais la miséricorde de Dieu sera leur guide pour les faire parvenir à cette grâce si importante, et leur donner de sortir de ce monde avec une juste confiance dans l'avenir.

S. chrys. Afin que personne ne puisse prétexter sa pauvreté, Jésus-Christ accorde cette récompense à ce qui est à la disposition de tous : donner un verre d'eau froide. Ce qui à ses yeux rend une œuvre digne de récompense, ce n'est point l'importance de l'objet donné, mais la dignité de celui à qui on l'offre, et l'affection de celui qui le donne. Pour nous encourager à recevoir ses disciples, il ne se borne pas à nous montrer en perspective la récompense éternelle, il nous montre aussi la rigueur du châtiment : " Si quelqu'un scandalise un de ces petits, " etc., c'est-à-dire de même que ceux qui vous honorent en mon nom seront récompensés, ainsi ceux qui vous scandaliseront, c'est-à-dire qui ne vous donneront aucun témoignage d'honneur, seront rigoureusement châtiés. Et il emprunte aux choses bien connues les comparaisons qui font ressortir toute la rigueur de ce châtiment ; il ne s'agit de rien moins que d'être précipités dans la mer, une meule au cou. Et remarquez qu'il ne dit pas : Qu'on lui attachera une meule de moulin, mais : " II serait avantageux pour lui qu'un lui infligeât ce châtiment, " ce qui signifie qu'il doit s'attendre à un supplice plus rigoureux encore. Sous le nom de petits, le Sauveur désigne ceux qui croient en lui et ceux qui invoquent son nom, sans pourtant s'attachera sa personne ; ceux mêmes qui se contentent de donner un verre d'eau froide, sans faire d'œuvres plus importantes ; il ne veut pas qu'un seul d'entre eux soit scandalisé ou exclu ; car ce serait là empêcher l'invocation de son nom.— bède. C'est à juste titre qu'il donne le nom de petit à celui qui peut être scandalisé ; car celui qui est grand ne se laisse pas ébranler dans sa foi par les épreuves quelles qu'elles soient, au lieu que les esprits petits et étroits semblent chercher partout des occasions de scandale et de chute. Aussi devons-nous nous observer beaucoup à l'égard des petits et des faibles, afin de n'être pas pour eux une occasion de scandale et de chute dans la foi, et par suite de damnation éternelle. — S. greg. (hom. 7 sur Ezéchiel.) Remarquons cependant que si dans nos bonnes oeuvres nous devons éviter toute occasion de scandaliser le prochain ; nous devons aussi quelquefois n'en tenir aucun compte. Tant que nous le pouvons faire sans péché, nous devons éviter de scandaliser le prochain ; mais si c'est la vérité elle-même qui est un objet de scandale, il vaut mieux le laisser se produire, que de sacrifier la vérité. S. grég. (Pastoral., 1 part., chap. 3.) Dans le sens mystique, cette meule qu'un âne fait tourner, c'est la fatigue de la vie mondaine et du cercle dans lequel elle tourne sans cesse sur elle-même; la profondeur de la mer, c'est la damnation éternelle. Si donc celui dont la vie présente les caractères extérieurs de la sainteté en détourne les autres par ses paroles ou par ses exemples, il eût assurément mieux valu pour lui que sa conduite terrestre le conduisît à la mort sous les dehors d'une vie ordinaire, que de donner aux autres, dans une dignité aussi sainte, l'exemple d'une conduite vicieuse et criminelle ; car s'il tombait seul, le supplice que l'enfer lui réserve serait beaucoup moins rigoureux.

 

Vv. 42-49.

bede. Notre-Seigneur vient de nous recommander de ne point scandaliser ceux qui croient en lui ; il nous avertit maintenant de nous tenir en garde contre ceux qui tenteraient de nous scandaliser, c’est-à-dire qui, par leurs paroles ou leurs exemples, nous pousseraient à notre ruine en nous faisant commettre le péché : " Si votre main est pour vous une occasion de péché, dit-il, coupez-la. " — S. chrys. (hom. 60 sur S. Matth.) Ce n'est pas des membres de notre corps que le Sauveur veut parler ici, mais de nos amis intimes, qui nous sont aussi chers et aussi nécessaires que les membres de notre corps ; rien de plus nuisible, en effet, qu'une liaison dangereuse. — bede. Ce que le Sauveur appelle notre main, c'est notre intime ami dont tous les jours nous réclamons les bons offices. Si cet ami veut attenter à la vie de notre âme, brisons tous les liens qui nous attachent à lui, car si durant cette vie nous nous attachons à un méchant, nous périrons éternellement avec lui ; c'est la vérité qu'expriment les paroles qui suivent : " II vaut mieux pour vous entrer dans la vie ayant un membre de moins. " — la glose. Cet homme à qui il manque un membre, c'est celui qui est privé du secours d'un ami ; il vaut mieux, sans avoir d'ami, jouir de la vie éternelle, que d'être précipité avec cet ami dans les flammes de l'enfer. — S. jer. Ou bien il vaut mieux entrer dans la vie éternelle étant mutilé, c'est-à-dire sans ce pouvoir, objet de vos désirs ambitieux, que d'être précipité avec vos deux mains dans le feu éternel. Le pouvoir a deux mains, l'humilité et l'orgueil ; retranchez celle de l'orgueil, et ne vous réservez que celle d'une autorité humble et modeste.

S. chrys. Le Sauveur cite à l'appui ce témoignage du prophète Isaïe (Is 66, 24) : " Ou le ver qui les ronge ne meurt point, ou le feu ne s'éteint jamais. " Ce ver n'est pas un ver extérieur et sensible ; c'est la conscience qui déchire l'âme coupable, parce qu'elle n'a point fait le bien. Chacun sera alors son propre accusateur, par le souvenir de ce qu'il aura fait pendant sa vie ; c'est en ce sens que le ver ne meurt point. — bède. Le ver, c'est la douleur poignante qui accuse au-dedans ; le feu, c'est le supplice qui tourmente au dehors. Ou bien on peut voir dans le ver la pourriture de l'enfer, et dans le feu son ardeur dévorante. — S. aug. (Cité de Dieu, 21, 9.) Ceux qui prétendent que le feu et le ver désignent seulement le châtiment particulier de l'âme et non celui du corps, disent que les réprouvés sépares de Dieu sont brûlés par la douleur à laquelle est en proie une âme qui ressent un repentir tardif et infructueux ; cette douleur intérieure, disent-ils, est parfaitement représentée par le feu, selon les paroles de l'Apôtre (2 Co 11) : " Qui est scandalisé sans que je brûle ? " et par le ver, d'après ces paroles des Proverbes (Pr 25) : " Comme la teigne dévore les vêtements et le ver le bois, de même le chagrin déchire le cœur de l'homme. " Ceux qui soutiennent qu'il y a dans l'enfer un supplice pour l'âme, et un autre pour le corps, disent que le feu est la peine du corps, et que celle de l'âme est la douleur qui est semblable à un ver qui ronge. Cette interprétation est plus vraisemblable ; car il serait absurde de prétendre que dans l'enfer le corps ou l'âme seront exempts de souffrances. Cependant j'aime mieux penser que ces deux peines se rapportent au corps, plutôt que de soutenir qu'on ne peut lui faire application ni de l'une, ni de l'autre. Donc dans ces paroles de l'Evangile, il n'est pas question du supplice de l'âme ; on le déduit seulement comme conséquence, le corps ne pouvant souffrir sans que l'âme elle-même soit soumise à la douleur. Que chacun adopte l'interprétation qui lui paraît la plus probable ; qu'il dise que le feu est le supplice du corps, et le ver celui de l'âme, en conservant au feu son sens naturel, et prenant le ver dans un sens figuré ; ou bien qu'il applique au corps l'un et l'autre supplice. Car la toute-puissance du Créateur peut permettre miraculeusement que les êtres animés vivent dans le feu, qu'ils brûlent sans se consumer, qu'ils y souffrent sans mourir.

" Et si votre pied vous scandalise, coupez-le, " etc. — bède. Le pied figure un ami, parce qu'il nous sert pour marcher et qu'il n'existe que pour notre utilité. " Et si votre œil vous scandalise, " etc. L'œil aussi représente un ami utile, vigilant, habile à découvrir les moindre dangers. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 4, 6.) Une vérité ressort de ces paroles, c'est que souvent des hommes dévoués au nom chrétien, avant même d'appartenir à la grande famille chrétienne, rendent plus de services que d'autres qui, portant le titre de chrétiens et nourris des sacrements de l'Eglise, donnent cependant de si mauvais conseils qu'ils entraînent avec eux dans la damnation éternelle ceux qui ont le malheur de les écouter. Ce sont ces hommes que Nôtre-Seigneur compare aux membres du corps, à la main ou à l'œil qui scandalisent ; il veut que ces hommes soient impitoyablement retranchés du corps, c'est-à-dire de l'unité de l'Eglise, de sorte que nous entrions sans eux dans la vie, au lieu d'être précipités avec eux dans la mort éternelle. Les retrancher du corps, c'est refuser son assentiment à leurs mauvais conseil, c'est-à-dire à leurs scandales. Si leur perversion vient à se manifester aux âmes fidèles avec qui ils sont en relation, il faut briser tout lien avec eux et les exclure de la participation aux sacrements. Si au contraire ils ne sont connus que d'un petit nombre, si le plus grand nombre ignore leurs dispositions criminelles, il faut les tolérer avec patience, mais sans participer en rien à leur vie criminelle, et d'un autre côté, sans sacrifier pour eux la communion avec les bons.

bède. Nôtre-Seigneur, qui vient trois fois de suite de parler de ver et de feu, pour nous déterminer à éviter ce terrible supplice, ajoute : " Tout homme sera salé par le feu. " Le ver naît de la corruption de la chair et du sang ; aussi sale-t-on la chair des animaux qu'on vient de tuer, afin que le sang étant absorbé, elle ne puisse produire de vers. Aussi tout ce qui est salé est à l'abri de la putréfaction. Mais ce qui est salé par le feu, c'est-à-dire couvert de feux assaisonnés de sel, non-seulement éloigne les vers, mais consume la chair elle-même. La chair et le sang produisent donc les vers, en ce sens que la volupté charnelle qui n'est pas repoussée par l'assaisonnement de la chasteté produit pour les impudiques la corruption éternelle. Voulez-vous éviter la puanteur de cette corruption ? Assaisonnez les membres de votre corps du sel de la continence, et que le sel de la sagesse préserve votre âme de toute souillure d'erreurs ou de vices ; car le sel signifie la douceur de la sagesse, et le feu la grâce du Saint-Esprit. Ces paroles : " Tout homme sera salé par le feu, " signifient donc que tout élu doit se préserver par la sagesse spirituelle de la corruption de la concupiscence charnelle. Ou bien il s'agit ici du feu de la tribulation qui aide le juste à perfectionner ses œuvres par la patience (Jc 3, 3).

S. chrys. Ces paroles ont quelque analogie avec celle de saint Paul (1 Co 3) : " Le feu éprouvera l'ouvrage de chacun. " Les paroles qui suivent sont tirées du Lévitique (Lv 2) : " Et toute victime sera assaisonnée de sel. " — S. jér. La victime du Seigneur, c'est le genre humain tout entier ; ici-bas, il est assaisonné du sel de la sagesse, jusqu'à ce que la corruption du sang (qui conserve la pourriture et engendre les vers) soit détruite et qu'il soit purifié dans l'autre monde par les flammes du purgatoire. — bède. Nous pouvons encore considérer le cœur des élus comme l'autel de Dieu ; les hosties et les sacrifices qui doivent être offerts sur cet autel sont les bonnes œuvres des fidèles. Le sel doit entrer dans tous les sacrifices, c'est-à-dire qu'aucune œuvre n'est parfaitement bonne, si le sel de la sagesse ne l'a purifiée de la corruption de la vaine gloire ou des autres pensées mauvaises ou inutiles. — S. chrys. Ou bien ces paroles signifient que toute victime que nous offrons, soit la prière adressée à Dieu, soit l'aumône faite au prochain doit être salée de ce feu divin, dont le Sauveur a dit : " Je suis venu apporter le feu sur la terre. " (Lc 12, 49.) Il ajoute : " Le sel est bon, " c'est-à-dire le feu de l'amour divin ; mais si le sel s'affadit, c'est-à-dire s'il perd la saveur qui lui est propre, et à laquelle il doit d'être bon, comment lui rendrez-vous celte saveur ? Il y a en effet des sels qui ont de la saveur, image des âmes qui possèdent la plénitude de la grâce ; et il y a des sels fades, qui figurent les âmes où ne règne pas l'amour de la paix.

bède. Ou bien le sel est bon, c'est-à-dire il est bon d'entendre fréquemment la parole de Dieu et de préserver les secrets de son cœur à l'aide du sel de la sagesse spirituelle.— théophyl. Comme le sel conserve les chairs et empêche les vers de s'engendrer ; ainsi la parole de celui qui enseigne, si elle a la puissance de dessécher les mauvaises humeurs, réprime les convoitises des hommes charnels, et empêche ce ver qui ronge éternellement de s'engendrer au fond de leur cœur. Mais si cette parole est fade, c'est-à-dire si elle n'a pas la puissance de dessécher et de conserver, où est le sel qui donnera l'assaisonnement ? - S. chrys. Ou bien, selon saint Matthieu, ce sont les Apôtres de Jésus-Christ qui sont le sel de la terre, en la préservant de la pourriture qu'y introduit l'idolâtrie et la corruption du péché. On peut encore entendre ces paroles en ce sens que chacun de nous est un sel dans la mesure de grâces qu'il reçoit. Aussi l'Apôtre unit-il la grâce et le sel, quand il dit : " Que vos paroles soit assaisonnées de sel dans la grâce de Dieu. " (Col 4) Enfin, Jésus-Christ est lui même un sel ; il a pu préserver la terre entière et produire même un grand nombre d'autres sels ; ceux de ces sels qui viendraient à se corrompre (car des sels bons aujourd'hui peuvent changer et devenir eux-mêmes des germes de pourriture), il faut les jeter dehors. — S. jer. Ou bien le sel affadi, c'est l'homme qui aime l'exercice du pouvoir, et qui n'ose réprimander le vice. Aussi le Sauveur dit-il : " Conservez en vous le sel, " etc., de manière que l'amour du prochain tempère l'amertume de la correction, et qu'il soit lui-même assaisonné par le sel de la justice. — S. grég. (sur Ezéchiel.) Ou bien le divin Maître a ici en vue ces hommes qui, élevés au-dessus de leurs frères par une science plus profonde, se séparent de leur société, et qui s'éloignent d'autant plus de la vertu de charité qu'ils font de plus grands progrès dans la science. — S. grég. (Pastoral.) Celui qui vient parler le langage de la science doit veiller soigneusement à ce que ses paroles ne brisent pas l'unité parmi les auditeurs, et à ne pas rompre imprudemment ce lien de l'unité en prétendant à la réputation de savant. — théophyl. Ou bien encore, celui qui s'attache au prochain par le lien de la charité a le sel recommandé par le Sauveur et par conséquent la paix avec son frère. — S. aug. (De l'acc. des Evang. 4, 6.) Saint Marc rapporte toutes ces paroles de Nôtre-Seigneur comme ayant été dites sans interruption les unes après les autres ; il en rapporte quelques-unes qu'on ne trouve dans aucun des trois autres Evangélistes, d'autres qui sont rapportées soit par saint Matthieu, soit par saint Luc, mais dans des circonstances différentes et dans un tout autre ordre. Je pense donc que Nôtre-Seigneur renouvelle ici les recommandations qu'il avait faites dans d'autres circonstances , parce qu'elles se rapportaient parfaitement à la défense qu'il venait de faire à ses disciples, de ne point empêcher un homme qui ne marchait pas avec eux ù sa suite de faire des miracles en son nom.

 

CHAPITRE X

 

Vv. 1-12.

bède. Jusqu'ici saint Marc a rapporté les actions et les enseignements du Sauveur dans la Galilée ; il va maintenant nous présenter le récit de ce qu'il a fait, enseigné et souffert dans la Judée : d'abord, au delà du Jourdain à l'Orient : " Et Jésus étant parti de ce lieu, se dirigea vers les confins de la Judée, " etc. Puis en deçà du Jourdain, à Jéricho, à Béthanie, à Jérusalem. Tout le pays habité par les Juifs, porte le nom général de Judée, nom qui le distingue des nations voisines ; mais ou donne spécialement le nom de Judée à la partie méridionale de ce pays, pour la distinguer de la Samarie, de la Galilée, de la Décapole, et des autres provinces du même royaume. — théophyl. Jésus-Christ visite la Judée, dont il s'était souvent éloigné à cause de la jalousie des Juifs, parce que c'est là que sa passion devait s'accomplir. Cependant il ne s'avance pas encore jusqu'à Jérusalem, mais il demeure sur les confins, pour utiliser son ministère en faveur du peuple simple et sans malice, tandis que la malveillance des Juifs faisait de Jérusalem un centre de complots criminels. " Et le peuple, dit l'Evangéliste, s'assembla autour de lui, " etc.

bede. Remarquez comme le peuple et les pharisiens sont animés d'intentions différentes ; le peuple s'assemble pour recueillir l'enseignement, et obtenir la guérison de ses malades, comme nous le rapporte saint Matthieu ; les pharisiens s'approchent du Sauveur pour le tenter et le perdre. " Les pharisiens s'approchant, " etc. — théophyi. Les pharisiens n'ont garde de s'éloigner de Jésus, dans la crainte que le peuple ne croie en lui, ils l'entourent continuellement, persuadés qu'ils viendront à bout de l'embarrasser et de le confondre par leurs questions. Celle qu'ils lui font eu ce moment, cache un double piége. Que le Sauveur réponde qu'il est permis, ou qu'il est défendu à un homme marié de renvoyer sa femme, ils ont à lui opposer un texte de la loi de Moïse, qui le contredit et le condamne. Mais Jésus, qui est la sagesse même, leur fait une réponse qui échappe aux filets dans lesquels ils veulent le faire tomber. — S. chrys. (hom. 63 sur S. Matth.) A cette question : " Est-il permis ? " II ne répond pas aussitôt, non, cela n'est pas permis ; ce qui aurait amené de l'agitation parmi eux, mais il veut leur opposer d'abord le texte de la loi, afin de les forcer à donner eux-mêmes la réponse qu'il se disposait à leur faire. " II leur répondit : Que vous a ordonné Moïse ? Moïse, disent-ils, a permis à l'homme de renvoyer sa femme, en lui donnant un écrit de répudiation. " Ils apportent cette permission donnée par Moïse, ou à cause de la question du Sauveur, ou pour soulever contre lui la colère de la multitude ; car les Juifs regardaient ce point comme indifférent, et rien n'était plus ordinaire parmi eux que cette conduite qu'ils croyaient autorisée par la loi.

S. aug. (de l'acc. des Evang., 2, 62.) Peu importe à la vérité, que ce soit les Juifs qui, comme le rapporte saint Matthieu, entendant le Sauveur proclamer l'indissolubilité du mariage, et appuyer sa décision sur le texte même de la loi, l'aient interrogé sur l'écrit de répudiation autorisé par Moïse ; ou bien qu'il les ait amenés lui-même à lui faire cette réponse en les questionnant sur cet acte de répudiation, comme le dit saint Marc. L'intention du divin Maître était de n'expliquer l'autorisation accordée par Moïse, qu'après que les Juifs auraient l'eux-mêmes cité ce texte de la loi. Dès lors que les deux Evangélistes nous ont également fait connaître l'intention des personnes (intention qui doit déterminer le sens des paroles), peu importe une variante dans la manière de s'exprimer. On peut dire d'ailleurs avec saint Marc, que les Juifs commencèrent par demander au Sauveur s'il est permis de renvoyer son épouse, et qu'il leur demande à son tour ce que Moïse leur a ordonné ; sur la réponse qu'ils lui font, que Moïse le permettait en donnant un acte de répudiation, Nôtre-Seigneur leur répond, comme le rapporte saint Matthieu, en leur rappelant la loi donnée par Moïse, où l'on voit l'institution divine de l'union de l'homme et de la femme ; et c'est après cette réponse du Sauveur, qu'ils seraient revenus à leur première question, et lui auraient demandé : " Quel est donc le sens de l'autorisation donnée par Moïse. "

S. aug. (contre Fauste, 19, 26.) Certes, il était loin d'approuver le divorce, le législateur qui réprimait la fougue d'un esprit trop prompt à désirer la séparation par la sage lenteur que demande la rédaction d'un acte ; car chez les Hébreux, les scribes seuls avaient le droit d'écrire l'hébreu. C'était donc devant ces sages interprètes de la loi, à qui il appartenait de dissuader d'une séparation trop peu fondée, que devait se présenter celui à qui la loi ne permettait de renvoyer sa femme qu'en lui donnant un acte de répudiation. Ceux qui pouvaient seuls rédiger cet acte, trouvaient dans la nécessité où on était de recourir à leur ministère, une occasion de donner un conseil utile, et de travailler à rétablir entre l'homme et la femme l'affection et la concorde. Si la haine était si forte, qu'il fut impossible de l'éteindre ou de l'apaiser, l'acte était rédigé, la loi jugeant que la séparation était devenue nécessaire, puisque la haine avait atteint un degré qui ne permettait pas aux conseils de la sagesse de rappeler les époux aux sentiments d'affection qu'ils se doivent mutuellement. Voilà pourquoi le Sauveur répond : " C'est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse a fait cette ordonnance. " Quelle dureté, en effet, que celle qui ne se laissait ni vaincre ni adoucir, soit par les difficultés de cet acte, soit par les conseils des hommes justes et sages, qui cherchaient à faire renaître ou à réveiller dans ce cœur l'affection conjugale ? — S. chrys. Ou bien ces paroles : " A cause de la dureté de votre cœur, " signifient, qu'une âme libre de toute colère et de désirs mauvais, serait capable de supporter la femme la plus méchante ; mais si ces passions viennent à se développer et à exercer leur empire dans l’âme, elles deviendront le germe d'une infinité de maux, qui rendront souverainement odieux tout rapport entre les époux. Cette réponse justifie Moïse, qui leur avait donné cette loi et retourne contre eux l'accusation qu'ils semblaient porter contre lui. Mais comme l'explication que le Sauveur venait de donner, pouvait leur paraître sévère, il ramène leur attention sur la loi qui fut donnée dès l'origine. " Au commencement que le monde fut créé, Dieu forma un homme et une femme. " — bède. Il ne dit pas un seul homme et plusieurs femmes, ce qui était le but et la fin du divorce, mais " un seul homme et une seule femme, " pour exprimer l'unité du lieu conjugal. — S. chrys. (hom. 62 sur S. Matth.) Si l'intention de Dieu eût été que l'homme put renvoyer sa femme pour en épouser une autre, il aurait créé plusieurs femmes en même temps qu'un seul homme. Mais au contraire, non-seulement Dieu unit l'homme à une seule femme, mais il veut que, pour s'attacher plus complètement à elle, il abandonne même les auteurs de ses jours : " L'homme abandonnera son père et sa mère, dit Dieu par la bouche d'Adam, et il s'attachera à son épouse ; " cette expression, " il s'attachera, " indique assez nettement l'indissolubilité du mariage. — bède. Il faut dire la même chose de l'expression suivante, " il s'attachera à son épouse " et non à ses épouses.

" Et ils seront deux dans une seule chair. " — S. chrys. (hom. 62.) C'est-à-dire, que, sortis d'une même racine, ils ne feront qu'un même corps. " C'est pourquoi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. " — bêde. La gloire et le bonheur du mariage est de faire de deux personnes une même chair ; et l'union de l'esprit avec un corps chaste, produit l'unité de l'esprit.

S. chrys. (Ibid.) Nôtre-Seigneur tire enfin de ce qu'il vient de dire cette redoutable conclusion. Il ne dit pas seulement : " Ne séparez pas, " mais " que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. " — S. aug. (contre Fauste, 19, 29.) Les Juifs, en usant de la faculté du divorce, prétendaient s'appuyer sur l'autorisation donnée par Moïse ; et le Sauveur leur démontre que, d'après les livres de Moïse, l'homme ne doit point se séparer de sa femme. C'est ainsi que nous aussi, chrétiens, nous apprenons par le témoignage de Jésus-Christ lui-même, que c'est Dieu qui a créé et uni l'homme et la femme. Les Manichéens, qui ont nié cette vérité, sont condamnés, non-seulement par les livres de Moïse, mais par l'Evangile lui-même. — bède. Il n'appartient donc pas à l'homme de séparer l'homme de la femme ; c'est le droit de Dieu seul, qui les avait unis lui-même, en ne faisant de l'homme et de la femme qu'une seule chair. Quand l'homme abandonne sa première femme, par le seul désir d'en épouser une autre, c'est lui-même qui fait la séparation ; mais c'est Dieu qui en est l'auteur, lorsque cette séparation n'a pour motif que le désir de mieux servir le Seigneur, en ayant une femme comme n'en ayant pas. — S. chrys. Si c'est un crime de séparer les deux créatures que Dieu lui-même a unies, c'en est un beaucoup plus grand de chercher à séparer l'Eglise de Jésus-Christ, à qui Dieu l'a unie.

théophyl. La réponse de Jésus-Christ aux pharisiens n'a pas résolu complètement les doutes des disciples, aussi l'interrogent-ils à leur tour : " Ses disciples l'interrogèrent encore dans la maison sur le même objet. " — S. jér. L'Evangéliste dit que les Apôtres l'interrogèrent une seconde fois, parce que leur question n'est que la répétition de celle des pharisiens, et qu'elle a pour objet l'état du mariage. Et cette répétition n'est pas inutile ; car la réponse que renouvelle le Verbe, loin de produire l'ennui, est un nouveau stimulant pour la faim et la soif. " Ceux qui me mangent, auront encore faim, et ceux qui ne boivent auront encore soif. " (Qo 24) Quand une âme a une fois goûte les enseignements de la sagesse, plus doux que le miel, son amour fait qu'elle y trouve une saveur délicieuse. Aussi le Sauveur s'empresse-t-il de renouveler l'instruction qu'il vient de donner : " Quiconque renvoie sa femme pour en épouser une autre, commet un adultère à son égard. " — S. chrys. Habiter avec une femme qui n'est pas la sienne, voilà ce que le Sauveur appelle un adultère ; cette seconde femme ne peut être la sienne après qu'il a abandonné la première ; il commet donc le crime d'adultère avec elle, c'est-à-dire, avec la seconde ; il en est de même de la femme à l'égard de son mari. Et si la femme se sépare de son mari et en épouse un autre, elle devient adultère. Séparée de son mari, elle ne peut donner ce nom à un autre homme, auquel elle s'unit. La loi avait défendu l'adultère public, mais le Sauveur proclame que tout adultère, ne fût-il ni public, ni connu d'un grand nombre de personnes, est contraire à la loi naturelle.

bède. Saint Matthieu est plus explicite encore : " Quiconque abandonnera sa femme, hors le cas de fornication. " La séparation ne peut donc avoir lieu que pour deux causes ; la fornication, c'est la raison charnelle, ou la crainte de Dieu, c'est le motif spirituel qui en a déterminé un grand nombre à une séparation mutuelle. Mais aucun motif approuvé de Dieu ne peut autoriser un homme à s'unir à une autre femme, tant que vit la première.

S. chrys. Saint Matthieu, en disant que Notre-Seigneur donna ces enseignements aux pharisiens, ne contredit pas saint Marc, qui rapporte qu'ils furent donnés aux disciples, car ils ont très bien pu être donnés aux uns d'abord, et ensuite aux autres.

 

Vv. 13-16.

théophyl. Après nous avoir fait connaître la malice des pharisiens qui tentaient le Sauveur, l'Evangéliste nous montre la foi vive de la multitude, persuadée que par la seule imposition des mains, Jésus-Christ attirerait les bénédictions sur les enfants qu'ils lui présentaient. " Alors on lui présenta de petits enfants, afin qu'il les touchât. " — S. chrys. (hom. 63 sur S. Matth.) Les disciples repoussaient ceux qui présentaient ces enfants, par égard pour la dignité de Jésus-Christ. " Les disciples repoussaient par de rudes paroles ceux qui les lui présentaient. " Mais le Sauveur voulant enseigner à ses disciples à fuir toute pensée d'orgueil, et à fouler aux pieds toute hauteur mondaine, accueille ces petits enfants, et déclare que le royaume des cieux leur appartient : " Et il leur dit : Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les empêchez point, " etc. — orig. (Traité 1 sur S. Matth.) Si un disciple qui fait profession de la foi catholique, voit qu'on offre au Sauveur ceux que le monde considère comme des insensés, des hommes ignorés et misérables qui sont appelés pour cette raison de petits enfants, qu'il se garde bien de s'y opposer en accusant d'indiscrétion ceux qui veulent les présenter au Sauveur. Puis il exhorte ses disciples qui sont déjà des hommes faits à condescendre à tout ce qui peut être utile aux enfants, à se faire enfants avec les enfants pour les signer à Dieu, à l'exemple de celui qui étant Dieu lui-même, s'est humilié jusqu'à se faire enfant. " Car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. " — S. chrys. (hom. 62.) En effet, l'âme de l'enfant est libre de toute passion, et nous devons faire par le travail de la volonté ce qu'il fait eu suivant l'impulsion de la nature. — theophyl. Aussi ne dit-il pas : " Le royaume des cieux leur appartient, " mais " il appartient à ceux qui leur ressemblent, " c'est-à-dire, à ceux qui par des efforts constants parviennent à l'innocence et à la simplicité que les enfants ont par nature. L'enfant n'a point de haine, il agit sans malice, châtié par sa mère il revient près d'elle, il préfère aux vêtements des rois les habits grossiers dont elle le couvre ; ainsi, le chrétien docile aux inspirations de l'Eglise, sa mère, ne met rien au-dessus d'elle, pas même la volupté, cette reine, qui en asservit un si grand nombre. " Je vous le dis en vérité, ajoute le Sauveur, quiconque ne recevra point le royaume de Dieu, comme un petit enfant, n'y entrera point. " — bêde. C'est-à-dire, si vous n'avez point l'innocence et la pureté de cœur d'un enfant, vous ne pourrez entrer dans le royaume de Dieu. Dans une autre sens, Nôtre-Seigneur nous commande de recevoir comme un enfant le royaume de Dieu, c'est-à-dire, la doctrine de l'Evangile. Voyez l'enfant qui apprend, il ne contredit pas l'enseignement de ses maîtres, il ne cherche ni raison. ni discours pour leur résister, mais il reçoit avec docilité leurs leçons, et leur obéit avec respect. Ainsi devons-nous recevoir la parole de Dieu en lui obéissant avec simplicité et sans résistance.

" Et les ayant embrassés il les bénit en leur imposant les mains. " — S. chrys. Admirez comme il les embrasse pour les bénir ; il semble dans sa bonté vouloir ramener jusque dans son sein sa créature qui s'en était séparée dès le commencement par sa chute ; il impose les mains aux enfants, comme signe de l'action de la puissance divine. La coutume d'imposer les mains existait avant lui, mais jamais elle n'avait eu l'efficacité que le Sauveur lui communique. Car il était Dieu, mais comme homme, il se conformait aux actions extérieures en usage parmi les hommes. — bede. Il embrasse et bénit es enfants pour nous apprendre que c'est sur les humbles d'esprit qu'il se plaît à verser sa bénédiction, sa grâce et son amour.

 

Vv. 17-27.

bêde. Ce jeune homme avait entendu le Seigneur déclarer que ceux-là seuls seront dignes d'entrer dans le royaume des cieux, qui travaillent à ressembler aux petits enfants, il demande donc qu'on lui explique, non plus en paraboles, mais en termes précis quelles sont les œuvres méritoires de la vie éternelle. " Comme il sortait pour se mettre en chemin, une personne accourut, et se jetant à genoux devant lui, dit : Bon maître, que dois-je faire, je vous prie, pour acquérir la vie éternelle ? " — théophyl. J'admire ce jeune homme, qui, tandis que tous les autres ne viennent trouver le Seigneur que pour la guérison de leurs maladies, ne lui demande que la possession de la vie éternelle, malgré la pernicieuse passion de l'avarice qui, tout à l'heure, le jettera dans la tristesse.

S. chrys. (hom. 63.) Ce jeune homme interroge le Sauveur comme s'il n’était qu'un homme ordinaire et un des docteurs des Juifs ; aussi Jésus-Christ ne lui répond que comme un homme. " Jésus lui répondit : Pourquoi m'appelez-vous bon, il n'y a que Dieu seul qui soit bon. " En parlant de la sorte, il ne prétend pas que les hommes ne puissent être bons, mais que leur bonté est nulle en comparaison de celle de Dieu. — bede. Ce Dieu qui seul est bon, ce n'est pas seulement le Père, mais le Fils qui a dit de lui-même : " Je suis le bon Pasteur, " (Jn 10), et le Saint-Esprit, dont le Fils a dit : " Le Père enverra du haut des cieux le bon Esprit à ceux qui le demanderont. " (Lc 11) La Trinité une fit indivisible, le Père, le Fils, le Saint-Esprit, sont un seul et unique Dieu bon. Nôtre-Seigneur ne nie donc point qu'il soit bon, mais il indique qu'il est Dieu ; il ne nie pas qu'il soit bon maître, mais il affirme que sans Dieu, nul ne peut être bon maître. — theophyl. Nôtre-Seigneur, par ces paroles, voulait élever les pensées de ce jeune homme jusqu'à le reconnaître pour Dieu. Elles renferment encore une autre leçon, c'est, lorsque vous devez conférer avec une personne, de vous garder de toute flatterie, et de tenir les yeux fixés sur Dieu, racine et source de toute bonté, et de lui rendre l'honneur qui lui est dû.

bêde. La fidélité aux prescriptions de la loi donnait droit, non-seulement aux biens de la terre comme récompense, mais à la vie éternelle. Aussi, à ce jeune homme qui lui demande les conditions de la vie éternelle ; Jésus répond: " Vous connaissez les commandements : Vous ne commettrez point d'adultère, vous ne tuerez point, " etc. Voilà cette innocence de l'enfant que nous devons imiter si nous voulons entrer dans le royaume de Dieu. " Ce jeune homme lui répondit : Maître, j'ai observé toutes ces choses dès ma jeunesse. " Ne supposons pas, comme quelques-uns, que ce jeune homme ait voulu tenter le Seigneur, ou qu'il ait exagéré le mérite de sa vie. Non, quelques il a dit simplement ce qu'elle avait été, comme le prouve ce qui suit : " Jésus le regardant l'aima, " etc. Or, s'il eût été coupable de mensonge ou de dissimulation, comment Jésus, le scrutateur des cœurs, aurait-il pu l'aimer ? — orig. L'affection que Jésus témoigna à ce jeune homme par le baiser qu'il lui donna atteste la vérité de ce qu'il venait de dire de sa fidélité à garder tous les commandements. Jésus pénétrant dans son âme en vertu de sa science divine, vit que ce témoignage ne pouvait sortir que d'une bonne conscience.

S. chrys. Il n'est pas sans intérêt d'examiner comment Jésus a pu aimer un homme qui ne devait pas le suivre. Or, voici ce que l'on petit dire : quant à la première partie de sa vie où il avait observé toute la loi dès sa jeunesse, il était digne de l'amour du Sauveur; dans la seconde, il n'a point, il est vrai, embrassé la voie de la perfection, mais il n'a point mérité non plus de voir diminuer l'affection que Jésus lui avait témoignée. Il n'a point dépassé les limites de la faiblesse humaine en refusant de suivre Jésus-Christ, mais il ne s'est rendu coupable d'aucun crime, il a été fidèle observateur de la loi selon la mesure ordinaire, et c'est cette fidélité qui l'a rendu digne de l'amour de Jésus-Christ. — bêde. En effet, le Seigneur aime ceux qui accomplissent fidèlement les commandements de la loi, qui ne sont cependant que le moindre degré de la perfection, mais il ne laisse pas de montrer l'insuffisance de la loi pour ceux qui aspirent à la perfection, car il n'est pas venu détruire la loi, mais l'accomplir. " Et Jésus lui dit : II vous manque encore une chose : Allez, vendez toute ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et suivez moi. " Car tout homme qui veut être parfait, doit vendre ce qu'il possède, non pas en partie, comme Ananie et Sapphire, mais en totalité. — théophyl. Et lorsqu'il aura fait cette vente, il doit en distribuer le produit aux pauvres, et non pas aux histrions et aux débauchés.

S. chrys. (hom. 63 sur S. Matth.) Ce n'est pas sans dessein que Nôtre-Seigneur promet à ce jeune homme, non la vie éternelle, mais un trésor : " Et vous aurez un trésor dans le ciel. " Il vient de lui parler du renoncement aux richesses et à tout ce qu'il possède, il lui apprend que les récompenses promises à ceux qui auront pratiqué ce renoncement, seront aussi élevées au-dessus des biens qu'ils auront quittés, que le ciel l'est au-dessus de la terre. — théophyl. Mais comme parmi les pauvres, il en est qui sont dominés par l'orgueil, par l'intempérance, ou par quelque autre inclination vicieuse, Notre-Seigneur ajoute : " Puis venez et suivez-moi. " — bède. Suivre Notre-Seigneur, c'est l'imiter et marcher sur ses traces.

" Mais ce jeune homme, affligé de ces paroles, s'en alla tout triste. " — S. chrys. L'Evangéliste nous fait connaître la cause de sa tristesse : " Car il avait de grands biens. " En effet, les dispositions de notre cœur sont différentes suivant que nous avons beaucoup ou peu de biens ; ajouter sans cesse de nouvelles richesses à celles qu'on possède déjà, c'est développer dans son cœur l'ardeur de la convoitise.

" Alors Jésus jetant ses regards autour de lui, dit à ses disciples : Qu'il est difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le royaume des cieux ! " — theophyl. Il ne dit pas que les richesses soient mauvaises en elles-mêmes, mais ceux-là seuls sont mauvais qui ne les possèdent que pour les conserver. Cardans les desseins de Dieu, les richesses ne nous sont point données pour les garder et les conserver, mais pour les utiliser dans nos besoins et les faire servir à notre usage. — S. chrys. Or, Nôtre-Seigneur tient ce langage à ses disciples, qui étaient pauvres et dénués de tout, pour leur apprendre à ne pas rougir de leur pauvreté, et comme pour s'excuser à leurs yeux de l'indigence où il les laisse. " Et les disciples étaient tout étonnés de ce discours. " II est évident que pauvres qu'ils étaient, ils n'étaient affectés que ce qui intéressait le salut des autres.

bède. Cependant, il y a une grande différence entre la possession et l'amour des richesses ; aussi Salomon ne dit pas : " Celui qui possède, " mais " celui qui aime les richesses, n'en retirera aucun fruit. " (Qo 5, 9.) C'est pour la même raison que Jésus explique à ses disciples étonnés la sens de la maxime qu'il vient d'émettre : " Et Jésus ajouta : Mes petits enfants, qu'il est difficile à ceux qui mettent leur confiance dans les richesses d'entrer dans le royaume de Dieu ! " Remarquez qu'il ne dit pas : Qu'il est impossible ! mais " qu'il est difficile ! " Car ce qui est impossible ne peut se faire en aucune façon, tandis que par de grands efforts, on peut triompher de toute difficulté. — S. chrys. Ou peut dire aussi que cette difficulté est ici une véritable impossibilité ; une impossibilité qui n'est pas ordinaire et dont il fait ressortir la grandeur par la comparaison suivante : " II est plus aisé qu'un chameau passe par le chas d'une aiguille, qu'il ne l'est à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. " —théophyl. Par chameau, il faut entendre, ou l'animal qui porte ce nom, ou ce gros câble dont on fait usage pour les grands navires. — bède. Comment donc voyons-nous, soit dans l'Evangile, Matthieu, Zachée, Joseph d'Arimathie ; soit dans l'Ancien Testament, un si grand nombre de riches qui ont entré dans le royaume de Dieu ? C'est que l'inspiration divine leur avait appris à compter pour rien leurs richesses, ou même à les abandonner entièrement. Dans un sens plus élevé, il est plus facile à Jésus-Christ de souffrir pour ses amis, qu'aux amateurs du siècle de se convertir à Jésus-Christ. C'est lui que nous devons voir sous l'emblème de ce chameau, parce qu'il a voulu porter sur lui le fardeau de nos péchés. L'aiguille signifie les traits perçants, c'est-à-dire, les douleurs aiguës de sa passion. Le trou de cette aiguille, ce sont les angoisses de sa passion dont il s'est servi pour remettre à neuf les vêtements usés de notre vieille nature : " Ils furent remplis d'un étonnement beaucoup plus grand, et ils se disaient l'un à l'autre : Qui peut donc être sauvé ? " Comme le nombre des pauvres qui peuvent être sauvés est incomparablement plus grand que celui des riches qui se perdent, il est évident que dans la pensée des Apôtres, il faut mettre au nombre des riches, tous ceux qui aiment les richesses, bien qu'ils ne puissent les acquérir. " Mais Jésus les regardant leur dit : Cela est impossible aux hommes, mais non pas à Dieu. " Ce qui ne veut pas dire que les avares et les orgueilleux puissent entrer dans le royaume des deux avec leur avarice et leur orgueil ; mais Dieu peut les convertir de la cupidité et de l'orgueil, à la charité et à l'humilité chrétienne.

S. chrys. (hom. 63.) C'est là vraiment, suivant le Sauveur, l'œuvre de Dieu, c'est-à-dire que celui que Dieu appelle à cette vocation, a besoin d'un secours extraordinaire de la grâce. D'où nous pouvons conclure combien grande sera la récompense des riches qui auront consenti à suivre la divine sagesse de Jésus-Christ.

théophyl. On peut encore donner un autre sens à ces paroles : " Cela est impossible aux hommes, mais non pas à Dieu. " C'est-à-dire que ce qui nous est impossible lorsque nos pensées sont toutes terrestres, nous devient possible lorsque nous écoutons Dieu. " Car toutes choses sont possibles à Dieu. " Toutes choses, c'est-à-dire tous les êtres, car le péché n'est pas un être, il n'a ni nature ni substance. Ou bien encore, le péché est le résultat non de la force, mais de la faiblesse, et il est impossible à Dieu aussi bien que la faiblisse. Mais Dieu peut-il donc faire que ce qui a été fait ne l'ait pas été ? Je réponds que Dieu est la vérité ; or, il est contraire à la vérité de faire que ce qui a été n'ait pas existé. Or, comment la vérité pourrait-elle agir contre la vérité ? Il faudrait, comme le disent quelques-uns, qu'elle commençât par détruire sa propre nature. Mais Dieu peut-il cesser d'être Dieu ? C'est une absurdité de le penser.

 

Vv. 28-31.

la glose. Comme ce jeune homme était parti tout triste du conseil que le Sauveur lui avait donné d'abandonner tousses biens, les disciples de Jésus, qui avaient déjà mis ce conseil en pratique, s'empressent de l'interroger sur la récompense réservée à un sacrifice qu'ils regardent comme héroïque, puisque ce jeune homme qui avait accompli tous les préceptes de la loi, n'avait pu sans une grande tristesse entendre une doctrine aussi parfaite. Pierre interroge donc le Seigneur pour lui et au nom des autres disciples : "Alors Pierre, prenant la parole, lui dit : Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre." — théophyl. Pierre a quitté bien peu de chose, et cependant il dit : " Nous avons tout quitté, " car il faut peu de chose pour nous rendre esclaves de la cupidité ; aussi on est heureux quand on a su le sacrifier.

bede. Mais il ne suffit pas de tout abandonner ; aussi Pierre ajoute, ce qui est le caractère de la perfection : " Et nous vous avons suivi, " c'est-à-dire : Nous avons fait ce que vous nous avez commandé, quelle sera noire récompense ? La question de Pierre n'avait pour objet que les disciples, la réponse du Sauveur est générale : " Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, nul, " etc. Il ne veut pas ici nous engager à abandonner nos parents, sans les assister; ni à nous séparer de nos épouses ; il nous apprend simplement à préférer l'honneur de Dieu à tous les intérêts du siècle. — S. chrys. (hom. 64 sur S. Matth.) Nôtre-Seigneur me paraît avoir voulu prédire indirectement les persécutions futures où l'on devait voir un grand nombre de parents entraîner leurs enfants dans l'impiété, et beaucoup de femmes leurs maris. Ces expressions : " Pour mon nom " ou " pour l'Evangile, " comme nous lisons dans saint Marc, ou " pour le royaume de Dieu, " suivant la variante de saint Luc, sont synonymes, car le nom de Jésus-Christ est la vertu de l'Evangile et du royaume de Dieu. L'Evangile est reçu au nom de Jésus-Christ, et c'est par son nom qu'on arrive à la connaissance et à la possession du royaume de Dieu.

bede. Quelques-uns, à l'occasion de cette promesse : " Il recevra le centuple dès cette vie, " ont imaginé par une interprétation judaïque cette fable de mille ans accordée aux justes après la résurrection, où Dieu devait leur rendre le centuple de ce qu'ils avaient quitté pour Dieu, et leur donner ensuite la vie éternelle. Ils ne voient pas que si cette promesse peut s'accomplir sans inconvenance pour tous les autres objets, elle a quelque chose de honteux en ce qui concerne les femmes qui seraient rendues au centuple, d'après les autres Evangélistes, d'autant plus que le Seigneur nous déclare expressément qu'après la résurrection il n'y aura plus de mariage, et qu'il nous assure que les récompenses des sacrifices accomplis pour lui plaire, seront ici-bas mêlées de persécutions. Or, ils ont soin de bannir toute persécution des mille ans qu'il ont imaginés. — S. chrys. Cette récompense au centuple doit donc s'entendre de la communication et non de la possession, et le Seigneur a accompli cette promesse d'une manière bien supérieure au sens matériel. — theophyl. Dans une maison, une seule épouse s'occupe de la nourriture et du vêtement de son mari. Mais voyez les Apôtres, un certain nombre de femmes pourvoyaient à leur nourriture et à leurs vêtements, et les servaient. (1 Co 9) Ils eurent aussi autant de pères, autant de mères qu'il y avait de fidèles qui les aimaient. Pierre lui-même n'avait quitté qu'une seule maison, et les maisons de tous les fidèles étaient à sa disposition. Et ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que les saints jouiront de ce centuple jusqu'au milieu des persécutions qu'ils auront à souffrir. Aussi le Sauveur ajoute : " Les premiers seront les derniers, et les derniers les premiers. " Les pharisiens, qui étaient les premiers, sont devenus les derniers. Ceux, au contraire, qui ont tout abandonné pour suivre Jésus-Christ, ont été il est vrai les derniers en ce monde, si l'on considère leurs épreuves et leurs afflictions ; mais ils seront les premiers par leur espérance en Dieu.

bede. Ou peut entendre dans un sens plus élevé ces paroles : " II recevra au centuple. " Le nombre cent qui s'exprime en passant de la droite à la gauche, a pour signe caractéristique la même inflexion de doigts qui dans la main gauche désigne le nombre dix ; cependant il lui est de beaucoup supérieur en quantité. C'est ainsi que tous ceux qui ont méprisé les biens de ce monde pour le royaume de Dieu goûtent avec une foi ferme (He 11) les joies de ce royaume jusque dans cette vie pleine de persécutions, et dans l'attente de la céleste patrie, figurée par la droite, ils jouissent par avance de la félicité des élus. Le Sauveur ajoute : " Et plusieurs qui étaient les premiers seront les derniers, et plusieurs qui étaient les derniers seront les premiers. " Tous les jours, en effet, nous voyons de simples fidèles donner l'exemple des plus éminentes vertus ; et d'autres, pleins de ferveur au début de leur conversion, tomber dans la tiédeur, et, cédant à une paresse insensée, finir par la chair après avoir commencé par l'esprit.

 

Vv. 32-34.

bède. Les disciples n'avaient pas oublié la prédiction que le Seigneur leur avait faite, de ce qu'il devait souffrir de la part des princes, des prêtres et des scribes ; aussi n'était-ce qu'avec un sentiment de crainte qu'ils prenaient le chemin de Jérusalem : " Or, ils étaient en chemin pour aller à Jérusalem et Jésus marchait devant eux. "— théophyl. Il veut nous montrer qu'il court au-devant de sa passion et qu'il ne refuse pas de souffrir la mort pour notre salut. " Et ils le suivaient, remplis d'étonnement et de crainte. " — bêde. Ils craignaient de partager la mort qui l'attendait, ou du moins ils redoutaient de voir succomber sous les efforts de ses ennemis celui dont la présence et les divines leçons faisaient toute leur joie. Or, le Seigneur, prévoyant le trouble que le spectacle de sa passion devait jeter dans l'âme de ses disciples, leur prédit à la fois les tourments de sa passion et la gloire de sa résurrection. " Et Jésus, de nouveau, prenant à part les douze, commença à leur dire, " etc. — theophyl. Il veut affermir le cœur de ses disciples qui, ainsi prévenus, devaient supporter plus facilement cette épreuve et ne pas s'en effrayer outre mesure, comme d'un malheur inattendu. Il veut encore les convaincre que sa mort est volontaire ; car celui qui prévoit sa mort, qui peut la fuir et ne la fuit pas, montre, avec évidence que c'est volontairement qu'il se livre à la mort. Il prend à part ses disciples, car il était juste que ce fût à ses amis les plus intimes qu'il révélât le mystère de sa Passion.

S. chrys. (hom. 63.) Il leur prédit en détail toutes les circonstances de sa passion pour prévenir le trouble soudain qui se serait emparé d'eux à la vue d'une épreuve nouvelle qu'il ne leur aurait point fait connaître. " Voici que nous allons à Jérusalem et le Fils de l'homme, " etc. — la glose. " Le Fils de l'homme, " car c'est lui seul qui doit souffrir, la divinité est inaccessible aux souffrances. " Il sera livré (par Judas) aux princes des prêtres, aux scribes et aux anciens, et ils le condamneront à mort (le déclarant juridiquement digne de mort), et ils le livreront aux Gentils " (à Pilate, idolâtre). " Et ils l'insulteront " (les soldats de Pilate) ; " ils le couvriront de crachats, ils le flagelleront, et ils le mettront à mort. " — S. chrys. (comme précéd.) Pour adoucir la douleur qu'ils éprouveront de sa passion et de sa mort par l'espérance de sa résurrection, il ajoute : " Et il ressuscitera le troisième jour. " II ne leur avait pas caché le mystère de ses douleurs et de ses opprobres ; c'était pour eux un motif d'ajouter foi aux autres prédictions qu'il leur faisait.

 

Vv. 35-40.

S. chrys. Les disciples, qui avaient souvent entendu Jésus leur parler de son royaume, pensaient que l'établissement de ce royaume aurait lieu avant sa mort. Or, comme il vient de leur annoncer celle mort comme prochaine, il s'empressent de solliciter de lui les honneurs de son royaume. " Alors Jacques et Jean s'approchèrent de lui, " etc. Ils rougissent, ce semble, de céder à une inspiration toute humaine, et ils s'approchent de Jésus-Christ pour le tirer à l'écart, loin des autres disciples. Le Sauveur, connaissait bien leurs intentions, mais voulant les amener à formuler leur demande, leur fait cette question : " Que voulez-vous que je fasse pour vous ? " — théophyl. Ces deux disciples s'imaginaient qu'il allait à Jérusalem pour y établir son royaume, avant de souffrir la mort qu'il venait de prédire, et dans cette pensée ils désiraient d'être assis l'un à droite, l'autre à gauche de son trône : " Et ils lui dirent : Accordez-nous que nous soyons assis dans votre gloire, l'un à votre droite, l'autre à votre gauche." — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 64.) D'après saint Matthieu, ce ne sont point les deux disciples eux-mêmes qui formulent cette demande, mais leur mère qui exprime au Sauveur le désir de ses enfants ; voilà pourquoi saint Marc, dans son récit abrégé, leur attribue plutôt cette démarche. — S. chrys. (hom. 65.) On peut dire avec autant de vraisemblance que ce désir fut exprimé à la fois par la mère et les enfants ; ces deux disciples se voyant honorés plus particulièrement par Jésus, espéraient obtenir l'effet de leur demande, et pour en assurer le succès, ils se font accompagner de leur mère.

S. aug. (De l'accord des Evang., 2, 64.) Aussi, dans le récit de saint Matthieu comme dans celui de saint Marc, c'est à eux plutôt qu'à leur mère que s'adresse la réponse du Sauveur : " Jésus leur répondit : Vous ne savez ce que vous demandez. " — theophyl. C'est-à-dire : II n'en est pas comme vous le pensez ; ce n'est point un royaume temporel que je dois établir à Jérusalem ; tout ce qui a rapport à ce royaume surpasse toute intelligence, et l'honneur d'être assis à ma droite est si élevé, qu'il est au-dessus même des prérogatives des anges. — bêde. Ou bien ils ne savent ce qu'ils demandent, en sollicitant du Sauveur un honneur qu'ils n'ont pas encore mérité. — S. chrys. (hom. 65.) Un bien encore : " Vous ne savez ce que vous demandez, " c'est-à-dire : Vous parlez d'honneurs et de dignités, lorsque je ne vous entretiens que de combats et de fatigues. Ce n'est point ici le temps des récompenses, mais celui du sacrifice, des combats et des dangers ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Pouvez-vous boire le calice ? " etc. Il emploie cette forme interrogative pour exciter dans leurs cœurs un plus vif désir de participer à ses souffrances.

théophyl. C'est sa croix qu'il appelle un calice et un baptême ; un calice, parce qu'elle est pour lui un breuvage qu'il accepte avec joie ; un baptême, car c'est par elle que nous sommes purifiés de nos fautes. Les disciples lui répondirent sans comprendre le sens de ses paroles : " Ils lui répondirent : Nous le pouvons. " Ils s'imaginaient qu'il n'était question que d'une coupe ordinaire et de purifications en usage chez les Juifs, et qui précédaient les repas.—S. chrys. (hom. 65.) Ils se hâtent de répondre, persuadés que leur demande va être exaucée. " Mais Jésus leur dit : Vous boirez en effet le calice que je boirai, " etc., c'est-à-dire vous serez jugés dignes de la gloire du martyre, et d'être associés à mes souffrances.

bède. Comment Jacques et Jean ont-ils bu la coupe du martyre, comment ont-ils été baptisés du baptême du Seigneur, puisque d'après le livre des Actes, l'apôtre saint Jacques fut seul décapité par Hérode, tandis que saint Jean mourut de sa mort naturelle ? Si nous lisons l'histoire ecclésiastique, nous y verrons que Jean souffrit le martyre lorsqu'il fut plongé dans une chaudière d'huile bouillante et puis exilé ensuite dans l'île de Pathmos. Jean a donc eu l'esprit du martyre, et il en a bu la coupe (comme les trois enfants dans la fournaise), bien que son sang n'ait pas été répandu par les bourreaux.

" Mais d'être assis à ma droite, " etc. — S. chrys. (hom. 65.) On peut faire ici deux questions : premièrement, est-il dans le ciel une place préparée pour quelqu'un à la droite du Sauveur ? secondement, le souverain Seigneur de toutes choses a-t-il le pouvoir d'accorder cette place à ceux à qui elle a été préparée ? Je réponds à la première question, que personne dans le ciel n'est assis, soit à la droite, soit à la gauche de Jésus-Christ, son trône est inaccessible à toute créature ; comment donc expliquer ces paroles : " D'être assis à ma droite ou à ma gauche, ce n'est pas à moi de vous l'accorder, " comme si quelques-uns devaient occuper ces places ? Nôtre-Seigneur répond ici à la pensée de ceux qui lui font cette question, et condescend au sentiment qui l'a dictée. Les disciples ne connaissaient pas ce trône élevé, ce siège à la droite du Père ; ils ne demandaient qu'une chose : c'était l'autorité même et la prééminence sur les autres Apôtres. Ils avaient entendu de la bouche même du Sauveur que les Apôtres seraient assis sur douze sièges ; ils ne savent ce que signifie cette promesse, ce qu'ils demandent, c'est d'être élevés au-dessus des autres. Quant à la seconde question, je réponds qu'une si grande faveur ne dépasse point le pouvoir du Fils de Dieu. Ces paroles de saint Matthieu : " Ceux à qui mon Père l'a préparé, " ont le même sens que ces autres : " A qui je l'ai préparé. " Aussi saint Marc s'est contenté de dire ici : " ceux à qui ces places ont été préparées. " Voici donc le sens des paroles du Sauveur : Vous donnerez votre vie pour moi, mais ce n'est pas assez pour obtenir les premières places. Si un autre, martyr comme vous se présente avec une moisson de vertus supérieure à la vôtre ; il obtiendra des récompenses beaucoup plus grandes. Les premières places sont réservées à ceux que leurs œuvres placent au premier rang. Par cette réponse, le Seigneur ne veut pas les contrister, mais il leur apprend à cesser toutes ces vaines et inutiles questions sur la préséance. — bède. Ou bien encore, il ne m'appartient point de vous accorder cette première place, c'est-à-dire de l'accorder aux superbes, car ils l'étaient encore. C'est pour d'autres qu'elle a été préparée, soyez tout autres que vous n'êtes, c'est-à-dire soyez humbles et cet honneur vous est assuré.

 

Vv. 41-45.

théophyl. Cette prétention des fils de Zébédée à des honneurs privilégiés, irrite les autres Apôtres. " Et les dix autres, entendant cela, s'indignèrent contre Jacques et Jean. " Ils étaient encore assujettis aux faiblesses de l'humanité, et cédaient aux inspirations de l'envie ; mais ils ne manifestent leur indignation que lorsqu'ils virent la demande des deux disciples rejetée par le Seigneur. Jusque là ils avaient comprimé ces sentiments, parce qu'ils voyaient que Jacques et Jean étaient de la part du Sauveur l'objet d'une distinction spéciale. Telles étaient alors les dispositions imparfaites des Apôtres ; plus tard nous les verrons se céder mutuellement les premières places. Or, le Seigneur applique un double remède à la plaie de leur âme : premièrement, il les appelle près de lui pour les consoler : " Jésus les appela, " dit l'Evangéliste ; secondement, il leur enseigne que cette convoitise d'honneurs, ce désir des premières places est le propre des païens : " Vous savez que ceux qui paraissent les chefs des nations leur commandent en maîtres, et que les grands exercent sur elles l'empire. " En effet, chez les païens, les rois exercent l'autorité d'une manière absolue et tyrannique : " Il n'en sera pas ainsi parmi vous. " — bède. Il leur apprend que pour devenir le plus grand, il faut commencer par être le plus petit, et qu'on ne devient le maître de tous qu'en se rendant leur serviteur. C'est donc inutilement que les uns ont manifesté des prétentions exagérées, et que les autres se sont indignés contre ces désirs ambitieux, puisque c'est l'humilité et non les honneurs et la puissance qui conduit à la perfection des vertus. Puis il leur propose un exemple capable de les faire rougir, si ses paroles ont fait peu d'impression sur eux : " Car le Fils de l'homme même n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption d'un grand nombre. " —théophyi. Ce qui est beaucoup plus que de servir. En effet, que peut-on concevoir de plus grand, de plus admirable, que de donner sa vie pour celui dont on s'est fait le serviteur ? Et cependant cette servitude volontaire, cet excès d'humiliation est devenu le principe de la gloire, non seulement du Sauveur, mais de tous les hommes. Avant qu'il se fit homme, il n'était connu que des anges ; après son incarnation, après sa mort sur la croix , non-seulement il a été couvert lui-même de gloire, mais il nous a rendu participants de cette gloire, et a régné en maître par la foi sur tout l'univers. — bède. Il ne dit pas : " II a donné sa vie pour la rédemption de tous, mais pour la rédemption d'un grand nombre ; c'est-à-dire de ceux qui consentiront à croire en lui.

 

Vv. 46-52.

S. jér. " Et ils vinrent ensuite à Jéricho. " Le nom de Jéricho a un rapport remarquable avec la passion qui approche ; il signifie lune ou anathème. En effet, la défaillance de la chair de Jésus-Christ est la préparation pour entrer dans la Jérusalem céleste.

" Et lorsqu'il sortait de Jéricho, un aveugle, " etc. — bède. Saint Matthieu nous parle de deux aveugles assis sur le bord du chemin, et qui obtinrent du Seigneur la guérison qu'ils demandaient à grands cris. Saint Luc, au contraire, ne parle que d'un seul aveugle qui recouvra la vue dans les mêmes circonstances, à la porte de Jéricho. Personne, pour peu qu'on réfléchisse, n'en conclura qu'il y a contradiction entre les Evangélistes, mais tout simplement que le récit de l'un est plus développé que la narration de l'autre. Ce qui paraît ici certain, c'est que l'un de ces deux aveugles avait plus de notoriété que l'autre, comme nous le fait supposer saint Marc en nous faisant connaître son nom et celui de son père. — S. aug. (De l'accord des Evang., 2, 65.) La raison pour laquelle saint Marc ne parle que de cet aveugle, c'est que sa guérison a donné au miracle autant d'éclat et de renommée qu'en avait son infirmité. Quant à la guérison rapportée par saint Luc, elle a eu lieu dans des circonstances semblables ; cependant c'est un autre aveugle qui fut l'objet de ce miracle.

" Ayant appris que c'était Jésus de Nazareth, " etc. — S. chrys. Cet aveugle appelle le Seigneur " Fils de David , " parce qu'il entend les louanges de la foule qui passe, et qu'il acquiert ainsi la certitude que le Sauveur vient accomplir les oracles et l'attente des prophètes.

" Et plusieurs le reprenaient rudement pour le faire taire."— orig. (Traité 13 sur S. Matth.) Tel est le sens de ces paroles : Les premiers qui avaient cru en Jésus-Christ le reprenaient de ce qu'il appelait Jésus " Fils de David ; " ils voulaient qu'il se tût, ou qu'au lieu de donner au Sauveur un nom peu digne de lui, il lui criât : " Fils de Dieu, ayez pitié de moi. " Mais cet aveugle n'obéit point à leurs reproches : " II criait encore plus haut, " etc. Le Seigneur entend il ses cris. Alors Jésus s'arrêtant, ordonna qu'on le fît venir. " Remarquez combien l'aveugle dont parle saint Luc est inférieur à celui-ci : Jésus ne l'appelle pas lui-même, comme saint Matthieu le rapporte ; il n'ordonne pas qu'on le fasse venir, comme nous le voyons ici ; mais il ordonne qu'on le lui amène comme étant incapable de venir à lui-même. L'aveugle, au contraire, dont il est ici question, est appelé par l'ordre du Sauveur : " Et ils l'appelèrent en lui disant : Ayez confiance, levez-vous, il vous appelle. Celui-ci, rejetant son manteau, s'élança et vint à Jésus. " Le vêtement de cet aveugle, de ce mendiant signifie peut-être la pauvreté et l'indigence dont il était comme enveloppé ; il s'en débarrasse pour venir à Jésus, et lorsqu'il est près de lui, le Sauveur l'interroge et lui dit : " Que voulez-vous que je vous fasse ? " — béde. Celui qui avait la puissance de lui rendre la vue pouvait-il ignorer le désir de cet aveugle ? S'il l'interroge, c'est donc pour que cet aveugle demande sa guérison ; c'est pour faire naître dans son cœur une prière fervente. — S. chrys. (hom. 66) Ou bien il lui fait cette question pour ne point lui donner lieu de penser qu'il lui accorderait autre chose que ce qu'il désirait recevoir. En effet, le Sauveur avait coutume de faire exprimer devant tous ceux qui étaient présents le désir de ceux qui sollicitaient leur guérison, avant de la leur accorder. Il voulait tout à la fois exciter la foi de ceux qui en étaient les témoins, et montrer qu'il n'accordait cette grâce qu'à ceux qui en étaient dignes.

" L'aveugle lui répondit : Seigneur, faites que je voie. " Cet aveugle n'a qu'un désir, celui de voir la lumière, car quels que soient les autres biens qu'il puisse posséder, sans la lumière, il lui est impossible de les voir. — S. jér. Jésus voyant la ferveur de sa demande, s'empresse de la récompenser en l'exauçant pleinement. — orig. (Traité 13 sur S. Matth.) Le titre de Maître ou de Seigneur qu'on lit dans les autres Evangélistes, est plus digne que celui de Fils de David. Aussi le Sauveur, qui ne l'a point exaucé, tant qu'il a dit : " Fils de David, " le guérit aussitôt qu'il l'appelle : " Maître. " " Et Jésus lui dit : Allez, votre foi vous a sauvé. Et il vit au même instant, et il suivait Jésus dans le chemin. " — théophyl. Cet aveugle témoigne sa reconnaissance à Jésus qui vient de le guérir, en suivant son bienfaiteur et en s'attachant à ses pas.

bède. Dans le sens mystique, Jéricho, dont le nom veut dire lune, représente les défaillances de notre mutabilité naturelle. C'est en approchant de Jéricho, que Nôtre-Seigneur rend la vue à cet aveugle, parce que c'est en paraissant revêtu d'une chair mortelle et aux approches de sa passion, qu'il amène un grand nombre d'âmes à la lumière de la foi. En effet, ce n'est pas dans les premières années de son incarnation, mais dans les années qui ont précédé immédiatement sa mort, qu'il a révélé au monde le mystère du Verbe incarné. — S. jér. L'aveuglement où est tombé une partie du peuple juif, fera place à la lumière, lorsqu'à la fin du monde, Nôtre-Seigneur leur enverra le prophète Elie (Ml 4, 5). — bède. Avant d'entrer dans Jéricho, Jésus rend la vue à un seul aveugle, et en sortant de cette ville il en guérit deux, c'est-à-dire, qu'avant sa passion il n'a prêché son Evangile qu'au seul peuple juif, tandis qu'après sa résurrection et son ascension, il a révélé par ses Apôtres aux Juifs et aux gentils, les secrets de sa divinité et de son humanité. Saint Marc, qui ne rapporte la guérison que d'un seul aveugle, a en vue le salut des gentils, et présente à ceux qu'il instruisait des mystères de la foi, une figure spéciale de leur conversion. Saint Matthieu, au contraire, dont l'Evangile écrit pour les Hébreux convertis à la foi, devait cependant parvenir ensuite aux gentils, rapporte la guérison de deux aveugles, pour nous apprendre que les deux peuples participeraient un jour à la même grâce de la foi. Au moment où Notre-Seigneur sort de Jéricho, accompagné de ses disciples et d'une grande multitude, un aveugle se trouve assis sur le bord du chemin pour demander l'aumône ; cet aveugle est la figure du peuple des gentils qui commence à concevoir l'espérance de recouvrer la lumière, lorsque le Sauveur monte aux cieux, suivi d'une foule innombrable de fidèles, et de tous les élus, depuis le commencement du monde, qui entrèrent avec lui dans le royaume des cieux. Cet aveugle mendie sur le bord de la route, parce que le peuple des gentils n'était pas encore entré dans la vérité, et faisait simplement des efforts pour y parvenir. — S. jér. Le peuple juif, qui conserve les Ecritures sans les accomplir, est aussi figuré par ce mendiant du chemin, qui souffre de la faim. Il crie : " Fils de David, ayez pitié de moi, " parce que c'est par les mérites des patriarches, que le peuple juif peut obtenir la grâce de la lumière. Des menaces multipliées lui imposent silence ; ce sont les péchés et les démons qui étouffent le cri du pauvre ; mais cet aveugle redouble ses cris, car plus la lutte devient violente, plus aussi il faut lever les mains avec de grands cris vers la pierre du secours (Ex 17, 11 ; 1 R 4), c'est-à-dire, vers Jésus de Nazareth.

bède. Dès que le peuple des gentils eut appris la célébrité du nom de Jésus-Christ, il cherche à participer à ses grâces, malgré les oppositions nombreuses d'abord des Juifs, puis des gentils eux-mêmes, qui ne voulaient pas que le monde rendu à la lumière invoquât le nom de Jésus Christ ; cependant leurs violentes attaques ne purent priver de la grâce du salut ceux qui étaient prédestinés à la vie. C'est en passant que Jésus entend les cris de cet aveugle ; car si c'est par la puissance de sa divinité qu'il chasse les ténèbres de notre âme, c'est par son humanité qu'il a compassion de nous. La naissance, la mort de Jésus sont comme un passage, ce sont des actions accomplies dans le temps, mais se tenir debout signifie pour Dieu, ordonner d'une manière immuable. Le Seigneur appelle à lui cet aveugle qui crie, lorsqu'il charge les prédicateurs de porter aux gentils la parole de la foi. Ceux-ci appellent l'aveugle, l'excitent à la confiance, lui commandent de se lever et de venir trouver le Seigneur, lorsqu'en instruisant les ignorants, ils font naître dans leur âme l'espérance du salut, les font sortir de la fange des vices, et leur commandent de se préparer aux combats de la vertu. L'aveugle jette son manteau et s'élance vers Jésus, figure de celui qui se débarrasse de tous les liens du monde, et qui s'empresse de marcher d'un pas libre vers la source de la lumière éternelle.

S. jer. Le peuple juif, après s'être dépouillé du vieil homme, accourt aussi comme un faon qui bondit sur les montagnes. Il secoue sa négligence, jette les regards sur les hauteurs où se trouvent les patriarches, les prophètes, les Apôtres, et s'élance à leur suite vers les choses du ciel. Tel est l'ordre habituel du salut : nous écoutons d'abord la parole des prophètes, nous faisons entendre le cri de la foi, nous sommes appelés par les Apôtres, nous nous levons par la pénitence, nous nous dépouillons par le baptême, nous sommes interrogés pour faire connaître notre volonté. L'aveugle à qui Jésus demande ce qu'il désire, répond qu'il veut voir la volonté du Seigneur.

bède. Imitons cet aveugle, ne demandons à Dieu ni les richesse, ni les biens de la terre, ni les honneurs, mais demandons à voir cette lumière que nous avons le privilège de ne contempler qu'avec les anges. C'est la foi qui nous conduit à cette lumière, aussi le Sauveur répond à cet aveugle : " Votre foi vous a sauvé. " II voit et se met à la suite de Jésus, c'est-à-dire, qu'il fait le bien qu'il lui est donné de comprendre ; car suivre Jésus, c'est pratiquer le bien que l'intelligence perçoit, c'est imiter celui qui, aux félicités de ce monde, a préféré les ignominies et les opprobres. Il nous apprend ainsi que ce sont les amertumes qui ramèneront dans notre âme la joie intérieure que la poursuite des biens de la terre nous a fait perdre. — théophyl. L’Evangéliste nous dit que cet aveugle suivit Jésus dans le chemin, c'est-à-dire, dans cette vie, car une fois la mort venue, Jésus exclut de sa société tous ceux qui ne l'ont pas suivi ici-bas en pratiquant ses commandements. — S. jér. Ou bien encore, cette voie, c'est celle qui a dit: " Je suis la vérité et la vie, " voie étroite qui conduit sur les hauteurs escarpées de Jérusalem et de Béthanie, et sur le mont des Oliviers, qui est la montagne de la lumière et de la consolation.

 

CHAPITRE XI

 

Vv. 1-11.

S. chrys. (hom. 66 sur S. Matth.) Après avoir donné des preuves suffisantes de sa puissance divine, et alors que sa croix se dressait devant ses yeux, le Sauveur donne à toutes ses actions un caractère de publicité plus grande qui devait redoubler la fureur de ses ennemis. Bien des fois il s'était rendu à Jérusalem, mais jamais avec l'éclat dont il environne aujourd'hui son entrée dans cette ville. — théophyl. Ses ennemis, s'ils le veulent, pourront reconnaître sa gloire, et par l'accomplissement des prophéties dont il est l'objet, apprendre qu'il est le vrai Dieu ; s'ils s'y refusent, leur incrédulité malgré tant de prodiges éclatants, leur attirera un jugement bien plus redoutable. C'est cette entrée triomphale que l'Evangéliste décrit en ces termes : " Lorsqu'ils approchaient de Jérusalem et de Béthanie, " etc. — béde. Béthanie est une bourgade ou une petite ville bâtie sur le flanc de la montagne des Oliviers, et c'est là qu'eut lieu la résurrection de Lazare. L'Evangéliste nous apprend comment et pourquoi le Sauveur envoya ses disciples : " Et il leur dit : Allez à ce village, " etc. — théophyl. Voyez que de circonstances particulières dans cette prédiction : ils trouveront un ânon. " A l'entrée du village, vous trouverez, " etc. On voudra leur défendre de le détacher : " Et si quelqu'un vous dit : Que faites-vous ? dites-lui, " etc., on les laissera libres alors de l'emmener : " Et aussitôt il le laissera, " etc. Et toutes ces choses arrivèrent comme il l'avait prédit : " Et s'en étant allés, ils trouvèrent l'ânon qui était attaché dehors, auprès d'une porte, entre deux chemins, et ils le délièrent. " — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 66.) Saint Matthieu parle d'une ânesse et de son ânon, les autres Evangélistes ne disent rien de l'ânesse. Il n'y a ici aucune contradiction, dès lors qu'on peut admettre les deux circonstances de ce fait ; quand même chacun des Evangélistes n'en rapporterait qu'une des deux. A plus forte raison n'y a-t-il aucune difficulté, lorsqu'un Evangéliste rapporte une circonstance, et que l'autre les raconte toutes deux.

" Quelques-uns de ceux qui étaient là leur dirent : Que faites vous ? pourquoi déliez-vous cet ânon ? Ils leur répondirent comme Jésus le leur avait ordonné, et ces gens le leur laissèrent emmener, " c'est-à-dire, l'ânon.—théophyl. Ces hommes, habitants de la campagne et occupés aux travaux des champs, n'auraient certainement pas donné cette permission, si une influence divine ne les eût dirigés, et comme forcés de laisser aller cet ânon.

" Ils amenèrent donc l'ânon à Jésus, ils le couvrirent de leurs vêtements, et il monta dessus. " — S. chrys. (hom. 66.) Nôtre-Seigneur n'avait pas besoin, sans doute, de monter sur cet ânon pour aller du mont des Oliviers à Jérusalem, puisqu'il avait bien parcouru à pied la Judée et toute la Galilée ; cette action était donc figurative. " Un grand nombre étendaient leurs vêtements le long de la route. " — S. jér. Sous les pieds de l'ânon ; " d'autres coupaient des branches d'arbres et en jonchaient le chemin, " beaucoup plus pour la décoration de la route et comme symbole que par nécessité. " Et ceux qui marchaient devant, et ceux qui suivaient, criaient : Hosanna ! " etc. Tant que le peuple ne fut point corrompu, il eut le sentiment de ce qu'il devait faire ; il honore Jésus suivant la mesure de son pouvoir, et pour le louer, il emprunte l'hymne de David et chante Hosanna! ce qui, selon quelques-uns, signifie : Sauvez-moi; selon d'autres : Hymne. Le premier sens me paraît plus vraisemblable, car on lit dans le psaume 117 : " O Seigneur, sauvez-moi ! " en hébreu : Hosanna. — bède. Hosanna est un mot hébreu, composé de deux autres mots, l'un entier, l'autre altéré. Sauvez-moi, se dit en hébreu, hosi le mot anna est comme l'interjection delà prière ; interjection qui répond à l'interjection latine, hélas ! — S. jér. Ils crient hosanna, c'est-à-dire, sauvez-moi, pour lui demander que les hommes soient sauvés par ce Sauveur béni, par ce vainqueur, qui vient au nom du Seigneur (c'est-à-dire, de son Père), car c'est du Père que le Fils prend son nom, comme c'est du Fils que le Père reçoit le sien.

S. chrys. Ils rendent donc gloire à Dieu, en s'écriant : " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! " Ils bénissent aussi le royaume de Jésus-Christ ; en ajoutant : Béni soit le règne de notre Père David qui va commencer ! — théophyl. Le royaume de David, dans leur pensée, était le royaume du Christ, parce que le Christ descendait de la race de David, et aussi parce que David signifie celui qui est puissant de la main. Qui a mieux mérité cette qualification que le Sauveur, dont la main a opéré tant et de si éclatants prodiges ? — S. chrys. Aussi les prophètes donnent-ils souvent à David le nom de Christ, parce que le Christ devait descendre de David. — bède. Nous voyons dans l'Evangile de saint Jean, Jésus s'enfuir sur la montagne, lorsque les Juifs voulurent le faire roi. Aujourd'hui qu'il vient à Jérusalem pour y souffrir, il accepte ce titre de roi, sous lequel il est acclamé, pour établir clairement que le royaume qu'il veut fonder n'est point un royaume temporel et terrestre, mais un royaume éternel dans les cieux, et qu'il devait entrer en possession de ce royaume par le mépris de la mort. Il faut remarquer ici la conformité des acclamations de la foule avec ces paroles de Gabriel : " Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, " c'est-à-dire, qu'il devait appeler à ce royaume céleste, par ses paroles et par ses actions, cette nation autrefois soumise à l'autorité temporelle de David. — S. chrys. Enfin, la multitude rend gloire à Dieu, en ajoutant : " Hosanna au plus haut des cieux ! c'est-à-dire, hymne et gloire au Dieu de toutes choses qui habite les hauteurs des cieux. — S. jer. Ou bien, hosanna (c'est-à-dire, sauvez-moi), dans les hauteurs des cieux comme dans les profondeurs de la terre, que les justes s'élèvent dans les cieux sur les ruines des anges, et que ceux qui habitent la surface ou les profondeurs de la terre soient également sauvés.

Dans le sens mystique, le Seigneur approche de Jérusalem, qui est la vision de la paix, le siège d'une félicité éternelle et immuable, et selon l'Apôtre, la mère de tous les croyants. (Ga 4) — bède. Béthanie veut dire maison d'obéissance, c'est-à-dire, qu'avant sa passion, il s'était préparé par ses enseignements dans l'âme d'un grand nombre une maison d'obéissance. Béthanie est située sur le versant de la montagne des Oliviers, figure de l'onction des dons spirituels et de là lumière de la science et de la piété, par lesquels le Sauveur anime et réchauffe l'Eglise. Il envoie ses disciples dans le village qui est devant eux, c'est-à-dire, qu'il a chargé les docteurs de pénétrer par la prédication de l'Evangile dans toutes les forteresses où l'ignorance du monde semblait s'être réfugiée. — S. jer. Les disciples de Jésus-Christ sont appelés, ils sont envoyés deux à deux, parce que la charité ne peut s'exercer, si on est seul. " Malheur à celui qui est seul, dit la sainte Ecriture " (Qo 4). Ce sont deux hommes qui dirigent les Hébreux dans leur sortie de l'Egypte ; deux hommes qui rapportent de la terre sainte la grappe de raisin, pour enseigner à ceux qui sont placés à la tête des autres, à joindre toujours l'action à la science, à tirer des deux tables les deux commandements (Ex 32, 5 ; 30, 18 ; 25 ; 39 ; 3 R 8, 7), à se purifier dans les deux fontaines, à porter l'arche du Seigneur sur deux bâtons, et afin qu'ils apprennent à connaître le Dieu assis entre deux chérubins, lui offrant le double hommage de l'esprit et du cœur (1 Co 14).

théophyl. Cet ânon n'était pas nécessaire au Sauveur, il l'envoie chercher pour donner à entendre qu'il devait bientôt appeler à lui les gentils. — bede. Cet ânon libre et indompté est la figure du peuple des nations ; personne ne l'avait encore monté, c'est-à-dire, qu'aucun sage docteur n'avait encore, par des enseignements utiles, imposé à ce peuple le frein de la discipline, pour préserver sa langue des paroles coupables, ou le forcer d'entrer dans l'étroit sentier de la vie. — S. jer. Ils trouvèrent cet ânon attaché devant la porte en dehors, emblème du peuple des gentils retenu dans les liens du péché devant la porte de la foi, en dehors de l'Eglise. — S. ambr. (sur S. Luc, 9, 19.) Ou bien, ils le trouvèrent attaché devant la porte, c'est-à-dire, que tout homme qui n'est pas avec Jésus-Christ et qui demeure dehors, est sur la voie, mais celui qui est en Jésus-Christ ne reste pas dehors. L'Evangéliste ajoute qu'on le trouva entre deux chemins, où tout le monde passe, dans un lieu dont personne ne pouvait revendiquer la propriété ; il était là, sans étable, sans nourriture, sans crèche. Quelle misérable servitude que celle qui n'a aucun droit certain ! On est l'esclave de plusieurs maîtres quand ou ne dépend pas d'un seul, les étrangers lient pour assurer leur possession, le maître légitime met en liberté pour conserver, car les bienfaits sont des liens beaucoup plus puissants que les chaînes. — bède. On peut dire encore qu'il était dans un carrefour, parce qu'il ne se tenait pas dans le chemin certain de la foi et de la vérité, mais qu'il suivait au gré de l'erreur les sentiers innombrables et douteux des sectes diverses. — bède. On bien encore ces deux chemins sont la figure du libre arbitre qui hésite entre la vie et la mort (Si 15, 18). — théophyl. Ou enfin " dans un carrefour, " c'est-à-dire, dans cette vie ; or, ce sont les disciples qui le délient par le baptême et par la foi. — S. jér. " Quelques-uns de ceux qui étaient là leur dirent : Que faites-vous ? Comme s'ils disaient : Qui peut remettre les péchés ? " — théophyl. Ou bien ceux qui veulent s'opposer aux disciples sont les démons dont les Apôtres, plus forts qu'eux, ont triomphé. — bède. Ou bien ce sont ces maîtres de l'erreur qui s'opposèrent aux docteurs qui venaient apporter le salut aux gentils ; mais lorsque le Sauveur eut fait éclater la puissance de la foi en son nom, le peuple des croyants, libre des attaques de ses ennemis, fut amené au Seigneur qu'il portait déjà dans son cœur. Les vêtements dont les Apôtres couvrent cet animal, représentent ou la doctrine des vertus, ou le don d'interpréter les Ecritures, ou la variété des dogmes de l'Eglise ; les cœurs des hommes autrefois nus et glacés, sont couverts de ces vêtements pour devenir des sièges dignes de Jésus-Christ. — S. jer. Ou bien encore, ces vêtements dont ils couvrent l'ânon, c'est la robe première d'immortalité (Lc 15, 28) dont se revêtent les gentils par le baptême. Jésus monte sur cet ânon, c'est-à-dire, qu'il commence à régner sur eux pour substituer à l'empire du péché dans une chair voluptueuse, celui de la justice, de la paix et de la joie dans l'Esprit saint (Rm 6, 12 ; 14, 17). " Un grand nombre étendent leurs vêtements le long du chemin sous les pieds de l'ânon. " Que figurent les pieds ? les derniers d'entre les fidèles que l'Apôtre établit pour juger leurs frères. " (1 Co 6) Ils ne sont pas jugés dignes de servir de siège au Seigneur, mais cependant ils sont instruits par Jean-Baptiste, comme les soldats, de leurs devoirs. (Lc 3) — bede. Ou bien encore, cette multitude qui étend ses vêtements le long du chemin, ce sont les saints martyrs qui se dépouillent du vêtement de leur chair pour préparer la voie par leur sang aux fidèles moins avancés dans le service de Dieu. Celle multitude est encore la figure de ceux qui domptent leurs corps par la mortification, pour ouvrir à Dieu le chemin de leur âme, ou offrir de saints exemples à ceux qui veulent marcher sur leurs traces. Ceux qui coupent des rameaux ou des branches d'arbres, représentent ceux qui recueillent dans les écrits des Pères la doctrine de vérité qui s'y trouve semée, et par une prédication pleine d'humilité, la répandent sur la voie de Dieu dans l'âme de l'auditeur qui vient les entendre. — théophyl. Il nous faut aussi joncher de rameaux enlevés aux arbres le chemin de notre vie, c'est-à-dire, imiter les saints, car les arbres figurent les saints, et celui qui imite leurs vertus, coupe des rameaux de ces arbres. — S. jér. Les justes fleuriront comme le palmier (Ps 91), leur racine est petite, mais leurs fleurs et leurs fruits sont très étendus. Comme ils sont la bonne odeur de Jésus-Christ (2 Co 2), ils étendent sur la voie des commandements de Dieu leur bonne renommée ; ceux qui marchaient en avant, sont les prophètes, et ceux qui suivaient, les Apôtres. — bêde. Or, comme tous les élus, ceux qui pouvaient être alors dans la Judée aussi bien que ceux qui sont maintenant dans l'Eglise, ont cru et croient encore au médiateur de Dieu et des hommes, ceux qui précèdent, comme ceux qui suivent, crient tous ensemble : Hosanna ! — théophyl. Il n'y a que les actes dont la fin répond au commencement qui soient vraiment à la louange de Dieu. Il en est dont la vie passée offre des commencements de bien, mais les années suivantes ont donné un démenti à celles qui précédaient, et n'ont point eu pour fin la gloire de Dieu.

 

Vv. 12-14.

béde. Le temps de sa passion n'étant pas éloigné, Nôtre-Seigneur voulut se rapprocher du lieu où il devait souffrir, pour bien établir qu’il mourait par un effet de sa volonté : " Et Jésus entra à Jérusalem dans le temple. " A peine entré dans la ville, il se dirige vers le temple ; il nous donne ainsi un grand exemple de religion et nous apprend qu'en arrivant dans un endroit où se trouve une maison de prières, nous devons nous empresser de nous y rendre. Remarquons encore que la pauvreté du Sauveur était si grande et qu'il recherchait si peu la faveur des hommes, que dans une si grande ville il ne trouve personne qui le reçût, aucun endroit où il pût se retirer. Il est oblige d'aller dans une pauvre campagne demander l'hospitalité à Lazare et à ses sœurs, car Béthanie était le village qu'ils habitaient. " Et ayant observé toutes choses (c'est-à-dire, si quelqu'un lui offrirait un asile), comme déjà l'heure était avancée, " etc. Il ne fit pas seulement cela une fois, mais pendant les cinq jours qui s'écoulèrent depuis son entrée à Jérusalem jusqu'à sa passion ; il enseignait toute la journée dans le temple, et sortait de Jérusalem le soir pour aller passer la nuit sur la montagne des Oliviers.

" Le lendemain, comme il sortait de Béthanie, il eut faim. " — S. chrys. (hom. 68 surS. Matth.) Comment se fait-il que le Sauveur avait faim dès le matin, comme le raconte saint Matthieu, si ce n'est par une permission divine qui était la suite de son incarnation. " Et voyant de loin un figuier qui avait des feuilles, il s'avança pour voir s'il ne trouverait pas quelque fruit. " II est évident que l'Evangéliste conforme son récit à la pensée des disciples, qui croyaient que Jésus s'approchait du figuier dans ce dessein, et qu'il avait maudit en figuier parce qu'il n'y avait trouvé pas de fruit. " Mais après s'en être approché, il n'y trouva que des feuilles, car ce n'était pas le temps des fruits. Et il dit au figuier, que jamais nul ne mange plus de ton fruit. " Il maudit donc ce figuier, dans l'intérêt des disciples, pour affermir leur confiance. Jusque là, en effet, il avait partout semé les bienfaits sous ses pas, et n'avait puni personne ; il importait donc qu'il donnât un exemple de sa puissance vindicative pour apprendre aux disciples qu'il aurait pu dessécher de la même manière les Juifs ses persécuteurs ; mais il ne voulut pas exercer sur les hommes cet acte de sévérité, c'est sur un arbuste qu'il l'a fait éclater. Nous voyons par là que c'est justement pour ce motif qu'il s'approche du figuier, et non parce qu'il avait faim. Et qui serait assez ignorant pour supposer qu'il pût éprouver de si grand matin le besoin de la faim ? Qui d'ailleurs l'empêchait de satisfaire ce besoin avant de sortir de la maison ? On ne peut dire non plus que c'est la vue des fruits qui excitait son appétit, car ce n'était point la saison des figues ; et puis s'il avait faim, pourquoi ne pas chercher un autre aliment au lieu de demander des figues à un figuier qui ne pouvait lui en donner. Quelle peine encore pouvait mériter un figuier de ne point porter de fruits avant la saison ? Toutes ces circonstances autorisent suffisamment cette conclusion que le Sauveur voulait donner un exemple de sa puissance, pour prévenir l'abattement où sa passion devait jeter ses disciples. — théophyl. Son dessein était de leur prouver qu'il pouvait exterminer en un moment, s'il l'eût voulu, ceux qui devaient le crucifier. Dans le sens mystique, Nôtre-Seigneur entre dans le temple, et en sort aussitôt pour montrer qu'il allait l'abandonner, comme une solitude déserte, et exposée à la dévastation des voleurs.

bede. Il observe avec attention tous les cœurs et ne trouvant pas où reposer la tête dans ces contradicteurs de la vérité, il se retire chez les fidèles et fixe sa demeure parmi ceux qui lui obéissent, car Béthanie signifie maison d'obéissance. — S. jer. C'est le matin qu'il vient vers les Juifs, et c'est au soir du monde qu'il nous visite. — bède. Les actions du Sauveur sont paraboliques comme ses discours. Ainsi la faim semble le presser de chercher sur un figuier des figues, dont la saison, il le savait bien, n'était pas encore venue ; et cependant il le frappe d'une stérilité perpétuelle, pour montrer que le peuple juif ne pouvait être sauvé par des feuilles sans fruit, c'est-à-dire, par les paroles de justice qui étaient sur ses lèvres, sans être accompagnées des bonnes œuvres, mais qu'il serait arraché et jeté au feu. Nôtre-Seigneur donc, pressé par la faim, c'est-à-dire, plein du désir de sauver le genre humain, voit un figuier, c'est-à-dire, le peuple juif couvert de faillies, c'est-à-dire, des oracles de lu loi et des prophètes, il cherche à lui faire produire le fruit des bonnes œuvres par ses enseignements, ses reproduis, ses miracles, et ne trouvant pas ce fruit, il condamne le figuier. Vous aussi, si vous ne voulez pas être condamné par Jésus-Christ au jour du jugement, gardez-vous d'être un arbre stérile, mais empressez-vous d'offrir à Jésus-Christ pauvre, le fruit de piété qu'il nous demande. — S. chrys. On peut encore dire que le Sauveur a maudit ce figuier sur lequel il n'avait point trouvé le fruit qu'il demandait avant le temps, parce que tous ceux qui accomplissent les commandements de la loi, celui-ci, par exemple : " Vous ne commettrez point d'adultère, " sont dits porter des fruits dans leur temps. Celui, au contraire, qui non content d'éviter l'adultère, pratique la virginité, ce qui est beaucoup plus parfait, s'élève au plus haut degré des vertus. Or, le Seigneur exige des parfaits la pratique, non-seulement des devoirs ordinaires, mais des vertus supérieures à ce qu'exigent les commandements.

 

Vv. 15-19.

bede. Ce que Nôtre-Seigneur a fait en figure eu maudissant le figuier stérile, il le fait plus clairement en chassant du temple les impies, car le figuier n'était point coupable de ne point porter de fruit avant le temps, mais bien les prêtres. " Et ils vinrent de nouveau à Jérusalem, et lorsqu'il fut entré dans le temple, " etc. Il est à croire qu'on ne vendait et qu'on n'achetait dans le temple que les choses nécessaires aux sacrifices ; si donc le Seigneur ne peut souffrir qu'on traite dans sa maison les affaires temporelles dont il est permis de s'occuper ailleurs, quel sera son courroux lorsqu'il verra s'accomplir dans des lieux qui lui sont consacrés, des actes qui partout ailleurs sont des crimes : " Et les tables des banquiers. "théophyl. Il appelle banquiers (nummularios) les changeurs de monnaie, car le nummus était une petite monnaie de cuivre, " Et les sièges de ceux qui vendaient des colombes. " — bède. Comme le Saint-Esprit a paru sur la tête du Sauveur sous la forme d'une colombe (Mt 3, 2 ; Mc 1, 10 ; Lc 3, 2), les dons de ce divin Esprit sont justement figurés par les colombes. On vend donc la colombe lorsqu'on donne pour de l'argent l'imposition des mains, par laquelle nous recevons l'Esprit saint. Jésus renverse les sièges de ceux qui vendent des colombes pour nous apprendre que ceux qui font trafic des grâces spirituelles, sont privés du ministère sacerdotal, soit devant Dieu, soit devant les hommes. — théophyl. Celui qui livre au démon par le péché la grâce et l'innocence de son baptême, vend sa colombe, et mérite pour cela d'être chassé du temple.

" Et il ne souffrait pas que personne transportât aucun objet par le temple. " — béde. Il veut parler de ces objets qu'on n'apportait dans le temple que pour en trafiquer. Gardons-nous de croire, en effet, que le Sauveur ait banni du temple ou qu'il ait défendu d'y introduire les vases ou autres objets consacrés au culte de Dieu. Nous voyons ici une figure du jugement que Nôtre-Seigneur devait exercer plus tard, en chassant de l'Eglise les pécheurs obstinés, et leur interdisant à tout jamais de revenir troubler l'Eglise par les châtiments éternels dont il les frappe. Quant aux péchés qui se glissent dans les cœurs des fidèles, la componction dont Dieu est l'auteur les efface, et la grâce divine les préserve de toute rechute.

" Et il les instruisait en leur disant : Ma maison sera une maison de prière pour toutes les nations, " etc. — S. jér. Ce sont les paroles d'Isaïe (Is 56, 7), " mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs. " — bède. C'est pour toutes les nations, et non pas seulement pour la seule nation juive ou pour la seule ville de Jérusalem, et ce n'est nullement une maison de taureaux, de boucs ou de béliers, mais une maison de prière. — théophyl. Le Sauveur appelle le temple une caverne de voleurs à cause du gain qu'on y réalisait. Il est, en effet, une espèce de voleurs qui se réunissent dans ce dessein, et il leur donne le nom de voleurs, parce qu'ils ne vendaient les animaux destines aux sacrifices que par le désir effréné du gain. — bède. Ils n'étaient dans le temple qu'à cette fin de persécuter extérieurement ceux qui ne donnaient pas, ou de faire mourir spirituellement ceux qui donnaient. L'âme et la conscience des fidèles sont aussi le temple et la maison de Dieu ; lorsqu'elles donnent naissance à des pensées coupables et nuisibles au prochain, ces pensées sont comme des voleurs dans une caverne. Le cœur des fidèles devient donc une caverne de voleurs lorsqu'il abandonne la simplicité qui est le caractère propre de la sainteté, pour se livrer à des actes préjudiciables au prochain.

 

S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 67.) Saint Jean place ce fait à une époque toute différente (Jn 2), d'où il est clair qu'il y a eu, non un seul fait, mais deux faits semblables dans la vie du Sauveur ; Jean raconte le premier dans l'ordre chronologique, et les trois autres le dernier. — theophyl. C'est ce qui rend les Juifs beaucoup plus coupables, de ne s’être point corrigés après que cet acte de sévérité s'était répété plusieurs fois sous leurs yeux. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 68.) Saint Marc lui-même ne suit pas le même ordre que saint Matthieu ; mais comme saint Matthieu établit cette liaison dans son récit : " Et les ayant quittés, il sortit de la ville, et s'en alla à Béthanie, " (Mt 21), et que c'est le lendemain matin, en revenant à Jérusalem que Jésus maudit le figuier, il est vraisemblable que cet Evangéliste a suivi plus exactement l'ordre chronologique sur le fait des vendeurs et des acheteurs chassés du temple. Saint Marc a donc passé d'abord sous silence ce que Jésus fit le premier jour lorsqu'il fut entré dans le temple, et se l'étant rappelé, il l'a raconté après l'histoire du figuier, sur lequel le Sauveur ne trouva que des figues, ce qui eut lieu le second jour, au témoignage des deux Evangélistes. —la glose. Or, quel fruit produisit la réprimande du Sauveur dans les ministres du temple, l'Evangéliste nous l'apprend : " Ce qu'ayant entendu, les princes des prêtres et les scribes cherchaient un moyen de le perdre. " Ils accomplissaient ainsi cet oracle du prophète : " Ils ont haï celui qui les reprenait dans les assemblées publiques, et ils ont eu en abomination celui qui leur parlait dans la droiture et la vérité. " (Am 5) La crainte seule leur fit ajourner l'exécution de leur criminel dessein : " Car ils le craignaient, parce que tout le peuple admirait sa doctrine. " En effet, il les enseignait comme ayant autorité, et non comme leurs scribes et les pharisiens.

 

Vv. 20-26.

S. jér. Le Sauveur laisse après lui les ténèbres dans les cœurs des Juifs, et comme le soleil, il abandonne cette ville pour aller en éclairer une autre plus soumise et plus obéissante, c'est le sens de ces paroles : " Le soir, étant venu, " etc. Mais le soleil se couche et il se lève ; la lumière qui est enlevée aux scribes, brille sur les Apôtres ; Jésus revient donc dans la ville : " Et le lendemain malin, en passant, ils virent le figuier desséché jusqu'à la racine. " — theophyl. Ce qui rend ce miracle plus frappant, c'est qu'un arbre si vert et si plein de sève fut entièrement desséché. Quoique saint Matthieu affirme que le figuier fut immédiatement desséché et que les disciples en furent saisis d'étonnement, ne soyez point surpris d'entendre dire à saint Marc, que ce ne fut que le lendemain que les disciples virent cet arbre desséché, car on peut entendre le récit de saint Matthieu dans ce sens que les disciples ne s'aperçurent que le lendemain du dessèchement de cet arbre. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 68.) Il ne faut pas croire cependant qu'il ne se dessécha que lorsqu'ils le virent, la malédiction du Sauveur produisit aussitôt son effet, car les disciples ne le virent pas se desséchant, mais entièrement desséché, et ils comprirent que c'était la parole du Seigneur qui l'avait immédiatement frappé de stérilité.

S. jer. Ce figuier desséché jusque dans ses racines, c'est la synagogue, à partir de Caïn et de tous les autres à qui on redemande le sang d'Abel et de tous les justes, jusqu'à Zacharie (Mt 23, 35). —bede. Le figuier fut desséché jusque dans ses racines pour montrer que cette nation impie ne serait pas dévastée en partie et pour un temps par les excursions des étrangers, et qu'elle serait ensuite délivrée par son repentir comme par le passé, mais qu'elle serait frappée d'une éternelle damnation, ou bien encore cet arbre fut desséché jusque dans ses racines, pour apprendre à cette nation qu'elle serait privée, non-seulement à l'extérieur de tout secours humain, mais à l'intérieur de toute faveur divine. — S. jér. Pierre reconnaît cette racine desséchée et arrachée de terre, à laquelle succède l'olivier choisi de Dieu, et aussi remarquable par sa beauté que par sa fécondité. " Et Pierre se ressouvenant de la parole du Christ, lui dit : Maître, voyez comme le figuier que vous avez maudit est devenu sec. " — S. chrys. Cet étonnement de Pierre et des autres disciples, prouve que leur foi n'était pas encore parfaite, car ce n'était point là pour Dieu un bien grand miracle. Ils ne connaissaient pas encore toute l'étendue de sa puissance, et leur ignorance les jette dans l'admiration. Aussi Jésus leur répond : " Ayez la foi en Dieu. Je vous dis en vérité, que quiconque dira à cette montagne : ôte-toi de là et te jette dans la mer, et cela sans hésiter dans son cœur... il le verra en effet arriver, " c’est-à-dire, qu'il pourra non-seulement dessécher un arbre, mais transporter une montagne par la puissance de sa parole et de son commandement. — théophyl. Admirez ici la miséricorde de Dieu qui nous communique, lorsque nous approchons de lui par la foi, le pouvoir de faire des miracles qu'il tient de sa nature, pouvoir qui va jusqu'à transporter les montagnes.

bede. Les païens qui ont pris plaisir à calomnier l'Eglise dans leurs écrits, ont reproché aux nôtres l'imperfection de leur foi en Dieu, puisqu'ils n’ont jamais pu, disent-ils, transporter des montagnes : nous leur répondrons que tous les miracles qui se sont accomplis dans l'Eglise, ne nous ont pas été conservés par écrit, comme l’Ecriture l'atteste des faits de la vie de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. Si ce miracle avait été nécessaire, il aurait bien pu se reproduire comme du temps de saint Grégoire de Néocésarée, qui obtint de Dieu par ses prières, qu'une montagne lui laissa autant de place qu'il lui fallait pour la construction d'une église. — S. chrys. Ou bien dans un autre sens, le Sauveur n'a point desséché le figuier pour lui-même, mais comme signe de la stérilité dont il allait frapper Jérusalem, et tout à la fois de sa puissance ; or, c'est dans le même sens que l'on doit entendre la promesse qui a pour objet le déplacement d'une montagne, bien qu'un prodige de ce genre ne soit pas impossible à la puissance de Dieu. — S. jer. Jésus-Christ, qui est cette pierre détachée de la montagne sans la main d'aucun homme et qui devient elle-même une grande montagne, est arraché et jetée dans la mer, lorsque les Apôtres tiennent aux Juifs ce langage justement mérité : " Nous allons vers les gentils, parce que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la parole de Dieu. — bède. Cette montagne peut aussi être la figure du démon à cause de son orgueil ; or, cette montagne est arrachée de terre et jetée dans la mer, à la parole de ceux qui sont forts dans la foi, lorsque les saints docteurs prêchant la parole de Dieu, l'esprit immonde est chassé du cœur de ceux qui sont prédestinés à la vie éternelle ; il lui est alors permis d'exercer la violence de sa tyrannie dans les cœurs des infidèles remplis de trouble et d'amertume, et il se déchaîne contre eux avec une fureur égale à la douleur qu'il éprouve de n'avoir pu tourmenter et perdre les premiers.

" C'est pourquoi je vous le dis : Tout ce que vous demanderez dans la prière, croyiez que vous l'obtiendrez. " — théophyl. Celui qui croit par un motif d'amour, élève certainement son cœur à Dieu, il s'unit à lui, et sou cœur embrasé d'amour lui donne l'assurance que sa prière est exaucée. Cette vérité sera comprise de ceux qui en ont fait l'expérience, c'est-à-dire, à mon avis, de ceux qui cherchent à avoir la mesure et le degré de la foi véritable. C'est pour cela que le Sauveur déclare que vous recevrez tout ce que vous demanderez avec foi ; car celui qui croit que sa vie toute entière est soumise aux dispositions providentielles de Dieu, verse en sa présence ses larmes et ses supplications, tient comme embrassés ses pieds dans la prière, et ne peut manquer d'obtenir ce qu'il demande. Voulez-vous un autre moyen d'obtenir infailliblement ce que vous demandez ? Pardonnez à votre frère les fautes qu'il aura commises contre vous. " Et lorsque vous vous présenterez pour prier, si vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez-lui, " etc. — S. jér. Saint Marc, selon sa coutume, abrège les sept demandes de l'Oraison dominicale, et les comprend toutes dans une seule. Or, que reste-t-il à demander à celui qui a reçu la rémission de ses péchés, si ce n'est la persévérance dans la grâce obtenue ?

bède. Parmi ceux qui prient, il faut distinguer soigneusement ceux qui ont cette foi parfaite qui opère par la charité (Ga 5, 6) ; une seule prière, une seule parole sortie de leur bouche ; peut transporter des montagnes spirituelles, comme saint Paul le fît pour le magicien Elymas (Ac 13). Quant à ceux qui ne peuvent atteindre le sommet de la perfection, qu'ils demandent la rémission de leurs péchés et ils l'obtiendront, si toutefois ils pardonnent tout d'abord à ceux qui les ont offensés. S'ils refusent de pardonner, leurs prières ne pourront obtenir ni la grâce de pratiquer la vertu, ni même le pardon de leurs péchés : " Que si vous ne pardonnez point, dit Nôtre-Seigneur, votre Père qui est dans les cieux ne vous pardonnera point non plus. " — la glose (interlin.) Effrayante sentence !

 

Vv. 27-33.

théophyl. L'autorité avec laquelle Nôtre-Seigneur avait chassé du temple ceux qui en faisaient une maison de trafic, avait irrité les scribes et les pharisiens ; ils s'approchent donc de lui pour l'interroger et le tenter : " Ils vinrent de nouveau à Jérusalem. Et comme Jésus marchait dans le temple, " etc. fis semblent lui dire : Qui êtes-vous pour agir de la sorte ? Vous posez-vous donc vous-même en docteur, vous établissez-vous prince des prêtres ? — bède. Ces paroles : " laquelle autorité faites-vous ces choses ? " expriment le doute que ce soit par la puissance de Dieu, et ils donnent à entendre qu'il agit au nom et par l'autorité du démon. Ils ajoutent : " Et qui vous a donné ce pouvoir ? " c'est-à-dire, qu'ils nient ouvertement qu'il soit le Fils de Dieu, puisqu'à leur avis ce n'est point par sa propre puissance, mais en vertu d'un secours étranger qu'il opère des miracles. — théophyl. Leur intention, en lui faisant cette question, était de le jeter dans l'embarras ; s'il répondait : C'est par ma propre puissance ; ils se saisiraient de lui, s'il répondait au contraire : c'est par le pouvoir d'un autre, ils chercheraient à détacher de lui le peuple pour qui Jésus était le Fils de Dieu. Or, Nôtre-Seigneur leur fait cette question sur Jean-Baptiste, non point sans raison, ni cependant pour leur faire un piège de ses raisonnements, mais parce que Jean-Baptiste avait rendu témoignage de lui. " II leur répondit : Je vous ferai moi-même une question. " — bède. Le Seigneur pouvait confondre leurs calomnies par une réponse claire et décisive ; mais il aime mieux les interroger avec prudence, et les faire condamner, ou par leur silence, ou par leurs propres paroles. C'est en effet ce qui arrive : " Ils raisonnaient ainsi en eux-mêmes : Si nous répondons du ciel, il nous dira pourquoi ne l'avez-vous pas cru ? " c'est-à-dire, celui qui de votre aveu a reçu du ciel le don de prophétie, m'a rendu témoignage, et c'est de lui que vous avez appris par quelle autorité je fais toutes ces choses ; " si au contraire, nous disons : des hommes, nous craignons le peuple." Ils virent donc, que quelle que fût leur réponse, ils tomberaient dans le piège, car ils craignaient d'être lapidés, et encore plus de confesser la vérité : " Et ils répondirent à Jésus : Nous ne savons. " — S. jér. Cette lampe couvre ces curieux d'obscurité, ce qui a fait dire à Dieu par la bouche du Psalmiste : " J'ai préparé une lampe à mon Christ, je couvrirai de confusion ses ennemis. " (Ps 131) " Et Jésus leur dit : Je ne vous dirai pas non plus par quelle autorité je fais ces choses. " — bede. C'est-à-dire, je ne vous dirai pas ce que je sais, parce que vous ne voulez point avouer ce que vous savez. Remarquons qu'il est deux circonstances où l'on doit s'abstenir de découvrir la vérité à celui qui la cherche, lorsqu'il est incapable de la comprendre, ou lorsque par le mépris ou la haine de la vérité, il est indigne qu'on la lui fasse connaître.

 

CHAPITRE XII

 

Vv. 1-12.

la glose. Après avoir réduit au silence ses contradicteurs par une réponse pleine de prudence, il fait voir toute l'étendue de leur méchanceté sous le voile d'une parabole : " Jésus commença ensuite à leur parler eu paraboles : Un homme, dit-il, planta une vigne, " etc. — S. jer. Le nom d'homme est donné ici à Dieu le Père, par une manière de parler tout humaine ; la vigne est la maison d'Israël ; la haie, les anges qui la gardent ; le pressoir est la loi ; la tour, le temple ; les vignerons, les prêtres. — bède. Ou bien la haie, c'est le mur qui entourait la ville ; le pressoir, l'autel ; ou ces pressoirs dont il est question dans les titres de trois psaumes. — théophyl. Ou bien encore, cette haie c'est la loi qui défendait aux Juifs de se mêler aux étrangers (Nb 18, 4).

" Et il s'en alla dans un pays éloigné. " — bède. Il ne change point de lieu, mais il semble s'éloigner de la vigne pour laisser aux vignerons toute liberté d'agir. " Le temps de la vendange étant venu, il envoya un de ses serviteurs aux vignerons pour recevoir ce qu'ils lui devaient du fruit de la vigne. " — S. jer. Les serviteurs qui furent envoyés sont les prophètes ; le fruit de la vigne, c'est l'obéissance : de ces prophètes, les uns furent frappés de verges, les autres couverts de blessures, d'autres mis à mort : " Mais l'ayant pris, ils le battirent et le renvoyèrent les mains vides. " — bède. Le premier serviteur qui fut envoyé, c'est Moïse, qui leur donna la loi ; mais ils le renvoyèrent après l'avoir battu, sans lui rien donner, " car ils aigrirent son esprit dans le désert, " (Ps 105, 33). " II leur envoya encore un autre serviteur, et ils le blessèrent à la tête, et lui firent toute sorte d'outrages. " Cet autre serviteur, c'est David et les autres auteurs des psaumes ; or ils l'ont accablé d'outrages et blessé à la tète, parce qu'ils n'ont fait aucune estime des psaumes, et qu'ils ont rejeté David (2 R 20, 1), en disant : " Quelle part avons-nous avec David ? " (3 R 12, 16.) " II leur en envoya un troisième qu'ils tuèrent, " etc. Ce troisième serviteur représente avec ses compagnons le chœur des prophètes; car quel est celui des prophètes qu'ils n'ont point persécuté ? (Mt 23) Par ces trois serviteurs successifs, Nôtre-Seigneur semble vouloir entendre dans un autre endroit, tous les docteurs de la loi, lorsqu'il dit : " Il faut que tout ce qui a été écrit de moi, dans la loi, dans les prophètes et dans les psaumes, soit accompli. " — théophyl. Ou bien encore, le premier serviteur, ce sont les prophètes qui existaient du temps d'Elie ; nous voyons, en effet, que Miellée fut alors maltraité par lu faux prophète Sédécias (3 R 22). Le second serviteur qu'ils ont Messe à la tête et accablé d'outrages, sont les prophètes contemporains d'Osée et d'Isaïe ; le troisième serviteur, les prophètes qui vécurent du temps de Daniel et d'Ezéchiel.

" Enfin, ayant un fils unique qu'il aimait très-tendrement, " etc. — S. jer. Ce Fils chéri qui vient en dernier lieu, c'est le Fils unique de Dieu. C'est par une espèce d'ironie que le Père dit : " Ils auront quelque respect pour mon Fils. " — bède. Ou bien encore, cette forme dubitative : " Peut-être ils auront quelque respect pour mon Fils, " n'a point pour cause l'ignorance, mais le dessein arrêté en Dieu de laisser à l'homme toute sa liberté d'action. — théophyl. On peut dire enfin que si Dieu s'exprime ainsi, ce n'est pas qu'il ignore ce qui doit arriver, mais il veut leur apprendre ce qu'il était juste et convenable de faire. " Ces vignerons dirent entre eux : Voici l'héritier, allons, tuons-le, " etc. — bède. Notre-Seigneur prouve ici jusqu'à l'évidence, que ce n'est point par ignorance, mais par envie que les chefs de la nation juive ont crucifié le Fils de Dieu, car ils savaient fort bien que c'était à lui qu'il avait été dit : " Je vous donnerai les nations pour héritage. " (Ps 2) En le mettant à mort, ces vignerons coupables cherchaient à s'emparer de son héritage, c'est-à-dire, que les Juifs en le crucifiant, se proposaient d'éteindre la foi dont il est l'auteur, d'établir sur ses ruines la justice qui vient de la loi, (Rm 10, 2-3) et de pénétrer les nations de la nécessité de cette justice légale.

" Et s'étant saisi de lui, ils le tuèrent et le jetèrent hors de la vigne. " —théophyl. C'est-à-dire, en dehors de là ville, car ce fut hors des murs de Jérusalem que le Seigneur fut crucifié. — S. jér. Ou bien ils le jetèrent hors de la vigne, c'est-à-dire, ils le rejetèrent du milieu du peuple, lorsqu'ils lui dirent : " Vous êtes un Samaritain et un possédé du démon " (Jn 8). On peut dire encore qu'en le rejetant autant qu'ils le purent hors des frontières de la Judée, ils l'ont remis entre les mains des nations qui l'ont reçu par la foi.

" Que fera donc le maître de cette vigne ? Il viendra lui-même, il exterminera ces vignerons, " etc. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 10.) D'après le récit de saint Matthieu, ce sont les Juifs eux-mêmes qui répondent au Sauveur : " II exterminera ces vignerons. " Saint Marc, au contraire, place cette réponse dans la bouche du Sauveur, après la question qu'il leur a faite. Or, on peut admettre, sans aucune difficulté, que la réponse des Juifs suivit immédiatement la question de Nôtre-Seigneur, sans que l'Evangéliste ait cru nécessaire de dire : " Ils répondirent, " ce qu'il était facile de sous-entendre, ou bien cette réponse est attribuée à Jésus-Christ, parce qu'étant conforme à la vérité, ils n'ont pu la faire que par l'inspiration de celui qui est la vérité même. — théophyl. Le maître de la vigne est donc le Père du qui a été mis à mort, et Jésus-Christ est lui-même ce Fils qui a été crucifié. " II exterminera les vignerons, " en les livrant aux Romains, "et il donnera sa vigne à d'autres vignerons, " c'est-à-dire aux Apôtres. Lisez les Actes des Apôtres, et vous y trouverez d'aboli trois mille Juifs (Ac 2, 41), et ensuite cinq mille (Ac 4, 4), qui ont embrassé la foi et en ont produit les fruits pour Dieu. — S. jér. Ou bien la vigne est donnée à d'autres qui viendront de l'Orient, de l'Occident du Nord et du Midi, et qui s'asseoiront dans le royaume de Dieu, avec Abraham, Isaac et Jacob.

bede. Nôtre-Seigneur prouve aussitôt par un témoignage prophétique, que tout cela se fera par suite d'un dessein tout divin : " N’avez-vous point lu cette parole de l'Ecriture : La pierre qui avait été rejetée par ceux qui bâtissaient est devenue la principale pierre de l'angle ? " etc. C'est comme s'il leur disait : Comment cette prophétie sera-t-elle accomplie ? Parce que le Christ que vous avez rejeté et mis à mort, sera livré par la prédication aux gentils, et que semblable à la pierre de l'angle, il formera en lui-même un seul homme des deux peuples, (Ep 2, 15.20) et ne fera de ces deux peuples qu'une seule cité des fidèles, un seul temple. Nôtre-Seigneur compare maintenant ceux qu'il vient d'appeler vignerons à des architectes, parce que ceux-là même qui cultivaient comme une vigne le peuple qu'ils dirigeaient pour lui faire produire des fruits de vie, avaient aussi pour devoir de faire de ce peuple un temple parfaitement orné et digne du Dieu qui l'habite. — théophyl. Cette pierre donc, que les docteurs ont rejetée, est devenue la pierre de l'angle ; cet angle, c'est l'Eglise qui réunit les Juifs et les gentils ; cet angle, c'est-à-dire, l'Eglise a Dieu pour auteur, et c'est un spectacle admirable à nos yeux, aux yeux des fidèles, car les infidèles ne croient point aux miracles. L'Eglise est vraiment admirable, parce qu'elle est établie sur des miracles que Dieu opère par le ministère des Apôtres, en confirmant leurs paroles par les prodiges dont il l'accompagnait (Mc 16). Tel est le sens de ses paroles : " C'est le Seigneur qui a fait cela, et nos yeux le voient avec admiration. " S. jer. Ou bien encore, cette pierre qui a été rejetée et qui est devenue la pierre de l'angle est la figure de celui qui, dans la Cène, a uni le pain céleste à l'Agneau, a mis fin à l'ancienne alliance pour commencer la nouvelle, et a fait éclater à nos yeux des merveilles aussi brillantes que la topaze.

bède. Les princes des prêtres rendirent témoignage à la vérité des paroles du Sauveur, par la résolution qu'ils prirent : " Et ils cherchaient le moyen de l'arrêter, " car il est cet héritier dont il prédisait que la mort injuste serait vengée par son Père. Dans le sens moral, tout fidèle, lorsque l'Eglise lui donne le sacrement de baptême, reçoit comme une vigne qu'il doit cultiver. Il frappe, accable d'outrages, et chasse dehors le serviteur qui lui est envoyé, lorsque la parole qui lui est annoncée devient l'objet de son mépris, et ce qui est pis encore, de ses blasphèmes. Il met à mort l'héritier autant qu'il est en lui, lorsqu'il foule aux pieds le Fils de Dieu (He 10, 28). Ce vigneron coupable est exterminé, et la vigne donnée à un autre, lorsque le don de la grâce, méprisé par les orgueilleux, vient enrichir l'âme qui est humble. Nous voyons même se renouveler tous les jours dans l'Eglise la conduite des princes des prêtres qui cherchaient à se saisir de Jésus, mais qui sont retenus par la crainte du peuple, lorsqu'un chrétien qui ne l'est que de nom, rougit ou craint d'attaquer l'unité de la foi et de la paix de l'Eglise, retenu qu'il est par la multitude d'âmes saintes qui font avec lui partie de cette même Eglise.

 

Vv. 13-17.

bède. Les princes des prêtres cherchaient à se saisir de Jésus, mais ils craignaient le peuple ; ce qu'ils n'osent donc faire par eux-mêmes, il essaient de le mettre à exécution par l'intermédiaire du pouvoir séculier, pour se décharger de la responsabilité de sa mort. " Et ils lui envoyèrent quelques-uns des pharisiens et des hérodiens. "—théophyl. Nous avons dit ailleurs que les hérodiens formaient une secte nouvelle qui soutenait qu'Hérode était le Christ, parce qu'il n'y avait plus alors de successeurs naturels au sceptre des rois de Juda (Gn 49, 10). D'autres prétendent que les hérodiens étaient des soldats d'Hérode embauchés par les pharisiens, pour être témoins des paroles de Jésus-Christ, s'emparer de sa personne et le leur amener. Voyez quelle est leur malice, et comme ils cherchent à tromper le Sauveur par leurs flatteries : " Et étant venus, ils lui dirent : Maître, nous savons que vous êtes sincère et véritable. " — S. jér. Ils l'interrogent avec des paroles mielleuses, et l'entourent comme des abeilles qui ont le miel à la bouche et l'aiguillon par derrière. — bède. Cette question si flatteuse mais pleine de fourberie, tend à provoquer du Sauveur cette réponse, qu'il craint Dieu plus que César, et à lui faire dire qu'il ne faut point payer le tribut, afin que les hérodiens prennent occasion pour l'accuser de vouloir soulever une révolte contre les Romains, ils ajoutent : " Vous n'avez égard à qui que ce soit et vous ne considérez point la qualité des personnes. " — théophyl. C'est-à-dire, que vous seriez prêt à refuser tout honneur à César, si vous ne le pouviez qu'aux dépens de la vérité : " Mais vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité, " etc. Leur question perfide cachait de toute part un précipice, si Jésus répondait qu'il est permis de payer le tribut à César, ils exciteraient contre lui le peuple, en l'accusant de vouloir le réduire en servitude. Si au contraire, il défendait de payer le tribut, ils le présenteraient comme un homme qui soulevait le peuple contre César. Mais celui qui est la source de la sagesse sut échapper à leurs embûches. " Jésus, connaissant leur hypocrisie, leur dit : Pourquoi me tentez-vous ? Apportez-moi un denier. " — bède. Le denier est une pièce de monnaie qui valait dix as et qui portait l'effigie de César. " Et il leur demanda : De qui est cette image et cette inscription ? De César, leur dirent-ils. " Que ceux qui pensent que la question du Sauveur est l'effet de l'ignorance et non d'un dessein particulier, se détrompent ; ils savaient fort bien de qui était cette effigie; si donc il interroge, c'est afin de se ménager l'occasion d'une réponse convenable : " Jésus leur répondit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. " — théophyl. C'est-à-dire, rendez l'image à celui dont elle reproduit les traits. En d'autres termes, rendez ce denier à César, car vous pouvez très-bien à la fois payer le tribut à César, et rendre à Dieu ce qui lui appartient. — bède. C'est-à-dire, les dîmes, les prémices, les oblations, les victimes, à l'exemple de Jésus-Christ, qui a payé le tribut pour Pierre et pour lui, tout en rendant à Dieu ce qui est à Dieu, par l'accomplissement fidèle de la volonté de son l'ère. — S. jer. Ou bien dans un autre sens : Rendez forcément à César la pièce de monnaie qui porte son empreinte, et offrez vous vous-mêmes volontairement à Dieu ; car la lumière de votre visage, Seigneur, et non celle de César, a été gravée sur nous (Ps 4) — théophyl. César peut encore être considéré ici comme l'emblème de toutes les nécessités vie la vie. Le Seigneur nous ordonne donc de donner au corps la nourriture qui lui est propre et le vêtement, et de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c'est-à-dire, les veilles, les prières, etc. " Et ils admirèrent sa réponse. " Une si grande sagesse aurait du ouvrir leur cœur à la foi ; ils se contentent d'admirer que leurs desseins artificieux n'aient pas abouti.

 

Vv. 18-27.

la glose. Nôtre-Seigneur, par sa réponse pleine de sagesse, vient de déjouer la question artificieuse des pharisiens, il va maintenant confondre les sadducéens, qui viennent le tenter : " Après cela les sadducéens, " etc. — théophyl. Les sadducéens formaient une secte parmi les Juifs ; ils niaient la résurrection, aussi bien que l'existence des anges et des esprits. Ils viennent donc trouver Jésus, et au moyen d'un récit imaginaire et controuvé, ils cherchent à lui prouver que la résurrection n'a point eu lieu et qu'elle est à jamais impossible : " Et ils lui proposèrent cette question : Maître, " etc. Ils donnent sept maris à cette femme, afin de rendre plus impossible toute idée de résurrection. — bède. C'est là une fable qu'ils ont forgée à plaisir, dans le dessein de convaincre de folie ceux qui croient à la résurrection des corps ; cependant il peut se faire qu'un fait semblable se soit passé dans la Judée.

S. jér. Dans le sens allégorique, cette femme qui ne laisse aucun enfant de ses sept maris et qui meurt la dernière, est la figure de la synagogue juive ; elle est abandonnée par l'Esprit aux sept dons qui a rempli les patriarches. Cependant ils ne lui ont point laissé de rejeton de la race d'Abraham, qui est Jésus-Christ. Car bien que cet enfant soit né au milieu d'eux (Is 19), cependant c'est à nous, c'est aux nations qu'il a été donné. Cette femme était morte à Jésus-Christ, et ne pourra être unie dans la résurrection à aucun des patriarches ; car le nombre sept exprime l'universalité des choses, comme nous le voyons dans le fait contraire prédit par le prophète Isaïe : " En ce jour sept femmes prendront un seul homme " (Is 4), c'est-à-dire, que les sept Eglises que le Seigneur aime, reprend et châtie, s'uniront à lui et l'adoreront dans les sentiments d'une même foi : " Jésus leur répondit : Ne voyez-vous pas que vous êtes dans l'erreur, " etc. — théophyl. C'est-à-dire, vous ne comprenez pas la résurrection telle que l'enseigne l'Ecriture, vous croyez que les corps ressusciteront dans leur état actuel, il n'en sera pas ainsi. Vous ignorez donc complètement le sens des Ecritures ? Vous ne connaissez pas davantage la puissance divine, vous ne voyez ici que la difficulté et vous dites : Comment les membres disjoints et séparés d'un même corps pourront-ils être réunis et rendus à l'âme qui leur donnaient la vie ? Mais cette difficulté n'est rien pour la puissance de Dieu. " Lorsque les morts seront ressuscites, les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris, " etc. C'est-à-dire, la vie qui nous sera rendue aura un caractère angélique et divin, nous serons affranchis de la corruption, et nous resterons dans le même état, voilà pourquoi les noces n'auront plus de raison d'être. Elles ne sont établies ici-bas que pour combler les vides de la mortalité et perpétuer la succession du genre humain ; mais alors nous serons comme les anges qui n'ont pas besoin de cette succession, qui est le fruit des noces, parce que leur vie est immortelle. — bède. Il faut remarquer que l'usage de la langue latine ne répond pas à celui de la langue grecque, car le mot nubere ne se dit proprement que des femmes, et on emploie pour les hommes l'expression uxores ducere, prendre une épouse ; cependant nous appliquons simplement le mot nubere aux hommes qui se marient, et le mot nubi aux femmes qu'ils épousent.

S. jer. Voilà donc l'erreur où les fait tomber leur ignorance des Ecritures, car après la résurrection, les hommes seront comme les anges de Dieu, c'est-à-dire, il n'y aura plus ni mort, ni naissance, ni enfant, ni vieillard. — théophyl. Dette même ignorance leur fait commettre une autre erreur, car s'ils comprenaient bien les Ecritures, ils y trouveraient des preuves évidentes de la résurrection des morts : " Quant à la résurrection des morts, continue Nôtre-Seigneur, n'avez-vous point lu dans le livre de Moïse ce que Dieu lui dit dans le buisson, " etc. — S. jer. Je dis " dans le buisson, " emblème de ce que vous êtes, car le feu le brûlait, sans consumer ses épines, ainsi vous êtes comme entourés des flammes de ma parole, et elles ne peuvent consumer les épines qui sont le fruit de la malédiction. — théophyl. " Or, je vous le déclare, je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, comme s'il disait : " Je suis le Dieu de ceux qui vivent ; " et il ajoute, en effet ; " mais des vivants ; " et remarquez qu'il ne dit pas : J'ai été, mais, " je suis " le Dieu d'hommes qui existent encore. Dira-t-on que Dieu ne parle ici que de l'âme d'Abraham et non de son corps. Je réponds que la personne d'Abraham comprend ces deux choses, le corps et l'âme ; Dieu est donc aussi le Dieu du corps qui vit en Dieu, c'est-à-dire, en vertu de l'ordre établi de Dieu. — bède. On peut dire encore que Nôtre-Seigneur, en prouvant que les âmes survivent à la mort du corps (car Dieu ne pourrait point être le Dieu de ceux qui n'auraient jamais existé), en vient par une liaison nécessaire à la résurrection des corps qui ont participé aux bonnes et aux mauvaises actions des âmes. — S. jer. Ces paroles : " Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob, " sont une déclaration de la sainte Trinité. En ajoutant : " Dieu n'est pas le Dieu des morts, " Notre-Seigneur nous enseigne l'unité de la nature divine. Or, ceux-là vivent qui se sont rendus maîtres de la part qu'ils avaient choisie ; et ceux-là sont morts qui ont perdu ce qui était en leur possession ; vous êtes donc dans une grossière erreur. — la glose. En effet, ils se mettaient en contradiction avec les Ecritures, et soutenaient des opinions injurieuses à la puissance de Dieu.

 

Vv. 28-34.

la glose. Nôtre-Seigneur a réduit au silence et les pharisiens et les sadducéens qui étaient venus le tenter, voyons maintenant comment il répond à la question d'un docteur de la loi : " Alors l'un des docteurs de la loi s'approcha de lui et lui demanda : Quel est le premier de tous les commandements ? " etc. — S. jér. Ce doute, commun à tous ceux qui étaient versés dans la connaissance de la loi, venait de ce qu'elle paraissait imposer des commandements différents dans l'Exode (20), le Lévitique (26) et le Deutéronome (4). Nôtre-Seigneur déclare donc qu'il y a non pas un seul commandement, mais deux commandements distincts qui sont comme les deux mamelles placées sur le sein de l'épouse pour nourrir notre enfance (Ct 4, 5 ; 7, 7) : " Le premier commandement est celui-ci : Ecoutez, Israël, le Seigneur votre Dieu est le seul Dieu. " Il appelle le plus grand des commandements le premier de tous, c'est-à-dire celui que nous devons tous placer dans notre cœur comme le fondement unique de la piété, et qui consiste dans la connaissance, dans la confession de l'unité divine jointe à la pratique des bonnes œuvres, qui sont le fruit de l'amour de Dieu et du prochain : " Et vous aimerez le Seigneur votre Dieu, " etc. — théophyl. Voyez comme Notre-Seigneur énumère ici toutes les forces de l'âme. La première est la force vitale qu'il exprime, lorsqu'il dit : " De toute votre âme, " et à laquelle se rattachent la colère et le désir, passions que nous devons consacrer toutes à l'amour de Dieu. Il y a une autre force qu'on appelle naturelle, à laquelle est jointe la faculté de se nourrir et de se développer, et il faut également la donner toute entière à Dieu, elle est caractérisée par ces paroles " De tout votre cœur. " Il y a enfin la force raisonnable, qu'il désigne sous le nom d'esprit, et il faut encore l'offrir à Dieu dans toute son étendue. — la glose. Il ajoute : " De toutes vos forces, " ce qui peut se rapporter aux forces corporelles.

" Voici le second qui est semblable au premier : Vous aimerez voir, prochain comme vous-même. " Le second commandement est semblable au premier, dans ce sens que ces deux commandements ont entre eux une parfaite corrélation et une liaison des plus étroites. En effet, celui qui aime Dieu étend nécessairement cet amour à ses œuvres. Or, une des œuvres de Dieu les plus importantes, c'est l'homme. Donc celui qui aime Dieu, doit aimer tous les hommes ; et celui qui aime son prochain, cause si fréquente pour lui de scandales, doit aimer à bien plus forte raison celui de qui il ne reçoit que des bienfaits ; ci c'est à cause du lien étroit qui unit ces deux commandements, que le Sauveur ajoute : " Aucun autre commandement n'est plus grand que celui-ci. "

" Le docteur lui répondit : Maître, ce que vous avez dit est très véritable, " etc. — bède. Ce qu'il dit, que l'amour de Dieu vaut mieux que tous les holocaustes et tous les sacrifices, est une preuve qu'entre les scribes et les pharisiens s'agitait cette grave question : Quel était le premier et le plus grand commandement de la loi divine. Les uns mettaient au premier rang les victimes et les sacrifices ; les autres donnaient la préférence aux œuvres de la foi et de la charité , parce qu'avant la loi, la foi, qui opère par la charité (Ga 5, 6), avait suffi par rendre les patriarches agréables à Dieu, n'était, on le voit, le sentiment de ce docteur de la loi.

" Jésus, voyant qu'il avait répondu avec, sagesse, lui dit : Vous n'êtes pas loin du royaume de Dieu. " — théophyl. Il atteste par là même qu'il n'est pas encore arrivé à la perfection ; car il ne lui dit pas : Vous êtes dans le royaume du Dieu , mais : " Vous n'êtes pas loin du royaume de Dieu. " — bède. Or, il mérita cet éloge de n'être pas loin du royaume de Dieu, parce qu'il se déclare le partisan d'une vérité qui est propre au Nouveau Testament et à la perfection de l'Evangile. — S. aug. (de l'accord des Evang., 2, 75.) Peu importe que saint Matthieu dise qu'il est venu avec l'intention de tenter Jésus. Ne peut-on pas supposer qu'il est venu avec celte intention, il est vrai, mais que la réponse du Sauveur l'a fait changer de dessein ? Ou bien il est venu pour le tenter, non point dans la mauvaise acception du mot, comme un ennemi qui veut absolument tromper, mais avec la circonspection d'un esprit qui veut éprouver un homme qu'il ne connaît pas entièrement. — S. jer. Ou bien il n'était pas loin, parce qu'il venait avec une espèce de calcul ; car l'ignorance est plus éloignée du royaume de Dieu que la science. Aussi Nôtre-Seigneur fait-il plus haut ce reproche aux sadducéens : " Vous êtes dans l'erreur, parce que vous ne comprenez ni les Ecritures, ni la puissance de Dieu. " " Et depuis ce temps-là personne n'osait plus lui faire de questions. — bède. Après avoir été ainsi déjoués et confondus dans leurs questions, ils n'osent plus l'interroger, mais ils cherchent à s'emparer de lui pour le livrer ouvertement à la puissance romaine, preuve que l'envie peut être vaincue, mais qu'elle ne peut que difficilement rester en repos.

 

Vv. 35-37.

théophyl.. Comme le temps de la passion du Sauveur approchait, il croit devoir redresser la fausse opinion des Juifs qui prétendaient que le Christ était le Fils de David, mais non son Seigneur : " Et Jésus, enseignant dans le temple, leur dit." — S. jér. C'est-à-dire qu'il leur parle ouvertement de lui-même, pour leur ôter toute excuse. " Comment les scribes (Mt 12, 35) disent-ils que le Christ est le Fils de David ? " — théophyl. Or, Jésus-Christ prouve ici qu'il est le Seigneur par les paroles même de David : " Car David parle ainsi par l'Esprit saint : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite. " C'est-à-dire vous ne pouvez objecter que David, en parlant de la sorte, n'était point inspiré, car c'est vraiment dans l'Esprit saint qu'il l'a appelé son Seigneur. Il prouve ensuite qu'il l'est véritablement par ces paroles : " Jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied, " car les Juifs étaient eux-mêmes les ennemis dont Dieu le Père faisait le marchepied de son Fils. Que ce soit Dieu le Père qui assujettisse au Fils ses ennemis, c'est une preuve non point de l'impuissance du Fils, mais de l'unité de nature qui les fait agir conjointement l'un dans l'autre. En effet, le Fils assujettit aussi au Père ses ennemis, parce qu'il le glorifie sur la terre (Jn 17, 4)

la glose. C'est ainsi que de tout ce qui précède Nôtre-Seigneur donne une conclusion claire à une question qui d'abord pouvait sembler douteuse. Les paroles de David établissent que le Christ est le Seigneur de David ; la réponse des scribes prouve qu'il est son Fils, ce qui amène naturellement le Sauveur à leur demander : " David l'appelle son Seigneur, comment donc est-il son Fils ? "— bede. Cette question que leur fait Jésus est pour nous jusqu'à ce jour un puissant argument contre les Juifs. Ils confessent que le Christ doit venir, mais ils ne veulent voir en lui qu'un homme et qu'un saint personnage de la race de David. Or, instruits que nous sommes par le Seigneur, demandons-leur comment s'il n'est qu'un homme et le Fils de David, David dans son langage inspiré, l'appelle son Seigneur. Nous ne leur reprochons point de dire qu'il est le Fils de David, mais de refuser de croire qu'il est le Fils de Dieu.

" Et une foule nombreuse prenait plaisir à l’écouter. " — la glose. Parce qu'ils admiraient la sagesse de ses questions et de ses réponses.

 

Vv. 38-40.

S. jer. Après avoir ainsi confondu les scribes et les pharisiens, sa parole, nomme un feu ardent, consume les actions stériles de leur vie : " Et il leur disait en enseignant : Gardez-vous des docteurs de la loi qui aiment à se promener avec de longues robes. " — bède. " Ils aimaient à se promener avec de longues robes, " c'est-à-dire qu'ils aimaient à paraître en public avec des vêtements recherches, et c’est là une des fautes dont s'est rendu coupable ce riche, qui faisait tous les jours de magnifiques repas. (Lc 16)— théophyl. Ils marchaient revêtus de ces vêtements solennels, pour s'attirer de la considération et de l'honneur, et ils recherchaient ainsi tout ce qui pouvait tourner à leur gloire : " Ils aiment aussi à être salués dans les places publiques, à être assis sur les premiers siéges dans les synagogues, et à avoir les premières places dans les festins. "— bède. Remarquez que Nôtre-Seigneur ne défend point de recevoir le salut sur les places publiques ou d'occuper les premières places dans les assemblées ou dans les festins à ceux qui ont droit à ces honneurs en raison de leur dignité ou de leur position ; mais qu'il blâme seulement ici ceux qui exigent outre mesure des fidèles ces marques d'honneur, qu'ils y aient droit ou non, et leur reproche de donner en cela un mauvais exemple qu'il faut éviter. C'est donc la disposition du cœur, et non la place elle-même que le Seigneur condamne ici ; cependant il est difficile d'excuser ceux qui, assis sur la chaire de Moïse, ambitionnent le titre de maîtres de la synagogue, de se mêler aux débats de la place publique. Le Sauveur nous met en garde contre ces hommes avides de vaine gloire, pour deux raisons, pour nous prémunir contre la séduction de leur conduite, que nous serions tentés de regarder comme irréprochable, ou contre une vaine émulation, qui nous porterait à les imiter, en nous réjouissant des louanges données à des actions qui n'ont que les dehors de la vertu. — théophyl. Le Sauveur recommande ici particulièrement aux Apôtres de n'avoir aucun rapport avec les scribes, mais de s'appliquer à imiter le Christ, et en les établissant ainsi les maîtres de tout ce qui tend à rendre la vie vertueuse et sainte, il leur soumet tous les autres hommes.

béde. Ce ne sont pas seulement les louanges des hommes, mais l'argent et les richesses qu'ils désirent : " Ils dévorent les maisons des veuves sous le semblant de longues prières. " II en est, en effet, qui, se couvrant des dehors de la justice, viennent s'offrir aux consciences troublées par le souvenir de leurs péchés, pour être leur avocat, leur protecteur au jour du jugement, et qui n'hésitent pas à se faire payer cette prétendue protection ; or comme c'est surtout en priant, que le pauvre qui tend les mains, obtient l'aumône ; ces hommes passent les nuits en prières pour recevoir la pièce de monnaie destinée au pauvre. — théophyl. C'était aux femmes privées de l'appui de leurs maris que les scribes venaient offrir leur protection, et sous le faux semblant de la prière, sous l'attitude du respect et les dehors de l'hypocrisie, ils trompaient les veuves et dévoraient les maisons des riches. " Ils recevront un jugement plus rigoureux " que les autres Juifs coupables.

 

Vv. 41-44.

bède. Notre-Seigneur, qui venait de prémunir ses disciples contre les désirs ambitieux des premières places et de la vaine gloire, fait de même un discernement aussi juste que certain de ceux qui apportent leurs offrandes dans la maison du Seigneur. " Jésus-Christ étant assis vis-à-vis du tronc, il regardait de quelle manière le peuple y jetait de l'argent. ” Le mot grec φυλάξαι veut dire conserver, et le mot persan gaza signifie richesse ; de là le nom de gazophylacium donné à l'endroit où l'on conserve l'argent. Ce nom était également donné au tronc où l'on déposait les dons faits par le peuple pour les usages du temple, et aux portiques où ces troncs étaient placés. Vous avez un exemple de ces portiques dans l'Evangile : " Jésus parla de la sorte dans le parvis du trésor, lorsqu'il enseignait dans le temple. " (Jn 8, 20.) Il est aussi question du tronc des offrandes dans le livre des Rois. " Et le grand-prêtre Joïada prit un coffre et y fit une ouverture par dessus, " etc. (4 R 12, 9.) — théophyl. C'était une coutume louable chez les Juifs que ceux à qui leur fortune le permettaient, déposaient volontairement leur offrande dans le trésor du temple destiné à nourrir les prêtres, les pauvres et les veuves, " Et plusieurs gens riches en mettaient beaucoup. " Or, pendant qu'un grand nombre déposaient ainsi leurs offrandes, vint une pauvre veuve qui fit éclater sa piété par une offrande proportionnée à ses facultés. " II vint aussi une pauvre veuve qui mit seulement deux petites pièces, valant ensemble le quart d'un as. " — bède. Dans le calcul ordinaire on donne le nom de quadrans à la quatrième partie d'une chose, d'un espace quelconque, du temps, de l'argent. Peut-être ce mot exprime ici la quatrième partie du sicle, c'est-à-dire environ cinq oboles. " Alors Jésus, ayant appelé ses disciples, leur dit : Je vous le dis en vérité, cette pauvre veuve a plus donné que tous ceux qui ont mis dans le tronc. " Car Dieu pèse les intentions bien plus que l'objet même de nos offrandes, il considère moins la matière de notre sacrifice que la disposition généreuse de celui qui l'offre : " Car tous les autres ont donné de leur abondance, mais celle-ci a donné de son indigence même tout ce qu'elle avait, " etc.

S. jér. Dans le sens figuré, les riches sont ceux qui tirent du trésor de leurs cœurs des choses anciennes et nouvelles (Mt 13, 52), les secrets mystérieux et cachés de la sagesse divine (Ps 50, 7) dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament. Que figure cette pauvre femme ? moi et tous ceux qui me ressemblent, qui mettons ce que nous pouvons, et qui sommes obligés de nous arrêter aux désirs pour ce qui échappe à nos explications. Dieu ne considère pas le nombre de vérités que vous avez entendues, mais vos dispositions en les écoutant. Or, chacun de vous peut offrir le quadrant qui est une volonté active et prompte, et qui est ainsi appelée, parce qu'elle est composée de trois choses : la pensée, la parole et l'action. Nôtre-Seigneur dit que cette pauvre veuve a donné tout ce qui lui restait pour vivre parce que tous les plaisirs du corps consistent dans la nourriture suivant ces paroles de l'Ecclésiaste : " Tout le travail de l'homme est pour sa nourriture. " — théophyl. Ou bien dans un autre sens cette veuve, c'est l'âme de l'homme qui laisse Satan, à qui elle s'était attachée ; elle jette deux pièces de monnaie dans le trésor du temple, c'est-à-dire le corps et l'esprit, le corps par l'abstinence, l'esprit par l'humilité. Ainsi mérite-t-elle d'entendre qu'elle a donné tout ce qui lui restait pour vivre, et qu'elle en a fait un sacrifice, en ne réservant rien de ce qu'elle possédait.

bède. Dans le sens allégorique, les riches qui déposaient leurs offrandes dans le trésor du temple sont la figure des Juifs fiers de la justice de la loi. Cette pauvre veuve représente la simplicité de l'Eglise ; elle est pauvre, parce qu'elle s'est dépouillée de l'esprit d'orgueil et des concupiscences de la terre ; elle est veuve, parce que son époux a souffert la mort pour elle. Elle met deux petites pièces de monnaie dans le tronc, parce qu'elle vient apporter l'offrande soit de l'amour de Dieu et du prochain, soit de la foi et de la prière. C'est une bien petite offrande, eu égard à notre misère personnelle, mais les pieuses dispositions de notre âme la rendent agréable à Dieu , et elle l'emporte de beaucoup sur toutes les œuvres des Juifs orgueilleux. En effet, ces Juifs, qui présument de leur justice, donnent à Dieu de leur abondance ; l'Eglise, au contraire, offre tout ce qui sert à sa subsistance, parce qu'elle reconnaît que tout ce qui contribue à entretenir sa vie est dû non pas à ses mérites, mais à la libéralité toute gratuite de Dieu.

 

CHAPITRE XIII

 

Vv. 1-3.

bède. L'Eglise de Jésus-Christ une fois fondée, la Judée devait recevoir le digne châtiment de sa perfidie ; aussi est-ce avec dessein que Nôtre-Seigneur après avoir loué dans cette femme la dévotion de l'Eglise, sort du temple, prédit sa ruine prochaine, et le mépris réservé à ces constructions, objet de l'admiration générale. " Et comme il sortait du temple, un de ses disciples lui dit, " etc. — théophyl. Comme le Seigneur leur avait parlé à diverses reprises de la destruction de Jérusalem, ses disciples s'étonnaient du triste sort réservé à des édifices dont la magnificence égalait la grandeur ; ils lui montrent donc la riche structure du temple ; et Nôtre-Seigneur prédit que non-seulement il sera détruit, mais qu'il n'en restera point pierre sur pierre. " Jésus leur répondit : Voyez-vous ces grandes constructions, tout sera détruit, et il n'en restera point pierre sur pierre. " On objectera peut-être pour accuser la véracité du Sauveur, que les ruines du temple sont restées en grand nombre ; cette objection n'est pas fondée, car en supposant qu'il soit resté quelques ruines de cet édifice, cependant jusqu'à la consommation des siècles, il n'en restera point pierre sur pierre. D'ailleurs l'histoire rapporte qu'Ǽlius Adrien renversa de fond en comble la cité et le temple, et accomplit ainsi littéralement la prédiction du Sauveur.

bède. C'est par un dessein particulier de Dieu, qu'au temps où la grâce de la foi évangélique se fut répandue dans tout l'univers, le temple disparut avec toutes les cérémonies du culte judaïque. Autrement ceux qui étaient encore faibles dans la foi, en voyant subsister ce qui était d'institution divine, auraient pu se détacher insensiblement de la foi en Jésus-Christ, et tomber dans un judaïsme grossier. — S. jér. On peut dire encore que le Seigneur prédit à ses disciples la catastrophe des derniers temps de la Judée , c'est-à-dire la destruction du temple et du peuple juif avec son attachement à la lettre dont il ne restera point pierre sur pierre, des témoignages des prophètes, sur ceux contre lesquels les Juifs les faisaient retomber, comme sur Esdras, Zorobabel et les Macchabées. — bede. Dès que le Seigneur s'éloigne du temple, tous les édifices de la loi et l'ensemble des commandements se trouvent tellement détruits, que l'accomplissement en devient impossible aux Juifs, et que les membres ayant perdu leur chef, en sont réduits à se combattre entre eux.

 

Vv. 3-8.

bede. Alors que quelques-uns de ses disciples étaient dans l'admiration de l'imposante construction du temple, le Seigneur leur avait prédit que tous ces édifiées seraient détruits ; ses Apôtres l'interrogent donc en particulier sur le temps et les signes précurseurs de cette grande catastrophe : " Et comme il était assis, " etc. Le Seigneur s'assied sur le mont des Oliviers, en face du temple, pour prédire la ruine et la destruction de cet édifice ; cette attitude extérieure est conforme aux oracles qui vont sortir de sa bouche, et il nous enseigne ainsi dans un sens spirituel, que tandis qu'il repose paisible et tranquille dans les saints, il a en horreur la folie des âmes orgueilleuses; car le mont des Oliviers figure les hauteurs fertiles de la sainte Eglise (Ps 51, 8 ; Jr 11, 6). — S. aug. (lettre 80 à Hésychius.) A cette question que lui font ses disciples, le Seigneur répond en leur prédisant les événements qui devaient s'accomplir plus ou moins prochainement, et qui se rapportaient soit à la ruine de Jérusalem qui avait donné lieu à cette question, soit à son avènement par le moyen de l'Eglise, dans laquelle il ne cesse de venir, car il se produit et se manifeste dans les nouveaux membres qui lui naissent tous les jours ; soit à la fin des siècles, où il apparaîtra pour juger les vivants et les morts.

théophyl. Mais avant de répondre à leurs questions, il veut les affermir contre les séductions, auxquelles ils devaient être exposés : " Et Jésus leur répondit : Prenez garde que personne ne vous séduise, " etc. Il leur tient ce langage, parce qu'au temps des dernières épreuves de la Judée, on vit s'élever dans son sein des hommes qui prenaient insolemment le titre de docteurs, c'est ce que prédit le Sauveur : " Plusieurs viendront en mon nom, " etc. — bède. On en vit beaucoup, en effet, à l'approche de la ruine du Jérusalem, qui se proclamaient christs, et annonçaient l'ère prochaine de la liberté. Du temps des Apôtres, un grand nombre d'hérésiarques devaient aussi sortir du sein de l'Eglise. Plusieurs antéchrists vinrent aussi au nom de Jésus-Christ, le premier fut Simon le Magicien auquel les habitants de Samarie s'attachaient en disant de lui : " C’est là celui que l'on appelle la grande vertu de Dieu. " (Ac 8, 10) " Et ils en séduiront plusieurs. " Depuis la passion de Nôtre-Seigneur, le peuple juif qui lui avait préféré un voleur séditieux, et avait rejeté Jésus-Christ son Sauveur, fut continuellement en butte aux attaques de ses ennemis et à des guerres intestines. C'est à ces guerres que le Seigneur fit allusion en ajoutant : " Lorsque vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerre. " Mais il rassure en même temps ses disciples contre ses épreuves, et les engage à ne quitter ni Jérusalem ni la Judée ; car ce n'est point encore la fin, qui ne devait avoir lieu que quarante ans après. " II faut que ces choses arrivent, mais ce ne sera pas encore la fin, " c'est-à-dire la désolation de la province, et la destruction complète de la ville et du temple.

" On verra se soulever peuple contre peuple. " — théophyl. C'est-à-dire les Romains contre les Juifs, ce qui, au témoignage de l'historien Josèphe, eut lieu avant la destruction de Jérusalem. En effet, les Juifs ayant refusé de payer le tribut, les Romains vinrent furieux pour venger ce refus, mais comme à cette époque ils se montraient cléments à l'égard des nations vaincues, ils se contentèrent des dépouilles qu'ils emportèrent, sans détruire la ville de Jérusalem ; mais Dieu ne laissait pas de se déclarer lui-même contre les Juifs, comme on le voit par ce qui suit : " Il y aura des tremblements de terre en divers lieux. " — béde. C'est ce qui s'accomplit à la lettre au temps de la révolte des Juifs contre les Romains. Ce peuple qui se soulève contre un autre peuple, ces doctrines pestilentielles de ceux dont les discours gagnent comme un cancer. (2 Tm 2) Cette faim de la parole de Dieu, ces tremblements de terre qui s'étendent au loin, peuvent aussi s'entendre des hérétiques qui se séparent de la vraie foi, et qui, par leurs luttes intestines, assurent à l'Eglise la victoire.

 

Vv. 9-13.

bède. Nôtre-Seigneur fait ici connaître la justice des châtiments effroyables qui devaient fondre sur la Judée : " Prenez bien garde à vous, car on vous fera comparaître dans les assemblées des juges, vous serez fouettés de verges dans les synagogues. " En effet, la cause principale de la ruine du peuple juif, c'est que non content d'avoir mis à mort le Sauveur, il poursuivit avec une cruauté impie les prédicateurs de son nom et de sa foi. — théophyl. C'est avec dessein que Nôtre-Soigneur parle tout d'abord de ce que les Apôtres devaient souffrir, il veut leur faire trouver quelque consolation à leurs épreuves personnelles dans les souffrances et les tribulations qui seront communes à tous les autres. " Et vous serez conduits devant les gouverneurs et devant les rois, " etc. Ces rois et ces gouverneurs, c'est Agrippa, Néron, Hérode (Ac 15 ; 12). Ces paroles : " Vous serez conduits devant les rois et les gouverneurs à cause de moi, " étaient d'une grande consolation pour les Apôtres, puisque c'était pour Jésus-Christ lui-même qu'ils devaient souffrir. Il ajoute : " Pour me rendre témoignage devant eux, " ou, si l'on veut, en témoignage contre eux, c'est-à-dire, qu'ils seront inexcusables de ne s'être point rendus à la vérité malgré les travaux des Apôtres. " Cependant qu'ils se gardent de croire que ces tribulations et ces dangers seront un obstacle à la prédication des Apôtres : " Car, ajoute-t-il, il faut d'abord que l'Evangile soit prêché à toutes les nations, " etc. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 7.) Saint Matthieu ajoute : " Et alors viendra la consommation ; " mais l'expression de saint Marc : " II faut d'abord, " a la même signification.

bède. Les monuments historiques attestent à l'envi l'accomplissement de cette prédiction. Nous y lisons que tous les Apôtres, peu de temps avant la ruine de la Judée, se répandirent dans tout l'univers pour y prêcher l'Evangile, à l'exception de Jacques, fils de Zébédée, et de Jacques, frère du Seigneur, qui avaient déjà versé leur sang dans la Judée pour la parole du Seigneur. Le Seigneur savait que le cœur de ses disciples serait contristé de la destruction et de la ruine de leur nation, il veut donc leur donner cette consolation, en leur apprenant qu'au défaut des Juifs qu'il rejetait, ils auraient d'autres compagnons de la gloire et du royaume des cieux, et qu'il se choisirait parmi toutes les nations un plus grand nombre d'élus que la ruine de la Judée n'en ferait perdre.

la glose. Une autre préoccupation pouvait naître dans l'esprit des disciples. Jésus leur avait prédit qu'ils seraient conduits devant les rois et les gouverneurs ; ils pouvaient donc se demander, si dépourvus qu'ils étaient de science et d'éloquence, ils ne seraient pas dans l'impossibilité de répondre ; le Seigneur les rassure donc en leur disant : " Et lorsque vous serez conduits, " etc. — bède. Lorsque nous sommes traduits devant les juges pour la cause de Jésus-Christ, il nous suffit d'offrir notre volonté pour lui. Jésus-Christ qui habite en nous parlera pour nous, et la grâce du Saint-Esprit nous dictera la réponse que nous devons faire, " car ce n'est pas vous qui parlez, mais l'Esprit saint. "

théophyl. Il leur prédit encore quelque chose de plus cruel, c'est que leurs proches deviendraient leurs propres persécuteurs : " Le frère livrera son frère à la mort, et le père son fils, " etc. — bède. C'est ce que nous avons vu souvent dans les persécutions, et des cœurs divisés sur le point de la foi ne peuvent être unis par une affection véritable et sûre. — théophyl. En leur annonçant ce danger, le Sauveur veut les préparer à supporter patiemment ce nouveau genre de persécutions et d'épreuves. Selon sa coutume, il joint à cette prédiction une vérité consolante : " Et vous serez haï de tout le monde à cause de mon nom. " Etre un objet de haine à cause de Jésus-Christ, c'est là un motif suffisant pour nous de souffrir patiemment les persécutions (car ce n'est point la souffrance, mais la cause pour laquelle on souffre qui fait le martyr). Enfin, rien de plus consolant au milieu des persécutions que ce que le Sauveur ajouta : " Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé. "

 

Vv. 14-20.

la glose. Après avoir décrit les signes précurseurs de la destruction de la ville de Jérusalem, Nôtre-Seigneur prédit les circonstances qui doivent l'accompagner : " Lorsque vous verrez l'abomination, " etc.— S. aug. (De l'accord des Evang., 2, 77.) Saint Matthieu dit : " Etablie dans le lieu saint. " Saint Marc se sert d'une expression différente, mais le sens est le même. Pourquoi dit-il, en effet : " établie où elle induit pas être ? " parce qu'elle est dans le lieu saint d'où elle devrait être à jamais bannie. —bede. Lorsque l'Esprit saint nous invite à l'intelligence du texte sacré, c'est une preuve qu'il renferme un sons spirituel. Or, on peut entendre cette abomination, ou de l'Antéchrist, on de l'image de César, que Pilate plaça dans le temple, ou de la statue équestre d'Adrien, qui demeura longtemps dans le saint des saints, en effet, le mot abomination dans le langage de l'Ancien Testament est souvent synonyme d'idole (Dt 7, 25 ; 4 R 23, 16 ; Ez 7, 20). Il ajoute : " De la désolation, " parce que ces idoles ont été placées dans le temple désert et désolé. — théophyl.. Ou bien, " l'abomination de la désolation, " c'est l'entrée des ennemis par violence dans la ville. — S. aug. (Lett. 80 à Hésych.) Saint Luc, pour nous apprendre que cette abomination de la désolation eut lieu lors du siège de Jérusalem, rapporte eu ce même endroit les paroles du Sauveur : " Quand vous verrez Jérusalem entourée par des armées, sachez que la désolation de cette ville est proche" (Lc 21, 20). " Alors que ceux qui sont dans la Judée fuient vers les montagnes." — bède. Cette prédiction, l'histoire ecclésiastique en fait foi, fut littéralement accomplie, lorsqu'aux approches de l'armée romaine et de la ruine du peuple juif, tous les chrétiens avertis par un oracle venu du ciel, s'éloignèrent de la Judée, passèrent le Jourdain, et se retirèrent pour un temps dans la ville de Pella, sous la protection d'Agrippa, roi des Juifs, dont parlent les Actes des Apôtres (Ac 25 ; 26), et qui avec la partie de la nation juive qui consentait à reconnaître son autorité, restait toujours soumis à l'autorité de l'empire romain. — théophyl. Nôtre-Seigneur dit : " Ceux qui sont dans la Judée, " parce qu'en effet les Apôtres n'étaient pas alors dans la Judée, et bien longtemps avant la guerre, ils avaient été obligés de quitter Jérusalem. —la glose. Ou plutôt ils en étaient sortis par une inspiration de l'Esprit saint : " Que celui qui sera sur le toit, ne descende pas dans sa maison, et n'y entre point pour en emporter quelque chose, " car il serait mille fois désirable de pouvoir échapper, même dépouillé de tout, à une si grande tribulation.

" Malheur aux femmes qui seront grosses ou nourrices en ces jours-là. " — bède. Celles dont le sein ou les bras chargés du fardeau de leurs enfants, pourront difficilement trouver leur salut dans la fuite. — théophyl. Je crois que le Sauveur fait ici allusion aux mères qui mangèrent leurs enfants, car la famine et la peste les amenèrent à cette cruelle extrémité contre le fruit de leurs entrailles.

la glose. A ces deux obstacles à leur fuite tirés l'un du désir d'enlever les objets qui leur appartenaient, l'autre, de la difficulté de porter leurs enfants, Notre-Seigneur en ajoute un troisième, celui du temps : " Priez Dieu que ces choses n'arrivent point durant l'hiver. " — théophyl. Afin que la rigueur de la saison ne s'oppose point à votre fuite. Quels seront les graves motifs qui les réduiront à cette triste nécessité de fuir ? " Car l'affliction de ce temps-là sera si grande, que depuis le commencement de la création de l'univers jusqu'à présent, il n'y en eut jamais de pareille. " — S. aug. (lett. 80 à Hésych.) Josèphe, qui a écrit l'histoire des Juifs, nous rapporte une multitude de faits inouïs qui précédèrent la ruine de ce peuple, et qui paraissent à peine croyables, ce qui justifie ces paroles du Sauveur, que jamais depuis la création on n'a vu, que jamais on ne verra de tribulation semblable. Peut-être, la tribulation qui doit éclater lors de la venue de l'Antéchrist, égalera, surpassera même celle-ci, mais quant au peuple juif, il est vrai de dire que jamais il n'en existera de semblable, d’ailleurs, si les Juifs doivent être les premiers et les plus empressés à recevoir l'Antéchrist, ils seront bien plutôt les auteurs que. les victimes de cette tribulation.

hkde. Le seul refuge contre de si grands maux, c'est que Dieu qui donne la force de supporter la persécution, mettra un terme à la puissance des persécuteurs : " Que si le Seigneur n'avait abrégé ces jours, " etc. — théophyl.. C’est-à-dire, si la guerre des Romains n'avait été de courte durée, nul homme n'eût été sauvé, c'est-à-dire, aucun juif n'eût échappe. Mais à cause des élus qu'il a choisis (c'est-à-dire, des Juifs qui avaient déjà embrassé, ou qui devaient embrasser la foi), Dieu abrégea ces jours, et mit promptement fin à la guerre, car Dieu savait qu'après la ruine de Jérusalem, un grand nombre de Juifs croiraient en Jésus-Christ, et c'est en leur faveur que la nation juive ne fut pas entièrement détruite. — S. aug. (Lett. 80 à Hesych.) Je regarde comme plus probable l'interprétation de certains auteurs, d'après lesquels les jours seraient pris ici pour les calamités elles-mêmes, de même que nous voyons dans plusieurs autres endroits de l'Ecriture, les jours appelés mauvais (Gn 47, 9 ; Ps 93, 13 ; Ep 5, 16) ; car ce ne sont pas les jours qui sont mauvais, mais les événements qu'ils voient s'accomplir. Ces jours donc seront abrégés, dans ce sens que Dieu donnera la force nécessaire pour sentir moins vivement le poids de ces calamités, et leur ôtera ainsi ce qu'ils auront d'excessif et d'insupportable. — bède. Ou bien encore, tout ce qui suit à commencer de ces paroles : " L'affliction de ce temps-là sera si grande, " etc., se rapportent, dans leur sens propre, au temps de l'Antéchrist, où non-seulement les chrétiens auront à souffrir des tourments plus nombreux et plus cruels, mais ou, chose déplorable, l'éclat des prodiges semblera justifier la conduite des persécuteurs.

bède. Or, plus cette dernière tribulation l'emportera par l'étendue des épreuves sur toutes celles qui ont précédé, plus aussi elle sera limitée dans sa durée ; car, autant que la prophétie de Daniel et l'Apocalypse de saint Jean permettent de le conjecturer, l'Eglise répandue par toute la terre sera persécutée pendant trois ans et demi (Dn 12, 11 ; Ap 13, 15). Dans le sens spirituel, " lorsque nous verrons l'abomination de la désolation établie où elle ne doit pas être, " c'est-à-dire, les hérésies et les crimes régner parmi ceux qui paraissaient consacrés aux divins mystères, " alors nous tous qui sommes dans la Judée, " c'est-à-dire, qui persévérons dans la confession de la vraie foi, " nous devons d'autant plus nous efforcer de nous élever au sommet des vertus, que nous en voyons un plus grand nombre suivre les sentiers du vice. — S. jér. Fuir sur les montagnes, c'est ne point descendre des hauteurs où l'on s'est élevé. — bède. Alors que celui qui est sur le toit, c'est-à-dire, qui s'est élevé par l'esprit au-dessus des œuvres charnelles, ne redescende pas dans les actions basses de sa vie première, et qu'il ne rouvre pas sou cœur aux désirs de la chair et du monde, car notre maison, c'est ou ce monde, ou la chair que notre âme habite.

S. jér. " Priez Dieu, dit Nôtre-Seigneur, que votre fuite n'ait point lieu en hiver, ou le jour du sabbat, " c'est-à-dire, priez que les fruits de vos œuvres ne passent pas avec le temps ; en effet, l'hiver est la saison où finissent les fruits, et le sabbat est la figure de la fin des temps. — bède. Si l'on entend ces paroles de la consommation des siècles, nous dirons alors que Jésus-Christ nous recommande de ne point laisser refroidir notre foi en Jésus-Christ et notre charité pour lui, comme aussi de ne point cesser de pratiquer les bonnes œuvres, et de ne point nous livrer au repos du sabbat dans l'exercice des vertus.

S. jér. Cette tribulation sera grande, et sa durée abrégée, à cause des élus, de peur que le mal du temps ne vienne changer leur esprit (Sg 4).

 

Vv. 21-27.

théophyl. Après avoir achevé tout ce qui a rapport à la ruine de Jérusalem, Nôtre-Seigneur passe à l'avènement de l'Antéchrist : " Alors si quelqu'un vous dit : Le Christ ici, ou il est là, ne le croyez point. " II ne faut pas entendre cette expression : " alors, " du temps qui devait suivre immédiatement l'accomplissement des prédictions sur Jérusalem. Ainsi lorsque saint Matthieu, après avoir raconté la génération de Nôtre-Seigneur, dit : " En ces jours, Jean vint, " etc., est-ce immédiatement après la naissance du Sauveur ? Non, sans doute ; ces paroles ont un sens indéfini ou indéterminé, il en est de même de l'expression " alors ; " il ne s'agit donc point du temps de la ruine de Jérusalem, mais du temps où doit venir l'Antéchrist : " II s'élèvera alors de faux christs, " etc. Un grand nombre prendront le nom du Christ, et séduiront ainsi jusqu'aux fidèles. — S. aug. (Cité de Dieu, 19.) Satan sera alors déchaîné, et il usera de toute sa puissance pour opérer dans la personne de l'Antéchrist des prodiges merveilleux, mais trompeurs et mensongers. On se fait souvent cette question : l'Apôtre a-t-il traité de mensonges (2 Th 2, 9) ces signes et ces prodiges, parce que ce n'étaient que de vains fantômes, dont le démon se servait pour tromper les sens, et paraître faire ce qu'il ne faisait pas ? Ou bien est-ce parce que tout en étant de vrais prodiges, ils entraînaient dans l'erreur ceux qui ne pouvaient croire qu'un autre que Dieu en fût l'auteur, dans l'ignorance où ils étaient que la puissance du démon devait alors être plus grande qu'elle n'avait jamais été. Or, quelle que soit l'interprétation qu'on adopte, ces signes, ces prodiges séduiront ceux qui mériteront d'être séduits. — S. grég. (sur Ezech., hom. 9.) Mais pourquoi cette forme dubitative : " s'il est possible, " alors que le Seigneur savait parfaitement ce qui devait arriver. De deux choses l'une, s'ils sont élus, il n'est pas possible qu'ils soient séduits ; et si cela est possible, ils ne sont pas élus. Cette forme dubitative dans la bouche du Seigneur, exprime donc uniquement le trouble et l'hésitation d'esprit de ceux qu'il appelle les élus, parce qu'il voit leur persévérance dans la foi et les bonnes œuvres ; mais bien que Dieu les ait choisis comme devant persévérer, ils seront tentés par les prédicateurs de l'Antéchrist, qui s'efforceront de les entraîner dans leur chute.

bède. Il en est qui rapportent cette prédiction au temps de la captivité des Juifs où l'on vit un grand nombre de séducteurs qui prenaient le nom de Christ, et entraînaient après eux les nombreuses victimes de leur séduction. Mais lors du siège de la ville de Jérusalem, elle ne renfermait dans son sein aucun chrétien à qui put s'adresser cet avertissement du Sauveur, de ne pas suivre de faux docteurs. Il est donc plus juste de les entendre des hérétiques qui se couvraient faussement du nom de Christ, pour mieux combattre l'Eglise ; le premier d'entre eux fut Simon le Magicien, et le dernier comme le plus dangereux sera l'Antéchrist.

" Prenez donc garde à vous, voici que je vous l'ai prédit, " etc. — S. aug. (lett. 137 au peuple d'Hippone.) Il ne s'est pas contenté de prédire longtemps à l'avance les récompenses qu'il devait accorder aux fidèles et aux saints, il a voulu aussi prédire les maux qui devaient fondre en foule sur le monde dès cette vie. Il nous fait ainsi attendre les biens de l'autre vie avec une foi et une certitude d'autant plus grande, que nous passons par les épreuves qui, d'après les mêmes prédictions, devaient précéder la fin du monde.

théophyl. Or, après l'avènement de l'Antéchrist, le globe terrestre sera bouleversé et changé par suite de l'obscurcissement des astres en présence de la clarté resplendissante de Jésus-Christ. " Mais après ces jours d'affliction, le soleil s'obscurcira, " etc. — bède. En effet, au jour du jugement, les astres paraîtront couverts d'obscurité, non qu'ils perdent rien de la lumière qui leur est propre, mais parce qu'ils seront éclipsés par l'éclat de la lumière véritable, c'est-à-dire, du souverain Juge. Cependant rien ne s'oppose à ce que l'on entende que le soleil, la lune et les astres seront alors privés réellement pour un temps de leur lumière, comme cela est certainement arrivé lors de la mort du Christ. Mais le jugement une fois terminé, il y aura un ciel nouveau et une nouvelle terre (2 P 3, 13 ; Ap 21, 1), et alors s'accomplira cette prophétie d'Isaïe : " La lumière de la lune brillera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus éclatante " (Is 30, 26). " Et les puissances des cieux seront ébranlées. " — théophyl. C'est-à-dire, que les puissances angéliques seront frappées de stupeur en étant témoins d'aussi étonnants prodiges, et en voyant juger ceux qui partageaient leur nature. — bède. Qu'y a-t-il d'étonnant que les hommes soient remplis de frayeur aux approches de ce jugement, dont la vue seule fait trembler les puissances angéliques ? Que feront les simples planches quand les colonnes sont ébranlées ? Que deviendra l'arbuste du désert, quand le cèdre du paradis tremble jusque dans ses racines ?

S. jér. Ou bien encore : " Le soleil s'obscurcira, " pour les cœurs glacés comme pendant l'hiver, " et la lune ne donnera plus sa lumière, " qui brillait sereine au-dessus des orages et des disputes qui agitent la terre ; et les étoiles du ciel tomberont du ciel, " sans lumière, lorsqu'on verra la race d'Abraham qui a été comparée aux étoiles, défaillir presque toute entière ; " et les vertus des cieux seront ébranlées, " lorsqu'à l'avènement du Fils de l'homme elles seront envoyées comme les ministres de sa vengeance. C'est de cet avènement que le Sauveur ajoute : " Et alors, ils verront venir sur les nuées avec une grande puissance et une grande majesté le Fils de l'homme " qui était descendu, d'abord comme la pluie sur la toison de Gédéon, revêtu des livrées de l'humilité. " — S. aug. (lett. 80 à Hésych). Les anges avaient dit aux Apôtres : " II viendra de la même manière que vous l'avez vu monter au ciel. " (Ac 2) Nous devons donc croire qu'il viendra, non-seulement avec le même corps mais sur les nuées, puisqu'il viendra du ciel comme il y est monté, et qu'une nuée le reçut et le déroba aux yeux de ses disciples.

 

théophyl. Or ils verront le Seigneur comme Fils de l'homme, c'est-à-dire, revêtu d'un corps sensible, car tout ce qui se voit est corporel. — S. aug. (de la Trin., 1, 13.) Il sera donné devoir le Fils de l'homme, même aux méchants, mais la vue de la nature divine sera réservée à ceux qui ont le cœur pur parce qu'ils verront Dieu (Mt 5). Comme les méchants ne peuvent voir le Fils de Dieu dans cette forme divine, qui le rend l'égal de son Père, et qu'il faut cependant que les méchants comme les bons voient le juge des vivants et des morts devant lequel ils doivent comparaître, il était donc nécessaire qu'il reçût comme Fils de l'homme la puissance déjuger, puissance dont il nous décrit l'exercice dans les paroles suivantes : " Et alors il enverra ses anges. " — théophyl. Vous voyez que Jésus-Christ envoie les anges comme le Père, où sont donc ceux qui prétendent qu'il n'est pas égal à son Père ? Or, les anges s'empresseront de rassembler les élus afin qu'ils puissent aller dans les airs au-devant de Jésus-Christ (1 Th 4, 16) : " Et il réunira ses élus des quatre vents. " — S. jér. Comme le blé qu'on bat et qu'on passe au van, sur l'aire de toute la terre. — bède. " Des quatre vents, " c'est-à-dire, des quatre parties du monde, l'Orient, l'Occident, le Septentrion et le Midi. Et ce n'est pas seulement des quatre parties du monde, mais de toutes ses extrémités, des régions les plus éloignées au delà des mers qu'il rassemblera ses élus, comme l'indiquent ces paroles : " Depuis l'extrémité de la terre jusqu'à l'extrémité du ciel, " c'est-à-dire, des extrémités les plus éloignées de l'univers, jusqu'à ces contrées opposées, où le contour du ciel parait au loin s'appuyer sur les confins de la terre. Tous les élus donc, sans exception, viendront dans ce jour au-devant du Seigneur; les méchants se rendront aussi au jugement, pour disparaître de devant la face de Dieu et périr pour l'éternité après leur sentence de condamnation (Ps 67, 1).

 

Vv. 28-31.

béde. Sous cette figure du figuier, le Seigneur nous apprend le temps de la consommation du monde : " Apprenez ceci d'une comparaison tirée du figuier, lorsque ses branches sont encore tendres, " etc. — théophyl. C'est-à-dire, de même que l'été vient aussitôt après que le figuier a poussé ses feuilles ; ainsi, aussitôt après les persécutions de l'Antéchrist, aura lieu l'avènement du Christ, qui sera pour les justes l'été succédant à l'hiver, et pour les pécheurs l'hiver après l'été. — S. aug. (lett. 81 à Hésych.) On peut dire encore que tout ce que les trois Evangélistes ont raconté de l'avènement du Seigneur, soigneusement comparé et discuté, paraît se rapporter à cet avènement qu'il accomplit tous les jours dans son corps, qui est l'Eglise, à l'exception des endroits où le dernier avènement est prédit clairement, comme s'approchant tous les jours. Ainsi, dans la dernière partie du discours rapporté par saint Matthieu, c'est à ce dernier avènement qui s'appliquent ces paroles : " Lorsque le Fils de l'homme viendra dans sa majesté. " A quoi se rapportent en effet ces autres paroles : " Lorsque vous verrez toutes ces choses s'accomplir ? " Aux circonstances dont il vient de parler et parmi lesquels il faut ranger celle-ci : " Et alors ils verront le Fils de l'homme venant sur les nuées, " Ce ne sera donc pas encore la fin, mais elle ne sera pas éloignée. Ou bien on peut dire encore, que tout ce qui précède ne doit pas s'entendre du dernier avènement, mais une partie seulement, c'est-à-dire, ces paroles : " Et alors ils verront venir le Fils de l'homme, " car ce sera bien là non un signe de la fin prochaine, mais la fin elle-même. Cependant saint Matthieu montre clairement qu'il faut tout entendre sans exception de la fin du monde, lorsqu'il dit : " Lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que le Fils de l'homme est proche et qu'il est à la porte. " Voici donc dans quel sens il faut entendre ce qui a été dit plus haut : " Et il enverra ses anges des quatre parties du monde, " c'est-à-dire, il rassemblera ses élus de toutes les parties de la terre, pendant toute cette dernière heure, en venant dans ses membres comme sur les nuées.

bède. Au sens spirituel on peut voir dans ce figuier qui se couvre de feuilles, la synagogue qui, lors de la venue du Sauveur, ne produisait aucun fruit de justice dans ceux qui étaient alors incrédules, et qui fut condamnée à une éternelle stérilité. Cependant l'Apôtre dit : " Lorsque la plénitude des nations sera entrée, tout Israël sera sauvé. " Qu'est-ce à dire ? que le figuier longtemps stérile produira les fruits qu'il avait refusés jusque-là. Dès que vous apercevrez ces fruits, soyez certain que l'été du la paix véritable n'est pas éloigné. — S. jér. Ou bien les feuilles nouvelles du figuier c'est le temps présent, l'été qui approche, c'est le jour du jugement, jour auquel chaque arbre découvrira ce qu'il portait en soi, ou l'aridité qui le fera condamner au feu, ou la sève qui le rendra digne d'être planté avec l'arbre de vie.

" Je vous dis en vérité que cette génération ne passera point, que toutes ces choses ne soient accomplies. " — bède. Par génération, on peut entendre ici ou tout le genre humain, ou la nation seule des Juifs.—théophyl. Ou bien encore, " cette génération, " la génération des chrétiens ne passera point que toutes les prédictions sur Jérusalem et sur l'Antéchrist ne soient accomplies. Il ne dit pas en effet la génération des Apôtres, parce que les Apôtres, pour le plus grand nombre, ne vécurent point jusqu'à la ruine de Jérusalem. Il veut doue parler de la génération des chrétiens, et son dessein est de consoler ses disciples, en leur donnant l'assurance que la foi ne défaillirait pas entièrement dans ces temps malheureux. Les éléments stables et permanents du monde passeront plutôt que les paroles du Christ : " Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. " — bède. Le ciel qui doit passer, n'est ni le ciel éthéré, ni le ciel des astres, mais le ciel atmosphérique ; car d'après la doctrine de saint Pierre, le feu du jugement atteindra tous les endroits où les eaux du déluge ont pu parvenir (2 P 3, 5-7). Le ciel et la terre passeront quant à la forme extérieure qu'ils ont actuellement, mais leur substance a une durée éternelle.

 

Vv. 32-37.

théophyl. Le Seigneur veut détourner ses disciples de le questionner sur le jour et l'heure on ces choses arriveront : " Quant à ce jour et à cette heure, leur dit-il, nul ne les sait, ni les auges qui sont dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul. " S'il leur avait dit, je le sais, mais je ne veux pas vous le découvrir, il les aurait singulièrement attristés ; il agit donc plus sagement, il éloigne leur esprit de toute question de ce genre, et il échappe à toutes leurs difficultés on leur disant : "Ni les anges ne le savent, ni moi-même. " — S. hil. (de la Trin., 9) On objecte au Fils unique de Dieu d'ignorer ce jour et cette heure, et on en conclut qu'il n'est point né Dieu de Dieu avec cette nature parfaite que possède Dieu le Père ; mais j'en appelle ici au simple jugement du sens commun ; peut-on supposer une ignorance quelconque, dans celui qui est pour tous les êtres l'auteur de ce qu'ils sont et de ce qu'ils seront ? Comment une seule chose peut-elle être en dehors de la science de sa nature, par laquelle et dans laquelle sont contenues toutes les choses qui doivent exister. Quoi ! il aurait ignoré le jour de son avènement. L'homme, autant que sa nature le lui permet, prévoit d'avance ce qu'il a dessein de faire, et la connaissance de ce qu'il doit faire suit chez lui la volonté d'agir. Comment donc admettre que le Seigneur de gloire, par cette ignorance au jour de son avènement, ait eu une nature si imparfaite que d'être soumise à un avènement nécessaire, sans en avoir aucune connaissance. Mais encore, il y a ici double impiété, si l'on suppose une intention malveillante dans Dieu le Père, qui aurait refusé la connaissance de la béatitude à celui à qui il avait révélé la connaissance de sa mort. Si tous les trésors de la science sont en lui ; il ne peut ignorer ce jour, mais nous devons nous rappeler que ces trésors de science sont cachés en lui. L'ignorance dont il parle tient donc uniquement à ce que les trésors de la science restent cachés en lui. Toutes les fois donc que Dieu déclare ignorer quelque chose, il ne s'agit point d'une véritable ignorance, mais il veut nous apprendre, ou qu'il n'est pas temps de parler, ou qu'il n'est pas temps d'agir. L'Ecriture dit de Dieu, qu'il connut qu'Abraham l'aimait, parce qu'il le fit connaître à Abraham lui-même (Gn 22). Il faut donc dire, par la même raison, que le Père a connu ce jour, parce qu'il l'a révélé à son Fils. Si donc nous lisons que le Fils ne connaît point ce jour, c'est dire d'une manière figurée qu'il ne doit point en parler ; au contraire, le Père seul connaît ce jour, parce que c'est à lui de le faire connaître. Gardons-nous donc d'admettre dans le Père ou dans le Fils aucun changement, aucune modification extérieure. Enfin, pour éloigner de lui tout soupçon d'ignorance, il ajoute aussitôt : " Prenez garde, veillez et priez, parce que vous ne savez quand ce temps viendra. " — S. jér. La vigilance est un devoir pour l'âme avant la mort du corps. — théophyl. Il nous recommande à la fois ces deux choses : la vigilance et la prière, car il en est beaucoup qui veillent, mais qui passent les nuits dans les excès de la débauche. C'est pour nous enseigner cette vérité qu'il amène la comparaison suivante : " II en sera comme d'un homme qui, s'en allant faire un voyage. "

bède. Cet homme qui part pour un long voyage et quitte sa maison, c'est Jésus-Christ qui, après sa résurrection, remontant vers son Père, vainqueur de la mort, quitte extérieurement l'Eglise, mais sans jamais la priver du secours de sa divine présence. En effet, l'habitation naturelle de la chair est la terre, et le Sauveur l'emmène comme en voyage, lorsqu'il la place dans les cieux. Cet homme assigne à chacun de ses serviteurs la tâche qui lui est propre, c'est-à-dire, que Nôtre-Seigneur, avec la grâce de l'Esprit saint, leur rend possible la pratique de toutes les bonnes œuvres. Il recommande au portier de veiller, c'est-à-dire, qu'il fait un devoir à l'ordre des pasteurs, de consacrer tous leurs soins à l'Eglise qui leur est confiée. Cette recommandation n'est pas seulement pour les pasteurs de l'Eglise ; nous devons nous-mêmes veiller, garder soigneusement sur les portes de nos cœurs, les fermer à toute inspiration mauvaise de l'antique ennemi, et prendre garde que le Seigneur ne nous trouve endormis. — S. jér. Car celui qui dort ne voit que des fantômes et non des corps véritables, et lorsqu'il est réveillé, il ne lui reste de ce qu'il a vu dans son sommeil qu'un souvenir sans réalité. Tels sont ceux qui, pendant cette vie, se laissent entraîner à l'amour du monde, et qui, au moment de la mort, se voient abandonnés de ce que, dans leurs rêves, ils avaient regardé comme des réalités. — théophyl. Remarquez qu'il ne dit pas : Je ne sais quand ce temps viendra, mais " vous ne savez. " C'est dans notre intérêt que Nôtre-Seigneur nous a caché ce jour, car si maintenant que nous l'ignorons, nous ne pensons pas à notre fin, qu'aurions-nous fait si nous l'avions su ? Hélas ! nous prolongerions nos iniquités jusqu'au dernier jour de notre vie. Pesons bien ici chacune des expressions du Sauveur. La fin arrive sur le soir pour celui qui meurt dans la vieillesse ; au milieu de la nuit pour celui qui meurt au milieu de la jeunesse ; au chant du coq, lorsqu'on quitte la vie à l'âge où la raison dirige nos actions. En effet, lorsque l'enfant commence à régler sa vie d'après les inspirations de la raison, c'est comme le chant du coq qui élève la voix et le réveille du sommeil de la vie des sens. Le matin, c'est l'enfance. Il nous faut donc à tout âge prévoir notre fin et veiller à ce que l'enfant même ne sorte point de cette vie sans baptême.

S. jér. Nôtre-Seigneur conclut tout son discours par ces paroles : " Ce que je vous dis, je le dis à tous, " afin que les derniers reçoivent des premiers cette recommandation qui est commune à tous. — S. aug. (lett. 80 à Hésych.) Il ne s'adressait pas seulement à ceux qui l'écoutaient, mais encore à ceux qui devaient les suivre et nous précéder, à nous-mêmes et à ceux qui viendront après nous jusqu'à son dernier avènement. Est-ce qu'en effet ce jour trouvera tous les hommes encore en vie ? Ou bien dira-t-on que c'est aux morts aussi que s'adressent ces paroles : " Veillez, afin que ce jour qui viendra à l'improviste ne vous trouve endormi ? " Pourquoi donc adresse-t-il à tous une recommandation qui ne parait concerner que ceux qui vivront alors, si ce n'est parce qu'elle s'adresse à tous en réalité, comme je l'ai dit. Ce jour vient pour chacun de nous, avec le jour de sa mort, parce qu'il sort de cette vie dans l'état où il sera jugé au dernier jour. Tout chrétien doit donc veiller, afin que ce jour ne le surprenne pas sans être préparé. Or, il surprendra sans préparation celui qui ne se sera point préparé au dernier jour de sa vie.

 

CHAPITRE XIV

 

Vv. 1-2.

S. jér. Il nous faut maintenant répandre du sang sur notre livre et sur le seuil de nos demeures, entourer d'un ruban d'écarlate la maison où nous prions, tenir dans la main une bandelette d'écarlate comme Zara, afin de pouvoir raconter le sacrifice de la vache rousse dans la vallée des victimes (Ex 12 ; Jos 2 ; Gn 28 ; Nb 19). L'Evangéliste commence le récit de la passion de Jésus-Christ par ces paroles : " Or, deux jours après était la fête de Pâques, " etc. — bède. La pâque, en hébreu phase, ne tire point son étymologie et sa signification du mot passion, comme plusieurs le pensent, mais du mot passage, parce que l'ange exterminateur, à la vue du sang dont les portes des Israélites étaient marquées, passa sans les frapper (Ex 12) ; ou bien, parce que le Seigneur passa pour ainsi dire au-dessus de son peuple pour lui porter secours. (Ex 13) — S. jér. Ou bien le mot phase veut dire passage, et le mot pascha, immolation. Or, l'immolation de l'agneau pascal, et le passage du peuple à travers la mer Rouge ou l'Egypte, figurent la passion de Jésus-Christ et la rédemption de son peuple délivré de l'enfer, alors que le Seigneur nous visite après deux jours, c'est-à-dire dans la pleine lune de l'âge parfait du Christ, afin que nous puissions manger les chairs de l'Agneau immaculé, qui ôte les péchés du monde dans une même maison, dans l'Eglise catholique, sans aucune partie ténébreuse dans notre âme, avec les chaussures de la charité et les armes de la justice.

bède. D'après l'Ancien Testament, il y avait cette différence entre la fête de Pâques et celle des azymes, que le nom de Pâques était exclusivement réservé au jour où l'agneau était immolé sur le soir, c'est-à-dire le quatorzième jour de la lune du premier mois. La fête des azymes, instituée en souvenir de la sortie d'Egypte, succédait immédiatement à la fête de Pâques le quinzième jour de la lune, et durait sept jours, c'est-à-dire jusqu'au soir du vingt et unième jour du même mois. Cependant les Evangélistes mettent indifféremment le jour des azymes pour la pâque, et la pâque pour le jour des azymes. Voilà pourquoi saint Marc dit ici : " Or, deux jours après c'était la fête de Pâques et des azymes, " parce que la loi commandait de célébrer la pâque avec des pains azymes. Et nous aussi qui célébrons une pâque perpétuelle, nous devons sans cesse nous efforcer de passer de ce monde.

S. jér. C'est des princes du peuple qu'est sortie l'iniquité dans Babylone, eux dont le devoir était de préparer le temple et les vases sacrés, et de se purifier selon les prescriptions de la loi pour manger l'agneau pascal, " Et les princes des prêtres et les scribes cherchaient comment ils pourraient s'emparer de lui par la ruse et le mettre à mort. " Le chef mort, tout le corps devient sans force. Voilà pourquoi ces misérables s'attaquent à la tête pour la faire périr. Ils veulent éviter ce jour de fête qui se présente à eux, car il n'est point de fête pour ceux qui ont perdu la miséricorde et la vie : " Et ils disaient : Non pas durant la fête, de peur qu'il n'y ait quelque tumulte parmi le peuple. " — bede. Ces paroles sont claires, ils craignent non pas une sédition, mais que le peuple, venant au secours de Jésus, ne l'arrache de leurs mains. — théophyl. Cependant c'était Jésus-Christ lui-même qui avait fixé le temps de sa passion, et il voulut être crucifié pendant la fête de Pâques, parce qu'il était lui-même la véritable pâque.

 

Vv. 3-9.

béde. Notre-Seigneur, prêt de souffrir pour le monde tout entier, et de racheter toutes les nations par l'effusion de son sang, s'arrête à Béthanie, c'est-à-dire dans la maison de l'obéissance : " Or, comme il était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, " etc. — S. jér. Le faon revient toujours à son gîte, ainsi le Fils obéissant à son Père jusqu'à la mort, nous demande à nous aussi une obéissance semblable (Ph 2, 8). — bède. L'Evangéliste dit : " Dans la maison de Simon le lépreux, " non qu'il le fût encore ; mais comme le seigneur l'avait guéri précédemment de la lèpre, il lui conserve son ancien nom pour rappeler le souvenir de cette guérison miraculeuse.

théophyl. Quoique les quatre Evangélistes parlent de cette femme qui répandit son parfum sur la tête du Sauveur, ce n'est pas cependant une seule et même personne, mais il faut en admettre deux, l'une dont parle saint Jean, sœur de Lazare, qui répandit des parfums sur le Seigneur, six jours avant la pâque, l'autre, dont parlent les trois autres Evangélistes. Si vous voulez même y faire plus d'attention, vous trouverez trois femmes distinctes ; saint Jean nous parle de la première, saint Luc de la seconde, et les deux autres Evangélistes de la troisième. Eu effet, celle dont saint Luc raconte l'action est appelée une femme de mauvaise vie, et vint trouver Jésus vers le milieu de sa vie évangélique. Celle, au contraire, dont parlent saint Matthieu et saint Marc, vint aux approches de la passion, et rien ne nous autorise à croire qu'elle fut une femme pécheresse. — S. aug. (de l'accord des Evang., 2, 79.) Pour moi, je pense qu'il faut nécessairement admettre qu'il n'y a eu qu'une seule femme, Marie la pécheresse, qui vint alors se jeter aux pieds de Jésus, et qui réitéra deux fois cette action, une première fois comme le raconte saint Luc, lorsqu'elle vint le trouver dans les sentiments de l'humilité et de la componction la plus vive, et en obtint le pardon de ses péchés. Saint Jean fait allusion à ce fait, en commençant le récit de la résurrection de Lazare, et avant que Jésus vint à Béthanie : " Marie était celle qui répandit des parfums sur le Seigneur, et qui essuya ses pieds avec ses cheveux, et son frère Lazare était malade. " (Jn 11, 2.) La même action qu'elle réitéra à Béthanie est tout à fait différente de la première, dont parle saint Luc, et se trouve racontée dans les mêmes termes par les trois autres Evangélistes. Saint Matthieu et saint Marc disent, il est vrai que le parfum fut répandu sur la tête du Seigneur, saint Jean sur les pieds ; il nous faut donc entendre tout simplement que cette femme répandit le parfum non-seulement sur la tête, mais sur les pieds du Seigneur. Si quelque esprit difficultueux s'appuie sur ce que S. Marc nous dit, que c'est après avoir brisé le vase qu'elle répandit le parfum sur la tête, pour prétendre qu'il ne put en rester assez pour en répandre sur les pieds ; un esprit droit et chrétien lui répondra que ce vase n'était pas tout à fait brisé, et que le parfum ne fut pas entièrement répandu ; ou bien encore, qu'elle répandit le parfum sur les pieds avant que le vase qui contenait le parfum destiné tout entier à la tête, ne fut brisé.

bède. L'albâtre est une espèce de marbre blanc, veiné de diverses nuances, dont on façonne des vases destinés à contenir des parfums, et qui a la propriété, dit-on, de les préserver de toute altération. Le nard est un arbuste aromatique, dont la racine est très-dense, courte, noire et fragile. Quoiqu'il soit plein de sève, cet arbuste répand une odeur semblable à celle des cyprès, il est amer au goût, ses feuilles sont petites et serrées, le sommet de cet arbuste s'épanouit en épis, aussi les parfumeurs vantent-ils à la fois les épis et les feuilles du nard, et saint Marc spécifie ce parfum en disant que c'était un parfum de nard d'épi très précieux, c'est-à-dire que le parfum que Marie vint offrir au Seigneur, venait non-seulement de la racine, mais des épis et des feuilles du nard, ce qui ajoutait à son prix, en augmentant son odeur et ses propriétés. — théophyl. Ou bien suivant l'étymologie du mot grec πιοτιχής, c'était un parfum de nard véritable, c'est-à-dire sans aucun mélange étranger, et dans toute la pureté de sa nature première.

S. aug. (de l'accord des Evang., 2, 78.) Il semblerait qu'il y a contradiction entre le récit de saint Matthieu et de saint Marc qui, après avoir dit que la pâque se fera dans deux jours, racontent que Jésus était en Béthanie, où le parfum fut répandu sur lui, et le récit de saint Jean qui rapporte que ce fut six jours avant la pâque que Jésus vint en Béthanie, où eut lieu ce même fait qu'il va raconter. Mais ceux qui se laissent arrêter par cette difficulté ne réfléchissent pas que c'est par récapitulation que saint Matthieu et saint Marc ont rapporté ce fait qui se passa en Béthanie, non pas deux jours, mais six jours avant Pâque.

S. jér. An sens mystique, Simon le lépreux est la figure d'abord du monde infidèle, et puis de ce même monde devenu fidèle ; cette femme avec son vase est le symbole de la foi de l'Eglise qui dit : " Le nard répandu sur moi a exhalé son parfum. " (Ct 1, 11) Ce nard est véritable et sincère, c'est-à-dire mystique et précieux, la maison qui est remplie de ce parfum, c'est le ciel et la terre ; le vase qui est brisé, ce sont les désirs charnels que l'on brise contre ce chef, par lequel tout le corps est joint et uni avec une si juste proportion (Ep 4, 13), alors que ce chef s'assied et s'humilie pour se rendre accessible à la foi de cette femme pécheresse. Elle s'élève des pieds à la tête, et de la tête redescend par la foi jusqu'aux pieds, c'est-à-dire qu'elle va du Christ à ses membres.

" Quelques-uns en furent indignés en eux-mêmes, et ils disaient : Pourquoi cette perte ? " La figure appelée synecdoque emploie indifféremment le singulier pour le pluriel, et le pluriel pour le singulier. L'infortuné Judas trouve ici sa perte dans ce qui devrait être son salut, et le figuier qui porte les fruits de la vie devient pour lui un lacs qui donne la mort. Son avarice couvre un mystère de foi, car notre foi est achetée trois cents deniers par les dix sens soit intérieurs, soit extérieurs, triplés par le corps, l'âme et l'esprit.

bède. " Et ils murmuraient contre elle, " ce que nous devons entendre non des Apôtres dévoués à la personne de Jésus, mais de Judas, dont il est ainsi question au pluriel.— théophyl. On peut dire que plusieurs des disciples blâmèrent l'action de cette femme, parce qu'ils avaient souvent entendu Jésus-Christ leur recommander le devoir de l'aumône ; mais l'indignation de Judas avait un autre motif, c'était l'amour de l'argent, et une honteuse avarice ; aussi saint Jean ne parle que du reproche que l'avarice hypocrite inspira contre cette femme au perfide disciple, " Ils murmuraient contre elle, " c'est-à-dire ils lui faisaient de la peine et la couvraient de reproches et d'injures. Or, le Seigneur reprend à son tour ses disciples qui voulaient mettre obstacle au pieux désir de cette femme. " Jésus leur dit : Laissez-la, pourquoi lui faites-vous de la peine ? " Elle avait fait son offrande, et ils la blâmaient et la repoussaient avec dureté. —orig. (Traité 25 sur S. Matth.) Ils se plaignaient de la perte de ce parfum qu'on pouvait vendre très-cher pour en donner le prix aux pauvres ; plaintes et reproches injustes, car il était convenable que la tête de Jésus-Christ fut parfumée de cette sainte et riche effusion. Aussi que leur répond le Sauveur ? " Ce qu'elle vient de me faire est une bonne œuvre. " L'éloge éclatant qu'il fait de cette action nous invite puissamment à couvrir la tête du Sauveur de parfums odoriférants et précieux, et à mériter aussi qu'on dise de nous que nous avons fait une bonne œuvre à l'égard de Jésus-Christ notre chef. En effet, tant que durera cette vie, nous aurons toujours des pauvres qui auront besoin du secours de ceux qui ont fait des progrès dans la doctrine , et qui sont devenus riches dans la sagesse de Dieu, mais malgré tous nos efforts, nous ne pouvons avoir jour et nuit avec nous le Fils de Dieu, c'est-à-dire le Verbe et la sagesse de Dieu. " Vous aurez toujours des pauvres avec vous, leur dit-il, et lorsque vous voudrez, vous pouvez leur faire du bien, mais vous ne m'aurez pas toujours. " — bède. Il veut parler ici de sa présence corporelle dont ils ne devaient plus jouir après sa résurrection, comme alors dans l'intimité d'une vie commune. — S. jér. Il dit encore : " Elle a fait une bonne œuvre à mon égard, parce que la foi de celui qui croit en Dieu lui est imputée à justice (Gn 12, 6 ; Rm 4, 3 ; Ga 3, 6 ; Jc 2, 23) ; car autre chose est de croire à Dieu, et autre chose est de croire en Dieu, c'est-à-dire de se jeter entièrement dans ses bras.

" Elle a fait ce qui était en son pouvoir, elle a répandu ses parfums sur mon corps pour me rendre par avance les devoirs de la sépulture." — bède. C'est-à-dire vous croyez que ce parfum est perdu, il sert par avance à ma sépulture. — théophyl. Elle a été comme inspirée de Dieu en répandant des parfums sur mon corps en vue de ma sépulture, paroles propres à confondre le traître disciple, à qui Jésus semble dire : Comment osez-vous accuser cette femme qui embaume mon corps par avance pour ma sépulture, et ne songez-vous point à vous accuser vous-mêmes qui me livrez à la mort ? Le Seigneur fait ensuite deux prédictions distinctes, la première, que son Evangile sera prêché dans tout l'univers ; la seconde, que l'action de cette femme ne cessera de recueillir des éloges. " En vérité, je vous le dis, dans tout l'univers où sera prêché cet Evangile, on racontera à la louange de cette femme ce qu'elle vient de faire, " etc. — bède. Fait digne de remarque ! Marie s'est couverte de gloire dans tout l'univers par l'hommage qu'elle a rendu au Seigneur, tandis que celui qui ose blâmer son action est devenu l'objet de la réprobation universelle. Cependant Nôtre-Seigneur se contente de donner à l'action de cette femme la louange qu’elle mérite, et se tait sur le châtiment réservé au sacrilège disciple.

 

Vv. 10-11.

bêde. L'infortuné Judas vent compenser par le prix qu'il espère de la vente de son Maître, la perte qu'il croyait avoir faite par ce parfum répandu : " Et Judas Iscariote, l'un des douze, s'en alla trouver les princes des prêtres, pour leur livrer Jésus. " — S. chrys. (serm. sur la passion). Pourquoi me faire connaître sa patrie, plut à Dieu qu'il fut permis d'ignorer jusqu'à son nom ! Mais il y avait un autre disciple, appelé Judas, fils de Jacques ou Zélotes, et c'est pour prévenir la confusion qui aurait pu naître de l'identité de nom, que l'Evangéliste distingue Judas de celui-ci. Toutefois, il ne dit pas : Judas le traître, pour nous apprendre, à son exemple, à éviter tout ce qui peut porter atteinte à la réputation du prochain. Cependant en spécifiant qu'il est l'un des douze, il fait ressortir la conduite abominable de ce traître ; car Jésus avait d'autres disciples, mais ils ne vivaient pas dans son intimité, et n'étaient pas honorés comme Judas de sa confiance. Les douze, au contraire, étaient des disciples éprouvés, c'était comme l'escorte royale, et c'est de ses rangs que sortit ce traître disciple. — S. jér. Il n'était du reste un des douze que numériquement, et non par ses vertus, il était un des douze par le corps, et non par l'esprit. Aussitôt qu'il fut sorti, il s'en alla vers les princes des prêtres, et Satan entra dans son âme, car tout être animé tend à se réunir à son semblable. — bède. " II s'en alla, " donc ce n'étaient point les princes des prêtres qui l'appelaient, aucune nécessité ne le pressait, c'est par le libre choix de sa volonté criminelle qu'il forme ce noir dessein. — théophyl. L'Evangéliste ajoute : " Pour le leur livrer, " c'est-à-dire pour leur faire connaître les moments où il était seul ; car ils craignaient de s'emparer de lui quand il enseignait la foule qui aurait pu prendre sa défense. Or, il promet de le leur livrer dans les mêmes termes dont s'était servi autrefois le démon son maître. " Je vous donnerai toute cette puissance. " (Lc 4, 6) " En l'écoutant, ils eurent beaucoup de joie, et ils promirent de lui donner de l'argent. " Ils promettent de l'argent, et ils perdent la vie, et au moment où il reçoit cet argent, le traître perd lui-même la vie. — S. chrys. (serm. sur la trahison de Judas.) O avarice insensée du traître ! L'avarice est la source de tous les maux, elle retient les âmes captives, elle les étreint de chaînes multipliées, elle efface en eux tout souvenir, et montre jusqu'où l'esprit de l'homme peut porter la folie : Victime de cette passion insensée, Judas a tout oublié : la vie intime avec son divin Maître, la table qui les réunissait, ses enseignements, ses conseils, ses douces persuasions. Ecoutez en effet la suite : " Et il cherchait l'occasion de leur livrer. " — S. jér. Mais on ne trouve jamais l'occasion d'accomplir une perfidie sans que la vengeance ne la suive d'une manière ou de l'autre. — bède. Qu'il en est beaucoup aujourd'hui qui sont pleins d'horreur pour le crime abominable à leurs yeux de Judas, qui vend pour une somme d'argent son Seigneur, son Maître et son Dieu ; et qui ne cherchent nullement à l'éviter. Car lorsqu'ils sacrifient à des présents, les droits de la charité et de la vérité, que font-ils autre chose que de trahir Dieu qui est la charité et la vérité par essence ?

 

Vv. 12-16.

S. chrys. (serm. sur la trahison de Judas, comme précéd.) Tandis que Judas débattait le prix de sa trahison, les autres disciples étaient préoccupés de la préparation de la pâque (1). " Et le premier jour des azymes, " etc.

bede. Ce premier jour des azymes était le quatorzième jour du premier mois, où les Juifs devaient jeter tout levain, et immoler la pâque, c'est-à-dire l'agneau pascal vers le soir. C'est à cet usage que l'Apôtre fait allusion, lorsqu'il dit : " Jésus-Christ est notre agneau pascal qui a été immolé pour nous. " (1 Co 5) Il n'a été attaché à la croix que le jour suivant, c'est-à-dire le quinzième jour de la lune, cependant la nuit même du jour où l'agneau pascal était immolé, il adonné à ses disciples, avec le pouvoir de les célébrer, les mystères de son corps et de son sang, il a été saisi et garrotté par les Juifs, et il a ainsi consacré les prémices de son sacrifice. — S. jér. Les pains azymes que l'on mange avec des choses amères, c'est-à-dire avec des laitues sauvages, sont la figure de notre rédemption, et l'amertume, l'emblème de la passion du Sauveur.

théophyl. La question des disciples : " Où voulez-vous que nous allions, " prouve évidemment que Jésus-Christ n'avait aucun domicile, ni les disciples aucune demeure en propre, car s'ils en avaient eu, ils y auraient conduit le Seigneur. — S. jér. Cette question : " Où voulez-vous que nous allions? " nous apprend encore à régler nos pas et nos démarches sur la volonté de Dieu. Nôtre-Seigneur nous fait aussi connaître avec qui il doit manger la pâque, et selon sa coutume dont nous avons parlé plus haut, il envoie deux de ses disciples : " II envoya donc deux de ses disciples, et leur dit : Allez dans la ville. " — théophyl. Il choisit parmi ses disciples Pierre et Jean, comme nous l'apprend saint Luc, et les envoie vers un homme inconnu, nous indiquant ainsi qu'il pourrait éviter sa passion, si telle était sa volonté, car celui qui savait que cet homme inconnu était disposé à recevoir ses disciples, ne pouvait-il pas changer les dispositions de ses ennemis ? Il leur donne même un signe auquel ils reconnaîtront la maison, en ajoutant : " Vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau. " —S. aug. (de l'acc. des Evang., 2, dern. chap.) Le vase que porte cet homme est une cruche, suivant saint Marc, une amphore, suivant saint Luc ; l'un désigne l'espèce, l'autre la forme ; mais l'un et l'antre sont dans la vérité. — bède. Une preuve manifeste de la présence de la divinité, c'est que Jésus, tout en parlant avec ses disciples, sait ce qui doit se passer ailleurs, " Et ses disciples s'en allèrent, et ils préparèrent la pâque, " etc. — S. chrts. (serm. sur la Trah. de Jud.) Ce n'était pas encore notre pâque, mais la pâque des Juifs ; c'était Jésus-Christ, qui non-seulement devait établir, mais devenir lui-même notre pâque. Mais pourquoi a-t-il voulu la manger ? Parce qu'il s'est assujetti à la loi pour racheter ceux qui étaient sous la loi (Ga 4, 4-5), et mettre lui-même un terme à la loi. Et afin que personne ne soit tenté de dire qu'il n'a détruit la loi, que parce que son accomplissement lui paraissait trop dur, trop pénible et au-dessus de ses forces, il a voulu l'accomplir tout d'abord avant de l'annuler.

S. jér. Au sens mystique, la ville c'est l'Eglise, qui est entourée du mur de la foi ; cet homme que les disciples rencontrent, c'est le premier peuple ; la cruche d'eau, c'est la loi de la lettre. — bède. Ou bien l'eau est le bain salutaire de la grâce ; la cruche figure la fragilité de ceux qui devaient faire connaître cette grâce au monde. — théophyl. Celui qui a été baptisé, porte comme un vase plein d'eau, et celui qui porte ainsi son baptême, marche vers le repos en vivant conformément à la raison, et jouit du repos et de la paix comme dans sa maison : " Suivez-le, " ajoute Nôtre-Seigneur. — S. jér. Suivez celui qui vous conduira sur les hauteurs où Jésus-Christ lui-même devient votre nourriture. Le maître de la maison, c'est l'apôtre saint Pierre, à qui le Sauveur a confié le soin de sa maison, afin qu'il y eût unité de foi sous un seul pasteur. Cette grande salle, c'est la grande Eglise de Dieu, où l'on fait connaître le nom du Seigneur, et qui est ornée de la variété des vertus et des diverses langues des peuples. — bède. Ou bien, cette grande salle, au sens spirituel, est la loi qui, sortant des limites étroites de la lettre, reçoit le Sauveur sur les lieux élevés, c'est-à-dire, sur les parties les plus hautes de l'esprit. C'est avec dessein que le nom soit du porteur d'eau, soit du maître de la maison, est passé sous silence, afin que tous ceux qui veulent célébrer la véritable pâque, c'est-à-dire, recevoir les sacrements de Jésus-Christ, et qui désirent lui offrir l'hospitalité dans leurs cœurs, sachent qu'ils en ont le pouvoir. — théophyl. Ou bien encore, le maître de la maison c'est l'intellect qui nous montre cette grande salle, c'est-à-dire, les pensées élevées. Cependant tout élevée qu'elle est, elle éloigne de toute vaine gloire et de toute enflure, elle s'abaisse et s'égalise par l'humilité. C'est dans cette salle, c'est-à-dire, dans une âme ainsi disposée que Pierre et Jean, c'est-à-dire, l'action et la contemplation, préparent la pâque à Jésus-Christ.

 

Vv. 17-2I.

bède. Après avoir prédit sa passion, le Seigneur prédit également la trahison de Judas, pour lui offrir l’occasion de se repentir (Sg 12, 10 ; 29, 21) de son infâme dessein, lorsqu'il verrait que ses pensées étaient découvertes : " Le soir étant venu, il vint avec les douze, et comme ils étaient à table, il leur dit : L'un de vous me trahira. " — S. chrys. (Serm. sur la trahis, de Jud.) Nous voyons ici évidemment que Nôtre-Seigneur ne découvrait pas à tous indifféremment ce perfide disciple, pour ne pas augmenter son impudence ; mais il ne tait pas non plus complètement son noir dessein, de peur que la persuasion qu'il n'était pas connu ne le rendit plus audacieux pour consommer sa trahison. — théophyl. Mais comment pouvaient-ils être assis et couchés pour la Cène, puisque la loi commandait de manger la pâque en se tenant debout ? Il est vraisemblable qu'ils avaient commencé par manger la pâque légale, et qu'ils se sont assis ensuite au moment où le Sauveur allait instituer sa propre pâque.

S. jér. Le soir de ce jour est la figure du soir du monde. C'est vers la onzième heure qu'arrivent les derniers ouvriers qui sont les premiers à recevoir le denier de la vie éternelle (Mt 20). Tous les disciples sont également touchés par leur maître, et comme les cordes d'une lyre bien accordée, ils répondent avec une harmonie parfaite et d'une voix unanime : " Ils commencèrent à s'attrister, et chacun d'eux lui demandait : Est-ce moi ? " Un seul, comme une corde détendue et imbibée de l'amour de l'argent, lui dit : " Est-ce moi, Seigneur ? " comme nous le lisons dans saint Matthieu. — théophyl. Les autres Apôtres furent attristés de la parole du Seigneur, car bien qu'étrangers à ce criminel dessein, ils s'en rapportent beaucoup plus à celui qui connaît le cœur de tous les hommes qu'à eux-mêmes.

" II leur répondit : C'est l'un des douze qui met la main au plat avec moi. " — bède. C'était Judas qui, tandis que les autres sont attristés et retirent la main, avance la sienne et la porte au plat avec son maître. Le Sauveur venait de dire précédemment : " L'un de vous me trahira. " Le traître disciple persévérant dans son coupable dessein, il le lui reproche plus ouvertement, mais sans le désigner par son nom. — S. jér. Il dit : " L'un des douze, " qui se sépare d'eux, c'est ainsi que le loup sépare des autres la brebis qu'il veut prendre, et la brebis qui sort de la bergerie est exposée sans défense à la dent des loups. Un premier et un second avertissement n'ont pu détourner Judas du sentier de la trahison, Notre-Seigneur lui prédit donc son châtiment, afin que la perspective des supplices qui l'attendent, triomphe de celui qui n'a point cédé à la honte d'un si grand crime : " Et pour le Fils de l'homme, il s'en va, comme il est écrit de lui. " — théophyl. Cette expression : " II s'en va, " prouve que sa mort est toute volontaire et nullement forcée. — S. jér. Mais comme il en est beaucoup qui, à l'exemple de Judas, font des œuvres dont le résultat est bon, mais absolument sans aucune utilité pour eux, Nôtre-Seigneur ajoute : " Cependant, malheur à l'homme par lequel le Fils de l'homme sera livré. " — bède. Aujourd'hui encore, malheur à l'homme qui s'approche indignement de la table du Seigneur; à l'exemple de Judas, il trahit le Fils de l'homme, et le livre non aux Juifs coupables, mais à ses membres esclaves du péché.

" II eût mieux valu pour lui qu'il ne fût jamais né. " — S. jér. Il eut été préférable qu’il restât toujours caché dans le sein de sa mère, car il vaut mieux ne pas exister que d'exister pour une vie de tourments. — théophyl. Si l'on considère la fin que Dieu s'est proposée, il vaudrait mieux pour lui qu'il existât, s'il n'était pas devenu un traître, car Dieu l'avait créé pour le bien ; mais dès qu'il tombe dans ce profond abîme de malice, il valait mieux pour lui ne point exister.

 

Vv. 22-25.

bède. Toutes les cérémonies de l'ancienne pâque étant terminées, Jésus en vient à la nouvelle ; et à la chair et au sang de l'agneau, il substitue le sacrement de son corps et de son sang : " Et tandis qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain, pour prouver qu'il était celui à qui le Seigneur a dit avec serment (He 5-7) : Vous êtes prêtre pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech. " (Ps 109)

" Et l’ayant béni, il le rompit. " — théophyl. C'est-à-dire qu'il rendit grâces avant de le rompre, c'est ce que nous faisons nous-mêmes, en y ajoutant d'autres prières. — bède. Il rompt lui-même le pain qu'il présente à ses disciples, pour montrer que la fraction de son corps était la suite d'un plan qu'il avait tracé lui-même. Il bénit le pain, parce qu'en effet, il a, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, rempli d'une vertu divine la nature qu'il a prise pour souffrir. Il bénit le pain et le rompt, et montre ainsi qu'il a daigné soustraire à la mort l'humanité dont il s'est revêtu, faire éclater la puissance d'immortalité qui est en elle, et nous enseigner qu'il la ressusciterait promptement dans sa personne.

" Et il leur dit : Prenez, ceci est mon corps. "— théophyl. C'est-à-dire ce que je vous donne maintenant, ce que vous recevez de mes mains. Le pain n'est pas seulement la figure du corps de Jésus-Christ, mais il est changé au corps de Jésus-Christ lui-même ; car Nôtre-Seigneur a dit : " Le pain que je donnerai est ma chair. " Cependant nous ne voyons point la chair de Jésus-Christ à cause de notre faiblesse ; le pain et le vin sont des aliments accommodés à notre usage ; si la chair et le sang nous étaient présentés dans leur état naturel, nous n'aurions pu nous résoudre à les prendre. Aussi Notre-Seigneur, pour condescendre à notre faiblesse, conserve les apparences du pain et du vin, mais change le pain et le vin en sa chair et en son sang. — S. chrys. (serm. sur la trah. de Judas.) Et maintenant encore, Jésus-Christ est encore là, c'est lui-même qui a orné cette table, c'est lui encore qui la consacre. Ce n'est point l'homme qui change les dons offerts au corps et au sang de Jésus-Christ, c'est Jésus-Christ lui-même qui a été crucifié pour nous. Les paroles sortent de la bouche du prêtre, mais elles reçoivent leur consécration de la puissance et de la grâce de Dieu. C'est par cette parole : " Ceci est mon corps, " que les dons offerts sont consacrés, et de même que ces paroles : " Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre, " n'ont été dites qu'une fois (Gn 9, 1), et produisent cependant leurs effets dans tous les temps pour la génération des êtres par l'intermédiaire de la nature ; ainsi cette parole du Sauveur n'a été dite qu'une fois, et cependant jusqu'à ce jour, et jusqu'à l'avènement du Sauveur, elle donne au sacrifice toute sa force sur tous les autels de l'Eglise catholique.

S. jér. Au sens mystique, le Seigneur donne à son corps qui est l'Eglise actuelle, la forme de pain. On s'unit à ce corps par la foi, il est béni par la multiplication de ses membres, il est rompu par les souffrances, il est donné dans les exemples de vertu, reçu par l'enseignement, il se change dans le calice au sang de Jésus-Christ mêlé d'eau et de vin, pour nous purifier de nos fautes, et tout à la fois pour nous racheter des supplices que nous avons mérités. C'est par le sang de l'agneau que les maisons des Hébreux sont préservées de l’ange exterminateur, et leurs ennemis sont ensevelis dans les eaux de la mer ; c'étaient des symboles figuratifs de l'Eglise de Jésus-Christ, " Et prenant le calice, il rendit grâces et le leur donna. " C'est par la grâce, en effet, et non point par nos mérites que nous avons été sauvés. — S. grég. (Mor., 2, 24.) Nous le voyons à l'approche de sa passion, prendre du pain et rendre grâces. Celui qui a pris sur lui la peine due aux châtiments des autres, rend grâces à Dieu ; celui dont la vie n'offre pas l'ombre d'une faute, bénit humblement dans sa passion. En supportant avec tant de patience les châtiments dus aux forfaits des autres, il veut nous enseigner comment nous devons supporter les châtiments que méritent nos propres iniquités, et ce que doit faire le serviteur que Dieu châtie, alors que lui, l'égal de son Père, lui rend grâces des souffrances qu'il endure. — bède. Le vin du calice du Seigneur est mêlé d'eau et figure ainsi que nous devons demeurer en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en nous, car au témoignage de saint Jean, les eaux représentent les peuples. Il n'est permis à personne d'offrir ou du vin seul, ou de l'eau seule, une telle offrande semblerait vouloir séparer la tête des membres, et signifier ou que Jésus-Christ a pu souffrir sans l'amour de notre rédemption, ou que nous pouvons être sauvés, et mériter d'être offerts à Dieu sans nous unir à sa passion.

" Et ils en burent tous. " — S. jér. Heureuse ivresse, satiété salutaire, qui daigne communiquer à l'âme une sobriété d'autant plus grande qu'elle est plus abondante. — théophyl. Quelques auteurs prétendent que Judas n'a point participé aux divins mystères, mais qu'il sortit avant que le Seigneur les eût distribués à ses disciples. D'autres, au contraire, soutiennent qu'il reçut le corps sacré du Sauveur. — S. chrys. (serm. sur la trah. De Judas) Jésus-Christ offrait son sang à celui-là même qui allait le vendre, afin qu'il pût y puiser la rémission de ses péchés, s'il avait voulu renoncer à son impiété. — S. jér. Judas but donc à ce calice du salut, mais il ne fut point rassasié et n'éteignit point la soif que produit le feu éternel, parce qu'il reçut indignement les mystères de Jésus-Christ ; car son sacrifice ne peut purifier ceux qui se sont traînés dans le bourbier infect de la cruauté, et que des pensées dépourvues de raison précipitent dans le crime. — S. chrys. (serm. sur la trah. de Judas.) Qu'il n'y ait donc aucun Judas à la table du Seigneur; ce sacrifice est une nourriture spirituelle. Or, de même que la nourriture corporelle, lorsqu'elle trouve l'estomac chargé d'humeurs contraires, ne fait que le rendre plus malade ; ainsi cette nourriture spirituelle, lorsqu'elle entre dans une âme souillée par le péché, rend sa perte plus certaine, non par l'effet de sa nature, mais par la mauvaise disposition de celui qui la reçoit. Que l'âme soit donc pure de toute souillure, que cette pureté s'étendent jusqu'aux pensées, parce que c'est ici le sacrifice de toute pureté.

" Et il leur dit : Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance." — bède. Nôtre-Seigneur établit ici le caractère qui distingué la nouvelle alliance de l'ancienne, qui fut consacrée par le sang des boucs et des taureaux, que Moïse répandait sur le peuple en disant : " Voici le sang de l'alliance que le Seigneur a faite avec vous. " (Ex 24, 8.) " Qui sera répandu pour plusieurs. " — S. jér. Car il ne purifie pas tous les hommes de leurs péchés.

" En vérité je vous le dis : Je ne boirai plus, " etc. — théophyl. C'est-à-dire, je ne boirai plus de ce vin jusqu'à la résurrection, il appelle sa résurrection son royaume, parce que c'est alors qu'il a régné en vainqueur sur la mort. Après sa résurrection, il but et mangea avec ses disciples, leur prouvant ainsi qu'il était bien le même qui avait souffert. Le vin qu'il boit alors est nouveau, c'est-à-dire qu'il le boit d'une manière différente et toute nouvelle ; car il n'a plus un corps passible qui ait besoin de nourriture, son corps est à la fois immortel et incorruptible ; voici donc l'explication de ces paroles : la vigne, c'est le Seigneur lui-même ; le fruit de la vigne, ce sont les mystères, et l'intelligence secrète qu'en donne celui qui enseigne la science à l'homme (Ps 92) Or, dans le royaume de Dieu, c'est-à-dire dans le siècle futur, il boira avec ses disciples les mystères et la sagesse, en nous enseignant, en nous révélant alors des vérités nouvelles dont il nous dérobe ici-bas la connaissance. — bêde. Ou bien dans un autre sens, cette vigne du Seigneur c'est la synagogue au témoignage d'Isaïe : " La vigne du Seigneur des armées, nous dit-il, c'est la maison d'Israël. " (Is 5) C'est donc au moment où le Sauveur marche de lui-même au devant de sa passion, qu'il dit à ses disciples : " Je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, " c'est-à-dire en d'autres termes : Je ne me complairai plus dans les cérémonies charnelles de la synagogue, parmi lesquelles l'immolation de l'agneau pascal tenait le premier rang ; car voici venir le temps de ma résurrection, voici venir ce jour où en possession du royaume de Dieu, élevé sur les hauteurs d'une gloire immortelle, je serai avec vous comblé de joie à la vue du salut de ce peuple régénéré aux sources de la grâce spirituelle.

S. jér. Remarquons que Nôtre-Seigneur change la nature du sacrifice, mais sans changer le temps où il était offert. Il nous apprend ainsi a ne jamais célébrer la cène au seigneur, avant le quatorzième jour de la lune. Celui qui célébrerait la résurrection le quatorzième jour serait obligé de célébrer la cène au onzième, ce qui ne s'est jamais fait ni sous la loi ancienne, ni sous la loi nouvelle.

 

Vv. 26-31.

théophyl. Ils avaient rendu grâces avant de boire le calice du salut, ils rendent grâces après l'avoir bu : " Et après le cantique d'actions de grâces, ils s'en allèrent sur la montagne des Oliviers. " Apprenez ici à rendre aussi grâces à Dieu avant et après vos repas. — S. jér. Cet hymne est un cantique de louanges au Seigneur, comme il est dit au Psaume 21, 28-32 : " Les pauvres mangeront et seront rassasiés, et ceux qui chercheront le Seigneur célébreront ses louanges. " Et encore : " Tous les grands de la terre mangeront et adoreront. " Le Sauveur nous enseigne encore qu'il était doux et désirable pour lui de mourir pour nous, puisqu'au moment d'être livré à ses ennemis, il offre à Dieu un hymne de louanges. II nous apprend enfin, lorsque nous sommes surpris par l'affliction, à ne point nous laisser aller à la tristesse, mais à rendre grâces à Dieu, qui se sert de la tribulation pour opérer le salut d'un grand nombre. — béde. On peut encore voir dans cet hymne le cantique d'actions de grâces que rapporte saint Jean, et où le Sauveur élevant les yeux au ciel, priait pour lui, pour ses disciples, et pour tous ceux qui devaient croire en lui. (Jn 17)

théophyl. Jésus se retire sur une montagne, afin que ses ennemis le trouvant seul, pussent s'emparer de lui sans aucun tumulte. Car s'ils s'étaient saisi de lui au milieu de la ville, la multitude aurait pu s'agiter, et ses ennemis auraient trouvé dans cette agitation un juste motif de le mettre à mort, sons le prétexte qu'il cherchait à soulever le peuple. — bêde. Au sens mystique, c'est dans un dessein plein de sagesse que Notre-Seigneur conduit ses disciples sur la montagne des Oliviers, après les avoir nourris et fortifiés des saints mystères ; il nous apprend ainsi qu'après avoir reçu les divins sacrements, nous devons nous élever à des vertus plus hautes, à des grâces plus sublimes de l'Esprit saint, vertus et grâces par lesquelles nos cœurs sont comme consacrés. — S. jer. Notre-Seigneur Jésus-Christ tombe au pouvoir de ses ennemis sur le mont des Oliviers, du haut duquel il monta au ciel, pour nous apprendre que nous aussi nous montons au ciel du milieu de nos veilles, de nos prières et de nos souffrances, lorsque nous les acceptons sans résistance.

bede. Le Sauveur prédit à ses disciples l'épreuve qui les attend, afin que quand elle sera venue, ils ne désespèrent point de leur salut, mais qu'ils cherchent leur délivrance dans le repentir : " Et Jésus leur dit : Je vous serai à tous un sujet de scandale pendant cette nuit. " — S. jér. Tous succombent, mais tous ne restent pas sous le coup de cette chute. Est-ce que celui qui tombe ne se relèvera jamais ? dit le psalmiste. (Ps 40) Il est de la nature humaine de tomber, mais il est diabolique de ne point se relever. —théophyl. Dieu permit cette chute dans ses Apôtres, pour les guérir d'une confiance trop grande en eux-mêmes, et afin que cette prédiction ne parût point reposer sur une simple apparence, il l'appuie sur ce témoignage du prophète Zacharie : " Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées. " bède. Cette prophétie est conçue en d'autres termes dans Zacharie, et c'est le prophète lui-même qui dit à Dieu : " Frappez le pasteur, et les brebis seront dispersées " (Za 13, 7). — S. jer. Le prophète demande la passion du Seigneur, le Père répond à ces prières : " Je frapperai le Pasteur, " le Fils est envoyé par son Père, et il est frappé, c'est-à-dire qu'il est incarné et souffre les douleurs de sa passion. — théophyl. Le Père dit : " Je frapperai le Pasteur, " parce qu'il l'abandonne aux coups de ses ennemis ; il donne le nom du brebis à ses disciples à cause de leur innocence et de leur éloignement de toute malice. Le Sauveur se hâte d'ajouter des prédictions plus consolantes : " Mais après que je serai ressuscité, j'irai avant vous eu Galilée. " — S. jér. Il leur promet donc avec certitude qu'il ressuscitera, pour ne point éteindre toute espérance dans leur cœur, " Or Pierre lui dit : Quand vous seriez pour tous les autres un sujet de scandale, vous ne le serez point pour moi. " Voici un oiseau sans ailes qui veut s'élever dans les airs, mais le corps appesantit l'âme, et donne à la crainte tout humaine de la mort une force qui triomphe de la crainte de Dieu. —bède. La promesse de Pierre lai était inspirée par l'ardeur de la foi, et la prédiction du Seigneur, par la connaissance qu'il avait de l'avenir : " Et Jésus lui repartit : En vérité je vous le dis, " etc.

S. aug. (De l’accord des Evang., 3, 2.) Tous les Evangélistes rapportent la prédiction que le Sauveur fît à Pierre, qu'il le renierait avant que le coq chantât, mais le récit de saint Marc est plus circonstancié. Aussi quelques-uns, faute d'attention sérieuse, prétendent que saint Marc ne peut se concilier ici avec les autres Evangélistes ; car, disent-ils, Pierre a renié trois fois son maître ; et si ce triple renoncement a commencé après le premier chant du coq, le récit des trois Evangélistes n'est pas conforme à la vérité, puisqu'ils rapportent que le Seigneur a déclaré à Pierre, qu'avant que le coq chantât, il le renierait trois fois. Maintenant si les trois renoncements de saint Pierre ont eu lieu avant que le coq ait commencé à chanter, pourquoi Nôtre-Seigneur aurait-il dit, d'après saint Marc : " Avant que le coq ait chanté deux fois, vous me renierez trois fois. " Nous répondons que le triple renoncement de saint Pierre ayant commencé avant le chant du coq, les trois Evangélistes ont considéré, non pas le moment où il devait être consommé, mais celui où il devait se produire et commencer, c'est-à-dire, avant le chant du coq, bien qu'on puisse dire que dans les dispositions intérieures de Pierre, ce triple renoncement eut lieu tout entier avant le chant du coq ; saint Marc, au contraire, raconte plus en détail ce qui se passa entre chaque renoncement. — théophyl. Voici donc comme on peut l'entendre : Pierre nia une première fois, et le coq chanta ; puis il nia une seconde et une troisième fois, et le coq chanta pour la seconde fois.

S. jér. Ce coq, messager de la lumière, figure l'Esprit saint, dont la voix se fait entendre à nous par les prophètes et par les Apôtres, à l'occasion de ce triple renoncement, pour nous appeler à répandre des larmes amères sur nos chutes multipliées, sur nos pensées coupables à l'égard de Dieu, sur nos discours blessants pour le prochain et sur les fautes commises contre nous-mêmes.

bède. Nous voyons ici la foi de Pierre et la vivacité de son amour pour son divin Maître : " Mais il insistait encore davantage : Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renoncerai point. " — théophyl. Les autres disciples firent preuve de la même ardeur, de la même intrépidité : " Et tous les autres en dirent autant. " Mais en cela ils contredisaient aussi la vérité que Jésus-Christ venait de leur prédire.

 

Vv. 32-42.

la glose. Après nous avoir raconté la prédiction du Seigneur sur le scandale dont il devait être l'occasion pour ses disciples, l'Evangéliste rapporte la prière qu'il fit, on le croit, pour ses disciples. Et tout d'abord il nous décrit le lieu qu'il choisît pour prier : " Ils allèrent ensuite en un lieu appelé Gethsémani. " — béde. On voit encore aujourd'hui ce lieu de Gethsémani, où le Seigneur fit sa prière. Il est situé au pied du mont des Oliviers, et le mot Gethsémani signifie vallée féconde ou vallée de l'abondance. Nôtre-Seigneur, en choisissant une montagne pour prier, nous enseigne à quelle sublimité de pensées et d'intentions nous devons nous élever dans la prière ; et en priant dans la vallée de la fécondité, il nous apprend à pratiquer toujours l'humilité dans nos prières et la fécondité de l'amour intérieur ; car c'est en descendant lui-même dans la vallée de l'humilité et en suivant les inspirations de son extrême charité qu'il a souffert la mort pour nous. — S. jér. C'est aussi dans cette vallée d'abondance qu'il fut assailli par des taureaux chargés de graisse. (Ps 31) " Et il dit à ses disciples : Demeurez ici tandis que je prierai. " II sépare de lui dans la prière ceux qui doivent en être séparés dans sa passion ; il prie, et ils dorment accablés sous le poids de leur cœur.

théophyl. Nôtre-Seigneur avait coutume de se retirer seul pour prier, et il nous apprend ainsi à chercher le silence et la solitude lorsque nous devons prier : " Et il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean. " Il prend seulement avec lui les trois disciples qui ont été témoins de sa gloire sur le Thabor, pour associer à ses tristesses ceux qu'il avait associés à sa gloire, et que ces tristesses mêmes fussent pour eux une preuve de la vérité de son humanité : " Et il commença à se troubler et à être accablé d'ennui. " Par là même qu'il avait pris l'humanité tout entière, il en avait pris toutes les passions, la crainte, l'ennui, la tristesse, car les hommes ont un éloignement naturel pour la mort : " Et il leur dit : Mon âme est triste jusqu'à la mort. " — bède. Tout Dieu qu'il est, il s'est revêtu de notre corps, il fait donc voir en lui la fragilité de la chair, pour détruire par ce seul fait l'impiété de ceux qui refusent de croire au sacrement de l'Incarnation. Dès lors, en effet, qu'il s'est uni à un corps semblable au nôtre, il a dû en prendre toutes les propriétés, toutes les faiblesses naturelles, comme la faim, la soif, les angoisses, la tristesse ; car pour la divinité elle ne peut éprouver la moindre altération de ces diverses impressions. — théophyl. Il en est qui entendent ces paroles dans ce sens : " Je m'attriste, non de la mort que je dois endurer, mais de ce que les Israélites, mes compatriotes, vont me crucifier, et seront par là même exclus du royaume de Dieu, " — S. jér. Il nous enseigne aussi la crainte et la tristesse dont nous devons être pénétrés en présence du jugement de la mort, car nous ne pouvons dire par nous-mêmes, mais par Jésus-Christ seul : " Le prince de ce monde vient, et il n'a aucun droit sur moi. "

" Demeurez ici et veillez. " Le sommeil auquel il leur défend de se livrer n'est point le sommeil ordinaire dont il ne pouvait être question aux approches du combat, mais le sommeil de l'infidélité et de la langueur de l'esprit. Il s'éloigne un peu de ses disciples et se prosterne la face contre terre, pour faire paraître l'humiliation de son âme jusque dans la posture humiliée du corps : " Et s'en allant un peu plus loin, il se prosterna la face contre terre, priant que s'il était possible, cette heure s'éloignât de lui, " etc. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 4.) Il ne dit pas à Dieu : Si vous pouvez le faire, mais : " Si cela peut se faire. " Car la volonté de Dieu est la mesure de son pouvoir. Ces paroles : " Si cela est possible, " reviennent donc à celles-ci : " Si vous le voulez. " Et afin qu'on ne puisse soupçonner qu'il porte ici atteinte à la puissance de son Père, il nous explique aussitôt quel sens il faut donner aux paroles qui précèdent : " Et il dit : Mon Père, tout vous est possible, " preuve évidente qu'il est question, non de l'impuissance du Père, mais de sa volonté dans ces paroles : " Si cela est possible. " Suivant saint Marc, Notre-Seigneur joint au nom de père le mot abba, qui signifie en hébreu Père. Peut-être a-t-il fait usage de ces deux mots dans une intention mystérieuse, et pour nous apprendre qu'il se livrait à cette tristesse, comme représentant de son corps mystique, qui est l'Eglise, dont il est devenu comme la pierre angulaire qui réunit les deux peuples ; les hébreux, au nom desquels il prononce le mot abba, et les gentils qui disent à Dieu : " Père. " — bede. Il demande à Dieu que ce calice s'éloigne de lui, prouvant ainsi qu'il était véritablement homme : " Détournez de moi ce calice. " Mais se rappelant aussitôt le but de sa mission, il veut accomplir l'œuvre pour laquelle il a été envoyé, et il s'écrie : " Néanmoins que votre volonté s'accomplisse et non la mienne. " Si la mort peut être détruite sans que la nature humaine reçoive en moi le coup de la mort, que ce calice s'éloigne ; mais comme ce triomphe ne peut être obtenu que par ma mort, qu'il soit fait comme vous le voulez et non comme je veux. Il en est beaucoup qui s'attristent aux approches de la mort ; qu'ils aient une grande droiture de cœur, qu'ils évitent la mort dans la mesure du possible ; mais s'ils ne peuvent l'éviter, qu'ils répètent les paroles que Nôtre-Seigneur n'a prononcées que pour nous. — S. jér. Le Sauveur nous y enseigne encore à être obéissants à nos parents jusqu'à la fin de notre vie, et à préférer leur volonté à la nôtre, " Et il vint, et il les trouva endormis. " Leur âme est endormie comme leur corps. Cependant le Seigneur qui revient les trouver après sa prière et les trouve tous endormis, n'adresse de reproche qu'à Pierre : " Et il dit à Pierre : Simon, vous dormez ; vous n'avez pu veiller une heure avec moi ? " C'est-à-dire : " Vous qui n'avez pu veiller une heure avec moi, comment pouvez-vous mépriser la mort, vous qui avez promis de mourir avec moi ? " Veillez et priez, afin que vous n'entriez point dans la tentation de me renier. — bède. Il ne leur dit pas : Priez, afin de ne pas être tentés, mais priez, afin de ne pas entrer en tentation, c'est-à-dire, de ne point succomber à la tentation. — S. jér. Or celui qui entre en tentation est celui qui néglige de prier.

" L'esprit est prompt, et la chair est faible. " — théophyl. C'est-à-dire votre esprit rejette avec ardeur la pensée de me renier, et voilà pourquoi vous faites cette promesse ; mais votre chair est si faible, que si Dieu, que vous priez, ne la fortifie, vous succomberez à la tentation. — bède. Le Sauveur réprime ici la présomption téméraire de ceux qui s'imaginent pouvoir tout ce qui leur vient à l'esprit ; plus, au contraire, l'ardeur de notre âme nous donne de confiance, plus la fragilité de la chair doit nous inspirer de crainte. Tout ce passage est directement opposé à l'erreur de ceux qui ne veulent reconnaître dans le Sauveur qu'une opération et qu'une volonté ; car il établit clairement l'existence des deux volontés, de la volonté humaine qui refuse de souffrir à cause de la faiblesse de la chair, et de la volonté divine, qui marche avec ardeur au delà des souffrances.

" Et il s'en alla pour la seconde fois, et fît sa prière dans les mêmes termes. — théophyl. Cette seconde prière prouve qu'il était véritablement homme. " Et étant retourné vers eux, il les trouva endormis. " Cependant il leur adresse de vifs reproches ; " Car leurs yeux étaient appesantis par le sommeil, et ils ne savaient que lui répondre. " Devant ce spectacle de la faiblesse humaine, apprenons à ne pas promettre des choses qui nous sont impossibles, lorsque nous sommes appesantis par le sommeil. Il retourne une troisième fois pour faire la même prière. " II revint enfin la troisième fois, et il leur dit : Dormez maintenant et reposez-vous. " II ne s'émeut pas contre eux qui après les premiers reproches ont aggravé leur faute, mais il leur dit avec une espèce d'ironie : " Dormez maintenant et reposez-vous, " parce qu'il savait que le traître disciple approchait. Ce qu'il ajoute, prouve évidemment le dessein ironique de ses paroles : " C'en est assez, l'heure est venue, voici que le Fils de l'homme va être livré entre les mains des pécheurs. Il leur reproche ironiquement leur sommeil, et semble leur dire : C'est bien maintenant le temps de dormir au moment où l'ennemi s'approche. " Levez-vous, continue-t-il, marchons, celui qui doit me trahir n'est pas loin. " Ce n'est pas pour leur faire prendre la fuite qu'il leur tient ce langage, mais pour les entraîner avec lui au-devant de ses ennemis. — S. aug. (de l'accord des Evang., 3, 4.) Ou bien encore, comme il avait dit : " Dormez maintenant et reposez-vous, " il ajoute : " C'en est assez, " et puis il continue : " L'heure est venue, voici que le Fils de l'homme va être livré. Il faut donc admettre qu'après ces paroles : " Dormez et reposez-vous, " le Seigneur garda quelque temps le silence pour donner aux Apôtres le temps de dormir, et qu'il leur dit ensuite : " L'heure est venue, " après ces autres paroles : " C'est assez, " sous-entendez, dormir. — S. jér. Le sommeil auquel les disciples se laissent aller par trois fois, nous représente les trois morts ressuscites par Nôtre-Seigneur, le premier dans sa maison ; le second, lorsqu'on le conduisait au tombeau ; le troisième dans le tombeau même.

 

Vv. 43-52.

bède. Après avoir prié une troisième fois, afin d'obtenir pour ses Apôtres, avec la grâce du repentir d'être délivrés de la crainte qui les dominait, Nôtre-Seigneur, calme et tranquille sur les souffrances qui l'attendent, marche au-devant de ses persécuteurs, dont l'Evangéliste décrit l'arrivée en ces termes : " II parlait encore, que Judas Iscariote, l'un des douze, " etc. — théophyl. L'Evangéliste relève à dessein cette circonstance pour faire ressortir l'énormité du crime de ce traître qui, faisant partie du premier collège des disciples, s'emporta contre son divin Maître à cet excès de fureur. " Et avec lui une grande troupe de gens armés d'épées et de bâtons, qui avaient été envoyés par les princes des prêtres, par les scribes et les anciens. " —S. jér. Celui qui désespère du secours de Dieu, cherche à s'appuyer sur la puissance du monde.

bède. Cependant Judas conserve encore quelque respect du disciple pour son Maître, il ne le livre pas ouvertement, il donne un baiser pour signe à ses ennemis. " Or, le traître leur avait donné ce signal et leur avait dit : Celui que je baiserai, " etc. — théophyl. Voyez jusqu'où va sa folie ; il croit pouvoir tromper Jésus par ce baiser et se faire passer pour son ami. Mais si vous êtes son ami, Judas, pourquoi vous joindre à ses ennemis ? Disons-le , tout cœur livré au mal est sans prévoyance.

" Et étant arrivé, il le baisa, " etc. — S. jér. Judas donne pour signal un baiser empoisonné par la perfidie, à l'exemple de Gain qui offrit à Dieu un sacrifice hypocrite et réprouvé de Dieu. — bède. C'est avec une âme pleine d'envie et la hardiesse d'un scélérat qu'il appelle Jésus son Maître, et donne un baiser à celui qu'il trahit. Nôtre-Seigneur reçut cependant ce baiser du traître, non pour nous enseigner la dissimulation, mais pour ne point paraître fuir devant la trahison, et accomplir en même temps ces paroles du Psalmiste : " J'étais pacifique avec ceux qui baissaient la paix. " (Ps 119, 6.)

" Les autres mirent la main sur Jésus. " — S. jér. Joseph est vendu par ses frères, et le fer a transpercé son âme. "

" Un de ceux qui étaient présents, tirant son épée, " etc. — bède. C'est Pierre, comme le rapporte saint Jean ; il se laisse entraîner ici à son ardeur habituelle ; il savait comment Phinées, pour avoir châtié des sacrilèges, avait reçu, comme récompense de cette juste vengeance, la dignité du sacerdoce qui devait se perpétuer dans sa famille. — théophyl. Marc tait le nom de Pierre, pour ne point paraître louer son maître d'avoir déployé cette ardeur pour Jésus-Christ. Par cette action, Pierre condamne indirectement la désobéissance et l'incrédulité des Juifs, et leur mépris pour les Ecritures ; car s'ils avaient eu les oreilles ouvertes et dociles aux enseignements de l'Ecriture, ils n'auraient point crucifié le Seigneur de la gloire. Pierre coupe l'oreille du serviteur du grand-prêtre, car les princes des prêtres étaient les premiers à transgresser les Ecritures, comme s'ils ne les avaient jamais entendues.

" Et Jésus leur dit : Vous êtes venus pour me prendre, armés d'épées et de bâtons, comme si j'étais un voleur. " — bède. Paroles qui reviennent à ceci : C'est une folie de venir attaquer avec des épées et des bâtons celui qui se livre volontairement entre vos mains, et sous la conduite d'un traître, de poursuivre dans la nuit, comme s'il se dérobait à vos recherches, celui qui enseignait tous les jours dans le temple. — théophyl. Jésus leur donne ici une preuve de sa divinité ; lorsqu'il enseignait dans le temple, ils n'ont pu s'emparer de lui, bien qu'il fût entre leurs mains, parce que le temps de sa passion n'était pas encore arrivé. Mais lorsque telle fut sa volonté, il se livra lui-même pour accomplir cette prédiction de l'Ecriture : " II a été conduit comme un agneau à la boucherie " (Is 53), sans pousser aucun cri, aucune plainte, comme un homme qui souffre par son propre choix.

" Alors ses disciples l'abandonnèrent et s'enfuirent tous. " — béde. Nous voyons ici s'accomplir la prédiction de Nôtre-Seigneur, que tous ses disciples seraient scandalisés à son sujet pendant cette nuit. " Or, il y avait un jeune homme qui le suivait, revêtu seulement d'un linceul, et qui n'avait d'autre vêtement que ce linceul. Ils se saisirent de lui ; mais lui, laissant aller son linceul, s'enfuit tout nu de leurs mains. " Il s'enfuit loin de ceux dont il abhorre la présence et les œuvres, mais non loin du Seigneur, dont tout absent qu'il était, il conserva l'amour profondément gravé dans son âme. — S. jér. A l'exemple de Joseph qui s'échappa des mains d'une femme impudique (Gn 39), en lui abandonnant son manteau, celui qui veut se dérober aux mains des méchants, doit renoncer intérieurement à toutes les choses du mondé, et fuir à la suite de Jésus. — théophyl. Il est vraisemblable que ce jeune homme faisait partie de la maison où ils avaient mangé la pâque. Quelques-uns prétendent que c'était Jacques, frère du Seigneur, surnommé le juste, et qui, après l'ascension de Jésus-Christ, fut établi par les Apôtres évêque de Jérusalem. — S. grég. (Moral., 14, 23.) Ou bien ce jeune homme était saint Jean, qui revint en effet au pied de la croix pour y entendre les paroles du Sauveur, mais qui s'était d'abord enfui dans un premier mouvement de crainte. — bède. En effet, il était jeune alors, comme le prouve la longue vie qu'il vécut sur la terre, après la mort de Jésus. On peut donc très-bien supposer qu'il s'échappa pour un moment des mains de ceux qui le tenaient, et qu'il revint ensuite après avoir repris son vêtement, et qu'à la lumière douteuse de la nuit, il se mêla à la troupe de ceux qui emmenaient Nôtre-Seigneur, comme s'il en eût fait partie lui-même jusqu'à ce qu'on fût arrivé dans la cour du grand-prêtre, comme il le raconte lui-même dans son Evangile. Pierre, qui lave dans les larmes de la pénitence la faute de son renoncement, enseigne à ceux qui ont faibli dans l'épreuve du martyre, comment ils doivent se relever ; ainsi les autres disciples qui s'enfuirent au moment de l'arrestation de leur divin Maître, apprennent à ceux qui ne se sentent pas assez forts pour affronter les supplices, à chercher prudemment leur salut dans la fuite.

 

Vv. 53-60.

la glose. L'Evangéliste vient de nous rapporter comment Jésus fut arrêté par les serviteurs des princes des prêtres, il va maintenant nous raconter sa condamnation à mort dans la maison du grand-prêtre. " Et ils amenèrent Jésus au grand-prêtre. "—bebe. Ce grand-prêtre était Caïphe qui, au témoignage de l'Evangéliste saint Jean, était grand-prêtre pour cette année, fait confirmé par l'historien Josèphe, qui atteste qu'il avait acheté le pontificat à prix d'argent du gouverneur romain.

" Où s'assemblèrent tous les princes des prêtres, les scribes et les anciens. " — S. jér. C'est alors qu'eut vraiment lieu cette assemblée de taureaux au milieu des vaches des peuples. (Ps 68) " Pierre le suivit de loin. " C'est qu'en effet la crainte éloigne, tandis que la charité entraîne. — bede. L'Evangéliste fait remarquer avec raison que Pierre suivait le Sauveur de loin, lui qui allait bientôt le renier, car jamais il n'en serait venu à cette extrémité, s'il s'était toujours tenu près de son divin Maître.

" S'étant assis auprès du feu avec les serviteurs, il se chauffait. " — S. jer. Il se chauffe avec les gens du grand-prêtre au foyer allumé dans la cour. Cette cour du grand-prêtre, c'est le monde que l'on peut comparer à un cercle ; les serviteurs sont les démons, dans la compagnie desquels il est impossible de pleurer ses péchés ; le feu, ce sont les désirs de la chair. — béde. Il y a un autre feu, celui de la charité dont Jésus a dit : " Je suis venu apporter le feu sur la terre " (Lc 12), et qui en descendant sur les fidèles, leur a enseigné à louer Dieu dans les langues si variées qu'ils parlaient. Il y a aussi le feu de la cupidité, dont le prophète a dit : "Ils sont tous adultères, leur cœur est semblable à un four où on a porté la flamme. " (Osée, 7) Ce feu que le souffle du malin esprit avait allumé dans la cour de Caïphe, excitait la langue de ces hommes perfides à nier et à blasphémer le Seigneur. Ce feu allumé dans la cour, au milieu du froid de la nuit, était la figure de ce que cette assemblée perverse accomplissait dans l'intérieur de la maison, l'iniquité abondait, la charité d'un grand nombre se refroidissait. (Mt 24) Saisi pour un moment par le froid, Pierre cherchait à se chauffer au foyer des serviteurs du grand-prêtre, c'est-à-dire qu'il cherchait un soulagement purement extérieur dans la société des méchants.

" Cependant les princes des prêtres, et tout le conseil cherchait des dépositions, " etc. — théophyl. La loi ordonnait qu'il n'y eût jamais qu'un seul grand-prêtre, et il y en avait alors plusieurs, et chaque année le proconsul romain en nommait un nouveau pour remplacer le précédent. Ils ont recours à un simulacre de justice qui devient pour eux le titre même de leur condamnation, et ils cherchent des témoignages qui donnent à la condamnation et à la mort de Jésus une apparence de justice. — S. jér. Mais l'iniquité s'est menti à elle-même (Ps 26), comme cette princesse qui accusa Joseph (Gn 20), comme les prêtres qui déposèrent contre Suzanne. (Dn 13) Or le feu, faute d'être alimenté, s'éteint, " Et ils n'en trouvaient point, continue l'Evangéliste, car plusieurs déposaient faussement contre lui, " etc. ; en effet, ce qui manque d'uniformité, manque par la même de certitude, " Quelques-uns se levèrent et portèrent contre lui un faux témoignage en ces termes. " C'est la coutume des hérétiques de tirer l'ombre de la vérité elle-même. Jésus n'a pointait ce qu'ils lui attribuent, mais il a dit quelque chose d'approchant en parlant du temple de son corps qu'il devait ressusciter deux jours après sa mort. — théophyl. En effet, le Seigneur n'avait pas dit : Je le détruirai, mais : " Détruisez-le ; " il n'a point parlé du temple fait de main d'homme, il a dit simplement : " Détruisez ce temple. " — S. jér. En ajoutant : " Je le ressusciterai, " c'était désigner un être vivant, un temple animé. Or, on est faux témoin quand on rapporte les choses dans un sens différent de celui où elles ont été dites.

 

Vv. 61-65.

bède. Plus Jésus se tait devant ces faux témoins et devant ces prêtres qui ne méritent pas qu'il leur réponde, et plus le grand-prêtre dominé par la fureur, le presse de répondre afin de trouver à tout prix dans ses paroles un sujet d'accusation. " Alors le grand-prêtre se levant au milieu de rassemblée, " etc. Ce prince des prêtres, dont l'impatience égale la colère, irrité de ne trouver aucun chef d'accusation, se lève de son siège pour faire éclater par les mouvements de son corps la rage de son cœur. — S. jér. Mais le Dieu Sauveur qui a sauvé le monde et si puissamment secouru le genre humain par sa bonté, se laisse conduire sans dire un mot, comme une brebis que l'on conduit à la boucherie (Is 53, 7 ; Ac 8, 22). " II se tient en silence et ne dit pas le bien qu'il pouvait répondre. " (Ps 37, 3.) " Mais Jésus se taisait et ne répondait rien. " Le silence de Jésus expie la défense, c'est-à-dire l'excuse coupable d'Adam. —théophyl. Il se taisait, parce qu'il savait bien qu'ils ne tiendraient aucun compte de ses paroles ; c'est l'observation qu'il leur fait d'après le récit de saint Luc : " Si je vous le dis, vous ne me croirez point. " — " Le grand-prêtre l'interrogea de nouveau et lui dit : Etes-vous le Christ, le Fils du Dieu béni ? " Le grand-prêtre lui fait cette question, non pour s'instruire et croire, mais pour saisir dans la réponse du Sauveur matière à condamnation. Il lui demande : " Etes-vous le Christ, le Fils du Dieu béni ? " II y avait beaucoup de christs, c'est-à-dire de personnes qui avaient reçu l'onction, comme les rois et les grands-prêtres, mais aucun d'eux n'était appelé : " Le Fils du Dieu béni, " du Dieu loué à jamais.

S. jér. Ils attendaient pour un avenir éloigné celui qu'ils ne voyaient point si près d'eux ; de même qu'Isaac, dont les yeux obscurcis ne reconnaissaient point Jacob, que ses mains touchaient (Gn 27, 23), tout en lui annonçant pour l'avenir de magnifiques destinées : " Jésus lui répondit : Je le suis, " afin de leur ôter toute excuse. — théophyl. II savait très-bien qu'ils ne croiraient pas en lui ; cependant il répond pour ne point leur donner lieu de dire : " S'il nous avait parlé, nous aurions cru en lui. " Or ce qui les condamne ouvertement, c'est qu'ils l'ont entendu et qu'ils n'ont pas cru en lui. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 6-7.) Suivant saint Matthieu, Jésus ne répondit point : Je le suis, mais : " Vous l'avez dit. " Saint Marc, en adoptant la première version : " Je le suis, " fait voir qu'elle a le même sens que cette autre : " Vous l'avez dit. "

" Et vous verrez un jour le Fils de l'homme assis à la droite de la Majesté divine, et venant sur les nuées du ciel. " — théophyl. C'est-à-dire, vous me verrez comme le Fils de l'homme assis à la droite du Père, car ici la puissance signifie le Père. Or le Fils de l'homme ne viendra point sans son corps, mais il apparaîtra au jour du jugement tel qu'il est apparu à ceux qui l'ont crucifié. Si donc, qui que vous soyez, païen, juif ou hérétique, le mépris, l'infirmité et la croix vous paraissent outrageantes pour le Sauveur, rappelez-vous que c'est par là que le Fils de l'homme s'est élevé jusqu'à la droite du Père, et qu'il redescendra dans sa Majesté sur les nuées du ciel. — S. jér. Le grand-prêtre lui demande s'il est le Fils de Dieu ; Jésus répond qu'il est le Fils de l'homme, pour nous faire comprendre que le Fils de Dieu et le Fils de l'homme sont une seule et même personne, et afin que nous ne soyons pas tentés de faire de la Trinité une quaternité, mais que nous admettions que l'homme est en Dieu et Dieu en l'homme, Jésus dit : " Assis à la droite de la puissance, " c'est-à-dire, régnant au sein d'une vie éternelle et d'une puissance toute divine : " Et venant sur les nuées au ciel " il est monté au ciel sur une nuée, il en redescendra sur une nuée, c'est-à-dire, qu'il est monté au ciel revêtu de ce corps qu'il avait pris dans le sein de la Vierge, et qu'il viendra juger le monde avec l'Eglise, qui est son corps, sa plénitude, et qui est si variée dans ses membres.

S. léon. (serm. 6 sur la Pass.) Caïphe, pour faire éclater l'envie que lui inspirent les paroles qu'il vient d'entendre, déchire ses vêtements, et sans savoir ce que signifie cet acte de folie, il se dépouille de l'honneur du sacerdoce, oubliant ce précepte de la loi au grand-prêtre : " II n'ôtera point la tiare de son front et il ne déchirera point ses vêtements. " (Lv 21, 10) " Aussitôt le grand-prêtre, déchirant ses vêtements, leur dit : Qu'avons-nous encore besoin de témoins ? Vous avez entendu le blasphème, " etc. — théophyl. Le grand-prêtre se conforme ici à l'usage des Juifs qui déchiraient leurs vêtements dans toutes les afflictions et les malheurs qui venaient fondre sur eux. C'est donc pour faire ressortir l'énormité du blasphème qu'il attribue à Jésus-Christ que le grand-prêtre déchire ses vêtements.

bède. Mais c'est par l'effet d'un dessein mystérieux et plus profond que dans la passion du Seigneur, ce grand-prêtre des Juifs déchire ses vêtements, c'est-à-dire l'Ephod (Jg 7, 5 ; Ex 25, 7 ; 1 R 2, 28), tandis que la tunique du Seigneur ne put être partagée par les soldats mêmes qui le crucifièrent. C'était une figure que le sacerdoce des Juifs allait être détruit en punition des crimes des prêtres eux-mêmes, tandis que l'Eglise, souvent appelée la robe du Sauveur, résisterait à tons les efforts que l'on ferait pour la déchirer.

théophtl. La raison pour laquelle le sacerdoce des Juifs fut retranché et détruit, c'est la condamnation à mort de Jésus-Christ : " Ils le jugèrent tous digne de mort, " dit l'Evangéliste. — S. jér. Ils le condamnent à mort comme un criminel, afin que par cette condamnation il pût expier nos propres crimes, " Alors quelques-uns commencèrent par lui cracher au visage. " Par ces crachats qui couvrent sa face adorable, il lave la face intérieure de notre âme ; le voile qu'ils jettent sur son visage fait disparaître le voile qui couvrait nos cœurs ; les soufflets qu'ils déchargent sur sa tête, guérissent la tête du genre humain, c'est-à-dire Adam ; les soufflets que leurs mains appliquent sur ses joues, nous méritent de pouvoir le louer des mains et des lèvres, selon la prédiction du Roi-prophète : " Nations, frappez toutes des mains. " (Ps 46) — bède. En lui disant : " Prophétise qui t'a frappé ; " ils veulent outrager en lui la qualité de prophète qu'il s'est donnée aux yeux du peuple. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 6.) Or, Nôtre-Seigneur a souffert tous ces outrages jusqu'au matin dans la maison du grand-prêtre où il fut conduit tout d'abord.

 

Vv. 66-72.

S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 6.) Tous les Evangélistes ne racontent pas dans le même ordre la tentation et la chute de Pierre qui eut lieu pendant que Jésus était en butte à ces indignes outrages. Saint Luc la place en tête du récit des outrages faits au Sauveur ; saint Jean commence par la chute de Pierre, entre dans le détail de quelques-uns de ces outrages, ajoute que Jésus fut ensuite envoyé au grand-prêtre Caïphe, puis il récapitule pour l'expliquer, la tentation et le renoncement de Pierre. Saint Matthieu et saint Marc racontent d'abord la scène des outrages et puis ensuite la chute de Pierre: " Pendant que Pierre était au bas, dans la cour, une des servantes du grand-prêtre, " etc. — bède. Mais pourquoi Pierre est-il tout d'abord aperçu et découvert par une femme, alors qu'il y avait là un grand nombre d'hommes qui auraient dû bien plutôt le reconnaître ? C'était pour montrer la part que prenait à la mort du Seigneur ce sexe qui devait aussi être racheté par sa passion.

" Mais il le nia en disant : Je ne le connais point et je ne sais point ce que vous dites, " etc. — S. jér. Pierre, avant d'avoir reçu l'Esprit saint, faillit à la voix d'une servante, mais après l'avoir reçu, il résiste courageusement aux rois et aux princes. — théophyl. C'est par un dessein providentiel que Dieu permit cette chute, afin que Pierre ne fût point tenté de s'enorgueillir, et aussi pour lui inspirer une grande compassion pour les pécheurs, instruit qu'il était par lui-même de la faiblesse humaine.

" Et comme il sortait dehors, dans le vestibule, le coq chanta, " etc. — béde. Les autres Evangélistes passent sous silence ce premier chant du coq, mais sans contester ce fait ; c'est ainsi qu'il est un grand nombre de faits omis par les uns et racontés par les autres.

" Et lorsqu'elle l'eut aperçu de nouveau, " etc. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 6.) Cette servante n'est pas la même, mais elle est différente de la première, comme le dit expressément saint Matthieu. On peut aussi admettre qu'avant le second renoncement, Pierre fut interpellé par deux personnes, par la servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, et par une autre dont parle saint Luc : " Mais il le nia pour la seconde fois. " Pierre était revenu dans la cour, comme le raconte saint Jean, près du foyer où il allait renoncer son maître pour la seconde fois. Or la servante faisait cette remarque, non pas à lui, mais à ceux qui étaient restés pendant qu'il sortait, de manière cependant à être entendue de Pierre, qui revient alors près du foyer et dément leurs assertions en reniant de nouveau le Sauveur. En effet, en comparant entre eux le récit de tous les Evangélistes, on arrive à cette conclusion certaine, que ce n'est pas devant la porte que Pierre renia Jésus pour la seconde fois, mais dans l'intérieur de la cour et près du foyer. Saint Matthieu et saint Marc, qui rapportent que Pierre sortit dehors, ont passé sous silence, pour abréger, qu'il était rentré dans l'intérieur de la cour.

bède. Le renoncement de Pierre nous apprend qu'on ne renie pas seulement Jésus-Christ, en soutenant qu'il n'est pas le Christ, mais en niant qu'on soit chrétien, lorsqu'on l’est en réalité. En effet, Notre-Seigneur ne dit pas à Pierre : Vous nierez que vous soyez mon disciple, mais vous me renierez. Il a donc renié Jésus-Christ, lorsqu'il a nié qu'il fût son disciple : " Et peu de temps après, ceux qui étaient présents dirent encore à Pierre : Assurément, vous êtes-de ces gens-là, car vous êtes Galiléen ; " etc. Ce n'est pas que la langue que l'on parlait eu Galilée, fût différente de celle que l'on parlait à Jérusalem, puisque de part et d'autre c'était la langue hébraïque ; mais chaque province, chaque contrée avait son dialecte, ses locutions et son accent particulier dont on ne peut jamais se dépouiller.

théophyl. Pierre saisi, épouvanté de frayeur, oublie les paroles du Seigneur : " Celui qui m'aura confessé devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père, " renie son divin Maître : " II se mit alors à dire avec imprécation et avec serment, " etc. — bède. Que la société des méchants est funeste ! Pierre, au milieu de ces gens sans foi, nie qu'il connaisse comme homme celui qu'il avait hautement reconnu comme Dieu au milieu des disciples. L'Ecriture sainte détermine souvent le mérite des différentes actions par le temps où elles se sont accomplies. Ainsi Pierre, qui renia le Seigneur au milieu de la nuit, se repentit au chant du coq : " Et aussitôt le coq chanta, " etc. — théophyl. Les larmes de Pierre renouèrent les liens qui l'attachaient au Sauveur. Cet exemple condamne et confond les novatiens, qui prétendent que celui qui pèche après avoir reçu le baptême ne peut être admis à l'espérance du pardon. Voici Pierre qui avait reçu le corps et le sang de Jésus-Christ, et à qui cependant la grâce du repentir est accordée. Les faiblesses des saints ont été écrites pour nous apprendre que si nous venons à tomber par défaut de vigilance, nous devons nous rappeler leur exemple, et mettre tonte notre espérance dans la miséricorde de Dieu.

S. jér. Dans le sens allégorique, la première servante, c'est l'état d'une âme qui chancelle ; la seconde, c'est le consentement ; la troisième personne, c'est l'acte même du crime. C'est ce triple renoncement que le souvenir des paroles de Jésus lave dans les larmes de la pénitence. Le coq nous fait entendre sa voix, lorsqu'un prédicateur excite nos cœurs à la componction et au repentir. Nous commençons à pleurer, lorsqu'une étincelle de la parole vient embraser notre cœur, et nous sortons dehors, lorsque nous rejetons hors de notre âme toutes nos anciennes habitudes.

 

CHAPITRE XV

 

Vv. 1-5.

bède. Les Juifs avaient coutume de livrer au juge, chargé de chaînes, celui qu'ils avaient condamné à mort ; voilà pourquoi après avoir raconté la condamnation du Christ, l'Evangéliste ajoute : " Dès le matin, les princes des prêtres lièrent Jésus, " etc. Remarquons cependant que ce ne fut pas la première fois qu'ils le lièrent ; aussitôt qu'ils se furent saisis de lui la nuit, dans le jardin, ils le garrottèrent. — théophyl. Ils livrèrent Jésus aux Romains, mais ils furent eux-mêmes livrés à ces mêmes Romains, pour accomplir cette parole des Ecritures (Is 3, 11) : " Rendez-leur selon les œuvres de leurs mains. " (Ps 27)

" Pilate l'interrogea, " etc. — bède. Pilate ne l'interroge que sur ce seul chef d'accusation, s'il est le roi des Juifs ; preuve évidente de l'impiété des Juifs qui n'ont même pas pu trouver de faux prétextes pour faire condamner le Sauveur, " Jésus leur répondit : Vous le dites. " Nôtre-Seigneur répond de la sorte dans l'intérêt de la vérité, et de manière que ses paroles ne pussent donner prise à aucune accusation calomnieuse.— théophyl. Sa réponse, en effet, est douteuse, car ces paroles : " Vous le dites, " peuvent s'entendre de la sorte : C'est vous qui le dites, ce n'est pas moi. Remarquez aussi que Jésus répond en partie à Pilate qui le condamne malgré lui, et qu'il ne dit rien aux prêtres et aux chefs du peuple, parce qu'il les juge indignes de sa réponse.

" Et ils formaient diverses accusations contre lui. " — S. Aug. (de l'accord des Evang,, 3, 8.) Saint Luc raconte les crimes supposés dont ils l'accusèrent : " Ils commencèrent à l'accuser en disant : Nous avons trouvé cet homme pervertissant notre nation, et défendant de payer le tribut à César, et se donnant le nom de Christ roi. "

" Pilate l'interrogea de nouveau et lui dit : Vous ne répondez rien, voyez de combien de choses ils vous accusent. " — bede. C'est un païen qui condamne Jésus, mais il fait remonter la condamnation au peuple juif, " Mais Jésus ne répondit plus rien, de sorte que Pilate en était tout étonné, " Le Sauveur ne voulut rien répondre, car en se justifiant de ces fausses accusations, le gouverneur l'eût renvoyé, et les fruits immenses de la croix eussent été différés.

théophyl. Ce que Pilate admirait, c'est que Jésus, docteur de la loi, dont l'éloquence pouvait d'un seul mot mettre à néant les accusations de ses ennemis, ne répondait rien, mais supportait courageusement leurs calomnies.

 

Vv. 6-15.

bede. Pilate offrit aux Juifs plusieurs moyens de délivrer le Sauveur, d'abord, en mettant un scélérat en regard du juste : " Or, chaque année il avait coutume de leur accorder la délivrance d'un des prisonniers, " etc. —la glose. Cette coutume avait pour but de gagner les bonnes grâces du peuple, surtout à l'occasion de cette grande fête où les Juifs affluaient à Jérusalem de toutes les parties de la Judée. Or, pour mettre dans un plus grand jour ce qu'avait de monstrueux le choix que firent les Juifs, l'Evangéliste nous fait connaître l'énormité du crime commis par ce voleur que les Juifs préférèrent à Jésus-Christ, " Et il y en avait un alors nommé Barrabas, qui avait commis un meurtre dans une sédition. " La gravité de ce crime ressort de la nature même du forfait, il avait commis un homicide ; de la manière de le commettre, c'était au moyen d'une sédition qui avait agité toute la ville ; enfin c'était un crime de notoriété publique, puisqu'on l'avait mis en prison avec les séditieux.

" Le peuple étant donc venu devant le prétoire lui demanda, " etc. — S. Aug. (de l'accord des Evang., 3, 8.) Que saint Matthieu passe sous silence ce que saint Marc rapporte ici que ce furent les Juifs qui vinrent faire cette demande à Pilate, cela ne peut faire aucune difficulté ; peu importe, en effet, qu'une circonstance racontée par un Evangéliste soit omise par un autre. " Pilate leur répondit : Voulez-vous que je vous délivre le roi des Juifs ? " Quelles sont les paroles dont s'est servi Pilate, ou celles que lui prête saint Matthieu ou celles que rapporte ici saint Marc ? Il y a, en effet, une différence entre ce que dit saint Matthieu : " Lequel des deux voulez-vous que je vous délivre, Barrabas, ou Jésus qu'on appelle Christ ? " et ce que nous lisons ici dans saint Marc : " Voulez-vous que je vous délivre le roi des Juifs ? " Je réponds que les Juifs appelaient leurs rois christs (1 R 2, 10), et que celui qui s'est servi de l'un de ces deux termes a voulu évidemment leur demander s'ils voulaient qu'on leur délivrât le roi des Juifs, c'est-à-dire le Christ. Peu importe donc que saint Marc ne dise rien ici de Barrabas, et s'attache exclusivement à ce qui concerne le Sauveur, la réponse des Juifs que cet Evangéliste rapporte, montre clairement celui dont ils demandaient la délivrance : " Les prêtres excitèrent le peuple à demander qu'il leur délivrât plutôt Barrabas. " — bêde. Jusqu'à ce jour, cette demande qu'ils ont faite avec des instances si pressantes s'est comme attachée à eux. Pour avoir préféré, en vertu du choix qui leur était laissé, à Jésus un voleur, au Sauveur un assassin, ils ont justement perdu le salut et la vie ; ils se sont comme dévoués aux brigandages et aux séditions, et ils ont fini par perdre leur patrie et leur royaume qu'ils avaient aimés plus que Jésus-Christ, sans qu'ils aient jamais pu recouvrer la liberté du corps et de l'âme.

Pilate leur offre encore une autre occasion de délivrer le Sauveur. " Pilate leur dit encore : Que voulez-vous donc que je fasse du roi des Juifs ? " — S. aug. (de l'accord des Evang., 3, 8.) On voit ici clairement qu'en appelant Jésus roi des Juifs, saint Marc veut dire la même chose que saint Matthieu, d'après lequel Pilate lui donne le nom de Christ ; car les seuls rois des Juifs portaient le nom de christs. En effet, saint Matthieu, dans l'endroit correspondant, fait dire à Pilate : " Que voulez-vous que je fasse de Jésus qu'on appelle Christ ? "

" Mais ils crièrent de nouveau, et lui dirent : Crucifiez-le. " — théophyl. Considérez tout à la fois la méchanceté des Juifs et le bon naturel de Pilate, bien qu'il soit coupable de n'avoir point résisté aux injustes exigences du peuple. Ils lui crient : " Crucifiez-le, " et Pilate pousse la modération jusqu'à essayer de nouveau d'arracher Jésus à ce jugement inique, " Pilate leur dit : Mais quel mal a-t-il fait ? " II voulait chercher dans l'innocence du Sauveur un motif pour le délivrer. — bède. Mais les Juifs, tout entiers à leur fureur insensée, ne répondent même pas à la question du gouverneur, " Et eux criaient encore plus fort : Crucifiez-le ! " accomplissant ainsi cette prophétie de Jérémie : " Mon héritage est devenu pour moi comme le lion dans la forêt, il a élevé sa voix contre moi. " (Jr 12, 9.)

" Enfin Pilate, voulant complaire au peuple, leur délivra Barrabas, et après que Jésus eut été battu de verges, il le leur livra pour être crucifié. "théophyl. Il voulait complaire au peuple, c'est-à-dire faire sa volonté, plutôt que ce que demandaient de lui Dieu et la justice. — S. jér. Nous voyons ici les deux boucs, l'un mis en liberté et appelé le bouc émissaire est renvoyé dans le désert, couvert des péchés du peuple ; l'autre est immolé comme un agneau pour les péchés de ceux qui recouvrent la liberté. La portion qui appartient au Seigneur est toujours immolée ; celle du démon, qui est leur maître (c'est le sens du mot Barrabas) , se précipite dans l'enfer avec une fureur aveugle. — bède. C'est par les ordres de Pilate seul que Jésus fut flagellé ; saint Jean le dit en termes exprès : " Alors Pilate prit Jésus, et le fit battre de verges. " (Jn 19, 1.) Son dessein en cela était que les Juifs, rassassiés des souffrances et des opprobres de Jésus, cessassent d'avoir soif de son sang et de sa mort.

 

Vv. 16-20.

théophyl. La misérable vanité des soldats qui mettent leur joie dans les opprobres sans mesure dont ils chargent le Sauveur, fait voir ici tout ce dont elle est capable : " Alors les soldats, l'ayant amené dans la salle du prétoire, le revêtirent d'un manteau d'écarlate, " etc. — bède. Gomme on l'avait appelé roi des Juifs, et que les scribes et les princes des prêtres lui avaient fait un crime d'avoir voulu s'emparer du pouvoir sur le peuple d'Israël, les soldats font de cette ambition prétendue l'objet de leurs dérisions, ils le dépouillent de ses vêtements ordinaires pour le revêtir de la pourpre, vêtement distinctif des anciens rois. —S. aug. (De l'acc. Des Evang., 3, 4.) Il n'y a aucune contradiction entre saint Matthieu, d'après lequel : " Ils le revêtirent d'un manteau d'écarlate, " et saint Marc qui rapporte qu'ils le revêtirent de pourpre. " Les soldats lui jetèrent sur les épaules ce manteau d'écarlate comme une pourpre dérisoire ; et d'ailleurs il est une espèce de pourpre fort semblable à l'écarlate. On peut encore dire que saint Marc parle de pourpre, parce que ce manteau d'écarlate avait une garniture de pourpre (cf. Mt 28). — bède. Pour diadème, ils lui placent sur la tète une couronne d'épines. " Et ils lui mirent sur la tête une couronne d'épines entrelacées, " etc. Pour sceptre royal, ils lui donnent un roseau, suivant le récit de saint Matthieu, et ils se prosternent devant lui comme devant leur roi : " Et ils commencèrent à le saluer, " etc. Ils ne lui rendaient ces honneurs que pour se moquer de lui, parce qu'il avait voulu faussement se faire passer pour Dieu ; comme le prouvent les paroles suivantes : " Ils lui frappaient la tête avec un roseau. " — S. jer. Ce sont les opprobres du Sauveur qui nous ont délivrés de nos opprobres ; ses liens ont brisé nos chaînes ; la couronne d'épines qui a ceint son front, nous a mérité le diadème du royaume (Is 53, 3), et nous avons été guéris par ses blessures.

S. aug. (de l'accord des Evang., 3, 9.) Il paraît certain que saint Matthieu et saint Marc rapportent ces faits par récapitulation, et non pas comme s'étant passé, lorsque Pilate livra Jésus aux Juifs pour être crucifié, car d'après saint Jean, ils eurent lieu dans la demeure même de Pilate. Quant à cette dernière circonstance : " Et après s'être ainsi joués de lui, " etc., il faut la rapporter au moment où ils emmenaient Jésus pour être crucifié.

S. jér. Dans le sens mystique, Jésus est dépouillé de ses vêtements, c'est-à-dire des Juifs ; il est revêtu de pourpre, c'est-à-dire de l'Eglise formée des Gentils, qu'il a comme recueillie sur les rochers de la mer. Il se dépouille de cette Eglise à la fin du monde à cause de ses scandales, et il se revêt de nouveau du peuple juif ; car " lorsque la plénitude des nations sera entrée, tout Israël sera sauvé. " (Rm 11) — bède. Ou bien cette pourpre dont le Seigneur est revêtu, c'est sa chair qu'il a exposée aux souffrances, et la couronne d'épines qu'il porte sur sa tête, nos péchés qu'il a pris sur lui. — théophyl. Revêtons-nous nous-mêmes de cette pourpre royale, car nous devons marcher comme des rois, foulant aux pieds les serpents et les scorpions (Lc 10, 19), et triomphant du péché. Car nous sommes appelés chrétiens, c'est-à-dire consacrés par l'onction, comme les rois qui portaient ce même nom. Prenons donc la couronne d'épines, c'est-à-dire hâtons-nous de nous couronner de mortification, d'abstinence, de pureté.

bède. Ceux-là frappent la tête de Jésus-Christ qui nient qu'il soit le vrai Dieu. Et comme c'est avec un roseau qu'on transcrit ordinairement la sainte Ecriture ; frapper avec un roseau la tête de Jésus-Christ, c'est nier la divinité de Jésus-Christ en s'efforçant d'appuyer son erreur sur l'autorité des saintes Lettres. On crache à la face du Sauveur lorsqu'on rejette la présence de sa grâce par des paroles d'imprécation. Il en est encore aujourd'hui qui adorent Jésus-Christ comme le vrai Dieu dans les sentiments d'une foi certaine, mais qui, par leur vie criminelle, méprisent ses paroles comme dépourvues de vérité, et préfèrent à ses promesses les charmes séducteurs de cette vie. Remarquons d'ailleurs que les soldats agissent ici sans savoir ce qu'ils font, comme Caïphe qui avait prononcé ces paroles, sans en comprendre le sens. " II faut qu'un homme meure pour le peuple. " (Jn 11)

 

Vv. 21-28.

la glose. Après la condamnation de Jésus-Christ, et les outrages faits à ce divin condamné, l'Evangéliste en vient au récit de son crucifiement : " Et ils l'emmenèrent pour le crucifier. " — S. jér. C'est Abel qui est conduit dans les champs par son frère pour y être mis à mort (Gn 4) ; c'est Isaac portant le bois du sacrifice avec Abraham qui trouve le bélier pris dans un buisson (Gn 22) ; c'est encore Joseph avec la gerbe qu'il vit en songe, et sa tunique teinte de sang (Gn 38) ; c'est Moïse avec sa verge (Ex 7), et le serpent suspendu à un arbre (Nb 21) ; c'est là cette grappe de raisin portée sur un bâton (Nb 13) ; c'est Elisée cherchant le fer de sa cognée tombée dans l'eau, et qui nagea sur l'eau vers le bois (4 R 6), figure du genre humain, que le fruit défendu d'un arbre précipita dans l'abîme, mais que le bois de la croix de Jésus-Christ et le baptême de l'eau firent remonter et nager vers le paradis ; c'est enfin Jonas jeté par le sort hors du vaisseau dans la mer, et qui resta trois jours dans le sein de la baleine. (Jon 3)

" Et ils contraignirent un homme, nommé Simon, de porter sa croix, " etc. — théophyl. Saint Jean dit que Jésus portait sa croix, l'un et l'autre sont vrais, Jésus porta d'abord lui-même sa croix jusqu'à ce que les Juifs contraignirent cet homme, qui passait, de la porter avec lui. L'Evangéliste fait connaître le nom des enfants de cet homme pour donner à son récit une marque plus authentique de crédibilité ; car cet homme vivait encore et pouvait affirmer lui-même toutes les circonstances du crucifiement. — S. jér. Les uns doivent leur renommée aux mérites de leurs parents, les autres aux vertus de leurs enfants. Ce Simon, que les Juifs forcent de porter la croix, semble tirer son illustration de ses enfants qui étaient les disciples de Jésus-Christ. Nous apprenons de là que la sagesse, que les vertus des enfants peuvent être dans cette vie un puissant auxiliaire pour les parents eux-mêmes. C'est ainsi que les mérites des patriarches, des prophètes et des Apôtres ne cessent d'être un titre de gloire pour le peuple juif. Simon qui porte forcément la croix de Jésus, est la figure de celui qui travaille pour la gloire humaine ; les hommes le contraignent de faire ce que ni la crainte ni l'amour de Dieu n'auraient pu obtenir de lui. — bède. Ou bien encore, ce Simon qui n'est pas de Jérusalem, mais de Cyrène, ville de Lybie, figure le peuple des Gentils qui autrefois étaient complètement étrangers aux alliances, et qui maintenant par leur obéissance sont devenus les héritiers de Dieu et les cohéritiers de Jésus-Christ (Ep 2, 12). Il est à remarquer, en effet, que Simon veut dire obéissant et Cyrène héritier. Il revient de sa maison des champs, en grec πάγος, d'oω vient le mot paganus, païen que nous donnons à ceux qui sont étrangers à la cité de Dieu. Simon qui sort de sa maison des champs pour porter la croix après Jésus, est donc le peuple des nations ou des Gentils, qui abandonne les superstitions du paganisme pour s'attacher fidèlement à suivre les traces de la passion du Sauveur, " Et ils le conduisirent jusqu'au lieu appelé Golgotha, " etc. En dehors de la ville et au delà des portes se trouve le lieu où l'on tranche la tête aux condamnés, et c'est delà que lui est venu le nom de Calvaire, ou lieu des décapités. Or, Jésus fat crucifié en ce lieu, pour ériger l'étendard du martyre dans l'endroit même où les condamnés souffraient le dernier supplice. — S. jér. Suivant une tradition des Juifs, c'est sur cette montagne qu'Abraham immola un bélier à la place de son fils Isaac ; et c'est là aussi que Jésus est comme dépouillé de sa chair, c'est-à-dire séparé de la Judée toute charnelle.

" Et ils lui donnèrent à boire du vin mêlé avec de la myrrhe. " — S. aug. (de l'acc. des Evang., 3, 11.) Saint Matthieu exprime la même pensée en disant : " Du vin mêlé avec du fiel. " II s'est servi du mot fiel pour signifier l'amertume de ce vin, car le vin mêlé à la myrrhe est fort amer. Il n'est pas impossible, non plus que ce soient le fiel et la myrrhe réunis qui rendirent ce vin fort amer. —théophyl. Ou bien encore, au milieu de ce désordre et de cette confusion, on apportait une chose pour une autre, les uns du vinaigre et du fiel, les antres du vin avec de la myrrhe. — S. jér. Ou bien ce vin mêlé avec de la myrrhe est du vinaigre ; et c'est en goûtant ce vin que le Sauveur détruit le suc du fruit qui a donné la mort. — bède. C'est la vigne amère qui produit le vin amer, dont le Seigneur est abreuvé, pour accomplir cette prophétie : " Ils ont mêlé le fiel à ma nourriture, ils m'ont présenté du vinaigre pour étancher ma soif. " (Ps 68) — S. Aug. (de l’acc., des Evang., 3, 11) L'Evangéliste ajoute : " Et il n'en prit point, " c'est-à-dire il n'en prit point pour boire, il en goûta seulement, comme le rapporte saint Matthieu, et cette expression : " II ne voulut point le boire, " est la même que celle de saint Marc : " Et il n'en prit point, " excepté que ce dernier passe sous silence que le Seigneur en a goûté. — S. jér. Il n'a point pris non plus ce qui était la cause de ses souffrances, ce qui lui fait dire par la bouche du Roi-prophète : " Je payais alors ce que je n'avais pas pris. " (Ps 68)

" Et après l'avoir crucifié, " etc. — S. jér. L'arbre de la croix est pour nous la figure du salut. Le premier arbre fut celui de la science du bien et du mal ; le second est exclusivement l'arbre du bien et de la vie. La main, en s'étendant vers le premier arbre, n'a saisi que la mort ; les mains étendues sur le second ont retrouvé la vie qui était perdue. C'est par la croix que Jésus-Christ nous a délivrés des supplices qui nous étaient dus ; c'est par sa mort qu'il a détruit notre mort. C'est sous la forme d'un serpent qu'il donne la mort à l'antique serpent, de même que c'est par la verge changée en serpent que les autres serpents ont été dévorés. (Ex 5, 12.) Que nous représente aussi la forme de la croix, si ce n'est les quatre parties du monde ? L'Orient brille à son sommet, le Septentrion est figuré par la droite ; le Midi par la gauche ; l'Occident par la base fixée dans le sol ; ce que parait indiquer l'Apôtre dans ces paroles : " Afin que vous sachiez quelle est la hauteur, la largeur, la longueur et la profondeur. " (Ep 3) Lorsque les oiseaux prennent leur vol dans les airs, ils y dessinent la forme d'une croix ; l'homme, en nageant, imite la forme d'une croix pour se soutenir sur les eaux ; le vaisseau reçoit le souffle du vent dans l'antenne qui soutient les voiles, et présente la figure d'une croix ; la lettre T, par sa forme, est aussi l'emblème de la croix et du salut. (Ez 9) — bède. On peut dire aussi que le bois transversal de la croix où les mains sont clouées, signifie la joie que produit l'espérance ; car les mains sont le symbole des œuvres, et cette largeur de la croix figure la joie qui accompagne les bonnes œuvres ; car la tristesse resserre le cœur. Le haut de la croix où la tête repose, représente l'attente de la récompense que nous réserve la justice sublime de Dieu. La longueur de la croix sur laquelle le reste du corps est étendu, figure la patience, et de là vient qu'on dit de ceux qui sont patients, qu'ils ont de la longanimité. La partie de la croix qui s'enfonce dans la terre est le symbole des profondeurs que renferme ce mystère. Tant que dure pour nos corps le devoir de détruire en eux le corps du péché (Rm 6), c'est pour nous le temps de la croix.

théophyl. Les soldats jettent au sort ses vêtements, comme si c'étaient des vêtements royaux, nouvelle dérision ajoutée à tant d'autres ; car ces vêtements étaient pauvres et de peu de valeur. — la glose. D'après saint Jean, qui raconte ce fait plus en détail, les soldats partagèrent en quatre parties, suivant leur nombre, les vêtements du Sauveur, et jetèrent au sort sa tunique sans couture et d'un seul tissu depuis le haut jusqu'en bas. — S. jér. Les vêtements du Sauveur que les soldats païens se partagent, sont ses commandements, dont son corps, c'est-à-dire l'Eglise est comme enveloppée, et ils sont partagés entre quatre classes de fidèles, unis par une même foi ; les époux, ceux qui pratiquent la continence, les supérieurs et les simples fidèles. La tunique indivisible qui est la paix et l'unité leur est échue à tous par le sort.

" Or, il était la troisième heure du jour, " etc. — S. Jer. Cette observation de saint Marc est on ne peut plus conforme à la vérité ; car à la sixième heure, les ténèbres se répandirent sur la terre, et il eût été impossible de faire aucune action. — S. aug. (de raccord des Evang., 3, 13.) Si ce fut à la sixième heure que Pilate, assis sur son tribunal, livra Jésus aux Juifs pour le crucifier, comme le rapporte saint Jean ; comment a-t-il pu être crucifié à la troisième heure, comme quelques-uns le concluent d'une fausse interprétation des paroles de saint Marc ? Examinons d'abord à quelle heure a pu avoir lieu le crucifiement, et nous verrons ensuite pourquoi saint Marc le place à la troisième heure. Il était environ la sixième heure lorsque Pilate, assis sur son tribunal, livra Jésus aux Juifs, comme nous l'avons dit. Or, la sixième heure n'était pas encore tout à fait arrivée ; c'était environ la sixième heure, c'est-à-dire que la cinquième était passée, et qu'une partie de la sixième était commencée. Ainsi la cinquième heure était écoulée, et la sixième commencée, lorsqu'eurent lieu les circonstances du crucifiement ; et aussitôt la sixième heure achevée, pendant que Jésus était attaché à la croix, les ténèbres se répandirent sur toute la terre. Examinons maintenant pourquoi saint Marc s'exprime ainsi : " II était la troisième heure, " etc. Il venait de dire : " Et ceux qui l'avaient crucifié partagèrent ses vêtements, " et les autres Evangélistes rapportent également que ce fut après le crucifiement de Jésus, que ses bourreaux se partagèrent ses vêtements. Si saint Marc eut seulement voulu préciser l'heure où ces faits se passèrent, il lui suffisait de dire : " II était la troisième heure. " Pourquoi donc ajoute-t-il : " Et ils le crucifièrent ? " Ne voulait-il point par une espèce de récapitulation nous indiquer ici, comme objet de nos recherches, une vérité cachée ; alors surtout que son Evangile devait être lu dans des temps où toute l'Eglise savait fort bien à quelle heure Jésus avait été attaché à la croix, ce qui permettait de dissiper sur ce point jusqu'à l'ombre de l'erreur, jusqu'à l'apparence du mensonge. Mais comme il savait parfaitement que ce ne furent pas les Juifs, mais les soldats, qui en réalité attachèrent Jésus-Christ à la croix, comme l'atteste saint Jean (Jn 19, 23), il a voulu nous apprendre en termes couverts que les véritables auteurs du crucifiement furent ceux qui demandèrent à grands cris que le Sauveur fût crucifié, plutôt que ceux qui, par le devoir de leur état, ne firent qu'obéir aux ordres de leurs chefs. Ainsi donc, ce fut à la troisième heure que les Juifs demandèrent que Jésus fût crucifié, et eu réalité, ce crime fut dès lors moralement accompli. Or, pendant que Pilate s'efforçait de délivrer le Sauveur, et pendant le tumulte causé par les résistances des Juifs, il se passa un intervalle d'environ deux heures, et il était donc environ la sixième heure qui n'était pas encore écoulée lorsque se passèrent les événements renfermés entre le moment où il livra Jésus aux Juifs, jusqu'à celui où les ténèbres se répandirent sur la terre. Celui donc qui examinera ce passage sans aucun parti pris d'impiété, comprendra facilement que saint Marc a fait mention de la troisième heure dans l'endroit le plus opportun, c'est-à-dire au moment où les soldats crucifièrent Jésus. Afin donc qu'on fit retomber non pas sur les soldats, mais sur les Juifs la pensée d'un si grand crime, il écrit : " Or, il était la troisième heure, et ils le crucifièrent. " Il voulait que pour un lecteur attentif, les véritables auteurs du crucifiement fussent ceux qui l'avaient demandé à grands cris vers la troisième heure, plutôt que les soldats qui n'ont accompli le crime qu'à la sixième heure. — S. aug. (Quest. sur le Nouv. et l'Anc. Test., chap. 65.) Saint Marc a donc voulu nous faire entendre que la sentence qui condamnait Jésus à être crucifié, fut rendue à la troisième heure. En effet, tout homme condamné à mort, est regardé comme mort du moment où la sentence de mort lui a été signifiée. Il établit ainsi d'une manière évidente que ce n'est point précisément en vertu de la sentence du juge que Jésus a été crucifié ; car il serait difficile de prouver l'innocence de celui qui est l'objet d'une condamnation à mort. — S. aug. (de l'acc. des Evang., 3, 13.) Cependant il est des auteurs qui dans ces paroles de saint Jean : " C'était le jour de la préparation de la pâque, vers la sixième heure " (Jn 19, 14), ont voulu voir la troisième heure dont parle saint Marc. Ce jour qui était suivi du jour du sabbat, disent-ils, était le jour de la préparation de la pâque des Juifs, parce que la fête des Azymes commençait à ce sabbat. Or, la préparation ou la vigile de la Pâque véritable, non pas de celle des Juifs, mais de celle des chrétiens, qui s'accomplissait dans la passion du Sauveur, avait déjà commencé à partir de la neuvième heure de la nuit, puisque c'est à partir de ce moment que les Juifs se sont préparés à immoler le Sauveur. En effet, le mot parasceve signifie préparation. Ainsi entre la neuvième heure de la nuit jusqu'à celle du crucifiement, vient se placer la sixième heure de la préparation, suivant saint Jean, et la troisième heure du jour d'après saint Marc. Quel fidèle n’adopterait pas cette solution, si quelque chose pouvait nous faire clairement comprendre que c'est à la neuvième heure de la nuit que commença la préparation de notre pâque, c'est- à-dire la préparation de la mort de Jésus-Christ ? Dirons-nous que cette préparation a commencé au moment où Jésus fut pris et garrotté par les Juifs ? Mais on n'était alors qu'à la première partie de la nuit. Est-ce quand le Sauveur fut conduit à la maison de Caïphe, où il fut interrogé par les princes des prêtres ? mais le coq n'avait pas encore chanté. Est-ce quand Jésus fut traduit devant Pilate ? mais l'Evangile dit expressément qu'il était alors grand jour. Il n'est donc plus possible de placer la préparation de la mort du Seigneur qu'au moment où tous les princes des prêtres s'écrièrent : " II est digne de mort, " car rien n'empêche d'admettre qu'il pouvait être alors la neuvième heure de la nuit, à la condition toutefois de placer auparavant le renoncement de Pierre que l'Evangéliste ne raconte qu'après, comme par récapitulation.

" Et le titre de sa condamnation était ainsi écrit, " etc.—théophyl. Ils mirent cette inscription pour apprendre à tous la cause de son crucifiement. Ils condamnaient ainsi publiquement le sentiment de Jésus qui se disait roi, ils étouffaient tout sentiment de compassion dans l'âme des passants, et les excitaient à insulter bien plutôt le Sauveur comme un tyran. — S. jér. Ils écrivirent cette inscription en trois langues, en hébreu : Maleck Jeoudim ; en grec : Basileus exomologeton ; en latin : Rex confitentium. Ces trois langues furent consacrées dans l'inscription de la croix, afin que la perfidie des Juifs fût publiée dans toutes les langues que ces trois représentaient. — bède. Cette inscription, placée au haut de la croix, prouve que les Juifs, en mettant Jésus à mort, n'ont pu se délivrer de l'avoir pour roi qui leur rendra selon leurs œuvres.

" Ils crucifièrent aussi avec lui deux voleurs, " etc. — théophyl. Afin de donner ainsi de lui au peuple une mauvaise opinion et de le faire passer pour un voleur et un malfaiteur. Mais Dieu permit ce nouvel outrage pour accomplir l'oracle de l'Ecriture : " Ainsi fut accomplie cette parole de l'Ecriture : II a été mis au rang des criminels. " — S. jér. La vérité est confondue avec les scélérats ; elle en laisse un à gauche, elle prend et sauve celui qui est à sa droite ; c'est ce qu'elle doit faire encore au jour du jugement. Quel sort bien différent, après des crimes semblables ? l'un précède Pierre dans le paradis, l'autre Judas dans l'enfer. Une confession rapide obtient à l’un une vie éternelle, et le blasphème qui expire sur les lèvres de l'autre, est puni d'un supplice sans fin.

bède. Les deux voleurs crucifiés avec Nôtre-Seigneur, sont la figure de ceux qui, pour professer la foi et le nom de Jésus-Christ, se dévouent aux épreuves du martyre, on embrassent la pratique sévère d'une vie mortifiée. Ceux qui ne se proposent en cela que la gloire éternelle, sont figurés par la foi du voleur qui est à droite ; ceux au contraire qui n'ont en vue que la gloire qui vient des hommes imitent les sentiments et les actes du voleur qui est à gauche. — théophyl. Ou bien encore, ces deux voleurs représentent les deux peuples, les Juifs et les Gentils, tous deux coupables d'iniquité, pour avoir transgressé, les Gentils, la loi naturelle ; les Juifs, la loi écrite que le Seigneur leur avait donnée. Mais le peuple des Gentils se repent, tandis que le peuple juif blasphème jusqu'à la fin, et c'est au milieu de ces deux peuples que le Seigneur est crucifié, car il est la pierre angulaire qui nous réunit (Ep 2, 14).

 

Vv. 29-32.

S. jér. L'ânon de la Judée, étant lié à la vigne, et son manteau rougi dans le sang du raisin, les chevreaux déchirent la vigne, ils blasphèment le Christ et branlent la tête : " Et les passants le blasphémaient en branlant la tête, " etc. — théophyl. Les passants blasphèment Jésus-Christ et l'accablent d'outrages comme un séducteur. C'est le démon qui les poussait à l'engager à descendre de la croix. Il savait que c'est la croix qui devait sauver le monde, il revenait donc tenter de nouveau Jésus-Christ ; s'il descendait de la croix, il serait évident qu'il n'était pas véritablement le Fils de Dieu, et ainsi toute espérance de salut par la croix était anéantie. Mais Jésus, vrai Fils de Dieu, ne descendit pas de la croix. S'il avait dû en descendre il n'y serait pas monté, mais il savait que c'était là le moyen choisi de Dieu pour sauver le monde, il se dévoua donc aux souffrances de la croix et à mille autres outrages pour accomplir son œuvre. " Et les princes des prêtres disaient aussi : II a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même, " etc. En parlant ainsi, ils voulaient anéantir la vérité de ses miracles et les faire passer pour imaginaires ; car en effet, Jésus avait sauvé un grand nombre par ses miracles. — bède. Ils sont forcés d'avouer malgré eux qu'il a sauvé les autres. Vous êtes donc condamnés par vos propres paroles, car celui qui a sauvé les autres, peut également se sauver lui-même.

" Que le Christ, le roi d'Israël descende de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions. " — S. jér. Ils virent bientôt sortir du sépulcre celui qu'ils ne croyaient pas pouvoir descendre de la croix. O Juifs ! où ira donc se réfugier votre incrédulité ? Je vous prends à témoins, j'en appelle à votre jugement. N'est-il pas mille fois plus admirable qu'un mort puisse ressusciter, qu'il ne le serait qu'un homme vivant encore voulût descendre de la croix ? Vous avez peu demandé, on vous a donné beaucoup ; mais ces prodiges mille fois plus éclatants que ceux que vous demandez n'ont pu guérir votre incrédulité ; ils se sont tous détournés de la vérité, ils sont devenus inutiles.

" Et ceux qui avaient été crucifiés avec lui l'outrageaient de même. " — S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 16.) Mais comment admettre ici la vérité du récit de saint Marc, alors qu'au témoignage de saint Luc, un seul de ces voleurs outragea le Sauveur, tandis que l'autre voulait l'en empêcher et crut en Dieu. La seule réponse à faire, c'est que saint Matthieu et saint Marc, insistant peu sur ce détail, ont employé le pluriel pour le singulier. — théophyl. Ou bien tous deux commencèrent par l'accabler d'outrages, et puis l'un deux reconnaissant son innocence, reprocha à son compagnon les blasphèmes qu'il vomissait contre lui.

 

Vv. 33-38.

bède. L'astre brillant du jour voila ses rayons pour ne pas voir le Seigneur attaché à la croix, ou pour ne pas laisser jouir de sa lumière ces impies blasphémateurs : " A la sixième heure du jour, les ténèbres se répandirent sur toute la terre jusqu'à la neuvième. " — S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 17) Saint Luc indique la cause de ces ténèbres, c'est-à-dire l'obscurcissement du soleil. — théophyl. Si c'eût été le temps régulier pour une éclipse, on pourrait dire que cette obscurité était naturelle, mais on était alors au quatorzième jour de la lune, époque où selon les lois ordinaires, une éclipse n'est pas possible.

" Et à la neuvième heure, Jésus jeta un grand cri, en disant : Ëloï ! Eloï ! " etc. — S. jer. C'est à la neuvième heure que la maison a été balayée, que la drachme qui était perdue est retrouvée (Lc 15, 8). — bède. Lorsque Adam eut péché, il est écrit (Gn 3) qu'il entendit la voix de Dieu, qui se promenait dans le paradis à l'heure du jour où la brise s'élève ; or, ce fut à l'heure que le premier Adam fit entrer par son péché la mort dans le monde, que le second Adam détruisit par sa mort l'empire de la mort. Il est encore à remarquer que le Seigneur a été crucifié lorsque le soleil s'éloigne du centre du ciel, et qu'il a célébré le mystère de sa résurrection lorsque le soleil se lève, parce qu'il est mort pour nos péchés et qu'il est ressuscité pour notre justification (Rm 4, 25). Ne soyez point surpris de l'humilité de ses paroles, de ce qu'il se plaigne d'être abandonné ; la forme de serviteur qu'il a prise, vous le savez, est la cause du scandale de la croix. La faim, la soif, la fatigue, n'étaient pas les propriétés de sa divinité, mais les infirmités de la nature humaine ; ainsi ce cri : " Pourquoi m'avez-vous abandonné ; " c'est la plainte du corps, parce que le corps a une horreur souveraine et naturelle pour sa séparation d'avec la vie qui lui est unie. Sans doute, c'est le Sauveur lui-même qui parle ici, mais eu égard à la faiblesse de son corps, il parle comme homme et laisse la nature humaine en proie à ces agitations qui nous font craindre à nous-mêmes que Dieu nous abandonne au milieu des dangers. — théophyl. Ou bien, c'est au nom de l'humanité, que le Sauveur crucifié adresse cette plainte à Dieu, car nous autres hommes, nous sommes abandonnés, mais pour, lui, il n'a jamais été abandonné de son Père. Ecoutez, c'est lui-même qui l’atteste : "  je ne suis pas seul, mais mon Père est avec moi. (Jn 8) Ou bien encore, il parle ici au nom des Juifs qu'il représentait comme juif par sa naissance, et il semble dire : Pourquoi avez-vous abandonné le peuple hébreu, et l'avez-vous laissé crucifier votre Fils ? Nous disons quelquefois : Dieu s'est revêtu de moi, c'est-à-dire, de ma nature humaine ; ainsi nous devons entendre ces paroles : " Pourquoi m'avez-vous abandonné " de la nature humaine ou du peuple juif.

" Quelques-uns de ceux qui étaient présents, l'ayant entendu, disaient : Il appelle Elie. " — bède. Ce furent, à mon avis, des soldats romains, qui ne comprenaient point la langue hébraïque, et qui entendant crier Eloï, s'imaginèrent qu'il appelait Elie. Si vous voulez au contraire que ce soient les Juifs, ils interprètent ainsi le cri du Sauveur, pour insulter à sa faiblesse, qui implore le secours d'Elie : " Et l'un d'eux courut emplir une éponge de vinaigre, " etc. Saint Jean explique plus au long la raison pour laquelle on présenta du vinaigre à Jésus sur la croix : " Afin que les Ecritures fussent accomplies, Jésus dit : J'ai soif ; les soldats emplirent une éponge de vinaigre, et la présentèrent à sa bouche. " (Jn 19, 28, 29.) — S. jér. C'est ici un symbole de ce qu'étaient les Juifs ; ils emplissent de vinaigre, c'est-à-dire, de malice et de ruse, une éponge qu'ils placent au bout d'un roseau fragile, sec, destiné au feu. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 3, 17.) D'après saint Matthieu, ce n'est pas celui qui présenta l'éponge remplie de vinaigre qui interpréta ainsi les paroles du Seigneur, mais les autres qui étaient présents, d'où nous pouvons conclure que tous ont tenu ce langage.

S. jér. Au moment où la chair s'affaiblit, la voix divine fait éclater sa puissance, cette voix qui dit par la bouche du Psalmiste : " Ouvrez-moi les portes de la justice. " (Ps 117) " Jésus ayant jeté un grand cri, expira. " Nous qui sommes de la terre, nous n'avons en mourant qu'un reste de voix où la parole même expire sur nos lèvres, mais celui qui vient du ciel a jusqu'à la mort toute la puissance de sa voix. — théophyl. Celui qui tient la mort sous ses lois et qui lui commande, meurt aussi comme le maître de la mort. Or, quel fut ce cri que Jésus fît entendre ? Saint Luc nous l'apprend : " Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. " Il a voulu par là nous apprendre que les âmes des saints s'élèvent dans les mains de Dieu, elles qui étaient retenues dans les enfers avant l'avènement de celui qui est venu annoncer aux captifs leur délivrance.

 

Vv. 39-41.

la glose. Après avoir raconté la passion et la mort du Sauveur, l'Evangéliste passe au récit des événements qui suivirent sa mort : " Et le voile du temple se déchira en deux, " etc. — S. jér. Le voile du temple qui se déchire, c'est le ciel qui s'ouvre. — théophyl. Dieu permit que le voile se déchirât, afin de signifier que la grâce de l'Esprit saint s'éloignait et se séparait du temple pour découvrir aux yeux de tous les secrets du saint des saints, et aussi que le temple serait dans la désolation, lorsque les Juifs déploreront leur malheur et déchireront leurs vêtements. Ce voile est aussi le symbole de ce temple vivant du corps de Jésus-Christ qui, dans sa passion, vit ses vêtements, c'est-à-dire son corps déchiré. Il a encore une autre signification ; notre chair est le voile de notre temple, c'est-à-dire, de notre âme. Or, la puissance de la chair dans la passion de Jésus-Christ, a été déchiré et détruit du haut en bas, c'est-à-dire, depuis Adam jusqu'au dernier rejeton de sa postérité. En effet, Adam est sauvé par la passion de Jésus-Christ, sa chair ne demeure plus sous la malédiction, elle n'est plus sujette à la corruption, mais elle reçoit en même temps le don de l'incorruptibilité.

" Or le centurion voyant, " etc. Le centurion est l'officier qui commandait à cent hommes. A la vue de Jésus expirant avec tant de puissance et d'autorité, il est dans l'admiration et confesse sa divinité. — bède. L'Evangile nous fait connaître clairement la cause de l'étonnement du Centurion, c'est qu'ayant vu le Seigneur mourir de la sorte, il s'écria : " Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. " Car le Créateur des âmes a seul, à l'exclusion de tout autre, le pouvoir de remettre son âme. — S. aug. (De la Trin., 4, 13.) Ce qui étonna surtout le Centurion, c'est qu'après ce grand cri qui était comme l'expression figurée de notre péché, il expira aussitôt. L'esprit du Médiateur nous apprenait ainsi que la mort de son corps n'était la suite d'aucun péché, qu'il ne s'en séparait point malgré lui, mais quand il le voulut, parce qu'il était uni au Verbe de Dieu en unité de personne. — S. jer. Les derniers sont maintenant devenus les premiers, les Gentils confessent Jésus-Christ, les Juifs aveugles le renient, et leur erreur devient pire que la première. — théophyl. L'ordre naturel se trouve ainsi renversé, les Juifs mettent à mort celui que les Gentils reconnaissent comme Dieu, ses disciples s'enfuient, et les pieuses femmes persévèrent.

" II y avait aussi là des femmes, " etc. Celle qui est appelée Salomé, est la mère des enfants de Zébédée. — orig. (Traité 35 sur S. Matth.) Le récit comparé de saint Matthieu et de saint Marc, m'amène à penser qu'il est ici question de trois femmes principales ; deux d'entre elles sont désignées par les deux Evangélistes, Marie-Madeleine et Marie, mère de Jacques ; la troisième est appelée par saint Matthieu, la mère des enfants de Zébédée, et par saint Marc, Salomé. — bède. Saint Marc appelle Jacques le Mineur, Jacques, fils d'Alphée, on l'appelait aussi frère du Seigneur, parce qu'il était fils de Marie, tante du Sauveur, dont saint Jean fait mention : " Debout, près de la croix de Jésus, étaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine. " (Jn 19) Or, l'une de ces femmes est appelée Marie de Cléophas, ou comme fille de Cléophas, ou du nom de sa famille. Jacques le Mineur est ainsi appelé pour le distinguer de Jacques le Majeur, fils de Zébédée, qui a été un des premiers que le Seigneur a choisi pour ses Apôtres. C'était chez les Juifs une coutume consacrée par les mœurs antiques, et que personne ne songeait à blâmer, que les femmes prissent soin de fournir de leur bien, la nourriture à ceux qui les instruisaient, c'est ce que saint Marc rappelle ici : " Elles le suivaient lorsqu'il était en Galilée, et l'assistaient de leur bien. " Elles assistaient le Seigneur de leur avoir, et lui permettaient ainsi de moissonner leurs biens matériels, alors qu'elles moissonnaient elles-mêmes ses grâces spirituelles. Nôtre-Seigneur voulait ainsi donner l'exemple à ceux qui devaient enseigner l'Evangile, et leur apprendre à se contenter de la nourriture et du vêtement qu'ils recevraient de leurs disciples. Mais voyons quelles étaient celles qui les accompagnaient : " Et plusieurs autres qui étaient venues avec lui à Jérusalem. " — S. jér. De même que la femme est associée au salut du monde dans la personne de la Vierge Marie ; ainsi Dieu la rattache à la science du mystère de la croix et de la résurrection dans Marie-Madeleine, qui est veuve, et dans les autres mères qui l'accompagnent.

 

Vv. 42-47.

la glose. Après le récit de la passion et de la mort de Jésus-Christ, l'Evangéliste raconte ce qui concerne sa sépulture : " Le soir étant venu, comme c'était le jour de la préparation, " etc. — bede. Le mot grec parasceve, veut dire en latin prœparatio, préparation. Les Juifs qui habitaient parmi les Grecs, donnaient ce nom au sixième jour de la semaine, parce qu'on préparait dans ce jour tout ce qui était nécessaire pour assurer le repas du jour de sabbat. C'est le sixième jour que l'homme a été créé, et c'est le septième que le Créateur s'est reposé de toutes ses œuvres ; c'est aussi le sixième jour que le Sauveur attaché à la croix, accomplit le mystère de la réparation du genre humain, et le septième il se repose dans le tombeau en attendant sa résurrection qui devait avoir lieu le huitième jour. Ainsi, pendant l'âge actuel de cette vie, nous devons être nous-mêmes crucifiés au monde ; et le septième jour, lorsque chacun de nous aura payé son tribut à la mort, nos corps reposeront dans le tombeau, tandis que nos âmes, après une vie de bonnes œuvres, se reposeront dans la paix intime de Dieu, en attendant qu'au huitième âge nos corps glorifiés avec nos âmes, reçoivent par leur résurrection le don de l'incorruptibilité.

" Joseph d'Arimathie, qui était très-considéré, " etc. Il était convenable que ce fût un homme de ce mérite qui ensevelît le corps de Jésus ; qui par la grandeur de ses vertus, fût digne de lui rendre ce devoir, et par le crédit que lui donnait sa haute position dans le monde, pût en obtenir l'autorisation ; c'est pour cela que l'Evangéliste nous fait remarquer que c'était un homme de considération et du grand conseil, et qui lui aussi attendait le royaume de Dieu. On appelait décurion celui qui faisait partie du conseil et qui remplissait les fonctions de conseiller ou de sénateur ; on lui donnait aussi le nom de magistrat municipal, à cause des emplois civils qu'il remplissait. Arimathie est la même ville que Ramata, patrie de Samuel et d'Helcana (1 R 1). Arimathie signifie qui détache, et Joseph, qui vint pour détacher le corps de Jésus de la croix, sort de cette ville.

" II vint hardiment trouver Pilate, et lui demanda le corps de Jésus. " — théophyl. La demande qu'il fait est aussi digne d'éloges qu'elle est hardie. Il ne se dit pas à lui-même : Je perdrai mes richesses, je serai banni par les Juifs, si je demande le corps de celui qui a été condamné comme un blasphémateur : " Pilate s'étonnant qu'il fût mort si tôt, " etc. Il pensait que sa vie devait se prolonger plus longtemps sur la croix comme celle des voleurs qu'on y suspendait et qui ne mouraient pas sitôt : " II fit donc venir le centenier et lui demanda s'il était déjà mort, " c'est-à-dire avant le temps où les autres criminels rendaient ordinairement le dernier soupir : " Le centenier l'en ayant assuré, il donna le corps à Joseph. " — bêdb. Un homme inconnu ou dans une position ordinaire, n'aurait pas osé se présenter chez le gouverneur, et n'en aurait pas obtenu le corps d'un crucifié.

" Joseph ayant acheté un linceul, enveloppa le corps, " etc. — théophyl. Il ensevelit dans un linceul de grand prix un corps aussi précieux, car il était disciple du Seigneur, et il savait avec quel honneur il fallait traiter son divin corps. — bêde. Nous pouvons aussi, dans un sens spirituel, conclure de cet exemple que le corps du Seigneur ne doit pas être enveloppé dans l'or, dans les pierres précieuses et dans la soie, mais dans un linge d'une blancheur éclatante. C'est de là qu'est venu l'usage dans l'Eglise, d'offrir le sacrifice de l'autel, non sur la soie, ni sur une étoffe de couleur, mais sur un tissu de lin qui vient de la terre, en souvenir du corps du Seigneur, qui a été enseveli dans un linceul blanc, comme l'a ordonné par un décret pontifical, le bienheureux pape Sylvestre. Joseph, qui enveloppe le corps de Jésus dans un linceul blanc, est aussi la figure de celui qui le reçoit dans un cœur pur : " Et il le mit dans un sépulcre. " Le monument du Sauveur était, dit-on, une cellule de forme ronde, et taillé dans une roche qui se trouvait au-dessous. La hauteur de ce monument était si grande, qu'un homme debout pouvait à peine en toucher la voûte avec la main. On y entrait du côté de l'Orient, et on y roula une grande pierre sur la partie qui regarde le Nord. Le tombeau proprement dit, où fut déposé le corps du Seigneur était creusé dans le même roc, il avait sept pieds de long, s'élevait de trois palmes au-dessus du sol, il était ouvert sur toute sa longueur, non par dessus, mais du côté du Midi, et c'est par cette ouverture que l’on introduisait le corps. La couleur du monument et du tombeau était un mélange de rouge et de blanc. — S. jér. C'est par la sépulture du Christ que nous ressuscitons, c'est par sa descente aux enfers que nous montons aux cieux; c'est là que nous trouvons véritablement le miel dans la gueule du lion mort (Jg 14, 8).

théophyl. Imitons nous aussi, la conduite de Joseph en recevant le corps de Jésus-Christ dans le sacrement de l'unité, et déposons-le dans un monument taillé dans le roc, c'est-à-dire, dans une âme qui ne perd jamais le souvenir de Dieu ; une telle âme est comme taillée dans le roc, c'est-à-dire, dans Jésus-Christ, qui est la pierre, parce qu'il est le principe de toute fermeté. Nous devons aussi envelopper ce divin corps dans un linceul blanc, c'est-à-dire, le recevoir dans un corps pur, car le linceul est l'emblème du corps qui est le vêtement de l'âme, et l'honneur dû au corps de Jésus-Christ, exige que nous le recevions, non-seulement dans une âme innocente, mais dans un corps exempt de toutes souillures. Il faut de plus envelopper le corps et ne pas le laisser à découvert, c'est un secret qu'il faut tenir soigneusement fermé et caché.

" Cependant Marie-Madeleine et Marie, mère de Joseph, regardaient où on le mettait. " — bède. Nous lisons dans saint Luc, que tous ceux qui connaissaient Jésus, et les femmes qui l'avaient suivi, regardaient de loin ce qui se passait (Lc 23, 49). Or, tandis que les amis de Jésus regagnent leurs demeures après que Jésus fut descendu de la croix, les saintes femmes seules, qui l'avaient aimé plus tendrement, suivent ses funérailles, elles remarquent avec soin le lieu où on le déposait, afin de pouvoir lui offrir, en temps convenable, l'hommage de leur piété. Or, le jour de la préparation de la pâque, les saintes femmes, c'est-à-dire, les âmes humbles, accomplissent le même devoir, lorsque brûlantes d'amour pour le Sauveur, elles suivent fidèlement les traces de sa passion, dans le cours de cette vie où elles préparent le repos de l'éternité. Elles s'appliquent aussi avec une pieuse curiosité à méditer l'ordre et les circonstances de sa passion, afin de voir comment elles peuvent l'imiter. — S. jér. Tous ces détails de la sépulture du Sauveur peuvent aussi s'appliquer au peuple juif, qui doit embrasser la foi à la fin du monde. Ennobli par la foi, il redevient fils d'Abraham, il recouvre l'espérance, il attend le royaume de Dieu ; il entre dans l'assemblée des chrétiens pour recevoir le baptême, ce qui est figuré par le nom de Pilate (c'est-à-dire, forgeron), qui dompte les peuples les plus durs, et les gouverne avec un sceptre de fer. Il demande le sacrifice qui est donné comme viatique aux pénitents ù la fin de leur vie ; il l'enveloppe dans un cœur pur (1 Tm 1, 5) et mort au péché, il le dépose dans un lieu fortifié par la foi, le recouvre avec l'espérance par les œuvres de la charité (car la fin du précepte est la charité). Cependant les élus qui sont comme les étoiles de la mer, regardent de loin, alors que les élus eux-mêmes seront scandalisés, si cela était possible.

 

CHAPITRE XVI

Vv. 1-8.

S. jér. À la tristesse du jour du sabbat succède un jour brillant et fortuné, jour qui tient le premier rang parmi les jours, parce qu'il est éclairé des rayons de la lumière par excellence, et qu'il est témoin du triomphe de la résurrection du Seigneur : " Et lorsque le jour du sabbat fut passé, Marie-Madeleine, " etc. —la glose. Tant qu'il leur fut permis de travailler, c'est-à-dire, jusqu'au coucher du soleil, les saintes femmes préparèrent pieusement les parfums nécessaires à la sépulture du Sauveur, comme le rapporte saint Luc. Mais le peu de temps qui leur restait ne leur permit point de terminer ces préparatifs ; aussitôt donc que le jour du sabbat fut passé, et que le coucher du soleil leur eut rendu la liberté de reprendre leur travail, elles se hâtèrent d'aller acheter des parfums, comme le dit saint Marc, afin de pouvoir, le matin, embaumer le corps de Jésus, car elles ne purent se rendre au tombeau le soir du jour du sabbat, la nuit commençant à répandre son obscurité. — séver. Ces saintes femmes obéissent à un sentiment de piété propre à leur sexe, ce n'est pas un témoignage de foi qu'elles viennent offrir à Jésus-Christ vivant, ce sont des parfums qu'elles apportent pour embaumer un mort, c'est un hommage de leur tristesse qu'elles offrent à celui qui est enseveli, ce ne sont pas les joies d'un triomphe tout divin qu'elles préparent à celui qui doit bientôt ressusciter. — théophyl. Elles ne comprenaient pas encore la grandeur et la dignité de la Divinité de Jésus-Christ. Elles vinrent, selon la coutume des Juifs, embaumer le corps de Jésus, pour lui conserver une odeur agréable, et le préserver de la corruption qu'engendrent les humeurs. Les parfums ont, en effet, une vertu dessicative, qui absorbe toutes les parties humides du corps et le préserve de la corruption. — S. grêg. (hom. 21 sur les Evang.) Pour nous qui croyons en celui qui est mort, nous venons à son tombeau avec des parfums, si nous le cherchons tout parfumés de la bonne odeur des vertus et avec la conscience de nos bonnes œuvres.

" Et le premier jour de la semaine, étant parties de grand matin, " etc. — S. aug. (de l'accord des Evang., 2, 24.) " De grand matin, " dit saint Luc ; " le matin, quand les ténèbres régnaient encore, " dit saint Jean. Saint Marc exprime la même pensée, en disant : " De grand matin, le soleil étant déjà levé, " c'est-à-dire, lorsque le soleil commençait à blanchir du côte de l'Orient, c'est ce qui a lieu à l'approche du lever du soleil, on donne à ces premières lueurs le nom d'aurore. Saint Jean a donc pu dire sans contradiction : " Quand les ténèbres régnaient encore, car lorsque le jour paraît, les ténèbres se dissipent insensiblement et disparaissent à mesure que le soleil se lève sur l'horizon. " Ces paroles : " Le soleil étant déjà levé, " ne veulent pas dire qu'il dardait pleinement ses rayons sur la terre, mais qu'à mesure qu'il approchait, il commençait à blanchir et à éclairer le ciel de ses rayons naissants. — S. jér. Saint Marc appelle donc ici : " De grand matin, " ce qu'un autre Evangéliste appelle : " Le point du jour, " c'est-à-dire, le point intermédiaire entre les ténèbres de la nuit et les clartés du jour où devait paraître le salut du genre humain annoncé dans l'Eglise par cette heureuse coïncidence de l'aurore ; semblable au soleil qui, avant son lever, se fait précéder par l'aurore empourprée, il prépare les yeux à contempler la splendeur éclatante de sa résurrection. Alors, à l'exemple des saintes femmes, l'Eglise tout entière chante les louanges de Jésus-Christ qui, par le fait de sa résurrection, rend au genre humain le mouvement et la vie en l'inondant delà lumière de la foi. — bède. En se rendant de grand matin au tombeau, ces pieuses femmes nous donnent une preuve de leur ardent amour ; elles nous apprennent ainsi dans le sens spirituel, à offrir à Dieu le parfum de nos bonnes œuvres et la suave odeur de nos prières, la face éclairée de sa lumière et après avoir chassé les ténèbres des vices. — théophyl. " Le premier jour du sabbat, " c'est-à-dire, le premier jour de la semaine, car tous les jours de la semaine portent le nom de sabbat, et le premier jour est appelé una sabbatorum. — bède. Ou bien, le premier jour du sabbat est le premier jour à partir du jour du sabbat ou du repos que l'on observait le jour du sabbat.

" Or, elles se disaient l'une à l'autre : Qui nous ôtera la pierre, " etc. — séver. Votre cœur est fermé, vos yeux sont appesantis, et vous ne pouvez voir la gloire qui environne ce tombeau ouvert. — bebe. " Mais en regardant elles virent que cette pierre était ôtée. " — bède. Saint Matthieu nous a suffisamment expliqué comment la pierre avait été renversée par l'ange. Cette pierre enlevée figurait au sens allégorique, que les mystères du Christ couverts comme d'un voile par la lettre de la loi écrite sur la pierre étaient maintenant pleinement dévoilés, a Cette pierre était fort grande. " — séver. Elle était plus grande par sa destination que par sa forme, puisqu'elle suffit à couvrir et à enfermer le corps du Créateurs de l'univers.

S. greg. (hom. 21.) Les saintes femmes qui sont venues avec des parfums voient les anges ; ainsi les âmes qui méritent de voir les habitants des cieux sont celles qui, chargées de vertus, s'avancent vers le Seigneur par de saints désirs : " Et entrant dans le sépulcre, elles virent un jeune homme assis, " etc. — théophyl. Ne soyez point surpris que saint Matthieu rapporte que l'ange était assis sur la pierre, tandis que d'après saint Marc, c'est en entrant dans le tombeau qu'elles virent un jeune homme assis ; elles purent très-bien voir, un instant après dans l'intérieur du tombeau, celui qu'elles avaient vu d'abord assis sur la pierre. — S. aug. (De l’acc. des Evang., 3, 24.) Nous pouvons aussi admettre que saint Matthieu a gardé le silence sur l'ange que les femmes virent en entrant dans le tombeau, et saint Marc, sur celui qu'elles ont vu assis sur la pierre. Dans cette hypothèse, elles en ont vu deux, et ont entendu de chacun d'eux séparément les paroles que rapportent les Evangélistes. Ou bien encore, le tombeau dans lequel elles entrèrent, doit s'entendre d'une place libre entourée de murs qui formaient comme une enceinte destinée à défendre à une certaine distance le roc dans lequel le sépulcre était creusé. On comprend parfaitement alors qu'elles aient vu dans le même lieu, assis du côté droit, celui qui, d'après saint Matthieu, était assis sur la pierre. — théophyl. Quelques auteurs prétendent que les femmes dont parle saint Matthieu sont différentes de celles dont il est question dans saint Marc, mais Marie-Madeleine les accompagnait toutes dans l'impatience de sa ferveur et l'ardeur de son amour.

sévère. Les saintes femmes entrent dans le tombeau pour s'ensevelir avec Jésus-Christ et ressusciter avec lui. Elles aperçoivent un jeune homme, figure de l'âge de l'homme ressuscité, qui ne connaît point la vieillesse ; car là où l’homme ne doit plus ni naître ni mourir, l’âge de l'homme n'est plus soumis ni à la croissance, ni à la décroissance. Voilà pourquoi ce n'est ni un vieillard, ni un enfant, mais un jeune homme dans la fleur de l'âge qui se présente aux regards des saintes femmes. — bédé. Elles virent un jeune homme assis à la droite, à la partie méridionale de l'endroit où le corps avait été déposé. En effet, ce corps étendu sur le dos dans le sépulcre, ayant la tête à l'Occident, devait avoir nécessairement la droite au Midi. — S. grég. (hom. 20.) La gauche est ici l'emblème de la vie présente ; et la droite le symbole de la vie éternelle. Or, comme notre Rédempteur avait traversé cette vie corruptible, c'est avec raison que l'ange qui venait annoncer son entrée dans la vie éternelle, se tenait à droite. — sévère. Une autre raison pour laquelle ils aperçoivent ce jeune homme assis à la droite, c'est que dans la résurrection glorieuse il n'y a point de gauche. Elles le virent revêtu d'une robe blanche ; cette robe blanche n'est point un tissu fait avec la laine d'une toison, c'est l'œuvre d'une puissance pleine de vie, sa couleur n'a rien de la terre, et emprunte tout son éclat aux cieux, selon ces paroles du prophète : " II est revêtu de la lumière comme d'un manteau " (Ps 103), et ces autres du Sauveur en parlant des justes : " Alors les justes brilleront comme le soleil. (Mt 13)— S. grég. (hom. 21.) On bien encore, il apparut revêtu d'une robe blanche, parce qu'il nous annonce les joies de cette grande fête, car la blancheur des vêtements est le symbole de cette grande et éclatante solennité. — S. jér. La robe blanche figure encore la joie véritable que répand dans les âmes la défaite de notre ennemi, la conquête du royaume, la jouissance du roi pacifique que nous avons trouvé après tant de recherches, et que nous possédons sans crainte de le perdre. Ce jeune homme donne donc à ceux qui craignent la mort, un symbole de la forme que nous réserve la résurrection. Les femmes sont saisies de frayeur, parce que l'œil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, le cœur de l'homme n'a point compris ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment (2 Co 2, 9).

" II leur dit, " etc. — S. grég. (hom. 21.) C'est-à-dire : Laissez la crainte à ceux qui n'aiment point la visite des habitants des cieux, laissez la frayeur à ceux qui, accablés sous le poids des désirs de la chair, désespèrent de pouvoir jamais arriver dans leur société ; mais pour vous, pourquoi craignez-vous la vue de vos concitoyens ?— S. Jeu. Car la crainte n'est point dans la chanté. (1 Jn 4) Pourquoi craindraient-elles, après avoir trouvé celui qu'elles cherchaient.

S. grég. (hom. 21.) Mais écoutons ce que l'ange ajoute : " Vous cherchez Jésus de Nazareth. " Jésus en latin veut dire salutaire ou Sauveur. Or, plusieurs ont pu être appelés Jésus de nom seulement, et sans qu'ils le fussent en réalité. L'ange ajoute : " De Nazareth, " pour préciser de quel Jésus il voulait parler, et il indique le motif pour lequel les saintes femmes le cherchaient, par ce mot : " Qui a été crucifié. " — théophyl. II ne rougit point de la croix, car la croix est la cause du salut des hommes, et le principe de la béatitude des cieux.

S. jér. La racine de la croix a cessé de faire sentir son amertume, la fleur de vie est sortie de sa tige, accompagnée de ses fruits, c'est-à-dire que celui qui gisait dans le tombeau victime de la mort, en est sorti glorieux et triomphant. " II est ressuscité, il n'est plus ici. " II n'y est plus présent corporellement, lui qui cependant remplit tout de la présence de sa majesté. — théophyl. Il semble leur dire : Voulez-vous une preuve certaine de sa résurrection ? Voici l'endroit où on l'avait mis, et il avait renversé la pierre, afin, qu'elles pussent constater elle-même le lieu où on l'avait déposé. — S. jér. L'ange dévoile les mystères de l'immortalité à de simples mortels, pour nous inspirer de justes sentiments d'actions de grâces, et nous faire comprendre ce que nous avons été et ce que nous serons un jour.

" Allez, et dites à ses disciples, " etc. Il charge les saintes femmes d'apprendre cette nouvelle aux Apôtres ; la mort a été annoncée par la femme, c'est par la femme que doit être annoncée la vie qui ressuscita d'entre les bras de la mort. L'ange désigne spécialement Pierre, parce qu'il s'est jugé indigne de l'apostolat, lorsqu'il a renié par trois fois son Maître ; mais les péchés passés ne sont point pour nous un obstacle, lorsqu'ils cessent de nous être agréables.— S. grég. (hom. 21.) Si l'ange n'avait pas désigné nommément celui qui avait renié son divin Maître, il n'aurait pas osé reprendre sa place parmi ses disciples, il l'appelle donc par son nom pour l'arracher au désespoir où aurait pu jeter son renoncement.

S. aug. (de l'accord des Evang., 3, 25.) Ces paroles : " Il vous précédera en Galilée, " semblent indiquer que Jésus ne devait apparaître à ses disciples, après sa résurrection, qu'en Galilée ; apparition que saint Marc lui-même n'a point rapportée ; car les apparitions qu'il raconte en ces termes : "Le premier jour de la semaine, au matin, il apparut à Marie-Madeleine, et puis ensuite à deux d'entre eux qui s'en allaient à la campagne, " ont eu lieu à Jérusalem le jour même de la résurrection, et il arrive aussitôt à la dernière manifestation du Sauveur ressuscité sur le mont des Oliviers, non loin de Jérusalem ; saint Marc ne nous montre donc nulle part l'accomplissement de la prédiction de l'ange qu'il nous fait connaître. Quant à saint Matthieu, il ne mentionne d'autre apparition du Sauveur à ses disciples, après sa résurrection, que celle qui eut lieu en Galilée, selon la prédiction de l'ange. Mais comme cet Evangéliste n'indique point le temps précis de cette apparition, et qu'il ne précise point davantage ni le jour où les disciples se sont rendus sur une montagne dans la Galilée, ni l'ordre des faits, sa narration n'est point en contradiction réelle avec celle des autres Evangélistes, et donne toute facilité pour les interpréter et les expliquer. Mais pourquoi le Seigneur fait-il annoncer qu'il ne leur apparaîtra pour la première fois que dans la Galilée, où il ne se manifesta que plus tard. C'est un secret qui excite l'attention de tout fidèle, et le porte à demander quel mystère est renfermé dans ces paroles. — S. grég. (hom. 21.) Le mot Galilée signifie transmigration ; déjà notre Rédempteur était passé des souffrances de sa passion à la gloire de là résurrection, de la mort à la vie ; et nous aussi nous jouirons un jour du spectacle de sa résurrection, si nous sortons ici de la fange des vices pour nous élever aux sommets de la vertu. Celui qu'on disait être dans le sépulcre, nous apparaît passant de la mort à la vie. Ainsi celui qui se fait remarquer par la mortification de la chair donne aux autres le spectacle de l'heureuse transmigration de son âme. — S. jér. Ces paroles sont courtes à ne compter que les syllabes qui les composent, mais elles sont immenses par l'étendue des promesses qu'elles contiennent. Là est la source de notre joie et le principe de notre salut éternel ; c'est là que se réuniront tous ceux qui sont dispersés, et que tous les cœurs brisés seront pas tel que vous l'avez vu. " —S. aug. (de l'accord des Evang., 3, 25.) Ces paroles signifient que la grâce de Jésus-Christ devait quitter le peuple d'Israël pour passer ou pour émigrer chez les Gentils, qui n'eussent jamais reçu la prédication des Apôtres, si Dieu lui-même ne leur avait préparé la voie dans les cœurs des hommes. Et c'est là le sens de ces paroles : " Je vous précéderai en Galilée , c'est là que vous le verrez, " c'est-à-dire là vous trouverez ses membres.

" Elles sortirent aussitôt du sépulcre et s'enfuirent, saisies de crainte et de tremblement. "— théophyl. Cette frayeur était produite à la fois par la vue de l'ange, et par l'étonnement où les jetait la résurrection du Sauveur. — sévère. L'ange est assis sur le sépulcre, tandis que les femmes s'enfuient loin du sépulcre ; nous voyons d'un côté la confiance que donne une nature céleste, de l'autre, le trouble inhérent à la condition d'une nature terrestre. L'ange qui n'est point sujet à la mort, ne craint point le tombeau ; les femmes, au contraire, tremblent à la vue du fait dont elles sont témoins, et la présence du tombeau réveille dans leur âme la frayeur de la mort naturelle aux mortels. — S. jér. On peut dire encore que c'est ici une figure de la vie future, d'où fuiront à jamais la douleur et les gémissements; car les femmes imitent avant la résurrection générale ce que feront tous les hommes après la résurrection ; elles fuient la mort, et tout ce qui leur inspire de l'effroi.

" Et elles ne durent rien à personne, tant, leur frayeur était grande. " — théophyl. Ce fut ou par crainte des Juifs, ou sous l'impression de la frayeur de ce qu'elles avaient vu, qu'elles gardèrent le silence sur ce qui leur avait été dit. — S. aug. (de l'accord des Evang., 3, 24.) Mais comment concilier ce que dit ici saint Marc avec le récit de saint Matthieu : " Ces femmes sortirent aussitôt du sépulcre avec crainte et grande joie, et elles coururent porter cette nouvelle aux disciples ? " On peut dire qu'elles n'osèrent adresser la parole soit à aucun des anges (c'est-à-dire rien répondre à ce qu'elles avaient entendu), soit aux gardes qu'elles virent étendus à terre ; car la joie dont elles étaient pénétrées, selon saint Matthieu, ne contredit pas le sentiment de crainte dont parle saint Marc. Nous devrions même admettre que leur âme fut livrée à ces deux émotions si différentes, lors même que saint Matthieu ne les représenterait point sous l'impression de la crainte. Mais comme il dit expressément qu'elles sortirent du sépulcre avec crainte et grande joie, il ne peut plus y avoir de difficulté. — sévère. C'est peut-être à dessein que l'Evangéliste remarque que les femmes ne dirent rien à personne, parce que le devoir des femmes est d'écouter et non de parler, d'apprendre et non pas d'enseigner.

 

Vv. 9-13.

S. aug. (de l'accord des Evang., 2, 24.) Considérons maintenant les diverses apparitions de Nôtre-Seigneur après sa résurrection : " Jésus étant ressuscité, dit saint Marc, apparut premièrement à Marie-Madeleine. " — bède. Saint Jean raconte très en détail comment et dans quel endroit cette apparition eut lieu. Nôtre-Seigneur sortit le matin du tombeau dans lequel on l'avait déposé le soir pour accomplir cet oracle du Roi-prophète : " Les gémissements se font entendre le soir, au matin retentit l'allégresse. " (Ps 29, 6.)—théophyl. On peut aussi ponctuer différemment cette phrase : " Jésus étant ressuscité, " et puis : " Le premier jour de la semaine, il apparut d'abord à Marie-Madeleine. " — S. grég. (hom. 21.) Comme Samson qui, au milieu de la nuit, non-seulement sortit de la ville de Gaza, mais en emporta les portes, notre Rédempteur ressuscite avant le jour, et non-seulement il sort libre du sein de la terre, mais il brise et renverse les portes des enfers. Saint Marc rappelle que Jésus avait chassé sept démons de Marie-Madeleine; que signifient ces sept démons, si ce n'est l'universalité des vices ? De même que toute l'étendue du temps semble être comprise dans un espace de sept jours, le nombre sept est pris pour symbole de l'universalité des choses. Marie-Madeleine avait donc sept démons, parce que son âme était pleine de tous les vices. — théophyl. Ou bien ces sept démons sont les esprits opposés aux sept vertus, c'est-à-dire aux sept dons du Saint-Esprit, c'est-à-dire les esprits privés de la crainte de Dieu, de la sagesse, de l'intelligence, " etc. — S. jér. Le Sauveur apparaît tout d'abord à celle dont il avait chassé sept démons , confirmant ainsi cette vérité que les femmes de mauvaise vie et les publicains précéderont la synagogue dans le royaume des cieux, comme le larron a précédé les Apôtres.

bede. Dès l'origine, ce fut la femme qui entraîna son mari dans le mal. Aujourd'hui celle qui la première a goûté la mort, est aussi le premier témoin de la résurrection, pour ne point rester couverte aux yeux des hommes d'un opprobre éternel ; et après avoir été le canal par lequel le péché est arrivé jusqu'à l'homme, c'est par elle aussi que la grâce lui est transmise, " Et elle s'en alla le dire à ceux qui étaient avec lui, et qui étaient dans l'affliction, " etc. — S. jér. Ils pleurent et s'attristent, parce qu'ils n'ont pas encore vu, mais la consolation ne tardera point. Car, dit le Sauveur, bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés. " (Mt 5) — bède. Ce n'est pas sans dessein que l'Evangéliste nous rappelle que cette femme qui annonce la première la joie de la résurrection du Seigneur , avait été délivrée de sept démons, il veut apprendre à toute âme vraiment pénitente à ne point désespérer du pardon de ses fautes , et que la grâce a été surabondante là où le péché avait abondé. — sévère. Marie qui annonce cette nouvelle, ne représente plus simplement la femme, mais l'Eglise ; comme femme, elle a gardé le silence, mais maintenant qu'elle représente l'Eglise, elle parle hautement et publie le miracle de la résurrection.

" Mais eux, lui ayant oui-dire, " etc. — S. grég. (hom. 16 sur les Evang.) La difficulté des disciples à croire la résurrection, a eu moins pour cause, j'ose le dire, leur propre faiblesse, que le dessein de nous affermir un jour dans la foi, car ces preuves incontestables de la résurrection que Nôtre-Seigneur oppose à leurs incertitudes, que sont-elles pour nous qui les lisons, qu'un fondement solide que notre foi puise jusque dans leurs doutes ?

" Après cela, il apparut sous une autre forme à deux d'entre eux, " etc. — S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 25.) Saint Luc donne tout en entier le récit de l'apparition de Jésus à ces deux disciples, dont l'un s'appelait Cléophas, taudis que saint Marc ne fait que l'indiquer en peu de mots. En effet, ce que saint Luc appelle un bourg, nous pouvons admettre, sans invraisemblance, que saint Marc a pu le désigner sous le nom de maison de campagne. Les exemplaires grecs désignent plutôt ce lieu par le nom de champ que par celui de maison de campagne. Or, sous le nom de champ, on désigne ordinairement, non-seulement les châteaux, mais aussi les municipes et les colonies situées en dehors de la ville qui en est comme le chef et la mère. Saint Marc dit que Jésus apparut sous une autre forme ; saint Luc exprime la même pensée en disant que leurs yeux étaient retenus et ne pouvaient le reconnaître. En effet, quelque phénomène affectait leurs yeux, et les empêcha de voir jusqu'à la fraction du pain. — séver. Gardons-nous de croire que la résurrection ait changé les traits de la figure de Jésus-Christ ; l'apparence et la forme seules ont changé, lorsque de mortel il est devenu immortel, et sa figure brilla d'un nouvel éclat sans perdre sa nature et son identité. Or, il apparut à deux disciples qui représentaient les deux peuples (les Gentils et les Juifs) à qui la foi devait être annoncée.

" Ceux-ci vinrent l'annoncer aux autres disciples, mais ils ne les crurent pas non plus. " — bède. Saint Marc dit : " Ils vinrent l'annoncer aux autres disciples qui ne les crurent pas non plus. " Saint Luc rapporte au contraire que, dès ce moment les disciples affirmaient que le Seigneur était vraiment ressuscité et qu'il avait apparu à Simon ; il faut donc supposer qu'il s'en trouva parmi eux quelques-uns qui refusèrent de croire. — théophyl. En effet, ce n'est pas des onze que saint Marc veut ici parler, mais de certains disciples qu'il appelle " les autres. "

S. jér. Au sens mystique, cette apparition aux deux disciples d'Emmaûs, nous apprend qu'ici-bas la foi travaille pendant la durée de la vie active, tandis que la vie contemplative règne dans la jouissance calme et assurée de la claire vision. Sur la terre, nous ne voyons que l'image des choses comme dans un miroir ; dans l'autre vie nous verrons la vérité face à face. Voilà pourquoi le Sauveur apparaît sous une autre figure aux disciples qui sont en marche et dans les travaux de la vie présente. Les autres disciples ne croient point à leur témoignage, parce qu'ainsi que Moïse, ils ont vu ce qui n'était pas capable de les satisfaire. Aussi Moïse fait-il cette demande à Dieu : " Montrez-vous vous-même à moi. " (Ex 33) Il oubliait ce corps mortel dont il était revêtu, et il demandait à jouir dans cette vie de ce que nous espérons pour la vie future.

 

Vv. 14-18.

la glose. Saint Marc, sur le point de clore sa narration évangélique, rapporte la dernière apparition de Jésus-Christ à ses disciples après sa résurrection : " Enfin il apparut aux onze, " etc. — S. grég. (hom. 29 sur les Evang.) Comparons ici le récit de saint Luc dans les Actes (Ac 1). " Et mangeant avec eux, il leur commanda de ne point s'éloigner de Jérusalem; " et un peu plus loin : " II s'éleva en leur présence. " II mange avec eux, pour établir clairement par cette action la vérité de sa chair, et monte ensuite au ciel. C'est ce même fait que saint Marc raconte ici : " II apparut aux onze lorsqu'ils étaient à table. " — S. jér. Il apparut aux onze qui étaient réunis, afin qu'ils soient tous témoins de sa résurrection, et qu'ils puissent annoncer à tous les hommes, ce qu'ils ont vu et ce qu'ils ont entendu lorsqu'ils étaient réunis tous ensemble.

" Et il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur de n'avoir point cru ceux qui avaient vu qu'il était ressuscité. " —S. aug. (De l'acc. des Evang., 2, 25.) Comment cette apparition put-elle avoir lieu le dernier jour ? La dernière fois que Nôtre-Seigneur apparut aux Apôtres, ce fut le quarantième jour après sa résurrection. Or, devait-il leur reprocher ce jour-là de n'avoir point cru ceux qui avaient vu qu'il était ressuscité, lorsqu'eux-mêmes l'avaient vu si souvent depuis sa résurrection ? Par cette expression : " enfin, " saint Marc a voulu abréger son récit, et il veut dire que ce fut le dernier événement de la journée à l'entrée de la nuit, après que les deux disciples furent revenus du bourg d'Emmaüs dans Jérusalem, et qu'ils eurent trouvé, comme le dit saint Luc, les onze réunis, et avec eux d'antres disciples s'entretenant de la résurrection du Sauveur. Mais il s'en trouvait encore parmi eux qui refusaient de croire ; or, pendant qu'ils étaient à table (d'après saint Marc) et qu'ils s'entretenaient entre eux (au rapport de saint Luc), Jésus apparut au milieu d'eux et leur dit : " La paix soit avec vous, " (comme le disent également saint Luc et saint Jean). Dans les paroles de Nôtre-Seigneur à ses disciples rapportées à la fois par saint Luc et par saint Jean, il faut donc intercaler le reproche dont parle ici saint Marc. Mais voici une nouvelle difficulté. Comment saint Marc peut-il dire que le Sauveur apparut aux onze Apôtres, si cette apparition eut lieu le même jour du dimanche, vers le soir ? En effet, saint Jean dit clairement qu'alors Thomas n'était pas avec les autres, et nous croyons qu'il les quitta avant l'entrée de Jésus-Christ, et après que les deux disciples de retour d'Emmaüs, se furent entretenus avec les onze, comme nous le voyons dans saint Luc. Du reste, saint Luc lui-même, dans son récit, laisse supposer que Thomas était sorti pendant que les deux disciples parlaient et avant, que le Sauveur entrât. Et voici que saint Marc, eu affirmant qu'en dernier lieu, Jésus apparut aux onze pendant qu'ils étaient à table, nous force de conclure que Thomas était avec eux, à moins qu’on admette que malgré l’absence de Thomas, saint Marc a voulu conserver cette dénomination, " les onze, " parce que c'était la dénomination reçue pour désigner le collège apostolique ayant l'élection de Matthias en remplacement de Judas. Si cette explication parait forcée, nous pouvons placer cette dernière apparition aux onze, pendant qu'ils étaient à table, après un grand nombre d'autres, c'est-à-dire, le quarantième jour qui suivit sa résurrection. Comme le Sauveur était sur le point de les quitter pour monter au ciel, il profite de cette dernière circonstance pour leur reprocher de n'avoir point cru à ceux qui l'avaient vu ressuscité, avant d'eu avoir été eux-mêmes les témoins oculaires ; alors surtout qu'après son ascension, les nations auxquelles ils prêcheraient l'Evangile, devaient croire sans avoir vu-Et en effet, le reproche est immédiatement suivi de ces paroles : " Et il leur dit : Allez par tout le monde ; " et plus bas : " Celui qui ne croira point sera condamné. " Voilà ce qu'ils vont bientôt prêcher, comment donc ne pas leur faire tout d'abord ce reproche à eux-mêmes, qui avant qu'il leur eût apparu, avaient refusé de croire au témoignage de ceux qui l'avaient vu ressuscité ? — S. grég. (hom. 29.) Nôtre-Seigneur fait ce reproche à ses disciples au moment où il va les priver de sa présence corporelle, afin que ces dernières paroles qu'il leur adresse en les quittant, restassent plus profondément gravées dans leur cœur. — S. jér. Il leur reproche leur incrédulité afin qu'elle fasse place à la foi ; il leur reproche la dureté de leur cœur de pierre, afin qu'ils le changent en un cœur de chair rempli de charité.

s. greg. (hom. 29) Après qu’il leur a reproché leur dureté, écoutons les instructions qu'il leur donne : " Allez dans le monde entier, prêchez l'Evangile à toute créature. " Sous cette dénomination générale de créature, il faut entendre l'homme ; l'homme, en effet, a quelque point de contact avec chaque créature, il a de commun l'être avec les pierres, la vie végétative avec les arbres, le sentiment avec les animaux, l'intelligence avec les anges. L'Evangile est donc prêché à toute créature, lorsqu'il est annoncé à l'homme seul, parce qu'il est enseigné à celui pour qui tout a été fait sur la terre et qui a quelque rapport d'analogie avec toutes les créatures. Le Sauveur leur avait dit précédemment : " N'allez point vers les nations. " (Mt 10) Il leur commande maintenant de prêcher l'Evangile à toute créature, afin que la prédication des Apôtres repoussée par les Juifs, vint à notre secours, tandis que leur superbe refus tournerait à leur condamnation. — théophyl. Ou bien encore ; " A toute créature, " c'est-à-dire aux croyants et aux incrédules : " Celui qui croira et sera baptisé, " etc. En effet, la foi ne suffit pas, car celui qui croit sans être baptisé et qui n'est encore que catéchumène, n'est dans la voie du salut que d'une manière incomplète. — S. greg. (hom. 29.) Chacun se dira peut-être en lui-même : J'ai cru, donc je serai sauvé. Il dit vrai, si sa foi se traduit dans ses œuvres, car la foi véritable est celle où les actions sont en parfaite conformité avec les paroles.

" Celui qui ne croira point sera condamné. " — béde. Que dirons-nous encore ici des enfants à qui leur âge rend l'acte de foi impossible ? car pour les adultes, il ne peut y avoir de difficulté. Je réponds que dans l’Eglise du Sauveur, les enfants croient par la foi des autres, de même qu'ils ont contracté par d'autres les péchés qui leur sont remis par le baptême.

" Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : ils chasseront les démons en mon nom, " etc. — théophyl. C'est-à-dire, ils dissiperont les puissances visibles aussi bien que les puissances spirituelles, et on peut entendre dans le même sens cette prédiction : " Vous marcherez sur les serpents et sur les scorpions. " On peut aussi l'entendre des serpents matériels, et c'est ainsi que saint Paul, mordu par une vipère, n'en reçut aucun mal : " Et s'ils boivent un breuvage mortel, il ne leur nuira point. " Nous voyons dans l'histoire une multitude de faits de ce genre ; et un grand nombre de saints qui, par la vertu du signe de la croix, ont échappé à l'influence mortelle de breuvages empoisonnés.

" Ils imposeront les mains sur les malades, " etc. — S. grég. (hom. 29.) Notre foi est-elle donc moins vive, parce que nous ne sommes pas témoins de semblables prodiges ? Non, mais ils étaient nécessaires à l'Eglise naissante. La foi des chrétiens a du, pour se développer, être nourrie par des miracles. Ainsi, lorsque nous plantons des arbustes, nous les arrosons jusqu'à ce qu'ils se soient incorporés à la terre, et nous cessons de les arroser lorsqu'ils ont pris racine. Mais ces miracles et ces prodiges ont une signification mystérieuse qui ne doit pas nous échapper; car la sainte Eglise accomplit tous les jours dans les âmes ce qu'elle faisait alors par les Apôtres pour les corps. Lorsque les prêtres, en vertu du pouvoir qu'ils ont reçu d'exorciser, imposent les mains sur les chrétiens, et qu'ils défendent aux esprits mauvais d'habiter dans leur âme, que font-ils autre chose que de chasser les démons ? Ainsi les fidèles qui renoncent au langage du siècle pour consacrer leur parole à la prédication des saints mystères, parlent de nouvelles langues ; et ils prennent les serpents comme avec la main, lorsque par leurs sages exhortations ils arrachent le mal du cœur de leurs frères. Ceux qui résistent aux pernicieux conseils qui voudraient les entraîner dans ses actions criminelles, boivent un breuvage empoisonné sans en recevoir de mal ; ceux qui, tontes les fois qu'ils voient leur prochain chanceler dans la voie du bien, le fortifient par l'exemple de leurs vertus, imposent les mains sur les malades et les guérissent. Or, ces miracles sont d'autant plus grands, qu'ils appartiennent au monde spirituel, et qu'ils ont pour objet de rendre la vie non aux corps, mais aux âmes.

 

Vv. 19-20.

S. jer. Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, qui était descendu du ciel pour délivrer notre pauvre nature, remonte ensuite lui-même an plus haut des cieux : " Et le Seigneur Jésus, après leur avoir ainsi parlé, fut élevé dans le ciel, " etc. — S. aug. (De l'accord des Evang., 3, 25.) L'Evangéliste semble vouloir nous faire entendre que ce fut là le dernier discours que Jésus leur adressa sur la terre ; cependant rien ne nous force absolument de tirer cette conclusion. En effet, saint Marc s'exprime de la sorte : " Après qu'il leur eût parlé, " on peut donc admettre, si la nécessité y contraignait, que ce ne fut point là le dernier entretien du Sauveur, et que ces paroles : " Après qu'il leur eût parlé, il fut élevé dans le ciel, " s'étendent à tous les entretiens qu'il eut avec ses disciples pendant ces quarante jours. Cependant ce que nous avons dit plus haut, nous amène plus naturellement à conclure que ce furent réellement les derniers moments que le Sauveur passa sur la terre. C'est donc après les paroles rapportées par saint Marc et les autres détails que nous lisons dans les Actes des Apôtres, que le Seigneur est véritablement monté au ciel.

S. greg. (hom. 29.) Nous savons par l'Ancien Testament, qu'Elie a été enlevé au ciel (4 R 2). Mais il faut distinguer ici entre le ciel éthéré et le ciel aérien ou atmosphérique qui est plus rapproché de la terre. Elie fut donc enlevé dans le ciel aérien, et déposé dans une région secrète du monde pour y vivre dans une paix profonde de l'âme et du corps, jusqu'à ce qu'il revienne à la fin du monde et paie son tribut à la mort. Remarquons aussi qu'Elie a été remporté sur un char, pour démontrer clairement que n'étant qu'homme il avait besoin d'un secours étranger; notre Rédempteur, au contraire, n'a eu besoin ni d'un char, ni des anges pour monter au ciel ; créateur de toutes choses, il s'élevait par sa propre vertu au-dessus de tous les éléments. Considérons encore ce que saint Marc ajoute : " Et il est assis à la droite de Dieu " alors qu'Etienne s'écria : " Je vois les deux ouverts, et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu. " (Ac 7) Celui qui juge s'asseoit, celui qui combat ou porte secours se tient debout. Or, Etienne, au milieu du combat qu'il soutenait, voit debout Jésus-Christ qu'il avait pour soutien ; mais saint Marc nous le montre assis à la droite de Dieu, parce qu'après la gloire de son ascension il parait dans cette attitude comme juge des hommes à la fin du monde. — S. aug. (du Symbole.) II ne faut point entendre qu'il est assis comme les hommes ont coutume de s'asseoir, et dans ce sens que le Père serait assis à la gauche, et le Fils à la droite ; la droite, c'est la puissance qu'il a reçue de Dieu comme homme pour venir juger les hommes après qu'il était venu pour être jugé par eux. L'expression s'asseoir ou résider, a le même sens qu'habiter ; ainsi nous disons d'un homme, il s'est assis ou il a résidé dans ce pays pendant trois ans ; c'est donc ainsi que Jésus-Christ habite à la droite de Dieu le Père, il est heureux et il habite au sein de la béatitude, qui est appelée la droite du Père. Là, on ne connaît que la droite, parce qu'il n'y a plus aucune souffrance.

" Et eux, étant partis, prêchèrent partout, " etc. — bède. Il est à remarquer que l'évangéliste saint Marc prolonge d'autant plus son récit, qu'il l'a commencé à une période plus avancée de la vie du Sauveur. Il débute, en effet, par la prédication de Jean-Baptiste, et il conduit son récit jusqu'au temps où les Apôtres ont semé par tout l'univers cette même parole de l'Evangile. — S. grég. (hom. 29.) Que devons-nous considérer dans ces paroles ? C'est que l'obéissance suit le commandement, et que les prodiges accompagnent l'obéissance que leur avait commandée le Seigneur : " Allez dans tout l'univers, et prêchez l'Evangile ; " et dans les Actes, 3 : " Vous me rendrez témoignage jusqu'aux extrémités de la terre (Mt 28, 19). " — S. aug. (Lett. 80 à Hésych.) Mais comment la prédication des Apôtres s'est-elle répandue par toute la terre, alors qu'il y a encore des nations où l’Evangile commence à peine d'être prêché, et d'autres où .elle n'a pas encore été portée ? Nous répondons qu'en imposant ce commandement, aux Apôtres, Nôtre-Seigneur ne leur donnait pas une mission qu'ils dussent seuls remplir. Ainsi, c'est aux Apôtres seuls qu'il semble avoir dit : " Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles. " Qui ne comprend cependant que cette promesse a été faite à l'Eglise universelle, qui au milieu de cette succession continuelle d'hommes qui meurent et d'autres qui naissent, doit subsister jusqu'à la consommation des siècles ?

théophyl. Remarquons encore que la parole est confirmée par les œuvres, comme les discours des Apôtres étaient confirmés par les miracles qui les accompagnaient. O Christ, faites que nos discours que nous prononçons avec autorité, soient toujours confirmés par nos œuvres et par nos actes, afin qu'à l'aide de votre coopération toute-puissante, nous devenions parfaits dans toutes nos paroles comme dans toutes nos actions, car c'est à vous seul qu'il faut renvoyer la gloire de nos paroles comme de nos œuvres. Ainsi soit-il.