L’EXPLICATION SUIVIE

DE L’ÉVANGILE DE SAINT LUC

PAR SAINT THOMAS

 

Explication suivie

des

QUATRE EVANGILES

par le docteur angélique

Saint Thomas d’Aquin

 

composée des interprètes grecs et latins, et surtout des ss. Pères

admirablement coordonnés et enchaînés

de manière à ne former qu’un seul texte suivi et appelé à juste titre

la

 

CHAINE D’OR

 

Edition où le texte corrigé par le P. Nicolaï a été revu avec le plus grand soin sur les textes originaux grecs et latins

 

TRADUCTION NOUVELLE

par

M. L’ABBE J.-M. PERONNE

Chanoine titulaire de l’Eglise de Soissons, ancien professeur d’Ecriture sainte et d’éloquence sacrée

 

Tome premier

 

PARIS

LIBRAIRIE DE LOUIS VIVÈS, ÉDITEUR

rue Delambre, 9

1868

 

cf. reproduction offset aux « Editions pamphiliennes », rue St. Louis, F 84400 Saignon

 

PRÉFACE.. 10

CHAPITRE PREMIER. 14

v. 5-7. 14

Vv. 8-10. 16

Vv. 11-14. 16

Vv. 15-17. 18

Vv. 18-22. 19

Vv. 23-25. 21

Vv. 26, 27. 22

Vv. 28, 29. 23

Vv. 34, 35. 26

Vv. 36-38. 28

Vv. 39-46. 29

Vv. 48. — Parce qu’il a regardé l’humilité de sa servante, et désormais toutes les générations me diront bienheureuse. 33

Vv. 54, 55. — Et il a pris en sa protection Israël, se ressouvenant de sa miséricorde, selon la promesse qu’il a faite à nos pères, à Abraham et à sa postérité pour toujours. 36

Vv. 57-58. 37

Vv. 59-64. 37

Vv. 67, 68. —... 39

V. 71. — De nous sauver de nos ennemis et des mains de tous ceux qui nous haïssent. 40

VV. 72, 73. — Pour exercer sa miséricorde envers nos pères et se souvenir de son alliance sainte, selon qu’il a juré à Abraham, notre père, de nous accorder cette grâce. 40

V. 74. — Afin qu’étant délivrés des mains de nos ennemis, nous le servions sans crainte. 41

V. 75. — Dans la sainteté et dans la justice, en sa présence, tous les jours de notre vie. 41

V. 76. — Et vous, petit enfant, vous serez appelé le prophète du Très-Haut ; car vous marcherez devant la face du Seigneur pour lui préparer ses voies. 42

V. 77. 42

V. 78. 42

V. 79. — Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, et pour conduire nos pieds dans le chemin de la paix. 43

V. 80. 43

CHAPITRE II. 44

VV. 1-5. 44

VV. 6, 7. 46

Vv. 8-12. 47

Vv. 13, 14. 49

Vv. 15-20. 50

Vv. 22—24. 53

Vv. 25-28. 55

Vv. 29-32. 56

Vv. 33-35. 57

Vv. 36-38. 60

Vv. 39-41. 61

Vv. 41-50. 63

Vv. 51, 52. 66

CHAPITRE III. 68

Vv. 1, 2. 68

Vv. 3-6. 70

Vv. 7-9. 72

Vv. 10-14. 75

Vv. 15-17. 76

Vv. 18—20. 79

Vv. 21-22. 80

Vv. 23-38. 83

CHAPITRE IV.. 89

Vv. 1-4. 89

Vv. 5-8. 92

Vv. 9-13. 93

Vv. 14-21. 95

Vv. 22-27. 98

Vv. 28-30. 100

V. 31—37. 101

Vv. 38-39. 103

Vv. 40-41. 104

Vv. 42-44. 104

CHAPITRE V.. 105

Vv. 1-3. 105

V. 4-7. 106

Vv. 8-11. 108

Vv. 12-16. 109

Vv. 17-26. 112

V. 27-32. 115

Vv. 33-39. 117

CHAPITRE VI. 119

Vv. 1-5. 119

Vv. 6-11. 121

V. 12—16. 122

VV. 17—1 9. 124

VV. 20—23. 125

VV. 24—26. 127

VV. 21—31. 129

VV. 32-37. 131

VV. 37-38. 133

VV. 39—42. 134

VV. 43-45. 135

Vv. 46-49. 137

CHAPITRE VII. 138

VV. 1—10. 138

Vv. 11—17. 141

VV. 18—23. 143

VV. 24—28. 145

VV. 29—35. 148

Vv. 36-50. 149

CHAPITRE VIII. 154

Vv. 1-3. 154

Vv. 4-15. 156

Vv. 16-18. 159

Vv. 19-21. 160

Vv. 22-25. 162

Vv. 26-39. 164

Vv. 43-48. 168

Vv. 49-56. 172

CHAPITRE IX.. 175

Vv. 1-6. 175

Vv. 7-10. 177

Vv. 10-17. 177

Vv. 18-22. 181

Vv. 23-28. 183

Vv. 29—31. 185

Vv. 32—36. 188

Vv. 37—44. 190

Vv. 44-48. 192

Vv. 46—48. 193

Vv. 51-56. 195

Vv. 57—62. 196

CHAPITRE X.. 199

Vv. 1-2. 199

Vv. 3-4. 201

Vv. 5-12. 203

Vv. 13—16. 206

Vv. 17-20. 207

Vv. 21-23. 209

Vv. 23-24. 212

Vv. 25-28. 212

Vv. 29—37. 214

CHAPITRE XI. 221

Vv. 5-9. 226

Vv. 9—13. 228

Vv. 14-16. 231

Vv. 17-20. 231

Vv. 21-23. 233

Vv. 24-27. 234

Vv. 27, 28. 235

Vv. 29-32. 236

Vv. 33-36. 238

Vv. 37-44. 239

Vv. 45-54. 243

CHAPITRE XII. 245

Vv. 1-3. 245

Vv. 8—12. 248

Vv. 13-15. 252

Vv. 16-21. 253

Vv. 22, 23. 256

Vv. 24-26. 256

Vv. 27-31. 258

Vv. 32-34. 260

Vv. 35-40. 261

Vv. 41-46. 264

Vv. 47-48. 266

Vv. 49—53. 267

Vv. 54-57. 269

Vv. 58-59. 270

CHAPITRE XIII. 272

Vv. 1-5. 272

Vv. 6-9. 273

Vv. 10-17. 275

Vv. 18-21. 278

Vv. 22-30. 280

Vv. 31-35. 282

CHAPITRE XIV.. 285

Vv. 1-6. 285

Vv. 7-11. 286

Vv. 12-14. 288

Vv. 15-24. 289

Vv. 25-28. 293

Vv. 28-33. 294

Vv. 34-35. 296

CHAPITRE XV.. 297

Vv. 1-7. 297

Vv. 8-10. 299

Vv. 11-16. 300

Vv. 17—24. 303

Vv. 25-32. 307

CHAPITRE XVI. 311

Vv. 1-7. 311

Vv. 8-13. 312

Vv. 14-18. 315

Vv. 19-21. 317

Vv. 22-26. 319

Vv. 27-31. 323

CHAPITRE XVII. 327

Vv. 1-2. 327

Vv. 3-4. 328

Vv. 5-6. 329

Vv. 7-10. 330

Vv. 11-19. 331

Vv. 20-21. 333

Vv. 22-25. 333

Vv. 26-30. 334

Vv. 31-32. 336

Vv. 34-37. 337

Chapitre XVIII. 338

Vv. 1-8. 338

Vv. 9-14. 340

Vv. 15-17. 343

Vv. 18-23. 344

Vv. 24-30. 347

Vv. 31-34. 349

Vv. 35-43. 350

Chapitre XIX.. 353

Vv. 1-10. 353

Vv. 11-27. 356

Vv. 28-37. 361

Vv. 37-40. 363

Vv. 41-44. 364

Vv. 45-48. 366

CHAPITRE XX.. 368

Vv. 1-8. 368

Vv. 9-18. 369

Vv. 19-26. 372

Vv. 27-40. 374

Vv. 41-44. 376

Vv. 45-47. 377

CHAPITRE XXI. 378

Vv. 1-4. 378

Vv. 5-9. 379

Vv. 9-11. 380

Vv. 12-19. 381

Vv. 20-24. 383

Vv. 25-27. 385

Vv. 28-33. 387

Vv. 34-36. 389

Vv. 37-38. 391

CHAPITRE XXII. 391

Vv. 1-2. 391

Vv. 3-6. 392

Vv. 7-13. 393

Vv. 14-17. 395

Vv. 19-20. 396

Vv. 21-23. 398

Vv. 24-27. 399

Vv. 28-30. 400

Vv. 31-34. 401

Vv. 35-38. 403

Vv. 39-42. 405

Vv. 43-46. 407

Vv. 47-53. 408

Vv. 54-62. 411

Vv. 63-71. 413

CHAPITRE XXIII. 415

Vv. 1-5. 415

Vv. 6-12. 416

Vv. 13-25. 417

Vv. 26-32. 418

V. 33. 420

Vv. 34-37. 422

Vv. 38-43. 423

Vv. 44-47. 426

Vv. 47-49. 427

Vv. 50-56. 428

CHAPITRE XXIV.. 430

Vv. 1-12. 430

Vv. 13-24. 434

Vv. 25-35. 436

Vv. 36-40. 438

Vv. 41-44. 441

Vv. 45-49. 442

Vv. 50-53. 444

 

PRÉFACE

 

 

 

 

 

 

Le prophète Isaïe qui prédit avec tant d’exactitude et de clarté les divers mystères de l’incarnation de Jésus-Christ, dit au chapitre 50 : « J’envelopperai les cieux de ténèbres, et je les couvrirai comme d’un sac. Le Seigneur m’a donné une langue savante, afin que je puisse soutenir par la parole celui qui est abattu. Il m’éveille et me touche l’oreille tous les matins, afin que je l’écoute comme un maître » (Is 50). Ces paroles peuvent nous faire connaître l’objet et le genre de l’Évangile selon saint Luc, le but que cet évangéliste s’est proposé et dans quelles conditions il l’a écrit. — S. Aug. (De l’ac. des Ev., lib. 1, cap. 2 et 6). Saint Luc paraît s’être proposé surtout de décrire l’origine sacerdotale du Sauveur, et tout ce qui a rapport à sa personne. De là vient qu’on lui donne pour emblème un boeuf, le boeuf étant la principale victime que les prêtres offraient en sacrifice. — S. Ambr. (Préf. sur S. Luc). Le boeuf est par excellence la victime sacerdotale ; cet évangéliste est donc parfaitement figuré par un boeuf, puisqu’il ouvre son récit par l’histoire d’une famille sacerdotale, et le termine en racontant beaucoup plus au long que les autres l’immolation de cette victime, figurée par les taureaux de l’ancienne loi, et qui se chargeant des péchés de tous les hommes, a été immolée pour la vie du monde entier. — Glos. Saint Luc s’étant proposé principalement de raconter la passion de Jésus-Christ, cet objet se trouve comme indiqué dans ces paroles : « J’envelopperai les cieux de ténèbres, et je les couvrirai comme d’un sac. » Car, dans la passion du Sauveur, les ténèbres se répandirent littéralement sur la terre, et la foi des disciples fut couverte de nuages. — S. Jér. (sur Is 53). Jésus-Christ lui-même sur la Croix était couvert de mépris et d’opprobres, son visage était comme voilé par les ignominies, de manière que sa puissance toute divine était cachée sous l’infirmité d’un corps mortel.

S. Jér. Le style de saint Luc est plus pur et plus élégant que celui des autres évangélistes, et on y ressent comme un parfum de l’éloquence profane ce que semblent figurer ces paroles : « Le Seigneur m’a donné une langue savante. » — S. Ambr. (com. préc.) Car bien que les divines Écritures rejettent ces formes étudiées, qu’affecte la sagesse profane, qui s’appuie bien plus sur l’éclat prétentieux des paroles, que sur la vérité des choses ; cependant si l’on veut chercher dans les saintes Écritures elles-mêmes des modèles que l’éloquence profane ne dédaignerait pas d’imiter, on en trouvera facilement. Saint Luc, en effet, a suivi un certain ordre historique, il raconte en plus grand nombre les miracles opérés par Notre-Seigneur, et en même temps son évangile renferme des leçons de toutes les vertus. Ainsi quoi de plus sublime pour la sagesse naturelle que ce récit où saint Luc nous représente l’Esprit saint comme le créateur même de l’incarnation du Seigneur ? Il nous enseigne d’une manière non moins relevée toutes les vertus morales, comment par exemple, je dois aimer mon ennemi (Lc 6, Lc 27, Lc 32, Lc 35), j’y trouve même des leçons des choses qu’on pourrait appeler simplement rationnelles, par exemple : « Celui qui est fidèle dans les petites choses, l’est aussi dans les grandes. » (Lc 16, 10).

Eusèbe (Hist. ecclés., 3, 4.) Saint Luc, né à Antioche, où il exerçait la profession de médecin, puisa dans la société ou dans la tradition des Apôtres, les principes d’une médecine bien différente, et composa deux livres où sont expliquées les règles de cet art céleste, qui apprend à guérir non pas les corps mais les âmes : « Afin que je puisse soutenir par la parole celui qui est abattu. » — S. Jér. Il nous apprend en effet lui-même que le Seigneur lui a confié le ministère de la parole pour soutenir le peuple errant et fatigué, et le ramener dans les voies du salut.

Grec. Or, saint Luc étant doué d’un esprit distingué et d’une vaste intelligence, se rendit habile dans les sciences des Grecs. Il acquit une connaissance parfaite de la grammaire et de la poésie, et s’instruisit à fond des règles de la rhétorique et de l’art de persuader, il excella également dans la philosophie, et enfin dans la médecine. Mais lorsque grâce à cette prodigieuse activité, il eut assez goûté les fruits de la sagesse humaine, il sentit le désir de posséder une sagesse plus élevée, il se rendit donc en toute hâte dans la Judée, et vint trouver Jésus-Christ pour jouir de sa présence et s’instruire à son école. La vérité s’étant fait connaître à lui, il devint un vrai disciple de Jésus-Christ, et resta longtemps auprès de ce divin Maître. — Glose. C’est ce qu’indiquent encore ces autres paroles : « Il m’éveille dès le matin, » (comme on forme dès la jeunesse à la science profane ; il m’éveille dès le matin et me touche l’oreille, pour la sagesse divine), pour que j’écoute attentivement les leçons du maître, c’est-à-dire de Jésus-Christ lui-même. — Eusèbe. (comme précéd.) On dit qu’il écrivit son évangile sous la dictée de saint Paul, de même que saint Marc écrivit l’évangile qui porte son nom d’après les leçons de saint Pierre. — S. Chrys. (sur S. Matth., hom. 4). Ils ont tous deux imité leur Maître, l’un à l’exemple de saint Paul répand ses eaux avec abondance, comme un fleuve majestueux, l’autre imite saint Pierre, qui s’est appliqué à être concis. — S. Aug. (De l’ac. des Evang., 4, 8.) Les évangélistes ont écrit dans un temps où ils ont mérité de recevoir l’approbation non seulement de l’Église de Jésus-Christ, mais des apôtres eux-mêmes qui vivaient encore. Ces préliminaires suffisent.

 

 

PRÉFACE DE SAINT LUC

 

 

Eusèb. (Hist. ecclésiast., 3, 4.) Saint Luc commence son récit en nous faisant connaître la raison qui l’a déterminé à écrire son évangile ; c’est que plusieurs avaient eu la prétention téméraire de raconter les choses dont il avait une connaissance plus parfaite : « Plusieurs, dit-il, s’étant efforcé de mettre par ordre l’histoire des choses. » — S. Amb. (Préf. sur S. Luc.) Car, de même que chez le peuple juif, un grand nombre de prophètes ont prophétisé sous l’inspiration de l’Esprit saint ; tandis que d’autres n’étaient que de faux prophètes, de même aujourd’hui, sous la nouvelle loi, plusieurs ont entrepris d’écrire des évangiles qui ne sont pas de bon aloi ; c’est ainsi qu’on nous donne un évangile, écrit, dit-on, par les douze Apôtres, un évangile que Basilide a eu la prétention d’écrire, un troisième même qui aurait pour auteur saint Mathias. — Bède. (Préf. Sur S. Luc.) Lorsque saint Luc dit plusieurs, il a donc moins égard à leur nombre qu’à la diversité des hérésies que professaient ces prétendus évangélistes, qui sans avoir été favorisés des dons de l’Esprit saint et ne s’appuyant que sur leurs vains efforts, ont cherché bien plutôt à composer des récits particuliers qu’à reproduire la vérité historique des faits. S. Amb. (Ibid.) Celui qui s’est efforcé de mettre en ordre, n’a dû ses efforts qu’à son travail personnel, et n’en peut espérer aucun résultat ; au contraire, les dons et la grâce de Dieu n’exigent point d’efforts, et quand la grâce se répand dans une âme, elle l’arrose si largement, que l’esprit de l’écrivain loin d’être stérile, devient d’une inépuisable fécondité. C’est donc avec raison que saint Luc ajoute : « Des choses qui se sont accomplies parmi nous, » ou dont nous avons une connaissance surabondante, car ce qui est abondant ne fait défaut à personne, comme aussi personne ne doute de ce qui s’est accompli, puisque la foi s’appuie alors sur des faits qui en sont la démonstration la plus claire. — Tite de Bostr. (sur la Préf. de S. Luc.) Il ajoute : « Des choses, » car ce n’est pas dans un corps simplement apparent, comme le prétendent les hérétiques que Jésus a fait son avènement parmi nous, mais comme il était la vérité, c’est réellement dans la vérité qu’il a accompli son oeuvre. — Orig. (Hom. 1 sur S. Luc.) Il nous fait connaître qu’elles ont été pour lui les suites de cet avènement, en ajoutant : « Qui se sont accomplies parmi nous, » c’est-à-dire qui nous ont été dévoilées dans toute leur clarté, (comme le signifie le mot grec πεπληροφορημενων, que le latin ne peut rendre par un seul mot), car la connaissance de ces mystères était chez lui le résultat d’une foi certaine, raisonnée, et qui excluait jusqu’à l’ombre même du doute.

S. Chrys. (Ch. des Pèr gr.) L’Évangéliste ne s’en rapporte pas seulement à son témoignage personnel, mais il s’appuie exclusivement sur celui des Apôtres, pour donner plus de poids à ses paroles : « Ainsi que nous les ont rapportées ceux qui les ont eux-mêmes vues dès le commencement. » — Eusèbe. (Hist. ecclés., 3, 4.) Il est donc certain, que c’est dans les enseignements de saint Paul ou des autres Apôtres qui ont été attachés dès le commencement à la personne du Sauveur, que saint Luc a puisé la vérité historique de son récit. — S. Chrys. (comme précéd.) Il se sert du mot, « ils ont vu, » parce que le témoignage de témoins oculaires des faits, est pour nous le plus ferme motif de crédibilité.

Orig. De l’aveu de tous, l’objet final de certaines sciences est dans ces sciences elles-mêmes, comme la géométrie ; pour d’autres, comme la médecine, cet objet est dans l’application, il en est ainsi de la parole de Dieu ; aussi après nous avoir indiqué la source de la science par ces paroles : « Ils ont vu, » il nous en fait connaître les oeuvres pratiques en ajoutant : « Et ils ont été ministres de la parole (ou du Verbe.) » — S. Ambr. Cette dernière expression ne signifie pas que le ministère de la parole s’adressait plutôt à la vue qu’à l’ouïe ; mais comme ici, ce Verbe n’était pas un Verbe parlé, mais un Verbe substantiel, saint Luc veut nous faire comprendre que ce n’est pas d’une parole ordinaire, mais d’une parole toute céleste, que les Apôtres furent les ministres. — S. Cyril. Saint Jean confirme ce que dit ici saint Luc, que les Apôtres ont vu ce Verbe de leurs yeux par ces paroles : « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire ; » car c’est par le moyen de la chair que le Verbe s’est rendu visible. — S. Ambr. Mais ce n’est pas seulement comme homme revêtu de notre chair qu’ils ont vu Notre-Seigneur, ils l’ont vu comme Verbe, lorsque avec Moïse et Elie, ils ont été témoins de la gloire du Verbe, qui est resté invisible pour ceux qui n’ont pu voir que son corps. — Orig. Il est écrit dans l’Exode : « Le peuple voyait la voix du Seigneur. » Cependant la voix s’entend plutôt qu’elle n’est vue ; mais l’écrivain sacré s’exprime de la sorte pour nous faire comprendre que la voix du Seigneur est visible pour d’autres yeux, que Dieu ouvre à ceux qui en sont dignes. Or, dans l’Évangile, ce n’est pas simplement la voix qui est vue, mais une parole qui est bien supérieure à la voix.

Théophyl. (préf. sur S. Luc.) Nous pouvons conclure logiquement de ces paroles, que saint Luc n’a pas été un des premiers disciples du Sauveur, mais qu’il ne l’est devenu que dans là suite. D’autres se sont attachés à Jésus-Christ dès le commencement, comme Pierre et les fils de Zébédée. — Bède. Et cependant saint Matthieu et saint Jean, pour un grand nombre de faits qu’ils racontent, ont dû nécessairement avoir recours à ceux qui connaissaient les détails de l’enfance de Jésus, de sa jeunesse, de sa généalogie, et qui avaient pu être témoins de ses actions.

 Orig. Saint Luc établit ensuite le droit qu’il avait d’écrire l’Évangile sur la connaissance qu’il en avait acquise, non par des rumeurs incertaines, mais par des traditions qui remontaient à l’origine des faits « Il m’a semblé bon, après avoir tout appris dès le commencement, cher Théophile, d’en écrire l’histoire avec ordre. » — S. Ambr. En disant : « Il m’a semblé bon, » il n’exclut pas le bon plaisir de Dieu ; car c’est Dieu lui-même qui prédispose la volonté de l’homme (Pv 8, 35). Or, personne n’ignore que l’Évangile de saint Luc est plus étendu que les autres, aussi saint Luc prend-il soin d’établir solidement la vérité des faits qu’il raconte : « C’est après avoir été très exactement informé, que j’ai cru devoir écrire, » non tout ce qu’il avait appris, mais une partie ; car si toutes les choses qu’a faites Jésus étaient rapportées en détail, je ne crois pas, dit saint Jean, que le monde pût contenir les livres où elles seraient écrites. Du reste, c’est à dessein qu’il a omis une grande partie des faits racontés par les autres Évangélistes, afin que chaque Évangile dût son caractère particulier à la nature des mystères et des miracles qu’il renferme.

Théophyl. Il adressa son Évangile à Théophile, c’était un personnage distingué, peut-être même un prince ; car l’épithète d’excellent ne se donnait qu’aux princes et aux gouverneurs, comme nous voyons saint Paul appeler le gouverneur Festus : « Très excellent Festus. » — Bède. Théophile signifie qui aime Dieu ou qui est aimé de Dieu, qui que vous soyez donc, si vous aimez Dieu, ou si vous désirez être aimé de Dieu, regardez cet Évangile comme écrit pour vous, et conservez-le comme un présent qui vous est fait, comme un gage qui vous est confié. Et ce ne sont pas des choses nouvelles, ou des secrets inconnus qu’il doit expliquer à ce même Théophile ; il lui promet de lui exposer la vérité des choses dont il a été instruit, afin, dit-il, de vous faire connaître la vérité des choses qu’on vous a enseignées, c’est-à-dire pour que vous puissiez connaître dans leur ordre naturel, les paroles et les actions du Seigneur, dont le souvenir nous a été conservé. — S. Chrys. Ou encore, afin que vous ayez une certitude inébranlable des vérités que vous avez apprises, en les voyant consignées dans l’Écriture. — Théophyl. Souvent, en effet, nous regardons comme faux des faits qu’on avance dans la conversation, sans qu’on les mette par écrit ; si, au contraire, on prend soin de les écrire, nous y ajoutons foi plus volontiers ; car, pensons-nous, s’il n’était sûr de la vérité de ce qu’il dit, il ne l’écrirait point. — S. Chrys. On peut dire encore que toute cette préface de saint Luc contient deux choses : dans quelles conditions ceux qui l’ont précédé (saint Matthieu et saint Marc) ont écrit l’Évangile, et pour quel motif il a entrepris lui-même de l’écrire. Cette expression : « Ils se sont efforcés, » peut donc s’appliquer, et à ceux qui n’ont mis la main à cette oeuvre que par présomption, et à ceux qui l’ont entreprise dans les conditions de respect et d’honneur qu’elle réclame. Or, le sens douteux de cette expression se trouve précisé par une double explication que saint Luc nous donne. Premièrement, lorsqu’il dit : « Des choses qui se sont accomplies parmi nous ; » secondement, quand il ajoute : « Ainsi que nous les ont transmises ceux qui les ont eux-mêmes vues dès le commencement. » Ce mot « ils nous ont transmis, » me paraît encore renfermer un avertissement donné à ceux qui reçoivent l’Évangile, de travailler eux-mêmes à sa propagation ; car de même que les Apôtres l’ont transmis, ceux qui l’ont reçu doivent à leur tour le transmettre à d’autres. Lorsque les faits évangéliques n’étaient pas encore consignés par écrits, il en résultait bien des inconvénients à mesure qu’on s’éloignait des faits. Aussi ceux qui avaient recueilli ces faits de la bouche des premiers disciples et des ministres du Verbe, agirent-ils sagement en les consignant dans des écrits qui les répandirent dans tout l’univers, dissipèrent les calomnies, prévinrent un fâcheux oubli, et constituèrent ainsi par la tradition l’intégrité des saints Évangiles.

 

 

LE

SAINT ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST

SELON SAINT LUC

 

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

v. 5-7.

S. Chrys. (Chaîne des Pèr. gr.) Saint Luc commence son récit par l’histoire de Zacharie et de la naissance de Jean-Baptiste ; préludant ainsi par le récit d’un moindre prodige au récit d’un prodige plus étonnant. Une Vierge devait être mère, la grâce nous prépare à ce mystère, en nous montrant une femme stérile devenue féconde. Le temps se trouve indiqué par ces paroles : « Dans les jours d’Hérode, » et la dignité d’Hérode par ces autres : « Roi de Judée. » Cet Hérode était différent de celui qui mit à mort Jean-Baptiste, il était roi, tandis que ce dernier n’était que tétrarque. — Bède. Ce règne d’Hérode, qui était étranger, est une preuve de la venue du Messie. Il était prédit en effet (Gn 49) : « Le sceptre ne sortira point de Juda, ni le prince de sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui qui doit être envoyé. » Or, depuis la sortie d’Égypte, les Juifs furent gouvernés par des juges de leur nation, jusqu’au prophète Samuel, et ensuite par des rois jusqu’à la captivité de Babylone. Au retour de la captivité, ce furent les grands-prêtres qui exercèrent le pouvoir souverain jusqu’à Hyrcan, tout à la fois roi et pontife. Hyrcan ayant été mis à mort par Hérode, César-Auguste donna le royaume de Judée à ce dernier qui était étranger ; et ce fut la trente unième année de son règne qu’eut lieu, selon la prophétie de Jacob, l’avènement de celui qui devait venir.

 

S. Ambr. La sainte Écriture nous apprend que pour être vraiment digne de louanges, il faut se rendre recommandable, non seulement par ses qualités personnelles, mais encore par le mérite de ses parents et par l’éclat d’une vertu sans tache qu’on a reçue d’eux comme un précieux héritage. Aussi la noblesse de saint Jean-Baptiste remonte-t-elle au delà de ses parents jusqu’à ses ancêtres, et tire tout son éclat, non des dignités profanes, mais d’une longue succession de piété et de vertu. L’éloge est donc complet, puisqu’il embrasse la race d’où il descend, les vertus de ses parents, leurs fonctions, leurs actions, leur justice.

 

Les fonctions, c’étaient les fonctions sacerdotales : « Il y avait un prêtre nommé Zacharie. » — Bède. Or saint Jean naquit d’une famille sacerdotale, afin qu’il pût annoncer le changement du sacerdoce ancien, avec d’autant plus de force, que lui-même était connu pour appartenir à la race sacerdotale. — S. Ambr. L’Évangéliste désigne la race par les ancêtres en disant : « De la famille d’Abia, » c’est-à-dire, d’une famille distinguée entre les premières familles. — Bède. Car les princes du sanctuaire, c’est-à-dire, les grands-prêtres étaient choisis parmi les enfants d’Eléazar, comme parmi les enfants de Thamar, et David avait partagé au sort en vingt-quatre sections, les fonctions du ministère qu’ils devaient remplir dans la maison de Dieu. Or, le huitième sort était échu à la famille d’Abia, de laquelle Zacharie était sorti. Ce n’est pas sans raison que le premier héraut du Nouveau Testament naît le huitième jour du sort, car le nombre huit désigne quelquefois le Nouveau Testament à cause du mystère du dimanche ou de notre résurrection, comme le nombre sept signifie souvent l’Ancien Testament, à cause du jour du sabbat. — Théophyl. L’Évangéliste veut montrer que saint Jean-Baptiste descendait légalement de la race sacerdotale, en ajoutant : « Sa femme était de la race d’Aaron, et elle avait nom Elisabeth, » car il n’était point permis de prendre une femme dans une autre tribu que la sienne. Or Elisabeth signifie repos, et Zacharie, souvenir du Seigneur. — Bède. Saint Jean naît de parents justes, ainsi pouvait-il annoncer les préceptes de la vraie justice avec d’autant plus de confiance qu’il ne les avait pas appris comme une chose nouvelle pour lui, mais qu’il les avait gardés lui-même comme un héritage qu’il avait reçu de ses ancêtres. « Tous deux étaient justes devant Dieu, » dit l’Évangéliste. — S. Ambr. Il comprend ainsi sous le nom de justice la sainteté de leur vie, Il ajoute avec beaucoup de sens : « Devant Dieu, » car il peut arriver que par un vain désir de popularité on paraisse juste aux yeux des hommes sans l’être devant Dieu, si par exemple cette justice ne vient pas d’une intention simple et droite, mais n’est qu’un mensonge inspiré par le désir de plaire. C’est donc faire d’un homme un éloge complet que de dire : il est juste devant Dieu, car on n’est vraiment parfait qu’au témoignage de celui qui ne peut être trompé. Saint Luc comprend les actes de la vie dans l’accomplissement des commandements, et la justice dans l’observation des ordonnances. « Ils marchaient, dit-il, dans les commandements et les ordonnances du Seigneur. » Nous marchons dans les commandements du Seigneur, lorsque nous obéissons à ses divins préceptes, et nous gardons ses ordonnances, lorsque toutes nos actions sont faites avec jugement. Or, nous devons avoir soin de faire le bien, non seulement devant Dieu, mais devant les hommes (Rm 12, 17 ; 2 Co 8, 21), et c’est pour cela qu’il ajoute « d’une manière irréprochable. » La conduite est irréprochable lorsque la doctrine et la pureté de l’intention viennent se joindre à la bonté de l’action, et souvent encore une sainteté trop austère devient l’objet des reproches du monde. — Orig. (hom. 2.) Une action juste peut aussi être faite par des motifs qui ne le sont pas, par exemple, si l’on fait des libéralités par esprit d’ostentation, ce qui n’est pas irréprochable.

 

« Et ils n’avaient pas de fils, parce qu’Elisabeth était stérile, » etc. — S. Chrys. (Chaîne des Pèr. gr., Hom. sur la Genèse.) Elisabeth ne fut pas la seule stérile, les épouses des patriarches, Sara, Rébecca, Rachel (ce qui était un sujet de honte chez les anciens), l’étaient aussi, et nous ne pouvons pas dire que leur stérilité fût une punition, puisque toutes étaient justes et vertueuses. Si donc Dieu permit qu’elles fussent stériles, c’était pour nous préparer à croire sans difficulté le mystère d’une Vierge qui enfante le Seigneur, après avoir cru préalablement à la fécondité des femmes stériles. — Théophyl. Dieu veut encore vous donner une autre leçon, c’est que la loi de Dieu demande beaucoup plus la fécondité spirituelle des enfants que la fécondité charnelle ; aussi voyez-vous Zacharie et Elisabeth avancés dans la vie, beaucoup moins selon le corps que selon l’esprit, disposant des degrés dans leur coeur (cf. Ps 85, 6), regardant leur vie comme un jour brillant et non comme une nuit ténébreuse, et marchant dans la décence comme durant le jour.

 

Vv. 8-10.

Bède. Dieu avait établi par Moïse un seul grand-prêtre ; à sa mort un autre devait le remplacer par ordre de succession. Cette loi fut observée jusqu’au règne de David qui, par l’inspiration de Dieu, en institua plusieurs. Voilà pourquoi l’Évangéliste nous dit que Zacharie remplissait en son rang les fonctions du sacerdoce : « Or Zacharie remplissant sa fonction de prêtre devant Dieu dans le rang de sa famille, il arriva par le sort, selon ce qui s’observait entre les prêtres, » etc. — S. Ambr. Zacharie nous paraît ici désigné comme grand-prêtre, car le grand-prêtre seul pouvait entrer une seule fois l’année dans le second sanctuaire, non sans y porter du sang qu’il offrait pour ses propres péchés et pour ceux du peuple (He 9, 8 ; cf. Ex 30, 10 ; Lev 16, 2.12.17.19). — Bède. Ce ne fut point une nouvelle élection du sort qui le désigna au moment où il fallait offrir les parfums, c’était d’après l’ordre établi anciennement, qu’il remplissait les fonctions du sacerdoce dans le rang de la famille d’Abia. « Cependant toute la multitude du peuple, » etc. Aux termes de la loi, le pontife devait présenter l’encens dans le saint des saints, le dixième jour du septième mois, pendant que tout le peuple attendait hors du temple, et ce jour devait être appelé le jour de l’expiation ou de propitiation. L’Apôtre expliquant aux Hébreux le mystère de ce jour, leur montre Jésus, pontife véritable, pénétrant avec son propre sang dans les secrètes profondeurs des cieux, pour nous rendre propice Dieu son Père, et intercéder pour les péchés de ceux qui attendent encore en priant à la porte du ciel.

 

S. Ambr. Zacharie est ce grand-prêtre désigné par le sort, parce que le véritable grand-prêtre est encore inconnu, car celui qui est choisi au sort ne doit point son élection au suffrage des hommes. Le grand-prêtre était donc demandé au sort, et il était la figure d’un autre, c’est-à-dire, du grand-prêtre véritable et éternel qui devait réconcilier le genre humain avec Dieu son Père, non par le sang des victimes, mais par son propre sang. Alors c’était par ordre de famille que les prêtres se succédaient, maintenant le sacerdoce est éternel.

 

Vv. 11-14.

S. Chrys. (hom. 2 sur l’incompréhens. natur. de Dieu.) Zacharie étant entré dans le temple pour offrir à Dieu les prières de tout le peuple, comme médiateur entre Dieu et les hommes, vit l’ange debout dans le sanctuaire : « Et l’ange du Seigneur lui apparut. » L’expression : « Il lui apparut, » est très juste, puisque Zacharie l’aperçut tout à coup, et c’est ainsi que l’Écriture s’exprime lorsqu’elle parle de Dieu ou des anges ; les choses que l’on voit sans y être préparé, elle dit qu’elles apparaissent. En effet, on ne voit pas de la même manière les choses sensibles et celui dont la nature est invisible, et qui ne se découvre que lorsqu’il le veut. — Orig. (hom. 3.) Cette vérité s’applique, non seulement au temps présent, mais au siècle futur ; lorsque nous sortirons de ce monde, Dieu et les anges n’apparaîtront pas à tous les hommes, mais seulement à ceux qui auront le coeur pur. Quant au lieu, il ne peut être ni utile ni nuisible à personne. — S. Chrys. (Chaîne des Pères grecs.) Cette apparition fut sans obscurité et différente de celles qui ont lieu dans te sommeil ; il s’agissait d’un événement extraordinaire, il fallait donc une vision évidente et certaine. — S. Jean Damasc. (de la foi orthod., lib. 2.) Les anges cependant n’apparaissent pas aux hommes dans leur propre nature, mais ils revêtent pour se rendre visibles, la forme que Dieu lui-même a déterminée. — S. Bas. (Chaîne des Pèr. gr.) Il dit : « À la droite de l’autel de l’encens, » parce qu’il y avait un autre autel réservé pour les holocaustes. — S. Amb. C’est par une raison pleine de mystère que l’ange apparaît dans le temple, il venait annoncer la venue du véritable grand-prêtre, et Dieu préparait déjà le sacrifice céleste dont les anges eux-mêmes sont les ministres, car nous ne devons pas douter de la présence des anges au sacrifice où Jésus-Christ est immolé. Il apparut à droite de l’autel de l’encens, parce qu’il apportait le signe de la miséricorde divine : « Le Seigneur est à ma droite, afin que je ne sois pas ébranlé. » (Ps 15).

S. Chrys. (hom. 2, sur l’incompr. nat. de Dieu.) L’homme, quelque juste qu’il soit, ne peut voir apparaître un ange sans éprouver un sentiment de crainte, aussi Zacharie ne pouvant ni supporter l’aspect de l’ange, ni soutenir l’éclat qui l’environne, se trouble : « Et Zacharie fut troublé. » Lorsque le conducteur d’un char s’épouvante et abandonne les rênes, les coursiers s’emportent, et le char se renverse ; ainsi en est-il de l’âme, toutes les fois qu’elle est sous le poids de la crainte ou de l’inquiétude : « Et la frayeur le saisit, » ajoute l’Évangéliste. — Orig. (hom. 4.) Une forme nouvelle vient-elle à s’offrir aux regards de l’homme, elle jette le trouble dans son esprit et l’effroi dans son âme ; aussi l’ange qui connaît cette disposition de la nature humaine, cherche d’abord à calmer cet effroi : « Mais l’ange lui dit : Ne craignez point, » etc. — S. Athan. (vie de S. Ant.) Voici donc un moyen facile de distinguer les bons esprits des mauvais ; si la joie succède à la crainte, c’est un indice certain de l’intervention divine ; car la paix de l’âme est lin signe et comme un fruit de la présence de la majesté divine, mais si la frayeur qu’on a éprouvée persévère, c’est l’ennemi du salut qui en est la cause.

Orig. Il ne se contente pas de calmer son effroi, mais il lui apprend une nouvelle qui le comble de joie : « Votre prière, lui dit-il, a été exaucée, et Elisabeth, votre épouse, enfantera, » etc. — S. Aug. (Quest. évang., liv. 2, q. 1.) Remarquons ici tout d’abord, qu’il n’est point vraisemblable qu’au moment où il offrait le sacrifice pour les péchés du peuple ou pour son salut et sa rédemption ; Zacharie, ce vieillard, dont la femme était avancée en âge, ait prié Dieu de lui accorder des enfants, car personne ne songe à demander dans ses prières ce qu’il n’a aucune espérance d’obtenir. Or Zacharie avait si peu l’espérance d’avoir des enfants qu’il refuse de croire à la promesse de l’ange. Ces paroles donc : « Votre prière a été exaucée, doivent s’entendre de la prière qu’il faisait pour le peuple. Mais comme le salut, la rédemption de ce peuple et la rémission des péchés devaient avoir lieu par Jésus-Christ ; l’ange annonce de plus à Zacharie qu’il lui naîtrait un fils destiné à être le précurseur du Christ. — S. Chrys. (comme précéd.) Ou bien pour preuve que sa prière est exaucée, il lui prédit la naissance d’un fils qui devait un jour proclamer : « Voici l’Agneau de Dieu, » etc. — Théophyl. À cette question secrète de Zacharie : comment serai-je assuré de cette promesse ? l’ange répond : En voyant Elisabeth devenir mère d’un fils, vous ne pourrez douter que les péchés du peuple ne soient remis. — S. Ambr. Ou bien encore, la plénitude et l’abondance sont les caractères des bienfaits de Dieu, ils ne sont point renfermés dans d’étroites limites, mais ils embrassent dans leur abondance tous les biens réunis ; ainsi l’ange annonce d’abord à Zacharie l’heureux effet de sa prière, puis il lui prédit que sa femme, jusqu’alors stérile, lui donnerait un fils dont il indique le nom par avance : « Vous lui donnerez le nom de Jean, » etc.

 

Bède. C’est toujours une preuve de mérite extraordinaire que Dieu lui-même impose un nom aux hommes, ou bien change celui qu’ils portaient. — S. Chrys. Remarquons aussi que les hommes qui devaient donner dès leur plus tendre jeunesse des signes d’une vertu éclatante, ont reçu dès lors leur nom du ciel, tandis que ceux dont la vertu ne devait se manifester que dans le cours de leur vie, n’ont reçu ce nom que plus tard. — Bède. Or Jean signifie, qui a la grâce, ou grâce du Seigneur. Ce nom présage la grâce que Dieu faisait à ses parents en leur donnant un fils dans leur extrême vieillesse, à Jean lui-même qui devait être grand devant Dieu, enfin aux enfants d’Israël qu’il devait convertir au Seigneur ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Vous en serez dans la joie et dans le ravissement. » — Orig. En effet, lorsqu’un juste vient au monde, les auteurs de sa naissance se réjouissent, tandis que la naissance d’un enfant qui semble prédestiné à la prison et à l’échafaud, jette ceux qui lui ont donné le jour dans la consternation et l’abattement. — S. Ambr. Les saints ne sont pas seulement la joie et la consolation de leurs parents, mais encore le salut d’un grand nombre : « Plusieurs, ajoute l’ange, se réjouiront de sa naissance. » Apprenons ici à nous réjouir de la naissance des saints ; que les parents apprennent à en rendre grâces à Dieu, car c’est une grâce insigne que Dieu leur fait, lorsqu’il leur donne des enfants destinés à perpétuer leur race et à recueillir l’héritage de leurs biens.

 

Vv. 15-17.

S. Amb. Après avoir annoncé que la naissance de Jean serait pour plusieurs un sujet de joie, l’ange prédit la grandeur de sa vertu : « Il sera grand devant le Seigneur, » etc. Il n’est point ici question de la grandeur du corps, mais de la grandeur de l’âme. Or, devant Dieu, la grandeur de l’âme n’est autre que la grandeur de la vertu. —Théophyl. Il en est beaucoup à qui l’on donne le nom de grands, mais c’est devant les hommes, et non pas devant Dieu, tels sont les hypocrites. Les parents de Jean, au témoignage de l’Évangéliste, étaient eux-mêmes justes devant Dieu. — S. Ambr. Jean n’a point reculé les frontières d’un empire, il n’a point moissonné de lauriers à la suite d’une glorieuse victoire ; mais il a fait plus, il a prêché dans le désert, il a foulé aux pieds les délices du monde, et la mollesse des plaisirs des sens par l’étonnante austérité de sa vie. « Il ne boira, dit l’ange, ni vin, ni aucune liqueur enivrante. — Bède. Le mot cervoise signifie ivresse, et les Hébreux s’en servent pour désigner toute boisson qui peut enivrer, qu’elle soit extraite de pommes, de grains ou d’une autre matière. Or, la loi (Nb 6, 5) prescrivait aux Nazaréens de s’abstenir de vin et de toute liqueur enivrante pendant tout le temps de leur consécration ; c’est pourquoi Jean et d’autres, favorisés d’une semblable grâce, se sont interdit pour toujours ces boissons, afin de demeurer toujours nazaréens, c’est-à-dire saints. Il n’est pas convenable, en effet, de s’enivrer de vin, quand on désire être rempli de l’effusion de l’Esprit saint. Aussi celui qui renonce à cette ivresse, mérite que la grâce du Saint-Esprit se répande en abondance dans son âme, « Il sera rempli de l’Esprit saint, » ajoute l’Évangéliste. — S. Ambr. Celui qui reçoit ainsi l’abondance de l’Esprit saint, reçoit en même temps la plénitude des plus éminentes vertus. Voyez, en effet, saint Jean-Baptiste ; avant de naître, étant encore dans le sein de sa mère, il fait connaître la grâce qu’il a reçue, lorsqu’en tressaillant dans le sein qui le renferme, il annonce l’avènement et la présence du Seigneur. Cette vie de la nature est toute différente de la vie de la grâce, la première commence à notre naissance pour finir à notre mort ; la vie de la grâce, au contraire, n’est point limitée par les années, elle ne s’éteint point à la mort, elle n’est pas exclue du sein qui nous porte.

 

Grec. Mais quelles seront les oeuvres que Jean-Baptiste accomplira sous la conduite de l’Esprit saint, les voici : Il convertira plusieurs des enfants d’Israël au Seigneur leur Dieu. — Orig. (hom. 4.) Jean devait en convertir un grand nombre, la mission du Seigneur était de les convertir tous à Dieu son Père. — Bède. En disant de Jean-Baptiste qu’il a converti un grand nombre des enfants d’Israël au Seigneur leur Dieu, alors qu’en rendant témoignage à Jésus-Christ, il baptisait les peuples qui croyaient en lui, l’Évangéliste prouve par là même que le Christ était le Dieu d’Israël. Que les ariens cessent donc de nier que Jésus-Christ soit le Seigneur Pieu, que les photiniens rougissent de ne faire remonter son origine qu’au sein de la Vierge Marie, que les manichéens ne viennent plus dire que le Dieu d’Israël est différent du Dieu des chrétiens. — S. Amb. Nous n’avons d’ailleurs nul besoin qu’on nous prouve que saint Jean a converti les coeurs en grand nombre, alors que les écrits des prophètes et le saint Évangile nous l’attestent. La voix de celui qui crie dans le désert : « Préparez la voie du Seigneur, rendez droits ses sentiers, » ce baptême que le peuple venait recevoir en foule, ne sont-ils pas une preuve des conversions qu’il opérait dans la multitude ? Car ce n’était pas lui-même, mais le Seigneur qui était l’objet des prédications de ce précurseur du Christ. C’est pourquoi l’Évangéliste ajoute : « Et il marchera devant lui, » etc. Il a marché, en effet, devant lui, puisqu’il a été son précurseur dans sa naissance comme dans sa mort, et ces autres paroles : « Dans l’esprit et la vertu d’Élie, » ne sont pas moins justes. — Orig. Il ne dit pas : Avec l’âme d’Élie, mais : « Dans l’esprit et la vertu d’Elie » ; car l’esprit qui avait animé Elie vint remplir Jean-Baptiste, aussi bien que sa vertu. — S. Amb. L’esprit, en effet, est inséparable de la vertu, comme la vertu de l’esprit, voilà pourquoi l’ange joint l’esprit à la vertu. Car le saint prophète Elie eut à la fois une grande vertu et une grâce surabondante, une grande vertu pour ramener à la foi le coeur des peuples infidèles, la vertu de pénitence, la vertu de patience, et l’esprit de prophétie. Ces deux grands hommes eurent d’autres traits d’analogie, Elie habitait le désert, Jean y passa toute sa vie. Elie ne rechercha jamais les bonnes grâces d’Achab, Jean dédaigna la faveur d’Hérode ; l’un divisa les eaux du Jourdain, l’autre en fit un bain salutaire ; Jean fut le précurseur du premier avènement du Seigneur, Elie doit l’être du second.

 

Bède. Ce que le prophète Malachie a prédit d’Elie, l’ange l’applique à Jean-Baptiste, lorsqu’il ajoute : « Pour réunir les coeurs des pères avec leurs enfants, » en leur communiquant par ses prédications la science spirituelle de leurs saints ancêtres ; « et rappeler les incrédules à la prudence des justes, » prudence qui n’a point la prétention de trouver la justification dans les oeuvres de la loi, mais qui ne la cherche que dans la foi. — Grec. Ou bien encore, les Juifs étaient parents de Jean et des Apôtres, et cependant par orgueil autant que par incrédulité, ils se déchaînaient contre l’Évangile. Que fit alors Jean-Baptiste, et après lui les Apôtres ? comme des enfants pleins de douceur, ils découvraient la vérité à leurs pères, et cherchaient ainsi à les rendre participants de leur propre justice et de leur prudence. C’est ainsi qu’Elie doit convertir les restes des Hébreux à la vérité prêchée par les Apôtres. — Bède. L’ange avait dit précédemment que ta prière de Zacharie pour le peuple avait été exaucée, il ajoute « Pour préparer au Seigneur un peuple parfait, » et nous apprend ainsi comment ce même peuple sera sauvé et rendu parfait, c’est-à-dire par la pénitence et par la foi en Jésus-Christ, que doit prêcher Jean-Baptiste. — Théophyl. Ou encore : Jean a préparé un peuple qui n’était pas incrédule, mais parfait, c’est-à-dire prêt à recevoir le Christ. — Orig. (Hom. 4.) Le mystère, figuré par la prédication de Jean-Baptiste, s’accomplit encore dans le monde ; car pour que nous puissions croire en Jésus-Christ, il faut que l’esprit et la vertu de Jean vienne dans notre âme pour préparer au Seigneur un peuple parfait.

 

Vv. 18-22.

S. Chrys. (sur l’incompréh. nat. de Dieu.) Zacharie, ne considérant que son âge et la stérilité de sa femme, se laisse aller au doute : « Et Zacharie dit à l’ange : À quoi pourrai-je connaître la vérité de ce que vous m’annoncez ? » en d’autres termes : Comment cela se fera-t-il ? et il donne les raisons qu’il a de douter : « Car je suis vieux, » etc. L’âge est contraire, la nature impuissante, je suis sans force pour engendrer, et de son côté, la terre est stérile. Ces raisons ne suffisent pas au jugement de quelques-uns, pour excuser le prêtre Zacharie d’avoir fait toutes ces questions ; car quand Dieu parle, on doit recevoir sa parole avec foi ; vouloir la discuter, c’est faire preuve d’un esprit opiniâtre. Aussi voyez la suite : « Et l’ange lui répondit : Je suis Gabriel qui suis toujours présent devant Dieu. » — Bède. Comme s’il disait : Si un homme vous annonçait un semblable prodige, vous auriez droit de lui demander une preuve, un signe de la vérité de ses paroles ; mais quand c’est un ange qui promet, le doute n’est plus permis : « Et j’ai été envoyé pour vous parler, » etc.

 

S. Chrys. Dès lors donc que vous savez que je suis envoyé de Dieu, ne voyez plus rien de naturel dans ce que je vous dis ; car je ne parle point de moi-même, je ne fais que vous transmettre les volontés de celui qui m’a envoyé. En effet, la vertu, le mérite d’un envoyé, c’est de ne rien dire de sa propre autorité. — Bède. Remarquez ici qu’au témoignage de l’ange, il est tout à la fois devant Dieu et envoyé pour annoncer à Zacharie la naissance de son fils. — S. Grég. (hom. 34 sur les Evang.) En effet, lorsque les anges viennent nous trouver, ils remplissent extérieurement leur ministère sans interrompre intérieurement l’exercice de la contemplation ; car si leur esprit est limité, l’Esprit souverain qui est Dieu, n’a point de bornes. Ainsi les anges sont toujours devant lui, même quand ils sont en mission, puisque c’est dans l’immensité de Dieu qu’ils accomplissent leur message »

Bède. L’ange donne ensuite le signe qui lui a été demandé. Zacharie n’a fait usage de la parole que pour exprimer son incrédulité, le silence lui enseignera la foi : « Et voici que vous allez devenir muet, » etc. — S. Chrys. Les liens qui le rendaient impuissant, sont transportés à l’organe de la voix ; te sacerdoce dont il est revêtu n’est point une raison pour qu’il soit épargné, au contraire, la punition sera plus grande, parce qu’il devait donner aux autres l’exemple d’une foi plus vive. — Théophyl. Le mot grec χωφ­οζ signifie également sourd, on peut donc donner ce sens aux paroles de l’ange : Puisque vous ne croyez point, vous deviendrez sourd, et vous ne pourrez plus parler. Juste châtiment de sa double faute, la désobéissance est punie par la surdité, et la contradiction par la mutité. — S. Chrys. L’ange dit : Et voici, c’est-à-dire à l’instant même. Considérez toutefois la miséricorde de Dieu dans ce qui suit : « Jusqu’au jour où ces choses arriveront ; » comme s’il lui disait : Lorsque l’accomplissement de ma prédiction en aura démontré la vérité, et que tu auras reconnu la justice de ton châtiment, alors tu en seras délivré, Il lui en fait aussi connaître clairement la cause : Parce que vous n’avez pas cru à mes paroles, qui s’accompliront en leur temps ; » méconnaissant ainsi la puissance de celui qui m’a envoyé, et devant lequel je suis toujours présent. Or, si tel fut le châtiment de Zacharie pour avoir refusé de croire à un enfantement naturel, comment ceux qui blasphèment la naissance ineffable pourront-ils échapper à la vengeance divine ?

 

Grec. (ou Antipat. de Bostr., Chaîne des Pères grecs.) Tandis que ces choses se passaient dans l’intérieur du temple, la multitude qui attendait au dehors était surprise de ce que Zacharie tardait à revenir : « Cependant le peuple attendait Zacharie, et s’étonnait de ce qu’il demeurait si longtemps dans le temple. » Chacun se livrait à ses conjectures et donnait ses suppositions ; Zacharie étant enfin sorti, leur apprit, par son silence forcé, ce qui lui était arrivé dans l’intérieur du temple. « Et étant sorti, il ne pouvait leur parler. — Théophyl. Zacharie faisait des signes au peuple qui lui demandait probablement pourquoi il était devenu muet : « Et il leur faisait des signes et il demeura muet. » — S. Ambr. Un signe est un mouvement du corps qui n’est point accompagné des paroles, et qui cherche à faire connaître la volonté, sans pouvoir l’exprimer complètement.

 

Vv. 23-25.

Bède. Tant que duraient leurs fonctions, les prêtres, tout entiers aux offices de leur ministère, s’abstenaient de tout rapport avec leurs épouses, et s’interdisaient même l’entrée de leurs maisons. C’est pourquoi l’Évangéliste ajoute : « Quand les jours de son ministère furent accomplis, » etc. Les prêtres qui se succédaient alors, devaient être de la race d’Aaron, c’était donc un devoir aussi légitime que nécessaire de se donner une postérité » Maintenant, au contraire, ce ne sont plus les lois d’une succession charnelle, mais une perfection toute spirituelle qui donne droit au sacerdoce, aussi les prêtres sont-ils obligés d’observer une continence perpétuelle, pour être dignes d’offrir le sacrifice de l’autel. « Après ces jours-là, » etc., c’est-à-dire après les jours où Zacharie avait rempli les devoirs de son ministère. Ceci se passait au mois de septembre, le huit des calendes d’octobre, alors que les Juifs célébraient le jeûne de la fête des Tabernacles, à l’approche de l’équinoxe, où la nuit commence à être plus longue que le jour ; en effet, le Christ devait croître et Jean diminuer. Et ce n’est pas sans raison que ces jours étaient des jours de jeûne ; car Jean-Baptiste devait prêcher aux hommes les austérités de la pénitence.

« Et elle se tenait cachée, » etc. — S. Ambr. Pourquoi se tenait-elle cachée, si ce n’est par un sentiment de pudeur ? Il est en effet pour les époux un temps déterminé par la nature, où c’est chose louable de chercher à avoir des enfants ; lorsqu’on est dans la vigueur de l’âge, et qu’on peut espérer d’en obtenir. Mais lorsqu’on atteint les limites d’une vieillesse presque épuisée et qu’on arrive à cet âge, où l’on est plus propre à élever des enfants qu’à les engendrer, il y a une espèce de honte pour une femme de porter les signes d’une fécondité bien que légitime, d’être chargée d’un fardeau qui convient à un autre âge, et d’une grossesse qui n’est plus de saison. Elle avait donc de la honte à cause de son âge ; nous pouvons comprendre par là qu’Elisabeth et Zacharie n’avaient plus ensemble les rapports qu’ont entre eux les époux ; car si elle n’avait pas eu de honte de remplir les devoirs du mariage jusque dans sa vieillesse, elle n’en aurait pas eu davantage de devenir mère. Cependant laissons-la rougir du poids de la maternité tant qu’elle ignore ce qu’elle a de mystérieux. Bientôt, celle qui se dérobait aux regards, parce qu’elle était devenue mère, commence à se glorifier, parce qu’elle porte un prophète dans son sein. — Orig. (Chaîne des Pères grecs.) Aussi l’Évangéliste ajoute : « Elle se cachait pendant cinq mois, » c’est-à-dire jusqu’au temps où Marie elle-même conçut son divin fils, et que l’enfant d’Elisabeth, tressaillant de joie dans son sein, commença de remplir les fonctions de prophète. — S. Amb. Elle rougissait d’être mère à son âge, mais en même temps elle se réjouissait d’être délivrée de l’opprobre de la stérilité. « C’est là, disait-elle, la grâce que le Seigneur m’a faite, » etc. — S. Chrys. (ou Orig.) C’est-à-dire il a fait cesser ma stérilité, en m’accordant un don qui dépasse les forces de la nature, et une pierre inféconde a produit des épis verdoyants, il m’a délivré de l’opprobre de la stérilité en me rendant mère, « dans les jours où il m’a regardée pour effacer mon opprobre d’entre les hommes. » — S. Amb. Car c’est une espèce de honte pour les femmes d’être privées du fruit de l’union des époux, puisqu’elles n’ont point d’autre raison de se marier. S. Chrys. C’est donc pour Elisabeth une double joie d’être affranchie de l’opprobre de la stérilité, et de mettre au monde un enfant illustre ; car ce n’est pas ici comme pour les autres, l’union des époux seule, mais la grâce divine qui a été le principe de cette naissance.

 

Bède. Dans un sens mystique, on peut dire que Zacharie représente le sacerdoce judaïque, et Elisabeth la loi, qui développée par les explications des prêtres devait engendrer à Dieu des enfants spirituels, mais qui restait impuissante et stérile, « parce que la loi n’a conduit personne à la perfection. » Tous deux étaient avancés en âge, parce qu’à la venue au Christ les hommes étaient pour ainsi dire courbés sous le poids des ans. Zacharie entre dans le temple, parce que c’est aux prêtres qu’il appartient de pénétrer dans le sanctuaire des mystères célestes. La multitude se tenait au dehors parce qu’elle ne peut pénétrer le secret des choses spirituelles. Tandis que Zacharie place l’encens sur l’autel, la naissance de Jean-Baptiste lui est révélée ; c’est en effet lorsque les docteurs sont embrasés du feu divin que renferment les saintes lettres qu’ils découvrent la grâce de Dieu qui se répand par Jésus-Christ ; c’est par un ange que ses mystères sont révélés, parce que « la loi a été donnée par le ministère des anges. » — S. Ambr. Le peuple tout entier devient comme muet dans la personne d’un seul, parce qu’il parlait à Dieu par l’intermédiaire d’un seul ; la parole de Dieu a passé aussi jusqu’à nous, et elle n’est point muette au milieu de nous : celui-là est muet qui ne comprend pas la loi. Pourquoi, en effet, celui qui ne peut émettre aucun son articulé vous paraîtrait-il plus muet que celui qui n’a aucune connaissance des saints mystères ? Le peuple juif ressemble à un homme qui fait des signes, lui qui ne peut rendre raison de ce qu’il fait. — Bède. Et cependant Elisabeth conçoit Jean-Baptiste, parce que les secrètes profondeurs de la loi sont pleines des mystères de Jésus-Christ. Elle cache cette conception pendant cinq mois, parce que Moïse a renfermé dans ses cinq livres les mystères du Christ, ou parce que toute l’économie de la rédemption de Jésus-Christ a été figurée dans les cinq âges du monde par les paroles et les actions des saints.

 

Vv. 26, 27.

Bède. Comme l’incarnation du Christ devait avoir lieu dans le sixième âge du monde, ou bien devait être l’accomplissement de la loi, c’est avec raison que le sixième mois de la conception de Jean-Baptiste, un ange est envoyé à Marie pour lui annoncer la naissance du Sauveur du monde : « Au sixième mois, » etc., dit l’Évangéliste. Par ce sixième mois, il faut entendre le mois de mars, et c’est le vingt-cinq de ce mois que, selon la tradition, Notre-Seigneur a été conçu et a souffert sa passion, comme aussi c’est le vingt-cinq du mois de décembre qu’il est né. Si nous admettons avec quelques auteurs que l’équinoxe du printemps a lieu le vingt-cinq mars, et le solstice d’hiver le vingt-cinq décembre, nous pouvons dire qu’il était convenable que l’accroissement du jour coïncidât avec la conception et la naissance de celui qui éclaire tout homme venant en ce monde. Si l’on prétend au contraire que même avant l’époque de la naissance et de la conception du Sauveur les jours commencent à croître, ou qu’ils sont plus longs que les nuits, nous dirons alors que Jean-Baptiste précédait l’avènement du Seigneur, et qu’il évangélisait déjà le royaume des cieux.

 

S. Bas. (sur Isaïe.) Les esprits célestes ne viennent pas à nous de leur propre mouvement, c’est Dieu qui les envoie lorsque notre utilité l’exige ; car leur occupation est de contempler l’éclat de la divine sagesse. « L’ange Gabriel fut envoyé, » etc. — S. Grég » (hom. 34 sur les Evang.) Ce n’est point un ange quelconque, mais l’archange Gabriel qui est envoyé à la Vierge Marie. Il n’appartenait, en effet, qu’au plus grand des anges de venir annoncer le plus grand des événements. L’Écriture lui donne un nom spécial et significatif, il se nomme Gabriel, qui veut dire force de Dieu. C’était donc à la force de Dieu qu’il était réservé d’annoncer la naissance du Dieu des armées, du fort dans les combats qui venait triompher des puissances de l’air. — La Glose. L’Évangéliste désigne également le lieu où il est envoyé. « Dans la ville de Nazareth ; » car c’est le Nazaréen, c’est-à-dire le Saint des Saints, dont la naissance est annoncée. — Béde. Dieu commence admirablement l’œuvre de notre réparation, en envoyant un ange à une vierge qu’un enfantement divin devait consacrer, parce que le démon aussi avait commencé l’oeuvre de notre perte en envoyant le serpent à la femme peur la séduire par l’esprit d’orgueil. « Il fut envoyé à une vierge. » — S. Aug. (de la sainte Vierg., chap. 15.) La virginité seule était digne d’enfanter celui qui, dans sa naissance, n’a pu avoir d’égal. Notre chef, par un miracle éclatant, devait naître d’une vierge selon la chair, et figurer ainsi que l’Église vierge donnerait à ses membres une naissance toute spirituelle. — S. Jér. (serm. sur l’assomp.). C’est avec raison qu’un ange est envoyé à une vierge ; car la virginité a toujours été unie par des liens étroits avec les anges. En effet, vivre dans la chair, sans obéir aux inspirations de la chair, ce n’est pas la vie de la terre, c’est la vie du ciel.

 

S. Chrys. (sur S. Matth., hom. 4.) L’ange n’attend pas que l’enfantement ait eu lieu pour en faire connaître le mystère à la Vierge, cet événement l’eût jetée dans le plus grand trouble. C’est avant la conception qu’il accomplit son message, et ce n’est point en songe, mais dans une apparition visible et solennelle, telle que l’exigeait avant l’accomplissement, l’importance de l’évènement qu’il venait lui annoncer.

 

S. Amb. L’Écriture établit clairement ces deux choses, qu’elle était épouse et vierge. « Elle était mariée, » etc. Vierge, ce qui la sépare de tout commerce avec un homme ; épouse, pour que sa virginité fût à l’abri de tout déshonneur, alors que sa grossesse aurait été pour tous un indice de corruption. Le Seigneur aima mieux en voir quelques-uns douter de sa naissance immaculée, que de la pureté de sa mère. Il savait combien l’honneur d’une vierge est délicat, combien sa réputation fragile, et il ne voulut pas que la foi à sa naissance miraculeuse s’élevât sur le déshonneur de sa mère. La virginité de Marie a donc été inviolable, dans l’opinion des hommes, comme elle l’était en elle-même. Il ne fallait pas laisser pour excuse aux vierges, dont la réputation est malheureusement douteuse, que la mère du Sauveur elle-même n’avait pas été à l’abri du soupçon et du déshonneur. Que pourrait-on reprocher aux Juifs aussi bien qu’à Hérode, s’ils n’avaient persécuté que le fruit de l’adultère ? Comment Jésus lui-même aurait-il pu dire : « Je ne suis point venu détruire la loi, mais l’accomplir, s’il eût commencé par une violation de la loi, la loi condamnant l’enfantement de toute personne non mariée. Rien, d’ailleurs, ne donne plus de créance aux paroles de Marie que ce mariage, et n’éloigne davantage tout soupçon de mensonge. Qu’elle fût devenue mère sans être mariée, elle eût paru vouloir couvrir sa faute sous le voile du mensonge ; étant mariée, au contraire, elle n’avait aucune raison de mentir, puisque la fécondité des épouses est tout à la fois la récompense et le privilège du mariage. Une raison non moins importante, c’est que la virginité de Marie mettait en défaut le prince du monde ; en la voyant engagée dans les liens du mariage, il ne pouvait avoir aucun soupçon de son enfantement virginal. — Orig. (hom. 6.) Supposez-la, au contraire, non mariée, aussitôt cette pensée secrète fût venue au démon : Comment celle qui n’a point d’époux, est-elle devenue mère ? Cette conception doit être divine, il y a ici quelque chose de supérieur à la nature humaine. — S. Amb. Mais ce mariage déjoua bien plus encore toutes les pensées des princes de la terre ; car la malice des démons pénètre facilement dans le secret des choses cachées ; mais ceux qui sont plongés dans les préoccupations du monde sont incapables de comprendre les choses divines. Disons encore que nous avons ainsi un témoin plus fidèle et plus sûr de la virginité de Marie dans la personne de son époux, qui pouvait, et se plaindre de l’outrage qui lui était fait, et en poursuivre le châtiment, s’il n’eût connu le mystère de cet enfantement. « Il s’appelait Joseph, dit l’Évangéliste, et il était de la maison de David. » — Bède. Ces paroles sont vraies à la fois et de Joseph, et de Marie ; car aux termes de la loi, chacun devait prendre femme dans sa tribu, ou dans sa famille. « Et cette vierge s’appelait Marie. » Marie, en hébreu, signifie étoile de la mer, et en syriaque, maîtresse, noms qui conviennent parfaitement à Marie qui a enfanté le Maître du monde, et la lumière éternelle des siècles.

 

Vv. 28, 29.

S. Amb. Reconnaissez la Vierge à ses moeurs. Elle est seule dans l’intérieur de sa demeure, loin de tous les regards des hommes, un ange seul peut arriver jusqu’à elle : « L’ange étant entré où elle était, » etc. Il ne faut point qu’elle soit déshonorée par une conversation indigne d’elle, c’est un ange qui est chargé de la saluer. — S. Grég. de Nysse. (disc. sur la Nativ.) Le discours qu’il lui adresse est opposé à celui que la première femme entendit autrefois. Pour Eve l’enfantement dans la douleur fut la juste punition de son péché ; pour Marie, la tristesse fait place à la joie, et l’ange lui annonce le sujet d’une joie bien légitime, en lui disant : « Je vous salue. » Il ajoute : « Pleine de grâce, » et il proclame ainsi qu’elle est digne de l’union qu’il vient lui annoncer. Car cette plénitude de grâce est comme la dot destinée à son époux ; en effet, les paroles de l’ange conviennent tour à tour, les unes à l’épouse, les autres à l’époux. — S. Jér. (serm. sur l’Assomp.) Oui elle est pleine de grâce, car la grâce n’est donnée aux autres créatures que partiellement et avec mesure ; Marie l’a reçue toute entière et dans sa plénitude. Oui, elle est vraiment pleine de grâce, elle par qui toute créature a été inondée des eaux abondantes de l’Esprit saint. Celui qui avait envoyé son ange à cette divine Vierge était déjà avec elle, le Seigneur avait précédé son ambassadeur ; et le Dieu qui remplit tout de son immensité, ne pouvait être retenu par la distance des lieux : « Le Seigneur est avec vous. » — S. Aug. (serm. 14 sur la Nativ. du Seig.) Il est avec vous plus qu’il n’est avec moi ; car il est lui-même dans votre coeur, il s’incarne dans vos entrailles, il remplit votre âme, il remplit votre sein. — Grec. (ou Géom., Chaîne des Pères grecs.) C’est là le complément de l’ambassade céleste, le Verbe de Dieu contracte comme un époux une union incompréhensible à la raison ; engendrant tout à la fois et engendré, il s’associe intimement toute la nature humaine. Les dernières paroles de l’ange sont le couronnement et l’abrégé de tout ce qui précède : « Vous êtes bénie entre les femmes, » c’est-à-dire seule entre toutes les femmes ; par là même toutes les femmes seront bénies en vous, comme tous les hommes en votre Fils, ou plutôt les uns et les autres seront bénis en vous deux. En effet, c’est par une femme et un homme que le péché et la douleur sont entrés dans le monde ; c’est aussi par une femme et par un homme que la bénédiction, que la joie sont appelées et répandues sur toute créature.

S. Amb. Reconnaissez encore la Vierge à sa pudeur ; elle fut alarmée : « Ayant entendu ces paroles, elle en fut troublée. » C’est le propre des vierges d’être accessible à la crainte, de trembler à l’approche d’un homme, de redouter tout entretien avec lui. Apprenez de là, ô vierges, à éviter toute licence dans vos paroles, puisque Marie redoute la salutation d’un ange. — Grec. (ou Géom.) Comme ces visions du ciel lui étaient familières, ce n’est point à la vision elle-même, mais aux paroles de l’ange que l’Évangéliste attribue son trouble : « Ayant entendu ces paroles, elle en fut troublée. » Remarquez encore tout à la fois la pudeur et la prudence de cette divine Vierge, les sentiments de son âme, les paroles qui sortent de sa bouche. Elle entend parler de joie, de bonheur, elle examine ce qu’on lui dit, elle ne résiste pas ouvertement par incrédulité, elle ne croit pas aussitôt à la légère, elle évite à la fois la légèreté d’Eve, et l’obstination de Zacharie : « Et elle se demandait ce que pouvait être cette salutation. » Car elle ignorait encore la grandeur du mystère qui allait s’accomplir en elle. Cette salutation est-elle inspirée par la passion, comme serait celle d’un homme à une vierge ? Ou bien est-elle divine, puisqu’on fait intervenir le nom même de Dieu : « Le Seigneur est avec vous. » — S. Amb. Elle s’étonne aussi de cette nouvelle formule de bénédiction inusitée jusque-là ; car elle était réservée à Marie seule. — Orig. (hom. 6.) Si par la connaissance qu’elle avait de la loi, elle eût su qu’un autre avant elle eût été l’objet d’un semblable discours, elle n’en eût point été effrayée, comme d’une chose extraordinaire.

 

v. 30-33.

Bède. L’ange, voyant la Vierge troublée par cette salutation étrange pour elle, l’appelle par son nom, comme s’il la connaissait plus familièrement, et l’engage à déposer tout sentiment de crainte. « Et l’ange lui dit : Ne craignez pas, Marie, » etc. — Grec. (Photius, Chaîne des Pères grecs.) Comme s’il disait : Je ne suis point venu pour vous tromper, mais pour apporter le pardon de l’ancienne déception, je ne viens point non plus porter atteinte à votre inviolable virginité, mais préparer en vous une demeure à l’auteur, au gardien de toute pureté ; je ne suis pas l’envoyé du serpent, mais l’ambassadeur de celui qui détruit son empire, je viens non vous tendre un piége, mais traiter de l’union mystérieuse que Dieu veut contracter avec vous. Il ne veut pas la laisser en proie à des pensées inquiétantes, pour sauver l’honneur de la mission divine qu’il vient remplir. — S. Chrys. (Chaîne des Pères grecs.) Celui qui mérite de trouver grâce aux yeux de Dieu, n’a rien à craindre. « Vous avez, lui dit-il, trouvé grâce devant Dieu. » Comment chacun peut-il à son tour trouver grâce devant Dieu ? par l’humilité ; car c’est aux humbles que Dieu donne sa grâce. (Jc 4 et 1 P 5) — Grec. (ou Photius.) Cette Vierge sainte a trouvé grâce devant Dieu, parce que l’éclat de sa chasteté qui était le plus bel ornement de son âme, en a fait une demeure agréable à Dieu ; et que non seulement elle a gardé une virginité perpétuelle, mais a conservé son âme pure de toute tache. — Orig. (Chaîne des Pères grecs.) Plusieurs avant elle, avaient trouvé grâce devant Dieu : aussi l’ange ajoute ce qui lui est exclusivement propre : « Voilà que vous concevrez dans votre sein. » Cette expression voilà indique la rapidité, l’actualité de l’opération divine, la conception a lieu au moment même où il parle. — Sév. Ant. « Vous enfanterez dans votre sein, » paroles qui démontrent que Notre-Seigneur a pris dans le sein virginal une chair semblable à notre chair. En effet, le Verbe divin venait purifier à la fois la nature humaine, notre naissance, l’origine de notre génération ; il a donc, à l’exception du péché et du concours de l’homme, été conçu comme nous dans la chair, et porté neuf mois dans le sein de sa mère. — Greg. Nyss. (ou Géom., Chaîne des Pères grecs.) Mais comme il en est qui conçoivent l’esprit divin et enfantent l’esprit du salut, selon l’expression du prophète, l’ange ajoute « Et vous enfanterez un Fils. » — S. Amb. Il en est peu qui, comme Marie, enfantent le Verbe qu’ils ont conçu par la grâce de l’Esprit saint. Il en est qui rejettent au dehors le Verbe à peine conçu, et qui ne l’enfantent jamais ; il en est qui portent Jésus-Christ dans leur sein, mais sans que jamais il arrive à être formé dans leur coeur.

Greg. Nyss. (disc. pour la Nativ. du Seig.) L’attente de leur délivrance inspire ordinairement aux femmes de vives craintes, aussi l’ange calme ces appréhensions par les charmes de l’enfantement qu’il annonce : « Et vous l’appellerez Jésus. » L’avènement d’un Sauveur suffit pour dissiper tout sentiment de crainte. — Bède. Le nom de Jésus signifie Sauveur ou salutaire. Grec. L’ange dit à Marie : « C’est vous qui lui donnerez ce nom, et non pas son père ; car il n’a point de père dans sa génération temporelle, comme il n’a point de mère dans sa génération divine. — S. Cyr. Ce nom fut un nom nouveau donné au Verbe de Dieu et parfaitement en rapport avec sa naissance selon la chair, selon cette parole du prophète : « On vous appellera d’un nom nouveau, que la bouche du Seigneur vous donnera. » — Grec. (ou Géom.) Mais comme ce nom lui était commun avec le successeur de Moïse, l’ange fait ressortir la différence qui les sépare en ajoutant : « Il sera grand. » — S. Ambr. Il a été dit aussi de Jean-Baptiste qu’il serait grand, mais d’une grandeur humaine, tandis que Jésus sera grand d’une grandeur toute divine ; car la puissance. de Dieu se répand au loin, et la grandeur de la substance divine s’étend au delà de tous les espaces connus. Elle n’est limitée par aucun lieu, elle est incompréhensible à l’esprit humain, supérieure à toutes nos pensées, inaccessible aux variations des temps. — Orig. (hom. 6.) Admirez donc la grandeur du Sauveur Jésus, comme elle est répandue par tout l’univers. Montez dans les cieux, elle y remplit tout de sa présence ; descendez par la pensée dans les abîmes, vous verrez qu’elle vous y a précédé. A cette vue, reconnaissez l’accomplissement de cette prédiction : « Il sera grand. »

 

Grec. (ou Photius, comme précéd.) Et ne croyez pas que l’incarnation du Fils de Dieu porte la moindre atteinte à la majesté divine, au contraire, elle élève jusqu’aux cieux notre pauvre humanité : « Et il sera appelé, dit l’ange, le Fils du Très-Haut. » Ce n’est pas vous qui lui donnerez ce nom : « Il sera appelé, » et par qui donc, si ce n’est par son Père qui lui est consubstantiel ? Celui-là seul qui a la connaissance parfaite de son fils, peut seul aussi lui donner le nom qui lui convient, ce qu’il fait quand il dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » Il l’est de toute éternité, bien que ce nom ne nous ait été révélé que dans le temps pour notre instruction ; aussi l’ange dit : « Il sera appelé, » et non pas, il deviendra, ou il sera engendré ; car avant tous les siècles il était consubstantiel à son Père. Celui donc que l’immensité des cieux ne peut contenir, c’est lui que vous concevrez, c’est lui dont vous deviendrez la mère, c’est lui que votre sein virginal va renfermer. — S. Chrys. (Chaîne des Pères grecs.) Il en est qui regardent comme souverainement étrange, inconvenant même que Dieu fasse son habitation d’un corps mortel. Mais est-ce que le soleil qui est un corps sensible, et qui pénètre tout de ses rayons, voit pour cela s’obscurcir soit éclat ? A plus forte raison le soleil de justice, en prenant un corps très-pur dans le sein d’une vierge, ne perd rien de sa pureté ; bien loin de là, il ajoute à la pureté, à la sainteté de sa mère.

 

Grec. (ou Sév. d’Ant., Ch. des Pères grecs.) L’ange voulant rappeler au souvenir de Marie les oracles des prophètes, ajoute : « Et Dieu lui donnera le trône de David, » etc., afin qu’elle sache à n’en pouvoir douter, que celui dont elle deviendra la mère, c’est le Christ qui, selon les prophètes, devait naître de la race de David. — S. Cyr. (Chaîne des Pères grecs.) Toutefois, gardons-nous de croire que le corps très-pur de Jésus-Christ soit l’oeuvre de Joseph ; mais tous deux descendaient des mêmes ancêtres, Joseph et Marie, dans le sein de laquelle le Fils de Dieu s’est revêtu de notre humanité. — S. Bas. (à Amphiloch.) Ce n’est point sur le trône temporel de David que le Seigneur s’est assis, puisque le gouvernement du peuple juif était passé aux mains d’Hérode ; le trône de David, dont le Seigneur s’est mis en possession, c’est son royaume immortel. Aussi voyez ce qui suit : « Et il régnera sur la maison de Jacob éternellement, » etc. — S. Chrys. (hom. 7 sur S. Matth.) La maison de Jacob dont il est ici question sont ceux d’entre les Juifs qui ont cru en lui. Car comme dit saint Paul : « Tous ceux qui descendent d’Israël, ne sont pas pour cela Israélites…, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont réputés être les enfants d’Abraham. » (Rm 11.) Ou bien encore, la maison de Jacob, c’est toute l’Église, qui est sortie d’une bonne racine, ou qui, d’olivier sauvage qu’elle était, a été greffée sur l’olivier franc par le mérite de sa foi. — Grec. (ou Géom.) A Dieu seul il appartient de régner éternellement ; aussi, bien que l’ange déclare qu’il prendra possession du trône de David par suite de son incarnation, en tant que Dieu, il est le roi éternel des siècles. « Et son royaume n’aura point de foi. » Non seulement comme Dieu, mais aussi en tant qu’il est homme ; dans le temps présent, il règne sur un grand nombre, à la fin des siècles, son empire s’étendra sur tous sans exception, lorsque toutes choses lui seront soumises. — Bède. Que Nestorius cesse donc de dire que l’homme seul est né de la Vierge, et qu’en Jésus-Christ l’homme n’a point été uni au Verbe de Dieu en unité de personne ; car l’ange proclame Fils du Très-Haut, celui-là même qu’il déclare être le Fils de David, et démontre ainsi qu’en Jésus-Christ, il n’y a qu’une seule personne en deux natures. S’il parle au futur, ce n’est pas, comme le disent les hérétiques, que le Christ n’ait pas existé avant Marie, mais parce qu’il a reçu le nom de Fils lorsque l’homme, uni à Dieu, n’a plus formé qu’une seule personne.

 

 

Vv. 34, 35.

S. Ambr. Marie ne devait point refuser de croire aux paroles de l’ange, elle ne devait point non plus accepter témérairement les prérogatives divines qu’il lui annonçait. Que fait-elle ? « Or, Marie dit à l’ange : Comment cela se fera-t-il ? » question bien plus mesurée que celle du prêtre Zacharie. « Comment cela se fera-t-il ; » demande Marie ; à quoi connaîtrai-je la vérité de ce que vous m’annoncez, » dit Zacharie. il refuse donc de croire ce qu’il déclare ne pas comprendre, et il demande pour appuyer sa foi d’autres motifs de crédibilité. Marie, au contraire, se rend aux paroles de l’ange, elle ne doute nullement de leur accomplissement, elle n’est inquiète que de la manière dont elles s’accompliront. Elle avait lu dans les prophètes : « Voici qu’une vierge concevra et enfantera un fils, » elle croit donc. à l’accomplissement de cette prophétie ; mais elle n’avait pas lu comment elle s’accomplirait, car Dieu ne l’avait pas révélé même au premier des prophètes ; ce n’était pas à un homme, mais à un ange, qu’il était réservé de faire connaître un si grand mystère.

 

S. Grég. de Nysse. (disc. sur la Nativ. du Seig.) Considérez encore les paroles de cette Vierge si pure. L’ange lui prédit qu’elle enfantera, elle s’attache à sa virginité, la conservation de sa chasteté est à ses yeux d’un plus grand prix que l’apparition miraculeuse de l’ange. Aussi entendez-la dire : « Je ne connais point d’homme. » — S. Bas. (Chaîne des Pères grecs.) Le mot connaître est susceptible de plusieurs sens. On appelle connaissance, la science de Dieu notre créateur, la notion que nous avons de ses perfections et des voies qui mènent à lui, l’observation de ses commandements, et aussi les rapports des époux entre eux, et c’est dans ce dernier sens qu’il faut l’entendre ici. — S. Grég. de Nysse. (comme précéd.) Ces paroles de Marie nous dévoilent les pensées les plus intimes de son âme ; car si elle eût épousé Joseph pour la fin qu’on se propose dans tout mariage, pourquoi cet étonnement, lorsqu’on lui parle de conception ? puisqu’elle pouvait s’attendre à devenir mère un jour selon les lois de la nature. Mais il fallait conserver dans toute sa pureté ce chaste corps qui avait été offert à Dieu comme une chose sacrée, aussi dit-elle à l’ange : « Je ne connais point d’homme. » Comme si elle lui disait : Vous êtes un ange, cependant c’est pour vous chose naturellement impossible à savoir que je ne connais point d’homme ; comment donc deviendrai-je mère sans avoir d’époux, puisque je reconnais Joseph pour mon époux ?

Grec. (ou Géom., Ch. des Pèr. gr.) Considérez comment l’ange lève le doute de la Vierge, et lui explique la chaste union et l’enfantement ineffable qui doit la suivre : « Et l’ange lui répondit : L’Esprit saint surviendra en vous, » etc. — S. Chrys. (hom. 49 sur la Genèse.) Ne semble-t-il pas lui dire : Ne cherchez pas les lois de la nature, là où la nature est dépassée par la sublimité des choses que je vous annonce ? Vous dites : « Comment cela se fera-t-il, parce que je ne connais point d’homme ? » Et c’est justement parce que vous êtes demeurée vierge vis-à-vis de votre époux, que ce mystère doit s’accomplir en vous ; car si vous étiez une épouse ordinaire, Vous n’en auriez pas été jugée digne ; non pas, sans doute, que le mariage soit une chose profane aux yeux de Dieu, mais parce que la virginité lui est supérieure. Il convenait, en effet, que le Seigneur de tous les hommes eût avec nous, dans sa naissance, des rapports de conformité, comme aussi des traits de dissemblance. Il naît du sein d’une femme, et en cela il nous est semblable ; mais il naît en dehors des lois des conceptions ordinaires, et par là il nous est supérieur. — S. Grég. de Nysse. (comme précéd.) Bienheureux ce corps qui, par suite de l’incomparable pureté de Marie, a mérité d’être intimement uni à l’Esprit saint ; dans les autres, à peine si une âme pure mérite la présence de ce divin esprit ; ici c’est la chair elle-même qui devient son tabernacle. (Et dans le liv. de la vie de Moïse ou de la vie parf.) Ces tables de notre nature que le péché avait brisées, le vrai législateur les taille et les façonne de nouveau avec notre terre ; il prend, sans union charnelle, un corps capable d’être uni à sa divinité, et que le doigt de Dieu lui-même a sculpté, c’est-à-dire l’Esprit saint qui est survenu dans la Vierge. (Dans le disc. sur la nativ. du Christ.) « Et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. » La vertu du Très-Haut c’est le Christ lui-même qui est formé dans le sein de Marie par la venue de l’Esprit saint. — S. Grég. (Moral., 18, 12.) Ces paroles : « Vous couvrira de son ombre, » signifient les deux natures du Dieu incarné ; car l’ombre est le résultat de la lumière et de l’interposition d’un corps. Or, le Seigneur est lumière par sa divinité, et comme cette lumière incorporelle devait se revêtir d’un corps dans le sein de Marie, l’ange lui dit avec raison : « La vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre, » c’est-à-dire le corps de l’humanité qui est en vous, recevra la lumière incorporelle de la divinité. Ces paroles peuvent aussi s’entendre des consolations célestes que Dieu devait répandre dans son âme. — Bède. Ce n’est donc point par le concours de l’homme que vous n’avez jamais connu, que vous concevrez, mais par l’opération de l’Esprit saint dont vous serez toute remplie, et vous demeurerez inaccessible aux ardeurs de la concupiscence, parce que le Saint-Esprit vous couvrira de son ombre. — S. Grég. de Nysse. (comme précéd.) « La vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. » L’ombre d’un corps est produite par un objet préexistant, et reçoit de lui sa forme, ainsi les preuves de la divinité de son Fils éclateront dans la vertu miraculeuse de sa génération. Car de même que la matière corporelle qui est en nous, possède une vertu vivifiante qui sert à former l’homme ; ainsi la vertu du Très-Haut, par l’opération de l’Esprit vivificateur, a pris dans le corps virginal de Marie la partie de matière qui devait servir à former l’homme nouveau. C’est ce qu’indiquent les paroles suivantes : « C’est pourquoi le fruit saint qui naîtra de vous, sera appelé le Fils de Dieu. » — S. Athan. (lettre contre les hérétiq. à Epict.) Nous faisons profession de croire que le corps du Sauveur, formé des éléments matériels de la nature humaine, a été un véritable corps, de même nature que le nôtre ; car Marie est notre soeur, puisque tous, comme elle, nous sommes descendus d’Adam. — S. Bas. (de l’Esprit saint, chap. 5.) Voilà pourquoi saint Paul dit : Dieu a envoyé son Fils né d’une femme, il ne dit point par le moyen d’une femme, mais d’une femme ; car cette expression : par une femme aurait pu donner l’idée d’une génération qui ne serait qu’un passage, tandis que ces paroles : né d’une femme établissent clairement l’identité de nature entre le fils et la mère.

 

S. Grég. (Mor., 18, 27.) L’ange déclare que Jésus sera saint dès sa naissance, mais d’une sainteté toute différente de la nôtre. En effet, nous pouvons acquérir la sainteté ; mais nous ne la possédons pas dès notre naissance, enchaînés que nous sommes dans les liens d’une nature sujette à la corruption, ce qui nous fait dire avec le prophète (Ps 50) : « Voilà que j’ai été conçu dans l’iniquité, » etc. Celui-là seul est véritablement saint, dont la conception n’est pas la suite d’une union charnelle ; qui n’est point autre dans son humanité, autre dans sa divinité, comme le rêvent les hérétiques, qui n’a point commencé par être simplement un homme dans sa conception, dans sa naissance, et mérité ensuite de devenir Dieu ; mais qui, aussitôt que l’ange eut parlé, et que l’Esprit saint fut survenu, fut le Verbe descendu dans le sein de Marie, et immédiatement le Verbe fait chair dans ses chastes entrailles. C’est ce que prouvent les paroles suivantes : « Il sera appelé le Fils de Dieu. »

Grec. (Ch. des Pèr. gr.) Considérez comment l’ange, parlant à Marie, fait intervenir toute la Trinité, en mentionnant distinctement l’Esprit saint, le Verbe et le Très-Haut ; car la Trinité est indivisible.

 

Vv. 36-38.

S. Chrys. (Hom. 49 sur la Genèse.) Le langage que l’ange avait tenu jusqu’alors à Marie était au-dessus de son intelligence ; il descend donc à des choses plus accessibles, et cherche à la persuader par des faits extérieurs et sensibles : « Et voici qu’Elisabeth, votre cousine. » Remarquez l’à propos et la convenance de ces paroles. Gabriel ne rappelle pas à Marie les exemples de Sara, ou de Rébecca, ou de Rachel, ils étaient trop anciens ; il lui cite un fait tout récent, pour produire en elle une conviction assurée, Dans ce même dessein il fait ressortir et l’âge et l’impuissance de la nature : « Elle a conçu aussi elle-même un fils dans sa vieillesse. » Il ajoute : « Et c’est ici le sixième mois, » etc. Il ne lui a point appris dès le commencement la conception d’Elisabeth, mais après six mois écoulés, afin que les signes visibles de sa grossesse fussent une preuve de la vérité de ses paroles. — S. Grég. de Naz. (Ch. des Pèr. gr., de ses poésies.) Vous me demanderez peut-être : Comment le Christ descend-il de David ? Marie est évidemment de la famille d’Aaron, puisqu’au dire de l’ange, elle est la cousine d’Elisabeth il faut voir ici l’effet d’un dessein providentiel de Dieu, qui voulait unir le sang royal à la race sacerdotale, afin que Jésus-Christ, qui est à la fois prêtre et roi, eût aussi pour ancêtres, selon la chair, les prêtres et les rois. Nous lisons aussi dans l’Exode, qu’Aaron a pris, dans la tribu de Juda, une épouse du nom d’Elisabeth, fille d’Aminadab. Et voyez combien est admirable la conduite providentielle de l’Esprit de Dieu, en permettant que l’épouse de Zacharie s’appelât aussi Elizabeth, pour nous rappeler ainsi l’épouse d’Aaron qui portait également ce nom d’Elisabeth.

Bède. Pour faire disparaître toute défiance dans l’esprit de la Vierge sur la vérité de son enfantement, l’ange lui cite l’exemple d’une femme stérile qui enfantera dans sa vieillesse, elle apprendra ainsi que tout est possible à Dieu, même ce qui paraît le plus contraire aux lois de la nature ; car, ajoute-t-il : « Rien n’est impossible à Dieu. » — S. Chrys. (Chaîne des Pèr. gr.) Il est le souverain Maître de la nature, il peut donc tout ce qu’il veut, lui qui fait et dispose toutes choses, et qui tient dans ses mains les rênes de la vie et de la mort. — S. Aug. (contr. Faust., 26, 5.) Il en est qui tiennent ce langage : Si Dieu est tout-puissant, qu’il fasse que les choses qui ont existé n’aient pas existé. Ils ne voient pas que ce langage revient à dire Qu’il fasse que les choses qui sont vraies, par là même qu’elles sont vraies soient fausses. Dieu sans doute peut faire que ce qui existait n’existe plus, c’est ainsi que par un acte de sa puissance, celui qui a reçu l’existence en naissant, la perd en mourant. Mais qui pourra dire que Dieu ôte l’existence à ce qui ne l’a déjà plus ? Car tout ce qui est passé a cessé d’exister ; si dans ce qui est passé il y a encore quelques éléments d’existence, ces éléments existent réellement, et s’ils existent, comment sont-ils passés ? Quand nous affirmons en vérité qu’une chose a existé, elle n’existe donc plus, elle existe dans notre pensée et non dans la chose elle-même qui a cessé d’être ; or Dieu ne peut faire que cette affirmation soit fausse. Nous disons que Dieu est tout-puissant, mais non pas dans ce sens que nous pensions qu’il puisse mourir. Celui-là seul peut être appelé sans restriction tout-puissant, qui existe véritablement et de qui seul tout ce qui existe reçoit l’être et la vie.

 

S. Ambr. Voyez l’humilité de la Vierge, voyez sa religion : « Alors Marie lui dit : Voici la servante du Seigneur. » Elle se proclame la servante du Seigneur, elle qui est choisie pour être sa mère ; elle ne conçoit aucun orgueil d’une promesse aussi inespérée ; elle devait enfanter celui qui est doux, humble par excellence, elle devait elle-même donner l’exemple de l’humilité. En se proclamant d’ailleurs la servante du Seigneur, elle ne s’attribue d’autre part dans cette grâce si extraordinaire, que de faire ce qui lui était ordonné ; c’est pour cela qu’elle ajoute : « Qu’il me soit fait selon votre parole ; » vous avez vu son obéissance, vous voyez la disposition de son coeur : « Voici la servante du Seigneur ; » c’est la préparation à remplir son devoir : « Qu’il me soit fait selon votre parole, » c’est l’expression de son désir. — Eusèbe. (ou Géom., Ch. des Pèr. gr.) Chacun célébrera à sa manière les vertus qui éclatent dans ces paroles de la Vierge ; l’un admirera son assurance et sa fermeté, l’autre la promptitude avec laquelle elle obéit, un autre qu’elle n’ait point été éblouie par les promesses magnifiques et sublimes du premier des archanges, un autre enfin qu’elle n’ait point porté trop loin la résistance ; elle s’est tenue également en garde et contre la légèreté d’Eve et contre la désobéissance de Zacharie. Pour moi, sa profonde humilité ne me paraît pas moins digne d’admiration. — S. Grég. Par un mystère vraiment ineffable, la même Vierge dut à une conception sainte et à un enfantement virginal d’être la servante du Seigneur, et sa mère selon la vérité, des deux natures.

 

Vv. 39-46.

Bède. Aussitôt que l’ange a obtenu le consentement de la Vierge, il remonte vers les cieux : « Et l’ange s’éloigna d’elle. » — Eusèbe. (vel Geometer, ubi sup.) Il la quitte non seulement satisfait d’avoir obtenu ce qu’il désirait, mais plein d’admiration pour la perfection de cette divine Vierge et pour la sublimité de sa vertu.

 

S. Ambr. L’ange qui annonçait à Marie des choses aussi mystérieuses, lui donne pour affermir sa foi, l’exemple d’une femme stérile qui était devenue mère. A cette nouvelle, Marie s’en va vers les montagnes de Judée. Quoi donc ? Est-ce qu’elle ne croit point aux paroles de l’ange ? est-ce qu’elle n’est point certaine de la divinité de son message ? Est-ce qu’elle doute de l’exemple qu’il lui donne ? non, c’est un saint désir qui la transporte, c’est un sentiment religieux du devoir qui la pousse, c’est une joie divine qui lui inspire cet empressement « Marie partit et s’en alla dans les montagnes, » etc. Toute remplie de Dieu qu’elle est, où pourrait-elle diriger ses pas, si ce n’est vers les hauteurs. — Orig. (hom. 7.) Jésus qu’elle portait dans son sein, avait hâte lui-même d’aller sanctifier Jean-Baptiste, qui était encore dans le sein de sa mère : « Elle s’en alla en toute hâte, » etc. — S. Ambr. La grâce de l’Esprit saint ne connaît ni lenteurs ni délais. Apprenez de la Vierge chrétienne à ne point vous arrêter sur les places publiques et à ne prendre aucune part aux conversations qui s’y tiennent. — Théophyl. Elle va vers les montagnes, parce que c’est là qu’habitait Zacharie : « En une ville de Juda, et elle entra dans la maison de Zacharie. » — S. Ambr. Apprenez aussi, femmes chrétiennes, les soins empressés que vous devez à vos parentes, lorsqu’elles sont sur le point d’être mères. Voyez Marie, elle vivait seule auparavant dans une profonde retraite, aujourd’hui ni la pudeur naturelle aux vierges ne l’empêche de paraître en public, ni les montagnes escarpées n’arrêtent son zèle, ni la longueur du chemin ne lui fait retarder le bon office qu’elle va rendre à sa cousine. Vierges de Jésus-Christ, apprenez encore quelle fut l’humilité de Marie. Elle vient vers sa parente, elle vient, elle la plus jeune, visiter celle qui est plus âgée, et non seulement elle la prévient, mais elle la salue aussi la première : « Et elle salue Elisabeth. » En effet, plus une vierge est chaste, plus aussi son humilité doit être grande, plus elle doit avoir de déférence pour les personnes plus âgées ; celle qui fait profession de chasteté, doit aussi être maîtresse en humilité. Il y a encore ici un motif de charité, le supérieur vient trouver son inférieur pour lui venir en aide, Marie vient visiter Elisabeth, Jésus-Christ, Jean-Baptiste. — S. Chrys. (sur. Matth., hom. 4.) Disons encore que Marie cachait avec soin ce que l’ange lui avait dit, et ne le découvrait à personne ; elle savait qu’on n’ajouterait point foi à un récit aussi merveilleux, et elle craignait qu’il ne lui attirât des outrages, et qu’on ne l’accusât de vouloir ainsi pallier son crime et son déshonneur. — Grec. (Géom., comme précéd.) C’est près d’Elisabeth seule qu’elle va se réfugier ; elle avait coutume d’en agir ainsi à cause de sa parenté qui les unissait, et plus encore à cause de la conformité de leurs sentiments et de leurs moeurs.

 

S. Ambr. Les bienfaits de l’arrivée de Marie et de la présence du Seigneur se font immédiatement sentir : « Aussitôt qu’Elisabeth eut entendu la voix de Marie qui la saluait, son enfant tressaillit, » etc. Remarquez ici la différence et la propriété de chacune des paroles de l’auteur sacré. Elisabeth entendit la voix la première, mais Jean ressentit le premier l’effet de la grâce ; elle entendit d’après l’ordre naturel, mais Jean tressaillit par suite d’une action toute mystérieuse ; l’arrivée de Marie se fait sentir à Elisabeth, la venue du Seigneur à Jean-Baptiste. — Grec. (ou Géom., comme précéd.) Le prophète voit et entend plus clairement que sa mère, il salue le prince des prophètes, et au défaut de la parole qui lui manque, il tressaille dans le sein de sa mère (ce qui est le signe le plus expressif de la joie) ; mais qui jamais a ressenti ces tressaillements de la joie avant sa naissance ? La grâce produit, des effets inconnus à la nature : le soldat renfermé dans les entrailles de sa mère reconnaît son Seigneur et son roi dont la naissance approche, l’enveloppe du sein maternel n’est point un obstacle à cette vision mystérieuse ; car il le voit non des yeux ou du corps, mais des yeux de l’âme. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Il ne fut pas rempli de l’Esprit saint avant l’arrivée de celle qui portait Jésus-Christ dans son sein, et c’est au même instant qu’il en fut rempli et qu’il tressaillit dans les entrailles de sa mère : « Et Elisabeth fut remplie de l’Esprit saint. » Nul doute qu’Elizabeth n’ait dû à son fils d’avoir été elle-même remplie de l’Esprit saint.

 

S. Ambr. Elisabeth s’était dérobée aux regards du monde du moment qu’elle avait conçu un fils, elle commence à se produire, glorieuse qu’elle est de porter dans son sein un prophète ; elle éprouvait alors une espèce de honte, maintenant elle bénit Dieu : « Et s’écriant à haute voix, elle dit : Vous êtes bénie entre toutes les femmes, » elle s’écrie à haute voix, aussitôt qu’elle ressent l’arrivée du Seigneur, parce qu’elle crut à la divinité de l’enfantement de Marie. — Orig. (Ch. des Pèr. qr.) Elle lui dit « Vous êtes bénie entre toutes les femmes ; elle est la seule qui ait reçu et qui ait pu recevoir une si grande abondance de grâce, car elle seule est la mère d’un enfant divin. — Bède. Elisabeth la bénit dans les mêmes termes que l’ange Gabriel, pour montrer qu’elle est digne de la vénération des anges et des hommes. — Théophyl. Mais les siècles précédents avaient vu d’autres saintes femmes qui ont donné le jour à des enfants souillés par le péché ; elle ajoute donc : « Et le fruit de vos entrailles est béni. » Ou dans un autre sens elle venait de dire : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes ; » elle en donne maintenant la raison comme si quelqu’un la lui demandait : « Et le fruit de vos entrailles est béni, » etc., c’est ainsi que nous lisons dans le psaume 117 : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Le Seigneur est le vrai Dieu, et il a fait paraître sa lumière sur nous, » car suivant l’usage de l’Écriture, et a le même sens que parce que. — Orig. Elle appelle le seigneur le fruit des entrailles de la mère de Dieu, parce qu’il n’a point un homme pour père, et qu’il est né de Marie seule, car ceux qui sont nés d’un père mortel, sont considérés comme ses fruits. — Grec. (ou Géom.) C’est donc ici le seul fruit vraiment béni, parce qu’il a été produit sans le concours de l’homme et l’influence du péché. — Bède. C’est ce fruit que Dieu promettait à David en ces termes : « J’établirai sur votre trône le fruit de vos entrailles. » —Eusèbe. Le Christ est le fruit des entrailles de Marie, cette vérité suffit pour détruire l’hérésie d’Eutychès : car tout fruit est de même nature que la plante ; par une conséquence nécessaire, la Vierge est donc de même nature que le nouvel Adam qui vient effacer les péchés du monde. Que ceux qui se forment l’idée d’une chair fantastique en Jésus-Christ, rougissent de leur opinion en considérant l’enfantement véritable de la mère de Dieu, car le fruit provient de la substance même de l’arbre. Où sont encore ceux qui osent dire que le Christ n’a fait que passer dans la Vierge comme par un canal. Qu’ils apprennent de ces paroles d’Elisabeth remplie de l’Esprit saint, que le Sauveur est le fruit des entrailles de Marie.

 

« D’où me vient que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? » — S. Ambr. Ce n’est point par ignorance qu’elle parle ainsi, elle sait que c’est la grâce et l’action de l’Esprit saint qui ont porté la mère du Seigneur à venir saluer la mère du prophète pour la sanctification de son enfant, mais elle reconnaît hautement qu’elle n’a pu mériter cette grâce, et que c’est un don purement gratuit de la miséricorde divine : « D’où me vient cet honneur ? » c’est-à-dire, à quelles oeuvres de justice, à quelles actions, à quelles vertus en suis-je redevable ? — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Elisabeth partage ici les sentiments de son fils, car Jean lui-même se sentait indigne que Jésus-Christ descendît jusqu’à lui. En proclamant mère du Seigneur Marie, qui était vierge, elle anticipe sur l’événement par une inspiration prophétique. Reconnaissons ici une disposition toute providentielle qui conduit Marie chez Elisabeth, pour que Jean-Baptiste, encore dans le sein de sa mère, rende témoignage au Seigneur, car dès lors le Sauveur investit Jean-Baptiste du titre et des fonctions de prophète, comme l’expliquent les paroles suivantes : « Aussitôt que la voix de votre salutation, » etc. — S. Aug. (à Dardanus, lett. 57.) Pour parler ainsi, comme l’Évangéliste le déclare, Elisabeth a été remplie de l’Esprit saint, et c’est lui, sans aucun doute, qui lui a révélé la signification de ce tressaillement mystérieux de son enfant, tressaillement qui lui annonçait la venue de la mère du Sauveur, dont son fils devait être le Précurseur et le héraut. L’explication d’un si grand mystère a pu être connue des personnes plus âgées, comme Marie et Elisabeth, sans l’être de l’enfant lui-même ; car Elisabeth ne dit point : L’enfant a tressailli dans mon sein par un mouvement de foi, mais « a tressailli de joie. » Nous voyons tous les jours tressaillir, non seulement des enfants, mais même des animaux, sans que ni la foi, ni la religion, ni aucune cause intelligente y aient la moindre part ; mais ici le tressaillement est extraordinaire et d’un genre tout nouveau, parce qu’il se produit dans le sein d’Elisabeth, et à l’arrivée de celle qui devait enfanter le Sauveur de tous les hommes. Ce tressaillement donc, qui fut comme le salut rendu à la mère du Seigneur, a eu pour cause, comme tous les miracles, un acte de la puissance divine dans cet enfant, et non un mouvement naturel de l’enfant lui-même. Et alors même qu’on admettrait dans cet enfant un usage prématuré de la raison et de la volonté, qui aurait pu lui permettre, dès le sein de sa mère, un sentiment de connaissance, de foi, de sympathie, on devrait l’attribuer à un miracle de la puissance divine, et non à une simple action des lois naturelles.

Orig. (Ch. des Pèr. gr.) La mère du Sauveur était venu visiter Elisabeth, pour voir la conception miraculeuse que l’ange lui avait annoncée, et s’affermir ainsi dans la foi au miracle bien plus surprenant dont une vierge devait être l’objet. C’est cette foi qu’Elisabeth célèbre par ces paroles : « Et vous êtes bienheureuse d’avoir cru, parce que les choses qui vous ont été dites de la part du Seigneur s’accompliront en vous. » — S. Ambr. Vous le voyez, Marie n’a nullement douté, mais elle a cru, et a recueilli le fruit de sa foi. — Bède. Rien d’étonnant si le Seigneur, Rédempteur du monde, commence par sa mère l’oeuvre de sa rédemption ; c’est par elle que le salut devait être donné à tous les hommes, il était juste qu’elle reçût la première le fruit du salut de l’enfant qu’elle portait dans son sein. — S. Ambr. Bienheureux vous aussi qui avez entendu et qui avez cru ; car toute âme qui croit, conçoit et engendre le Fils de Dieu, et mérite de connaître ses oeuvres. — Bède. Toute âme aussi qui a conçu le Verbe de Dieu, monte aussitôt par les pas de l’amour jusqu’aux sommets les plus élevés des vertus, pénètre dans la ville de Juda, c’est-à-dire, dans la citadelle de la louange et de la joie, et y demeure comme pendant trois mois dans la pratique parfaite de la foi, de l’espérance et de la charité. — S. Grég. (sur Ezech., hom. 4.) L’inspiration prophétique d’Elisabeth s’étendit à la fois au passé, au présent et à l’avenir. Elle connut que Marie avait ajouté foi aux promesses de l’ange ; en la proclamant mère du Seigneur, elle comprit qu’elle portait dans son sein le Rédempteur du genre humain ; et en prophétisant tout ce qui devait s’accomplir en elle, elle plongea son regard jusque dans les profondeurs de l’avenir.

 

v. 47. — Alors Marie dit : Mon âme glorifie le Seigneur.

S. Ambr. C’est par les femmes que le péché a commencé, c’est aussi par les femmes que commence la réparation du mal ; aussi n’est-ce pas sans dessein qu’Elisabeth prophétise avant Jean-Baptiste, et Marie avant la naissance du Seigneur ; mais la prophétie de Marie est d’autant plus parfaite qu’elle est elle-même plus élevée en dignité. — S. Bas. (Ch. des Pèr, gr., explic. du Ps 33.) Cette Vierge sainte guidée par une inspiration sublime contemple d’une vue profonde l’immense étendue de ce mystère, et pénétrant plus avant dans ses profondeurs, elle rend gloire à Dieu : « et Marie dit : Mon âme glorifie le Seigneur. » — Grec. (Athanas., Ch. des Pèr. gr.) — Elle semble dire : Le mystère étonnant que Dieu a prédit, c’est dans mon corps qu’il doit l’opérer, mais mon âme ne peut rester stérile devant lui. Il faut que je lui offre le fruit de ma volonté, car plus est grand le miracle dont je suis l’objet, plus aussi je dois glorifier l’auteur de toutes ces merveilles. — Orig. (hom. 8.) — Puisque Dieu ne peut ni recevoir aucun accroissement, ni souffrir aucune diminution, que signifient ces paroles de Marie : « Mon âme exalte le Seigneur ? » Il nous faut considérer que le Dieu Sauveur est l’image du Dieu invisible, que notre âme a été faite à son image, et qu’elle est ainsi l’image de l’image ; nous reconnaîtrons alors qu’à l’exemple des peintres qui reproduisent sur la toile les traits d’un visage, lorsque nous élevons notre âme par nos oeuvres, nos paroles, nos pensées, l’image de Dieu s’agrandit en nous, et le Seigneur lui-même, dont nous portons l’image dans notre âme, en reçoit comme une espèce d’agrandissement.

 

Et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur.

S. Bas. (Sur le Ps 32.) Le premier fruit de l’Esprit c’est la paix et la joie. La Vierge sainte qui avait reçu l’Esprit saint dans toute sa plénitude, ajoute avec raison : « Et mon esprit est ravi. » L’âme et l’esprit sont ici une même chose. L’Écriture sainte emploie ordinairement le mot de ravissement, de transport, pour exprimer dans les personnes qui en sont dignes, un état de l’âme remplie de joie et d’allégresse. La Vierge est donc ravie dans le Seigneur par un tressaillement ineffable de son coeur, et par le transport d’une affection pure. « En Dieu mon Sauveur. » — Bède. L’esprit de la sainte Vierge se réjouit de l’éternelle divinité de ce même Jésus (c’est-à-dire Sauveur) dont la chair est engendrée par une conception temporelle. — S. Ambr. L’âme de Marie glorifie donc le Seigneur, et son esprit est ravi en Dieu son Sauveur, parce que toute dévouée par son âme et son esprit au Père et au Fils, elle honore d’un culte d’amour le Dieu unique, auteur de tout ce qui existe. Ayez donc tous l’âme de Marie pour glorifier le Seigneur, ayez tous son, esprit pour être ravis de joie en Dieu votre Sauveur. Si selon la chair, il n’y a qu’une mère du Christ, selon la foi, Jésus est le fruit de tous les coeurs. Toute âme en effet conçoit le Verbe de Dieu, à la condition qu’elle sera pure, exempte de tout vice et qu’elle conservera sa chasteté sous la garde d’une pudeur inviolable. — Théophyl. Celui-là glorifie Dieu, qui marche dignement à la suite de Jésus-Christ, qui porte le nom de chrétien sans laisser amoindrir en lui la dignité du Christ qu’il relève au contraire par des actions grandes et vraiment célestes ; l’esprit, ou ce qui est la même chose, l’onction spirituelle est comme ravie de joie, c’est-à-dire qu’elle s’accroît de jour en jour et n’est point exposée à s’affaiblir ou à s’éteindre. — S. Bas. (comme précéd.) Si parfois je ne sais quelle lumière venant à pénétrer votre âme vous donne une connaissance subite de Dieu, et vous éclaire si pleinement qu’elle vous porte à aimer Dieu et à mépriser toutes les choses de la terre ; que cette image si obscure encore et cette impression si rapide vous aident à comprendre l’état des justes qui trouvent en Dieu une joie toujours égale, toujours persévérante. — Orig. L’âme doit commencer par glorifier le Seigneur, avant d’être ravie en lui ; car la foi en Dieu est une condition nécessaire de ces divins transports.

 

 

Vv. 48. — Parce qu’il a regardé l’humilité de sa servante, et désormais toutes les générations me diront bienheureuse.

Grec. (ou Isid., Ch. des Pèr. gr.) Marie fait connaître la cause de la gloire qu’elle rend à Dieu, et de ses divins transports : « Parce qu’il a regardé l’humilité de sa servante, » c’est-à-dire ; c’est lui qui le premier a jeté les yeux sur moi contre mon espérance, j’étais contente de mon humble condition, et maintenant Dieu me choisit pour l’accomplissement d’un dessein vraiment ineffable, et m’élève de la terre aux cieux. — S. Aug. (Serm. sur l’Assomp.) O véritable humilité qui a mérité d’enfanter un Dieu à la terre, de rendre la vie aux pauvres mortels, de renouveler les cieux, de purifier le monde, d’ouvrir le paradis, et de rendre à la liberté les âmes des hommes ! L’humilité de Marie est devenue comme une échelle céleste dont Dieu s’est servi pour descendre sur la terre. Car que signifient ces paroles : « Il a regardé, » c’est-à-dire : « il a approuvé ? » Il en est beaucoup qui paraissent humbles aux yeux des hommes, mais Dieu ne daigne pas jeter les regards sur leur humilité ; car s’ils étaient sincèrement humbles, leur unique désir serait non pas d’être loués eux-mêmes, mais de voir Dieu loué par tous les hommes, et leur esprit chercherait non dans ce monde, mais en Dieu ses transports et sa joie. — Orig. (hom. 8.) Mais qu’y avait-il donc de si humble et de si bas dans celle qui portait le Fils de Dieu dans son sein ? Il faut remarquer ici que l’humilité dans la sainte Écriture est la vertu à laquelle les philosophes donnent le nom de modestie. Nous pouvons nous-mêmes la définir par une périphrase en disant qu’on est humble, lorsqu’on n’est pas enflé d’orgueil, et qu’on s’abaisse volontairement. — Bède. C’est parce que Dieu a daigné jeter les yeux sur son humilité, que tous la proclament bienheureuse : « Et désormais toutes les générations me diront bienheureuse. » — S. Athan. (Ch. des Pèr. gr.) Et en effet, si au dire du prophète (Is 31, selon les 70) ceux-là sont bienheureux qui ont des enfants dans Sion et leur famille dans Jérusalem, que dirons-nous du bonheur de la divine et très-sainte Vierge, qui est devenue la mère du Verbe fait chair ? — Grec. (ou Métaphraste, Ch. des Pèr. gr.) Si elle se proclame bienheureuse, ce n’est point par un sentiment de vaine gloire ; et comment l’orgueil aurait-il pu trouver accès dans celle qui s’est appelée la servante du Seigneur ? C’est donc par une inspiration de l’Esprit saint, qu’elle prédit ses destinées futures. — Bède. C’est par l’orgueil de notre premier père, que la mort était entrée dans le monde ; il était juste que les voies qui conduisent à la vie nous fussent ouvertes par l’humilité de Marie. — Théophyl. Elle dit : « Toutes les générations, » non seulement Elisabeth, mais toutes les nations qui doivent un jour embrasser la foi.

 

v. 49. — Parce que celui qui est tout-puissant a fait en moi de grandes choses, et son nom est saint.

Théophyl. La Vierge déclare que ce n’est point à sa vertu qu’elle devra d’être proclamée bienheureuse, elle en donne ici la véritable cause : « Parce que Celui qui est tout-puissant a fait en moi de grandes choses. » — S. Aug. (Serm. sur l’assomp.) Quelles sont les grandes choses que Dieu a faites en vous ? Vous avez mis au monde votre Créateur, vous sa créature, vous avez enfanté votre Seigneur, vous sa servante, et c’est par vous que Dieu a racheté le monde, par vous qu’il lui a rendu la vie. — Tite. (de Bostr.) Comment a-t-il opéré en moi de grandes choses ? c’est que j’ai conçu sans cesser d’être vierge, triomphant ainsi des lois de la nature. J’ai été jugée digne, de devenir, sans le secours d’un homme, non pas une mère quelconque, mais la Mère du Sauveur unique des hommes. — Bède. Ces paroles se rapportent au commencement de ce cantique où il est dit : « Mon âme exalte le Seigneur. » Car l’âme en qui Dieu a daigné opérer de grandes choses peut seule célébrer dignement ses grandeurs. — Tite. (comme précéd.) Elle dit : « Celui qui est tout puissant, » afin que si quelque doute vient à s’élever sur le mystère de cette conception opérée dans une vierge sans qu’elle perde sa virginité, ce miracle trouve aussitôt son explication dans la puissance de Dieu. Et loin de nous la pensée que le Fils unique qu’elle a porté dans son sein ait été pour elle la cause de quelque souillure, « parce que son nom est saint. » — S. Bas. (sur le Ps 32, vers la fin). Le nom de Dieu est appelé saint, non qu’il y ait dans les syllabes qui le composent aucune puissance sanctificatrice, mais parce que toute propriété, toute perfection de Dieu, comme toute intelligence des merveilles que nous contemplons en lui est sainte et pure. — Bède. Sa puissance est tellement élevée, qu’elle surpasse toute créature et qu’elle le place à une distance incommensurable de toutes les choses qu’il a créées. Cette pensée ressort beaucoup mieux dans le texte grec où le mot αγιον signifie qui est élevé au-dessus de la terre.

 

v. 50. — Et sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.

Bède. De ces dons particuliers, Marie s’élève jusqu’aux jugements de Dieu, qui embrassent l’universalité du genre humain dont elle décrit l’état : « Et sa miséricorde, dit-elle, s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent. » Elle semble dire : Ce n’est point seulement pour moi qu’il a fait de grandes choses, mais dans toute nation, celui qui a la crainte de Dieu est sûr d’obtenir ses faveurs. — Orig. (hom. 8.) Car la miséricorde de Dieu n’est pas restreinte à une seule génération, mais elle s’étend à perpétuité de génération en génération. — Grec. (Victor, Chaîne des Pères grecs.) C’est par cette miséricorde qu’il existe d’âge en âge, que j’ai conçu et qu’il s’est uni lui-même à un corps vivant, pour traiter l’affaire de notre salut par un sentiment d’amour. Toutefois, sa miséricorde ne s’exerce pas indistinctement, mais sur ceux qui dans toute nation sont soumis à la crainte de Dieu. Voilà pourquoi Marie ajoute : « Sur ceux qui le craignent, » c’est-à-dire, sur ceux que le repentir amène à la foi et à une vraie pénitence, car ceux qui résistent avec obstination se sont fermé, par leur incrédulité coupable, la porte de la miséricorde. — Theophyl. Ou bien encore, ces paroles signifient que ceux qui craignent Dieu obtiendront miséricorde, et dans cette génération, c’est-à-dire, dans le siècle présent, et dans la génération future, ou dans le siècle à venir, et qu’ils recevront le centuple en ce monde, et dans la vie future une récompense beaucoup plus grande.

 

v. 51. Il a déployé la force de son bras, il a dissipé ceux qui s’élevaient d’orgueil dans les pensées de leur coeur.

Bède. En décrivant l’état du genre humain, Marie prédit le châtiment qui attend les orgueilleux, et la récompense réservée à ceux qui sont humbles : « Il a déployé la force de son bras, » etc. C’est-à-dire, du Fils de Dieu lui-même ; car de même que c’est par votre bras que vous agissez, le Verbe par qui Dieu a créé le monde s’appelle le bras de Dieu. — Orig. (hom. 8.) C’est pour ceux qui le craignent qu’il a déployé la force de son bras, car quelle que soit votre infirmité, lorsque vous approchez de Dieu, si vous le craignez, vous obtiendrez le secours qu’il vous a promis. — Théophyl. Ce bras dont il a fait éclater la puissance, c’est aussi le Fils de Dieu incarné, parce que la nature a été vaincue par le miracle d’une vierge devenue mère, et d’un Dieu fait homme. — Grec. (Photius.) Il a fait, ou plutôt, il fera éclater sa puissance, non comme autrefois, lorsqu’il anéantit par Moise l’armée des Egyptiens, ou qu’il détruisit par un ange, au nombre de plusieurs mille, l’armée des Assyriens rebelles. Ici c’est par sa seule puissance et sans le concours de personne qu’il triomphe des intelligences révoltées contre lui : « Il a dissipé les orgueilleux dans les pensées de leur coeur, » c’est-à-dire, il a dissipé toute âme qui a refusé de croire à sa venue ; bien plus, il a dévoilé et mis à découvert leurs pensées superbes et criminelles. — Cyril. Alex. (Ch. des Pèr. gr.) Toutefois, c’est principalement des cohortes ennemies des démons que ces paroles doivent s’entendre, car la venue du Seigneur a dissipé ces cruels ennemis du genre humain, et a replacé sous l’obéissance de Dieu ceux qu’ils retenaient dans des chaînes de l’esclavage. — Théophyl. On peut encore les appliquer aux Juifs, qu’il a dispersés dans toutes les contrées du monde, comme ils le sont encore aujourd’hui.

 

v. 52. — Il a renversé les grands de leur trône, et il a élevé les petits.

Bède. Ces dernières paroles : « Il a fait éclater la puissance de son bras, » et celles qui précèdent : « Sa miséricorde s’exerce d’âge en âge, » doivent être rattachées chacune à l’un des membres de ce verset, parce qu’il est vrai de dire que les orgueilleux ne cessent d’être abaissés et les humbles d’être élevés par une disposition aussi juste que miséricordieuse de la puissance divine. Elle ajoute donc : « il a renversé les grands de leur trône, et il a élevé les petits. » — Cyr. d’Alex. Les démons, et les princes des démons, les sages parmi les gentils, les pharisiens et les scribes avaient tous de hautes et grandes idées d’eux-mêmes. Dieu cependant les a tous renversés, et il a relevé ceux qui s’humiliaient sous sa main puissante, en leur donnant le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions, et toute la puissance de l’ennemi. Les Juifs eux-mêmes s’enorgueillirent autrefois de leur puissance, mais leur incrédulité les a renversés à terre, tandis que parmi les gentils, ceux qui étaient humbles, sans éclat aux yeux des hommes, ont été élevés par la foi au faite de la véritable grandeur. — Grec. (ou Macaire, Ch. des Pèr. gr.) Nous savons que notre esprit doit être le siège de la divinité ; mais aussitôt le péché de notre premier père, les puissances d’iniquité ont envahi l’intérieur de notre âme, pour y régner comme sur leur propre trône. Or Dieu est venu justement sur la terre pour chasser ces esprits mauvais du siége de nos volontés, et relever ceux que les démons avaient terrassés, en purifiant leurs consciences et en établissant son trône dans leur coeur.

 

v. 53. — Il a rempli de biens ceux qui étaient affamés, et il a renvoyé vides ceux qui étaient riches.

La Glose. Comme la prospérité humaine consiste surtout dans les honneurs des puissants de ce monde et dans l’abondance des richesses, après avoir parlé de l’humiliation des grands et de l’élévation des humbles, elle prédit que les riches seront réduits au plus entier dénuement, et les pauvres remplis de toutes sortes de biens : « Il a rempli de biens ceux qui étaient affamés, » etc. — S. Bas. (sur les Psaum.) Nous pouvons entendre ces paroles mêmes des choses sensibles, et y apprendre l’incertitude des choses de ce monde. Elles sont bien fragiles, en effet, comme ces flots que l’impétuosité des vents brise et disperse de tous côtés. Entendues dans le sens spirituel, ces paroles signifient que le genre humain tout entier était comme affamé, à l’exception des Juifs, que la promulgation de la loi et les enseignements des saints prophètes avaient enrichis. Mais ils ont refusé de s’attacher humblement au Verbe incarné, et ils ont été renvoyés vides de tous biens et dans le plus entier dénuement, privés de la foi, de la science, de l’espérance des biens, exclus tout ensemble de la Jérusalem terrestre et de la vie future. Ceux au contraire, parmi les gentils, que la faim et la soif avaient complètement épuisés, se sont attachés au Seigneur et ont été remplis de tous les biens spirituels. — La Glose. Ceux aussi qui ont faim des biens éternels, qui les désirent ardemment, seront rassasiés, lorsque Jésus-Christ apparaîtra dans sa gloire, mais pour ceux qui placent leur joie dans les choses de la terre, ils seront à la fin des siècles renvoyés vides de tous biens et de toute félicité.

 

Vv. 54, 55. — Et il a pris en sa protection Israël, se ressouvenant de sa miséricorde, selon la promesse qu’il a faite à nos pères, à Abraham et à sa postérité pour toujours.

La Glose. Après avoir rappelé en général les effets de la miséricorde et de la justice divine, Marie en vient aux effets particuliers du nouveau mystère de l’Incarnation qui vient de s’accomplir : « Il a pris en sa protection Israël, son serviteur, » etc. Il l’a pris comme un médecin prend un malade, il s’est rendu visible parmi les hommes, afin qu’Israël (c’est-à-dire, voyant Dieu) (cf. Gn 28), devînt son serviteur. — Bède. Et son serviteur obéissant, humble ; car celui qui refuse de s’humilier ne peut être sauvé. — S. Bas. (ou Cyril.) Elle ne veut point parler d’Israël selon la chair, qui tirait sa noblesse de son nom, mais d’Israël selon l’esprit, qui tenait son nom de sa foi, et dont les yeux s’appliquaient à voir Dieu par la foi. On peut aussi appliquer ces paroles aux Israélites selon la chair, puisqu’un nombre infini d’entre eux ont embrassé la foi. Dieu agit de la sorte en souvenir de sa miséricorde, car il accomplissait la promesse faite à Abraham (Gn 22) : « Tous les peuples de la terre seront bénis en celui qui sortira de vous. » C’est cette même promesse que la Mère de Dieu célèbre lorsqu’elle dit : « Selon la promesse qu’il a faite à nos pères, à Abraham, » etc. Dieu avait dit en effet à Abraham (Gn 17) : « J’affermirai mon alliance avec vous, et après vous avec votre race dans la suite de leurs générations, par un pacte éternel, afin que je sois votre Dieu, et le Dieu de votre postérité après vous. »

Bède. Cette postérité doit s’entendre beaucoup moins des descendants d’Abraham selon la chair, que des imitateurs de sa foi, et c’est à eux que la venue du Sauveur a été promise pour des siècles. — La Glose. En effet, la promesse qui a pour objet cet héritage n’aura point de terme, jusqu’à la fin des siècles il y aura des croyants, et la glorieuse félicité qui leur est réservée sera éternelle.

 

v. 56. — Marie demeura avec Elisabeth environ trois mois, et elle s’en retourna en sa maison.

S. Ambr. Marie demeura jusqu’au temps de la délivrance d’Elisabeth, selon le récit de l’Évangéliste : « Marie demeura, » etc. — Théophyl. C’est le sixième mois de la conception du Précurseur que l’ange est venu la trouver, elle demeura trois mois avec Elisabeth, ce qui fait les neuf mois accomplis. — S. Ambr. Ce n’est pas seulement l’intimité de Marie avec sa cousine, mais le désir d’être utile à un si grand prophète qui la détermine à prolonger son séjour. En effet, si dès son arrivée, les grâces du ciel se répandirent avec tant d’abondance, qu’à la voix de Marie l’enfant tressaillit dans le sein de sa mère, et que la mère elle-même fut remplie de l’Esprit saint, que ne dut pas ajouter la présence de Marie pendant un si long espace de temps ? Nous disons donc avec raison, que Marie remplit ici Un véritable ministère, et qu’elle a observé dans son séjour un nombre mystérieux. — Bède. Car l’âme chaste, qui conçoit le désir du Verbe spirituel, doit nécessairement monter au sommet élevé des célestes exercices, y demeurer comme pendant trois mois, et y persévérer jusqu’à ce qu’elle soit éclairée pleinement de la lumière rayonnante de la foi, de l’espérance et de la charité. — Théophyl. Lorsqu’Elisabeth fut sur le point d’enfanter, la Vierge la quitta : « Et elle s’en retourna, » etc., à cause du grand nombre de personnes qui devaient se réunir à l’occasion de l’enfantement : Or il n’était pas convenable que la Vierge fût présente dans ces circonstances. — Grec. ou Métaphraste (Ch. des Pèr. gr.) Il est d’usage, en effet, que les vierges se retirent lorsqu’une femme est sur le point d’enfanter. Dès qu’elle fut rentrée dans sa maison, elle n’en sortit plus, elle y demeura jusqu’au moment où elle connut que l’heure de son enfantement était proche, et ce fut alors qu’un ange fut envoyé pour éclaircir le doute de Joseph.

 

Vv. 57-58.

S. Ambr. Si vous voulez y faire attention, vous ne trouverez jamais employé le mot plénitude que pour la génération des justes, c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Le temps d’Elisabeth fut accompli. » Car on peut dire que la vie des justes est pleine, tandis que les jours des impies sont vides. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Dieu retarda l’enfantement d’Elisabeth pour en augmenter la joie, et rendre cette femme plus célèbre, comme l’indiquent les paroles suivantes « Les voisins apprirent, » etc. Ceux qui savaient qu’elle était stérile, devinrent ainsi les témoins de la grâce divine ; aucun de ceux qui avaient vu l’enfant ne se retirait sans exprimer son admiration, et louer Dieu qui l’avait accordé contre toute espérance. — S. Ambr. La naissance des saints est un sujet de joie publique, parce qu’elle est un bien général ; la justice, en effet, est une vertu qui a pour objet l’intérêt de tous, c’est pourquoi dans la naissance du juste on voit un présage de la vie qui doit suivre, et de la grâce qui doit en enfanter les vertus, grâce dont la joie des voisins est le symbole.

 

Vv. 59-64.

S. Chrys. La loi de la circoncision fut donnée surtout à Abraham comme un signe distinctif ; Dieu voulait que la race du saint patriarche se conservât pure et sans mélange d’autre peuple, afin qu’elle pût obtenir les biens qu’il lui avait promis. Mais dès que l’oeuvre de l’alliance est consommée, le signe qui l’annonçait doit être supprimé. C’est ainsi que le baptême succède à la circoncision qui a pris fin en Jésus-Christ ; mais jusque-là Jean devait être circoncis : « Et il arriva qu’au huitième jour, ils vinrent circoncire l’enfant, » etc. Dieu avait dit : L’enfant mâle de huit jours sera circoncis. La bonté divine avait fixé ce terme de huit jours pour deux raisons, à mon avis : premièrement, pour que dans un âge aussi tendre, la douleur produite par l’incision de la chair fut moins vive ; secondement, pour nous apprendre par le fait lui-même, que la circoncision était un signe ; car l’enfant, à cet âge, ne peut comprendre ce que signifient les actes dont il est l’objet. Après la circoncision, on donnait le nom à l’enfant. « Et ils le nommaient, » etc. On suivait cet ordre, parce qu’il faut tout d’abord recevoir le signe distinctif du Seigneur, avant de prendre le nom que l’on doit porter ; ou bien encore, parce qu’il faut renoncer à toutes les choses charnelles signifiées par la circoncision, pour être digne de voir son nom écrit dans le livre de vie.

S. Ambr. Admirez comment l’Évangéliste a commencé par dire que plusieurs de ceux qui étaient présents avaient voulu donner à l’enfant le nom de Zacharie, son père ; pour vous faire comprendre que sa mère n’avait aucun éloignement pour un nom quelconque de la famille, mais que l’Esprit saint lui avait révélé le nom que l’ange avait auparavant annoncé à Zacharie. Zacharie étant muet ne put faire connaître ce nom à son épouse, Elisabeth apprit donc par révélation ce qu’elle ne pouvait savoir de son mari : « Et prenant la parole, elle dit, » etc. Ne soyez pas surpris, si elle indique avec tant d’assurance un nom dont personne ne lui a parlé ; car l’Esprit saint qui avait confié ce nom à l’ange, le lui a révélé. En effet, celle qui avait annoncé prophétiquement la venue du Christ, ne devait pas ignorer le nom de son précurseur. Remarquez les paroles qui suivent : « Et ils lui dirent, » etc., et comprenez que ce n’est pas ici un nom de famille, mais le nom d’un prophète. On interroge aussi Zacharie par signes : « Ils faisaient signe au père, » etc. Mais comme son incrédulité lui avait fait perdre la parole et l’ouïe, il est obligé de faire connaître par signes et en écrivant, ce qu’il ne pouvait exprimer par la parole : « Et ayant demandé des tablettes, il écrivit dessus : Jean est son nom, » etc. C’est-à-dire, nous ne donnons pas un nom à celui qui l’a déjà reçu de Dieu. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.). Zacharie signifie qui se souvient de Dieu, Jean, celui qui montre. Or, le souvenir a pour objet celui qui est absent, et on ne montre que celui qui est présent. En effet, Jean devait non pas rappeler le souvenir de Dieu comme absent, mais le montrer du doigt présent au milieu des hommes, en disant : « Voici l’Agneau de Dieu. » — S. Chrys. (comme précéd.) Le nom de Jean signifie aussi grâce de Dieu, c’est par une action de la grâce divine, et non pas un effet des lois naturelles qu’Elisabeth est devenue mère, et la mémoire d’un si grand bienfait se trouve éternisée dans le nom de son enfant. — Théophyl. Le père se trouve d’accord avec sa femme sur le nom de l’enfant, ce qui explique les paroles suivantes : « Et tous furent remplis d’étonnement, » etc. Personne, en effet, dans leur famille, ne portait ce nom, on ne pouvait donc dire qu’il ~ venu à la pensée des deux époux.

S. Grég. de Nazianze. (disc. 12.) Jean, dès sa naissance, rend à son père l’usage de la parole : « Sa bouche s’ouvrit, » etc. Il eût été contre la raison que le père demeurât muet, lorsque la voix du Verbe s’était fait entendre. — S. Ambr. IL était convenable que sa langue fût aussitôt déliée ; l’incrédulité l’avait comme enchaînée, la foi la rend à la liberté. Croyons nous aussi, et notre langue captive dans les liens de l’incrédulité, verra briser ses chaînes ; écrivons les mystères dans notre esprit, si nous voulons parler ; gravons le nom du Précurseur, non sur des tables de pierre, mais sur les tables de chair de notre coeur (cf. 2 Cor 3, 3 ; Rm 9, 30.31) ; car celui qui parle de Jean, annonce le Christ ; en effet l’Évangéliste ajoute : « Et il parlait en bénissant Dieu. »

Bède. Dans le sens allégorique, la solennité de la naissance de Jean est le commencement de la grâce du Nouveau Testament. Ses voisins et ses parents voulaient lui donner le nom de son père, plutôt que celui de Jean, parce que les Juifs qui lui étaient unis par l’observation de la loi comme par une espèce d’affinité désiraient bien plus suivre la justice qui vient de la loi, que de recevoir la grâce de la foi mais la mère et le père de Jean font tout, l’une de vive voix, l’autre en écrivant, pour faire prévaloir le nom de Jean (qui veut dire grâce de Dieu), parce que la loi elle-même, les psaumes et les prophètes proclament ouvertement la grâce de Jésus-Christ ; et le sacerdoce ancien lui rend également témoignage par les ombres figuratives des cérémonies et des sacrifices. Par un rapprochement mystérieux, Zacharie recouvre la parole le huitième jour de la naissance de son fils, figure de la résurrection du Seigneur, qui eut lieu le huitième jour, c’est-à-dire après le jour du sabbat qui était le septième, et dévoila tous les mystères du sacerdoce de l’ancienne loi.

Théophyl. Le peuple avait été surpris de la mutité de Zacharie, il ne le fut pas moins lorsqu’il recouvra l’usage de la parole : « Tous furent saisis de crainte, » etc., c’est-à-dire que ces deux prodiges leur donnèrent une haute idée des destinées de cet enfant. Tous ces événements étaient réglés par une économie divine, afin que celui qui devait être le témoin du Christ, fût un témoin digne de foi. Aussi voyez ce qu’ajoute l’auteur sacré : « Tous les conservèrent dans leur cœur, et ils disaient : Que pensez-vous que sera un jour cet enfant ? » — Bède. En effet, ces signes avant-coureurs ouvrent la voie au précurseur de la vérité, et le futur prophète se présente sous les auspices les plus imposants : « Car la main du Seigneur était avec lui. » — Grec. (ou Métaphraste, Ch. des Pèr. gr.) En effet, Dieu opérait en lui des prodiges dont Jean n’était pas l’auteur, mais la main (ou la droite) de Dieu. — Glose. Cette crainte est au sens mystique la figure de la crainte salutaire que produisit la prédication de la grâce de Jésus-Christ, dans les temps qui suivirent sa résurrection, et qui ébranla les coeurs non seulement des Juifs (qui étaient proches, soit par la contrée qu’ils habitaient, soit par la connaissance de la loi), mais encore des nations les plus éloignées. Et la renommée de Jésus-Christ, non seulement a franchi les montagnes de la Judée, mais a surpassé les sommets les plus élevés des royaumes du monde et de la sagesse humaine.

 

 

Vv. 67, 68. —

S. Amb. Dieu est bon et se montre facile à pardonner les fautes, non seulement il rend les biens que le péché a fait perdre, mais il accorde des grâces inespérées. Que personne donc ne se laisse aller à la défiance, que personne, au souvenir de ses fautes passées, ne désespère de la grâce de Dieu. Dieu saura bien changer ses jugements, si vous savez expier vos fautes. Voyez Zacharie, il était muet tout à l’heure, et il prophétise : « Et Zacharie ayant été rempli de l’Esprit saint. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) C’est-à-dire qu’il prophétise sous l’inspiration de l’Esprit saint qui lui donne sa grâce, non dans une certaine mesure, mais dans sa plénitude, et fait briller en lui le don de prophétie : « Et il prophétisa. » — Orig. (hom. 10.) La prophétie de Zacharie, inspirée par l’Esprit saint, a deux grands objets, le premier, Jésus-Christ ; le second, Jean-Baptiste, ce qui paraît clairement dans son cantique, où il parle du Sauveur, comme s’il était présent et vivant au milieu du monde : « Béni soit le Dieu d’Israël, de ce qu’il a visité, » etc. — S. Chrys. En bénissant Dieu, Zacharie déclare qu’il a visité son peuple, soit qu’on veuille entendre les Israélites selon la chair ; car il est venu pour sauver les brebis perdues de la maison d’Israël (Mt 15, 24), soit les Israélites spirituels (c’est-à-dire les fidèles) qui s’étaient rendus dignes de cette visite, en méritant les effets sensibles de la providence de Dieu à leur égard. — Bède. Le Seigneur a visité son peuple défaillant sous le poids d’une longue infirmité, et il a racheté du sang de son Fils unique ce peuple vendu au péché. Zacharie savait que cette rédemption allait s’opérer, et selon l’usage des prophètes, il l’annonce comme si déjà elle était accomplie. Il dit : « Son peuple, » non qu’il le fût à sa venue, mais il l’a fait son peuple en le visitant.

 

v. 69. — De ce qu’il nous a suscité un puissant Sauveur dans la maison de David, son serviteur.

Théophyl. Dieu paraissait dormir à notre égard à la vue de nos fautes sans nombre, mais en s’incarnant dans les derniers temps, il s’est comme éveillé et a écrasé les démons, nos mortels ennemis : « Et il a élevé le signe du salut dans la maison de David, son serviteur. » Orig. En effet, c’est de la race de David que le Christ est né selon la chair, c’est pourquoi l’Évangéliste dit : « La corne du salut dans la maison de David, » comme on lit ailleurs (Is 5) « Une vigne a été plantée sur un lieu élevé » (littéralement sur une corne), c’est-à-dire en Jésus-Christ. — S. Chrys. (Discours sur Anne, Ch. des Pèr. gr.) — Le mot corne signifie ici la puissance, la gloire, la renommée, c’est une expression métaphorique prise des animaux à qui Dieu a donné des cornes pour leur servir à la fois de défense et d’ornement. — Bède. Le règne du Sauveur Jésus-Christ est aussi appelé la corne du salut ; en effet, tous les os sont recouverts de chair, mais les cornes s’élèvent au-dessus du reste du corps, le règne de Jésus-Christ est donc appelé corne du salut, parce qu’il domine le monde et les joies de la chair, et c’est en figure de ce règne que David et Salomon ont été consacrés pour la gloire de leur règne avec une corne remplie d’huile (cf. 1 R 16, 13 ; 3 R 1, 39).

 

v. 70. — Selon ce qu’il avait promis par la bouche de ses saints prophètes, qui ont été dès le commencement.

Théophyl. Michée a prédit que le Christ naîtrait de la maison de David (Mich 5) : « Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n’es pas la plus petite, car c’est de toi que doit sortir celui qui gouvernera mon peuple d’Israël ; » mais tous les prophètes ont annoncé le mystère de l’incarnation, aussi Zacharie ajoute : « Comme il l’avait promis par la bouche de ses saints prophètes, » etc. — Grec. (Prêt. Vict. Ch. des Pèr. gr.) C’est donc Dieu qui a parlé par leur bouche, et ce qu’ils ont annoncé, ne vient point de l’homme. — Bède. Il dit : « Qui ont été dès le commencement ; » parce que tous les écrits de l’ancien Testament ont été une annonce prophétique de Jésus-Christ, car notre premier père Adam et les autres patriarches ont rendu témoignage par leurs actions à la divine économie de la rédemption.

 

V. 71. — De nous sauver de nos ennemis et des mains de tous ceux qui nous haïssent.

Bède. Zacharie développe ce qu’il n’a fait qu’indiquer par ces paroles : « Il nous a suscité un puissant Sauveur, » en ajoutant : « Pour nous sauver de nos ennemis, » comme s’il disait : il nous a élevé le signe du salut, c’est-à-dire, il nous a suscité un Sauveur pour nous délivrer de nos ennemis, et des mains de tous ceux qui nous haïssent. — Orig. (hom. 46). Gardons-nous de croire qu’il veuille parler ici des ennemis corporels, il s’agit des ennemis spirituels ; le Seigneur Jésus, le fort dans les combats est venu détruire tous nos ennemis, pour nous délivrer de leurs embûches et de leurs tentations.

 

VV. 72, 73. — Pour exercer sa miséricorde envers nos pères et se souvenir de son alliance sainte, selon qu’il a juré à Abraham, notre père, de nous accorder cette grâce.

Bède. Zacharie venait de dire que le Seigneur devait naître dans la maison de David, selon les oracles des prophètes ; il ajoute que pour accomplir l’alliance qu’il fit avec Abraham il sera notre libérateur, car c’est à ces deux saints patriarches, c’est-à-dire à celui qui devait naître d’eux que Dieu a promis la réunion de tous les peuples de la terre, ou l’incarnation du Christ, il met David le premier, parce que la promesse de la formation de l’Église fut faite à Abraham, et à David la prédiction de la naissance du Christ. Voilà pourquoi après David, vient Abraham : « Pour exercer sa miséricorde envers nos pères. » Orig. (hom. 10). Je suis convaincu qu’à la venue du Sauveur, Abraham, Isaac et Jacob ont ressenti les effets de sa miséricorde ; pourrait-on croire en effet que la venue du Seigneur ait été sans utilité pour ces saints patriarches qui avaient vu le jour du Sauveur et s’en étaient réjouis, alors qu’il est écrit (Col 1) : « Qu’il a pacifié par le sang de sa croix la terre et les cieux. » — Théophyl. La grâce de Jésus-Christ s’est étendue à ceux mêmes qui étaient morts, car nous ne sommes pas les seuls qui ressusciteront par Jésus-Christ, mais encore tous ceux qui sont morts avant sa venue. Il a fait miséricorde à nos pères, en comblant leurs espérances et leurs désirs, « pour se souvenir, dit Zacharie, de son alliance sainte, » celle dont Dieu a dit : « Je te comblerai de bénédictions, et je te multiplierai à l’infini. » (Hb 6). Abraham s’est en effet multiplié dans toutes les nations qui sont devenues ses enfants adoptifs par l’imitation de sa foi. Disons encore que les patriarches en voyant leurs enfants comblés de si grands bienfaits, en ont éprouvé une joie sensible, et ressenti eux-mêmes les effets de la miséricorde divine, c’est ce que signifient ces paroles : « Voilà le serment qu’il a fait à Abraham, notre père, il a juré qu’il nous ferait cette grâce. » — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Que personne ne s’appuie sur ces paroles : « Dieu a fait le serment, » pour autoriser l’habitude qu’il a de jurer : car de même que ce que nous appelons la fureur du Seigneur ne signifie pas une passion en Dieu, mais le châtiment des coupables, de même aussi Dieu ne jure pas à la manière des hommes, mais sa parole est appelée serment pour exprimer plus fortement la vérité ; et parce qu’elle accomplit avec une résolution immuable tout ce qu’il a promis.

 

V. 74. — Afin qu’étant délivrés des mains de nos ennemis, nous le servions sans crainte.

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr. comme préc.) Après avoir prédit qu’une corne de salut, qu’un puissant Sauveur sortirait pour nous de la maison de David, Zacharie déclare que par lui encore nous serons couverts de gloire, et nous n’aurons rien à craindre de nos ennemis : « Afin qu’étant délivrés des mains de nos ennemis, nous le servions sans crainte. » Ces deux choses se trouvent difficilement réunies : il en est beaucoup en effet qui échappent aux dangers, mais dont la vie reste sans gloire, tels sont les criminels à qui la clémence du souverain fait grâce de la prison. D’autres, au contraire, ont la gloire en partage, mais au prix de quels dangers ils sont forcés de l’acquérir ? Tels sont les guerriers qui ont embrassé la glorieuse carrière des armes, mais qui vivent toujours au milieu des hasards. Ce puissant Sauveur, et nous délivre, et nous couvre de gloire ; il nous délivre en nous arrachant aux mains de nos ennemis, non pas à moitié, mais d’une manière admirable, et sans nous laisser aucun sujet de crainte, comme le dit Zacharie : « Afin qu’étant délivrés des mains de nos ennemis, etc. » Orig. (hom. 10). Ou bien encore, on en voit souvent qui sont délivrés des mains de leurs ennemis, mais ce n’est pas sans crainte, il faut au contraire passer par les alarmes, par les dangers, pour être délivré de leurs mains, au contraire on leur a échappé sans doute, mais ce n’a pas été sans crainte. Jésus-Christ, par sa venue sur la terre, nous a délivrés des mains de nos ennemis, sans qu’il nous en ait coûté aucune appréhension, aucune crainte ; nous ne sommes pas tombés dans les embûches de nos ennemis, il nous a tout d’un coup arrachés à leur puissance pour nous faire entrer dans l’héritage qu’il nous avait destiné.

 

V. 75. — Dans la sainteté et dans la justice, en sa présence, tous les jours de notre vie.

S. Chrys. (comme précéd.) Zacharie glorifie Dieu en ce qu’il nous a donné de le servir avec une pleine confiance, non pas d’une manière charnelle, comme les Juifs, par le sang des victimes, mais spirituellement par nos bonnes oeuvres, c’est ce que veulent dire ces paroles : « Dans la sainteté et la justice ; » car la sainteté consiste dans l’observation exacte des devoirs envers Dieu, la justice dans l’accomplissement fidèle de nos devoirs envers les hommes. Tel est celui qui observe religieusement les préceptes divins, et qui s’acquitte parfaitement de tout ce qu’il doit aux autres hommes. Il dit : non pas devant les hommes, comme font les hypocrites qui veulent plaire aux hommes, mais « devant Dieu, » comme ceux qui recherchent l’approbation de Dieu et non pas celle des hommes (Rm 2, 29), et cela non pas une seule fois, ou pour un temps, mais chaque jour et toute la vie, comme il ajoute : « Tous les jours de notre vie. » Bède. Car ceux qui avant leur mort abandonnent le service de Dieu, ou qui déshonorent par quelque souillure la pureté de la foi, ou l’innocence de leur conduite ; ou bien ceux qui veulent être justes et saints devant les hommes, plutôt que devant Dieu, ne servent pas Dieu après avoir été pleinement délivrés des mains de leurs ennemis spirituels ; mais à l’exemple des anciens Samaritains, ils veulent servir à la fois le Seigneur et les dieux des Gentils.

 

V. 76. — Et vous, petit enfant, vous serez appelé le prophète du Très-Haut ; car vous marcherez devant la face du Seigneur pour lui préparer ses voies.

S. Ambr. Après cette magnifique prophétie qui a le Sauveur pour objet, Zacharie ramène son discours au prophète du Seigneur, et déclare ainsi que sa naissance est un don de Dieu. En énumérant les bienfaits de Dieu envers tous les hommes, il ne veut point paraître envelopper dans un silence d’ingratitude les grâces qui lui sont particulières, aussi écoutez-le : « Et vous, enfant, vous serez appelé le prophète du Très-Haut, » etc. — Orig. (hom. 40). Zacharie, je le suppose, s’est hâté d’adresser la parole à son enfant, parce qu’il savait qu’il devait bientôt se retirer dans le désert, et qu’il ne jouirait pas longtemps de sa présence. — S. Ambr. Il en est peut-être qui regarderont comme un écart d’esprit contraire à toute raison que Zacharie s’adresse à un enfant de huit jours. Mais si nous nous rappelons ce qui précède, nous comprendrons que celui qui a entendu la voie de Marie avant même d’être né, a pu, aussitôt sa naissance entendre la voix de son père. En vertu de son esprit prophétique, il savait que les prophètes ont d’autres oreilles qui s’ouvrent sous l’impression de l’Esprit saint, et non par le progrès de l’âge ; comment n’aurait-il pas eu le don d’intelligence, lui dont le coeur avait bien pu tressaillir ? — Bède. On peut dire aussi que Zacharie, pour l’instruction de ceux qui étaient présents, aussitôt qu’il put parler publia les fonctions que son fils devait un jour remplir, et que l’ange lui avait révélées. Que les ariens entendent qu’on donne ici le nom de Très-Haut au Christ dont Jean a été le précurseur et le prophète, comme il est écrit dans le livre des Psaumes : « Un homme est né en elle, et le Très-Haut lui-même l’a fondée. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). Ceux qui ont avec les rois des rapports plus étroits deviennent leurs compagnons d’armes, ainsi Jean-Baptiste qui était l’ami de l’époux a précédé de plus près son arrivée, c’est le sens de ces paroles : « Vous marcherez devant la face du Seigneur pour lui préparer les voies. » Les autres prophètes, en effet, ont annoncé longtemps auparavant les mystères de la vie du Christ ; Jean l’a prédit de plus près, puisqu’il a vu le Christ de ses yeux, et tout à la fois l’a montré aux autres. — S. Greg. (Moral., 19, 2.) Tout prédicateur qui purifie des souillures du vice les âmes de ceux qui l’écoutent, prépare les voies à la sagesse qui veut prendre possession du coeur.

 

V. 77.

Théophyl. Zacharie explique comment le Précurseur doit préparer la voie du Seigneur, en ajoutant : « Pour donner à son peuple la science du salut. » Le salut, c’est le Seigneur Jésus, et la science du salut, c’est-à-dire de Jésus-Christ ont été donnés au peuple par Jean-Baptiste qui rendait témoignage à Jésus-Christ (cf. Jn 1, 7.15.16.19.32.34 ; 3, 25 ; 5, 33, etc.).

Bède. Il désire faire connaître le nom de Jésus, et semble répéter à dessein le mot de salut, mais qu’on ne l’entende point d’un salut purement temporel, les paroles qui suivent s’y opposent : « Pour la rémission de leurs péchés. » — Théophyl. Dieu, en effet, n’eût pas été connu, s’il n’eut pardonné les péchés à son peuple, car c’est le propre de Dieu de remettre les péchés. — Bède. Mais les Juifs n’ont pas voulu recevoir le Christ ; ils aiment mieux attendre l’Antéchrist, parce qu’ils veulent être affranchis, non de la tyrannie intérieure du péché, mais du joug extérieur de la servitude temporelle.

 

 V. 78.

Théophyl. Si Dieu nous a remis nos péchés, ce n’est point en considération de nos oeuvres, mais par un effet de sa miséricorde ; aussi Zacharie ajoute-t-il : « Par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu. » — S. Chrys. (hom. 44 sur S. Matth.) Et cette miséricorde, ce n’est pas nous qui l’avons trouvée comme fruit de nos propres recherches, mais c’est Dieu lui-même qui a daigné nous apparaître du haut du ciel : « Par lesquelles (c’est-à-dire par ses entrailles), le soleil se levant du haut des cieux (c’est-à-dire Jésus-Christ), nous a visités (en se revêtant de notre chair). » — Grec. (c’est-à-dire Sévère, Ch. des Pèr. gr.) Il habite le plus haut des cieux, et cependant il se rend présent sur la terre, sans être assujetti à aucune division, à aucune limite ; mystère que nulle intelligence ne peut comprendre, que nulle parole ne peut exprimer.

 

 

V. 79. — Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, et pour conduire nos pieds dans le chemin de la paix.

Bède. Le nom d’Orient convient parfaitement au Christ, parce qu’il nous a ouvert l’entrée de la vraie lumière : « Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, » etc. — S. Chrys. (hom. 44 sur S. Matth.) Les ténèbres dont il parle ici ne sont pas les ténèbres matérielles, mais les erreurs, l’éloignement de la foi (ou l’impiété). — S. Bas. (sur Is 2.) Dans quelles ténèbres était plongé le peuple des gentils, appesanti par le culte des idoles, jusqu’à ce que la lumière soit venu dissiper cette profonde obscurité et répandre partout les splendeurs de la vérité ! — S. Grég. (Moral., 4, 47.) L’ombre de la mort, c’est l’oubli de l’esprit ; la mort fait que ce qu’elle détruit n’est plus dans la vie ; ainsi l’oubli fait que ce qu’il atteint n’est plus dans la mémoire ; voilà pourquoi il dit du peuple juif qui avait oublié Dieu, qu’il était assis dans l’ombre de la mort. L’ombre de la mort, c’est encore la mort du corps, la mort véritable est celle qui sépare l’âme d’avec Dieu ; l’ombre de la mort est celle qui sépare l’âme d’avec le corps ; ce qui fait dire aux martyrs (Ps 43) : « L’ombre de la mort nous a couverts. » L’ombre de la mort peut encore signifier l’imitation du démon qui est appelé mort dans l’Apocalypse (Ap 6). En effet, l’ombre est toujours proportionnée à la forme du corps, ainsi les actions des impies sont une espèce d’imitation du démon. — S. Chrys. L’expression : « ils sont assis, » est des plus justes ; en effet, nous ne marchions pas dans les ténèbres, mais nous étions assis sans aucun espoir de délivrance. — Théophyl. Le Seigneur, en se levant sur notre terre, n’éclaire pas seulement ceux qui sont assis dans les ténèbres, sa mission est plus étendue : « Pour diriger nos pas dans la voie de la paix. » La voix de la paix c’est la voix de la justice, dans laquelle il a dirigé nos pas, c’est-à-dire les affections de nos âmes. — S. Grég. (hom. 32 sur les Evang.) Nous dirigeons nos pas dans la voie de la paix, lorsque dans nos actions nous suivons le chemin qui ne s’écarte jamais de la grâce de notre Créateur. — S. Ambr. Remarquez en même temps que la prophétie d’Elisabeth est courte, tandis que celle de Zacharie est beaucoup plus étendue ; cependant tout deux parlaient sous l’inspiration de l’Esprit saint dont ils étaient remplis, mais nous voyons ici l’observation de cette règle qui veut que la femme s’applique plus à connaître les choses divines qu’à les enseigner aux autres.

 

V. 80.

Bède. Le prédicateur futur de la pénitence pour prêcher un jour avec plus de liberté le détachement des plaisirs séducteurs du monde, passe dans le désert les premières années de sa vie : « L’enfant croissait, » dit le texte sacré. — Théophyl. Il croissait extérieurement en suivant les progrès de l’âge : « Et il se fortifiait. » Les dons spirituels se développaient en même temps que le corps, et les opérations de l’esprit se manifestaient avec plus d’éclat de jour en jour. — Orig. (hom. 2.) Ou bien il croissait en esprit et ne s’arrêtait pas au premier degré de perfection ; l’esprit acquérait toujours en lui une nouvelle force, sa volonté tendant toujours vers un but plus parfait, était dans un progrès continuel, et son âme s’élevait à des contemplations de plus en plus divines. Sa mémoire s’exerçait pour amasser dans ses trésors les plus pures vérités. L’Évangéliste ajoute : « Et il se fortifiait. » La nature humaine est faible, comme nous le lisons dans le saint Évangile (Mt 26) : « La chair est faible, » il faut donc que l’esprit la fortifie, car l’esprit est prompt. Il en est beaucoup qui ont en partage la force du corps ; mais l’athlète de Dieu doit rechercher la force de l’esprit pour détruire la sagesse de la chair. Jean-Baptiste se retira donc dans le désert pour fuir le tumulte des villes et leurs assemblées bruyantes : « Et il était dans les déserts ; » là où l’air est plus pur, le ciel plus ouvert, et Dieu plus familier. Jusqu’au temps où devait commencer son baptême et sa prédication, il s’appliquait à la prière, il conversait avec les anges, il invoquait le Seigneur, et l’entendait lui dire : « Me voici. » (cf. Is 58, 9) — Théophyl. Ou bien il demeurait dans le désert pour y être élevé loin de la malice du monde, et pour qu’un jour il pût le reprendre de ses crimes sans aucune crainte ; car s’il avait vécu au milieu du monde, peut-être l’amitié, la société des hommes l’eussent amolli et dépravé, c’était aussi pour qu’il fût un témoin digne de foi lorsqu’il annoncerait le Christ. Il vivait donc caché dans le désert jusqu’à ce qu’il plût à Dieu de le montrer au peuple d’Israël : « Jusqu’au jour de sa manifestation dans Israël. » — S. Ambr. Il est digne de remarque que l’Évangéliste raconte le temps de la vie du prophète dans le sein de sa mère, pour ne point passer sous silence la présence de Marie, tandis qu’au contraire il ne dit rien de son enfance, parce que la force que la présence de Marie lui a communiquée dès le sein de sa mère, l’a délivré de toutes les faiblesses de l’enfance.

 

CHAPITRE II

VV. 1-5.

Bède. Le Fils de Dieu ayant résolu de paraître au monde dans une chair mortelle, voulut naître d’une vierge et montrer ainsi combien la gloire de la virginité lui était chère ; il voulut aussi naître dans un temps de paix générale, parce qu’il devait enseigner aux hommes à chercher la paix, et qu’il daigne visiter ceux qui aiment la paix. Quelle preuve plus évidente de cette paix universelle que ce dénombrement de tout l’univers sous l’empereur Auguste, qui, vers le temps de la naissance du Sauveur, après avoir terminé les guerres par toute la terre, régna pendant douze ans au milieu d’une paix si profonde, qu’il semble avoir accompli à la lettre la prédiction du prophète Isaïe (Is 2, 4) ? L’Évangéliste commence donc en ces termes : « Or, il arriva en ces jours, qu’il parut un édit, » etc. — Grec. (ou Métaphraste et le moine Alexandre, Ch. des Pèr. gr.) Remarquez encore que Jésus-Christ vient au monde lorsque le sceptre de la souveraineté n’est plus entre les mains des Juifs, mais entre celles des empereurs romains dont ils sont devenus tributaires. Ainsi se trouve accomplie la prophétie qui annonçait que le sceptre ne sortirait point de Juda, ni le prince de sa postérité, jusqu’à ce que vint celui qui devait être envoyé. (Gn 49.) Ce fut la quarante-deuxième année du règne de César-Auguste que parut cet édit qui ordonnait de procéder au recensement de tout l’univers pour établir le paiement des impôts. L’empereur Auguste confia le soin de ce dénombrement à Cyrinus, qu’il avait nommé gouverneur de la Judée et de la Syrie. « Ce premier dénombrement se fit, » etc. — Béde. Ces paroles signifient que ce dénombrement fut le premier de ceux qui s’étendirent à tout l’univers, puisque plusieurs parties du monde avaient déjà été soumises à ce dénombrement ; ou bien que l’opération du recensement commença lorsque Cyrinus fut envoyé en Syrie. S. Amb. L’Évangéliste fait mention du nom du gouverneur, et avec raison, pour bien préciser l’époque dont il parle ; si, en effet, on inscrit en tête des contrats de vente le nom des consuls, n’est-il pas bien plus juste de déterminer d’une manière certaine, par cette inscription, le temps de la rédemption du monde ?

 

Bède. Ce dénombrement, par une disposition divine, ordonnait à chacun de se rendre dans son pays : « Et tous allaient se faire enregistrer dans sa ville. » Dieu le voulut ainsi, afin que la conception et la naissance du Seigneur ayant lieu dans deux endroits différents, il pût échapper plus facilement à la fureur du perfide Hérode : « Alors Joseph partit aussi de Galilée, » etc. — S. Chrys. (pour la nativ. de J.-C.) En publiant cet édit, l’empereur Auguste ne fût que l’instrument de la Providence divine, qui voulait qu’il secondât ainsi la présence de son Fils unique à Bethléem ; car cet édit amenait nécessairement sa mère dans cette ville prédite par les prophètes, c’est-à-dire à Bethléem de Juda : « Joseph vint en Judée, à la ville de David, appelée Bethléem. » — Grec. (ou Irénée, cont. les hér., 3, 2.) L’Évangéliste désigne cette ville sous le nom de ville de David, pour nous apprendre que la promesse que Dieu avait faite à David (que le Roi éternel sortirait de sa race) (cf. 2 R 7, 12 ; Ps 131, 11), se trouvait accomplie ; c’est aussi pour cela qu’il ajoute : « Parce qu’il était de la maison et de la famille de David. » Par là même que Joseph était de la race de David, l’Évangéliste prouvait que la Vierge en descendait également, puisque la loi divine ordonnait que les mariages fussent contractés dans la même famille, il se contente donc d’ajouter : « Avec Marie son épouse, » etc. — Cyril.(Ch. des Pèr. gr. Comme préc.) L’auteur sacré dit : sa fiancée, insinuant que Joseph et Marie n’étaient que fiancés au moment de la conception ; car cette conception s’est faite toute entière en dehors de l’action de l’homme.

S. Grég. (hom. 8 sur les Evang.) Dans le sens mystique, le dénombrement du monde s’opère lorsque le Seigneur est sur le point de naître, parce qu’on allait voir paraître dans une chair mortelle celui qui inscrivait le nom de ses élus sur les livres de l’éternité. — S. Ambr. Il ne s’agit extérieurement que d’un dénombrement profane ; mais nous y voyons s’accomplir le recensement spirituel qui se fait, non pour le roi de la terre, mais pour le roi des cieux. La profession de la foi chrétienne, c’est le recensement des âmes ; l’antique recensement de la synagogue n’existe plus, le nouveau recensement de l’Église chrétienne lui succède. Enfin ce dénombrement doit s’étendre à tout l’univers, n’est-ce pas vous dire que ce n’est pas le dénombrement d’Auguste, mais celui de Jésus-Christ ? car qui pouvait décréter le recensement du monde entier, si ce n’est le Maître souverain de tout l’univers. La terre, en effet, est à Dieu (Ps 23), et non pas à César. — Bède. Il remplit aussi parfaitement la signification du nom d’Auguste, puisqu’il a tout à la fois la volonté et la puissance nécessaires pour augmenter le nombre des siens. — Théophyl. Il convenait que le Christ remplaçât la religion du polythéisme par le culte d’un seul Dieu. — Orig. (hom. 11.) Si nous voulons y faire attention, nous découvrirons la signification mystérieuse de l’inscription du Christ dans le dénombrement de l’univers. Il fut inscrit sur le registre commun à tous, pour les sanctifier tous ; il fut compris dans le dénombrement de tout l’univers, pour entrer ainsi en communion avec tous les hommes. — Bède. De même qu’alors sous l’empire d’Auguste et le gouvernement de Cyrinus, chacun allait dans son pays pour s’y faire enregistrer et y déclarer ses biens ; de même aussi sous l’empire de Jésus-Christ, qui nous gouverne par les docteurs (chefs de son Église), nous devons nous soumettre au recensement qui a pour objet la pratique de la justice. — S. Ambr. C’est donc ici le premier recensement, mais le recensement des âmes. Tous viennent s’y soumettre, parce que nul n’en est excepté. Ils obéissent, non à la proclamation des officiers publics, mais à la prédiction du prophète qui, bien des siècles à l’avance, avait dit (Ps 46) : « Nations, applaudissez toutes des mains, chantez la gloire de Dieu par des cris d’allégresse, parce que le Seigneur est élevé et redoutable, qu’il est le roi suprême sur toute la terre. » Et pour qu’on sache bien que c’est ici le recensement spirituel de la justice, Marie et Joseph, c’est-à-dire un juste et une vierge viennent s’y soumettre, l’un qui devait être le gardien du Verbe, l’autre qui allait l’enfanter. — Bède. Notre ville et notre patrie, c’est le repos bienheureux vers lequel nous devons nous avancer chaque jour par un progrès continuel dans les vertus. Chaque jour la sainte Église, à la suite de ses docteurs, se dégage du cercle toujours agité de la vie mondaine (ce que signifie le mot Galilée), pour venir dans la ville de Juda (c’est-à-dire de la confession et de la louange), et y payer au roi éternel le tribut de sa piété. A l’exemple de la bienheureuse Vierge Marie, elle nous a conçus par l’opération de l’Esprit saint ; épouse d’un autre, elle est fécondée par ce divin Esprit, elle est unie visiblement au souverain pontife, qui est son chef, mais elle est comblée des dons et de la vertu invisible de l’Esprit saint ; son nom même nous indique que le zèle du Maître qui enseigne ne peut rien, si l’assistance du secours divin ne vient ouvrir le coeur de ceux qui sont enseignés.

 

 

VV. 6, 7.

S. Ambr. Saint Luc rapporte en très peu de mots la manière dont le Christ est né, le temps et le lieu de sa naissance selon la chair : « Pendant qu’ils étaient là, il arriva que le temps où elle devait enfanter s’accomplit, » etc. Le mode de sa naissance, c’est qu’une femme qui était mariée l’a conçu, et qu’elle l’a engendré en demeurant vierge. — S. Grég. de Nysse. (Ch. des Pèr. gr.) En effet, en se revêtant de notre humanité, il n’est point soumis en tout aux lois de la nature humaine. Il naît d’une femme, il est vrai, et c’est la part de l’humanité ; mais la virginité qui lui a donné naissance, montre qu’il est supérieur à l’homme. Cette divine Vierge l’a porté sans souffrance, sa conception est sans tache, son enfantement sans difficulté, sa naissance sans souillure, sans déchirement et sans douleurs. Celle qui a déposé dans notre nature le germe de la mort par sa désobéissance, a été condamnée à enfanter dans la douleur ; la mère de celui qui est la vie devait enfanter dans la joie. Il entre dans cette vie mortelle par la pureté incorruptible d’une vierge, à l’époque de l’année où les ténèbres commencent à diminuer, et où la longueur des nuits cède nécessairement devant les flots de lumière que répand l’astre du jour. En effet, la mort du péché avait atteint le terme de sa gravité, dès lors elle allait disparaître devant la clarté de la vraie lumière qui allait répandre sur tout l’univers les rayons éclatants de la prédication évangélique.

Bède. Le Christ a daigné s’incarner encore à cette époque, afin qu’aussitôt sa naissance, il fût compris dans le dénombrement commandé par César Auguste, et soumis lui-même à la servitude pour nous délivrer. Il naît à Bethléem, non seulement pour prouver sa descendance royale, mais à cause de la signification mystérieuse de ce nom. — S. Grég. (hom. 8 sur les Evang.) Car Bethléem veut dire maison du pain ; c’est lui, en effet, qui a dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel. » Le lieu donc où naquit le Sauveur était appelé maison du pain, parce qu’on devait y voir apparaître dans une chair mortelle, celui qui rassasie intérieurement les âmes des élus. — Bède. Jusqu’à la consommation des siècles, le Seigneur ne cesse point d’être conçu à Nazareth, de naître à Bethléem ; en effet, chacun de ses disciples qui reçoit en lui la fleur du Verbe, devient la maison du pain éternel ; chaque jour encore, il est conçu par la foi dans un sein virginal, (c’est-à-dire dans l’âme des croyants), et il est engendré par le baptême.

« Et elle enfanta son premier né. » — S. Jér. (cont. Helv.) Helvidius s’efforce de prouver par ce passage qu’on ne peut donner le nom de premier né qu’à celui qui a des frères ; de même qu’on appelle fils unique celui qui est le seul enfant de ses parents. Pour nous, voici notre explication : Tout fils unique est premier né, mais tout premier né n’est pas fils unique. Nous appelons premier né, non pas celui après lequel naissent d’autres enfants, mais celui qui est né le premier de tous (cf. Nb 18, 15). En effet, si on n’est le premier né, qu’autant qu’on aura des frères après soi, les prêtres n’auront aucun droit sur les premiers nés, avant la naissance d’autres enfants ; car alors au défaut de ces autres enfants, il y aurait un fils unique, il n’y aurait point de premier né. — Bède. Jésus est aussi fils unique dans sa nature divine, premier né dans son union avec l’humanité ; premier né dans la grâce, unique dans sa nature. — S. Jér. (cont. Helv.) Personne ne reçut l’enfant à sa naissance, aucune femme ne donna à Marie les soins ordinaires, elle seule enveloppa son enfant de langes, elle fut à la fois la mère et celle qui reçut l’enfant : « Et elle l’enveloppa de langes. » — Bède. Celui qui revêt la nature de sa parure si variée, est enveloppé dans de pauvres langes, afin que nous puissions recouvrir la robe première de notre innocence ; celui par qui tout a été fait, voit ses mains et ses pieds comme enchaînés, afin que nos mains soient libres pour toute sorte de bonnes oeuvres, et que nos pieds soient dirigés dans la voie de la paix.

 

S. Grec. (ou Métaphraste, Ch. des Pèr. gr.) A quels admirables abaissements se réduit, à quels voyages lointains s’assujettit celui qui contient le monde entier dans son immensité ! Dès son entrée dans le monde, il recherche la pauvreté et la rend honorable dans sa personne. — S. Chrys. (hom. pour la nativ. de J.-C.) Sans doute, s’il eût voulu, il pouvait venir en ébranlant les cieux, en faisant trembler la terre, en lançant la foudre ; il a rejeté tout cet appareil, car il venait, non pour perdre, mais pour sauver l’homme, et, dès sa naissance, fouler aux pieds son orgueil. Il ne lui suffit donc pas de se faire homme, il se fait homme pauvre, et il choisit une mère pauvre, qui n’a point même de berceau pour y déposer son enfant nouveau né : « Et elle le coucha dans une crèche. — Bède. Celui qui a le ciel pour trône, se renferme dans une crèche étroite et dure pour dilater nos coeurs par les joies du royaume des cieux ; celui qui est le pain des anges est déposé dans une crèche, pour nous nourrir comme un troupeau sanctifié du pur froment de sa chair divine. — Cyril. (Ch. des Pèr. gr.) Il a trouvé l’homme devenu charnel et animal jusque dans son âme, et il se place dans la crèche comme nourriture, afin que nous changions cette vie tout animale pour arriver au discernement et à l’intelligence dignes de l’homme, nourris que nous sommes, non de l’herbe des champs, mais du pain céleste, du corps de vie. — Bède. Celui qui est assis à la droite de Dieu le Père, manque de tout dans une pauvre retraite, pour nous préparer plusieurs demeures dans la maison de son Père (Jn 14, 2) : « Car il n’y avait point de place pour eux dans les hôtelleries. » Il naît, non dans la maison de ses parents, mais dans un lieu étranger, et en voyage, parce que dans le mystère de son incarnation, il est devenu la voie qui nous conduit à la patrie (où nous jouirons pleinement de la vérité et de la vie) (Jn 14). — S. Grég. (hom. 8 sur les Evang.) C’est aussi pour nous enseigner qu’en prenant notre humanité, il naissait comme dans un lieu étranger, non à sa puissance, mais à la nature dont il se revêtait.

S. Ambr. C’est pour vous qu’il s’abaisse à cet état d’infirmité, lui qui est en lui-même toute puissance ; pour vous, qu’il se réduit à cette pauvreté, lui qui possède toute richesse. Ne vous arrêtez point à ce que vous voyez, mais considérez que c’est par là que vous êtes racheté. Seigneur Jésus, je dois plus à vos humiliations qui m’ont racheté, qu’aux oeuvres de votre puissance qui m’ont créé. Que m’eût-il servi de naître sans le bienfait inestimable de la rédemption ?

 

Vv. 8-12.

S. Ambr. Voyez comme Dieu prend soin d’établir et de confirmer la foi, c’est un ange qui instruit Marie, un ange qui instruit Joseph, un ange encore qui instruit les bergers dont il est dit : « Il y avait aux environs des bergers qui passaient la nuit, » etc. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) L’ange apparut à Joseph pendant son sommeil, comme à un homme qu’il était facile d’amener à la foi, il apparaît visiblement aux bergers, et plus ignorants, et plus grossiers. Cet ange ne se rend point à Jérusalem, il ne s’adresse pas aux scribes et aux pharisiens, ils étaient trop corrompus et victimes de leur noire envie. Mais ces bergers étaient simples et conservaient les habitudes patriarchales et les traditions de Moise. Or l’innocence est une voie sûre qui conduit à la sagesse. — Bède. (hom.) Dans toute l’histoire de l’Ancien Testament, où les apparitions des anges aux patriarches avaient des caractères si particuliers, nous ne voyons nulle part qu’ils aient apparu environnés de lumière, c’était un privilège réservé au temps où au milieu des ténèbres, la lumière s’est levée pour les coeurs droits : « Et une clarté divine les environna. » — S. Ambr. Jésus sort du sein d’une mère mortelle, mais il brille du plus haut des cieux, il est couché dans un asile terrestre, mais il resplendit d’une lumière céleste.

Grec. (ou Géom., Ch. des Pèr. gr.) Ce miracle les remplit de frayeur : « Et ils furent saisis de crainte, » etc. Mais l’ange dissipe bientôt cette frayeur qui les trouble : « Et il leur dit, » etc. Non content d’apaiser leur crainte, il leur inspire un vif sentiment de joie. Entendez en effet la suite : « Voici que je vous annonce le sujet d’une grande joie, etc., non seulement pour le peuple juif, mais pour tous les hommes. Quelle est la cause de cette joie, c’est cet enfantement nouveau et vraiment admirable d’après les noms que l’ange donne à cet enfant. Il ajoute : « Parce qu’il vous est né aujourd’hui un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Le premier de ces noms (celui de Sauveur), exprime l’action ; le troisième (celui de Seigneur), la majesté. — Cyril. ( Chaîne des Pères grecs.) Le nom qui est au milieu (celui de Christ), désigne l’onction, il n’exprime pas la nature, mais l’union hypostatique des deux natures. Nous croyons que Jésus-Christ notre Sauveur, a reçu une onction solennelle, ce n’est pas cette onction figurative (telle que les rois la recevaient autrefois avec l’huile sainte), et qui était conférée par une grâce prophétique. Ce n’est point non plus cette onction conférée pour l’accomplissement d’un grand dessein, comme nous le voyons dans ce passage d’Isaïe (Is 45) « Voici ce que dit le Seigneur à Cyrus qui est son Christ. » Il l’appelle son Christ, quoiqu’il fût idolâtre, parce qu’il devait exécuter le décret de Dieu en s’emparant de toute la province de Babylone. Mais pour le Sauveur, il a reçu l’onction comme homme et dans la forme de l’esclave qu’il avait prise, et il donne, en tant que Dieu, l’onction de l’Esprit saint à tous ceux qui croient en lui.

 

Greg. (ou Géom.) L’ange leur fait connaître ensuite le moment de cette naissance : « Aujourd’hui ; » le lieu : « Dans la ville de David ; » et les signes pour le reconnaître : « Et voici le signe que je vous donne, » etc. C’est ainsi que les anges annoncent à des pasteurs le prince des pasteurs qui naît et se manifeste comme un agneau dans une étable. — Bède. Tout ce qui a rapport à l’enfance du Sauveur nous est clairement enseigné, et par les déclarations fréquentes des anges, et par les nombreux témoignages des Évangélistes, pour graver plus profondément dans nos coeurs les mystères opérés pour notre salut. Et remarquez le signe auquel ils reconnaîtront le Sauveur qui vient de naître. Ce n’est pas un enfant enveloppé dans une pourpre éclatante, mais dans de misérables langes, il n’est point couché sur des tapis brochés d’or, ils le trouveront dans une crèche. — S. Maxime. (serm. sur la Nativ.) Si ces langes vous semblent misérables, admirez le concert de louanges des esprits célestes. Si la crèche vous inspire du mépris, élevez un peu les yeux, et contemplez cette nouvelle étoile qui annonce au monde la naissance du Seigneur. Vous croyez à ce qui est abaissement dans ce mystère, croyez aussi à tout ce qu’il a de merveilleux ; et si les humiliations qu’il renferme sont pour vous matière à discussion, que le caractère de grandeur et de divinité dont il est empreint, soit l’objet de votre vénération.

S. Grég. (hom. 8 sur les Ev.) Dans le sens mystique, l’apparition de l’ange aux bergers qui veillaient sur leurs troupeaux, et la clarté divine qui les environna nous apprennent que ceux qui gouvernent avec sollicitude les brebis fidèles qui leur sont confiées, sont admis de préférence à tous les autres, à contempler les mystères les plus sublimes ; et tandis qu’ils veillent religieusement sur leur troupeau, la grâce divine répand sur eux des flots de lumière. — Bède. (hom.) Ces pasteurs de troupeaux représentent en effet les docteurs et les directeurs des âmes fidèles ; la nuit pendant laquelle ils veillaient tour à tour sur leur troupeau, figure les dangers des tentations dont ils ne cessent de défendre, s’en préservant eux-mêmes et les âmes qui leur sont soumises. Ce n’est pas d’ailleurs sans dessein que les bergers veillent sur leur troupeau à la naissance du Seigneur qui dit de lui-même (Jn 10) : « Je suis le bon pasteur, » car aussi bien le temps approche où ce même pasteur doit ramener les brebis dispersées dans les pâturages à la vie (cf. Jn 10, 16 ; 11, 52). — Orig. (hom. 12.) S’il faut nous élever à un sens plus mystérieux, je dirai que les anges étaient comme des pasteurs chargés de diriger les choses humaines. Alors que chacun d’eux remplissait cette mission de vigilance, un ange vint annoncer aux pasteurs la naissance du véritable pasteur ; car les anges avant la venue du Sauveur, ne pouvaient être que faiblement utiles à ceux qui étaient commis à leur garde, à peine, en effet, trouvait-on dans chaque nation un homme qui crut en Dieu, tandis qu’aujourd’hui tous les peuples à l’envi embrassent la foi de Jésus.

 

Vv. 13, 14.

Bède. Le témoignage d’un seul ange pouvait paraître insuffisant ; aussitôt donc que cet ange est venu annoncer le mystère de la nouvelle naissance, on voit paraître la multitude des légions célestes : « Au même instant se joignit à l’ange une grande troupe de l’armée céleste. » Le nom de milice céleste que donne l’Évangéliste au choeur des anges est parfaitement choisi, car elle exécute humblement les ordres et seconde dans les combats les efforts du chef puissant qui est venu triompher des puissances de l’air, jeter le trouble et l’épouvante parmi les légions ennemies, et rendre ainsi inutiles leurs pernicieux desseins contre les hommes. Celui qui vient de naître est tout à la fois Dieu et homme, c’est donc à juste titre que les anges annoncent la paix aux hommes, et chantent gloire à Dieu : « Ils louaient Dieu et disaient : Gloire à Dieu au plus haut des cieux. » Un seul ange, un seul envoyé du ciel, vient d’annoncer qu’un Dieu vient de naître dans une chair mortelle, et aussitôt la multitude des légions célestes proclame la gloire du Créateur. Elle témoigne ainsi de son amour pour Jésus-Christ, et nous instruit par son exemple. Toutes les fois, en effet, que l’un de nos frères nous fait entendre la parole de la science sacrée, ou lorsque nous-mêmes nous repassons dans notre âme une pensée pieuse, notre coeur, notre bouche, nos oeuvres doivent aussitôt rendre gloire à Dieu.

 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Autrefois les anges étaient envoyés comme exécuteurs de la justice de Dieu, aux Israélites, à David, aux habitants de Sodome, à la vallée des gémissements ; maintenant au contraire, ils chantent à Dieu un cantique d’actions de grâces, parce qu’il leur a fait connaître sa venue parmi les hommes. — S. Grég. (Moral., 28, 7.) Ils chantent les louanges de Dieu, pour mettre leurs concerts en harmonie avec le bienfait de la rédemption ; heureux ainsi de voir les hommes réconciliés appelés à compléter leur nombre dans les cieux. — Béde. Ils souhaitent la paix aux hommes, en ajoutant : « Et sur la terre paix aux hommes, » etc., parce qu’ils vénèrent des compagnons et des frères dans ceux qu’ils avaient vus en proie à toute sorte d’infirmités et d’humiliations. — Cyril. (Ch. des Pèr. gr.) Cette paix est l’oeuvre de Jésus-Christ, il nous a réconciliés par lui-même à Dieu son Père (2 Cor 5, 18 et 19 ; Ep 2, 16 ; Col 1, 20. 22), en effaçant les fautes qui nous rendaient ses ennemis. Il a pacifié les deux peuples pour n’en faire qu’un seul homme, et a formé un seul troupeau des habitants du ciel et de ceux qui sont sur la terre.

Bède. Mais à quels hommes les anges souhaitent-ils la paix ? Ils l’expliquent eux-mêmes en ajoutant : « De bonne volonté, » c’est-à-dire, à ceux qui recevront le Christ qui vient de naître, car il n’y a point de paix pour les impies (Is 57), elle est le partage de ceux qui aiment le nom de Dieu (Ps 118). — Orig. Le lecteur attentif demandera comment le Sauveur a pu dire (Lc 12) : « Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, » tandis que les anges chantent à sa naissance : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ; » mais la question se trouve résolue par ces paroles mêmes : « Paix aux hommes de bonne volonté, » car la paix dont Dieu n’est pas l’auteur, n’est pas la paix de bonne volonté. — S. Aug. (de la Trin., 13, 1-3.) La justice fait partie de la bonne volonté. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. 9r.) Voyez la marche admirable que Dieu a suivie, il a fait descendre les anges jusqu’à nous, pour faire remonter ensuite l’homme jusqu’au ciel ; le ciel s’est fait terre pour relever les choses de la terre.

 

Orig. (comme précéd.) Dans le sens mystique, les anges reconnaissaient qu’ils ne pouvaient accomplir la mission qui leur avait été confiée sans le secours de celui qui seul avait la puissance de sauver, et que tous leurs remèdes étaient inefficaces pour guérir les hommes. Ainsi, lorsqu’un médecin d’une science supérieure arrive près d’un malade que d’autres n’ont pu guérir, dès que ceux-ci voient la gangrène des plaies les plus profondes disparaître au simple toucher du savant docteur ; loin de lui porter envie, ils célèbrent les louanges du médecin et de Dieu, qui leur a envoyé ainsi qu’aux malades, un homme d’une science si éminente ; c’est ainsi que la multitude des anges loue et remercie Dieu d’avoir envoyé Jésus-Christ sur la terre.

 

Vv. 15-20.

Grec. (Géomét.) L’apparition de l’ange, son récit, jetèrent les bergers dans un grand étonnement ; ils laissèrent donc leurs troupeaux et partirent cette nuit-là même pour Bethléem, à la recherche de cette lumière du Sauveur : « Et ils se disaient l’un à l’autre, » etc. — Bède. C’est le langage d’hommes qui veillent véritablement ; ils ne disent pas : voyons cet enfant, mais voyons le Verbe qui a été fait, c’est-à-dire, voyons comment ce Verbe qui a été de tout temps a été fait chair pour nous, car ce Verbe c’est le Seigneur, comme la suite l’indique : « Que le Seigneur a fait et nous a révélé, » c’est-à-dire, voyons comment le Verbe s’est fait lui-même, et nous a manifesté sa chair. — S. Ambr. Voyez avec quel soin la sainte Écriture pèse le sens de chacune des paroles qu’elle emploie ; en effet, celui qui voit la chair du Seigneur, voit le Verbe qui est le Fils de Dieu. Gardez-vous de faire peu de cas de cet exemple de foi, parce qu’il vous est donné par de pauvres bergers, Dieu recherche la simplicité et rejette les prétentions orgueilleuses : « Et ils se hâtèrent de venir, » etc. Personne né doit chercher Jésus-Christ avec négligence. — Orig. (hom. 13.) Pour récompense de leur pieux empressement, « ils trouvèrent Marie (qui avait enfanté Jésus), Joseph (le protecteur de la naissance du Seigneur), et l’enfant couché dans une crèche, » c’est-à-dire, le Sauveur lui-même. — Bède. Il est dans l’ordre qu’après avoir rendu à l’incarnation du Verbe les honneurs qui lui sont dus, on soit admis à contempler la gloire elle-même du Verbe : « Et l’ayant vu, ils reconnurent la vérité de ce qui leur avait été dit, » etc. — Grec, (c’est-à-dire Photius, Ch. des Pèr. gr.) Ils contemplent avec foi dans le secret de leurs coeurs l’accomplissement de l’heureuse nouvelle qui leur a été annoncée, et non contents de ce sentiment d’admiration, ils racontaient tout ce qu’ils avaient vu et entendu, non seulement à Marie et à Joseph, mais à tous ceux qu’ils rencontraient, et (ce qui est mieux encore) ils le gravaient dans les coeurs : « Et tous ceux qui l’entendirent admirèrent, » etc. Et quel plus juste sujet d’admiration que de voir celui qui habite dans les cieux, s’unissant à la terre pour la réconcilier avec les cieux, et cet ineffable petit enfant, unissant étroitement ensemble les choses célestes par sa divinité, avec les choses terrestres par son humanité, offrant ainsi une admirable alliance entre ces deux natures intimement unies en lui-même. — La Glose. L’objet de cette admiration n’est pas seulement le mystère de l’Incarnation, mais le témoignage si frappant des bergers, incapables d’imaginer ce qu’ils n’auraient pas entendu, et qui publiaient la vérité avec une éloquence pleine de simplicité.

S. Ambr. Gardez-vous de mépriser comme de peu d’importance les paroles des bergers, car Marie recueille ces paroles pour confirmer sa foi : « Or Marie conservait toutes ces choses en elle-même, les repassant dans son coeur. Apprenons quelle était en toutes choses la chasteté de Marie ; non moins pure dans ses paroles que dans son corps, elle repassait dans son coeur les preuves de la foi. — Bède. (hom.) Fidèle observatrice des lois de la pureté virginale, elle ne voulait révéler à personne les mystères du Christ qu’elle connaissait, mais elle rapprochait les prédictions qu’elle avait lues, de leur accomplissement qu’elle avait sous les yeux, et sans en rien publier elle gardait tout renfermé dans son coeur.

 

Grec. (ou Métaphraste, Ch. des Pèr. gr.) Tout ce que l’ange avait dit à Marie, tout ce qu’elle avait appris de Zacharie et d’Elisabeth elle le conservait dans son âme, elle en faisait le rapprochement, et cette Mère de la sagesse en admirait la parfaite harmonie, qui lui faisait reconnaître un Dieu dans celui dont elle était la Mère.

 

S. Athan. (Ch. des Pèr. gr.) La naissance de Jésus-Christ était le sujet d’une joie universelle, non pas d’une joie toute humaine comme celle qu’inspire la naissance d’un enfant ordinaire, mais d’une joie céleste produite par la présence du Christ et par l’éclat de la lumière divine : « Et les bergers s’en retournèrent glorifiant et louant Dieu de tout ce qu’ils avaient entendu. » — Bède. De ce qu’ils avaient entendu des anges, et de ce qu’ils avaient vu à Bethléem, selon ce qui leur avait été dit. Ainsi ils glorifient Dieu de ce qu’ils ont trouvé celui qu’on leur avait annoncé ; ou bien encore ils glorifient, ils louent Dieu, selon ce qui leur avait été dit par les anges qui ne leur en avaient point fait une loi, mais leur offraient un modèle parfait de religion dans l’hymne de gloire qu’ils avaient chanté à Dieu au plus haut des cieux.

Bède.(Hom.) Dans le sens mystique, les pasteurs du troupeau des âmes, disons mieux, tous les fidèles, à l’exemple de ces bergers doivent aller par la pensée jusqu’à Bethléem, et célébrer par de dignes hommages l’incarnation du Christ. Mais commençons par rejeter bien loin toutes les basses concupiscences de la chair avant de nous élever sur l’aile des plus ardents désirs de notre coeur jusqu’à la Bethléem céleste (c’est-à-dire la maison du pain vivant), où nous serons rendus dignes de voir régner sur le trône de Dieu le Père, celui que les bergers ont mérité de voir pleurant et gémissant dans la crèche. Point de négligence, point de langueur dans la recherche d’un si grand bonheur, c’est avec ardeur qu’il faut suivre les pas de Jésus-Christ. Après qu’ils eurent vu, ils connurent, et nous aussi, hâtons-nous de recevoir avec un coeur plein d’amour tout ce qui nous est dit sur le Sauveur du monde, afin que nous puissions arriver à le connaître parfaitement dans les splendeurs de la vision des cieux. — Bède. (sur S. Luc.) Les pasteurs du troupeau du Seigneur vont aussi contempler la vie des Pères qui les ont précédés, et où se conserve le pain de vie, comme s’ils entraient dans la ville de Bethléem ; et ils y trouvent la beauté virginale de l’Église, c’est-à-dire Marie ; la noble cohorte des docteurs spirituels, c’est-à-dire Joseph, et l’humble avènement du Christ inscrit dans les pages de la sainte Écriture, c’est-à-dire, Jésus-Christ enfant couché dans la crèche. — Orig. (hom. 43). Ou bien cette crèche est celle qu’Israël n’a point connu, d’après ces paroles d’Isaïe : « Le bœuf a connu celui à qui il appartient, et l’âne l’étable de son maître ; — Bède. (in hom.) Les bergers n’ont point enseveli dans le silence les mystères qui leur avaient été manifestés, parce que les pasteurs de l’Église sont établis pour enseigner aux fidèles les vérités qu’ils ont puisées dans les saintes Écritures. — Bède. (sur S. Luc.) Ajoutons encore que les pasteurs du troupeau des âmes, tandis que tous les autres se livrent au sommeil, tantôt s’adonnent à la contemplation des choses célestes, tantôt parcourent la vie des saints pour recueillir leurs exemples, et reprennent ensuite par l’enseignement l’exercice du ministère pastoral. — Bède. (hom.) Chaque fidèle, même celui qui semble renfermé dans la vie privée, remplit l’office de pasteur, s’il prend soin de recueillir une multitude de bonnes oeuvres et de chastes pensées, de la gouverner dans une sage mesure, de la nourrir des pâturages de la sainte Écriture, et de la préserver des embûches du démon.

 

v. 21.

Bède. (hom. sur la circoncis.) Après le récit de la naissance du Sauveur, vient celui de la circoncision : « Lorsque les huit jours furent accomplis pour circoncire l’enfant. » — S. Amb. Quel est cet enfant ? celui dont il a été dit (Is 9) : « Un enfant nous est né ; un fils nous a été donné ; » car il s’est assujetti à la loi pour racheter ceux qui étaient sous la loi. — S. Epiph. (Ch. des Pèr. gr.). Les sectateurs d’Ebion et de Cérinthe nous disent : Il suffit au disciple d’être comme Son maître ; le Christ a été circoncis, vous devez donc, vous aussi, vous soumettre à la circoncision. Ces hérétiques sont dans l’erreur et détruisent leurs propres principes. En effet, si Ebion admettait que c’est le Christ Dieu descendu des cieux qui a été circoncis le huitième jour, il fournirait une preuve en faveur de la circoncision ; mais il affirme que le Christ n’est qu’un homme. Or, cet enfant ne peut être la cause déterminante de sa circoncision, pas plus que les enfants ne sont les auteurs de leur propre circoncision. Pour nous, nous professons que le Christ est le Dieu descendu du ciel, qu’il a séjourné dans le sein d’une vierge le temps voulu par les lois de la nature, jusqu’au moment où la chair de son humanité a été entièrement formée de ce sein virginal ; c’est dans cette chair qu’il a été circoncis le huitième jour en réalité, et non en apparence. Or, puisque les figures sont parvenues à leur accomplissement spirituel, ni lui, ni ses disciples ne doivent chercher à propager ces figures, mais la vérité seule. — Orig. (hom. 14.) Car de même que nous sommes morts avec Jésus-Christ dans sa mort, et que nous sommes ressuscités dans sa résurrection ; nous avons été circoncis avec lui, et nous n’avons plus besoin de la circoncision charnelle.

 

S. Epiph. Le Christ s’est soumis à la circoncision pour plusieurs raisons ; premièrement, il a voulu prouver ainsi la vérité de sa chair contre les Manichéens et ceux qui prétendent qu’il n’est venu sur la terre qu’en apparence ; secondement, il a fait voir par là que son corps n’était pas consubstantiel à la divinité, comme le soutient Apollinaire, et qu’il ne l’avait point apporté du ciel comme l’affirme Valentin ; troisièmement, il a voulu confirmer, par son exemple, la loi de la circoncision qu’il avait autrefois instituée comme préparation à sa venue ; quatrièmement enfin, il a voulu ôter ainsi aux Juifs toute excuse, car s’il n’avait pas reçu la circoncision, ils auraient pu objecter qu’ils ne pouvaient recevoir un Christ incirconcis. — Bède. (hom. comme précéd.) Il voulait encore nous recommander fortement, par son exemple, la vertu d’obéissance, et aussi aider, en compatissant à leurs maux, ceux qui succombaient sous le joug pesant de la loi. Il fallait que celui qui venait, revêtu de la chair du péché, se soumit au remède institué pour purifier la chair ; car sous la loi, la circoncision avait comme remède salutaire contre la plaie du péché originel la même efficacité que le baptême sous le régime de la grâce. Disons cependant qu’on ne pouvait encore entrer dans le royaume céleste, on était admis après la mort dans le sein d’Abraham, pour y jouir d’un doux repos, et y attendre, dans une bienheureuse espérance, l’entrée du séjour de la paix éternelle. — S. Athan. La circoncision qui avait lieu sur cette partie du corps, qui est la cause de la naissance corporelle, ne signifiait autre chose que le dépouillement de la génération charnelle. On la pratiquait alors comme signe du baptême que le Christ devait instituer. Aujourd’hui donc que nous possédons l’objet figuré, la figure a cessé d’exister ; puisque la chair du vieil homme se trouve détruite tout entière par le baptême, l’incision figurative d’une partie de la chair est maintenant superflue.

 

S. Cyril. (Ch. des Pèr. gr.) C’était la coutume chez les Juifs de célébrer la circoncision de la chair le huitième jour, car c’est le huitième jour que le Christ est ressuscité, et qu’il nous a donné l’idée de la circoncision spirituelle par ces paroles « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant, » etc. — Bède. La résurrection de Jésus-Christ est la figure de notre double résurrection, de celle du corps et de celle de l’âme. En effet, par sa circoncision, il nous enseigne que c’est par lui que notre nature peut dans cette vie être purifiée de la souillure des vices, et qu’au dernier jour elle doit être délivrée de la corruption du tombeau. De même que le Seigneur est ressuscité le huitième jour, c’est-à-dire après le septième jour du sabbat, nous aussi, après les six âges du monde, après le septième âge du repos des âmes qui, en attendant, s’écoule dans l’autre vie, nous ressusciterons comme au huitième âge. — S. Cyril. Pour obéir encore aux prescriptions de la loi, le Seigneur reçut le même jour le nom qui lui était destiné : « On lui donna le nom de Jésus. » Ce nom signifie Sauveur, car il est né pour le salut du monde entier, salut dont sa circoncision était la figure selon ce que l’Apôtre dit aux Colossiens (Col 2) : « Vous avez été circoncis d’une circoncision qui n’est pas faite de main d’homme, mais qui consiste dans le dépouillement du corps charnel. — Bède. C’est le jour même de sa circoncision que son nom lui a été donné, conformément à la coutume ancienne. En effet, Abraham, qui reçut le sacrement figuratif de la circoncision, mérita ce jour-là même de voir son nom augmenté par une bénédiction spéciale. Orig. (hom. 44.) Le nom glorieux de Jésus, digne de tous les honneurs, ce nom qui est au-dessus de tous les noms, ne devait être ni donné ni choisi par les hommes, aussi l’Évangéliste ajoute-t-il d’une manière significative : « Nom que l’ange lui avait donné, » etc. — Bède. Les élus eux-mêmes se réjouissent d’être rendus participant de la gloire de ce nom dans leur circoncision ; car de même que les chrétiens tirent leur nom du nom de Christ, ainsi ils sont appelés sauvés du nom de Sauveur, et ce nom, Dieu leur a donné non seulement avant qu’ils fussent conçus par la foi dans le sein de l’Église, mais avant tous les siècles.

 

Vv. 22—24.

S. Cyr. (comme précéd.) Après la cérémonie de la circoncision venait celle de la purification dont l’Évangéliste dit : « Lorsque le temps de la purification de Marie fut accompli, selon la loi, » etc. — Bède. Si vous examinez avec attention le texte de cette loi, vous conclurez certainement que la Mère de Dieu était affranchie de cette prescription légale, comme elle l’avait été de toute union charnelle. Car ce n’est point toute femme qui enfante qui est déclarée immonde, mais celle qui enfante par les voies ordinaires, pour distinguer de toutes les autres femmes celle qui conçut et enfanta sans cesser d’être vierge. Cependant Marie, à l’exemple de Jésus-Christ son fils, se soumet d’elle-même à cette loi, pour nous délivrer du joug de la loi. — Tite. Aussi l’Évangéliste se sert-il de cette expression pleine de justesse « Lorsque les jours de sa purification furent accomplis selon la loi. » Et en réalité la Vierge sainte n’avait nul besoin d’attendre le jour de sa purification, elle qui, ayant conçu de l’Esprit saint, n’avait contracté aucune souillure.

« Ils le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur. » — S. Athan. (Ch. Des Pèr. gr.) Mais quand donc le Seigneur cessa-t-il un seul instant d’être en la présence de son Père, de manière à échapper à ses regards ? et quel est l’endroit de la terre qui ne soit pas soumis à son empire, et où le Fils soit séparé de son Père, à moins qu’on ne l’apporte à Jérusalem et qu’on le présente au temple ? N’oublions pas que toutes ces circonstances sont écrites à cause de nous ; car de même que ce n’est point pour lui que le Sauveur s’est fait homme, et qu’il a été circoncis, mais pour faire de nous comme autant de dieux par sa grâce, et nous donner l’exemple de la circoncision spirituelle ; de même, il se présente à son Père, pour nous apprendre à nous offrir tout entiers au Seigneur. — Bède. C’est le trente-troisième jour après la circoncision qu’il est présenté au temple, pour nous apprendre dans un sens mystique, que pour être digne des regards du Seigneur, il faut avoir retranché tous les vices par la circoncision spirituelle, et qu’à moins d’être affranchi de tous les biens de la mortalité, on ne peut entrer pleinement dans les joies de la cité céleste.

 

« Comme il est écrit dans la loi du Seigneur. » Orig. (hom. 14.) Où sont ceux qui nient que Jésus-Christ ait prêché dans l’Évangile le Dieu de la loi ? Admettra-t-on que le Dieu bon ait assujetti son Fils à la loi de son ennemi, que lui-même n’avait point donnée ? En effet, il est écrit dans la loi de Moïse : « Tout mâle ouvrant le sein de sa mère sera appelé la chose sainte du Seigneur. » — Ces paroles : « Ouvrant le sein de sa mère, » s’appliquent également au premier né de l’homme et des animaux, l’un et l’autre, selon la loi, devaient être offerts au Seigneur, et appartenir au prêtre, avec cette différence que pour le premier né de l’homme, il devait en recevoir le prix, et qu’il faisait racheter le premier né de tout animal immonde. — S. Grég. de Nysse. Cette prescription de la loi parait s’accomplir dans le Dieu incarné d’une manière toute particulière et toute exceptionnelle. Il est le seul, en effet, dont la conception ineffable et la naissance incompréhensible n’ait point ouvert le sein virginal que le mariage avait respecté, et qui a conservé miraculeusement après ce divin enfantement le sceau de la chasteté. — S. Amb. Car ce n’est point l’union conjugale qui a ouvert le chaste sein de la Vierge, mais l’Esprit saint qui a déposé dans ce sanctuaire inviolable le principe d’une naissance immaculée. Celui qui avait sanctifié le sein d’une autre femme pour la rendre mère d’un prophète, ouvrit lui-même le sein de sa mère pour en sortir sain et sans aucune souillure. — Bède. L’Évangéliste, en disant : « Tout mâle qui ouvre le sein de sa mère, » ne fait que s’accommoder au langage en usage pour les naissances ordinaires ; car loin de nous la pensée que le Seigneur ait fait perdre par sa naissance la virginité au chaste sein qu’il avait sanctifié en y venant faire sa demeure. — S. Grég. de Nysse. (comme précéd.) C’est ici le seul enfant mâle qui, dans sa naissance, n’a rien contracté de la faute de la première femme. Aussi est-il appelé saint dans la force du terme, et l’ange Gabriel déclare pour ainsi dire que cette dénomination consacrée par la loi n’appartient qu’à lui seul, lorsqu’il dit : « Le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu. » Pour les autres premiers nés, ils sont appelés saints, dans le style des Écritures, parce qu’ils tiennent ce nom de leur consécration à Dieu ; mais quant au premier né de toute créature, l’ange proclame qu’il naît saint d’une sainteté qui lui appartient en propre. — S. Amb. Mais entre tous les enfants nés de la femme, Notre-Seigneur Jésus-Christ est le seul que le miracle inouï jusqu’alors de sa naissance immaculée ait préservé de la contagion de la corruption terrestre, qu’il a écarté par sa puissance toute divine. Si nous prenions les choses au pied de la lettre, comment pourrait-on dire que tout enfant mâle est saint, alors que nous savons qu’un grand nombre d’entre eux ont été les plus scélérats des hommes ? Mais celui-là seul est véritablement saint, que les préceptes de la loi divine annonçaient d’avance en figure du mystère qui devait s’accomplir, parce que seul il devait ouvrir le sein mystérieux de la sainte Église vierge, pour engendrer tous les peuples à Dieu.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr., hom. 17.) O profondeur des conseils de la sagesse et de la science de Dieu ! celui qui est honoré avec son Père dans tous les sacrifices, lui offre lui-même des victimes ; la vérité observe les cérémonies figuratives de la loi, celui qui comme Dieu est l’auteur de la loi, se soumet comme homme aux prescriptions de la loi : « Et pour offrir en sacrifice, ainsi que le prescrit la loi du Seigneur, deux tourterelles ou deux petits de colombes » (Lv 16). — Bède. (hom. sur la Purific.) C’était l’offrande des pauvres ; en effet, d’après la loi, ceux qui en avaient le moyen devaient offrir pour un enfant mâle ou pour une fille, un agneau, et en même temps une tourterelle ou une colombe : s’ils étaient pauvres et n’avaient pas le moyen d’offrir un agneau, ils offraient à la place deux tourterelles ou deux petits de colombe. Ainsi le Seigneur, de riche qu’il était, a daigné se faire pauvre, afin de nous faire entrer par sa pauvreté en participation de ses richesses.

S. Cyr. (comme précéd.) Examinons quelle est la signification mystérieuse de ces offrandes. La tourterelle est de tous les oiseaux celle dont le chant est le plus fréquent et le plus continu ; et la colombe est un animal plein de douceur. Or, c’est sous ces deux qualités que notre Sauveur s’est présenté à nous, toute sa vie a été le modèle de la plus parfaite douceur, et comme la tourterelle il a attiré à lui tout l’univers, en remplissant son jardin de ses célestes mélodies (cf. Ct 2, 1). On immolait donc une tourterelle ou une colombe en figure de celui qui devait être immolé pour la vie du monde. — Bède. (comme précéd.) Ou bien la colombe est le symbole de la simplicité, et la tourterelle l’emblème de la chasteté, parce que la colombe aime par instinct la simplicité, et la tourterelle la chasteté. En effet, si la tourterelle vient à perdre sa compagne, elle n’en cherche pas une autre. C’est donc pour une raison mystérieuse qu’on offrait à Dieu une tourterelle et une colombe pour être immolés, parce que la vie simple et chaste des fidèles est aux yeux de Dieu un sacrifice agréable de justice. — S. Athan. (ch. des Pèr. gr.) La loi ordonnait d’offrir deux de ces oiseaux, parce que l’homme étant composé d’un corps et d’une âme, Dieu demande de nous deux choses, la chasteté et la douceur, non seulement du corps, mais aussi de l’âme ; autrement l’homme ne serait à ses yeux qu’un hypocrite cherchant à dissimuler la malice secrète de son coeur, sous les dehors d’une innocente trompeuse. — Bède. (comme précéd.) Ces deux oiseaux, par l’habitude qu’ils ont de gémir, sont l’emblème des pieux gémissements des saints pendant la vie présente ; ils diffèrent cependant en ce que la tourterelle recherche la solitude, tandis que la colombe aime à voler par compagnies. Aussi l’une représente plus particulièrement les larmes secrètes de l’oraison, et l’autre les assemblées publiques de l’Église. — Bède (sur S. Luc.) Ou bien encore la colombe qui aime à voler par troupes, signifie le grand nombre de ceux qui mènent la vie active ; la tourterelle qui recherche la solitude représente les âmes qui gravissent les hauteurs de la vie contemplative. Ces deux offrandes sont également agréables à Dieu, aussi est-ce avec dessein que saint Luc ne précise pas si on a offert au Seigneur des tourterelles ou des petits de colombes, pour ne point paraître donner la préférence à l’un de ces deux genres de vie, mais nous enseigner que nous devions suivre l’un et l’autre.

 

 

Vv. 25-28.

S. Ambr. Ce ne sont pas seulement les anges et les prophètes, les bergers et les parents eux-mêmes de Jésus, mais les vieillards et les justes qui viennent rendre témoignage à sa naissance : « Or il y avait à Jérusalem un homme appelé Siméon, il était juste et craignant Dieu. » — Bède. L’Évangéliste nous dit qu’il était juste et craignant Dieu, parce qu’il est difficile de conserver la justice sans la crainte, non pas cette crainte qui redoute de se voir enlever les biens de la terre (et que la charité parfaite chasse dehors), mais cette chaste crainte de Dieu qui demeure éternellement, et qui porte le juste à fuir toute offense de Dieu, d’autant plus soigneusement qu’il a pour lui un amour plus ardent. — S. Ambr. Oui il était véritablement juste, lui qui cherchait, non pas sa consolation, mais celle de son peuple : « Et il attendait la consolation d’Israël. » — S. Grég. de Nysse (comme précéd.) Ce n’est point la félicité de ce monde que le sage Siméon attendait pour la consolation d’Israël, mais le vrai passage pour son peuple aux splendeurs de la vérité qui devaient l’arracher aux ombres de la loi, car il lui avait été révélé qu’il verrait le Christ du Seigneur avant de quitter la terre : « Et l’Esprit saint était en lui (comme principe de sa justice), et il lui avait été révélé, » etc. — S. Ambr. IL désirait sans doute voir se briser les liens qui l’attachaient à ce corps fragile et périssable, mais il attendait de voir celui qui était promis, car il savait qu’heureux seraient les yeux qui mériteraient de le voir. — S. Grég. (Moral., 7, 4.) Nous pouvons juger de là combien vifs et ardents étaient les désirs des saints du peuple d’Israël, pour voir le mystère de l’incarnation du Sauveur. — Bède. Voir la mort, c’est en subir les atteintes, mais heureux mille fois celui qui, avant de voir la dissolution de son corps par la mort, se sera efforcé de voir auparavant des yeux du coeur, le Christ du Seigneur, en transportant par avance sa vie dans la céleste Jérusalem, en fréquentant la maison de Dieu, c’est-à-dire, en suivant les exemples des saints, dans lesquels Dieu a fixé sa demeure. Or, c’est la même grâce de l’Esprit saint, qui lui avait annoncé par avance l’avènement du Sauveur, qui lui fait connaître le moment de sa venue : « Et il vint au temple conduit par l’Esprit. »

 

Orig. (hom. 14.) Et vous aussi, si vous voulez tenir Jésus et le serrer entre vos bras, faites tous vos efforts pour que l’Esprit saint lui-même vous serve de guide au temple de Dieu : « Et comme la parenté de l’enfant Jésus (Marie sa mère, et Joseph qui passait pour son père), l’y apportaient, afin d’accomplir pour lui ce qu’ordonnait la loi, il le prit dans ses bras. » — S. Grég. de Nysse. Quelle est heureuse l’entrée de ce saint vieillard dans le temple, puisqu’elle l’approche du terme désiré de sa vie ! Heureuses ses mains qui ont mérité de toucher le Verbe de vie ; heureux ses bras qu’il ouvrit pour recevoir l’enfant divin. — Bède. Cet homme qui était juste selon la loi, prit l’enfant Jésus dans ses bras, pour signifier que la justice des oeuvres légales figurées par les mains et par les bras, devait faire place à la grâce humble mais efficace et salutaire de la foi évangélique. Ce saint vieillard prit dans ses bras Jésus enfant, pour annoncer que ce siècle accablé, décrépit de vieillesse, allait revenir à l’enfance et à l’innocence de la vie chrétienne.

 

 

Vv. 29-32.

Orig. (hom. 15.) S’il suffit à une femme malade de toucher simplement le bord du vêtement de Jésus pour être guérie, que devons-nous penser de Siméon, qui tint ce divin enfant dans ses bras ? Quelle dut être sa joie de porter dans ses bras celui qui était venu pour briser les chaînes des captifs, et qui seul, il le savait, pouvait le tirer de la prison de son corps avec l’espérance de la vie future ? « Et il bénit Dieu en disant : C’est maintenant, Seigneur, que vous laisserez aller en paix votre serviteur. » — Théophyl. En disant : Seigneur, il reconnaît qu’il est le maître de la mort et de la vie, et il proclame la divinité de l’enfant qu’il reçoit dans ses bras. — Orig. Il semble dire : Tant que je ne tenais pas le Christ dans mes bras, j’étais captif et je ne pouvais briser mes liens. — S. Bas. (hom. sur l’act. de gr.) Si vous examinez les paroles des justes, vous trouverez que tous gémissent sur les misères de ce monde, et sur la triste prolongation de cette vie : « Malheur à moi, dit David, parce que mon exil s’est prolongé. » (Ps 119.) — S. Ambr. Considérez ce juste qui désire voir tomber les murs épais de la prison de son corps pour commencer à être avec Jésus-Christ. Mais que celui qui veut sincèrement sa délivrance, vienne dans le temple, qu’il se rende à Jérusalem, qu’il attende la venue du Christ du Seigneur, qu’il reçoive dans ses mains le Verbe de Dieu, et qu’il le tienne embrassé pour ainsi dire dans les bras de sa foi ; alors les liens se briseront, et il ne verra point la mort, parce qu’il aura vu de ses yeux celui qui est la vie.

 

Ch. des Pèr. Gr. Siméon bénit Dieu de ce que surtout les promesses qui lui avaient été faites, avaient reçu leur plein accomplissement, car il mérita de voir de ses yeux et de porter dans ses bras celui qui était la consolation d’Israël, c’est pour cela qu’il dit : « Selon votre parole, » c’est-à-dire, lorsque j’aurai vu l’accomplissement de ce qui m’a été promis. Mais maintenant que j’ai contemplé la présence visible de celui qui était l’objet de mes désirs, vous pouvez délivrer votre serviteur qui ne sera ni effrayé des approches de la mort, ni troublé par aucune pensée de défiance ou d’incertitude ; aussi ajoute-t-il : « En paix. » — S. Grég. de Nysse. Dès que Jésus-Christ a détruit le péché qui nous rendait les ennemis de Dieu et qu’il nous a réconciliés avec son Père, les saints quittent cette vie dans une profonde paix. — Orig. Quel est celui, en effet, qui sort de ce monde en paix, si ce n’est celui qui a compris que Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde (2 Co 5), qui n’a rien en lui de contraire à Dieu, mais qui, par ses bonnes oeuvres, a établi dans son âme une paix parfaite ? — Ch. des Pèr. gr. Il lui avait été promis qu’il ne mourrait point avant d’avoir vu le Christ du Seigneur, et il montre l’accomplissement de cette promesse dans les paroles suivantes : « Parce que mes yeux ont vu le Sauveur que vous nous donnez. » — S. Grég. de Nysse. Bienheureux les yeux et de votre âme et de votre corps, ceux-ci, parce qu’ils ont joui de la présence visible de Dieu ; ceux-là, parce que sans s’arrêter à ce spectacle visible, ils ont été éclairés des splendeurs de l’Esprit et ont reconnu le Verbe de Dieu dans une chair mortelle, car ce Sauveur que vos yeux ont vu, c’est Jésus lui-même, dont le nom seul annonce le salut à la terre. — S. Cyr. Or l’avènement du Christ était ce mystère qui a été révélé dans les derniers temps, mais qui avait été préparé dès l’origine du monde, c’est pour cela que Siméon ajoute : « Que vous avez préparé devant la face de tous les peuples, » etc. — S. Athan. Il veut parler ici du salut que Jésus-Christ est venu apporter à l’univers entier. Comment donc est-il dit plus haut que Siméon attendait la consolation d’Israël ? C’est que l’Esprit saint lui avait fait connaître, que le peuple d’Israël recevrait sa consolation, lorsque le salut serait révélé à tous les peuples de la terre. — Ch. des Pèr. gr. Considérez la pénétration de ce saint et auguste vieillard : avant qu’il fût honoré de cette bienheureuse vision, il attendait la consolation d’Israël, mais aussitôt qu’il a contemplé l’objet de ses espérances, il s’écrie qu’il a vu le salut de tous les peuples, car les splendeurs qui environnent ce divin enfant l’inondent d’une si vive lumière, que les événements qui doivent arriver dans la suite des temps lui sont pleinement révélés. — Théophyl. C’est d’une manière significative que Siméon dit : « Devant la face de tous les peuples, » car l’incarnation du Sauveur devait apparaître à tous les hommes. Il ajoute que ce salut sera la lumière des nations et la gloire d’Israël : « Pour être la lumière qui éclairera les nations. » — S. Athan. En effet, avant l’avènement de Jésus-Christ, les nations étaient plongées dans les plus profondes ténèbres, privées qu’elles étaient de la connaissance du vrai Dieu. — S. Cyr. Mais Jésus-Christ, par son incarnation, est devenu la lumière de ceux qui étaient ensevelis dans les ténèbres de l’ignorance et de l’erreur, et sur lesquels la main du démon s’était appesantie ; et ils ont été appelés par Dieu le Père à la connaissance de son Fils, qui est la vraie lumière. — S. Athan. Le peuple d’Israël était éclairé, quoique faiblement, par la loi, aussi le vieillard Siméon ne dit pas que le Sauveur est venu leur apporter la lumière, mais il ajoute : « Pour être la gloire d’Israël, votre peuple. » Il rappelle le souvenir de l’histoire des anciens temps, alors que Moise sortait de ses entretiens avec Dieu, la figure toute rayonnante de gloire ; ainsi après avoir eux-mêmes contemplé la divine lumière que répand l’humanité du Verbe, ils devaient rejeter le voile ancien pour être transformés en la même image de clarté en clarté, et de gloire en gloire. — S. Cyr. Car bien qu’un certain nombre d’entre eux se soient montrés rebelles, cependant ceux que Dieu s’est réservés ont été sauvés, et sont parvenus à la gloire par Jésus-Christ notre Seigneur. Les saints Apôtres qui ont éclairé tout l’univers de la lumière de leur céleste doctrine, ont été les prémices de ce peuple. Jésus-Christ lui-même a été personnellement la gloire du peuple d’Israël, parce qu’il a daigné sortir de ce peuple selon la chair, lui qui comme Dieu est le maître de tous les hommes et béni dans tous les siècles. — S. Grég. de Nysse. Siméon dit avec dessein : « De votre peuple, » parce que non seulement il en a été adoré, mais il a voulu naître de ce peuple selon la chair. — Béde. Il dit qu’il sera la lumière des nations, avant d’ajouter : « Et la gloire d’Israël, » parce que tout Israël ne sera sauvé que lorsque la multitude des nations sera entrée dans l’Église (Rm 11).

 

Vv. 33-35.

Ch. des Pèr. gr. Chaque fois que la connaissance des choses surnaturelles revient à la mémoire, chaque fois aussi elles produisent dans l’âme un nouveau sentiment d’admiration et d’étonnement : « Et le père et la mère de Jésus étaient dans l’admiration des choses que l’on disait de lui. » — Orig. (hom. 19.) Des choses qui avaient été annoncées par l’ange et publiées par la multitude de l’armée céleste, aussi bien que par les bergers et par Siméon lui-même. — Bède. Joseph est appelé le père du Sauveur, non qu’il soit véritablement son père (comme les photiniens l’ont osé blasphémer), mais parce que Dieu voulait qu’il passât aux yeux de tous pour son père, afin de sauvegarder la réputation de Marie. — S. Aug. Il peut être appelé d’ailleurs le père de Jésus dans le même sens qu’il est appelé l’époux de Marie, sans avoir avec elle aucun rapport charnel, et par le seul fait de l’union conjugale ; et à ce titre il est son père d’une manière plus étroite que s’il l’avait adopté pour son enfant. Car pourquoi refuser à Joseph le nom de père de Jésus-Christ, parce qu’il ne l’avait ras. engendré, alors qu’il pourrait être appelé très-bien le père d’un enfant qu’il aurait adopté, sans même que son épouse en fût la mère ? — Orig. Si l’on désire une raison plus élevée, voici ce que l’on peut répondre : La suite de la généalogie descend de David à Joseph ; or, on ne verrait pas trop pourquoi le nom de Joseph s’y trouve, puisqu’il n’est pas le père du Sauveur ; il est donc appelé le père du Seigneur, pour ne point déranger l’ordre de la généalogie.

Ch. des Pèr. gr. Après avoir offert à Dieu un juste tribut de louanges, Siméon bénit à leur tour ceux qui ont apporté l’enfant au temple : « Et Siméon les bénit. » Cette bénédiction s’adresse à tous les deux, mais il réserve pour la mère de Jésus la prédiction des secrets divins. La bénédiction commune à Joseph et à Marie, respecte les droits que lui donne son titre de père ; mais la prédiction que Siméon fait à Marie sente proclame hautement qu’elle est la véritable mère de Jésus : « Et il dit à Marie, sa mère, » etc. — S. Amb. La grâce de Dieu se répand sur tous avec abondance par la naissance du Sauveur, et si le don de prophétie est refusé aux incrédules, il est accordé aux justes ; Siméon prophétise que Jésus est venu pour la ruine et la résurrection de plusieurs. — Orig. (hom. 17.) D’après l’explication la plus simple, on peut dire que Jésus-Christ est venu pour la ruine des infidèles et pour le salut de ceux qui croient. — S. Chrys. (ch. des Pèr. gr.) La lumière, bien qu’elle fatigue et trouble les yeux débiles, mie laisse pas d’être toujours la lumière ; ainsi le Sauveur ne cesse point d’être Sauveur, quoiqu’un grand nombre d’hommes se perdent. Leur ruine, en effet, n’est point son œuvre, elle est l’oeuvre de leur folie. Aussi sa puissance éclate à la fois dans le salut des bons, et dans la ruine des méchants ; car plus le soleil est brillant, plus il éblouit et trouble les yeux affaiblis.

S. Grég. de Nysse. (Ch. des Pèr. gr.) Considérez attentivement avec quel heureux choix d’expressions il fait ressortir cette distinction ; la révélation du salut doit se faire devant tout le peuple, mais la ruine et le salut ne sont le partage que d’un grand nombre. Dieu, en effet, se propose le salut de tous les hommes, et leur élévation à une gloire toute divine, mais le salut et la perte dépendent de la volonté d’un grand nombre, de ceux qui embrassent la foi, et de ceux qui la rejettent. Or, il n’y a rien d’absurde à croire que ceux qui sont abattus, et que les incrédules soient relevés. — Orig. Un interprète trop subtil objectera peut-être que nul ne peut tomber s’il n’était préalablement debout ; qu’il me dise donc quel est celui que le Sauveur a trouvé debout, et pour la ruine duquel il serait venu. — S. Grég. de Nysse. Le saint vieillard Siméon veut donc ici parler d’une ruine entière et profonde, c’est-à-dire que le châtiment des coupables ne devait pas être, après l’accomplissement du mystère de l’incarnation et la prédication de l’Évangile, le même qu’il était avant la venue du Sauveur. Et il a surtout en vue les enfants d’Israël qui devaient perdre tous les biens dont ils jouissaient, et encourir des châtiments plus terribles que toutes les autres nations, parce qu’ils ont refusé de recevoir celui que leurs prophètes avaient annoncé, celui qui a été adoré parmi eux, celui qui est né du milieu d’eux. Ils sont donc particulièrement menacés de ruine, non seulement parce qu’ils n’ont rien à espérer pour le salut de leurs âmes, mais parce qu’ils verront l’entière destruction de leur ville et de ses habitants. Au contraire, la résurrection est promise à tous ceux qui croient, tant à ceux qui sont comme abattus sous le joug de la loi et qui seront relevés de cette servitude, qu’à ceux qui sont ensevelis avec Jésus-Christ, et qui ressusciteront avec lui. — Idem. (serm. sur la renc. du Seig.) De l’admirable concordance de ces paroles avec les oracles prophétiques, apprenez que c’est un seul et même Dieu, un seul et même législateur qui a parlé dans les prophètes et dans le Nouveau Testament. En effet, les prophètes ont annoncé que le Christ serait une pierre de chute, une pierre de scandale (Ps 117, 22 ; Mt 21, 42 ; Is 8, 14 ; Rm 9, 33), afin que ceux qui croient en lui ne soient pas confondus. Il est donc une cause de ruine pour ceux qui sont scandalisés de l’humilité de sa chair, et un principe de résurrection pour ceux qui ont reconnu la certitude de l’accomplissement des conseils divins.

Orig. Il y a encore ici une leçon plus élevée à l’adresse de ceux qui se récrient contre le Dieu créateur en disant : « Voyez quel est ce Dieu de la loi et des prophètes : C’est moi, dit-il, qui fais mourir, et c’est moi qui rend la vie. » (Dt 32.) Or, si à cause de ces paroles vous le traitez de juge cruel et de créateur barbare, il est on ne peut plus évident que Jésus est son fils ; car l’Écriture ne s’explique pas autrement à son égard, en disant qu’il est venu pour la fume et la résurrection de plusieurs. — S. Ambr. C’est-à-dire qu’il est venu pour apprécier et juger les mérites des justes et des pécheurs, et nous décerner, en juge équitable et intègre, des châtiments ou des récompenses, selon la nature de nos oeuvres. — Orig. (hom. 17.) Il n’est peut-être pas inutile de remarquer que le Sauveur n’est pas venu à l’égard de tous pour la ruine et pour la résurrection, entendues dans le même sens. En effet, comme je me tenais debout dans le péché, il a été d’abord dans mon intérêt de tomber, et de mourir au péché ; et les prophètes eux-mêmes, quand une vision auguste se révélait à leurs yeux, tombaient la face contre terre, afin de se purifier davantage de leurs péchés par cette chute volontaire. Le Sauveur vous accorde d’abord la même grâce. Vous étiez pécheur ; que le pécheur qui est en vous, tombe et meure, pour que vous puissiez ressusciter et dire : « Si nous mourons avec lui, nous vivrons aussi avec lui. » (2 Tim 2.) — S. Chrys. Or, la résurrection, c’est une vie toute nouvelle ; lorsqu’un impudique devient chaste, un avare miséricordieux, un homme violent, plein de douceur, c’est une véritable résurrection, où nous voyons le péché frappé de mort, et la justice ressuscitée.

« Et en signe que l’on contredira. » — S. Bas. La croix est appelée par l’Écriture, dans un sens véritable, un signe de contradiction ; car il est dit que Moïse fit un serpent d’airain, et l’éleva pour être un signe. (Nb 21.) — S. Grég. de Nysse. (Ch. des Pèr. gr.) L’ignominie se trouve ici mêlée à la gloire. Ce signe nous offre, à nous chrétiens, ce double caractère de contradiction, lorsque les uns n’y voient qu’un objet de dérision et d’horreur ; de gloire, lorsqu’il est pour les autres un signe auguste et vénérable. Peut-être aussi est-ce Jésus-Christ lui-même qui est ce signe, lui qui est supérieur à toute la nature, et l’auteur de tous les signes miraculeux. — S. Bas. En effet, un signe est comme un indice qui nous fait connaître une chose mystérieuse et cachée ; les plus simples voient le signe extérieur, mais il n’est compris que de ceux qui ont l’intelligence exercée. — Orig. (hom. 17.) Or, tout ce que l’histoire évangélique nous raconte de Jésus-Christ est contredit, non pas, sans doute, par nous qui croyons en lui, et qui savons que tout ce qui est écrit de lui est la vérité, mais par les incrédules, pour lesquels tout ce que l’Écriture nous rapporte du Sauveur est un signe et un objet de contradiction.

S. Grég. de Nysse. Cette prédiction concerne le Fils, mais elle s’adresse aussi à sa mère qui partage tous ses dangers comme toutes ses gloires, et le vieillard Siméon ne lui prédit pas seulement des joies, mais des afflictions et des douleurs : « Et votre âme sera percée d’un glaive. » — Bède. Nous ne voyons dans aucune histoire que Marie ait fini ses jours par le glaive, d’ailleurs ce n’est pas l’âme, mais le corps qui est accessible aux coups mortels du glaive. Il nous faut donc entendre ici ce glaive dont le Psalmiste a dit : « Ils ont un glaive sur leurs lèvres (Ps 58), et c’est ce glaive, c’est-à-dire la douleur que Marie éprouva de la passion du Sauveur, qui transperça son âme. Car bien qu’elle sût que Jésus-Christ, comme Fils de Dieu, mourait, parce qu’il le voulait, et qu’elle ne doutât nullement qu’il triompherait de la mort, cependant elle ne put voir crucifier le propre fils de ses entrailles sans un vif sentiment de douleur. — S. Ambr. Ou bien peut-être Siméon veut-il nous apprendre par ces paroles, que Marie n’ignorait point le secret des célestes mystères ; car le Verbe de Dieu est vivant et efficace, et plus pénétrant que le glaive le plus aigu et le plus tranchant (Hb 4.) — S. Aug. (Quest. sur l’Anc. et le Nouv. Test., chap. 73). Ou bien enfin, peut-être veut-il signifier que Marie elle-même, par laquelle s’est accompli le mystère de l’incarnation, a eu à la mort du Seigneur, et sous l’impression de la douleur comme un moment de doute et d’hésitation, en voyant le Fils de Dieu réduit à ce degré d’humiliation qui le faisait mourir sur une croix. Et de même qu’un glaive qui ne fait qu’effleurer un homme, lui donne un vif sentiment de crainte, mais sans le blesser ; ainsi le doute lui inspira un vif sentiment de tristesse, mais sans donner la mort, parce qu’il ne s’arrêta pas dans son âme, mais la traversa seulement comme une ombre.

S. Grég. de Nysse. La mère de Jésus n’est point la seule dont le vieillard Siméon nous prédit les sentiments au temps de la passion du Sauveur ; il ajoute : « Afin que les pensées cachées dans le coeur de plusieurs soient découvertes. » Cette manière de parler indique tout simplement le fait qui doit arriver, et nullement la cause qui le produit. En effet, à la suite de tous ces événements, le voile qui couvrait les intentions d’un grand nombre, fut découvert ; les uns reconnaissaient un Dieu dans celui qui mourait sur la croix, les autres, malgré cet affreux supplice, ne cessaient de l’accabler d’injures et d’outrages. Ou bien ces paroles signifient qu’au temps de la passion, on vit à découvert les pensées d’un grand nombre de coeurs, à qui la résurrection inspira ensuite de meilleurs sentiments ; car le doute de quelques instants fit bientôt place à une certitude inébranlable. Peut-être encore le mot révélation a ici le sens d’illumination, comme dans beaucoup d’autres endroits de l’Écriture. — Bède. Jusqu’à la fin du monde, l’âme de l’Église est toujours traversée par le glaive de la plus amère tribulation, lorsqu’elle voit, en gémissant, que le signe de la foi est en butte aux contradictions des méchants, lorsqu’à la prédication de la parole de Dieu, elle en voit un grand nombre ressusciter à la vie avec Jésus-Christ, mais un grand nombre aussi tomber des hauteurs de la foi dans l’abîme de l’incrédulité ; lorsque, pénétrant les pensées cachées dans le coeur d’une multitude de chrétiens, elle s’aperçoit que là où elle avait semé la bonne semence de l’Évangile, l’ivraie des vices l’emporte sur cette bonne semence, et quelque fois l’étouffe et la remplace entièrement. — Orig. (hom. 17.) Il y avait dans les hommes bien des pensées mauvaises qui ont été révélées, pour être détruites par celui qui a voulu mourir pour nous ; car tant qu’elles demeuraient cachées, il était impossible de les détruire entièrement. Si donc nous avons péché, nous devons dire avec le Roi-prophète : « Je n’ai point caché mon iniquité » (Ps 31, 3 ; cf. Job 31, 33) ; car si nous découvrons nos péchés, non seulement à Dieu, mais à ceux qui ont le pouvoir de guérir les blessures de notre âme, nos péchés seront complètement effacés.

 

Vv. 36-38.

S. Ambr. Siméon avait prophétisé, une femme mariée avait prophétisé, une vierge avait prophétisé ; il fallait qu’une veuve aussi eût part à ce don de prophétie, pour que chaque condition, comme chaque sexe fût représenté dans cette circonstance : « Il y avait aussi une prophétesse nommée Anne, fille de Phanuel, » etc. — Théophyl. L’Évangéliste entre dans tous les détails qui peuvent nous faire connaître cette sainte prophétesse, il nous dit quel était son père, sa tribu, et semble produire de nombreux témoins qui connaissaient son père et sa tribu. — S. Grég. de Nysse. (serm. sur la renc. du Seig.) Ou bien peut-être alors, d’autres personnes portaient le même nom. Il fallait donc, pour la désigner plus clairement, dire quel était son père, sa famille et sa condition.

S. Ambr. Anne, par le mérite d’une longue viduité et par ses vertus, se présente avec tous les titres qui la rendent digne d’annoncer le Rédempteur de tous les hommes : « Elle était avancée en âge, elle n’avait vécu que sept ans avec son mari, » etc. — Orig. (hom. 17.) Ce n’est point fortuitement et sans mérite de sa part que l’Esprit saint avait fixé en elle sa demeure. La première et la plus excellente grâce, c’est la grâce de la virginité ; mais si une femme n’a pu y atteindre, et qu’elle vienne à perdre son mari, qu’elle reste veuve, et qu’elle soit dans cette disposition, non seulement après la mort de son mari, mais lorsqu’il vit encore ; ainsi, en supposant même qu’elle ne devienne pas veuve, Dieu couronnera sa bonne volonté et sa généreuse résolution. Voici donc le langage qu’elle doit tenir : Je fais voeu, je promets, si ce malheur m’arrive (ce que je suis loin de désirer), de ne plus songer qu’à rester veuve et chaste toute ma vie. C’est donc à juste titre que cette sainte femme mérita de recevoir l’esprit de prophétie, parce que tant d’années passées dans la pratique de la chasteté, dans les jeûnes et dans les prières, l’avaient élevé à ce haut degré de sainteté : « Elle ne quittait point le temple, servant Dieu, » etc. — S. Grég. de Nysse. Nous voyons par cette énumération qu’elle possédait toutes les autres vertus. Et voyez quelle conformité de vertus avec Siméon. Ils étaient ensemble dans le temple, ils furent tous deux, au même moment, jugés dignes du don de prophétie : « Et, survenant à cette même heure, elle louait le Seigneur, » c’est-à-dire qu’elle lui rendait grâce en voyant le salut du monde au milieu du peuple d’Israël, et elle proclamait que Jésus était à la fois Rédempteur et le Sauveur de tous les hommes : « Et elle parlait de lui à tous ceux qui attendaient la rédemption d’Israël. » Mais comme la prophétesse Anne parle peu du Christ, et en termes peu précis, l’Évangéliste n’a pas cru devoir rapporter ses propres expressions. Peut-être pourrait-on dire que Siméon a parlé le premier, parce qu’il représentait la loi (car son nom veut dire obéissance), tandis qu’Anne (suivant l’interprétation de son nom), représentait la grâce. Le Christ se trouvait entre les deux, il laisse donc mourir avec la loi le vieillard Siméon, tandis qu’il prolonge la vie de cette sainte veuve qui représente la vie de la grâce.

Bède. Dans le sens allégorique, Anne est la figure de l’Église qui, dans la vie présente, est comme veuve par la mort de son époux. Le nombre des années de sa viduité représente la durée du pèlerinage de l’Église loin du Seigneur. En effet, sept fois douze font quatre-vingt-quatre. Or, le nombre sept exprime la suite des siècles (qui sont compris dans l’espace de sept jours), et le nombre douze se rapporte à la perfection de la doctrine apostolique. On peut donc dire, soit de l’Église universelle, soit de toute âme fidèle qui, dans tout le cours de sa vie, demeure fidèle à la doctrine des Apôtres, qu’elle a servi le Seigneur pendant quatre-vingt-quatre ans. Les sept ans qu’elle avait passés avec son mari rentrent aussi dans cette interprétation ; car c’est par suite d’un privilège particulier à la majesté du Seigneur, de sa vie mortelle, que le nombre de sept années a été choisi pour exprimer la perfection. La prophétesse Anne est également favorable à ces significations mystérieuses, qui ont l’Église pour objet ; car Anne veut dire sa grâce, elle est fille de Phanuel, qui signifie face de Dieu, elle est de la tribu d’Aser, qui veut dire bienheureux.

 

Vv. 39-41.

Bède. Saint Luc omet ici ce qu’il savait avoir été raconté par saint Matthieu, c’est-à-dire, la fuite en Égypte, où les parents de l’enfant Jésus le transportèrent pour le dérober aux recherches homicides du roi Hérode ; et après la mort de ce tyran, le retour en Galilée, dans la ville de Nazareth, où le Sauveur fixa son séjour. Les Évangélistes ont coutume en effet d’omettre certains faits qu’ils savent avoir été racontés, ou qu’ils prévoient, en vertu de l’inspiration, devoir l’être par les autres Évangélistes. ils poursuivent donc la suite de leur récit comme s’ils n’avaient omis aucun fait intermédiaire. Toutefois, un lecteur attentif, en comparant avec soin le récit d’un autre Évangéliste, voit immédiatement où les faits qui ont été omis doivent trouver place. Saint Luc donc, passant sous silence plusieurs de ces faits intermédiaires, continue ainsi son récit : « Et après qu’ils eurent accomplis, » etc. — Théophyl. Bethléem était leur ville comme patrie, et Nazareth l’était comme lieu de leur domicile.

 

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 9.) On peut être surpris que saint Matthieu donne pour motif du retour des parents avec l’enfant dans la Galilée, la crainte qu’ils avaient d’Archélaüs, et qui les empêchait de se fixer dans la Judée, tandis que le motif déterminant de leur retour en Galilée, c’est que Nazareth, située dans la Galilée, était leur ville, comme saint Luc le remarque en cet endroit. Voici l’explication de cette difficulté : Lorsque l’ange apparaît en Égypte à Joseph pendant son sommeil, pour lui dire : « Levez-vous, prenez l’enfant et sa mère, et allez dans la terre d’Israël, » on peut très bien entendre que Joseph crut que l’ange lui donnait l’ordre de retourner en Judée, qui put se présenter la première à son esprit sous le nom de terre d’Israël. Mais lorsqu’ensuite il eut appris qu’Archélaüs, fils d’Hérode, régnait en Judée, il ne voulut point s’exposer à un si grand danger, d’autant plus que par terre d’Israël, il pouvait aussi bien entendre la Galilée, puisque le peuple d’Israël l’habitait également. — Ch. des Pèr. gr. ou Métaphr. Ou bien encore, on peut dire que saint Luc parle ici du temps qui précède la fuite en Egypte, car Joseph ne fut point parti avant le temps de la purification de Marie. Or, avant de fuir en Egypte, aucune révélation ne les avait avertis d’aller à Nazareth, et ils s’y rendaient naturellement pour habiter de préférence dans leur patrie. En effet, ils n’étaient venus à Bethléem que pour s’y faire inscrire, et après avoir satisfait à la loi du dénombrement qui avait déterminé leur voyage, ils retournent à Nazareth.

Théophyl. Le Sauveur aurait pu naître et sortir du sein de sa mère dans la plénitude de l’âge, mais ce développement instantané eut paru dépourvu de réalité, il veut donc croître par degrés et en suivant les progrès de l’âge : « L’enfant croissait et se fortifiait. » — Bède. IL faut faire attention à la signification bien distincte de ces paroles ; car Notre-Seigneur n’avait besoin de croître et de se fortifier, que parce qu’il s’était fait enfant, et qu’il avait revêtu notre nature fragile et mortelle. — S. Athan. (de l’incarn. de J.-C.) Mais si, comme quelques-uns le prétendent, la chair avait été changée et absorbée par la nature divine, comment pouvait-elle prendre de l’accroissement ? car on ne peut sans blasphème attribuer de l’accroissement à celui qui est incréé. — S. Cyr. ou plutôt Théodor. (Chaîne des Pèr. gr.) L’Évangéliste joint l’accroissement de la sagesse aux progrès de l’âge, en disant : « Et il se fortifiait, » c’est-à-dire en esprit, car la nature divine se déclarait par degrés en se proportionnant aux progrès de l’âge. — Théophyl. S’il eût fait éclater toute sa sagesse dès sa plus tendre enfance, on eût vu là un prodige étonnant, il se révéla donc en suivant le progrès de l’âge, pour parcourir ainsi toutes les phases de la vie. Si du reste il est dit qu’il se fortifiait en esprit, ce n’est point dans ce sens qu’il reçut la sagesse comme par degrés, car comment celui qui, dès le commencement avait toute perfection, aurait-il pu devenir plus parfait ? Aussi l’Évangéliste ajoute : « Il était plein de sagesse, et la gloire de Dieu était en lui. » — Bède. Plein de sagesse, parce que la plénitude de la divinité habitait en lui corporellement (Col 2, 9) ; plein de grâce, parce que Jésus-Christ fait homme a reçu dès le premier moment de son incarnation cette grâce extraordinaire d’être aussi Dieu parfait. A plus forte raison, en tant que Verbe de Dieu, et Dieu lui-même, il n’avait besoin ni de croître, ni de se fortifier. On peut dire encore que la grâce de Dieu était en lui, tout petit enfant qu’il était, afin de donner ainsi à son enfance remplie de la sagesse de Dieu ce caractère admirable qui est empreint sur sa vie toute entière.

« Or ses parents allaient tous les ans à Jérusalem à la fête de Pâques. » — S. Chrys. (2 Disc. contr. les Juifs.) La loi obligeait les Israélites à célébrer les grandes solennités, non seulement dans le temps, mais dans le lieu marqué, aussi les parents du Seigneur ne voulaient point célébrer la fête de Pâques hors de Jérusalem. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 20.) Mais comment Marie et Joseph pouvaient-ils se rendre chaque année à Jérusalem pendant l’enfance de Jésus, alors que la crainte d’Archélaüs devait les en éloigner ? Cette difficulté serait facile à résoudre, alors même qu’un des Évangélistes aurait précisé la durée du règne d’Archélaüs, car les parents de Jésus pouvaient très bien venir à Jérusalem sans être remarqués parmi cette grande multitude qui s’y rendait pour la fête de Pâques, d’autant plus qu’ils s’en retournaient aussitôt. Au contraire ils pouvaient craindre d’y fixer leur séjour dans un autre temps de l’année. Ils satisfaisaient ainsi les devoirs de religion que la loi leur imposait, et ils ne s’exposaient point à être remarqués par un séjour prolongé. Mais comme tous les Évangélistes se taisent sur la durée du règne d’Archélaüs, nous sommes autorisés à entendre ce passage de saint Luc : « Ils allaient tous les ans à Jérusalem, » d’un temps où Archélaüs n’était plus à redouter.

 

Vv. 41-50.

S. Cyr. (Chaîne des Pèr. gr.) L’Évangéliste vient de dire que l’enfant croissait et se fortifiait, il en donne maintenant la preuve en nous montrant Jésus se rendant à Jérusalem avec la sainte Vierge sa mère : « Lorsqu’il eut atteint sa douzième année. » Ch. des Pèr. gr. ou Géom. La manifestation de la sagesse ne dépasse pas ici la portée de l’âge, c’est à l’époque de la vie où nous devenons capables de discernement et de réflexions (c’est-à-dire, à l’âge de douze ans), que la sagesse de Jésus-Christ se révèle. — S. Ambr. Ou bien il commence ses divins enseignements à l’âge de douze ans, pour figurer le nombre des premiers prédicateurs de l’Évangile. — Bède. (sur S. Luc.) Nous pouvons encore dire que, comme le nombre sept, le nombre douze (formé des deux parties du nombre sept multipliées l’une par l’autre) figure l’universalité et la perfection des temps et des choses ; c’est donc pour nous apprendre que la lumière qu’il apporte au monde, doit remplir tous les temps et tous les lieux, que Jésus-Christ commence à en répandre les premiers rayons à l’âge de douze ans.

Bède. (hom.) Notre-Seigneur venait tous les ans avec ses parents célébrer la fête de Pâques dans le temple de Jérusalem, et il nous donne en cela un exemple de sa profonde humilité comme homme, car c’est un des premiers devoirs de l’homme d’être fidèle à offrir à Dieu des sacrifices, et de se le rendre favorable par ses prières. Le Seigneur fait homme a donc accompli parmi les hommes ce que Dieu avait commandé aux hommes par ses anges : « Selon la coutume de cette fête, » dit l’Évangéliste ; soyons donc fidèles nous-mêmes à suivre les pas de ce Dieu fait homme, si nous aspirons au bonheur de contempler un jour la gloire de sa divinité.

Ch. des Pèr. gr. ou Métaph. Après la fête tous s’en retournèrent, mais Jésus resta secrètement : « Les jours de la fête étant passés, l’enfant Jésus resta dans la ville de Jérusalem, et ses parents ne s’en aperçurent pas. » L’Evangéliste dit : « Les jours de la fête étant passés, » parce que la solennité de la fête de Pâques durait sept jours. Le Sauveur reste secrètement, afin que ses parents ne pussent s’opposer à la discussion qu’il désirait avoir avec les docteurs de la loi ; ou bien peut-être voulait-il éviter de paraître mépriser l’autorité de ses parents, en refusant de leur obéir. Il reste donc secrètement, pour agir en toute liberté, ou pour ne pas s’exposer au reproche de désobéissance. — Orig. (hom. 19.) Ne soyons pas surpris de voir l’Évangéliste donner à Marie et à Joseph le nom de parents de Jésus, alors que Marie par son enfantement, et Joseph par les soins dont il entourait ce divin enfant, ont mérité d’être appelés son père et sa mère. — Bède. (sur S. Luc.)On demandera sans doute comment les parents de Jésus, qui veillaient avec une si grande sollicitude sur ce divin enfant, ont pu le laisser par oubli dans la ville de Jérusalem. Nous répondons que les Juifs, à l’époque des grandes fêtes de l’année, soit en se rendant à Jérusalem, soit en retournant dans leur pays, avaient coutume de marcher par troupes, les hommes séparés des femmes, et les enfants pouvaient aller indifféremment avec les uns ou avec les autres. Marie et Joseph ont donc pu croire chacun de leur côté que l’enfant Jésus, qu’ils, ne voyaient point avec eux, se trouvait soit avec son père, soit avec sa mère. C’est ce qu’ajoute l’Évangéliste : « Mais pensant qu’il était avec quelqu’un de leur compagnie, » etc.

Orig. L’enfant Jésus resta dans la ville de Jérusalem, en laissant ignorer à ses parents qu’il y était resté, comme plus tard il s’échappa et disparut du milieu des Juifs, qui lui dressaient des embûches : « Et ne le trouvant pas, ils revinrent à Jérusalem pour le chercher, et trois jours après, ils le trouvèrent dans le temple, » etc. — Orig. (hom. 18.) Ou ne trouve pas Jésus dès les premiers pas que l’on fait pour le chercher ; car Jésus ne se trouve ni parmi ses parents ou parmi ceux qui lui sont unis par les liens du sang, ni parmi ceux qui ne s’attachent à lui qu’extérieurement ; on ne peut espérer non plus trouver Jésus au milieu de la foule. Apprenez donc où ils le cherchent et où ils le trouvent, ce n’est point partout indifféremment, mais dans le temple. Vous donc aussi, cherchez Jésus dans le temple de Dieu, cherchez-le dans l’Église, cherchez-le auprès des docteurs qui enseignent dans le temple ; si vous le cherchez de la sorte, vous le trouverez infailliblement. (Et hom. 19). Ils ne le trouvèrent point parmi leurs parents, car une parenté toute naturelle ne pouvait avoir au milieu d’elle le Fils de Dieu, qui est supérieur à toute connaissance et à toute science humaine. Où donc le trouvent-ils ? Dans le temple. Si vous voulez aussi chercher le Fils de Dieu, cherchez-le d’abord dans le temple, hâtez-vous d’y entrer, c’est là que vous trouverez le Christ, la parole et la sagesse du Père, c’est-à-dire le Fils de Dieu.

 

S. Amb. Ils le trouvent dans le temple après trois jours, comme figure que trois jours après sa passion. triomphante, alors qu’on le croyait victime de la mort, il se montrerait plein de vie à notre foi, assis sur son trône des cieux, au milieu d’une gloire toute divine. — La Glose. Ou bien ces trois jours de recherche signifiaient que les patriarches avant la loi, avaient cherché l’avènement de Jésus-Christ sans le trouver, que les prophètes et les justes sous la loi l’avaient également cherché sans être plus heureux, tandis que les Gentils qui l’ont cherché sous la loi de grâce l’ont trouvé.

 

Orig. (hom. 19.) Comme il était le Fils de Dieu, on le trouve au milieu des docteurs, leur inspirant la sagesse et les instruisant ; mais parce qu’il était enfant on le trouve au milieu d’eux, ne leur faisant point de leçons expresses, mais se contentant de les interroger : « Ils le trouvèrent assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. » Il agit ainsi pour donner l’exemple de la soumission et de la déférence qui convient aux enfants, et leur apprendre la conduite qu’ils doivent tenir, fussent-ils doués d’une sagesse et d’une science supérieures à leur âge. Ils doivent écouter leurs maîtres plutôt que de chercher à les instruire et à se produire par un sentiment de vaine ostentation. Jésus interroge les docteurs, non pas sans doute pour s’instruire, mais bien plutôt pour les enseigner en les interrogeant, car c’est de la même source d’intelligence et de doctrine que viennent ses questions et ses réponses pleines de sagesse : « Et tous ceux qui l’entendaient, admiraient la sagesse de ses réponses, » etc. — Bède. Pour montrer qu’il était homme, il écoutait modestement des docteurs qui n’étaient que des hommes ; mais pour prouver qu’il était Dieu, il répondait à leurs questions d’une manière sublime. — Ch. des Pèr. gr. ou Métaph. Il interroge avec intelligence, il écoute avec sagesse, et répond avec plus de sagesse encore, ce qui ravissait d’admiration ceux qui l’entendaient : « Et tous ceux qui l’entendaient étaient confondus de sa sagesse et de ses réponses. » — S. Chrys. (hom. 20 sur S. Jean.) Le Sauveur n’a fait aucun miracle dans son enfance, et saint Luc ne nous en raconte que ce seul fait, qui ravit d’admiration et d’étonnement ceux qui en furent témoins. — Bède. Ses paroles, en effet, révélaient une sagesse divine, mais son âge le couvrait des dehors de la faiblesse humaine ; aussi les Juifs, partagés entre les choses sublimes qu’ils entendaient et la faiblesse extérieure qui paraissait à leurs yeux éprouvaient un sentiment d’admiration mêlé de doute et d’incertitude. Mais pour nous rien ici de surprenant, car nous savons par le prophète Isaïe, que s’il a voulu naître petit enfant pour nous, il n’en reste pas moins le Dieu fort.

Ch. des Pèr. Gr. (ou Métaphr. et Géom.) Admirons ici la mère de Dieu, dont les entrailles maternelles sont si vivement émues ; elle lui dépeint, en gémissant, ses anxiétés pendant cette douloureuse recherche, et exprime tous les sentiments qui l’agitent avec la confiance, la douceur et la tendresse d’une mère : « Et sa mère lui dit : Mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi avec nous ? » Orig. (Chaîne des Pères grecs.) Cette Vierge sainte savait bien qu’il n’était point le fils de Joseph, et cependant elle appelle son chaste époux le père de Jésus, pour se conformer à l’opinion des Juifs qui pensaient que son divin Fils avait été conçu comme les autres enfants. (hom. 17.) L’explication la plus simple est de dire que l’Esprit saint a honoré Joseph du nom de père de Jésus, parce qu’il a été chargé de l’élever. D’après une interprétation plus recherchée, on peut dire que l’Evangéliste ayant fait descendre la généalogie de Jésus-Christ de David à Joseph, cette généalogie paraîtrait donnée sans raison, si Joseph n’était pas appelé le père de Jésus. (hom. 19.) Mais pourquoi le cherchaient-ils ? craignaient-ils qu’il n’ait péri ou qu’il se fût égaré ? Loin de nous cette pensée. Comment auraient-ils pu craindre la perte de cet enfant dont ils connaissaient la divinité ? Lorsque vous lisez les saintes Écritures, vous cherchez avec une certaine peine à en découvrir le sens, ce n’est pas, sans doute, que vous pensiez que la divine Écriture puisse renfermer des erreurs ou des choses dites au hasard ; mais vous désirez trouver la vérité qui est cachée sous l’écorce de la lettre. C’est ainsi que Marie et Joseph cherchaient l’enfant Jésus, en craignant que peut-être il ne les eût quittés et ne fût remonté dans les cieux, pour en descendre de nouveau lorsqu’il le jugerait à propos. Celui donc qui cherche Jésus, ne doit point agir avec négligence et avec mollesse, comme font plusieurs qui le cherchent et ne le trouvent point, mais il doit faire de grands efforts, et se donner de la peine. — La Glose. Peut-être aussi craignaient-ils que d’autres ennemi de Jésus, profitant de l’occasion, ne missent à exécution, contre ce divin enfant, les desseins homicides qu’Hérode avait formés contre lui dès son berceau.

 

Ch. des Pèr. gr. (ou Métaph. et Géom.) Cependant Notre-Seigneur répond pleinement à la question de sa mère ; il redresse, pour ainsi parler, ce qu’elle vient de dire de celui qui passait pour son père, et déclare quel est son véritable père, enseignant ainsi à sa sainte mère à s’élever dans les régions supérieures à tout ce qui est terrestre : « Et il leur dit : Pourquoi me cherchez-vous ? » — Bède. Il ne les blâme pas de ce qu’ils le cherchaient comme leur fils, mais il les force de lever les yeux de leur âme vers les devoirs qu’il doit remplir à l’égard de celui dont il est le Fils éternel : « Ne saviez-vous pas, » etc. — S. Ambr. Il y a en Jésus-Christ deux générations, l’une paternelle, l’autre maternelle. La première est une génération divine ; c’est par la seconde qu’il est descendu jusqu’à notre pauvre nature pour la sauver. — S. Cyr. (Chaîne des Pères grecs.) En parlant de la sorte, il montre qu’il s’élève au—dessus de la nature humaine, et tout en reconnaissant que la sainte Vierge est devenue l’instrument de la rédemption en devenant sa mère selon la chair, il proclame en même temps qu’il est vraiment Dieu, et le Fils du Très-Haut. Que les partisans de Valentin, après avoir entendu dire que Jésus est le temple de Dieu, rougissent d’affirmer que le Créateur et le Dieu de la loi et du temple n’est point le Père de Jésus-Christ. — S. Epiph. (cont. les hérés., 2, 31.) Qu’Ebion lui-même remarque que c’est à l’âge de douze ans, et non point après sa trentième année, que Jésus-Christ ravit en admiration par la sagesse et la grâce de ses discours ; on ne peut donc avancer qu’il n’est devenu Christ, en recevant l’onction divine, qu’au jour de son baptême, lorsque l’Esprit saint descendit sur lui ; mais dès son enfance même, il faisait profession d’honorer le temple et de reconnaître Dieu pour son Père. — Ch. des Pèr. gr. Ce fut ici la première manifestation de la sagesse et de la puissance de l’enfant Jésus ; car ce que l’on raconte des occupations et des actions de son enfance, ne sont pas seulement des puérilités, mais des inventions diaboliques qui, dans un but évidemment mauvais, cherchent à dénaturer ce qui est rapporté dans les Evangiles et dans les saintes Ecritures. On peut seulement admettre que ce qui est généralement cru parmi les fidèles, et qui est loin d’être contraire à nos croyances, s’accorde plutôt avec les oracles prophétiques, c’est-à-dire que Jésus était le plus beau des enfants des hommes, plein d’obéissance pour sa mère, d’un caractère aimable, d’un aspect tout à la fois majestueux et simple, d’une éloquence naturelle, doux et obligeant, d’une activité et d’un courage en rapport avec la sagesse dont il était rempli ; enfin, d’une mesure et d’une modération parfaite dans toute sa vie et dans ses discours, bien qu’on y ressentait quelque chose de surhumain ; car l’humilité et la modestie forment son principal caractère. Aucune main d’ailleurs n’entreprit de le diriger dans toute sa conduite, excepté celle de sa mère. Jésus nous donne ici une imposante leçon. Le reproche qu’il fait à Marie, de le chercher parmi ses proches, nous suggère le détachement des liens du sang, et nous apprend qu’il est impossible d’arriver à une vertu éminente pour celui qui aime à s’égarer dans les satisfactions de la nature, et qu’on s’éloigne de la perfection par un trop grand amour pour ses proches.

 

« Et ils ne comprirent pas, » etc. — Bède. Ils ne comprirent pas ce qu’il venait de leur dire de sa divinité. — Orig. (hom. 20.) Ou bien ils ignoraient si par ces paroles : « Aux choses qui regardent le service de mon Père, » il voulait parler du temple, ou si ces paroles renfermaient un sens plus élevé, d’une utilité plus immédiate ; car chacun de nous, s’il est bon et vertueux, devient la demeure et comme le siégé de Dieu le Père ; et si nous sommes la demeure et le siége de Dieu, nous avons Jésus au milieu de nous.

 

Vv. 51, 52.

Ch. des Pèr. gr. (ou Géom.) Toute la vie de Jésus-Christ qui s’est écoulée depuis ce moment jusqu’au temps de sa manifestation et de son baptême, et qui n’a été signalée ni par la publicité d’aucun miracle, ni par l’éclat de sa doctrine, se trouve résumée dans ces seules paroles de l’Évangéliste : « Et il descendit avec eux, et il vint à Nazareth, et il leur était soumis. » — Orig. Nous voyons que Jésus descendait fréquemment avec ses disciples, et qu’il ne restait pas toujours sur la montagne ; car ceux qui étaient travaillés de diverses maladies ne pouvaient le suivre sur la montagne. C’est pour le même motif qu’il descend aujourd’hui vers ceux qui habitent une région inférieure à la sienne.

 

« Et il leur était soumis. » — Ch. des Pèr. gr. Notre-Seigneur suit tour à tour ces deux méthodes : Tantôt il commence par établir la loi, et puis il la confirme par ses oeuvres, comme lorsque ayant dit : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis, » lui-même, quelque temps après, sacrifia sa propre vie pour notre salut. Quelquefois, au contraire, il donne tout d’abord l’exemple, et trace ensuite dans ses enseignements la règle qu’il faut suivre. C’est ce qu’il fait ici en nous apprenant, par sa conduite, ces trois principaux devoirs : Aimer Dieu, honorer ses parents, et savoir leur préférer Dieu quand il le faut. En effet, au reproche que lui font ses parents, il répond en mettant au premier rang, et avant tout, le service de Dieu ; puis il rend ensuite à ses parents l’obéissance qui leur est due. — Béde. Comment, en effet, celui qui venait nous enseigner toute vertu aurait-il pu ne pas remplir ce devoir de piété filiale ? Que pourrait-il faire parmi nous, que ce qu’il veut que nous fassions nous-mêmes ? — Orig. Apprenons donc nous aussi à être soumis à nos parents ; si nous avons eu le malheur de les perdre, soyons soumis à ceux qui, par leur âge, nous tiennent leur place. Jésus, le Fils de Dieu, se soumet à Joseph et à Marie, je me soumettrai à l’évêque que Dieu m’a donné pour père. Sans doute, Joseph devait comprendre que Jésus était au-dessus de lui, et n’exercer qu’en tremblant son autorité sur ce divin enfant. Que chacun donc réfléchisse aussi que souvent il est bien inférieur à celui qui lui obéit ; cette pensée le défendra contre tout sentiment d’orgueil, lorsqu’il verra que celui au-dessus duquel il est placé par sa dignité lui est de beaucoup supérieur en vertu. — S. Grég. de Nysse. Disons encore que l’esprit de discernement et la raison sont très imparfaits dans les enfants, et qu’ils ont besoin d’être développés par ceux qui sont plus âgés, ou si l’on veut, d’être conduits par des mains sages et expérimentées à un degré plus éminent de vertu. Or, c’est pour confirmer cette vérité que Jésus, parvenu à l’âge de douze ans, nous donne l’exemple de l’obéissance à ses parents ; et il nous apprend ainsi que tout ce qui ne peut s’élever à la perfection que par degrés successifs, pour arriver à cette fin désirée, doit embrasser la pratique de l’obéissance, comme une des voies les plus sûres qui puisse l’y conduire.

 

S. Bas. (Cons. monast., chap. 4.) Par cette obéissance parfaite qu’il professe à l’égard de ses parents dès sa première enfance, Jésus accepte humblement, et avec respect, tous les pénibles travaux de leur condition. Car bien qu’ils fussent vertueux, honorés, ils étaient pauvres cependant, et dans la gène (comme le prouve la crèche qui reçut l’enfant divin à sa naissance), et ils devaient pourvoir à leur existence par un travail assidu et à la sueur de leur front. Or, Jésus qui leur obéissait (comme le déclare l’Écriture), devait partager tous ces travaux avec une entière soumission. — S. Ambr. Vous êtes surpris qu’il puisse être soumis à son Père céleste, tout en obéissant à sa mère ? Rappelez-vous que cette obéissance n’est pas chez lui la suite de la faiblesse, mais un acte de piété filiale. Les hérétiques ont beau lever ici la tête, et prétendre que celui qui est envoyé par son Père a besoin d’un secours étranger. Avait-il besoin du secours des hommes, parce qu’il était soumis à l’autorité de sa mère ? Il était soumis à l’humble servante de Dieu, il était soumis à celui qui n’était son père que de nom, et vous êtes étonné qu’il soit soumis à Dieu ? C’est un devoir de piété filiale, que d’obéir à l’homme, serait-ce un acte de faiblesse que d’obéir à Dieu ?

 

Bède. Cependant l’auguste Vierge renfermait toutes ces choses dans son coeur pour les repasser, pour les méditer avec soin, soit qu’elle les comprit dans toute leur étendue, soit que leur sens mystérieux demeurât encore voilé pour elle : « Et sa mère conservait toutes ces choses en son coeur. » — Ch. des Pèr. gr. Considérez l’admirable prudence de Marie, cette mère de la vraie sagesse, comme elle se rend le disciple, l’élève de son divin enfant. Car ses leçons n’étaient point pour elle les leçons d’un enfant, ni d’un homme ordinaire, mais les leçons d’un Dieu. Elle repassait ensuite dans son âme ses paroles et les actions dont elle était témoin, elle n’en laissait perdre aucune ; et de même qu’elle avait autrefois conçu le Verbe lui-même dans son chaste sein, ainsi elle concevait pour ainsi dire ses paroles et ses actions, et les fécondait dans son coeur par une pieuse méditation. Elle contemplait avec bonheur ce qu’elle pouvait en comprendre, et elle attendait la révélation plus claire que l’avenir lui en réservait. Telle fut la règle dont elle se fit comme une loi dans tout le cours de sa vie.

 

« Et Jésus croissait en sagesse et en âge, » etc. — Théoph. Jésus n’est pas devenu sage progressivement, mais la sagesse qui était en lui se déclarait successivement et par degrés, comme par exemple, lorsque discutant avec les scribes, la prudence et la haute portée de ses questions jetaient dans l’étonnement tous ceux qui l’entendaient. Il croissait donc en sagesse, en ce sens qu’il se révélait en présence d’un plus grand nombre et les ravissait d’admiration ; la manifestation de sa sagesse en était chez lui comme le progrès. Considérez comment l’Évangéliste, expliquant ce qu’était pour Jésus ce progrès dans la sagesse, ajoute aussitôt : « Et en âge. » Il veut par là nous faire entendre que l’accroissement de l’âge était la mesure de l’accroissement extérieur de la sagesse. — S. Cyr. (Tres., liv. 10, chap. 7.) Mais, disent les Eunomiens, comment pouvait-il être égal et consubstantiel à son Père, lui que nous voyons soumis à un accroissement successif comme une créature imparfaite ? Nous répondons que ce n’est pas en tant que Verbe, mais en tant qu’il s’était fait homme, que l’Évangéliste dit : « Il croissait en sagesse, » etc. Car si après son incarnation, il a véritablement acquis une nouvelle perfection qu’il n’avait pas auparavant, quelle reconnaissance lui devrions-nous de ce qu’il s’est incarné pour nous ? D’ailleurs s’il est la véritable sagesse, de quel accroissement était-il susceptible ? et comment celui qui est le principe et la source de la grâce pour tous les hommes, aurait-il pu croître lui-même en grâce ? Disons plus ; est-on scandalisé d’entendre dire que le Verbe s’est humilié, et en conçoit-on des idées peu favorables à la divinité ; et n’admire-t-on pas bien plutôt la grandeur de sa miséricorde ? Pourquoi donc serait-on scandalisé de ses progrès dans la sagesse ? C’est pour nous qu’il a daigné s’humilier, c’est pour nous aussi qu’il s’est soumis à ce progrès successif, et pour nous faire avancer dans sa personne, nous, que le péché avait fait tomber si bas ; car il s’est soumis, en réalité, à toutes les conditions de notre nature, pour les réformer et leur imprimer un nouveau caractère de perfection. Et remarquez encore que l’Évangéliste ne dit pas : Le Verbe croissait, mais : « Jésus croissait, » il veut nous faire comprendre que ce n’est point le Verbe considéré comme Verbe, mais le Verbe fait chair qui s’est soumis à cet accroissement. Bien que la chair seule ait été sujette à la souffrance, nous disons que le Verbe a souffert dans la chair dont il s’est revêtu, parce que c’était la chair du Verbe qui souffrait, ainsi disons-nous que le Verbe croissait, parce que l’humanité qui lui était unie était soumise à cet accroissement. Et encore, nous disons qu’il croissait en tant qu’homme, non pas que son humanité, qui était parfaite dès le premier moment de l’incarnation, pût recevoir quelque nouvel accroissement, mais parce qu’elle se développait progressivement. L’ordre naturel s’oppose à ce que l’homme fasse paraître une intelligence supérieure à son âge. Le Verbe (fait homme) avait donc toute perfection, puisqu’il est la puissance et la sagesse du Père ; mais pour se conformer aux conditions de notre nature, et ne point donner un spectacle extraordinaire à ceux qui en seraient témoins, il passait par tous les degrés du développement naturel de l’homme aux divers âges de sa vie, et ceux qui le voyaient, qui l’entendaient, trouvaient que sa sagesse s’accroissait de jour en jour. — Ch. des Pèr. gr. (Amphil.) Il croissait en âge, parce que son corps atteignait successivement la virilité ; il croissait en sagesse dans les divines leçons qu’il donnait à ceux qu’il instruisait ; il croissait dans cette grâce qui nous fait nous—même croître et avancer avec joie dans l’espérance d’obtenir à la fin les biens qui nous sont promis. Il croissait devant Dieu, parce qu’il accomplissait l’oeuvre de son Père dans la chair qu’il avait prise ; il croissait devant les hommes en les retirant du culte des idoles pour les élever à la connaissance de la divine Trinité. — Théoph. L’Évangéliste dit qu’il croissait devant Dieu et devant les hommes, parce qu’il faut plaire à Dieu, avant de plaire aux hommes. — S. Grég. de Nysse. (hom. 3 sur le Cant. des Cant.) Le Verbe ne croît point de la même manière dans ceux qui le reçoivent, ruais il apparaît dans les divers degrés par lesquels il a passé de l’enfance, de l’âge adulte et de la perfection.

 

CHAPITRE III

Vv. 1, 2.

S. Grég. (hom. 20 sur les Evang.) L’époque où le Précurseur du divin Rédempteur reçut la mission de prêcher et d’annoncer la parole de Dieu, est solennellement désignée par le nom de l’empereur romain et des princes qui régnaient sur la Judée : « L’an quinzième de l’empire de Tibère César, Ponce-Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode, tétrarque de la Galilée, » etc. Jean-Baptiste venait annoncer celui qui venait racheter une partie des Juifs et un grand nombre d’entre les Gentils, et c’est pour cela que sa prédication se trouve datée du règne de l’empereur des Gentils et des rois de Judée ; et comme la gentilité devait être réunie en un seul corps, il n’est parlé que d’un seul prince qui gouvernait l’empire romain : « L’an quinzième de l’empire de Tibère César, » etc. — Ch. des Pèr. gr. Après la mort de l’empereur Auguste, de qui les empereurs romains prirent le nom d’Auguste, Tibère lui succéda, et il était alors dans la quinzième année de son règne.

Orig. (Hom. 21.) Les oracles prophétiques qui ne s’adressaient qu’aux Juifs ne font mention que du règne des princes de la nation juive : « Vision d’Isaïe, au temps d’Ozias, de Joathan, d’Achaz et d’Ezéchias, rois de Juda (Is 1). Mais la prédication de l’Évangile qui devait retentir dans tout l’univers est datée de l’empire de Tibère César, qui paraissait être le maître du monde. Si les Gentils seuls avaient dû avoir part à la grâce du salut, il aurait suffi de parler de Tibère ; mais comme les Juifs devaient aussi embrasser la foi, il est également fait mention des principautés et des tétrarchies de la Judée : « Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode, tétrarque de la Galilée, » etc. — S. Grég. La Judée se trouvait alors divisée en plusieurs petites principautés, comme un signe de la division et de la ruine dont Dieu devait punir la coupable perfidie des Juifs ; selon ces paroles du Sauveur : « Tout royaume divisé contre lui-même sera désolé. » (Lc 11.) Bède. Pilate fut envoyé comme gouverneur en Judée la douzième année du règne de Tibère César, et il conserva ce gouvernement pendant dix années consécutives, presque jusqu’à la fin de la vie de Tibère. Hérode, Philippe et Lysanias sont les fils du roi Hérode, sous le règne duquel naquit le Sauveur. Il faut ajouter à ces trois frères, Hérode Archélaüs, qui régna dix ans, et qui ayant été accusé auprès d’Auguste par les Juifs, fut exilé à Vienne où il mourut. L’empereur Auguste, pour affaiblir re royaume de Judée, le partagea alors en plusieurs tétrarchies.

 

S. Grég. (hom. 20.) Jean-Baptiste venait annoncer celui qui était roi et prêtre à la fois, L’évangéliste saint Luc précise donc l’époque de sa prédication, non seulement par ceux qui régnaient alors sur la Judée, mais par les grands-prêtres actuels des Juifs : « Sous les grands-prêtres Anne et Caïphe. » — Bède. Tous deux étaient grands-prêtres lorsque Jean commença sa prédication, mais Aune exerçait le souverain pontificat cette année-là même, Caïphe, l’année même où Notre-Seigneur Jésus-Christ fut crucifié. Il y eut bien dans l’intervalle trois autres grands-prêtres, mais l’Évangéliste ne fait mention que de ceux qui ont pris une part plus active à la passion du Sauveur. Les préceptes de la loi étaient obligés de céder devant la violence et l’ambition ; ce n’était ni le mérite personnel, ni la dignité de la famille qui obtenait le souverain pontificat, la puissance romaine en disposait à son gré. En effet, l’historien Josèphe nous rapporte qu’un des premiers actes de Valérius Gratus, avait été de dépouiller le pontife Anne de la souveraine sacrificature, pour en revêtir Ismaël, fils de Baphi. Quelque temps après, Ismaël en était dépouillé à son tour, et avait pour successeur Eléazar, fils du grand-prêtre Ananias. L’année suivante, Valérius ôtait à Ismaël les insignes sacrés du pontificat pour les remettre à un certain Simon, fils de Caïphe. Un an après, Simon avait pour successeur Joseph, qui s’appelait aussi Caïphe. Tout le temps de la prédication de Notre-Seigneur se trouve ainsi compris dans un espace de quatre ans.

 

S. Ambr. Le Fils de Dieu qui devait former et rassembler son Église, commence à opérer par sa grâce dans son serviteur : « La parole du Seigneur se fit entendre à Jean, » etc. Ainsi ce n’est pas un homme, mais le Verbe de Dieu qui préside à la première formation de l’Église. Saint Luc proclame Jean prophète par cette formule abrégée : « La parole de Dieu se fit entendre à Jean. » En effet, celui qui est rempli de la parole de Dieu a-t-il besoin d’une autre recommandation, et l’Évangéliste n’a-t-il pas tout dit dans ces seules paroles ? Saint Matthieu et saint Luc ont voulu au contraire rehausser en Jean-Baptiste le titre de prophète par la description de son vêtement, de sa ceinture et de sa nourriture. — S. Chrys. (hom. 40 sur S. Matth.) La parole de Dieu, c’est ici le commandement de Dieu, parce qu’en effet, le fils de Zacharie n’est point venu de son chef, mais par l’impulsion de Dieu lui-même. — Théophyl. Pendant tout le temps qui s’écoula depuis son enfance jusqu’au jour où il devait paraître en Israël, il demeura caché dans le désert, et l’Évangéliste ajoute ici : « Dans le désert ; » pour détourner jusqu’à l’ombre du soupçon que les liens du sang ou d’une amitié contractée dès l’enfance portaient Jean-Baptiste à rendre témoignage à Jésus. Aussi le saint Précurseur nous assure-t-il expressément qu’il ne le connaissait pas (Jn 1). — S. Greg. de Nyss. (de la Virgin.) Celui qui était venu dans l’esprit et la vertu d’Elie, devait aussi se séparer du commerce des hommes, et s’appliquer à la contemplation des choses invisibles, de peur qu’habitué aux illusions que produisent les sens, il ne vînt à perdre ces clartés intérieures et celles qui devaient lui faire discerner et reconnaître le Sauveur. Aussi il fut rempli d’une telle abondance des grâces divines, qu’aucun prophète n’en reçut jamais de semblables, parce que durant tout le cours de sa vie, il ne cessa d’offrir aux regards de Dieu une âme pure de tout désir vicieux et de toute passion naturelle. — S. Ambr. L’Église elle-même est comme un désert, parce que celle qui était abandonnée a plus d’enfants que celle qui avait un mari (Is 54, 1; voyez aussi Gal 4, 27). Le Verbe de Dieu s’est donc fait entendre, pour que la terre qui était auparavant déserte, nous produisît des fruits de salut.

 

Vv. 3-6.

 

S. Ambr. Le Verbe s’est fait entendre, la voix suivit de près, car le Verbe agit d’abord à l’intérieur, et la voix lui sert ensuite d’instrument et d’interprète : « Et il vint dans toute la région du Jourdain. » — Orig. (hom. 2.) Le mot Jourdain signifie qui descend, parce que le fleuve des eaux salutaires descend des hauteurs de Dieu. Or quels lieux Jean-Baptiste devait-il parcourir de préférence, si ce n’est les bords du Jourdain ; ainsi lorsque le repentir touchait un coeur, on pouvait aussitôt recevoir le baptême de la pénitence dans les eaux du fleuve : « Prêchant le baptême de pénitence pour la rémission des péchés. » — S. Grég. (hom. 20.) Chacun voit par ces paroles que non seulement Jean prêchait le baptême de la pénitence, mais qu’il le donnait à quelques-uns, et cependant ce baptême ne pouvait en réalité remettre les péchés. — S. Chrys. (hom. 10 sur S. Matth.) Et quelle rémission des péchés était possible, alors que la victime pour les péchés du monde n’était pas encore immolée, et que l’Esprit saint n’était pas encore descendu sur la terre ? Pourquoi donc ces paroles de saint Luc : « Pour la rémission des péchés ? » Les Juifs étaient profondément ignorants, et vivaient dans une grande indifférence à l’égard de leurs fautes, c’était là la cause de tous leurs maux. Ce fut donc pour les obliger à reconnaître leurs péchés et à chercher le Rédempteur, que Jean vint les exhorter à faire pénitence, afin que contrits de leurs fautes et revenus à de meilleurs sentiments, ils fissent tous leurs efforts pour obtenir leur pardon. C’est donc avec dessein que l’Évangéliste, après avoir dit que « Jean vint prêchant le baptême de la pénitence, » ajoute : « Pour la rémission des péchés, » comme s’il disait. Il les exhortait à se repentir, pour les disposer à obtenir plus facilement leur pardon par la foi en Jésus-Christ. Si en effet ils n’avaient pas été conduits par la pénitence, ils n’auraient pas songé à demander la grâce de la rémission de leurs péchés. Or ce baptême les préparait à croire en Jésus-Christ. — S. Grég. (hom. 20.) Ou bien l’Évangéliste dit que Jean prêchait le baptême de la pénitence pour la rémission des péchés, parce qu’il avait la mission de prêcher le baptême qui remet les péchés, baptême qu’il ne pouvait donner. Ainsi de même qu’il était par le Verbe ou la parole de sa prédication le Précurseur du Verbe incarné, de même son baptême impuissant pour la rémission des péchés précédait le baptême de la pénitence qui les remet véritablement. — S. Ambr. C’est pour cela qu’il en est plusieurs qui virent dans saint Jean la figure de la loi, parce que la loi pouvait bien faire connaître le péché, mais ne pouvait le remettre.

S. Grég. de Nazianze. (Disc. 39.) Disons quelques mots de la nature et du caractère des différents baptêmes. Moïse a baptisé dans l’eau, dans la nuée et dans la mer (mais d’une manière figurative). Jean a baptisé, mais non pas selon le rit des Juifs, car il ne baptisait pas seulement dans l’eau, mais pour la rémission des péchés, cependant son baptême n’était pas tout à fait spirituel, car l’Évangéliste n’ajoute point : Par l’Esprit. Jésus baptise, mais par l’Esprit, et c’est le baptême parfait. Il est encore un quatrième baptême, le baptême du martyre et du sang que Jésus-Christ lui-même a voulu recevoir, baptême plus auguste et plus vénérable que les autres, parce qu’il n’est point exposé à être profané par les rechutes dans le péché. On peut encore compter un cinquième baptême, baptême des larmes, baptême laborieux, dans lequel David se purifiait en arrosant chaque nuit de ses larmes le lit où il prenait son repos.

« Comme il est écrit dans le livre du prophète Isaïe (Is 40). Voix de celui qui crie dans le désert. » — S. Ambr. C’est avec raison que Jean-Baptiste, le Précurseur du Verbe est appelé « la voix, » car la voix précède le Verbe dont elle dépend, tandis que le Verbe qui vient après lui est supérieur. — S. Grég. (hom. 7 et 20.) Jean-Baptiste crie dans le désert, parce qu’il vient annoncer les consolations de la rédemption aux Juifs. abandonnés et plongés dans la détresse. Et quel était le sens de ses prédications ? « Préparez le chemin du Seigneur, » etc. Tout homme qui prêche la véritable foi et la nécessité des bonnes oeuvres, que fait-il autre chose que de préparer la voie du Seigneur dans les coeurs de ceux qui l’écoutent, et de rendre droits ses sentiers en faisant naître dans les âmes des pensées pures par ses saintes prédications. — Orig. (hom. 21.) Ou bien encore, c’est nous-mêmes qui devons préparer la voie au Seigneur dans notre coeur. Car le cœur de l’homme est grand et spacieux, si toutefois il est pur, car sa grandeur ne consiste pas dans les dimensions extérieures, mais dans la force de son intelligence qui le rend capable de contenir la vérité. Préparez donc par une vie sainte la voie au Seigneur dans votre coeur, redressez le sentier de votre vie par l’excellence et la perfection de vos oeuvres, afin que la parole de Dieu puisse pénétrer en vous sans obstacle. — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Ce sentier, c’est la voie qu’ont parcourue leurs ancêtres, et que les premiers hommes ont faussée et corrompue ; la parole de Dieu commande donc à ceux qui sont loin d’imiter le zèle de leurs pères de redresser de nouveau ce sentier. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ce n’était point à lui de crier : « Préparez la voie du Seigneur, » c’était l’office du Précurseur, et il est appelé la voix, parce qu’il était le Précurseur du Verbe.

 

S. Cyr. (Liv. 3, sur Isaïe, ch. 40.) Jean-Baptiste prévient cette question qu’on pouvait lui faire : Comment préparerons-nous la voie du Seigneur ? Comment encore redresserons-nous ses sentiers ? Ceux qui veulent mener une vie vertueuse rencontrent tant d’obstacles ! Il y a, en effet, des chemins et des sentiers qui ne sont nullement praticables, parce que tantôt ils s’élèvent sur les collines et sur des endroits abruptes, tantôt ils descendent brusquement dans les vallées ; c’est pour éloigner cette difficulté que le saint Précurseur ajoute : « Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline seront abaissées. » C’est ce que Notre-Seigneur a opéré spirituellement par sa puissance. Autrefois, en effet, le chemin de la vertu et de la sainteté évangélique était difficile à parcourir, parce que les âmes étaient comme appesanties sous le poids des plaisirs sensuels ; mais aussitôt qu’un Dieu fait homme eut expié le péché dans sa chair (Rm 8), toutes les voies furent aplanies, aucune colline, aucune vallée ne fit plus obstacle à ceux qui voulaient avancer. — Orig. (hom. 22.) Lorsque Jésus fut venu et qu’il eut envoyé son Esprit, toute vallée a été remplie de bonnes oeuvres et des fruits de l’Esprit saint ; si vous possédez ces fruits, non seulement vous cesserez d’être une vallée, mais vous commencerez à devenir la montagne de Dieu. — S. Grég. de Nysse. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien les vallées sont ici la figure de la pratique paisible et tranquille des vertus, selon cette parole du Roi-prophète : Les vallées seront pleines de froment. » (Ps 69.) — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Sous le nom de montagne, Jean-Baptiste désigne les orgueilleux et les superbes que Jésus-Christ a humiliés, les collines sont ceux qui sont désespérés, non seulement à cause de l’orgueil de leur esprit, mais par suite de l’impuissance et de la stérilité de leur désespoir, car une colline ne produit aucun fruit. — Orig. (hom. 22.) Par ces collines et ces montagnes, vous pourriez encore entendre les puissances ennemies qui ont été abaissées par la venue du Christ. — S. Bas. Comme les collines, si on les compare aux montagnes, en diffèrent par la grandeur, mais leur sont semblables pour le reste ; ainsi les puissances ennemies sont toutes égales par la volonté qu’elles ont de nous nuire, mais diffèrent entre elles par l’énormité du mal qu’elles causent. — S. Grég. (hom. 20.) Ou bien cette vallée qui croît en se comblant, cette montagne qui décroît en s’abaissant, c’est la gentilité que la foi en Jésus-Christ a remplie de la plénitude de la grâce, et les Juifs qui, par leur coupable perfidie, ont perdu cette hauteur dont ils étaient si fiers, car les humbles reçoivent les grâces que les superbes éloignent de leur coeur par leur orgueil. — S. Chrys. (hom. 40 sur S. Matth.) Ou bien par cette comparaison il nous apprend qu’aux difficultés de la loi va succéder la facilité de la foi, comme s’il disait : Vous n’aurez plus à craindre ni travaux pénibles, ni douleurs, mais la grâce et la rémission des péchés vous ouvriront une voie facile pour arriver au salut. — S. Grég. de Nysse. Ou bien, il ordonne de combler les vallées et d’abaisser les collines et les montagnes, pour nous apprendre que la vertu bien réglée ne doit ni présenter de vide causé par le défaut des bonnes oeuvres, ni offrir d’inégalités par l’excès du bien. — S. Grég. (hom. 20.) Les chemins tortueux deviennent droits lorsque les coeurs des méchants, que l’iniquité avait rendus tortueux, rentrent dans la droiture de la justice, et les chemins raboteux deviennent unis, lorsque les âmes irascibles et violentes reviennent à la bénignité de la douceur par l’infusion de la grâce céleste.

 

S. Chrys. Le saint Précurseur motive ensuite la nécessité de tous ces changements : « Et toute chair verra le salut de Dieu. » Il nous apprend ainsi que la vertu et la connaissance de l’Évangile se répandront jusqu’aux extrémités de la terre pour changer en douceur et en bonté les moeurs féroces et l’opiniâtre volonté du genre humain. Ce ne sont pas seulement les Juifs appelés prosélytes, mais toute la nature humaine qui est appelée à contempler le salut de Dieu. — S. Cyr. (sur Isaïe, 3, 40.) C’est-à-dire le salut de Dieu le Père qui a envoyé son Fils pour être notre Sauveur. La chair est prise ici pour l’homme tout entier. — S. Grég. (hom. 20.) Ou bien dans un autre sens, toute chair, c’est-à-dire tout homme, n’a pu voir en cette vie le salut de Dieu qui est Jésus-Christ ; le saint prophète porte donc ses regards jusqu’au jour du jugement dernier, où tous les hommes, les réprouvés comme les élus, verront également le salut de Dieu.

 

Vv. 7-9.

Orig. (hom. 22.) Celui qui persévère dans son premier état de vie, et qui ne quitte ni ses moeurs ni ses habitudes, n’est pas digne de se présenter au baptême. S’il veut mériter cette grâce, qu’il sorte tout d’abord de sa vie ancienne. Aussi l’Évangéliste dit-il en termes exprès : « Jean-Baptiste s’adressait à la foule qui sortait pour être baptisée par lui. » C’est donc à la foule qui sortait pour venir à son baptême, qu’il adresse les paroles suivantes, car si elle fût entièrement sortie, il ne l’eût pas appelée race de vipères. — S. Chrys. (hom. 41 sur S. Matth.) Cet habitant du désert, à la vue de tous les habitants de la Palestine qui l’entourent, pleins d’admiration pour sa personne, ne se laisse pas influencer par ces témoignages de profonde vénération, mais il s’élève avec force contre eux, et ne craint pas de leur reprocher leurs crimes. (Et hom. 12 sur la Gen.) La sainte Écriture caractérise ordinairement les hommes en leur donnant des noms d’animaux en rapport avec les passions qui les dominent, elle les appelle des chiens à cause de leur insolence, des chevaux à cause de leur penchant à la luxure, des ânes à cause de leur défaut d’intelligence, des lions et des léopards à cause de leur voracité et de leur caractère violent, des aspics à cause de leur esprit rusé, des serpents et des vipères à cause de leur venin et de leurs démarches tortueuses, et c’est pour cela que Jean-Baptiste appelle ouvertement les Juifs, « race de vipères. »

S. Bas. (cont. Eunom., 2.) Les noms de fils et d’engendré se donnent aux êtres animés ; le mot race peut s’appliquer au germe avant sa formation, on donne aussi quelquefois ce nom aux productions des arbres ; mais rarement on l’emploie en parlant des animaux, et toujours en mauvaise part. — S. Chrys. (sur S. Matth.) On dit que la vipère tue le mâle qui la féconde, et que les petits, à leur tour, tuent leur mère en naissant, et viennent au monde en déchirant son sein, comme pour venger la mort de leur père. La race de la vipère est donc une race parricide. Tels étaient les Juifs qui mettaient à mort leurs pères spirituels et leurs docteurs. Mais comment expliquer ce langage, puisque les Juifs ne persévèrent plus dans leurs péchés, mais qu’ils commencent à se convertir ? Au lieu de les outrager, ne devait-il pas chercher à les attirer ? Nous répondons que Jean ne s’arrêtait pas à ces démonstrations extérieures, Dieu lui avait révélé le secret de leurs coeurs, et il y voyait qu’ils étaient trop fiers de leurs ancêtres. C’est pour détruire dans sa racine cette vaine présomption, qu’il les appelle « race de vipères, » sans faire remonter ce reproche jusqu’aux patriarches, qu’il se garde bien de traiter de la sorte. — S. Grég. (hom. 20.) Il se sert de cette expression, parce que pleins d’envie à l’égard des justes qu’ils persécutaient, ils suivaient en cela les voies de leurs ancêtres selon la chair, semblables à des enfants infectés du poison que leurs pères, remplis eux-mêmes de venin, leur ont communiqué en leur donnant le jour. Comme les paroles qui précèdent, se rapportent à la manifestation de Jésus-Christ en présence de tous les hommes au jour du jugement dernier, Jean-Baptiste leur dit : « Qui vous a enseigné à fuir la colère à venir ? » La colère à venir, ce sont les effets de la vengeance du dernier jour. — S. Amb. Nous voyons par là que la miséricorde de Dieu leur avait inspiré la prudence qui les portait à se repentir de leurs péchés, en redoutant, par une religieuse prévoyance, les terreurs du jugement dernier. Ou bien peut-être, le saint Précurseur veut-il dire que, conformément à ces paroles du Sauveur : « Soyez prudents comme des serpents, » les Juifs ont cette prudence naturelle qui fait voir et rechercher ce qui est utile, mais qui n’est pas assez puissante pour éloigner entièrement de ce qui est nuisible.

 

S. Grég. (hom. 20.) Comme le pécheur qui ne recourt pas maintenant aux larmes de la pénitence, ne pourra se dérober alors aux effets de la colère de Dieu, Jean-Baptiste ajoute : « Faites donc de dignes fruits de pénitence. » — S. Chrys. (hom. 10 sur S. Matth.) En effet, il ne suffit pas aux pécheurs repentants de renoncer à leurs péchés, il faut encore qu’ils produisent des fruits de pénitence, selon cette parole du Psalmiste : « Eloignez-vous du mal, et faites le bien » (Ps 30) ; de même qu’il ne suffit pas pour être guéri, d’arracher le fer de la plaie, mais il faut encore appliquer sur la blessure les médicaments qui doivent hâter sa guérison. Jean-Baptiste ne dit pas ici : Faites du fruit, mais : « Faites des fruits, » pour indiquer qu’elle en doit être l’abondance. — S. Grég. (hom. 20.) Ce ne sont pas seulement des fruits, mais de dignes fruits de pénitence qu’ils doivent produire. Celui, en effet, qui n’a commis aucune action défendue, peut se permettre l’usage des choses licites. Mais celui qui est tombé dans des fautes graves, doit s’interdire d’autant plus rigoureusement les choses permises, qu’il se souvient d’en avoir commis de défendues. Les fruits des bonnes oeuvres ne doivent pas être les mêmes pour celui qui s’est rendu moins coupable et pour celui qui l’est davantage, pour celui qui n’est tombé dans aucun crime, et pour celui qui en a plusieurs à se reprocher. Le saint Précurseur fait donc ici un appel à la conscience de chacun, pour l’engager à devenir d’autant plus riche en bonnes oeuvres, qu’il a éprouvé par ses fautes des pertes plus considérables. — S. Max. (Ch. des Pèr. gr.) Le fruit de la pénitence, c’est une espèce d’impassibilité de l’âme vis-à-vis du mal, impassibilité qui ne nous est pleinement acquise que lorsque nous sommes insensibles aux instigations de nos passions ; jusque là, nous n’avons pas fait de dignes fruits de pénitence. Que notre repentir soit donc sincère, afin que, délivrés de nos passions, nous obtenions le pardon de nos péchés.

 

S. Grég. (hom. 22.) Mais les Juifs, fiers de la noblesse de leurs ancêtres, ne voulaient point se reconnaître pécheurs, parce qu’ils descendaient de la race d’Abraham. Aussi Jean-Baptiste les pousse dans ce dernier retranchement : « Et ne vous mettez point à dire : Abraham est notre père. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Il ne leur conteste pas qu’ils descendent d’Abraham par une filiation naturelle, mais il veut leur faire entendre qu’il ne leur sert de rien de descendre d’Abraham, s’ils ne peuvent montrer en même temps la descendance qui vient de la vertu. En effet, dans le style de l’Écriture, les liens de la parenté ne sont pas ceux qui sont formés par le sang, mais ceux qui viennent de la ressemblance des vertus ou des vices, et chacun est appelé le fils ou le frère de ceux dont il reproduit en lui la ressemblance. — S. Cyr. Que sert, en effet, d’être d’une descendance illustre, si on ne cherche à l’appuyer, à la maintenir par de nobles instincts. C’est donc une vanité que de se glorifier de la noblesse et des vertus de ses ancêtres, et de ne prendre aucun souci d’imiter leurs vertus. — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Ce n’est point l’agilité de son père qui rend un cheval prompt à la course. Or, de même que ce qui fait le mérite de tous les autres animaux, ce sont les qualités personnelles ; ainsi ce qui rend un homme digne d’éloges, ce sont les bonnes oeuvres dont il peut donner la preuve ; car il est honteux de se parer de la gloire d’autrui, quand on ne peut la soutenir par ses vertus personnelles.

 

S. Grég. de Nysse. Après avoir prédit l’exil des Juifs et prophétisé leur réprobation, il prédit comme une suite nécessaire la vocation des Gentils, qu’il appelle des pierres : « Je vous déclare, » etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il semble leur dire : Ne croyez pas que si vous venez à périr, le patriarche Abraham cessera d’avoir des enfants ; car Dieu peut susciter des hommes de ces pierres mêmes, et en faire de véritables enfants d’Abraham. Et c’est ce qu’il a fait autrefois ; car en faisant naître un fils du sein stérile de Sara, n’a-t-il pas opéré un prodige semblable à celui de faire sortir des hommes des pierres elles-mêmes. — S. Ambr. Mais quoique Dieu puisse à son gré changer et transformer les natures créées, cependant le mystère que renferme ces paroles m’est plus avantageux que le miracle ; car qu’étaient-ils autre chose que des pierres ceux qui adoraient des idoles de pierre, semblables à ceux qui les avaient faites ? Jean-Baptiste prophétise donc que la foi pénétrera les coeurs de pierre des Gentils, et prédit qu’ils deviendront, par la foi, de véritables enfants d’Abraham. Pour nous faire mieux comprendre quels hommes il a comparés à des pierres, il les compare encore à des arbres, dans les paroles suivantes : « La cognée est déjà à la racine de l’arbre. » Il change de comparaison pour vous faire comprendre par cette allégorie déjà plus relevée, qu’il s’est fait dans l’homme un certain progrès qui les approche du bien.

 

Orig. (hom. 23.) Si la consommation de toutes choses était proche, si nous touchions à la fin des temps, il n’y aurait pour moi aucune difficulté, et je dirais tout simplement que cette prophétie doit recevoir alors son accomplissement. Mais puisqu’il s’est écoulé tant de siècles depuis cette prédiction de l’Esprit saint ; je pense que cette prophétie s’adresse au peuple juif, à qui Jean-Baptiste prédit sa destruction prochaine ; car c’est à ceux qui venaient à lui pour être baptisés qu’il tenait ce langage. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Cette cognée qui doit les frapper dans le temps présent, c’est la vengeance exterminatrice qui vint fondre sur les Juifs du haut du ciel, pour punir l’attentat impie et sacrilège qu’ils commirent sur la personne de Jésus-Christ. Il ne dit point cependant que la cognée va trancher la racine, mais qu’elle a été mise à la racine de l’arbre, (c’est-à-dire auprès de la racine), car les branches ont été retranchées sans que l’arbre ait été détruit jusque dans sa racine, parce que les restes du peuple d’Israël doivent être sauvés.

 

S. Grég. (hom. 20.) Ou bien dans un autre sens, cet arbre c’est le genre humain tout entier. La cognée, c’est notre Rédempteur, que l’on peut tenir par l’humanité dont il s’est revêtu, et qui est comme le manche de la cognée, mais qui tient de la divinité la vertu de couper et de retrancher. Cette cognée est déjà mise à la racine de l’arbre ; car bien qu’elle attende avec longanimité, on voit cependant le coup qu’elle s’apprête à frapper. Et remarquez qu’il ne dit point : La cognée est déjà placée sur les branches, mais : « A la racine. » En effet, lorsque les enfants des méchants sont détruits, ce sont les branches de l’arbre stérile qui sont retranchées. Mais lorsque toute la race des méchants est exterminée avec son père, c’est l’arbre infructueux qui est coupé jusque dans sa racine. Or, tout homme vicieux et criminel doit s’attendre à être jeté dans le feu de l’enfer qui lui a été préparé pour punir sa négligence à produire le fruit des bonnes oeuvres. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Le saint Précurseur dit judicieusement : « Qui ne fait point de fruit, et même de bon fruit ; » car Dieu a créé l’homme pour travailler et pour produire, et l’application persévérante au travail lui est naturelle, tandis que l’oisiveté est contre sa nature. En effet, l’inaction est nuisible à tous les membres de son corps, mais bien plus encore à son âme, qui, étant essentiellement active, ne peut rester un instant dans l’oisiveté. Mais de même que l’oisiveté est funeste, le mouvement et le travail ont aussi leur danger (lorsqu’ils servent au mal.) Après avoir exhorté à faire pénitence, il annonce que la cognée est à la racine, non encore pour couper et pour retrancher, mais pour menacer et inspirer une salutaire terreur. — S. Ambr. Que celui donc qui le peut, produise des fruits de grâce ; que celui pour qui c’est un devoir rigoureux, fasse des fruits de pénitence ; voici le Seigneur qui vient chercher des fruits, et donner la vie à ceux qui produisent des fruits abondants, et condamner ceux qui sont stériles.

 

Vv. 10-14.

S. Grég. (hom. 20.) Ces paroles de Jean-Baptiste prouvent qu’il avait fait naître un trouble salutaire dans l’âme de ses auditeurs, puisqu’ils viennent lui demander ce qu’ils doivent faire : « Et la foule l’interrogeait, » etc. — Orig. (hom. 23.) Trois sortes d’hommes viennent demander à Jean ce qu’ils doivent faire pour être sauvés ; les uns que l’Écriture appelle le peuple ou la foule, les autres qui sont les publicains, et les troisièmes qu’elle comprend sous le nom de soldats. — Théophyl. Or, il recommande aux publicains et aux soldats de s’abstenir de tout mal, mais quant au peuple, qu’il regarde comme moins enclin au mal, il prescrit la pratique des bonnes oeuvres : « Il leur répondit : Que celui qui a deux tuniques en donne une à celui qui n’en a point, » etc. — S. Grég. (hom. 20.) La tunique est d’un usage plus nécessaire que le manteau ; aussi un des fruits principaux de la pénitence est de nous faire partager avec le prochain non seulement les choses extérieures plus ou moins utiles, mais celles qui nous sont le plus nécessaires, comme la tunique dont nous sommes vêtus, les aliments qui soutiennent notre existence : « Et que celui qui a de quoi manger fasse de même. » — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Nous apprenons de là l’obligation où nous sommes de donner pour Dieu tout notre superflu à ceux qui sont dans l’indigence, parce que c’est Dieu qui nous a donné tout ce que nous possédons.

 

S. Grég. (hom. 20.) Il est écrit dans la loi : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même. » Donc on n’aime pas son prochain, quand on ne partage pas même son nécessaire avec celui qui se trouve dans l’extrême besoin. Il est commandé de partager avec le prochain une des deux tuniques que l’on possède, car si on n’en avait qu’une à partager, elle ne pourrait servir de vêtement à aucun des deux. Nous pouvons juger par toutes ces recommandations, de quel prix sont les oeuvres de miséricorde, puisqu’elles tiennent le premier rang parmi les dignes fruits de pénitence. — S. Ambr. Chaque condition a ses devoirs particuliers, la pratique de la miséricorde est un devoir commun à tous les hommes, et c’est pour tous les hommes une obligation rigoureuse de donner à celui qui est dans l’indigence. La miséricorde comprend pour ainsi dire toutes les vertus ; cependant la pratique de la miséricorde a ses règles, et doit se mesurer sur les moyens et les ressources de chacun, elle n’oblige pas à se dépouiller entièrement de ce qu’on possède, mais à le partager avec celui qui n’a rien.

 

Orig. (hom. 23.) Ce passage renferme un sens plus profond : en effet, de même que nous ne pouvons servir deux maîtres, de même nous ne devons pas avoir deux tuniques, dont l’une serait le vêtement du vieil homme, et l’autre le vêtement de l’homme nouveau. Nous devons au contraire dépouiller le vieil homme et revêtir celui qui est nu, car l’un a Dieu dans son coeur, et l’autre en est privé. Il est écrit que nous devons précipiter nos péchés au fond de la mer ; nous devons également repousser loin de nous nos fautes et nos vices, et les rejeter pour ainsi dire sur celui qui en a été pour nous la cause. — Théophyl. Il en est qui voient dans ces deux tuniques l’esprit et la lettre de l’Écriture. Jean recommande à celui qui possède l’un et l’autre, d’instruire les ignorants et de leur enseigner an moins la lettre de la sainte Écriture.

 

Bède. La puissance de la parole de Jean-Baptiste était si grande, qu’elle forçait les publicains et les soldats eux-mêmes à venir lui demander ce qu’ils devaient faire pour être sauvés : « Des publicains vinrent aussi, » etc. — S. Chrys. (hom. 24 ou 25.) Qu’elle est grande la puissance de la vertu, puisqu’elle amène les riches du monde à venir demander à celui qui n’a rien le chemin du vrai bonheur ? — Bède. Le saint Précurseur leur recommande de n’exiger rien au delà de ce qui leur est prescrit : « Il leur dit : N’exigez rien de plus de ce qui vous a été prescrit. » On appelait publicains ceux qui levaient les impôts, qui avaient la charge de collecteurs des contributions ou des revenus publies, et on donnait ce nom par extension à ceux qui cherchaient à augmenter leurs richesses par le négoce et les affaires. Jean-Baptiste leur fait à tous un précepte de s’abstenir de toute fraude, et en réprimant ainsi tout désir de s’emparer du bien d’autrui, il les amène à partager leurs propres biens avec le prochain : « Et des soldats vinrent aussi l’interroger, » etc. Il leur donne cette règle de juste et sage modération, de ne dépouiller jamais injustement ceux qu’ils doivent défendre et protéger par état : « Et il leur dit : Abstenez-vous de toute concussion (ou de toute violence), ne commettez aucune injustice (par des voies frauduleuses), et contentez-vous de votre paie. — S. Ambr. Il enseigne par là que la milice reçoit une paie légalement établie, de peur qu’en laissant aux soldats de pourvoir à leur subsistance, on n’ouvre ainsi la porte au pillage. — S. Grég. de Naz. (Disc. 9 contr. Jul.) Il donne ici le nom de paie à la solde impériale et au traitement assigné par la loi à ceux qui étaient en place. — S. Aug. (contr. Faust., liv. 22, ch. 7.) Jean-Baptiste savait que les soldats, lorsqu’ils font la guerre, ne sont pas des homicides, mais les exécuteurs de la loi, qu’ils ne sont point les vengeurs des injures particulières, mais les défenseurs du salut public. Autrement il leur eût répondu : Dépouillez-vous de vos armes, et quittez le service militaire, ne frappez, ne blessez, ne tuez personne. Qu’y a-t-il en effet de coupable dans la guerre ? Est-ce de donner la mort aux uns pour laisser les autres régner en paix après la victoire ? Condamner la guerre à ce point de vue n’est point un acte de religion, mais de lâcheté. Ce qui est justement condamné dans les guerres, c’est le désir de nuire, c’est la cruauté dans la vengeance, c’est d’avoir une âme impitoyable, implacable, c’est la férocité dans le combat, c’est la fureur de dominer et autres excès semblables. Or c’est pour punir ces excès ou les violences de ceux qui se révoltent, soit contre Dieu, soit contre le commandement d’une autorité légitime, que les bons eux-mêmes font la guerre, lorsqu’ils se trouvent dans des circonstances telles que l’ordre et la justice leur font un devoir ou de commander de prendre les armes, ou d’obéir à ce commandement.

S. Chrys. (hom. 25 sur S. Matth.) En traçant ces règles si simples de conduite aux publicains et aux soldats, Jean-Baptiste voulait les élever à une perfection plus grande, mais comme ils n’en étaient pas encore capables, il leur donne des préceptes plus faciles, car s’il leur avait proposé tout d’abord les obligations d’une vie plus parfaite, ils n’y auraient donné aucune attention, et seraient demeurés privés de la connaissance des devoirs plus ordinaires et plus faciles.

 

Vv. 15-17.

Orig. (hom. 23.) Il était juste que Jean fût environné de plus d’honneurs que les autres hommes, lui dont la vie était plus parfaite que celle de tous les autres mortels. Aussi les Juifs avaient-ils pour lui une bien légitime prédilection, mais qui cependant était par trop exagérée : « Or, comme tout le peuple flottait dans ses pensées, et que tous se demandaient dans leurs coeurs s’il ne serait pas le Christ. » — S. Ambr. Quoi de plus insensé que de refuser de croire, lorsqu’il vint lui-même en personne, celui qu’ils voulaient reconnaître dans la personne d’un autre ? Ils pensaient que le Messie devait naître d’une femme, et ils ne veulent pas croire qu’il ait pu naître d’une Vierge, et cependant le signe que Dieu avait donné de l’avènement du Sauveur, c’était l’enfantement d’une Vierge et non celui d’une femme.

Orig. (hom. 25.) L’affection a ses périls, si elle franchit les justes bornes. Quand on aime quelqu’un, on doit considérer attentivement la nature et les motifs de son affection, et la proportionner au mérite de celui qu’on aime, car si l’on dépasse la mesure et les limites de la charité, celui qui aime comme celui qui est aimé se rendent coupables. — Ch. des Pèr. gr. Aussi Jean ne pensa pas à se glorifier de l’opinion que tous avaient de lui, et ne parut jamais désirer d’être le premier ; loin de là, il fit toujours profession de l’humilité la plus profonde : « Mais Jean répondit, » etc. — Bède Comment put-il répondre à ceux qui pensaient dans leurs coeurs qu’il pouvait être le Christ ? C’est que non seulement telle était leur pensée, mais qu’ils lui avaient député des prêtres et des lévites pour lui demander s’il était le Christ, comme le raconte un autre Évangéliste.

 

S. Ambr. Ou bien, c’est que Jean lisait dans le secret des coeurs, mais considérez de qui lui venait cette prérogative, car la grâce de Dieu seule peut révéler ce qu’il y a de plus caché dans le fond des coeurs, et non la puissance de l’homme qui reçoit bien plus de lumières du secours d’en haut, que de ses facultés naturelles. Or, il répondit aussitôt et sans hésiter qu’il n’était pas le Christ, lui qui n’exerçait qu’un ministère extérieur et visible. L’homme, en effet, est un composé de deux natures, c’est-à-dire, de l’âme et du corps ; la partie visible est consacrée par une action visible, la partie invisible reçoit une consécration intérieure et invisible. Ainsi l’eau lave le corps et le purifie, mais l’Esprit purifie l’âme de ses fautes, quoique l’eau elle-même soit comme pénétrée du souffle de la grâce divine. Le baptême de la pénitence est donc différent du baptême de la grâce, celui-ci opère par ces deux choses réunies, l’eau et l’Esprit ; celui-là par l’eau seulement : l’oeuvre de l’homme c’est de faire pénitence de ses fautes, c’est la part exclusive de Dieu de réaliser la grâce du mystère. Aussi Jean-Baptiste repoussant tout désir ambitieux de grandeur, déclare, non par ses paroles, mais par ses oeuvres, qu’il n’est pas le Christ, c’est pour cela qu’il ajoute : « Un autre va venir plus puissant que moi, » etc. En disant : « Plus puissant que moi, » il n’établit point une comparaison, car aucune comparaison n’est possible entre le Fils de Dieu et un homme, mais il veut simplement dire que s’il y en a beaucoup parmi les anges et les hommes qui aient de la puissance, le Christ seul est plus puissant qu’eux tous. Enfin, il est si loin de vouloir faire une comparaison, qu’il ajoute : « Dont je ne suis pas digne de dénouer la courroie de la chaussure. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 12.) Saint Matthieu dit au contraire : « Dont je ne suis pas digne de porter la chaussure. » S’il y a quelque intérêt à donner un sens différent à ces deux locutions : « Porter la chaussure, » ou : « Dénouer les cordons de la chaussure, » de manière qu’un Évangéliste ait rapporté la première de ces deux locutions, et l’autre la seconde, il faut admettre que tous deux ont dit la vérité. Si au contraire, en parlant de la chaussure du Seigneur, Jean-Baptiste ne s’est proposé que de faire ressortir la supériorité du Christ et son humble dépendance, ces deux locutions figurées, rapportées l’une par saint Matthieu et l’autre par saint Luc, expriment la même vérité, et ont pour but de faire ressortir la profonde humilité du saint Précurseur.

 

S. Ambr. Ces paroles : « Je ne suis pas digne de porter sa chaussure, » signifient encore que le ministère et la grâce de la prédication ont été confiés aux Apôtres qui ont aux pieds la chaussure de l’Évangile (Ep 6, 15). Cependant on peut dire que Jean-Baptiste s’exprime de la sorte, parce qu’il représente la personne du peuple juif.

 

S. Grég. (hom. 7.) Jean-Baptiste se déclare indigne de dénouer la courroie de sa chaussure, comme s’il disait : Je ne puis découvrir les pieds du Rédempteur puisque je ne puis prendre le nom d’époux qui ne m’appartient pas. C’était la coutume, en effet, chez les anciens, que lorsqu’un homme ne voulait point prendre la femme qu’il devait épouser, celui qui devenait alors son époux ôtait la chaussure du premier qui l’avait refusée (cf. Dt 25) ; ou bien encore, comme les chaussures sont faites avec la peau des animaux qui sont morts, Notre-Seigneur, par son incarnation, est venu dans le monde portant aux pieds les dépouilles mortelles de notre nature corruptible. La courroie de la chaussure est comme le noeud du mystère. Jean-Baptiste ne peut donc dénouer la courroie de la chaussure du Sauveur, parce qu’il est incapable de pénétrer le mystère de l’incarnation que l’esprit prophétique seul lui a fait connaître.

 

S. Chrys. (hom. 11.) Il venait de déclarer que son baptême n’était qu’un baptême d’eau, il montre maintenant l’excellence du baptême institué par le Christ : « Pour lui, il vous baptisera dans l’Esprit saint et le feu, exprimant ainsi par cette métaphore l’abondance de la grâce, car il ne dit pas : Il vous donnera l’Esprit saint, mais : « Il vous baptisera dans l’Esprit saint. » Il ajoute : « Et dans le feu, » pour montrer toute la puissance de la grâce. Et de même que Jésus-Christ exprime sous la figure de l’eau (cf. Jn 4, 14) la grâce de l’Esprit saint, c’est-à-dire, la pureté qu’elle produit et l’ineffable consolation dont elle inonde les âmes qui en sont dignes ; ainsi Jean-Baptiste, sous l’image du feu, veut exprimer la ferveur et la pureté que la grâce produit dans l’âme avec la destruction complète du péché. — Bède. Sous la figure du feu, on peut encore entendre l’Esprit saint qui embrase par l’amour et tout à la fois éclaire par la sagesse les coeurs qu’il remplit de sa présence, et c’est pour exprimer cette vérité que les Apôtres ont reçu le baptême de l’Esprit sous l’image d’un feu visible. Il en est qui expliquent ce passage en disant que le baptême de l’Esprit est pour le temps présent, et le baptême du feu pour la vie à venir ; en ce sens que de même que nous puisons une nouvelle naissance dans l’eau et l’Esprit saint pour la rémission de tous nos péchés, de même nous serons purifiés de nos fautes plus légères par le baptême de feu du purgatoire. — Orig. (hom. 24.) De même encore que Jean-Baptiste attendait sur les bords du fleuve du Jourdain ceux qui venaient demander son baptême, qu’il repoussait les uns, en les appelant : « Race de vipères, » et recevait les autres qui faisaient l’aveu sincère de leurs péchés, ainsi le Seigneur Jésus se tiendra sur les bords du fleuve de feu près du glaive flamboyant. Tout homme qui, au sortir de cette vie voudra entrer dans le paradis et aura besoin d’être purifié, sera baptisé dans ce bain de feu avant d’être introduit dans le paradis. Quant à celui qui ne portera point le signe des premiers baptêmes, il ne pourra être baptisé dans ce baptême de feu.

 

S. Bas. (traité de l’Esprit saint, ch. 2.) De ces paroles de Jean-Baptiste : « Il vous baptisera dans l’Esprit saint. » N’allez pas conclure que la seule invocation de l’Esprit saint rend le baptême parfait, car pour les signes sacrés qui nous confèrent la grâce, nous devons suivre dans toute leur intégrité les règles de la tradition. Vouloir y ajouter ou en retrancher quelque chose, c’est se retrancher de la vie éternelle, car nous baptisons au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, pour conformer notre baptême à notre croyance. — Ch. des Pèr. gr. Ces paroles : « Il vous baptisera dans l’Esprit saint, » signifient donc l’abondance de la grâce et la richesse du bienfait. Mais parce qu’on pourrait croire que c’est le propre de la puissance et de la volonté du Créateur de répandre ses bienfaits, tandis qu’il n’entre nullement dans ses attributs de punir les rebelles ; Jean-Baptiste ajoute : « Il tient le van en sa main, » nous enseignant ainsi qu’il est aussi sévère pour venger les prévaricateurs qu’il est magnifique pour récompenser la vertu. Le van signifie la promptitude dans l’exécution du jugement, car en un instant, sans aucun débat, sans acun délai, il séparera les damnés de la société des élus.

 

S. Cyr. (Trés., 2, 4) En ajoutant : « Et il nettoiera son aire, » Jean-Baptiste nous apprend que Jésus-Christ est le souverain Maître de l’Église. — Bède. L’aire est en effet la figure de l’Église de la terre, où il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Cette aire se nettoie en partie dans la vie présente, lorsqu’un mauvais chrétien est retranché de l’Église par le jugement sacerdotal, en punition de ses fautes publiques et scandaleuses ; ou bien lorsque après sa mort il est condamné au tribunal de Dieu pour des crimes secrets ; et elle sera nettoyée entièrement à la fin du monde, quand le Fils de l’homme enverra ses anges pour faire disparaître de son royaume tous les scandales. — S. Aug. Le van, que le Seigneur tient en sa main, signifie qu’à lui seul appartient le droit de discerner les mérites des hommes, parce qu’en effet, lorsqu’on vanne le blé dans l’aire, le souffle de l’air fait comme une espèce de discernement du bon grain d’avec le mauvais : « Et il amassera le froment dans son grenier, » etc. Par cette comparaison, le Seigneur nous enseigne qu’au jour du jugement, il fera le discernement des mérites solides et des véritables fruits de vertu d’avec la légèreté stérile de toutes ces actions vaines, aussi chétives que présomptueuses, et placera dans la demeure des cieux les hommes d’une vertu parfaite. Or, les hommes qui sont des fruits parfaits sont ceux qui ont été jugés dignes de ressembler à celui qui a été semé comme un grain de blé pour produire ensuite des fruits plus abondants. (Jn 12.) — S. Cyr. La paille, au contraire, est l’emblème des âmes indolentes et vaines, et dont la mobilité flotte à tout vent de péché. — S. Bas. Les chrétiens de cette espèce ne laissent pas d’être utiles à ceux qui sont jugés dignes du royaume des cieux, soit en leur communiquant les dons spirituels, soit en leur donnant des secours extérieurs, bien qu’ils ne le fassent point par un motif d’amour de Dieu ou de charité du prochain.

 

Orig. (hom. 26) Comme le blé ne peut être séparé de la paille que par le mouvement de l’air, le juste juge est représenté tenant à la main un van, qui fait connaître que les uns sont de la paille et les autres du froment. En effet, lorsque vous n’étiez qu’une paille légère (c’est-à-dire incrédule), la tentation vous a fait voir ce que vous étiez sans le savoir, mais lorsque vous avez supporté courageusement les épreuves, la tentation ne vous rend pas fidèle et patient, mais elle fait éclater la vertu qui était au dedans de votre âme.

 

S. Grég. de Nysse. Il est utile de se rappeler que les biens qui nous sont promis et que Dieu tient en réserve pour ceux qui vivent saintement, dépassent de beaucoup toutes les explications que nous pouvons en donner ; car ni l’oeil de l’homme n’a vu, ni son oreille n’a entendu, ni son coeur n’a compris l’excellence de ces biens. Il en est de même des châtiments réservés aux pécheurs, ils n’ont aucune proportion avec les peines sensibles de cette vie. Nous les exprimons sans doute par les noms dont nous faisons usage dans notre langue, mais quelle distance les sépare de nos peines ordinaires ! car lorsque vous entendez parler de feu, et que l’Évangéliste ajoute : « inextinguible, » aussitôt votre attention se porte sur un feu tout différent du nôtre, auquel ne convient point cette expression. — S. Grég. (Moral., 15, 17.) Expression merveilleuse et étonnante pour désigner le feu de l’enfer. En effet, notre feu matériel ne peut être entretenu que par la quantité de bois qu’on y jette, et il ne dure qu’à la condition d’être toujours alimenté ; au contraire, le feu de l’enfer, quoiqu’il soit matériel et qu’il brûle corporellement les réprouvés qui y sont précipités, n’est point alimenté par le bois, mais une fois créé, il dure toujours et ne s’éteint jamais.

 

Vv. 18—20.

Orig. Jean-Baptiste avait annoncé Jésus-Christ, il avait prêché le baptême de l’Esprit saint et les autres vérités que nous rapporte le récit évangélique. Mais il en prêchait d’autres encore, comme nous le voyons par ces paroles : « Il disait beaucoup d’autres choses au peuple dans les discours qui lui faisait. — Théophyl. Ses exhortations contenaient la bonne doctrine, et l’auteur sacré les appelle avec raison l’Évangile. — Orig. De même que nous lisons dans l’Evangile selon saint Jean, qu’il fit encore beaucoup d’autres discours, et beaucoup d’autres miracles ; ainsi ces paroles de saint Luc doivent nous faire comprendre que Jean-Baptiste enseignait encore des vérités d’une trop haute portée pour pouvoir être rapportées par écrit. Nous sommes remplis d’admiration pour Jean-Baptiste, parce qu’il est le plus grand de tous ceux qui sont nés de la femme, parce que son éminente vertu l’a élevé à une si haute renommée, que plusieurs ont pensé qu’il était le Christ, mais qu’il parut bien plus admirable encore de n’avoir ni craint Hérode ni redouté la mort : « Mais Hérode le Tétrarque ayant été repris, » etc.

 

Eusèbe. (hist. ecclés., 1, 43.) Cet Hérode est appelé Tétrarque pour le distinguer de l’autre Hérode qui régnait sur la Judée lors de la naissance du Christ : ce dernier était roi, l’autre n’était que tétrarque. Or, il avait pour femme la fille d’Arétas, roi d’Arabie, avec laquelle il avait contracté une union sacrilège, puisqu’elle était la femme de son frère Philippe, et qu’elle en avait eu des enfants ; car ces sortes d’unions n’étaient permises qu’à ceux dont les frères étaient morts sans poStérité. C’est de ce crime que Jean-Baptiste avait repris Hérode. D’abord ce prince se rendit attentif aux paroles du saint Précurseur, pleines à la fois de sévérité et de douceur, mais la passion qu’il avait pour Hérodiade le portait à mépriser les reproches de Jean-Baptiste, c’est pourquoi il le fit mettre en prison : « Il ajouta ce crime à tous les autres, dit l’Évangéliste, et fit mettre Jean en prison. »

 

Bède. Ce ne fut point à l’époque dont il est ici question que Jean-Baptiste fut fait captif, mais d’après l’Évangile selon saint Jean ce fut après que le Sauveur eut opéré quelques miracles, et après que la renommée de son baptême se fut répandue au loin. Cependant, saint Luc place ici la captivité du saint Précurseur, pour faire ressortir toute la méchanceté d’Hérode, qui, voyant la foule accourir à la prédication de Jean, les soldats croire à sa parole, les publicains se convertir, tout le peuple recevoir le baptême, à l’encontre de tous les autres, non seulement ne fait aucun cas des paroles de Jean-Baptiste, mais le charge de chaînes et le jette en prison. — La Glose. C’est avant que saint Luc ait commencé le récit des actions de Jésus, qu’il raconte la captivité de Jean, pour nous montrer qu’il va s’appliquer uniquement à raconter les événements qui se sont passés depuis l’année où Jean-Baptiste fut jeté dans les fers ou mis à mort.

 

Vv. 21-22.

S. Ambr. Saint Luc abrège à dessein ce qui a été raconté par les autres Évangélistes, et il laisse à entendre plutôt qu’il ne raconte lui-même, le baptême du Sauveur par Jean-Baptiste « Or, il arriva que comme tout le peuple recevait le baptême, Jésus ayant été aussi baptisé, » etc. Notre-Seigneur voulut être baptisé, non pour se purifier, lui qui n’a pas connu le péché, mais pour communiquer aux eaux, par le contact de sa chair immaculée, la vertu de purifier les hommes dans le baptême. — S. Grég. de Nazianze. Jésus-Christ voulut encore être baptisé, peut-être pour sanctifier Jean-Baptiste lui-même, mais sans aucun doute pour submerger et détruire dans l’eau le vieil Adam tout entier. — S. Ambr. Notre-Seigneur nous apprend d’ailleurs lui-même pourquoi il voulut recevoir le baptême, quand il dit : « C’est ainsi qu’il nous faut accomplir toute justice. » Or, en quoi consiste la justice ? à commencer par faire ce que vous voulez qu’on vous fasse à vous-mêmes et à donner le premier l’exemple. Que personne donc ne se refuse à recevoir le baptême de la grâce, quand Jésus-Christ n’a pas dédaigné de recevoir le baptême de la pénitence.

 

S. Chrys. Il y avait un baptême chez les Juifs qui purifiait le corps de ses souillures, mais sans purifier la conscience de ses crimes ; notre baptême, au contraire, efface les péchés, purifie l’âme et communique l’abondance de l’Esprit saint. Le baptême de Jean était supérieur au baptême des Juifs ; car il ne demandait pas comme disposition nécessaire l’observance des purifications extérieures et légales, mais la conversion sincère du vice à la vertu. Cependant il était beaucoup moins efficace que le nôtre, parce qu’il ne conférait pas l’Esprit saint et ne donnait pas la rémission des péchés par la grâce sanctifiante ; c’était comme un milieu entre ces deux baptêmes. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ ne voulut recevoir ni le baptême des Juifs, ni le nôtre, parce qu’il n’avait aucun besoin de la rémission des péchés, et que sa chair, conçue dès le commencement par l’opération de l’Esprit saint, n’en avait jamais été séparée. Mais il voulut recevoir le baptême de Jean, pour que la nature même de ce baptême vous fit comprendre qu’il n’était baptisé ni pour obtenir la rémission des péchés, ni pour recevoir les dons de l’Esprit saint. L’Évangéliste nous dit que Jésus ayant été baptisé, priait, pour vous apprendre qu’après avoir reçu le baptême, la prière continuelle est un devoir pour tout chrétien. — Bède. Tous les péchés, sans doute, sont effacés dans le baptême, mais la fragilité de cette chair périssable et mortelle est loin d’être affermie ; nous nous félicitons d’avoir traversé la mer Rouge où les Égyptiens ont été engloutis (Ex 14, 17), mais nous rencontrons dans le désert de la vie du monde d’autres ennemis dont il nous faut triompher par de grands efforts, sous la conduite de la grâce de Jésus-Christ, jusqu’à ce que nous parvenions à notre patrie. — S. Chrys. L’Évangéliste ajoute : « Le ciel s’ouvrit, comme s’il était demeuré fermé jusque-là ; » mais désormais le bercail du ciel et celui de la terre n’en font plus qu’un, il n’y a plus qu’un seul pasteur des brebis, le ciel est ouvert, et l’homme, habitant de la terre, est associé aux anges qui habitent les cieux. — Bède. Le ciel ne s’ouvrit pas pour Jésus, dont les yeux pénétraient jusque dans les profondeurs des cieux, mais ce miracle eut lieu pour nous montrer la vertu du baptême ; la porte du ciel est immédiatement ouverte à celui qui vient de le recevoir, et en même temps que sa chair innocente est plongée dans les eaux, le glaive de feu qui menaçait autrefois les, coupables se trouve éteint.

 

S. Chrys. L’Esprit saint descendit aussi sur le Sauveur comme sur le principe et l’auteur de notre race, pour être premièrement en Jésus-Christ qui le reçut, non pas pour lui, mais bien plutôt pour nous-même : « Et l’Esprit saint descendit sur lui, » etc. Que personne donc ne pense qu’il reçut l’Esprit saint, comme s’il ne l’avait pas eu jusqu’alors ; car c’est lui-même qui, comme Dieu, l’envoyait du haut du ciel, et lui-même qui le recevait comme homme sur la terre. L’Esprit saint descendait de lui, c’est-à-dire de sa divinité, pour venir se reposer sur lui, c’est-à-dire sur son humanité. — S. Aug. (de la Trin., 15, 26.) Ce serait une énorme absurdité de penser que Jésus reçut l’Esprit saint à l’âge de trente ans ; il vint alors pour recevoir le baptême sans avoir de péché, mais non sans avoir l’Esprit saint ; car s’il est dit de Jean-Baptiste : « Il sera rempli de l’Esprit saint dès le sein de sa mère » (Lc 1), que doit-on penser de Jésus-Christ l’Homme-Dieu, dont la conception ne fut pas l’oeuvre de la chair, mais l’opération du Saint-Esprit ? Aujourd’hui donc il daigne porter la figure de son corps, c’est-à-dire de son Église, dans laquelle tous ceux qui sont baptisés reçoivent l’Esprit saint — S. Chrys. Ce baptême présentait un mélange tout à la fois d’ancienneté et de nouveauté ; d’ancienneté, parce que Jésus recevait le baptême des mains d’un prophète ; de nouveauté, parce que l’Esprit saint descendit sur lui.

 

S. Ambr. Or, le Saint-Esprit apparut sous la forme d’une colombe, parce qu’il ne peut être vu dans la substance de sa divinité. Considérons encore les autres raisons mystérieuses pour lesquelles il apparut sous la forme d’une colombe. La grâce du baptême exige la simplicité, et veut que nous soyons simples comme des colombes ; la grâce du baptême exige aussi la paix du coeur, figurée par cette branche d’olivier qu’une colombe rapporta autrefois dans l’arche, qui fut seule préservée des eaux du déluge. — S. Chrys. Ou bien encore, l’Esprit saint apparaît sous la forme d’une colombe, comme signe de la douceur du divin Maître, tandis que le jour de la Pentecôte, il descend sous l’image du feu, pour figurer les châtiments réservés aux coupables. En effet, lorsqu’il fallait pardonner les péchés, la douceur était nécessaire, mais maintenant que nous avons reçu la grâce, nous n’avons plus à attendre, si nous sommes infidèles, que le jugement et la condamnation. — S. Cypr. (de l’unité de l’Église.) La colombe est un animal aimable et simple, qui n’a ni fiel ni morsures cruelles, ni griffes déchirantes ; elle aime l’habitation de l’homme, elle s’attache à une seule maison. Lorsque les colombes ont des petits, ni le père ni la mère ne les quittent ; lorsqu’elles prennent leur essor, c’est toujours ensemble et de concert ; leurs baisers réciproques sont le signe et l’expression de l’affection qui les unit et de la parfaite concorde qui ne cesse de régner entre elles.

 

S. Chrys. A la naissance de Jésus-Christ, bien des oracles avaient manifesté sa divinité, mais les hommes n’y prêtèrent aucune attention. Lors donc qu’il eût mené, pour un temps, une vie obscure et cachée, il se manifesta de nouveau par des signes plus éclatants. Une étoile, du haut du ciel, avait révélé sa naissance, mais dans les eaux du Jourdain, c’est l’Esprit saint qui descend sur lui, c’est le Père qui fait entendre sa voix au-dessus de sa tête pendant qu’on le baptise : « Et, du ciel, une voix se fit entendre : vous êtes mon Fils bien-aimé, » etc. — S. Ambr. Nous avons vu l’Esprit saint, mais sous une forme visible, écoutons maintenant la voix du Père que nous ne pouvons, voir. En effet, le Père est invisible, le Fils l’est également dans sa divinité, mais il s’est rendu visible dans le corps dont il s’est revêtu ; et comme le Père n’avait point ce corps, il a voulu nous prouver qu’il était présent dans le Fils en disant : « Vous êtes mon Fils bien-aimé. » — S. Athan. La sainte Écriture donne au nom de Fils deux significations différentes, la première, comme dans ce passage de l’Évangile : « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ; » la seconde, lorsque par exemple elle dit qu’Isaac est fils d’Abraham. Or, Jésus-Christ est appelé non pas simplement Fils de Dieu, mais avec l’addition de l’article : « Vous êtes mon Fils, » pour nous faire comprendre qu’il est le seul qui soit véritablement le Fils de Dieu par nature. Aussi est-il appelé encore : « Fils unique. » S’il était Fils de Dieu dans le sens absurde d’Arius, comme ceux qui n’obtiennent ce nom que par un effet de la grâce, il ne différerait en rien de nous autres. Il ne nous reste donc qu’à dire, dans le second sens, que Jésus-Christ est vraiment le Fils de Dieu, comme Isaac est vraiment le fils d’Abraham. En effet, celui qui est engendré naturellement par un autre, et qui ne tire point son origine d’un autre principe extérieur, est regardé comme le Fils par nature. Mais dira-t-on peut-être : Est-ce que la naissance du Fils a été accompagnée de souffrance comme la naissance de l’homme ? nullement. Dieu est indivisible, il est donc le Père impassible de son Fils, qui est appelé Verbe du Père, parce que le Verbe de l’homme lui-même est produit sans aucune souffrance. De plus, comme la nature divine est simple, Dieu est Père d’un seul Fils, c’est pourquoi il ajoute : « Bien-aimé. » — S. Chrys. Car celui qui n’a qu’un fils concentre dans ce fils toute son affection, si au contraire il est père de plusieurs enfants, son affection s’affaiblit en se répandant sur chacun d’eux.

 

S. Athan. Le prophète avait été autrefois l’organe des promesses de Dieu, lorsqu’il disait par sa bouche : « J’enverrai le Christ mon Fils. » Aujourd’hui que cette promesse reçoit son accomplissement sur les bords du Jourdain, Dieu ajoute : « J’ai mis en vous mes complaisances. » — Bède. Comme s’il disait : J’ai mis en vous mon bon plaisir, c’est-à-dire, j’ai résolu d’exécuter par vous toutes mes volontés. — S. Grég. (hom. 8 sur Ezéch.) Ou bien dans un autre sens, tout homme qui répare en se repentant, le mal qu’il a commis ; par le fait même de son repentir, indique qu’il se déplaît à lui-même, puisqu’il corrige le mal qu’il a fait. Ainsi le Père tout-puissant a parlé des pécheurs à la manière des hommes, quand il a dit : « Je me repens d’avoir fait l’homme, » et pour ainsi parler, il s’est déplu dans les pécheurs qu’il a créés. Mais Jésus-Christ est le seul dans lequel il s’est complu, parce qu’il est le seul dans lequel il n’a point trouvé de faute qui pût devenir pour lui l’objet d’un blâme ou d’un repentir.

 

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 14.) D’après saint Matthieu, Dieu aurait dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; » d’après saint Luc : « Vous êtes mon Fils bien-aimé ; » mais ces deux variantes expriment la même pensée. La voix céleste ne s’est servi que de l’une des deux, mais saint Matthieu a voulu montrer que ces paroles « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, » avaient surtout pour objet de faire connaître à ceux qui les entendaient, que Jésus était le Fils de Dieu, car elles ne pouvaient apprendre à Jésus-Christ ce qu’il savait, c’est donc pour ceux qui étaient présents que cette voix se fit entendre.

 

 

Vv. 23-38.

Orig. (hom. 28.) Après avoir raconté le baptême du Seigneur, l’Évangéliste donne sa généalogie, non point en descendant des pères aux enfants, mais en remontant de Jésus-Christ jusqu’à Dieu même. Or Jésus avait, quand il commença son ministère, environ trente ans. Saint Luc dit qu’il commença, lorsqu’il eut reçu dans le baptême, comme une seconde et mystérieuse naissance, pour vous enseigner la nécessité de détruire la première naissance, afin de renaître mystérieusement une seconde fois. — S. Greg. (disc. 39.) Considérons quel est celui qui est baptisé, de qui il reçoit le baptême et à quel temps. C’est celui qui est la pureté même, qui reçoit le baptême des mains de Jean, après qu’il a déjà commencé à opérer des miracles, apprenons de là l’obligation de purifier d’abord notre âme, de pratiquer l’humilité, et de ne point nous charger du ministère de la prédication avant d’avoir atteint l’âge parfait aussi bien pour l’esprit que polir le corps. La première de ces leçons s’adresse à ceux qui veulent recevoir le baptême sans aucune disposition, sans y être aucunement préparés, sans y apporter cette vertu solide qui garantit les effets de la justification par la grâce, car le baptême remet sans doute et efface les péchés passés, mais on doit toujours craindre de retourner à son vomissement. La seconde leçon est pour ceux qui se montrent dédaigneux et fiers à l’égard des dispensateurs des saints mystères qu’ils voient plus élevés en dignité. La troisième leçon s’adresse à ceux qui, pleins de confiance dans leur jeunesse, s’imaginent qu’on peut à tout âge se charger de l’enseignement ou des fonctions redoutables de l’épiscopat. Eh quoi ! Jésus s’abaisse jusqu’à se purifier, et vous, vous dédaignez fièrement de le faire. Il s’humilie jusqu’à recevoir le baptême des mains de Jean-Baptiste, et vous affectez vis-à-vis de votre Maître un esprit d’indocilité et d’indépendance ? Jésus a trente ans lorsqu’il commence à enseigner, et vous à peine sorti de l’adolescence, vous croyez pouvoir enseigner les vieillards, sans avoir ni l’autorité de l’âge ni celle qui vient de la vertu ? M’alléguerez-vous l’exemple de Daniel et d’autres semblables, car celui qui fait mal est toujours prêt à justifier sa conduite. Je vous répondrai, moi, que ce qui arrive rarement, ne fait pas loi dans l’Église ; une seule hirondelle ne fait pas le printemps (on n’est pas géomètre pour avoir tracé une seule ligne, on n’est pas bon pilote après une seule navigation). S. Chrys. On peut dire encore que Jésus attend pour accomplir toute la loi, l’âge où l’on est capable de tous les péchés, afin qu’on ne pût dire qu’il détruisait la loi parce qu’il ne pouvait l’observer. — Ch. des Per. gr. (Séver. d’Antioch.) On peut dire aussi qu’il reçoit le baptême à trente ans, pour montrer que la régénération spirituelle rend les hommes parfaits en proportion de l’âge spirituel. — Bède. Enfin on peut dire que Notre-Seigneur a voulu être baptisé à l’âge de trente ans comme figure du mystère de notre baptême, où nous faisons profession de croire à la sainte Trinité et de pratiquer les préceptes du Décalogue. — S. Grég. de Naz. (Disc. 40.) Cependant on doit baptiser les petits enfants s’il y a nécessité, car il vaut mieux recevoir la justification sans en avoir la conscience, que de sortir de cette vie sans être marqué du signe sacré du baptême. Vous me direz peut-être Quoi ! Jésus-Christ qui était Dieu, attend l’âge de trente ans pour se faire baptiser, et vous voulez qu’on se hâte de recevoir le baptême ? En reconnaissant que Jésus-Christ était Dieu, vous avez répondu à cette objection. Il n’avait aucun besoin d’être purifié, il ne courait aucun danger en différant de recevoir le baptême ; pour vous, au contraire, vous vous exposez au plus grand des malheurs, si vous quittez cette vie avec cette seule naissance qui vous a engendré à une vie de corruption, et sans être revêtu du vêtement incorruptible de la grâce. Sans doute il est bon de conserver l’innocence et la pureté du baptême, mais il vaut mieux s’exposer à quelques légères souillures que d’être entièrement privé de la grâce qui sanctifie.

 

S. Cyr. Quoique Jésus-Christ n’eût pas de père selon la chair, on croyait assez généralement qu’il en avait un, c’est cette opinion que l’Évangéliste exprime en disant : « Etant, comme l’on croyait, fils de Joseph. » — S. Ambr. Cette expression, « comme l’on croyait, » est très juste, car il ne l’était pas en effet, mais il passait pour l’être, parce que Marie sa mère était l’épouse de Joseph. Mais pourquoi donner la généalogie de Joseph plutôt que celle de Marie, alors que Marie a enfanté Jésus-Christ par l’opération de l’Esprit saint, et que Joseph est tout à fait étranger à cette divine naissance ? Nous aurions lieu d’en être surpris, si nous ne savions que c’est la coutume de l’Écriture, de remonter toujours à l’origine du mari plutôt que de la femme, ce qui est ici d’autant plus naturel, que Marie et Joseph avaient une même origine. En effet, comme Joseph était un homme juste, il dut choisir une épouse de sa tribu et de sa famille. Aussi à l’époque du dénombrement, nous voyons Joseph, qui était de la maison et de la famille de David, se rendre à Bethléem pour s’y faire inscrire avec Marie son épouse, qui était enceinte. Puisqu’elle se fait inscrire comme étant de la même tribu et de la même famille, c’est qu’elle en était en effet ; voilà donc pourquoi l’Évangéliste nous donne la génération de Joseph et la commence ainsi : « Qui fut fils d’Héli. » Mais remarquons que d’après saint Matthieu, Jacob, qui fut père de Joseph, est fils de Nathan, tandis que d’après saint Luc, Joseph, époux de Marie, est fils d’Héli. Or, comment un seul et même homme peut-il avoir deux pères, Héli et Jacob ? — S. Grég. de Naz. Quelques-uns prétendent qu’il n’y a qu’une seule généalogie de David à Joseph, mais reproduite sous des noms différents par les deux Evangélistes. Mais cette opinion est tout simplement absurde, puisque en tête de cette généalogie, nous voyons deux frères, Nathan et Salomon, tous deux souches de deux générations tout à fait distinctes.

 

Eusèbe. (Hist. eccl., 1, 6.) Entrons plus avant dans l’intelligence de ces paroles si tandis que saint Matthieu affirme que Joseph est fils de Jacob, saint Luc, de son côté, affirmait également que Joseph est fils d’Héli, il y aurait quelque difficulté. Mais comme en face de l’affirmation de saint Matthieu, saint Luc ne fait qu’exprimer l’opinion d’un certain nombre de personnes, et non pas la sienne, en disant « Comme l’on croyait, » il ne peut y avoir de place pour le doute. En effet, il y avait parmi les Juifs partage d’opinions sur la personne du Christ ; tous le faisaient descendre de David par suite des promesses que Dieu lui avait faites ; mais la plupart croyaient qu’il devait descendre de David par Salomon et par les autres rois ses successeurs, tandis que d’autres rejetaient cette opinion à cause des crimes énormes dont plusieurs de ces rois s’étaient rendus coupables, et aussi parce que Jérémie avait prédit de Jéchonias, qu’aucun rejeton de sa race ne s’assoierait sur le trône de David (Jr 21). Or, c’est cette dernière opinion que rapporte saint Luc, bien qu’il sût que la généalogie rapportée par saint Matthieu, fût seule la vraie. A cette première raison nous pouvons en ajouter une plus profonde ; saint Matthieu commence son Évangile avant le récit de la conception et de la naissance temporelle de Jésus-Christ ; il était donc naturel qu’il fit précéder ce récit, comme dans toute histoire, de la généalogie de ses ancêtres selon la chair. Voilà pourquoi il donne cette généalogie en descendant des ancêtres aux enfants, parce qu’en effet, le Verbe divin est descendu en se revêtant de notre chair. Saint Luc, au contraire, saute comme d’un bond jusqu’à la nouvelle naissance que Jésus semble prendre dans les eaux du baptême, et il dresse une autre généalogie en remontant des derniers aux premiers, des enfants à leurs pères. De plus, il passe sous silence le nom des rois coupables que saint Matthieu avait inséré dans sa généalogie, parce que tout homme qui reçoit de Dieu une nouvelle naissance, devient étranger à ses parents coupables, en qualité d’enfant de Dieu, et il ne fait mention que de ceux qui ont mené une vie vertueuse aux yeux de Dieu. Car ainsi qu’il fut dit à Abraham : « Vous irez rejoindre vos pères, » (Gn 15), non pas vos pères selon la chair, mais vos pères selon Dieu, à cause de la conformité de votre vie avec leurs vertus. Ainsi saint Luc donne à celui qui a reçu de Dieu une nouvelle naissance des ancêtres selon Dieu, à cause de la ressemblance de moeurs qui existe entre les pères et les enfants. — S. Aug. (quest. sur l’Anc. et le Nouv. Test., quest. 65.) Oui bien encore, saint Matthieu descend de David par Salomon jusqu’à Joseph ; saint Luc au contraire remonte d’Héli contemporain du Sauveur par la ligne de Nathan fils de David, et il réunit les tribus d’Héli et de Joseph ; montrant ainsi qu’ils sont de la même famille, et qu’ainsi le Sauveur n’est pas seulement fils de Joseph, mais d’Héli. Par la même raison, en effet, que le Sauveur est appelé fils de Joseph, il est aussi le fils d’Héli et de tous les ancêtres de la même tribu ; vérité que l’Apôtre exprime en ces termes : « Qui ont pour pères les patriarches, et de qui est sorti selon la chair Jésus-Christ. » — S. Aug. (quest. év., 2, 5.) On peut donner trois différentes explications de cette divergence entre les deux généalogies de saint Matthieu et de saint Luc, ou bien, l’un donne le nom du père de Joseph, l’autre celui de son aïeul maternel ou d’un de ses ancêtres ; ou bien d’un côté nous avons le père naturel de Joseph, de l’autre son père adoptif ; ou bien encore l’un des deux qui nous sont donnés comme pères de Joseph, étant mort sans enfants, son plus proche parent aura épousé sa femme, selon la coutume des Juifs, et donné ainsi un enfant à celui qui était mort. — S. Ambr. La tradition nous apprend en effet, que Nathan qui descend de Salomon, eut un fils nommé Jacob, et mourut avant sa femme que Melchi épousa, et dont il eut un fils appelé Héli. Jacob à son tour étant mort sans enfants, Héli épousa sa femme et en eut pour fils Joseph, qui, d’après la loi, est appelé fils de Jacob, parce qu’Héli, conformément aux dispositions de la loi (Dt 25), donnait des enfants à son frère mort. — Bède. Ou bien encore, on peut dire que Jacob, pour obéir à la loi, a épousé la femme de son frère Héli, mort sans enfants, et qu’il en eut Joseph, qui était son fils dans l’ordre naturel, mais qui d’après les prescriptions de la loi, était le fils d’Héli. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 1, 3.) Il est plus probable que saint Luc nous a donné la généalogie des ancêtres adoptifs de Joseph, puisqu’il ne dit pas que Joseph ait été engendré par celui dont il l’appelle le fils. On conçoit mieux, en effet, qu’on puisse appeler un homme le fils de celui qui l’a adopté, que de dire qu’il a été engendré par celui qui n’est pas son père naturel. Saint Matthieu, au contraire, en s’exprimant de la sorte : « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, » et en continuant ainsi jusqu’à la fin de la généalogie, qu’il termine en disant : « Jacob engendra Joseph, » nous indique assez clairement qu’il a voulu donner la généalogie des ancêtres naturels de Joseph, plutôt que la généalogie de ses ancêtres adoptifs. Mais supposons même que saint Luc ait dit que Joseph ait été engendré par Héli, il n’y aurait pas de quoi nous troubler ; ne peut-on pas dire en effet, sans absurdité, que celui qui adopte un fils l’engendre, non selon la chair, mais par l’affection qu’il lui porte ? Or saint Luc nous donne la généalogie des ancêtres adoptifs de saint Joseph, parce que c’est la foi au Fils de Dieu qui nous fait enfants adoptifs de Dieu, tandis que la généalogie naturelle nous apprend plutôt que c’est pour nous que le Fils de Dieu est devenu Fils de l’homme.

 

S. Chrys. (hom. 31 sur l’Ep. aux Rom.) Comme cette partie de l’Évangile ne se compose que d’une suite de noms, elle ne parait offrir à quelques-uns rien de bien important. Pour ne pas tomber dans cette erreur, approfondissons cette partie de l’Évangile, car on peut trouver un riche trésor dans ces noms qui, pour la plupart, renferment de précieuses significations, puisqu’ils nous rappellent la bonté divine et la pieuse reconnaissance des saintes femmes qui donnaient aux enfants qu’ils avaient obtenus un nom commémoratif de la grâce qu’ils avaient reçue.

 

La Glose. (interlin.) Héli signifie mon Dieu, ou celui qui monte, il fut fils de Mathat, c’est-à-dire qui pardonne les péchés, qui fût fils de Lévi, c’est-à-dire qui est ajouté. Saint Luc ne pouvait faire entrer dans sa généalogie un plus grand nombre des enfants de Jacob, sous peine de s’étendre inutilement dans une série de noms étrangers au but qu’il se proposait ; cependant il n’a point voulu passer entièrement sous silence les noms antiques et vénérables des patriarches, et il choisit entre tous les autres, Joseph, Juda, Siméon et Lévi, en qui semblent se personnifier quatre espèces de vertus. Juda, en effet, est la figure prophétique du mystère de la passion du Seigneur ; Joseph est le parfait modèle de la chasteté ; Siméon, le vengeur de la pudeur outragée, et Lévi, le représentant du ministère sacerdotal. — Suite. Il fut fils de Melchi, c’est-à-dire mon roi ; qui le fut de Janné, c’est-à-dire main droite ; qui le fut de Joseph, c’est-à-dire accroissement (ce Joseph est différent du premier) ; qui le fut de Mathathias, c’est-à-dire don de Dieu ou quelquefois ; qui le fut d’Amos, c’est-à-dire qui charge ou qui a chargé ; qui le fut de Nahum, c’est-à-dire secourez-moi ; qui le fut de Mathat, c’est-à-dire désir ; qui le fut de Mathathias, même signification que ci-dessus ; qui le fut de Séméi, c’est-à-dire obéissant ; qui le fut de Joseph, c’est-à-dire accroissement ; qui le fut de Juda, c’est-à-dire qui loue ; qui le fut de Joanna, c’est-à-dire grâce du Seigneur ou miséricorde du Seigneur ; qui le fut de Résa, c’est-à-dire miséricordieux ; qui le fut de Zorobabel, c’est-à-dire prince ou maître de Babylone ; qui le fut de Salathiel, c’est-à-dire Dieu est l’objet de ma demande ; qui le fut de Néri, c’est-à-dire mon flambeau ; qui le fut de Melchi, c’est-à-dire mon royaume ; qui le fût d’Addi, c’est-à-dire robuste ou violent ; qui le fut de Cosan, c’est-à-dire prévoyant ; qui le fut d’Her, c’est-à-dire qui est vigilant, ou veille ou séduisant ; qui le fut de Jésus, c’est-à-dire Sauveur ; qui le fut d’Eliézer, c’est-à-dire mon Dieu est mon secours ; qui le fut de Jorim, c’est-à-dire secours de Dieu ; qui le fut de Mathath, même signification que ci-dessus ; qui le fut de Lévi, comme ci-dessus ; qui le fut de Siméon, c’est-à-dire qui a entendu la tristesse ou le signe ; qui le fut de Juda, c’est-à-dire qui loue ; qui le fut de Jona, c’est-à-dire colombe ou plaintif ; qui le fut d’Eliachim, c’est-à-dire résurrection de Dieu ; qui le fut de Melcha, c’est-à-dire son roi ; qui le fut de Menna, c’est-à-dire mes entrailles ; qui le fut de Mathathias, c’est-à-dire don de Dieu ; qui le fut de Nathan, c’est-à-dire qui a donné ou qui donne.

 

S. Ambr. Nathan personnifie le symbole de la dignité prophétique ; ainsi comme le seul Jésus-Christ réunit toutes les vertus, ces différents genres de vertus ont commencé par briller dans chacun de ses ancêtres.

 

« Qui fut fils de David. » — Orig. (hom. 28.) Le Seigneur, en descendant du ciel sur la terre, s’est soumis en tout à la condition des pécheurs, et a voulu, comme le rapporte saint Matthieu, descendre de Salomon, dont les crimes sont inscrits dans les livres saints, et d’autres rois qui ont fait le mal devant Dieu. Mais quand il monte des eaux du baptême, où il vient de prendre comme une nouvelle naissance, ce n’est point de Salomon que saint Luc le fait descendre, mais de Nathan, qui vint reprocher à son père, David, la mort d’Urie et la naissance de Salomon.

 

S. Grég. de Nazianze. A partir de David, la succession de la généalogie est la même dans les deux Évangélistes. — Suite. « Qui fut fils de Jessé. » — Glose. (interl.) David veut dire qui est puissant, et Jessé signifie encens. Suite. Qui fut fils d’Obed, qui veut dire servitude ; qui le fut de Booz, c’est-à-dire fort ; qui le fût de Salomon, c’est-à-dire sensible ou pacifique ; qui le fut de Naasson, c’est-à-dire augure ou qui tient du serpent ; qui le fut d’Aminadab, c’est-à-dire le peuple volontaire ; qui le fut d’Aram, c’est-à-dire dressé ou élevé ; qui le fut d’Esrom, c’est-à-dire flèche ; qui le fut de Pharès, c’est-à-dire division ; qui le fut de Juda, c’est-à-dire qui loue ; qui le fut de Jacob, c’est-à-dire qui supplante ; qui le fut d’Isaac, c’est-à-dire rire ou joie ; qui le fut d’Abraham, qui veut dire père de beaucoup de nations ou qui voit le peuple.

 

S. Chrys. (hom. 1.) Saint Matthieu, qui écrivait pour les Juifs, s’est proposé seulement d’établir dans son récit que Jésus-Christ descendait d’Abraham et de David, ce qui devait surtout satisfaire les Juifs. Saint Luc, au contraire, dont l’Évangile s’adressait à tous, poursuit la généalogie jusqu’à Adam. — Suite. « Qui fût fils de Tharé. » — La Glose. (interlin.) Tharé veut dire épreuve ou injustice ; qui fut fils de Nachor, c’est-à-dire repos de la lumière ; qui le fut de Sarug, c’est-à-dire courroie, ou qui tient les rênes ou perfection ; qui le fut de Ragaü, c’est-à-dire malade ou paissant ; qui le fut de Pharès, c’est-à-dire qui divise ou qui est divisé ; qui le fut d’Héber, c’est-à-dire passage ; qui le fut de Salé, c’est-à-dire qui enlève ; qui le fut de Cainan, qui veut dire lamentation ou leur possession. Bède. Ni le nom ni la génération de Cainan ne se trouvent dans le texte hébreu de la Genèse ou du livre des jours, où il est dit qu’Arphaxad fut le père immédiat de Sélaa ou Salé. Saint Luc a pris cette génération intermédiaire dans la version des Septante, où il est écrit qu’Arphaxad, âgé de cent trente-cinq ans, engendra Sélaa. — Suite. « Qui fut fils d’Arphaxad. » — La Glose. (interl.) Arphaxad veut dire qui répare la désolation ; qui fut fils de Sem, c’est-à-dire nom ou nommé ; qui le fut de Noé, c’est-à-dire repos. — S. Ambr. Le nom du juste Noé ne devait pas être omis dans la généalogie du Seigneur ; car puisqu’il venait au monde pour fonder son Église, il était juste qu’il comptât parmi ses ancêtres celui qui avait figuré l’établissement de l’Église dans la construction de l’arche. — Suite. « Qui fut fils de Lamech. » — La Glose. (interl.) Lamech veut dire humilié ou qui frappe, ou qui est frappé ou qui est humble ; qui le fut de Mathusalem, c’est-à-dire envoi de la mort ou qui est mort, ou qui interrogea. Les années de Mathusalem sont comptées avant le déluge ; car Jésus-Christ n’ayant été soumis dans sa vie à aucunes vicissitudes de l’âge, ne devait point non plus ressentir les effets du déluge dans ses ancêtres. « Qui fut fils d’Enoch. » Enoch est un signe éclatant de la sainteté du Seigneur et de sa divinité, en ce que le Seigneur n’a pas été soumis à la mort, et qu’il est remonté au ciel, de même qu’Enoch, un de ses ancêtres avait été enlevé dans le ciel. Nous voyons par là que Jésus-Christ aurait pu ne pas mourir, mais qu’il a voulu mourir à cause des grands avantages que devait nous procurer sa mort. Enoch fut enlevé dans le ciel de peur que le mal ne vînt à changer les dispositions de son coeur (Sg 4, 11 ; He 11, 5). Mais quant au Seigneur, qui était inaccessible à la méchanceté du siècle, il est remonté par un effet de sa puissance divine dans le lieu d’où il était descendu. — Bède. En remontant du Fils de Dieu baptisé jusqu’à Dieu le Père, saint Luc place comme à dessein le soixante-dixième. Enoch qui fut transporté dans le paradis sans passer par la mort, pour signifier que ceux qui ont été régénérés dans l’eau et l’Esprit saint, par la grâce de l’adoption des enfants, seront reçus dans le repos éternel ; car le nombre soixante-dix, à cause du jour du sabbat qui est le septième, figure le repos de ceux qui ont accompli le décalogue de la loi par le secours de la grâce de Dieu. — La Glose. (interl.) Enoch veut dire dédicace ; qui fut fils de Jared, c’est-à-dire qui descend ou qui contient ; qui le fut de Malalehel, c’est-à-dire loué de Dieu ou louant Dieu ; qui le fut de Caïnan, dont la signification est la même que précédemment ; qui le fut d’Enos, c’est-à-dire homme, ou désespérant ou violent ; qui le fut de Seth, c’est-à-dire position ou qui posa. — S. Ambr. Le nom de Seth, le dernier fils d’Adam, n’est pas omis dans cette généalogie ; car comme il y a deux générations de peuples différents, le nom de Seth signifie que le Christ doit faire partie de la seconde génération plutôt que de la première.

 

« Qui fut fils d’Adam. » — La Glose. (interlin.) Adam veut dire homme ou terrestre, ou qui a besoin. — S. Ambr. Quoi de plus beau et de plus convenable que de commencer cette sainte généalogie par le Fils de Dieu, et de la conduire jusqu’au Fils de Dieu. Ainsi celui qui est créé, précède comme figure celui qui naît ensuite Fils de Dieu en vérité. Nous voyons paraître d’abord celui qui a été fait à l’image de Dieu et pour le salut duquel l’image substantielle de Dieu est descendue sur la terre. Saint Luc a cru encore devoir faire remonter jusqu’à Dieu l’origine de Jésus-Christ, parce que Dieu a véritablement engendré le Christ, soit dans l’éternelle et véritable génération, soit dans le baptême, où il lui communique comme une nouvelle et mystérieuse naissance. Aussi n’a-t-il point commencé son Évangile par la généalogie du Sauveur, mais il ne la place qu’après le récit de son baptême, pour montrer ainsi qu’il était le Fils de Dieu et par nature, et par la grâce. Et encore, quelle preuve plus évidente de la divine génération de Jésus-Christ que de faire précéder l’exposé de sa généalogie de ces paroles solennelles du Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 3.) Saint Luc, en donnant Joseph comme fils d’Héli, n’a point voulu nous faire entendre qu’il était son fils naturel et véritable, mais son fils adoptif, et une preuve évidente, c’est qu’il dit dans le même sens qu’Adam est fils de Dieu, lorsque chacun sait qu’après avoir été créé de Dieu, Adam fut placé dans le paradis, et qu’il devint comme le Fils de Dieu par un effet de cette grâce, qu’il perdit bientôt par son péché. —Théophyl. L’Évangéliste poursuit la généalogie jusqu’à Dieu, qui la termine, et il nous apprend ainsi, d’abord que Jésus-Christ élèvera jusqu’à Dieu les personnages qui en forment la succession intermédiaire, et qui deviendront ainsi fils de Dieu ; secondement, il veut nous convaincre que la génération du Christ était toute en dehors des voies naturelles, comme s’il disait : Si vous ne pouvez croire que la génération du second Adam n’est point due aux causes naturelles, remontez jusqu’au premier Adam, et vous trouverez que Dieu lui a donné l’existence sans avoir besoin de ces causes naturelles.

 

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 4.) Saint Matthieu a voulu surtout nous représenter le Seigneur descendant jusqu’à notre nature faible et mortelle ; dans ce dessein, il commence son Évangile par la généalogie de Jésus-Christ en descendant d’Abraham jusqu’à Jésus-Christ. Saint Luc, au contraire, ne donne cette généalogie qu’après le récit du baptême de Jésus-Christ, et il suit un ordre tout différent, c’est-à-dire qu’il remonte des enfants à leurs pères ; son but est surtout de faire ressortir dans la personne du Sauveur le caractère du. pontife qui doit effacer les péchés, c’est pourquoi il donne sa généalogie après qu’une voix du ciel a fait connaître ce qu’il était, après que Jean-Baptiste lui a rendu ce témoignage : « Voilà celui qui efface les péchés du monde », et en remontant ainsi des enfants à leurs pères, il arrive jusqu’à Dieu avec lequel nous sommes réconciliés par la grâce qui expie nos crimes et nous en purifie. — S. Ambr. Ceux qui ont suivi l’ordre ancien ne sont pas pour cela en contradiction avec notre Évangéliste. Ne soyez pas non plus surpris si d’Abraham à Jésus-Christ vous trouvez dans saint Luc un plus grand nombre de générations que dans saint Matthieu, puisque vous reconnaissez que ces deux Évangélistes donnent la généalogie du Sauveur par des personnages tout différents. Il a pu très bien arriver, en effet, que les personnages d’une généalogie aient vécu plus longtemps, tandis que les personnages de l’autre sont morts dans un âge peu avancé ; puisque nous voyons des vieillards vivre assez longtemps pour voir leurs petits enfants, tandis que nous en voyons d’autres mourir presque aussitôt la naissance de leurs propres enfants. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 6.) C’est par une raison pleine de convenance que saint Luc compte soixante-dix-sept personnes dans sa généalogie, et qu’il suit l’ordre ascendant ; il figure ainsi notre élévation vers Dieu, avec lequel nous sommes réconciliés par la rémission de nos péchés ; car le baptême remet tous les péchés figurés par ce nombre. En effet, onze fois sept font soixante-dix-sept. Or, le nombre dix exprime le bonheur parfait, donc le nombre supérieur au nombre dix représente le péché qui, par orgueil, vent avoir plus. Ce nombre se trouve multiplié sept fois pour indiquer que cette transgression vient de l’action volontaire de l’homme. En effet, le nombre trois représente dans l’homme la partie immatérielle (cf. Lc 10, 27) ; et le nombre quatre, la partie corporelle. Or, le mouvement et l’action ne sont point représentés par les nombres, lorsque nous disons : un, deux, trois ; mais bien lorsque nous comptons une fois, deux fois, trois fois ; donc la multiplication du nombre sept par onze, signifie que la transgression est le résultat de la volonté de l’homme.

 

 

CHAPITRE IV

Vv. 1-4.

Théophyl. Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu être tenté après son baptême, pour nous apprendre qu’après notre baptême nous devons nous attendre à la tentation : « Jésus, plein de l’Esprit saint, revint des bords du Jourdain, » etc. — S. Cyr. Bien longtemps auparavant Dieu avait dit : « Mon Esprit ne demeurera pas dans ces hommes, parce qu’ils ne sont que chair ; mais aussitôt que nous sommes enrichis de la régénération par l’eau et par l’Esprit, nous sommes devenus par l’infusion de l’Esprit saint, participants de la nature divine. Or celui qui est le premier né d’un grand nombre de frères, a reçu le premier l’Esprit saint qu’il communique lui-même aux autres, afin que la grâce de l’Esprit saint pût arriver par lui jusqu’à nous. — Orig. (hom. 29.) Lorsque vous voyez que Jésus est plein de l’Esprit saint, et que vous lisez dans les Actes, que les Apôtres furent remplis de l’Esprit saint, gardez-vous de penser que les Apôtres ont reçu l’Esprit saint dans la même mesure que le Sauveur. En effet, lorsque vous dites : Ces vases sont pleins de vin ou d’huile, vous ne voulez pas toujours dire qu’ils en contiennent la même quantité ; de même aussi Jésus et Paul étaient pleins de l’Esprit saint, mais le vase de Paul était beaucoup plus petit que celui de Jésus, et cependant chacun de ces vases était rempli suivant sa capacité. Or, le Sauveur, après avoir été baptisé et rempli de l’Esprit saint, qui était descendu des cieux sur sa tête sous la forme d’une colombe, était conduit par l’Esprit, car tous ceux qui sont poussés par l’Esprit de Dieu, sont enfants de Dieu (Rm 8), mais Jésus était le Fils propre de Dieu, d’une manière bien plus excellente que tous les autres. —Bède. Afin que personne ne pût douter quel était cet Esprit qui, au récit des Évangélistes, avait conduit Jésus dans le désert ; saint Luc dit en termes exprès : « Il était poussé par l’Esprit dans le désert pendant quarante jours. » Il n’est donc pas possible de supposer que l’esprit immonde ait pu avoir quelque autorité sur celui qui, rempli de l’Esprit saint, agissait en tout d’après sa propre volonté. — Ch. des Pèr. Gr. (Sev. d’Ant.) Mais comment le Sauveur a-t-il été comme entraîné malgré lui, alors que nous-mêmes agissons en tout dans la plénitude de notre libre arbitre ? Il faut donc entendre ces paroles : « Il était poussé par l’Esprit » dans ce sens, que c’est volontairement qu’il a embrassé cette vie de solitude spirituelle pour donner lieu au démon de le tenter. — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Il ne provoque point l’ennemi en le défiant par ses paroles, mais en l’excitant par cette démarche, car le démon se plaît dans le désert et ne peut supporter les villes, où l’union des habitants est pour lui un sujet de tristesse.

S. Ambr. Jésus était donc poussé dans le désert tout à la fois, par un conseil divin pour provoquer le démon au combat, car si le démon ne l’eût point attaqué, le Sauveur n’en eût point triomphé dans notre intérêt ; pour accomplir un mystère, c’est-à-dire, pour délivrer de l’exil cet Adam qui avait été chassé du paradis dans le désert ; enfin pour nous apprendre par son exemple que le démon voit avec un oeil d’envie ceux qui tendent à une vie plus parfaite, et que nous devons alors nous tenir sur nos gardes, pour ne pas nous exposer à perdre par la faiblesse de notre âme la grâce du sacrement que nous avons reçu : « Et il fut tenté par le démon. » — S. Cyr. Le voilà descendu au rang des combattants, celui qui comme Dieu ordonne et règle les combats ; le voilà parmi ceux qui sont couronnés, celui qui place la couronne sur le front des saints. — S. Grég. (Moral., 3, 11) Cependant l’ennemi de notre salut ne put ébranler par la tentation l’âme du médiateur de Dieu et des hommes ; il a daigné se soumettre extérieurement à la tentation, mais en même temps son âme demeurait intérieurement unie à la divinité sans que rien pût l’en séparer. — Orig. (hom. 29.) Jésus fut tenté pendant quarante jours, et nous ne savons quelles furent ces tentations, car peut-être les Évangélistes n’en disent rien, parce qu’elles étaient trop fortes pour être décrites. — S. Bas. Ou bien encore, on peut dire que le Seigneur fut quarante jours sans être tenté, car le démon voyant qu’il jeûnait sans éprouver le besoin de la faim, n’osait s’approcher de lui : « Et il ne mangea rien pendant ces Jours, » etc. Notre-Seigneur a voulu jeûner pour nous apprendre que la tempérance est nécessaire à celui qui veut se préparer aux combats des tentations. — S. Ambr. Trois choses donc concourent puissamment au salut de l’homme, la grâce du sacrement, la solitude, le jeûne. Nul n’est couronné s’il n’a combattu en se conformant aux lois du combat (2 Tm 1, 5), et personne n’est admis aux combats de la vertu avant d’être purifié des souillures de ses fautes et consacré par l’effusion de la grâce céleste. — S. Greg. de Naz. (Disc. 40.) Le Sauveur a jeûné quarante jours sans prendre aucune nourriture, car il était Dieu ; mais pour nous, nous devons proportionner la pratique du jeûne à nos forces, bien que le zèle persuade à quelques-uns qu’ils peuvent aller bien au delà. — S. Bas. Cependant il ne faut point macérer sa chair en la privant de nourriture, jusqu’à lui faire perdre toute son énergie naturelle, oui jusqu’à réduire l’esprit à une extrême langueur par suite de l’épuisement complet du corps. Aussi Notre-Seigneur ne prolongea son jeûne de la sorte qu’une seule fois, et dans tout le reste de sa vie il se conforma pour la direction de son corps aux lois ordinaires de la nature, comme Moïse et Elie avaient fait eux-mêmes. — S. Chrys. (hom. 13.) Par un dessein plein de sagesse, le Sauveur ne voulut point jeûner plus longtemps que n’avait fait Moïse et Elie, pour ne point donner lieu de croire qu’il n’avait qu’un corps imaginaire et fantastique, ou qu’il avait pris une nature supérieure à la nôtre.

 

S. Ambr. (cf. Gn 7, 4.12 ; Dt 9, 9 ; 10, 10 ; Ex 16, 35 ; Nb 14, 33 ; Dt 8, 2 ; Jos 5, 6 ; Ac 7, 36) Vous reconnaissez ce nombre mystérieux de quarante jours, vous vous rappelez que les eaux du déluge tombèrent sur la terre pendant le même nombre de jours ; qu’après quarante jours sanctifiés par le jeûne, Dieu ramena la douceur d’un ciel plus serein ; que c’est après quarante jours de jeûne que Moïse fut jugé digne de recevoir la loi de la bouche de Dieu, et que pendant quarante années les patriarches furent nourris dans le désert du pain des anges. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 4.) Ce nombre quarante est le symbole de cette vie laborieuse, pendant laquelle, sous la conduite et le commandement de Jésus-Christ notre roi ; nous combattons contre le démon. Ce nombre, en effet, signifie la durée de la vie présente ; ainsi chaque année se divise en quatre parties égales ; de plus le nombre quarante contient quatre fois dix, et ces quatre dizaines forment quarante, multipliées par le chiffre qui part de l’unité pour aller jusqu’au nombre quatre. Nous voyons donc ici que le jeûne de quarante jours (où l’humiliation de l’âme) fut consacré sous la loi et les prophètes par Moïse et par Elie, et sous la loi de l’Évangile par le jeûne du Seigneur lui-même.

 

S. Bas. Mais comme il est au-dessus de la nature de l’homme d’éprouver le besoin de la faim, Notre-Seigneur se soumet à ce besoin qu’il sait n’être point un péché ; et il laisse, lorsque telle est sa volonté la nature humaine soumise aux lois de sa condition : « Et quand ces jours furent passés, il eut faim. » Cette faim n’est point chez lui l’effet d’une nécessité naturelle, mais il veut par là provoquer le démon au combat. En effet, le démon croyant que cette faim est l’indice nécessaire de sa faiblesse, entreprend de le tenter, et cherchant pour ainsi dire à inventer de nouveaux moyens de tentation, il conseille au Sauveur, qu’il voit souffrant de la faim, d’apaiser sa faim avec des pierres changées en pain : « Si vous êtes le Fils de Dieu, dites à cette pierre qu’elle devienne du pain. » — S. Ambr. Les trois tentations du Sauveur nous enseignent que le démon cherche surtout à blesser notre âme par les trois traits de la sensualité, de la vaine gloire et de l’ambition. Il commence par la tentation qui avait autrefois triomphé d’Adam. Apprenons donc à éviter la sensualité, à fuir l’impureté, car ce sont les traits dont le démon veut nous percer. Mais que veulent dire ces paroles : « Si vous êtes le Fils de Dieu ? » C’est que le démon savait bien que le Fils de Dieu devait venir sur la terre, mais qu’il ne croyait pas qu’il dût venir revêtu d’une chair passible et mortelle. Le démon cherche tout à la fois à savoir ce qu’est le Sauveur et à le tenter, il fait profession de croire à sa puissance comme Dieu, et en même temps il se joue de lui comme homme. — Orig. (hom. 29.) Le père à qui son fils demande du pain ne lui donne pas une pierre, mais le démon qui est un ennemi artificieux et trompeur, donne une pierre pour du pain. — S. Bas. Il conseillait au Sauveur d’apaiser sa faim avec, des pierres, c’est-à-dire, de détourner le désir des aliments naturels sur des choses qui sont en dehors de toute condition alimentaire. — Orig. Nous pouvons dire que jusqu’à ce jour le démon, en leur montrant une pierre, excite tous les hommes à dire : « Commandez à cette pierre qu’elle devienne du pain. » Quand vous voyez, en effet, les hérétiques manger au lieu de pain, le mensonge de leurs fausses doctrines, soyez certain que leurs discours sont cette pierre qui leur est montrée par le démon.

 

S. Bas. Notre-Seigneur Jésus-Christ, en repoussant les tentations, ne délivre pas la nature de la faim, comme si elle était une cause de mal, puisqu’elle a pour but, au contraire, la conservation de notre vie ; mais en maintenant la nature dans ses propres limites, il nous apprend quelle est sa nourriture : « Jésus lui répondit : L’homme ne vit pas seulement de pain, » etc. — Théophyl. C’est-à-dire, le pain n’est pas le seul aliment qui entretienne l’existence de l’homme, le Verbe de Dieu peut lui seul alimenter et nourrir tout le genre humain. C’est ainsi que le peuple d’Israël fut nourri pendant quarante ans de la manne qu’il recueillait (Ex 16, 15), et des oiseaux qui lui furent envoyés (Nb 11, 32) ; ainsi par l’ordre de Dieu, des corbeaux pourvurent miraculeusement à la nourriture d’Elie (3 R 17, 6) ; ainsi encore Elisée nourrît ses compagnons avec des herbes sauvages (4 R 4, 7). — S. Cyr. Ou bien dans un autre sens, notre corps qui est d’origine terrestre, se nourrit d’aliments terrestres, mais l’âme raisonnable puise dans le Verbe divin la force nécessaire à la santé spirituelle. — S. Grég. de Naz. En effet, un aliment matériel ne peut devenir la nourriture d’une nature incorporelle. — S. Greg. de Nysse. (hom. 5 sur l’Ecclés.) La vertu ne se nourrit donc point de pain, et ce n’est pas la chair des animaux qui donne à l’âme la santé et l’embonpoint spirituel ; la vie surnaturelle se développe et s’accroît par d’autres aliments, sa nourriture c’est la tempérance, son pain c’est la sagesse, la justice est son mets le plus exquis, la fermeté sa boisson, son plaisir le goût de la vertu. — S. Ambr. Vous voyez de quelles armes se sert le Sauveur pour défendre l’homme contre les insinuations de l’esprit du mal qui lui suggère la tentation de la sensualité. Il n’use pas ici de sa puissance comme Dieu (quel avantage m’en reviendrait-il ?) mais il recherche comme homme le secours qui est à la portée de tous les hommes, et tout occupé de la nourriture des divins enseignements, il oublie la faim du corps, pour obtenir plus sûrement la nourriture de la parole divine. En effet, celui qui fait profession de suivre le Verbe ou la parole de Dieu, ne peut plus faire d’un pain matériel l’objet de ses désirs, car les choses divines sont infiniment au-dessus des choses de la terre. Ajoutons que par ces paroles : « L’homme ne vit pas seulement de pain. » Notre-Seigneur fait voir que son humanité seule a été soumise à la tentation, c’est-à-dire, ce qu’il avait pris de notre nature et non pas sa divinité.

 

Vv. 5-8.

Théophyl. L’ennemi de notre salut avait d’abord tenté Jésus-Christ par la sensualité, comme il avait autrefois tenté Adam, il le tente en second lieu par la cupidité ou par l’avarice, en lui montrant tous les royaumes du monde : « Et le démon le conduisit sur une haute montagne, » etc. — S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Qu’y a-t-il d’étonnant que le Sauveur ait permis au démon de le conduire sur cette montagne, lui qui a bien voulu être crucifié par les suppôts et les ministres du démon ? — Theophyl. Mais comment le démon a-t-il pu lui faire voir tous les royaumes du monde ? Il en est qui prétendent que cette vision fut toute intérieure, mais mon avis est qu’elle fut extérieure et fantastique. — Tite de Bostr. Ou bien le démon fit de vive voix cette description du monde, et il le représenta à la pensée du Sauveur, sous la forme d’une maison comme il le pensait. — S. Amb. L’Évangéliste fait remarquer avec justesse que ce fut en un instant qu’il montra tous les royaumes du monde, et il veut exprimer ainsi la fragilité de cette puissance passagère, bien plus que le tableau rapide que le démon fit passer sous les yeux du Sauveur, car toutes ces choses passent en un moment, et souvent la gloire du siècle disparaît avant qu’elle soit venue.

 

« Et il lui dit : Je vous donnerai toute cette puissance, » etc. —Tite de Bostr. Il faisait un double mensonge, car il ne possédait pas cette puissance, et il ne pouvait donner ce qu’il n’avait pas. En effet, la puissance du démon est nulle, et Dieu n’a laissé à cet ennemi que le triste pouvoir de nous faire la guerre. — S. Ambr. Il est dit ailleurs : « Toute puissance vient de Dieu, » c’est donc à Dieu qu’il appartient de donner, de régler la puissance, mais c’est du démon que vient l’ambition du pouvoir ; ce n’est pas le pouvoir qui est mauvais, c’est l’usage condamnable qu’on en fait. Quoi donc ! Est-ce un bien que d’exercer le pouvoir ? que de rechercher les honneurs ? C’est un bien d’exercer le pouvoir lorsqu’on vous le défère, mais non lorsque vous l’usurpez. Et encore faut-il distinguer soigneusement ce bien, car il y a un bien relatif dons ce monde, et il y a un bien absolu qui consiste dans la perfection de la vertu. C’est ainsi qu’il est bien de chercher Dieu et de ne se laisser détourner par aucune préoccupation du soin assidu de connaître la Divinité. Or, si celui qui cherche Dieu est bien souvent tenté par suite de la fragilité de sa choir et de la faiblesse de son esprit, combien plus celui qui est tout entier dans la recherche des honneurs du monde. Le Sauveur nous apprend donc ici à mépriser l’ambition, comme étant soumise à la puissance du démon. D’ailleurs la faveur publique a ses périls qui lui sont propres ; pour dominer les autres, il faut d’abord se faire leur esclave, il faut se courber servilement sous la volonté des autres pour en obtenir les honneurs qu’on désire, et tandis qu’on veut s’élever au-dessus de tous, on s’abaisse et on s’avilit sous les dehors d’une humilité mensongère. Aussi écoutez le démon : « Si donc vous voulez m’adorer, » etc. — S. Cyril. Comment toi, dont le sort est de brûler dans un feu qui ne s’éteint pas, oses-tu promettre au Seigneur de toutes choses ce qui lui appartient ? Quoi ! tu as espéré avoir pour adorateur celui dont la crainte fait trembler tout ce qui existe ! — Orig. (hom. 30.) On peut encore expliquer ces paroles dans un sens tout différent. Deux rois veulent régner ici-bas à l’envi l’un de l’autre, le roi du péché, le démon veut régner sur les pécheurs ; le roi de la justice, Jésus-Christ sur les justes. Or le démon, sachant bien que le Christ venait détruire son royaume, lui fait voir tous les royaumes du monde, non pas le royaume des Perses et des Mèdes, mais son royaume à lui, comment il règne sur le monde, c’est-à-dire, comment il règne sur les uns par la fornication, sur les autres par l’avarice, et il lui fait voir en un instant, c’est-à-dire, dans la durée du temps présent, ce qu’il obtient en un instant en face de l’éternité. Le Sauveur n’avait pas besoin qu’il lui mît devant les yeux un plus long tableau des choses du monde ; aussitôt qu’il eut ouvert les yeux pour regarder, il vit d’un seul coup d’oeil le règne du péché et l’esclavage de ceux qui étaient soumis à la domination des vices. Le démon lui tient donc ce langage : « Vous êtes venu pour me disputer l’empire, adorez-moi, et je vous donne le royaume qui est en ma possession. Mais le Seigneur veut régner, il est vrai, mais comme étant la justice, c’est-à-dire qu’il veut régner sans péché ; il veut que les nations lui soient soumises, pour qu’il les place sous l’empire de la vérité, et il ne veut pas de ce règne qui le soumettrait lui-même à l’empire du démon : « Et Jésus lui répondit : Il est écrit : Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, » etc. — Bède. Le démon fait au Sauveur cette proposition : « Si vous consentez à vous prosterner et à m’adorer, » et il apprend de sa bouche, au contraire, que lui-même doit plutôt l’adorer comme son Seigneur et son Dieu. — S. Cyr. (Très.) Mais pourquoi, si, comme le veulent les hérétiques, il est fils de la créature, doit-il être adoré ? Ou est le crime de ceux qui adorent la créature au lieu du Créateur, si nous-mêmes nous adorons comme Dieu le Fils qui n’est d’après eux qu’une simple créature ? — Orig. Ou bien dans un autre sens : Je veux que tous les hommes me soient soumis, afin qu’ils adorent le Seigneur leur Dieu, et ne servent que lui seul ; et tu veux que je commence par donner l’exemple de la prévarication, moi qui suis venu pour détruire le péché ? — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Cette parole pénétra le démon jusqu’au fond de son âme. Avant la venue du Sauveur, il avait partout des autels, et voilà que la loi divine le chasse du trône qu’il avait usurpé, et déclare que l’adoration n’est due qu’à celui qui est Dieu par nature. — Bède. Si l’on demande comment ce précepte, de ne servir que Dieu seul, peut se concilier avec ces paroles de l’Apôtre : « Assujettissez-vous les uns aux autres par une charité spirituelle (Ga 5), nous répondrons que le mot dulie qui vient du grec, exprime cette espèce de culte ordinaire et commun, que nous rendons soit à Dieu, soit aux hommes, c’est dans ce sens qu’il nous est commandé de nous rendre les serviteurs les uns des autres ; au contraire, le mot latrie signifie le culte d’adoration que nous devons à Dieu, et qui nous ordonne de ne servir que lui seul.

 

Vv. 9-13.

S. Ambr. A la tentation de sensualité succède celle de la vaine gloire, qui fait tomber dans les honteux abaissements du péché ; car aussitôt que les hommes cherchent à préconiser la gloire de leur vertu, ils tombent du liant rang où leurs mérites les avait élevés : « Et le démon le conduisit à Jérusalem, » etc. — Orig. (hom. 31.) Jésus suivait le démon comme un athlète qui marche volontairement au combat, et il semblait lui dire : Conduis-moi où tu voudras, tu me trouveras supérieur à toutes tes ruses et à toutes tes intrigues. — S. Athan. C’est le propre de la vaine gloire, en inspirant à celui qu’elle domine de s’élever présomptueusement à nui degré supérieur par la pratique d’oeuvres plus parfaites, de le faire tomber dans les actions les plus humiliantes : « Et il lui dit : Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous au bas, » etc. — S. Athan. (Ch. des Pèr. gr.) Ce n’est pas contre la divinité que le démon engage le combat (il n’eût osé le faire), aussi c’est pourquoi il dit à Jésus : « Si vous êtes le Fils de Dieu, » mais c’est contre l’homme qu’il avait autrefois réussi à séduire. — S. Athan. C’est bien ici la voix du démon qui cherche à précipiter l’homme du haut rang où ses vertus l’ont élevé, mais il dévoile en même temps toute sa faiblesse et toute sa méchanceté, puisqu’il ne peut nuire à personne avant qu’on ne se soit pour ainsi dire précipité dans l’abîme. En effet, celui qui, aux choses du ciel, préfère les biens trompeurs de la terre, se jette comme volontairement dans un précipice où il trouve la mort. Cependant lorsque le démon vit son arme émoussée, lui qui avait soumis tous les hommes à son empire, il jugea que Jésus était plus qu’un homme. Or, il est à remarquer que Satan se transforme souvent en ange de lumière (2 Co 11), et dresse des piéges aux fidèles à l’aide des saintes Écritures : « Car il est écrit, » etc. — Orig. (hom. 34.) Comment peux-tu savoir, ô démon ! que ces paroles se trouvent dans l’Écriture, as-tu jamais lu les Prophètes ou les saintes Lettres ? Oui, tu les a lues, non pour devenir meilleur par cette lecture, mais pour tuer avec la lettre seule ceux qui s’attachent exclusivement à la lettre. (2 Co 3.) Tu sais que si tu empruntais tes témoignages à d’autres livres, tu ne pourrais réussir à tromper. — S. Ambr, Ne vous laissez donc pas séduire par les hérétiques qui pourront vous citer des témoignages de l’Écriture, le démon lui-même a recours à l’Écriture, non pour enseigner, mais pour tromper. — Orig. Vous voyez, du reste, l’artifice du démon jusque dans la citation de ces témoignages ; il veut amoindrir la gloire du Sauveur, comme s’il avait besoin du secours des auges, et que son pied dût heurter, s’il n’était soutenu par leurs mains. Or, ces paroles du Psalmiste ne s’appliquent nullement au Christ, mais en général à tous les saints ; car celui qui est au-dessus de tous les anges n’a nullement besoin de leur secours. Apprends donc plutôt, ô esprit superbe, que les anges eux-mêmes heurteraient leur pied, si la main de Dieu ne les soutenait, c’est ainsi que toi-même tu es venu heurter contre l’écueil, parce que tu as refusé de croire en Jésus-Christ, Fils de Dieu. Mais pourquoi donc passes-tu sous silence les paroles qui suivent : « Vous marcherez sur l’aspic et le basilic, sinon parce que tu es toi-même ce basilic, ce dragon, ce lion ? »

S. Ambr. Cependant Notre-Seigneur, voulant nous apprendre que tout ce qui avait été prédit de lui, ne devait pas s’accomplir selon le bon plaisir du démon, mais par la volonté souveraine de sa divinité, déjoue les artifices de ce malin esprit, et comme il a emprunté ses armes à l’Écriture, le Sauveur lui oppose l’autorité triomphante des Écritures : « Et Jésus lui répondit : Il est écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. » — S. Chrys. (des hom. sur l’ép. aux Hébr.) C’est en effet une inspiration diabolique que de se jeter dans le danger, pour tenter si Dieu nous en délivrera. — S. Cyr. Dieu accorde son secours, non à ceux qui le tentent, mais à ceux qui croient et espèrent en lui ; aussi Jésus-Christ ne voulut point faire de miracles en présence de ceux qui étaient venus pour le tenter : « Cette génération perverse, disait-il, demande un prodige, et il ne lui sera point donné. » — S. Chrys. (comme précéd.) Voyez comme le Seigneur, sans être troublé, discute humblement avec le démon, vous donnant ainsi un exemple que vous devez imiter autant qu’il est possible. Le démon connaît les armes dont Jésus-Christ s’est servi pour le terrasser, il l’a combattu par la douceur, et en a triomphé par l’humilité. Vous donc aussi, si vous rencontrez un homme devenu l’instrument du démon pour lutter contre vous, cherchez à en triompher par les mêmes armes. Que votre âme apprenne à conformer vos paroles aux paroles du Christ ; car de même que le juge romain, assis sur son tribunal, n’écoute point la demande de celui qui ne sait point parler son langage ; ainsi Jésus-Christ ne vous exaucera point et ne prêtera aucune attention à vos paroles, si vous ne parlez son langage.

S. Grég. de Nysse. Celui qui lutte suivant les règles, arrive au terme du combat, soit que son adversaire cède de lui-même au vainqueur, soit qu’à la troisième défaite il dépose les armes suivant les lois du combat : « Et ayant épuisé toutes ses tentations, il se retira, » etc. — S. Athan. La sainte Écriture n’eût pas dit que le démon avait épuisé toutes les tentations, si les trois qui précédent n’étaient l’occasion de tous les crimes. En effet, toutes les tentations viennent des concupiscences qui sont le plaisir de la chair, le désir de la gloire et l’ambition du pouvoir. — S. Athan. L’ennemi de notre salut s’était approché de Jésus comme d’un homme, mais n’ayant trouvé en lui aucun des caractères de ses premiers ancêtres, il se retira. — S. Ambr. Vous voyez donc que le démon n’est point opiniâtre dans ses poursuites, il cède le terrain à la véritable vertu, et s’il ne cesse point de porter envie et de haïr, il craint de revenir à la charge, parce qu’il redoute la honte de fréquentes défaites. Aussitôt donc qu’il entend le nom de Dieu, il se retire pour un temps, dit l’Évangéliste ; car il revint plus tard, non plus pour tenter le Sauveur, mais pour le combattre à force ouverte. — Théophyl. Ou bien, comme il l’avait tenté dans le désert par l’attrait de la sensualité, il se retira de lui jusqu’au temps de sa passion, où il devait le tenter par la crainte de la douleur. — S. Maxim. Ou bien encore, le démon avait suggéré à Jésus-Christ, dans le désert, de préférer les biens matériels à l’amour divin, le Sauveur lui ordonne de se retirer, ce qui était un signe de l’amour qu’il avait pour Dieu. Dans la suite, le démon s’efforça donc de lui faire transgresser le précepte de l’amour du prochain, ainsi il excitait les scribes et les pharisiens à lui dresser des embûches, alors qu’il leur enseignait les sentiers de la véritable vie pour le forcer de les haïr. Mais le Seigneur, ne perdant jamais de vue l’amour qu’il avait pour eux, ne cessait de les avertir, de les reprendre et de leur faire du bien.

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 6.) Saint Matthieu rapporte également l’ensemble de ces tentations, mais dans un ordre différent. Nous ne savons donc ce qui eut lieu d’abord, de la deuxième ou de la troisième tentation, c’est-à-dire si le démon fit voir au Sauveur tous les royaumes du monde avant de le transporter sur le pinacle du temple ; mais peu importe, dès lors qu’il est certain que ces deux faits sont véritables. — S. Maxim. L’un des Évangélistes a placé la seconde tentation avant la troisième ; l’autre, la troisième avant la seconde, parce que la vaine gloire et l’avarice s’engendrent mutuellement. — Orig. (hom. 29.) L’évangéliste saint Jean, qui commence son Évangile par la génération divine, et donne ce magnifique exode : « Au commencement était le Verbe, » n’a pas raconté les tentations du Sauveur, parce que la divinité dont il voulait surtout parler est inaccessible à la tentation. Au contraire, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, qui avaient surtout pour objet de décrire la génération temporelle, et la vie humaine de Notre-Seigneur, nous ont raconté sa tentation.

 

Vv. 14-21.

Orig. (hom. 32.) La victoire que Notre-Seigneur venait de remporter sur le tentateur, donna un nouvel accroissement, ou plutôt un nouveau degré de manifestation à sa vertu : « Et Jésus retourna en Galilée dans la vertu de l’Esprit, » etc. — Bède. Cette vertu de l’Esprit, c’est la puissance de faire des miracles. — S. Cyr. Le Sauveur ne faisait pas des miracles par une puissance qui lui fut extrinsèque, et comme les autres saints qui agissaient en vertu de la grâce de l’Esprit saint qu’ils avaient reçue ; mais comme il était le Fils de Dieu par nature, et qu’il entrait en participation de tous les attributs du Père, il se sert pour agir de la vertu de l’Esprit saint comme lui appartenant en propre. Il était du reste convenable qu’il se manifestât désormais et qu’il fît éclater aux yeux des enfants d’Israël le mystère de l’incarnation : « Et sa renommée se répandit, » etc. — Bède. La sagesse se rapporte à la doctrine, et la puissance aux oeuvres, aussi l’Evangéliste réunit ici ces deux attributs : « Et il enseignait dans les synagogues, » etc. Le mot synagogue, qui vient du grec, veut dire réunion, les Juifs appelaient ainsi non seulement l’assemblée du peuple, mais encore le lieu où il se réunissait pour entendre la parole de Dieu. C’est ainsi que nous donnons le nom d’églises aux lieux où se réunissent les fidèles pour chanter les louanges de Dieu. Il y a cependant une différence entre le mot synagogue qui veut dire réunion, et le mot église qui signifie assemblée ; des animaux, ou n’importe quelles autres choses, peuvent former une réunion, tandis qu’une assemblée ne peut se composer que d’êtres doués de raison. C’est pour cela que les docteurs apostoliques ont jugé plus convenable de donner le nom d’Église, plutôt que celui de synagogue aux réunions du peuple, élevé par la grâce à une plus liante dignité. C’est avec raison que tous publiaient ses louanges, lui à qui tous les faits et tous les oracles précédents avaient rendu un si éclatant témoignage : « Et il était exalté par tous. » — Orig. Gardez-vous de penser que ceux-là seuls furent heureux qui eurent le bonheur d’entendre les enseignements du Sauveur, et de croire que vous êtes privé de la même faveur ; car aujourd’hui encore, il enseigne dans tout l’univers par ses organes, et sa gloire est célébrée par un plus grand nombre de voix qu’au temps de sa vie mortelle, où les hommes d’une seule contrée s’assemblaient autour de lui pour recevoir ses divines leçons.

 

S. Cyr. Notre-Seigneur se fait connaître à ceux parmi lesquels il a passé les premières années de sa vie mortelle : « Et il vint à Nazareth, » etc. — Théophyl. Il nous apprend ainsi à instruire d’abord de préférence nos proches, et à leur faire du bien avant de répandre sur les autres les effets de notre charité. — Bède. Ils se réunissaient en foule le jour du sabbat dans les synagogues, où, libres des préoccupations des affaires du monde, ils pouvaient méditer dans un coeur calme et tranquille les divins enseignements de la loi : « Et il entra, selon sa coutume, le jour du sabbat, dans la synagogue. — S. Ambr. Notre-Seigneur s’est tellement familiarisé avec tous les abaissements, qu’il n’a pas dédaigné l’humble fonction de lecteur : « Et il se leva pour lire, et on lui donna le livre des prophéties d’Isaïe, » etc. Il prit le livre pour déclarer que c’était lui qui avait parlé par la bouche des prophètes, et pour écarter cette doctrine sacrilège, qui prétend que le Dieu de l’Ancien Testament n’est pas le même que le Dieu du Nouveau, ou qui ne fait remonter l’origine de Jésus-Christ qu’à sa conception dans le sein de la Vierge ; comment soutenir, en effet, que son existence date seulement de sa conception, lui qui faisait entendre sa voix avant même que la Vierge existât ?

Orig. Or, ce ne fut point par hasard, mais par un effet de la Providence divine, qu’en déroulant le livre, il tomba sur la prophétie qui prédisait sa venue : « Et l’ayant déroulé, il trouva l’endroit où il était écrit, » etc. — S. Athan. (2e discours contre les Ar.) Il parle de la sorte pour nous expliquer les causes de son incarnation et de sa manifestation en ce monde ; car de même que lui, qui, comme Fils de Dieu, envoie et donne l’Esprit saint, ne fait pas difficulté d’avouer, comme homme, que c’est par l’Esprit de Dieu qu’il chasse les démons ; de même, en tant qu’il s’est fait homme, il ne craint pas de dire « L’Esprit du Seigneur est sur moi. » — S. Cyr. C’est ainsi que nous confessons qu’il a reçu l’onction comme homme revêtu de notre nature : « C’est pourquoi il m’a consacré par son onction ; » car ce n’est pas la nature divine qui reçoit cette onction, mais la nature qui lui est commune avec la nôtre. Ainsi encore lorsqu’il dit qu’il a été envoyé, il faut l’entendre de son humanité « Il m’a envoyé évangéliser les pauvres. » — S. Ambr. Vous voyez la Trinité coéternelle et parfaite. L’Écriture proclame que Jésus est Dieu parfait et homme parfait, elle proclame également la divinité du Père et de l’Esprit saint le coopérateur du Père qui est descendu sur Jésus Christ sous la forme extérieure d’une colombe. — Orig. Les pauvres ici sont toutes les nations pauvres eu effet, parce qu’elles étaient dénuées de tout bien, sans Dieu, sans loi, sans prophètes, sans justice, sans aucunes vertus. — S. Ambr. Ou encore, il reçoit dans sa plénitude l’onction de l’huile spirituelle et de la vertu céleste pour enrichir la pauvreté de la nature humaine du trésor de sa résurrection. — Bède. Dieu l’envoie prêcher l’Évangile aux pauvres, et leur dire : « Bienheureux vous qui êtes pauvres, parce que le royaume des cieux est à vous. » — S. Cyr. Peut-être veut-il dire par là que de tous les biens dont Jésus-Christ est la source, la meilleure part est donnée aux pauvres en esprit. — Suite. « Guérir les coeurs brisés. » Ces coeurs brisés ce sont les faibles, dont l’âme est fragile, qui ne peuvent résister aux assauts des passions, et à qui il promet le retour à la santé. — S. Bas. Il vient guérir les coeurs brisés, c’est-à-dire ceux dont Satan a comme brisé le coeur par le péché ; car il n’y a rien qui brise et écrase le coeur humain comme le péché. — Bède. Ou bien encore, comme il est écrit que Dieu ne rejette pas un coeur contrit et humilié (Ps. L), le Sauveur dit qu’il est envoyé pour guérir ceux dont le coeur est contrit, selon cette parole : « Il guérit ceux dont le coeur est brisé. »

 

« Et annonce la délivrance aux captifs. » — S. Chrys. (sur le Ps 125.) Le mot captivité a plusieurs significations : il y a une captivité bonne et louable, dont saint Paul a dit : « Réduisant en captivité toute intelligence sous l’obéissance de Jésus-Christ. » (2 Co 10.) Mais il y a une captivité mauvaise dont le même Apôtre a dit : « Ils traînent captives de jeunes femmes chargées de péchés. » (2 Tm 3.) La captivité peut être corporelle et venir d’ennemis extérieurs ; mais la plus affreuse est celle de l’âme, dont il est ici question, car le péché exerce sur l’âme la plus dure tyrannie, il lui fait comme une loi du mal, et la couvre de confusion lorsqu’elle lui obéit ; c’est de cette captivité spirituelle que Jésus-Christ nous a délivrés. — Théophyl. On peut encore entendre ces paroles des morts qui étaient aussi captifs, et qui furent délivrés du joug du tyran de l’enfer par la résurrection de Jésus-Christ.

 

« Et le bienfait de la vue aux aveugles. » — S. Cyril. Jésus-Christ, le vrai soleil de justice, a dissipé ces ténèbres épaisses que le démon avait amassées dans le coeur des hommes ; ils étaient enfants de la nuit et des ténèbres, il les a faits enfants du jour et de la lumière, au témoignage de l’Apôtre (1 Th 5) ; car il a fait entrer dans le sentier de la justice ceux qui étaient égarés loin de la véritable voie.

 

« Rendre à la liberté ceux qu’écrasent leurs fers. » — Orig. Qu’y avait-il, en effet, de plus brisé, de plus broyé que l’homme, à qui Jésus-Christ est venu rendre la liberté et la guérison ? — Bède. Ou bien encore, il est venu rendre la liberté aux opprimés, c’est-à-dire, à ceux qui étaient comme écrasés sous le fardeau insupportable de la loi.

 

Orig. Toutes ces choses qui ont été prédites, la vue rendue aux aveugles, la liberté aux captifs, la guérison à ceux qui étaient blessés, nous amènent naturellement à l’année favorable du Seigneur : « Et publier l’année salutaire du Seigneur. » Quelques-uns, prenant ces paroles dans leur sens le plus simple et le plus littéral, disent que le prophète, en faisant cette prédiction, avait en vue l’année pendant laquelle le Sauveur a prêché l’Évangile dans la Judée. Ou bien encore, cette année favorable du Seigneur, c’est toute la durée de l’existence de l’Église qui voyage loin du Seigneur, tant qu’elle reste dans ce corps mortel (2 Co 5). — Bède. Ce ne fut pas seulement l’année de la prédication du Seigneur, qui fut l’année favorable, mais encore celle où l’Apôtre disait dans ses prédications : « Voici maintenant le temps favorable. » (2 Co 6.) Après l’année favorable du Seigneur, il ajoute : « Et le jour de la rétribution, » c’est-à-dire, de la rétribution dernière, où Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres. — S. Ambr. Ou bien encore, cette année favorable du Seigneur, c’est l’année de l’éternité, qui ne ramènera plus le cercle des travaux de ce monde, et qui donnera aux hommes la jouissance des fruits éternels d’un repos qui ne finira jamais.

 

« Ayant replié le livre, il le rendit, » etc. Il lut ce livre en présence de ceux qui étaient là pour l’écouter, mais après cette lecture il le rendit au ministre. En effet, tandis qu’il était dans le monde, il parlait publiquement, enseignant dans les synagogues et dans le temple, mais lorsqu’il fut sur le point de remonter vers le ciel, il confia le ministère de la prédication à ceux qui avaient été dès le commencement les témoins de ses actions et les ministres de sa parole. Il se tient debout pour faire cette lecture, parce qu’en nous expliquant les Ecritures qui se rapportaient à lui, il daignait agir dans la nature humaine dont il s’était revêtu ; mais il s’asseoit après avoir rendu le livre, parce qu’il rentre alors en possession du trône de son éternel repos. En effet, celui qui agit se tient ordinairement debout, et c’est le propre de celui qui se repose ou qui rend la justice d’être assis. Tel doit être le prédicateur de la parole de Dieu, il doit se tenir debout pour lire, c’est-à-dire, pour agir et pour prêcher ; il doit s’asseoir, c’est-à-dire, attendre le repos pour récompense. Il lut ce livre après l’avoir déroulé, parce qu’il a enseigné à l’Église toute vérité par l’Esprit de vérité qu’il lui a envoyé ; il le rendit au ministre après l’avoir plié, parce que toute doctrine ne peut être enseignée à tous indistinctement, mais les docteurs sont obligés de proportionner leur enseignement à l’intelligence de ceux qui les écoutent.

 

« Et tous dans la synagogue avaient les yeux attachés sur lui. — Orig. Et maintenant encore, si nous le voulons, nous pouvons fixer nos regards sur le Sauveur, car si vous dirigez l’intention de votre coeur vers la sagesse, la vérité et la contemplation du Fils unique de Dieu, vos yeux alors s’arrêtent sur Jésus. — S. Cyr. Il attirait sur lui les regards de tous ces hommes étonnés de voir qu’il savait les Écritures sans les avoir apprises. Et comme les Juifs avaient coutume de dire que les prophéties qui concernaient le Christ, avaient reçu leur accomplissement dans quelques-uns de leurs chefs, de leurs rois ou des saints prophètes, Notre-Seigneur leur fait voir en lui l’accomplissement de cette prophétie : « Et il commença à leur dire : C’est aujourd’hui que cette prophétie que vous venez d’entendre est accomplie. »

 

Vv. 22-27.

S. Chrys. (hom. 49 sur S. Matth.) Notre-Seigneur s’abstient de faire des miracles dans la ville de Nazareth, pour ne point exciter contre lui une plus grande envie dans le coeur de ses habitants. Mais il leur annonce une doctrine non moins admirable que ses miracles, car les paroles du Sauveur étaient accompagnées d’une grâce ineffable et divine qui charmait tous ceux qui l’entendaient : « Et tous lui rendaient témoignage, » etc. — Bède. Ils lui rendaient témoignage, en attestant qu’il était vraiment, comme il le disait, celui que le prophète avait annoncé. — S. Chrys. (hom. 49 sur S. Matth.) Mais les insensés, tout en admirant la puissance de sa parole, n’ont que du mépris pour sa personne, à cause de celui qu’ils regardent comme son père : « Et ils disaient : N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » — S. Cyr. Mais fut-il, comme vous le pensez, le fils de Joseph en serait-il moins digne de votre admiration et de vos hommages ? Ne voyez-vous pas les miracles divins qu’il opère, Satan terrassé, et les nombreux malades qu’il a délivrés de leurs infirmités ? — S. Chrys. (hom. 49.) Longtemps après, et lorsqu’il avait rempli la Judée de l’éclat de ses miracles, il revint à Nazareth ; et ils ne purent le supporter davantage, et ils manifestèrent contre lui l’envie la plus noire et la plus ardente : « Et il leur dit : Sans doute vous m’appliquerez ce proverbe : Médecin, guéris-toi toi-même, » etc. — S. Cyr. C’était chez les Hébreux un proverbe de mépris ; ainsi on criait aux médecins qui étaient malades : « Médecin, guéris-toi toi-même. » — La Glose. Ils veulent lui dire : Nous avons appris que vous aviez guéri un grand nombre de malades à Capharnaüm, guérissez-vous vous-même, c’est-à-dire, faites les mêmes prodiges dans votre ville, lieu de votre conception et de votre première éducation.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 12.) Puisque saint Luc rappelle ici les grands prodiges que Notre-Seigneur a déjà opérés, et qu’il sait bien n’avoir pas racontés lui-même, il est donc évident que c’est en connaissance de cause qu’il place en premier lieu cet événement. En effet, la distance qui le sépare du baptême du Sauveur, est trop peu grande pour qu’on puisse supposer qu’il a oublié qu’il n’a encore rien dit de ce qui s’est passé dans la ville de Capharnaüm.

 

S. Ambr. Ce n’est pas sans raison que le Sauveur s’excuse de n’avoir fait aucun miracle dans sa patrie, il ne voulait pas qu’on pût croire que nous devions faire peu de cas de l’amour de la patrie : « Et il dit : Je vous dis en vérité, qu’aucun prophète n’est accueilli dans sa patrie, » etc. — S. Cyr. Comme s’il leur disait : Vous voulez me voir opérer de nombreux prodiges au milieu de vous, parmi lesquels se sont passées mes premières années ; mais je n’ignore pas un sentiment trop commun à la plupart des hommes ; ils n’ont que du mépris pour les choses les plus excellentes, lorsqu’elles se répètent fréquemment et comme à volonté. Il en est de même des hommes, celui avec lequel on vit dans une espèce de familiarité cesse d’être respecté par ses proches qui ont l’habitude de le voir toujours au milieu d’eux. — Bède. Que le Christ soit appelé prophète dans les Écritures, Moïse en fait foi quand il dit : « Dieu vous suscitera un prophète d’entre vos frères. » (Dt 18.) — S. Ambr. Cet exemple nous apprend qu’en vain nous espérons le secours de la miséricorde céleste, si nous portons envie au mérite de la vertu de nos frères. Dieu, en effet, méprise souverainement les envieux, et prive des miracles de sa puissance ceux qui persécutent dans les autres les bienfaits de sa main divine. Les oeuvres que Notre-Seigneur faisait pendant sa vie mortelle, étaient des preuves de sa divinité, et ses perfections invisibles nous étaient manifestées par ce qui paraissait aux yeux. Voyez quel mal produit l’envie, la patrie de Jésus est jugée indigne, à cause de son envie, d’être témoin des oeuvres du Sauveur, elle qui avait été jugée digne d’être le lieu de sa conception divine.

 

Orig. (hom. 33.) A s’en tenir au récit de saint Luc, on n’y voit point que Jésus ait fait jusque-là aucun miracle à Capharnaüm, car cet Évangéliste raconte simplement qu’avant de venir à Capharnaüm, Jésus avait passé plusieurs années de sa vie à Nazareth. Je pense donc que ces paroles des habitants de Nazareth : « Les grandes choses qu’on nous a racontées que vous faisiez à Capharnaüm, » renferment quelque mystère, et que Nazareth représente ici les Juifs, et Capharnaüm les Gentils. En effet, il viendra un temps où le peuple d’Israël dira : Montrez-nous aussi ce que vous avez fait voir à tout l’univers, prêchez votre doctrine au peuple d’Israël, afin que lorsque toutes les nations seront entrées, le peuple d’Israël puisse aussi avoir part au salut. En leur disant donc : Aucun prophète n’est accueilli dans sa patrie, Notre-Seigneur leur répondit dans un sens plus figuré que littéral. » Il est vrai que Jérémie ne fut pas bien reçu dans son pays, et qu’il en fut de même des autres prophètes. Cependant, voici le sens le plus probable de ces paroles : Le peuple de la circoncision fut la patrie de tous les prophètes, et les nations reçurent avec plus d’empressement le témoignage de Moïse et des prophètes qui annonçaient Jésus-Christ, que ceux d’entre les Juifs qui refusèrent de reconnaître Jésus pour le Sauveur du monde.

 

S. Ambr. Notre-Seigneur apporte ici un exemple bien propre à réprimer l’arrogance de ses concitoyens envieux et jaloux, et il leur montre que sa conduite est conforme aux anciennes Écritures : « Je vous le dis en vérité, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d’Elie, » non que ces jours appartinssent à Elie, mais parce qu’il opéra ses prodiges dans ces jours (cf. Is ; Os 1 ; Am 1 ; Za 14, etc.). — S. Chrys. (hom. sur les Ep. de S. Paul.) Cet ange terrestre, cet homme tout céleste, qui n’avait ni demeure, ni table, ni vêtements, ce que le plus grand nombre des hommes possède, portait dans une de ses paroles, pour ainsi dire, la clef des cieux ; ce que Notre-Seigneur indique par ce qui suit : « Lorsque le ciel fut fermé pendant trois ans. » Or, lorsqu’il eut ainsi fermé le ciel, et frappé la terre de stérilité, elle fut en proie à la famine, et tous les corps dépérirent : « Et qu’il y eut une grande famine sur la terre. » — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Lorsque, en effet, Elie eut considéré que l’abondance était la source des plus grands scandales, il imposa aux hommes par la famine, un jeûne nécessaire, pour mettre ainsi un frein à leurs excès qui ne connaissaient plus de bornes. C’est alors que l’on vit des corbeaux qui, d’ordinaire, dérobent aux autres leur nourriture, devenir les messagers du ciel pour nourrir cet homme juste. — S. Chrys. (comme précéd.) Mais comme le fleuve où il se désaltérait était desséché, Dieu lui dit : « Allez à Sarepta, ville des Sidoniens, là je commanderai à une femme veuve de vous nourrir, » Et Notre-Seigneur ajoute : « Et Elie ne fut envoyé à aucune d’elles, mais à une veuve de Sarepta, dans le pays des Sidoniens. » Elie agit en cela par une disposition toute particulière de Dieu, qui le conduisit par un long chemin jusque dans le pays de Sidon, afin qu’étant témoins de la famine qui désolait ces contrées, il priât Dieu de répandre la pluie sur la terre. Or il y avait alors bien des riches dans ce pays, et aucun d’eux n’imita l’exemple de cette veuve, la vénération qu’elle eut pour le prophète lui fit trouver des richesses, non dans les biens qu’elle n’avait pas, mais dans sa bonne volonté.

S. Ambr. Dans le sens mystique, ces paroles : « Dans les jours d’Elie », signifient qu’Elie était pour eux comme la lumière du jour, parce qu’ils voyaient dans ses oeuvres l’éclat de la grâce spirituelle qui était en lui. Ainsi le ciel s’ouvrait pour ceux qui étaient témoins des divins mystères, et il se fermait durant la famine, alors qu’il n’y avait aucun moyen facile d’arriver à la connaissance de Dieu. Cette veuve, à laquelle Elie fut envoyé, est une figure de l’Église. — Orig. Pendant que la famine désolait le peuple d’Israël, affamé d’entendre la parole de Dieu, le prophète est venu trouver cette veuve, dont il est dit dans le prophète Isaïe (Is 54) : « L’épouse abandonnée est devenue plus féconde que celle qui a un époux, et en demeurant chez elle il multiplia son pain et ses autres aliments. — Bède. Sidonie veut dire chasse inutile ; Sarepta signifie incendie ou disette du pain ; toutes significations qui conviennent parfaitement au peuple des Gentils. En effet, livré tout entier à une chasse stérile, c’est-à-dire, à la recherche des richesses et des gains du commerce de la terre, il était en proie à l’incendie des concupiscences charnelles et à la disette du pain spirituel, jusqu’à ce que l’intelligence des Écritures ayant disparu complètement par suite de la perfidie des Juifs, Elie, c’est-à-dire, la parole prophétique, vint trouver l’Église pour nourrir et fortifier les coeurs des vrais croyants qui le recevraient. — S. Bas. On peut encore voir ici la figure de toute âme veuve, pour ainsi dire, dénuée de force et privée de la connaissance de Dieu, lorsque cette âme reçoit la parole divine, en reconnaissant ses fautes, Dieu lui apprend à nourrir cette parole avec le pain des vertus, et à arroser la science de la vertu avec la source de la vie.

 

Orig. (hom. 33.) Notre-Seigneur cite encore un autre fait à l’appui de la même vérité, en ajoutant : « Il y avait aussi beaucoup de lépreux en Israël, au temps du prophète Elisée, et aucun d’entre eux ne fut guéri, si ce n’est Naaman le Syrien, » qui ne faisait point partie du peuple d’Israël. — S. Ambr. Nous avons dit précédemment que cette veuve vers laquelle Elie fut envoyé, était la figure de l’Église. Or, dans un sens allégorique, le peuple s’approche de l’Église pour marcher à sa suite. C’est ce peuple composé des nations étrangères, ce peuple couvert de lèpre avant qu’il fût plongé dans le baptême du fleuve mystique, mais qui après avoir reçu le sacrement de baptême qui l’a purifié de toutes les souillures du corps et de l’âme, a commencé à devenir une Vierge immaculée sans rides comme sans taches. — Bède. En effet, Naaman qui veut dire beau, représente le peuple des Gentils ; il lui est ordonné de se laver sept fois, parce que le baptême qui nous sauve est celui qui nous régénère par les sept dons de l’Esprit saint. Sa chair, après avoir été lavée, devient comme celle d’un enfant, parce que la grâce, qui est notre mère, nous fait tous renaître à une seule et même enfance, ou bien parce que nous sommes rendus semblables à Jésus-Christ dont il est dit : « Un enfant nous est né. » (Is 9.)

 

Vv. 28-30.

Ch. des Pèr. gr. (Cyr) Ils s’indignent contre lui, parce qu’il les a repris de leur coupable intention : « En entendant ces paroles, ils furent tous remplis de colère dans la synagogue. » Comme il leur avait dit : Aujourd’hui cette prophétie s’est accomplie, » ils crurent qu’il se comparait lui-même aux prophètes, et ils le chassèrent hors de leur ville : « Et se levant, ils le chassèrent hors de la ville, » etc. — S. Ambr. Il n’est pas étonnant qu’ils aient perdu le salut, eux qui chassent le Sauveur de leur pays. Cependant le Seigneur qui avait enseigné à ses Apôtres, par son exemple, à se faire tout à tous, ne repousse pas les hommes de bonne volonté, mais il ne contraint pas non plus ceux qui résistent ; il ne lutte pas contre ceux qui le rejettent, il ne fait pas défaut à ceux qui le prient de rester avec eux. Il fallait cependant que leur jalousie fut bien grande pour leur faire oublier les sentiments qui unissent d’ordinaire les concitoyens, et pour changer en haine mortelle les motifs de la plus légitime affection, En effet, c’est alors que le Sauveur répandait ses bienfaits surtout le peuple, qu’ils lui prodiguent leurs outrages : « Et ils le conduisirent sur le sommet de la montagne pour l’en précipiter. » — Bède. Les Juifs, disciples du démon, sont mille fois pires que leur maître lui-même ; le démon s’est contenté de dire à Jésus : « Jetez-vous en bas, » tandis que les Juifs cherchent à le précipiter eux-mêmes. Mais Jésus change tout à coup leurs dispositions, ou les frappe de stupeur et d’aveuglement, et descend de la montagne, parce qu’il veut leur laisser encore l’occasion de se repentir : « Or Jésus passant au milieu d’eux, s’en alla. » — S. Chrys. (hom. 47 sur S. Jean.) Notre-Seigneur fait paraître ici tout à la fois les attributs de la divinité et les signes de son humanité. En effet, en passant au milieu de ceux qui le poursuivaient, sans qu’ils puissent se saisir de lui, il montre la supériorité de sa nature divine ; et en s’éloignant d’eux, il prouve le mystère de son humanité ou de son incarnation. — S. Ambr. Comprenez encore ici que sa passion a été non un acte forcé, mais complètement volontaire. Ainsi, on se saisit de sa personne quand il le veut, il échappe à ses ennemis quand il le veut ; car comment un petit nombre de personnes aurait-il pu le retenir captif, puisqu’il ne pouvait être arrêté par un peuple tout entier ? Mais il ne voulut pas qu’un si grand sacrilège fût commis par la multitude ; et il devait être crucifié par un petit nombre, lui qui mourait pour le monde entier. D’ailleurs, son désir était de guérir les Juifs plutôt que de les perdre, et il voulait que le résultat de leur impuissante fureur leur fit renoncer à des desseins qu’ils ne pouvaient accomplir. — Bède. Ajoutons encore que l’heure de sa passion n’était pas encore venue, puisqu’elle ne devait arriver que le jour de la préparation de la fête de Pâques. Il n’était pas non plus dans le lieu marqué pour sa passion, qui était figurée par les victimes qu’on immolait, non pas à Nazareth, mais à Jérusalem. Enfin ce n’était pas de ce genre de mort qu’il devait mourir, puisqu’il était prédit depuis des siècles qu’il serait crucifié.

 

V. 31—37.

S. Ambr. En quittant la Judée, Notre-Seigneur ne cède ni à un sentiment d’indignation, ni au juste ressentiment du crime des Juifs ; au contraire, il oublie cet outrage pour ne se souvenir que de sa clémence, et tantôt par ses enseignements, tantôt par les guérisons qu’il opère, il cherche à toucher les coeurs de ce peuple infidèle : « Et il descendit à Capharnaüm qui est une ville de Galilée, » etc. — S. Cyr. Il connaissait bien leur penchant à l’indocilité et la dureté de leur coeur, cependant il les visite comme un bon médecin qui s’efforce de guérir des malades qu’il voit réduits à l’extrémité. Il enseignait sans crainte dans les synagogues, selon ces paroles d’Isaïe : « Je n’ai point parlé en secret, ni dans quelque coin obscur de la terre. » (Is 45, 19.) Il choisissait le jour de sabbat pour discuter avec eux, parce que c’était pour eux le jour du repos ; ils furent donc étonnés de la grandeur de sa doctrine, de sa vertu, de sa puissance : « Et sa doctrine les frappait d’étonnement, parce qu’il leur parlait avec autorité. » C’est-à-dire, que ses paroles n’étaient point molles et flatteuses, mais entraînantes, et qu’elles pressaient ceux qui les entendaient, de travailler à leur salut. Mais les Juifs ne voyaient dans Jésus-Christ qu’un saint ou un prophète ; aussi pour leur donner de lui une plus haute et une plus juste idée, il s’élève au-dessus du langage prophétique. Son exorde, en effet, n’était pas comme celui des prophètes : « Voici ce que dit le Seigneur ; » mais comme maître de la loi, il enseigne une doctrine supérieure à la loi, et passe de la lettre à la vérité, des figures à leur accomplissement spirituel. — Bède. On peut dire encore que la parole d’un docteur a de l’autorité, lorsqu’il pratique ce qu’il enseigne, car on n’a que du mépris pour celui dont la conduite est en opposition avec ses discours.

S. Cyr. A la prédication de la doctrine, Notre-Seigneur joint avec à propos des oeuvres étonnantes, et persuade ainsi ceux que la raison ne parvenait pas à convaincre de ce qu’il était : « Or, il y avait dans la synagogue un homme possédé du démon, » etc. — S. Ambr. Notre-Seigneur, en commençant le jour du sabbat les oeuvres de la rédemption divine, veut nous apprendre que la nouvelle création commence le jour même où l’ancienne création avait fini, et nous montrer tout d’abord que le Fils de Dieu n’est pas soumis à la loi mais qu’il était supérieur à la Loi. Il commence encore le jour du sabbat, pour montrer qu’il est le Créateur qui fait succéder aux oeuvres anciennes des oeuvres nouvelles, et poursuit le dessein qu’il avait commencé à réaliser si longtemps auparavant. Semblable à un ouvrier qui veut rebâtir une maison et qui en fait disparaître tout ce qu’elle a de ruineux, en commençant, non par les fondations, mais par le faîte et en démolissant d’abord ce qui avait été construit en dernier lieu. Ajoutons que le Sauveur commence par des oeuvres moins importantes pour arriver à celles qui ont plus d’éclat. Les saints eux-mêmes peuvent délivrer du démon au nom et par le Verbe de Dieu, mais il n’appartient qu’à la puissance divine de commander aux morts de ressusciter (Lc 7, 14 ; Jn 11, 43).

S. Cyr Les Juifs calomniaient la gloire de Jésus-Christ en disant : « Il chasse les démons par Beelzebub, prince des démons. » C’est pour confondre cette accusation sacrilège, que les démons se trouvant en présence de son invincible puissance, et ne pouvant supporter l’approche de la divinité, jetaient des cris effrayants : « Et il jeta un grand cri en disant : Laissez-nous, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? » etc. — Bède. Comme s’il disait : Cessez un peu de nous tourmenter, vous qui êtes complètement étranger à nos mauvais desseins. — S. Ambr. On ne doit point s’étonner de lire dans l’Evangile, que le démon soit le premier à donner au Sauveur le nom de Jésus de Nazareth ; car ce n’est pas du démon que le Christ a reçu ce nom, qui a été apporté du ciel par un ange à la très-sainte Vierge. Mais telle est l’impudence du démon, qu’il cherche à introduire le premier parmi les hommes, un usage, une coutume, et la présente comme nouvelle pour imprimer une plus grande crainte de sa puissance. Il dit donc : « Je sais qui vous êtes, le saint de Dieu. » — S. Athan. Il l’appelle le saint de Dieu, non pas comme s’il était semblable aux autres saints, mais comme étant saint d’une sainteté toute particulière, saint par excellence et avec addition de l’article. En effet, Jésus-Christ est le seul saint par nature, et les autres ne méritent le nom de saints que par leur participation à sa sainteté. Toutefois en parlant de la sorte, le démon ne le connaissait pas en réalité, mais il feignait de le connaître. — S. Cyr. Les dénions s’imaginèrent que ces louanges inspireraient au Sauveur l’amour de la vaine gloire, et le détourneraient de s’opposer à leurs desseins, ou de les chasser, et qu’il leur rendrait ainsi service pour service. — S. Chrys. (hom. sur la 4e Ep. aux Corinth.) Le démon voulut aussi bouleverser l’ordre établi de Dieu, usurper la dignité des Apôtres et ranger un grand nombre d’hommes sous son obéissance. — S. Athan. Bien qu’il confessât la vérité, Jésus ne laisse pas de lui imposer silence ; il ne veut pas qu’avec la vérité il puisse propager le mensonge, et il voulait aussi nous accoutumer à ne faire aucun cas de semblables révélations, bien qu’elles paraissent conformes à la vérité, car c’est un crime de choisir le démon pour maître, quand nous avons pour nous instruire les saintes Écritures : « Mais Jésus lui dit avec menace : Tais-toi et sors de cet homme. »

 

Bède. C’est par une permission divine que cet homme qui allait être délivré du démon est jeté au milieu de l’assemblée, Dieu voulait ainsi rendre plus éclatante la puissance du Sauveur, et en faire entrer un plus grand nombre dans les voies du salut : « Et lorsqu’il l’eût jeté à terre, » etc. Le récit de saint Matthieu paraît ici en contradiction avec celui de saint Marc, où nous lisons : « Et l’esprit impur l’agitant violemment, sortit de lui en jetant un grand cri. » (Mc 1, 21.) Mais on peut dire que ces paroles de saint Marc : « L’agitant violemment, » ont la même signification que ces autres de saint Luc : « Et l’ayant jeté au milieu de l’assemblée. » Quant aux paroles suivantes : « Et il ne lui fit aucun mal, » il faut les entendre dans ce sens, que cette agitation des membres et cette violente secousse ne fit éprouver à cet homme aucune faiblesse, comme il arrive d’ordinaire, lorsque les démons ne sortent des corps qu’ils possèdent qu’en coupant ou en brisant quelques membres. Aussi ceux qui sont présents, sont-ils à bon droit surpris d’une guérison aussi complète : « Et l’épouvante les saisit tous, » etc. — Théophyl. Ils semblent dire : Quel est cet ordre qu’il vient de donner au démon : « Sors de cet homme, » et il est sorti ? — Bède. Les saints peuvent également chasser les démons par la puissance du Verbe de Dieu ; mais seul le Verbe de Dieu opère de semblables miracles par sa propre puissance.

S Ambr. Dans le sens allégorique, cet homme de la synagogue qui était possédé de l’esprit immonde, c’est le peuple des Juifs qui, enlacé dans les filets du démon, profanait la pureté apparente de son corps par les souillures trop réelles de son âme, il était possédé de l’esprit immonde, parce qu’il avait perdu l’Esprit saint, car le démon prenait possession de la demeure que le Christ venait de quitter. — Théophylacte. Il en est encore beaucoup aujourd’hui qui sont possédés du démon, c’est-à-dire, ceux qui accomplissent les désirs que les démons leur inspirent ; c’est ainsi que les furieux sont possédés du démon de la colère, et ainsi des autres. Or le Seigneur entre dans la synagogue, lorsque l’âme de l’homme se trouve toute réunie, et il dit au démon qui l’habite : Tais-toi, et aussitôt le démon jette cet homme dans le milieu et sort de lui. Il ne convient pas, en effet, que l’homme soit constamment dominé par la colère (c’est le propre des bêtes féroces), ni qu’il soit inaccessible au sentiment de la colère (ce qui serait insensibilité), mais il doit tenir un juste milieu, et manifester une certaine colère contre le mal, et c’est pourquoi cet homme est jeté au milieu de l’assemblée, lorsque l’esprit immonde sort de son corps.

 

Vv. 38-39.

S. Amb. Après la délivrance de cet homme possédé de l’esprit impur, saint Luc raconte immédiatement la guérison d’une femme, car le Seigneur était venu guérir l’un et l’autre sexe, et il devait commencer par celui qui fut créé le premier : « Et étant sorti de la synagogue, il entra dans la maison de Simon » — S. Chrys. (hom. 28 sur S. Matth.) Il demeurait ainsi volontiers chez ses disciples, pour leur témoigner de l’honneur, et leur inspirer un plus grand courage et un zèle plus ardent. — S. Cyr, Considérez la condescendance du Sauveur, qui demeure chez un homme pauvre, lui qui, de sa pleine volonté, s’est soumis à toutes les privations de la pauvreté, pour nous apprendre à aimer le commerce des pauvres, et à ne jamais mépriser les indigents et les malheureux.

 

« La belle-mère de Simon avait une forte fièvre, et ils le prièrent pour elle. » — S. Jér. Tantôt le Sauveur attend qu’on le prie, tantôt il guérit de lui-même les malades qui se présentent. Il nous apprend par cette conduite, qu’il accorde aux prières des fidèles ces grâces puissantes qui aident les pécheurs à triompher de leurs passions, et que quant aux maladies intérieures qu’ils ne connaissent pas, ou bien il leur en donne l’intelligence, ou il leur pardonne ce qu’ils ne comprennent pas, selon ces paroles du Psalmiste : « Qui peut connaître ses péchés ? Purifiez-moi de celles qui sont cachées en moi. » (Ps 18.) — S. Chrys. Que saint Matthieu ait passé ce fait sous silence, cela ne fait aucune contradiction, et n’a d’ailleurs aucune importance, l’un s’est appliqué à être court, l’autre a voulu donner une explication plus complète. — Suite. « Alors se tenant debout auprès d’elle, » etc. — S. Bas. (et Orig., Ch. des Pèr. gr.) D’après le récit de saint Luc, Notre-Seigneur tient ici un langage figuré, il parle à la fièvre comme à un être animé et intelligent, il lui commande de sortir, et la fièvre obéit à ce commandement : « Et la fièvre la quitta, et s’étant levée aussitôt, elle se mit à les servir. » — S. Chrys. Comme cette maladie n’est pas incurable, Notre-Seigneur fait éclater sa puissance par la manière dont il la guérit, et en faisant ce que toute la science médicale n’aurait jamais pu faire. Car après que la fièvre a disparu, les malades sont encore bien longtemps à revenir à leur premier état de santé, tandis qu’ici la cessation de la fièvre est suivie d’une guérison complète.

S. Ambr. Si nous voulons examiner ce fait miraculeux à un point de vue plus élevé, nous devrons y reconnaître la guérison de l’âme aussi bien que celle du corps, et c’est l’esprit qui a souffert le premier des atteintes mortelles du serpent qui est aussi guéri le premier. D’ailleurs, Eve ne désire manger du fruit défendu qu’après avoir été séduite par la ruse perfide du serpent ; c’est pourquoi le remède du salut devait agir d’abord contre l’auteur même du péché. Peut-être aussi cette femme est-elle la figure de notre chair languissante et malade de la fièvre des passions criminelles ; en effet, la fièvre de l’amour est-elle moins ardente que la lièvre qui vient de la chaleur ou de l’inflammation ? — Bède. Si dans cet homme délivré du démon, nous reconnaissons une figure de l’âme purifiée de ses pensées immondes, dans cette femme en proie à une fièvre ardente et guérie par le commandement du Sauveur, nous pourrons voir la chair préservée des ardeurs de la concupiscence par les préceptes de la continence. — S. Cyr. Nous donc aussi, recevons Jésus avec empressement, car s’il daigne nous visiter et que nous le portions dans notre âme et dans notre coeur, il éteindra le feu des voluptés coupables, et nous rendra la force et la santé nécessaires pour le servir, c’est-à-dire, pour accomplir ses volontés.

 

Vv. 40-41.

Théophyl. Considérez l’empressement de cette multitude, bien que le soleil fût couché, ils amènent à ses pieds les infirmes, sans être arrêtés par l’heure avancée : « Lorsque le soleil fut couché, tous ceux qui avaient des infirmes, » etc. — Orig. Ils les amenaient après le coucher du soleil, c’est-à-dire, à la fin du jour, parce que, dans le courant de la journée, ils étaient retenus par d’autres occupations, ou bien encore, parce qu’ils croyaient qu’il n’était pas permis de guérir le jour du sabbat ; Jésus les guérissait : « Or, Jésus imposant les mains sur chacun d’eux, » etc. — S. Cyr. Il eut pu, sans doute, comme Dieu, guérir ces malades d’un seul mot, cependant il les touche et montre ainsi la puissance de sa chair pour opérer des guérisons, car c’était la chair d’un Dieu ; or, de même que le feu approché d’un vase d’airain, lui communique sa propre chaleur, de même le Verbe tout-puissant de Dieu, en s’unissant véritablement ce temple animé et intelligent qu’il reçut de la vierge Marie, le rendit participant de sa puissance divine. Que Jésus daigne aussi nous toucher, ou plutôt touchons-le nous-mêmes pour être délivrés des attaques et de l’orgueil du démon : « Les démons sortaient du corps de plusieurs, » etc. — Bède. Les démons confessent le Fils de Dieu, et, comme l’Évangéliste le dit plus loin : « Ils savaient qu’il était le Christ. » En effet, lorsque le démon le vit épuisé par le jeûne, il en conclut qu’il était homme, mais le voyant inaccessible à la tentation, il doutait s’il n’était pas le Fils de Dieu ; maintenant l’éclat et la puissance des miracles lui fait comprendre ou plutôt soupçonner qu’il est le Fils de Dieu. Si donc il a porté les Juifs à crucifier Jésus-Christ, ce n’est pas qu’il doutât qu’il fût le Christ ou le Fils de Dieu, mais parce qu’il ne prévoyait pas que sa mort serait sa propre condamnation. Car saint Paul dit de ce mystère caché depuis les siècles : « Que nul des princes de ce monde ne l’a connu, car s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire. — S. Chrys. « Mais il les menaçait, et ne leur permettait pas de dire, » etc. Admirez ici l’humilité de Jésus-Christ, il ne veut pas que les esprits immondes manifestent sa gloire. Il ne fallait pas, en effet, laisser usurper au démon la gloire du ministère apostolique, et il ne convenait pas que le mystère de Jésus-Christ fût annoncé par des langues impures. — Théophyl. Ou bien, c’est parce que la louange qui sort de la bouche du pécheur n’a aucune beauté, ou parce qu’il ne voulait pas exciter davantage la jalousie des Juifs, en s’attirant les louanges de la multitude. — Bède. Les Apôtres eux-mêmes avaient ordre de ne point parler de lui, de peur que la connaissance de sa divinité venant à se répandre, le mystère de sa passion ne fût différé.

 

Vv. 42-44.

S. Chrys. Après avoir fait un nombre suffisant de miracles en faveur du peuple, le Seigneur devait se retirer, car les miracles paraissent plus grands après le départ de celui qui les a faits, ils proclament plus haut la puissance divine, et font l’office de prédicateurs : « Donc, dit l’Évangéliste, lorsqu’il fut jour il sortit dehors, et s’en alla en un lieu désert, » etc. — Ch. des Pèr. Gr. Il s’en alla dans le désert (d’après saint Marc), et il priait, non pas qu’il eût besoin de prière, mais pour nous donner le modèle d’une prière parfaite. — S. Chrys. (tiré des hom. sur S. Matth.) Malgré tant de miracles éclatants, les pharisiens sont scandalisés de la puissance de Jésus-Christ, tandis que le peuple docile à ses divins enseignements, marchait à sa suite : « Et la foule le cherchait, » etc. Ce ne sont ni les premiers du peuple, ni les scribes qui le cherchent, mais ceux que la noirceur de la méchanceté n’avait pas atteint, et dont la conscience était restée pure. — Ch. des Pèr. gr. Saint Marc dit que les Apôtres rejoignirent le Sauveur, pour lui dire que le peuple le cherchait ; d’après saint Luc, c’est le peuple lui-même qui vient trouver le Sauveur, mais il n’y a en cela aucune contradiction, car le peuple était venu le trouver à la suite des Apôtres. Le Seigneur éprouvait de la joie de se voir ainsi entouré par la foule, mais il commandait cependant qu’on le laissât aller, car il fallait que d’autres aussi fussent initiés à sa doctrine, parce que le temps de sa présence sur la terre ne devait pas être bien long : « Et il leur dit : Il faut aussi que j’annonce aux autres villes, » etc. Saint Marc dit : « C’est pour cela que je suis venu, » montrant ainsi l’excellence de sa divinité et son anéantissement volontaire. D’après saint Luc, au contraire, le Sauveur aurait dit : « C’est pour cela que je suis envoyé ; » et il exprime ainsi le mystère de son incarnation, et donne le nom de mission à la volonté du Père. L’un dit simplement : « Afin que j’annonce ; » l’autre ajoute : « Le royaume de Dieu, » qui est Jésus-Christ lui-même. — S. Chrys. (comme précéd.) Considérez ici que le Sauveur pouvait attirer à lui tous les hommes, en demeurant dans le même endroit ; cependant il ne le fit point, pour nous donner l’exemple d’aller à la recherche de ceux qui périssent, comme le pasteur court après la brebis perdue, comme le médecin va lui-même visiter ses malades ; car sauver une seule âme, c’est mériter le pardon de bien des fautes : « Et il prêchait dans les synagogues de Galilée. » Il fréquentait les synagogues, pour leur prouver qu’il n’était pas un séducteur, car s’il eût recherché constamment les lieux inhabités, ils l’eussent accusé de vouloir se dérober à la connaissance des hommes.

Bède. Si le coucher du soleil est une figure allégorique de la mort du Seigneur, le retour du jour est un symbole de sa résurrection ; le peuple des croyants le recherche à la clarté de cette lumière, et après l’avoir trouvé dans le désert des nations, il l’entoure et cherche à le retenir, dans la crainte qu’il ne lui échappe, explication d’autant plus probable que ce fait se passa le premier jour après le sabbat, qui fut le jour de la résurrection du Sauveur.

 

 

 

CHAPITRE V

Vv. 1-3.

S. Ambr. Après que Notre-Seigneur eut opéré un grand nombre de guérisons, l’empressement du peuple pour recourir à sa puissance salutaire ne put être arrêté ni par le temps, ni par les lieux ; le soir est venu, ils ne cessent de marcher à sa suite, un lac se présente, ils se pressent autour de lui « Un jour que la foule se précipitait sur lui, » etc. — S. Chrys. Ils étaient comme enchaînés à sa divine personne, pleins d’amour et d’admiration pour lui, et ils voulaient le retenir au milieu d’eux. Et, en effet, qui aurait voulu se séparer de lui pendant qu’il opérait de si grands miracles ? Qui aurait refusé de contempler cette face adorable et cette bouche d’où sortaient tant de merveilles. Car le Sauveur n’était pas seulement admirable dans les miracles qu’il opérait, mais son aspect seul était rempli de grâce ; aussi quand il parlait, on l’écoutait dans un profond silence, sans jamais oser l’interrompre : « La foule, se précipitant sur lui pour entendre la parole de Dieu, » etc.

 

« Il était sur le bord du lac de Génésareth. » — Bède. Le lac de Génésareth est le même qui porte le nom de mer de Galilée ou de Tibériade. On l’appelle mer de Galilée, de la province qui est baignée par ses eaux, et mer de Tibériade, de la ville qui en est voisine. Le nom de Génésareth vient de la nature même du lac, dont les ondes, en se ridant, produisent d’elles-mêmes les vents qui agitent ses flots. En effet, le mot Génésareth signifie qui produit de lui-même le vent. Les eaux, au lieu d’être calmes et tranquilles comme celles des autres lacs, sont souvent agitées par le souffle des vents, elles sont douces et agréables à boire. Mais dans la langue hébraïque, toute grande étendue d’eau douce ou salée, reçoit le nom de mer.

 

Théophyl. Plus la gloire s’attache au Sauveur, plus il cherche à s’y dérober, c’est pourquoi nous le voyons s’éloigner de la foule et monter dans une barque : « Et il vit deux barques arrêtées au bord du lac, et dont les pêcheurs étaient descendus pour laver leurs filets. » — S. Chrys. C’était un signe que les pécheurs se reposaient. Selon saint Matthieu, Jésus les trouva raccommodant leurs filets ; car ils étaient si pauvres qu’ils étaient obligés de réparer leurs filets déchirés, dans l’impossibilité d’en avoir de nouveaux. Il monte dans une barque pour rassembler convenablement toute la multitude, de manière que personne ne fût derrière lui, mais que tous puissent le voir en face : « Montant dans une des barques qui appartenaient à Simon, il le pria, » etc. — Théophyl. Voyez l’humilité de Jésus-Christ, qui s’abaisse jusqu’à prier Pierre, et la soumission de Pierre, qui obéit en toutes choses à son divin Maître.

 

S. Chrys. Après avoir opéré un grand nombre de miracles, il enseigne de nouveau sa doctrine, et tout en étant sur la mer, il prêche ceux qui sont sur la terre : « Et étant assis, il enseignait le peuple de dessus la barque. » — S. Grég. de Nazianze. (disc. 31.) Il se montre plein de condescendance pour tous, afin de tirer le poisson de l’abîme, c’est-à-dire l’homme qui nage pour ainsi dire au milieu des choses inconstantes et mobiles, et parmi les violentes tempêtes de cette vie.

Bède. Dans le sens allégorique, ces deux barques figurent les Juifs et les Gentils. Le Seigneur les voit toutes deux, parce qu’il connaît dans chaque peuple ceux qui sont à lui, et en les voyant près du rivage, c’est-à-dire en les visitant dans sa miséricorde, il les conduit au port tranquille de la vie éternelle. Les pêcheurs sont les docteurs de l’Église qui nous prennent dans les filets de la foi, et nous amènent au rivage de la terre des vivants. Ces filets, tantôt les pêcheurs les jettent pour pêcher, tantôt ils les plient après les avoir lavés, parce qu’en effet, tous les temps ne sont pas également propres à la prédication, et que le docteur doit tantôt se livrer à l’enseignement, tantôt s’occuper de lui-même, et prendre soin de son âme. La barque de Simon, c’est l’Église primitive dont saint Paul a dit : « Celui qui a opéré en Pierre pour l’apostolat de la circoncision. » (Ga 2.) Notre-Seigneur monte dans une seule de ces barques, parce que la multitude de ceux qui croyaient n’avait qu’un coeur et qu’une âme, (Ac 4.) — S. Aug. (Quest. évang., 2, 2.) De cette barque, il enseignait la foule, car c’est par l’autorité de l’Église que Pierre instruit les nations. Le Seigneur, en montant dans cette barque, prie son disciple de s’éloigner un peu de la terre, pour nous apprendre qu’il faut parler au peuple un langage plein de modération et de réserve, il ne faut pas lui prêcher une doctrine terrestre, mais il faut se garder également de trop l’éloigner de la terre pour le jeter dans les profondeurs insondables des mystères. Cette circonstance peut encore signifier qu’il faut d’abord prêcher l’Évangile aux peuples des pays voisins, de même que bientôt il dira : « Avancez en pleine mer, » c’est-à-dire prêchez aux nations plus éloignées.

 

V. 4-7.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Après avoir donné au peuple les enseignements qu’il jugeait convenables, le Sauveur reprend le cours de ses opérations merveilleuses et divines, et en favorisant à ses disciples l’exercice de la pêche, il les prend lui-même dans ses filets : « Lorsqu’il eut cessé de parler, il dit à Simon : « Avancez en pleine mer, et jetez vos filets pour pêcher. » — S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) Il s’accommode aux dispositions comme aux diverses occupations des hommes, c’est par une étoile qu’il avait appelé les mages, c’est par le métier de la pêche qu’il appelle à lui les pécheurs. — Théophyl. Pierre ne fait aucune difficulté d’obéir : « Et Simon lui répondit : Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre. » Il n’ajoute pas : Je ne me rendrai pas à votre parole, je ne veux pas m’exposer à de nouvelles fatigues. Loin de là, il s’empresse de répondre : « Mais sur votre parole, je jetterai le filet. » C’était de la barque de Pierre que Notre-Seigneur avait enseigné le peuple, il ne veut pas laisser sans récompense le maître de la barque ; et il le récompense doublement, d’abord il lui fait prendre une multitude innombrable de poissons, et en second lieu, il en fait lui-même son disciple : « Et l’ayant jeté, ils prirent une si grande quantité de poissons, que leur filet se rompait. » Pierre prit une telle quantité de poissons, qu’il ne pouvait les tirer hors de l’eau, et qu’il demanda du secours à ses compagnons : « Et ils firent signe à leurs compagnons qui étaient dans l’autre barque de venir, etc. Il les appelle en leur faisant signe ; car l’étonnement que lui causait cette pèche abondante, lui ôtait pour ainsi dire l’usage de la parole. Les autres disciples répondent à son appel : « Et ils vinrent, et ils remplirent les deux barques, » etc. L’évangéliste saint Jean paraît raconter un miracle semblable, mais qui est cependant tout autre, et qui eut lieu après la résurrection du Sauveur sur la mer de Tibériade. Ces deux miracles diffèrent et quant au temps, et quant à la nature même du fait. Dans saint Jean, les filets, jetés à la droite de la barque, prennent cent cinquante-trois grands poissons, et l’Évangéliste a soin de dire que, malgré la grandeur des poissons, les filets ne se rompirent pas. Et il avait alors en vue le fait miraculeux raconté par saint Luc, où le filet se rompait sous le poids énorme des poissons qu’il contenait.

S. Ambr. Dans le sens allégorique, la barque de Pierre qui, selon saint Matthieu, est agitée par les flots, et qui, selon saint Luc, est remplie de poissons, figure l’Église jouet des flots à son origine, et dans la suite, se réjouissant de la multitude innombrable de ses enfants. La barque qui porte Pierre n’est point agitée, mais celle qui portait Judas est ballottée par les flots. Pierre, il est vrai, se trouvait dans ces deux barques, mais bien qu’il demeurât ferme dans la conscience de son innocence personnelle, il était cependant agité par suite des crimes d’un autre. Gardons-nous donc de toute société avec les traîtres, il n’en faut qu’un seul pour nous jeter dans l’agitation et le trouble. Là où la foi est faible, il y a nécessairement trouble, là, au contraire, où la charité est parfaite, il y a pleine et entière sécurité. Remarquez enfin que si Notre-Seigneur commande à tous les disciples de jeter leurs filets, c’est à Pierre seul qu’il dit : « Avance en pleine mer, » c’est-à-dire dans la profondeur des controverses. Qu’y a-t-il de plus profond que la connaissance du Fils de Dieu ? Mais quels sont ces filets qu’il commande aux Apôtres de jeter, sinon les réseaux des paroles, les détours des discussions et les profondes sinuosités des discours, qui ne laissent point échapper ceux qu’ils ont pris ? Les instruments dont se servent les Apôtres pour cette pèche spirituelle sont justement comparés à des filets qui ne tuent point ceux qu’ils prennent, mais les tiennent en réserve, et qui les retirent des flots agités, pour les transporter jusque dans les cieux. Pierre dit à Jésus : « Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre, » parce que ce n’est point ici l’oeuvre de l’éloquence humaine, mais un don de la vocation céleste. Aussi ceux dont les efforts avaient été jusque là infructueux, prennent, sur la parole du Seigneur, une grande quantité de poissons. — S. Cyr. C’était la figure de ce qui devait arriver dans la suite aux prédicateurs de l’Évangile ; car ceux qui jetteront le filet de la doctrine évangélique ne travailleront pas inutilement, mais parviendront à réunir la multitude des nations. — S. Aug. (Question évang., 2, 9.) Leurs filets se rompaient, et les barques étaient remplies de cette quantité de poissons, au point qu’elles étaient près de couler à fond, figure de cette multitude d’hommes charnels, qui devaient abonder un jour dans l’Église, au point de rompre la paix et de déchirer l’Église par les hérésies et par les schismes. — Bède. Le filet se rompt, mais le poisson ne s’échappe pas, parce que le Seigneur conserve les siens au milieu des scandales de ceux qui les persécutent. — S. Ambr. L’autre barque représente la Judée, dans laquelle Jean et Jacques sont choisis ; ils viennent de la synagogue à la barque de Pierre (c’est-à-dire à l’Église), et ils viennent pour remplir les deux barques, car tous juifs, ou grecs, doivent fléchir le genou au nom de Jésus. — Bède. Ou bien encore, la seconde barque c’est l’Église des Gentils qui, pour suppléer à l’insuffisance de la première est aussi remplie de poissons, qui représentent les élus ; car le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, il a déterminé le nombre précis de ses élus ; et comme il n’a pas trouvé dans la Judée autant de fidèles qu’il en avait prédestinés à la vie éternelle, il cherche pour ainsi dire une autre barque pour recevoir les poissons qui sont à lui, et il répand la grâce de la foi dans le coeur des Gentils. Le filet venant à se rompre, on a recours à la barque voisine ; ainsi lorsque Judas le traître, Simon le Magicien, Ananie et Saphire, et un grand nombre de disciples se séparent de l’unité, Paul et Barnabé sont choisis pour exercer l’apostolat parmi les Gentils. — S. Ambr. Nous pouvons encore voir dans cette seconde barque la figure d’une autre Église ; car l’Église de Jésus-Christ qui est une, se divise en plusieurs Églises particulières. — S. Cyr. Pierre fait signe à ses compagnons de venir à son secours, un grand nombre, en effet, se sont associés aux travaux des Apôtres d’abord ceux qui ont écrit les Évangiles, ensuite les autres évêques ou pasteurs des peuples, et les docteurs versés dans la science de la vérité. — Bède. Ces barques ne cessent de se remplir jusqu’à la fin du monde ; lorsqu’elles sont pleines, elles s’enfoncent, ou plutôt elles sont exposées au danger d’être submergées ; car elles ne le sont jamais en réalité. C’est ce qu’enseigne l’Apôtre, lorsqu’il dit : « Dans les derniers temps, il y aura des temps périlleux, les hommes s’aimeront eux-mêmes, » etc. En effet, les barques sont submergées lorsque les hommes que Dieu avait retirés du siècle par la vocation à la foi y sont de nouveau entraînés par la corruption des moeurs.

 

Vv. 8-11.

Bède. Pierre était dans l’admiration des dons de Dieu, et plus il avait éprouvé de crainte, moins il était porté à la présomption : « Ce que voyant Simon Pierre, il tomba aux pieds de Jésus, en disant : Eloignez-vous de moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur. » — S. Cyr. Rappelant en son souvenir les fautes qu’il avait commises, il est saisi de crainte et d’effroi, il n’ose croire, impur qu’il est, qu’il puisse recevoir celui qui est la pureté même ; car il avait appris de la loi, que ce qui est souillé doit être séparé de ce qui est saint (Lv 10, 10 ; cf. Ez 22, 26 ; 44, 23). — S. Grég. de Nysse. Dès que Jésus eut ordonné de jeter les filets, on prit le nombre de poissons que lui, le Seigneur de la mer et de la terre, avait déterminé ; car la voix du Verbe est toujours une voix de puissance, et c’est par son commandement, que l’origine du monde, la lumière et les autres créatures sortirent du néant. À la vue de ce miracle, Pierre est dans l’admiration : « Il était plongé dans la stupeur, lui et tous ceux qui étaient avec lui. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2 17.) Saint Luc ne fait point mention d’André, bien qu’il fût dans cette barque, d’après le récit de saint Matthieu et de saint Marc.

 

« Jésus dit à Simon : Ne craignez point. » — S. Ambr. Et vous aussi, dites à Jésus : Eloignez-vous de moi, parce que je suis un pécheur, et Dieu vous répondra : « Ne craignez point, » confessez votre péché au Seigneur qui est disposé à vous pardonner. Vous voyez combien il est bon, lui qui daigne accorder à des hommes le pouvoir de communiquer la vie : « Désormais, dit-il à Simon, vous serez pêcheurs d’hommes. » — Bède. C’est à Pierre que cette prérogative est spécialement accordée ; le Seigneur lui explique le sens mystérieux de cette pêche miraculeuse, c’est-à-dire qu’il prendra un jour des hommes par ses discours, comme il vient de prendre des poissons dans ses filets ; et toute la suite de ce fait miraculeux montre ce qui se fait tous les jours dans l’Église, dont Pierre est ici la figure. — S. Chrys. (Hom. 14 sur S. Matth.) Considérez la foi et l’obéissance des Apôtres. Au milieu même des occupations de la pèche (et vous savez combien les pêcheurs sont avides du succès de leur pêche), dès qu’ils entendent l’ordre du Sauveur, sans aucun délai, ils quittent tout, et le suivent. Telle est l’obéissance que Jésus-Christ demande de nous, elle doit être notre premier soin, au milieu même des diverses nécessités de la vie : « Et, aussitôt, ramenant leurs barques à terre. » etc. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Le récit de saint Matthieu et de saint Marc est ici beaucoup plus court que celui de saint Luc, qui raconte le fait dans tous ses détails. Il y a d’ailleurs entre les deux récits cette différence que, d’après saint Luc, c’est à Pierre seul que le Sauveur aurait dit : « Désormais vous serez pécheur d’hommes, » tandis que suivant les deux autres Évangélistes, c’est aux deux frères que Jésus aurait adressé ces paroles. Mais Notre-Seigneur a pu très bien les dire d’abord à Pierre seul, surpris et étonné de la grande quantité de poissons qu’on avait pris, comme saint Luc paraît l’insinuer, et les avoir redites ensuite aux deux frères, ainsi que le racontent les deux premiers Évangélistes. Ou bien encore, on peut entendre que la pèche miraculeuse, racontée par saint Luc, arriva en premier lieu, mais sans que les deux disciples fussent dès lors appelés par le Seigneur Jésus. Il se contenta de prédire à Pierre qu’il serait un jour pêcheur d’hommes. On peut donc légitimement supposer qu’ils retournèrent au métier de la pêche, et qu’alors eut lieu le fait raconté par saint Matthieu et saint Marc ; alors, en effet, ils ne ramenèrent pas leurs barques à terre, avec la pensée de retourner à leurs anciennes occupations, mais ils suivirent Jésus en obéissant pleinement à l’ordre qu’il leur avait donné. Une autre difficulté se présente ; si, d’après saint Jean, ce fut sur les bords du Jourdain que Pierre et André se mirent à la suite de Jésus, comment les autres Évangélistes peuvent dire que c’est dans la Galilée qu’il les trouva se livrant à la pèche, et qu’il les appela à l’apostolat ? Nous répondons que lorsqu’ils virent le Seigneur sur les bords du Jourdain, ils ne s’attachèrent pas inséparablement à lui, ils connurent seulement qu’il était le Messie, et pleins d’admiration pour lui, ils retournèrent à leurs occupations.

 

S. Ambr. Dans le sens allégorique, Pierre, en disant : « Seigneur, éloignez-vous de moi, » refuse de reconnaître que ceux qu’il prend dans les filets de ses enseignements soient sa conquête et son butin. Vous aussi, n’hésitez pas à renvoyer à Dieu le bien qui est en vous, puisque c’est Dieu qui vous communique ses propres dons — S Aug. (Quest. évang.) Ou bien dans un autre sens, Pierre représente l’Église remplie d’hommes charnels, quand il dit au Seigneur : « Eloignez-vous de moi, parce que je suis un pécheur. » L’Église, remplie de cette foule d’hommes charnels et presque submergée par leurs moeurs dépravées, semble éloigner d’elle le règne des hommes spirituels (dont la personne de Jésus-Christ est la plus haute représentation.) Ce n’est point de bouche que les hommes tiennent ce langage aux vertueux ministres de Dieu pour les éloigner d’eux, c’est par la voix de leurs moeurs et de leurs actions, qu’ils les pressent de se retirer pour se soustraire à la direction des bons. Et leurs instances sont d’autant plus vives, qu’ils leur témoignent en même temps de l’honneur et du respect. Pierre figurait ce respect, en se jetant aux pieds du Seigneur, et leurs moeurs, en disant : « Eloignez-vous de moi. » — Bède. Or, le Seigneur dissipe la crainte des hommes charnels qui, tremblant pour quelques-uns à la vue de leur conscience coupable, ou découragés par le spectacle de l’innocence des autres, redouteraient d’entrer dans la voie de la sainteté. — S. Aug. (Quest. évang.) Le Seigneur, en ne se rendant pas à leurs désirs, apprend aux hommes vertueux et spirituels à ne pas se laisser aller au désir d’abandonner le ministère ecclésiastique pour mener une vie plus calme et plus tranquille, parce qu’ils ne peuvent supporter les désordres de la foule. Ils ramènent leurs barques à terre, et quittent tout pour suivre Jésus ; et en cela ils figurent la fin des temps, où ceux qui se seront attachés à Jésus-Christ quitteront pour toujours la mer agitée du monde.

 

Vv. 12-16.

S. Ambr. La guérison de ce lépreux est le quatrième miracle que fit Jésus depuis son entrée à Capharnaüm. Si, lors de la création, Dieu a éclairé le quatrième jour des splendeurs du soleil, et l’a ainsi rendu plus brillant que les autres jours, nous devons regarder aussi ce miracle comme plus éclatant que les autres miracles. « Or, il arriva, comme il était dans une ville, qu’un homme couvert de lèpre, » etc. L’Évangéliste ne désigne pas d’une manière précise le lieu où ce lépreux fut guéri, pour nous apprendre que ce ne fut pas le peuple particulier d’une seule ville, mais tous les peuples de la terre qui eurent part à la guérison spirituelle de l’âme. — S. Athan. (lettre à Adelph. contre les Ar.) Ce lépreux adora le Seigneur son Dieu sous une forme humaine, la chair mortelle qu’il avait sous les yeux ne lui fit point croire que le Verbe de Dieu fut une simple créature ; quoique reconnaissant dans Jésus le Verbe de Dieu, il ne méprisa point la chair dont il était revêtu ; au contraire, il se prosterne le visage contre terre, pour adorer, comme dans un temple créé, le Créateur de toutes choses : « Apercevant Jésus, il se prosterna la face contre terre, et le pria. » — S. Ambr. Il se prosterne la face contre terre par un sentiment d’humilité et de confusion, et nous apprend ainsi à tous à rougir des souillures de notre vie. Cependant cette confusion n’étouffe point l’aveu qu’il veut faire de son infirmité ; il montre les plaies de son corps, et en demande la guérison : « Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. » Ce n’est point qu’il soit incrédule et qu’il doute de la bonté et de la volonté du Seigneur ; mais la conscience qu’il avait de sa honteuse maladie, réprime chez lui tout sentiment de présomption. D’ailleurs quelle profession de foi, de religion plus parfaite que celle qui fait découler toute puissance de la volonté du Seigneur. — S. Cyr. Il savait que la lèpre dont il était couvert ne pouvait être guérie par toutes les ressources de la science médicale, mais il vit la divine majesté chasser les démons, guérir toutes les maladies, et il en conclut que la droite de Dieu pouvait seule opérer ces merveilles. — Tite de Bostr. Apprenons, par ces paroles du lépreux, à ne pas rechercher avec trop d’empressement la guérison de nos infirmités corporelles, mais à tout remettre entre les mains de Dieu, qui fait chaque chose en son temps et dispose tout avec sagesse.

S. Ambr. Notre-Seigneur emploie dans la guérison du lépreux le moyen qu’il lui a comme indiqué dans sa prière : « Et Jésus, étendant la main, le toucha en disant : Je le veux, soyez guéri. » La loi défend de toucher les lépreux, mais le Maître de la loi n’est pas soumis à la loi, c’est lui qui en est l’auteur. Si donc il touche ce lépreux, ce n’est pas qu’il n’eût pu le guérir autrement, mais c’était pour prouver qu’il n’était pas assujetti à la loi, et que loin de craindre d’être atteint par cette maladie contagieuse, il était inaccessible à toute souillure, lui qui venait en délivrer les autres. Il voulait, au contraire, que la lèpre qui souille ordinairement la main qui la touche, disparût au simple contact de sa main divine. — Théophyl. En effet, sa chair sacrée purifie et donne la vie, parce qu’elle est la chair du Verbe de Dieu. — S. Ambr. Dans ces paroles : « Je le veux, soyez guéri, vous voyez à la fois l’expression de sa volonté bienfaisante et de sa tendre compassion. — S. Cyr. (Tres., 12, 14.) Ce commandement suprême ne peut venir que de la divine majesté, comment donc pourrait-on assimiler le Fils unique aux serviteurs, lui qui peut tout par sa seule volonté ? Il est dit de Dieu le Père, « qu’il a fait tout ce qu’il a voulu » (Ps 113 ; 134) ; comment donc celui qui exerce la puissance de son Père, serait-il d’une nature différente ? Tout ce qui a la même puissance, a ordinairement la même nature. Cependant admirez comment Jésus-Christ joint ici l’opération divine à l’action humaine ; car c’est le propre de la nature divine que la volonté soit aussitôt suivie de son effet, comme étendre la main est un acte de la nature humaine. Or, la personne unique de Jésus se compose de ces deux natures, parce qu’il est le Verbe fait chair. — S. Grég. de Nysse. (disc. sur la résurr. de J.-C.) En Jésus-Christ, la divinité était unie aux deux substances constitutives de l’homme, à l’âme et au corps, et les attributs de la nature divine se manifestaient par l’une et l’autre de ces deux substances. Le corps révélait la divinité qu’il recouvrait en donnant la guérison par un simple attouchement, et l’âme faisait éclater la toute-puissance de Dieu par l’efficacité de sa volonté ; car la volonté est l’action propre de l’âme, comme le toucher est le sens propre du corps, l’âme veut, le corps touche.

S. Ambr. Notre-Seigneur dit : « Je veux, » pour combattre l’hérétique Photius ; il commande, pour condamner Arius, il touche le lépreux, pour confondre Manès. Aucun intervalle entre l’action de Dieu et son commandement, pour vous faire comprendre et l’affection du médecin, et la puissance de son opération : « Et aussitôt sa lèpre disparut. » Mais que chacun de nous évite toute vaine gloire en imitant l’exemple de l’humilité du Sauveur, s’il ne veut que la lèpre n’atteigne le médecin lui-même : « Et il lui ordonna de n’en parler à personne. » Il nous enseigne ainsi à ne point publier nos bienfaits, mais à les cacher et à ne rechercher ni rémunération pécuniaire, ni la récompense plus délicate de la reconnaissance. Peut-être aussi Notre-Seigneur commande le silence à ce lépreux, parce qu’il préférait de beaucoup ceux qui croient par une foi spontanée, à ceux dont la foi a pour motifs les bienfaits qu’ils espèrent. — S. Cyr. Mais quand même le lépreux eût gardé le silence, la voix seule de ce miracle suffisait pour faire connaître la puissance de celui qui avait opéré cette guérison à tous ceux qui en seraient témoins.

 

S. Chrys. (hom. 26 sur S. Matth.) Le plus souvent, la maladie réveille dans les hommes la pensée de Dieu, mais ils l’oublient bien vite, aussitôt qu’ils sont guéris ; Jésus recommande donc au lépreux d’avoir toujours Dieu devant les yeux, et de lui rendre gloire : « Allez, montrez-vous au prêtre. » Le Sauveur voulait qu’il se soumît à l’examen et au jugement du prêtre, et que ce fût sur sa déclaration qu’il fût réintégré dans la société de ceux qui étaient purs. — S. Ambr. Il voulait aussi apprendre au prêtre que ce n’était point par l’observation des prescriptions de la loi, mais par la puissance bien supérieure à la loi de la grâce de Dieu, que ce lépreux avait été guéri. En ordonnant au lépreux d’offrir le sacrifice prescrit par Moïse, le Seigneur fait voir qu’il ne venait pas détruire la loi, mais l’accomplir : « Et offrez pour votre guérison, le don prescrit par Moïse. » — S. Aug. (Quest. évang., 2, 3.) Le Sauveur paraît approuver ici le sacrifice prescrit par Moïse, et que cependant l’Église n’a point conservé. Si donc Notre-Seigneur en fait ici un précepte au lépreux, c’est que le sacrifice du Saint des Saints, c’est-à-dire de son corps, n’était pas encore institué ; car les sacrifices figuratifs ne devaient être abolis que lorsque le témoignage de la prédication des Apôtres et la foi des peuples fidèles auraient établi le véritable sacrifice qu’ils figuraient. — S. Ambr. Ou bien encore, comme la loi est spirituelle, il commande au lépreux d’offrir un sacrifice spirituel, c’est pourquoi il ajoute : « C’est que Moïse a ordonné, » et ensuite « En témoignage pour eux. » — Tite de Bost. Les hérétiques donnent une fausse signification à ces paroles, et prétendent qu’elles sont dans la pensée du Sauveur un blâme jeté sur la loi. Mais comment supposer qu’il commande à ce lépreux d’offrir un sacrifice pour sa guérison, comme Moïse l’a prescrit, s’il avait l’intention de blâmer ici la loi ? — S. Cyr. Il ajoute « En témoignage pour eux, » parce que cette guérison prouve l’excellence incomparable de Jésus-Christ sur Moïse. Moïse, en effet, n’ayant pu guérir sa soeur de la lèpre, priait le Seigneur de l’en délivrer (Nb 12) ; au contraire, c’est avec une souveraine autorité que le Sauveur prononce ces paroles : « Je le veux, soyez guéri. »

S. Chrys. (hom. 26 sur S. Matth.) Ou bien encore, pour leur être en témoignage, c’est-à-dire pour leur condamnation et pour leur prouver que je respecte fa loi ; car après vous avoir guéri, je vous renvoie à l’examen des prêtres, pour être une preuve que je ne suis point un violateur de la loi. Le Seigneur, en guérissant ce lépreux, lui avait recommandé de n’en parler à personne, pour nous apprendre à fuir l’orgueil et la vaine gloire ; mais malgré cette recommandation, sa renommée se répandait partout et publiait le miracle qu’il venait d’opérer : « Cependant sa renommée se répandait de plus en plus, » etc. — Bède. La guérison parfaite d’un seul en amène une multitude autour de lui : « Et on venait par troupes nombreuses pour l’entendre, et pour être guéri de ses maladies, » etc. Car le lépreux, pour montrer qu’il était guéri extérieurement et intérieurement, publiait partout (au témoignage de saint Marc) et malgré la défense qui lui avait été faite, le bienfait de sa guérison.

S. Grég. (Moral., 6, 17). Notre divin Rédempteur consacre le jour à opérer des miracles dans les villes, et il passe les nuits dans le saint exercice de la prière : « Et il se retirait dans la solitude, et priait. » Il enseignait ainsi aux prédicateurs qui tendent à la perfection à ne pas renoncer entièrement à la vie active par un trop grand amour de la vie contemplative ; comme aussi à ne pas sacrifier les joies de la contemplation aux occupations absorbantes de la vie active, mais à puiser dans le calme de la contemplation les vérités qu’ils verseront ensuite dans les âmes lorsqu’ils travailleront au salut du prochain. — Bède. Lorsque vous voyez le Sauveur se retirer dans la solitude, n’attribuez pas cette action à la nature qui dit : « Je le veux, soyez guéri ; » mais à celle qui étend la main pour toucher le lépreux. Ce n’est pas, sans doute, qu’il y ait deux personnes en Jésus-Christ, comme le prétend Nestorius ; mais il y a deux opérations dans une seule et même personne, comme il y a deux natures. — S. Grég. de Nazianze. (disc. 28.) Notre-Seigneur opère ordinairement ses oeuvres au milieu du peuple, et se livre à la prière dans la solitude, et il autorise ainsi un repos momentané, qui nous permet de nous entretenir avec Dieu dans la sincérité de notre âme. En effet, il n’avait besoin pour lui-même ni de retraite ni de solitude, puisque étant Dieu, il n’était sujet ni au relâchement ni à la dissipation de l’âme, il voulait donc nous apprendre qu’il est une heure pour la vie active, une autre pour des occupations plus élevées ; et nous enseigner le temps qui convient à l’action, et celui qui est favorable à l’exercice plus sublime de la contemplation.

Bède. Dans le sens allégorique, ce lépreux représente le genre humain languissant et affaibli par suite de ses péchés ; et tout couvert de lèpre ; « car tous ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu » (Rom., III), c’est-à-dire qu’ils ont besoin que Dieu, étendant la main (c’est-à-dire que le Verbe de Dieu contractant une union étroite avec la nature humaine), il les purifie de leurs anciennes erreurs, et leur permette d’offrir, pour leur guérison, leurs corps comme une hostie vivante. — S. Ambr. Si le Verbe est le remède tout puissant de la lèpre, le mépris du Verbe est donc la lèpre de l’âme. — Théophyl. Remarquez encore que celui qui est purifié devient digne de présenter à Dieu son offrande, c’est-à-dire le corps et le sang du Seigneur, qui sont unis à la nature divine.

 

Vv. 17-26.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Les scribes et les pharisiens qui avaient été témoins des miracles de Jésus-Christ, venaient aussi entendre ses divines leçons : « Un jour qu’il enseignait étant assis, des pharisiens et des docteurs de la loi étaient également assis près de lui, et la vertu du Seigneur opérait pour guérir les malades. » Cette vertu n’était pas une puissance d’emprunt, c’était comme Dieu et comme Seigneur qu’il faisait ces miracles, par sa propre puissance. Souvent les hommes se rendent dignes de recevoir les dons spirituels, mais souvent aussi ils s’écartent du but que s’est proposé l’auteur de ces dons. Il n’en fut pas ainsi de Jésus-Christ, car une vertu toute divine affluait en lui pour guérir les malades. Or, il était nécessaire de donner à cette foule réunie de scribes et de pharisiens un témoignage éclatant de sa puissance, pour confondre ceux qui n’avaient pour lui que du mépris ; il guérit donc miraculeusement ce paralytique. Toutes les ressources de la médecine avaient été impuissantes pour le guérir, ceux qui s’intéressent à lui l’apportent donc au céleste et tout-puissant médecin : « Et voilà que des gens portaient sur un lit un homme paralytique, » etc. — S. Chrys. Les hommes qui portent ce paralytique sont vraiment admirables, ils ne peuvent le faire entrer par la porte, ils ont recours à un moyen nouveau et singulier : « Et ne trouvant point par où le faire entrer, ils montèrent sur le toit, » etc. Ils découvrirent le toit pour descendre le lit, et ils déposèrent le paralytique au milieu de la maison : « Et ils le descendirent par les tuiles. » L’endroit par où ils descendirent le lit du paralytique par les tuiles était sans doute peu élevé.

 

Bède. Avant de guérir cet homme de sa paralysie, le Seigneur l’affranchit d’abord des liens du péché ; il lui apprend ainsi que l’affaiblissement, la défaillance de ses membres est la punition des fautes dont son âme est comme enchaînée, et qu’il faut rompre ces chaînes spirituelles pour qu’il puisse recouvrer la santé. — S. Ambr. Qu’il est grand le Seigneur qui pardonne aux uns, en considération du mérite des autres, qui accueille favorablement les uns, et pardonne aux autres leurs égarements ! O homme ! comment pourriez-vous refuser d’écouter les prières de vos semblables, lorsqu’auprès de Dieu, un serviteur a le droit d’intervenir par ses mérites et d’obtenir ce qu’il demande ? Si donc vous désespérez d’obtenir le pardon de fautes énormes, ayez recours aux prières des autres, ayez recours à la médiation de l’Église, qui priera pour vous, et en sa considération, Dieu vous accordera le pardon qu’il aurait pu vous refuser à vous-même. — S. Chrys. (Hom. 30 sur S. Matth.) Disons cependant que la foi de ce paralytique concourait aussi pour demander sa guérison, car s’il n’avait eu la foi, il n’aurait pas consenti à ce qu’on le descendît ainsi aux pieds de Jésus.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 25.) Notre-Seigneur lui dit : « O homme ! vos péchés vous sont remis. » Et en parlant ainsi, il insinue que les péchés étaient remis à un homme qui, par là même qu’il était homme, ne pouvait dire : « Je suis sans péché. » Il voulait encore faire entendre que celui qui remettait les péchés était Dieu. — S. Chrys. (tiré des hom. 14, 30 sur S. Matth.) Lorsque nous sommes atteints de souffrances corporelles, nous nous empressons bien vite de les faire cesser ; si, au contraire, notre âme vient à être malade, nous différons de recourir aux remèdes, et c’est pour cela que nous n’obtenons pas la guérison de nos infirmités corporelles. Retranchons donc courageusement la source du mal, et le cours de ces infirmités s’arrêtera. Or, les pharisiens, dans la crainte de la multitude, n’osaient manifester leurs pensées, ils se contentaient de s’en occuper dans leurs coeurs : « Et ils commencèrent à dire en eux-mêmes : Qui est celui qui profère des blasphèmes ? » — S. Cyr. En formulant cette accusation, ils se hâtent bien légèrement de prononcer la sentence de mort. Car la loi ordonnait de punir de mort tout homme coupable de blasphème contre Dieu. — S. Ambr. C’est ainsi qu’ils viennent eux-mêmes témoigner en faveur de l’oeuvre de la toute puissance du Fils de Dieu, car rien n’établit plus fortement la foi qu’un aveu involontaire et forcé, comme aussi rien n’augmente la culpabilité comme la négation de ceux qui se condamnent par leurs propres assertions : « Qui peut remettre les péchés que Dieu seul ? » Quelle folie de la part de ce peuple infidèle, de reconnaître d’un côté que Dieu seul peut remettre les péchés, et de ne point croire de l’autre au Dieu qui remet les péchés. — Bède. Ils disent vrai, Dieu seul peut remettre les péchés, et il les remet aussi par ceux auxquels il a donné ce pouvoir. Nous avons donc ici une preuve que Jésus-Christ est vraiment Dieu, puisqu’il peut remettre les péchés comme Dieu.

S. Ambr. Mais comme la volonté du Seigneur est de sauver les pécheurs, il leur prouve sa divinité par la connaissance qu’il a des choses cachées : « Mais, afin que vous sachiez, » etc. — S. Cyr. Il semble leur dire : Vous dites, ô pharisiens : « Qui peut remettre les péchés que Dieu seul, » et moi je vous réponds : « Qui peut scruter les secrets des coeurs, si ce n’est Dieu seul ? » Lui qui dit par la bouche des prophètes : « Je suis le Seigneur qui scrute les coeurs et pénètre les reins (Jr 10 ; Ps 7, 10 ; 1 Paralip 28, 9 ; Sg 6, 4 ; Sof 12 ; Ap 2, 23). » — S. Chrys. (hom. 30 sur S. Matth.) Si vous refusez de croire le premier miracle (la rémission des péchés), j’en ajoute un second, en dévoilant vos pensées les plus secrètes, et un troisième en rendant la santé et la force au corps de ce paralytique : « Lequel est le plus facile, » etc. Il est évident qu’il est beaucoup plus facile de rendre la force à un corps affaibli, car l’âme est beaucoup plus noble que le corps, et la rémission de ses fautes est d’autant plus excellente. Mais comme vous refusez de croire au premier miracle, parce qu’il reste cache, j’en ajouterai un autre qui lui est inférieur, mais qui est visible et qui vous démontrera la vérité de celui qui est invisible. Remarquez encore qu’en adressant la parole au paralytique, Notre-Seigneur ne lui dit pas : « Je vous remets vos péchés, » pour établir sa propre puissance, mais lorsqu il y est force par la malice de ses ennemis, il la déclare ouvertement, en disant : « Or, afin que vous sachiez, » etc. — Théophyl. Vous le voyez, c’est sur la terre qu’il remet les péchés ; en effet, tant que nous sommes sur la terre, nous pouvons effacer nos péchés, mais lorsque nous l’aurons quittée, nous ne pourrons plus les confesser, car la porte sera fermée.

S. Chrys (hom. 30 sur S. Matth) Le Sauveur prouve la rémission des péchés par la guérison du corps : « Il dit au paralytique : Je vous le commande, levez-vous, » et il prouve la guérison du corps de ce paralytique, en lui commandant d’emporter son lit, ce qui confirmait invinciblement la réalité de cette guérison : « Prenez votre lit, » etc., comme s’il lui disait : Je voulais me servir de votre infirmité pour guérir ceux qui paraissent pleins de saute, mais dont l’âme est bien malade, puisqu’ils refusent la guérison, allez convertir votre famille. — S. Ambr. La guérison s’opère immédiatement, et sans retard, le Sauveur guérit cet homme au même moment qu’il parle « Et se levant aussitôt, » etc. — S. Cyr. Ce miracle prouve que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés ; ce qu’il déclare ici pour rétablir sa divinité et pour notre instruction. En effet, c’est en tant que Dieu fait homme, et comme maître de la loi, qu’il remet lui-même les péchés ; mais nous avons reçu nous-mêmes ce pouvoir admirable, car il a dit à ses disciples : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez. » Et comment n’aurait-il pas à un plus haut degré le pouvoir de remettre les péchés, lui qui a communiqué ce pouvoir aux autres ? Les rois et les princes de la terre, quand ils font grâce aux homicides, les délivrent du supplice qu’ils devaient subir en ce monde, mais ils ne peuvent les absoudre de leurs crimes.

 

S. Ambr. Les Juifs incrédules voient le paralytique se lever et s’étonnent qu’il marche : « Et ils furent tous frappés de stupeur, » etc. — S. Chrys. (hom. 30 sur S. Matth.) Les Juifs rampent encore dans des pensées terrestres, tout en louant Dieu, mais sans reconnaître que Jésus-Christ lui-même était Dieu, car la chair était pour eux un obstacle, et toutefois, c’était beaucoup déjà de le reconnaître comme le premier des mortels et comme l’envoyé de Dieu. — S. Ambr. Ils sont témoins des miracles de sa toute-puissance, et ils aiment mieux se laisser dominer par la crainte que diriger par la foi : « Et ils furent remplis de crainte, » etc. S’ils avaient cru, ils eussent cessé de craindre pour aimer, car l’amour parfait chasse la crainte (1 Jn 4). Or, la guérison de ce paralytique nous donne un enseignement important ; Notre-Seigneur commença par prier, non par nécessité, mais pour nous donner l’exemple. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 4.) On peut voir dans ce paralytique une image de l’âme privée de ses membres, c’est-à-dire, de ses opérations, cherchant Jésus-Christ (c’est-à-dire, la volonté du Verbe de Dieu). Elle ne peut arriver jusqu’à lui, empêchée qu’elle en est par la foule tumultueuse de ses pensées ; il faut qu’elle découvre le toit, c’est-à-dire, le voile des Écritures, pour arriver ainsi à la connaissance de Jésus-Christ, c’est-à-dire, pour descendre pieusement jusqu’à l’humilité de la foi. — Bède. Ce n’est pas sans dessein que la maison où se trouve Jésus nous est représentée comme couverte de tuiles, parce que, sous le voile grossier de la lettre, nous trouvons la vertu de la grâce spirituelle.

S. Ambr. Chacun de nous, s’il est malade, doit recourir aux prières de ses frères pour obtenir sa guérison, pour que l’assemblage tout brisé de notre vie et les pas chancelants de nos oeuvres soient raffermis par le remède de la parole céleste. Il faut donc pour les âmes de sages directeurs, qui élèvent vers le ciel l’esprit de l’homme appesanti par l’infirmité du corps. Il faut aussi que l’homme se prête facilement à tous les mouvements qu’on lui imprime, qu’il se laisse élever, abaisser, pour être placé devant Jésus, et être rendu digne de ses regards, car le Seigneur abaisse ses regards sur les humbles (cf. Lc 1, 48). — S. Aug. (Quest. évang.) Ceux donc qui déposent le paralytique peuvent représenter les vrais docteurs de l’Église, et le lit sur lequel il est déposé signifie que c’est pendant que l’homme est revêtu d’un corps mortel qu’il doit chercher à connaître Jésus-Christ. — S. Ambr. Le Seigneur voulant établir l’espérance pleine et entière de la résurrection, pardonne les péchés de l’âme et guérit l’infirmité de la chair, c’est la guérison de l’homme tout entier. Il est grand sans doute de remettre aux hommes leurs péchés, mais il est plus divin de rendre la vie aux corps par la résurrection, puisque Dieu lui-môme est la résurrection ; or, le lit qu’on ordonne au paralytique d’emporter c’est le corps humain. — S. Aug. (Quest. évang.) Il ne faut pas que l’infirmité de l’âme se repose davantage dans les joies charnelles, comme sur un lit, mais au contraire, qu’elle réprime les affections de la chair, et se dirige vers sa maison, c’est-à-dire, vers le repos mystérieux de son coeur. — S. Amb. Ou bien encore, regagner sa maison c’est retourner au paradis. C’est en effet la véritable maison, qui fut la première habitation de l’homme et qu’il a perdue contre toute justice par la fraude du démon. Il faut donc que cette habitation lui soit rendue à l’avènement de celui qui est venu pour détruire la fraude du démon, et rendre à la justice tous ses droits.

 

V. 27-32.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 1, 26.) Après la guérison du paralytique, l’Évangéliste raconte la conversion du publicain : « Après cela, Jésus étant sorti, vit un publicain, nommé Lévi, assis au bureau des impôts. » Matthieu et Lévi sont une seule et même personne. — Bède. Saint Luc et saint Marc, par honneur pour cet Évangéliste, ne font point connaître le nom qu’il portait ordinairement, au contraire, saint Matthieu, devenant lui-même son accusateur (Pr 18, 17) au commencement de son récit, se fait connaître sous le nom de Matthieu et de publicain ; que personne donc ne désespère de son salut à cause de l’énormité de ses péchés, puisque Matthieu, de publicain, est devenu apôtre » — S. Cyr. Lévi avait été publicain, dominé par l’avarice, avide du superflu, convoitant le bien d’autrui (ce qui était le caractère propre des publicains), mais il est arraché à toutes ces pratiques injustes par la voix de Jésus-Christ qui l’appelle : « Et il lui dit Suivez-moi. » — S. Ambr. Il lui ordonne de le suivre, non par le mouvement du corps, mais par les affections de l’âme. Docile à cette parole qui l’appelle, Matthieu abandonne ses propres biens, lui, le ravisseur du bien d’autrui : « Et ayant tout quitté, il se leva et le suivit. » — S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) Considérez tout à la fois la puissance de celui qui appelle, et l’obéissance de celui qui est appelé, il obéit aussitôt sans résister, sans hésiter ; il ne veut pas même retourner chez lui, pour faire connaître aux siens sa généreuse résolution ; ainsi avaient fait les pêcheurs eux-mêmes. — S. Bas. (Ascet.) Non seulement il sacrifie volontiers tous les profits de l’impôt, mais encore il compte pour rien les dangers que lui et les siens pouvaient courir, en laissant les comptes de l’impôt sans être réglés. — Théophyl. C’est ainsi que Jésus-Christ leva l’impôt sur celui qui le percevait sur tous les passants, non pas, sans doute, en recevant de lui une somme d’argent, mais en le faisant entrer dans la pleine et entière participation de tous ses biens.

S. Chrys. Après avoir appelé Lévi, le Seigneur s’empressa de l’honorer, en acceptant le repas qu’il lui offre, pour lui inspirer plus de confiance. « Et Lévi lui fit un grand banquet dans sa maison. » Non seulement il se met à table avec lui, mais avec beaucoup d’autres : « Et il y avait une foule nombreuse de publicains, et d’autres qui étaient à table avec eux. » Les publicains s’étaient réunis chez lui comme chez un collègue et un homme de la même profession ; mais lui, heureux et fier de la présence de Jésus-Christ, les invita tous à ce banquet. Jésus-Christ profitait de toutes les occasions comme moyen de faire le bien ; ce n’était pas seulement en discutant, en guérissant les malades, ou en confondant ses ennemis, mais même en prenant ses repas, qu’il redressait les erreurs et ramenait les âmes égarées ; c’est ainsi qu’il nous apprenait à rendre utiles toutes les circonstances comme toutes nos actions. Il ne déclinait pas même la société des publicains en vue du bien qui devait en résulter, agissant comme un médecin qui ne peut guérir une maladie, s’il ne touche la plaie. — S. Ambr. En mangeant avec les pécheurs, il nous autorise à nous asseoir à la table des Gentils. — S. Chrys. Et cependant les pharisiens jaloux, et qui voulaient séparer de lui ses disciples, lui en font un reproche : « Et les pharisiens et les scribes murmuraient et disaient à ses disciples : Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec des publicains et des pécheurs ? — S. Ambr. Cette parole vient du serpent, n’est-ce pas lui, en effet, qui prononça le premier cette parole en disant à Eve (Gn 3) : « Pourquoi Dieu vous a-t-il dit : Ne mangez point ? » etc. C’est ainsi qu’ils cherchent à répandre le venin de leur père.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 27.) Le récit de saint Luc paraît ici tant soit peu différent de celui des autres Évangélistes. D’après saint Luc, ce n’est pas personnellement à Notre-Seigneur qu’ils font un reproche de manger avec les publicains et les pharisiens, mais à ses disciples, reproche cependant qui s’adresse aussi bien à Jésus-Christ qu’à ses disciples. Aussi d’après le récit de saint Matthieu et de saint Marc, le reproche est fait et au Sauveur et à ses disciples, mais c’est surtout au Maître que ce reproche s’adresse, puisqu’en mangeant avec les publicains et les pécheurs ses disciples ne faisaient que l’imiter. Nous avons donc ici la même pensée, le même sens, d’autant plus clairement expliqués, que les expressions sont différentes, sans que la vérité soit altérée.

S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) Notre-Seigneur tire une conclusion toute contraire du reproche qui lui est fait ; il déclare que non seulement ce n’est pas une faute que de vivre avec les pécheurs, mais que c’est une oeuvre de miséricorde. « Jésus leur répondant, leur dit : Ce ne sont point ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais ceux qui sont malades. » Il leur rappelle ainsi qu’ils sont atteints de l’infirmité commune, et qu’ils sont du nombre des malades, et qu’il est lui-même le médecin. — Suite. « Car je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, » c’est-à-dire : Je suis si loin de fuir la société des pécheurs, que c’est pour eux seuls que je suis venu, non pour qu’ils demeurent pécheurs, mais pour qu’ils se convertissent et deviennent vertueux. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Aussi, ajoute-t-il : « A la pénitence, » ce qui explique parfaitement sa pensée, et prévient cette erreur que les pécheurs seraient aimés de Jésus-Christ en tant que pécheurs. En effet, la comparaison empruntée aux malades, exprime très bien quelle est la volonté de Dieu qui appelle les pécheurs de même qu’un médecin appelle les malades, pour les guérir de leurs iniquités comme d’une maladie. — S. Ambr. Mais comment est-il écrit que Dieu aime la justice (Ps 10) ? Comment David n’a-t-il jamais vu le juste délaissé (Ps 26) ? si cependant le pécheur est appelé, tandis que le juste est abandonné. Les justes dont le Sauveur parle ici sont donc peut-être ceux qui placent dans la loi une confiance présomptueuse, et ne recherchent pas la grâce de l’Évangile. Or, nul n’est justifié par la loi, et tous sont rachetés par la grâce. Le Sauveur n’appelle donc pas ceux qui se proclament justes ; car ceux qui s’attribuent eux-mêmes la justice, ne peuvent être appelés à la grâce, et si la grâce vient de la pénitence, celui qui dédaigne la pénitence, renonce à la grâce — Bède Les pécheurs dont il est ici question sont ceux qui, pénétrés de la grandeur de leurs fautes, et n’attendant point leur justification de la loi, se disposent à recevoir la grâce de Jésus-Christ par la pénitence. — S. Chrys. (hom. 31.) C’est par ironie qu’il donne aux derniers le nom de justes, comme autrefois, lorsque Dieu dit a l’homme « Voici Adam devenu comme l’un de nous ». En effet, saint Paul, affirme que personne absolument n’était juste sur la terre, lorsqu’il dit : « Tous ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu. » (Rm 3.) — S. Grég de Nysse. Ou bien encore, il dit que ceux qui se portent bien et les justes, c’est-à-dire les anges n’ont pas besoin de médecin, mais bien les malades et les pécheurs, c’est-à-dire nous, qui sommes tombés dans la maladie du péché, qui ne peut exister dans le ciel.

Bède. L’élection de saint Matthieu représente la vocation et la foi des Gentils, qui ne soupiraient qu’après les choses de la terre, et qui maintenant nourrissent le corps de Jésus-Christ avec une tendre dévotion (Mt 25). — Théophyl. Ou bien encore, ce publicain est tout homme qui est l’esclave du prince du monde, et qui accorde à sa chair tout ce qu’elle demande, les mets exquis, s’il est sensuel, la volupté, s’il est adultère, et ainsi des autres passions. Mais lorsque le Seigneur le voit assis au bureau des impôts, c’est-à-dire, ne se donnant plus de mouvement pour commettre de plus grandes injustices, il le retire du mal, et alors cet homme marche à la suite de Jésus, et reçoit le Seigneur dans la demeure de son âme. — S. Ambr. Or, celui qui reçoit Jésus-Christ dans cette demeure intérieure, se nourrit au sein des plus pures délices et des plus ineffables voluptés, aussi est-ce avec joie que le Seigneur entre dans son âme, et se repose dans son affection. Mais alors l’envie des méchants se rallume, et nous représente leurs tourments de la vie future, car pendant que les fidèles prennent part au banquet du royaume des cieux, les infidèles seront tourmentés par un jeûne éternel. — Bède. Ou bien encore, c’est la figure de l’envie des Juifs qui s’affligent du salut des Gentils. — S. Ambr. Nous y voyons aussi combien est différent le sort des disciples de la loi et des disciples de la grâce, car les sectateurs de la loi souffriront la faim éternelle de l’âme, tandis que ceux qui auront reçu le Verbe dans l’intérieur de leur âme, fortifiés par cet aliment céleste et par les eaux de cette source abondante, ne peuvent éprouver ni la faim ni la soif, et c’est ce qui excite les murmures de ceux dont l’âme est privée de toute nourriture.

 

Vv. 33-39

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Jésus-Christ ayant répondu à leur première question, ils passent à un autre point, et veulent lui montrer que les disciples et Jésus lui-même ne prennent aucun soin d’observer la loi : « Alors ils lui demandèrent : Pourquoi les disciples de Jean jeûnent-ils, etc., tandis que les vôtres mangent ? » etc., c’est-à-dire : Vous mangez avec les publicains et avec les pécheurs, bien que la loi défende toute communication avec ceux qui sont impurs (Lv 15), et vous excusez cette transgression par un motif de miséricorde ; mais pourquoi donc ne jeûnez-vous pas comme tous ceux qui conforment leur conduite aux prescriptions de la loi ? Les saints jeûnent, il est vrai, pour réprimer leurs passions par la mortification du corps ; mais Jésus-Christ n’avait pas besoin du jeûne pour s’élever à la perfection de la vertu, puisque, comme Dieu, il était inaccessible à tout entraînement des passions. Le jeûne n’était pas plus nécessaire à son humanité, puisqu’elle participait à la grâce qui était en lui, et y puisait une force qui la maintenait au même degré de vertu. Si donc le Sauveur se soumit à un jeûne de quarante jours, ce ne fut point pour réprimer en lui les passions, mais pour donner aux hommes charnels une leçon et une règle de mortification. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 27.) Evidemment saint Luc paraît faire entendre que cette question fut adressée au Sauveur de différents côtés, et qu’elle embrassait plusieurs personnes ; comment donc saint Matthieu s’exprime-t-il de la sorte : « Alors les disciples de Jean s’approchèrent et dirent : Pourquoi, tandis que les pharisiens et nous nous jeûnons souvent, vos disciples ne jeûnent-ils pas ? » si ce n’est parce que les disciples de Jean étaient présents, et que tous à l’envi s’empressèrent de faire cette objection.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 18.) Il y a deux sortes de jeûnes, le jeûne de l’affliction pour obtenir de Dieu le pardon des péchés ; et le jeûne de la joie, où l’âme est d’autant moins sensible aux plaisirs de la chair, qu’elle jouit en plus grande abondance des délices spirituelles. Or, le Sauveur, interrogé pourquoi ses disciples ne jeûnaient pas, s’explique successivement sur ces deux sortes de jeûne, et d’abord sur le jeûne de la tribulation : « Il leur répondit : Pouvez-vous faire jeûner les fils de l’Epoux, tandis que l’Epoux est avec eux ? » — S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) Comme s’il leur disait : Le temps actuel est un temps de joie et d’allégresse, pourquoi donc vouloir y mêler la tristesse ? — S. Cyr. La manifestation de notre Sauveur dans ce monde fut comme une véritable fête, il venait célébrer des noces toutes spirituelles avec notre nature, pour la rendre féconde, de stérile qu’elle était ; les fils de l’Epoux sont donc tous ceux qui sont appelés par la loi nouvelle de l’Évangile, et non les scribes et les pharisiens qui ne considèrent que l’ombre de la loi. — S. Aug. (de l’harm. des Evang., 2, 27.) La réponse du Sauveur d’après saint Luc : « Pouvez-vous faire jeûner les amis de l’Epoux, » donne à entendre que ceux qua lui faisaient cette question, feraient pleurer et jeûner les fils de l’Epoux, parce qu’ils devaient être un jour les auteurs de la mort de l’Epoux.

 

S. Cyr. En établissant qu’il ne convient pas aux fils de l’Epoux de s’affliger, alors qu’ils célèbrent une fête toute spirituelle, Notre-Seigneur ne veut point détruire le jeûne, aussi fait-il cette réserve : « Mais viendront des jours où l’Epoux leur sera enlevé ; ils jeûneront en ces jours-là ». — S. Aug. (Quest evang, 2, 18 ) C’est-à-dire ils seront dans la désolation, dans la tristesse et les larmes, jusqu’à ce que la joie et la consolation leur aient été rendues par l’Esprit saint. — S. Ambr. Ou bien encore, le jeûne, dont Notre Seigneur ajourne ici la pratique, n’est pas celui qui mortifie la chair et réprime les penchants de la concupiscence (car ce jeûne, au contraire, nous rend agréables à Dieu), mais il veut dire que nous ne pouvons jeûner, nous qui possédons le Christ, et qui sommes nourris de sa chair et de son sang. — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Ou encore, les fils de l’Epoux ne peuvent jeûner, c’est-à-dire se priver de la nourriture de l’âme, mais ils doivent vivre de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. — S. Ambr. Mais quels sont donc ces jours dans lesquels le Christ nous sera enlevé, alors que lui-même nous dit : « Je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles ? » Non, personne ne peut vous enlever le Christ, si vous-même ne commencez par vous détacher de lui. — Bède. Tant que l’Epoux est avec nous, nous sommes dans la joie, et nous ne pouvons ni jeûner, ni pleurer ; mais quand nos péchés nous séparent de lui, c’est alors qu’il faut recourir au jeûne et nous condamner aux larmes.

 

S. Athan. Disons enfin que Notre-Seigneur veut parler ici du jeûne de l’âme, comme le prouvent les paroles suivantes : « Il leur proposa aussi cette comparaison : Personne ne met à un vieux vêtement un morceau pris à un vêtement neuf. » Il appelle le jeûne un vêtement vieux, dont l’Apôtre nous exhorté à nous dépouiller, lorsqu’il dit : « Dépouillez-vous du vieil homme et de ses actes. » (Col 3.) Toute la suite des préceptes de Notre-Seigneur concourt donc à établir cette vérité que nous ne devons pas mêler les actes du vieil homme avec ceux du nouveau. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 18.) On peut encore donner cette autre explication : Après avoir reçu le don de l’Esprit saint, quoi de plus convenable que les fils de l’Epoux déjà renouvelés dans la vie spirituelle, pratiquent le jeûne qui s’accomplit sans la joie ? Avant qu’ils aient reçu l’Esprit saint, le Sauveur les compare à des vêtements vieux auxquels il ne faut pas coudre un morceau de drap neuf, c’est-à-dire un fragment de la doctrine qui a pour objet la tempérance de la loi nouvelle ; car alors la doctrine est comme divisée et rompue par ce fragment, puisque le jeûne qu’elle prêche est un jeûne général, qui interdit non seulement le désir des aliments, mais toute joie qui vient des plaisirs de la terre. Notre-Seigneur ne veut pas que l’on donne ce fragment de doctrine, qui a pour objet les aliments, à ceux qui sont encore esclaves des anciennes coutumes, autrement il se fera mie déchirure, et ce fragment de doctrine nouvelle ne pourra s’unir avec ce qui est vieux. Le Sauveur les compare encore à des outres : « De même personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres. » — S. Ambr. il nous fait voir la fragilité de la condition humaine, en comparant nos corps aux dépouilles des animaux morts. — S. Aug. (Quest. évang.) Il compare les Apôtres à des outres déjà vieilles, parce qu’ils se rompent sous l’effort du vin nouveau des préceptes spirituels qu’ils ne peuvent contenir : « Autrement le vin nouveau rompra les outres et se répandra, et les outres seront perdues. » Ils étaient déjà devenus des outres neuves, lorsqu’après l’ascension du Seigneur, l’Esprit saint vint les renouveler, en leur inspirant le désir de ses divines consolations, l’esprit de prière et d’espérance : « Mais il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves, et l’un et l’autre sont conservées. » — Bède. Le vin nous donne des forces à l’intérieur ; le vêtement couvre extérieurement notre corps ; les bonnes oeuvres que nous faisons en dehors et qui font luire notre lumière devant les hommes, sont donc le vêtement ; et la ferveur de la foi, de l’espérance et de la charité, est comme le vin. On peut dire encore que les vieilles outres sont les scribes et les pharisiens, tandis que le fragment de drap neuf et le vin nouveau sont les préceptes de l’Évangile. — S. Grég. de Nysse. (disc. sur Abrah.) Le vin nouveau, par la fermentation qui lui est naturelle, chasse au dehors, par un mouvement qui tient également à sa nature, l’écume et la lie impure qu’il contient. Ce vin, c’est le Nouveau Testament, que les outres anciennes, vieillies par leur incrédulité, ne peuvent contenir ; bien plus, elles se rompent par la force de l’excellence de la doctrine, et laissent ainsi s’écouler la grâce de l’Esprit saint ; car la sagesse n’entre pas dans une âme qui veut le mal. (Sg  1.) — Bède. On ne doit donc point donner les sacrements des mystères nouveaux à une âme qui n’est pas renouvelée et qui persévère encore dans son ancienne malice. Ceux encore qui veulent mêler la pratique du christianisme aux préceptes de la loi (Ga 3), mettent le vin nouveau dans de vieilles outres. « Et personne, venant de boire du vin vieux, n’en veut aussitôt du nouveau, car il dit : Le vieux est meilleur. » Notre-Seigneur veut parler ici des Juifs qui, pénétrés de la saveur de la vie ancienne, n’avaient que du dégoût pour les préceptes de la loi de grâce ; et qui, souillés par les traditions de leurs ancêtres, étaient incapables de goûter la douceur des enseignements spirituels.

 

 

SAINT THOMAS D'AQUIN

CATENA AUREA SUR SAINT LUC

 

CHAPITRE VI

 

Vv. 1-5.

S. Ambr. Ce n’est pas seulement par ses enseignements, mais par sa conduite et par ses actes, que Notre-Seigneur commence à dépouiller l’homme des observances de l’ancienne loi. « Or, un jour de sabbat, appelé le second-premier, comme Jésus passait le long des blés, ses disciples cueillaient des épis, » etc. — Bède. L’importunité de la foule ne laissait pas aux disciples le temps de manger, et comme ils éprouvaient le besoin de la faim, ils l’apaisent en mangeant les épis qu’ils froissent entre leurs mains, preuve d’une vie simple et austère, qui, loin de chercher des mets apprêtés, se contente des aliments les plus simples. — Théophyl. C’était, dit l’Évangéliste, le sabbat second-premier, parce que les Juifs donnaient le nom de sabbat à toutes les fêtes. En effet, le mot sabbat signifie repos. Or, il arrivait souvent qu’une fête tombait la veille du sabbat, et on appelait ce jour sabbat à cause de la fête ; puis alors le véritable jour du sabbat était appelé second-premier, comme étant le second après la fête qui avait précédé. — S. Chrys. (hom. 40 sur S. Matth.) Il y avait alors une double fête, celle du jour même du sabbat et celle de la solennité qui lui succédait, et à laquelle on donnait aussi le nom de sabbat. — S. Isid. Il appelle ce sabbat second-premier, parce que c’était le second jour de Pâque, et le premier des Azymes. En effet, on immolait la pâque le soir, et le jour suivant on célébrait la fête des Azymes. Ce qui rend cette explication plus vraisemblable, c’est que nous voyons les Apôtres arracher des épis et les manger ; car dans cette époque de l’année, les épis s’inclinent sous le poids des grains qu’ils contiennent. — S. Epiph. (contre les hérés., liv. I, ch. xxx.) Ils passaient donc le long des champs de blé un jour de sabbat, et ils mangeaient des épis pour montrer que la loi du sabbat a cessé d’exister depuis la venue du grand sabbat, c’est-à-dire de Jésus-Christ, qui nous a donné le repos après les fatigues que nos crimes nous avaient causées.

 

S. Cyr. Les pharisiens et les scribes, dans leur ignorance des saintes Écritures, conspiraient entre eux pour accuser les disciples de Jésus-Christ : « Alors quelques-uns des pharisiens leur dirent : Pourquoi faites-vous ce qu’il n’est pas permis de faire ? » etc. Mais dites-moi vous-mêmes, lorsque la table est servie devant vous le jour du sabbat, hésitez-vous à rompre le pain ? Pourquoi donc reprenez-vous les autres ? — Bède. Il en est qui prétendent que ce reproche fut fait à Notre-Seigneur en personne, mais il a pu très-bien être fait par différentes personnes et au Sauveur lui-même, et à ses disciples ; et quoiqu’il en soit, c’était surtout à lui que le reproche s’adressait.

 

S. Ambr. Or, le Seigneur accuse à son tour les défenseurs de la loi, de ne pas connaître ce que la loi renferme, et il leur cite à l’appui l’exemple de David : « Jésus leur répondit : N’avez-vous pas lu, » etc. — S. Cyr. Comme s’il disait : La loi de Moïse fait cette recommandation expressément : « Jugez selon la justice, ne faites point acception de personnes dans vos jugements ; » pourquoi donc accusez-vous mes disciples, vous qui ne cessez d’exalter David comme un saint et comme un prophète, bien qu’il n’ait pas observé le commandement de Moïse ? — S. Chrys. (hom. 40 sur S. Matth.) Remarquez que, lorsque Notre-Seigneur prend la défense de ses serviteurs (c’est-à-dire de ses disciples), il cite à l’appui l’exemple de simples serviteurs, celui de David et des prêtres, mais quand il répond à ses propres accusateurs, il en appelle à l’exemple de son Père, comme lorsqu’il dit : « Mon Père agit sans cesse, et moi j’agis aussi (Jn 5, 17). »

 

Théophyl. Il leur répond encore d’une autre manière : « Et il ajouta : Le Fils de l’homme est maître même du sabbat ; » comme s’il disait : Je suis maître du sabbat, et j’en dispose à mon gré, et comme législateur, j’ai le pouvoir de supprimer le sabbat. Jésus-Christ était appelé Fils de l’homme, parce que tout Fils de Dieu qu’il était, il a daigné devenir miraculeusement Fils de l’homme et en porter le nom par amour pour les hommes. — S. Chrys. D’après saint Marc, Notre-Seigneur justifie ses disciples par une considération propre à tous les hommes : « Le sabbat, leur dit-il, a été fait pour les hommes, et non l’homme pour le sabbat. » Donc il faut mettre le sabbat au-dessous de l’homme, plutôt que de placer l’homme sous le joug du sabbat,

 

S. Ambr. Cette action des disciples renferme un grand mystère. Le champ de blé, c’est le monde entier ; la moisson, dont ce champ est couvert, c’est la prodigieuse fécondité des saints répandus dans le champ du genre humain ; les épis sont les fruits de l’Église ; les Apôtres en font tomber les grains et les mangent, c’est-à-dire qu’ils se nourrissent de nos progrès dans la vertu, en séparant de leur enveloppe extérieure les oeuvres et les fruits de l’âme pour les faire paraître à la lumière de la foi par les miracles éclatants de leurs oeuvres. — Bède. Ils broient les épis dans leurs mains, c’est-à-dire qu’ils font mourir le vieil homme dans ceux qu’ils veulent unir au corps de Jésus-Christ, en les séparant de toute intention terrestre. — S. Ambr. Les Juifs croyaient que c’était là une action défendue le jour du sabbat ; mais Jésus-Christ, en venant apporter le bienfait inestimable de la grâce nouvelle, voulait désigner à la fois le repos de la loi et le travail de la grâce. C’est dans un dessein tout particulier que saint Luc appelle ce jour le sabbat second-premier, et non premier-second, parce qu’en effet, le sabbat établi par la loi, qui était le premier, est supprimé, et celui qui était le second par ordre de temps est devenu le premier. Il est donc appelé second par ordre de temps, et premier, à cause de l’excellence de l’opération de la grâce ; car le sabbat qui délivre du châtiment est supérieur à celui qui prescrit la punition. Ou encore, ce sabbat est le premier dans les desseins éternels de Dieu, et le second par ordre d’institution. David, qui fuit avec ses compagnons, est dans la loi la figure de Jésus-Christ qui se dérobe avec ses disciples à la connaissance et aux poursuites du prince du monde. Mais pourquoi ce fidèle observateur et ce zélé défenseur de la loi mange-t-il lui-même de ces pains, et en donne-t-il à ceux qui étaient avec lui (alors que les prêtres seuls pouvaient en manger) ? C’était pour nous montrer par cette action, que la nourriture réservée jusqu’alors aux prêtres, deviendrait la nourriture des peuples, ou bien que tous nous devions imiter les vertus de la vie sacerdotale, ou enfin que tous les enfants de l’Église sont de véritables prêtres. En effet, nous recevons l’onction sainte qui nous consacre prêtres pour nous offrir nous-mêmes à Dieu comme des hosties spirituelles. (1 P 2)

Mais puisque le sabbat a été fait pour les hommes, et que leur utilité demandait que l’homme ne fût plus soumis au jeûne prolongé d’une faim mortelle (lui qui avait été si longtemps privé des fruits de la terre), la loi, loin d’être détruite, reçoit ici son accomplissement.

 

Vv. 6-11.

S. Ambr. Notre-Seigneur passe à des oeuvres différentes ; il venait pour sauver l’homme tout entier, il commence par le guérir partiellement, un membre après l’autre : « Un autre jour de sabbat, Jésus entra dans la synagogue pour y enseigner. » — Bède. Il choisit de préférence le jour du sabbat, pour enseigner et pour guérir, non seulement afin d’annoncer ainsi le sabbat spirituel, mais aussi parce que le peuple se trouvait réuni en plus grand nombre. — S. Cyr. Il enseignait des vérités qui surpassaient l’intelligence, et il ouvrait à ceux qui l’entendaient la voix du salut, qu’il venait apporter au monde ; et ensuite il donnait pour appui à sa doctrine les oeuvres de sa toute-puissance : « Et il y avait là un homme dont la main droite était desséchée. »

Bède. Le Maître vient de justifier par un exemple des plus louables la conduite de ses disciples, accusés de violer le jour du sabbat ; ses ennemis l’observent maintenant lui-même pour le calomnier : « Or, les scribes et les pharisiens l’observaient pour voir s’il le guérirait le jour du sabbat, » tout disposés à l’accuser de cruauté et d’impuissance, s’il ne le guérissait point, ou de violer le sabbat s’il le guérissait : « Afin dit l’Évangéliste, d’avoir sujet de l’accuser. » — S. Cyr. Tel est bien le caractère de l’homme envieux, il nourrit en lui-même sa douleur avec les louanges qu’il entend donner aux autres ; mais le Seigneur connaît toutes choses et pénètre le secret des coeurs : « Or comme il connaissait leurs pensées, il dit à l’homme qui avait la main desséchée : Levez-vous, et tenez-vous là debout au milieu, et se levant, il se tint debout. » Peut-être le Sauveur voulait-il exciter la commisération de ces pharisiens cruels, et amortir le feu de la passion qui les dévorait.

 

Bède. Cependant Notre-Seigneur, voulant prévenir l’accusation qu’ils préparaient contre lui, leur reproche de mal interpréter les prescriptions de la loi, eux qui croyaient qu’on devait s’interdire même les bonnes oeuvres le jour du sabbat, tandis que la loi ne défend que les oeuvres serviles, c’est-à-dire les oeuvres mauvaises : « Alors Jésus leur dit : Je vous le demande, est-il permis de faire du bien le jour du sabbat ? » — S. Cyr. Cette question était pleine d’opportunité. En effet, s’il est permis de faire le bien le jour du sabbat, et que rien ne s’oppose à ce que la miséricorde de Dieu vienne au secours de ceux qui souffrent, cessez donc de réunir vos accusations calomnieuses contre Jésus-Christ. Si au contraire, il n’est pas permis de faire du bien le jour du sabbat, et si la loi défend de sauver les âmes, vous devenez l’accusateur de la loi. De plus, si nous voulons examiner les motifs de l’institution du sabbat, nous trouverons qu’il a été établi dans un but de miséricorde. En effet, Dieu commande le repos le jour du sabbat, « afin, dit-il, que votre serviteur, votre servante et vos animaux puissent se reposer. » (Ex 20, 22.) Or, celui qui a compassion du boeuf et des autres animaux, pourrait-il être sans pitié pour un homme qui souffre d’une maladie cruelle ? — S. Ambr. La loi était dans le temps présent la figure de la vie future, où nous nous reposerons en nous abstenant de toute oeuvre corporelle, mais non des bonnes oeuvres, telle que la louange de Dieu. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 7.) Lorsque Notre-Seigneur eut guéri cet homme, il fait cette question aux pharisiens : « Est-il permis de sauver l’âme ou de la laisser périr ? » Il parle de la sorte, parce qu’il opérait ses miracles pour établir la foi qui est le salut de l’âme ; ou encore, parce que la guérison de la main droite était le symbole du salut de l’âme qui, en cessant de faire des bonnes oeuvres, avait pour ainsi dire la main droite desséchée ; ou bien enfin, l’âme ici est prise pour l’homme tout entier, comme lorsqu’on dit : « Il y avait là tant d’âmes (Gn 46, 27). »

 

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 35.) On peut se demander comment, d’après saint Matthieu, ce sont les pharisiens qui demandent à Notre-Seigneur s’il est permis de guérir le jour du sabbat, tandis que, d’après saint Luc, c’est le Sauveur lui-même qui leur fit cette question. Nous répondons que les pharisiens ont pu très-bien demander les premiers à Notre-Seigneur, s’il était permis de guérir le jour du sabbat ; et que lui-même ensuite connaissant leurs pensées, et sachant qu’ils cherchaient une occasion de l’accuser, plaça au milieu d’eux cet homme qu’il voulait guérir, et leur adressa la question que saint Marc et saint Luc mettent dans sa bouche.

 

« Et les ayant tous regardés, » etc. — Tite de Bost. Il attire par là les regards de tous ceux qui sont présents, il concentre en même temps toute leur attention sur l’oeuvre qu’il va faire, et il dit à cet homme : « Étendez votre main, » je vous le commande, moi qui ai créé l’homme, cet homme qui avait la main paralysée, obéit, et il est guéri sur le champ : « Il l’étendit, et elle fut guérie, » etc. Ce miracle qui aurait dû les remplir d’admiration, ne fait qu’augmenter leurs mauvaises dispositions : « Mais eux, remplis de fureur, se consultaient sur ce qu’ils feraient de Jésus. » — S. Chrys. (hom. 41.) Et comme le rapporte saint Matthieu, ils s’en vont et tiennent conseil pour le faire mourir. — S. Cyr. Vous êtes témoin, pharisien, des oeuvres divines de sa toute-puissance, vous le voyez guérir les malades par une vertu toute céleste, et, par un noir sentiment d’envie, vous conspirez pour le faire mourir.

 

Bède. Cet homme représente le genre humain frappé de stérilité pour le bien, et dont la main a été comme desséchée pour s’être étendue vers le fruit que mangea notre premier père. Nous voyons cette main paralysée jusqu’au milieu de la synagogue ; car plus le don de la science est grand, plus aussi la transgression de la loi est coupable. — S. Ambr. Vous avez entendu les paroles du Sauveur : « Étendez votre main. » C’est le remède général qu’il propose à tous les hommes. Vous donc qui croyez avoir la main saine, craignez que l’avarice ou le sacrilège ne vienne à la fermer ; étendez-la continuellement pour secourir le prochain, pour protéger la veuve, pour délivrer de l’injustice celui que vous voyez sous le poids d’une accusation inique ; étendez-la vers le pauvre qui vous supplie, étendez-la vers Dieu pour vos péchés : c’est ainsi qu’il faut étendre la main, et c’est ainsi qu’elle est guérie.

 

 

V. 12—16.

La Glose. Pendant que les ennemis de Jésus-Christ se déclarent contre ses miracles et sa doctrine, il choisit ses Apôtres pour être les défenseurs et les témoins de la vérité, et avant de les choisir il se livre à la prière : « En ces jours là, il se retira sur la montagne pour prier. » — S. Ambr. Prenez garde d’entendre ces paroles avec un esprit prévenu, et de penser que si le Fils de Dieu prie, c’est dans le sentiment de sa faiblesse et pour obtenir ce qu’il ne peut faire de lui-même, car l’auteur de toute-puissance a voulu se rendre maître de l’obéissance, et nous enseigner par son exemple les préceptes de la vertu.

 

S. Cyr. Méditons attentivement dans la conduite de Jésus-Christ, l’exemple qu’il nous donne de persévérer dans la prière, en nous tenant à l’écart, dans le secret, loin des regards des hommes, séparé de toutes les préoccupations du monde, afin que notre esprit puisse s’élever librement sur les sommets de la contemplation divine ; c’est ce que nous apprend Notre-Seigneur en se retirant sur la montagne pour prier. — S. Ambr. En toute circonstance, Jésus prie seul et sans témoins ; en effet, les voeux des hommes ne peuvent s’élever jusqu’aux conseils de Dieu, et personne ne peut entrer en participation des pensées intimes du Christ. Tous ceux qui prient ne montent point sur la montagne, mais celui-là seul qui, dans sa prière, s’élève des préoccupations de la terre aux pensées du ciel, et jamais celui qui poursuit avec sollicitude les richesses et les honneurs du siècle. Les âmes détachées de la terre montent sur la montagne ; aussi dans l’Évangile, vous voyez les disciples seuls monter sur la montagne avec leur divin Maître. L’Évangéliste vous donne, chrétiens, la règle et l’exemple que vous devez imiter dans les paroles suivantes : « Et il passait la nuit à prier. » Que ne devez-vous pas faire pour votre salut, quand vous voyez Jésus-Christ passer pour vous toute la nuit en prières. — S. Chrys. Levez-vous donc aussi vous-même pendant la nuit, car alors l’âme est plus pure, et le silence et l’obscurité de la nuit sont on ne peut plus favorable à la componction du coeur. D’ailleurs, si vous considérez le ciel parsemé d’étoiles, et cette multitude innombrables d’astres lumineux ; si d’un autre côté vous réfléchissez que tous ceux qui, pendant le jour, se livrent aux plaisirs et aux oeuvres d’iniquité, sont alors absolument semblables à des morts, comment pourrez-vous ne pas détester tous les crimes des hommes. Que ces pensées sont puissantes pour élever l’âme, elle n’est alors ni tourmentée par la vaine gloire, ni dominée par la mollesse ou par une passion violente ; non, l’action du feu n’est pas si puissante pour faire disparaître la rouille du fer, que la prière pendant la nuit pour effacer la rouille des péchés. Elle rafraîchit pendant la nuit celui que l’ardeur du soleil a brûlé durant le jour, il n’est point de rosée comparable aux larmes versées pendant la nuit, elles triomphent de la concupiscence et de tout sentiment de crainte ; mais si l’homme n’est point humecté de cette rosée féconde, il a tout à craindre des feux du jour. Si donc vous ne pouvez prier beaucoup pendant la nuit, priez au moins une fois lorsque vous vous éveillez, cela suffit, et montrez ainsi que le repos de la nuit n’est pas seulement utile au corps mais à l’âme.

S. Ambr. Vous voyez encore ce que vous devez faire avant d’entreprendre quelque oeuvre de piété, puisque Jésus-Christ a prié avant de choisir ses Apôtres : « Et dès l’aurore, il appela près de lui ses disciples, » etc., c’est-à-dire, ceux qu’il destinait à propager parmi les hommes tous les moyens de salut, et à répandre par toute la terre la semence de la foi. Et remarquez ici l’ordre des conseils de Dieu ; ce ne sont point des sages, des riches, des nobles, mais des pêcheurs et des publicains qu’il choisit pour cette mission ; il ne veut point qu’on puisse attribuer à l’influence puissante des richesses, de l’autorité, de la noblesse, la conversion des hommes à la grâce de l’Évangile, il veut triompher par la puissance naturelle de la vérité, et non par la supériorité du raisonnement et de l’éloquence.

S. Cyr. Remarquez encore avec quel soin l’Évangéliste, non seulement raconte l’élection des saints Apôtres, mais en fait une énumération exacte pour que personne n’osât en inscrire d’autres que ceux qu’il énumère. « Simon, auquel il donna le nom de Pierre, et André son frère. » — Bède. Ce ne fut point alors que Pierre reçut pour la première fois ce surnom, mais longtemps auparavant, lorsqu’ayant été amené à Jésus par André, Jésus lui dit : « Tu t’appelleras Céphas, qui veut dire Pierre. » (Jn 1, 42,) Saint Luc avait l’intention de donner l’énumération des noms des Apôtres, il devait nécessairement y faire entrer le nom de Pierre, il indique donc brièvement que ce nom n’était pas primitivement le sien, mais qu’il lui a été donné par le Sauveur. — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Le second couple est composé de Jacques et de Jean ; ils étaient tous deux fils de Zébédée et pécheurs de profession. Viennent ensuite Philippe et Barthélemi ; Philippe, d’après saint Jean, était de Bethsaïde, concitoyen d’André et de Pierre, ainsi que Barthélemi, homme simple, étranger à la science du monde, sans fiel et sans aigreur. Matthieu fut appelé alors qu’il était receveur des impôts : « Matthieu et Thomas. » — Bède. Matthieu, par humilité, met son nom après celui de Thomas, son collègue, tandis que les autres Évangélistes le mettent avant. — Suite. « Jacques, fils d’Alphée, et Simon, qui est appelé le zélé. » — La Glose. Il est ainsi appelé, parce qu’il était de Cana, en Galilée ; or, Cana vent dire zèle, et on l’appelle ainsi pour le distinguer de Simon Pierre : « Judas, fils de Jacques, et Judas Iscariote, qui le trahit. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 30.) Saint Luc paraît différer ici de saint Matthieu, qui donne à Judas le nom de Thaddée ; mais qui empêche qu’un même homme ait porté deux ou trois noms ? Le Sauveur choisit pour Apôtre Judas le traître, non par imprévoyance de l’avenir, mais par un dessein providentiel, il avait pris volontairement la fragilité de la nature humaine, il ne refuse pas même cette triste et douloureuse épreuve ; il a voulu être trahi par un de ses Apôtres, afin que si vous êtes vous-même victime de la trahison d’un ami, vous supportiez patiemment les suites de l’opinion erronée que vous aviez de lui, et l’inutilité de vos bienfaits.

Bède. Dans le sens mystique, la montagne sur laquelle Jésus-Christ choisit les Apôtres, représente la hauteur de la justice, à laquelle ils devaient parvenir et qu’ils devaient prêcher, et c’est pour ce motif que la loi fut donnée sur une montagne. — S. Cyr. Si vous êtes désireux de connaître la signification des noms des Apôtres, Pierre veut dire qui délie, ou qui reconnaît, André, puissance brillante, ou qui répond ; Jacques, qui supplante la douleur ; Jean, la grâce du Seigneur ; Matthieu, qui est donné ; Philippe, bouche grande ou orifice de la lampe ; Barthélemi, fils de celui qui suspend les eaux ; Thomas, abîme ou jumeau ; Jacques, fils d’Alphée, qui supplante les pas de la vie ; Jude, confession, Simon, obéissance.

 

VV. 17—1 9.

S. Cyr. Après avoir choisi ses Apôtres, alors qu’il voyait rassemblée autour de lui une grande multitude de peuples de la Judée et aussi de la région maritime de Tyr et de Sidon (contrées dont les habitants étaient idolâtres), il les établit docteurs de tout l’univers ; pour affranchir les Juifs de la servitude de la loi, et rappeler des erreurs des Gentils à la connaissance de la vérité, ceux qui rendaient au démon un culte idolâtre : « Il descendit ensuite avec eux, et s’arrêta avec la troupe de ses disciples, et une grande multitude de peuple de toute la Judée, de Jérusalem et de la contrée maritime de Tyr et de Sidon. » — Bède. Cette région maritime, d’où venait cette multitude qui suivait le Sauveur, n’est point celle qui avoisinait la mer de Galilée, il n’y aurait eu en cela rien d’extraordinaire, mais c’était la région qui touche à la grande mer (et où pouvaient se trouver Tyr et Sidon), comme l’indique l’Évangéliste : « Et de Tyr et de Sidon. » Ces deux villes qui étaient habitées par des Gentils, sont expressément désignées pour faire ressortir la grandeur de la renommée et de la puissance du Sauveur, qui presse des villes idolâtres de venir lui demander la guérison de leurs maux et les enseignements de la vérité : « Qui étaient venus pour l’entendre. » — Théophyl. C’est-à-dire, pour la guérison de leurs âmes, et pour être délivrés de leurs infirmités, c’est-à-dire, pour la guérison de leurs corps. — S. Cyr. Après avoir choisi et désigné les saints Apôtres, Jésus voulant convaincre les Juifs et les Gentils rassemblés en grand nombre, que par ce choix il les avait élevés à la dignité de l’apostolat, et que lui-même était plus qu’un homme, qu’il était Dieu et le Verbe incarné, opéra devant eux plusieurs miracles éclatants : « Et tout le peuple cherchait à le toucher, parce qu’une vertu sortait de lui, » etc. En effet, Jésus-Christ n’avait pas recours à une puissance étrangère, mais comme il était Dieu par nature, il guérissait tous les malades en répandant sur eux sa propre puissance.

 

S. Ambr. Considérez attentivement toutes ces circonstances, comment Jésus monte avec les Apôtres et descend ensuite vers la foule, car la foule ne pouvait voir le Christ que dans un lieu peu élevé, elle ne peut le suivre sur les hauteurs, sur le sommet des montagnes, mais dès qu’il descend, il trouve des infirmes, car les infirmes ne peuvent se trouver sur les hauteurs. — Bède. Rarement vous verrez la foule suivre le Seigneur sur les hauteurs, ou un malade guéri sur une montagne ; mais quand la fièvre des plaisirs sensuels est éteinte, et le flambeau de la science divine allumé, chacun tend à s’élever successivement jusqu’au sommet élevé des vertus. La foule qui a eu le bonheur de toucher le Seigneur, est guérie par la vertu de cet attouchement, comme nous avons vu plus haut le lépreux guéri par l’attouchement du Seigneur. L’attouchement du Sauveur est donc un moyen certain de salut, le toucher, c’est croire fermement en lui, être touché par lui, c’est être guéri par sa grâce.

 

 

VV. 20—23.

S. Cyr. Après avoir choisi ses Apôtres, le Sauveur forme ses disciples à la nouveauté de la vie évangélique. — S. Ambr. Sur le point d’annoncer les divers oracles, il prend une attitude sublime. Le lieu où il se trouve est peu élevé, mais il lève bien haut les yeux  : « Alors levant les yeux vers ses disciples. » Qu’est-ce que lever les yeux, si ce n’est découvrir la lumière dont son âme était pleine ? — Bède. Il s’adressait à tous en général, cependant il lève plus particulièrement les yeux sur ses disciples, c’est-à-dire, qu’il verse en plus grande abondance la lumière de sa grâce intérieure sur ceux qui écoutent sa parole avec un coeur attentif et docile. — S. Ambr. Saint Luc ne rapporte que quatre béatitudes, tandis que saint Matthieu en compte huit, mais on peut dire que les huit renferment les quatre, comme aussi les quatre comprennent les huit. Saint Luc a voulu tout ramener aux quatre vertus cardinales, saint Matthieu, dans les huit béatitudes, nous donne la signification mystérieuse du nombre huit, car ce nombre huit est la perfection de notre espérance, et comprend aussi toutes les vertus. Les deux Évangélistes mettent la pauvreté en tête des autres béatitudes ; en effet, elle est la première et comme la mère des vertus, parce que celui qui méprisera les choses du temps, méritera celles de l’éternité, et s’il veut obtenir la gloire du royaume des cieux, il faut nécessairement qu’il se dégage de l’amour du inonde qui le presse de toutes parts : « Et il dit : Bienheureux les pauvres. » — S. Cyr. Dans l’Évangile selon saint Matthieu, nous lisons : « Bienheureux les pauvres d’esprit, » pour nous faire comprendre qu’il y a des pauvres d’esprit qui ont la modestie et l’humilité de l’intelligence, c’est dans ce sens que le Sauveur dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. » Ici, Notre-Seigneur dit simplement : « Bienheureux les pauvres, » sans ajouter « d’esprit, » c’est-à-dire, bienheureux les pauvres qui méprisent les richesses. Il convenait, en effet, que ceux qui devaient annoncer les vérités de l’Évangile du salut, n’eussent point un esprit cupide, et que leurs affections fussent placées en lieu plus élevé.

S. Bas. (Ps 33.) Cependant gardons-nous de croire que tous ceux que la pauvreté accable, aient part à cette béatitude, elle est réservée à ceux-là seuls qui sacrifient les richesses de la terre aux préceptes de Jésus-Christ. Combien, en effet, sont pauvres des biens de la terre, mais on ne peut plus cupides par leurs désirs ; la pauvreté ne les sauve point, mais leurs désirs sont la cause de leur damnation, car rien de ce qui est involontaire ne peut mériter le bonheur éternel, parce qu’on ne peut comprendre la vertu sans le libre arbitre. Bienheureux donc celui qui est pauvre, comme l’est un disciple de Jésus-Christ, qui a souffert pour nous la pauvreté, car le Seigneur a voulu accomplir le premier toutes les oeuvres qui conduisent à la béatitude, en se rendant le modèle de ses disciples. — Eusèbe. On parvient au royaume des cieux par plusieurs degrés de vertus ; or, le premier degré est franchi par ceux qui pratiquent la pauvreté pour plaire à Dieu, et Jésus fit cette grâce à ceux qui, les premiers, devinrent ses disciples. Aussi est-ce en s’adressant personnellement à ceux qui étaient devant lui et vers lesquels il avait levé les yeux, qu’il dit : « Parce que le royaume des cieux est à vous. »

S. Cyr. Après avoir recommandé la pratique de la pauvreté, il promet l’honneur et la gloire aux privations qu’elle impose. Or, comme ceux qui ont en partage la pauvreté manquent souvent des choses nécessaires, et peuvent à peine se procurer de quoi vivre, il affermit ses disciples contre la perspective d’une condition aussi pénible en leur disant : « Bienheureux vous qui maintenant avez faim. » — Bède. C’est-à-dire, bienheureux vous qui châtiez votre corps et le réduisez en servitude, qui vous livrez au ministère de la prédication en souffrant la faim et la soif, parce que vous jouirez un jour de l’abondance des joies célestes. — S. Grég. de Nysse. (Des béatit., disc. 4.) Dans un sens plus élevé, de même que, pour la nourriture matérielle, les goûts divers des hommes leur font préférer diverses espèces d’aliments ; de même pour ce qui est de la nourriture de l’âme, les uns recherchent un bien purement imaginaire, et les autres ce qui est naturellement bon. Aussi saint Matthieu proclame-t-il bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice comme d’une nourriture et comme d’un breuvage, justice qui n’est point la justice considérée comme vertu particulière, mais la justice universelle, et il proclame bienheureux celui qui a faim de cette justice. — Bède. Notre-Seigneur nous enseigne on ne peut plus clairement que nous ne devons jamais nous estimer assez justes, mais chercher à nous avancer de jour en jour dans la justice ; et ce n’est pas dans ce monde, mais dans la vie future que nous en serons pleinement rassasiés, suivant cette parole du Psalmiste : « Je serai rassasié lorsqu’apparaîtra votre gloire (Ps 16). » Aussi le Sauveur ajoute : « Parce que vous serez rassasiés. » — S. Grég. de Nysse. Il promet à ceux qui sont avides de la justice, l’abondance de tous les biens désirables, car aucune des voluptés qu’on recherche dans la vie ne peut rassasier ceux qui les poursuivent ; seul, le désir de la vertu est suivi d’une récompense qui répand dans l’âme une gloire sans limite comme sans durée.

S. Cyr. Une des suites de la pauvreté, c’est non seulement la privation de toutes les choses qui procurent quelque plaisir, mais encore la tristesse qu’elle répand sur le visage, c’est pourquoi il ajoute : « Bienheureux vous qui pleurez. » Il appelle bienheureux ceux qui pleurent, non pas ceux dont les yeux versent extérieurement des larmes (ce qui est commun aux fidèles et aux infidèles, quand le malheur les atteint), mais il proclame surtout bienheureux ceux qui fuient une vie légère toute plongée dans les vices et dans les voluptés de la chair, ceux qui ont horreur de ce qui fait les délices des hommes, et qui sont comme dans les pleurs par le dégoût et l’ennui que leur causent les vanités du monde. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) La tristesse qui est selon Dieu, est d’un grand prix à ses yeux, et elle obtient la pénitence qui conduit au salut. Aussi saint Paul, qui n’avait point de fautes personnelles à pleurer, versait des larmes pour les péchés d’autrui ; heureuses larmes qui deviennent une source de joie : « Parce que vous rirez. » Si, en effet, nos larmes sont inutiles à ceux pour qui nous les répandons, elles sont loin d’être perdues pour nous, car celui qui pleure ainsi les péchés des autres, à plus forte raison pleurera ses propres fautes, et se garantira plus facilement contre de nouvelles chutes. Gardons-nous donc de la dissolution pendant cette vie si courte, pour ne point nous exposer à des gémissements sans fin ; ne recherchons pas les plaisirs qui sont une source de larmes amères et de douleur profonde, mais affligeons-nous de cette tristesse qui engendre le pardon. Souvenons-nous, d’ailleurs, qu’on vit bien souvent le Seigneur pleurer, mais qu’on ne le vit point rire une seule fois. — S. Bas. (hom. sur l’act. de grâces.) Il promet la joie, le rire à ceux qui pleurent, non point sans doute ce rire extérieur qui sort des lèvres, mais une joie pure et sans mélange d’aucune tristesse.

 

Bède. Heureux donc celui qui, en vue du riche héritage de Jésus-Christ, du pain de la vie éternelle, de l’espérance, des joies célestes, désire les larmes, la faim, la pauvreté ; mais plus heureux celui qui pratique courageusement ces vertus au milieu de l’adversité : « Vous serez bienheureux quand les hommes vous haïront. » Les hommes peuvent vous haïr, mais la méchanceté de leur coeur ne peut atteindre un coeur aimé de Jésus-Christ. — Suite « Lorsqu’ils vous sépareront. » Qu’ils vous séparent, qu’ils vous chassent de la synagogue, Jésus-Christ saura bien vous trouver et vous fortifier : « Ils vous traiteront injurieusement. » Ils vous feront un outrage du nom du crucifié, mais lui-même ressuscite ceux qui meurent avec lui, et il les fait asseoir avec lui dans les cieux (Ep 2, 6 ;2 Tm 2, 2). — Suite. « Et ils rejetteront votre nom comme mauvais. » Il veut parler du nom des chrétiens que les Gentils et les Juifs se sont efforcés de détruire complètement, et que les hommes ont rejeté, sans aucun autre motif de haine que le Fils de l’homme, et parce que les fidèles ont choisi pour leur nom le nom même du Christ (Ac 11, 26). Il leur prédit donc qu’ils seront persécutés par les hommes, mais que le bonheur qui les attend est au-dessus de toute pensée humaine : « Réjouissez-vous en ce jour-là, et soyez transportés de joie, car voici que votre récompense est grande dans les cieux, » etc. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) La signification de ces mots beaucoup et peu, doit se mesurer par la grandeur et la dignité de celui qui les emploie. Or, quel est celui qui promet une grande récompense ? Un prophète ou un Apôtre, qui ne sont que des hommes, eussent estimé peut-être comme considérable ce qui ne l’était pas, mais ici celui qui promet cette grande récompense, c’est le Seigneur qui possède des trésors éternels et des richesses au-dessus de toute conception humaine. — S. Bas. Quelquefois encore le mot grand a une signification absolue comme dans ces propositions : Le ciel est grand, la terre est grande ; quelquefois une signification purement relative, comme lorsque nous disons qu’un cheval est grand, qu’un boeuf est grand, par comparaison avec d’autres animaux. Or, la récompense réservée à ceux qui sont en butte aux outrages pour Jésus-Christ sera grande, non par comparaison avec les choses de la terre, mais grande en elle-même et digne de la magnificence du Dieu qui la donne. — S. Jean Damasc. (De la log., chap. 40.) Tout ce qui peut être mesuré ou compté s’exprime d’une manière déterminée, mais on appelle grandes, considérables en général, les choses qui, par leur excellence, sont au-dessus de tout nombre et de toute mesure, et c’est ainsi que nous disons que la miséricorde de Dieu est grande.

Eusèbe. Notre-Seigneur arme ensuite les Apôtres pour le combat qu’ils devaient soutenir en prêchant l’Évangile par tout l’univers, et il ajoute : « C’est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes. » — S. Ambr. En effet, les Juifs persécutèrent les prophètes, jusqu’à leur ôter la vie. — Bède. Ceux qui disent la vérité sont ordinairement persécutés, mais jamais les anciens prophètes ne cessèrent d’annoncer la vérité par crainte de la persécution.

S. Ambr. « Bienheureux les pauvres. » Voilà la tempérance qui s’abstient du mal, foule aux pieds les choses du monde et ne recherche point les plaisirs séducteurs : « Bienheureux vous qui avez faim. » Voilà la justice, car celui qui a faim, a compassion de celui qui éprouve le même besoin, la compassion le rend charitable, la charité le rend juste, et sa justice demeure éternellement (Ps 111, 8). « Bienheureux vous qui pleurez. » Voilà la prudence qui pleure sur les choses périssables et mortelles, et s’attache aux biens de l’éternité. « Vous serez bienheureux quand les hommes vous haïront. » Voilà la force, non celle qui s’attire la haine par ses violences criminelles, mais celle qui souffre la persécution pour la foi. C’est ainsi que vous mériterez la couronne réservée à la souffrance, si vous méprisez la faveur des hommes pour ne rechercher que celle de Dieu. La tempérance produit donc la pureté du coeur, la justice produit la miséricorde, la prudence produit la paix, la force produit la douceur. Ces vertus sont unies et étroitement liées entre elles, de sorte que celui qui en possède une, paraît avoir toutes les autres. Les saints ont tous une vertu qui leur est propre, mais celle qui est plus féconde en fruits de salut, est aussi celle qui obtient la plus grande récompense. Quel amour de l’hospitalité, quelle humilité profonde dans Abraham ! mais comme il a brillé surtout par sa foi ! c’est à cette vertu qu’il doit son plus beau titre de gloire. Chacun donc peut obtenir plusieurs récompenses, parce qu’il a un grand nombre d’occasions de pratiquer les vertus ; mais la vertu dont la fécondité aura été plus grande, recevra aussi la récompense la plus magnifique.

 

VV. 24—26.

S. Cyr. Notre-Seigneur vient d’enseigner que la pauvreté supportée en vue de Dieu, est la cause de tout bien, et que la faim et les larmes auront droit à la récompense des saints ; il passe maintenant aux vices opposés à ces vertus, et les présente comme une cause de damnation et de supplice : « Malheur à vous, riches, qui avez votre consolation. » — S. Chrys. (hom. 17 sur la Gen.) Cette locution malheur s’adresse toujours dans l’Écriture à ceux qui ne peuvent échapper au supplice de la vie future. — S. Ambr. L’abondance des richesses est la source de bien des séductions coupables, mais aussi de bien des inspirations vertueuses. Quoique la vertu ne recherche pas l’opulence, et que l’aumône du pauvre soit plus agréable à Dieu que la libéralité du riche ; cependant ce ne sont point ceux qui ont des richesses, mais ceux qui ne savent point en faire usage qui sont atteints par la sentence divine. En effet, le pauvre a d’autant plus de mérite, qu’il donne par un mouvement spontané du coeur ; et le riche est d’autant plus coupable, qu’il devait rendre grâce à Dieu de ce qu’il a reçu, et ne point réserver inutilement une fortune qui ne lui a été donnée que pour l’utilité commune. Ce ne sont donc point les richesses qui sont mauvaises, c’est l’attachement aux richesses qui est coupable. Et quoiqu’il n’y ait pas de plus grand tourment pour l’avare que d’entasser avec crainte et inquiétude des trésors dans l’intérêt de ses héritiers, cependant, parce que ses désirs d’amasser ont pour lui quelque attrait, il est juste que ceux qui ont la consolation de la vie présente, perdent les joies de la vie éternelle. Ces riches peuvent être aussi la figure du peuple juif ou des hérétiques, ou plutôt des pharisiens qui, se complaisant dans l’abondance des paroles et dans l’éloquence prétentieuse de leurs discours, ont dépassé la simplicité de la vraie foi et amassé des trésors inutiles.

 

« Malheur à vous qui êtes rassasiés, parce que vous aurez faim. » — Bède. Ce riche, vêtu de pourpre, se rassasiait en s’asseyant tous les jours à des tables splendidement servies, mais il souffrit ensuite ce cruel malheur, lorsque dévoré par la soif, il demandait que Lazare trempât le bout de son doigt dans l’eau pour rafraîchir sa langue. — S. Bas. L’Apôtre prouve la nécessité de la tempérance, en la plaçant parmi les fruits de l’Esprit (Ga 5). En effet, voulez-vous dompter votre corps ? point de moyen plus puissant que la tempérance, elle est comme un frein à l’aide duquel nous devons modérer l’ardeur de la jeunesse. La tempérance est donc la mort des crimes, l’apaisement des passions, le principe de la vie spirituelle, elle émousse l’aiguillon des plaisirs séducteurs. Néanmoins, pour éviter d’être confondus avec les ennemis de Dieu, nous devons, lorsque les circonstances l’exigent, accepter ce qui nous est présenté, pour montrer que tout est pur pour ceux qui sont purs, et user des choses nécessaires à la vie, en nous interdisant tout ce qui peut favoriser la volupté. D’ailleurs, tous ne peuvent pas s’imposer la même heure, ni la même manière, ni la même mesure dans la pratique de la tempérance, mais tous doivent avoir la même intention, de ne point aller jusqu’à la satiété, car la réplétion de l’estomac rend le corps lui-même impuissant à remplir ses fonctions, l’appesantit et le dispose au mal. — Bède. Ou encore, si ceux qui ont faim des oeuvres de justice, sont heureux, combien sont malheureux, au contraire, ceux qui cherchent à satisfaire tous leurs désirs, et n’éprouvent aucune faim du bien véritable.

« Malheur à vous qui riez, » etc. — S. Bas. Puisque le Seigneur menace ici ceux qui rient, il est donc évident que dans aucun temps, le vrai fidèle ne doit s’abandonner au rire, à la vue surtout de la multitude si grande de ceux qui meurent dans le péché et sur lesquels il faut bien plutôt verser des larmes. D’ailleurs, le rire immodéré est le signe d’un esprit déréglé et d’une âme désordonnée ; toutefois il n’est pas défendu de manifester la joie intérieure, en donnant au visage une certaine expression de gaieté. — S. Chrys. Mais dites-moi pourquoi cette dissipation, ces rires immodérés dans un chrétien qui doit paraître au terrible jugement de Dieu, et rendre compte de tout ce qu’il a fait ici-bas ?

Bède. La flatterie nourrit le péché, et, semblable à l’huile qui excite le feu, elle fournit un aliment à l’ardeur du mal ; aussi Notre-Seigneur ajoute : « Malheur à vous, quand les hommes vous loueront, » etc. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Cette recommandation n’est point opposée à ces autres paroles du Sauveur : « Que votre lumière luise devant les hommes (Mt 5). » En effet, nous devons avoir un saint empressement à faire le bien pour la gloire de Dieu, et non pour notre propre gloire, car rien de plus funeste que la vaine gloire, elle engendre l’injustice, le désespoir et l’avarice, mère de tous les maux. Si donc vous voulez éviter ces funestes effets, tenez vos regards constamment tournés vers Dieu, et contentez-vous de la gloire qui vient de lui. Car, si, en toute espèce de chose, on doit choisir les plus savants pour experts et pour arbitres, comment pourriez-vous confier l’appréciation de votre vertu aux hommes plutôt qu’à Dieu, qui la connaît mieux qu’eux tous, qui en est à la fois l’auteur et la récompense ? Si vous désirez la gloire qui vient de Dieu, fuyez donc les louanges des hommes, car nul n’a plus de droit à notre admiration que celui qui dédaigne la gloire, et si tels sont nos sentiments, à plus forte raison, ceux du souverain Maître de toutes choses. Considérez, d’ailleurs, que la gloire des hommes passe bien vite, parce que le cours rapide du temps la fait tomber dans l’oubli.

 

« Car c’est ainsi que leurs pères faisaient aux faux prophètes. » — Bède. Les faux prophètes sont ainsi appelés, parce qu’ils s’efforçaient de prédire l’avenir pour gagner la faveur du peuple. Or, Notre-Seigneur n’a proclamé sur la montagne que les béatitudes des bons, tandis que, descendu dans la plaine, il prédit aussi les supplices des réprouvés, parce que les auditeurs encore ignorants et grossiers, ont besoin d’être poussés dans la voie du bien par la crainte des châtiments, tandis qu’il suffit pour les parfaits, de les inviter par l’attrait des récompenses. — S. Ambr. Remarquez encore que saint Matthieu attire les peuples à la foi et à la vertu par la perspective des récompenses, tandis que saint Luc cherche à les éloigner des crimes par la menace des châtiments.

 

VV. 21—31.

Bède. Après avoir prédit à ses disciples ce qu’ils pourraient avoir à souffrir de la part de leurs ennemis, il leur apprend maintenant la conduite qu’ils devront tenir à l’égard de ces mêmes ennemis : « Mais je vous dis, à vous qui m’écoutez. » — S. Ambr. Ce n’est point sans raison qu’il a fait précéder d’actions toute célestes d’aussi sublimes enseignements. Il voulait enseigner aux peuples, fortifiés par ces miracles de la puissance divine, à s’avancer comme sur les pas de ces prodiges, au delà des limites étroites de la loi. D’ailleurs, de ces trois grandes vertus, la foi, l’espérance et la charité, c’est la charité qui est la première (1 Co 13, 13 ; Ct 1, 4), et c’est elle que le Sauveur nous recommande, lorsqu’il dit : « Aimez vos ennemis. » — S. Bas. (règles abrég., rép. à la quest., 176.) C’est le propre des ennemis de nuire et de tendre des embûches ; tous ceux donc qui, de quelque manière que ce soit, cherchent à nuire quelqu’un, sont ses ennemis. — S. Cyr. Il fallait pénétrer de ces divins enseignements les saints docteurs qui devaient prêcher la parole du salut par tout l’univers ; car s’ils s’étaient laissé aller à tirer vengeance de leurs persécuteurs, jamais ils ne les auraient appelés à la connaissance de la vérité. — S. Chrys. (hom. 48 sur S. Matth.) Il ne dit pas : Ne haïssez point, mais : « Aimez, » et non seulement : « Aimez, » mais : « Faites du bien à ceux qui vous haïssent. » — S. Bas. Or, l’homme étant composé d’une âme et d’un corps, nous faisons du bien à l’âme de nos ennemis en les reprenant, en les avertissant, en les amenant, comme par la main, à se convertir à une vie meilleure, et nous faisons du bien à leur corps, en leur procurant les choses nécessaires à la vie.

« Faites du bien à ceux qui vous maudissent. » — S. Chrys. Ceux qui blessent ainsi leur âme sont bien plus dignes de larmes amères que de malédictions ; quoi de plus détestable, en effet, qu’une âme d’où sortent les malédictions, quoi de plus immonde que la langue qui les profère ? O homme, ne distillez pas ainsi le venin de l’aspic, ne vous changez pas en bête féroce ; Dieu vous a donné la bouche, non pour déchirer, mais pour guérir les plaies de vos frères ; et quant à vos ennemis, il vous ordonne de les mettre au rang de vos amis, et de vos amis les plus chers, de ceux pour lesquels vous avez coutume de prier : « Priez pour ceux qui vous persécutent, » etc. Mais, au contraire, la plupart de ceux qui se prosternent la face contre terre, les mains étendues, au lieu de supplier Dieu de leur pardonner leurs crimes, l’implorent contre leurs ennemis, c’est-à-dire qu’ils se percent de leurs propres mains. Quoi, vous priez celui qui a défendu les imprécations contre les ennemis, d’écouter les malédictions que vous proférez contre eux, et vous espérez d’être exaucés, vous qui provoquez sa juste colère, en frappant votre ennemi devant son roi ? car vous le frappez réellement, sinon avec la main, au moins par vos paroles. Que faites-vous donc, ô homme ? Vous venez implorer le pardon de vos péchés, et votre bouche est remplie d’amertume, ah ! croyez-moi, c’est le temps de la pacification, de la prière, des gémissements, et non celui de la fureur. — Bède. Mais on se demande alors, pourquoi nous trouvons dans les prophètes tant d’imprécations contre les ennemis ? Nous répondons que, par ces imprécations, les prophètes ont simplement prédit ce qui devait arriver ; ainsi ce n’étaient point des voeux qui exprimaient leurs désirs, mais des prédictions qui leur étaient révélées par l’Esprit saint.

 

S. Cyr. L’ancienne loi défendait toute offense envers le prochain, ou si on en avait été offensé le premier, elle défendait de dépasser dans la vengeance la mesure de l’offense qu’on avait reçue ; mais la perfection ne se trouve ici que dans Jésus-Christ et dans ses commandements : « A celui qui vous frappe sur une joue, présentez encore l’autre. » En effet, lorsque les médecins reçoivent des coups de pieds des furieux qu’ils cherchent à guérir, leur compassion pour ces malheureux redouble, et ils s’appliquent avec plus de zèle à leur guérison ; telle est la conduite que vous devez tenir à l’égard de ceux qui vous persécutent ; car ce sont eux surtout qui sont malades, ne cessez donc point de leur prodiguer des soins, jusqu’à ce qu’ils aient vomi toute l’amertume de leur âme ; alors ils vous rendront grâces, et Dieu lui-même vous couronnera, pour avoir délivré votre frère d’une maladie des plus funestes. — S. Bas. (sur Is 1, 23.) Presque tous les hommes transgressent ce commandement, surtout les puissants et les princes, non seulement quand on les outrage, mais encore quand on leur manque de respect ; ils regardent comme des ennemis tous ceux qui ne leur rendent pas les honneurs dont ils se croient dignes. Or, c’est une grande honte pour un prince que de céder si facilement à la vengeance ; comment, en effet, pourra-t-il enseigner aux autres à ne point rendre le mal pour le mal (Rm 12), lui qui est si prompt à se venger de ceux qui l’offensent ?

S. Cyr. Le Seigneur veut encore que nous professions un grand mépris pour les biens que nous possédons : « Celui qui vous prend votre manteau, laissez-le prendre aussi votre tunique. » Voilà la vertu d’une âme entièrement exempte de la passion et du désir des richesses ; en effet, celui qui est miséricordieux, doit oublier le mal qu’on lui fait, et abandonner à ses ennemis ce qu’il donnerait à ses meilleurs amis. — S. Chrys. (hom. 18 sur S. Matth.) Le Sauveur ne dit pas : Supportez humblement la violence de celui qui vous outrage ; mais procédez avec sagesse, et préparez-vous à souffrir tout le mal qu’il veut vous faire ; dominez son insolence par une prudence à toute épreuve, et faites qu’il se retire couvert de honte à la vue de votre patience inaltérable. Vous me direz, comment pouvoir mettre en pratique ce précepte ? Quoi ! en voyant celui qui s’est fait homme et qui a tant souffert pour vous, vous hésitez encore, et vous demandez comment on peut pardonner à ses frères les outrages dont ils se sont rendus coupables ? Mais qui donc d’entre vous a jamais souffert d’aussi grands outrages que votre Seigneur, chargé de chaînes, flagellé de coups, couvert de crachats, et enfin mis à mort ? Il ajoute : « Donnez à quiconque vous demande. » — S. Aug. (serm. du Seig., 1, 40.) Il ne dit pas : Donnez-leur tout ce qu’ils demandent, mais : « Tout ce que vous pouvez leur donner d’après les règles de la justice et de la bienséance, » c’est-à-dire ce qui n’est nuisible ni pour lui ni pour vous, autant qu’il est possible à l’homme de le prévoir ; et lorsque vous lui refusez justement ce qu’il demande, il faut lui faire apprécier la justice de ce refus, et souvent vous lui ferez un présent bien supérieur à ce qu’il désire, en lui faisant comprendre l’injustice de sa demande. — S. Chrys. Nous nous rendons souvent grandement coupables, non seulement en ne donnant pas à ceux qui nous demandent, mais en les accablant de reproches. Pourquoi, dites-vous, ne travaille-t-il point ? pourquoi vit-il dans l’oisiveté ? Dites-moi, et vous-même, est-ce par votre travail que vous avez acquis les biens que vous possédez ? et si vous travaillez, est-ce pour acquérir le droit de blâmer les autres ? Quoi ! parce qu’un homme vous demande du pain et de quoi se vêtir, vous l’accusez de cupidité ? Ne lui donnez rien, soit, mais au moins ne l’outragez pas ; vous êtes sans pitié pour lui, pourquoi vouloir éteindre la compassion dans le coeur de ceux qui voudraient le secourir. Si nous donnons à tous indifféremment, nous pratiquons toujours la miséricorde. C’est parce qu’Abraham exerçait l’hospitalité à l’égard de tous, qu’il mérita de recevoir des anges. Celui qui vous demande est un homicide, un brigand, n’est-il pas au moins digne que vous lui donniez du pain ? Ne nous érigeons donc jamais en censeurs sévères des autres, si nous ne voulons être jugés aussi avec la même sévérité.

 

« Si l’on vous ravit votre bien, ne le réclamez pas. » — S. Chrys. (Hom. 10 sur la 1re Épître aux Corinth.) C’est de Dieu que nous recevons tout ce que nous avons ; nous disons le mien, le tien, mais ce sont de vains mots. Vous dites que votre maison vous appartient, c’est une parole dépourvue de sens ; car l’air, la terre, les pierres appartiennent au Créateur, aussi bien que vous qui avez construit la maison. J’admets que vous en ayez la jouissance, avec quelle incertitude, tant à cause de la mort, que par suite de la vicissitude des choses humaines ? Votre vie même ne vous appartient pas, à quel titre vos biens seraient-ils à vous ? Cependant Dieu veut que les biens qu’il vous a confiés, deviennent votre propriété, mais à la condition que vous les partagerez avec vos frères ; si au contraire, vous ne les prodiguez que pour votre utilité personnelle, ils cessent d’être à vous. Or, comme le désir déréglé des richesses est une source de discussions et de procès, Notre-Seigneur fait cette recommandation : « Ne redemandez pas votre bien à celui qui vous le ravit. » — S. Aug. (disc. du Seig., 1, 26.) Il veut parler ici des vêtements, des habitations, des terres, des animaux, et en général de tous les biens. Un chrétien qui possède un esclave, ne doit pas l’assimiler à la possession d’un cheval ou de l’argent ; cependant si vous traitez votre esclave avec plus d’égards que celui qui veut vous l’enlever, je ne sais si quelqu’un oserait dire qu’il ne vous est point permis de le revendiquer.

S. Chrys. Nous avons tous en nous une loi naturelle qui nous fait discerner le vice et la vertu, le bien d’avec le mal ; aussi Notre-Seigneur ajoute : « Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pareillement pour eux. » Il ne dit pas : Ne faites point vous-mêmes ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse. Il y a bien, en effet, deux voies qui conduisent à la vertu, s’abstenir du mal et faire le bien ; le Sauveur se contente de parler de la seconde voie qui, dans son esprit, renferme la première. Or, s’il s’était exprimé de la sorte : Voulez-vous être des hommes ? aimez les animaux, ce commandement serait assez difficile, mais il nous commande d’aimer nos semblables, pour lesquels il nous a donné une inclination naturelle, où est donc la difficulté de cette loi que nous voyons observée par les lions et les loups eux-mêmes, qu’un instinct naturel porte à s’aimer entre eux. Notre-Seigneur Jésus-Christ ne nous commande donc rien qui soit au-dessus de notre nature, il ne fait que renouveler ce qu’il a gravé lui-même dans notre conscience, et il veut que votre propre volonté devienne votre loi ; vous voulez qu’on vous fasse du bien, faites-en aux autres ; vous voulez qu’on ait compassion de vous, commencez par avoir compassion du prochain.

 

VV. 32-37.

S. Chrys. Le Seigneur venait de commander l’amour des ennemis, mais n’allez pas croire qu’il parle ici hyperboliquement et pour inspirer un sentiment de crainte ; car écoutez la raison de ce commandement : « Et si vous aimez ceux qui vous aiment, quel est votre mérite ? » Plusieurs causes concourent à former les affections, mais l’affection spirituelle est supérieure à toutes les autres, elle ne reconnaît pour principe et pour cause, rien de terrestre, ni les bienfaits, ni la nature, ni le temps, mais elle descend directement du ciel. Quoi d’étonnant qu’elle se forme indépendamment de tout bienfait, puisqu’elle ne peut être ébranlée par les mauvais traitements ? Un père outragé, rompt les liens d’amour qui l’attachaient à son épouse ; une femme se sépare de son mari à la suite de querelles domestiques ; un enfant regarde comme un fardeau un père dont les jours se prolongent dans un âge avancé ; mais, au contraire, saint Paul allait vers ceux qui voulaient le lapider pour leur faire du bien (Ac 14) ; Moïse tourmenté, et comme lapidé par les Juifs, se venge en priant pour eux. (Ex 17.) Ayons donc une profonde vénération pour les amitiés spirituelles, parce qu’elles sont indissolubles. Notre-Seigneur ajoute, pour stimuler les indifférents : « Les pécheurs aiment aussi ceux qui les aiment, » comme s’il disait : Je veux que vous vous éleviez à une vertu plus éminente, voilà pourquoi je vous commande d’aimer non seulement vos amis ; mais même vos ennemis ; car il est naturel à tous les hommes de faire du bien à ceux qui leur en font. Il leur apprend donc qu’il exige d’eux plus qu’il n’est ordinaire aux pécheurs de faire, quand ils se montrent bienfaisants pour leurs amis : « Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel est votre mérite ?

 

Bède. Ce n’est pas seulement l’affection et les bienfaits des pécheurs qu’il déclare sans mérite et sans fruit, mais aussi le prêt fait dans les mêmes conditions. « Et si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir, quel est votre mérite ? Car les pécheurs eux-mêmes prêtent à leurs semblables, pour en recevoir l’équivalent. »

 

S. Ambr. La philosophie divise la justice en trois parties, l’une qui a Dieu pour objet et qu’on appelle religion ; la seconde, qui comprend les devoirs envers les parents et le reste du genre humain ; la troisième, qui s’étend aux morts, et nous oblige de leur rendre convenablement les derniers devoirs. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, s’élevant au-dessus des prescriptions de la loi et des oracles des prophètes, étend l’obligation de faire du bien jusqu’à ceux qui nous ont fait tort : « Pour vous, aimez vos ennemis, » etc. — S. Chrys. En agissant ainsi, vous ferez beaucoup plus pour vous que pour eux-mêmes ; quant à eux, ils ont l’affection de leur semblable, mais pour vous, vous devenez semblable à Dieu. Or, c’est un acte de grande puissance, que de combler de nos bienfaits ceux qui cherchent à nous faire du mal, comme Notre-Seigneur nous le recommande ; car, comme l’eau jetée sur une fournaise ardente, suffit pour l’éteindre, tel est l’effet de la raison jointe à la douceur ; en effet l’humilité et la douceur sont à la colère, ce que l’eau est au feu, et de même que le feu ne peut éteindre le feu, ainsi la colère ne peut apaiser la colère.

 

S. Grég. de Nysse. (disc. contre les usur.) L’homme doit éviter cette damnable cupidité qui lui fait demander à l’indigent un produit de l’or ou de l’argent qu’il lui prête, et exiger les fruits d’un métal stérile, c’est le sens de cette recommandation : « Prêtez sans en espérer rien, » etc. Celui qui traitera de vol et d’homicide la funeste invention de l’usure, ne se trompera pas ; car quelle différence entre celui qui perce les murs pour s’emparer du bien qui ne lui appartient pas, et celui qui s’approprie le gain illicite, produit par l’argent qu’il a prêté ? — S. Bas. Dans la langue grecque, ce genre d’avarice est justement appelé τόχος, enfantement, à cause de sa malheureuse et coupable fécondité. En effet, ce n’est qu’avec le temps que les animaux grandissent et se reproduisent, mais à peine l’usure a pris naissance, qu’elle devient féconde. Les animaux les plus précoces à se reproduire, cessent aussi plutôt d’engendrer ; mais l’argent des avares ne fait que se multiplier d’années en années. Les animaux, en transmettant à leurs petits la faculté d’engendrer, cessent eux-mêmes d’engendrer, mais l’argent des avares produit continuellement de nouveaux fruits, et renouvelle les premiers. Ne vous exposez donc point aux mortelles atteintes de ce monstre cruel. Que vous servirait-il, en effet, d’éviter l’indigence actuelle, si elle doit revenir bientôt fondre sur vous, plus grande et plus écrasante ? Demandez-vous comment vous pourrez rendre ce que vous empruntez ; comment l’argent pourra se multiplier assez dans vos mains, pour qu’une partie vous soulage de votre indigence, qu’une autre représente et conserve le capital, et qu’une troisième produise l’intérêt. Mais me direz-vous, comment faire pour vivre ? Travaillez, mettez-vous en service, mendiez enfin s’il le faut, tout est préférable à un emprunt usuraire. Vous me direz encore : Qu’est-ce que le prêt sans espérance d’intérêt ? Méditez la vertu de la parole divine, et vous admirerez la miséricorde de son auteur. Lorsque vous donnez au pauvre pour l’amour de Dieu, vous faites à la fois un prêt et un don ; un don, car vous n’espérez point d’intérêt ; un prêt, parce que la bonté de Dieu se charge de vous rendre ce que vous donnez au pauvre, comme le Sauveur vous en assure : « Car votre récompense sera grande. » Est-ce que vous refuseriez d’avoir le Tout-Puissant pour caution et pour débiteur ? Quoi ! vous acceptez la caution d’un homme riche, et vous refuseriez la caution que Dieu vous donne pour le pauvre ? — S. Chrys. (hom. 3 sur la Genèse.) Considérez l’admirable nature du prêt : L’un reçoit, et c’est un autre qui s’oblige à payer ce qu’il doit, c’est-à-dire le centuple dans le temps présent, et après cette vie, la vie éternelle.

 

S. Ambr. Quelle est grande la récompense de la miséricorde, puisqu’elle nous donne droit à l’adoption divine : « Et vous serez les enfants du Très-Haut. » Pratiquez donc la miséricorde, pour mériter la grâce qui lui est promise. La bonté de Dieu s’étend sur tous les hommes, il fait tomber la pluie sur les ingrats, la terre féconde ne refuse pas ses fruits aux méchants : « Car il est bon aux ingrats et aux méchants. » — Bède. Soit qu’il leur donne les biens temporels, soit qu’il inspire, par sa grâce, le goût des biens célestes.

 

S. Cyr. Quelles sont donc grandes les prérogatives de la miséricorde ! elle nous rend semblables à Dieu, elle imprime dans notre âme comme le sceau de la nature divine : « Soyez donc miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux, » etc. — S. Athan. (disc. 4 contre les Ariens.) C’est-à-dire que la considération des bienfaits qu’il répand sur les hommes, doit nous porter à leur faire du bien, non point en vue des hommes, mais en vue de Dieu, afin d’obtenir de lui seul, et non pas des hommes, la récompense de nos oeuvres de charité.

 

VV. 37-38.

S. Ambr. Notre-Seigneur condamne ensuite le jugement téméraire, et vous défend de vous rendre les juges des autres, alors que votre conscience vous accuse vous-même : « Ne jugez point. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ne jugez pas ceux qui sont placés au-dessus de vous ; disciples, ne jugez pas vos maîtres ; pécheurs, ne jugez pas ceux qui sont innocents ; contentez-vous, sans leur faire de reproches, de les avertir et de les corriger avec charité. Gardez-vous aussi de juger dans les choses incertaines et douteuses qui n’ont pas le caractère du mal, où qui ne sont ni graves ni défendues. — S. Cyr. Notre-Seigneur veut réprimer ici cette détestable passion qui domine nos âmes, et qui est le principe et l’origine de nos superbes mépris. On en voit, en effet, un grand nombre qui, au lieu de s’observer eux-mêmes, et de vivre selon les prescriptions de la loi de Dieu, ne s’occupent qu’à examiner la conduite des autres ; et dès qu’ils y surprennent quelques faiblesses, oubliant leurs propres passions, ils en font le sujet de leurs conversations malignes. — S. Chrys. (lettre à Démét.) A peine trouverez-vous un seul homme (père de famille ou vivant dans le cloître), qui soit exempt de ce défaut ; cependant, ce sont là autant de tentations dangereuses du démon ; car celui qui juge sévèrement les fautes d’autrui, n’obtiendra jamais le pardon de ses propres fautes : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés. » En effet, celui qui est doux et miséricordieux pour les autres, a beaucoup moins à craindre pour ses péchés ; mais celui qui est dur et sévère pour ses frères, ajoute à ses propres crimes. — S. Grég. de Nysse. Ne vous hâtez donc pas de juger rigoureusement vos serviteurs, si vous ne voulez être traités de même ; car par ce jugement sévère vous vous attirez une condamnation plus rigoureuse : « Ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. » Notre-Seigneur ne défend donc pas le jugement accompagné de clémence et suivi du pardon. — Bède. Le Sauveur résume ensuite, dans une courte sentence, tous les commandements qu’il avait faits sur les rapports que nous devons avoir avec nos ennemis : « Pardonnez, et il vous sera pardonné, » etc. C’est-à-dire qu’il nous ordonne de pardonner les injures, et de répandre des bienfaits sur nos ennemis, si nous voulons obtenir le pardon de nos péchés, et la vie éternelle pour récompense.

 

S. Cyr. Il nous montre ensuite avec quelle munificence, avec quelle libéralité nous serons récompensés par le Dieu qui donne avec largesse à ceux qui l’aiment : « Ils verseront dans votre sein une bonne mesure, pressée et remuée, et se répandant par dessus les bords. » — Théophyl. C’est-à-dire : De même que pour mesurer largement une mesure de farine, vous la pressez, vous l’agitez, et vous en versez jusqu’à la faire déborder ; de même le Seigneur versera dans votre sein une mesure abondante, et qui, pour ainsi dire, se répandra par dessus les bords. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 8.) Il dit : « Ils verseront, » car ils recevront la récompense céleste par les mérites de ceux auxquels ils auront donné, ne fût-ce qu’un verre d’eau froide, parce qu’ils étaient disciples de Jésus-Christ. (Mt 10, 42.)

« On usera pour vous de la même mesure dont vous aurez usé pour les autres, » etc. — S. Bas. La mesure dont chacun de vous se sert dans le bien qu’il opère, comme dans le mal qu’il commet, sera aussi la mesure des récompenses ou des châtiments qu’il recevra. — Théophyl. Mais peut-être nous fera-t-on cette question tant soit peu subtile : Si la récompense est si abondante, comment peut-on dire qu’elle est égale à la mesure dont nous nous sommes servi ? Nous répondons que Notre-Seigneur ne dit point : Il vous sera donné dans une mesure égale en quantité, mais : « Dans la même mesure. » Vous avez bien agi, on agira bien à votre égard, ce qui est rendre la même mesure ; mais Notre-Seigneur dit que cette mesure sera surabondante, parce qu’il rendra mille fois plus de bien qu’on en a fait. Il en est de même pour le jugement ; celui qui juge, et qui est ensuite jugé, reçoit dans la même mesure, mais il sera jugé plus sévèrement qu’il n’a jugé lui-même son semblable ; en cela la mesure est surabondante. — S. Cyr. L’Apôtre résoud cette difficulté, lorsqu’il dit : « Celui qui sème peu (c’est-à-dire en petite quantité et d’une main avare), moissonnera peu (c’est-à-dire une moisson peu abondante) ; et celui qui sème dans les bénédictions, moissonnera aussi dans les bénédictions (c’est-à-dire avec abondance.) » (2 Co 9, 6.) Si on ne possède rien, on n’est pas coupable en ne donnant point ; car Dieu nous tient compte des biens que nous avons, et non de ceux qui ne sont pas en notre possession.

 

VV. 39—42.

S. Cyr. Notre-Seigneur ajoute aux enseignements qui précèdent une parabole bien nécessaire : « Il leur faisait aussi cette comparaison. » En effet, ses disciples étaient appelés à devenir les docteurs du monde ; ils devaient donc connaître toutes les règles d’une vie sainte, et répandre les clartés d’une lumière toute divine, pour éviter d’être des aveugles servant de guide à d’autres aveugles. Il leur dit donc : « Un aveugle peut-il conduire un autre aveugle ? » S’il arrive à quelques-uns d’atteindre au même degré de vertu que ceux qui les enseignent, qu’ils se contentent de cette mesure, et marchent toujours sur les traces de leurs maîtres ; car, dit Notre-Seigneur : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître. » Aussi saint Paul dit aux Philippiens : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ. » (Ph 3.) Pourquoi donc voulez-vous juger les autres, alors que Jésus-Christ ne juge pas ? Car il n’est pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. (Jn 3.) — Théophyl. Ou encore, si vous jugez les autres, et que vous soyez coupable des mêmes fautes, ne ressemblez-vous pas à l’aveugle qui conduit un autre aveugle ? Comment le conduirez-vous au bien, alors que vous suivez la voie du mal ? Le disciple n’est point au-dessus du. maître. Si donc vous ne savez éviter le péché, vous qui vous décernez le titre de maître et de conducteur, que deviendra celui qui devient votre disciple et se place sous votre conduite ? Car tout disciple sera parfait, s’il est comme son maître. — Bède. Ou bien le sens de ces paroles dépend des enseignements qui précèdent, où Notre-Seigneur recommande de donner l’aumône et de pardonner les injures. Si vous vous laissez aveugler par la colère contre celui qui vous fait violence, et par l’avarice à l’égard de celui qui vous demande du secours, comment, dans cette disposition coupable de votre âme, pourrez-vous les guérir de leurs propres vices ? Voyez Jésus-Christ, notre Maître ; il était Dieu, il pouvait venger les injures qui lui étaient faites, et cependant il a préféré adoucir la fureur de ses ennemis en les supportant avec patience ; n’est-il donc pas nécessaire que ses disciples, qui ne sont que des hommes, suivent la même règle de perfection. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 9.) Ou bien encore, Notre-Seigneur, par ces paroles : « Est-ce qu’un aveugle peut conduire un autre aveugle ? » veut leur ôter l’espoir de recevoir des lévites cette mesure dont il a dit : « Ils verseront dans votre sein, » etc. En effet, ils payaient les décimes à ceux que le Sauveur appelle des aveugles, parce qu’ils ne recevaient pas l’Évangile. Il veut donc que le peuple commence à attendre cette récompense des disciples du Seigneur, qu’il déclare être ses imitateurs en disant : « Le disciple n’est point au-dessus du maître. »

 

Théophyl. Le Seigneur ajoute une autre parabole qui a le même objet : « Pourquoi voyez-vous une paille (c’est-à-dire une faute légère dans l’oeil de votre frère), tandis que vous n’apercevez pas la poutre, (c’est-à-dire les fautes énormes) qui sont dans votre oeil ? » — Bède. Cette comparaison fait suite à la précédente, où le Sauveur nous déclare qu’un aveugle ne peut servir de guide à un autre aveugle, (c’est-à-dire qu’un pécheur ne peut être repris par un autre pécheur) ; Notre-Seigneur ajoute donc : « Comment pouvez-vous dire à votre frère : Mon frère, laissez-moi ôter la paille de votre oeil, vous qui ne voyez pas la poutre qui est dans le vôtre ? » — S. Cyr. C’est-à-dire : Comment celui dont la conscience est chargée de crimes énormes (figurés par la poutre) peut-il condamner celui qui n’en a que de légers, ou même qui n’en a aucun à se reprocher ? car c’est ce que la paille signifie. — Théophyl. Cette leçon s’adresse à tous, mais surtout aux docteurs qui punissent sévèrement, dans leurs disciples, les moindres fautes, tout en s’accordant le bénéfice de l’impunité pour les plus grandes ; c’est ce qui leur attire de la part du Seigneur le reproche d’hypocrisie, parce qu’ils jugent sévèrement les péchés d’autrui pour faire ressortir leur propre justice : « Hypocrites, ôtez d’abord la poutre de votre oeil, » etc. — S. Cyr. C’est-à-dire purifiez-vous d’abord de ces crimes énormes qui souillent votre conscience, et alors vous pourrez vous montrer zélé pour corriger votre frère de ses fautes légères. — S. Bas. (hom. 9 sur l’Hexam.) La connaissance de soi-même est en effet de la dernière importance ; l’oeil qui considère les choses extérieures, ne peut voir ce qui se passe en lui-même ; ainsi en est-il de notre esprit, lorsqu’il est prompt à juger les péchés d’autrui, il devient lent à découvrir ses propres défauts.

 

VV. 43-45.

Bède. Notre-Seigneur continue à parler ici contre les hypocrites : « L’arbre qui produit de mauvais fruits, n’est pas bon, » etc. ; paroles dont voici le sens : Si vous voulez avoir une vertu véritable et sincère, montrez-vous dans les oeuvres ce que vous êtes en paroles ; car l’hypocrite qui se couvre du masque de la vertu, n’est cependant pas vertueux, s’il fait le mal ; et s’il ose reprendre un innocent, ses reproches ne le rendent pas pour cela mauvais, puisqu’il fait le bien. — Tite de Bost. Que ces paroles ne favorisent point votre négligence, un arbre est soumis aux lois qui régissent la nature végétale ; pour vous, au contraire, vous avez l’usage de votre libre arbitre ; tout arbre stérile a été créé pour une fin particulière ; pour vous, vous avez été créé pour pratiquer la vertu. — S. Isid. (Liv. 4, lettre 81.) Ce n’est point le repentir, mais la persévérance dans le mal, que le Sauveur condamne par ces paroles ; tant que la disposition de l’âme reste mauvaise, elle ne peut produire de bons fruits ; mais si elle se tourne du côté du bien, alors elle produit des fruits de vertu. La nature de l’arbre s’appelle en nous l’affection, aussi elle peut ce qui est impossible à un arbre mauvais, c’est-à-dire produire de bons fruits.

 

S. Chrys. (Hom. 43 sur S. Matth.) Quoique le fruit naisse de l’arbre, il le fait néanmoins connaître, en ce sens, que la nature, l’espèce d’un arbre se distinguent par ses fruits. — S. Cyr. Ainsi la vie de tout homme est l’expression véritable de ses moeurs, car ce n’est point aux ornements extérieurs, aux dehors d’une feinte humilité qu’on reconnaît l’éclat du vrai bonheur, mais par les oeuvres que chacun opère ; vérité que le Sauveur confirme par ces paroles : « On ne cueille point de figues sur des épines. » — S. Ambr. Ce n’est point parmi les épines de ce monde qu’on peut trouver ce figuier qui est l’image de la résurrection, parce que les seconds fruits en sont meilleurs que les premiers, ou encore, parce que, selon ces paroles du livre des Cantiques (Ct 2) : « Les figuiers ont donné leurs premières figues, » les fruits qu’ils ont donnés au temps de la synagogue, n’étaient ni mûrs, ni durables, ni utiles ; ou bien encore, parce que notre vie ne parvient pas à sa maturité dans ce corps mortel, mais seulement dans sa résurrection. Nous devons donc rejeter loin de nous les sollicitudes de la terre qui déchirent l’âme et consument l’esprit, afin d’obtenir par nos soins assidus des fruits d’une maturité parfaite. Ainsi ces paroles se rapportent à la vie présente et à la résurrection, et les suivantes à l’âme et au corps. « On ne vendange point de raisin sur des ronces, » c’est-à-dire, que le péché ne peut faire produire aucun fruit à l’âme qui, semblable au raisin, se corrompt si elle est trop près de la terre, et ne peut mûrir que dans les hauteurs ; ou bien que personne ne peut échapper à la damnation de la chair, s’il n’est racheté par Jésus-Christ, qui, comme le raisin, a été suspendu sur le bois. — Bède. Ou bien encore, les épines et les ronces signifient les soucis du siècle et les atteintes perçantes des vices, tandis que les figues et le raisin représentent les douceurs de la vie nouvelle et l’ardeur de la charité. Or, on ne cueille point de figues sur les épines, ni de raisin sur les ronces, parce que l’âme qui est encore courbée sous le poids des habitudes du vieil homme, peut bien avoir l’apparence trompeuse de la fécondité, mais ne peut produire les fruits de l’homme nouveau. Remarquons encore que, de même que la branche féconde de la vigne, s’appuie et s’enlace aux buissons, de sorte que les épines supportent et conservent pour l’usage de l’homme, un fruit qui n’est pas le leur ; ainsi les paroles ou les actions des méchants peuvent quelquefois être utiles aux bons, ce qui doit être attribué, non à la volonté des méchants, mais aux desseins providentiels de Dieu qui sait tirer le bien du mal.

 

S. Cyr. Après avoir montré que le bon et le méchant peuvent se reconnaître à leurs oeuvres, comme on reconnaît un arbre à ses fruits, Notre-Seigneur enseigne la même vérité sous une autre figure : « L’homme bon tire le bien du bon trésor de son coeur, et l’homme mauvais tire le mal du mauvais trésor de son coeur. » — Bède. Le trésor du coeur est comme la racine de l’arbre ; celui donc qui possède dans son coeur un trésor de patience et d’amour parfait, produit des fruits excellents en aimant ses ennemis et en pratiquant tous les divins enseignements qui précèdent ; mais celui qui n’a dans son coeur qu’un trésor de méchanceté, agit d’une manière tout opposée. — S. Bas. De plus, la nature des paroles est un indice certain de l’état du coeur d’où elles sortent, et en révèle clairement les dispositions les plus intimes : « Car la bouche parle de l’abondance du coeur. » — S. Chrys. (hom. 43 sur S. Matth.) Lorsque la source intérieure du mal est abondante, par une conséquence naturelle, les paroles mauvaises s’exhalent des lèvres ; aussi quand vous entendez un homme proférer des paroles coupables, ne croyez pas que la méchanceté de son coeur est simplement égale à la malignité de ses discours, mais concluez sans crainte de vous tromper, que la source est beaucoup plus abondante que le ruisseau. — Bède. Par les paroles qui sortent de la bouche, Notre-Seigneur a voulu désigner tout ce qui prend sa source dans notre coeur, c’est-à-dire, les paroles, les actions ou les pensées, car c’est la coutume des Écritures, d’employer les paroles pour les actes.

 

Vv. 46-49.

Bède. Notre-Seigneur ne veut pas qu’on se fasse illusion sur le sens de ces paroles : « La bouche parle de l’abondance du coeur, » comme s’il n’exigeait des vrais chrétiens que les paroles et non pas les oeuvres ; il ajoute donc : « Pourquoi m’appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous point ce que je dis, » c’est-à-dire : Pourquoi vous glorifiez-vous de produire les feuilles des louanges de Dieu, vous qui ne produisez aucun fruit de bonnes oeuvres. — S. Cyr. Celui qui a le souverain domaine sur toute la nature, a droit au nom et à la chose exprimée par le nom. — S. Athan. (Disc. cont. les sectat. de Sabell.) Ce langage n’est pas celui d’un homme, mais celui d’un Dieu qui fait voir qu’il est engendré par le Père, car celui-là seul est Seigneur, qui tire son origine de l’unique et seul Seigneur ; cependant ne craignez pas de dualité, car tous deux ont une seule et même nature.

S. Cyr. Le Sauveur nous fait ensuite connaître quels sont les avantages attachés à l’observation des commandements, et quel malheur menace ceux qui les transgressent : « Celui qui vient à moi et qui écoute mes paroles, est semblable à un homme qui bâtit sa maison sur la pierre. » — Bède. Cette pierre, c’est Jésus-Christ ; creuser bien avant, c’est à l’aide des préceptes de l’humilité, enlever du coeur des fidèles tout ce qui est terrestre, afin qu’ils servent Dieu pour des motifs tout spirituels. — S. Bas. (commenc. des Prov.) Poser le fondement sur la pierre, c’est s’appuyer sur la foi de Jésus-Christ, pour demeurer ferme dans l’adversité, soit qu’elle vienne des hommes, soit qu’elle vienne de Dieu. — Bède. Ou bien encore, le fondement de la maison, c’est l’intention de mener une vie vertueuse, que le parfait disciple conçoit et place dans son âme pour accomplir fidèlement les préceptes de Jésus-Christ. — S. Ambr. Ou enfin, il veut nous enseigner que le fondement de toutes les vertus est l’obéissance aux commandements de Dieu, obéissance qui fait que la maison que nous bâtissons, ne peut être ébranlée ni par le torrent impétueux des passions, ni par la violence des esprits de malice, ni par les eaux entraînantes du monde, ni par les disputes ténébreuses des hérétiques, c’est pourquoi il ajoute : « Les eaux s’étant débordées, » etc. — Bède. Ce débordement arrive de trois manières : sous l’influence des esprits immondes, par l’agitation des méchants, par le trouble de l’âme ou de la chair ; plus les hommes mettent leur confiance dans leurs propres forces, plus aussi leur chute est grande, et plus ils s’appuient sur la pierre invincible, plus ils sont inébranlables.

 

S. Chrys. (Hom. 25 sur S. Matth.) Notre-Seigneur nous enseigne encore que la foi ne sert de rien si la vie est souillée par des vices qui la déshonorent : « Celui qui écoute mes paroles sans les pratiquer, est semblable à un homme qui bâtit sa maison sur la terre sans fondement, » etc. — Bède. Le monde qui est tout entier fondé sur le malin esprit (1 Jn 5), est la maison du démon ; il la bâtit sur la terre, parce qu’il détourne du ciel pour les ramener vers la terre ceux qui se rendent ses esclaves. Il bâtit sans fondement, parce que le péché n’a pas de fondement, il ne subsiste pas en lui-même et par sa propre nature ; le mal, en effet, n’a point d’existence propre, c’est une négation, et de quelque manière qu’il arrive, il s’unit à la nature du bien ; comme le mot fondement a pour étymologie le mot fond, on peut lui donner cette dernière signification ; ainsi, de même que celui qui tombe dans un puits s’arrête nécessairement au fond, de même l’âme qui tombe dans le mal, s’arrête comme dans un espèce de fond, si elle ne dépasse pas une certaine mesure dans le mal qu’elle commet, mais lorsque, non contente du péché où elle est tombée, elle fait tous les jours de nouvelles et plus lourdes des chutes, elle ne trouve plus, pour ainsi dire, de fond qui l’arrête dans le puits où elle est tombée. Ainsi les méchants et ceux qui n’ont que l’apparence du bien, deviennent plus mauvais à chaque tentation qui vient fondre sur eux, jusqu’à ce qu’enfin ils tombent dans les châtiments éternels : « Le torrent est venu fondre sur cette maison et elle est tombée aussitôt, » etc. Par ce fleuve qui se précipite avec violence, on peut entendre les suites du jugement dernier, alors que l’une et l’autre de ces deux maisons étant détruites, les impies iront à l’éternel supplice, et les justes dans la vie éternelle. — S. Cyr. Ou bien encore, ceux-là bâtissent sur la terre sans aucun fondement, qui posent sur le sable mouvant du doute et des opinions humaines, le fondement de l’édifice spirituel que quelques gouttes de tentations suffisent pour renverser.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 14.) L’exorde de ce long discours du Sauveur est le même dans saint Matthieu et dans saint Luc : « Bienheureux les pauvres. » La plupart des enseignements qui suivent, sont également les mêmes dans les deux Évangélistes, et le discours se termine absolument de la même manière, par la comparaison de l’homme qui bâtit sur la pierre on sur le sable. On serait donc autorisé à croire que saint Luc a rapporté ici le même discours que saint Matthieu, en omettant certaines maximes que saint Matthieu avait développées, pour en rapporter lui-même d’autres que saint Matthieu avait omises ; mais on est arrêté par cette difficulté que, suivant saint Matthieu, lorsque le Seigneur fit ce discours, il était assis sur une montagne, tandis que d’après saint Luc, le Sauveur était alors debout dans la plaine. Cependant il est probable que ces deux discours eurent lieu à des époques peu éloignées, par la raison que les deux Évangélistes placent immédiatement avant et après ce discours des faits semblables ou même identiques. On peut aussi supposer que Notre-Seigneur s’est tenu d’abord seul avec ses disciples sur la partie la plus élevée de la montagne, lorsqu’il fit choix parmi eux des douze Apôtres, et qu’il est ensuite descendu du sommet de la montagne dans la plaine, c’est-à-dire, sur un plateau qui se trouvait à mi-côte et qui pouvait contenir une grande multitude. C’est là qu’il s’est tenu debout jusqu’à ce que la foule fût assemblée autour de lui, puis lorsqu’il se fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui, et c’est devant eux et en présence de tout le peuple réuni, qu’il fit ce seul et même discours qui est rapporté par les deux Évangélistes.

 

 

CHAPITRE VII

VV. 1—10.

Tite de Bostr. Après avoir nourri ses disciples des leçons de la perfection chrétienne, Notre-Seigneur vient à Capharnaüm pour y opérer des prodiges : « Après qu’il eut achevé tout ce discours, il vint à Capharnaüm. » — S. Aug. (de l’acc. des Ev., 2, 20.) Nous voyons ici que le Sauveur n’entra dans Capharnaüm qu’après avoir terminé son discours, mais l’Évangéliste ne dit pas quel temps s’est écoulé entre la fin du discours et l’entrée de Jésus dans la ville, car c’est dans cet intervalle que fut guéri le lépreux, dont saint Matthieu place ici la guérison. — S. Ambr. Par un admirable rapprochement, Notre-Seigneur, après avoir fait connaître les obligations de la vie chrétienne, enseigne la manière de les accomplir ; en effet, on vient aussitôt lui demander la guérison du serviteur d’un centurion : « Or, un centurion avait un serviteur malade, » etc. L’Évangéliste ne s’est pas trompé, en disant qu’il allait mourir ; il serait mort en effet, si Jésus ne l’avait guéri. — Eusèbe. Le Centurion était renommé par sa bravoure dans les combats, et commandait une compagnie de soldats romains. Un de ses serviteurs, attaché spécialement à sa personne, était tombé malade ; ce centurion, considérant la puissance que Jésus déployait pour guérir d’autres maladies, et jugeant bien que ces miracles étaient supérieurs aux forces de la nature humaine, envoie vers lui quelques-uns des anciens des Juifs comme à un Dieu, sans être arrêté par les dehors de l’humanité dont le Sauveur s’était revêtu pour entrer en communication avec les hommes : « Ayant entendu parler de Jésus, il envoya vers lui quelques-uns des anciens, » etc. — S. Aug. (de l’acc. des Ev., 2, 20.) Mais comment concilier ces paroles avec le récit de saint Matthieu, où nous lisons « Un centurion s’approcha de lui, » puisqu’en réalité il ne vint point le trouver ? En examinant sérieusement cette difficulté, nous sommes amenés à conclure que saint Matthieu s’est conformé ici au langage ordinaire ; si, en effet, on peut dire qu’on parvient jusqu’à quelqu’un par le moyen d’autres personnes, à plus forte raison, on peut dire qu’on s’en approche par l’intermédiaire de ces mêmes personnes. Ainsi, quoique le centurion ait député vers Jésus quelques-uns des anciens des Juifs, saint Matthieu a pu dire, pour abréger, que le centurion s’était plus approché lui-même de Jésus-Christ, que ceux qu’il avait chargés de sa requête, car plus sa foi fut vive, plus aussi il s’approcha de Jésus. — S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth.) Comment concilier encore le récit de saint Matthieu, où le centurion dit lui-même à Jésus : « Je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit, » avec le récit de saint Luc, où il prie Jésus de venir chez lui ? Je réponds que saint Luc, à mon avis, a voulu nous représenter les flatteries des Juifs. Il est probable, en effet, que le centurion voulait aller lui-même trouver Jésus, et qu’il en fut détourné par le langage flatteur des Juifs qui lui dirent : « Nous irons et nous vous l’amènerons chez vous. » Voyez, en effet, comme ils mêlent à la prière qu’ils font à Jésus, l’éloge du centurion : « Et étant venus trouver Jésus, ils le prièrent avec grande instance en disant : il mérite que vous lui fassiez cette grâce. » Ils auraient dû bien plutôt dire : Il voulait venir vous trouver et vous prier lui-même, mais nous l’en avons détourné en voyant son affliction et ce pauvre malade étendu chez lui sur son lit de douleur ; ils auraient ainsi fait ressortir la grandeur de sa foi. Mais ils se gardent bien de tenir un pareil langage, ils ne voulaient pas faire connaître la foi de cet homme, retenus par l’envie qui les dévorait, dans la crainte de faire éclater la grandeur de celui à qui une semblable prière était adressée. Il n’y a du reste aucune contradiction entre ce que rapporte saint Matthieu, que ce Centurion n’était point Israélite, et ce que disent ici les anciens des Juifs d’après saint Luc : « Il nous a bâti une synagogue, » car il pouvait bâtir une synagogue sans être du peuple juif. — Bède. Nous voyons ici que les Juifs appelaient synagogue, comme nous appelons Église, non seulement l’assemblée des fidèles, mais encore le lieu où ils se réunissaient.

 

Eusèbe. Les anciens des Juifs demandent cette grâce pour le centurion, en reconnaissance des sommes modiques qu’il avait pu donner pour la construction de la synagogue ; mais le Seigneur se rend à des motifs d’un ordre plus élevé, il veut engendrer la foi dans le coeur des hommes par la manifestation de sa puissance : « Jésus s’en alla donc avec eux. » — S. Ambr. S’il agit de la sorte, ce n’est point qu’il ne pût guérir cet homme sans aller le trouver, mais parce qu’il voulait nous donner un exemple d’humilité. Il ne voulut point aller dans la maison de l’officier du roi qui l’en priait pour son fils, afin de ne point paraître céder à l’influence de sa position et de ses richesses ; il consent ici à se rendre dans la maison du centurion, pour qu’on ne prit supposer qu’il méprisait l’humble condition de son serviteur. Le centurion, de son côté, dépose toute fierté militaire, plein de respect et de foi, il s’empresse de rendre au Sauveur l’honneur qui lui est dû : « Il n’était plus loin de la maison, lorsque le centurion envoya lui dire : Ne prenez pas tant de peine, car je ne suis pas digne, » etc. Il savait, en effet, que ce n’était point par une puissance naturelle, mais par la toute-puissance de Dieu que Jésus-Christ guérissait les hommes. Les Juifs, en pressant Jésus de venir, avaient donné pour motif qu’il était digne de cette grâce ; le centurion se reconnaît indigne, non-seulement du bienfait qu’il sollicite, mais encore de recevoir le Seigneur : « Je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit. » — S. Chrys. (hom. 27.) Aussitôt qu’il fut délivré de l’ennuyeuse importunité des Juifs, il envoie dire à Jésus : Ce n’est point par négligence que je ne suis pas venu vous trouver moi-même, mais parce que je me suis cru indigne de vous recevoir dans ma maison.

S. Ambr. Saint Luc rapporte que le centurion envoya ses amis à la rencontre de Jésus, pour ne point paraître blesser par sa présence la modestie du Sauveur, et provoquer sa bonté par cette démarche : « C’est pourquoi, dit-il, je ne me suis pas cru digne d’aller moi-même vous trouver, mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri. » — S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth.) Considérez quelle idée juste et convenable le Centurion a du Seigneur, il ne lui dit pas : Priez, mais : « Ordonnez, » et dans la crainte qu’il ne refusât par un sentiment d’humilité, il ajoute : « Car moi qui suis soumis à la puissance d’un autre, » etc. — Bède. Il déclare qu’il n’est qu’un homme soumis à l’autorité du tribun ou du gouverneur, et que cependant il commande à d’autres qui sont au-dessous de lui ; donc, à plus forte raison, celui qui est Dieu, peut faire ce qu’il veut, non seulement par sa présence corporelle, mais encore par le ministère des anges ; car c’est par la parole du Seigneur et par le ministère des anges, que les maladies du corps devaient être guéries, et les puissances ennemies mises en fuite.

S. Chrys. (de la nat. incompréhens. de Dieu, disc. 6.) Remarquons encore que cette parole « Faites, » exprime un ordre donné à un serviteur ; aussi, lorsque Dieu voulut créer l’homme, il ne dit point à son Fils unique : Faites l’homme, mais : « Faisons l’homme, » indiquant ainsi l’égalité de rang et d’honneur par cette parole de conseil et d’accord mutuel. C’est donc parce qu’il reconnaissait dans Jésus-Christ la souveraine puissance, qu’il s’exprime de la sorte : « Dites seulement une parole, car moi, je dis à mon serviteur, » etc. Aussi Jésus, loin de le reprendre, le confirme dans cette pensée : « Ce qu’ayant entendu, Jésus fut dans l’admiration. » — Bède. Qui donc avait produit dans le centurion cette foi vive, si ce n’est celui-là même qui l’admirait ; et quand un autre en eût été l’auteur, pourquoi cette admiration dans celui qui connaissait par avance la foi de cet homme ? Si donc le Seigneur se laisse aller à l’admiration, c’est pour nous faire partager le même sentiment, car toutes ces émotions de l’âme, lorsqu’on les attribue à Dieu, ne sont point un signe de trouble intérieur, mais une leçon salutaire qu’il nous donne.

 

S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth.) Pour vous rendre plus certain que Notre-Seigneur, en parlant de la sorte, voulait instruire ceux qui étaient présents, l’Évangéliste exprime clairement ce but en ajoutant ; « Je vous le dis en vérité, je n’ai pas trouvé une si grande foi, même en Israël. » — S. Ambr. Si vous lisez : « Je n’ai trouvé chez personne autant de foi dans Israël, » le sens est simple et facile, mais si vous lisez selon le texte grec : « Je n’ai pas trouvé une si grande foi, même dans Israël, » la foi de cet homme est mise au-dessus même des élus et de ceux qui voient Dieu. — Bède. Notre-Seigneur ne veut point parler ici de tous les patriarches et des prophètes des siècles passés, mais des hommes du temps présent, dont la foi est mise bien au-dessous de celle du centurion, parce qu’ils avaient reçu les enseignements de la loi et des prophètes, tandis que cet homme avait cru spontanément, et sans avoir aucun maître. — S. Amb. En même temps que le Sauveur donne des éloges à la foi du maître, il rend la santé au serviteur : « De retour à la maison, ceux que le centurion avait envoyés, trouvèrent le serviteur qui avait été malade, guéri. » Le mérite du maître peut donc profiter aux serviteurs, non seulement le mérite de la foi, mais encore le zèle pour la vertu. — Bède. Saint Matthieu s’étend davantage sur les circonstances de la guérison de ce serviteur, au moment même où Jésus dit à son maître : « Allez, qu’il vous soit fait selon ce que vous avez cru ; » mais saint Luc a pour habitude d’abréger ou même d’omettre entièrement ce qu’il trouve suffisamment exposé par les autres Évangélistes, et de développer lui-même avec plus de soin ce qu’ils ont omis ou ce qu’ils n’ont fait qu’indiquer.

 

S. Ambr. Dans le sens mystique, le serviteur du centurion représente le peuple des nations qui, enchaîné dans les liens de la servitude du monde, en proie à la maladie mortelle de ses passions, attend sa guérison de la miséricorde du Seigneur. — Bède. Le centurion, dont la foi est mise au-dessus de la foi d’Israël, représente les élus d’entre les Gentils, qui, entourés des vertus spirituelles comme d’une cohorte de cent soldats, s’élèvent à une perfection sublime, car le nombre cent, qui s’écrit de gauche à droite, figure ordinairement la vie céleste. Il faut de semblables intercesseurs à ceux que l’esprit de servitude tient courbés sous le joug de la crainte (Rm 8) ; pour nous qui avons embrassé la foi parmi les Gentils, nous ne pouvons aller nous-mêmes au Seigneur, que nous ne pouvons voir dans sa chair, mais nous devons nous approcher de lui par la foi. Députer vers Jésus les anciens des Juifs, c’est conjurer les saints personnages de l’Église qui nous ont précédés de vouloir bien être nos patrons, et d’intercéder pour nos péchés, en nous rendant le témoignage que nous prenons soin d’édifier l’Église. L’Évangéliste fait remarquer que Jésus n’était pas loin de la maison, parce que son salut est près de ceux qui le craignent, et le fidèle observateur de la loi naturelle s’approche d’autant plus de celui qui est bon par essence, qu’il pratique plus exactement le bien qu’il connaît. — S. Ambr. Le centurion ne veut pas qu’on tourmente Jésus par des instances, parce que le peuple des nations désire préserver de tout mal celui que le peuple juif a crucifié. Enfin (dans un sens mystérieux), il vit que le Christ ne pouvait encore pénétrer dans le coeur des Gentils. — Bède. Les soldats et les serviteurs qui obéissent au centurion, sont les vertus naturelles dont un grand nombre de ceux qui viennent trouver le Seigneur, portent avec eux la riche abondance.

Théophyl. Ou bien encore, ce centurion représente l’intelligence, qui est comme le chef d’une foule d’actions mauvaises, chargée qu’elle est en cette vie d’une multitude de choses et d’affaires qui l’absorbent tout entier. Elle a pour serviteur la partie de l’âme qui est dépourvue de raison (c’est-à-dire, la partie irascible et concupiscible). Elle envoie vers Jésus des Juifs comme médiateur, c’est-à-dire, des pensées et des paroles de confession et de louange, et elle obtient aussitôt la guérison de son serviteur.

 

Vv. 11—17.

S. Cyr. Notre-Seigneur opère prodiges sur prodiges ; dans le miracle précédent, il avait attendu qu’on vînt le prier, ici il vient sans être appelé : « Il s’en alla ensuite dans une ville appelée Naïm. » Bède. Naïm est une ville de Galilée, située à deux milles du mont Thabor ; or, c’est par une permission divine que le Sauveur est suivi de cette grande multitude, Dieu veut ainsi multiplier les témoins d’un si grand miracle : « Et ses disciples l’accompagnaient avec une grande foule de peuple. » — S. Grég. de Nysse. (Traité de l’âme et de la résurrection.) Le Sauveur prouve la vérité de la résurrection moins par ses paroles que par ses oeuvres. Il commence par des miracles moins importants pour préparer notre foi à des prodiges plus éclatants, il essaie pour ainsi dire le pouvoir qu’il a de ressusciter sur la maladie désespérée du serviteur du centurion ; puis, par un acte d’une plus grande puissance, il conduit les hommes à la foi de la résurrection, en rendant à la vie le fils d’une veuve qu’on portait au tombeau : « Comme il approchait de la porte de la ville, il se trouva qu’on portait en terre un mort, fils unique de sa mère. » Tite de Bostr. On avait pu dire du serviteur du centurion, que sa maladie n’était pas mortelle ; aussi, pour réprimer ce langage téméraire, Jésus marche à la rencontre d’un jeune homme qui était mort, fils unique d’une veuve : « Et celle-ci était veuve, et beaucoup de gens de la ville l’accompagnaient. » — S. Grég. de Nysse. (de la créat. de l’homme.) Par ce peu de mots, l’Évangéliste nous fait connaître le poids de la douleur qui accablait cette pauvre mère. Elle était veuve, et ne pouvait plus espérer d’autres enfants, elle n’en avait aucun sur lequel elle pût reporter les regards de sa tendresse, à la place de celui qu’elle venait de perdre ; il était le seul qu’elle eût nourri de son lait, lui seul était la joie de sa maison, lui seul était toute sa douceur, tout son trésor. — S. Cyr. Une si juste douleur était bien digne de compassion et bien capable d’attrister et de faire couler les larmes : « Le Seigneur l’ayant vue, fut touché de compassion pour elle, et lui dit : Ne pleurez point. » Bède. C’est-à-dire, cessez de pleurer comme mort celui que vous allez voir ressusciter plein de vie. — S. Chrys. (ou Tite dans la Ch. des Pèr. gr.) En disant à cette femme : « Ne pleurez pas, » celui qui console les affligés nous apprend à nous consoler de la perte de ceux qui nous sont chers, par l’espérance de la résurrection ; cependant il touche le cercueil comme la vie qui va à la rencontre de la mort : « Et il s’approcha et toucha le cercueil, » etc. — S. Cyr. Il n’opère point ce miracle par sa seule parole, mais il touche le cercueil et vous fait ainsi comprendre l’efficacité toute-puissante du corps sacré de Jésus-Christ pour le salut des hommes ; c’est en effet un corps plein de vie et la chair du Verbe tout-puissant dont il a toute la vertu. De même, en effet, que le fer pénétré par le feu, produit les effets du feu ; ainsi la chair étant unie au Verbe qui vivifie toutes choses, se pénètre elle-même d’une puissance vivifiante qui chasse la mort. — Tite de Bostr. Le Sauveur ne ressemble point ici au prophète Élie, qui pleure le fils de la femme de Sarepta (3 R 17), ni au prophète Élisée, qui étendit son corps sur le cadavre du fils de la Sunamite (4 R 4), ni à l’apôtre saint Pierre, qui prie Dieu de rendre la vie à la pieuse Thabitha (Ac 9) ; mais il est celui qui appelle ce qui n’est pas comme ce qui est (Rm 4), et qui peut faire entendre sa parole aux morts aussi bien qu’aux vivants : « Et il dit : Jeune homme, je te le commande, lève-toi. » — S. Grég. de Nysse. En l’appelant « jeune homme, » Notre-Seigneur nous apprend qu’il était à la fleur de l’âge, dans la première jeunesse. Il y a quelques heures encore, il était la joie et le bonheur des regards de sa mère, peut-être déjà il soupirait après le temps, où uni à une tendre épouse, il deviendrait le chef de sa famille, la souche de sa postérité, et le bâton de vieillesse de sa mère.

Tite de Bostr. Ce jeune homme obéit aussitôt à l’ordre qui lui est donné, et se lève sur son séant, car rien ne peut résister à la puissance divine, elle ne souffre aucun retard, elle n’a besoin d’aucune instance : « Aussitôt le mort se leva sur son séant et commença à parler, et Jésus le rendit à sa mère. » Ce sont là les signes d’une véritable résurrection, car un corps privé de la vie n’a point l’usage de la parole, et d’ailleurs cette femme n’eût point ramené dans sa maison le corps de son fils mort et inanimé. — Bède. L’Évangéliste suit un ordre admirable en nous représentant d’abord le Sauveur, touché de compassion pour cette pauvre mère, et puis rendant son fils à la vie ; il nous donne ainsi d’un côté l’exemple de la compassion que nous devons imiter, et de l’autre, un motif de croire à sa puissance toute divine ; aussi ajoute-t-il : « Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu, » etc. ; — S. Cyr. Ce prodige surprenant se fit au milieu d’un peuple insensible et ingrat, quelques jours à peine s’étaient passés, et ils ne croyaient plus que Jésus fût un prophète, ni qu’il eût été envoyé pour le salut du peuple juif. Cependant ce miracle fut connu de tous les habitants de la Judée : « Et le bruit de ce prodige se répandit dans toute la Judée, et dans tout le pays d’alentour. »

S. Max. Il est bon de remarquer que la sainte Écriture rapporte sept résurrections avant celle du Seigneur. La première est celle du fils de la veuve de Sarepta (III R 17) ; la seconde, celle du fils de la Sumanite (4 R 4) ; la troisième, celle qu’opéra le corps d’Elisée (4 R 3) ; la quatrième, celle du fils de la veuve de Naïm (Lc 7) ; la cinquième, celle de la fille du chef de la synagogue (Mc 5) ; la sixième, celle de Lazare (Jn 11) ; la septième, celle qui eut lieu au temps de la passion du Sauveur, alors que les corps d’un grand nombre de saints ressuscitèrent. La huitième est celle de Jésus-Christ, qui, vainqueur à jamais de la mort, vit pour ne plus mourir, et pour signifier que la résurrection générale qui aura lieu au huitième âge du monde, ne sera plus sujette à la mort, mais sera suivie d’une vie éternelle.

 

Bède. Ce mort qui ressuscite, hors des portes de la ville, sous les yeux d’une grande multitude, représente l’homme plongé dans le sommeil de ses fautes mortelles, et la mort de l’âme, qui ne reste plus cachée dans l’intérieur du coeur, mais qui se produit au dehors, et qui, par ses paroles et par ses oeuvres, s’expose aux regards de tous, comme aux portes d’une ville, car chacun des sens de notre corps peut être considéré comme la porte d’une ville. C’est avec raison que l’Évangéliste fait remarquer que ce jeune homme était fils unique, parce que l’Église, bien que composée d’un grand nombre de personnes, ne fait cependant qu’une seule mère ; et toute âme qui se souvient d’avoir été rachetée par la mort du Seigneur, sait que l’Église est veuve. — S. Ambr. Cette veuve qui est entourée d’une multitude de peuple, est à mes yeux plus qu’une femme, elle qui a mérité d’obtenir par ses larmes la résurrection de son fils unique. Ainsi l’Église rappelle à la vie le peuple le plus jeune du milieu des tristes solennités de la mort, et on lui défend de pleurer celui qui doit bientôt ressusciter. — Bède. Ainsi se trouve confondue l’erreur des novatiens, qui, en voulant détruire la purification des pécheurs repentants, nient par la même que l’Église, notre mère, qui pleure la mort spirituelle de ses enfants, doive être consolée par l’espérance de leur rendre la vie.

S. Ambr. Ce mort était porté dans son cercueil par les quatre éléments terrestres ; mais il avait l’espérance de ressusciter parce qu’il était porté dans le bois. Ce bois jusque-là ne nous était d’aucune utilité, mais dès que Jésus-Christ l’eut touché, il devint un instrument de vie, et le signe du salut que le bois de la croix devait apporter à tous les peuples. Nous sommes étendus sans mouvement et sans vie dans le cercueil, lorsque le feu d’une passion violente nous consume, ou lorsque les eaux de l’indifférence nous submergent, et que la vigueur de notre âme se trouve comme émoussée et appesantie par le poids de ce corps terrestre. — Bède. Ou bien encore, le cercueil dans lequel ce jeune homme est porté, c’est la conscience toujours alarmée du pécheur désespéré ; ceux qui le portent au tombeau sont les désirs impurs ou les flatteries des amis qui s’arrêtent aussitôt que le Seigneur touche le cercueil ; souvent, en effet, la conscience que touche la crainte des jugements de Dieu, rejette les voluptés charnelles et les louanges injustes, rentre en elle-même, et répond au Sauveur qui la rappelle à la vie. — S. Ambr. Si donc vous êtes coupable d’une grande faute que vous ne puissiez laver dans les larmes de la pénitence, recourez aux larmes de l’Église votre mère, que l’assemblée des fidèles vous aide aussi dans ce pieux travail, et vous sortirez du tombeau, et votre bouche s’ouvrira de nouveau à des paroles de vie, et tous seront saisis de crainte (car l’exemple d’un seul est profitable à tous ceux qui en sont témoins), et ils loueront Dieu qui nous a donné de si grands moyens d’éviter la mort. — Bède. ainsi Dieu a visité son peuple, non seulement lorsqu’il l’a incarné une fois dans un corps mortel, mais lorsqu’il ne cesse de l’envoyer dans les coeurs.

Théophyl. Par cette veuve, vous pouvez aussi entendre l’âme qui a perdu son époux, c’est-à-dire la parole divine ; son fils qui est emporté hors de la ville des vivants, c’est l’intelligence ; le cercueil, c’est son corps que plusieurs ont appelé un sépulcre. Or, aussitôt que le Seigneur le touche, il le relève, il rend la vie et la jeunesse à celui qui sort du péché et commence à parler et à instruire les autres ; car avant sa résurrection on n’eût point ajouté foi à ses paroles.

 

VV. 18—23.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Quelques-uns des disciples de Jean rapportèrent au saint Précurseur le miracle qu’avaient appris tous les habitants de la Judée et de la Galilée : « Cependant les disciples de Jean lui ayant annoncé, » etc. — Bède. Ce ne fut pas, je pense, dans une intention bien droite, mais par un sentiment de jalousie ; car nous les voyons ailleurs se plaindre de Jésus en ces termes : « Maître, celui qui était avec vous au delà du Jourdain, et auquel vous avez rendu témoignage, voilà qu’il baptise, et que tous vont à lui. » (Jn 3.) — S. Chrys. C’est surtout lorsque la nécessité nous presse, que nous devons nous élever jusqu’à Jésus, c’est pour cette raison que Jean, retenu dans les fers, envoie ses disciples à Jésus, alors qu’ils en avaient un plus grand besoin : « Jean-Baptiste appela deux de ses disciples, et les envoya vers Jésus pour lui dire : « Êtes-vous celui qui doit venir, » etc. — Bède. Il ne dit pas : Êtes-vous celui qui êtes venu ? mais : « Êtes-vous celui qui doit venir ? » c’est-à-dire : Je suis sur le point d’être mis à mort par Hérode, et de descendre aux enfers, faites-moi donc savoir si je dois annoncer votre arrivée dans les enfers, comme je l’ai annoncée sur la terre, ou bien si cette mission ne convenant pas au Fils de Dieu, vous devez en envoyer un autre pour l’accomplissement de ce mystère. — S. Cyr. Mais cette explication doit être entièrement rejetée ; nulle part, en effet, nous ne lisons dans les saintes Écritures que Jean-Baptiste ait annoncé la venue du Sauveur aux habitants des limbes. Il est vrai aussi de dire que le saint Précurseur connaissait toute l’étendue du mystère de l’incarnation du Fils de Dieu ; il savait donc, entre autres choses, qu’il devait porter la lumière à ceux qui habitaient les enfers, puisqu’il est mort pour tous les hommes, aussi bien pour les morts que pour les vivants. Mais comme les oracles de la sainte Écriture avaient prédit qu’il viendrait comme chef et comme Seigneur, et que les autres avaient été envoyés comme de simples serviteurs avant la venue du Christ, le Sauveur et le Seigneur de tous les hommes est appelé par les prophètes : « Celui qui vient, » ou « celui qui doit venir, » comme dans ce passage des Psaumes : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » (Ps 117), et dans cet autre du prophète Habacuc : « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir, viendra sans tarder. » (Ha 2.) Jean-Baptiste emprunte donc cette manière de parler à la sainte Écriture, et envoie quelques-uns de ses disciples pour demander à Jésus s’il est celui qui vient, ou qui doit venir.

 

S. Ambr. Mais comment peut-il se faire qu’après avoir proclamé Jésus celui qui efface les péchés du monde, Jean-Baptiste ne reconnut pas encore en lui le Fils de Dieu ? car, ou c’est une témérité impardonnable que d’attribuer sans raison les attributs de la divinité à celui qu’il ne connaît pas, ou c’est une coupable infidélité que de douter qu’il soit le Fils de Dieu. Quelques-uns ont vu dans Jean-Baptiste un grand prophète éclairé d’en haut, pour reconnaître le Christ ; mais sans admettre que le doute soit entré dans son esprit, ils ont supposé que par un sentiment de pieuse affection, il avait cru que celui qu’il avait annoncé, ne serait pas sujet à la mort. Ce n’est donc point l’incrédulité, mais son amour pour le Sauveur qui est la cause de ce doute ; c’est ainsi que nous voyons saint Pierre dire à Jésus-Christ « A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne vous arrivera point. » (Mt 16.) — S. Cyr. (Trés., liv. 2, chap. 4.) Ou bien, c’est avec un dessein particulier que Jean-Baptiste fait cette question. Il connaissait, en effet, comme précurseur, le mystère de la passion du Christ ; mais il voulait que ses disciples apprissent par eux-mêmes l’excellence du Sauveur ; il envoie donc vers lui les plus sages d’entre eux, en leur recommandant de s’informer et d’apprendre de la bouche même du Sauveur, s’il était celui qu’on attendait : « Ces hommes étant donc venus, lui dirent : Jean-Baptiste nous a envoyés vous demander : Êtes-vous celui qui doit venir, » etc. Or, Jésus, sachant comme Dieu dans quelle intention Jean les avait envoyés et le motif de leur venue, opéra sous leurs yeux un grand nombre de miracles éclatants : « A cette heure même, Jésus guérit un grand nombre de personnes affligées, » etc. Il ne leur dit pas en termes exprès : « Je suis celui qui doit venir, » mais il leur en donne une plus grande certitude, et veut qu’ils puisent la foi en sa divinité dans des preuves sans réplique, avant de retourner vers celui qui les a envoyés. Il ne répond donc pas à la question, mais à l’intention de celui qui les a envoyés : « Alors il répondit aux envoyés : Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu, » c’est-à-dire : Racontez à Jean-Baptiste ce que vous avez entendu des prophètes, et ce que vous avez vu s’accomplir en moi-même. Il accomplissait, en effet, les merveilles que les prophètes avaient prédit de lui, et qu’il rappelle en leur disant : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, » etc.

 

S. Ambr. Ce témoignage était sans doute plus que suffisant pour que le saint Précurseur fût convaincu que Jésus était son Seigneur ; car c’est de lui que les prophètes avaient prédit : « Le Seigneur donne la nourriture à ceux qui ont faim, le Seigneur délie les captifs, il éclaire les aveugles, il redresse ceux qui sont courbés, et celui qui opère ces prodiges, règnera dans l’éternité. » (Ps 145.) Ce ne sont point les oeuvres de l’homme, mais les actes d’une puissance toute divine. De tels prodiges étaient rares, ou presque nuls avant l’Évangile ; Tobie est le seul que nous voyons recouvrer la vue, et ce fut un ange et non pas un homme qui le guérit. (Tb 11.) Élie a ressuscité des morts, mais à force de prières et de larmes (3 R 17), ici Jésus n’a besoin que de commander ; Élisée a guéri un lépreux, néanmoins ce ne fut point par l’autorité de son commandement, mais en figure d’un grand mystère. — Théophyl. C’était à la vue de ces prodiges, qu’Isaïe disait : « Dieu viendra lui-même et vous sauvera. Alors les yeux des aveugles verront le jour, et les oreilles des sourds seront ouvertes ; alors le boiteux bondira comme le cerf. » — Bède. Et ce qui n’est pas un miracle moins éclatant : « Les pauvres sont évangélisés, » c’est-à-dire que les pauvres d’esprit ou des biens de la terre sont éclairés intérieurement, de sorte que les pauvres et les riches ont également part à la grâce de la prédication. C’est là une preuve de la vérité du Maître, que tous ceux qu’il peut sauver soient égaux devant lui. — S. Ambr. Et cependant ce sont là encore de faibles témoignages de la divinité du Sauveur ; ce qui donne à la foi toute sa plénitude, c’est la croix du Seigneur, sa mort, sa sépulture. Voilà pourquoi il ajoute : « Et bienheureux celui qui ne se sera pas scandalisé de moi. » La croix, en effet, pourrait être un sujet de scandale, même pour les élus, et cependant c’est la plus grande preuve de la divinité du Christ ; car il n’y a rien qui soit plus au-dessus de l’humanité que de s’être offert seul pour le salut du monde entier. — S. Cyr. Peut-être aussi voulait-il les convaincre par là, qu’aucune des pensées de leur coeur ne pouvait échapper à ses regards ; car c’étaient eux-mêmes qui se scandalisaient de sa personne divine.

S. Ambr. Nous avons dit plus haut que Jean était la figure de la loi qui a été comme le précurseur du Christ. Jean-Baptiste envoie donc ses disciples vers Jésus-Christ pour donner à leur science toute sa perfection ; car le Christ est la plénitude de la loi. Ces deux disciples peuvent aussi figurer les deux peuples, les Juifs qui embrassèrent la foi, et les Gentils qui crurent après avoir entendu. Ils voulaient voir de leurs yeux, parce que bienheureux sont les yeux qui voient. Mais lorsqu’ils sont parvenus jusqu’à l’Évangile, et qu’ils ont reconnu que les aveugles ont recouvré la vue, que les boiteux marchent, etc. ; alors ils diront : « Nous avons vu de nos yeux. » (1 Jn 1.) Car nous nous figurons que nous voyons ce que nous lisons ; ou bien encore, il nous semble que nous avons parcouru toute la suite de la passion du Sauveur dans quelque partie de notre corps ; car c’est par quelques-uns seulement que la foi s’est étendue à la multitude des fidèles. Ainsi la loi annonçait le Christ qui devait venir, et l’Évangile confirme sa venue.

 

VV. 24—28.

S. Cyr. (Tres., 2, 24.) Le Seigneur qui pénétrait le secret des coeurs, comprit qu’il s’en trouverait pour dire : Si Jean-Baptiste a été jusqu’à ce jour sans connaître Jésus, comment a-t-il pu le montrer au peuple en disant : « Voici l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde ? » C’est donc pour guérir cette impression défavorable, qu’il éloigne de leur esprit ce qui pouvait être pour eux un sujet de scandale : « Lorsque les envoyés de Jean furent partis, il commença à dire au peuple, en parlant de Jean : Qu’êtes-vous allés voir dans le désert ? un roseau agité par le vent ? » comme s’il disait : Vous avez été pleins d’admiration pour Jean-Baptiste, bien des fois vous avez été le trouver malgré les difficultés d’un voyage long et pénible dans le désert. Or, pourquoi cette admiration, cet empressement, si vous le croyez léger comme le roseau qui plie à tous les vents ? car voilà ce qu’il serait, si par légèreté d’esprit, il déclarait ignorer ce qu’il a connu. — Tite. Mais vous n’auriez point quitté les villes pour vous enfoncer dans le désert qui ne peut vous offrir aucun agrément, si vous n’aviez de cet homme une plus haute idée. — Siméon. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur attendit le départ des disciples pour parler ainsi de Jean-Baptiste, il n’avait pas voulu faire en leur présence l’éloge du saint Précurseur, voulant éviter tout ce qui aurait l’apparence de la flatterie. — S. Ambr. Ce n’est point sans raison que le Sauveur fait ici l’éloge de Jean-Baptiste qui, sacrifiant généreusement l’amour de la vie aux intérêts de la vérité et de la justice, demeura inébranlable en face même de la mort. Ce monde, en effet, peut être comparé à un désert stérile et inculte, où le Seigneur nous défend de marcher sur les traces, et en suivant les exemples de ces hommes remplis des pensées de la chair, vides de toute vertu intérieure, et qui s’enorgueillissent de l’éclat fragile de la gloire mondaine. Constamment agités par les tempêtes de ce monde, ils sont toujours en proie à la mobilité de leurs désirs, et méritent par là d’être comparés à des roseaux. — Siméon. Le vêtement de Jean-Baptiste est un témoignage de la sainteté de sa vie, aussi bien que la prison, où il est détenu ; car jamais il n’aurait été jeté dans les fers, s’il eût flatté les passions des princes : « Qu’êtes-vous allés voir ? un homme vêtu avec mollesse ? Mais ceux qui portent des vêtements précieux et vivent dans les délices, habitent les maisons des rois. » Ces hommes vêtus mollement, représentent ceux qui passent leur vie dans les délices. — S. Chrys. (hom. 29 sur l’Ep. aux Héb.) La mollesse des vêtements affaiblit la vigueur de l’âme, et le corps fût-il ami de l’austérité et de la mortification, est bientôt énervé par cette molle délicatesse. Or, quand le corps est amolli, l’âme ne tarde pas à l’être ; car les inclinations de l’âme sont presque toujours conformes aux dispositions du corps. — S. Cyr. (Très., 2, 4.) Comment donc Jean-Baptiste, avec ce soin religieux de soumettre les passions de la chair, aurait-il pu tomber dans une si grande ignorance, sinon par la légèreté d’un esprit qui a horreur des austérités, et se laisse séduire par les délices du monde ? Si donc Jean vous paraît digne d’imitation, parce qu’il fuit cette vie délicate et mondaine, accordez-lui la fermeté qui convient à cette vie mortifiée ; si au contraire, vous ne devez rien à cette vie pénitente et austère, pourquoi donc refuser votre admiration aux délices du monde, pour l’accorder à cet habitant du désert, à l’antre misérable qui lui sert de demeure, et à la peau de chameau dont il est couvert.

S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Par ces deux comparaisons, le Sauveur veut faire comprendre que Jean-Baptiste n’était point d’un caractère mobile et inconstant, et qu’aucune volonté n’était capable de le faire fléchir. — S. Ambr. Bien qu’il soit vrai de dire que la recherche de la mollesse dans les vêtements, énerve la vigueur de l’âme dans le plus grand nombre ; Notre-Seigneur paraît vouloir indiquer ici un autre genre de vêtement, c’est-à-dire le corps dont notre âme est comme revêtue. Ces vêtements délicats sont les oeuvres de la volupté et du plaisir. Or, ceux qui laissent énerver leurs membres au contact de ces fausses délices sont bannis du royaume des cieux ; les princes de ce monde et les puissances des ténèbres s’en emparent ; car ils sont les rois qui exercent leur empire absolu sur les imitateurs de leurs oeuvres.

S. Cyr. (Trés., 2, 4.) Mais vous jugez sans doute qu’il est superflu d’excuser Jean-Baptiste de légèreté et de mollesse, puisque vous avouez qu’il est digne d’imitation ; alors : « Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un prophète. Oui, je vous le dis, et plus qu’un prophète, car les prophètes prédisaient seulement qu’il allait venir ; mais pour Jean-Baptiste, non seulement il a prédit sa venue, mais il a démontré sa présence au milieu des hommes, lorsqu’il a dit : Voici l’agneau de Dieu. » — S. Ambr. Oui certes, il est plus grand ou plus qu’un prophète, lui qui atteint la fin que se proposaient les prophètes, car beaucoup ont désiré contempler celui qu’il a mérité de voir et de baptiser (Mt 13 ; Lc 10). — S. Cyr. (Trés., 2, 4.) Après avoir fait l’éloge de la vie de Jean-Baptiste et par le lieu qu’il habitait, et par ses vêtements, et par le concours qui se faisait autour de lui, Notre-Seigneur cite en sa faveur le témoignage du prophète Malachie : « C’est de lui qu’il est écrit : Voilà que j’envoie mon ange. » — Tite de Bostr. Il lui donne le nom d’ange, non pas qu’il le fût en réalité, puisqu’il était homme par nature, mais parce qu’il remplissait les fonctions d’un ange en annonçant la venue du Christ. — Siméon. Ces paroles : « Devant votre face, » nous montrent les rapports étroits de Jean-Baptiste avec Jésus-Christ ; il parut, en effet, au moment de la venue de Jésus-Christ, et c’est pour cela que nous devons l’estimer plus qu’un prophète, car ceux qui, dans les armées, se tiennent aux côtés du roi, sont les premiers dignitaires du royaume et ses familiers les plus intimes.

 

S. Ambr. Jean-Baptiste a préparé la voie au Seigneur, non seulement par le caractère miraculeux de sa naissance, et par la prédication de la foi, mais en précédant Jésus dans sa glorieuse passion : « Qui préparera la voie devant vous. » — S. Ambr. Mais si Jésus-Christ est prophète, comment Jean-Baptiste est-il plus grand que tous les prophètes ? Il est le plus grand de ceux qui sont nés de la femme et non d’une vierge, c’est-à-dire, qu’il a été le plus grand de tous ceux qui lui étaient semblables par leur naissance : « Je vous le dis, parmi ceux qui sont nés des femmes, il n’est point de prophète plus grand que Jean-Baptiste. » — S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Il suffisait sans doute de ce témoignage rendu par le Sauveur, que Jean était le plus grand des enfants des hommes ; cependant, si vous voulez voir cette vérité confirmée par les faits, considérez quelle était la nourriture du saint Précurseur, sa vie, sa grandeur d’âme ; en effet, il vivait sur la terre comme un homme descendu du ciel, ne prenant aucun soin de son corps, l’esprit toujours occupé des pensées du ciel, uni à Dieu seul, n’ayant aucun souci des choses de la terre ; sa Parole était à la fois pleine de sévérité et de douceur ; il parlait au peuple juif avec vigueur et fermeté, au roi Hérode avec courage, et il instruisait ses disciples avec douceur ; rien de vain et de léger dans sa conduite toujours pleine de dignité. — S. Isid. Jean est encore le plus grand de ceux qui sont nés de la femme, parce qu’il prophétisa dans le sein même de sa mère, et qu’au milieu des ténèbres qui l’environnaient, il reconnut la lumière qui allait éclairer l’univers.

 

S. Ambr. Il est si vrai qu’il ne pouvait exister aucune comparaison entre Jean-Baptiste et le Fils de Dieu, que le Sauveur le place même au-dessous des anges : « Celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui. » — Bède. Ce passage peut être interprété de deux manières, ou bien par ce royaume de Dieu, le Sauveur veut entendre ce royaume dont nous ne sommes pas encore en possession et qu’habitent les anges ; or, le plus petit dans ce royaume est plus grand que tout juste revêtu de ce corps qui appesantit l’âme. (Sg 9, 15.) Ou bien, le royaume de Dieu, dans l’intention du Sauveur, c’est l’Église du temps présent, et alors c’est de lui-même que Notre-Seigneur veut parler, lui qui est inférieur à Jean par la date de sa naissance, mais qui est plus grand par son autorité divine et par sa souveraine puissance. Dans le premier sens, il faut donc ainsi séparer les membres de cette proposition : « Celui qui est le plus petit dans le royaume de Dieu, » ajoutez : « Est plus grand que lui ; » dans le second sens : « Celui qui est plus petit que lui, » ajoutez : « Dans le royaume de Dieu est plus grand que lui. » — S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Notre-Seigneur fait cette réserve, de peur que la grandeur des louanges qu’il vient de donner à Jean-Baptiste, ne fût pour les Juifs une occasion de le mettre au-dessus du Christ. Ne croyez pas cependant qu’il ait voulu établir une comparaison en déclarant que Jean est plus grand que lui. — S. Ambr. En effet, sa nature est toute différente et ne peut être comparée en aucune façon à la nature humaine, car nulle comparaison n’est possible entre Dieu et l’homme.

S. Cyr. Dans le sens mystique, en même temps que le Sauveur proclame la supériorité de Jean-Baptiste sur tous les enfants des femmes, il lui oppose quelque chose de plus grand, celui qui devient Fils de Dieu par la naissance qu’il reçoit de l’Esprit saint, car le royaume du Seigneur, c’est l’Esprit de Dieu. Aussi, bien que sous le rapport des oeuvres et de la sainteté de la vie, nous soyons inférieurs à ceux qui ont pénétré le mystère de la loi, et dont Jean-Baptiste est la figure ; cependant nous nous élevons plus haut par Jésus-Christ qui nous rend participants de la nature divine (2 P 1, 4).

 

VV. 29—35.

S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Après avoir fait l’éloge de Jean-Baptiste, le Sauveur fait ressortir le crime énorme des pharisiens et des docteurs de la loi qui, même après l’exemple donné par les publicains, n’ont pas voulu recevoir le baptême de Jean. — S. Ambr. Dieu est justifié dans le baptême, lorsque les hommes se justifient eux-mêmes en confessant leurs péchés. En effet, celui qui, après avoir péché, confesse à Dieu ses fautes, justifie Dieu, en se soumettant au pouvoir de ce vainqueur, et en espérant de lui la grâce du salut. — Eusèbe. Ceux qui ont cru ont aussi justifié Dieu, car ils l’ont trouvé juste dans toutes ses œuvres. Les pharisiens, au contraire, qui refusaient d’écouter Jean-Baptiste, par un sentiment de désobéissance, se mettaient en opposition avec ces paroles du prophète : « Afin que vous soyez reconnu juste dans vos paroles. » (Ps 50.) « Or, les pharisiens et les docteurs de la loi ont méprisé le conseil de Dieu, » etc. — Bède. Cette réflexion est de l’Évangéliste, ou de Notre-Seigneur lui-même (comme plusieurs le pensent) ; cette expression : « Sur eux, » ou : « Contre eux, » signifie que celui qui méprise la grâce de Dieu, agit contre ses intérêts, ou bien encore, le Sauveur condamne ici la conduite de ces insensés et de ces ingrats, qui n’ont pas voulu recevoir le conseil que Dieu leur manifestait. Or, le conseil de Dieu, c’est le décret de sauver le monde par la passion et la mort de Jésus-Christ, conseil que les pharisiens et les docteurs de la loi ont méprisé. — S. Ambr. Gardons-nous de mépriser, à l’exemple des pharisiens, le conseil de Dieu. Ce conseil de Dieu s’est manifesté dans le baptême de Jean-Baptiste, qui donc peut douter qu’il se manifeste également dans le baptême de Jésus-Christ ? C’est le conseil dont l’ange du grand conseil est l’auteur, et que personne ne connaît : « Car qui connaît les desseins de Dieu (Rm 11) ? » Personne ne méprise le conseil d’un homme, qui oserait rejeter le conseil de Dieu.

 

S. Cyr. Voici l’espèce de jeu auquel se livraient les enfants des Juifs : une troupe d’enfants se partageaient en deux pour se jouer des vicissitudes si rapides de la vie présente ; les uns chantaient, et les autres se lamentaient ; mais ni ceux qui pleuraient ne participaient à la joie de ceux qui chantaient, ni ceux qui se réjouissaient ne prenaient part à la tristesse de ceux qui pleuraient, et alors ils se reprochaient mutuellement leur absence de sympathie. C’est l’image de la conduite du peuple juif et des princes des prêtres, au témoignage de Jésus-Christ : « A qui donc comparerai-je les hommes de cette génération et à qui sont-ils semblables ? Ils sont semblables à des enfants, » etc. — Bède. La génération présente des Juifs est comparée à des enfants, parce qu’ils avaient autrefois pour docteurs les prophètes dont il est écrit : « Vous avez tiré la louange la plus parfaite de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle (Ps 8). » — S. Ambr. Or, les prophètes ont chanté, proclamant dans leurs mélodies spirituelles les oracles du salut du monde ; ils ont pleuré pour attendrir par leurs plaintives lamentations les coeurs endurcis des Juifs. Ce n’était ni dans le Forum, ni sur les places publiques que ces chants se faisaient entendre, mais dans la ville de Jérusalem, car cette ville est comme le Forum du Seigneur, où se publient les droits immuables des commandements célestes. Les chants et les lamentations ne sont que l’effet d’une émotion vive de joie et de tristesse. Les instruments de musique laissent échapper une mélodie sympathique qui porte l’homme à manifester les sentiments intérieurs qu’elle fait naître par le mouvement cadencé de son pied ou de tout son corps ; voilà pourquoi ces enfants disent : « Nous avons chanté et vous n’avez pas dansé ; » « nous nous sommes lamentés et vous n’avez point pleuré. » — S. Aug. (Quest. évang., 2, 11.) Notre-Seigneur fait ici allusion à la conduite dès Juifs à l’égard de Jean-Baptiste et de Jésus-Christ : « Ces paroles : Nous nous sommes lamentés et vous n’avez point pleuré, » se rapportent à la prédication de Jean-Baptiste, qui, par l’austérité de sa manière de vivre, figurait la tristesse de la pénitence ; aussi Notre-Seigneur ajoute : « Car Jean-Baptiste est venu ne mangeant point de pain et ne buvant point de vin, » et vous dites : « Il est possédé du démon. » — S. Cyr. Ils osent incriminer un homme digne de toute leur admiration, et ils traitent de possédé celui qui mortifiait la loi du péché cachée dans nos membres. — S. Aug. (Quest. év., 2, 11.) Les paroles qui précèdent : « Nous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé, » sont une allusion à Notre-Seigneur lui-même, qui, en adoptant la manière de vivre ordinaire des hommes avec lesquels il mangeait et buvait, était la figure de la joie du royaume : « Le Fils de l’homme est venu mangeant et buvant, » etc. — Tite de Bostr. Jésus-Christ, en effet, n’a point voulu s’interdire l’usage de ces aliments pour ôter tout prétexte aux hérétiques (cf. 1 Tm 4), qui disent que les créatures sont mauvaises et qui condamnent l’usage des viandes et du vin. — S. Cyr. Mais où ont-ils donc trouvé que le Seigneur était un homme de bonne chère ? Ne voyons-nous pas au contraire qu’en toute circonstance il se garde de tout excès et conseille la tempérance et la modération ? Il ne dédaignait pas, il est vrai, d’entrer en relations avec les publicains et les pécheurs, aussi l’accusaient-ils d’être « l’ami des publicains et des pécheurs, » bien que cette fréquentation ne pût lui être aucunement nuisible, mais qu’elle devint, au contraire, pour les pécheurs la cause de leur conversion et de leur salut. En effet, est-ce que le soleil qui inonde toute la terre de ses rayons, contracte la moindre souillure, parce que sa lumière pénètre les corps immondes ? Comment donc le soleil de justice pourrait-il éprouver la moindre altération dans ses rapports avec les méchants. Cependant gardons-nous tous, qui que nous soyons, de prétendre aux mêmes privilèges que Jésus-Christ, mais à la vue de notre propre fragilité, évitons le commerce des méchants, car les mauvaises conversations corrompent les bonnes moeurs (1 Co 15).

« Et la sagesse a été justifiée par tous ses enfants. » — S. Ambr. Le Fils de Dieu est la sagesse de Dieu par nature et non par le progrès de l’âge ou de l’étude ; cette sagesse est justifiée dans le baptême, lorsqu’elle n’est pas rejetée par opiniâtreté, mais qu’elle est reçue par la justice comme une grâce de Dieu. La justification de Dieu consiste donc à ce que ses dons soient communiqués, non à ceux qui s’en rendent indignes par leurs crimes, mais à ceux qui sont devenus justes et saints par le baptême. — S. Chrys. (hom. sur les Psaumes.) Il appelle les sages les fils de la sagesse, car c’est la coutume de l’Écriture, de désigner les méchants par le mal qu’ils commettent, et d’appeler les bons, fils de la vertu qui les caractérise. — S. Ambr. Il dit avec raison : « Par tous ses enfants, » car la justice doit s’exercer sur tous les hommes, sur les justes, pour leur salut, sur les infidèles pour leur condamnation. — S. Aug. (Quest. évang.) Ou bien encore, ces paroles : « La sagesse a été justifiée par tous ses enfants, » nous font entendre que les fils de la sagesse comprennent que la justice ne consiste ni à se permettre, ni à s’interdire la nourriture, mais à supporter la pauvreté avec patience, car ce n’est point l’usage modéré, mais la sensualité qui est ici coupable, et rien de plus légitime que de se conformer pour le choix des aliments aux habitudes de ceux avec lesquels vous êtes appelé à vivre.

 

Vv. 36-50.

Bède. L’Évangéliste venait de dire : « Et tout le peuple qui l’écoutait, reconnut la justice de Dieu, s’étant fait baptiser du baptême de Jean ; » il établit maintenant par des faits la même vérité, c’est-à-dire que la sagesse a été justifiée par les justes et par les pêcheurs repentants. « Or, un des pharisiens le pria de manger avec lui, » etc. — S. Grég. de Nysse. (sur la femme pécher.) Ce récit renferme une leçon des plus utiles. En effet, la plupart de ceux qui se croient justes, enflés par la présomption et la vanité de leurs pensées, se séparent eux-mêmes comme des agneaux qui se séparent des boucs, avant que le jugement véritable vienne faire ce discernement ; ils refusent de manger avec la foule, et ils ont en abomination tous ceux qui fuient les extrêmes, et gardent le juste milieu dans la conduite de la vie. Or, saint Luc, médecin des âmes bien plus que des corps, nous montre Dieu lui-même et notre Sauveur visitant avec bonté tous les hommes : « Il entra dans la maison du pharisien et se mit à table, » non pour prendre quelque chose de sa vie coupable, mais pour le rendre participant de sa propre justice.

S. Cyr. Cependant une femme de mauvaise vie, mais conduite par un sentiment d’amour divin, vient trouver Jésus-Christ, comme celui qui peut la délivrer de toutes ses fautes, et lui accorder le pardon de ses crimes : « Et voilà qu’une femme, connue dans la ville pour pécheresse, apporta un vase de parfums, » etc. — Bède. L’albâtre est une espèce de marbre nuancé de diverses couleurs, on en fait des vases destinés à contenir des parfums, qu’ils conservent, dit-on, sans altération. — S. Grég. (hom. 32 sur les Evang.) Cette femme a considéré les souillures dont l’a couverte sa vie infâme, elle accourt donc pour se purifier à la source même de la miséricorde, elle ne rougit point de paraître au milieu des convives ; car elle éprouve intérieurement une si grande honte d’elle-même, qu’elle compte pour rien celle qui lui vient du dehors. Voyez quelle douleur consume cette femme qui ne rougit point de verser des larmes au milieu des joies d’un festin. — S. Grég. de Nysse. Profondément convaincue de son indignité, elle se tient derrière Jésus, les yeux baissés et les cheveux épars, elle embrasse ses pieds et les inonde de larmes, elle manifeste ainsi par ses actes la tristesse de son âme, et implore son pardon : « Et se tenant derrière lui, elle commença à arroser ses pieds de ses larmes, » etc. — S. Grég. Ses yeux avaient convoité toutes les jouissances de la terre, mais maintenant par la pénitence, elle en éteint le feu dans un déluge de larmes ; elle avait fait servir ses cheveux à rehausser la beauté de son visage, elle s’en sert pour essuyer ses larmes : « Et elle essuyait les pieds du Sauveur avec ses cheveux. » Sa bouche s’était ouverte à des paroles inspirées par l’orgueil ; elle baise les pieds du Sauveur, et imprime ses lèvres sur les pieds du Rédempteur : « Et elle baisait ses pieds. » Elle avait employé les parfums pour donner à son corps une agréable odeur, et ce qu’elle avait honteusement prodigué pour elle-même, elle en fait à Dieu un admirable sacrifice : « Et elle les oignait de parfum. » Ainsi, autant elle a trouvé de jouissances en elle-même, autant elle offre maintenant d’holocaustes ; elle égale le nombre de ses vertus au nombre même de ses crimes ; elle veut que tout ce qui en elle a été un instrument pour outrager Dieu, devienne un instrument de pénitence pour lui plaire. — S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) Ainsi cette femme de mauvaise vie devient plus vertueuse que les vierges ; car à cette pénitence si pleine de ferveur, succède un amour plus ardent pour Jésus-Christ. Et nous ne parlons ici que de ce qui se passait à l’extérieur ; car quelle ferveur bien plus grande dans les sentiments qui agitaient son âme, et dont Dieu seul était témoin !

 

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) En voyant ce spectacle, le pharisien n’a que du mépris pour cette femme, et il fait tomber ses reproches non seulement sur elle, qui ose venir trouver Jésus, mais sur le Seigneur qui l’accueille avec bonté : « Ce que voyant le pharisien qui l’avait invité, il dit en lui-même : Si cet homme était prophète, il saurait qui est celle qui le touche, et que c’est une pécheresse. » Voilà ce pharisien avec son orgueil trop véritable et sa fausse justice, qui fait un crime au malade de son infirmité, et au médecin des soins qu’il lui prodigue. Sans doute, si cette femme se fût jetée à ses pieds, il l’aurait repoussée violemment avec dédain ; il se fût imaginé que ce contact allait souiller son âme, parce qu’il n’était pas rempli de la véritable justice. C’est ainsi que quelques-uns de ceux qui exercent le ministère pastoral, dès qu’ils pratiquent quelques oeuvres médiocres de justice, regardent avec mépris ceux qui leur sont soumis, et affectent du dédain pour tous les pécheurs qu’ils rencontrent. Nous devons, au contraire, lorsque nous considérons l’état malheureux des pécheurs, déplorer dans leur calamité notre propre malheur, à la pensée que nous sommes déjà tombés, ou que nous pouvons tomber dans les mêmes fautes. Il faut d’ailleurs faire usage d’un grand discernement, nous devons être sévères pour les vices, pleins de compassion pour les personnes ; si le pécheur doit être puni, le prochain a droit à notre charité. Je vais plus loin, et je dis que dès que le pécheur châtie lui-même par la pénitence le mal qu’il a fait, il cesse d’être pécheur, puisqu’il punit en lui-même ce que la justice divine condamne. Notre-Seigneur se trouvait donc entre deux malades, mais l’un, jusque dans sa fièvre, conservait l’usage de la raison, tandis que l’autre avait perdu l’esprit ; la femme pécheresse pleurait les fautes qu’elle avait commises ; le pharisien, au contraire, fier de sa fausse justice, exagérait la force de sa santé.

Tite de Bost. Cependant Notre-Seigneur qui, sans entendre les paroles du pharisien, voyait les pensées de son âme, lui prouve qu’il est le Seigneur des prophètes : « Et Jésus lui répondant, lui dit : Simon, j’ai quelque chose à vous dire. » La Glose. Il répond ici à la pensée du pharisien, que cette parole rend plus attentif : « Il répondit Maître, dites. » — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Le Sauveur établit une comparaison entre deux débiteurs, dont l’un doit plus, et l’autre moins : « Un créancier avait deux débiteurs, » etc. — Tite. Comme s’il disait : Vous-même vous n’êtes pas sans quelque dette. Or, si vous êtes tenu par une dette quelconque, pourquoi vous enorgueillir, puisque vous avez vous-même besoin de pardon ? C’est à ce pardon que Jésus fait allusion en ajoutant : « Comme ils n’avaient pas de quoi payer leur dette, il la leur remit à tous deux. » La Glose. Car nul ne peut par lui-même être délivré de la dette du péché, si la grâce de Dieu ne lui octroie son pardon. — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Chacun des deux débiteurs ayant obtenu la remise de sa dette, Notre-Seigneur demande au pharisien lequel des deux devra plus aimer son bienfaiteur : « Lequel l’aimera davantage ? Le pharisien répond aussitôt : Celui, je pense, auquel il a le plus remis. »

Remarquez que le pharisien est ici condamné par son propre aveu, et que, comme un insensé atteint de frénésie, il porte la corde qui doit servir à l’enchaîner : « Jésus lui dit : Vous avez bien jugé. » Il énumère alors tous les actes de vertu de cette pécheresse, et toutes les actions répréhensibles de ce faux juste : « Et se tournant vers la femme, il dit à Simon : Voyez-vous cette femme ? Je suis entré dans votre maison, vous ne m’avez point donné d’eau pour me laver les pieds ; elle, au contraire, a arrosé mes pieds de ses larmes. » — Tite de Bost. C’est-à-dire : Rien de plus facile que de présenter de l’eau, mais il n’est pas aussi facile de verser des larmes ; vous ne m’avez pas donné ce qui vous était si facile, elle, au contraire, a versé sur mes pieds des larmes plus difficiles à répandre. Or, en lavant mes pieds avec ses larmes, elle a lavé ses propres souillures ; elle les a essuyés avec ses cheveux, pour s’appliquer mes divines sueurs, et tout ce qui lui a servi à séduire, à entraîner la jeunesse dans le péché, elle l’a employé à poursuivre et à rechercher la sainteté.

 

S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) Lorsque la pluie est tombée avec abondance, le ciel reprend sa sérénité ; ainsi après une abondante effusion de larmes, le calme renaît, le nuage de nos crimes se dissipe, et nous sommes purifiés de nouveau par les larmes et la confession, comme nous avons été autrefois régénérés par l’eau et par l’esprit : « C’est pourquoi, je vous le dis : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé. » En effet, ceux qui se sont jetés à corps perdu dans le mal, se livrent avec autant d’énergie à la pratique du bien, au souvenir des dettes qu’ils ont contractées. — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Plus donc le coeur du pécheur brûle du feu de la charité, plus aussi ce feu consume la rouille et les souillures du péché. — Tite de Bost. Il arrive souvent, en effet, qu’un grand pécheur obtient par la confession le pardon de ses fautes, tandis que celui qui n’est coupable que de fautes légères, refuse, par orgueil, de recourir au remède de la confession, comme l’indiquent les paroles suivantes : « Celui à qui on remet moins, aime moins. » — S. Chrys. (hom. 68 sur S. Matth.) Ayons donc une âme pleine de ferveur ; car rien ne s’oppose à ce que nous parvenions à la perfection la plus éminente ; que personne parmi les pécheurs ne désespère de son salut ; que personne parmi les justes ne se laisse aller au relâchement ; que le juste se garde d’une confiance présomptueuse (car souvent une femme de mauvaise vie le précédera dans le royaume des cieux) ; que le pécheur ne se décourage point ; car il peut s’élever au-dessus même des plus parfaits : « Puis il dit à cette femme : Vos péchés vous sont remis. »

 

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Cette femme donc qui était venue malade trouver le médecin, obtient sa guérison, mais cette guérison même devient pour ceux qui en sont témoins une cause de maladie : « Et ceux qui étaient à table avec lui, dirent en eux-mêmes : Qui est celui-ci qui remet même les péchés ? » Mais le céleste médecin n’a point d’égard pour ces malades dont l’état ne fait qu’empirer par l’effet même des remèdes qui devaient les sauver, tandis qu’il fortifie par une parole de miséricorde celle qu’il venait de guérir : Mais Jésus dit encore à cette femme : Votre foi vous a sauvée, » parce qu’en effet, elle n’a point hésité de croire qu’elle obtiendrait ce qu’elle demandait. — Théophyl. Notre-Seigneur ne se contente pas de lui accorder la rémission de ses péchés, il ajoute la grâce de faire le bien : « Allez en paix » (c’est-à-dire dans la justice) ; car la justice est la paix de l’homme avec Dieu, comme le péché est la guerre entre Dieu et l’homme ; ce qui revient à dire : Faites tout ce qui peut vous conduire à la paix de Dieu,

S. Ambr. Il en est beaucoup pour qui ce fait évangélique est une source d’embarras, et qui se demandent si les Évangélistes ne sont point ici en contradiction. — Sévère. (Ch. des Pèr. gr.) Comme les quatre Évangélistes racontent qu’une femme a répandu des parfums sur Jésus-Christ, je crois, eu égard à la condition des personnes, à leur manière d’agir, à la différence des temps, que ce sont trois personnes différentes. Ainsi saint Jean raconte de Marie, soeur de Lazare, que six jours avant la fête de Pâques, elle oignit les pieds de Jésus dans sa propre maison. Saint Matthieu, après ces paroles du Seigneur : « Vous savez que la pâque se fera dans deux jours, » ajoute, qu’à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme répandit des parfums sur la tête du Seigneur, et non sur ses pieds, comme Marie. Le récit de saint Marc est conforme à celui de saint Matthieu. Saint Luc enfin place ce fait, non aux approches de la fête de Pâques, mais au milieu de son Évangile. Saint Chrysostome prétend qu’il y a ici deux femmes différentes : l’une dont parle saint Jean, la seconde dont il est question dans les trois autres Évangélistes. — S. Ambr. Saint Matthieu nous rapporte que cette femme répandait ses parfums sur la tête de Jésus-Christ, aussi ne lui donne-t-il pas le nom de pécheresse ; car d’après saint Luc, cette femme pécheresse répandit ces parfums sur les pieds de Jésus-Christ. On peut donc admettre que ce sont deux personnes différentes, pour justifier les Évangélistes du reproche de contradiction. On peut aussi résoudre différemment cette question, en tenant compte de la différence de mérite et de temps, c’est-à-dire que la même personne, d’abord pécheresse, était depuis entrée dans les voies de la perfection. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 39.) On peut aussi admettre que la même personne, appelée Marie, a répété la même action, une première fois, lorsque, comme le raconte saint Luc, elle s’approcha dans l’humiliation et dans les larmes, et obtint la rémission de ses péchés. Voilà pourquoi saint Jean avant de raconter la résurrection de Lazare, et lorsque Jésus n’était pas encore venu en Béthanie, s’exprime de la sorte : « Or, Marie était celle qui avait répandu des parfums sur le Seigneur, et lui avait essuyé les pieds avec ses cheveux, et Lazare, qui était malade, était son frère : » donc Marie avait déjà fait cette même action ; elle la répète à Béthanie, sans que saint Luc en parle, parce qu’elle n’entrait point dans l’ordre de son récit, mais elle est racontée par les trois autres Évangélistes.

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Dans le sens mystique, le pharisien qui présume de sa fausse justice, c’est le peuple juif ; cette femme pécheresse qui se jette aux pieds du Seigneur, et les arrose de ses larmes, c’est la Gentilité convertie au vrai Dieu. — S. Ambr. Ou bien encore, le lépreux, c’est le prince du monde, et la maison de Simon le lépreux, c’est toute la terre. Or, le Seigneur est descendu des hauteurs des cieux sur la terre, parce que cette femme qui est la figure de l’âme et de l’Église, ne pouvait obtenir sa guérison, si le Christ n’était venu sur la terre. Elle nous apparaît sous la forme d’une pécheresse, parce que Jésus-Christ lui-même a pris la forme d’un pécheur. Supposez donc une âme qui s’approche sincèrement de Dieu, qui loin d’être esclave de ces crimes honteux, et qui blessent ouvertement la pudeur, obéit à la parole de Dieu avec amour et dans la confiance d’une chasteté inviolable ; elle s’élève jusqu’à la tête de Jésus-Christ, et la tête de Jésus-Christ, c’est Dieu. (1 Co 11.) Mais que celui qui ne peut arriver jusqu’à la tête de Jésus-Christ, se tienne humblement à ses pieds, le pécheur à ses pieds, le juste près de sa tête ; mais cependant l’âme qui a péché, a aussi son parfum.

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Que figure ce parfum, si ce n’est l’odeur d’une bonne renommée ? Si donc nous faisons des bonnes oeuvres, dont la réputation se répande comme un parfum par toute l’Église, nous répandons dans un sens véritable des parfums sur le corps du Seigneur. Cette femme se tenait à côté des pieds du Seigneur ; car nous nous tenions directement contre ses pieds, lorsque vivant au milieu de nos péchés, nous résistions en quelque sorte à ses voies ; mais lorsqu’après nos péchés, nous revenons à lui dans les sentiments d’une véritable pénitence, alors nous nous tenons derrière lui, à ses pieds ; parce que nous suivons alors ses traces auxquelles nous faisions alors profession de résister. — S. Ambr. Vous donc aussi qui avez péché, rentrez dans les voies de la pénitence, accourez partout où vous entendrez le nom de Jésus-Christ, hâtez-vous de vous rendre dans toute maison où vous apprenez que Jésus est entré ; lorsque vous aurez trouvé la sagesse assise dans quelque demeure secrète, accourez vous jeter à ses pieds, c’est-à-dire cherchez d’abord le dernier degré de la sagesse, et confessez vos péchés dans les larmes. Peut-être Jésus-Christ ne lava point ses pieds dans cette circonstance, afin que nous les lavions nous-mêmes dans les larmes ; heureuses larmes qui peuvent non seulement laver nos fautes, mais arroser les pieds du Verbe divin, pour que ses pas deviennent pour nous une source abondante de grâces ! Larmes précieuses qui sont non seulement la rédemption des pécheurs, mais la nourriture des justes ; car c’est la voix d’un juste qui fait entendre ces paroles : « Mes larmes m’ont servi de pain le jour et la nuit ». — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Nous lavons les pieds du Seigneur de nos larmes, lorsque par un sentiment d’affectueuse compassion, nous nous abaissons jusqu’aux membres les plus humbles du Seigneur ; nous essuyons ses pieds avec nos cheveux, lorsque la charité nous porte à secourir de notre superflu les saints serviteurs de Dieu. — S. Ambr. Déroulez aussi vos cheveux, jetez à ses pieds tout ce qui sert d’ornement à votre corps ; les cheveux ne sont vraiment point méprisables, puisqu’ils sont jugés dignes d’essuyer les pieds de Jésus-Christ. — S. Grég. Cette femme baise les pieds du Sauveur après les avoir essuyés, c’est ce que nous faisons nous-même, lorsque nous aimons tendrement ceux dont nous avons secouru la pauvreté par nos largesses. Par les pieds du Seigneur, on peut encore entendre le mystère de l’incarnation ; nous baisons donc les pieds du Rédempteur, lorsque nous nous attachons de tout notre coeur au mystère de son incarnation, nous répandons des parfums sur ses pieds, lorsque nous annonçons la puissance de son humanité par la bonne renommée de la parole sainte. Ce spectacle remplit le pharisien de jalousie ; en effet, lorsque le peuple juif voit les Gentils devenir les prédicateurs du vrai Dieu, il sèche d’envie dans sa noire méchanceté. Les reproches qui lui sont faits, retombent sur ce peuple perfide et infidèle, qui ne consentit jamais à sacrifier pour le Seigneur, même ses biens extérieurs, tandis que les Gentils, après leur conversion, non seulement sacrifièrent leurs biens, mais répandirent leur sang. Voilà pourquoi Jésus dit au pharisien « Vous ne m’avez pas donné d’eau pour me laver les pieds, cette femme, au contraire, m’a arrosé les pieds de ses larmes ; » l’eau, en effet, se trouve hors de nous, tandis que la source des larmes est en nous-même. Ce peuple infidèle ne donna pas non plus le baiser à Dieu, parce qu’au lieu de l’aimer par un sentiment de charité, il aima mieux le servir sous l’impression de la crainte (car le baiser est le signe de l’amour.) Au contraire, à peine la gentilité fut-elle appelée, qu’elle ne cessa de baiser les pieds du Rédempteur en soupirant continuellement après lui par un sentiment d’amour. — S. Ambr. Le Sauveur fait ressortir la vertu héroïque de cette femme, lorsqu’il dit : « Depuis qu’elle est entrée, elle n’a cessé de couvrir mes pieds de baisers, » c’est-à-dire qu’elle ne veut plus savoir que le langage de la sagesse, que l’amour de la justice, que les embrassements de la chasteté, que les baisers de la pudeur. — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang) Jésus reproche au pharisien de n’avoir pas répandu de parfum sur sa tête, c’est-à-dire que le peuple juif a refusé à la puissance divine à laquelle il se vantait de croire, le juste tribut de louanges qui lui était dû ; cette femme, au contraire, a répandu des parfums sur les pieds du Sauveur, figure en cela de la gentilité qui, non contente de croire au mystère de l’incarnation, a relevé par les plus grands éloges les profondes humiliations de ce mystère.

S. Ambr. Heureux celui qui peut verser de l’huile sur les pieds de Jésus-Christ, mais plus heureux celui qui peut y répandre des parfums ; car la réunion d’un grand nombre de fleurs forme un composé d’odeurs les plus suaves et les plus variées. Or, l’Église seule a le privilège de la composition de ce parfum, elle qui possède d’innombrables fleurs exhalant des odeurs si variées ; aussi personne ne peut prétendre à un si grand amour que l’Église, qui aime par le coeur de tous ses enfants. Dans la maison du pharisien, c’est-à-dire dans la maison de la loi et des prophètes, ce n’est pas le pharisien, mais l’Église qui est justifiée ; car le pharisien refuse de croire, tandis que l’Eglise embrassait la foi ; la loi, d’ailleurs, n’a point ce mystère divin qui purifie les secrètes profondeurs de l’âme ; mais ce que la loi ne peut donner, se trouve abondamment dans l’Évangile. Les deux débiteurs sont les deux peuples, tous deux obligés à l’égard du créancier du trésor céleste ; ce n’est point une somme d’argent matériel que nous devons à ce divin créancier, mais l’or pur de nos mérites, l’argent de nos vertus, dont la valeur consiste dans le poids du caractère et la gravité des moeurs, dans l’empreinte de la justice, dans le son que fait entendre la confession. De quel prix est cette pièce de monnaie, où se trouve empreinte l’image de notre roi ! Malheur à moi, si je ne l’ai pas conservée telle que je l’ai reçue ! Ou bien, puisqu’il n’est personne qui puisse payer toute sa dette à ce céleste créancier, malheur à moi, si je ne le supplie de me remettre toute ma dette ! Mais quel est ce peuple qui doit plus ? c’est nous-mêmes à qui Dieu a donné davantage. Aux Juifs, Dieu a confié ses oracles, à nous, il a donné le fruit de l’enfantement virginal, l’Emmanuel (c’est-à-dire Dieu avec nous), la croix du Sauveur, sa mort, sa résurrection. Il est donc hors de doute que celui qui a reçu davantage, doit aussi davantage. Selon notre manière d’agir, c’est quelquefois celui qui doit davantage, qui manque le plus d’égards. Mais la miséricorde de Dieu a changé cet ordre, c’est celui qui doit plus, qui aime aussi davantage, s’il est assez heureux pour obtenir la grâce. Puisque donc nous n’avons rien qui soit digne d’être offert à Dieu, malheur à moi, si je ne lui donne tout mon amour ! Payons donc nos dettes, en aimant Dieu de tout notre coeur ; car celui qui a reçu plus de grâces, doit aussi donner plus d’amour.

 

 

CHAPITRE VIII

 

Vv. 1-3.

Théophyl. Celui qui est descendu des cieux pour nous tracer la voie et nous donner l’exemple, nous enseigne à ne jamais négliger le devoir de l’instruction : « Et il arriva ensuite que Jésus parcourait les villes, » etc. — S. Grég. de Naz. Il va de pays en pays, non seulement pour gagner à Dieu un plus grand nombre d’âmes, mais encore pour consacrer par sa présence un plus grand nombre d’endroits. Il dort et se fatigue pour sanctifier notre sommeil et nos travaux ; il pleure pour donner du prix à nos larmes, il annonce les mystères du ciel pour élever et agrandir l’esprit de ceux qui l’écoutent. — Tite de Bostr. Celui qui est descendu du ciel sur la terre, annonce le royaume des cieux aux habitants de la terre, pour changer la terre et en faire un ciel anticipé. Mais qui peut annoncer dignement ce royaume, que le Fils de Dieu qui en est le souverain Maître ? Bien des prophètes ont paru sur la terre, mais sans annoncer le royaume des cieux, car comment auraient-ils pu parler des choses qu’ils n’avaient pas vues ? — S. Isid. (Liv. XXIII, lettre 206.) Il en est qui pensent que ce royaume de Dieu est plus élevé et plus parfait que le royaume céleste ; d’autres prétendent au contraire que c’est le même dans sa nature, mais auquel on donne des noms différents. On l’appelle royaume de Dieu, parce qu’il a Dieu pour souverain ; et quelquefois le royaume des cieux, quand on considère ce royaume dans ses sujets, c’est-à-dire, dans les anges et les saints auxquels la sainte Écriture donne le nom de cieux.

 

Bède. Comme l’aigle qui excite ses petits à voler (Dt 32), le Seigneur élève successivement ses disciples vers les choses sublimes. Ainsi, il commence par enseigner dans les synagogues, et par faire des miracles, puis il choisit les douze auxquels il donne le nom d’Apôtres ; ensuite il les prend seuls avec lui, lorsqu’il va prêcher dans les villes et dans les bourgades, comme le rapporte l’Évangéliste : « Et les douze étaient avec lui. » — Théophyl. Ce n’est ni pour enseigner ni pour prêcher qu’il les prend avec lui, mais pour continuer de les instruire. Afin de montrer que les femmes n’étaient point exclues de la suite de Jésus-Christ, l’Évangéliste ajoute : « Il y avait aussi quelques femmes qu’il avait délivrées des esprits malins, et guéries de leurs infirmités : Marie-Magdeleine, de laquelle étaient sortis sept démons. » Bède. Marie-Magdeleine est celle dont saint Luc a raconté la pénitence dans le chapitre précédent. Admirons comment l’Évangéliste désigne cette femme sous son nom propre, lorsqu’il nous la montre à la suite du Sauveur, tandis qu’en racontant ses désordres et sa pénitence, il lui donne simplement le nom de femme, de peur que le scandale de ses premiers égarements ne flétrit un nom aussi connu que le sien. Sept démons étaient sortis d’elle, c’est-à-dire qu’elle avait été remplie de tous les vices. — S. Grég. Que signifient, en effet, ces sept démons, sinon tous les vices réunis. Comme la division des sept jours comprend l’universalité du temps, le nombre sept est le symbole de l’universalité, Marie-Magdeleine était donc possédée de sept démons, parce qu’elle avait en elle tous les vices.

« Et Jeanne, femme de Chusa, intendant de la maison d’Hérode, Suzanne, et plusieurs autres qui l’assistaient de leurs biens. » — S. Jér. (sur S. Mt 27.) Suivant une coutume des Juifs, et qui n’avait rien de répréhensible dans les moeurs anciennes de cette nation, les femmes se chargeaient de fournir à ceux qui les enseignaient la nourriture et le vêtement. Saint Paul nous apprend qu’il ne voulut point user de ce droit, pour ne pas scandaliser les Gentils (1 Co 9.) Ces femmes assistaient le Seigneur de leurs biens ; il était juste, en effet, qu’il moissonnât leurs biens temporels, alors qu’elles recueillaient de lui les richesses spirituelles. Ce n’est pas sans doute que le souverain Maître des créatures eût besoin d’être nourri par elles, mais il voulait être le modèle de tous ceux qui enseignent, et leur apprendre à se contenter de la nourriture et du vêtement que leur donneraient leurs disciples. — Bède. Marie veut dire mère pleine d’amertumes, à cause des gémissements de sa pénitence ; Magdeleine signifie tour, ou qui a la forme d’une tour, par allusion à cette tour dont parle le Roi-prophète : « Vous êtes devenu mon espérance, une forte tour contre l’ennemi (Ps 60). » Jeanne signifie grâce du Seigneur, ou le Seigneur miséricordieux, c’est-à-dire, que tout ce qui soutient notre vie, lui appartient. Or, si Marie purifiée de la souillure de ses vices, représente l’Église des nations, pourquoi Jeanne ne serait-elle pas aussi la figure de cette même Église, autrefois livrée au culte des idoles ? Ajoutons que tout malin esprit qui travaille à l’extension du royaume du démon, est comme l’intendant de la maison d’Hérode. Suzanne signifie loi ou grâce, à cause de la blancheur odoriférante d’une vie céleste, et de la flamme d’or de la charité intérieure.

 

Vv. 4-15.

 Théophyl. Notre-Seigneur accomplit ici ce qu’avait prédit David, qui était la figure du Christ (cf. Mt 13, 35) : « J’ouvrirai ma bouche pour parler en paraboles : » (Ps 77.) « Or, comme le peuple s’assemblait en foule et se pressait de sortir des villes pour venir à lui, il leur dit en paraboles. » Le Sauveur parle en paraboles, pour rendre ceux qui l’écoutent plus attentifs, car les hommes aiment à exercer leur intelligence sur les choses obscures, et dédaignent au contraire celles qui sont trop claires et trop faciles ; secondement, afin que son langage demeurât inintelligible pour ceux qui étaient indignes de le comprendre. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Aussi est-ce avec une intention marquée que l’Évangéliste dit : « Comme le peuple s’assemblait en foule et se pressait de sortir des villes, » etc. Car ce n’est point la multitude, mais le petit nombre qui marchent dans la voie étroite, et qui trouvent le chemin qui conduit à la vie, c’est pour cette raison que saint Matthieu fait remarquer qu’il enseignait au dehors en paraboles, et que, rentré dans la maison, il expliquait la parabole à ses disciples.

Eusèbe. Remarquez la convenance de cette première parabole que Jésus propose à la multitude, non seulement de ceux qui étaient présents, mais encore de tous ceux qui devaient venir après eux, et comme il excite vivement leur attention par ces premières paroles : « Celui qui sème sortit pour semer. »

 

Bède. À nul autre ne convient mieux cette qualité de semeur qu’au Fils de Dieu, qui est sorti du sein de son Père (inaccessible à toute créature), pour venir en ce monde rendre témoignage à la vérité (Jn 19). — S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Celui qui remplit tout de son immensité est sorti, non point en allant d’un lieu dans un autre, mais en se revêtant de notre chair pour s’approcher de nous. Jésus-Christ donne avec raison à son avènement le nom de sortie, car nous étions exclus de la présence de Dieu ; or lorsque des rebelles condamnés par leur roi sont bannis, celui qui veut les réconcilier sort pour venir les trouver, et converse en dehors avec eux jusqu’à ce qu’il les ait rendus dignes de paraître devant le roi, et qu’il les introduise en sa présence, c’est ce qu’a fait Jésus-Christ. — Théophyl. Il sort maintenant, non pour perdre les laboureurs ou pour réduire la terre en cendres, mais il sort pour semer, car souvent le laboureur qui sème, sort pour autre chose que pour semer. — Eusèbe. Un grand nombre de fidèles serviteurs de Dieu sont sortis de la céleste patrie et sont descendus au milieu des hommes ; mais ce n’était point pour semer, car ils n’étaient point semeurs, mais des esprits que Dieu envoyait pour remplir un ministère. (He 1, 14.) Moïse lui-même et les prophètes après lui n’ont point semé dans le coeur des hommes les mystères du royaume des cieux, mais en les arrachant à de coupables erreurs et au culte des idoles, ils cultivaient les âmes des hommes, et les défrichaient pour eu faire une terre bien préparée. Seul le Verbe de Dieu, créateur et auteur de toutes les semences, est sorti pour répandre par la prédication de nouvelles semences, c’est-à-dire, les mystères du royaume des cieux. — Théophyl. Or, le Fils de Dieu ne cesse pas de semer dans nos âmes, car ce n’est pas seulement comme maître et docteur, mais comme créateur qu’il répand dans nos âmes la bonne semence. — Tite de Bostr. « Il sortit pour semer sa semence, » sa parole n’est point une parole d’emprunt, puisqu’il est par nature le Verbe du Dieu vivant. Ce n’était point leur propre semence que répandaient Paul ou Jean, mais celle qu’ils avaient reçue ; Jésus-Christ, au contraire, sème sa propre semence, parce qu’il tire ses divins enseignements de sa propre nature ; aussi les Juifs étonnés disaient-ils : « Comment connaît-il les Écritures, puisqu’il ne les a point apprises ? » (Jn 7.)

 

Eusèbe. Ceux qui reçoivent la divine semence se partagent donc en deux classes, la première se compose de ceux qui sont jugés dignes de la vocation céleste, mais qui perdent cette grâce par suite de leur négligence et de leur tiédeur ; la seconde comprend ceux qui multiplient la semence en produisant de bons fruits. D’après saint Matthieu, le Sauveur établit trois degrés différents dans chaque classe ; ceux ; en effet, qui reçoivent inutilement la semence, ne la perdent pas de la même manière, et ceux qui la rendent féconde, ne produisent pas du fruit au même degré. Le Sauveur expose donc les différentes circonstances où on laisse perdre la semence. Les uns, sans même qu’ils aient péché, ont perdu la semence salutaire qui avait été jetée dans leurs âmes ; les esprits mauvais, les démons qui volent dans l’air, ou les hommes fourbes et astucieux qu’il désigne sous le nom d’oiseaux, viennent enlever la semence de leur esprit et leur en font perdre le souvenir : « Et pendant qu’il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin. » — Théophyl. Il ne dit pas que celui qui sème a jeté sa semence le long du chemin, mais que la semence y est tombée, car celui qui sème enseigne une doctrine pure et irréprochable, mais cette doctrine tombe diversement dans l’esprit de ceux qui l’entendent, et quelques-uns d’entre eux sont représentés par ce chemin où elle fut foulée aux pieds et mangée par les oiseaux du ciel. — S. Cyr. Tout chemin est inculte et stérile, parce qu’il est sans cesse foulé aux pieds, et aucune semence ne peut y être enfouie. Ainsi les coeurs indociles sont impénétrables aux divins enseignements, et aucune vertu ne peut y germer, c’est un chemin qui n’est fréquenté que par les esprits impurs. D’autres portent légèrement la foi en eux-mêmes, en ne s’attachant qu’aux simples paroles ; leur foi manque de racines, et c’est d’eux que le Sauveur ajoute : « Une autre partie tomba sur la pierre, et ayant levée elle sécha, parce qu’elle n’avait pas d’humidité. — Bède. La pierre est la figure des coeurs durs et indomptables, l’humidité est à la semence ce qu’est dans une autre parabole l’huile qui doit alimenter les lampes des vierges (Mt 25), et représente l’amour de la vertu et la persévérance dans le bien. — Eusèbe. Il en est d’autres qui laissent étouffer la semence qu’ils reçoivent par l’avarice, par le désir des voluptés, par les sollicitudes du monde, que Notre-Seigneur compare à des épines : « Et une autre partie tomba parmi les épines, » etc. — S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Semblables, en effet, aux épines qui ne permettent pas à la semence de lever et de croître, mais l’étouffent par leur épaisseur, les sollicitudes de la vie présente ne permettent pas à la semence spirituelle de croître et de fructifier. Le laboureur qui sèmerait sur les épines matérielles, sur la pierre, sur le chemin, serait digne de blâme, car il est impossible que la pierre se change jamais en terre, que le chemin cesse d’être un chemin, que les épines ne soient plus des épines. Mais il n’en est pas de même dans les choses spirituelles, car la pierre peut devenir une terre fertile, le chemin peut n’être plus foulé aux pieds, et il est possible d’arracher les épines.

 

S. Cyr. La terre riche et fertile, ce sont les âmes bonnes et vertueuses qui reçoivent dans leur profondeur la semence de la parole, qui ha retiennent et la fécondent, et c’est d’elles qu’il est dit : « Une autre partie tomba dans une bonne terre, et ayant levé, elle produisit du fruit au centuple. » En effet, lorsque la parole divine tombe dans une âme libre de toute agitation, elle pousse de profondes racines, elle produit des épis et les fait arriver à une maturité parfaite. — Bède. Le fruit au centuple, c’est le fruit dans sa perfection, car le nombre dix exprime toujours la perfection, parce que l’accomplissement de la loi consiste dans l’observation des dix commandements ; mais le nombre dix multiplié par lui-même, produit le nombre cent, qui est ainsi le symbole de la plus grande perfection possible.

 

S. Cyr. Écoutons l’explication de cette parabole de la bouche même de celui qui en est l’auteur : « En disant cela, il criait : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. » — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Entendre, est un acte de l’intelligence, et par ces paroles, Notre-Seigneur invite ceux qui l’écoutent à prêter une grande attention à l’explication qu’il va donner. — Bède. Toutes les fois, en effet, que nous rencontrons cet avertissement, soit dans l’Évangile, soit dans l’Apocalypse de saint Jean, il s’agit d’une vérité mystérieuse dont on nous engage à pénétrer le sens avec une attention plus scrupuleuse. Aussi les disciples reconnaissant leur ignorance, interrogent le Sauveur : « Or, ses disciples lui demandaient quel était le sens de cette parabole. » Cependant ce ne fut pas immédiatement après que Jésus eut achevé d’exposer cette parabole, que les disciples lui adressèrent cette question, mais comme le dit saint Marc : « Ils l’interrogèrent lorsqu’il se trouva seul (Mc 4). » Orig. La parabole est comme le récit d’un fait imaginaire mais possible et vraisemblable, c’est un récit symbolique et figuré de quelque vérité dont on obtient le sens par l’application de toutes les circonstances de la parabole. L’énigme est le récit d’un événement qui n’est ni réel ni possible, elle est l’enveloppe d’une vérité cachée, comme dans ce trait du livre des Juges (Jg 9), où nous lisons que les arbres s’assemblèrent pour se choisir un roi. Ce récit que l’Évangéliste raconte comme un fait historique : « Celui qui sème sortit pour semer, » n’est point arrivé à la lettre, quoiqu’il soit dans les choses possibles.

 

Eusèbe. Or, le Seigneur fait connaître à ses disciples la raison pour laquelle il parlait au peuple en paraboles : « Il leur dit : A vous il a été donné de connaître le royaume de Dieu. » — S. Grég. de Naz. En entendant ces paroles, n’allez pas croire qu’il existe des natures différentes, avec certains hérétiques, qui prétendent qu’il est des hommes dont la nature est de se perdre, d’autres dont la nature est de se sauver, d’autres, au contraire, qui doivent à leur propre volonté de devenir bons ou mauvais ; mais à ces paroles du Sauveur : « Il vous a été donné, » ajoutez : A vous qui le voulez, à vous qui en êtes dignes. — Théophyl. Mais pour ceux qui sont indignes de si grands mystères, un voile recouvre ces vérités : « Tandis qu’aux autres il est annoncé en paraboles, en sorte que voyant ils ne voient point, et qu’en entendant ils ne comprennent pas. » ils croient voir, mais ils ne voient point, ils entendent, mais ils ne comprennent pas. Or, Jésus-Christ leur cache ces vérités, pour leur faire éviter un plus grand crime, celui de mépriser les mystères du Christ, après les avoir connus, car celui qui n’a que du mépris pour les vérités dont l’intelligence lui a été révélée, sera puni plus sévèrement. — Bède. Ceux-là donc entendent en paraboles, qui ferment les sens et leur coeur pour ne point connaître la vérité et qui oublient cette recommandation du Seigneur : « Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre. »

S. Greg. (Hom. 45 sur les Evang.) Cependant le Seigneur consent à expliquer à ses disciples cette parabole, pour nous apprendre à chercher le sens caché des choses qu’il n’a point voulu nous expliquer : « Voici donc le sens de cette parabole, la semence c’est la parole de Dieu. » — Eusèbe. Or, il y a pour la semence qui est jetée dans nos âmes, trois causes de destruction, Les uns détruisent cette semence en prêtant une oreille trop légère aux discours des hommes qui ne veulent que les tromper : « Ce qui tombe le long du chemin, ce sont ceux qui écoutent, le diable vient ensuite, et enlève la parole de leur coeur. » — Bède. Ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu sans aucune foi, sans aucune intelligence, sans aucun désir de la mettre en pratique. — Eusèbe. D’autres ne reçoivent cette parole qu’à la surface de leur âme, et la laissent se dessécher et périr aux premières atteintes de l’adversité. C’est d’eux que Notre-Seigneur ajoute : « Ce qui tombe sur la pierre, ce sont ceux qui, ayant écouté la parole, la reçoivent avec joie, mais ceux-ci n’ont pas de racine, ils croient pour un temps, et au temps de la tentation ils se retirent. » — S. Cyr. Lorsqu’ils entrent dans l’Église, ils écoutent avec joie la prédication des divins mystères, mais avec une volonté bien faible ; et à peine sortis de l’Église, ils oublient les enseignements sacrés. Si la foi chrétienne n’est l’objet d’aucune attaque, ils demeurent fidèles, mais si la persécution vient à se déclarer, ils se dérobent par la fuite au danger, parce que leur foi n’a point de racine. — S. Grég. (hom. 15 sur les Evang.) Il en est beaucoup qui se proposent de commencer à faire le bien, mais bientôt fatigués par l’adversité ou par les tentations, ils abandonnent leur entreprise. Cette terre pierreuse n’avait donc point l’humidité nécessaire, puisqu’elle n’a pu conduire à la maturité parfaite la semence qu’elle avait fait germer. — Eusèbe. D’autres enfin étouffent la semence qu’ils ont reçue dans les préoccupations des richesses et des plaisirs, qui sont comme autant d’épines qui étouffent la semence : « Ce qui tombe parmi les épines, ce sont ceux qui écoutent la parole, mais les sollicitudes des richesses et des plaisirs l’étouffent peu à peu, et ils ne portent point de fruit. — S. Grég. (hom. 15 sur les Evang.) Comment donc Notre-Seigneur a-t-il pu comparer les richesses aux épines, alors que les épines piquent et déchirent, tandis que les richesses sont pleines de charmes. Et cependant ce sont des épines, parce qu’elles déchirent l’âme par les pointes acérées de leurs préoccupations, et lorsqu’elles entraînent jusqu’au péché, elles font des blessures sanglantes. Le Sauveur joint deux choses aux richesses : les sollicitudes et les plaisirs parce qu’elles accablent de soucis et énervent l’âme par leur abondance même. Toutes ces choses étouffent la semence, parce qu’elles étranglent pour ainsi dire l’âme par leurs pensées importunes, et en fermant ainsi l’accès du coeur à tout bon désir, elles étouffent la respiration et tuent la vie.

 

Eusèbe. C’est en vertu de sa prescience divine que Notre-Seigneur prédit ces choses, et les faits se chargent de vérifier ces prédictions, car on ne s’éloigne ries prescriptions de la divine parole que d’une de ces trois manières. — S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Pour résumer en peu de mots cette doctrine, on quitte la voie du bien, les uns par leur négligence à écouter la parole de Dieu, les autres par immortification ou par faiblesse, d’autres enfin, parce qu’ils se rendent esclaves de la volupté et des biens de ce monde. Remarquez encore dans quel ordre naturel se présentent d’abord le chemin, puis le terrain pierreux et les épines ; il faut donc d’abord de la mémoire et de la vigilance, puis du courage, et enfin le mépris pour les choses présentes. Notre-Seigneur oppose ensuite les qualités de la bonne terre aux qualités défectueuses du chemin, du terrain pierreux et des épines : « Mais ce qui tombe dans la bonne terre, ce sont ceux qui, écoutant la parole, la conservent dans un coeur bon et excellent, et portent du fruit par la patience. » Ceux qui sont représentés par le chemin, ne retiennent point la parole et laissent enlever la semence par le démon ; ceux qui ressemblent au terrain pierreux ne soutiennent pas les assauts de la tentation trop forte pour leur faiblesse ; enfin, ceux qui sont figurés par les épines ne portent aucun fruit, mais étouffent la parole dans son germe. — S. Grég. (hom. 45 sur les Ev.) Or, la bonne terre produit du fruit par la patience, parce que le bien que nous faisons est nul, si nous ne supportons en même temps avec patience le mal qui nous est fait. Ainsi ceux qui sont représentés par cette bonne terre, produisent du fruit par la patience, car après avoir supporté en toute humilité et en toute patience les épreuves qui leur sont envoyées, ils entrent dans le repos et dans la joie de l’éternité.

 

Vv. 16-18.

Bède. Notre-Seigneur venait de dire aux Apôtres : « Pour vous, il vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu ; mais pour les autres, il leur est proposé en paraboles, » il leur apprend maintenant qu’ils doivent un jour révéler ce même mystère aux autres : « Personne, après avoir allumé une lampe, ne la couvre d’un vase ou ne la met sous un lit, » etc.

 

Eusèbe. C’est-à-dire, de même qu’on n’allume une lampe que pour éclairer, et non pour la mettre sous un boisseau ou sous un lit, ainsi les secrets du royaume des cieux proposés en paraboles, restent cachés pour ceux qui n’ont pas la foi, mais cependant ils ne seront pas toujours incompréhensibles pour tous. Car il n’y a rien de caché qui ne soit découvert, rien de secret qui ne soit connu et ne vienne au grand jour. Comme s’il disait : Bien qu’un grand nombre de vérités leur aient été proposées sous forme de paraboles, de sorte qu’en voyant, ils ne voient point, et qu’en entendant ils ne comprennent point, par suite de leur incrédulité, cependant. toute vérité sera un jour éclaircie. — S. Aug. (Quest. évang.) Ou bien autrement, Notre-Seigneur enseigne ici dans un sens figuré, avec quelle sainte confiance on doit prêcher la parole de Dieu, sans que jamais la crainte d’un préjudice ou d’un dommage temporel porte à cacher la lumière de la science. En effet, le vase et le lit signifient la chair, de même que la lampe est le symbole de la parole. Celui qui cache la parole par crainte de quelque dommage temporel, préfère la chair à la manifestation de la vérité, et celui qui tremble d’annoncer cette parole la couvre pour ainsi dire avec la chair, Au contraire, celui qui consacre son corps au ministère de cette divine parole, place la lumière sur le chandelier, de manière que la prédication de la vérité domine toutes les exigences de la servitude du corps.

Orig. Ceux qui, dans cette lampe veulent voir la figure des disciples plus parfaits de Jésus-Christ, rendent leur interprétation plausible, parce que l’Évangile dit de Jean-Baptiste, qu’il était une lumière ardente et luisante (Jn 5). Que celui donc qui allume dans son âme cette lampe spirituelle, ne la cache ni sous un lit destiné au repos, ni sous un vase quelconque ; agir de la sorte, c’est ne prendre aucun soin de ceux qui entrent dans la maison, et pour lesquels cette lampe est préparée ; il faut donc placer cette lumière surie chandelier, c’est-à-dire, sur toute l’Église.

 

S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) En leur parlant de la sorte, le Sauveur exhorte ses disciples à une sainte exactitude pour tous les devoirs de la vie, il veut qu’ils soient pleins de courage comme des hommes exposés aux regards de tous, et qui combattent au milieu du monde comme sur un théâtre ; ne considérez pas, semble-t-il leur dire, que nous n’habitons qu’une faible partie de l’espace, vous serez connus de tous les hommes, parce qu’il est impossible qu’une si grande vertu demeure cachée. — S. Max. Ou bien encore, c’est lui-même que le Seigneur veut désigner par cette lampe qui brille aux yeux des habitants de la maison, c’est-à-dire, du monde, puisqu’il est Dieu par nature, et qu’il s’est fait chair par une économie toute divine, et c’est ainsi que, semblable à la lumière d’une lampe, il est retenu par l’intermédiaire de son âme dans la terre de sa chair, comme la lumière est retenue par la mèche dans le vase de terre d’une lampe. Le chandelier, c’est l’Église, sur laquelle la parole divine brille de tout son éclat, et la remplit comme une maison des rayons de la vérité. Or il compare le culte matériel de la loi à un vase ou à un lit sous lequel il ne veut point rester caché.

 

Bède. Le Seigneur nous presse avec instance d’écouter la divine parole, afin que nous puissions la ruminer continuellement dans notre coeur, et la donner en nourriture aux autres : « Prenez donc garde comme vous écoutez, car on donnera à celui qui a, » etc. Comme s’il disait : Appliquez-vous à écouter cette divine parole avec toute l’attention possible, car celui qui aime cette parole, recevra l’intelligence pour comprendre ce qu’il aime, mais pour celui qui n’a point l’amour de cette divine parole, eût-il d’ailleurs du génie, et fût-il versé dans la connaissance des lettres, jamais il ne goûtera la douceur et la joie de la sagesse. Souvent, en effet, celui qui est atteint de paresse spirituelle, reçoit le don de l’Esprit, pour rendre ainsi sa négligence plus coupable, parce qu’il dédaigne de savoir ce qu’il aurait pu apprendre sans aucun travail. Quelquefois au contraire, celui qui est zélé pour s’instruire, souffre de la lenteur de son intelligence, afin de recevoir une récompense d’autant plus grande, qu’il a travaillé avec plus d’efforts pour apprendre.

 

Vv. 19-21.

Tite de Bostr. Notre-Seigneur avait quitté ses parents selon la chair pour se livrer à la prédication de la doctrine de son père ; et comme ils désiraient le voir, ils vinrent le trouver : « Cependant, sa mère et ses frères vinrent vers lui, » etc. Lorsque vous entendez parler des frères du Seigneur, que ce nom vous rappelle sa miséricorde et vous fasse comprendre l’étendue de sa grâce. En effet, personne ne peut être frère du Sauveur en tant qu’il est Dieu, puisqu’il est le Fils unique du Père, mais par un effet de son amour, il a daigné s’unir notre chair, notre sang, et il est devenu notre frère, lui qui était Dieu par nature (cf. He 2, 11. 13). — Bède. Ces frères du Seigneur, selon la chair, ne sont ni les fils de la bienheureuse Marie, mère de Dieu, comme le veut Helvidius, ni les fils de Joseph et d’une autre épouse, comme d’autres le prétendent, mais tout simplement ses cousins.

 

Tite de Bostr. Les frères de Jésus espéraient qu’en apprenant leur arrivée, par respect pour le nom de sa mère et pour l’amour qu’elle lui témoignait, il s’empresserait de laisser la multitude qui l’écoutait : « On vint donc lui dire : Votre mère et vos frères sont là dehors, » etc. — S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Considérez quelle indiscrétion c’était que d’enlever le Sauveur à tout ce peuple qui l’entourait et qui, suspendu à ses lèvres, écoutait ses divins enseignements. Aussi, Notre-Seigneur leur en fait-il un reproche : « Il leur répondit : Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, » etc. — S. Ambr. Comme un sage maître, Jésus commence par donner l’exemple à ses disciples avant de leur enseigner, que celui qui ne quitte point son père où sa mère n’est pas digne du Fils de Dieu. Il veut donc pratiquer le premier ce commandement, non qu’il refuse d’accomplir à l’égard de sa mère les devoirs de la piété filiale (puisqu’il est l’auteur de ce commandement : « Quiconque n’honorera point son père ou sa mère sera puni de mort »), mais parce qu’il sait qu’il doit plus à la mission divine qu’il a reçue de son Père, qu’à l’affection filiale qu’il a pour sa mère (cf. Ga 4, 19). Toutefois, sa réponse ne contient rien de blessant pour ses parents, mais elle nous apprend que l’union des âmes est plus auguste que les liens de la chair et du sang. Le Sauveur ne renie donc point sa mère (comme l’affirment certains hérétiques qui tendent des pièges à la simplicité), puisqu’il l’a reconnue du haut même de la croix, mais il nous enseigne à sacrifier les exigences du sang à l’accomplissement des devoirs célestes. — Bède. Ceux donc qui écoutent et qui pratiquent la parole de Dieu, méritent le nom glorieux de mère de Dieu, parce que chaque jour, par leurs exemples ou par leurs paroles, ils l’engendrent dans le coeur du prochain, et ils méritent également d’être appelés ses frères, puisqu’ils font aussi la volonté de son Père qui est dans les cieux.

 

S. Chrys. (hom. 43 sur S. Matth.) Notre-Seigneur ne veut pas non plus faire ici un reproche à sa mère, mais lui accorder une grâce signalée. En effet, s’il avait tant à coeur de donner une juste idée de sa personne au reste des hommes, combien plus devait-il le désirer pour sa mère, car jamais il ne l’eût élevé à un si haut degré de grandeur, si elle eût pu croire qu’il lui obéirait toujours comme un fils, et si au contraire elle ne l’eût reconnu comme son Dieu. — Théophyl. Quelques-uns entendent ce passage dans un autre sens : Pendant que Jésus enseignait, disent-ils, des envieux qui voulaient jeter du discrédit sur sa doctrine, vinrent lui dire : « Votre mère et vos frères veulent vous voir, » comme pour rappeler l’obscurité de sa naissance. Or Jésus, qui connaît leurs pensées, leur déclare qu’on n’est nullement rabaissé par une humble et pauvre famille, mais que si un homme d’une constitution obscure, écoute la parole de Dieu, il le regarde comme son frère. Cependant, comme il ne suffit pas d’écouter pour être sauvé, et que la parole de Dieu serait plutôt alors une cause de condamnation, il ajoute : « Et qui la pratiquent, » car il faut tout à la fois écouter et mettre en pratique. La parole de Dieu, c’est sa doctrine, puisque tout ce qu’il enseignait venait de son Père.

 

S. Ambr. Dans le sens mystique, celui qui cherche Jésus-Christ, ne doit pas se tenir dehors, c’est pour cela que le Roi-prophète a dit : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés. » (Ps 33.) Ceux qui restent dehors, ne sont pas reconnus de Jésus, fussent-ils ses parents ; peut-être est-ce pour notre instruction qu’il ne veut pas les reconnaître, or comment espérer qu’il nous reconnaîtra, si nous persistons à rester dehors ? On peut encore dire que les parents de Jésus sont la figure des Juifs, dont le Sauveur était issu par sa naissance temporelle, et qu’il veut nous apprendre ici la préférence donnée à l’Église sur la synagogue. — Bède. Tandis que Jésus enseigne dans l’intérieur de la maison, ceux qui négligent de s’appliquer au sens spirituel de ses paroles, ne peuvent entrer. Cependant la foule se presse pour entrer dans la maison, parce qu’en effet, tandis que les Juifs usaient de lenteurs et de retards, les Gentils accoururent en foule à Jésus-Christ, Ceux qui se tiennent au dehors, veulent voir Jésus-Christ, parce que sans s’occuper du sens spirituel de la loi, ils s’attachent au dehors à l’observation de la lettre, et ils veulent pour ainsi dire contraindre Jésus-Christ à sortir pour leur enseigner une doctrine tout humaine, plutôt que de consentir à entrer eux-mêmes pour recevoir des enseignements tout spirituels.

 

 

Vv. 22-25.

S. Cyit. Les disciples étaient tous les jours témoins des bienfaits que Jésus-Christ répandait à profusion, il était juste qu’il en fît découler sur eux une partie ; nous ne voyons pas en effet du même oeil le bien que l’on fait aux autres, et celui qui nous est fait à nous-mêmes ; le Sauveur permet donc qu’ils soient exposés à une tempête sur la mer : « Un jour, étant monté sur une barque avec ses disciples, il leur dit : Passons à l’autre bord du lac, et ils partirent. » — S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Saint Luc évite la question que pourrait soulever le temps précis où eut lieu ce miracle, en disant simplement que Jésus monta un jour sur une barque. Si cette tempête fût arrivée pendant que le Sauveur veillait, les disciples n’auraient eu aucune crainte, ou bien ils n’auraient pas cru que leur divin Maître pût opérer un si grand prodige ; il se laisse donc aller au sommeil pour donner à la crainte tout le temps de se développer : « Comme ils naviguaient, il s’endormit, et un vent impétueux s’éleva sur le lac. » — S. Ambr. L’Évangéliste nous a rapporté plus haut, qu’il passait les nuits en prière ; pourquoi donc le voyons-nous dormir ici pendant la tempête ? C’est pour exprimer la sécurité de la toute-puissance, qu’il repose seul sans crainte, alors que tous sont saisis d’effroi, mais ce sommeil n’atteignait que le corps ; et, comme Dieu, il avait l’oeil ouvert sur ses disciples pour les protéger ; car rien absolument ne se fait sans le Verbe. (Jn 1.)

 

S. Cyr. C’est par un dessein particulier de la providence divine que les disciples ne crièrent pas au secours au premier moment que la barque fut assaillie par la tempête, mais lorsque le danger devint imminent, pour faire éclater davantage la toute-puissance du Sauveur : « Et ils étaient en péril, » dit l’Évangéliste. Le Sauveur le permit pour exercer leur vertu ; car en confessant la grandeur du danger, ils étaient forcés de reconnaître la grandeur du miracle qui les en délivrait. Lors donc que l’imminence du péril les eut jetés dans une crainte inexprimable, ils reconnaissent qu’ils n’ont plus d’autre espoir de salut que dans le Seigneur des vertus, et ils se déterminent à l’éveiller.

 

« S’approchant donc, ils le réveillèrent en disant : Maître, nous périssons. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 24.) D’après saint Matthieu, ils lui auraient dit : « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ; » d’après saint Marc : « Maître, n’avez-vous pas de souci que nous périssions ? » De part et d’autre, ils expriment le même désir, de réveiller le Sauveur et d’être sauvés du danger. Il est tout à fait inutile de chercher quelle formule précise de prière les Apôtres ont employée ? Se sont-ils servi d’une de celles qui sont rapportées par ces trois Évangélistes, ou d’une autre dont aucun n’aurait parlé, mais dont les termes seraient équivalents ? peu importe. D’ailleurs, on peut fort bien admettre que tous les disciples s’empressèrent d’éveiller leur divin Maître, mais que chacun lui parla d’une de ces trois différentes manières.

 

S. Cyr. Il était du reste impossible que les Apôtres, ayant avec eux le Tout-Puissant, pussent jamais périr. Aussi Jésus-Christ, qui exerce une puissance souveraine sur tout ce qui existe, apaise subitement la tempête et la fureur des vents : « Et la tempête cessa, et il se fit un grand calme. » Il prouve ainsi qu’il est le Dieu dont le Psalmiste a chanté : « Vous dominez la puissance de la mer, vous apaisez ses flots soulevés. » (Ps 88.) — Bède. Dans cet événement de sa vie, le Seigneur fait voir clairement en lui deux natures dans une seule et même personne, puisque nous le voyons livré au sommeil, comme homme, et apaisant d’un seul mot, comme Dieu, la fureur de la mer.

 

S. Cyr. Or, Jésus apaise eu même temps la tempête extérieure de la mer, et la tempête intérieure des âmes : « Alors il leur dit : Où est donc votre foi ? » En leur parlant de la sorte, il nous apprend que ce n’est point la tentation, mais la faiblesse de l’âme qui produit la crainte ; car les tentations éprouvent la foi, comme le feu éprouve l’or. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Les autres Évangélistes rapportent diversement les paroles du Sauveur. D’après saint Matthieu, il aurait dit à ses disciples : « Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? » suivant le récit de saint Marc : « Pourquoi craignez-vous ? est-ce que vous n’avez pas encore la foi ? c’est-à-dire la foi parfaite, comme le grain de sénevé. » D’après saint Marc, il leur reproche donc aussi leur peu de foi, tandis que d’après saint Luc, il leur demande : « Ou est votre foi ? » Or, Notre-Seigneur a pu fort bien employer toutes ces locutions diverses : « Pourquoi craignez-vous ? où est votre foi ? hommes de peu de foi, » et les Évangélistes nous rapportent chacun une d’entre elles.

 

S. Cyr. A la vue de la tempête subitement apaisée à la parole de Jésus-Christ, les disciples, comme stupéfaits d’un tel miracle, s’interrogeaient les uns les autres : « Remplis de crainte et d’admiration, ils se disaient les uns aux autres, » etc. Ce n’est point par ignorance de ce qu’était Jésus, que les disciples parlent ainsi entre eux, car ils savaient très-bien qu’il était Dieu et Fils de Dieu ; mais ils sont remplis d’admiration à la vue de l’étendue de cette puissance qu’il possède de toute éternité, et de la gloire de sa divinité qu’il fait éclater dans ce corps visible et semblable au nôtre dont il s’est revêtu. « Et ils s’écrient : Quel est celui-ci ? » c’est-à-dire quelle grandeur, quelle puissance, quelle majesté ! car c’est une action faite avec empire, c’est le commandement d’un maître, ce n’est point l’humble demande d’un serviteur. — Bède. On peut dire aussi que ce ne sont pas les disciples, mais les matelots et ceux qui étaient avec eux dans la barque, qui sont remplis de crainte et d’admiration.

Dans le sens allégorique, cette mer, ce lac agités représentent l’agitation de la mer ténébreuse du monde. La barque est le symbole de l’arbre de la croix, à l’aide duquel les fidèles traversent les flots de cette mer du monde, et parviennent an rivage de la céleste patrie. — S. Ambr. Notre-Seigneur quitte ses parents pour monter dans cette barque, parce qu’il sait qu’il est venu dans le monde pour l’accomplissement de mystères tout divins. — Bède. Les disciples, sur l’invitation du Sauveur, montent avec lui dans la barque. Il leur dit en effet : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix et qu’il me suive. » Pendant que les disciples font cette traversée, c’est-à-dire pendant que les fidèles foulent aux pieds le monde et méditent dans leur coeur les douceurs du repos éternel ; pendant que, poussés par le souffle de l’Esprit saint, et aussi parleurs propres efforts, ils rejettent à l’envi derrière eux les vanités inconstantes et perfides du monde, le Seigneur s’endort tout à coup, c’est-à-dire que le temps de la passion du Seigneur est arrivé, et que la tempête vient fondre sur la terre, parce que pendant le sommeil de la mort, qu’il consent à subir sur la croix, les flots de la persécution se soulèvent sous l’impulsion du souffle des démons (cf. Ps 3, 5). La patience du Seigneur n’en est point troublée, mais la faiblesse des disciples en est ébranlée et saisie d’effroi. Ils s’empressent donc de réveiller le Seigneur dans la crainte de périr pendant son sommeil, parce qu’en effet, après avoir été témoins de sa mort, ils désirent vivement sa résurrection, dont le retard prolongé les exposerait à une perte certaine. Le Sauveur se lève et commande avec menace à la tempête, c’est-à-dire, que par sa prompte résurrection d’entre les morts, il a détruit l’orgueil du démon qui avait l’empire de la mort. (He 2.) Il calme l’agitation des flots, c’est-à-dire qu’en ressuscitant, il fait tomber la rage des Juifs qui insultaient à sa mort. — S. Ambr. Il veut nous apprendre qu’il est impossible de traverser sans tentations le cours de cette vie, parce que la tentation est l’épreuve naturelle de la foi. Nous sommes donc exposés aux tempêtes soulevées par les esprits mauvais ; mais ayons soin, comme de vigilants matelots, d’éveiller le pilote de la barque qui ne cède pas aux vents, mais qui leur commande ; et lors même qu’il est éveillé, prenons garde qu’il ne dorme encore pour nous, en punition du sommeil de notre corps. Ceux qui se laissent aller à la crainte dans la compagnie de Jésus-Christ, méritent le juste reproche qu’il leur fait, car celui qui s’attache à lui ne peut périr. — Bède. Nous voyons quelque chose de semblable à ce qui se passe ici, lorsque Jésus apparut après sa mort à ses disciples, et leur reprocha leur incrédulité (Mc 16), et qu’ayant apaisé la mer agitée jusque dans ses profondeurs, il fit éclater aux yeux de tous la puissance de sa divinité.

 

Vv. 26-39.

S. Cyr. Le Sauveur ayant traversé le lac, parvint au rivage opposé : « Ils abordèrent ensuite au pays des Géraséniens, qui est vis-à-vis de la Galilée. » Tite de Bost. Les manuscrits les plus authentiques ne portent ni Géraséniens, ni Gadariens, mais Gergéséniens. En effet, Gadara est une ville de Judée, près de laquelle on ne trouve ni lac, ni mer ; Gérasa est une ville d’Arabie, qui n’est elle-même voisine d’aucun lac, ni d’aucune mer. Mais Gergésa, d’où vient le nom de Gergéséniens, est une ville fort ancienne, située sur les bords du lac de Tibériade, dans les environs de laquelle se trouve un rocher qui domine le lac dans lequel les démons précipitèrent les pourceaux. Cependant comme les villes de Gérasa et de Gadara touchent aux confins du pays des Gergéséniens, il est vraisemblable que c’est de ces deux villes, que les pourceaux avaient été amenés dans le pays des Gergéséniens. Bède. Gérasa est une ville célèbre d’Arabie, qui échut autrefois à la tribu de Manassé (cf. Nb 34, 14 ; Dt 3, 13 ; 19, 8 ; Jos 12, 6 ; 13, 29 ; 17, 6.8.11 ; 22, 9), située au delà du Jourdain, près de la montagne de Galaad, non loin du lac de Tibériade, dans lequel les pourceaux se précipitèrent.

 

S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Lorsque le Sauveur fut descendu à terre, il fut témoin d’un phénomène bien plus surprenant que la tempête ; un possédé du démon, comme un esclave en présence de son maître, vient confesser sa dépendance et sa servitude : « Lorsqu’il fut descendu à terre, il vint au devant de lui un homme, » etc. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Saint Matthieu rapporte qu’ils étaient deux possédés ; saint Marc et saint Luc ne parlent que d’un seul, il faut donc entendre que l’un d’eux était un homme plus considérable et plus connu, dont tout le pays plaignait le triste sort, et désirait vivement la guérison. C’est ce que veulent faire entendre saint Marc et saint Luc en ne parlant que de celui des deux, dont l’état et la guérison avait eu une immense notoriété dans toute la contrée. — S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Ou bien, peut-être saint Luc s’est-il attaché à celui des deux qui était le plus furieux, et dont il fait un si triste tableau : « Il ne portait aucun vêtement, et n’avait d’autre habitation que les sépulcres, » etc. Or, les démons fréquentent les tombeaux des morts pour insinuer plus facilement aux hommes cette pernicieuse doctrine, que les âmes des morts deviennent des démons. — S. Cyr. Il errait sans vêtements dans les sépulcres des morts, preuve de la fureur des démons qui le possédaient. Or, la providence de Dieu permet que quelques-uns soient ainsi soumis au pouvoir des démons, pour nous faire considérer ce qu’ils sont à notre égard, nous faire renoncer à leur empire tyrannique, et par le triste spectacle d’un seul homme, victime de leur méchanceté, donner à tous une leçon salutaire.

S. Chrys. (Hom. 29.) Comme la multitude ne voyait dans Jésus qu’un homme, les démons viennent publier hautement sa divinité que la mer elle-même avait proclamée en calmant la fureur de ses flots soulevés : « Aussitôt qu’il vit Jésus, il se prosterna devant lui et il s’écria, » etc. — S. Cyr. Considérez quel mélange à la fois de crainte, d’audace et de désespoir extrêmes ; c’est le désespoir, en effet, qui lui dicte ces paroles pleines d’audace : « Qu’y a-t-il entre vous et moi, Jésus, Fils du Dieu très-haut ? et c’est sous l’impression de la crainte qu’il lui fait cette prière : « Je vous en conjure, ne me tourmentez pas. » Mais situ reconnais qu’il est le Fils du Dieu très-haut ! tu avoues donc qu’il est le Dieu du ciel et de la terre, et de tout ce qu’ils renferment. Pourquoi donc oses-tu usurper ce qui n’est pas à toi, mais n’appartient qu’à Dieu seul, en lui tenant ce langage : « Qu’y a-t-il entre vous et moi ? » Quel est le prince de la terre qui laisserait impunément les barbares attaquer les sujets de son empire : « Car Jésus commandait à l’esprit impur de sortir de cet homme, » et l’Évangéliste justifie l’urgence de ce commandement, en ajoutant : « Depuis longtemps, en effet, il était sous sa puissance, » etc. — S. Chrys. (hom. 99.) Personne n’osait ni s’approcher de ce possédé, ni s’en rendre maître, tandis que Jésus vient lui-même le trouver et lui adresse la parole.

 

« Jésus lui demanda : Quel est ton nom ? » — Bède. Si Jésus lui demande son nom, ce n’est pas qu’il l’ignore, mais pour que l’aveu public du mal terrible auquel il est en proie, fasse ressortir avec plus d’éclat la toute-puissance qui doit le guérir. C’est ainsi que les prêtres de notre temps qui chassent les démons par la grâce des exorcismes, nous disent qu’il n’y a pour les possédés d’autre moyen de guérison que l’aveu sincère et public de tout ce que les esprits immondes leur font souffrir durant le jour ou pendant leur sommeil, surtout lorsqu’ils paraissent désirer ou qu’ils semblent accomplir avec eux l’oeuvre de la chair, c’est pour cela que Jésus exige ici une espèce de confession : « Le démon lui répondit : Je m’appelle Légion, » parce qu’en effet, plusieurs démons étaient entrés dans cet homme.

S. Grég. de Nysse. (hom. sur les Cant.) C’est à l’exemple des milices célestes et des légions des anges, que les démons s’appellent légion, de même que le premier d’entre eux se vantait d’établir son trône au-dessus des astres, pour devenir semblable au Très-Haut (Is 25).

 

S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Le Seigneur était descendu sur la terre pour détruire l’empire du démon, qui jetait le trouble et le désordre parmi les créatures de Dieu ; les démons craignaient donc que le Sauveur n’attendît pas le temps marqué pour punir l’excès de leur malice, et comme ils ne pouvaient dissimuler leurs crimes, ils le supplient de retarder au moins leur châtiment : « Et ils le priaient de ne pas leur commander d’aller dans l’abîme. » — Theophyl. Les démons font cette demande, parce qu’ils veulent encore rester parmi les hommes. — S. Cyr. Nous avons ici une preuve évidente, que les phalanges ennemies de la majesté divine étaient précipitées dans les enfers par la puissance ineffable du Sauveur. — S. Max. Or, le Seigneur a établi pour chaque espèce de péché un châtiment correspondant : le feu de l’enfer pour punir les ardeurs coupables de la chair, le grincement de dents pour les rires lascifs, une soif intolérable pour la volupté et l’intempérance, le ver qui ne meurt pas pour le coeur dissimulé et méchant, les ténèbres éternelles pour l’ignorance et la fourberie, les profondeurs de l’abîme pour l’orgueil, et c’est pour cela que l’abîme est destiné aux démons qui sont des esprits d’orgueil.

 

« Or, il y avait là un nombreux troupeau de porcs, » etc. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 24.) Saint Marc dit que ce troupeau était autour de la montagne, et saint Luc, qu’il paissait sur la montagne ; il n’y a ici aucune contradiction. Ce troupeau était si nombreux, qu’une partie pouvait être autour de la montagne, et l’autre partie se trouver sur la montagne, puisqu’il y avait jusqu’à deux mille pourceaux, comme saint Marc le raconte (Mc 5). — S. Ambr. Les démons ne peuvent supporter l’éclat de la lumière céleste, de même que ceux qui ont les yeux malades ne peuvent supporter les rayons du soleil. — S. Cyr. C’est pour ce motif que cette légion d’esprits immondes demande à être envoyée dans un troupeau de pourceaux immondes, à cause de la conformité de leurs instincts : « Et ils le prièrent de leur permettre d’y entrer, et il le leur permit. » — S. Athan. (Vie de saint Ant.) Si les démons n’ont point de pouvoir sur les pourceaux, à plus forte raison n’en ont-ils aucun sur les hommes qui sont faits à l’image de Dieu ; c’est donc Dieu seul qu’il faut craindre et n’avoir que du mépris pour eux. — S. Cyr. Notre-Seigneur leur accorda cette permission, afin que cet événement devînt pour nous une cause de salut et un motif d’espérance ou de confiance. — Suite. « Et il le leur permit. » Considérez combien la méchanceté des démons est grande, et le mal qu’ils font à ceux qui sont soumis à leur empire en les voyant précipiter et noyer dans la mer ce troupeau de pourceaux : « Sortant donc de cet homme, les démons entrèrent dans les pourceaux ; et le troupeau prenant sa course, se précipita dans le lac par un endroit escarpé et s’y noya. » Jésus-Christ accéda à leur demande, pour faire ressortir toute leur cruauté. Il fallut aussi montrer que le Fils de Dieu avait le gouvernement de toutes choses, aussi bien que le Père, et qu’il possédait une même gloire et une puissance égale.

Tite de Bostr. Cependant les gardiens prennent la fuite dans la crainte de périr avec leurs pourceaux : « Ce qu’ayant vu, les gardiens s’enfuirent, et en portèrent la nouvelle dans la ville et dans les villages, » semant dans l’âme de leurs habitants la crainte et l’effroi, par le récit de cet événement. La perte qu’ils viennent d’essuyer les fait venir trouver le Sauveur : « Plusieurs sortirent pour voir ce qui était arrivé, et ils vinrent à Jésus. » Voyez comme en châtiant les hommes dans leurs biens temporels, Dieu se rend le bienfaiteur de leurs âmes. Lorsqu’ils furent arrivés, ils trouvèrent parfaitement guéri celui que le démon ne laissait pas un seul moment en repos : « Et ils trouvèrent assis à ses pieds l’homme de qui les démons étaient sortis, vêtu et sain d’esprit, lui qui, jusque-là, était toujours sans vêtement, car cet homme ne quittait pas les pieds de celui à qui il devait sa guérison. A la vue de cette guérison miraculeuse, ils furent saisis d’admiration et d’étonnement : « Et ils furent remplis de crainte, » ajoute l’Évangéliste, tant parce qu’ils virent de leurs yeux que parce qui leur était raconté : « Et ceux qui avaient vu, leur racontèrent comment il avait été délivré de la légion. » Leur premier sentiment devait être de supplier le Seigneur de ne point s’éloigner, mais de garder leur pays contre les nouvelles attaques du démon, mais non, la crainte leur fait sacrifier leur propre salut, et ils prient le Sauveur de s’éloigner d’eux.

« Alors tous les habitants du pays de Gérasa le prièrent de s’éloigner d’eux, parce qu’ils étaient saisis d’une grande frayeur. » — Théophyl. Ils craignaient d’être encore exposés à de nouveaux dommages, comme celui qu’ils venaient de souffrir par la perte des pourceaux. — S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Admirez la mansuétude de Jésus-Christ, après de si grands bienfaits, on le renvoie, il ne résiste point, il se retire et abandonne ceux qui se déclarent ainsi indignes de recevoir sa doctrine.

« Il monta donc dans la barque pour s’en retourner. » — Tite de Bostr. (sur S. Matth) Le Sauveur s’éloigne, mais celui qu’il venait de délivrer ne veut pas le quitter : « Et l’homme de qui les démons étaient sortis, le priait de l’admettre à sa suite. » — Théophyl. Une triste expérience lui faisait craindre de retomber au pouvoir des démons, s’il s’éloignait de Jésus. Mais Notre-Seigneur lui fait comprendre que, sans demeurer avec lui, il pouvait le protéger par sa puissance : « Jésus le renvoya, en disant : Retournez en votre maison, et racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous. » Il ne dit point : Que j’ai faites pour vous, et il nous donne en cela cet exemple d’humilité, de rapporter à Dieu tout le mérite de nos bonnes actions. — Tite de Bostr, (sur S. Matth.) Il ne se met pas toutefois en contradiction avec la vérité en parlant de la sorte, car tout ce que fait le Fils, le Père le fait avec lui. Mais pourquoi Jésus qui, toujours défendait à ceux qu’il guérissait de leurs infirmités, d’en parler à personne, dit à cet homme qu’il venait de délivrer d’une légion de démons : « Racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous ? » Parce que ce peuple était plongé dans l’ignorance de Dieu et livré tout entier au culte des démons ; ou bien, si l’on veut une explication plus vraie, lorsqu’il rapporte un miracle à son Père, il commande de le publier ; lorsqu’il s’agit personnellement de lui-même, il défend d’en parler à qui que ce soit. Mais cet homme qu’il venait d’arracher à la tyrannie des démons, savait que Jésus était Dieu, c’est pourquoi il s’empresse de publier la grâce extraordinaire qui venait de lui être faite : « Et il s’en alla, publiant par toute la ville les grandes choses que Jésus lui avait faites. » — S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) C’est ainsi que Notre-Seigneur abandonne ceux qui se sont déclarés indignes de ses divins enseignements, en leur laissant pour maître celui qu’il venait de délivrer de la servitude des démons.

 

Bède. Dans le sens mystique, Gérasa représente les Gentils, que le Seigneur a visités par ses prédicateurs, après sa mort et sa résurrection. En effet, Gérasa, ou Gergésa (comme lisent plusieurs), signifie, qui chasse l’habitant, c’est-à-dire, le démon qui l’habitait auparavant, ou encore, arrivée de l’étranger, qui s’en trouvait éloigné.

 

S. Ambr. Le nombre de ceux qui furent guéris dans cette circonstance par Jésus-Christ, est différent dans saint Luc et dans saint Matthieu, mais le sens mystérieux de ce miracle est le même, car cet homme qui était possédé est, dans saint Luc, la figure du peuple des Gentils, comme les deux possédés dont parle saint Matthieu, le sont également. En effet, Noé ayant eu trois fils, Sem, Cham et Japhet, la postérité de Sem eut seul le privilège d’être le peuple de Dieu, et les deux autres furent la. souche de tous les autres peuples. Cet homme était depuis longtemps, possédé du démon, parce que depuis le déluge, ces peuples étaient sous la domination de l’esprit mauvais. Il était, nu, c’est-à-dire, qu’il avait perdu les vertus qui servaient de vêtement et à la fois d’ornement à sa nature. — S Aug. (Quest. évang., 1, 14.) Il n’habitait point de maison, c’est-à-dire, qu’il ne se reposait pas dans sa conscience ; il demeurait dans les tombeaux, parce qu’il se plaisait dans les oeuvres mortes, c’est-à-dire, dans les péchés. — S. Ambr. Ou bien encore, que sont les corps des infidèles, sinon des espèces de tombeaux dans lesquels la parole de Dieu ne peut habiter ?

 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 13.) Les entraves et les chaînes de fer qui liaient ses membres, représentent les lois sévères et accablantes qui réprimaient les crimes dans les gouvernements des infidèles. Cet homme ayant brisé ses chaînes, était entraîné par le démon dans le désert, c’est-à-dire que, lorsqu’on a transgressé ces lois, la passion conduit à des forfaits qui dépassent la mesure des crimes ordinaires. Il était possédé d’une légion de démons, et figurait les nations esclaves elles-mêmes d’une multitude de démons. Le Sauveur permet à ces esprits mauvais d’entrer dans des pourceaux qui paissaient sur les montagnes, et qui sont la figure de ces hommes à la fois immondes et superbes que le culte impur des idoles place sous la tyrannie des démons. — S. Ambr. Les pourceaux sont ces hommes qui, semblables à ces animaux immondes, et privés de la parole et de la raison, souillent l’éclat et la beauté des vertus naturelles par l’infamie de leurs moeurs. — S. Aug. (Quest. évang.) Ils sont précipités dans la mer, c’est-à-dire, que lorsque l’Église est enfin glorifiée et le peuple des Gentils délivré de la domination des démons, ceux qui n’ont pas voulu croire à Jésus-Christ, précipités dans les abîmes par leur curiosité aveugle et démesurée, sont condamnés à célébrer dans des retraites cachées leurs rites sacrilèges.

 

S. Ambr. Les pourceaux sont précipités avec impétuosité dans la mer, parce que ces hommes ne sont retenus par la considération d’aucune vertu, mais sont entraînés dans la profondeur des abîmes sur le penchant rapide de la corruption, et vont perdre la respiration et la vie au milieu des flots de ce monde. Il est impossible, en effet, à ceux qui sont le jouet des flots agités de la volupté, de pouvoir conserver la respiration et la vie de l’âme. Nous voyons par là que l’homme est lui-même l’auteur de son malheur, car s’il ne vivait pas de la vie des animaux immondes, jamais le démon n’eût reçu de pouvoir sur lui, ou bien ce n’eût été que pour l’éprouver et non pour le perdre. On peut dire aussi que le démon, dans l’impuissance où il est de s’attaquer aux bons depuis la venue du Sauveur, ne cherche plus à perdre tous les hommes, mais seulement les âmes légères et inconstantes, de même qu’un voleur n’attaque pas ceux qui sont armés, mais ceux qu’il voit sans défense. Les gardiens des troupeaux, témoins de cet événement, s’enfuirent. En effet, ce ne sont ni les maîtres de la philosophie, ni les chefs de la synagogue, qui peuvent donner des remèdes efficaces aux peuples atteints de maladies mortelles, Jésus-Christ est le seul qui peut les délivrer de leurs péchés. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 14.) Ou bien encore, ces gardiens de pourceaux qui s’enfuirent, représentent les chefs des impies qui ne veulent point observer la loi chrétienne, mais qui, néanmoins, sont remplis d’admiration pour elle, et ne peuvent s’empêcher de publier parmi les infidèles son étonnante puissance. Les Géraséniens qui, en apprenant ce qui s’est passé, prient Jésus de s’éloigner, figurent cette multitude d’hommes qui, séduits et retenus par les plaisirs dans lesquels s’est écoulée toute leur vie, honorent la religion chrétienne, mais ne veulent point embrasser ses prescriptions, sous le prétexte qu’ils ne pourraient les accomplir ; ils ne laissent pas toutefois d’admirer le peuple fidèle qu’ils voient guéri de l’état désespéré où ses crimes l’avaient réduit. — S. Ambr. Ou bien encore, la ville des Géraséniens est la figure de la synagogue, ses habitants supplient le Seigneur de s’éloigner, parce qu’ils sont saisis d’épouvante, car l’âme qui est encore faible n’est point capable d’entendre la parole de Dieu, et ne peut supporter le poids de la sagesse. Aussi le Sauveur ne vent point leur être plus longtemps importun, il quitte ces lieux peu élevés pour gagner les hauteurs, c’est-à-dire, qu’il se rend de la synagogue à l’Église. Il traverse de nouveau le lac, car personne ne peut passer de l’Église à la synagogue, sans danger pour son salut. Pour celui qui veut accomplir ce passage, qu’il porte sa croix s’il veut éviter tout danger. — S. Aug. (Quest. évang.) Cet homme que Jésus vient de guérir, veut rester avec lui, et le Sauveur s’y oppose « Retournez en votre maison, lui dit-il, et racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous. Apprenons de là, qu’après avoir obtenu la rémission de nos péchés, nous devons rentrer dans notre bonne conscience comme dans une demeure assurée, et chercher à étendre l’Évangile pour le salut des autres, si nous voulons un jour nous reposer avec Jésus-Christ ; car en désirant être réuni à Jésus-Christ avant le temps marqué, on s’expose à négliger le ministère de la prédication, qui a pour objet le salut de nos frères.

 

Vv. 43-48.

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 28.) Après avoir raconté le miracle opéré chez les Géraséniens, l’Évangéliste passe à la résurrection de la fille du chef de la synagogue : « Jésus étant revenu, le peuple le reçut avec joie, parce qu’il était attendu de tous. » — Théophyl. Ils l’attendaient pour entendre sa doctrine et pour être témoins de ses miracles. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Le fait que salut Luc rapporte en cet endroit : « Un homme, appelé Jaïre, » etc., n’arriva point aussitôt après celui qu’il vient de raconter. Il faut placer auparavant le repas des publicains dont parle saint Matthieu, et auquel il fait succéder si étroitement (Mt 9, 18) ce miracle de la résurrection de la fille de Jaïre, qu’aucun autre ne peut être placé entre les deux. — Tite de Bost. L’Évangéliste donne le nom de ce chef de la synagogue, à cause des Juifs qui connurent alors cet événement, et pour rendre plus évidente la preuve du miracle. Ce n’est point un des derniers du peuple, mais un chef de synagogue qui vient trouver Jésus pour mieux confondre les Juifs et leur ôter toute excuse : « Il était chef de la synagogue. » Il vint trouver Jésus, parce qu’il y était comme forcé par la nécessité ; car quelquefois c’est la douleur qui nous porte au bien, selon cette parole du Psalmiste : « Resserrez avec le mors et le frein la bouche de ceux qui ne veulent point s’approcher de vous. » — Théophyl. Il vient donc, sous l’impulsion de la douleur qu’il éprouve, se jeter aux pieds de Jésus. Il aurait dû, sans y être contraint par la nécessité, se prosterner à ses pieds, et reconnaître sa divinité. — S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth., et Tite de Bost.) Voyez quelle est encore son ignorance, il demande à Jésus-Christ de venir chez lui : « Il le suppliait de venir dans sa maison, » c’est-à-dire qu’il ignorait que Jésus pût guérir sa fille sans être extérieurement présent ; car s’il l’avait su, il eût dit à Jésus comme le centurion : « Dites seulement une parole, et ma fille sera guérie. » (Mt 8.) — Asterius. (Ch. des Pèr. gr.) L’Évangéliste nous fait connaître la cause de sa démarche : « Il avait une fille unique, l’espérance de sa maison et de la perpétuité de sa race ; elle avait environ douze ans, c’est-à-dire à la fleur de l’âge ; elle se mourait, et au lieu du lit nuptial, elle allait être portée au tombeau. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Or, le Seigneur n’était pas venu sur la terre pour juger le monde, mais pour le sauver, il n’a donc point égard à la dignité de celui qui l’implore, mais il poursuit tranquillement son oeuvre, sachant bien qu’il allait opérer un miracle plus grand que celui qu’on lui demandait. En effet, on l’appelait pour guérir une jeune fille malade, mais il savait qu’il allait la ressusciter après sa mort, et inspirer ainsi aux hommes l’espérance certaine de la résurrection.

S. Ambr. Avant de ressusciter cette jeune fille, il guérit l’hémorroïsse pour exciter la foi du chef de la synagogue ; c’est ainsi que nous célébrons la résurrection temporelle dans la passion du Sauveur, pour affermir notre foi à la résurrection éternelle : « Comme Jésus s’en allait aveu lui, et qu’il était pressé par la foule. » — S. Cyr. Preuve évidente qu’il avait pris une chair véritable, et qu’il foulait aux pieds tout sentiment d’orgueil ; car la foule ne le suivait pas à distance, mais l’entourait et le pressait.

Astérius. Or, une femme atteinte d’une grave maladie, dont l’infirmité avait épuisé les forces corporelles, et les médecins la fortune, n’a plus d’autre espérance dans une si grande extrémité, que devenir se jeter aux pieds du Seigneur : « Et une femme malade d’une perte de sang depuis douze ans, » etc. — Tite de Bost. (sur S. Matth.) Quels éloges ne méritent pas, cette femme qui, dans l’épuisement de ses forces, causé par cette perte continuelle de sang, au milieu de tout ce peuple qui s’empresse autour du Seigneur, soutenue par sa foi et par le désir d’être guérie, traverse la foule, et, se dérobant aux regards du Sauveur, se tient derrière lui, et touche la frange de son vêtement (cf. Nb 15, 38)

« Et elle toucha la frange de son vêtement. » — S. Cyr. Car il était défendu à ceux qui étaient souillés de quelque impureté, de toucher ceux qui étaient purs, ou de s’approcher de ceux que la loi réputait pour saints. — S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth.) D’après la loi, cette maladie était regardée comme une des plus grandes souillures. (Lv 15.) D’ailleurs cette femme n’avait pas encore une bien juste idée du Sauveur, puisqu’elle espérait pouvoir lui cacher cette démarche ; cependant elle s’approche de lui dans la ferme espérance d’être guérie.

 

Théophyl. Celui qui approche l’oeil d’une vive lumière, en ressent aussitôt les effets ; les épines s’embrasent au premier contact du feu ; ainsi, quiconque s’approche avec foi de celui qui peut le guérir, obtient aussitôt sa guérison : « Et aussitôt sa perte de sang s’arrêta. » Ce ne furent pas les seuls vêtements du Sauveur qui produisirent ce merveilleux effet (car les soldats les tirèrent au sort entre eux, sans éprouver rien de semblable) (cf. Mt 27, 35 ; Mc 15, 34 ; Jn 19, 23 et 24), mais elle fut guérie par la vivacité de sa foi. — Théophyl. Elle crut, et aussitôt elle fut guérie, et elle suivit ici un ordre vraiment admirable en ne touchant extérieurement le Sauveur qu’après l’avoir touché spirituellement par la foi.

Astérius. Or, Notre-Seigneur entendit les pensées de cette femme, toute muettes qu’elles étaient, et il guérit sans proférer une seule parole celle qui le priait en silence, en lui laissant pour ainsi dire dérober sa guérison, mais il publie ensuite ce miracle : « Et Jésus dit : Qui m’a touché ? » — S. Cyr. Le Seigneur ne pouvait ignorer le miracle qu’il venait d’opérer, mais bien qu’il connaisse toutes choses, il interroge comme s’il ne savait rien. — S. Grég. (ou Victor d’Antioche.) Or, les disciples ne comprenant pas la vraie signification de cette question, et pensant que Jésus voulait parler d’un simple attouchement ordinaire, lui répondent dans ce dernier sens : « Tous s’en défendant, Pierre dit : La foule vous presse de toutes parts, et vous dites : Qui m’a touché ? » etc. Aussi Notre-Seigneur, dans sa réponse, précise la nature de cet attouchement : « Jésus dit : Quelqu’un m’a touché. » C’est dans ce même sens qu’il disait : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende, » quoique tous aient les oreilles du corps, parce que ce n’est pas entendre véritablement, que d’entendre sans attention ; de même qu’on ne touche véritablement, que lorsqu’on est inspiré par la foi. — S. Cyr. Le Sauveur fait connaître ce qui vient d’arriver : « Car j’ai senti qu’une vertu était sortie de moi. » En parlant de la sorte, il se conforme aux idées de ceux qui l’écoutent, mais il leur découvre en même temps sa divinité, tant par le miracle qu’il vient d’opérer, que par ses paroles ; car ni la nature humaine, ni peut-être la nature angélique ne peuvent produire d’elles-mêmes une vertu, une puissance semblable, c’est un privilège qui n’appartient qu’à la nature divine ; nulle créature, en effet, ne possède en propre la puissance de guérir les maladies ou d’opérer tout autre miracle de ce genre, elle ne peut la recevoir que de Dieu. Or, ce n’est point par un vain désir de gloire qu’il voulut que cet acte de la puissance divine fût connu de tous, lui qui si souvent avait défendu de publier ses miracles, mais dans l’intérêt de ceux qui sont appelés à la grâce de la justification par la foi. — S. Chrys. (hom. 36 sur S. Matth.) Il commence par calmer la crainte de cette femme, dont la conscience alarmée aurait pu lui reprocher d’avoir comme dérobé la grâce de sa guérison ; troisièmement, il fait l’éloge de sa foi devant tous ceux qui sont présents, et la propose à leur imitation ; et en faisant voir que toutes choses lui sont connues, il ne fait pas un moindre miracle que celui de la guérison de cette femme. — S. Cyr. Par là enfin, il amenait le chef de la synagogue à croire, sans hésiter, qu’il délivrerait sa fille des liens de la mort.

S. Chrys. Notre-Seigneur ne fit pas connaître immédiatement cette femme, il voulait, en montrant que rien ne lui est caché, la déterminer à publier ce qui venait d’arriver et qu’il ne pût exister aucun doute sur la vérité du miracle : « Cette femme, se voyant découverte, vint toute tremblante, » etc. — Orig. Le Sauveur confirme alors, par ses paroles, la guérison qu’elle a obtenue en touchant ses vêtements : « Et Jésus lui dit : Ma fille, votre foi vous a guérie, allez en paix, » c’est-à-dire soyez délivrée de l’épreuve qui vous affligeait. Il ne guérit donc le corps qu’après avoir guéri l’âme par la foi. — Tite de Bost. Il l’appelle sa fille, parce que sa foi a été la cause de sa guérison, et que la foi nous obtient aussi la grâce de l’adoption.

Eusèbe. (hist. ecclés., 7, 14.) On rapporte que cette femme fit ériger dans la ville de Panéade (Césarée de Philippe), d’où elle était originaire, un monument remarquable, en souvenir du bienfait qu’elle avait reçu du Sauveur. On voyait à l’entrée de la porte de sa demeure, sur un piédestal élevé, une statue d’airain, représentant une femme à genoux, les mains jointes, dans l’attitude de la prière ; de l’autre côté se dressait une autre statue de même matière, représentant un homme vêtu d’un manteau, la main étendue vers cette femme ; à ses pieds, sur la base, on voyait une plante exotique, qui montais jusqu’au bord du manteau d’airain, et à laquelle on attribuait la propriété de guérir toutes les douleurs. Cette statue, disait-on, représentait Jésus-Christ, et l’empereur Maximin la fit détruire.

 

S. Ambr. Dans un sens mystique, Jésus-Christ avait quitté la synagogue en s’éloignant des Géraséniens, et nous qui sommes étrangers, nous recevons celui que les siens n’ont pas voulu recevoir. — Bède. Ou encore, le Seigneur reviendra trouver les Juifs à la fin des temps, et ils le recevront en s’empressant d’embrasser la foi. — S. Ambr. Mais que représente ce chef de la synagogue, sinon la loi, en considération de laquelle le Seigneur n’a pas entièrement abandonné la synagogue ? — Bède. Ou bien ce prince de la synagogue, c’est Moïse. Il porte avec raison le nom de Jaïre (c’est-à-dire qui éclaire ou qui est éclairé), parce que celui qui reçoit les paroles de vie pour nous les communiquer, éclaire les autres, et est éclairé lui-même par l’Esprit-Saint. Le chef de la synagogue se prosterne aux pieds de Jésus, parce que le législateur des Juifs, et toute la succession des patriarches reconnurent que le Christ fait homme leur était de beaucoup supérieur. Car si Dieu est la tête du Christ (1 Co 11), il est juste de voir dans ses pieds son incarnation par laquelle il a touché la terre de notre mortalité. Il prie Jésus d’entrer dans sa maison, parce qu’il désirait voir son avènement. Sa fille unique, c’est la synagogue, qui seule est établie en vertu d’une institution légale ; elle allait mourir, âgée seulement de douze ans (c’est-à-dire aux approches de sa puberté), parce qu’en effet, après avoir reçu des prophètes une éducation distinguée, elle devait, une fois parvenue à l’âge du discernement, produire pour Dieu des fruits spirituels ; mais la multiplicité de ses erreurs l’ayant fait tomber en langueur, elle ne put entrer dans les voies de la vie spirituelle, et si Jésus-Christ ne fût venu à son secours, elle eût succombé à une mort certaine. Tandis que le Seigneur se dirige vers la maison de la jeune fille qu’il va guérir, il est pressé par la foule, parce qu’en effet, il est comme accablé par les moeurs de ceux qui mènent une vie charnelle, alors qu’il annonce aux Juifs les enseignements du salut. — S. Ambr. Mais tandis que le Verbe de Dieu se rend chez cette fille du chef de la synagogue pour sauver les enfants d’Israël, la sainte Église, composée des Gentils, et qui allait périr victime de ses désordres et de ses crimes, dérobe par la foi la grâce de la guérison qui était réservée à d’autres. — Bède. Cette perte de sang peut s’entendre de deux manières, et de la prostitution de l’idolâtrie, et des honteuses jouissances de la chair et du sang. — S. Ambr. Mais que signifient cette fille du chef de la synagogue, qui meurt à l’âge de douze ans, et cette femme qui souffrait depuis douze ans d’une perte de sang, sinon que l’Église a été dans le travail et la souffrance, tant que la synagogue a existé ? — Bède. Car ce fut presque dans le même siècle que la synagogue prit naissance dans la personne des patriarches, et que les Gentils se souillèrent par les pratiques d’un culte idolâtrique.

S. Ambr. Cette femme avait épuisé toute sa fortune pour se faire traiter par les médecins ; ainsi le peuple des Gentils avait perdu tous les dons de la nature. — Bède. Ces médecins représentent ou les faux théologiens, ou les philosophes, et les docteurs des lois humaines, qui font de longues dissertations sur les vertus et sur les vices, et promettent aux hommes de leur donner des règles utiles pour les diriger dans la conduite de la vie. Ou bien encore, ces médecins sont les esprits immondes qui, sous le voile d’un intérêt hypocrite, se faisaient adorer par les hommes à la place de Dieu. Or, plus la gentilité avait dépensé de facultés naturelles pour écouter tous ces docteurs, et plus il était difficile de la purifier des souillures de ses crimes. — S. Ambr. Mais dès que la gentilité apprit que le peuple juif était lui-même malade, elle conçut l’espoir de sa guérison, elle reconnut que le temps était arrivé où un divin médecin devait descendre du ciel, elle se leva pour aller à sa rencontre, puisant un saint empressement dans sa foi, mais retenue par sa timidité naturelle ; car c’est le propre de la pudeur et de la foi de reconnaître son infirmité, sans désespérer du pardon. Elle touche le bord du vêtement du Sauveur honteuse et craintive, elle s’approche avec confiance, elle croit d’une foi religieuse et sincère, et reconnaît sagement qu’elle a obtenu sa guérison. Ainsi le peuple des Gentils qui a cru au vrai Dieu, a rougi des crimes auxquels il voulait renoncer, a embrassé la foi qu’il devait professer, fait preuve de piété dans ses prières, de sagesse, en reconnaissant sa guérison, de confiance, en avouant qu’il avait comme soustrait la grâce qui était destinée à d’autres. Cette femme s’approche de Jésus par derrière, pour toucher son vêtement, parce qu’il est écrit : « Vous marcherez après le Seigneur votre Dieu. » (Dt 13.) — Bède. Et Jésus-Christ lui-même a dit : « Si quelqu’un veut être mon serviteur, qu’il me suive. » (Jn 13.) Ou bien encore, parce que celui qui ne voit point le Seigneur dans sa chair mortelle, après l’accomplissement et la consommation des mystères de sa vie temporelle, marche cependant sur ses traces par la foi.

S. Grég. (Mor., 3, 11.) Tandis que la foule presse de tous côtés le Rédempteur, une seule femme le touche véritablement, parce que dans l’Église, tous ceux qui suivent les penchants de la chair pressent le Sauveur, dont ils sont cependant bien éloignés, et ceux-là seuls le touchent, qui lui sont véritablement unis par l’humilité. Ainsi la foule le presse sans le toucher, parce qu’elle est importune par sa présence, et absente par sa vie. — Bède. Ou bien encore, il n’y a qu’une seule femme pour toucher le Seigneur avec foi, parce qu’on ne peut chercher avec foi que par le coeur de l’Église catholique celui qui est affligé par le désordre des diverses hérésies. — S. Ambr. Ceux qui le pressent, ne croient point en lui, ceux-là seuls ont la foi, qui le touchent ; c’est par la foi que l’on touche Jésus-Christ, c’est par la foi qu’on le voit. Enfin, pour manifester la foi de cette femme qui le touche, il dit : « J’ai senti qu’une vertu était sortie de moi, » preuve évidente que la divinité n’est pas renfermée dans les bornes étroites de la nature humaine, et dans la prison du corps, mais que sa puissance éternelle déborde au delà des limites de notre faible nature. Ce n’est pas, en effet, par un acte de la puissance humaine, que le peuple des Gentils est délivré, c’est la grâce de Dieu qui réunit toutes les nations qui, par une foi encore imparfaite, inclinent vers elle la miséricorde éternelle. En effet, si nous considérons d’un côté l’étendue de notre foi ; de l’autre la grandeur du Fils de Dieu, nous verrons qu’en comparaison de cette grandeur divine, nous touchons seulement le bord de son vêtement, sans que nous puissions en atteindre le haut. Si donc nous voulons obtenir notre guérison, touchons par la foi le bord du vêtement de Jésus-Christ, personne ne peut le toucher sans qu’il le sache. Heureux celui qui touchera la moindre partie du Verbe, car qui peut le comprendre tout entier ?

 

Vv. 49-56.

S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth.) C’est par un dessein providentiel que Notre-Seigneur attendait que cette jeune fille fût morte, afin de rendre plus éclatant le miracle de sa résurrection ; c’est dans cette intention qu’il marche lentement, qu’il prolonge son entretien avec cette femme, jusqu’à ce que la fille du chef de la synagogue expirât, et que la nouvelle lui en fût apportée : « Comme il parlait encore, quelqu’un vint dire au chef de la synagogue : Votre fille est morte, » etc. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 28.) Que saint Matthieu raconte que le chef de la synagogue annonce au Seigneur, non que sa fille allait mourir, mais qu’elle était morte, tandis que saint Luc et saint Marc rapportent qu’elle n’était pas encore morte, tellement qu’ils ajoutent qu’on vint ensuite annoncer sa mort, il n’y a ici aucune contradiction. Saint Matthieu, pour abréger, a voulu dire tout d’abord, que le Seigneur fut prié de faire ce qu’il fit en réalité, c’est-à-dire, de ressusciter cette jeune fille qui était morte ; il a donc moins égard aux paroles du père, qu’à son désir et à sa volonté, ce qui est beaucoup plus important, sans doute. Si les deux autres Évangélistes, ou l’un d’eux seulement avait mis dans la bouche du père le langage de ceux qui vinrent de chez lui, c’est-à-dire, qu’il ne fallait pas davantage tourmenter Jésus, parce que la jeune fille était morte ; les paroles que lui prête saint Matthieu, seraient en opposition avec sa pensée, mais on ne lit nullement que le père se soit joint aux envoyés pour empêcher le divin Maître de venir. Aussi Notre-Seigneur, sans lui reprocher son manque de confiance, affermit au contraire sa foi et la rend inébranlable : « Jésus, ayant entendu cette parole, dit au père de la jeune fille : Croyez seulement et elle sera sauvée. » — S. Athan. (disc. sur la pass. et la croix du Seigneur.) Le Seigneur exige la foi de ceux qui l’invoquent, non qu’il ait besoin du secours d’autrui (puisqu’il est le maître et le distributeur de la foi), mais pour ne point paraître faire acception de personne dans la distribution de ses dons. Il montre ainsi qu’il n’accorde ses grâces qu’à ceux qui croient, parce qu’il ne veut pas que ses bienfaits tombent dans une âme dépourvue de foi, qui les laissera bientôt perdre par son infidélité, Il veut au contraire que la grâce de ses bienfaits persévère, et que la guérison qu’il accorde soit constante et durable.

Théophyl. Avant de ressusciter cette jeune fille qui était morte, il fit sortir tout le monde, pour nous apprendre à fuir toute vaine gloire et à ne rien faire par ostentation Ainsi, lorsque Dieu donne à quelqu’un la grâce de faire des miracles, il ne doit point rester dans la foule, mais rechercher la solitude et se séparer du monde : « Etant arrivé à la maison, il ne permit à personne d’entrer avec lui, si ce n’est à Pierre, à Jacques et à Jean. » Il ne laisse entrer que les premiers de ses disciples, comme plus capables de tenir secret ce miracle, car il ne voulait pas qu’il fût divulgué avant les temps marqué, peut-être à cause de l’envie que lui portaient les Juifs. Ainsi, lorsque nous sommes pour un de nos frères un objet d’envie, gardons-nous de lui faire connaître nos bonnes oeuvres, pour ne pas donner à sa jalousie une nouvelle pâture. — S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth.) Il ne prit point avec lui les autres disciples, pour stimuler leurs désirs, et aussi parce que leurs dispositions n’étaient pas assez parfaites. Il choisit Pierre et les fils de Zébédée, pour exciter les autres à les imiter. Il prend aussi comme témoins les parents de la jeune fille, afin que personne ne pût s’inscrire en faux contre les preuves de cette résurrection. Remarquez encore qu’il fit retirer tous ceux qui pleuraient, et qu’il juge indignes de voir ce miracle : « Or, tous pleuraient et se lamentaient sur elle. » Si le Sauveur bannit alors les pleurs et les larmes, à plus forte raison, devons-nous maintenant imiter cet exemple ? Car on ne comprenait pas aussi clairement alors que la mort ne fût qu’un sommeil pour le chrétien. Que personne donc ne s’abandonne à une douleur exagérée, et ne fasse ainsi injure à la victoire que Jésus-Christ a remportée sur la mort, qui n’est plus maintenant qu’un simple sommeil, comme Notre-Seigneur l’établit, en ajoutant : « Ne pleurez pas, elle n’est, pas morte, mais elle dort. » Il montre ainsi que toutes choses lui sont faciles, et qu’il peut aussi facilement la rappeler à la vie que la réveiller de son sommeil : « Et ils se moquaient de lui, sachant bien qu’elle était morte. » Le Sauveur ne leur fait aucun reproche, il n’arrête pas leurs dérisions qui seront une preuve évidente de la mort de cette jeune fille. Comme la plupart du temps, les hommes, malgré les miracles dont ils sont témoins, persévèrent dans leur incrédulité, il veut les convaincre d’avance par leurs propres paroles, et pour les disposer à croire à la résurrection par le spectacle qu’ils avaient sous les yeux, il prend la main de la jeune fille : « Alors prenant sa main, il dit à haute voix : Jeune fille, levez-vous. » Et dès qu’il eut pris sa main, elle fut ressuscitée : « Et son âme revint dans son corps, et elle se leva à l’instant. » En effet, le Sauveur ne lui donne pas une âme différente de la sienne, mais il lui rend la même qu’elle avait perdue avec le dernier soupir. Non seulement il ressuscite cette jeune fille, mais il veut qu’on lui donne à manger : « Et Jésus commanda de lui donner à manger, » preuve évidente que cette résurrection n’était pas imaginaire. Et il ne veut pas lui donner à manger lui-même, il la fait servir par d’autres ; il agit de même dans la résurrection de Lazare, il dit à ses disciples : « Déliez-le, » et l’admet ensuite à sa table.

 

Sévère d’Antioche. Les parents de cette jeune fille sont plongés dans la stupeur et prêts à pousser des exclamations d’étonnement et de joie ; Jésus les contient : « Son père et sa mère étaient hors d’eux-mêmes d’étonnement, et il leur commanda de ne dire à personne ce qui était arrivé. » Il montre ainsi qu’il est l’auteur et la source de tous les biens, qu’il les répand sans aucune recherche personnelle, et qu’il donne tout sans rien recevoir. Celui, au contraire, qui poursuit avec empressement la vaine gloire dans ses bonnes oeuvres, donne, il est vrai d’un côté, mais pour recevoir de l’autre.

 

 Bède. Dans le sens mystique, à peine cette femme malade d’une perte de sang, est-elle guérie, qu’on vient annoncer à Jésus la mort de la fille du chef de la synagogue. C’est qu’en effet, lorsque l’Église fut purifiée des souillures de ses vices, la synagogue expira aussitôt victime de son infidélité et de sa noire envie ; de son infidélité parce qu’elle refuse de croire en Jésus-Christ, de jalousie, parce qu’elle s’attrista de voir l’Église embrasser la foi.

S. Ambr. Les serviteurs du prince de la synagogue eux-mêmes ne pouvaient croire encore à la résurrection que Jésus-Christ avait prédite dans la loi (Ps 15), et qu’il accomplit plus tard sous le règne de l’Évangile, et ils disent au père de la jeune fille : « Ne le tourmentez pas davantage, » comme s’il lui était impossible de rappeler cette jeune fille à la vie. — Bède. C’est le même langage que tiennent encore aujourd’hui ceux qui regardent l’état de la synagogue comme tellement désespéré, qu’ils ne croient pas qu’elle puisse être jamais rétablie, mais ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu (Lc 18). Aussi le Sauveur dit au chef de la synagogue : « Ne craignez pas, croyez seulement, et elle sera sauvée. » Le père de la jeune fille représente la réunion des docteurs de la loi, s’ils consentent à embrasser la foi, la synagogue qui leur est soumise sera également sauvée. — S. Ambr. Lorsque Jésus fut venu dans la maison, il ne prit avec lui que quelques témoins de la résurrection qu’il allait opérer ; c’est qu’en effet, la résurrection n’a été crue d’abord que par un petit nombre. Mais pourquoi cette manière d’agir si différente ? Précédemment, il a ressuscité publiquement le fils d’une veuve ; ici il éloigne la foule des témoins ; dans cette première circonstance, Notre-Seigneur voulait manifester sa bonté, parce que la douleur de cette veuve qui pleurait son fils unique, ne souffrait aucun retard. Il voulait aussi dans sa sagesse, nous donner une figure, dans le fils de la veuve de Naïm, de l’Église, qui devait embrasser promptement la foi, et dans la fille du chef de la synagogue, les Juifs qui devaient croire, mais en très-petit nombre. Enfin, lorsque Notre-Seigneur leur dit : « Cette jeune fille n’est pas morte, mais elle dort. » Ils se riaient de lui, car quand on ne croit pas, on devient nécessairement moqueur. Laissons donc pleurer leurs morts à ceux qui les regardent comme morts sans retour ; avec la foi en la résurrection, il n’y a plus de mort, il n’y a plus qu’un sommeil passager. Quant à la synagogue qui a perdu la joie de l’époux qui faisait sa vie, elle reste étendue comme morte au milieu de ceux qui la pleurent, sans même comprendre le sujet de leurs larmes. — S. Ambr. Le Seigneur prend la main de la jeune fille pour la rappeler à la vie ; heureux celui que la sagesse prend ainsi par la main pour l’introduire dans sa maison, et commander qu’on lui donne à manger ! Car le Verbe de Dieu est vraiment le pain descendu du ciel, aussi entendez la Sagesse qui a multiplié sur les autels le corps et le sang d’un Dieu pour être notre nourriture, vous dire : « Venez, mangez le pain que je vous donne, et buvez le vin que je vous ai préparé. » (Pv 9.) — Bède. La jeune fille se leva à l’instant, car dès que Jésus-Christ prend et soutient la main de l’homme, son âme revient aussitôt à la vie. Or, il en est quelques-uns qui trouvent la mort de l’âme dans une simple pensée coupable qui ne se manifeste par aucun acte ; le Seigneur leur rend la vie dans la fille du chef de la synagogue. D’autres en viennent aux actes extérieurs du mal dans lequel ils se complaisent, et portent pour ainsi dire leur mort publiquement hors des portes, ils sont figurés par le fils de la veuve, que Jésus ressuscita hors des portes de la ville, et il montre ainsi qu’il peut les ressusciter. D’autres enfin sont ensevelis dans les habitudes du péché comme dans la corruption du tombeau, et la grâce du Sauveur est également puissante pour leur rendre la vie, c’est pour le prouver qu’il ressuscite Lazare, qui était déjà depuis quatre jours dans le tombeau. Or, plus les crimes qui ont donné la mort à l’âme sont graves, plus doit être vive la ferveur de la pénitence. Aussi, Notre-Seigneur parle à voix modérée pour ressusciter la jeune fille étendue morte dans la maison de ses parents ; il prend un ton plus élevé, et en dit davantage pour rappeler à la vie le jeune homme qu’on portait au tombeau ; mais pour ressusciter Lazare mort depuis quatre jours, il frémit en son esprit, il verse : des larmes, et jette un grand cri. Remarquons encore que les fautes publiques exigent un remède public, tandis que les péchés moins graves peuvent être effacés par les oeuvres secrètes de la pénitence. Cette jeune fille étendue morte dans la maison de ses parents, revient à la vie devant un petit nombre de témoins ; le fils de la veuve de Naïm est ressuscité hors de la maison et devant tout le peuple, et Lazare, rappelé du tombeau, eut pour témoins de sa résurrection un nombre considérable de Juifs.

 

CHAPITRE IX

Vv. 1-6.

S. Cyr. Il convenait que les ministres établis de Dieu pour enseigner la sainte doctrine, eussent le pouvoir de faire des miracles et de faire reconnaître par leurs oeuvres, qu’ils étaient les envoyés de Dieu : « Jésus ayant assemblé les douze Apôtres, leur donna puissance et autorité sur tous les démons, » etc. Il abaisse ainsi la fierté superbe du démon, qui avait osé dire autrefois : Nul ne peut me contredire. (Is 10, 14.) — Eusébe. Comme il veut conquérir par eux tout le genre humain, il leur donne non seulement le pouvoir de chasser les esprits mauvais, mais encore de guérir en son nom toute espèce d’infirmité : « Et pour guérir les maladies. » — S. Cyr. (Très., 14, 14.) Considérez ici la divine puissance du Fils de Dieu, qui ne peut convenir à aucune nature créée, car si les saints faisaient des miracles, ce n’était point en vertu d’un pouvoir naturel, mais par la participation de l’Esprit saint. Ils ne pouvaient d’ailleurs en aucune façon communiquer cette puissance aux autres, car comment une nature créée pourrait-elle disposer en maître des dons de l’Esprit saint ? Au contraire, Notre-Seigneur Jésus-Christ étant Dieu par nature, distribue cette grâce à qui il veut, il n’appelle pas sur ceux qui la reçoivent une vertu étrangère, il la leur communique de ses propres trésors. — S. Chrys. (hom. 33 sur S. Matth.) Mais ce n’est qu’après qu’il les a fortifiés par un long commerce avec lui, et qu’ils ont acquis une conviction raisonnée de sa puissance qu’il leur donne cette mission : « Et il les envoya prêcher le royaume de Dieu. » Remarquez l’objet précis de leur mission, ce n’est point d’annoncer des choses temporelles, comme Moïse et les prophètes, qui promettaient la terre et les biens de la terre, les Apôtres annoncent et promettent le royaume de Dieu et tout ce qu’il renferme.

 

S. Grég. de Nazianze. En envoyant ses disciples prêcher l’Évangile, Notre-Seigneur leur fait un grand nombre de recommandations qui peuvent se résumer dans cette maxime générale, c’est que leur vertu, leur courage, leur humilité, leur vie toute céleste, doivent briller d’un si vif éclat, qu’ils servent à la propagation de l’Évangile, non moins puissamment que leurs prédications ; c’est pour cela qu’il les envoie sans argent, sans bâton, et avec un seul vêtement : « Ne portez rien en route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent, » etc. — S. Chrys. Ce précepte renfermait pour les disciples de nombreux avantages ; premièrement, il les mettait à l’abri de tout soupçon ; secondement, il les affranchissait de toute sollicitude, et leur laissait toute liberté pour la prédication ; troisièmement, il les convainquait de sa propre puissance. On objectera, peut-être, que tous les autres commandements ont leur raison d’être, mais pourquoi leur commander de n’avoir en chemin ni sac, ni deux tuniques, ni bâton ? C’est qu’il veut les former à la plus haute perfection, et faire pour ainsi dire de ses disciples, des anges, en les affranchissant de tous les soucis de la vie, pour ne leur laisser d’autre sollicitude que la prédication de sa doctrine. — Eusèbe. Cette recommandation a donc pour objet de les éloigner de tout attachement aux biens de la terre, et de toutes les préoccupations de la vie. Il mettait ainsi à l’épreuve leur foi et leur courage en leur faisant un devoir devant lequel ils ne reculeraient pas, de vivre au milieu des privations de la vie la plus pauvre. Il était juste qu’il y eût entre eux et leur divin Maître une espèce d’échange, et qu’ils reconnussent le pouvoir qu’il leur avait donné de guérir les malades par une obéissance parfaite à ses commandements. Il veut en faire les soldats du royaume de Dieu, il les prépare donc au combat contre les ennemis, en leur recommandant la pratique de la pauvreté : « Car celui qui est enrôlé au service de Dieu, ne doit pas s’embarrasser dans les affaires du siècle. »

 

S. Ambr. Ces préceptes divins nous apprennent donc quelle doit être la vie de celui qui annonce le royaume de Dieu, il doit ne point se préoccuper des moyens de pourvoir à l’entretien de la vie présente, et puiser dans une foi vive la confiance que les choses nécessaires lui seront données avec abondance, en raison directe de son peu d’empressement à les rechercher. —Théophyl. Il les envoie donc comme des mendiants, avec défense de porter avec eux ni pain, ni aucune de ces choses dont tant d’autres ne peuvent se passer. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 30.) Ou bien encore, si le Sauveur défend à ses disciples de posséder et de porter avec eux aucune de ces choses, ce n’est pas qu’il ne les juge nécessaires au soutien de cette vie, mais il veut leur apprendre, en leur donnant leur mission, qu’ils ont droit à recevoir le nécessaire de ceux à qui ils prêcheraient l’Évangile ; ils doivent donc être parfaitement tranquilles à cet égard, et ne se préoccuper en aucune façon, de mettre en réserve et de porter avec eux les choses nécessaires à la vie. Aussi, d’après saint Marc, il leur commande de ne rien porter avec eux, si ce n’est un bâton, pour montrer que les fidèles doivent tout aux ministres de la parole qui, de leur côté, ne demanderont rien de superflu. Le bâton est donc l’emblème de ce droit et de cette puissance dans ces paroles : « Il leur commanda de ne rien prendre avec eux, si ce n’est un bâton. »

 

S. Ambr. On peut encore entendre, si l’on veut, et avec plusieurs interprètes, ces paroles dans ce sens, que le Sauveur ne se propose ici que de diriger leurs affections intérieures, qui doivent les porter è se dépouiller du corps comme d’un vêtement, non seulement en méprisant les honneurs et les richesses, mais en renonçant à toutes les séductions de la chair. — Théophyl. D’autres encore, croient que par cette recommandation faite aux Apôtres, de ne porter ni sac, ni bâton, ni deux tuniques, Notre-Seigneur veut leur faire entendre qu’ils ne doivent point thésauriser (ce que signifie le sac où l’on peut entasser des sommes considérables), qu’ils doivent maîtriser la colère et la violence (ce qui est figuré par le bâton), et fuir la dissimulation et la duplicité (que représentent les deux tuniques). — S. Cyr. Mais, dira-t-on, où trouveront-ils les choses nécessaires ? Écoutez la suite : « En quelque maison que vous entriez, n’en sortez point, » ce qui veut dire : Contentez-vous des choses que vos disciples vous donneront pour votre entretien en échange des biens spirituels qu’ils recevront de vous. Il leur commande de rester dans la même maison pour ne point contrister, en changeant de demeure, celui qui les a reçus chez lui, et ne point s’exposer au soupçon de légèreté d’esprit ou de sensualité. — S. Ambr. Au jugement du Sauveur, il est donc indigne d’un prédicateur du royaume des cieux, de courir de maison en maison, et de violer ainsi les droits sacrés de l’hospitalité. Mais de même qu’il sauvegarde les droits de l’hospitalité, de même aussi il ordonne à ses disciples, quand on refusera de les recevoir, de secouer la poussière de leurs pieds, en sortant de cette ville : « Lorsqu’on refusera de vous recevoir, en sortant de cette ville, secouez même la poussière de vos pieds en témoignage contre eux. » — Bède. Les Apôtres secouent la poussière de leurs pieds, en témoignage de leurs travaux apostoliques, et comme preuve qu’ils sont entrés dans cette ville pour y faire entendre la prédication de l’Évangile ; ou bien encore, ils secouent la poussière de leurs pieds, comme un signe qu’ils n’ont rien reçu, pas même le nécessaire, de ceux qui méprisent l’Évangile. — S. Cyr. Il est très-peu probable que ceux qui méprisent la parole du salut et le père de famille se montrent bienveillants pour ses serviteurs, ou réclament leurs bénédictions. — S. Ambr. On bien encore, dans un autre sens, le Sauveur nous enseigne à reconnaître grandement le bienfait de l’hospitalité, non seulement en donnant la paix à ceux qui nous reçoivent, mais en les délivrant de ces fautes de légèreté qui tiennent à notre nature terrestre et qui sont effacées par les pas des prédicateurs apostoliques auxquels on accorde l’hospitalité. — Bède. Mais quant à ceux qui, par une négligence coupable ou de dessein prémédité, font mépris de la parole de Dieu, il faut éviter leur société, et en les quittant, secouer la poussière de ses pieds, dans la crainte que les pas de l’âme chaste ne viennent à être souillés par leurs actions pleines de vanité figurées par la poussière.

 

Vv. 7-10.

Eusèbe. Après avoir ceint et revêtu ses disciples, comme les soldats de Dieu, d’une puissance divine et des enseignements de la sagesse le Sauveur les envoie vers les Juifs, comme des docteurs et des médecins, et ils partent pour accomplir cette double mission : « Étant donc partis, ils parcouraient les villages, prêchant l’Évangile et guérissant partout ; » ils annoncent l’Évangile en qualité de docteurs, et comme médecins, ils guérissent les malades, et prouvent par leurs miracles la vérité de leurs paroles.

 

S. Chrys. (hom. 49 sur S. Matth.) Hérode n’apprit les miracles de Jésus que longtemps après que la renommée s’en était répandue, preuve de l’orgueil de ce tyran, qui s’était peu soucié de les connaître dès l’origine : « Cependant Hérode le tétrarque entendit parler de tout ce que faisait Jésus. » — Théophyl. Cet Hérode était fils d’Hérode le Grand, qui fit périr les enfants de Bethléem, le premier était roi, le second était simplement tétrarque. Or, il voulait savoir ce qu’était le Christ : « Et il ne savait que penser. » — S. Chrys. Les pécheurs, en effet, redoutent ce qu’ils connaissent comme ce qu’ils ignorent, ils ont peur de leur ombre. ils soupçonnent partout des embûches, et tremblent au moindre bruit. Telles sont les tristes suites du péché, il dévoile le coupable sans que personne le blâme ou le reprenne, il le condamne sans que personne l’accuse, et il le livre en proie à la crainte et à l’hésitation. L’Évangéliste nous indique les causes de cette crainte : « Et il ne savait que penser, parce que quelques-uns disaient, » etc. — Théophyl. Les Juifs espéraient une résurrection des morts, qui leur rendrait une vie toute charnelle de repas et de festins, tandis qu’après la résurrection, les hommes seront affranchis de toutes les actions propres à la chair. — S. Chrys. Hérode ayant donc appris les prodiges que Jésus opérait, dit : « J’ai fait couper la tête à Jean. » Ce n’était point par ostentation qu’il évoquait ce souvenir, mais pour calmer ses alarmes, et rassurer son esprit troublé en se rappelant qu’il était l’auteur de la mort de Jean-Baptiste. Et comme il lui avait fait couper la tête, il ajoute : « Qui est donc celui-ci, » etc. — Théophyl. Si c’est Jean-Baptiste qui est ressuscité des morts, en le voyant, il me sera facile de le reconnaître : « Et il cherchait à le voir. »

 

S. Aug (de l’acc. des Evang., 2, 43.) Saint Luc, en suivant ici dans son récit le même ordre que saint Marc, ne nous oblige pas de croire que tel fut l’ordre rigoureux des faits. De même que saint Marc, il attribue aussi à d’autres, et non pas à Hérode lui-même, ces paroles : « Jean est ressuscité d’entre les morts ; » mais comme il rapporte qu’Hérode ne savait que penser, on peut admettre, ou bien qu’après ces incertitudes, il finit par ajouter foi au bruit qui se répandait, lorsqu’il dit lui-même à ses serviteurs, selon le récit de saint Matthieu : « C’est Jean-Baptiste, qui est ressuscité des morts, » ou bien, il faut entendre ces paroles de saint Matthieu dans un sens dubitatif.

 

Vv. 10-17

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 45.) Saint Matthieu et saint Marc, à l’occasion de ce qui précède, rapportent comment Jean-Baptiste fut mis à mort par Hérode. Saint Luc, au contraire, qui avait déjà raconté la mort du saint Précurseur, après avoir parlé des incertitudes d’Hérode au sujet de la personne du Sauveur, ajoute aussitôt : « Et les Apôtres étant de retour, racontèrent à Jésus tout ce qu’ils avaient fait. » — Bède. Ils lui rapportent non seulement les miracles qu’ils ont faits, et quel a été le sujet de leurs enseignements, mais ils lui apprennent aussi tout ce que Jean-Baptiste a eu à souffrir pendant qu’ils prêchaient l’Évangile, et ce sont ses propres disciples, ou ceux de Jean-Baptiste, qui lui apprennent cette nouvelle, comme semble l’indiquer saint Matthieu.

 

S. Isid. (livre 1, lettre 133.) Le Seigneur a en abomination les hommes de sang, et ceux qui entretiennent des relations avec eux, quand ils persévèrent dans leurs crimes ; aussi dès qu’il eut appris la mort de Jean-Baptiste, il s’éloigne des meurtriers, et se retire dans un lieu désert : « Et les prenant avec lui, il se retira à l’écart dans un lieu désert, non loin de la ville de Bethsaïde. » — Bède. Bethsaïde est une ville de Galilée, située sur les bords du lac de Génésareth, et d’où les apôtres André, Pierre et Philippe étaient originaires. Si le Sauveur s’éloigne ainsi, ce n’est point par crainte de la mort, comme le pensent quelques-uns, mais pour épargner à ses ennemis, dans un sentiment de miséricorde, un nouvel homicide, et aussi pour attendre le temps marqué pour sa passion. — S. Chrys. (hom. 50 sur S. Matth.) Jésus ne s’éloigne que lorsqu’il eut appris ce qui venait d’arriver, profitant ainsi de toutes les circonstances pour manifester la vérité de sa chair. — Théophyl. Notre-Seigneur se retire dans un lieu désert pour y opérer le miracle de la multiplication des pains, afin que personne ne pût dire que ces pains avaient été apportés d’une ville voisine. — S. Chrys. (hom. 50 sur S. Matth.) Ou bien, il se retire dans un lieu désert, pour que personne ne pût le suivre ; mais le peuple ne consent point pour cela à se séparer de lui, et s’attache à ses pas : « Le peuple l’ayant appris, il le suivit, » etc. — S. Cyr. Ils le suivaient, pour lui demander les uns d’être délivrés des démons qui les possédaient, les autres d’être guéris de leurs maladies, d’autres enfin ne se lassaient point de rester avec lui, retenus par le charme de sa doctrine.

 

Bède. De son côté Jésus, Sauveur aussi puissant que bon, accueille ceux qui sont fatigués, instruit les ignorants, guérit les malades, nourrit ceux qui ont faim, et montre ainsi combien ce pieux empressement des fidèles lui est agréable : « Et il les accueillit avec bonté, et il leur parlait du royaume de Dieu, » etc. — Théophyl. Il veut nous apprendre que la sagesse dont nous devons faire profession, consiste dans les paroles et dans les oeuvres, et nous fait un devoir d’enseigner le bien que nous faisons, et de mettre en pratique ce que nous enseignons. Comme le jour était sur son déclin, les disciples commencent à s’inquiéter pour cette nombreuse multitude, dont ils ont compassion. « Or, le jour commençant à baisser, les douze vinrent lui dire, » etc. — S. Cyr. Cette multitude, comme nous l’avons dit, venait implorer la guérison de ses diverses souffrances, et les disciples qui savaient qu’il suffisait au Sauveur de le vouloir, pour que tous ces malades fussent guéris, lui disent : « Renvoyez-les, et qu’ils soient délivrés de leurs souffrances. » Considérez ici l’immense bonté de celui à qui s’adresse cette prière ; non seulement il accorde ce que lui demandent ses disciples, mais il répand avec profusion, sur ce peuple qui le suit, les dons de sa main libérale, en leur commandant de lui donner à manger : « Et il leur répondit : Donnez-leur vous mêmes à manger. » — Théophyl. En parlant de la sorte, il n’ignorait pas ce qu’ils allaient lui répondre, mais il voulait les amener à dire combien ils avaient de pains, pour faire ressortir par cette déclaration la grandeur du miracle qu’il allait opérer.

S. Cyr. Mais il était impossible aux disciples d’exécuter cet ordre, puisqu’ils n’avaient avec eux que cinq pains et deux poissons : « Ils lui répartirent : Nous n’avons que cinq pains et deux poissons, à moins que nous n’allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 46.) Saint Luc réunit ici, sous une même phrase, la réponse de Philippe : « Quand on aurait pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour en donner à chacun un morceau, » et celle d’André : « Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains d’orge et deux poissons, » comme le rapporte saint Jean (Jn 6). En effet, ce que dit saint Luc : « Nous n’avons que cinq pains et deux poissons, » se rapporte à la réponse d’André, et ce qu’il ajoute : « A moins que nous n’allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple, » renferme la réponse de Philippe, si ce n’est qu’il ne parle pas des deux cents derniers, quoiqu’on puisse dire qu’il y est fait allusion dans la réponse d’André ; car, après avoir dit : « Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains et deux poissons, » il ajoute « Mais qu’est-ce que cela, pour tant de monde ? » ce qui revient à dire : « A moins que nous n’allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple. » De cette diversité dans le récit, et de cette concordance dans les faits comme dans les maximes, ressort pour nous cette importante leçon, que nous ne devons chercher dans les paroles, que la volonté de ceux qui parlent, et que les narrateurs, amis de la vérité, doivent s’attacher surtout à la mettre en évidence dans leurs récits, qu’il y soit question de l’homme, des anges ou de Dieu. — S. Cyr. La grande multitude de peuple, dont l’Évangéliste fait connaître le nombre, ajoute encore aux difficultés du miracle : « Or, ils étaient environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants, comme le remarque un autre Évangéliste. (Mt 14.)

Théophyl. Notre-Seigneur nous enseigne ici, lorsque nous donnons à quelqu’un l’hospitalité, à le faire asseoir, et à lui prodiguer tous les soins qui dépendent de nous : « Jésus dit à ses disciples : Faites les asseoir par groupes de cinquante. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 46.) Saint Luc dit qu’on les fit asseoir par troupes de cinquante ; saint Marc par groupes de cinquante et de cent, mais cette différence ne peut faire difficulté ; car l’un des Évangélistes n’exprime qu’une des parties dont les groupes étaient composés, et l’autre la totalité. Si l’un des deux Évangélistes ne parlait que de groupes de cinquante, et l’autre de groupes de cent personnes, la contradiction paraîtrait évidente, et il serait difficile d’admettre que les deux choses soient vraies, mais racontées chacune par un seul des deux Évangélistes ; et cependant en y réfléchissant plus attentivement, qui ne reconnaîtra la vraisemblance de cette explication ? J’ai fait cette observation, parce qu’il se présente souvent des faits de ce genre qui, pour les esprits superficiels ou. prévenus, paraissent contradictoires et ne le sont point. — S. Chrys. (hom. 50 sur S. Matth.) Ce devait être un article de la foi chrétienne, que Jésus-Christ était sorti du Père, il lève donc les yeux vers le ciel avant de faire ce miracle : « Alors Jésus, prenant les cinq pains et les deux poissons, et levant les yeux vers le ciel, » etc. — S. Cyr. Il le fait encore pour noire instruction, et pour nous apprendre qu’en commençant le repas, et avant de rompre le pain, nous devons l’offrir à Dieu, et attirer sur lui la bénédiction céleste : « Et levant les yeux au ciel, il les bénit et les rompit. » — S. Chrys. (hom. 50.) Il distribue ce pain au peuple par les mains de ses disciples, par honneur pour eux, et pour qu’ils n’oublient point le souvenir de ce miracle. Or, ce n’est point du néant qu’il tire les pains et les poissons dont il nourrit ce peuple, afin de fermer la bouche aux manichéens, qui affirment que tout ce qui est créé lui est étranger, et de montrer que c’est lui qui donne la nourriture à tous les êtres créés, et qui a dit : « Que la terre produise les plantes » etc. (Gn 1.) Il multiplie aussi les poissons, pour signifier qu’il est le Seigneur de la mer, comme de la terre. Il a opéré, en faveur des malades qu’il a guéris, un miracle particulier, il étend maintenant les effets de sa bonté à toute la multitude, en nourrissant ceux mêmes qui n’ont aucune infirmité : « Tous mangèrent et furent rassasiés. » — S. Grég. de Nysse. (grand disc. catéch., chap. 23.) Ce n’était point le ciel qui distillait la manne, ni la terre qui produisait le blé selon sa nature, pour subvenir aux besoins de ce peuple ; cette abondante largesse sortait des trésors ineffables de la puissance divine. Le pain se multiplie dans les mains de ceux qui le distribuent et il augmente en proportion de la faim de ceux qui mangent. Ce n’est pas non plus de la mer que sortent les poissons dont ils se nourrissent, mais de la main de celui qui, en créant les diverses espèces de poissons, leur a donné la mer pour séjour.

S. Ambr. Ce fut donc grâce à une abondante multiplication des pains que ce peuple fut rassasié. On eût pu voir les morceaux sortir comme d’une source mystérieuse, et se multiplier, sans être divisés entre les mains de ceux qui les distribuaient, et les fragments intacts venir se glisser d’eux-mêmes sous les doigts de ceux qui les rompaient.

S. Cyr. Là ne s’arrête point le miracle, l’Évangéliste ajoute : « Et des morceaux qui restèrent, on emporta douze corbeilles pleines. » C’était une preuve manifeste que les oeuvres de charité envers le prochain obtiennent de Dieu une récompense surabondante. — Théophyl. C’était encore pour nous apprendre la merveilleuse puissance de l’hospitalité, et combien nous augmentons nos propres richesses, en les distribuant largement aux indigents. — S. Chrys. Ce ne sont pas des pains entiers qui restent, mais des morceaux, pour prouver que c’étaient bien les restes des pains qui avaient été distribués, et il en reste douze corbeilles, c’est-à-dire, autant qu’il y avait de disciples.

 

S. Ambr. Dans le sens mystique, c’est après que cette femme, qui était la figure de l’Église, a été guérie d’une perte de sang ; après que les Apôtres ont reçu la mission d’annoncer le royaume de Dieu, que le Sauveur distribue l’aliment de la grâce céleste. Mais remarquez ceux qui sont jugés dignes de le recevoir, ce ne sont point des gens oisifs, ni ceux qui restent dans les villes, qui siégent dans la synagogue, ou se reposent avec complaisance dans les dignités séculières, mais ceux qui cherchent Jésus-Christ dans le désert. — Bède. Le Sauveur quitte la Judée, qui, en refusant de croire en lui, s’était ôté l’honneur d’être le siége des prophéties, et il distribue dans le désert l’aliment de la parole divine à l’Église qui n’avait point d’époux. Et lorsqu’il se retire dans le désert des nations, une multitude innombrable de fidèles sortent des murs de leur vie ancienne et de leurs diverses croyances pour s’attacher à ses pas.

 

S. Ambr. Or, Jésus-Christ accueille avec bonté ceux qui ne se lassent point de le suivre, le Verbe de Dieu s’entretient avec eux, non des choses du temps, mais du royaume de Dieu, et si quelques-uns souffrent quelque douleur corporelle, il applique sur leurs blessures un remède salutaire. En toute circonstance d’ailleurs, il garde un ordre mystérieux, c’est-à-dire, qu’il guérit d’abord les blessures intérieures par la rémission des péchés, et prodigue ensuite avec abondance la nourriture de la table céleste. — Bède. C’est au déclin du jour qu’il nourrit la multitude, c’est-à-dire, lorsque la fin des temps approche, ou bien, lorsque le soleil de justice s’est incliné et a disparu pour nous (Ml 4, 2). — S. Ambr. Cependant le Sauveur ne donne pas immédiatement à cette multitude les aliments les plus nourrissants. Les cinq pains sont le premier aliment qu’il leur donne comme le lait aux enfants ; le second, les sept pains, et le troisième, le corps de Jésus-Christ, qui est la nourriture la plus substantielle. Or, s’il en est qui appréhendent de demander leur nourriture, qu’ils abandonnent toutes choses et se hâtent de venir entendre la parole de Dieu. Celui qui commence à entendre cette divine parole, éprouve bientôt le sentiment de la faim ; les Apôtres s’en aperçoivent, et si ceux qui ressentent ce besoin, ne comprennent pas encore ce qu’ils désirent, Jésus-Christ le comprend, il sait qu’ils ne soupirent point après les aliments grossiers, mais après la nourriture céleste qui est Jésus-Christ. Les Apôtres n’avaient pas encore compris que la nourriture du peuple fidèle ne s’achète pas comme un aliment ordinaire, mais Jésus-Christ savait que c’est nous-mêmes qui avions besoin d’être rachetés, tandis que la nourriture qu’il nous destinait devait nous être donnée gratuitement.

 

Bède. Les Apôtres n’avaient encore que les cinq pains de la loi mosaïque, et les deux poissons des deux Testaments, qui étaient cachés dans les profondeurs obscures des mystères comme dans les eaux de l’abîme. L’homme a reçu cinq sens extérieurs ; les cinq mille hommes qui marchent à la suite du Seigneur, figurent donc ceux qui, vivant au milieu du monde, font un bon usage des biens extérieurs qu’ils possèdent. Ils se nourrissent des cinq pains, parce qu’ils ont encore besoin d’être dirigés par les préceptes de la loi. Car pour ceux qui renoncent pleinement au monde, la nourriture de l’Évangile les fait parvenir à une perfection sublime. Les divers groupes qui se nourrissent de ces pains, figurent les assemblées particulières de l’Eglise par toute la terre, et qui toutes ne font qu’une Église catholique.

S. Ambr. Dans le sens spirituel, ce pain qui est rompu par Jésus, est la parole de Dieu, et tout discours qui a Jésus-Christ pour objet, et ils se multiplient quand on les distribue, car c’est au moyen d’un petit nombre de discours qu’il a donné à tous les peuples une abondante nourriture il nous a donné ses divins enseignements, comme autant de pains qui se multiplient en devenant notre nourriture. — Bède. Or, le Sauveur ne crée pas de nouveaux aliments pour rassasier la faim de cette multitude, mais il prend ceux qu’avaient les Apôtres, et il les bénit, parce qu’en effet, dans le cours de sa vie mortelle, il n’annonce point d’autres vérités que celles qui ont été prédites par les prophètes, et il nous fait voir les oracles prophétiques pleins des mystères de la grâce. Il lève les yeux au ciel, pour nous apprendre à diriger vers le ciel toute la force de notre esprit, et à y chercher la lumière de la science. Il rompt les pains et les donne à ses disciples pour les distribuer au peuple, parce que c’est aux Apôtres qu’il a dévoilé les mystères de la loi et des prophètes, en les chargeant de les annoncer par toute la terre.

 

S. Ambr. Ce n’est pas sans dessein que les restes de ces pains sont recueillis par les disciples, parce que les choses divines se trouvent plus facilement auprès des élus que parmi le peuple. Heureux celui qui peut recueillir le superflu des âmes versées dans la science divine. Mais pourquoi Jésus-Christ a-t-il voulu qu’on remplît douze corbeilles des morceaux qui restèrent, si ce n’est pour délivrer le peuple juif de cette servitude que le Roi-prophète rappelait en ces termes : « Leurs mains servaient à porter sans cesse des corbeilles ? » (Ps 80.) C’est-à-dire que ce peuple qui était condamné à porter de la terre dans des corbeilles (Ex 1 et 6), travaille maintenant par les mérites de la croix de Jésus-Christ, à gagner le pain de la vie céleste. Et cette grâce n’est pas le privilège d’un petit nombre, elle est accordée à tous les hommes ; ces douze corbeilles, en effet, figurent la multiplication et l’affermissement de la foi dans chaque tribu. — Bède. Ou bien encore, les douze paniers figurent les douze Apôtres et tous les docteurs qui sont venus à leur suite ; au dehors, les hommes n’avaient pour eux que du mépris, mais au dedans, ils étaient remplis des précieux restes de la nourriture du salut.

 

Vv. 18-22.

S. Cyr. Le Seigneur se sépare de la foule, et cherche la solitude pour se livrer à la prière : « Un jour qu’il priait seul dans un lieu solitaire, » etc. Il se donnait ainsi comme exemple à ses disciples, et leur apprenait à se rendre facile la pratique de sa doctrine. C’est ainsi que les pasteurs des peuples doivent leur être supérieurs par l’éminence de leurs vertus, et leur donner l’exemple d’une application constante aux devoirs de leur ministère et aux oeuvres qui sont agréables à Dieu. — Bède. Les disciples se trouvaient avec le Sauveur, mais nous le voyons seul prier son Père, parce que les saints peuvent bien être unis au Seigneur par les liens de la foi et de la charité, mais le Fils seul peut pénétrer les incompréhensibles secrets des conseils de Dieu. Il prie donc seul en toutes circonstances, parce que les prières de l’homme ne peuvent comprendre les desseins de Dieu, et que nul ne peut entrer en participation des sentiments les plus intimes de Jésus-Christ.

S. Cyr. Cependant cette application à la prière pouvait étonner les disciples, qui voyaient prier, comme un faible mortel, celui qu’ils avaient vu faire des miracles avec une autorité toute divine. C’est donc pour dissiper leurs incertitudes qu’il les interroge, il n’ignorait pas sans doute les témoignages éclatants que le peuple lui rendait, mais il voulait dégager ses disciples des fausses idées qu’un grand nombre s’était faites à son sujet, et leur inspirer les sentiments d’une foi éclairée et véritable : « Il les interrogea, disant : Qui dit-on que je suis ? » etc. — Bède. C’est dans un dessein plein de sagesse que le Sauveur avant d’éprouver la foi de ses disciples, leur demande ce que la foule pense de lui, car il veut que leur profession de foi ait pour fondement, non l’opinion de la multitude, mais la connaissance de la vérité, et qu’ils croient après avoir examiné, au lieu d’être comme Hérode, dans l’incertitude sur ce qu’ils auraient entendu dire. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 53.) On peut se demander comment saint Luc a pu dire que le Seigneur interrogea ses disciples sur ce que les hommes pensaient de lui, lorsqu’il était seul à prier, et qu’ils le suivaient, tandis que, d’après saint Marc, il les interrogea en chemin ; mais cela ne peut faire difficulté que pour celui qui pense que le Sauveur n’a jamais prié chemin faisant.

 

S. Ambr. L’opinion de la foule que les disciples rapportent n’est pas indifférente « Ils lui répondirent : Les uns disent Jean-Baptiste (qu’ils savaient avoir été décapité), les autres Élie (qu’ils croyaient devoir venir), d’autres, un des anciens prophètes qui serait ressuscité. » Mais je laisse à de plus habiles d’approfondir ces paroles, car si l’apôtre saint Paul se glorifiait de ne savoir que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié (1 Co 2), que puis-je moi-même désirer que cette divine science de Jésus ? — S. Cyr. Mais voyez quelle sagesse dans cette question ; le Sauveur reporta d’abord leurs pensées sur les témoignages extérieurs que le peuple lui rendait, pour en détruire l’impression dans leur esprit, et leur donner une juste idée de sa personne divine. Voilà pourquoi il demande à ses disciples qui lui rapportent l’opinion du peuple, quel est leur propre sentiment : « Et vous, leur demanda-t-il, que dites-vous que je suis ? » Quelle glorieuse distinction dans ce mot : « Et vous ! » Il les sépare de la foule pour leur en faire éviter les préjugés, comme s’il leur disait : Vous, que j’ai appelés à l’apostolat par un choix tout particulier, vous, les témoins de mes miracles, que dites-vous que je suis ? Pierre prévient tous les autres, il devient l’organe de tout le collège apostolique, il révèle les sentiments d’amour dont son coeur déborde, et proclame sa confession de foi : « Simon Pierre répondit Le Christ de Dieu. » Il ne dit pas simplement : « Christ de Dieu, » mais avec l’article, « le Christ de Dieu, » par excellence, c’est pourquoi nous lisons dans le grec, τον Xριστον ; il en est un grand nombre, en effet, qui, ayant reçu l’onction de Dieu, ont été appelés Christs sous divers rapports, les uns ayant reçu l’onction royale, les autres l’onction prophétique (cf. 2 M 1, 10 ; 1 Paralip., 16, 2, etc.). Nous-mêmes, en vertu de l’onction du Saint-Esprit qui nous a été donnée par Jésus-Christ, nous avons reçu le nom de Christs, mais il n’y en a vraiment qu’un seul qui soit le Christ de Dieu et du Père, parce qu’il est le seul qui, dans un sens véritable ait pour Père celui qui est dans les cieux. Ainsi expliquées, les paroles que saint Luc met dans la bouche du prince des Apôtres, s’accordent avec celles que lui prêle saint Matthieu : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. » Saint Luc n’a fait qu’abréger ces paroles, en lui faisant dire : « Le Christ de Dieu. » — S. Ambr. Dans ce seul nom, en effet, se trouvent exprimées la divinité du Sauveur, son humanité et la foi en sa passion. Pierre a donc tout embrassé dans cette seule expression, la nature aussi bien que le nom qui est comme l’abrégé de ses perfections.

 

S. Cyr. Remarquez l’extrême prudence de Pierre, qui confesse un seul Christ, condamnant ainsi ceux qui ont la témérité de diviser l’Emmanuel en deux Christs différents ; car il ne leur demande pas : Qu’est le Verbe divin au jugement des hommes, mais : « Qui dit-on qui est le Fils de l’homme ? » Et c’est lui que Pierre confesse être le Fils de Dieu. C’est en cela qu’il est vraiment admirable, et qu’il a été jugé digne des plus grands honneurs, que d’avoir cru et proclamé le Christ du Père, celui qu’il contemplait dans une forme humaine, c’est-à-dire que le Verbe, engendré de la substance du Père, avait daigné se faire homme.

S. Ambr. Cependant Notre-Seigneur ne veut pas encore que sa divinité soit proclamée parmi le peuple, pour éviter toute agitation : « Mais leur parlant avec empire, il leur enjoignit de ne le dire à personne. » Il commande le silence à ses disciples pour plusieurs raisons, pour tromper le prince du monde, pour fuir toute vanité, pour nous enseigner l’humilité. Jésus-Christ n’a donc point voulu de la gloire humaine, et vous qui êtes né dans l’obscurité, vous la recherchez avec empressement ? Il voulait aussi que ses disciples, encore grossiers et imparfaits, ne fussent point opprimés sous le poids d’une prédication trop relevée. Il leur défend donc d’annoncer qu’il est le Fils de Dieu, afin que plus tard ils puissent prêcher publiquement ses souffrances. — S. Chrys. (hom. 55 in Matth.) Le Sauveur a défendu à ses disciples de dire à personne qu’il était le Christ, pour une autre raison non moins pleine de sagesse. Il voulait qu’après avoir fait disparaître tout sujet de scandale et consommé le supplice de la croix, tous ceux qui entendraient la prédication évangélique, eussent de lui une idée juste, car les préjugés qu’on déracine et qu’on arrache tout d’abord, peuvent difficilement rentrer et obtenir créance dans le même esprit ; mais ceux qu’on laisse se développer en toute liberté sans les arracher, croissent et s’enracinent avec une merveilleuse facilité ; car si une simple allusion aux souffrances de Jésus-Christ suffit pour scandaliser Pierre, que serait-il arrivé au plus grand nombre, lorsque ayant appris qu’il était le Fils de Dieu, il l’aurait vu crucifié et couvert d’opprobres ? — S. Cyr. Il fallait donc que les disciples portassent son nom jusqu’aux extrémités de la terre, et cette oeuvre était réservée à ceux qu’il avait appelés à l’apostolat ; mais, comme l’atteste l’Esprit saint, « il y a temps pour toute chose » (Qo 3), et il fallait que la passion et la résurrection fussent accomplies, avant que les Apôtres prêchassent l’Évangile : « Il faut, disait-il, que le Fils de l’homme souffre beaucoup, » etc. — S. Ambr. Peut-être aussi, Notre-Seigneur, qui savait toute la peine que ses disciples auraient à croire le mystère de sa passion et sa résurrection, voulut en être le premier prédicateur.

 

Vv. 23-28.

S. Cyr. Les valeureux capitaines, qui veulent inspirer plus de courage et de hardiesse à ceux qui parcourent avec eux la carrière des armes, ne se contentent pas de leur promettre les honneurs de la victoire, mais cherchent à leur persuader qu’il y a de la gloire même à supporter les souffrances. Notre-Seigneur Jésus-Christ agit de même à l’égard de ses Apôtres. Il leur avait prédit qu’il aurait à souffrir les accusations calomnieuses des Juifs, qu’il serait mis à mort, et qu’il ressusciterait le troisième jour. Mais ils pouvaient croire que ces souffrances devaient être le partage exclusif de Jésus-Christ, sauveur du monde, tandis qu’il leur serait permis de mener une vie molle et sensuelle ; il leur apprend donc qu’ils ont à livrer les mêmes combats, s’ils désirent partager sa gloire : « Il disait donc à tout le monde. » — Bède. Remarquez ces paroles : « Il disait à tous, » parce qu’en effet c’était avec les disciples seuls qu’il avait traité de tout ce qui concernait la foi à sa naissance ou à sa passion.

 

S. Chrys. (hom. 56 sur S. Matth.) Notre-Seigneur, plein de douceur et de bonté, ne veut point qu’on le serve forcément et à regret, mais volontairement, et en lui rendant grâces d’être à son service ; aussi il ne force, il ne violente personne, mais c’est par la persuasion et par les bienfaits, qu’il attire à lui tous ceux qui désirent le suivre : « Si quelqu’un veut. » — S. Bas. (Const. mon., 4.) En disant : « Si quelqu’un veut venir après moi (cf. Jn 12, 21), » il se propose lui-même comme modèle de la vie parfaite à ceux qui veulent suivre ses divins enseignements, et il les invite, non pas à le suivre corporellement (ce qui serait impossible, puisque Notre-Seigneur est maintenant dans les cieux), mais à suivre fidèlement les exemples de sa vie, selon la mesure de leurs forces. — Bède. Il faut nécessairement se détacher de soi-même, si l’on veut s’approcher de celui qui est au-dessus de nous, suivant ces paroles du Sauveur : « Qu’il se renonce lui-même. » —  S. Bas. (règle expliq., quest. 6.) L’abnégation de soi-même, c’est l’oubli de toutes les choses de notre vie passée, et l’abandon de nos propres volontés. — Orig. (traité 2 sur S. Matth.) On se renonce encore soi-même quand on change les habitudes vicieuses d’une vie mauvaise par la réforme entière de ses moeurs, et par une conversion sincère et véritable ; par exemple, celui qui a longtemps vécu dans les plaisirs, se renonce soi-même, quand il devient chaste, et ainsi toutes les fois qu’on s’abstient d’un vice quelconque, on se renonce soi-même. — S. Bas. (règle.) Or, désirer mourir pour Jésus-Christ, mortifier les membres de l’homme terrestre (Col 3), être disposé à supporter courageusement toutes les épreuves pour Jésus-Christ, n’avoir aucune affection pour la vie présente, c’est véritablement porter sa croix : « Et qu’il porte sa croix tous les jours de sa vie. » — Théophyl. La croix, dans la pensée du Sauveur, c’est une mort ignominieuse, et il nous fait entendre ici que celui qui veut suivre le Christ, ne doit point reculer devant la perspective d’une mort semblable. — S. Grég. (hom. 32 sur l’Evang.) On peut encore porter sa croix de deux manières, ou lorsqu’on mortifie son corps par la pénitence, ou lorsque l’âme s’attriste et s’afflige en compatissant aux souffrances des autres.

S. Grég. (ou le moine Isaac, Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur réunit à dessein ces deux choses : « Qu’il se renonce lui-même, et qu’il porte sa croix ; » car de même que celui qui est prêt à monter sur la croix, est tout disposé intérieurement à souffrir ce genre de mort, et n’a plus que de l’indifférence pour la vie présente ; ainsi celui qui veut suivre le Seigneur, doit d’abord se renoncer lui-même, et ensuite porter sa croix, de sorte que dans son âme, il soit prêt à supporter toute espèce de souffrance. — S. Bas. (explic. des règles, quest. 8.) La perfection consiste donc à tenir son âme dans une complète indifférence pour la vie présente et à être toujours prêt à mourir, en évitant toutefois la confiance en soi-même. Or, cette perfection doit commencer par le renoncement aux choses extérieures, par exemple, aux richesses, à la vaine gloire, et par le détachement intérieur de toutes les choses inutiles.

 

Bède. C’est donc pour nous une obligation de porter chaque jour cette croix, et de marcher à la suite du Seigneur, qui a voulu porter lui-même sa croix : « Et qu’il me suive. » — Orig. Il donne la raison de ce commandement, en ajoutant : « Car celui qui voudra sauver son âme, la perdra, » c’est-à-dire celui qui veut jouir de la vie présente et de toutes les satisfactions qu’offrent à son âme les choses sensibles, perdra son âme qu’il néglige de conduire au terme de la béatitude véritable. Il ajoute, au contraire : « Et celui qui perdra son âme à cause de moi, la sauvera, » c’est-à-dire, celui qui méprise les biens sensibles, et ne craint point par amour pour la vérité de s’exposer à la mort, sauvera bien plutôt son âme et sa vie, dont il semble faire le sacrifice à Jésus-Christ. Si donc c’est un véritable bonheur de procurer à son âme le salut qui vient de Dieu, on peut dire que c’est une perte heureuse, que de perdre son âme pour l’amour de Jésus-Christ. On peut encore dire, par analogie avec ce renoncement tel que nous venons de l’expliquer, que chacun doit perdre son âme livrée au péché, pour prendre celle qui doit son salut à la pratique de la vertu.

 

S. Cyr. Le Sauveur veut faire comprendre combien cette participation aux souffrances du Christ surpasse de beaucoup les jouissances que donnent les plaisirs et les biens de ce monde, et il ajoute : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à se perdre lui-même à son détriment ? » comme s’il disait : Qu’un homme, par attachement aux douceurs et aux avantages de la vie présente, refuse de souffrir, et aime mieux vivre, s’il est riche, au milieu du luxe et de l’opulence, que lui en reviendra-t-il, lorsqu’il aura perdu son âme ? En effet, « la figure du monde passe (1 Co 7) ; les plaisirs disparaissent comme l’ombre (Sg 5) ; les trésors de l’iniquité ne serviront de rien, mais la justice délivrera de la mort. » (Pv 10.)

S. Grég. (hom. 32.) La sainte Église traverse deux sortes de temps dans la vie présente, les temps de persécution et les temps de paix, et Notre-Seigneur donne ici des préceptes pour ces deux circonstances si différentes. Dans les temps de persécution, il faut être prêt à sacrifier son âme, c’est-à-dire sa vie, selon ces paroles : « Celui qui perdra sa vie ; » dans les temps de paix, au contraire, il faut s’appliquer à réprimer les désirs terrestres, qui exercent sur nous une influence tyrannique, et c’est à quoi Notre-Seigneur nous engage par ces paroles : « Que sert à l’homme de gagner tout l’univers, s’il vient à perdre son âme ? » Souvent nous méprisons les choses fragiles et passagères, mais nous sommes encore retenus par l’habitude du respect humain, qui nous empêche de professer publiquement les sentiments de droiture et de justice, que nous conservons au dedans de nous-mêmes. Notre-Seigneur nous donne un remède convenable pour cette blessure : « Car si quelqu’un rougit de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme rougira de lui. » — Théophyl. On rougit de Jésus-Christ, quand on dit : Est-ce que je croirai à un crucifié ? On rougit de ses discours, en méprisant la simplicité de l’Évangile. Or, le Seigneur rougira de celui qui rougit de lui, comme un père de famille rougirait de nommer un de ses mauvais serviteurs.

S. Cyr. Il pénètre ses disciples d’une crainte salutaire en leur annonçant qu’il descendra des cieux, non plus dans son premier état d’humiliation, et sous une forme semblable à la nôtre, mais dans la gloire du Père et au milieu des anges : « Lorsqu’il viendra dans sa majesté et dans celle du Père ; et des saints-anges ; ». Ce sera donc un malheur affreux de paraître avec le signe de l’inimitié, et les mains vides de bonnes oeuvres, lorsque ce grand juge descendra au milieu des célestes cohortes des anges. Apprenez encore de là que pour avoir pris une chair semblable à la nôtre, le Fils n’en est pas moins Dieu, puisqu’il annonce qu’il viendra dans la majesté de Dieu son Père, environné des anges qui exécuteront les ordres qu’il leur donnera comme juge de tous les hommes, lui qui s’est fait homme-semblable à nous.

S. Ambr. Toutes les fois que Notre-Seigneur excite ses disciples, à la pratique de la vertu par la perspective des récompenses éternelles, et qu’il leur enseigne combien il est utile de mépriser les choses de la terre, il soutient en même temps la faiblesse de l’esprit humain par l’attrait d’une récompense présente. Il est dur et pénible, en effet, de porter sa croix, d’exposer son âme aux dangers, et son corps à la mort, de renoncer à ce que vous êtes, lorsque vous voulez être ce que vous n’êtes pas ; et il est rare que la vertu la plus éminente consente à sacrifier les choses présentes à l’espérance des biens futurs. Aussi, notre bon Maître, pour prévenir toute tentation de découragement ou de désespoir, promet qu’il se révélera immédiatement à ses fidèles serviteurs : « Je vous le dis, en vérité, quelques-uns, de ceux qui sont ici présents, ne goûteront point la mort, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu. »

Théophyl. C’est-à-dire la gloire dont jouissaient les justes ; le Sauveur veut parler de la transfiguration qui était 1e symbole de la gloire future, comme s’il disait : Quelques-uns de ceux qui sont ici (c’est-à-dire Pierre, Jacques et Jean) ne mourront point avant d’avoir vu dans ma transfiguration la gloire réservée à ceux qui auront confessé mon nom. — S. Grég. (hom. 32.) Ou bien, ce royaume de Dieu ; c’est l’Église actuelle, et quelques-uns des disciples devaient vivre assez longtemps sur la terre pour voir l’Église de Dieu établie, et dominant la gloire du monde. — S. Ambr. Si donc nous voulons n’avoir pas à craindre la mort, tenons-nous toujours auprès de Jésus-Christ ; car ceux-là seuls ne goûteront point la mort, qui peuvent se tenir étroitement unis à Jésus-Christ. Or, on peut conclure du sens propre de ces paroles, que ceux qui ont mérité d’être admis dans la société de Jésus-Christ, ne ressentiront pas les atteintes mêmes les plus légères de la mort. Sans doute, ils goûteront, comme en passant, la mort du corps, mais ils posséderont pour toujours la vie de l’âme ; car ce n’est point au corps, mais à l’âme, qu’est accordé le privilège de l’immortalité.

 

Vv. 29—31.

Eusèbe. Notre-Seigneur ne se contente pas de prédire le grand mystère de sa seconde apparition, il ne veut pas que la foi de ses disciples repose uniquement sur des paroles, et il lui donne encore pour fondement le témoignage des faits, en découvrant aux yeux de leur foi une image de son royaume : « Environ huit jours après qu’il leur eut dit ces paroles, il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et s’en alla sur une montagne pour prier. » — S. Jean Damasc. (disc. sur la transf.) Saint Matthieu et saint Marc placent la transfiguration six jours après la promesse faite aux disciples, tandis que saint Luc rapporte que ce fut huit jours après. Il n’y a toutefois aucune contradiction dans leur récit ; les deux Évangélistes qui ne parlent que de six jours, n’ont pris que les jours intermédiaires, sans compter les extrêmes, le premier et le dernier ; c’est-à-dire celui où la promesse fut faite, et celui de son accomplissement, tandis que saint Luc, qui compte huit jours, comprend les deux dont nous venons de parler. Or, pourquoi le Sauveur n’admet-il pas tous ses disciples, mais quelques-uns seulement à jouir de cette vision ? Il n’y en avait qu’un parmi eux (c’était Judas), qui fût indigne de voir cette révélation de la divinité, selon ces paroles : « Faites disparaître l’impie, pour qu’il ne voie point la gloire de Dieu (Is 26). » Or, si Notre-Seigneur l’avait seul excepté, sa jalousie eût donné un nouvel aliment à sa méchanceté ; le Sauveur enlève donc à ce traître un prétexte à sa trahison, en laissant avec lui tous les autres disciples au bas de la montagne. il en prend trois avec lui, pour que toute parole soit confirmée par deux ou trois témoins. Il choisit Pierre, pour qu’il entendît le Père confirmer par son témoignage celui qu’il avait “rendu lui-même à la divinité du Christ, et aussi parce qu’il. devait être le chef de toute l’Église. Il prend Jacques, parce que le premier de tous les Apôtres, il devait donner sa vie pour Jésus-Christ ; enfin il choisit Jean comme l’interprète le plus pur des secrets divins qui, après avoir été témoin de la gloire éternelle du Fils, devait faire entendre ces paroles sublimes : « Au commencement était le Verbe. » — S. Ambr. Ou bien encore, Pierre monte avec Jésus sur la montagne, parce qu’il devait recevoir les clefs du royaume des cieux ; Jean, parce que le Sauveur devait lui confier sa mère ; Jacques, parce qu’il devait souffrir le martyre le premier. (Ac 12.) — Théophyl. Ou bien encore, il choisit ces trois disciples, comme plus capables de tenir caché ce miracle et de ne le révéler à personne. Or, il monta sur une montagne pour prier ; il nous enseigne ainsi à chercher la solitude et à nous élever au-dessus des choses terrestres pour assurer le succès de nos prières.

 

S. Jean Damasc. Toutefois, la prière du Seigneur est différente de la prière des serviteurs ; la prière du serviteur est une élévation de l’esprit vers Dieu, mais la sainte intelligence du Christ (unie hypostatiquement à Dieu), qui nous conduit comme par la main et par degrés, au moyen de la prière, jusqu’à Dieu, nous enseigne par là, que loin d’être l’adversaire de Dieu, il honore son Père comme le principe de toutes choses. Par cette conduite, il tend aussi un piège au démon qui cherchait à savoir s’il était Dieu, ce que l’éclat de ses miracles attestait suffisamment. Il cachait ainsi le hameçon sous l’appât de la nourriture, pour prendre, comme avec un hameçon, par l’humanité dont il était revêtu, celui qui avait séduit le premier homme par l’appât trompeur de la divinité. La prière est une révélation de la gloire divine ; aussi l’Évangéliste ajoute « Et pendant qu’il priait, l’aspect de sa face devint tout autre. » — S. Cyr. Ce n’est pas que son corps ait changé de forme, mais il fut environné d’une gloire éclatante. — S. Jean Damasc. A la vue de cet éclat qui environnait le Sauveur au milieu de sa prière, le démon se ressouvint de Moïse, dont le visage fut aussi rayonnant de gloire ; mais cette gloire venait à Moïse d’un principe extérieur, tandis que pour le Seigneur, c’était la splendeur innée de la gloire divine. En effet, comme en vertu de l’union hypostatique, le Verbe et la nature humaine ont une seule et même gloire, la transfiguration du Sauveur n’est point l’usurpation de ce qu’il n’était pas, mais la manifestation, aux yeux de ses disciples, de ce qu’il était véritablement. C’est pour cela que saint Matthieu rapporte qu’il fut transfiguré devant eux, et que sa face resplendit comme le soleil ; car Dieu est dans l’ordre des choses spirituelles, ce que le soleil est dans l’ordre des choses sensibles. Or de même que le soleil, qui est la source de la lumière, ne peut être regardé facilement, tandis que nous pouvons contempler sa lumière, parce qu’elle se répand sur la terre ; ainsi le visage de Jésus-Christ resplendit du plus vif éclat, comme le soleil ; et ses vêtements deviennent blancs comme la neige : « Et ses vêtements devinrent d’une éclatante blancheur, » éclairés comme par un reflet de la gloire divine.

 

En même temps, Moïse et Élie se tiennent comme des serviteurs près du Seigneur dans sa gloire, afin de montrer que le Seigneur du Nouveau Testament est le même que celui de l’Ancien, pour fermer la bouche aux hérétiques, établir la foi à la résurrection, et prouver que celui qui était transfiguré, devait être regardé comme le Seigneur des vivants et des morts : « Et voici que deux hommes s’entretenaient avec lui, » etc. Le Sauveur voulait que le spectacle de la gloire et du bonheur de ces pieux serviteurs, fît admirer à ses disciples sa miséricordieuse bonté, et qu’étant témoins de la douceur des biens à venir, ils fussent excités à marcher sur les traces de ceux qui les avaient précédés, et à soutenir avec plus de force les combats de la foi, car celui qui connaît la récompense promise à ses travaux, les supporte bien plus facilement. — S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) Un autre motif de cette apparition, c’est que le peuple affirmait du Sauveur, qu’il était Elle ou Jérémie, il fallait donc distinguer le Maître du serviteur, faire voir d’ailleurs que le Sauveur n’était ni l’ennemi de Dieu, ni violateur de la loi, car autrement, ni Moïse, qui avait donné la loi, ni Elle, qui avait soutenu avec tant de zèle les intérêts de la gloire de Dieu, n’eussent paru à ses côtés. C’était encore pour manifester les vertus de ces deux grands hommes, car tous deux s’étaient plusieurs fois exposés à la mort pour la défense des commandements de Dieu. Le Sauveur voulait aussi les proposer comme modèles à ses disciples dans le gouvernement du peuple, en leur inspirant la douceur de Moïse et le zèle d’Élie. Enfin il les fait paraître pour montrer la gloire de la croix, et consoler ainsi Pierre, et tous ceux qui craignaient les souffrances : « Ils s’entretenaient de sa fin qu’il devait accomplir en Jérusalem. — S. Cyr. C’est-à-dire, du mystère de son incarnation et aussi de sa passion qui devait être le salut du monde et qu’il devait accomplir sur sa croix adorable.

 

S. Ambr. Dans un sens mystique, c’est après avoir enseigné à ses disciples la doctrine du renoncement et de la croix, que le Sauveur les rend témoins de sa transfiguration, parce que celui qui entend et croit les paroles du Christ, verra la gloire de la résurrection, car c’est le huitième jour qu’eut lieu la résurrection, et la plupart des psaumes sont intitulés, pour le huitième jour. Peut-être aussi, comme Notre-Seigneur avait dit précédemment, que celui qui perdra sa vie pour le Verbe de Dieu, veut-il nous montrer qu’il accomplira ses promesses au temps de la résurrection. — Bède. Il est ressuscité des morts après le septième jour de la semaine où il avait été mis dans le sépulcre ; et nous aussi, après les six âges du monde écoulés, et le septième, qui est celui du repos des âmes dans l’autre vie, nous ressusciterons pour ainsi dire au huitième âge du monde. — S. Ambr. Saint Matthieu et saint Marc rapportent que le Sauveur prit avec lui ses disciples six jours après, ce qui nous autoriserait à dire que nous ressusciterons après six mille ans, car mille ans sont comme un jour devant Dieu (Ps 89) ; mais on compte plus de six mille ans jusqu’à la résurrection, et nous préférons voir dans ces six jours la figure des six jours de la création du monde, en ce sens que par le temps, il faut entendre les oeuvres, et par les oeuvres, le monde. Aussi la résurrection ne doit s’accomplir qu’après que les temps marqués pour l’existence du monde seront écoulés. Peut-être encore, est-ce pour figurer que celui qui se sera élevé au-dessus du monde, et aura traversé la courte durée de la vie de ce siècle, sera placé comme en un lieu sublime pour attendre le fruit de la résurrection qui dure éternellement. — Bède. Aussi, voyez le Sauveur monter sur une montagne pour y prier et y être transfiguré, et en même temps nous apprendre que ceux qui attendent le fruit de la résurrection et désirent voir le roi dans sa gloire (Is 13, 17), doivent habiter les cieux en esprit, et faire de leur vie une prière continuelle.

S. Ambr. Dans ces trois disciples que le Sauveur conduit sur la montagne, je serais porté à voir la figure du genre humain tout entier, qui est descendu des trois enfants de Noé, si ces disciples n’avaient été expressément choisis. Ceux qui sont jugés dignes de monter sur la montagne, sont au nombre de trois, parce que personne ne peut voir la gloire de la résurrection, s’il n’a conservé dans toute son intégrité, la foi au mystère de la Trinité.

Bède. Dans sa transfiguration, le Sauveur nous donne une idée de sa gloire, ou de sa résurrection future, ou de la notre, car après le jugement, il apparaîtra à tous les élus tel qu’il est apparu aux Apôtres. Le vêtement du Seigneur, c’est le choeur des saints qui l’environnent ; tandis qu’il était sur la terre, ce vêtement paraissait méprisable, mais aussitôt qu’il monte sur la montagne, il brille d’un éclat nouveau ; c’est ainsi que, « bien que nous soyons les enfants de Dieu, ce que nous serons un jour ne paraît pas encore, mais nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui. » (1 Jn 3.)

 

S. Ambr. Ou bien dans un autre sens : Le Verbe de Dieu se rapetisse ou s’agrandit selon la mesure de vos dispositions, et si vous ne montez au sommet le plus élevé de la sagesse, vous ne pouvez voir toute la grandeur de Dieu qui est dans le Verbe. Les vêtements du Verbe sont les paroles de l’Écriture et comme l’enveloppe de l’intelligence divine, et le sens des divins enseignements se dévoile aux yeux de votre âme dans toute sa clarté, de même que les vêtements du Sauveur devinrent d’une blancheur éclatante.

 

Vv. 32—36.

Théophyl. Pendant que Jésus priait, Pierre se laisse gagner par le sommeil, car il était faible, et il cède ici à la faiblesse propre à la nature humaine : « Cependant Pierre, et ceux qui étaient avec lui, étaient appesantis par le sommeil, » mais aussitôt qu’ils sont réveillés, ils voient la gloire qui l’environne, et les deux hommes qui étaient avec lui : « Et se réveillant, ils le virent dans sa gloire, et les deux hommes qui étaient avec lui. » — S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) On peut encore entendre par ce sommeil, la grande stupeur dont cette vision frappa les Apôtres, car il n’était pas nuit, mais l’éclat de la lumière blessait la faiblesse de leurs yeux. — S. Ambr. En effet, la splendeur ineffable de la divinité est un poids accablant pour la faiblesse de nos sens, car si les yeux qui nous servent à voir les corps ne peuvent regarder en face l’éclat des rayons du soleil, comment les sens corruptibles de l’homme pourraient-ils contempler la gloire de Dieu ? Peut-être aussi, Jésus permit qu’ils fussent appesantis par le sommeil, afin de voir l’image de la résurrection qui suivit le sommeil. ils virent donc le Seigneur dans sa gloire, lorsqu’ils se furent réveillés, car ce n’est qu’à cette condition qu’on peut voir la gloire du Christ. Pierre en fut ravi de joie, et la gloire de la résurrection captiva celui que les délices du siècle ne devaient pas séduire : « Et comme ils le quittaient, » etc. — S. Cyr. Peut-être Pierre pensait-il que le temps du royaume de Dieu approchait, et c’est pourquoi il demande à rester sur la montagne. — S. Jean Damasc. (Disc. sur la transfig.) Il ne vous est pas avantageux, ô Pierre, que Jésus reste sur la montagne, car s’il y fut resté, la promesse qu’il vous a faite n’aurait pas eu son accomplissement, vous n’auriez pas reçu les clefs du royaume, et l’empire de la mort n’eût pas été détruit. Ne cherchez pas le bonheur avant le temps marqué, comme Adam, qui cherchait à devenir semblable à Dieu. Viendra un jour où vous contemplerez éternellement cette sublime vision, et où vous habiterez avec celui qui est la lumière et la vie.

 

S. Ambr. Cependant Pierre, toujours prompt, non seulement à manifester son amour, mais à donner des preuves de son dévouement, offre dans sa pieuse activité, au nom de ses compagnons, de construire trois tentes : « Faisons trois tentes, une pour vous, » etc. — S. Jean Dam. Le Seigneur vous a donné la mission de construire, non point des tentes, mais l’Église universelle ; vos disciples, vos brebis ont accompli votre désir en construisant une tente pour le Christ et aussi pour ses serviteurs. Du reste, saint Pierre ne parlait pas ainsi de lui-même, mais par une inspiration de l’Esprit saint, qui lui révélait les choses futures, c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Ne sachant ce qu’il disait. » — S. Cyr. Il ne savait ce qu’il disait, car on n’était pas encore à la fin des siècles, et le temps n’était pas encore venu pour les saints, de participer au bonheur qui leur était promis. Et alors que l’oeuvre de la rédemption ne faisait que commencer, comment Jésus-Christ aurait-il cessé d’aimer le monde et de vouloir mourir pour lui ? — S. Jean Damasc. Il était d’ailleurs de la bonté comme de la justice de Dieu, de ne point restreindre le fruit de l’incarnation à ceux qui étaient sur la montagne avec Jésus, mais de L’étendre à tous ceux qui embrasseraient la foi, ce qui ne devait s’accomplir que par les souffrances de sa passion et par sa croix. — Tite de Bostr. Pierre ne savait pas ce qu’il disait, pour une autre raison, c’est qu’il n’était pas besoin de trois tentes pour les trois dont il parle, car on ne peut mettre les serviteurs sur le même rang que leur maître, ni comparer la créature au Créateur. — S. Ambr. D’ailleurs la condition naturelle à l’homme dans ce corps corruptible, ne lui permet d’élever un tabernacle à Dieu, ni dans son âme, ni dans son corps, ni dans tout autre lieu. Cependant, quoiqu’il ne sût pas ce qu’il disait, Pierre offre ses services au Sauveur, et son zèle ne vient pas ici d’une vivacité irréfléchie, mais d’un dévouement prématuré qui était comme le fruit de son amour pour Jésus ; son ignorance venait de sa condition, sa proposition de son dévouement. — S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) Ou bien encore, il entendait le Sauveur déclarer qu’il lui fallait mourir, et ressusciter le troisième jour, et comme il contemplait l’étendue de l’espace et de la solitude où il se trouvait, il jugea que ce lieu offrait plus de sûreté, ce qui lui fait dire : « Il est bon pour nous d’être ici. » Ajoutez qu’il voyait Moïse, qui entra autrefois dans la nuée (Ex 24), et Élie, qui fit descendre le feu du ciel (4 R 1), et vous comprendrez le trouble de son esprit, que l’Évangéliste veut exprimer par ces paroles : « Il ne savait ce qu’il disait. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 56.) Saint Luc, dit de Moïse et d’Élie : « Comme ils se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : Maître, il nous est bon d’être ici, » ce qui n’est nullement en contradiction avec le récit de saint Matthieu et de saint Marc, d’après lequel Pierre tint ce langage, alors que Moïse et Élie s’entretenaient encore avec le Seigneur, car ces deux Évangélistes ne se sont pas expliqués, mais ont gardé le silence sur ce que dit saint Luc, que Pierre parla ainsi, alors que Moïse et Élie se retiraient.

Théophyl. Pendant que Pierre disait : « Faisons trois tentes, » le Seigneur se construit une tente qui n’est pas faite de main d’homme, et il y entre avec les prophètes : « Il parlait encore, lorsqu’une nuée se forma et les enveloppa de son ombre, » Le Sauveur montre ainsi qu’il n’est pas inférieur à son Père, car de même que dans l’Ancien Testament, nous lisons que Dieu habitait dans une nuée, ainsi le Seigneur est enveloppé d’une nuée non plus ténébreuse mais éclatante. — S. Bas. C’est, qu’en effet, les obscurités de la loi étaient dissipées, car de même que la fumée est produite par le feu, la nuée est produite par la lumière ; et comme la nuée est un symbole de tranquillité, cette nuée qui enveloppe Jésus et les prophètes, figure le repos de la demeure éternelle. — S. Ambr. Cette nuée qui voile le Sauveur, a pour auteur l’Esprit saint, et loin de répandre les ténèbres sur les affections du coeur de l’homme, elle lui révèle les choses cachées. — Orig. (Trait. 3 sur S. Matth.) Les disciples, ne pouvant supporter l’éclat de cette gloire, sont saisis de crainte, et se prosternent en s’humiliant sous la main puissante de Dieu, car ils se rappelaient ces paroles dites à Moïse : « L’homme qui verra ma face, ne vivra point. » Et ils furent saisis de frayeur en les voyant entrer dans la nuée.

S. Ambr. Remarquez que cette nuée n’est point formée par les noires vapeurs d’un air condensé, et ne couvre point le ciel d’épaisses ténèbres, c’est une nuée lumineuse qui, au lieu de nous inonder de torrents de pluie, répand la rosée de la foi et arrose les âmes des hommes à la voix du Dieu tout-puissant : « Et une voix sortit de la nuée, qui disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, » ce n’est point Moïse, qui est ce fils, ce n’est point Élie, mais celui-là seul est mon Fils, que vous voyez seul sur la montagne. — S. Cyr. Comment donc pourrait-on croire que celui qui est le vrai Fils de Dieu, ait été fait ou créé, alors que Dieu le Père fait retentir cette voix du haut des cieux : « Celui-ci est mon Fils, » c’est-à-dire, ce n’est pas un de mes fils, mais celui qui est mon Fils en vérité et par nature, et c’est par ressemblance avec lui que les autres sont nies fils adoptifs. Or, Dieu le Père nous commande d’obéir à ce Fils par ces paroles : « Écoutez-le, » et écoutez-le plus que Moïse et Élie, car le Christ est la fin de la loi et des prophètes (Rm 10, 4 ; Mt 11, 13), aussi est-ce avec un dessein marqué, que l’Évangéliste ajoute : « Pendant que la voix parlait, Jésus se trouva seul. » Théophyl. C’était afin que personne ne pût penser que ces paroles : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, » s’appliquaient à Moïse ou à Élie. Ces deux personnages disparaissent aussitôt que Dieu le Père proclame la divinité du Sauveur, ils étaient trois au commencement de la transfiguration, il n’en reste plus qu’un seul à la fin ; la perfection de la foi produit cette unité. Ils sont donc comme reçus dans le corps de Jésus-Christ, pour nous apprendre que nous aussi nous ne ferons qu’un avec Jésus, ou peut-être encore, parce que la loi et les prophètes ont le Verbe pour auteur. — Théophyl. Ce qui doit son existence au Verbe prend également fin dans le Verbe, et Dieu nous apprend pat cette conduite que la loi et les prophètes ne devaient apparaître que, pour un temps, comme Moïse et Élie, dans la transfiguration, et qu’ils devaient ensuite disparaître pour laisser la place à Jésus seul ; en effet, la loi a cessé d’exister pour faire place à l’Évangile, qui demeure éternellement. — Bède. Remarquez que le mystère de la Trinité tout entière est révélé dans la transfiguration de Jésus sur la montagne, comme il l’avait été lors de son baptême dans le Jourdain, et parée qu’en effet, nous verrons dans la résurrection la gloire de celui que nous avons confessé dans le baptême. Et ce n’est pas sans raison que l’Esprit saint apparaît ici sous la forme d’une nuée lumineuse, tandis qu’au baptême du Sauveur, il apparaît sous la forme d’une colombe, pour nous apprendre que celui qui conserve dans la simplicité de son coeur la foi qu’il a reçue, contemplera un jour dans la lumière d’une vision manifeste les vérités qui ont été l’objet de sa foi.

Orig. (Traité 3 sur S. Matth.) Jésus ne veut point qu’on fasse connaître avant sa passion ces glorieuses manifestations : » Et ils se turent, et en ces jours-là ils ne dirent rien à personne de ce qu’ils avaient vu, » car on eût été scandalisé (le peuple surtout), de voir crucifié celui que Dieu avait ainsi glorifié. — S. Jean Damas. (disc. sur la Transfig.) Le Sauveur leur fit aussi cette recommandation, parce qu’il connaissait l’imperfection de ses disciples, qui n’avaient pas encore reçu la plénitude de l’Esprit saint, il ne voulait ni exposer aux sentiments d’une profonde tristesse ceux qui n’avaient pas été témoins de sa gloire, ni exciter contre lui la jalouse fureur de son traître disciple.

 

Vv. 37—44.

Bède. Nous voyons ici un parfait rapport entre les lieux et les choses ; sur la montagne, Notre-Seigneur prie, se transfigure, et dévoile à ses disciples les secrets de sa Majesté. Lorsqu’il descend dans la plaine, la foule s’empresse autour de lui : « Le jour suivant, comme ils descendaient de là montagne, une foule nombreuse vint au-devant d’eux. » Sur la montagne, il fait entendre la voix du Père, dans la plaine, il chasse les mauvais esprits : « Et voilà que de la foule, un homme s’écria : Maître, je vous en supplie, jetez un regard sur mon fils. » — Tite de Bostr. J’admire la sagesse de cet homme, il ne dit pas au Sauveur : Faites ceci ou cela, mais : « Jetez un regard, » car cela suffit pour sa guérison ; c’est dans le même sens que le Roi-prophète disait : « Jetez les yeux sur moi, et ayez pitié de moi. » (Ps 24, 16 ; Ps 85, 15 ; Ps 118, 132). Cet homme dit à Jésus : « Jetez un regard sur mon fils, » pour motiver la hardiesse qui le portait à crier seul au milieu de cette multitude. Il ajoute : « Car c’est le seul que j’aie, » c’est-à-dire, je ne puis espérer d’autre consolation de ma vieillesse. Il expose ensuite la nature de sa maladie, pour émouvoir la compassion du Sauveur : « Un esprit se saisit de lui, » etc. Enfin, il semble accuser les disciples, mais il paraît bien plus vouloir excuser sa hardiesse. Ne pensez pas, semble-t-il dire au Sauveur, que je viens à vous avec légèreté, votre dignité impose, et je me suis bien gardé de vous importuner tout d’abord ; j’ai commencé par m’adresser à vos disciples, mais comme ils n’ont pu guérir mon fils, je suis forcé de recourir à vous. Aussi les reproches du Seigneur ne s’adressent pas à cet homme, mais à cette génération incrédule : « Et Jésus prenant la parole, leur dit : O race infidèle, » etc.

 

S. Chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) Cependant nous voyons par plusieurs expressions rapportées dans le saint Évangile, que cet homme était encore bien faible dans la foi ; ainsi il dit au Sauveur : « Aidez mon incrédulité. » (Mc 9, 23.) Et encore : « Si vous pouvez. » (Mc 9, 21.) Et Notre-Seigneur même lui dit : « Tout est possible à celui qui croit. » (vers. 22.) — S. Cyr. Le motif le plus probable du reproche d’incrédulité que le Sauveur fait à cet homme, est donc l’accusation portée contre les saints Apôtres, qu’ils ne pouvaient commander aux démons ; il aurait dû bien plutôt honorer Dieu en implorant son secours, car Dieu exauce ceux qui lui rendent l’honneur qui lui est dû. Mais accuser ceux qui ont reçu de Jésus-Christ le pouvoir de chasser les démons d’impuissance sur ces esprits mauvais, c’est attaquer la grâce de Dieu elle-même, plutôt encore que ceux qui l’ont reçue et par lesquels Jésus-Christ manifeste ses divines opérations. C’est donc offenser Jésus-Christ que d’accuser les saints auxquels il a confié la prédication de la parole sainte, aussi voyez comment le Seigneur réprimande cet homme et tous ceux qui partagent ses sentiments : « O génération infidèle et perverse, » comme s’il lui disait : C’est à cause de votre infidélité que la grâce n’a pas produit son effet.

S. Chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) Jésus ne s’adresse pas seulement à cet homme, pour ne point le jeter dans le trouble, mais à tous les Juifs, car il est vraisemblable qu’un grand nombre d’entre eux s’étaient scandalisés, et avaient conçu des soupçons injustes contre les disciples. — Théophyl. Le Sauveur, en les appelant génération perverse, démontre qu’ils n’étaient pas mauvais par principe et par nature, car en qualité de fils d’Abraham, ils étaient droits par nature, et c’est par leur malice qu’ils s’étaient volontairement pervertis. — S. Cyr. Ils étaient comme des hommes qui né savent point suivre la voie droite. Or, Jésus-Christ dédaigne de demeurer avec ceux qui sont ainsi disposés : « Jusques à quand serai-je avec vous et vous supporterai-je ? » Leur commerce lui devient comme insupportable, à cause de la dépravation de leur coeur. — S. Chrys. Il nous fait voir en même temps combien il désirait la mort, et qu’il redoutait moins le supplice de la croix que de rester plus longtemps avec eux. — Bède. Ce n’est point que le Sauveur, si plein de mansuétude et de douceur, se soit laissé dominer par un sentiment d’aigreur et d’ennui, mais il parle ici comme un médecin qui, voyant un malade agir contre ses prescriptions, lui dirait : « A quoi bon venir plus longtemps vous visiter, puisque vous faites tout le contraire de ce que j’ordonne. » Il est si vrai que ce n’est pas contre cet homme, mais contre la mauvaise disposition de son âme qu’il est irrité, qu’il ajoute aussitôt : « Amenez ici votre fils. » — Tit. de Bostr. Le Sauveur pouvait le délivrer d’un seul mot, mais il veut faire constater sa maladie, en l’exposant aux regards de tous ceux qui l’entouraient. Aussitôt que le démon sentit la présence du Seigneur, il agita convulsivement l’enfant : « Et comme l’enfant s’approchait, le démon le jeta contre terre et l’agita violemment. » Le Sauveur voulait que sa maladie fût bien établie avant d’y apporter remède. — S. Chrys. Gardons-nous de croire cependant que Je Seigneur obéisse ici à un motif d’ostentation, il agit ainsi dans l’intérêt du père, qu’il veut amener à croire le miracle qu’il va opérer, en lui faisant voir le démon rempli de trouble à sa seule parole : « Et Jésus commanda avec menace à l’esprit impur, et il guérit l’enfant, et il le rendit à son père. » — S. Cyr. Jusque-là, en effet, il n’appartenait pas à son père, mais au démon qui le possédait. L’Evangéliste ajoute, que tous étaient stupéfaits à la vue de ces grandes choses que Dieu opérait : « Et tous étaient stupéfaits de la puissance de Dieu. » L’auteur sacré veut ici relever l’excellence du don que Jésus-Christ avait fait aux saints Apôtres, en leur accordant le pouvoir divin de faire des miracles et de commander aux démons.

Bède. Dans le sens mystique, nous voyons ici que le Seigneur agit tous les jours avec les hommes, selon le degré de leurs mérites, il monte avec les uns, en élevant sur les hauteurs les plus sublimes les âmes parfaites, dont la vie est tout entière dans le ciel (Ph 3, 20), les instruisant des secrets de l’éternité, et en leur enseignant des vérités qui ne peuvent être entendues de la foule ; il descend avec les autres, c’est-à-dire, avec les âmes qui ont encore les goûts de la terre et sont privés de la véritable sagesse, en les fortifiant, en les enseignant et en les châtiant. Saint Matthieu fait remarquer que ce possédé était lunatique (Mt 18) ; saint Marc, qu’il était sourd et muet (Mc 9). Il est ainsi la figure de ceux qui sont inconstants comme la lune (Qo 27, 12), et que l’on voit successivement croître et décroître dans les vices auxquels ils sont livrés ; de ceux encore qui sont muets, parce qu’ils ne confessent pas la foi, et de ceux qui sont sourds, parce qu’ils n’entendent pas la parole de la foi. A peine l’enfant s’est-il approché du Seigneur, qu’il est violemment agité ; c’est qu’en effet, le démon soumet à de plus rudes tentations ceux qui se convertissent à Dieu, pour leur inspirer l’éloignement de la vertu, ou pour venger l’affront qu’on lui fait en le chassant. C’est ainsi que dans les commencements de l’Église, il lui livra autant de combats acharnés qu’il eut à souffrir de coups portés à son empire. Ce n’est point l’enfant qui souffrait cette violence que le Sauveur reprend avec menace, mais le démon qui en était l’auteur, parce qu’en effet, celui qui désire ramener au bien un pécheur doit poursuivre le vice de ses reproches et de sa haine, mais donner à l’homme pécheur les témoignages d’un amour sincère, jusqu’à ce qu’il l’ait remis guéri de ses infirmités entre les mains des pères spirituels de l’Église.

 

Vv. 44-48.

S. Cyr. Tout ce que faisait Jésus excitait l’admiration générale, car chacune de ses oeuvres brillait d’un éclat surnaturel et divin, selon cette parole du Roi-prophète : « Vous l’avez environné de gloire et de beauté. » (Ps 20.) Cependant, quoique cette admiration fût commune à tous ceux qui étaient témoins de ses oeuvres, ce n’est qu’à ses disciples qu’il adresse les enseignements qui suivent : « Et comme ils admiraient tout ce que faisait Jésus, il dit à ses disciples, » etc. Il avait découvert à ses disciples sur la montagne une partie de sa gloire, puis il avait délivré un possédé du malin esprit, mais il fallait qu’il se dévouât pour notre salut aux souffrances de sa passion. Or, les disciples pouvaient lui dire dans le trouble où les jetait cette triste prédiction : Est-ce que nous avons été trompés en croyant que vous étiez Dieu ? C’est donc afin de leur faire connaître ce qui devait lui arriver, qu’il leur commande de garder comme un dépôt dans leur âme le mystère de sa passion : « Pour vous, mettez bien ceci dans votre coeur. » Il dit : « Pour vous, » afin de les distinguer des autres, car pour le peuple il ne devait pas encore connaître qu’il devait souffrir, mais pour éviter tout scandale, il devait plutôt recevoir l’assurance que le Sauveur ressusciterait vainqueur de la mort. — Tite de Bostr. C’est lorsque tous sont dans l’admiration à la vue des prodiges qu’il opère, qu’il leur prédit lui-même sa passion, car ce ne sont point les miracles qui sauvent les hommes, c’est la croix qui est pour eux la source de toutes les grâces : « Le Fils de l’homme doit être livré entre les mains des hommes. » — Orig. (traité 4 sur S. Matth.) Il n’exprime pas ouvertement quel est celui qui le livrera, les uns disent que ce doit être Judas, les autres, le démon ; saint Paul affirme au contraire, que c’est Dieu le Père qui l’a livré à la mort pour nous tous. (Rm 8) ; c’est-à-dire que Judas l’a livré pour une somme d’argent dans un dessein perfide, tandis que Dieu le Père l’a livré pour la rédemption des hommes.

 

Théophyl. Cependant le Sauveur ne permit point que ses disciples comprissent cette prédiction de sa croix, par condescendance pour leur faiblesse, et parce qu’il les conduisait d’après un plan arrêté et en suivant une marche progressive : Aussi l’Évangéliste ajoute : « Mais ils n’entendaient pas cette parole, » etc. — Bède. Cette ignorance des disciples avait moins pour cause la pesanteur de leur esprit, que leur amour pour Jésus-Christ. Ils étaient encore charnels, ils ne connaissaient pas encore le mystère de la croix, et ils ne pouvaient s’imaginer que celui qu’ils regardaient comme vrai Dieu, devait être soumis à la mort. Et comme le Sauveur leur parlait souvent par figures, ils pensaient qu’en annonçant qu’il serait livré, il voulait exprimer figurativement quelqu’autre vérité. — S. Cyr. On demandera peut-être comment les disciples de Jésus-Christ pouvaient ignorer le mystère de la crois, puisque la loi, qui était pleine de figures, y faisait allusion en plusieurs endroits. Nous répondons avec saint Paul, que jusqu’à ce jour, lorsque les Juifs lisent Moïse, ils ont un voile sur le coeur. Ceux qui veulent s’approcher de Jésus-Christ, doivent donc lui dire : « Ôtez le voile qui est sur mes yeux, et je contemplerai les merveilles de votre loi. » — Théophyl. Remarquez encore la réserve respectueuse des disciples : « Et ils craignaient même de l’interroger sur ce sujet, » car la crainte est un degré du respect.

 

Vv. 46—48.

S. Cyr. Le démon tend des piéges de toute sorte à ceux qui s’attachent à vivre saintement ; lorsqu’il peut séduire une âme par l’attrait des plaisirs charnels, il excite en elle l’amour des voluptés ; si elle échappe à cette tentation, il cherche à la rendre esclave d’une autre passion, de l’amour de la gloire, et c’est ce désir de la vaine gloire qui s’empare de quelques-uns des Apôtres : « Il leur vint en pensée lequel d’entre eux était le plus grand. » Or, avoir cette pensée, c’est désirer être plus grand que les autres. Il n’est pas vraisemblable que tous les disciples aient succombé à ce sentiment de vaine gloire, et c’est pour ne point faire tomber sur quelqu’un d’entre eux cette accusation, que l’Évangéliste s’exprime d’une manière générale : « Il leur vint en pensée. » — Théophyl. Il paraît que cette pensée leur vint de ce qu’ils n’avaient pu guérir cet homme qui était possédé ; dans la discussion qu’ils eurent à ce sujet, l’un disait Ce n’est point par suite de mon impuissance que je n’ai pu le guérir, c’est le fait d’un autre, et telle fut la cause de cette dispute sur celui d’entre eux qui étaient le plus grand. — Bède. On peut dire encore que les Apôtres ayant va le Sauveur faire choix de Pierre, Jacques et Jean, pour les conduire séparément sur la montagne, et promettre à Pierre les clefs du royaume des cieux, se persuadèrent que ces trois disciples avaient le pas sur eux, ou que Pierre était mis à la tête de tous les Apôtres. Ou bien enfin, ils crurent que Pierre était placé au-dessus d’eux, parce que le Sauveur l’avait comme égalé à lui-même dans le paiement du tribut. Cependant le lecteur attentif trouvera qu’ils avaient agité entre eux cette question avant qu’il fût question de ce tribut. D’ailleurs saint Matthieu rapporte cette discussion comme ayant eu lieu à Capharnaüm (Mt 18) ; saint Marc fait de même : « Et ils vinrent à Capharnaüm, et lorsqu’ils furent dans la maison, il leur demanda : Que discutiez-vous en chemin ? Et ils se taisaient, parce que dans le chemin, ils avaient disputé ensemble qui d’entre eux était le plus grand. » — S. Cyr. Le Seigneur, qui sait prendre les moyens les plus convenables pour nous sauver, voit naître dans l’esprit des disciples cette pensée d’orgueil comme une racine d’amertume (cf. He 12, 5), il l’extirpe donc entièrement avant qu’elle se soit développée ; car rien de plus facile que de triompher de nos passions lorsqu’elles ne font que de naître, mais lorsqu’elles ont pris de l’accroissement, il est on ne peut plus difficile de les détruire : « Mais Jésus, voyant les pensées de leur coeur, » etc. — Que celui qui ne veut voir en Jésus-Christ qu’un homme, reconnaisse ici son erreur : le Verbe s’est fait chair, il est vrai, mais il n’a pas cessé d’être Dieu ; car à Dieu seul, il appartient de sonder les coeurs et les reins. Il prend un enfant et le place près de lui, pour l’instruction des Apôtres et pour la nôtre ; car la maladie de la vaine gloire s’attaque principalement à ceux qui ont quelque supériorité sur les autres hommes. Un enfant, au contraire, a l’âme candide, le coeur pur, une grande simplicité dans ses pensées ; il n’ambitionne pas les honneurs, il ne recherche aucune distinction, il ne craint point de paraître inférieur aux autres, son esprit, comme son coeur sont exempts de toute rigoureuse exigence. Tels sont ceux que le Seigneur affectionne et chérit tendrement, qu’il daigne placer près de lui, parce qu’ils ont les inclinations et les goûts de son propre coeur. C’est lui qui nous dit en effet : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. » Et ici : « Quiconque recevra cet enfant en mon nom, me reçoit, » Voici le sens de ces paroles : Puisqu’il n’y a qu’une seule et même récompense pour ceux qui honorent les saints, qu’ils soient petits aux yeux des hommes, ou qu’ils soient environnés d’honneur et de gloire, parce que c’est Jésus-Christ qu’on reçoit dans leur personne, quelle vanité de se disputer la prééminence ! — Bède. Le Sauveur veut ici apprendre à ceux qui veulent être les premiers à recevoir en son nom et par honneur pour lui les pauvres de Jésus-Christ, ou à imiter l’innocence des petits enfants (cf. 1 Co 14, 20). Aussi, après avoir dit : « Quiconque recevra cet enfant, » il ajoute : « En mon nom, » pour engager ses disciples à suivre, par raison et au nom de Jésus-Christ, ces exemples de vertu qu’un enfant pratique et donne naturellement. Mais comme c’est lui qu’on doit recevoir en recevant un enfant, et que lui-même a daigné se faire enfant pour nous, on aurait pu croire qu’il n’était que ce qu’il paraissait extérieurement, aussi ajoute-t-il : « Et quiconque me recevra, reçoit celui qui m’a envoyé. » Ainsi il veut qu’on le croie tout à fait semblable et aussi grand qu’est son Père. — S. Ambr. En effet, celui qui reçoit un imitateur du Christ, reçoit le Christ lui-même ; et celui qui reçoit l’image de la substance de Dieu, reçoit aussi Dieu lui-même. Mais comme nous ne pouvions voir l’image de Dieu, Dieu nous l’a rendue sensible et présente par l’incarnation du Verbe, pour nous réconcilier avec la divinité qui est au-dessus de nous,

S. Cyr. Le Sauveur explique encore plus à fond le sens des paroles qui précèdent : « Car celui qui est le plus petit parmi vous tous, est le plus grand, » paroles qui conviennent à l’âme qui est humble, qui, par un profond sentiment de modestie, n’ose avoir aucune grande pensée d’elle-même. — Théophil. Notre-Seigneur venait de dire : « Celui qui est le plus petit parmi vous, est le plus grand, » Jean craignit donc qu’ils ne se fussent rendus coupables en faisant en leur nom une défense formelle à un homme qui chassait les démons ; car faire défense n’est pas un acte d’infériorité, mais le signe d’une autorité supérieure : « Jean, prenant la parole, lui dit : Maître, nous avons vu un homme qui chasse les démons en notre nom, et nous l’en avons empêché. » Ce n’était point par un sentiment d’envie, mais parce qu’ils voulaient s’assurer de la nature et de l’authenticité de ces miracles. En effet, cet homme n’avait pas été revêtu, comme eux, du pouvoir d’opérer des prodiges ; il n’avait pas reçu, comme eux, la mission divine, il ne marchait pas continuellement à la suite de Jésus-Christ, comme Jean l’affirme : « Il ne vous suit pas avec nous. » — S. Ambr. Jean, le plus aimant des disciples, et pour cela le plus aimé, croit qu’on doit refuser ce pouvoir tout divin à celui qui n’est point le disciple fidèle de Jésus. — S. Cyr. Il eût été plus raisonnable de penser que cet homme n’était pas l’auteur des miracles qu’on lui voyait opérer, mais la grâce divine qui agit dans celui qui fait des miracles au nom et par la puissance du Christ. Qu’importe que ceux qui ont reçu cette grâce de Jésus-Christ, ne sont point comptés parmi les Apôtres ? Les dons du Christ sont très-différents, mais comme le Sauveur avait spécialement donné aux Apôtres le pouvoir de chasser les esprits immondes (Mt 10), ils s’imaginèrent que c’était un privilège qui leur était exclusivement personnel, et c’est pour cela qu’ils s’approchent de Notre-Seigneur pour lui demander si d’autres partageaient ce pouvoir avec eux.

 

S. Ambr. Le Sauveur ne fait aucun reproche à Jean, parce qu’il agissait sous l’inspiration de son amour, mais il lui apprend à connaître la différence qui sépare les chrétiens faibles de ceux qui sont morts. Le Seigneur récompense ceux qui sont forts, mais il n’exclut pas pour cela ceux qui sont plus faibles : « Et Jésus lui dit : Ne l’en empêchez point, car celui qui n’est point contre vous, est pour vous, » Oui, Seigneur, vous dites vrai, car Joseph et Nicodème étaient vos disciples cachés par crainte, et cependant ils ne vous refusèrent pas en son temps le témoignage de leur fidélité et de leur amour. Et toutefois, comme vous avez dit vous-même ailleurs : « Celui qui n’est pas avec moi, est contre moi ; et celui qui ne recueille pas avec moi, dissipe » (Lc 11, 23) ; daignez faire disparaître cette apparente contradiction. Quant à moi, je pense que celui qui considérera attentivement le divin scrutateur des coeurs, sera convaincu qu’il discerne les actions des hommes par l’intention qui les produit. — S. Chrys. (hom. 42 sur S. Matth.) En effet, lorsqu’il dit : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, » il veut faire connaître à ses disciples que le démon et les Juifs sont contre lui ; mais ici, il veut leur apprendre que cet homme, qui chassait les démons au nom de Jésus-Christ, était en partie de leur côté. — S. Cyr. Comme s’il disait : A cause de vous qui aimez le Christ, il en est qui cherchent tout ce qui a rapport à sa gloire, et qui ont reçu le même grâce.

Théophyl. Qu’elle est admirable la puissance de Jésus-Christ, et comme sa grâce opère par des hommes indignes qui ne sont pas ses disciples ! C’est ainsi que les prêtres produisent la sanctification dans les âmes, bien qu’ils n’aient pas eux-mêmes la grâce de la sainteté.

S. Ambr. Mais pourquoi ne veut-il pas qu’on empêche ceux qui, par l’imposition des mains, ont le pouvoir de commander aux esprits immondes au nom de Jésus, tandis que dans l’Évangile de saint Matthieu, il leur dit : « Je ne vous connais point ? » Il n’y a ici aucune contradiction, nous devons seulement conclure de ces dernières paroles, que le Sauveur ne demande pas seulement aux clercs les oeuvres de leur ministère, mais des oeuvres de vertu ; et que le nom de Jésus-Christ renferme une si grande puissance, qu’il la communique à ceux mêmes qui sont loin d’être saints, pour le bien de leurs frères, mais non pour leur propre sanctification. Que personne donc ne s’attribue le mérite de la guérison spirituelle d’un homme, que la puissance du nom éternel de Dieu a délivré de ses crimes ; ce n’est point votre mérite, mais la haine que Dieu porte au démon, qui est la cause de sa défaite. — Bède. Lorsque donc nous rencontrons des hérétiques et des mauvais catholiques, ce que nous devons détester et combattre en eux, ce ne sont pas les pratiques qui nous sont communes avec eux, et qui sont comme un lien d’unité qui les rattache encore à nous, mais la division contraire à la paix et à la vérité, qui les rend nos ennemis.

 

Vv. 51-56.

S. Cyr. Comme le temps approchait où le Seigneur devait, après les souffrances de sa passion, remonter au ciel, il résolut de se rendre à Jérusalem : « Les jours où il devait être enlevé de ce monde étant près de s’accomplir, » etc. — Tite de Bostr. Il fallait, en effet, que le véritable agneau fût offert là où l’agneau figuratif était immolé. L’Évangéliste dit qu’il « affermit son visage, » c’est-à-dire qu’il n’allait point de côté et d’autre, qu’il ne parcourait point les bourgs et les villages, mais qu’il se rendait directement à Jérusalem. — Bède. Que les païens cessent donc d’insulter, comme un homme, ce crucifié qui a prévu, certainement comme Dieu, le temps de son crucifiement, et qui, consentant à cette mort ignominieuse, a marché avec une contenance ferme, c’est-à-dire avec une âme résolue et intrépide.

S. Cyr. Il envoie devant lui des messagers, pour lui préparer un logement et à ceux de sa suite, mais, lorsqu’ils arrivèrent dans le pays de Samarie, ils ne furent point reçus : « Et il envoya devant lui quelques-uns de ses disciples, et ils partirent et entrèrent dans un bourg de Samarie pour lui préparer un logement ; mais les habitants refusèrent de le recevoir. » — S. Ambr. Remarquez que le Sauveur ne voulut point être reçu par ceux qu’il savait n’être point sincèrement convertis ; s’il l’eût voulu, il eût changé leurs mauvaises dispositions, et leur eût inspiré un véritable dévouement pour sa personne ; mais Dieu appelle qui il veut, et donne aussi suivant sa volonté la grâce de la foi et de la piété. Or, l’Évangéliste nous fait connaître la raison pour laquelle ils refusèrent de le recevoir : « Parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. » — Théophyl. Mais s’ils refusèrent de le recevoir, parce que son intention était de se rendre à Jérusalem, ne sont-ils pas excusables ? Nous répondons qu’il faut entendre ces paroles de l’Evangéliste : « Et ils ne le reçurent pas, » dans ce sens qu’il ne vint même pas dans le pays de Samarie, » et qu’à cette question : Pourquoi ne l’ont-ils pas reçu ? l’auteur sacré répond, que ce n’est point par impuissance de sa part, mais parce qu’au lieu de se rendre dans le pays de Samarie, il aima mieux aller à Jérusalem. — Bède. On peut dire aussi que les Samaritains ne voulurent point le recevoir, par ce qu’ils le voyaient se diriger vers Jérusalem, car selon la remarque de saint Jean, les Juifs ne communiquent pas avec les Samaritains. (Jn 4.)

S. Cyr. Le Sauveur, qui connaissait toutes choses avant leur accomplissement, savait bien que ceux qu’il envoyait, ne seraient pas reçus par les Samaritains ; il leur commande cependant d’aller annoncer sa venue, parce qu’il agissait toujours dans l’intérêt de ses disciples. Il se rendait à Jérusalem aux approches de sa passion, c’est donc pour leur épargner le scandale de ses souffrances, et leur apprendre à supporter patiemment les outrages, qu’il permit ce refus des Samaritains, comme une espèce de prélude de ce qu’il devait souffrir. Il leur donnait encore une autre leçon, ils étaient destinés à être un jour les docteurs de tout l’univers, et devaient parcourir les villes et les bourgades pour y prêcher l’Évangile, et ils devaient nécessairement rencontrer des hommes qui refuseraient de recevoir cette sainte doctrine, et ne permettraient pas à Jésus de demeurer au milieu d’eux. Il leur apprend donc, qu’eu annonçant cette divine doctrine, ils doivent se montrer pleins de patience et de douceur, fuir tout sentiment de haine et de colère, et ne jamais chercher à sévir contre ceux qui les outrageraient. Mais telles n’étaient point leurs dispositions ; cédant aux mouvements d’un zèle trop ardent, ils voulaient faire tomber sur les Samaritains le feu du ciel : « Ce qu’ayant vu ses disciples, ils lui dirent : Seigneur, voulez-vous que nous commandions que le feu du ciel descende, » etc. — S. Ambr. Ils se rappelaient que le zèle de Phinées, qui avait mis à mort des sacrilèges (Nb 25), lui avait été imputé à justice ; et encore, qu’à la prière d’Elie, le feu était descendu du ciel pour venger les outrages faits à ce prophète (4 R 1.) — Bède. Ces saints personnages, en sachant parfaitement que la mort qui sépare l’âme du corps, n’est pas à redouter, ont semblé partager les idées de ceux qui la craignaient, et ont puni quelquefois de mort certains crimes. Ils inspiraient ainsi à ceux qui en étaient témoins une salutaire frayeur, et pour ceux qui étaient punis de mort, ce n’est pas la mort qui leur était funeste, c’eût été bien plutôt le péché qui n’aurait fait que s’accroître, s’ils eussent vécu plus longtemps.

S. Ambr. Laissons la vengeance à celui qui est dominé par la crainte ; celui qui est sans crainte, ne cherche pas à se venger. Nous voyons encore ici que les Apôtres étaient égaux en mérites aux prophètes, puisqu’ils espèrent obtenir le même pouvoir que le prophète ; et l’espérance qu’ils ont de faire descendre le feu du ciel est fondée, puisqu’ils sont les fils du tonnerre. (Mc 3, 17.)

Tite de Bostr. Les disciples estiment que la punition des Samaritains, frappés de mort pour avoir refusé de recevoir le Sauveur, serait beaucoup plus juste que celle des cinquante soldats envoyés pour se saisir d’Élie, son serviteur. — S. Ambr. Le Sauveur, au contraire, ne s’irrite point contre eux, il veut nous apprendre que le désir de la vengeance est incompatible avec la perfection de la vertu, que la plénitude de la charité exclut toute colère, qu’il ne faut point repousser la faiblesse, mais bien plutôt l’aider, et que les âmes vraiment pieuses doivent rejeter bien loin tout mouvement d’indignation, et les âmes magnanimes tout désir de vengeance : « Jésus, se tournant vers eux, les reprit, en disant : Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. » — Bède. Le Seigneur ne leur reproche point de vouloir suivre l’exemple du saint prophète, mais l’erreur grossière où ils étaient par rapport à la vengeance, et il les reprend de ce qu’ils désiraient se venger de leurs ennemis, par sentiment de haine plutôt que de les ramener au bien par un sentiment d’affection. Aussi, après qu’il leur eut enseigné comment ils devaient aimer leur prochain comme eux-mêmes, et lors même qu’ils eurent reçu le Saint-Esprit, on vit encore de ces vengeances, quoique plus rarement que dans l’Ancien Testament ; car comme Notre-Seigneur ajoute : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour perdre les âmes, mais pour les sauver. » Vous donc qui êtes marqués de son esprit, soyez les imitateurs de ses oeuvres, exercez ici bas la miséricorde, vous jugerez avec justice dans le siècle futur. — S. Ambr. En effet, il ne faut pas toujours punir ceux qui sont coupables ; souvent la clémence est bien plus utile ; elle vous fait pratiquer la patience, et elle inspire au pécheur le désir de devenir meilleur. C’est ainsi que les Samaritains, sur lesquels le Sauveur refusa de faire tomber le feu du ciel, embrassèrent la foi avec plus d’empressement.

 

Vv. 57—62.

S. Cyr. Le Seigneur est plein de libéralité pour tous les hommes, cependant il ne donne point indistinctement, et au hasard, les choses célestes et divines ; il les réserve pour ceux qui en sont dignes, c’est-à-dire pour ceux qui savent préserver leur âme des souillures du péché, c’est ce que nous enseigne la parole puissante du saint Évangile : « Pendant qu’ils étaient en chemin, un homme lui dit : Je vous suivrai partout où vous irez. » — Remarquons d’abord que cet homme s’approche de Jésus avec beaucoup de tiédeur, et que, par conséquent, ses prétentions sont excessives ; en effet, il ne demande pas à marcher simplement à la suite de Jésus-Christ, à l’exemple d’un grand nombre, mais il aspire ouvertement à la dignité d’apôtre, contrairement à cette parole de saint Paul : « Personne ne peut s’attribuer cet honneur, mais il faut y être appelé de Dieu. » (He 5.) — S. Athan. Il ose encore s’égaler à la puissance incompréhensible du Sauveur en lui disant : « Je vous suivrai, partout où vous irez. » Car si la nature humaine, dans la condition que Dieu lui a faite, peut suivre le Sauveur pour entendre sa doctrine, il lui est impossible de le suivre partout où il est ; car il est incompréhensible, et n’est circonscrit par aucun lieu. — S. Cyr. Le Sauveur avait encore un autre motif légitime pour ne point accepter l’offre que lui faisait cet homme ; il enseignait qu’il devait auparavant porter sa croix et renoncer aux affections de la vie présente ; et son intention, en lui donnant cette leçon, n’était pas de lui faire un reproche, mais de lui inspirer des dispositions plus parfaites.

« Jésus lui dit : Les renards ont des tanières, » etc. — Théophyl. Cet homme avait vu le Sauveur entraîner une grande multitude à sa suite ; il s’imagina qu’elle lui payait un tribut, et qu’en s’attachant lui-même au Seigneur, il trouverait le moyen de s’enrichir. — Bède. Aussi Jésus lui répond : « Pourquoi n’avez-vous d’autre motif, en désirant me suivre, que d’obtenir les richesses et les avantages de ce monde, lorsque je suis si pauvre, que je ne possède pas même la plus petite demeure, et que le toit qui m’abrite, ne m’appartient pas ? » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Voyez avec quelle sévérité le Sauveur pratique la pauvreté qu’il avait enseignée ; il n’avait à lui ni table, ni chandelier, ni maison, ni aucune des choses nécessaires à la vie.

S. Cyr. Dans le sens figuré, les renards et les oiseaux du ciel sont le symbole des puissances malignes et astucieuses des démons, et Jésus semble dire à cet homme : Les renards et les oiseaux du ciel trouvent en vous leur demeure, comment le Christ pourrait-il s’y reposer ? Qu’y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres ? (2 Co 6, 14.)

 

S. Athan. Ou bien encore, le Seigneur veut montrer ici la grandeur de sa nature, comme s’il disait : Toutes les créatures peuvent être circonscrites par un espace, mais la puissance du Verbe de Dieu ne peut être ni comprise ni limitée par un lieu quelconque. Ne dites donc point : « Je vous suivrai partout où vous irez. » Si cependant vous désirez devenir son disciple, renoncez à tout ce qui est contraire à la raison ; car il est impossible que celui qui se plaît au milieu des choses déraisonnables, devienne le disciple du Verbe. — S. Ambr. Ou bien encore, dans la pensée du Sauveur, les renards sont la figure des hérétiques ; le renard, en effet, est un animal trompeur, toujours occupé à tendre des piéges, et qui ne vit que de fraudes et de rapines, il ne laisse rien en repos, rien en paix, rien en sûreté, et cherche sa proie jusque dans la demeure des hommes. De plus, le renard, animal astucieux, se creuse une tanière, et aime à s’y tenir caché ; tels sont aussi les hérétiques qui ne savent se construire une demeure, mais qui s’efforcent d’enlacer et de resserrer les âmes dans leurs sophismes trompeurs. Enfin, cet animal ni ne s’apprivoise, ni ne peut servir aux usages domestiques. Aussi l’Apôtre fait-il cette recommandation : « Fuyez celui qui est hérétique, après le premier ou le second avertissements » (Tt 3.) Les oiseaux du ciel, qui sont souvent dans les Écritures la figure de la malice spirituelle, construisent leurs nids dans le coeur des méchants ; et tant que la malice et la perfidie dominent leurs affections, Dieu ne peut prendre possession de leur âme ; mais dès qu’il rencontre une âme innocente, il abaisse sur elle, pour ainsi dire, la plénitude de sa majesté, car il entre dans le coeur des bons, en y versant sa grâce avec profusion. Nous ne pouvons donc raisonnablement regarder comme simple et fidèle cet homme que le Sauveur ne juge pas digne de marcher à sa suite, bien qu’il promît de le servir avec un dévouement que rien ne pourrait affaiblir. C’est que le Seigneur ne se contente pas de l’apparence du dévouement, il exige la pureté d’intention, et il ne peut agréer l’obéissance de celui dont il n’approuve point les services. Nous ne devons exercer qu’avec réserve et prudence les devoirs de l’hospitalité spirituelle ; car en ouvrant sans précaution, aux infidèles, la demeure intérieure de notre âme, nous nous exposons à tomber dans leur infidélité par une confiance imprévoyante, Cependant, Dieu, après avoir éloigné cet hypocrite, admet à sa suite un homme sincère, pour nous apprendre qu’il ne rejette point la piété véritable, mais la fidélité mensongère.

« Il dit à un autre : Suivez-moi. » Il savait que cet homme, auquel il s’adressait, avait perdu son père : « Celui-ci lui répondit : Maître, permettez-moi d’aller auparavant ensevelir mon père. » — Bède. Il ne refuse point de devenir le disciple de Jésus-Christ, mais il veut remplir auparavant les devoirs de la piété filiale, pour le suivre ensuite plus librement.

S. Ambr. Mais le Seigneur appelle sans délai ceux que sa miséricorde a choisis : « Et Jésus lui dit : Laissez les morts ensevelir leurs morts. » Puisque la religion elle-même nous commande de rendre à nos semblables les devoirs de la sépulture, pourquoi le Sauveur défend-il à cet homme d’ensevelir son père, si ce n’est pour nous faire comprendre que ce devoir purement humain, doit le céder aux obligations qui ont Dieu pour objet ? Le désir de cet homme était bon, mais les difficultés que l’accomplissement de ce désir lui créait, étaient plus à craindre ; celui dont le zèle est partagé, partage aussi son amour, et en appliquant ses soins à deux objets différents, il retarde nécessairement les progrès de son âme. Il faut donc remplir d’abord les devoirs les plus importants, à l’exemple des Apôtres qui, pour n’être point absorbés par le soin des pauvres, établirent des ministres pour distribuer les aumônes. — S. Chrys. (hom. 28 sur S. Matth.) Quelle obligation plus pressante que de rendre à un père les derniers devoirs ? Mais encore, quelle obligation plus facile, puisqu’il suffit de quelques instants pour l’accomplir. Le Sauveur veut donc nous apprendre ici à ne point employer inutilement la plus légère partie du temps, lors même que mille circonstances sembleraient nous forcer, et à toujours placer les intérêts spirituels au-dessus des choses les plus nécessaires ; car le démon est sans cesse aux aguets, pour trouver quelque entrée dans notre âme, et s’il surprend la moindre négligence, il nous jette dans un relâchement extrême. — S. Ambr. Le Sauveur ne défend donc pas de rendre à un père les derniers devoirs, mais il place les devoirs de religion au-dessus des devoirs de la piété filiale. Il veut qu’on laisse à ses parents l’accomplissement des uns, mais il fait à ses élus une obligation d’accomplir les autres. Or comment les morts peuvent-ils ensevelir les morts, à moins que vous ne compreniez qu’il y a deux morts différentes, la mort naturelle, et la mort du péché ? Il y a encore une troisième mort, c’est celle qui nous fait mourir au péché, et vivre pour Dieu. (Rm 9.)

S. Chrys. (hom. 28, sur S. Matth.) Cette expression du Sauveur : « Leurs morts », montrent que ce mort ne lui appartenait pas, sans doute parce qu’il était mort dans l’infidélité. — S. Ambr. Ou bien encore, comme la bouche des impies est un sépulcre ouvert (Ps 5), le Seigneur commande de détruire la mémoire de ceux dont tout le mérite meurt avec le corps ; il ne détourne donc pas ce fils des devoirs que lui impose la piété filiale, mais il le sépare de tout commerce avec les infidèles. Ce n’est pas l’accomplissement d’un devoir qu’il interdit, c’est un acte de religion qu’il commande, c’est-à-dire qu’il ne faut avoir aucun rapport avec les nations qui sont dans la mort. — S. Cyr. On peut encore dire que le père de ce jeune homme était accablé de vieillesse, et il croyait faire un acte louable en se proposant de pratiquer à son égard les devoirs de la piété filiale, comme Dieu lui-même le commande : « Honorez votre père et votre mère. » (Ex 20.) Aussi Notre-Seigneur l’ayant appelé au ministère évangélique en lui disant : « Suivez-moi, » il demandait un délai pour subvenir aux besoins de son vieux père : « Permettez-moi d’aller auparavant ensevelir mon père. » Il ne demandait pas d’aller rendre à son père les devoirs de la sépulture, car Jésus-Christ ne l’en eût pas empêché, mais cette expression ensevelir signifiait qu’il désirait soutenir sa vieillesse jusqu’à sa mort. Mais le Seigneur lui répondit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts ; » car son père avait d’autres parents aussi proches qui pouvaient prendre soin de lui, mais qui étaient morts, en ce Sens qu’ils n’avaient pas encore embrassé la foi. Apprenez de là que la piété, que nous devons à Dieu, doit l’emporter sur l’amour et le respect que nous devons à nos parents, parce qu’ils nous ont engendrés. En effet, le Dieu de toutes les créatures nous a donné l’être, lorsque nous étions dans le néant, tandis que nos parents n’ont été que les instruments dont il s’est servi pour notre entrée dans la vie.

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 23.) Telle est la réponse que Jésus fit à celui qu’il avait appelé lui-même à sa suite. Un autre disciple s’approcha encore de lui sans avoir été appelé, et lui dit : « Seigneur, je vous suivrai, mais permettez-moi de disposer auparavant de ce que j’ai dans ma maison, » — S. Cyr. La résolution de cet homme est admirable et digne d’éloges ; mais en demandant à renoncer aux biens qu’il possède, pour s’affranchir des soins qu’ils réclament, il montre que son coeur est encore partagé, puisque sa résolution n’est pas encore parfaitement arrêtée. Car vouloir consulter des proches, qui ne consentiront point à ce dessein, c’est montrer une résolution tant soit peu chancelante. Aussi Notre-Seigneur n’approuve pas ce dessein ; « Jésus lui répondit : Quiconque met la main à la charrue, et regarde en arrière, n’est pas propre au royaume de Dieu, » etc. — Mettre la main à la charrue, c’est être disposé à suivre Jésus-Christ par amour ; mais c’est regarder en arrière, que de demander un délai pour avoir occasion de revenir dans sa maison, et de s’entendre avec ses proches. — S. Aug. (serm. 7 sur les par. du Seig.) Jésus semble lui dire : L’Orient vous appelle, et vous regardez au couchant. — Bède. Mettre la main à la charrue, c’est aussi briser la dureté de son coeur avec le bois et le fer de la passion du Seigneur, comme avec un instrument de pénitence, et ouvrir son âme pour lui faire produire les fruits des bonnes oeuvres. Celui qui se livre à cette culture, et qui, semblable à la femme de Loth (Gn 19, 20), jette un regard de regret et d’affection sur les choses qu’il a laissées, demeure privé de la récompense du royaume éternel. — Chaîne des Pèr. gr. En jetant de fréquents regards sur les choses auxquelles nous avons renoncé, nous sommes entraînés par la force de l’habitude vers les actes de notre vie ancienne. L’usage, en effet, a une force véritable pour nous enchaîner. Est-ce que l’habitude ne naît pas de l’usage ? est-ce que l’habitude, à son tour, ne devient pas une seconde nature ? Or, il est bien difficile de vaincre ou de changer la nature, et si elle cède tant soit peu quand elle y est forcée, elle reprend bien vite son premier empire. — Bède. Si Notre-Seigneur blâme sévèrement ce disciple qui désirait le suivre, parce qu’il voulait d’abord disposer de ce qu’il avait dans sa maison ; que dira-t-il à ceux qui, sans aucun motif d’utilité, visitent fréquemment les maisons de ceux qu’ils ont laissés dans le monde ?

 

 

CHAPITRE X

 

Vv. 1-2.

S. Cyr. Dieu avait annoncé clairement par les prophètes, que la prédication de l’Évangile s’étendrait non seulement au peuple d’Israël, mais à toutes les autres nations ; et c’est pourquoi Jésus-Christ, après avoir choisi les douze apôtres, institua soixante-douze disciples : « Après cela, le Seigneur choisit encore soixante-douze autres disciples, » etc. — Bède. Ce choix des soixante-douze disciples est providentiel, parce que l’Évangile devait être prêché dans le monde à autant de nations ; les douze apôtres avaient été choisis pour les douze tribus d’Israël, et ceux-ci sont destinés à enseigner les nations étrangères. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 44.) De même que la lumière parcourt et éclaire tout l’univers dans l’espace de vingt-quatre heures, ainsi la fonction mystérieuse d’éclairer tous les hommes par la prédication du mystère de la Trinité, est confiée à soixante-douze disciples ; car trois fois vingt-quatre font soixante-douze. — Bède. C’est un fait hors de doute que les douze apôtres représentent l’ordre des évêques, de même que les soixante-douze disciples représentent ceux à qui l’Écriture donne le nom d’anciens (c’est-à-dire les prêtres du second ordre.) Cependant, dans les premiers temps de l’Église, on donnait indifféremment aux uns comme aux autres, le nom d’anciens et d’évêques, dont l’un signifie la maturité de la sagesse, et l’autre la sollicitude de la charge pastorale. — S. Cyr. L’élection des soixante-douze disciples avait été figurée par Moïse, qui, par l’ordre de Dieu, avait choisi soixante-dix hommes d’entre le peuple, sur lesquels Dieu répandait son esprit. (Nb 11.) Nous lisons dans le même livre des Nombres (Nb 33), que les enfants d’Israël vinrent à Elim (qui signifie action de monter), où ils trouvèrent douze sources d’eau vive, et soixante-dix palmiers. Or, si nous nous élevons jusqu’à l’interprétation spirituelle, nous trouverons aussi les douze fontaines, c’est-à-dire les saints Apôtres, où nous puisons la science du salut comme aux sources du Sauveur (Is 12, 5), et les soixante-dix palmiers, c’est-à-dire ceux qui sont ici choisis par Jésus-Christ. En effet, le palmier est un arbre qui a une sève abondante, de profondes racines, une fécondité merveilleuse, qui naît au milieu des eaux, et dont le tronc et le feuillage s’élèvent à une très-grande hauteur.

« Et il les envoya deux à deux devant lui. » — S. Grég. (hom. 17 sur les Evang.) Le Sauveur envoie ses disciples prêcher deux à deux, parce qu’il y a deux préceptes de charité, le précepte de l’amour de Dieu, et le précepte de l’amour du prochain, et que d’ailleurs il faut être au moins deux pour exercer la charité. Notre-Seigneur nous fait entendre implicitement par là, que celui qui n’a pas de charité pour son prochain, ne doit nullement se charger du ministère de la prédication. — Orig. Saint Matthieu, dans l’énumération qu’il nous fait des Apôtres, les compte deux par deux, et l’Écriture nous représente comme un usage très ancien cette association de deux personnes pour l’exécution des oeuvres de Dieu. C’est ainsi que Dieu délivra Israël de l’Egypte par les mains de Moïse et d’Aaron (Ex 12) ; et que Josué et Caleb se réunirent pour apaiser le peuple soulevé par les douze hommes envoyés pour explorer la terre de Chanaan (Nb 13 et 25). Aussi lisons-nous dans le livre des Proverbes (Pv 18, 49) : « Le frère qui est aidé par son frère, est comme une ville fortifiée. » — S. Bas. Notre-Seigneur nous enseigne encore par là, que ceux qui ont reçu les mêmes dons spirituels, ne peuvent point faire prévaloir opiniâtrement leur sentiment personnel. — S. Grég. (hom. 17.) Remarquez la mystérieuse signification des paroles qui suivent : « Dans toutes les villes et dans tous les lieux où il devait lui-même arriver. » En effet, le Seigneur vient à la suite de ses prédicateurs ; la prédication lui ouvre les voies, et c’est alors qu’il fait son entrée dans notre âme ; la parole marche devant lui, et introduit ainsi la vérité dans notre coeur, voilà pourquoi le prophète Isaïe dit (Is 40) : « Préparez les voies du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu (cf. Mt 3, 3 ; Mc 1, 5 ; Jn 1, 23). »

Théophyl. Le Seigneur avait choisi les soixante-douze disciples pour répondre aux besoins de la multitude qui manquait de prédicateurs ; car de même que nos champs, couverts de nombreux épis, semblent appeler la faux des moissonneurs ; ainsi la multitude innombrable de ceux qui devaient embrasser la foi, avait besoin de docteurs et de maîtres : « La moisson est grande, » disait Jésus à ses disciples. — S. Chrys. Mais comment peut-il appeler moisson, ce qui ne fait encore que commencer ? Il n’a pas encore mis la charrue dans les champs, ni tracé de sillons, et il parle de moissons. Cette parole pouvait jeter ses disciples dans l’incertitude, et les porter à se dire : Comment, si peu nombreux que nous sommes, pourrons-nous convertir tout l’univers ? comment, nous, ignorants, nous présenter devant des savants, pauvres devant des riches, sujets devant les puissants du siècle. C’est donc pour leur épargner ce trouble intérieur, que le Sauveur appelle l’Évangile une moisson ; comme s’il disait : Tout est prêt, je vous envoie recueillir des fruits parvenus à leur maturité ; car le même jour, vous pourrez semer et moissonner. Voyez le laboureur entrer plein de joie dans les champs, couverts d’une abondante moisson. Or, votre joie doit être beaucoup plus grande en entrant dans le monde, car l’oeuvre à laquelle Dieu vous appelle, est une moisson abondante qui vous présente ses champs, n’attendant que la faux du moissonneur.

S. Grég. (hom. 17.) Mais nous ne pouvons répéter les paroles qui suivent, sans un profond sentiment de douleur : « Les ouvriers sont en petit nombre. » Il en est beaucoup, sans doute, pour écouter les paroles de vie, mais très-peu pour les leur adresser. Voici que le monde est rempli de prêtres, mais qu’il est rare de rencontrer dans la moisson du Seigneur un seul véritable ouvrier. Et la raison, c’est que nous recevons le caractère et la charge du sacerdoce, mais que nous nous mettions peu en peine d’en remplir les devoirs. — Bède. De même que cette moisson abondante représente le grand nombre de ceux qui embrassent la foi, ainsi les ouvriers peu nombreux sont les Apôtres, et ceux qui, à leur exemple, sont envoyés pour recueillir la moisson.

 

S. Cyr. De vastes champs exigent un grand nombre de moissonneurs, ainsi en est-il de la multitude de ceux qui doivent croire en Jésus-Christ. Le Sauveur ajoute : « Priez donc le maître de la moisson qu’il envoie des ouvriers dans sa moisson. » Remarquez qu’après avoir dit ces paroles : « Priez le maître de la moisson, » il envoie lui-même les ouvriers dans la moisson. Il est donc le maître de la moisson, et c’est par lui et avec lui que le Père exerce son empire sur tous les hommes. — S. Chrys. (hom. 33 sur S. Matth.) Il a multiplié dans la suite les ouvriers, non pas en augmentant leur nombre, mais en leur communiquant une vertu toute céleste. Il nous fait entendre encore l’excellence de la grâce qui appelle les ouvriers à recueillir cette mission divine, en les exhortant à demander cette grâce au maître de la moisson. — S. Grég. (hom. 17.) Il faut aussi profiter de ces paroles pour exhorter les fidèles à prier pour leurs pasteurs, à demander à Dieu qu’ils travaillent dignement au salut de leurs âmes, et que leur langue ne cesse jamais de les instruire. Car souvent, ce sont les iniquités des prédicateurs qui retiennent leur langue ; mais souvent aussi il arrive que c’est en punition des fautes des simples fidèles, que Dieu retire à ceux qui les dirigent la parole de la prédication.

 

Vv. 3-4.

S. Cyr. Saint Luc rapporte ensuite comment Notre-Seigneur Jésus-Christ enseigne aux soixante-douze disciples la science apostolique, la modestie, la sainteté, la justice, comme aussi à ne jamais sacrifier aux intérêts du siècle la prédication de l’Évangile, mais à pousser la force et le courage de l’âme jusqu’à braver toutes les terreurs du monde, même celle de la mort. Il leur dit donc : « Allez. » — S. Chrys. (Hom. 34 sur S. Matth.) Leur grande consolation, au milieu de tous les dangers, c’était la puissance de celui qui les envoyait ; c’est pourquoi il leur dit : « Voilà que je vous envoie, » c’est-à-dire : Cela doit suffire pour votre consolation, pour vous donner toute espérance, et vous affranchir de la crainte des maux qui vous attendent. Il ajoute « Comme des agneaux, au milieu des loups. » — S. Isid. de Séville. (liv. 5, lettre 438 à Timoth.) Comparaison qui exprime la simplicité et l’innocence des disciples ; car ceux qui s’emportent et outragent la nature par leurs excès, il les appelle non point des agneaux, mais des boucs.

 

S. Ambr. Ces animaux sont de moeurs tout opposées, puisque les uns sont dévorés par les autres, c’est-à-dire les agneaux par les loups, mais le bon pasteur ne craint pas pour son troupeau les approches des loups. Aussi envoie-t-il ses disciples, non pour ravager, mais pour répandre la grâce, et la sollicitude du bon pasteur fait que les loups n’osent rien entreprendre contre les agneaux. Il envoie donc les agneaux au milieu des loups, pour accomplir cette prophétie d’Isaïe : « On verra paître ensemble le loup et l’agneau. » (Is 45.) — S. Chrys. (Hom. 14.) Un des signes éclatants du plus glorieux triomphe, ce fut de voir les disciples environnés de tant d’ennemis, comme des agneaux au milieu des loups, les convertir à la foi. — Bède. Ou bien ces loups, ce sont plus particulièrement les scribes et les pharisiens qui sont les ministres des Juifs. — S. Ambr. Ou bien encore, ces loups sont la figure des hérétiques. Les loups, en effet, sont des animaux féroces qui guettent les bergeries, et rôdent autour des cabanes des pasteurs. Ils n’osent entrer dans l’intérieur des demeures, ils épient le sommeil des chiens, l’absence ou la négligence des bergers ; ils se jettent à la gorge des brebis pour les étrangler plus vite ; ils sont féroces, ravisseurs, leur corps est naturellement raide et peu flexible, et ne leur permet pas de se plier facilement, aussi ils sont comme emportés par leur impétuosité, et manquent souvent leur coup. S’ils aperçoivent les premiers un homme, ils étouffent sa voix, dit-on, par une certaine force naturelle ; si, au contraire, l’homme les prévient le premier, ils sont comme surpris et déconcertés. Tels sont les hérétiques ; ils tendent des piéges autour des bergeries du Christ, on les entend hurler pendant la nuit autour des cabanes des bergers ; car il est toujours nuit pour ces ennemis perfides qui répandent sur la lumière de Jésus-Christ les nuages de leurs fausses interprétations. Cependant ils n’osent entrer dans ses bergeries, aussi n’obtiennent-ils jamais leur guérison, comme cet homme qui, après être tombé entre les mains des voleurs, fut guéri dans une étable. Ils épient l’absence des pasteurs, parce qu’ils n’oseraient, en leur présence se jeter sur les brebis du Christ. Ils ont aussi dans l’esprit une certaine raideur, et une dureté qui ne leur permettent pas de revenir de leurs erreurs. Mais Jésus-Christ, le véritable interprète de la sainte Écriture, déjoue leurs efforts, rend nulles toutes leurs attaques, et leur ôte toute puissance de nuire. Cependant s’ils trouvent le moyen d’enlacer quelqu’un les premiers dans les filets de leurs interprétations fallacieuses, ils le réduisent au silence ; car on est muet quand on ne confesse pas Dieu, en proclamant la gloire qui lui appartient par essence. Prenez donc garde que quelque hérétique ne vous ravisse la voix avant que vous ne l’ayez surpris le premier ; car l’oeuvre de sa perfidie avance toujours, tant qu’elle reste cachée ; mais si vous mettez à découvert ses projets impies, vous n’aurez plus à craindre la perte d’une voix consacrée à Dieu. Ils prennent à la gorge, ils font des blessures mortelles aux organes essentiels de la vie, pour atteindre l’âme elle-même. Si donc vous entendez parler d’un prêtre même, et que vous appreniez ses vols et ses rapines, c’est une brebis dehors, mais au dedans, c’est un loup qui, par un instinct de cruauté insatiable, veut assouvir sa rage dans le sang des hommes qu’il égorge. — S. Grég. (hom. 17 sur les Evang.) Il en est beaucoup qui, en prenant la charge pastorale, semblent n’avoir de zèle que pour dépouiller ceux qui leur sont soumis, et cherchent à inspirer la crainte de leur autorité. Comme ils n’ont pas les entrailles de la charité, ils veulent qu’on les regarde comme des maîtres, ils ignorent tout à fait qu’ils sont pères, et ils font d’une place toute d’humilité, un instrument d’orgueil et de domination. Afin de nous préserver de ces excès, rappelons-nous que nous sommes envoyés comme des agneaux au milieu des loups, pour nous apprendre à conserver la douceur de l’innocence, et à ne point déchirer nos frères par méchanceté ; car celui qui exerce le ministère de la prédication, loin de faire du mal aux autres, doit supporter celui qu’on veut lui faire ; et si le zèle de la justice exige qu’il déploie quelquefois de la sévérité, il faut qu’il ressente dans son coeur un amour tout paternel pour ceux qu’il est obligé de poursuivre et de châtier extérieurement. Or, l’accomplissement de ce devoir sera facile au pasteur qui ne place pas son âme sous le joug écrasant des convoitises de la terre ; voilà pourquoi Notre-Seigneur ajoute : « Ne portez ni bourse, ni sac. » — S. Grég. de Nazianze. (disc., 1.) Le résumé de ces divines instructions, c’est que leur vertu doit être tellement éminente, que les exemples de leur vie servent aussi puissamment au progrès de l’Évangile, que leurs prédications. — S. Grég. (hom. 17.) Le prédicateur doit avoir en Dieu une telle confiance, que tout en ne se préoccupant aucunement des choses nécessaires à la vie, il soit cependant assuré qu’elles ne lui manqueront jamais ; autrement une trop grande sollicitude pour les choses de la terre, le détournerait de procurer aux autres les biens de l’éternité.

S. Cyr. Le Sauveur avait défendu à ses disciples toute sollicitude à l’égard de leur corps, en leur disant : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » Il ne veut pas qu’ils se préoccupent davantage des choses qui sont en dehors du corps : « Ne portez ni bourse, ni sac. » Il ne leur permet pas même de porter les vêtements qui ne sont pas encore à l’usage du corps : « Ni chaussures. » Non seulement, il leur défend de porter un sac ou une bourse, mais il ne veut pas qu’ils se laissent distraire du ministère qui leur est confié, même pour saluer ceux qu’ils rencontrent : « Et ne saluez personne dans le chemin. » Élie avait déjà fait la même recommandation à son serviteur (4 R 4, 29), et Notre-Seigneur semble leur dire : Marchez droit à votre oeuvre sans échanger de salutations. Car le temps destiné à la prédication ne doit pas être employé inutilement, et on ne peut en distraire que ce que réclame la nécessité. — S. Ambr. Si donc le Sauveur fait cette défense, ce n’est pas qu’il désapprouve les témoignages de bienveillance mutuelle, mais parce qu’il met au-dessus le désir que nous devons avoir d’accomplir les devoirs de religion. — S. Grég. de Nazianze. Il fait encore ce commandement pour l’honneur de sa parole, pour soustraire ses disciples à la funeste influence de la flatterie, et les rendre indifférents aux paroles d’autrui.

 

S. Grég. (homél. 17 sur les Evang.) Si l’on veut entendre ces paroles dans un sens allégorique, l’argent renfermé dans la bourse est la sagesse qui demeure cachée. Celui donc qui possède en lui-même la parole de la sagesse, et qui néglige de la communiquer au prochain, tient son argent comme lié dans sa bourse. Le sac représente le fardeau des affaires du siècle, et les chaussures, les oeuvres mortes. Celui donc qui prend la charge du ministère de la prédication, doit regarder comme indigne de lui de porter le poids des sollicitudes de la terre, qui courbe sa tête sous un joug honteux et ne lui permet pas de se relever pour prêcher les choses du ciel. Il ne doit pas non plus arrêter ses regards sur les oeuvres des insensés, dans l’espérance de défendre et de protéger ses oeuvres comme avec des peaux mortes, et de pouvoir faire impunément ce qu’il voit faire aux autres. — S. Amb. Le Seigneur ne veut rien voir en nous de mortel, voilà pourquoi il ordonne à Moïse de délier sa chaussure terrestre et mortelle, lorsqu’il l’envoie pour délivrer son peuple. (Ex 3.) Êtes-vous surpris de ce que Dieu commande aux Israélites, en Égypte, d’avoir leurs chaussures pour manger l’agneau (Ex 12), tandis que les Apôtres doivent les quitter pour prêcher l’Évangile ? considérez que tant qu’on est dans l’Égypte, on doit craindre les morsures du serpent ; car l’Egypte est fertile en poisons de tout genre, et celui qui célèbre la pâque figurative est encore exposé aux blessures, tandis que le ministre de la vérité ne craint aucunement les poisons.

 

S. Grég. (hom. 17.) Tout homme qui en salue un autre en chemin, le salue plutôt, parce qu’il le rencontre, que pour lui souhaiter toutes sortes de biens. Celui donc qui prêche la parole du salut, moins par l’amour de la vie éternelle, que par désir de la récompense, salue aussi pour ainsi dire en chemin, parce qu’il souhaite le salut à ceux qui l’écoutent par occasion, plutôt que dans l’intention directe de leur être utile.

 

Vv. 5-12.

S. Chrys. (sur l’Ep. aux Coloss., 3.) La paix est la mère de tous les biens, et sans elle, toutes les autres jouissances ne sont rien ; aussi le Sauveur commande à ses disciples, lorsqu’ils entrent dans une maison, de souhaiter aussitôt la paix, comme le gage de tous les biens : « En quelque maison que vous entriez, dites d’abord : Paix à cette maison. » — S. Ambr. Il veut que nous soyons les messagers de la paix, et que notre première entrée dans une maison soit consacrée par les bénédictions de la paix. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr., et sur le Ps 124.) Voilà pourquoi le pontife la donne à toute l’Église par ces paroles : « La paix soit avec vous ! » Or, cette paix, que les saints demandent pour nous, n’est pas seulement la paix des hommes entre eux, mais la paix avec nous-mêmes. Car bien souvent, nous portons la guerre au dedans de nous-mêmes, nous sommes en proie à une agitation qui ne vient point des autres hommes, et nous sentons les mauvais désirs s’insurger contre nous. — Tite de Bost. « Paix à cette maison ! » c’est-à-dire à ceux qui habitent cette maison. Comme s’il leur disait : Adressez-vous à tous, aux grands comme aux petits, et cependant votre bénédiction ne tombera pas sur ceux qui en sont indignes. Il ajoute : « Et s’il s’y trouve un fils de la paix, votre paix reposera sur lui, » c’est-à-dire : Vous prononcerez les paroles de paix, mais pour la paix elle-même, c’est moi qui la donnerai à celui que j’en jugerai digne. Et si personne ne s’en trouve digne, vous ne serez pas trompés, et la grâce attachée à vos paroles ne sera point sans effet, au contraire, elle retournera sur vous, c’est ce qu’il ajoute : « Sinon, elle retournera sur vous. » — S. Grég. En effet, la paix, que souhaite la bouche du prédicateur, se repose sur la maison, s’il s’y trouve quelque personne prédestinée à la vie, et qui suive avec docilité les célestes enseignements qui lui sont donnés. Mais si personne ne veut les entendre, le prédicateur ne restera pas sans fruit, et la paix qu’il a souhaitée, lui reviendra avec la récompense que le Seigneur lui donnera pour son travail. Or, lorsque la paix que nous souhaitons est reçue, il est de toute justice que ceux à qui nous apportons les récompenses de la patrie céleste, nous donnent en échange ce qui est nécessaire à notre subsistance : « Demeurez dans la même maison, mangeant et buvant de ce qui sera chez eux. » Ainsi celui qui défend à ses disciples de porter ni bourse, ni sac, leur permet de tirer de la prédication elle-même, tout ce qui est nécessaire à leur nourriture et à leur entretien. — S. Chrys. Le Sauveur prévient cette objection : Mais je dépense tout ce que je possède, pour nourrir ces étrangers, et il veut que celui qu’il vous envoie, vous offre en entrant le don incomparable de la paix, pour vous faire comprendre que vous recevez beaucoup plus que vous ne donnez. — Tite. Ou bien, on peut encore regarder ces paroles comme la suite de ce qui précède, c’est-à-dire Vous n’êtes pas établis pour juger ceux qui sont dignes ou indignes, mangez et buvez ce qu’on vous présente ; mais laissez-moi le discernement de ceux qui vous reçoivent, à moins, cependant, que vous ne sachiez parfaitement vous-mêmes qu’il ne se trouve dans cette maison aucun enfant de la paix ; car vous devriez alors la quitter.

Théophyl. Vous voyez comment il a voulu que ses Apôtres mendient leur pain, et reçoivent la nourriture pour salaire, car il ajoute : « L’ouvrier mérite son salaire. » — S. Grég. (hom. 17.) En effet, les aliments qui soutiennent l’existence de l’ouvrier, sont une partie de son salaire, elle est pour le travail de la prédication un commencement de la récompense qui recevra toute sa perfection dans les cieux de la contemplation de la vérité. Remarquons que pour une seule et même oeuvre, nous recevons deux récompenses, l’une dans cette vie, qui est la voie ; et l’autre dans la patrie, après la résurrection. Or, l’effet de la récompense que nous recevons ici-bas, doit être de nous faire tendre avec plus de force et de courage vers la récompense éternelle. Le vrai prédicateur ne doit donc pas prêcher dans l’intention d’obtenir ici-bas sa récompense, mais recevoir cette récompense comme soutien de sa prédication. Car celui qui annonce la parole sainte pour obtenir des louanges ou quelque avantage temporel, se prive par là même de la récompense éternelle.

 

S. Ambr. Le Sauveur recommande encore à ses disciples une autre vertu, c’est de ne point aller de maison en maison avec une inconstante facilité : « Ne passez point de maison en maison, » c’est-à-dire que par affection pour ceux qui nous reçoivent, nous devons rester chez eux, et ne pas rompre trop facilement les liens d’amitié qui nous unissent à eux.

 

Bède. Après les avoir prévenus des différentes manières dont l’hospitalité leur serait offerte, il leur trace la ligne de conduite qu’ils devront tenir dans les villes où ils entreront, c’est-à-dire partager en tout la manière de vivre des âmes vraiment religieuses, et fuir tout rapport avec les impies : « En quelque ville que vous entriez, et où vous serez reçus, mangez ce qu’on vous présentera. » — Théophyl. Quelque modeste et commune que soit la table qui vous est offerte, n’en demandez pas davantage ; et il les avertit en même temps d’opérer des miracles pour attirer les hommes à leurs prédications : « Et guérissez les malades qui s’y trouveront, et dites-leur : Le royaume de Dieu est proche de vous. » Si, en effet, vous commencez par les guérir avant de les enseigner, vos discours en recevront plus d’efficacité, et les hommes croiront que le royaume de Dieu approche en vérité, puisque ces guérisons ne peuvent être que l’effet d’une vertu divine. Mais lors même que leur guérison est toute spirituelle, il est vrai de dire que le royaume de Dieu s’approche d’eux ; car ce royaume est loin de ceux en qui domine le péché. — S. Chrys. (hom. 33 sur S. Matth.) Voyez quelle est la dignité des Apôtres, ce ne sont point des grâces sensibles (c’est-à-dire des biens terrestres) qu’ils doivent répandre, comme Moïse et les prophètes, mais des grâces toute nouvelles et vraiment admirables, c’est-à-dire le royaume de Dieu. — S. Max. Le Sauveur dit : « Le royaume de Dieu approche, » non pour signifier qu’il s’écoulera peu de temps jusqu’à ce qu’il arrive ; car le royaume de Dieu ne vient pas de manière à être remarqué (Lc 17, 20), mais pour nous faire connaître la disposition des hommes au royaume de Dieu qui est en puissance dans ceux qui ont embrassé la foi, et en réalité dans ceux qui méprisent la vie du corps pour ne vivre que de la vie de l’âme, et qui peuvent dire : « Je vis, ce n’est pas moi, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi. » (Ga 2, 20.)

S. Ambr. Il leur commande ensuite de secouer la poussière de leurs pieds contre les villes qui n’auront pas cru devoir leur accorder l’hospitalité : « En quelque ville que vous entriez, et où l’on ne vous recevra point, secouez la poussière, » etc. — Bède. Cette action, de la part des Apôtres, est une attestation solennelle des travaux et des fatigues qu’ils ont supportés inutilement pour les habitants de ces villes ; ou bien, un signe qu’ils désirent si peu leurs biens temporels, qu’ils ne veulent même pas que la poussière de leur terre s’attache à leurs pieds. Ou bien encore, les pieds signifient les travaux et les progrès de la prédication, et la poussière dont ils sont couverts, la légèreté des pensées de la terre, dont les plus grands docteurs ne peuvent entièrement se garantir. Ceux donc qui méprisent la doctrine, les travaux et les périls de ceux qui leur annoncent l’Évangile, se préparent un témoignage sévère de condamnation. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) En secouant la poussière de leurs pieds, ils semblent leur dire : La poussière de vos péchés retombera justement sur vous. Remarquez encore que les villes qui refusent de recevoir les Apôtres, ont de larges places, selon ces paroles du Sauveur : « La voie qui mène à la perdition est large. »

Théophyl. Le royaume de Dieu approche pour le bonheur de ceux qui reçoivent les Apôtres, mais il approche aussi pour la perte de ceux qui les repoussent : « Sachez cependant que le royaume de Dieu est proche ; » c’est comme l’avènement d’un roi qui vient pour punir les uns et récompenser les autres, c’est pourquoi il ajoute : « Je vous le dis, il y aura en ce jour moins de rigueur pour Sodome que pour cette ville. » Eusèbe. En effet, même dans la ville de Sodome, les anges trouvèrent l’hospitalité, et Loth fut jugé digne de les recevoir, (Gn 19.) Si donc en entrant dans une ville, les Apôtres ne trouvent pas un seul habitant qui veuille les recevoir, comment le sort de cette ville ne serait-il pas plus triste que celui de Sodome ? Le Sauveur leur enseignait encore par ces paroles à embrasser avec courage la vie de pauvreté ; car une ville, une maison, un bourg ne peuvent exister, qu’à la condition de renfermer quelque serviteur fidèle connu de Dieu. La ville de Sodome elle-même n’eût pu exister, si Loth ne l’eût habitée, et à peine en fut-il sorti, qu’elle fut soudainement réduite en cendres. — Bède. Et cependant les habitants de Sodome, bien qu’hospitaliers au milieu des désordres de la chair et de l’esprit, n’ont jamais reçu des hôtes comme étaient les Apôtres ; car si Loth a conservé ses yeux et ses oreilles pures (2 P 2, 7), nous ne voyons pas cependant qu’il ait rien enseigné, ou qu’il ait fait quelque prodige.

 

Vv. 13—16.

S. Ambr. D’après ces paroles du Seigneur, ceux qui ont refusé de suivre les préceptes de l’Évangile seront punis bien plus sévèrement que ceux qui ont violé la loi naturelle : « Malheur à toi, Corozaïn, malheur à toi Bethsaïde ! » — Bède. Corozaïn, Bethsaïde et Capharnaüm, et Tibériade, dont parle saint Jean, sont des villes de Galilée, situées sur les bords du lac de Génésareth, que les Évangélistes appellent aussi la mer de Galilée ou de Tibériade. Le Sauveur déplore donc le sort de ces villes, que tant de prodiges et de miracles opérés sous leurs yeux n’ont pu amener à faire pénitence, et qui sont plus coupables que les nations qui transgressent seulement la loi naturelle, puisqu’au mépris de la loi écrite, ils joignent encore le mépris du Fils de Dieu et de sa gloire : « Car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous, l’avaient été dans Tyr et dans Sidon, elles eussent depuis longtemps fait pénitence dans le cilice et dans la cendre. » Le cilice qui est tissé de poils de chèvre, figure le souvenir déchirant du péché, qui perce l’âme comme d’une pointe aiguë ; la cendre représente la pensée de la mort, qui nous réduit en cendres ; l’action d’être assis signifie l’humilité de la conscience. Or, nous voyons aujourd’hui l’accomplissement de cette prédiction du Sauveur, parce que Corozaïn et Bethsaïde ont refusé de croire au Seigneur qui les enseignait en personne, tandis que Tyr et Sidon ont été autrefois en relations d’amitié avec David et Salomon, et ont ensuite embrassé la foi qui leur était annoncée par les disciples de Jésus-Christ.

 

S. Chrys. (de l’hom. intitul., que les femmes consacrées à Dieu ne doivent point habiter avec les hommes.) Le Seigneur déplore le sort de ces villes, pour nous apprendre que les gémissements et les larmes répandues sur ceux qui sont insensibles à leur malheur, sont un des moyens les plus efficaces pour les tirer de leur insensibilité, comme aussi un remède souverain, et une consolation puissante pour ceux qui s’attristent de leur indifférence. (Et hom. 38 sur S. Matth.) Ce n’est pas seulement en déplorant leur sort, qu’il les amène à faire le bien, mais en leur inspirant une crainte salutaire : « C’est pourquoi il y aura, au jour du jugement, moins de rigueur pour Tyr et Sidon, que pour vous. » Soyons nous-mêmes attentifs à cette menace ; car ce n’est pas seulement à ces villes, mais à nous-mêmes, qu’un jugement sévère est réservé, si nous refusons de recevoir ceux qui nous demandent l’hospitalité ; puisqu’il commande à ses disciples de secouer la poussière de leurs pieds contre ceux qui refuseront de les recevoir. (D’un autre endroit.) Les miracles nombreux que le Seigneur avait opérés dans Capharnaüm, le séjour qu’il avait fait, lui avait donné une certaine prééminence sur les autres villes, mais son incrédulité fut cause de sa ruine, comme le Sauveur le lui prédit : « Et toi, Capharnaüm, élevée jusqu’au ciel, tu seras abaissée jusqu’aux enfers, » c’est-à-dire que le châtiment sera proportionné à l’honneur que tu as reçu. — Bède. Ces paroles peuvent recevoir deux significations différentes. Ou bien, tu seras plongée jusqu’au fond de l’enfer, parce que tu as résisté avec un orgueil indicible à mes prédications, et dans ce sens, c’est par orgueil qu’elle s’est élevée jusqu’au ciel ; ou bien, tu as été élevée jusqu’au ciel, par le séjour que j’ai fait dans tes murs, par les miracles que j’y ai multipliés sous tes yeux, et tu seras puni d’autant plus sévèrement, que tant de grâces n’ont pu vaincre ton incrédulité. Et que personne ne pense que ces menaces ne sont faites qu’aux villes ou aux personnes qui ont méprisé le Seigneur dans sa chair visible ; elles s’adressent à tous ceux qui, aujourd’hui encore, méprisent les enseignements de l’Évangile ; aussi ajoute-t-il : « Celui qui vous écoute, m’écoute. » — S. Cyr. Il faut recevoir avec respect les enseignements des saints Apôtres ; car celui qui les écoute, écoute Jésus-Christ lui-même. Un châtiment inévitable attend donc les hérétiques qui rejettent les paroles des Apôtres, car il ajoute : « Et celui qui vous méprise, me méprise. » — Bède. Il établit clairement cette vérité, qu’en écoutant ou en méprisant la prédication évangélique, ce ne sont pas des hommes de peu d’importance qu’on écoute ou qu’on méprise, mais le Sauveur, et son Père lui-même : « Celui qui me méprise, méprise celui qui m’a envoyé ; » parce qu’en effet, dans le disciple, c’est le maître qu’on écoute, et dans le Fils, c’est le Père qu’on honore.

S. Aug. (des par. du Seig., serm. 24.) Si donc la parole de Dieu est parvenue jusqu’à vous, et vous a placé dans le lieu élevé que vous occupez, gardez-vous de nous mépriser ; car ce mépris que vous nous témoigneriez, remonterait jusqu’à lui. On peut encore entendre ces paroles dans un autre sens : « Celui qui vous méprise, me méprise, » c’est-à-dire celui qui refuse de faire miséricorde à l’un des plus petits d’entre mes frères, c’est à moi qu’il le refuse (Mt 25) ; et celui qui me méprise, en refusant de croire que je suis le Fils de Dieu, méprise celui qui m’a envoyé, parce que mon Père et moi nous sommes un. (Jn 10.) — Tite de Bost. Il console en même temps ses disciples, car tel est le sens de ces paroles : « Ne dites point : Pourquoi aller nous exposer aux outrages ? » Prêtez-moi le concours de vos paroles, moi, je vous donnerai celui de ma grâce, et les outrages qu’on vous fera, retomberont sur moi.

 

Vv. 17-20.

S. Cyr. Nous avons vu plus haut que le Seigneur envoya ses disciples revêtus de la grâce du Saint-Esprit, et que, devenus ministres de la prédication, ils reçurent en même temps tout pouvoir sur les esprits immondes ; nous les voyons revenir maintenant en proclamant la puissance de celui qui les a ainsi honorés : « Or, les soixante-douze disciples revinrent avec joie, en disant : Seigneur, les démons eux-mêmes nous sont soumis, » etc. Ils semblent se réjouir bien plus de ce qu’ils ont opéré des miracles, que d’avoir été les ministres de la prédication. Et cependant ils devaient bien plutôt mettre leur joie dans ceux qu’ils avaient gagnés à l’Évangile, à l’exemple de saint Paul, qui disait à ceux qui avaient été appelés à la foi par ses prédications : « Vous êtes ma joie et ma couronne. » (Ph 4.)

 

S. Grég. (Moral., 23, 4.) Le Sauveur se hâte de réprimer ce mouvement d’orgueil dans le coeur de ses disciples, et il leur rappelle la chute trop justement méritée du maître de l’orgueil, pour leur apprendre, par le prince de l’orgueil, combien ce vice était redoutable : « Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair, » etc. — S. Bas. (hom., Dieu n’est pas l’auteur du mal.) Le démon est appelé Satan, parce qu’il est opposé au bien (c’est le sens du mot hébreu) ; il est aussi appelé diable, parce qu’il nous aide à commettre le mal, et qu’il devient notre accusateur. Sa nature est immatérielle, et il fait son séjour dans les airs.

 

Bède. Il ne dit pas : Je le vois maintenant ; mais : « Je le voyais précédemment, » au moment même de sa chute. Il le compare à l’éclair, pour signifier la rapidité avec laquelle il a été précipité du haut du ciel au fond des abîmes, ou pour exprimer que depuis sa chute, il se transforme encore en ange de lumière (2 Co 11, 4.) — Tite de Bostr. C’est comme juge qu’il a vu la chute de Satan, lui qui connaît les passions des êtres immatériels. Il le compare dans sa chute à un éclair, parce que Satan, de brillant qu’il était par nature, est devenu ténébreux par ses inclinations vicieuses ; et qu’il a corrompu en lui la bonté que Dieu lui avait communiquée en le créant. — S. Bas. (contre Eunom., 3.) Car les esprits célestes ne sont pas saints par nature, mais la mesure de leur sainteté est proportionnée à la mesure de leur amour pour Dieu. De même que le fer qu’on met dans le feu, ne perd pas sa nature, et cependant, par son étroite union avec la flamme ardente, prend l’aspect et la vertu du feu ; ainsi les esprits des cieux, par leur union avec celui qui est saint par nature, entrent en communication de sa sainteté ; car en effet, Satan ne fût jamais tombé, s’il avait été impeccable par nature. — S. Cyr. Ou bien encore, dans un autre sens : « Je voyais Satan tomber comme l’éclair, » c’est-à-dire de la plus haute puissance à la plus extrême faiblesse. En effet, avant la venue du Sauveur, le démon régnait sur tout l’univers, et recevait les adorations de tous les hommes ; mais lorsque le Fils unique de Dieu fut descendu du ciel, il tomba avec la rapidité de l’éclair, parce qu’il est foulé aux pieds par tous ceux qui adorent Jésus-Christ, c’est ce qu’indiquent les paroles suivantes : « Voici que je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents, » etc.

Tite de Bost. Autrefois les serpents, dans le désert, firent des blessures mortelles aux Israélites à cause de leur infidélité. (Nb 21.) Mais le serpent d’airain est venu sur la terre, il a été attaché à la croix, et il a détruit ainsi la vertu de ces serpents, de manière que tous ceux. qui le regardent avec foi sont guéris de leurs blessures, et obtiennent le salut. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Et dans la crainte qu’on entendit ces paroles de véritables serpents, le Sauveur ajoute : « Et sur toute la puissance de l’ennemi. » Bède. C’est-à-dire qu’il leur donne le pouvoir de chasser toute espèce d’esprits impurs des corps des possédés. Et pour ce qui les concerne, il ajoute : « Et rien ne pourra vous nuire. » On peut cependant entendre aussi ces paroles dans le sens littéral, car une vipère s’étant élancée sur la main de saint Paul, il n’en souffrit aucun mal (Ac 28), et saint Jean prit du poison, sans en ressentir aucune atteinte. Or, il y a cette différence entre les serpents qui blessent avec leurs dents, et les scorpions dont le venin est dans la queue, que les serpents représentent ceux qui exercent ouvertement leur fureur ; et les scorpions, ceux qui dressent en secret leurs embûches, que ce soient des hommes ou des démons. Ou bien, les serpents sont ceux qui attaquent extérieurement, comme le démon de la fornication et de l’homicide, mais ceux dont le pouvoir de nuire s’exerce intérieurement, sont comme des scorpions, telles sont les passions intérieures de l’âme. — S. Grég. de Nysse. (hom. sur les Cant.) La volupté est comparée au serpent, dans la sainte Écriture. Or, telle est la nature du serpent, que si sa tête atteint une fente dans un mur, elle attire tout son corps à sa suite ; ainsi la nature accorde à l’homme de se construire une habitation comme chose nécessaire, mais à l’aide de cette nécessité, la volupté dresse ses attaques, elle porte l’homme à un luxe exagéré ; puis comme conséquence, elle fait entrer dans l’âme la passion de l’avarice, que suit immédiatement le vice de l’impureté, c’est-à-dire le dernier membre et comme la queue de la bestialité. Or, de même que pour faire lâcher prise à un serpent, on ne le saisit point par la queue ; ainsi, c’est, inutilement qu’on voudrait déraciner la volupté en commençant par les dernières ramifications, si on ne ferme tout d’abord l’entrée par où le mal a pénétré dans l’âme. — S. Athan. (disc. sur la passion et la croix du Seig.) Nous voyons aujourd’hui des enfants triompher, par la vertu du Christ, de la volupté qui, autrefois, séduisait les vieillards ; et des vierges persévérer dans l’innocence, en foulant aux pieds les artifices du serpent de la volupté. Quelques-uns mêmes ont écrasé l’aiguillon du scorpion, c’est-à-dire du démon, en affrontant la mort, et en devenant les martyrs de Jésus-Christ ; et la plupart ont sacrifié les jouissances de la terre pour marcher plus librement vers les biens du ciel, sans crainte, aucune, des puissances de l’air.

 

Tite de Bostr. Notre-Seigneur vit bien que la joie de ses disciples était mélangée de vaine gloire ; car ils se réjouissaient surtout d’avoir reçu une puissance qui 1es élevait au-dessus des autres hommes, et les rendait terribles aux hommes et aux démons. Aussi ajoute-t-il : « Cependant ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis, » etc. — Bède. Il leur défend, simples mortels qu’ils sont, de se réjouir de ce que les esprits leur sont soumis ; car le pouvoir de chasser les esprits ou de faire d’autres miracles, ne vient pas du mérite de celui qui les opère mais de l’invocation du nom de Jésus-Christ, qui produit ces effets miraculeux pour la condamnation de ceux qui l’invoquent, ou pour l’utilité de ceux qui sont témoins de ces prodiges. — S. Cyr. Mais pourquoi, Seigneur, ne permettez-vous pas à vos disciples de se réjouir de la puissance que vous-même leur avez donnée, alors qu’il est écrit : « Ils se réjouiront dans votre nom durant tout le jour ? » C’est que le Sauveur les invite à une joie beaucoup plus grande et plus pure « Réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux » — Bède. Comme s’il leur disait : Ce n’est pas de l’humiliation des démons, mais de votre élévation, qu’il faut vous réjouir. Et nous pouvons entendre ces paroles, dans ce sens plein d’édification, que les œuvres de l’homme, qu’elles aient le ciel ou la terre pour objet, sont écrites pour ainsi dire, et éternellement gravées dans le souvenir de Dieu. — Théophyl. Les noms des saints sont écrits dans le livre de vie, non pas avec de l’encre, mais par la grâce et le souvenir de Dieu, et tandis que le démon tombe des hauteurs où Dieu l’avait élevé, les hommes placés au-dessus de lui, sont inscrits dans le livre des cieux. — S. Bas. (sur le chap. 4 d’Isaïe). Il en est dont les noms sont écrits, non sur le livre de vie, mais sur la terre, comme le dit Jérémie (Jr 17, 13), d’où nous devons entendre qu’il y a deux inscriptions, les uns sont écrits pour la vie ; et les autres pour leur perte. Quant à ces paroles du Roi-prophète : « Qu’ils soient effacés du livre des vivants, » elles doivent s’entendre de ceux qu’on avait cru dignes d’être inscrits sur le livre de Dieu ; et dans le style de l’Écriture, nos noms sont effacés ou inscrits lorsque nous tombons de la vertu dans le péché, ou lorsque nous sortons du péché pour revenir à la vertu.

 

Vv. 21-23.

Théophyl. Comme un bon père qui se réjouit de voir ses enfants dans la voie du bien, Jésus tressaille de joie de ce que les Apôtres ont été jugés dignes de si hautes faveurs : « En cette heure même, Jésus tressaillit de joie, » etc. — S. Cyr. Il vit que les Apôtres, par la vertu de l’Esprit saint qu’il leur avait donnée, en gagneraient un grand nombre (c’est-à-dire les amèneraient à la foi), c’est pour cela que l’Évangéliste dit qu’il se réjouit dans l’Esprit saint, c’est-à-dire dans les effets produits par l’Esprit saint. En effet, le Sauveur aime tant les hommes, qu’il regarde comme un sujet de joie la conversion de ceux qui se sont égarés, et il rend grâces à Dieu : « Je vous rends gloire, ô Père, » etc. — Bède. Le mot confession ne signifie pas toujours pénitence, mais, actions de grâces, comme nous le voyons fréquemment dans les Psaumes (Ps 9, 2 ; 17, 50 ; 29, 13 ; 48, 19 ; 51, 11 ; 117, 21.28).

 

S. Cyr. Des hommes à l’esprit ou au coeur perverti nous objectent que le Fils rend ici grâce au Père, comme lui étant inférieur. Mais qui donc empêche le Fils, tout en étant consubstantiel à son Père, de rendre gloire à celui qui l’a engendré, et qui s’est servi de lui pour sauver le monde ? Si vous pensez que par-là même qu’il rend gloire à son Père, il lui est inférieur, veuillez remarquer qu’il l’appelle son Père et le Seigneur du ciel et de la terre. — Tite de Bost. Toutes les autres créatures ont été tirées du néant par le Christ, mais lui seul a été engendré par le Père d’une manière incompréhensible, car Dieu n’est Père dans un sens véritable que de son Fils unique ; aussi le Fils est-il le seul pour dire à son Père : « Je vous rends grâces, Seigneur Père, » c’est-à-dire, je vous glorifie. Ne soyez pas surpris si le Fils glorifie le Père, car toute la gloire du Père est dans la personne de son Fils unique. Toutes les créatures, les anges eux-mêmes sont la gloire du Créateur, mais comme ces créatures sont placées beaucoup trop au-dessous de sa Majesté, le Fils seul peut dignement glorifier le Père, parce qu’il a une même substance, une même divinité avec Dieu son Père. — S. Athan. Nous savons que souvent le Sauveur s’exprime d’une manière toute humaine, car sa divinité est intimement unie à son humanité ; gardez-vous cependant de méconnaître la divinité à cause du voile du corps qui la recouvre. Mais que répondront à cela ceux qui veulent que le mal ait une existence distincte, et qui se forment un Dieu différent du vrai Père du Christ. Ils disent que ce Dieu n’a pas été engendré, qu’il est l’auteur du mal, le prince de l’iniquité, et la créature de ce monde matériel. Mais le Sauveur, confirmant les paroles de Moïse, dit hautement : « Je vous rends gloire, Père, Dieu du ciel et de la terre. » — S. Epiph. L’Évangile de Marcion porte : « Je vous rends grâces, Dieu du ciel, » et supprime ces paroles : « Et de la terre, » et ces autres : « Mon Père, » pour ne point donner à entendre que Jésus-Christ appelle son Père le Créateur du ciel et de la terre.

 

S. Ambr. Le Sauveur découvre ensuite à ses disciples le dessein mystérieux, en vertu duquel il a plu à Dieu de révéler les trésors de la grâce aux petits, plutôt qu’aux sages et aux prudents de ce monde : « Je vous rends grâces de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, » etc. — Théophyl. On peut voir ici deux sortes de personnes ; les sages sont les pharisiens et les scribes interprètes de la loi ; et les prudents, ceux qui étaient enseignés par les scribes. Les petits, au contraire, dont parle le Seigneur, sont ses disciples qu’il a choisis, non parmi les docteurs de la loi, mais parmi le peuple et les pêcheurs des bords de la mer ; et il les appelle petits, parce que leur volonté est sans malice. — S. Ambr. Ou bien, ces petits sont ceux qui ne cherchent point à s’élever, et à faire ressortir leur prudence dans des discours étudiés, ce que font la plupart des pharisiens. — Bède. Il rend donc grâces à Dieu de ce qu’il a révélé aux Apôtres, qui sont petits à leurs yeux, les mystères de son avènement qu’ont ignorés les scribes et les pharisiens qui se croient les seuls sages, et se complaisent dans leur prudence.

 

Théophyl. Ces mystères restent donc cachés pour ceux qui prétendent être sages, et ne le sont pas ; car s’ils l’étaient réellement, ces mystères leur auraient été révélés. — Bède. Remarquez qu’il oppose aux sages et aux prudents, non pas les insensés et les esprits stupides, mais les petits, c’est-à-dire les humbles, pour faire comprendre que ce qu’il condamne, ce n’est point la pénétration, mais l’orgueil de l’esprit. — Orig. En effet, le sentiment de ce qui nous manque est une disposition pour arriver à la perfection. Celui qui, séduit par l’apparence du bien qu’il croit avoir, ne sent point qu’il ne possède pas le. bien véritable, en demeure privé pour toujours.

 

S. Chrys. (hom. 39 sur S. Matth.) Si le Sauveur tressaille de joie et rend grâces à son Père, ce n’est point de ce que les mystères de Dieu restent cachés aux scribes et aux pharisiens, car c’était un sujet de gémissement et de larmes, plutôt que de joie, mais il rend grâces de ce que ses disciples ont connu ce que ces prétendus sages ont ignoré. Il rend grâces à Dieu de cette révélation dont il est aussi l’auteur conjointement avec son Père, et nous fait ainsi connaître la grandeur de son amour pour nous. Il nous apprend encore que la cause première de cette révélation, c’est sa volonté et celle de son Père, qui agissait en cela par un dessein formel de sa volonté divine. — S. Grég. (Moral., 25, 43.) Notre-Seigneur nous donne ici une leçon d’humilité, en nous enseignant à ne pas discuter témérairement les conseils de Dieu dans la vocation des uns, et la réprobation des autres ; car ce que la souveraine justice juge à propos de faire, ne peut jamais être injuste. Ainsi donc dans tous les événements qui arrivent, la cause évidente de la conduite de Dieu, c’est la justice secrète de sa volonté mystérieuse.

 

S. Chrys. (hom. 39 sur S. Matth.) Ces paroles : « Je vous rends grâces, ô mon Père, de ce que vous avez révélé ces choses aux petits, » pouvaient donner à penser que le Christ n’avait pas le pouvoir de faire la même révélation, il ajoute donc : « Toutes, choses m’ont été données par mon Père. » — S. Athan. Les partisans d’Arius ne comprennent pas le véritable sens de ces paroles, et en donnent cette interprétation absurde et injurieuse au Seigneur : Si toutes choses, disent-ils (c’est-à-dire le domaine sur toute créature), lui ont été données, il fut un temps où il ne les avait pas, il n’est donc pas consubstantiel au Père ; car s’il l’était, il n’aurait pas eu besoin de recevoir le domaine sur toutes choses. Mais cette explication fait ressortir davantage leur folie ; car si avant de recevoir le domaine sur toute créature, le Verbe était étranger aux créatures, comment admettre ces paroles de l’Apôtre : « Toutes choses subsistent en lui ? » (Col 1, 47.) D’ailleurs, si toutes les créatures lui ont été données, aussitôt qu’elles furent créées, il n’était pas besoin de les lui donner de nouveau ; car c’est par lui que toutes choses ont été faites. » (Jn 1.) Il n’est donc pas question ici, comme le prétendent les ariens, du domaine sur les créatures, mais ces paroles ont un rapport évident aux suites de l’incarnation du Verbe. En effet, le péché de l’homme fut cause d’un bouleversement général, et le Verbe s’est fait chair pour rétablir tout dans le premier état. Si donc toutes choses lui ont été données, ce n’est pas chez lui défaut de puissance, mais elles lui ont été données pour qu’il les réformât en qualité de Sauveur. Ainsi de même qu’au commencement toutes les créatures ont été tirées du néant par le Verbe, de même, c’est le Verbe fait chair qui les a rétablies et renouvelées. — Bède. Ou bien, en disant que toutes choses lui ont été données, le Sauveur veut parler, non des éléments de ce monde, mais de ces petits auxquels le Père a révélé les mystères du Fils, et dont le salut éternel lui cause ici un véritable tressaillement de joie. — S. Ambr. Ou bien encore, dans ces paroles : « Toutes choses, » vous reconnaissez dans le Fils le Tout-Puissant égal en tout à son Père ; dans ces autres : « M’ont été données, » vous confessez qu’il est véritablement le Fils, à qui toutes choses appartiennent essentiellement en vertu de sa consubstantialité, et sans qu’elles lui aient été données par grâce. — S. Cyr. (Tres., liv. 4.) Après avoir déclaré que toutes choses lui ont été données par son Père, il élève les esprits jusqu’à la gloire et la grandeur qui lui sont propres, en montrant qu’il ne le cède en rien à son Père : « Personne ne sait qui est le Fils, si ce n’est le Père, et qui est le Père, que le Fils, » etc. En effet, la pensée de la créature ne peut atteindre la profondeur de la substance divine qui surpasse toute intelligence, et dont la beauté est au-dessus de toute conception. Le Père connaît donc le Fils en vertu de sa nature divine, et le Fils connaît le Père de la même manière, sans qu’il y ait la moindre différence de nature. Quant à nous, nous croyons que Dieu existe, mais nous ne pouvons comprendre quelle est sa nature. Mais si le Fils avait été créé, comment serait-il le seul pour connaître le Père, ou comment le Père seul pourrait-il le connaître ? Car aucune créature ne peut connaître la nature divine, tandis que la connaissance des choses créées ne surpasse pas toute intelligence, bien qu’elle puisse surpasser la portée de notre esprit.

 

S. Athan. Il est évident que les ariens se mettent en contradiction avec ces paroles du Sauveur, quand ils osent avancer que le Père ne peut être vu par le Fils. Mais n’est-ce pas une absurdité manifeste, que le Verbe ne se connaisse pas lui-même, alors qu’il donne à tous la connaissance de lui-même et de son Père : « Et celui à qui le Fils voudra le révéler ? » Tite de Bostr. La révélation, c’est la transmission d’une connaissance faite d’une manière proportionnée à la nature et aux facultés de chacun ; là où la nature est consubstantielle, la connaissance existe sans enseignement ; pour nous, au contraire, la connaissance ne peut exister sans révélation. — Orig. Le Fils de Dieu veut faire cette révélation, comme Verbe, d’une manière conforme à la raison, et comme la souveraine justice qui sait choisir les temps les plus opportuns, et la mesure la plus convenable. Or, il révèle en écartant le voile qui est placé sur le coeur (2 Co 3), et les ténèbres où lui-même habite comme dans une retraite. (Ps 17.) Mais puisque ceux qui sont d’une opinion contraire s’efforcent d’appuyer sur ces paroles leur dogme impie, que le Père de Jésus n’a pas été connu des saints des temps anciens, nous leur répondrons que ces paroles : « Et celui à qui le Fils voudra le révéler, » se rapportent non seulement aux temps qui ont suivi celui où le Sauveur les a dites, mais encore au temps qui ont précédé. Et s’il leur répugne d’étendre le mot révéler aux temps passés, nous leur dirons que connaître et croire sont deux choses différentes : « L’un reçoit de l’Esprit saint le don de parler avec science ; un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit. (1 Co 12.) Ainsi les hommes eurent d’abord la foi, mais sans avoir la connaissance. — S. Ambr. De plus, afin que vous sachiez, que de même que le Fils révèle le Père à qui il veut, le Père révèle aussi le Fils à qui il veut, écoutez ces paroles du Seigneur : « Vous êtes bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que ce n’est ni la chair ni le sang qui vous sont révélés, mais mon Père qui est dans les cieux. »

 

Vv. 23-24.

Théophyl. Le Sauveur venait de dire : « Nul ne sait quel est le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler, » il proclame maintenant bienheureux ses disciples auxquels il a lui-même révélé quel est le Père : « Et se tournant vers ses disciples, il leur dit : Bienheureux les yeux, » etc. — S. Cyr. Il se retourne vers ses disciples, parce qu’il repousse les Juifs aveugles et sourds d’esprit, pour se donner tout entier à ceux qui l’aiment, et il déclare bienheureux les yeux qui voient ce qu’ils voyaient eux-mêmes de préférence aux autres. Il faut cependant remarquer, que voir ne signifie pas ici une action et un mouvement des yeux, mais une jouissance de l’âme dans la possession des bienfaits dont elle est l’objet ; comme quand on dit : « Il a vu des jours heureux, » c’est-à-dire il s’est réjoui des jours heureux ; c’est dans ce sens que le Roi-prophète dit : « Vous verrez les biens de Jérusalem. » (Ps 127.) Combien de Juifs, en effet, qui ont vu des yeux du corps Jésus-Christ opérant des miracles divins, et à qui ne peuvent convenir ces paroles du Sauveur ; car ils n’ont pas cru, et ils n’ont point vu sa gloire des yeux de l’esprit. Si donc nos yeux sont heureux, c’est que nous voyons par la foi le Verbe fait homme pour nous, et gravant dans notre âme l’impression de sa divinité pour nous rendre semblables à lui par la sainteté et la justice.

 

Théophyl ; Il proclame bienheureux ses disciples et tous ceux qui voient des yeux de la foi, en comparaison des anciens prophètes et des rois qui ont désiré voir et entendre le Dieu incarné : « Car, je vous le déclare, beaucoup de prophètes et de rois, » etc. — Bède. Saint Matthieu appelle plus clairement les prophètes des rois et des justes (Mt 13) ;  ils sont en effet de grands rois, parce que loin de consentir et de succomber aux mouvements des tentations, ils ont su toujours les gouverner et les réprimer. — S. Chrys. (tiré des hom. sur S. Jean.) Il en est plusieurs qui concluent de ces paroles, que les prophètes n’ont eu aucune connaissance du Christ ; mais s’ils ont désiré voir ce que les Apôtres ont vu, ils ont donc su qu’il devait descendre parmi les hommes, et accomplir les mystères qui étaient la suite de son incarnation ; car personne ne peut avoir le désir de ce qu’il ne connaît pas ; ils ont donc connu le Fils de Dieu. Aussi le Sauveur ne dit pas simplement : Ils ont voulu me voir et m’entendre, mais : « Ils ont voulu voir ce que vous voyez, et entendre ce que vous entendez. » Ils l’avaient vu, en effet, mais avant qu’il fût incarné, qu’il conversât avec les hommes, et qu’il leur parlât un langage si plein de majesté. — Bède. Les prophètes qui ne l’apercevaient que dans le lointain des temps, l’ont vu comme dans un miroir et sous des images obscures (cf. He 11, 13 ; 1 Co 13, 2) ; les Apôtres, au contraire, qui jouissaient de la présence visible du Sauveur, et apprenaient de lui tout ce qu’ils voulaient connaître, n’avaient nul besoin d’être enseignés par les anges ou par d’autres visions semblables.

Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Mais pourquoi le Sauveur dit-il que beaucoup de prophètes ont désiré, et non pas tous ? Parce qu’il est dit d’Abraham qu’il a vu le jour du Christ et qu’il s’en est réjoui. Or, cette vision fut le partage d’un très-petit nombre ; les autres prophètes comme les autres justes ne furent pas assez grands en mérite pour obtenir de voir ce qu’a vu Abraham, et de connaître ce qu’ont connu les Apôtres ; et c’est d’eux que Jésus dit : « Ils ont désiré voir et ils n’ont pas vu. »

 

Vv. 25-28.

Bède. Notre-Seigneur avait dit précédemment à ses disciples que leurs noms étaient écrits dans les cieux, et c’est de là, je pense, qu’un docteur de la loi prit occasion pour le tenter : « Alors un docteur de la loi se leva pour le tenter, » etc. — S. Cyr. Il y avait parmi les Juifs de ces grands parleurs, qui parcouraient toute la Judée, accusant Jésus-Christ, et lui reprochant d’enseigner que la loi de Moïse était inutile, et de répandre lui-même de nouvelles doctrines. Ce docteur de la loi, voulant surprendre le Sauveur, et l’amener à parler contre Moïse, vient pour le tenter, et il l’appelle « Maître, » lui qui repoussait tout enseignement. Et comme le Seigneur avait coutume de parler de la vie éternelle à ceux qui venaient le trouver, ce docteur de la loi tient le même langage. Mais comme il le tentait dans un dessein perfide, le Sauveur ne lui répond que ce qui est écrit dans la loi de Moïse : « Jésus lui dit : Qu’y a-t-il d’écrit dans la loi ? Qu’y lisez-vous ? (cf. Dt 6, 5 ; Lv 19, 18) » — S. Ambr. Cet homme était un de ceux qui s’imaginent être docteurs de la loi, parce qu’ils possèdent les paroles de la loi, mais qui n’en connaissent ni la force ni le sens, et Jésus leur apprend par ce texte même de la loi qu’ils sont dans une complète ignorance de la loi, en leur prouvant que dès le commencement, la loi enseignait l’existence du Père et du Fils, et annonçait le mystère de l’incarnation du Seigneur : « Il répondit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces, et de tout ton esprit. » — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Ces paroles : « De tout ton esprit, » ne souffrent aucun partage ; car quelle que soit la partie de notre amour que vous détachiez pour la répandre sur les choses de la terre, elle l’empêche nécessairement d’être entier. De même que ce qui s’écoule d’un vase plein de liqueur en diminue nécessairement la quantité, de même tout ce qui se détache de votre amour, pour se répandre sur les choses défendues, diminue d’autant l’amour que vous devez avoir pour Dieu.

S. Grég. de Nyss. (De la créat. de l’homme, chap. 8.) On distingue dans l’âme trois degrés ou trois parties différentes, l’une est simplement végétative, comme dans les plantes, l’autre est sujette aux sensations, comme dans les animaux dépourvus de raison ; la troisième enfin qui est la plus parfaite est l’âme raisonnable qui fait le caractère propre de la nature humaine. Ces paroles : « De tout votre coeur, » font allusion à la substance corporelle ou végétative ; ces autres : « De toute votre âme, » à celle qui tient le milieu et qui est purement sensible ; ces autres enfin : « De tout votre esprit, » expriment la nature la plus élevée, c’est-à-dire la partie intellectuelle qui pense et réfléchit. — Théophyl. Notre-Seigneur nous enseigne donc par ces paroles qu’il faut appliquer toutes les forces de notre esprit à l’amour de Dieu, et le faire avec ardeur et empressement ; et c’est pour cela qu’il ajoute « Et de toutes vos forces. » — S. Max. (Chaîne des Pèr. gr.) La loi, en insistant sur cette triples direction de tout notre être vers Dieu, veut nous détacher de la triple inclination du monde vers la cupidité, vers la gloire et la volupté, trois tentations auxquelles Jésus-Christ a été lui-même soumis.

S. Basil. Si on nous demande comment on peut obtenir l’amour de Dieu, nous répondrons que l’amour de Dieu ne peut s’apprendre. Nous n’avons appris ni à nous réjouir de la présence de la lumière, ni à aimer la vie, nos parents, ou ceux qui nous ont nourris ; à plus forte raison l’amour de Dieu ne peut être l’objet d’un enseignement extérieur. Mais il y a en nous un sentiment intime déposé comme une semence au dedans de nous, et qui, par des motifs qui lui sont propres, nous porte à nous attacher à Dieu. Les enseignements des divins préceptes s’emparaient ensuite de ce sentiment, pour le cultiver, le développer et le conduire à la perfection. En effet, nous aimons naturellement tout ce qui est bon ; nous aimons aussi nos parents, nos proches, et nous accordons spontanément toute notre affection à ceux qui nous font du bien. Si donc Dieu est bon, et si tous aiment naturellement ce qui est bon, nous pouvons donc dire que tous aiment Dieu. Le bien que nous faisons volontairement se trouve naturellement en nous, à moins que nos pensées n’aient été corrompues par le vice. Quand même nous ne connaîtrions pas Dieu par les effets de sa bonté, nous devrions l’aimer sans mesure par le sentiment qu’il nous a tirés du néant et qu’il est notre Créateur. D’ailleurs, qui nous a comblés de plus de bienfaits, parmi ceux qui ont un droit naturel à notre amour ? Le premier et le plus grand commandement, c’est celui de l’amour de Dieu. Le second, qui complète le premier, lequel est aussi son complément, c’est le commandement de l’amour du prochain : « Et votre prochain comme vous-mêmes. » C’est Dieu qui nous rend facile l’accomplissement de ce précepte. Qui ne sait que l’homme est un être doux et sociable, et qui n’est point né pour vivre dans la solitude au milieu des bois ? En effet, la première inclination de notre nature, c’est d’entrer en relations avec nos semblables, d’avoir recours les uns aux autres, et d’aimer ceux qui ont avec nous une même nature. Le Seigneur ne fait donc ici que nous demander les fruits des semences qu’il a déposées lui-même au dedans de nous.

 

S. Chrys. (hom. 32, sur l’Epître 1re aux Cor.) Remarquez cependant que Dieu veut que ces deux préceptes soient accomplis dans la même étendue : « Vous aimerez Dieu de tout votre coeur,… et votre prochain comme vous-mêmes. » Si ce commandement était fidèlement observé, il n’y aurait plus ni esclave, ni homme libre, ni vainqueur ni vaincu, ni prince ni sujet, ni riche, ni pauvre, et le démon resterait à jamais inconnu ; car la paille résisterait plus facilement à la violence du feu, que le démon aux saintes ardeurs de la charité, tant la force de l’amour est supérieure à toutes choses. — S. Grég. (Moral., 19, 14). Dieu nous dit : « Vous aimerez votre prochain comme vous-mêmes, » mais comment celui qui est dur pour lui-même en persévérant dans l’injustice pourra-t-il être tendre et compatissant pour les autres ?

S. Cyr. Le docteur de la loi ayant répondu ce qui était contenu dans la loi, Jésus-Christ, pour qui rien n’est caché, déchire les filets artificieux dans lesquels il voulait l’envelopper : « Jésus lui dit : Vous avez bien répondu, faites cela et vous vivrez. » — Orig. Une conclusion rigoureuse à tirer de ces paroles, c’est que la vie qui nous est annoncée et promise par Dieu, le Créateur du monde, et par les anciennes Écritures dont il est l’auteur, est la vie éternelle. Notre-Seigneur lui-même l’atteste, en citant ce texte du Deutéronome : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu » (Dt 6), et cet autre du Lévitique : « Vous aimerez votre prochain comme vous-mêmes. » (Lv 19.) Or, par ces paroles, le Sauveur réfute l’hérésie des partisans de Valentin, de Basilide, de Marcion. En effet, que veut-il que nous fassions pour obtenir la vie éternelle, sinon ce que contiennent la loi et les prophètes ?

 

 

Vv. 29—37.

S. Cyr. L’éloge que le Sauveur vient de faire de la réponse du docteur de la loi lui inspire de l’orgueil, il ne croit point qu’il y ait pour lui de prochain, c’est-à-dire qu’il s’imagine que personne ne peut lui être comparé sous le rapport de la justice : « Mais cet homme, voulant faire paraître qu’il était juste, dit à Jésus : Et qui est mon prochain ? Il devient tour à tour la proie, pour ainsi dire, de tous les vices qui le font tomber de la ruse artificieuse avec laquelle il cherchait à tenter Jésus, dans une orgueilleuse arrogance. Cette question qu’il adresse à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » prouve qu’il n’avait aucun amour pour le prochain, puisqu’il ne croyait pas qu’il pût avoir un prochain. Il n’avait par conséquent aucun amour pour Dieu, car puisqu’il n’aimait pas son frère qu’il voyait, comment pouvait-il aimer Dieu qu’il ne voyait pas ? (1 Jn 4, 20.)— S. Ambr. Il répond encore qu’il ne sait, qui est son prochain, parce qu’il ne croyait pas en Jésus-Christ, et que celui qui ne connaît pas Jésus-Christ, ne peut connaître la loi, car si vous n’avez aucune connaissance de la vérité, comment pouvez-vous connaître la loi qui annonce et enseigne la vérité ?

Théophyl. Ce n’est ni par les actions, ni par les dignités que le Sauveur détermine l’idée juste qu’on doit se faire du prochain. Ne croyez pas, semble-t-il dire, que personne ne soit votre prochain, parce que vous êtes juste, car tous ceux qui ont avec vous une même nature sont votre prochain ; devenez donc aussi leur prochain, non en habitant le même pays, mais en leur témoignant de l’affection et en leur donnant les soins que leur état réclame. C’est pour confirmer cette vérité qu’il cite l’exemple du Samaritain : « Jésus reprit : Un homme descendait, » etc. — Chaîne des Pèr. gr. (ou Sévère d’Antioche.) Le Sauveur se sert avec dessein du terme générique, il ne dit pas : Quelqu’un descendait, mais ; « Un homme descendait, » car soit discours embrasse l’humanité toute entière. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 19.) Cet homme représente Adam et tout le genre humain ; Jérusalem, la cité de paix, représente la Jérusalem céleste, dont l’homme a perdu la félicité par son péché ; Jéricho qui signifie lune est la figure de notre mortalité, qu’on voit successivement naître, croître, vieillir et disparaître.

 

S. Aug. (Cont. les Pélag.) Ou bien encore, Jérusalem, qui veut dire vision de la paix, représente le paradis, car avant son péché, l’homme jouissait de la vision de la paix, c’est-à-dire des délices du paradis, où tout ce qu’il voyait était pour lui une source de paix et de joie. Lorsque le péché l’eut plongé dans l’humiliation et la misère, il descendit de Jérusalem à Jéricho, c’est-à-dire, dans le monde, où tout ce qui naît disparaît bientôt comme la lune. — Théophyl. Le Sauveur ne dit pas : Il descendit, mais : « Il descendait, » car la nature humaine tend toujours à descendre, non seulement par une partie d’elle même, mais par toutes ses facultés sensibles. — S. Bas. (Chaîne des Pèr. gr.) On comprendra parfaitement cette expression du Sauveur, si l’on veut faire attention à la situation des lieux dont il parle ; Jéricho en effet est située dans les vallées de la Palestine ; Jérusalem au contraire est située sur une hauteur, au sommet d’une montagne. Cet homme descendit donc des hauteurs dans les vallées, où il fut saisi par les voleurs qui habitaient le désert : « Et il tomba entre les mains des voleurs. »

 

S. Chrys. Déplorons d’abord le malheur de cet homme qui tombe entre les mains des voleurs, sans armes et sans défense, et qui, dans son imprévoyante témérité, choisit ce chemin où il ne pouvait échapper aux brigands qui l’infestaient ; car comment, sans armes, sans prévoyance, sans précaution, aurait-il pu se défendre contre ces voleurs qui fondent sur lui à main armée, et avec les intentions les plus meurtrières ? En effet, la méchanceté marche toujours, ayant pour armes les ruses, pour remparts la cruauté et les artifices, et prête à se livrer aux plus violents excès. — S. Ambr. Or, quels sont ces voleurs, si ce n’est les anges de la nuit et des ténèbres ? Il ne serait certainement pas tombé entre leurs mains, s’il ne se fût exposé à les rencontrer, en quittant la voie des commandements de Dieu. — S. Chrys. (hom. précéd. cit.) C’est donc à l’origine du monde, que le démon a déployé toute son artificieuse méchanceté contre l’homme, en versant sur lui son venin mortel, et en inaugurant dans sa personne sa malice meurtrière. — S. Aug. (contre les Pélag.) Cet homme est donc tombé entre les mains des voleurs, c’est-à-dire au pouvoir du démon et de ses anges qui, par la désobéissance du premier homme, l’ont dépouillé des vêtements de l’innocence, et l’ont couvert de blessures, en affaiblissant en lui la force du libre arbitre : « Ils le dépouillèrent, et le laissèrent couvert de blessures. » Le démon a fait une blessure au premier homme lors de son péché, mais il nous couvre de blessures, lorsqu’à ce premier péché, dont nous avons contracté la souillure, nous en ajoutons volontairement un grand nombre d’autres. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 19.) Ou bien encore, ils ont dépouillé l’homme de l’immortalité, et l’ayant couvert de plaies (en le portant au mal), ils le laissèrent à demi-mort. En effet, l’homme est vivant en tant qu’il peut concevoir et connaître Dieu, mais il est mort dans la partie de lui-même qui succombe aux atteintes mortelles du péché, c’est ce que le Sauveur indique par ces paroles : « Et ils le laissèrent à demi-mort » — S. Aug. (contre Pélage) Dans cet homme demi-mort, l’action vitale (c’est a-dire le libre arbitre) est blessé, et n’est plus capable de le conduire à la vie éternelle qu’il avait perdue : il est donc là étendu, incapable de se relever par ses propres forces, aussi appelait-il le médecin, c’est-à-dire Dieu, pour le guérir. Théophyl. Ou bien encore, l’homme est à demi-mort après son péché, parce que son âme est immortelle, et son corps mortel, de manière que la moitié de lui-même est assujettie à la mort. Ou bien encore, l’homme est à demi-mort, parce que la nature humaine espérait arriver au salut par Jésus-Christ, et ne pas devenir entièrement la proie de la mort ; mais par suite du péché d’Adam, la mort est entrée dans le monde, et elle ne pouvait être détruite que par la rédemption de Jésus-Christ. (Rm 5, 12.) — S. Ambr. Ou bien encore, les démons commencent par nous dépouiller des vêtements de la grâce spirituelle, avant de nous couvrir de blessures ; car si nous savions conserver ces vêtements dans toute leur beauté, nous serions inaccessibles aux coups des voleurs. — S. Bas. On peut encore entendre qu’ils ne le dépouillèrent qu’après l’avoir couvert de blessures, pour nous faire comprendre que c’est après le péché commis, que la grâce nous est enlevée. — Bède. Les péchés sont appelés des blessures, parce qu’ils détruisent l’état d’intégrité de la nature humaine. Il est dit qu’ils s’en allèrent, non pour cesser leurs embûches criminelles, mais pour dissimuler leurs ruses artificieuses,

S. Chrys. (comme précéd.) Cet homme, c’est-à-dire Adam, était donc là étendu, privé de tout secours, profondément atteint par les blessures que ses péchés lui avaient faites, et le prêtre Aaron passe sans pouvoir le secourir par ses sacrifices : « Or, il arriva qu’un prêtre descendait par le même chemin, il vit cet homme, et passa outre, » etc. Son frère Moïse, de la tribu de Lévi, voit la loi qu’il a donnée, frappée de la même impuissance : « De même, un lévite, se trouvant près de là, le vit et passa outre. » — S. Aug. (contre Pélage.) On peut aussi considérer ce prêtre et ce lévite comme représentant les deux temps de ha loi et des prophètes : le prêtre est la figure de la loi qui a institué le sacerdoce et les sacrifices ; le lévite représente les oracles des prophètes. Or, le genre humain ne put être guéri à aucune de ces deux époques, parce que la loi donne bien la connaissance du péché, mais ne le détruit pas. (Rm 3, 20 ; 8, 3.) — Théophyl. Remarquez ces paroles : « Il passa, » parce qu’en effet, la loi vint et dura jusqu’au temps que Dieu avait marqué ; et comme elle ne pouvait guérir, elle passa. Remarquez encore que la loi n’a pas été donnée dans ce dessein, que l’homme y trouvât sa guérison ; car il ne pouvait alors recevoir le mystère de Jésus-Christ. Aussi voyez comme l’Évangéliste s’exprime : « Or, il arriva qu’un prêtre descendait par le même chemin, » ce que nous disons généralement des choses qui arrivent sans avoir été prévues. — S. Aug. (serm. 37 sur les par. du Seig.) Le Sauveur donne à entendre que cet homme, qui descendait de Jérusalem à Jéricho, était israélite, par là même que le prêtre qui passa, n’en eut aucune compassion, bien qu’il fût du même peuple, et que le lévite qui était aussi de la même race, passât également sans daigner le secourir. — Théophyl. Peut-être leur première pensée fut— elle une pensée de compassion, mais la dureté naturelle reprit bientôt le dessus, ce qui nous est exprimé par cette parole : « Il passa. »

S. Aug. (comme précéd.) Le samaritain vint aussi à passer, il était étranger pour cet homme par sa race, mais il était son prochain par la compassion, et il fit ce qui suit « Mais un samaritain, qui était en voyage, vint près de lui » etc. Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu être représenté dans ce samaritain. En effet, le mot Samaritain signifie gardien. Or, c’est de lui qu’il est dit : « Celui qui garde Israël, ne sommeillera ni ne dormira point » (Ps 120), parce qu’une fois ressuscité des morts, il ne meurt plus. (Rm 6.) D’ailleurs, lorsque les Juifs lui dirent : « Vous êtes un samaritain, et vous êtes possédé du démon, » il nia qu’il fût possédé du démon, lui qui savait qu’il était venu pour chasser le démon, mais il ne nia point qu’il fût le gardien des infirmes. — Sévère d’Antioche. Notre-Seigneur s’appelle ici samaritain on ne peut plus à propos, en répondant à ce docteur, fier de la connaissance de la loi ; il veut lui faire comprendre que ni le prêtre, ni le lévite, ni ceux qui vivaient sous la loi, ne pratiquaient les commandements de la loi, mais qu’il était venu lui-même pour en accomplir les prescriptions. — S. Ambr. Ce samaritain descendait ; car quel est celui qui est descendu du ciel, si ce n’est celui qui est monté au ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel ? (Jn 3.) — Théophyl. Il était en voyage, ajoute le Sauveur, c’est-à-dire qu’il venait avec le dessein formel de nous guérir. — S. Aug. (contre Pélage.) Il est venu revêtu de la ressemblance de la chair de péché (Rm 8), et c’est pour cela qu’il est dit « qu’il vint près de lui, » en se rendant comme semblable à lui. — Sévère d’Antioche. Ou bien encore, il vint près du même chemin, car il a véritablement suivi la voie droite, sans s’en écarter jamais en descendant sur la terre. pour notre salut.

S. Ambr. Or, en venant sur la terre, il s’est fait notre prochain par la sincère compassion qu’il nous porte, et notre voisin par la miséricorde dont il nous comble : « Et le voyant, il fut touché de compassion, » etc. — S. Aug. (comme précéd.) Il le voit étendu sans force, sans mouvement, et il est touché de compassion, parce qu’il ne trouve en lui aucun mérite qui le rende digne de guérison ; mais « à cause du péché, il a condamné le péché dans la chair (Rm 8) : « Et s’approchant, il banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, » etc. — S. Aug. (serm. 37 sur les par. du Seig.) Quelle distance plus grande peut-on imaginer, que celle qui sépare Dieu de l’homme, l’immortel de ceux qui sont soumis à la mort, le juste des pécheurs ? distance produite non par l’éloignement extérieur, mais par la différence de nature. Il possédait deux biens, la justice et l’immortalité, et nous avions, au contraire, deux maux, l’injustice et la mortalité. Or, s’il eût pris les deux maux qui étaient notre partage, il fût devenu semblable à nous, et il aurait eu besoin comme nous d’un libérateur. Et comme il ne voulait pas se rendre entièrement notre égal, mais s’approcher seulement de nous, il ne s’est point fait pécheur à votre exemple, mais il s’est fait mortel comme vous ; il a pris sur lui le châtiment sans prendre la faute, et il a ainsi détruit la faute et le châtiment.

 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 19.) Le samaritain, en bandant les plaies de cet homme, figure la répression des péchés ; l’huile représente la douce consolation de l’espérance donnée par la miséricorde divine, qui nous obtient le bienfait de ha réconciliation ; le vin, l’exhortation à une vie fervente dans l’Esprit saint. — S. Ambr. Ou bien encore, il bande nos plaies, en nous imposant une loi plus sévère ; par l’huile, il fomente nos plaies, en nous remettant nos péchés ; et par le vin, il nous pénètre de la crainte de ses jugements. — S. Grég. (Moral., 20, 8.) Ou encore, le vin figure les atteintes secrètes de la justice, et l’huile, la douceur de la miséricorde ; le vin baigne les plaies corrompues, et l’huile adoucit celles qui peuvent être guéries. Il faut donc faire un mélange de la douceur avec la sévérité, et tempérer l’une par l’autre, pour ne pas donner lieu à l’irritation par une trop grande dureté, ou au relâchement par une trop grande condescendance. — Théophyl. Ou bien dans un autre sens, l’huile figure la vie humaine du Sauveur, et le vin, qui est l’emblème de la divinité, figure sa vie-divine, dont personne ne pourrait soutenir l’éclat, si elle n’était unie à l’huile, c’est-à-dire à la vie humaine ; aussi le voyons-nous agir tantôt d’une manière humaine, tantôt d’une manière toute divine. Il verse donc de l’huile et du vin, parce que c’est tout à la fois par son humanité et par sa divinité qu’il nous a sauvés. — S. Chrys. (comme précéd.) Ou bien encore, il a versé le vin, c’est-à-dire le sang de sa passion, et l’huile, c’est-à-dire l’onction sainte, dans le dessein que le pardon de nos fautes nous fut donné par son sang, et la sanctification de notre âme par l’onction de l’huile sainte. Ce céleste médecin bande nos plaies ouvertes, afin qu’elles puissent retenir le remède qu’il leur applique, et dont l’heureuse efficacité doit les guérir entièrement. Après avoir versé sur ses plaies de l’huile et du vin, il mit cet homme sur son cheval : « Et le mettant sur sa monture, » etc.

 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 19.) Cette monture représente la chair dont le Fils de Dieu s’est revêtu pour venir jusqu’à nous. On est placé sur cette monture quand on croit en son incarnation. — S. Ambr. Ou bien, il nous place sur sa monture, en portant lui-même nos péchés et en souffrant pour nous (Is 53). L’homme, en effet, est devenu semblable aux animaux (Ps 48), il nous a donc placés sur sa monture, afin que nous ne soyons pas semblables au cheval et au mulet (Ps 31), et pour détruire l’infirmité de notre chair en se revêtant lui-même de notre corps. — Théophyl. Ou bien encore, il nous a placés sur sa monture, c’est-à-dire sur son propre corps ; car son incarnation nous a rendus ses membres, et nous fait entrer en participation de son corps. La loi n’admettait pas tous les hommes à faire partie du peuple de Dieu : « Les Moabites et les Ammonites, est-il écrit, n’entreront point dans l’Église de Dieu » (Dt 23) ; mais maintenant, dans toute nation, tout homme qui craint Dieu, qui veut embrasser la foi et faire partie de l’Église, est admis dans son sein. C’est pourquoi le Sauveur ajoute que le samaritain conduisit cet homme dans une hôtellerie. — S. Chrys. (comme précéd.) Cette hôtellerie, c’est l’Église qui reçoit tous ceux qui viennent fatigués des voies du monde, et accablés sous le poids de leurs péchés ; c’est là qu’après avoir déposé ce fardeau, le voyageur harassé se repose et reprend de nouvelles forces au festin salutaire qui lui est préparé. C’est ce qu’expriment ces paroles : « Et il prit soin de lui ; » car tout ce qui pouvait lui être contraire, nuisible ou mauvais, se trouve en dehors, tandis que cette hôtellerie offre un repos assuré et une sécurité complète. — Bède. Remarquez que le Samaritain met cet homme sur sa monture avant de le conduire à l’hôtellerie, parce que personne ne peut entrer dans l’Église, s’il n’est uni tout d’abord au corps de Jésus-Christ par le baptême (1 Co 12, 12.13).

S. Ambr. Mais le bon Samaritain ne pouvait rester longtemps sur la terre, et il lui fallait retourner au ciel d’où il était descendu : « Le jour suivant, il tira deux deniers, et les donna à l’hôte, » etc. Quel est cet autre jour, si ce n’est le jour de la résurrection du Seigneur, dont il est dit : « Voici le jour que le Seigneur a fait ? » (Ps 117.) Les deux derniers sont les deux Testaments qui portent tous deux gravée l’image du roi éternel, et par le mérite desquels nos blessures sont guéries. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 19.) Ou bien, ces deux deniers sont les deux préceptes tic la charité que les Apôtres ont reçus de l’Esprit saint pour annoncer l’Evangile ; ou encore, la promesse de la vie présente et celle de la vie future. — Orig. (hom. 34 sur S. Luc.) Ou bien encore, ces deux deniers représentent la connaissance de ce mystère par lequel le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, connaissance qui est donnée comme récompense à l’ange de l’Église, pour qu’il prodigue tous ses soins à l’homme qui lui est confié, et dont le Sauveur s pris soin lui-même pendant la courte durée de sa vie mortelle. Il promet à l’hôtelier de lui rendre aussitôt tout ce qu’il aurait dépensé de plus pour la guérison de ce pauvre blessé : « Et tout ce que vous dépenserez de plus, je vous le rendrai à mon retour. »

S. Aug. (Quest. évang., 2, 19.) Cet hôtelier représente l’Apôtre qui a donné en plus en ajoutant ce conseil : « Quant aux vierges, je n’ai pas reçu de commandement du Seigneur, mais voici le conseil que je donne » (1 Co 7, 25) ; ou bien encore en travaillant de ses mains, pour n’être à charge à personne, au commencement de la prédication de l’Évangile (1 Th 2, 9), quoique cependant il lui fût permis de vivre de l’Évangile (1 Co 20.) Les Apôtres eux-mêmes ont aussi donné en plus, ainsi que les docteurs venus dans la suite des temps, et qui recevront la récompense qui leur est due pour avoir expliqué l’Ancien et le Nouveau Testament. — S. Ambr. Heureux donc cet hôtelier qui peut panser et guérir les blessures de son frère ; heureux celui qui entend ces paroles sortir de la bouche de Jésus : « Et tout ce que vous dépenserez en plus, je vous le rendrai à mon retour. » Mais quand reviendrez-vous, Seigneur, si ce n’est au jour du jugement ? Car, bien que vous soyez partout et que vous habitiez au milieu de nous, sans que nos yeux puissent vous apercevoir, il viendra cependant un temps où toute chair vous verra revenir sur la terre. Vous rendrez alors ce que vous devez aux bienheureux, puisque vous avez voulu être leur débiteur. Puissions-nous être nous-mêmes de bons débiteurs, et rendre fidèlement ce que nous avons reçu.

S. Cyr. Après ce récit, Notre-Seigneur peut maintenant faire au docteur de la loi cette question « Lequel de ces trois vous semble avoir été le prochain de l’homme qui tomba entre les mains des voleurs ? » Le docteur répondit : « Celui qui a pratiqué la miséricorde envers lui. » Ce n’est, en effet, ni le prêtre ni le lévite qui sont le prochain de ce pauvre blessé, mais celui qui a eu compassion de lui. Ainsi la dignité sacerdotale, la science de la loi sont complètement inutiles, si elles ne sont comme relevées et consacrées par la pratique des bonnes oeuvres. Aussi le Sauveur ajoute-t-il : « Allez et faites de même. » — S. Chrys. (hom. 10 sur l’Ep. aux Hébr.) C’est-à-dire : Si vous voyez quelqu’un dans le malheur, ne dites pas c’est un scélérat, mais qu’il soit gentil ou juif, dès lors qu’il a besoin de secours, n’en faites pas un objet de railleries ; quel que soit son malheur, il a droit à être secouru. — S. Aug. (de la doct. chrét.) Nous devons apprendre de là que notre prochain est celui envers lequel nous devons exercer la miséricorde, si son état la réclame ; ou celui à l’égard duquel nous en serions redevable, s’il en avait besoin. Il suit de là, que celui qui doit à son tour nous prêter assistance au besoin, est aussi notre prochain ; car le nom de prochain suppose une relation, et nous ne pouvons être le prochain d’un homme, sans que lui-même ne devienne notre prochain. Or, nul n’est excepté de ce grand devoir de la miséricorde ; au témoignage de Notre-Seigneur, qui nous recommande de faire du bien à ceux-là mêmes qui nous haïssent (Mt 5) : « Faites du bien à ceux qui vous haïssent. » Il est donc évident que ce commandement qui nous est fait d’aimer le prochain, embrasse les saints anges eux-mêmes, qui exercent à notre égard tant d’oeuvres de miséricorde. Que dis-je ? Notre-Seigneur a voulu lui-même être appelé notre prochain, en nous faisant entendre que c’est lui-même qui est venu au secours de cet homme, laissé à demi-mort dans le chemin. — S. Ambr. Ce ne sont donc point les liens du sang, mais la miséricorde qui rend un homme notre prochain, parce que la miséricorde est un sentiment que la nature inspire ; en effet, quoi de plus conforme à la nature, que de secourir ceux qui ont avec nous une même nature ?

 

vv, 38-42.

Bède. Le Sauveur nous a enseigné précédemment l’amour de Dieu et du prochain en discours et en paraboles, il nous l’enseigne maintenant par des actions et en vérité : « Or, il arriva que pendant qu’ils étaient en chemin, Jésus entra dans un village. » — Orig. Saint Luc ne dit point le nom de ce village, mais saint Jean nous le fait connaître en l’appelant Béthanie. (Jn 11.) — S. Aug. (Serm. 20, sur les paroi. du Seig,) Or, le Seigneur qui est venu chez lui, sans que les siens aient voulu le recevoir (Jn 1), a été reçu ici comme étranger : « Et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison. » Elle le reçut comme on reçoit les voyageurs, et cependant la servante reçut son Seigneur, celle qui était malade reçut son Sauveur, la créature reçut son Créateur. Ne dites pas : Heureux ceux qui ont mérité de recevoir Jésus-Christ dans leur maison, n’enviez pas leur bonheur, car Notre-Seigneur à dit : « Tout ce que vous faites pour l’un de ces petits, c’est à moi que vous le faites, » (Mt 25.) En prenant la forme de serviteur, il a voulu être nourri par des serviteurs par condescendance et non par une nécessité de sa condition. Il était revêtu d’une chair soumise à la faim et à la soif, mais lorsqu’il eut faim dans le désert, les anges vinrent le servir. (Mt 4.) Si donc il consent à être nourri, c’est une grâce qu’il accorde à la personne qui le reçoit. Marthe faisait donc toute sorte de préparatifs pour recevoir dignement Notre-Seigneur, et s’occupait activement du service au contraire Marie, sa soeur, préférait être nourrie intérieurement par le Sauveur : « Elle avait une soeur, nominée Marie, laquelle, assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. »

S. Chrys. L’Évangéliste ne dit pas seulement de Marie qu’elle était assise près de Jésus, mais « qu’elle était assise à ses pieds, » afin de mieux exprimer son zèle, son empressement, son attention, pour recueillir les paroles de Jésus, et le profond respect qu’elle avait pour le Seigneur. — S. Aug. (Serm. 27, sur les parol. du Seig.) Mais plus elle s’humiliait aux pieds du Sauveur, plus elle recueillait abondamment ses divines paroles, car l’eau descend en abondance dans les profondeurs des vallées, tandis qu’elle découle du sommet des collines qui ne peuvent la retenir.

S. Bas. (Const. monast., chap. 1.) Toutes les actions, toutes les paroles du Sauveur sont pour nous autant de règles de piété et de vertu, car il s’est revêtu de notre corps pour que nous puissions imiter les exemples de sa vie selon la mesure de nos forces. — S. Cyr. Il apprend donc à ses disciples par son exemple la conduite qu’ils doivent tenir lorsqu’ils sont reçus dans quelque maison ; ils doivent en y entrant, ne pas goûter exclusivement les douceurs du repos, mais remplir de la sainte et divine doctrine l’âme de ceux qui les reçoivent. Quant à ceux qui leur donnent l’hospitalité, ils doivent l’exercer avec joie et empressement pour deux motifs, ils trouveront d’abord un sujet d’édification dans la doctrine de ceux qu’ils reçoivent, et recevront à leur tour la récompense de leur charité : « Or, Marthe s’occupait avec empressement, » etc. — S. Aug. (serm. 27, sur les parol. du Seig.) Marthe s’occupait avec raison de pourvoir aux nécessités corporelles, et aux désirs de la nature humaine du Seigneur ; mais celui qu’elle voyait revêtu d’une chair mortelle, « dès le commencement était le Verbe. » C’est ce Verbe que Marie écoutait. Ce Verbe s’est fait chair, c’est celui que Marthe servait. L’une travaillait, l’autre contemplait. Cependant Marthe, accablée de ce travail et de tout le soin du service, s’adresse au Seigneur, et se plaint de sa soeur : « Seigneur, souffrirez-vous que ma soeur me laisse servir seule ? » etc. Marie, en effet, était tout absorbée de la douceur de la parole du Seigneur, Marthe préparait un festin au Sauveur, qui lui-même servait alors à Marie un festin bien plus délicieux. Or, comment n’aurait-elle pas craint que le Seigneur pressé par sa soeur, vint à lui dire : « Levez-vous, et venez en aide à votre soeur, » alors qu’elle goûtait avec suavité les douces paroles du Sauveur, et que son coeur était plongé tout entier dans cette divine nourriture ? Elle était absorbée dans d’ineffables délices, bien supérieures à toutes les délices corporelles. Elle accepte donc ce reproche d’oisiveté, et confie sa cause à son juge, sans se mettre en peine de répondre, dans la crainte que le soin même de répondre ne vint à la distraire de l’attention qu’elle donne aux paroles du Seigneur. Le Seigneur répondit donc pour elle, lui pour qui la parole n’est pas un travail, parce qu’il est le Verbe : « Le Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe, vous vous inquiétez, » etc. Cette répétition du nom de Marthe, est un signe de l’affection du Sauveur pour elle, ou un moyen de la rendre plus attentive à la leçon qu’il va lui donner. Après l’avoir ainsi appelée deux fois, il lui dit : « Vous vous inquiétez de beaucoup de choses, » c’est-à-dire vous êtes occupée de beaucoup de choses. En effet, quand l’homme se charge de servir, il veut suffire à tout, et il ne peut y réussir ; il cherche ce qui lui manque, il prépare ce qu’il a sous la main, et son esprit est dans le trouble et l’agitation. Ainsi Marthe n’eût point demandé que sa soeur vînt l’aider, si elle avait pu seule suffire au travail. Elle s’inquiète de beaucoup de choses, ses inquiétudes, ses préoccupations sont nombreuses, elles sont de diverses sortes, parce qu’elles ont pour objet les choses de la terre et du temps. Or, à toutes ces choses, Notre-Seigneur en préfère une seule ; car ce ne sont pas toutes ces choses qui en ont produit une seule, mais elles sont elles-mêmes sorties d’un seul principe. Aussi écoutez la parole du Sauveur : « Or, une seule chose est nécessaire. » Marie a voulu n’être occupée que d’une seule chose, selon cette parole du Psalmiste : « Il est bon pour moi de m’attacher à Dieu. » (Ps 72.) Le Père, le Fils, le Saint-Esprit, ne font qu’une seule et même chose ; et nous ne pouvons parvenir à cette seule chose, qu’autant que nous avons tous un même coeur. (Ac 4.) — S. Cyr. On peut encore donner cette explication : Lorsque quelques-uns de nos frères reçoivent Dieu dans leur demeure, qu’ils ne poussent pas la préoccupation à l’excès, qu’ils n’exigent pas tout ce qui est à leur disposition, mais n’est pas nécessaire ; car en toutes choses, la trop grande abondance est un embarras, c’est une cause d’ennui pour ceux qui la recherchent, et elle donne à penser aux convives qu’ils sont pour les autres une occasion de préoccupation et de fatigue.

S. Bas. (Régl. développ., quest. 19.) N’est-il pas absurde de prendre des aliments pour soutenir notre corps, et de faire de ces aliments une cause d’appesantissement pour le corps, et un obstacle à l’accomplissement des commandements de Dieu ? ( Quest. 20.) Si donc il survient un pauvre, donnons-lui la règle et l’exemple de la modération dans l’usage des aliments ; ne donnons jamais de festin pour flatter le goût de ceux qui aiment le luxe, et les désirs de la table. La vie d’un chrétien doit être uniforme, puisqu’elle tend à un même but, la gloire de Dieu. Au contraire la vie des mondains prend mille formes diverses, et ils la varient sans cesse au gré de leurs caprices. Mais pourquoi donc vous, qui chargez votre table de mets abondants et recherchés pour le plaisir de votre frère, l’accusez-vous de sensualité, et lui faites-vous le reproche honteux de gourmandise, en le condamnant de savourer avec délices les mets que vous lui préparez ? Nous ne voyons pas que le Seigneur ait loué Marthe de s’être livrée tout entière aux soins multipliés du service.

S. Aug. (Serm. 27, sur les parol. du Seig.) Quoi donc, devrons-nous penser que Notre-Seigneur blâme ici l’empressement de Marthe, tout occupée des devoirs de l’hospitalité, et heureuse de recevoir un hôte comme le Sauveur ? S’il en est ainsi, cessons de servir les pauvres, livrons-nous au ministère de la parole, que la science du salut soit notre unique objet, ne nous inquiétons nullement s’il y a quelqu’étranger parmi nous, si quelqu’un manque de pain ; laissons toutes les oeuvres de miséricorde, pour ne nous occuper que de la science. — Théophyl. Notre-Seigneur ne nous défend donc point de remplir les devoirs de l’hospitalité, mais la préoccupation excessive, la dissipation et le trouble. Remarquez d’ailleurs la prudence du Sauveur, il n’avait d’abord rien dit à Marthe, ce n’est que lorsqu’elle veut détourner sa soeur d’écouter la parole du divin Maître, qu’il prend occasion de là, pour lui faire un reproche. L’hospitalité est donc honorable, tant qu’elle ne nous entraîne qu’aux choses nécessaires, mais dès lors qu’elle nous détourne de devoirs plus importants, il est évident que l’attention aux enseignements divins est bien préférable.

S. Aug. (Serm., 26 et 27.) Notre-Seigneur ne blâme donc pas ici la pratique de l’hospitalité, mais il établit une distinction entre les oeuvres : « Marie a choisi la meilleure part, » etc. Votre part n’est pas mauvaise, mais celle que Marie a choisie est meilleure. Pourquoi est-elle meilleure ? parce qu’elle ne lui sera point ôtée. Un jour viendra où vous serez déchargée des soins nécessaires de cette vie, (car une fois entrée dans la patrie, vous n’aurez plus à exercer l’hospitalité envers les étrangers), mais cette part vous sera ôtée dans votre intérêt, et afin que vous en receviez une meilleure. On vous déchargera du travail pour vous donner le repos : Vous naviguez encore, et Marie est déjà arrivée au port, car la douceur de la vérité est éternelle ; elle s’accroît successivement dans cette vie, mais elle reçoit sa consommation dans l’autre vie, où on la possède sans crainte de la perdre.

S. Ambr. Laissez-vous donc conduire comme Marie, par l’amour de la sagesse, car c’est l’oeuvre la plus parfaite, l’oeuvre par excellence. Que les soins extérieurs ne vous détournent jamais de la connaissance de la parole céleste, et gardez-vous de condamner et d’accuser d’oisiveté ceux qui s’appliquent à l’étude de cette divine sagesse.

S. Aug. (Quest. Evang., 2, 30.) Dans le sens allégorique, Marthe recevant Jésus dans sa maison est la figure de l’Église, recevant le Seigneur dans son coeur ; Marie, sa soeur, assise aux pieds du Sauveur, et écoutant sa parole, représente aussi l’Église, mais dans le siècle à venir, où affranchie du soin et du service des pauvres, elle n’aura plus qu’à jouir de la sagesse. Elle se plaint que sa soeur ne vient pas l’aider, et elle donne occasion à Notre-Seigneur de nous montrer l’Église de la terre, inquiète et troublée de beaucoup de choses, tandis qu’il n’y a de nécessaire qu’une seule chose, à laquelle on arrive par les mérites de cette vie d’action. Il déclare que Marie a choisi la meilleure part, parce que c’est par la première qu’on parvient à la seconde qui ne sera jamais ôtée. — S. Grég. (Moral., 6, 18.) Ou bien encore Marie, qui écoute assise les paroles du Seigneur, est la figure de la vie contemplative. Marthe au contraire occupée des oeuvres extérieures représente la vie active. Notre-Seigneur ne blâme pas le genre de vie de Marthe, mais il donne des éloges à celui de Marie, parce que si les mérites de la vie active ont du prix, les mérites de la vie contemplative en ont beaucoup plus. Aussi le Sauveur déclare-t-il que la part de Marie ne lui sera jamais ôtée ; en effet, les oeuvres de la vie active n’ont d’autre durée que celle du corps, tandis que les joies de la vie contemplative ne font que se multiplier à la mort,

 

 

CHAPITRE XI.

 

v. 1-4.

Bède. Après avoir raconté l’histoire des deux soeurs, qui ont comme personnifié en elles les deux vies de l’Église, l’Évangéliste nous représente, en suivant un ordre admirable, Notre-Seigneur en prière et enseignant à ses disciples à prier, parce qu’en effet la prière dont il donne les précieux enseignements, renferme le mystère de ces deux vies, et que la perfection de chacune d’elles s’obtient, non par nos propres forces, mais par la prière : « Un jour que Jésus était en prière en un certain lieu, » etc. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Mais pourquoi prier, puisqu’il est la source de tout bien qu’il possède dans sa plénitude, et qu’il n’a besoin de rien ? Nous répondons qu’une des conséquences de l’incarnation pour le Sauveur était de se conformer aux actions de la vie humaine, alors qu’il le jugeait convenable ; si, en effet, il se soumet à la nécessité du boire et du manger, quel inconvénient qu’il se livre à la prière, pour nous apprendre à ne pas négliger ce devoir, et à persévérer avec ferveur dans l’exercice de la prière ?

 

Tite de Bostr. (sur S. Matth.) Les disciples à qui Notre-Seigneur avait donné les règles d’une vie toute nouvelle, lui demandent aussi une nouvelle formule de prière, bien que l’Ancien Testament en contint un grand nombre : « Et dès qu’il eut cessé de prier, un de ses disciples lui dit : Seigneur, apprenez-nous à prier, de peur que nous n’offensions Dieu en lui demandant une chose pour une autre, ou en ne le priant pas avec les dispositions convenables. »

 

Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Pour déterminer le Sauveur à leur tracer les règles de la prière, le disciple de Jésus ajoute : « Comme Jean l’a appris à ses disciples, » Jean, dont vous nous avez dit, « qu’il était le plus grand de tous les enfants des femmes. » Vous nous faites un précepte de vous demander les biens éternels et ineffables, mais qui nous donnera de les connaître, si ce n’est vous notre Dieu et notre Sauveur ?

 

S. Grég. de Nyss. (Serm. 1, sur la prière.) Le Sauveur expose à ses disciples la divine doctrine de la prière, parce qu’ils la lui demandent avec instance, et il leur enseigne comment ils doivent prier Dieu pour être exaucés. — S. Bas. (Const. mon., chap. 1.) Il y a deux sortes de prières, la prière de louange, jointe à un grand sentiment d’humilité, et la prière de demande, qui est moins parfaite. Lors donc que vous vous mettez en prière, ne vous hâtez pas de passer à la demande, autrement vous accusez vos dispositions intérieures, et vous témoignez que c’est la nécessité qui vous amène aux pieds de Dieu. Mais lorsque vous commencez à prier, séparez-vous de toute créature visible et invisible, et donnez pour exorde à votre prière la louange du Créateur de toutes choses : « Et il leur répondit : Lorsque vous priez, dites : Père, » etc. — S. Aug. (Serm. 27, sur les parol. du Seig.) Comme cette première parole est pleine de grâce et de miséricorde ! Vous n’osiez pas lever votre front vers le ciel, vous recevez tout d’un coup la grâce de Jésus-Christ ; de mauvais serviteur vous êtes devenu fils bien aimé, ayez donc espérance, non dans vos oeuvres, mais dans la grâce du Sauveur. Ce n’est point de la présomption, mais de la confiance ; proclamer la grâce que vous avez reçue, ce n’est point un acte d’orgueil, mais de dévotion. Levez-donc les yeux au ciel, vers votre Père, qui vous a donné une nouvelle vie dans le baptême, qui vous a racheté par son Fils. Dites lui comme un bon Fils : « Mon Père, » mais ne vous attribuez rien de trop particulier dans ce titre, car Dieu n’est, dans la rigueur du mot, le Père que de Jésus-Christ seul, parce qu’il est le seul qu’il ait engendré, tandis qu’il est notre Père commun à tous, parce qu’il nous à créés. C’est pour cela que dans saint Matthieu, nous lisons : « Notre Père ; » et qu’il ajoute : « Qui êtes dans les cieux ; » c’est-à-dire dans les cieux dont il est écrit : « Les cieux racontent la gloire de Dieu » dans les cieux où le péché n’existe plus, où la mort n’a plus de blessure. — Théophyl. Ces paroles : « Qui êtes dans les cieux, » ne signifient pas que Dieu se trouve circonscrit par les limites des cieux, mais Notre-Seigneur les emploie pour relever notre âme vers le ciel, et nous séparer des choses de la terre.

 

S. Grég. de Nyss. (Serm. 2, sur l’orais. domin.) Voyez quelle préparation est nécessaire pour que vous puissiez dire avec confiance : « Père ; » car si vous arrêtez vos regards sur les choses de la terre, si vous ambitionnez la gloire qui vient des hommes, si vous êtes l’esclave des passions de la chair, et que vous osiez faire cette prière, il me semble entendre Dieu vous dire : Comment, votre vie n’est que corruption, et vous invoquez comme votre Père l’auteur de l’incorruptibilité, et vous ne voyez pas que votre voix criminelle profane ce nom incorruptible ! En effet, celui qui vous a commandé de l’appeler votre Père, ne vous a pas autorisé à ouvrir votre bouche au mensonge. (Serm., 3.) Or, le principe de tout bien c’est de glorifier le nom de Dieu dans notre vie. Aussi le Sauveur ajoute : « Que votre nom soit sanctifié. » Qui pourrait être assez dépourvu de raison, que d’être témoin de la vie pure et sainte des vrais chrétiens, et de ne pas glorifier le nom qu’ils invoquent ? Celui donc qui dit à Dieu : « Que votre nom que j’invoque soit sanctifié en moi, » fait à Dieu cette prière : Que je devienne à l’aide de votre grâce juste, et éloigné de tout mal. — S. Chrys. (hom. 18, sur l’Ep. 1, aux Cor.) A la vue de la beauté et de la magnificence des cieux, on ne peut s’empêcher de s’écrier : Gloire à vous, ô mon Dieu, et on éprouve le même sentiment au spectacle de la vertu, car la vertu de l’homme donne plus de gloire à Dieu que la magnificence des cieux. — S. Arc. (Serm. 28, sur les parol. du Seig.) Ou bien ces paroles veulent dire : « Que votre nom soit sanctifié » en nous, de manière que la sainteté de Dieu puisse s’étendre jusqu’à nous. — Tite de Bostr. (sur S. Matth.) Ou bien encore, « que votre nom soit sanctifié, » c’est-à-dire, que votre sainteté soit connue de tous les hommes, et qu’elle soit l’objet de leurs louanges, car c’est aux justes qu’il appartient de publier les louanges de Dieu. (Ps 32.) Il nous commande donc de prier pour la sanctification du monde entier. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) En effet, ceux qui n’ont pas encore reçu la foi, n’ont que du mépris pour le nom de Dieu, mais aussitôt que la lumière de la vérité aura lui à leurs yeux, ils confesseront qu’il est le saint des saints. (Dn 9, 24.) — Tite de Bostr. (comme précéd.) Et comme la gloire de Dieu le Père est dans le nom de Jésus, le nom du Père sera vraiment sanctifié, lorsque Jésus-Christ sera connu.

Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien encore, comme les idolâtres et les pécheurs attribuent le nom de Dieu aux plantes et aux créatures, ce nom n’est pas encore sanctifié ; c’est-à-dire, qu’il demeure confondu avec des choses dont il doit être nécessairement séparé. Le Sauveur nous enseigne donc à demander que le nom de Dieu soit réservé au seul vrai Dieu, auquel seul peuvent s’appliquer les paroles suivantes « Que votre règne arrive ; » de manière que tout empire, toute domination, toute puissance, et le règne du monde soient anéantis, aussi bien que le péché qui règne dans nos corps mortels (1 Co 15, 24 ; Rm 6, 2). — S. Grég. de Nyss. Nous demandons encore à Dieu d’être délivrés de la corruption, et affranchis de la mort. Ou bien encore, selon quelques interprètes : « Que votre règne arrive, » c’est-à-dire, que votre Esprit saint descende sur nous, pour nous purifier. — S. Aug. (Serm. 24, sur les parol. du Seig.) Le royaume de Dieu arrive pour nous, quand nous avons eu le bonheur d’obtenir sa grâce ; car Jésus lui-même nous a dit : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous. » — S. Cyr. Ou bien ceux qui font cette prière, expriment le désir de voir le second avènement du Sauveur de tous les hommes paraissant à leurs yeux dans toute sa gloire. Or, il nous fait un commandement de demander dans la prière l’arrivée de ce temps vraiment redoutable, pour nous apprendre à fuir la négligence et la tiédeur, si nous ne voulons que cet avènement nous amène les flammes vengeresses de l’éternité. Il veut au contraire que notre vie s’écoule dans une sainte conformité à sa volonté, pour que ces jours ne nous apportent que des couronnes d’immortalité. Voilà pourquoi dans saint Matthieu la demande suivante est celle ci : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » — S. Cyr. (hom. 20, sur S. Matth.) C’est-à-dire : Accordez-nous d’imiter la vie des habitants des cieux, de sorte que nous ne voulions que ce que vous voulez vous-même. — S. Grég. de Nyss. (Serm. 4, sur l’orais. dom.) Notre-Seigneur nous déclare que la vie de l’homme après la résurrection sera semblable à la vie des anges ; il faut donc que la vie présente soit une préparation à cette vie que nous espérons après la mort, et que tout en vivant dans la chair, nous ne vivions pas selon les inspirations de la chair (Rm 7, 12 ; 2 Co 10, 3). C’est ainsi que le véritable médecin de nos âmes guérit les maladies de notre nature ; le principe de nos infirmités c’est de nous être mis en opposition avec la volonté divine ; ce n’est donc que par une conformité entière à cette divine volonté que nous serons délivrés de ces infirmités, car la santé de l’âme consiste dans l’accomplissement légitime de la volonté divine.

S. Aug. (Enchirid., chap. 116.) Dans l’Évangile selon saint Matthieu, l’oraison dominicale contient sept demandes ; l’évangéliste saint Luc, n’en donne que cinq, et cependant il n’est pas en opposition avec saint Matthieu, mais dans l’abrégé qu’il nous donne de cette prière, il nous fait comprendre comment les sept demandes doivent être entendues. En effet, le nom de Dieu est sanctifié dans l’Esprit saint, et le royaume de Dieu doit venir à la résurrection. Saint Luc veut donc nous apprendre que la troisième demande n’est pour ainsi dire que la répétition des deux premières, et, son intention est de nous la faire mieux comprendre en l’omettant. Viennent ensuite les trois autres demandes, et d’abord celle du pain quotidien : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour. » — S. Aug. (Serm. 28, sur les parol. du Seig.) Le texte grec porte επιουσιον, qui est au-dessus de toute substance. Ce qui ne peut s’appliquer au pain qui entre dans le corps et le nourrit, mais au pain de la vie éternelle qui fortifie la substance de notre âme. La version latine l’appelle pain de chaque jour, et les Grecs, pain qui arrive (chaque jour). Or, si ce pain est le pain de chaque jour, pourquoi ne le prenez-vous qu’une fois chaque année, comme les Grecs dans l’Orient ont coutume de le faire ? Recevez chaque jour ce qui doit vous être utile chaque jour, et vivez de manière à mériter de le recevoir chaque jour. Ce pain est le symbole de la mort du Seigneur, et de la rémission des péchés. Celui qui est blessé cherche un remède à ses blessures ; or, nous sommes blessés, puisque nous sommes esclaves du péché, et le véritable remède à nos blessures est ce sacrement descendu du ciel, et digne de toute notre vénération. Si vous le recevez tous les jours, chaque jour devient pour vous aujourd’hui, et chaque jour Jésus-Christ ressuscite pour vous ; car le jour où Jésus-Christ ressuscite, doit être appelé véritablement aujourd’hui. — Tite de Bostr. (sur S. Matth.) Ou bien encore, le pain des âmes, c’est la vertu de Dieu qui devient pour nous le principe de la vie future et éternelle, comme le pain qui provient de la terre, sert à la conservation de la vie temporelle. Ainsi le pain quotidien, dans l’intention du Sauveur, figure le pain divin qui approche et qui doit venir. Nous prions Dieu de nous l’accorder aujourd’hui, c’est-à-dire comme un commencement et un avant-goût de ce pain ; ce qui se fait lorsque l’Esprit saint qui habite en nous y produit ces vertus qui surpassent toutes les vertus humaines, comme la chasteté, l’humilité, etc.

 

S. Cyr. (comme précéd.) Il en est qui pensent qu’il n’est pas digne des âmes saintes de demander à Dieu les biens du corps, et qui, par conséquent, appliquent ces paroles à la vie spirituelle. J’admets que les biens spirituels doivent être l’objet principal et premier de la prière des saints, mais il faut cependant convenir qu’ils peuvent demander sans se rendre coupables, le pain ordinaire, puisque le Sauveur lui-même leur en fait un devoir. En effet, en leur enseignant à demander à Dieu du pain, c’est-à-dire la nourriture de chaque jour, il semble leur défendre de posséder autre chose, et leur commander de pratiquer une pauvreté honorable ; car ce ne sont point les miches qui demandent du pain, mais ceux que l’indigence opprime. — S. Bas. (Régl. abrég. quest. 252.) Le Sauveur semble nous dire : Ne vous en rapportez pas à vous-même, pour le pain quotidien qui vous est nécessaire pour soutenir votre vie de chaque jour ; mais recourez à Dieu pour l’obtenir, en lui exposant les besoins de votre nature. — S. Chrys. (hom. XIX, sur S. Matth.) Nous devons donc demander à Dieu, non pas la multiplicité des mets, les vins délicats et parfumés, et tout ce qui plait au goût, charge l’estomac, et trouble l’esprit ; mais les choses nécessaires à la vie, le pain destiné à soutenir notre existence, c’est-à-dire celui qui nous suffit aujourd’hui, sans nous inquiéter du lendemain. Ainsi nous ne faisons qu’une seule demande pour les choses temporelles, celle de ne point être exposés à la privation et à la souffrance dans le présent.

 

S. Grég. de Nysse. (Serm. 5 sur l’Orais. dominic.) Le Sauveur, après nous avoir inspiré la confiance qui vient de la pratique des bonnes oeuvres, nous enseigne à implorer la rémission de nos fautes : « Et pardonnez-nous nos offenses. » — Tite de Bostr. Aucun homme n’est sans péché, et Notre-Seigneur, ajoute cette demande nécessaire, pour lever les obstacles que nos péchés apporteraient à la participation des saints mystères. En effet, nous sommes obligés d’offrir une sainteté parfaite à Jésus-Christ, qui choisit notre coeur pour être la demeure de l’Esprit saint, et nous sommes gravement coupables, si nous ne conservons pas la pureté de ce temple intérieur. Or, si ce malheur nous arrive, la bonté de Dieu vient au secours de notre fragilité, en nous remettant la peine que nos péchés ont méritée. Le Dieu juste agit alors en toute justice avec nous, quand nous remettons nous-mêmes ce qui nous est dû, c’est-à-dire, à ceux qui nous ont fait tort, et se sont rendus nos débiteurs. C’est pour cela qu’il ajoute : « Comme nous remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent. » — S. Cyr. (comme précéd.) Le Sauveur veut, pour ainsi parler, que Dieu soit l’imitateur de la patience, dont les hommes lui donnent l’exemple, et qu’ils demandent à Dieu d’exercer à leur égard, dans la même mesure, la bonté dont ils font preuve à l’égard de leurs semblables, parce que Dieu sait rendre à chacun ce qui lui est dû, et être plein de miséricorde pour tous les hommes. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Une fois pénétrés de ces pensées, nous devons rendre grâces à nos débiteurs, car si nous savons bien l’apprécier, ils sont la cause de l’indulgence excessive de Dieu à notre égard ; en effet, nous donnons peu pour recevoir beaucoup, car nous avons contracté envers Dieu des dettes nombreuses et considérables, et s’il en voulait exiger la moindre partie, nous serions perdus.

S. Aug. (serm. 28 sur les par. du Seigneur.) Or, quelle est cette dette, si ce n’est le péché ? Si donc vous n’aviez rien reçu, vous n’auriez pas contracté de dettes, et c’est ce qui vous rend coupable. En effet, vous avez reçu un trésor qui vous a rendu riche en naissant, lorsque vous avez été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu ; mais vous avez perdu ce trésor qui vous a été confié. Ainsi, quand vous avez cherché à soutenir votre orgueil, vous avez perdu le trésor de l’humilité ; vous avez contracté à l’égard du démon une dette qui n’était pas nécessaire, et l’ennemi avait entre les mains votre engagement, mais Notre-Seigneur l’a attaché à la croix et l’a effacé de son sang. Or, de même qu’il a effacé votre péché et qu’il vous a remis toutes vos dettes, il est encore assez puissant pour nous défendre contre les embûches du démon, qui est en nous l’auteur du péché ; c’est pour cela qu’il nous fait ajouter dans cette prière : « Et ne nous induisez pas en tentation, » c’est-à-dire, dans mine tentation supérieure à nos forces, car nous sommes comme l’athlète qui désire une lutte proportionnée à ses forces. — Tite de Bostr. (sur S. Matth.) Il est impossible que nous soyons complètement à l’abri des tentations du démon, mais nous demandons à Dieu qu’il ne nous abandonne pas au milieu des tentations. L’Ecriture attribue ordinairement à l’action de Dieu, ce qui n’est l’effet que d’une simple permission (cf. Ez 14, 9), et c’est dans ce sens que Dieu nous induirait en tentation, s’il ne s’opposait au progrès d’une tentation au-dessus de nos forces. — S. Maxime. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien, le Sauveur nous ordonne de demander à Dieu de ne point nous induire en tentation, c’est-à-dire, de ne point permettre que nous soyons victimes des tentations volontaires de volupté. Quant aux tentations involontaires qui sont la suite des combats que nous soutenons pour la vérité, et qui nous entraînent dans de rudes épreuves, saint Jacques nous enseigne à ne point nous y laisser abattre : « Mes frères, nous dit-il, regardez comme la source de toute joie les diverses afflictions qui vous arrivent. » (Jc 1, 2.)— S. Bas. (Régl. abrég., quest. 221.) Cependant il ne convient pas que nous demandions à Dieu des afflictions corporelles. Jésus-Christ nous commande en général de prier Dieu, d’écarter de nous la tentation, mais dès qu’elle se présente, nous devons demander à Dieu la force nécessaire pour y résister, afin que nous puissions voir en nous l’accomplissement de cette parole : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. » (Mt 10.)

 

S. Aug. (Enchyrid., chap. 116.) Saint Luc n’a point rapporté la dernière demande que saint Matthieu ajoute à la précédente, pour nous faire comprendre qu’elle fait partie de la prière que nous faisons à Dieu d’être délivrés des tentations. Aussi saint Matthieu s’exprime de la sorte : « Mais délivrez-nous, » pour montrer que c’est une seule et même demande ; il ne dit pas : « Et délivrez-nous ; » il dit, ne nous exposez pas à ceci, mais accordez-nous cela, de sorte que chacun sache qu’il est délivré du mal, par là même qu’il n’est pas exposé à la tentation. — S. Aug. (serm. 28 sur les par. du Seign.) Nous demandons tous d’être délivrés du mal, c’est-à-dire, de notre ennemi et du péché, mais celui qui met en Dieu sa confiance, ne craint pas le démon, car si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?

 

 

Vv. 5-9.

S. Cyr. (Chaîne des Pères grecs.) Notre-Seigneur, sur la demande des Apôtres, leur avait enseigné comment il faut prier ; mais ceux qui avaient reçu ces salutaires enseignements, tout en priant selon la forme qu’il avait prescrite, pouvaient le faire avec négligence et avec tiédeur ; ou bien en voyant leur première ou leur seconde demande sans effet, abandonner complètement l’exercice de la prière. C’est pour les préserver de ce malheur qu’il leur montre, au moyen d’une parabole, que le découragement dans la prière est dangereux, et qu’il est on ne peut plus utile d’y persévérer avec patience : « Il leur dit encore : Si l’un de vous a un ami, » etc. — Théophyl. Cet ami, c’est Dieu, qui aime tous les hommes, et qui veut sincèrement que tous soient sauvés (1 Tm 2, 4 ; 2 P 3, 9). — S. Ambr. Qui d’ailleurs est plus notre ami que celui qui a livré son corps pour notre salut ? Le Seigneur nous donne encore ici un autre précepte, c’est que notre prière doit être continuelle, et que nous devons prier le jour comme la nuit : « Si l’un de vous a un ami, et qu’il aille le trouver au milieu de la nuit. » C’est ce que faisait David, quand il disait : « Je me levais au milieu de la nuit pour chanter vos louanges, » (Ps 118) car il ne craignait pas de réveiller de son sommeil celui qu’il savait avoir toujours les yeux ouverts sur son peuple. Or, si ce saint roi, tout occupé de l’administration de son royaume, redisait sept fois le jour les louanges du Seigneur (Ps 118), que ne devons-nous pas faire nous-mêmes ? Notre prière ne doit-elle pas être d’autant plus fréquente, que la fragilité de notre chair et de notre esprit nous entraîne dans un plus grand nombre de fautes ? Et si vous avez un véritable amour pour le Seigneur votre Dieu, vous pouvez obtenir, non seulement pour vous-mêmes, mais pour les autres. Voyez, en effet, la suite « Et que cet ami lui dise : Mon ami, prêtez-moi trois pains, » etc. — S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seign.) Quels sont ces trois pains, sinon l’aliment céleste que nous offrent les divins mystères ? Or, il peut se faire qu’on ne puisse satisfaire à la demande d’un ami, et on reconnaît alors qu’on n’a pas ce qu’on devrait lui donner. Ainsi, un ami vous arrive de voyage, c’est-à-dire, de la vie du monde, où tous les hommes passent comme des voyageurs, où ils n’ont ni véritable propriété ni demeure permanente, mais où tout homme s’entend dire : Passez, faites place à celui qui doit vous succéder. Ou encore, cet ami vous arrive fatigué d’un mauvais voyage, c’est-à-dire, d’une vie coupable, il n’a pas trouvé la vérité qu’il eût été si heureux d’entendre et de recevoir ; il vient donc à vous, qui êtes chrétien, et il vous dit : Veuillez m’instruire. Or, peut-être vous demande-t-il ce que vous ignorez dans la simplicité de votre foi, vous ne pouvez donc apaiser la faim qui le tourmente, et vous êtes obligé de recourir aux livres du Seigneur, car, peut-être, ce qu’il vous demande se trouve dans les saints Livres, mais enveloppé d’obscurité. Vous ne pouvez interroger Paul, ni Pierre, ni aucun prophète, car toute cette famille repose avec son maître. Cependant l’ignorance du monde est profonde, c’est le milieu de la nuit ; votre ami, pressé par la faim, insiste auprès de vous, la foi dans sa simplicité ne lui suffit pas, faudra-t-il l’abandonner ? Allez donc trouver le Seigneur lui-même, avec lequel toute sa famille se repose, et frappez à la porte par vos prières : « De l’intérieur de la maison il vous répondra : Ne m’importunez pas. » Mais s’il tarde à vous donner, c’est pour vous faire désirer plus vivement ce qu’il diffère de vous accorder, et vous rendre ses dons plus précieux. — S. Bas. (Constit. monast., chap. 1.) Il diffère encore pour redoubler votre assiduité et vos instances près de lui, pour vous faire connaître ce que c’est que le don de Dieu, et comment il faut le conserver avec crainte, car on garde avec beaucoup plus de soin ce qui a coûté beaucoup à acquérir, de peur qu’en le perdant, on ne perde en même temps tout le fruit de son travail.

La Glose. Loin donc de nous ôter l’espérance et le pouvoir d’être exaucés, Notre-Seigneur nous excite à prier avec plus d’ardeur, en nous montrant la difficulté d’obtenir : « Déjà la porte est fermée. » — S. Ambr. C’est cette porte que saint Paul demandait de voir s’ouvrir pour lui, non seulement par ses prières, mais à l’aide des prières des fidèles, « afin, disait-il, que Dieu nous ouvre une porte à la prédication de sa parole, afin d’annoncer le mystère de Jésus-Christ. » (Col 4.) Peut-être est-ce cette porte que saint Jean vit ouverte dans le ciel, lorsqu’il lui fut dit « Monte ici, et je te ferai voir les choses qui doivent arriver désormais. » — S. Aug. (Quest. évang., liv. 2.) Nous voyons donc figurer ici ce temps où les hommes devaient éprouver la faim de la parole de Dieu (Am 8, 11), lorsque l’intelligence est fermée et que ceux qui ont distribué le pain de la sagesse évangélique, en prêchant par tout l’univers, sont entrés dans leur repos mystérieux avec le Seigneur, c’est ce que signifient les paroles suivantes : « Et mes enfants sont au lit comme moi. » — S. Grég. de Nysse. Il appelle ses enfants ceux qui ont conquis l’impassibilité avec les armes de la justice, et il nous enseigne que le bien que nous ne pouvons acquérir qu’au prix de grands efforts, avait été déposé dès le commencement dans notre nature. En effet, lorsqu’un homme a renoncé à la vie de la chair, et qu’à l’aide de la raison il triomphe de ses passions par la pratique d’une vie vertueuse et sainte, il devient alors insensible comme un enfant, vis-à-vis de ses passions. Par le lit, il faut entendre le repos du Sauveur. — La Glose. Pour les causes qu’il vient d’énoncer, il ajoute : « Je ne puis me lever et vous rien donner, » ce qui se rapporte à la difficulté d’obtenir. — S. Aug. (Quest. évanq., 2, 21.) Ou bien encore, cet ami qui vient au milieu de la nuit prier son ami de lui prêter trois pains, est la figure de celui qui, du milieu de la tribulation, prie Dieu de lui accorder l’intelligence de la Trinité, pour le consoler des travaux et des peines de la vie présente, car l’angoisse de la tribulation c’est le milieu de la nuit, qui lui fait demander avec instance les trois pains dont il a besoin. Ces trois pains sont aussi la figure de l’unité de substance tians la Trinité. Cet ami qui arrive de voyage représente l’appétit sensuel de l’homme, qui doit être assujetti à la raison, mais qui était devenu l’esclave des habitudes du monde, qu’il appelle la voie, parce que dans le monde tout est fugitif. Or, lorsque l’homme se convertit à Dieu, l’appétit sensuel est arraché à ses anciennes habitudes. Mais si en même temps la doctrine spirituelle qui proclame la Trinité du Dieu créateur, ne répand pas dans l’âme la consolation et la joie, l’homme est en proie à de grandes angoisses, et il est comme accablé par les chagrins de cette vie. En effet, d’un côté on lui interdit la joie qui vient des objets extérieurs, et il ne jouit pas dans son âme de la consolation que produit la doctrine spirituelle. Cependant, qu’il ne cesse de prier, et Dieu se rendant à ses désirs lui donnera l’intelligence, quand même il n’aurait aucun maître pour lui enseigner la sagesse : « Si cependant l’autre continue de frapper, je vous le dis, quand celui-ci ne se lèverait pas pour lui en donner, parce qu’il est son ami ; cependant, à cause de son importunité, il se lèvera, » etc. C’est une comparaison du moins au plus ; car si un ami se lève de son lit et donne ce qu’on lui demande, pour se débarrasser d’un importun plutôt que par amitié, à combien plus forte raison Dieu donnera-t-il, avec abondance, lui qui accorde avec tant de liberté tout ce qu’on lui demande.

S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seign.) Lors donc que vous aurez obtenu ces trois pains (c’est-à-dire la nourriture de votre âme dans l’intelligence de la Trinité), vous aurez l’aliment nécessaire à l’entretien de votre vie et de la vie des autres. Soyez sans inquiétude, donnez largement ; car ce pain ne s’épuisera jamais, mais fera cesser votre indigence. Instruisez-vous et enseignez. Nourrissez votre âme, et donnez la nourriture à l’âme des autres.

Théophyl. Ou bien dans un autre sens, le milieu de la nuit est la fin de la vie qui amène à Dieu un si grand nombre d’hommes, et cet ami est l’ange qui est chargé de recevoir notre âme. Ou bien encore, le milieu de la nuit représente l’abîme profond des tentations, du sein duquel on demande à Dieu les trois pains qui nous sauvent dans les tentations en venant au secours de notre corps, de notre âme et de notre esprit. Cet ami qui arrive de voyage, c’est Dieu lui-même, qui nous éprouve par les tentations, et celui que la tentation accable n’a rien à lui donner. La porte est fermée, c’est-à-dire que c’est avant les tentations qu’il faut nous préparer, mais lorsque nous y sommes tombés, la porte de la préparation est fermée, nous sommes surpris dans notre imprévoyance, et si Dieu ne nous vient en aide, nous sommes en danger de périr.

 

Vv. 9—13.

S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seig.) A cette parabole, Notre-Seigneur ajoute une nouvelle exhortation pour nous exciter plus vivement à chercher, à demander, à frapper : « Et moi, je vous dis de même, demandez, et il vous sera donné, » etc. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Cette manière de s’exprimer : « Et moi, je vous dis, » équivaut à un serment ; car Dieu ne peut mentir. Or, toutes les fois qu’il affirme quelque chose avec serment, il ôte toute excuse à la faiblesse de notre foi.

S. Chrys. (hom. 34 sur S. Matth.) En nous disant : « Demandez, » c’est la prière qu’il nous recommande : « Cherchez, » c’est le zèle et la sollicitude dans la prière. En effet, ce qui est l’objet de nos recherches, exige de grands soins, surtout dans les choses de Dieu, où notre intelligence rencontre tant d’obstacles. Cherchons donc Dieu avec la même sollicitude que nous cherchons l’or que nous avons perdu. Le Sauveur nous apprend encore à persévérer dans la prière, bien qu’il n’ouvre pas aussitôt la porte : « Frappez, et l’on vous ouvrira ; » si vous ne vous lassez pas de chercher, vous trouverez infailliblement, la porte n’est fermée que pour vous obliger de frapper, et s’il tarde à se rendre à vos désirs, c’est pour que vous demandiez avec plus d’instances. — Sévère d’Ant. On bien encore, en nous disant : « Frappez, » peut-être nous enseigne-t-il à joindre les oeuvres à la prière ; car c’est avec la main qu’on frappe, et la main est comme l’instrument des bonnes oeuvres. Ces trois choses peuvent encore s’entendre d’une autre manière ; le premier degré de la vertu est de demander la connaissance de la voie qui conduit à la vérité ; le second degré est de chercher à savoir comment on doit marcher dans cette voie ; le troisième degré consiste lorsqu’on est arrivé à la pratique des vertus, à frapper à la porte, pour entrer dans une connaissance plus étendue de la vérité, toutes choses qui s’obtiennent par la prière. Ou bien encore, demander, c’est prier ; chercher, c’est joindre à la prière des oeuvres qui la rendent digne d’être exaucée ; frapper, c’est persévérer dans la prière sans se décourager. — S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seig.) Assurément, Dieu ne nous presserait pas si fortement de le prier, s’il n’avait l’intention de nous exaucer. Honte donc à la tiédeur de l’homme, Dieu est bien plus disposé à donner, que nous ne le sommes à recevoir.

S. Ambr. Celui qui fait une promesse, doit donner l’espérance des choses qu’il promet, pour rendre plus faciles l’obéissance à ses commandements, et la confiance dans ses promesses. C’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : « Quiconque demande, reçoit, » etc. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) On demandera peut-être pourquoi la prière n’est pas toujours exaucée, nous répondons que celui qui s’adresse à Dieu en toute droiture, et n’omet rien de ce qui peut assurer le succès de ses prières, obtiendra certainement ce qu’il a demandé. S’il s’écarte, au contraire, des règles prescrites à celui qui prie, sa prière, dépourvue des conditions voulues, n’est plus une prière. Si donc il ne reçoit rien, les paroles du Sauveur n’en sont pas moins véritables ; car Dieu ayant dit : « Celui qui vient à moi, obtiendra la science de la sagesse, nous recevons en réalité la grâce de nous approcher du divin Maître, pour nous appliquer avec ferveur et avec zèle à l’accomplissement de ses préceptes. Saint Jacques dit de son côté : « Vous demandez, et vous ne recevez pas, » parce que vous demandez mal, c’est-à-dire dans l’intérêt de vos passions frivoles. On m’objectera qu’il en est qui prient pour obtenir la connaissance de Dieu, ou leur retour à la vertu, sans rien obtenir ; je réponds que la raison eu est qu’ils ont demandé ces biens, non pour eux-mêmes, mais pour l’estime et la considération qui pouvaient leur en revenir.

 

S. Bas. (Constit., 1.) Qu’un homme encore s’abandonne par lâcheté à ses désirs, et se livre lui-même entre les mains de ses ennemis, il ne peut espérer que Dieu ni le secoure, ni ne l’exauce, puisqu’il s’est volontairement éloigné de lui. Offrons donc à Dieu, dans la prière, toutes les dispositions qui dépendent de nous, et crions vers lui pour qu’il vienne à notre secours. Or, ce n’est pas avec tiédeur qu’il faut implorer le secours divin, ni avec un esprit distrait et égaré ; une semblable prière, loin d’obtenir ce qu’elle demande, ne fait qu’irriter Dieu davantage. En effet, si lorsqu’on paraît devant un prince de la terre, on retient, par crainte du châtiment, dans l’attention la plus sévère, les yeux de l’âme et du corps, quelle ne doit pas être notre attention et notre tremblement, quand nous nous présentons devant Dieu pour prier ? Si la faiblesse, produite en vous par le péché, vous empêche de fixer votre attention dans la prière, faites-vous cependant violence dans la mesure du possible, afin qu’en paraissant devant Dieu, vous dirigiez vers lui tous les efforts de votre esprit ; et Dieu vous pardonnera, parce que si vous ne vous présentez pas devant lui avec les dispositions convenables, ce n’est point tiédeur, mais fragilité. Si vous luttez ainsi contre vous-même, ne vous retirez pas que vous n’ayez été exaucé. Si, au contraire, votre prière reste quelquefois sans effet, c’est qu’elle n’avait pas les conditions voulues. Vous avez prié, ou sans foi, ou sans attention, ou sans discernement dans l’objet de votre prière, ou sans persévérance. Il en est souvent qui font cette difficulté, qu’avons-nous besoin de prier ? Est-ce que Dieu ne sait pas ce dont nous avons besoin ? Oui, Dieu le sait, et il nous donne avec abondance ses faveurs spirituelles, avant même que nous les demandions ; mais pour les oeuvres de la vertu, et pour le royaume des cieux, il veut que nous en ayons d’abord le désir, que le désir nous porte à les chercher, en faisant avec foi et patience tout ce qui dépend de nous, et en prenant soin que notre conscience ne nous reproche aucune faute.

S. Ambr. C’est ainsi que le précepte qui nous est donné de prier souvent, nous donne l’espérance certaine d’être exaucés. Le Sauveur cherche à nous convaincre d’abord par ce commandement qu’il nous donne, et ensuite par les exemples qu’il nous apporte : « Si quelqu’un demande du pain à son père, lui donnera-t-il une pierre ? » etc. — S. Cyr. Le Sauveur nous donne ici une leçon bien nécessaire ; car souvent nous nous jetons imprudemment, et par l’entraînement des passions, dans des désirs pernicieux. Or, lorsque nous portons-devant Dieu l’expression de ces désirs, jamais nous ne serons exaucés ; c’est pour nous convaincre de cette vérité, que Notre-Seigneur emprunte une comparaison aux usages ordinaires de la vie. Que votre fils, en effet, vous demande du pain, vous vous hâtez de lui en donner, parce que sa demande est raisonnable et légitime. Mais si par défaut de discernement, il vous demande une pierre en guise de pain, loin de vous rendre à ce désir mauvais, vous le combattez avec raison. Voici donc le sens de ce passage : Si quelqu’un demande à son père du pain que son père est disposé à lui donner ; lui donnera-t-il une pierre, s’il venait à l’en prier ? Le sens est le même pour le serpent et pour le poisson, pour l’oeuf et pour le scorpion. Or, s’il lui demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent ? Ou s’il lui demande un oeuf, lui donnera-t-il un scorpion ?

 

Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Si l’on peut entendre ce pain de l’aliment intérieur de l’âme, sans lequel on ne peut être sauvé, c’est-à-dire de l’intelligence claire de la vie qu’on doit mener, le poisson représentera l’amour de la science qui consiste à connaître la création du monde, les propriétés des éléments, et tout ce qui fait l’objet de l’enseignement de la philosophie. Ainsi Dieu, au lieu de pain, ne nous donne pas une pierre, que le démon pressait Jésus-Christ de manger (Mt 4, 3) ; au lieu de poisson, il ne nous donne pas un serpent tel qu’en mangent les Ethiopiens, qui sont indignes de se nourrir de poissons ; en un mot, au lieu d’une nourriture bienfaisante et salutaire, il ne nous donne pas d’aliments dangereux et nuisibles, c’est ce que représente l’oeuf et le scorpion.

 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 22.) Ou bien encore, ce pain représente la charité, parce qu’elle est le bien le plus désirable, et si nécessaire, que tout le reste n’est rien sans elle, de même qu’une table sans pain est une table où manque le nécessaire. Le vice opposé à la charité, est la dureté du coeur, qui est comparée à une pierre. Le poisson représente la foi aux choses invisibles, ou à cause de l’eau du baptême, ou parce que le poisson est tiré des profondeurs invisibles des eaux. Le poisson peut aussi figurer la foi qui est assaillie et ballottée par les flots de ce monde, sans en être ébranlée. Au poisson, Notre-Seigneur oppose le serpent, à cause de son venin de mensonge qu’il a jeté dans le coeur du premier homme en le portant au mal. L’oeuf est la figure de l’espérance ; car l’oeuf n’est pas encore le petit être dans sa perfection, mais il en donne l’espérance aussitôt qu’il aura été couvé. Le Sauveur lui oppose le scorpion qui porte derrière lui le venin de son redoutable aiguillon ; ainsi le défaut opposé à l’espérance, est de regarder en arrière, parce que l’espérance des biens futurs se porte toujours en avant.

S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seig.) Que de sollicitations le monde vous adresse, que de bruit il fait après vous, pour vous faire regarder en arrière ! O monde impur, pourquoi ce bruit ? Pourquoi veux-tu nous détourner de la voie ? Tu veux nous retenir, tout périssable que tu es, que ne ferais-tu pas, sites joies étaient durables ? Qui serait à l’abri des séductions de ta douceur, puisque tu sais nous tromper en ne nous donnant qu’un pain d’amertume ?

S. Cyr. Notre-Seigneur tire cette conclusion de l’exemple qu’il vient de citer : « Si donc vous, tout méchants que vous êtes, » c’est-à-dire dont l’âme est portée au mal, et n’est point constante et immuable dans le bien, comme Dieu. — Bède. On bien, il appelle ici mauvais les amateurs du monde, qui donnent des choses que dans leur appréciation ils croient bonnes, qui sont bonnes en effet par leur nature, et servent aux usages de cette misérable vie : « Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants de bonnes choses. » Les Apôtres eux-mêmes qui, par la grâce de leur vocation, s’étaient élevés au-dessus de la bonté ordinaire des hommes, peuvent être cependant appelés mauvais, en comparaison de la bonté suprême, parce que rien n’est bon par soi-même, que Dieu seul. Les paroles qui suivent : « Combien plus votre Père céleste donnera-t-il l’esprit bon, » et dans saint Matthieu : « Combien plus donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent, » nous enseignent que l’Esprit saint est la plénitude des dons de Dieu ; car tous les avantages que nous apporte la grâce des faveurs célestes, émanent de cette source.

S. Athan. (I Dial. sur la Trin.) Or, si le Saint-Esprit n’avait pas une seule et même substance avec Dieu qui est seul bon, on ne lui donnerait pas ici la qualification de bon, puisque le Seigneur lui-même ne voulut point être appelé bon, en tant qu’il s’était fait homme.

S. Aug. (Serm. 29, sur les parol. du Seig.) O avare, que demandez-vous donc ? ou si vous demandez autre chose, qu’est-ce qui pourra vous suffire, alors que Dieu même ne vous suffit pas ?

 

Vv. 14-16.

La Glose. Notre-Seigneur venait de promettre que l’Esprit de bonté serait donné à ceux qui prient, et il donne des preuves de cette bonté dans le miracle suivant : « Un jour Jésus chassait un démon et ce démon était muet. » Théophyl. On appelle ordinairement muet (xωφóς), celui qui ne parle pas, et aussi celui qui n’entend pas, mais la signification propre de ce mot, est qui n’entend et ne parle pas. Celui qui est sourd de naissance, est nécessairement muet, car nous ne parlons que parce que nous avons entendu parler. Au contraire, rien n’empêche que celui qui est venu sourd par accident, ne puisse parler. Or, celui qui fut présenté au Seigneur était tout à la fois sourd et muet. — Tite de Bostr. (sur S. Matth.) L’Évangéliste dit que ce démon était muet ou sourd, parce qu’il produit en nous cette infirmité pour nous empêcher d’entendre la parole de Dieu. En effet, les démons détruisent les bonnes dispositions du coeur de l’homme, pour fermer plus facilement les oreilles de son âme : Or, Jésus-Christ est venu sur la terre pour chasser le démon, et nous faire entendre la parole de vérité, et dans ce seul homme il nous a donné comme un avant goût du salut de tous les hommes.

Bède. D’après saint Matthieu, cet homme non seulement était muet, mais encore aveugle. Notre-Seigneur fait donc trois miracles dans la guérison de cet homme, il rend la vue à un aveugle, la parole à un muet, et il délivre un possédé du démon. Ce triple miracle se renouvelle encore tous les jours dans la conversion des infidèles ; ils sont d’abord délivrés du démon, puis ils voient la lumière de la foi, et enfin leur bouche qui était muette, s’ouvre pour publier les louanges de Dieu.

 

S. Cyr. A la vue de ce miracle, la multitude proclame les louanges et la gloire de Jésus à l’égal de celle de Dieu : « Et la foule était dans l’admiration. » — Bède. Or, tandis que la foule, qui paraissait avoir moins d’instruction, ne pouvait voir sans admiration les œuvres du Sauveur, les scribes et les pharisiens cherchaient à les nier, ou à en donner une fausse interprétation, comme si elles avaient pour auteur non pas Dieu mais l’esprit immonde : « Quelques-uns dirent : c’est par Béelzébub, prince des démons, qu’il chasse les démons. » Béelzébub était le Dieu d’Accaron (1 R 1, 2.3.6.16), Béel est la même chose que Baal, et Zébub signifie mouche. On appelle donc cette fausse divinité Béelzébub, ou l’homme des mouches, à cause du culte impur qui était rendu au prince des démons.

S. Cyr. D’autres excités par les mêmes aiguillons de l’envie, lui demandaient de faire un prodige du ciel : « D’autres, pour le tenter, lui demandaient un signe du ciel, » et semblaient lui dire : Vous avez, il est vrai, chassé le démon de cet homme, mais ce n’est pas là une preuve de divinité, car nous n’avons encore rien vu de pareil aux anciens miracles, tels que ceux de Moïse, ouvrant au peuple de Dieu un passage au milieu de la mer (Ex 11) ; et de Josué, son successeur, qui arrêta le soleil à Gabaon. Or, vous n’avez jusqu’ici rien fait de semblable. La demande qu’ils font au Sauveur d’opérer un prodige dans le ciel, indique que telles étaient leurs pensées à son égard.

 

Vv. 17-20.

S. Chrys. (hom. 48, sur S. Matth.) Comme les pensées des pharisiens étaient déraisonnables, ils n’osaient les produire au dehors par crainte de la multitude, et se contentaient de les agiter dans leur esprit ; ce qui fait dire à l’Évangéliste : « Mais Jésus connaissant leurs pensées, leur dit : « Tout royaume divisé contre lui-même sera détruit. » Bède. Il ne répond pas à leurs paroles, mais à leurs pensées, pour les forcer ainsi de croire à la puissance de celui qui pénétrait le secret des coeurs.

S. Chrys. (comme précéd.) Jésus ne tire pas sa réponse des Écritures, parce que leur témoignage eût été de nul poids pour les pharisiens qui en donnaient de fausses interprétations, il leur apporte donc un exemple emprunté à ce qui se passe ordinairement. En effet, une maison ou une ville divisée, ne tarderont pas à être détruites ; il en sera de même d’un royaume, qui est ce qu’il y a de plus fortement constitué ; car c’est l’union des sujets qui fait la force des royaumes, comme des maisons particulières : Si donc, dit le Sauveur, je chasse les démons par le prince des démons, la division règne parmi eux, et leur puissance est détruite. C’est le sens de ces paroles : « Si Satan est divisé contre lui-même, comment son règne pourra-t-il subsister ? » Car loin que Satan soit contraire à lui-même, et se déclare contre ses suppôts, il cherche bien plutôt à consolider son empire. La seule conclusion possible, c’est donc que je triomphe du démon par une puissance toute divine. — S. Ambr. Notre-Seigneur nous enseigne encore par ces paroles, que son royaume est indivisible et perpétuel, et nous apprend que ceux qui ne placent point leur espérance en Jésus-Christ, mais qui osent dire que c’est par le prince des démons qu’il chasse les démons, n’auront aucune part à son royaume éternel. Ces paroles s’appliquent aussi au peuple juif. En effet, comment le royaume des Juifs pourrait-il être éternel, alors que le peuple de la loi ne veut pas reconnaître Jésus, dont la loi annonçait la venue. C’est ainsi que la foi du peuple juif se met en opposition avec elle-même, qu’en se contredisant elle se divise, et que cette division entraîne sa ruine, tandis que le royaume de l’Église durera éternellement, parce qu’elle ne forme qu’un seul et même corps, grâce à sa foi une et indivisible. — Bède. Le royaume du Père, du Fils et de l’Esprit saint, ne souffre pas non plus de division, parce qu’il est fondé sur une immutabilité éternelle. Que les Ariens cessent donc de dire que le Fils est inférieur au Père, et l’Esprit saint au Fils, car ceux qui ne forment qu’un seul et même royaume, ont aussi une seule et même nature divine.

 

S. Chrys. (hom. 42.) A cette première réponse, Jésus en ajoute une seconde : « Or, si c’est par Béelzébub que je chasse les démons, par qui vos enfants les chassent-ils ? » Il ne dit pas : Mes disciples, mais : « Vos enfants, » pour adoucir leur fureur. — S. Cyr. En effet, les disciples de Jésus-Christ étaient Juifs, et descendaient des Juifs selon la chair, ils avaient reçu de leur divin Maître le pouvoir de chasser les esprits immondes, et de délivrer au nom de Jésus-Christ ceux qui en étaient possédés. Quelle folie donc, alors que vos enfants écrasent Satan en mon nom, d’oser dire que c’est de Béelzébub que je tiens cette puissance ! La foi de vos enfants sera donc votre condamnation : « C’est pourquoi, leur dit-il, ils seront eux-mêmes vos juges. » — S. Chrys. (hom. 42.) Car puisqu’ils sont de votre nation, et qu’ils me rendent hommage, il est manifeste qu’ils condamneront ceux qui tiennent une conduite contraire.

Bède. Ou bien encore, par ces enfants des Juifs, Notre-Seigneur entend les exorcistes de cette nation, qui chassaient les démons par l’invocation du nom de Dieu ; et tel est le sens du raisonnement du Sauveur : Si c’est de Dieu et non du démon que vos enfants tiennent le pouvoir de chasser les démons, pourquoi donc les chasserais-je en vertu d’un autre pouvoir ? Aussi vos enfants seront-ils vos juges, non par la puissance qu’ils exerceront sur vous, mais par l’opposition de leur conduite avec la vôtre, puisqu’ils reconnaissent que je chasse les démons par un pouvoir divin, et que vous attribuez ce pouvoir au prince des démons.

S. Cyr. Si donc ce que vous me reprochez est marqué au coin de la calomnie, il est manifeste que c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons. « Or, si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, il est donc certain que le royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 36.) Saint Luc dit : « Par le doigt de Dieu, » et saint Matthieu : « Par l’Esprit de Dieu, » mais ces deux expressions ont le même sens, et nous enseignent comment nous devons entendre cette locution : « le doigt de Dieu, » partout où nous la rencontrons dans l’Écriture. — S. Aug. (quest. Evang., 2, 17.) Or, l’Esprit saint est appelé le doigt de Dieu, à cause de la distribution des dons dont il est l’auteur, et qui est propre à chacun des hommes et des anges ; car la division n’est dans aucun de nos membres aussi apparente que dans les doigts. — S. Cyr. (Trés., XIII, 2.) Ou bien encore, l’Esprit saint est appelé le doigt de Dieu, comme le Fils est appelé la main et le bras du Père, parce que c’est par le Fils que le père fait toutes choses. De même donc que le doigt n’est pas étranger à la main, mais lui est naturellement uni, ainsi l’Esprit saint est consubstantiellement uni au Fils, et c’est par lui que le Fils opère toutes choses (Ps 11 ; 97, 2). — S. Ambr. Il ne faut pas cependant que cette comparaison tirée de l’union de nos membres vous porte à établir une espèce de division dans la puissance de chacune des personnes divines, car ce qui est un et indivisible ne peut admettre de division. Ainsi cette expression, « le doigt de Dieu » doit être entendue comme exprimant l’unité de nature et non la distinction de puissance.

S. Athan. (2 disc. cont. les Ar.) Toutefois, pour le moment Notre-Seigneur ne refuse pas à raison de son humanité de se déclarer inférieur à l’Esprit saint, en reconnaissant que c’est par lui qu’il chasse les démons, comme si la nature humaine ne pouvait opérer ce miracle sans le secours de ce divin Esprit. — S. Cyr. C’est en suivant la même idée qu’il ajoute : « Le royaume de Dieu est venu jusqu’à vous, » c’est-à-dire : Si tout homme que je suis, je chasse les démons par l’Esprit de Dieu, la nature humaine à donc été enrichie en moi, de grâces toutes particulières, et le royaume de Dieu est venu jusqu’à vous. — S. Chrys. (hom. 42.) Il emploie cette expression : « Jusqu’à vous, » pour les attirer davantage, comme s’il leur disait : Puisque Dieu vous comble de bienfaits, pourquoi cet orgueilleux dédain pour les grâces qu’il vous fait ? — S. Ambr. Le Sauveur nous représente ici le Saint-Esprit, comme ayant une puissance souveraine, puisque c’est en lui que se personnifie le royaume de Dieu, et nous-mêmes comme étant une demeure royale, puisque ce divin Esprit daigne habiter en nous. — Tite de Bostr. Ou bien encore ces paroles : « Le royaume de Dieu est venu jusqu’à vous, » veulent dire : Est venu pour votre ruine, non pour votre bonheur ; car le second avènement de Jésus-Christ sera terrible pour les chrétiens perfides.

 

Vv. 21-23.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur voulant confondre ses accusateurs par le nombre et l’évidence des raisons, emploie une comparaison des plus claires, pour prouver à ceux qui ne veulent pas fermer obstinément les yeux, qu’il a triomphé du prince de ce siècle par la puissance qui lui est naturelle : « Lorsque le fort armé garde sa maison, » etc. — S. Chrys. (hom. 42, sur S. Matth.) Il appelle le démon le fort armé, non qu’il tienne cette force de sa nature, mais pour exprimer la tyrannie qu’il exerçait depuis si longtemps par suite de notre faiblesse. — S. Cyr. (Jn 12.) En effet, avant l’avènement du Sauveur, il se jetait avec une violence inouïe sur les troupeaux qui n’étaient pas à lui, mais à Dieu, comme pour les emmener dans sa propre bergerie.

 

Théophyl. Les armes du démon sont les différentes espèces de péchés dans lesquelles il mettait toute sa confiance pour asservir les hommes à son empire. — Bède. Sa maison, c’est le monde entier qui est fondé sur le mal, (1 Jn 5, 19), et sur lequel le démon régnait en maître, jusqu’à l’avènement du Sauveur, parce qu’il habitait sans opposition dans le coeur des infidèles, mais il a été vaincu par la puissance bien supérieure de Jésus-Christ, qui a délivré les hommes de son esclavage, et l’a honteusement chassé : « Mais il en survient un plus fort que lui, » etc. — S. Cyr. C’est en effet lorsque le Verbe du Dieu très-haut, source de toute puissance, et le Seigneur des vertus (cf. Ps 23, 10 ; 47, 9 ; 58, 6 ; 79, 19. 20 ; 83, 2, 4, 9, 13 ; 88, 9), a daigné se faire homme, qu’il s’est emparé du démon, et lui a enlevé ses armes. — Bède. Ses armes sont la ruse, les fourberies, le mensonge, que met en oeuvre sa méchanceté ; ses dépouilles sont les hommes qu’il trompe et séduit. — S. Cyr. En effet, ceux qu’il retenait depuis longtemps dans les liens de l’ignorance de Dieu et de l’erreur, ont été appelés par les saints Apôtres à la connaissance de la vérité, et offerts à Dieu le Père, par la foi qu’ils avaient en son Fils. — S. Bas. (Comment. sur Is 18.) On peut aussi entendre par ces dépouilles qu’il a distribuées, les anges fidèles, qu’il a préposés à la garde des hommes. — Bède. Jésus-Christ vainqueur a distribué les dépouilles, (ce qui est le propre des triomphateurs), lorsqu’il a mené captive la captivité elle-même, et répandu ses dons sur les hommes, en établissant les uns apôtres, les autres évangélistes, ceux-ci prophètes, ceux-là pasteurs et docteurs. (Ep 4.)

S. Chrys. (hom. 42.) Le Sauveur donne enfin une quatrième réponse, en ajoutant : « Celui qui n’est pas avec moi, est contre moi, » paroles dont voici le sens : Je veux donner les hommes à Dieu, Satan veut le contraire ; comment donc celui qui, loin de se joindre à moi, dissipe ce qui m’appartient, pourrait-il s’entendre avec moi au point de joindre ses efforts aux miens pour chasser les démons ? « Et celui qui n’amasse point avec moi, dissipe au lieu d’amasser. » — S. Cyr. C’est-à-dire : Je suis venu pour réunir les enfants de Dieu que le démon avait dispersés, et Satan qui n’est pas avec moi, s’efforce de disperser de nouveau ceux que j’ai cherché à recueillir et à sauver. Comment donc. celui qui s’oppose à tous mes desseins, pourrait-il me communiquer son pouvoir ? — S. Chrys. (hom. 42.) Si donc on est ennemi quand on refuse de joindre ses efforts à ceux d’un autre, à plus forte raison quand on y met obstacle. Le Sauveur semble aussi avoir en vue les Juifs dans cette allégorie, et il les range avec le démon, parce qu’eux aussi se déclaraient contre lui, et dispersaient ceux qu’il rassemblait.

 

Vv. 24-27.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur fait voir ensuite comment le peuple juif en est venu à se faire de semblables idées sur le Christ : « Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme, » etc. Dans saint Matthieu, le Sauveur applique aux Juifs cette comparaison en termes exprès « C’est ce qui arrivera à cette génération criminelle, » (Mt 12, 45.) En effet, lorsqu’ils vivaient en Égypte, en se conformant aux usages des Egyptiens, ils étaient la demeure de l’esprit mauvais, il en fut chassé lorsqu’ils immolèrent l’agneau qui était la figure du Christ, et qu’ils marquèrent leurs portes de son sang pour échapper à l’ange exterminateur. (Ex 12)

S. Ambr. Dans ce seul homme, se trouve donc figuré tout le peuple juif qui avait été délivré de l’esprit mauvais par la loi. Cependant comme les coeurs des Gentils, arides d’abord, mais pénétrés ensuite de la rosée de l’Esprit saint par le baptême, ne pouvaient offrir au démon un lieu de repos, parce qu’ils croyaient en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ est une flamme dévorante pour les esprits impurs, il revint vers le peuple juif : « Et comme il n’en trouve point, il dit : Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti. » Orig. (Ch. des Pèr. gr.) C’est-à-dire : Je retournerai vers les enfants d’Israël qui n’ont en eux rien de divin, qui sont comme déserts, et m’offrent un endroit où je puis habiter. « Et lorsqu’il y est rentré, il la trouve nettoyée et parée. » — S. Ambr. Mais sous cette pureté extérieure et apparente, l’intérieur n’en demeurait que plus souillé ; car elle ne pouvait ni se purifier de ces souillures, ni éteindre le feu des passions dans les eaux de la fontaine sacrée ; aussi l’esprit impur s’empressait-il de rentrer dans cette maison, avec sept esprits plus mauvais que lui : « Alors il s’en va prendre sept esprits plus méchants que lui, et entrant dans cette maison, ils en font leur demeure. » Juste punition du crime que ce peuple sacrilège avait commis en violant la semaine de la loi, et le mystère du huitième jour. Ainsi de même que la grâce se répand avec abondance sur nous par les sept dons de l’Esprit saint, toute la malice des démons s’empare aussi de ce peuple par ces sept esprits impurs ; car le nombre sept, dans l’Écriture, exprime ordinairement l’universalité.

 

S. Chrys. (hom. 44 sur S. Matth.) Les démons qui habitent les âmes des Juifs sont pires que les premiers. Autrefois, ils traitaient avec cruauté les prophètes ; aujourd’hui, c’est au Seigneur lui-même que s’adressent leurs outrages, aussi en ont-ils été punis bien plus sévèrement par Vespasien et par Tite, qu’ils ne l’avaient été en Égypte et lors de la captivité de Babylone : « Et le dernier état de cet homme devient pire que le premier. » Autrefois encore, ils étaient gouvernés par la divine Providence et par la grâce de l’Esprit saint, mais aujourd’hui cette protection toute paternelle leur fait défaut, et par suite, ils sont dans un dénuement complet de vertu, et en proie à des peines plus déchirantes et à toute la violence des démons.

 

S. Cyr. Le dernier état devient pire que le premier, selon cette parole de l’apôtre saint Pierre : « Il eût mieux valu pour eux ne jamais connaître la voie de la vérité, que de s’en écarter après l’avoir connue.

 

Bède. On peut encore entendre ces paroles de tous les hérétiques, de tous les schismatiques, et même des mauvais catholiques qui, à l’époque de leur baptême, avaient été délivrés de l’esprit immonde. Ce mauvais esprit parcourt alors les lieux arides, c’est-à-dire, qu’en tentateur habile et rusé, il examine les coeurs des fidèles qui ont été purifiés de toutes les pensées impures et dangereuses, pour voir s’il peut y imprimer la trace de ses pas maudits. Il dit : « Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti. » Ces paroles doivent nous faire craindre que les fautes, que nous regardions comme à jamais effacées, ne profitent de notre négligence pour reprendre sur nous leur funeste empire. Il trouve cette maison nettoyée, c’est-à-dire purifiée par la grâce du baptême des souillures du péché ; mais complètement dénuée de l’ornement des bonnes oeuvres. Les sept mauvais esprits qu’il prend avec lui, représentent l’universalité des vices. Ces esprits sont plus mauvais que lui, parce que cette maison non seulement aura les sept vices directement opposés aux sept vertus spirituelles, mais elle voudra encore, par un sentiment d’hypocrisie, paraître avoir ces vertus.

S. Chrys. (hom. 44.) Ce n’est pas seulement aux Juifs, mais à nous-mêmes, que s’appliquent les paroles suivantes : « Le dernier état de cet homme devient pire que le premier. » En effet, si après avoir été éclairés et délivrés de nos fautes passées, nous retournons à nos habitudes vicieuses, le châtiment qui attend ces nouvelles fautes sera bien plus terrible.

Bède. On peut encore dire que Notre-Seigneur n’a dans ces paroles d’autre but, que d’établir la distinction qui sépare ses oeuvres de celles du démon, c’est-à-dire que le caractère du Sauveur est de purifier tout ce qui est souillé, tandis que celui du démon est de s’empresser de souiller encore davantage ce que Jésus a purifié.

 

Vv. 27, 28.

Bède. Tandis que les scribes et les pharisiens tentent le Seigneur, et blasphèment contre ses oeuvres, une simple femme proclame avec une foi vraiment admirable le mystère de son incarnation : « Lorsqu’il parlait ainsi, une femme, élevant la voix du milieu du peuple, lui dit : « Heureuses les entrailles qui vous ont porté, » etc. C’est ainsi qu’elle confond tout ensemble, les calomnies des princes des Juifs et la perfidie des hérétiques futurs. En effet, de même que les Juifs, par leurs blasphèmes contre les oeuvres de l’Esprit saint, niaient que le Sauveur fût le vrai Fils de Dieu, ainsi les hérétiques, en niant par la suite que par la coopération de l’Esprit saint, Marie, toujours vierge, ait contribué à former la chair du Fils de Dieu, n’ont pas voulu reconnaître que le Fils de l’homme fût le Fils véritable du Père, de même nature que lui. Mais si la chair du Verbe de Dieu fait homme, est étrangère à la chair de la Vierge mère, pourquoi proclamer bienheureuses les entrailles qui l’ont porté, et les mamelles qui l’ont allaité. Quelle raison de croire qu’il ait été nourri de son lait, si l’on ne veut admettre qu’il ait été conçu de son sang, puisque selon les médecins, le lait et le sang ont une seule et même source. Or, ce bonheur n’est pas le partage exclusif de celle qui a mérité d’enfanter corporellement le Verbe de Dieu, mais encore de tous ceux qui s’appliquent à concevoir spirituellement par la foi ce même Verbe, à l’enfanter et à le nourrir dans leur coeur, et dans celui du prochain, par la pratique des bonnes oeuvres : « Mais Jésus lui répondit : Bien plus heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la mettent en pratique. »

S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) En parlant de la sorte, le Sauveur ne reniait pas sa mère, mais il montrait qu’il n’eût servi de rien à Marie de l’avoir mis au monde, si elle n’eût d’ailleurs été le modèle de toutes les vertus. Or, s’il n’y avait aucun avantage pour Marie d’avoir donné le jour à Jésus-Christ, sans les vertus qui ornaient d’ailleurs son âme, n’espérons rien absolument des vertus d’un père, d’un frère ou d’un fils, si nous ne faisons aucun effort pour les imiter.

Bède. La Mère de Dieu est heureuse pour avoir été dans le temps l’instrument de l’incarnation du Verbe, mais elle est bien plus heureuse pour avoir gardé inviolablement et éternellement son saint amour. Ces paroles sont une condamnation des sages d’entre les Juifs qui, au lieu d’écouter la parole de Dieu et de la mettre en pratique, en faisaient un objet de négations et de blasphèmes.

 

 

Vv. 29-32.

Bède. Les ennemis du Sauveur lui avaient fait deux questions insidieuses, les uns l’accusaient de chasser les démons par Béelzébub, et nous l’avons vu confondre cette accusation calomnieuse ; les autres, pour le tenter, demandaient un signe du ciel, et c’est à eux qu’il va répondre : « Et comme le peuple s’assemblait en foule, Jésus commença à dire : « Cette génération est une génération méchante, » etc. — S. Ambr. Paroles qui indiquent que la synagogue perd toute sa beauté au moment où l’Église doit briller de tout son éclat. Or, le Fils de l’homme sera un signe pour les Juifs, comme Jonas l’a été pour les Ninivites : « Elle demande un signe, et il ne lui en sera pas donné d’autre que le signe du prophète Jonas. » — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Un signe est une chose sensible, placée sous les yeux de tous, et qui a pour objet de faire connaître une chose cachée, et c’est ainsi que les faits miraculeux de la vie de Jonas représentent la descente de Jésus aux enfers, sa sortie et sa résurrection d’entre les morts : « Car, comme Jonas fut un signe pour les Ninivites, le Fils de l’homme le sera pour cette génération. » Bède. Il ne leur donne pas un signe du ciel, parce qu’ils étaient indignes de le voir, mais des profondeurs de la terre, c’est-à-dire le signe de son incarnation, non de sa divinité ; le signe de sa passion, et non celui de sa gloire.

 

S. Ambr. Le signe de Jonas n’est pas seulement la figure de la passion du Sauveur, mais encore un témoignage des crimes énormes commis par les Juifs, et nous y voyons une prophétie qui porte tout à la fois le caractère de la justice divine et celui de la miséricorde. En effet, l’exemple des Ninivites nous présente et la menace du supplice, et l’indication des moyens propres à l’éviter ; et ainsi les Juifs eux-mêmes, ne doivent pas désespérer du pardon, s’ils veulent faire pénitence. — Théophyl. Mais les Ninivites se convertirent à la prédication de Jonas, lorsqu’il fut sorti du ventre de la baleine, tandis que les Juifs ont refusé de croire à Jésus-Christ ressuscité des morts, c’est ce qui a été la cause de leur condamnation, et le Sauveur en donne successivement deux preuves par comparaison : « La reine du Midi s’élèvera au jour du jugement contre les hommes de cette génération, et les condamnera. » Bède. Elle les condamnera, non par la puissance qui lui sera donnée de juger, mais par la simple opposition de sa conduite sage avec celle des Juifs : « Parce qu’elle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, » et cependant il y a ici plus que Salomon. Le mot hic (ici), en cet endroit, n’est pas un pronom, mais un adverbe de lieu, qui veut dire : Vous avez ici, et parmi vous, celui qui est incomparablement plus grand que Salomon. — S. Cyr. Il ne dit pas : Je suis plus grand que Salomon, pour nous apprendre à nous humilier, alors même que nous sommes comblés de grâces spirituelles. Voici le sens de ces paroles : Cette femme barbare, sans tenir compté de la longueur du voyage, s’est empressée de venir entendre Salomon pour apprendre de lui la science des êtres visibles, et les propriétés des plantes ; et vous qui, sans sortir de votre pays, entendez là sagesse elle-même vous enseigner les choses invisibles et célestes, et la voyez confirmer sa doctrine par des oeuvres et par des prodiges, vous vous révoltez contre sa parole, et ses miracles vous laissent insensibles.

Bède. Or, si la reine du Midi, qui est sans nul doute du nombre des élus, doit s’élever au jour du jugement avec les réprouvés, il est évident qu’il n’y aura pour tous les hommes, bons et mauvais, qu’une seule résurrection, et qu’elle n’aura pas lieu, conformément aux fables des Juifs, mille ans avant le jugement, mais au temps même fixé pour le jugement. — S. Ambr. En même temps que le Sauveur condamne le peuple juif, il nous donne une figure éclatante de l’Église qui, semblable à la reine du Midi, et avide d’apprendre la sagesse, se rassemble des extrémités de la terre, pour entendre les paroles du Salomon pacifique ; reine véritable, dont le royaume, un et indivisible, se compose des peuples les plus divers et les plus éloignés, réunis en même corps. — S. Grég. de Nysse. (hom. 7 sur les Cant.) A l’exemple de cette reine d’Ethiopie qui venait d’un pays éloigné, l’Église, composée de ces différents peuples, était noire aussi au commencement, et très-éloignée de la connaissance du vrai Dieu ; mais aussitôt que le Christ pacifique apparut, tandis que les Juifs restent dans l’aveuglement, les Gentils viennent le trouver, pour lui offrir les parfums de la piété, l’or de la connaissance de Dieu, et les pierres précieuses de l’obéissance aux commandements. — Théophyl. Ou bien encore, de même que le vent du midi, au témoignage de l’Écriture, répand la chaleur et la vie, ainsi l’âme qui règne dans le Midi, c’est-à-dire dans une vie toute spirituelle, vient entendre la sagesse du roi pacifique Salomon, qui est le Seigneur notre Dieu, c’est-à-dire qu’elle s’élève jusqu’à la contemplation, dont on ne peut s’approcher, qu’autant qu’on règne véritablement sur soi-même par une vie vertueuse. Notre-Seigneur apporte ensuite l’exemple des Ninivites : « Les Ninivites s’élèveront an jour du jugement contre ce peuple, et le condamneront. »

 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Le jugement de condamnation est prononcé par des personnes de même condition ou de condition différente ; de même condition, comme dans la parabole des dix vierges ; de condition différente, lorsque les ministres condamnèrent ceux qui vivaient au temps de Jésus-Christ. En effet, les uns étaient des barbares, et les autres des Juifs ; ceux-ci étaient nourris des enseignements prophétiques, ceux-là n’avaient jamais entendu la parole divine ; Dieu n’envoya qu’un de ses serviteurs aux Ninivites, et lui-même vint trouver les Juifs ; Jonas annonçait la destruction de Ninive, Jésus annonçait le royaume des cieux. Il est donc évident que les Juifs avaient beaucoup plus de motifs pour croire, mais c’est le contraire qui arriva : « Ils ont fait pénitence à la voix de Jonas, et il y a ici plus que Jonas. »

 

S. Ambr. Dans le sens allégorique, l’Église se trouve dans deux états ou elle est exempte de fautes, ce que figure la reine du Midi, ou elle cesse d’en commettre, ce que représente la pénitence des Ninivites, car la pénitence efface le péché, et la sagesse l’évite.

 

S. Amb. (de l’acc. des Evang., 2, 39.) Saint Luc place ces paroles du Sauveur au même endroit que saint Matthieu, tout en suivant un ordre tant soit peu différent. Mais qui ne voit qu’il est superflu de chercher dans quel ordre précis Notre-Seigneur les a dites, puisque l’autorité si imposante des Évangélistes nous apprend que l’inversion dans le récit des actions ou des paroles ne détruit pas la vérité du fait qui reste toujours le même, quel que soit l’ordre dans lequel il est présenté ?

 

Vv. 33-36.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Les Juifs accusaient le Seigneur de faire ses miracles, non pour établir la foi, et afin que l’on crût en lui, mais pour obtenir les applaudissements de la foule et pour se faire des sectateurs. Il repousse cette calomnie par la comparaison de la lampe : « Il n’y a personne qui, ayant allumé une lampe, la mette en un lieu caché ou sous un boisseau, mais on la met sur un chandelier, » etc. — Bède. Le Sauveur veut parler ici de lui-même, et comme il avait dit précédemment qu’il ne serait donné à cette génération que le signe de Jonas, il montre cependant que l’éclat de la lumière ne devait pas rester caché pour les fidèles. En effet, il a lui-même allumé cette lampe, lorsqu’il a rempli le vase de la nature humaine de la flamme de la divinité ; or, il n’a voulu ni dérober aux fidèles la lumière de cette lampe, ni la mettre sous le boisseau, c’est-à-dire, la renfermer sous la mesure de la loi, ni la restreindre dans les limites étroites du peuple juif, mais il. l’a placée sur le chandelier, c’est-à-dire, sur l’Église, parce qu’il a gravé sur nos fronts la foi à son incarnation, afin que ceux qui veulent entrer dans l’Église conduits par la foi, puissent voir clairement la lumière de la vérité. Enfin, il nous prescrit aussi de purifier avec un soin tout particulier, non seulement nos actions, mais nos pensées et les plus secrètes intentions de notre coeur : « La lampe de votre corps, c’est votre oeil. » — S. Ambr. Ou bien encore, cette lampe c’est la foi, selon ces paroles du Psalmiste : « Votre parole, Seigneur, est comme une lampe devant mes pas. » En effet, la parole de Dieu est notre foi, mais une lampe ne peut donner de lumière qu’autant qu’elle la reçoit d’ailleurs ; c’est ainsi que les facultés de notre esprit et de notre intelligence sont éclairées pour nous aider à retrouver la drachme perdue (Lc 15, 8). Que personne donc ne place la foi sous la loi, car la loi est contenue dans une certaine mesure, mais la grâce ne connaît pas de mesure ; la loi répand des ombres, tandis que la grâce projette de vives clartés. — Théophyl. Ou bien, dans un autre sens, comme les Juifs, témoins des miracles de Jésus, en faisaient un sujet d’accusation contre lui, à cause de la malice de leur esprit, Notre-Seigneur leur reproche, que tout en ayant reçu de Dieu une lampe allumée, c’es,t-à-dire l’intelligence, l’envie les aveuglait, au point de méconnaître ses miracles et ses bienfaits. Nous avons donc reçu de Dieu l’intelligence pour la placer sur le chandelier, afin que tous ceux qui entrent voient la lumière. Celui qui est sage est déjà entré, mais celui qui est à l’école de la sagesse, est encore en chemin. Le Sauveur semble donc dire aux pharisiens : Votre intelligence doit vous servir à reconnaître la véritable cause de mes miracles, et à apprendre aux autres que les oeuvres dont vous êtes témoins, ne sont point les oeuvres de Béelzébub, mais les oeuvres du Fils de Dieu. C’est en suivant cette même pensée qu’il ajoute : « Votre oeil est la lumière de votre corps. » Orig. Il appelle oeil notre intelligence, et dans un sens métaphorique, il donne le nom de corps à toute notre âme, bien qu’elle soit immatérielle, car c’est par l’intelligence que l’âme tout entière est éclairée.

 

Théophyl. Si l’oeil du corps est lumineux, le corps sera aussi dans la lumière, mais s’il est ténébreux, le corps également sera dans les ténèbres. Ainsi en est-il de l’intelligence par rapport à l’âme, et c’est pour quoi Notre-Seigneur ajoute : « Si votre oeil est simple et pur, tout votre corps sera lumineux, si au contraire votre oeil est mauvais, tout votre corps sera dans les ténèbres. » Orig. Car l’intelligence, tant qu’elle l’este fidèle à son principe, ne recherche que la simplicité et ne contient en elle-même ni duplicité, ni ruse, ni division. — S. Chrys. (hom. 21 sur S. Matth.) Si donc nous laissons corrompre en nous l’intelligence qui devait nous affranchir de nos passions, nous avons fait à toute notre âme une profonde blessure, et l’aveugle perversité de notre intelligence nous plonge dans d’épaisses ténèbres : « Prenez donc garde, ajoute Notre-Seigneur, que la lumière qui est en vous ne soit elle-même de vraies ténèbres. » Il semble parler de ténèbres sensibles, mais ces ténèbres ont une origine extérieure, et nous les portons partout avec nous, dès que l’oeil de notre âme vient à s’éteindre. C’est de la puissance de cet oeil, lorsqu’il est simple et lumineux que Notre-Seigneur veut parler, quand il ajoute : « Si donc votre corps est tout éclairé, n’ayant aucune partie ténébreuse, » etc. — Orig. C’est-à-dire, si votre corps matériel, lorsqu’il est éclairé par la lumière, devient tout lumineux, de telle sorte qu’il n’y ait plus en vous aucun membre dans les ténèbres, à plus forte raison si vous fuyez le péché, tout votre corps spirituel deviendra si lumineux, que son éclat sera semblable à une lampe qui répand partout sa lumière, alors que la lumière du corps qui, auparavant, était ténébreuse, se trouve dirigée au gré de l’intelligence.

 

S. Grég. de Naz. (Lettre 22.) Ou bien encore, la lumière et l’oeil de l’Église, c’est le Pontife ; de même donc qu’un oeil pur et lumineux dirige sûrement tous les pas du corps, tandis qu’un oeil ténébreux l’égare infailliblement ; ainsi le salut ou la ruine de l’Église sont attachés à la conduite bonne ou mauvaise de l’Église.

 

S. Grég. (Mor., 28, 6.) Ou bien enfin, dans un autre sens, le corps figure ici chacune de nos actions qui suit l’intention, comme un oeil qui l’éclaire. Dans ce sens, l’oeil est la lumière de notre corps, parce que la bonne intention rayonnant sur notre action, lui donne tout son éclat. Si donc votre oeil est simple, tout votre corps sera lumineux, parce que si une pensée simple rend votre intention droite, votre action deviendra bonne, quand même l’apparence extérieure serait défavorable. Mais si au contraire votre oeil est mauvais, tout votre corps sera dans les ténèbres, parce qu’une action, même bonne, faite avec une intention mauvaise, est toujours une oeuvre ténébreuse pour celui qui voit et juge l’intérieur, quand même cette action aurait un certain éclat aux yeux des hommes. C’est donc avec raison que Notre-Seigneur ajoute : « Prenez donc garde que la lumière qui est en vous, ne se change en ténèbres, car si même les oeuvres que nous croyons bonnes, se trouvent obscurcies par une intention mauvaise, dans quelles ténèbres seront plongées les oeuvres que nous savons être mauvaises, quand nous les faisons. — Bède. Lorsque Notre-Seigneur ajoute : « Si donc votre corps est tout éclairé, » etc., par le corps il entend toutes nos oeuvres. Si donc vous faites le bien avec une bonne intention, sans avoir dans votre conscience aucune pensée ténébreuse, alors même que votre bonne action pourrait nuire au prochain ; cependant la droiture de votre coeur vous obtiendra la grâce de Dieu ici-bas, et dans la vie future les splendeurs de la gloire, auxquelles le Sauveur fait allusion dans les paroles suivantes : « Et il vous éclairera comme une lampe éclatante. » C’est surtout contre l’hypocrisie des pharisiens qui venaient astucieusement demander des signes, que ces paroles sont dirigées.

 

Vv. 37-44.

S. Cyr. Un pharisien, malgré son opiniâtreté, invite cependant le Sauveur à venir dans sa maison : « Pendant qu’il parlait, un pharisien le pria de venir manger chez lui. » C’est à dessein que saint Luc ne dit pas : Pendant qu’il disait ces choses, pour montrer que ce ne fut pas immédiatement après les enseignements qui précèdent, mais quelque temps après qu’il fut invité à dîner par le pharisien. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 26.) En effet, pour en venir à ce récit, saint Luc s’est sépara de saint Matthieu à cet endroit, où tous deux racontent les enseignements du Seigneur sur le signe de Jonas, la reine du Midi et l’esprit immonde, car saint Matthieu ajoute immédiatement : « Comme il parlait encore à la foule, sa mère et ses frères étaient dehors, cherchant à lui parler. » Saint Luc, au contraire, après avoir rapporté quelques autres paroles du Sauveur, omises par saint Matthieu, s’écarte de l’ordre suivi par cet Évangéliste. — Bède. Ainsi nous pouvons supposer que lorsque Jésus répond à ceux qui viennent lui annoncer que sa mère et ses frères sont dehors : « Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, et ma soeur, et ma mère, » il était déjà entré sur l’invitation du pharisien dans la salie du festin.

 

S. Cyr. Mais Jésus, qui connaissait la malice des pharisiens, s’applique à les ramener avec une miséricordieuse condescendance, à l’exemple des bons médecins, qui déploient toutes les ressources de leur art pour ceux de leurs malades, dont l’état est plus grave : « Or, Jésus étant entré, se mit à table. » Ce qui donna lieu aux sévères leçons qui suivent sur l’étrange disposition d’esprit de ce pharisien, qui se scandalisait de ce que Jésus, qu’il regardait comme un juste et un prophète, ne se conformait point à leurs coutumes déraisonnables : « Le pharisien commença à dire en lui-même : Pourquoi ne s’est-il pas purifié avant le repas ? »

 

S. Aug. (serm. 30 sur les par. du Seign.) En effet, les pharisiens se purifiaient chaque jour avant leurs repas par des, ablutions, comme si ces ablutions répétées pouvaient purifier leur coeur. Ce pharisien avait eu cette pensée en lui-même, sans la manifester extérieurement ; mais il ne laissa pas d’être entendu par celui qui pénétrait le fond de son coeur ; « Et le Seigneur lui dit : Vous autres pharisiens, vous purifiez le dehors de la coupe et du plat, mais votre intérieur est plein de rapines et d’iniquité. »

 

S. Cyr. Le Seigneur aurait pu sans doute prendre une autre forme pour instruire ce pharisien insensé ; cependant il saisit l’occasion favorable, et tire ses enseignements de ce qu’il avait sous les yeux. Il était à table à l’heure du repas, et il prend pour objet de comparaison les coupes et les plats, afin de nous apprendre que ceux qui veulent servir Dieu en toute sincérité, doivent être purs, non seulement de toute souillure extérieure, mais de celles qui se cachent dans l’intérieur de l’âme ; de même qu’on doit tenir nets de toute souillure les vases qui servent à l’usage de la table.

 

S. Ambr. Considérons l’image fidèle de nos corps dans ces objets de terre si fragiles, qu’il suffit de les laisser tomber pour qu’ils se brisent. De même encore que ce qui est dans une coupe paraît au dehors, ainsi toutes les pensées qui s’agitent dans l’intérieur de notre âme se révèlent facilement par les sens et par les actes de notre corps. Aussi n’est-il pas douteux que dans ces paroles qu’il adresse à Pierre dans le jardin des Olives, la coupe ne soit l’emblème de sa passion. Vous voyez donc que ce n’est pas l’extérieur de cette coupe ou de ce plat qui nous souille, mais l’intérieur, suivant ces paroles du Sauveur : « Votre intérieur est plein de rapine et d’iniquité. »

 

S. Aug. (serm. 30 sur les par. du Seig.) Mais pourquoi Jésus traite-t-il avec si peu d’indulgence un homme qui l’avait invité ? Il se montre bien plus indulgent en lui faisant ce reproche, parce que cette indulgence est appliquée avec prudence et discernement. Il nous enseigne ensuite que le baptême, qu’on ne donne qu’une seule fois, purifie l’âme par la foi ; or, la foi est à l’intérieur et non au dehors, et c’est cette foi que méprisaient les pharisiens, en se purifiant des taches extérieures, tandis que leur intérieur restait plein de souillures ; contradiction que le Sauveur leur reproche par ces paroles : « Insensés, est-ce que celui qui a fait le dehors, n’a pas fait aussi le dedans ? » — Bède. C’est-à-dire : Celui qui est l’auteur des deux natures de l’homme, veut qu’elles soient toutes deux également pures, paroles qui condamnent les manichéens, qui prétendent que l’âme seule a Dieu pour auteur, et que le corps a été créé par le démon. Elles sont aussi la condamnation de ceux qui détestent comme les plus grands crimes les péchés extérieurs (la fornication, le vol et d’autres péchés semblables), et qui ne tiennent nul cas des péchés spirituels qu’ils regardent comme légers, et que saint Paul n’a pas moins condamnés. (Ga 5.)

S. Ambr. Cependant, Notre-Seigneur, comme un bon maître, nous enseigne comment nous devons nous purifier de ce qui peut souiller notre corps ; « Néanmoins, faites l’aumône de votre superflu, et toutes choses seront pures pour vous. » Vous voyez quels remèdes puissants il met à votre disposition. Il nous donne pour nous purifier la miséricorde, il nous donne la parole de Dieu, comme il le dit lui-même dans saint Jean : « Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite. » — S. Aug. (de l’aumône.) Il est miséricordieux lui-même, et c’est pour cela qu’il nous commande de pratiquer la miséricorde ; et comme il veut conserver à jamais ceux qu’il a rachetés à un si grand prix., il enseigne à ceux qui ont perdu la grâce du baptême, comment ils pourront se purifier de leurs souillures. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) « Donnez l’aumône, » dit-il, et non pas : Donnez le fruit de l’injustice, parce qu’en effet, il y a une aumône qui est pure de toute injustice. Cette aumône purifie toutes choses, et l’emporte sur le jeûne ; car bien que le jeûne soit plus pénible, l’aumône est plus riche en avantages. Elle donne à l’âme de la lumière, de la force, de la bonté, de l’éclat. Celui qui pense à secourir l’indigent, s’éloignera promptement du péché ; car de même qu’un médecin qui prodigue ses soins à un grand nombre de blessés, compatit plus facilement aux souffrances des autres, de même aussi si nous faisons notre occupation de secourir les pauvres, nous mépriserons plus facilement les choses présentes, et nos pensées s’élèveront vers le ciel. L’aumône est donc un remède bien efficace, puisqu’elle peut s’appliquer à toutes les blessures.

Bède. Notre-Seigneur dit : « Donnez ce qui vous reste, » c’est-à-dire ce qui vous reste de votre nourriture et de votre vêtement ; carie précepte de l’aumône vous impose, non pas l’obligation de vous réduire à la mendicité, mais d’assister le pauvre dans la mesure du possible, après avoir donné à votre corps ce qu’il réclame. Ou bien, il faut entendre ces paroles : « Ce qui reste, » dans ce sens : Le seul remède qui reste à ceux qui sont coupables de tant de crimes, c’est de donner l’aumône. Or, ce précepte embrasse toutes les oeuvres de miséricorde ; car donner l’aumône, ce n’est pas seulement donner du pain à celui qui a faim, ou d’autres secours de ce genre, mais pardonner à celui qui vous offense, prier pour lui, remplir le devoir de la correction, et infliger au besoin une punition salutaire. — Théophyl. On peut encore traduire cette parole : Quod superest, par ce qui domine, parce qu’en effet, les richesses dominent les coeurs avides.

 

S. Ambr. Tout ce magnifique passage a donc pour but de nous inspirer l’amour de la simplicité, et tout ensemble de condamner les jouissances terrestres et les superfluités des Juifs. Et cependant il leur promet aussi la rémission de leurs péchés, s’ils veulent être miséricordieux.

 

S. Aug. (serm. 30 sur les par. du Seig.) Mais si l’on ne peut être purifié de ses péchés, qu’en croyant en celui qui purifie le coeur par la foi, pourquoi nous dit-il : « Faites l’aumône, et tout sera pur pour vous ? » Examinons attentivement l’explication qu’il nous donne lui-même de cette difficulté. Les pharisiens prélevaient la dixième partie de tous leurs fruits, pour en faire l’aumône, ce que ne font pas ordinairement les chrétiens ; et ils se riaient des reproches que leur adressait le Sauveur, comme s’ils négligeaient le devoir de l’aumône. Jésus, connaissant leurs dispositions, ajoute : « Malheur à vous, pharisiens, qui payez la dîme de la menthe, de la rue, et de toutes les herbes, et qui négligez la justice et l’amour de Dieu ! Il fallait faire ces choses, et ne pas omettre les autres. » En agissant de la sorte, vous ne faites pas l’aumône ; car faire l’aumône, c’est pratiquer la miséricorde, si donc vous comprenez bien cette vérité, commencez par vous-même ; car comment serez-vous miséricordieux pour les autres, si vous êtes cruel pour vous-même ? Écoutez la sainte Écriture qui vous dit : « Ayez pitié de votre âme, en cherchant à plaire à Dieu. » (Si 30, 24.) Rentrez dans votre conscience, vous qui vivez dans le vice ou dans l’infidélité, et vous y trouverez votre âme réduite à la mendicité, ou peut-être réduite au silence par son indigence même. Donnez donc l’aumône à votre âme en toute justice et en toute charité. Qu’est-ce que vous commande la justice ? De vous déplaire à vous-même. Comment remplir le devoir de la charité ? Aimez Dieu, aimez le prochain. Si vous négligez de faire cette aumône, quel que soit d’ailleurs votre amour, vous ne faites rien, puisque vous ne faites rien pour vous-même.

S. Cyr. Ou bien encore, ces paroles sont une censure de la conduite des pharisiens, qui ne recommandaient à ceux qu’ils dirigeaient que l’observation stricte des préceptes qui étaient pour eux une source de revenus abondants, c’est ainsi qu’ils n’oubliaient aucune des plus petites herbes, tandis qu’ils négligeaient d’exciter au devoir de la charité envers Dieu, et de la justice exacte à l’égard des autres. — Théophyl. Par là même qu’ils méprisaient Dieu, ils traitaient avec négligence les choses sacrées ; il leur recommande donc l’amour de Dieu, en y ajoutant le devoir de la justice, il leur enseigne indirectement l’amour du prochain ; car le juste jugement que l’on porte du prochain, ne peut venir que d’un véritable amour pour lui. — S. Ambr. Ou bien encore, il leur recommande le jugement, parce que toutes leurs actions n’étaient pas conformes aux règles de la justice ; et la charité, parce qu’ils n’aimaient pas Dieu d’un véritable amour. Cependant comme il ne veut pas que nous n’ayions de zèle que pour la foi, sans nous occuper des oeuvres, il résume en une courte maxime la perfection de l’homme fidèle, perfection qui exige le concours de la foi et des oeuvres : « Il fallait, dit-il, faire ces choses, et ne pas omettre les autres. » — S. Chrys. (Hom. 74 sur S. Matth.) Lorsqu’il a parlé des purifications en usage chez les Juifs, il s’est bien gardé de dire rien de semblable ; mais comme la dîme était une espèce d’aumône, et que le temps de l’abolition définitive des pratiques légales n’était pas encore venu, il leur dit : « Il fallait faire ces choses. »

S. Ambr. Le Sauveur combat ensuite les orgueilleuses prétentions des Juifs qui recherchaient les premières places : « Malheur à vous, pharisiens, qui aimez les premières places, » etc. — S. Cyr. En leur adressant ce reproche, Notre-Seigneur veut nous rendre meilleurs. Il veut détruire en nous tout germe d’ambition, et nous apprendre à ne pas poursuivre l’apparence au lieu de la réalité, ce que faisaient alors les pharisiens. En effet, que nous soyons salués par les hommes, que nous soyions même à leur tête, ce n’est pas une preuve que nous en soyons dignes ; car combien en est-il qui obtiennent ces avantages, tout mauvais qu’ils sont ? Aussi, Notre-Seigneur s’empresse-t-il d’ajouter : « Malheur à vous qui êtes comme des sépulcres qui ne paraissent pas. » Car en désirant être salués par les hommes, et être mis à leur tête pour obtenir une vaine réputation de grandeur, ils ressemblent à des sépulcres, au dehors, ils brillent par les ornements, dont ils sont couverts ; au dedans, ils sont pleins de corruption. — S. Ambr. Semblables encore à des sépulcres qui ne paraissent pas ce qu’ils sont en réalité, ils séduisent par leurs apparences, et trompent les regards des passants : « Et les hommes marchent dessus sans le savoir, » c’est-à-dire qu’au dehors ils ne font paraître que magnificence, tandis qu’au dedans, ils sont pleins de pourriture. — S. Chrys. (hom. 74.) Que les pharisiens fussent semblables à des sépulcres, rien de surprenant ; mais que nous-mêmes, qui avons été jugés dignes de devenir les temples de Dieu, nous devenions tout d’un coup des sépulcres remplis de corruption, c’est le comble de la misère.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr., et contre Jul.) Julien l’Apostat conclut de ces paroles, que nous devons fuir les sépulcres que Jésus-Christ lui-même a déclarés immondes, mais il n’a point compris le sens et la portée des paroles du Sauveur, qui n’a point commandé de fuir toute communication avec les sépulcres, mais qui a comparé à des sépulcres le peuple hypocrite des pharisiens.

 

Vv. 45-54.

S. Cyr. Les reproches qui rendent meilleurs les esprits humbles et doux, sont ordinairement insupportables aux hommes superbes, c’est ainsi que pour avoir repris les pharisiens de s’écarter du droit chemin, le Sauveur indispose contre lui tout le corps des docteurs de la loi : « Alors un des docteurs de la loi, prenant la parole, lui dit : Maître, en parlant de la sorte, vous nous outragez aussi. » Bède. Qu’elle est misérable la conscience qui se croit offensée de la parole de Dieu qu’elle entend, et qui voit toujours sa condamnation dans les châtiments dont les méchants sont menacés !

Théophyl. Les docteurs de la loi étaient différents des pharisiens, car les pharisiens étaient des hommes qui se séparaient des autres pour affecter une apparence de religion plus sévère ; les docteurs de la loi étaient chargés d’en expliquer les difficultés. — S. Cyr. Or, c’est contre les docteurs de la loi que Jésus dirige ces sévères reproches, pour abaisser leurs vaines et orgueilleuses prétentions : « Et il leur dit : Malheur à vous aussi, docteurs de la loi, qui chargez les hommes, » etc. Il se sert pour les accuser d’une comparaison frappante. La loi était très-onéreuse pour les Juifs, comme l’avouent les disciples de Jésus-Christ. Or, ces docteurs de la loi, réunissant comme en un faisceau tous les préceptes de la loi, en chargeaient ceux qui leur étaient soumis, tandis qu’ils n’en tenaient eux-mêmes aucun compte. — Théophyl. Or, chaque fois qu’un docteur pratique ce qu’il enseigne, il allége le fardeau pour ses disciples, en se donnant lui-même pour exemple, mais quand il ne fait rien de ce qu’il enseigne, le fardeau leur parait lourd et insupportable, puisque le docteur lui-même refuse de le porter.

Bède. Ils méritaient bien de s’entendre reprocher qu’ils ne voulaient pas même toucher du bout du doigt le fardeau de la loi, c’est-à-dire qu’ils n’en observaient pas même les moindres prescriptions, puisque contrairement aux exemples de leurs pères, ils prétendaient observer et faire observer la loi sans la foi et la grâce de Jésus-Christ.

S. Grég. de Nysse. Nous en voyons ainsi beaucoup qui, juges sévères pour les pécheurs, et faibles athlètes pour les combats de la vertu ; tout à la fois législateurs impitoyables, et observateurs négligents, ils refusent même de s’approcher de la vertu pour essayer de la pratiquer, tandis qu’ils l’exigent sans pitié de ceux qui leur sont soumis.

 

S. Cyr. Après avoir condamné les dures pratiques imposées par les docteurs de la loi, le Sauveur étend ses reproches à tous les principaux d’entre les Juifs : « Malheur à vous, qui bâtissez des tombeaux aux prophètes, et vos pères les ont tués ! » — S. Ambr. Rien de plus fort que ce passage contre la vaine superstition des Juifs qui, en élevant des tombeaux aux prophètes, condamnaient la conduite de leurs pères, tandis qu’ils se rendaient dignes des mêmes châtiments en imitant leurs crimes, car ce qu’il leur reproche, ce n’est pas d’élever des tombeaux, mais d’imiter les crimes de leurs pères. C’est pour cela qu’il ajoute : « Vous témoignez bien que vous consentez aux oeuvres de vos pères. » — Bède. En effet, pour capter la faveur du peuple, ils feignaient d’avoir en horreur l’impiété de leurs pères, en décorant avec magnificence les tombeaux des prophètes qu’ils avaient mis à mort ; mais ils prouvaient assez par leurs oeuvres qu’ils étaient complices de l’iniquité de leurs pères, en poursuivant de leurs outrages le Seigneur prédit par les prophètes : « C’est pourquoi, ajoute-t-il, la sagesse de Dieu a dit : Je leur enverrai des prophètes et des apôtres, et ils tueront les uns et poursuivront les autres. » — S. Ambr. La sagesse de Dieu, c’est Jésus-Christ. Nous lisons d’ailleurs dans saint Matthieu : « Voici que je vous envoie des prophètes et des sages. » — Bède. Si donc c’est la sagesse de Dieu qui a envoyé les prophètes et les Apôtres, que les hérétiques cessent donc de prétendre que le Christ ne tire son origine et son existence que de la Vierge ; qu’ils ne disent plus que le Dieu de la loi et des prophètes est différent du Dieu du Nouveau Testament. Les Apôtres, dans leurs écrits, donnent, il est vrai, le nom de prophètes, non seulement à ceux qui ont prédit longtemps d’avance l’incarnation de Jésus-Christ, mais à ceux qui annoncent les joies futures du royaume des cieux. Cependant je ne pense pas que ces prophètes doivent être placés à un rang supérieur à celui des Apôtres.

 

S. Athan. (Apolog. 1, sur sa fuite.) S’ils font mourir ceux qui leur sont envoyés, la mort des victimes criera plus haut contre eux ; s’ils les persécutent, ils donneront plus d’éclat et d’étendue aux témoignages de leur iniquité. En effet, la fuite de ceux qui souffrent persécution, augmente et atteste le crime de leurs persécuteurs ; car on ne fuit pas celui qui est ami de la piété et de la douceur, mais bien plutôt celui dont l’âme est cruelle et les instincts mauvais. Notre-Seigneur ajoute : « Afin qu’on redemande à cette génération le sang de tous les prophètes qui a été répandu depuis la création du monde. » — Bède. Mais comment le sang de tous les prophètes et de tous les justes est-il redemandé à une seule génération des Juifs, alors qu’un grand nombre de saints, soit avant soit après l’incarnation, ont été mis à mort par d’autres peuples ? Nous répondons que l’Écriture a coutume de diviser les hommes en deux générations, la génération des bons, et la génération des méchants. — S. Cyr. Ainsi, bien que le Sauveur dise d’une manière indicative : « On redemandera à cette génération, » il embrasse dans sa pensée, non seulement ceux qui étaient présents et qui l’entendaient, mais tous les homicides, car ceux qui se ressemblent méritent d’être tous confondus. — S. Chrys. (hom. 75, sur S. Matth.) D’ailleurs s’il prédit aux Juifs des châtiments plus sévères, c’est en toute justice, car ils ont surpassé les crimes des autres peuples, et n’ont été convertis par aucun des exemples des siècles passés ; mais la vue des crimes et des châtiments de leurs pères, loin de les rendre meilleurs, ne les a pas empêchés de se livrer aux mêmes crimes. Le Sauveur ne veut donc pas dire ici qu’ils seront châtiés pour les crimes des autres.

 

Théophyl. Le Seigneur montre ensuite que les Juifs étaient héritiers de la malice de Caïn, en ajoutant : « Depuis le sang d’Abel jusqu’au sang de Zacharie, » etc. Abel, en effet, fut tué par Caïn, « et Zacharie que les Juifs firent périr entre l’autel et le temple, » est, suivant quelques-uns, le patriarche Zacharie fils du grand prêtre Joïadas (2 Par 24). — Bède. Il n’y a rien d’étonnant que le Sauveur dise : « Depuis le sang d’Abel, » qui a été le premier martyr, mais pourquoi : « Jusqu’au sang de Zacharie, » bien qu’un grand nombre après lui aient été mis à mort, avant la naissance de Jésus-Christ, et que peu de temps après ait eu lieu le massacre des Innocents. N’est-ce point peut-être parce qu’Abel était pasteur de brebis, et Zacharie grand prêtre, et que l’un fut mis à mort au milieu des champs, et l’autre dans le temple, et que les deux classes de martyrs, les laïques et les prêtres voués au service des autels nous sont représentés par ces deux noms ?

 

S. Grég. de Nyss. (Disc. sur la naiss. de J.-C.) Suivant quelques auteurs, Zacharie, père de Jean, ayant connu par l’esprit de prophétie le mystère de la virginité inaltérable de la Mère de Dieu, ne l’exclut point de la partie du temple réservée aux vierges, afin de montrer que la puissance du Créateur pouvait manifester une naissance nouvelle, qui ne ferait point perdre à celle qui enfanterait l’éclat de sa virginité. Or, cet endroit se trouvait entre l’autel et la partie du temple où était placé l’autel d’airain, et c’est pour cela qu’il fut mis à mort en cet endroit. On dit encore, que les Juifs ayant appris l’avènement prochain du Roi du monde, et craignant qu’il ne les soumît à son empire, se jetèrent sur celui qui annonçait sa naissance, et massacrèrent le grand prêtre dans le temple. — S. Grég. ou Géomet. On donne encore une autre cause de la mort de Zacharie, lorsqu’eut lieu le massacre des innocents ; Jean-Baptiste devait être mis à mort avec les enfants de son âge, mais Elisabeth s’enfuit dans le désert pour arracher son fils à une mort certaine, et alors les satellites d’Hérode ne trouvant ni Elisabeth ni l’enfant, tournèrent leur rage contre Zacharie, et le massacrèrent pendant qu’il remplissait dans le temple les fonctions de son ministère.

« Malheur à vous, docteurs de la loi, parce que vous avez pris la clef de la science ! » — S. Bas. (sur Is dis. 1.) Cette parole « Malheur, » qui annonce d’intolérables douleurs, s’applique bien à ceux qui devaient être bientôt livrés mi plus redoutable supplice. — S. Cyr. Or, la clef de la science, c’est la loi elle-même qui était une ombre et une figure de la justice du Christ. C’était donc un devoir pour les docteurs de la loi, de scruter avec soin la loi de Moïse et les oracles des prophètes, et d’ouvrir pour ainsi dire, au peuple Juif, les portes de la connaissance du Christ. Mais bien loin de le faire, ils contestaient la divinité de ses miracles, et s’élevaient contre son enseignement en disant au peuple : « Pourquoi l’écoutez-vous ? » C’est ainsi qu’ils ont pris ou enlevé la clef de la science : Notre-Seigneur ajoute : « Vous n’êtes pas entrés vous-mêmes, et ceux qui entraient, vous les en avez empêchés. » La foi est aussi la clef de la science, car c’est par la foi qu’on arrive à la connaissance de la vérité, selon ces paroles du prophète Isaïe : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez point. » Les docteurs de la loi prirent donc la clef de la science, en ne permettant pas aux hommes de croire en Jésus-Christ. — S. August. (quest. évang., 2, 23.) La clef de la science est encore l’humilité de Jésus-Christ, que les docteurs de la loi ne voulurent ni comprendre par eux-mêmes, ni laisser comprendre aux autres. — S. Ambr. Sous le nom des Juifs, le Sauveur condamne encore et menace des supplices éternels ceux qui s’arrogeant injustement l’enseignement de la connaissance de Dieu, empêchent les autres d’y parvenir, et ne connaissent point eux-mêmes ce qu’ils enseignent.

 

S. Aug. (De l’accord. des Evang., 2, 75.) Saint Matthieu place ce discours de Notre-Seigneur lorsqu’il fut entré dans la ville de Jérusalem, tandis que d’après saint Luc, Notre-Seigneur se dirigeait alors vers Jérusalem. Je pense donc que Notre-Seigneur fit deux discours semblables, dont l’un a été rapporté par saint Matthieu, et l’autre par saint Luc.

 

Bède. Les pharisiens et les docteurs de la loi attestent eux-mêmes combien étaient fondés ces reproches d’incrédulité, de dissimulation et d’impiété, puisque loin de revenir à de meilleurs sentiments, ils dressent des embûches au divin Docteur de la vérité : « Comme il leur disait ces choses, les pharisiens et les docteurs de la loi commencèrent à le presser vivement, » etc. — S. Cyr. Le mot presser, insister veut dire faire des instances, ou menacer, ou faire violence. Ils se mirent aussi à l’interrompre en lui adressant une multitude de questions : « Et ils commencèrent à l’accabler d’une multitude de questions. » — Théophyl. En effet, lorsque plusieurs hommes se réunissent pour accabler un seul homme d’un grand nombre de questions de différente nature, il ne peut répondre à tous à la fois, et les insensés l’accusent d’hésitation ou d’ignorance. Tel était le piége qu’ils lui tendaient dans leur malice, mais ils cherchaient en outre à l’accabler, c’est-à-dire, à l’exciter à dire quelque chose qui leur donnât lieu de le condamner. « Lui tendant des pièges, et cherchant à surprendre quelque parole de sa bouche pour l’accuser. » Après avoir dit qu’ils voulaient l’accabler, l’Évangéliste ajoute qu’ils voulaient surprendre ou arracher quelque parole de sa bouche. En effet, ils l’interrogeaient, tantôt sur la loi, pour l’accuser de blasphème contre Moïse ; tantôt sur César, pour l’accuser d’être un conspirateur et un ennemi de la majesté de César.

 

CHAPITRE XII

Vv. 1-3.

Théophyl. Les pharisiens s’efforçaient de surprendre Jésus dans ses paroles, pour détourner le peuple de le suivre, mais leurs efforts aboutissaient à un résultat contraire, car le peuple se pressait autour de lui par milliers, et dans le vif désir qu’ils avaient de s’approcher de sa personne, ils se foulaient les uns les autres, tant la vérité a de puissance, tant au contraire la fourberie est toujours faible : « Cependant une grande multitude s’étant assemblée autour de Jésus, » de sorte qu’ils se foulaient les uns les autres, il commença à dire à ses disciples : « Gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie. » — S. Cyr. Notre-Seigneur recommande à ses disciples de se garder des pharisiens, parce que c’étaient des fourbes qui se moquaient de tout. — S. Grég. de Naz. Le levain est tantôt pris en bonne part, comme produisant le pain, qui alimente la vie, et tantôt en mauvaise part, comme étant le symbole d’une méchanceté aigre et invétérée. — Théophyl. Le Sauveur donne le nom de levain à l’hypocrisie, parce qu’elle altère et corrompt les intentions des hommes dans le coeur desquels elle pénètre, car rien ne corrompt les moeurs comme l’hypocrisie. — Bède. De même qu’un peu de levain aigrit toute la pâte (1 Cor 5), de même la dissimulation ôte à l’âme toute sincérité et toute vérité dans la pratique des vertus.

 

S. Ambr. Pour nous détourner d’imiter la conduite perfide des Juifs en agissant d’une manière et en parlant d’une autre, Notre-Seigneur place ici une magnifique leçon de simplicité et de foi, et nous rappelle qu’à la fin des temps, nos pensées cachées nous accuseront ou nous défendront, et dévoileront ainsi le secret de notre âme : « Rien de secret qui ne soit révélé, » etc. — Orig. Il veut donc parler de ce temps où Dieu jugera les actions les plus cachées des hommes ; ou il veut dire que quelques efforts qu’on fasse pour étouffer le bien que font les autres sous le poids de la calomnie, le bien de sa nature ne peut rester caché. — S. Chrys. (hom. 35, sur S. Matth.) Il semble dire à ses disciples : On vous traite maintenant de séducteurs et de magiciens, mais le temps dévoilera toutes choses, il mettra au grand jour leurs calomnies et fera éclater votre vertu. Prêchez donc hardiment, le front découvert, et sans crainte aucune à tout l’univers, ce que je vous ai enseigné dans ce petit coin de la Palestine : « Ainsi ce que vous avez dit dans les ténèbres, on le dira au grand jour, » etc. — Bède. Ou bien encore, il parle de la sorte, parce que tout ce que les apôtres ont dit et souffert autrefois dans les ténèbres, des persécutions, et dans les noirs cachots où on les enfermait, est maintenant annoncé publiquement par la lecture qui se fait de leurs actes, dans l’Église répandue par tout l’univers. Ces paroles : « Sera prêché sur les toits, » se rapportent à l’usage de la Palestine, où les habitants se tiennent sur les toits, car les toits ne sont point surmontés de combles comme les nôtres, mais nivelés en plate-forme, c’est-à-dire en surface plane. Ainsi ces paroles : « Sera publié sur les toits, » signifie : sera annoncé de manière à être entendu de tous. — Théophyl. Ou bien encore, Notre-Seigneur s’adresse aux pharisiens, et leur dit : O pharisiens, ce que vous avez dit dans les ténèbres, c’est-à-dire, les embûches que vous méditez contre moi dans les épaisses ténèbres de vos coeurs, seront dévoilées au grand jour : car je suis la lumière, et je révélerai dans cette lumière tout ce que vous tramez ténébreusement contre moi. Et ce que vous dites à l’oreille et dans l’intérieur de vos maisons (c’est-à-dire, tout ce que vous murmurez à voix basse à l’oreille), sera prêché sur les toits, c’est-à-dire sera entendu de moi, comme si on le prêchait sur les toits. On peut dire encore que la lumière, c’est l’Évangile, que les toits sont les âmes élevées des Apôtres, car toutes les âmes insidieuses des pharisiens furent dévoilées, et mises au grand jour dans la lumière de l’Évangile, par l’oracle divin de l’Esprit saint qui se reposait sur les âmes des Apôtres.

 

vv 4-7.

S. Ambr. Deux causes produisent ordinairement la perfidie de la trahison, une méchanceté naturelle et invétérée, ou une crainte accidentelle. Notre-Seigneur prémunit donc ses disciples contre la crainte qui les porterait à renier le Dieu qu’ils reconnaissent dans leur coeur : « Or, je vous dis à vous qui êtes mes amis : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, » etc. — S. Cyr. Ces paroles ne peuvent s’appliquer indifféremment à tous, mais à ceux-là seulement qui aiment Dieu de tout leur coeur, et qui peuvent dire en toute assurance : « Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ ? » (Rm 8, 35-38) Ceux qui ne sont point dans cette disposition, sont faibles et bien près de tomber, c’est le Seigneur lui-même qui a dit : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Or, ne serait-il pas souverainement injuste de ne pas rendre à Jésus-Christ ce que nous avons reçu de lui ? — S. Ambr. Il leur apprend aussi que la mort n’a plus rien de redoutable, puisque l’immortalité la rachète par une si riche compensation.

 

S. Cyr. Souvenons-nous donc que Dieu prépare des couronnes et des honneurs pour récompenser les travaux de ceux sur lesquels les hommes exercent ici-bas leur colère, et que la mort du corps met un terme à leurs persécutions, comme l’ajoute Notre-Seigneur : « Et après cela ils ne peuvent rien faire de plus. » — Bède. C’est donc en vain que les persécuteurs exercent leur fureur insensée sur les membres déchirés des martyrs, qu’ils jettent en pâture aux bêtes féroces, ou aux oiseaux du ciel, puisqu’ils ne peuvent empêcher la toute-puissance de Dieu de leur rendre la vie en les ressuscitant.

 

S. Chrys. (hom. 23, sur S. Matth.) Considérez comment le Seigneur rend ses disciples supérieurs à tous les événements, puisqu’il les exhorte à mépriser même la mort si redoutable à tous les hommes. Mais voyez en même temps comme il multiplie les preuves de l’immortalité de l’âme : « Mais je vous montrerai qui vous devez craindre, craignez celui qui, après avoir ôté la vie, a le pouvoir de jeter dans la géhenne. — S. Ambr. C’est qu’en effet la mort est la fin de la nature et non du châtiment ; aussi la conclusion de Notre-Seigneur est-elle, que la mort met fin au supplice du corps, tandis que le châtiment de l’âme est éternel, et que nous ne devons craindre que Dieu seul, à la puissance duquel la nature ne peut prescrire des bornes, mais qui lui-même commande à la nature : « Oui je vous le dis, ajoute-t-il, craignez celui-là. » — Théophyl. Remarquez que les pécheurs ont à subir le double châtiment et de la mort temporelle, et du supplice de l’enfer où ils sont jetés. Si vous approfondissez ces paroles, vous y trouverez encore un autre enseignement. En effet, Notre-Seigneur ne dit pas : « Qui envoie dans la géhenne, » mais : « Qui a le pouvoir d’envoyer. » Car tous ceux qui meurent dans le péché ne sont pas immédiatement livrés au supplice, mais ils éprouvent quelques moments de repos et d’adoucissement par suite des sacrifices et des prières qui sont offertes pour les âmes des défunts.

 

S. Ambr. Notre-Seigneur venait d’inspirer à ses Apôtres l’amour de la simplicité, et d’affermir leur courage ; leur foi seule était chancelante, il la fortifie donc merveilleusement par les exemples empruntés aux choses les plus simples : « Est-ce que cinq passereaux ne se vendent pas deux as (un diponde) ? et pas un d’eux n’est en oubli devant Dieu, » c’est-à-dire, si Dieu n’oublie point les passereaux, comment pourrait-il oublier les hommes ? — Bède. Le diponde est un des poids les plus légers, et il est composé de deux as. — La Glose. Or, l’as est dans le poids ce que un est dans les nombres, et le diponde équivaut à deux as. — S. Ambr. Mais, comment, objectera-t-on, l’Apôtre a-t-il pu dire : « Est-ce que Dieu prend soin des boeufs ? » Et cependant un boeuf est d’un plus grand poids qu’un passereau. Nous répondons qu’autre chose est le souci, autre chose la connaissance que Dieu a des plus petites créatures.

Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Ces paroles signifient donc littéralement que l’action pénétrante de la Providence s’étend aux plus petites choses. Dans le sens mystique, les cinq passereaux sont le symbole des sens spirituels de l’âme, qui perçoivent les choses célestes et supérieures à l’homme, qui voient Dieu, entendent sa voix, savourent le pain de vie, respirent l’odeur des parfums de Jésus-Christ, et touchent le Verbe divin. Ils sont vendus deux as, c’est-à-dire, qu’ils sont mis à vil prix par ceux qui regardent les choses de l’Esprit comme une folie, mais cependant ils ne sont pas en oubli devant Dieu. Néanmoins, l’Écriture dit quelquefois que Dieu oublie certains hommes à cause de leurs crimes. — Théophyl. Ou bien encore, ces cinq sens sont vendus pour deux as, c’est-à-dire, pour le Nouveau et l’Ancien Testament, et ainsi ils ne sont pas en oubli devant Dieu, car Dieu se souvient toujours de ceux qui appliquent leurs sens à la parole de vie, et se rendent dignes de cet aliment spirituel. — S. Ambr. Ou bien encore, le bon passereau est celui qui a reçu de la nature la faculté de voler, car nous avons reçu nous-mêmes de la nature la puissance de voler, et la volupté nous l’a ravie, en appesantissant l’âme par ses jouissances grossières et en s’inclinant vers la terre comme une masse de chair. Si donc les sens du corps cherchent à se nourrir des souillures de la terre, ils deviennent incapables de s’élever jusqu’aux fruits des oeuvres surnaturelles. Celui-là donc ressemble au mauvais passereau, à qui les jouissances corrompues de la terre ont retranché les ailes ; tels sont ces passereaux qui se vendent deux as, c’est-à-dire, pour les plaisirs impurs du monde ; car notre ennemi nous met à vil prix comme un troupeau d’esclaves, tandis que le Seigneur, juste appréciateur de son oeuvre, nous a rachetés à un grand prix comme de nobles serviteurs qu’il avait faits à son image.

 

S. Cyr. Il cherche donc avec le plus grand soin à connaître la vie des saints, comme l’indiquent les paroles suivantes : « Les cheveux même de votre tête sont tous comptés, » c’est-à-dire, qu’elle connaît exactement tout ce qui les concerne, car l’action de compter manifeste une sollicitude des plus attentives. — S. Ambr. Cette manière de parler ne veut pas dire que Dieu ait compté tous nos cheveux, mais exprime la science naturelle qu’il a de tout ce qui existe ; Notre-Seigneur dit cependant qu’ils sont comptés, parce que nous comptons ce que nous voulons conserver.

 

S. Cyr. Dans le sens mystique, la tête est l’intelligence de l’homme, et les cheveux sont les pensées qui sont toutes à découvert aux yeux de Dieu. — Théophyl. Ou bien encore, par la tête on peut entendre la vie du fidèle, qui s’applique à imiter Jésus-Christ, et par les cheveux les oeuvres de mortification extérieure que Dieu compte et qui sont dignes de fixer son attention. — S. Ambr. Si donc la puissance de Dieu est si grande, qu’un seul passereau, qu’aucun de nos cheveux ne lui soit inconnu, ne serait-ce pas une indignité de penser que le Seigneur ne connaît point les coeurs des fidèles, ou qu’il les dédaigne, lui dont la science s’étend aux plus petites choses : « Ne craignez donc point, conclut-il, vous valez plus que beaucoup de passereaux. » — Bède. On ne doit point lire, vous êtes plus (plures), comme s’il était question du nombre, mais vous êtes plus (pluris), c’est-à-dire, vous êtes d’un plus grand prix aux yeux de Dieu. — S. Athan. (Disc. 3 cont. les ar.) Or, je demanderai aux ariens : si Dieu dédaignant de créer les autres êtres, n’a fait que son Fils, et lui a abandonné toutes les autres créatures, comment sa providence s’étend-elle jusqu’aux moindres choses, jusqu’à un cheveu, un passereau ? Car tous les êtres que Dieu embrasse par sa providence, il les a créés par sa parole.

 

Vv. 8—12.

Bède. Après avoir déclaré que toutes nos oeuvres, que toutes nos pensées les plus secrètes seront révélées ; Notre-Seigneur ajoute que cette révélation aura lieu, non pas au milieu d’une assemblée ordinaire, mais en présence de la cité céleste, devant le Juge et le Roi éternel des siècles : « Or, je vous le dis, quiconque m’aura confessé devant les hommes, » etc. — S. Ambr. Le Sauveur insère ici admirablement tout ce qui petit rendre la foi plus vive, eu lui donnant la force pour fondement et pour base ; car de même que la foi est le stimulant du courage, la force est le plus ferme appui de la foi. — S. Chrys. (hom. 35, sur S. Matth.) Dieu ne se contente donc pas de la foi intérieure, il en demande la confession extérieure et publique, et nous excite ainsi à une plus grande confiance et à un plus grand amour. Et comme cet enseignement est utile à tous, il parle en général : « Quiconque m’aura confessé devant les hommes, » etc. — S. Cyr. Saint Paul dit dans son Épître aux Romains : « Si vous confessez de bouche que Jésus est. le Seigneur, et si vous croyez de coeur que Dieu l’a ressuscité après la mort, vous serez sauvé. » Tous les mystères du Christ sont compris dans ces paroles. En effet, il faut d’abord reconnaître que le Verbe qui est sorti du Père, c’est-à-dire, son Fils unique, né de sa substance, est le Seigneur de toutes choses, et que son souverain domaine n’est point un domaine usurpé, ni qui vienne d’un principe extérieur, mais qu’il lui vient, comme à son Père, de sa nature même et de son existence. Il faut ensuite confesser que Dieu a ressuscité des morts ce même Seigneur, qui s’est fait homme, et qui a souffert la mort pour nous ; car c’est ainsi qu’il est ressuscité des morts. Quiconque confessera ainsi devant les hommes la divinité et le souverain domaine de Jésus-Christ, le Sauveur, à son tour, le confessera devant les auges de Dieu, lorsqu’il descendra avec les saints anges dans la gloire du Père, à la consommation des siècles.

 

Eusèbe. Or, qu’y aura-t-il de plus glorieux que de voir le Fils unique, le Verbe de Dieu, rendant témoignage au jour du jugement, et donnant dans son amour une récompense sensible du témoignage qui lui a été rendu sur la terre, à l’âme qu’il aura jugée digne de cette récompense ? Car il ne restera pas en dehors de cette âme, mais il lui rendra témoignage en habitant au milieu d’elle et en l’inondant de sa lumière. Après avoir fortifié ses Apôtres par la douce espérance d’aussi magnifiques promesses, il les affermit encore par des menaces non moins effrayantes : « Mais celui qui m’aura renié devant les hommes, sera renié devant les anges de Dieu. » — S. Chrys. (hom. 35 sur S. Matth.) C’est-à-dire, que le châtiment sera plus sévère et la récompense plus abondante, comme s’il disait : Ici-bas, c’est vous qui me confessez, ou qui me niez, mais au jour du jugement, ce sera moi-même, et ainsi la récompense du bien que vous aurez fait, ou le châtiment du mal que vous aurez commis, vous seront rendus avec usure dans l’autre vie. — Eusèbe. Le Sauveur fait ici cette menace, pour leur faire comprendre combien il est important qu’ils confessent son nom, par la perspective du châtiment qui les attend, châtiment qui consiste à être renié par le Fils de Dieu, c’est-à-dire, par la sagesse de Dieu ; à perdre la vie, à être privé de la lumière, et dépouillé de tous les biens, à souffrir ce châtiment devant le Père, qui est dans les cieux et les anges de Dieu.

 

S. Cyr. Or ceux qui nient Jésus-Christ sont d’abord ceux qui abjurent la foi aux approches de la persécution, il faut y joindre encore les docteurs hérétiques et leurs disciples. — S. Chrys. (comme préc.) Il est encore d’autres manières de renier Jésus-Christ, que saint Paul énumère, lorsqu’il dit : « Ils font profession du connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs actions, » (Tt 1, 16) et encore : « Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi, et il est pire qu’un infidèle, » (1 Tm 5, 8) et enfin : « Fuyez l’avarice, qui est une espèce d’idolâtrie. » (1 Co 2, 5.) Puisqu’il y a plusieurs manières de renier Jésus-Christ, il est évident qu’il y a autant de manières de le confesser, et celui qui aura confessé le Sauveur de ces différentes manières, entendra cette voix si consolante de Jésus-Christ, rendant un glorieux témoignage à tous ceux qui l’auront confessé. Considérez ici la propriété des expressions, dans le texte grec, on lit : « Quiconque aura confessé en moi, » ce qui veut dire que ce n’est point par les forces naturelles, mais à l’aide de la grâce de Dieu, qu’on peut confesser Jésus-Christ. Mais pour celui qui nie, il ne dit point : Celui qui aura nié en moi ; mais : « Celui qui m’aura renié, » car celui qui le nie est privé de la grâce ; il ne laisse pas toutefois d’être coupable, parce qu’il est cause de cette privation de la grâce, et que c’est par sa propre faute qu’elle lui fait défaut. — Bède. De ce que le Sauveur doit un jour renier tous ceux qui l’ont nié sur la terre, il ne s’ensuit pas que le même sort soit réservé à tous indifféremment, à ceux qui l’ont nié de dessein prémédité, et à ceux qui ne l’ont fait que par faiblesse et par ignorance, aussi Notre-Seigneur ajoute : « Et quiconque parle contre le Fils de l’homme, il lui sera remis, » etc. — S. Cyr. Ces paroles du Sauveur signifient-elles que toute parole injurieuse que nous aurons dites contre un de nos semblables, nous sera pardonnée, si nous nous en repentons, elles n’offrent alors aucune difficulté, puisque Dieu étant naturellement bon, pardonne à ceux qui veulent se repentir, mais si elles doivent s’entendre de Jésus-Christ lui-même, comment celui qui parle contre lui ne sera-t-il pas condamné ? — S. Ambr. Par le Fils de l’homme, nous entendons le Christ, qui a été engendré par l’opération du Saint-Esprit, de la Vierge, qui est seule sur la terre la cause de sa naissance temporelle. Or, dirons-nous que l’Esprit saint est plus grand que le Christ, de manière que ceux qui pèchent contre le Christ, puissent obtenir leur pardon, tandis que ceux qui pèchent contre l’Esprit, n’ont aucune miséricorde à attendre ? Mais où il y a unité de puissance, on ne peut établir aucune comparaison.

 

S. Athan. (Traité sur ces par. : Quiconque, etc.) D’anciens auteurs, le savant Origène et l’admirable Théognoste, enseignent qu’on se rend coupable du blasphème contre l’Esprit saint, quand après avoir reçu ce divin Esprit par le baptême, on retourne à ses anciens péchés, et c’est la cause, disent-ils, qui les rend indignes de pardon, suivant ces paroles de saint Paul : « Il est impossible que ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don du ciel, qui ont été faits participants du Saint-Esprit, soient renouvelés par la pénitence. » (He 6.) Chacun de ces deux docteurs motive ainsi son sentiment : Dieu le Père, dit Origène, pénètre et embrasse toutes choses ; la puissance du Fils ne s’étend qu’aux créatures raisonnables, et l’Esprit saint n’habite que les âmes qui l’ont reçu dans le baptême. Lors donc que les catéchumènes ou les gentils se rendent coupables, ils pèchent contre le Fils, qui demeure au milieu d’eux ; ils peuvent cependant obtenir leur pardon, quand ils deviennent dignes du sacrement de la régénération. Au contraire, quand ils retombent dans le péché, après le baptême, leur crime atteint l’Esprit saint, contre lequel ils pèchent après l’avoir reçu ; aussi leur condamnation est-elle irrévocable. Théognoste, de son côté, enseigne que celui qui a franchi le premier et le second degré de culpabilité, mérite un moindre châtiment, mais celui qui franchit le troisième n’a plus de pardon à espérer. Or, suivant lui, le premier et le second degré, c’est la doctrine du Père et du Fils ; le troisième, c’est la participation à l’Esprit saint, conformément à ces paroles du Sauveur : « Lorsque l’Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité. » (Jn 16.) Ce n’est pas sans doute, que la doctrine de l’Esprit saint surpasse la doctrine du Fils ; mais le Fils est plein de condescendance pour les âmes imparfaites, tandis que le Saint-Esprit est comme le sceau des âmes arrivées à la perfection. Si donc le blasphème contre l’Esprit saint ne mérite aucun pardon, ce n’est pas que l’Esprit saint soit supérieur au Fils, mais parce que les âmes imparfaites ont droit au pardon, tandis que celles qui sont arrivées à la perfection, ne peuvent apporter aucune excuse. Car il faut reconnaître que le Fils étant dans le Père, il est dans ceux en qui le Père habite, et que l’Esprit saint y est aussi, car la sainte Trinité est indivisible. Ajoutons que si toutes choses ont été faites par le Fils, et ne subsistent que par lui (Jn 1, 3 ; Col 1, 16.17), il est donc lui-même en toutes choses, et ainsi celui qui pèche contre le Fils, pèche nécessairement contre le Père et le Saint-Esprit. Enfin le sacrement de baptême s’administre au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; ceux donc qui retombent dans le péché après le baptême, blasphèment contre la sainte Trinité. Mais, puisque les pharisiens n’avaient pas reçu le baptême, pourquoi les accuse-t-il de blasphème contre le Saint-Esprit, qu’ils n’avaient pas encore reçu, alors surtout qu’il ne les accuse pas de simples péchés, mais de blasphème ? car le péché n’est que la transgression de la loi, tandis que le blasphème est un outrage direct à Dieu lui-même. Et encore, s’il n’y a plus de pardon à espérer pour ceux qui pèchent après le baptême, pourquoi l’Apôtre pardonne-t-il à l’incestueux pénitent de Corinthe. (2 Co  2.) Pourquoi écrit-il aux Galates, qui étaient retournés en arrière, qu’il les enfante de nouveau, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en eux ? (Ga 3.) Pourquoi reprochons-nous à Novatien de ne pas admettre la pénitence après le baptême ? Disons donc que l’Apôtre, dans son Épître aux Hébreux, ne détruit pas la pénitence après le baptême, mais il combat la fausse idée des Juifs devenus chrétiens, qu’il pût y avoir des baptêmes multipliés tous les jours pour la rémission des péchés, selon les prescriptions de la loi. Il exhorte donc à la pénitence, mais il déclare qu’il n’y a qu’une seule régénération par le baptême. En méditant ces diverses considérations, je me reporte à l’admirable économie de l’incarnation du Christ qui, étant Dieu s’est fait homme ; qui comme Dieu ressuscitait les morts, et en tant qu’homme, revêtu de notre chair, était soumis à la soif, à la fatigue, à la souffrance. Ceux donc qui, ne considérant en lui que l’homme, le voient sujet à la soif et à la douleur, et tiennent des discours injurieux à son humanité, sont coupables, il est vrai, mais ils peuvent par le repentir obtenir promptement le pardon de leur péché, en s’excusant sur les faiblesses de la nature humaine. Ceux qui au contraire considèrent les oeuvres divines de Jésus-Christ, et doutent qu’il ait un corps véritable, pèchent gravement eux-mêmes, cependant le repentir peut encore leur mériter le pardon, parce qu’ils peuvent donner pour excuse la grandeur des oeuvres opérées par Jésus-Christ. Mais quand ils attribuent aux démons les oeuvres de la divinité, ils prononcent contre eux une sentence de condamnation irrévocable, en donnant an démon un pouvoir divin, et en n’accordant pas au vrai Dieu plus de puissance qu’au démon. C’est à ce degré d’aveuglement et de perfidie, que les pharisiens en étaient arrivés. Le Sauveur opérait sous leurs yeux les oeuvres de son Père, il rendait la vie aux morts, la vue aux aveugles, il faisait mille autres prodiges semblables, et ils attribuaient ces oeuvres à Béelzébub. Ils auraient pu dire avec autant de raison, en voyant l’ordre du monde, et la Providence qui le gouverne, qu’il a été créé par Béelzébub. Aussi tant qu’ils se sont bornés à ne voir en Jésus-Christ qu’un homme, et à dire d’un esprit incertain et douteux : « N’est-ce pas là le fils du charpentier ? (cf. Mt 13, 55) Et comment sait-il les Écritures, puisqu’il ne les a pas apprises ? » il a supporté leur incrédulité qui était un péché contre le Fils de l’homme. Mais dès qu’ils ont poussé le délire jusqu’à dire que les oeuvres de Dieu avaient pour auteur Béelzébub, il ne put les souffrir davantage. C’est ainsi qu’autrefois il avait supporté l’incrédulité de leurs pères, tant qu’ils ne murmuraient que de manquer de pain et d’eau, mais lorsqu’ils eurent fondu le veau d’or et qu’ils lui attribuèrent les bienfaits qu’ils avaient reçus du ciel, Dieu les punit, et par la mort d’un grand nombre d’entre eux, et par la prédiction des châtiments à venir : « Je les punirai, dit-il, au jour de la vengeance, du crime qu’ils ont commis. » (Ex 32, 34.) Le Sauveur prédit le même châtiment aux pharisiens condamnés à brûler éternellement avec le démon, dans le feu qui a été préparé pour lui. Notre-Seigneur ne veut donc point ici établir une comparaison entre le blasphème proféré contre lui et le blasphème contre le Saint-Esprit, comme si le Saint-Esprit était plus grand que lui ; mais des deux blasphèmes qu’ils proféraient contre lui, il veut montrer que l’un est plus grave que l’autre, car ils l’outrageaient en ne voyant en lui qu’un homme, et en attribuant à Béelzébub les oeuvres toutes divines qu’il faisait.

S. Ambr. Il en est qui pensent que par le Fils et le Saint-Esprit, il faut entendre le Christ, tout en gardant la distinction des personnes et l’unité de substance, parce que le même Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble, est appelé l’Esprit dans la sainte Écriture : « L’Esprit de notre bouche, le Christ, le Seigneur. » Il est également saint, puisque le Père est saint, que le Fils est saint, et que l’Esprit est saint. Si donc le Christ est l’un et l’autre, pourquoi cette différence, si ce n’est pour nous apprendre quel crime c’est pour nous que de nier la divinité de Jésus-Christ ? — Bède. On peut encore donner cette explication : Celui qui attribue au démon les oeuvres de l’Esprit saint, ne peut espérer de pardon ni en ce monde ni en l’autre, non pas que nous refusions à Dieu de lui pardonner s’il pouvait se repentir, mais parce qu’il est presque impossible à celui qui se rend coupable d’un tel blasphème, non seulement d’obtenir son pardon, mais de faire de dignes fruits de pénitence, selon ces paroles d’Isaïe : « Il les a frappés d’aveuglement, à ce point qu’ils ne pourront se convertir, et obtenir leur guérison » (Is 5). Or, si l’Esprit saint n’était qu’une simple créature et qu’il ne fût pas consubstantiel au Père et au Fils, comment les outrages proférés contre lui entraîneraient-ils un châtiment aussi terrible que celui qui est réservé aux blasphèmes contre Dieu ? (Lm 15, 20.)

Bède. Cependant tous ceux qui nient l’existence de la divinité de l’Esprit saint, ne sont point pour cela coupables de ce crime irrémissible de blasphème, parce qu’ils agissent par ignorance naturelle plutôt que par le principe d’envie diabolique qui animait les principaux d’entre les Juifs. — S. Aug. (serm. 2 sur les par. du Seign.) Donnons encore cette autre explication : si le Sauveur s’était exprimé de la sorte : Celui qui se sera rendu coupable de n’importe quel blasphème contre l’Esprit saint, nous devrions entendre toute espèce de blasphème sans exception, mais il se borne à dire : « Celui qui blasphémera contre l’Esprit saint, » c’est-à-dire, celui qui profère, non pas un blasphème quelconque, mais un blasphème de telle gravité, qu’il ne puisse jamais être pardonné. C’est dans le même sens qu’il est dit : « Dieu ne tente personne, » (Jc 1) ce qui doit s’entendre, non pas de toute tentation en général, mais d’un certain genre de tentation. Mais quel est ce blasphème irrémissible contre l’Esprit saint ? Le voici : Le premier bienfait dont les fidèles sont redevables à l’Esprit saint, c’est la rémission des péchés, c’est contre ce don purement gratuit que blasphème le coeur impénitent ; l’impénitence est donc le blasphème contre l’Esprit saint, qui ne sera remis ni en ce monde ni en l’autre, parce que c’est la pénitence seule qui obtient en cette vie la rémission des péchés dont nous devons recueillir les fruits en l’autre. — S. Cyr. Après avoir inspiré à ses disciples une crainte salutaire et les avoir préparés. à résister généreusement à ceux qui s’écartent de la vraie foi, il leur recommande de ne point s’inquiéter d’ailleurs de la réponse qu’ils devront faire, parce que l’Esprit saint qui habite dans les âmes bien disposées pour les instruire, leur suggérera ce qu’il convient de répondre : « Lorsqu’on vous conduira dans les synagogues et devant les magistrats, ne vous mettez point en peine comment vous répondrez ni de ce que vous direz. » — La Glose. interl. Le Sauveur dit : « Comment vous répondrez, » quant à la forme de la réponse que vous ferez à ceux qui vous questionneront : « Ni de ce que vous direz, » pour le fond même des choses, que vous exposerez à ceux qui désireront s’instruire. — Bède. En effet, lorsque nous sommes conduits devant les tribunaux pour la cause de Jésus-Christ, nous devons nous contenter d’offrir pour lui notre bonne volonté, pour le reste, la grâce du Saint-Esprit nous assistera dans nos réponses : « Car l’Esprit saint vous enseignera à l’heure même ce qu’il vous faudra dire. » — S. Chrys. (hom. 34 sur S. Matth.) Il est dit ailleurs, il est vrai : « Soyez toujours prêts à répondre pour votre défense à tous ceux qui vous demanderont raison de l’espérance qui est en vous. » (1 P 3, 13) C’est-à-dire, que lorsqu’il s’élève une discussion, une controverse entre amis, nous devons alors réfléchir à ce qu’il nous faut répondre ; mais quand nous sommes traduits devant ces tribunaux, où tout inspire la terreur, il nous entoure comme d’un rempart de sa propre force, et nous donne le courage de parler sans crainte. — Théophyl. Or, comme notre faiblesse vient de deux causes, ou parce. que nous voulons éviter le martyre. par la crainte du supplice, ou parce que notre ignorance nous empêche de rendre compte de notre foi, le Sauveur combat ces deux causes : la crainte de la douleur, lorsqu’il dit : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, » la crainte de l’ignorance, par ces dernières paroles : « Ne soyez point en peine comment vous répondrez ni de ce que vous direz. »

 

Vv. 13-15.

S. Ambr. Tous les enseignements qui précèdent, ont pour but de nous encourager à souffrir pour le nom du Seigneur, ou par le mépris de la mort, ou par l’espérance de la récompense, ou par la menace des supplices éternels, qu’aucune miséricorde ne viendra jamais adoucir. Or, comme l’avarice est une source fréquente de tentations pour la vertu, Notre-Seigneur veut en détruire jusqu’au germe dans notre âme, et à l’appui du précepte qu’il donne, il apporte cet exemple : « Alors, du milieu de la foule, quelqu’un lui dit : Maître, dites à mon frère de partager avec moi notre héritage. » Théophyl. Ces deux frères se disputaient pour diviser l’héritage paternel, il fallait donc que l’un cherchât à frauder l’autre. Or, le Sauveur, voulant nous appendre à ne point abaisser notre esprit jusqu’aux choses de la terre, rejette la demande de celui qui l’appelait à diviser cet héritage : « Mais Jésus lui répondit : Homme, qui m’a établi pour vous juger ou pour faire vos partages ? » — Bède. Cet homme veut préoccuper du souci de diviser la terre le Maître qui est venu nous inspirer le goût des joies et de la paix du ciel ; aussi est-ce avec raison que Notre-Seigneur lui donne le nom d’homme ; dans le même sens que ces autres paroles : « Puisqu’il y a parmi vous des jalousies et des contentions, n’est-il pas visible que vous êtes charnels, et que vous vous conduisez comme des hommes. »

 

S. Cyr. Lorsque le Fils de Dieu a daigné se rendre semblable à nous, Dieu son Père l’a établi roi et prince sur la sainte montagne de Sion, pour annoncer ses divins commandements (cf. Ph 2, 7 ; Ps 2). — S. Ambr. C’est donc avec raison qu’il refuse de s’occuper des intérêts de la terre, lui qui n’est descendu sur la terre que pour nous enseigner les choses du ciel ; il dédaigne d’être le juge des différends et l’arbitre des biens de la terre, lui à qui Dieu a donné le pouvoir de juger les vivants et les morts, et l’appréciation décisive des mérites des hommes. Il faut donc considérer ici, non pas ce que vous demandez, mais à qui vous faites cette demande, et ne pas chercher à détourner à des choses de médiocre importance, celui dont l’esprit est appliqué à des objets d’un intérêt supérieur. Ce frère méritait donc la réponse que lui fit le Sauveur, lui qui voulait que le dispensateur des biens célestes, s’occupât des intérêts périssables de la terre. Ajoutons d’ailleurs que ce n’est point par l’intervention d’un juge, mais par l’affection, qu’un bien patrimonial doit être partagé entre des frères. Enfin les hommes doivent attendre et espérer le patrimoine de l’immortalité plutôt que celui des richesses.

Bède. Notre-Seigneur profite de l’occasion de cette demande inconsidérée pour prémunir par des préceptes et des exemples, la foule et ses disciples, contre le fléau contagieux de l’avarice : « Et s’adressant à tous ceux qui étaient présents, il leur dit : « Gardez-vous avec soin de toute avarice. » Remarquez ces paroles : « De toute avarice, » parce que bien des actions ont une apparence de droiture, mais leur intention vicieuse n’échappe pas à l’oeil pénétrant du juge intérieur. — S. Cyr. Ou bien encore : « Gardez-vous de toute avarice, grande ou petite, » car l’avarice est tout à fait inutile au témoignage du Seigneur lui-même : « Vous bâtirez des maisons magnifiques, et vous ne les habiterez pas. » (Am 5, 11.) Et ailleurs : « Dix arpents de vigne ne rapporteront qu’une mesure, la terre ne rendra plus que la dixième partie de la semence. » (Is 5, 10.) Le Sauveur donne une autre raison de l’inutilité de l’avarice : « Dans l’abondance même, la vie d’un homme ne dépend pas des biens qu’il possède. » Théophyl. Il condamne ici les vains prétextes des avares, qu’on voit entasser des richesses, comme s’ils devaient toujours vivre. Mais l’opulence peut-elle prolonger votre vie ? Pourquoi donc vous dévouer à des inquiétudes certaines pour un repos qui n’est rien moins que certain ? Car il est bien douteux que vous atteigniez la vieillesse pour laquelle vous amassez des trésors.

 

Vv. 16-21.

Théophyl. Notre-Seigneur confirme la vérité qu’il vient d’enseigner, que l’abondance des richesses ne peut prolonger la vie humaine, par la parole suivante « Il y avait un homme riche, dont les terres avaient rapporté beaucoup de fruits. » — S. Basil. (hom. 6 de l’avar.) Notre-Seigneur ne dit pas que cet homme voulut faire aucun bien avec ses grandes richesses, et il rend plus éclatante la longanimité de Dieu, qui étend sa bonté même aux méchants, et fait tomber sa pluie sur les justes et sur les coupables. Or, comment cet homme témoigne-t-il sa reconnaissance à son bienfaiteur ? Il oublie la nature qui lui est commune avec tous les hommes, il ne pense pas qu’il y a obligation pour lui à distribuer aux indigents son superflu ; ses greniers étaient surchargés par l’abondance de ses récoltes, mais son coeur insatiable n’était pas rempli. Il ne voulait rien donner des fruits anciens, tant était grande son avarice ; il ne savait ni recueillir les nouveaux, tant ils étaient abondants, aussi sa prudence est aux abois et ses soucis frappés de stérilité : « Et il s’entretenait lui-même de ces pensées : Que ferai-je ? car je n’ai point où serrer ma récolte. » Il s’inquiète à l’égard des pauvres ; n’est-ce pas là, en effet, ce que dit l’indigent : Que ferai-je ? Comment me procurer la nourriture et le vêtement ? Tel est aussi le langage de ce riche, il est comme accablé sous le poids de ses richesses, dont ses greniers regorgent et dont il ne veut point les laisser sortir pour le soulagement des misérables, semblables à ces gens avides et affamés, qui aimeraient mieux être victimes de leur voracité, que de laisser les restes de leur table aux indigents.

S. Grég. (Moral., xv, 13.) O inquiétudes, qui êtes le fruit de l’abondance et de la satiété ! En disant : « Que ferai-je ? » ne montre-t-il pas clairement qu’il est comme accablé par l’accomplissement de ses désirs, et qu’il gémit, pour ainsi dire, sous le fardeau de ses liens ? — S. Bas. (comme précéd.) Quoi de plus facile que de dire : J’ouvrirai mes greniers, je réunirai tous les pauvres ; mais non, une seule pensée le préoccupe, ce n’est point de distribuer le trop plein de ses greniers, c’est d’entasser sa nouvelle récolte : « Voici, dit-il, ce que je ferai : Je détruirai mes greniers. » Vous faites là une bonne action, ces greniers d’iniquité méritent d’être détruits ; abattez donc ces greniers d’où la consolation n’est jamais sortie pour personne. Il ajoute : « Et j’en ferai de plus grands. » Et si vous parvenez encore à les remplir, les détruirez-vous de nouveau ? Mais quelle folie que ce travail sans fin ? Vos greniers (si vous voulez), doivent être les maisons des pauvres. Vous me direz : A qui fais-je tort, en gardant ce qui m’appartient ? Car ce riche ajoute : « Et j’y amasserai le produit de mes terres et tous mes biens. » Dites-moi quels sont les biens que vous avez en propre ? De quelle source les avez-vous tirés pour les apporter dans cette vie ? Semblables à un homme qui, arrivant avant l’heure du spectacle, empêcherait les autres d’y venir, et prétendrait avoir la jouissance exclusive de ce qui est destiné au public, les riches regardent comme leur appartenant en propre des biens dont ils se sont emparé, lorsqu’ils étaient la propriété commune de tous les hommes. Si chacun ne prenait que ce qui suffit à ses besoins, et abandonnait tout le superflu aux indigents, il n’y aurait plus ni riche ni pauvre.

S. Cyr. Écoutez une autre parole inconsidérée de ce riche : « J’y amasserai tout le produit de mes terres et tous mes biens. » Ne semble-t-il pas qu’il n’est pas redevable à Dieu de ses richesses, et qu’elles sont le fruit de ses travaux ? — S. Bas. (comme précéd.) Mais si vous reconnaissez que vous les tenez de Dieu, est-ce que Dieu serait injuste en nous distribuant inégalement les biens de la fortune ? Pourquoi êtes-vous dans l’abondance, celui-ci dans la pauvreté, si ce n’est pour vous donner occasion d’exercer une générosité méritoire, à ce pauvre de recevoir un jour le prix glorieux de sa patience ? Or, n’êtes-vous pas un véritable spoliateur, en regardant comme votre propriété ces biens que vous n’avez reçus que pour en faire part aux autres ? Ce pain que vous conservez, appartient à cet homme qui meurt de faim ; cette tunique que vous serrez dans votre garde-robe, appartient à cet autre qui est sans vêtement ; cette chaussure qui dépérit chez vous, est à celui qui marche pieds nus ; cet argent que vous avez enfoui dans la terre, appartient aux indigents ; vous commettez donc autant d’injustices que vous pourriez répandre de bienfaits. — S. Chrys. Mais il se trompe encore en regardant comme des biens véritables, des choses tout à fait indifférentes. Il y a, en effet, des choses qui sont essentiellement bonnes, d’autres essentiellement mauvaises, d’autres enfin qui tiennent le milieu. La chasteté et l’humilité, et les autres vertus sont de véritables biens, et rendent bon celui qui les pratique. Les vices opposés à ces vertus sont essentiellement mauvais, et rendent également mauvais celui qui s’y livre. D’autres choses tiennent le milieu, comme les richesses, tantôt elles servent à faire le bien, l’aumône, par exemple, tantôt elles sont un instrument pour le mal, c’est-à-dire pour l’avarice. Il en est de même de la pauvreté, elle conduit tantôt au blasphème, tantôt à la véritable sagesse, selon les dispositions intérieures des personnes.

S. Cyr. Ce ne sont point des greniers permanents, mais de passagère durée, que ce riche construit, et ce qui est une folie plus insigne, il se promet une longue vie : « Et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années. » O riche, tes greniers, il est vrai, regorgent de fruits, mais qui peut te garantir plusieurs années de vie ? — S. Athan. (contre Antig.) Celui qui vit comme s’il devait mourir chaque jour, à cause de l’incertitude naturelle de la vie, ne commettra point ce péché ; car cette crainte de la mort prémunit contre l’attrait séduisant des voluptés ; mais au contraire, celui qui se promet une longue vie, aspire après les plaisirs de la chair. Écoutez en effet ce riche : « Mon âme, repose-toi, mange, bois, fais bonne chair, » c’est-à-dire fais des repas somptueux. — S. Bas. (comme précéd.) O riche, tu es si oublieux des biens de l’âme, que tu lui donnes en nourriture les aliments du corps ! Si cette âme est vertueuse, si elle est féconde en bonnes oeuvres, si elle s’attache à Dieu, elle possède alors de grands biens, et jouit d’une véritable joie ; mais comme tu es tout charnel et esclave de tes passions, tes désirs et tes cris viennent tout entiers du corps et non de l’âme. — S. Chrys. (hom. 39 sur la Ière Epît. aux Cor.) Il ne convient nullement de se plonger dans les délices, d’engraisser le corps et d’affaiblir l’âme, de lui imposer un lourd fardeau, de l’envelopper dans les ténèbres et de la couvrir d’un voile épais. Lorsque l’homme vit dans les délices, l’âme qui devait être reine, devient esclave, et le corps qui devait obéir, domine et commande. Les aliments sont nécessaires au corps, mais non pas les délices, il faut le nourrir, mais non pas le débiliter et l’amollir. Or, les délices sont nuisibles au corps autant qu’à l’âme ; de fort qu’il était, elles le rendent faible ; à la santé, elles font succéder la maladie ; à l’agilité, la pesanteur ; à la beauté, la laideur ; à la jeunesse, une vieillesse prématurée.

S. Bas. (comme précéd.) Cet homme a été laissé libre de délibérer sur toutes ces choses, et de faire connaître ses intentions, afin que son avarice insatiable reçût le juste châtiment qu’elle méritait. Tandis, en effet, qu’il parle ainsi dans le secret de son âme, ses pensées et ses paroles sont jugées dans le ciel, d’où lui vient cette réponse : « Insensé ! cette nuit même, on te redemandera ton âme. » Entendez-vous ce nom d’insensé que votre folie vous a mérité, ce ne sont pas les hommes, c’est Dieu lui-même qui vous l’a donné. — S. Grég. (Moral., XXII, 2. sur ces par. de Jb 26 : « Si j’ai regardé l’or, » etc.) Il fut enlevé cette nuit-là même, lui qui s’était promis de longues années, et tandis qu’il avait amassé des biens considérables pour un grand nombre d’années, il ne voit même pas le jour du lendemain. — S. Chrys. (disc. 2 sur Lazare.) « On te redemandera ton âme, » etc. Peut-être quelques puissances terribles étaient envoyées pour lui redemander son âme ; car si nous ne pouvons sans guide passer d’une ville à une autre, combien plus l’âme, séparée du corps, a-t-elle besoin d’être conduite vers les régions inconnues de l’autre vie. C’est pour cela que l’âme, sur le point de quitter le corps, résiste fortement, et rentre dans les profondeurs du corps ; car toujours la conscience de nos péchés nous fait sentir son aiguillon ; mais c’est surtout lorsque nous devons être traduits devant le tribunal redoutable du juste Juge, que toute la multitude de nos crimes vient se placer sous nos yeux et glacer notre âme d’effroi. Comme des prisonniers sont toujours dans les angoisses, surtout lorsqu’arrive pour eux le moment de paraître devant leur juge ; ainsi l’âme est alors attristée et torturée par le souvenir de ses péchés, mais bien plus encore lorsqu’elle est sortie du corps. — S. Grég. (Moral., xxv, 2.) Cette âme a été enlevée pendant la nuit, c’est-à-dire dans l’obscurité du coeur ; elle est séparée du corps pendant la nuit, parce qu’elle a fermé les yeux à la lumière de la raison qui aurait pu lui faire prévoir les supplices qu’elle s’exposait à souffrir.

 

Dieu ajoute : « Et ce que  tu as amassé, pour qui sera-t-il ? » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr. et hom. 23 sur la Gen.) Car vous laisserez tous ces biens, et non seulement vous n’en retirerez aucun avantage, mais vous serez accablé sous le poids de vos péchés. Toutes ces richesses que vous avez amassées, passeront le plus souvent aux mains de vos ennemis, mais c’est vous qui aurez à en rendre compte.

« Il en est ainsi de celui qui thésaurise pour soi, et qui n’est pas riche selon Dieu. » — Bède. C’est un insensé qui doit être enlevé dans la nuit. Que celui donc qui veut être riche selon Dieu, n’amasse pas de trésors pour lui ; mais qu’il distribue aux pauvres ceux qu’il possède. — S. Ambr. Pourquoi, en effet, amasser des richesses dont on ne sait faire aucun emploi ? Pouvons-nous regarder comme nous appartenant des choses que nous ne pouvons emporter avec nous ? La vertu seule nous accompagne au sortir de cette vie, la miséricorde seule nous suit, et nous conduit après la mort dans les tabernacles éternels (Lc 16, 9).

 

Vv. 22, 23.

Théophyl. Notre-Seigneur élève peu à peu ses disciples à une doctrine plus parfaite. Il leur a enseigné à se mettre en garde contre l’avarice, et leur a cité à l’appui la parabole du riche, pour leur démontrer plus clairement la folie de celui qui désire des choses superflues ; il va maintenant plus loin, il ne nous permet pas même la sollicitude pour le nécessaire, et arrache ainsi de nos coeurs, jusqu’à la racine de l’avarice : « C’est pourquoi je vous dis Ne vous mettez pas en peine, » etc. C’est-à-dire puisque vous avez compris la folie de celui qui se promettait une longue vie, et que cette espérance rendait encore plus avare ; ne vous mettez pas en peine pour votre âme de ce que vous mangerez. Notre-Seigneur s’exprime de la sorte, non que l’âme spirituelle et intelligente se nourrisse d’aliments corporels, mais parce que la nourriture de notre corps est une condition essentielle de l’union de l’âme et du corps ; ou bien encore, comme c’est le propre du corps animé de prendre de la nourriture, le Sauveur attribue à l’âme le soin de la nourriture ; car l’âme est appelée la vertu nutritive du corps, et ses paroles peuvent recevoir ce sens : « Ne vous mettez pas en peine pour la partie nutritive de votre âme, de ce que vous mangerez. » Le corps, au contraire, même privé de la vie, peut être couvert de vêtements ; aussi Notre-Seigneur ajoute : « Ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. » — S. Chrys. (hom. 22 sur S. Matth.) « Ne vous inquiétez pas, » ne veut pas dire : Ne travaillez pas ; mais : « Ne vous laissez pas absorber par les choses de la terre ; » en effet, on peut très-bien se livrer au travail, mais sans préoccupation, sans agitation d’esprit. — S. Cyr. La vie est supérieure à la nourriture, et le corps au vêtement, au témoignage du Sauveur : « La vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement, » c’est-à-dire : Dieu qui a fait le plus, ne dédaignera pas de faire le moins. Que des choses si peu importantes ne soient donc point l’objet unique de nos pensées, que notre esprit ne soit pas l’esclave du vêtement et de la nourriture, mais qu’il se préoccupe surtout des moyens de sauver l’âme et de l’élever jusqu’au royaume des cieux. — S. Ambr. Rien de plus propre à établir cette vérité, que Dieu accorde tout à ceux qui se confient en lui, que de voir ce souffle céleste qui, sans effort de notre part, perpétue l’union intime du corps et de l’âme, dans une communauté de vie à qui l’aliment nécessaire ne fait défaut, que lorsqu’arrive le jour de la séparation et de la mort. Puisque donc l’âme est enveloppée du corps comme d’un vêtement, et que le corps, à son tour, puise sa vie dans la vigueur de l’âme, n’est-ce pas une absurdité de craindre que la nourriture puisse nous faire défaut, alors que Dieu nous a donné et nous continue le bienfait précieux de la vie ?

 

Vv. 24-26.

S. Cyr. De même que dans ce qui précède, Notre-Seigneur a voulu produire dans l’esprit de ses disciples une foi vive et ferme à la Providence par l’exemple des oiseaux qui sont de peu de valeur, il se sert encore de la même comparaison, pour nous inspirer une ferme et inébranlable confiance en Dieu : « Considérez les corbeaux, ils ne sèment ni ne moissonnent (pour se procurer la nourriture), ils n’ont ni cellier ni grenier (pour mettre leur récolte), et Dieu les nourrit. « Combien ne valez-vous pas mieux qu’eux. » — Bède. C’est-à-dire, vous êtes d’un plus grand prix, car un être raisonnable tel que l’homme, occupe dans la nature un rang plus élevé que les êtres dépourvus de raison, comme sont les oiseaux.

S. Ambr. C’est là un grand exemple offert à notre foi. En effet, les oiseaux qui n’ont ni les travaux de la culture, ni de riches moissons, trouvent cependant leur nourriture dans le fond inépuisable de la providence divine. il est donc vrai que la cause de notre indigence, c’est notre avarice ; car pourquoi les oiseaux reçoivent-ils sans travail aucun une abondante pâture ? c’est parce qu’ils ne cherchent pas à s’approprier la possession des biens destinés à la nourriture commune de tous les êtres. Pour nous, au contraire, nous perdons nos droits à ces biens communs, en voulant les posséder en propre. Et d’ailleurs quelle propriété véritable pouvons-nous avoir, là où il n’y a rien de durable, quelles richesses assurées, là où tous les événements sont incertains ?

S. Chrys. (hom. 22 sur S. Matth.) Notre-Seigneur pouvait donner en exemple ces hommes qui ont professé une souveraine indifférence pour les choses de la terre, comme Élie, Moïse, Jean-Baptiste, et d’autres semblables, mais il préfère emprunter ses comparaisons aux oiseaux, suivant en cela l’exemple de l’Ancien Testament, qui renvoie l’homme à l’abeille et à la fourmi (Pv 6, 6.8), et à d’autres animaux qui ont reçu du Créateur des instincts qui leur sont propres. — Théophyl. Or, il cite l’exemple des corbeaux, de préférence aux autres oiseaux, parce que la providence de Dieu nourrit les petits des corbeaux avec un soin tout particulier. En effet, les corbeaux, après que leurs petits sont éclos, les abandonnent sans se mettre en peine de les nourrir, et c’est le vent qui, d’une manière vraiment merveilleuse, leur porte à travers les airs leur pâture qu’ils reçoivent dans leur bec entr’ouvert. Peut-être encore parle-t-il ainsi par synecdoche, en prenant la partie pour le tout. En effet, dans saint Matthieu (Mt 6), il nous renvoie aux oiseaux du ciel en général, ici, au contraire, il nous donne pour exemple les corbeaux, comme plus avides et plus voraces. — Eusébe. Peut-être aussi, l’exemple des corbeaux a-t-il une signification particulière ; car les oiseaux qui se nourrissent de graines et de plantes, trouvent plus facilement leur pâture ; tandis que les corbeaux qui sont carnivores, la trouvent avec plus de difficulté, et cependant ces derniers eux-mêmes ne manquent jamais de nourriture, grâce à cette providence de Dieu qui s’étend à tout. Il prouve ensuite la même vérité par un troisième raisonnement : « Qui de vous, pourrait avec tous ses soins, ajouter une coudée à sa taille ? »

S. Chrys. (hom. 22 sur S. Matth.) Remarquez que l’âme que Dieu nous a donnée, demeure toujours la même, tandis que le corps prend tous les jours de nouveaux accroissements, voilà pourquoi Notre-Seigneur passe sous silence l’âme qui n’est point susceptible d’accroissement, et ne parle que du corps ; et il nous donne à entendre que ce n’est point aux aliments seuls qu’il doit son accroissement, mais à la providence divine, par cette raison, que personne ne peut à l’aide de la nourriture ajouter quelque chose à sa taille : « Donc, conclut-il, si vous ne pouvez pas même les moindres choses, pourquoi vous inquiéter des autres ? » — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Comme s’il disait : Si aucun homme n’a pu par tous ses soins se donner sa teille, s’il ne peut, avec toute son industrie, ajouter un seul instant à la durée que Dieu a fixée à son existence, pourquoi s’inquiéter outre mesure des choses nécessaires à l’entretien de sa vie ? — Bède. Laissez donc le soin de gouverner votre corps à celui qui a pris soin de le créer, et de lui donner la taille qui lui convenait.

S. Aug. (quest. Evang., 2, 28.) Notre-Seigneur dit de l’accroissement du corps que c’est une chose moindre, parce qu’en effet, c’est pour Dieu une de ses moindres oeuvres que de créer des corps.

 

Vv. 27-31.

S. Chrys. (hom. 23, sur S. Matth.) Notre-Seigneur donne ici pour le vêtement, la même leçon qu’il vient de donner pour la nourriture : « Considérez les lis, comment ils croissent ; ils ne travaillent ni ne filent, » pour se faire des vêtements. En nous proposant dans ce qui précède l’exemple des oiseaux qui ne sèment, ni ne moissonnent, le Sauveur n’a point condamné l’ensemencement des champs, mais les soins superflus ; de même ici en nous proposant celui des lis qui ne travaillent point, et ne filent point, il ne condamne pas le travail, mais les vaines sollicitudes.

Eusèbe. Que celui qui désire se parer de vêtements précieux considère que Dieu étendant sa providence jusqu’aux fleurs qui naissent sur la terre, les a ornées de couleurs variées en donnant à leurs membranes délicates, des teintes plus vives que celles de la pourpre et de l’or, à ce point que les plus grands rois, et Salomon lui-même qui fut si célèbre parmi les anciens par ses richesses, sa sagesse et sa magnificence, n’eurent jamais une si riche parure, au témoignage de Notre-Seigneur : « Je vous déclare que Salomon même, dans toute sa gloire, n’était pas vêtu comme l’un deux. »

S. Chrys. (comme précéd.) Pourquoi Notre-Seigneur n’apporte pas ici l’exemple des oiseaux, tels que le cygne et le paon, mais celui des lis ? C’est pour faire ressortir davantage ces deux extrêmes, la fragilité des choses qui brillent d’un si vif éclat, et la richesse de la parure qu’il a donnée aux lis. Aussi dans la suite de son discours, il ne les appelle plus les lis ; mais l’herbe des champs : « Or, si l’herbe qui est aujourd’hui dans les champs. » Il ne dit pas non plus : Et qui ne sera plus demain, mais : « Qui demain sera jetée au feu. » Remarquez encore qu’au lieu de dire simplement : Si Dieu la revêt, il emploie cette locution plus expressive : « Si Dieu la revêt ainsi, » et qu’il ajoute : « Combien plus le fera-t-il pour vous, » paroles qui expriment à la fois l’excellence du genre humain, et la providence dont il est l’objet. Enfin, au lieu des reproches que méritaient ses disciples, il leur parle avec douceur, et les accuse, non pas de leur manque absolu de foi, mais de leur peu de foi : « Combien plus le ferait-il pour vous hommes de peu de foi ? » Langage persuasif qui a pour objet de nous ôter la préoccupation des vêtements et de l’éclat des vaines parures. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Il suffit aux sages en effet d’avoir, pour satisfaire à la nécessité, des vêtements convenables et simples, et la nourriture dont ils ont besoin. Et quant aux saints ils se contentent de ces délices spirituelles que donne l’union avec Jésus-Christ, et de la gloire qui doit les suivre. — S. Ambr. Notre-Seigneur met une simple fleur en comparaison avec l’homme, il lui donne même la préférence sur l’homme dans la personne de Salomon, pour nous faire voir dans l’éclat de ses vives couleurs une image de la grâce des anges du ciel, qui sont véritablement les fleurs de ce monde, parce qu’ils en sont l’ornement par l’éclat de leur perfection, qu’ils répandent partout le parfum de leur sainteté, et que sans être préoccupés d’aucun souci, ni fatigués d’aucun travail, ils conservent en eux les dons de la libéralité divine et de leur nature toute céleste. Aussi est-ce avec raison qu’il est dit ici que Salomon était revêtu, et dans saint Matthieu (Mt 6, 9), qu’il était couvert de sa gloire, parce qu’en effet il revêtait de la gloire de ses oeuvres la faiblesse de sa nature corporelle, qui était comme couverte et enveloppée par les vertus de son âme. Quant aux anges dont la nature plus parfaite est exempte des infirmités du corps, ils sont justement mis au-dessus du plus grand des hommes. Cependant nous ne devons pas pour cela désespérer de la miséricorde de Dieu, nous à qui Dieu promet par la grâce de la résurrection, des qualités aussi éclatantes que celles des anges.

S. Cyr. Il eût été contraire à la raison que les Apôtres, qui devaient donner aux autres la règle et l’exemple d’une vie parfaite, se rendissent coupables des défauts dont ils devaient préserver les autres. Aussi écoutez la recommandation du Sauveur : « Ne vous mettez donc pas en peine de ce que vous mangerez, ou de ce que vous boirez. » En détachant ainsi ses disciples des préoccupations de la terre, il les applique tout entiers aux intérêts de la prédication. Remarquez cependant qu’il ne dit pas : Ne vous occupez pas, ne vous inquiétez point de la nourriture, ou de la boisson, ou du vêtement ; mais : « Ne vous mettez pas en peine de ce que vous mangerez, ou de ce que vous boirez. » Paroles qui condamnent ceux qui, dédaignant la manière de vivre, ou de se vêtir du commun des hommes, recherchent un genre de nourriture, ou de vêtement plus somptueux, ou plus austère que ne l’adoptent ceux au milieu desquels ils vivent.

S. Grég. de Nyss. (1 Disc. sur l’orais. dom.) Il en est qui ont demandé et obtenu en priant la puissance, les honneurs, les richesses, pourquoi donc nous défend-on d’en faire l’objet de nos prières ? Que tous ces biens dépendent de la volonté divine, il n’est personne qui n’en soit convaincu ; cependant Dieu les accorde à ceux qui les demandent, afin que nous nous élevions au désir de biens plus parfaits, en voyant que Dieu nous accorde des grâces bien moins importantes ; c’est ainsi que nous voyons les enfants, aussitôt qu’ils sont nés, s’attacher de toutes leurs forces au sein maternel, mais lorsque l’enfant grandit, il laisse le sein de sa mère, et demande des parures ou quelqu’autre chose qui charme ses yeux ; lorsqu’enfin son esprit s’est développé avec le corps, il rompt avec tous les désirs de l’enfance, et demande à ses parents ce qui est en rapport avec son âge plus parfait.

S. Aug. (quest. évang., 2, 29.) Après avoir défendu toute sollicitude de la nourriture et du vêtement, Notre-Seigneur nous recommande conséquemment d’éviter l’orgueil : « Ne vous élevez pas si haut. » Car l’homme recherche d’abord ces choses pour satisfaire à ses besoins, mais lorsqu’il les a en abondance, il en conçoit de l’orgueil, semblable à un homme qui, s’étant blessé, se vanterait d’avoir quantité de remèdes dans sa maison, alors qu’il lui serait mille fois plus avantageux d’être sans blessure, et de n’avoir point besoin de remèdes. — Théophyl. Ou bien cette élévation de l’esprit que le Sauveur défend, c’est un mouvement inconstant de l’âme qui embrasse une foule de pensées, et passe de l’une à l’autre pour nourrir son orgueil. — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Voulez-vous bien comprendre en quoi consiste cette élévation, rappelez-vous la vanité de vos jeunes années, alors qu’étant seul, vous pensiez à la vie et à ses honneurs, promenant vos désirs de dignité en dignité, amassant des richesses, bâtissant des palais, comblant de bienfaits vos amis, et vous vengeant de vos ennemis. Or, de telles pensées sont coupables, parce qu’en mettant son plaisir dans les choses superflues, l’âme s’éloigne de la vérité ; aussi Notre-Seigneur ajoute : « Car ce sont ces choses que les nations du monde recherchent. » — S. Grég. de Nyss. Car c’est le propre de ceux qui n’ont ni l’espérance de la vie future, ni la crainte du jugement, de s’inquiéter de tous ces biens extérieurs. — S. Bas. Quant aux choses nécessaires : « Votre Père sait que vous en avez besoin. » — S. Chrys. (hom. 23, sur S. Matth.) Il ne dit pas : Votre Dieu, mais : « Votre Père, » pour leur inspirer une plus grande confiance, car quel est le Père qui laisserait manquer ses enfants du nécessaire ? Et vous ne pouvez pas objecter qu’il est Père, il est vrai, mais qu’il ne connaît pas vos besoins ; car celui qui a créé notre nature, sait bien ce qui lui est nécessaire.

S. Ambr. Notre-Seigneur montre ensuite que la providence et la grâce de Dieu ne feront jamais défaut aux fidèles, ni pour le temps présent, ni pour l’avenir, à la condition toutefois qu’en désirant les biens du ciel, ils ne chercheront pas avec inquiétude les biens de la terre, car il serait honteux à des hommes qui combattent pour un royaume de s’inquiéter de la nourriture. Est-ce que le roi ne sait pas comment il doit entretenir, nourrir et vêtir sa maison ? « Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ce n’est pas seulement son royaume, mais des richesses que Jésus-Christ nous promet ; car si nous-mêmes nous nous faisons un devoir de délivrer de tout souci, ceux qui sacrifient leurs intérêts pour s’occuper des nôtres, à plus forte raison Dieu agira-t-il de la sorte. — Bède. Il distingue dans les dons de Dieu, ce qui est essentiel de ce qui n’est que de Surcroît, parce qu’en effet nous devons nous proposer les biens éternels comme la fin de notre vie, et faire simplement usage des biens du temps présent.

 

Vv. 32-34.

La Glose. Après avoir banni du coeur de ses disciples la sollicitude des choses de la terre, Notre-Seigneur en exclut la crainte, qui est le principe des vaines inquiétudes : « Ne craignez point, petit troupeau, » etc. — Théophyl. Notre-Seigneur appelle petit troupeau ceux qui veulent devenir ses disciples, ou bien à cause de la pauvreté volontaire qu’ils ont embrassée, ou parce qu’ils sont au-dessous de la multitude des anges, dont la nature est incomparablement supérieure à la nôtre. — Bède. Notre-Seigneur appelle encore petit le troupeau des élus, soit par comparaison avec le grand nombre des réprouvés, soit plutôt à cause de l’amour des élus pour l’humilité.

S. Cyr. Il leur donne ensuite la raison qui doit bannir de leur coeur tonte crainte : « Parce qu’il a plu à votre Père de vous donner son royaume. » Comme s’il leur disait : Comment celui qui vous destine un si précieux héritage pourrait-il refuser de vous traiter avec bonté ? Car bien que ce troupeau soit petit (par la nature, le nombre, et l’éclat), cependant c’est à ce petit troupeau que la bonté du Père a donné l’héritage des esprits célestes, c’est-à-dire, le royaume des cieux. Si vous voulez donc posséder le royaume des cieux, méprisez les richesses de la terre : « Vendez ce que vous avez, » etc. — Bède. Notre-Seigneur veut leur dire : Ne craignez pas qu’en combattant pour le royaume de Dieu, vous manquiez jamais du nécessaire ; loin de là, vendez même ce que vous avez, conseil qui est noblement pratiqué par celui qui, non content d’avoir fait pour Dieu le sacrifice de tous ses biens, travaille ensuite de ses mains pour suffire à ses besoins et pouvoir encore donner l’aumône. — S. Chrys. (hom. 25, sur les Actes.) Il n’est point de péché que l’aumône ne puisse effacer, c’est un remède efficace pour toutes les blessures. Or, on ne fait pas seulement l’aumône en donnant de l’argent, mais en faisant des oeuvres de charité, en défendant le faible, en guérissant les malades, en donnant un sage conseil.

 

S. Grég. de Nazianze. (Disc. sur l’am. des pauv.) Je crains que vous ne regardiez la pratique de la miséricorde non comme obligatoire, mais comme facultative ; c’était d’abord aussi mon avis, mais je suis épouvanté par la vue des boucs placés à la gauche du Sauveur, non pour avoir ravi le bien d’autrui, mais pour avoir négligé d’assister Jésus-Christ dans la personne des pauvres. — S. Chrys. (hom. sur S. Matth.) Sans l’aumône en effet, il est impossible de posséder le royaume ; une source qui retient ses eaux, se corrompt, il en est de même de ceux qui conservent leurs richesses pour eux-mêmes.

S. Bas. (Régl. abrég., 92.) On me demandera peut-être pour quel motif il faut vendre ce que l’on possède ? Est-ce parce que les biens de la terre sont naturellement mauvais, ou à cause des tentations dont ils peuvent-être la source ? Je réponds premièrement, que si une seule des choses qui existent dans le monde, était essentiellement mauvaise, elle cesserait par là même d’être créature de Dieu, car toute chose créée de Dieu est bonne (2 Tm 4) ; secondement que le sauveur en nous disant : « Faites l’aumône, » ne nous commande pas de nous dépouiller de nos richesses comme si elles étaient mauvaises, mais de les distribuer aux pauvres.

S. Cyr. Peut-être ce commandement paraîtra-t-il dur aux riches ; cependant quels avantages il offre à des esprits raisonnables, puisqu’ils peuvent ainsi gagner le royaume des cieux : « Faites-vous des bourses que le temps n’use point ? » etc. — Bède. En faisant des aumônes dont la récompense durera éternellement, il ne faut pas croire cependant qu’il soit défendu ici aux chrétiens de rien avoir en réserve, soit pour leur usage, soit pour celui des pauvres, puisque le Seigneur lui-même, qui était servi par les anges (Mt 4), avait cependant une bourse (Jn 12), pour conserver les offrandes des âmes fidèles. Notre-Seigneur veut simplement dire qu’on ne doit ni servir Dieu en vue de ces biens, ni abandonner la pratique de la justice dans la crainte de les perdre. — S. Grég. de Nyss. (ch. des Pèr. gr.) Il leur recommande de placer leurs biens et leurs richesses terrestres dans le ciel où la corruption ne pourra les atteindre : « Faites-vous un trésor qui subsiste dans les cieux. » — Théophyl. C’est-à-dire : Ici bas les vers peuvent ronger ces biens, mais ils ne les rongent pas dans le ciel, et comme il y a des biens qui sont à l’épreuve des vers, il ajoute : « Et où les voleurs n’ont point d’accès, » car l’or ne peut-être rongé par les voleurs, mais il peut être enlevé par les voleurs.

Bède. Il faut donc entendre simplement ce passage, dans ce sens que l’argent mis en réserve se perd, tandis que s’il est donné au prochain, il produit des fruits éternels pour le ciel ; ou encore, que le trésor des bonnes oeuvres, s’il est amassé en vue d’un avantage terrestre, se corrompt facilement et se perd, tandis que s’il est acquis en vue du ciel, il ne peut être atteint ni extérieurement par la vaine estime des hommes (semblable au voleur qui ravit au dehors), ni intérieurement par la vaine gloire (qui, comme le ver, ronge et déchire au dedans.) — La Glose. Ou bien les voleurs sont les hérétiques et les démons, qui ne cherchent qu’à nous dépouiller des biens spirituels : le ver qui ronge secrètement les vêtements, c’est l’envie qui ronge et déchire le zèle où le fruit des bonnes oeuvres et réduit le lien de l’unité (Ep 4, 46.)

Théophyl. Mais comme il est des biens qui ne peuvent être enlevés par les voleurs, Notre-Seigneur donne une raison plus décisive et qui ne souffre aucune réplique : « Là où est votre trésor, là est votre coeur ; » comme s’il leur disait : Soit, que vos biens ne soient ni rongés par les vers, ni enlevés par les voleurs, mais quel supplice ne mérite pas celui qui attache son coeur à un trésor qu’il a enfoui, et qui ensevelit ainsi dans la terre son âme, oeuvre de Dieu par excellence ? — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) En effet, tout homme devient naturellement l’esclave de ce qui fait l’objet de ses affections ; il applique toute son âme aux choses dont il espère retirer de plus grands avantages. Si donc il met dans les biens de la vie présente toute son âme, et toutes ses intentions, il est tout entier plongé dans les choses de la terre. Si, au contraire, il dirige toutes les facultés de son âme vers les choses du ciel, il y aura aussi son coeur, il paraîtra vivre avec les hommes par le corps seul, tandis que par son âme, il sera déjà en possession des demeures célestes. — Bède. Cette vérité ne s’applique pas seulement aux richesses, mais à toutes les passions ; les festins sont les trésors de l’homme sensuel ; les vains amusements, les trésors de l’homme dissolu ; la volupté, le trésor de l’impudique.

 

 

Vv. 35-40.

Théophyl. Après avoir établi ses disciples dans une sage modération, en les délivrant de tous les soins et de toutes les sollicitudes de la vie, le Seigneur les prépare aux oeuvres du ministère en leur disant : « Ceignez vos reins, » c’est-à-dire, soyez toujours prêts à accomplir les oeuvres de votre Maître, « et ayez dans vos mains des lampes allumées, » c’est-à-dire ne passez pas votre vie dans les ténèbres, mais ayez toujours la lumière de la raison pour vous montrer ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter. Le monde, en effet, est une nuit profonde ; avoir aux reins la ceinture, c’est être prêts pour la vie active et pratique. Telle est en effet la tenue des serviteurs, ils doivent avoir aussi des lampes allumées, c’est-à-dire le don de la discrétion, pour pouvoir distinguer dans la pratique, non seulement ce qu’il faut faire, mais comment il faut le faire ; autrement on s’expose à tomber dans le précipice de l’orgueil. Remarquez encore que Notre-Seigneur commande premièrement de ceindre les reins ; en second lieu, d’avoir des lampes allumées, parce que la contemplation qui est la lumière de l’âme, ne vient qu’après l’action. Appliquons-nous donc à pratiquer la vertu, de manière à ce que nous ayons toujours deux lampes allumées ; l’intelligence qui éclaire toujours notre âme, et la doctrine qui répand la lumière dans l’âme des autres. — S. Max. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien encore, il nous enseigne à porter toujours des lampes allumées, par notre application à la prière, à la contemplation, et par la charité. — S. Cyr. (du liv. de l’ador. en esprit.) Ou bien, l’action de ceindre ses reins est un symbole de l’empressement et de la résolution avec lesquelles nous devons supporter les maux de la vie par un motif d’amour de Dieu ; les lampes figurent la vive lumière que nous devons projeter, de manière à ne laisser personne vivre dans les ténèbres de l’ignorance. — S. Grég. (hom. 43 sur les Evang.) Ou bien dans un autre sens, nous ceignons nos reins, lorsque nous comprimons par la continence les passions de la chair, car la source de la luxure pour les hommes est dans les reins, et pour les femmes dans l’ombilic (cf. Jb 40, 11) ; c’est donc à cause du sexe le plus noble, que la luxure se trouve figurée par les reins. Mais comme il ne suffit pas de ne pas faire le mal, et qu’il faut encore s’appliquer de toutes ses forces à la pratique des bonnes oeuvres, le Sauveur ajoute : « Ayez dans vos mains des lampes allumées, » car nous tenons dans nos mains des lampes allumées, lorsque par nos bonnes oeuvres nous donnons au prochain des exemples éclatants de lumière. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 25.) Ou bien encore, il nous commande de ceindre nos reins, en ne nous laissant point aller à l’amour des choses du monde ; et d’avoir des lampes allumées, c’est-à-dire d’agir en cela pour une fin louable, et avec une intention droite.

S. Grég. (hom. 43 sur les Evang.) Si quelqu’un accomplit fidèlement ces deux commandements, il ne lui reste plus qu’à placer toute son espérance dans la venue du Rédempteur : « Soyez semblables, leur dit-il, à des hommes qui attendent que leur maître revienne des noces, » etc. Notre-Seigneur est parti pour des noces, parce qu’en montant aux cieux, son humanité renouvelée s’est uni la multitude des esprits célestes. — Théophyl. Tous les jours encore, il épouse les âmes des saints, que lui présente comme des vierges chastes saint Paul (2 Co 11, 2), ou tout autre de ses ministres. Il revient des noces qu’il a célébrées dans le ciel, soit quand à la fin du monde, il reviendra pour tous les hommes dans la gloire de son Père ; soit lorsqu’à chaque heure du temps présent, il revient inopinément pour la mort de chacun de nous. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Remarquez encore qu’il revient des noces comme d’une fête qui est l’état permanent de la divinité ; car rien ne peut attrister cette nature incorruptible. — S. Grég. de Nysse. (hom. 11 sur le Cant.) Ou bien encore, après qu’il eut terminé ses noces, épousé l’Église, et qu’il l’eut admise dans son lit mystérieux, les anges attendaient le retour de leur roi dans le séjour de sa béatitude naturelle. Or, nous devons rendre notre vie semblable à celle des anges ; et comme en vivant dans l’innocence ils sont toujours prêts à recevoir leur Maître à son retour, ainsi nous devons veiller nous-mêmes à l’entrée de sa maison, et nous préparer à lui obéir promptement lorsqu’il viendra frapper à la porte : « Afin, dit-il, que dès qu’il arrivera et frappera à la porte, ils lui ouvrent aussitôt. »

 

S. Grég. (hom. 13 sur les Evang.) Notre-Seigneur est de retour, lorsqu’il vient pour nous juger ; il frappe lorsque la gravité de la maladie nous avertit que la mort est proche ; nous lui ouvrons aussitôt, si nous le recevons avec amour ; car l’âme qui craint de sortir du corps, ne veut pas ouvrir au juge qui frappe à la porte, et elle redoute de paraître devant ce juge qu’elle se souvient d’avoir méprisé pendant sa vie ; mais celui à qui son espérance et ses oeuvres inspirent une humble confiance, ouvre à son juge aussitôt qu’il frappe, parce qu’en voyant le temps de sa mort approcher, il se réjouit de voir aussi approcher la gloire de la récompense. Aussi le Sauveur ajoute-t-il : « Heureux ces serviteurs, que le maître, à son retour, trouvera veillants. » Celui-là veille qui tient les yeux de son âme ouverts pour contempler la lumière véritable, qui conforme sa conduite à sa croyance, et repousse loin de lui les ténèbres de la tiédeur et de la négligence. — S. Grég. de Nysse. C’est pour nous faciliter la pratique de cette vigilance, que Notre-Seigneur nous avertit précédemment de ceindre nos reins, et d’avoir des lampes allumées ; car la lumière qui brille devant nos yeux en éloigne le sommeil, et la ceinture que nous mettons autour de nos reins, empêche le corps de dormir. Ainsi celui qui a la chasteté pour ceinture, et une conscience pure pour flambeau, ne se laisse jamais aller au sommeil.

S. Cyr. Si donc le Seigneur trouve à son retour ses serviteurs éveillés, la ceinture aux reins, et la lumière dans le coeur, il les proclamera bienheureux : « Je vous le dis en vérité, il se ceindra lui-même, » c’est-à-dire qu’il agira envers nous, comme nous aurons agi à son égard, en se ceignant les reins pour ceux qui se seront ainsi disposés à le recevoir. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) En effet, il aura pour ceinture autour de ses reins la justice, selon la prophétie d’Isaïe (Is 11.) — S. Grég. Il prend pour ceinture la justice, c’est-à-dire qu’il se prépare à rendre à chacun ce qui lui est dû. — Théophyl. Ou bien il se ceindra, dans ce sens qu’il ne versera pas toute l’abondance de ses biens, mais qu’il la retiendra dans une certaine mesure ; car qui pourrait contenir Dieu dans toute sa grandeur ? Aussi voyons-nous les séraphins se voiler la face devant l’éclat des splendeurs divines. (Is 6.) « Et il les fera mettre à table, » etc. De même qu’en s’asseyant, on fait reposer tout le corps ; ainsi lors du second avènement les saints jouiront d’un repos complet. Ici-bas, en effet, leur corps n’a pas eu de repos, mais alors leurs corps devenus spirituels et revêtus d’incorruptibilité, jouiront avec leurs âmes d’un repos parfait. S. Cyr. Il les fera mettre à table, pour réparer leurs forces épuisées, pour servir dés délices spirituelles, et dresser devant eux la table somptueuse et richement servie de ses grâces et de ses dons. — S. Denis (sur l’Epît. à Tit.) Cette action de se mettre à table, figure le repos après tous les travaux, une existence sans douleur, une vie divine dans la lumière et la région des vivants, avec toutes les saintes affections, et l’abondance de tous les dons, source d’une joie parfaite. Voilà ce que fera Jésus en les faisant asseoir à table, il les mettra en possession d’un repos éternel, et leur distribuera la multitude de ses dons : « Et passant de l’un à l’autre, il les servira. » Théophyl. Il leur rendra pour ainsi dire la pareille ; ils l’ont servi sur la terre, il les servira lui-même dans le ciel. — S. Grég. (hom. 13.) Il passe lorsqu’après le jugement, il retourne dans son royaume ; ou bien le Seigneur passe pour nous après le jugement, lorsqu’il nous élève de la vue de son. humanité jusqu’à la contemplation de sa divinité.

S. Cyr. Notre-Seigneur connaît le penchant de la fragilité humaine pour le péché ; mais comme il est bon, loin de nous laisser tomber dans le désespoir., il a pitié de notre faiblesse, et il nous donne la pénitence comme remède salutaire, c’est pour cela qu’il ajoute : « Et s’il vient à la seconde veille, et s’il vient à la troisième, » etc. Ceux qui font sentinelle la nuit sur les murailles des villes, pour observer les attaques des ennemis, partagent la nuit en trois ou quatre veilles. — S. Grég. (hom. 13.) La première veille est donc le premier âge de notre vie, c’est-à-dire l’enfance ; la seconde veille, c’est l’adolescence ou la jeunesse ; la troisième est la vieillesse. Que celui donc qui n’a pas été vigilant pendant la première veille, soit attentif à veiller pendant la seconde, et que celui qui a laissé passer la seconde veille, ne perde pas les ressources que lui offre la troisième ; et s’il a négligé de se convertir à Dieu dans son enfance, qu’il revienne à lui au moins dans sa jeunesse ou dans ses dernières années. — S. Cyr. Le Sauveur ne parle cependant pas de la première veille, parce que l’enfance est plutôt digne de pardon que de châtiment, mais pour le second et le troisième âge de la vie, ils doivent obéir à Dieu, et par la pratique des vertus, conformer leur vie à sa divine volonté. — Sévère d’Ant. On peut dire encore qu’à la première veille appartiennent ceux dont la vie est plus parfaite et qui occupent le premier rang, à la seconde, ceux dont la vertu est ordinaire ; à la troisième, ceux qui leur sont inférieurs, et ainsi de la quatrième et de la cinquième (si toutefois elle existe) ; car il y a divers degrés dans la vertu, et le juste rémunérateur rend à chacun suivant son mérite. — Théophyl. Ou bien encore, comme les veilles sont les heures de la nuit qui portent les hommes au sommeil, on peut dire qu’il y a dans notre vie certaines circonstances qui nous rendent heureux, si nous sommes vigilants et attentifs à en profiter. Ainsi on vous a dérobé vos biens, la mort vous a enlevé vos enfants, vous êtes injustement accusé ; si au milieu de ces épreuves vous ne faites rien qui soit contraire aux commandements de Dieu, il vous trouve attentifs à veiller dans la seconde et la troisième veille, c’est-à-dire dans ce temps plein de dangers où les âmes négligentes se laissent aller à un sommeil pernicieux,

S. Grég. (hom. 13 sur les Evang.) Or, pour secouer la tiédeur de notre âme, le Sauveur nous en fait voir les funestes effets par une comparaison prise des pertes extérieures que nous pouvons faire « Sachez que si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait, » etc. — Théophyl. Il en est qui veulent que le voleur dont il est ici question, soit le démon ; la maison, notre âme, et le père de famille, l’homme ; mais cette explication ne paraît pas s’accorder avec la suite ; car l’avènement du Seigneur est comparé dans les Écritures à un voleur qui vient à l’improviste, comme dans ces paroles de l’Apôtre : « Le jour du Seigneur viendra comme un voleur pendant la nuit. » Aussi Notre-Seigneur ajoute : « Et vous aussi soyez donc prêts, parce qu’à l’heure que vous ne pensez pas, le Fils de l’homme viendra. » — S. Grég. (comme précéd.) Ou encore, le voleur force la maison à l’insu du père de famille, parce qu’en effet, tandis que l’âme endormie néglige de veiller sur elle-même, la mort vient à l’improviste forcer la maison de notre corps. Elle aurait pu résister à l’attaque du voleur, si elle eût été vigilante ; car en se mettant en garde contre l’arrivée du juge qui vient prendre en secret les âmes, elle eût été au devant de lui par le repentir, et ne serait point morte dans l’impénitence. Or, le Seigneur a voulu que notre dernière heure nous fût inconnue, afin que cette incertitude même fût pour nous un motif de nous y préparer sans cesse.

 

Vv. 41-46.

Théophyl. Pierre à qui le Sauveur avait déjà confié le soin de l’Église (cf. Mt 16), agit comme s’il en avait déjà la responsabilité, et demande à son divin Maître si cette parabole s’adressait à tous : « Alors Pierre lui dit : Seigneur est-ce pour nous que vous dites cette parabole, ou pour tout le monde ? » — Bède. Dans ce qui précède, Notre-Seigneur avait donné deux avertissements distincts, qu’il viendrait à l’improviste et qu’ils devaient être toujours prêts à le recevoir. Or, il est difficile de dire, si Pierre a en vue ces deux vérités ou l’une des deux seulement, quand il fait cette question, et quels sont ceux qu’il met en opposition avec lui et avec ses compagnons quand il dit : « Est-ce pour nous que vous dites cette parabole, ou pour tout le monde ? » Les expressions nous et tous ne peuvent guère désigner que les Apôtres et les continuateurs de leur ministère, et le reste des fidèles, ou les chrétiens et les infidèles, ou ceux qui meurent successivement et un à un, et qui acceptent volontiers ou à contre coeur l’avènement de leur juge, et ceux qui seront encore vivants, lors du jugement universel. Or, il serait étrange que Pierre ait pu douter que nous devions tous vivre avec tempérance, piété et justice (Tt 2, 12), en attendant la félicité que nous espérons, ou que l’heure du jugement viendrait pour tous à l’improviste. Donc puisque ces deux choses lui étaient parfaitement connues, il faut nécessairement admettre que sa question a pour objet les choses qu’il ne savait pas, c’est-à-dire, si les préceptes sublimes d’une vie plus parfaite, comme de vendre ce qu’on possède, se faire des bourses qui ne s’usent pas, avoir les reins ceints et porter des lampes allumées, s’adressent aux Apôtres et à ceux qui remplissent le même ministère, ou à tous les chrétiens en général.

S. Cyr. Les âmes fortes sont faites pour ce qu’il y a de plus difficile et de plus élevé dans les commandements de Dieu, mais pour ceux qui n’ont point encore atteint ce haut degré de vertu, ils ne peuvent accomplir que des préceptes plus faciles. Aussi le Seigneur se sert d’une comparaison des plus claires, pour bien établir que les commandements qui précèdent s’adressent à ceux qu’il a élevés à la dignité de ses disciples : « Le Seigneur lui répondit Quel est à votre avis le dispensateur fidèle et prudent ? » etc. — S. Ambr. Ou bien dans un autre sens, les préceptes qu’il vient de donner, s’adressent à tous, mais celui qu’il donne par la comparaison suivante s’adresse spécialement aux dispensateurs, c’est-à-dire aux prêtres : « Et le Seigneur lui répondit : Quel est à votre avis le dispensateur fidèle et prudent que le maître a établi sur tous ses serviteurs, pour leur distribuer, dans le temps, leur mesure de froment ? » — Théophyl. La parabole précédente s’adressait à tous les fidèles, mais écoutez ce qui vous regarde particulièrement, vous qui êtes apôtres ou docteurs. Je demande donc où l’on pourra trouver un dispensateur qui réunisse tout à la fois la fidélité et la prudence. Dans l’administration des biens de la terre, l’imprudence même avec la fidélité, ou la prudence avec l’infidélité, amènent également la ruine de la fortune du maître ; il en est de même dans les choses divines qui demandent tout à la fois de la fidélité et de la prudence. J’ai connu un grand nombre de bons et fidèles serviteurs de Dieu, mais qui, incapables de traiter avec prudence les affaires ecclésiastiques, non seulement perdaient les biens de l’Église, mais encore les âmes elles-mêmes, en exerçant à l’égard des pécheurs un zèle indiscret, soit en leur imposant des pénitences exagérées, soit en ayant pour eux une douceur inopportune.

 S. Chrys. (hom. 78, sur S. Matth.) Le Sauveur fait cette question, non pas qu’il ignore quel est le dispensateur fidèle et prudent, mais il veut nous faire entendre la rareté de la chose, et l’importance de cet emploi. — Théophyl. Tout dispensateur fidèle et prudent doit donc se mettre à la tête des serviteurs de son maître, pour leur donner dans le temps convenable la mesure de froment, c’est-à-dire l’enseignement de la doctrine qui est la nourriture des âmes, ou l’exemple des bonnes oeuvres pour être la règle de la vie. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 26.) Il dit : « La mesure de froment, » parce que la capacité varie suivant les auditeurs. — S. Isidor. (liv. 3, lett. 70 ; liv. 4, lett. 145.) Il ajoute : « Dans le temps, » parce qu’un bienfait qui ne vient pas en son temps, est rendu inutile, et perd le nom de bienfait ; de même que le pain est désirable pour celui qui a faim, tandis qu’il l’est très-peu pour celui qui est rassasié.

 

Quant à la  récompense de ce dispensateur fidèle et prudent, la voici : « Heureux ce serviteur que le maître, lorsqu’il viendra, trouvera agissant ainsi. » — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Il ne dit pas qu’il trouvera agissant par hasard, mais « agissant ainsi ; » car il ne suffit pas de vaincre, il faut encore combattre suivant les règles : c’est-à-dire faire chacune de ses actions, comme Dieu nous l’ordonne. — S. Cyr. Si donc le serviteur fidèle et prudent distribue en son temps avec prudence aux serviteurs leur nourriture, c’est-à-dire les aliments spirituels, il sera heureux suivant la promesse du Sauveur, c’est-à-dire qu’il obtiendra un emploi supérieur, et recevra la récompense réservée aux amis. « Je vous le dis en vérité ; qu’il l’établira sur tous les biens qu’il possède. » Bède. Il y a une grande différence de mérites entre les bons auditeurs et les bons docteurs, cette différence existera également dans les récompenses. Pour les premiers, s’il les trouve attentifs à veiller, il les fera mettre à table, mais pour les dispensateurs fidèles et prudents, il les établira sur tout ce qu’il possède, c’est-à-dire sur toutes les joies du royaume des cieux, non pas pour qu’ils en aient la possession exclusive, mais pour qu’ils en jouissent plus pleinement pendant l’éternité que les autres saints. — Théophyl. Ou bien, « il l’établira sur tous ses biens, » non seulement sur sa maison, mais il soumettra à son commandement les créatures du ciel et de la terre. Tel fut Josué fils de Nave (Si 46, 1 ; Jos 10, 12 ; 3 R 17, 2 ; 18, 24 ; Jc 5, 17.18), tel fut encore Élie, l’un commandant au soleil, l’autre aux nuées du ciel ; de même tous les saints usent des créatures comme des amis de Dieu. Tel est encore tout homme dont la vie est vertueuse, et qui gouverne sagement ses serviteurs, c’est-à-dire la colère et la concupiscence, et qui donne à chacun dans son temps la mesure de froment, à la colère, en tournant ses efforts contre les ennemis de Dieu ; à la concupiscence, en réglant sur la nécessité l’usage des choses extérieures, et en le rapportant à Dieu. Celui qui agira de la sorte, sera établi sur tous les biens que possède le Seigneur, et méritera de contempler toute vérité par l’oeil éclairé de son intelligence.

 

S. Chrys. (hom. 78 sur S. Matth.) Ce n’est pas seulement par la promesse de la récompense réservée aux bons, mais par la menace du châtiment qui attend les mauvais, que Notre-Seigneur excite à la vigilance ceux qui l’écoutent : « Que si ce serviteur dit en lui-même : Mon maître n’est pas près de venir, » etc. — Bède. Remarquez qu’au nombre des vices de ce mauvais serviteur, le Sauveur met la pensée où il était que son maître tarderait à venir, tandis qu’il ne met point au nombre des vertus du bon serviteur qu’il espérait le prompt retour de son maître, mais simplement qu’il a rempli fidèlement son devoir. Le mieux pour nous est donc de supporter patiemment l’ignorance où nous sommes de ce que nous ne pouvons savoir, et de nous appliquer seulement à être trouvés dignes de la récompense qui nous est préparée.

 

Théophyl. On se laisse aller à une multitude de fautes, parce qu’on ne pense pas à sa dernière heure ; car si nous avions toujours présent à l’esprit que le Seigneur doit venir, et que le terme de notre vie approche, nous commettrions moins facilement le péché. Voyez, en effet, la suite : « Et qu’il se mette à battre les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer. » — Bède. Dans la condamnation de ce mauvais serviteur, il faut voir celle de tous les mauvais supérieurs qui, sans crainte aucune de Dieu, non seulement mènent une vie criminelle, mais accablent de mauvais traitements ceux qui leur sont soumis. Dans le sens figuré, « frapper les serviteurs et les servantes, » peut signifier corrompre les âmes faibles par de mauvais exemples ; comme « manger, boire et s’enivrer, » signifie être esclave des séductions et des plaisirs coupables du monde, qui font perdre la raison à l’homme. Or, voici quelle sera la peine de ce mauvais serviteur : « Le maître de ce serviteur viendra au jour où il ne l’attend pas, et à l’heure qu’il ne sait point (c’est-à-dire à l’heure de la mort et du jugement), et il le divisera. » — S. Bas. (liv. sur l’Esprit saint, 16.) Le corps n’est pas divisé, en ce sens qu’une partie soit soumise au châtiment, tandis que l’autre partie en serait exempte ; car c’est une opinion fausse et contraire à toute justice, qu’une partie seulement du corps soit punie, quand le corps a péché tout entier. L’âme non plus ne sera pas divisée ; car elle est unie tout entière à la conscience coupable, et partage avec le corps la complicité du mal ; cette division n’est donc autre chose que l’éternelle séparation de l’âme avec l’Esprit saint. En effet, dans la vie présente, bien que la grâce de ce divin Esprit ne réside pas dans les âmes, qui en sont indignes, elle paraît cependant être près d’elles en quelque sorte, attendant la conversion qui doit les conduire au salut, mais alors cette grâce sera complètement retranchée de l’âme coupable. Le Saint-Esprit est donc tout à la fois la récompense des justes et la première condamnation des pécheurs, parce que les indignes en seront dépouillés à jamais. — Bède. Ou bien encore, il le divisera en le retranchant de la société des fidèles, et en le rangeant parmi ceux qui n’ont jamais eu la foi : « Et il lui donnera son lot parmi les serviteurs infidèles. » Car, dit l’Apôtre : « Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi, et il est pire qu’un infidèle. » (1 Tm 5, 8.) — Théophyl. Le dispensateur infidèle mérite en effet le sort des infidèles, puisqu’il n’a pas eu la véritable foi.

 

Vv. 47-48.

Théophyl. Notre-Seigneur nous enseigne ici une vérité plus importante et plus terrible, non seulement le dispensateur infidèle sera dépouillé de la grâce qu’il avait reçue, et qui ne pourra lui faire éviter le supplice, mais la grandeur et l’élévation de sa dignité seront pour lui la cause d’une condamnation plus sévère : « Le serviteur qui a connu la volonté de son maître, et ne lui a point obéi, recevra un grand nombre de coups. » — S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth.) En effet, les mêmes actions ne seront pas soumises pour tous les hommes au même jugement, mais une connaissance plus parfaite deviendra la cause d’une punition plus, grande. — S. Cyr. (sur S. Jn liv. 6, chap. 10.) Ainsi l’homme qui a reçu une intelligence plus pénétrante, et a dégradé ses affections jusqu’à les traîner dans de honteux excès, n’aura aucun titre pour implorer la miséricorde divine, parce qu’il a commis un crime sans excuse en s’écartant par une malice réfléchie de la volonté de son maître, mais l’homme grossier et ignorant sera plus fondé à implorer le pardon de son juge ; car « celui qui n’a pas connu la volonté de son maître, et qui aura fait des choses dignes de châtiment, recevra moins de coups. » — Théophyl. A cette objection, que font quelques-uns : On punit justement celui qui, connaissant la volonté de son maître, ne l’a pas suivie ; mais pourquoi punir celui qui ne l’a pas connue ? nous répondons, parce qu’il aurait pu la connaître, s’il avait voulu, et que sa négligence a été l’unique cause de son ignorance.

 

S. Bas. (Rég. abrég., Quest. 267.) Mais s’il est vrai que l’un reçoive un plus grand nombre de coups, et l’autre un plus petit nombre, comment peut-on dire que les supplices de l’autre vie n’auront point tic fin ? Il faut donc entendre que ces paroles ont pour objet d’exprimer, non la durée ou la fin des supplices, mais leurs différents degrés. Un homme peut avoir mérité d’être condamné au feu qui ne s’éteint pas, mais qui est plus ou moins intense ; et au ver qui ne meurt pas, mais qui ronge et déchire avec plus ou moins de force. Théophyl. Il explique ensuite pourquoi le châtiment des docteurs et de ceux qui sont plus instruits sera plus sévère : « Car on demandera beaucoup à celui à qui l’on a beaucoup donné, et on exigera davantage de celui à qui on a confié beaucoup. » Dieu donne aux docteurs la grâce de faire des miracles, il leur confie le ministère de la parole et le pouvoir d’enseigner ; il ne dit pas qu’il demandera davantage, pour ce qu’il a donné, mais pour ce qu’il a confié comme un dépôt ; car la grâce du ministère de la parole demande un accroissement continuel, et on demandera au docteur plus qu’il n’a reçu, il ne doit donc jamais rester oisif, mais développer de jour en jour le talent de la parole qui lui a été confié. — Bède. Ou bien encore, souvent Dieu donne de plus grandes grâces à de simples fidèles, qui reçoivent la connaissance de sa volonté, et la grâce de mettre en pratique ce qu’ils connaissent. Mais il confie beaucoup à celui qui, avec le soin de son âme, est revêtu de la charge de paître le troupeau du Seigneur. Ceux donc qui ont reçu de plus grandes grâces, seront punis plus sévèrement s’ils viennent à pécher (Sg 6, 8.9). Pour ceux qui ne sont coupables d’autre péché que du péché originel, le châtiment sera des plus doux, et pour les autres qui ont ajouté à ce péché des fautes volontaires, leur punition sera d’autant moins sévère, que leurs fautes seront moins grandes.

 

Vv. 49—53.

S. Ambr. C’est aux dispensateurs, c’est-à-dire aux prêtres, que Notre-Seigneur adresse les enseignements qui précèdent, et il leur apprend qu’un châtiment sévère les attend dans l’autre vie, si l’amour des plaisirs du monde les détourne de veiller sur la maison du Seigneur et de gouverner le peuple qui leur est confié. Cependant comme on fait peu de progrès quand on ne revient de ses égarements que par la crainte du châtiment, et qu’il vaut mieux devoir ce retour à la charité cl à l’amour de Dieu, le Sauveur cherche à enflammer ses disciples de cet amour de Dieu en leur disant : « Je suis venu jeter le feu sur la terre, » non pas ce feu qui dévore les bons, mais ce feu qui produit la bonne volonté, qui purifie et transforme les vases d’or de la maison du Seigneur, tandis qu’il consume l’herbe et la paille.

 

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr., ou comment. sur S. Luc.) Les saintes Écritures ont coutume de désigner par le feu les discours inspirés et divins. En effet, de même que ceux qui travaillent à l’épuration de l’or, le purifient par le feu de toutes ses souillures ; ainsi le Sauveur purifie par les enseignements de l’Évangile, par la vertu de l’Esprit saint l’intelligence de ceux qui croient en lui. C’est donc là le feu salutaire et utile qui embrase d’ardeur pour la vie de la piété les habitants de la terre froids, et comme éteints sous les glaces du péché. — S. Chrys. Cette terre dont parle le Sauveur, n’est pas celle que nous foulons aux pieds, mais celle que Dieu a formée de ses mains, c’est-à-dire l’homme à qui Dieu inspire un feu tout divin pour détruire ses péchés et renouveler son âme. — Tite de Bostr. Or, c’est du ciel que descend ce feu ; car s’il venait de la terre sur la terre, Notre-Seigneur ne dirait pas : « Je suis venu jeter le feu sur la terre. » — S. Cyr. Le Seigneur hâtait l’embrasement de ce feu, comme il le déclare : « Et que désire-je, sinon qu’il s’allume. » Quelques israélites avaient embrassé la foi, et les premiers avaient été ses fidèles disciples, mais ce feu une fois allumé dans la Judée, devait embraser tout l’univers, lorsque le mystère de sa passion serait consommé. C’est pour cela qu’il ajoute : « Je dois être baptisé d’un baptême, et combien je me sens pressé jusqu’à ce qu’il s’accomplisse. » En effet, avant l’auguste mystère de la croix, et la résurrection du Sauveur d’entré les morts, la Judée seule était témoin de ses prédications et de ses miracles ; mais après que dans l’excès de leur fureur, ils eurent mis à mort l’auteur de la vie, c’est alors qu’il ordonna à ses disciples d’aller enseigner toutes les nations. (Mt 28) — S. Grég. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien encore, le feu est jeté sur la terre, quand les ardeurs de l’Esprit saint embrasent une âme terrestre, consument en elle tous les désirs charnels, et l’enflamment d’un amour spirituel, qui lui fait déplorer le mal qu’elle a commis, c’est ainsi que la terre est embrasée lorsque ta conscience s’accuse elle-même, et que le coeur est comme consumé dans les douleurs de la pénitence. — Bède. Notre-Seigneur ajoute : « Je dois être baptisé d’un baptême, » c’est-à-dire je dois être d’abord comme inondé de mon propre sang avant d’embraser les coeurs des fidèles du feu de l’Esprit saint.

S. Ambr. La bonté du Sauveur pour nous est si grande, qu’il éprouve le besoin de nous attester le désir qu’il a de nous inspirer son divin amour, de nous conduire à la perfection, et de hâter le moment où il doit souffrir et verser son sang pour notre salut : « Et comme je me sens pressé jusqu’à ce qu’il s’accomplisse. » — Bède. Quelques manuscrits portent : Combien je suis dans l’angoisse, c’est-à-dire dans la tristesse. Notre-Seigneur n’avait rien en lui qui pût l’attrister, mais il s’attristait de nos misères, et cette tristesse qu’il montrait aux approches de sa mort, ne venait point de la crainte qu’il avait de mourir, mais du retard même de l’oeuvre de notre rédemption. En effet, puisqu’il était dans l’angoisse jusqu’à l’accomplissement de sa passion, il devait l’envisager sans inquiétude et sans trouble, et s’il manifeste quelque frayeur, elle ne vient point de la crainte de la. mort, mais d’un sentiment naturel à la faiblesse humaine, car dès lors qu’il s’est revêtu d’un corps semblable au nôtre, il a dû prendre sur lui toutes les infirmités du corps, la faim, l’anxiété, la tristesse ; mais la divinité reste immuable au milieu de ces affections. Il nous montre encore par ces paroles, que dans le combat qu’il eut à soutenir au temps de sa passion, la mort du corps mit un terme à ses angoisses, et ne fut point pour lui la cause d’un redoublement de douleur.

Bède. Il nous enseigne ensuite comment la terre doit s’embraser après le baptême de sa passion, après la venue de ce feu tout spirituel : « Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? » etc. — S. Cyr. Que dites-vous, Seigneur ? Est-ce que vous n’êtes pas venu apporter la paix, vous qui êtes devenu notre paix (Ep 2), pacifiant par le sang que vous avez répandu sur la croix, tant ce qui est sur la terre, que ce qui est dans le ciel (Col 1), vous qui avez dit : « Je vous donne ma paix ? » Il est évident que la paix a ses avantages, mais elle devient quelquefois funeste, et nous sépare de l’amour de Dieu, lorsque, par exemple, elle nous fait vivre en intelligence avec ceux qui sont éloignés de Dieu ; et ce sont ces liaisons de la terre que le Sauveur nous enseigne à éviter. C’est pour cela qu’il ajoute : « Car désormais cinq personnes dans une maison seront divisées, trois contre deux et deux contre trois, » etc. — S. Ambr. Quoique l’énumération qui suit, comprenne six personnes, le père et le fils, la mère et la fille, la belle-mère et la belle-fille, il n’y en a réellement que cinq, parce que la mère et la belle-mère peuvent être prises pour une seule et même personne ; car la mère du fils est naturellement la belle-mère de son épouse. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) C’est ici une prédiction de ce qui devait arriver. On vit, en effet, dans la même maison, des chrétiens que leur père voulait entraîner à l’apostasie, mais telle fut la puissance de la doctrine de Jésus-Christ, que les fils se séparaient de leurs pères, les filles de leurs mères, et les parents de leurs enfants. Les disciples fidèles de Jésus-Christ consentirent non seulement à sacrifier tous leurs biens, mais à endurer tous les genres de souffrance, pour conserver la foi qu’ils avaient embrassée. Si Jésus-Christ n’avait été qu’un homme, comment aurait-il pu entrer dans son esprit que les pères l’aimeraient plus qu’ils n’aimaient leurs enfants, que les enfants l’aimeraient plus que leurs pères, les époux plus que leurs épouses ? et cela non seulement dans une seule maison, dans cent familles, mais par toute la terre. Or, non seulement il a fait cette prédiction, mais il l’a réellement accomplie.

 

S. Ambr. Dans le sens mystique, cette maison c’est l’homme, nous lisons souvent que l’homme est composé de deux parties, de l’âme et du corps ; si ces deux parties sont d’accord entre elles, elles ne font plus qu’un. On distingue aussi trois parties dans l’âme, l’une raisonnable, l’autre concupiscible, et la troisième irascible ; c’est ainsi que deux sont divisés contre trois, et trois contre deux ; car à l’avènement de Jésus-Christ, l’homme qui, dans sa conduite, était dépourvu de raison, est devenu raisonnable nous étions charnels terrestres, Dieu a envoyé son Esprit dans nos coeurs (Ga 4), et nous sommes devenus des enfants spirituels. On peut encore dire qu’il y a dans cette maison cinq autres choses, l’odorat, le toucher, le goût, la vue et l’ouïe. Si donc, nous rendant dociles à ce que nous lisons ou à ce que nous entendons par les sens de la vue et de l’orne, nous renonçons aux plaisirs superflus du corps, dont les trois sens du goût, du tact et de l’odorat sont pour nous les instruments, nous en opposons deux à trois, en préservant notre âme de tomber dans les piéges de la volupté. Ou, si nous admettons que les cinq sens sont corporels, la division sera entre les vices et les péchés du corps. On peut encore voir ici le corps et l’âme qui est séparée de l’odorat, du tact et du goût des plaisirs sensuels ; car la raison, comme représentant le sexe le plus fort, aspire aussi à des sentiments plus nobles, tandis que le corps cherche à amollir la raison. Telle est donc la source des diverses passions ; mais dès que l’âme rentre en elle-même, elle renie ces enfants dégénérés, la chair elle-même gémit d’être ainsi enlacée dans les liassions auxquelles elle a donné naissance, comme dans les buissons du monde ; mais la volupté, comme la bru du corps et de l’âme, a épousé ces mouvements des passions mauvaises. Tant que la paix régnait dans cette maison par l’accord et la complicité des vices entre eux, on n’y voyait point de division ; mais dès que Jésus-Christ eut jeta sur la terre le feu qui devait consumer les péchés du coeur, ou qu’il eut apporté ce glaive qui pénètre au plus intime de l’âme, alors le corps et l’âme, renouvelés dans le mystère de la régénération, se séparent de leur malheureuse postérité ; et les pères sont ainsi divisés contre leurs fils, lorsque la passion de l’intempérance renonce à se satisfaire, et que l’âme refuse la complicité du consentement coupable. Les enfants sont aussi divisés contre leurs parents, alors que les hommes renouvelés rompent avec leurs anciennes habitudes criminelles, tandis que la volupté, avec la fougue du jeune âge, refuse de se soumettre aux règles de la piété, et semble se révolter contre le régime d’une maison trop sévère. — Bède. Ou bien encore, les trois représentent ceux qui croient à la Trinité ; les deux, ceux qui se sont séparés de l’unité de la foi. Le père, c’est le démon, dont nous étions les enfants en marchant sur ses traces ; mais lorsque ce feu du ciel fut descendu sur la terre, il nous sépara du démon, et nous montra un autre père qui est dans les cieux. La mère, c’est la synagogue ; la fille, c’est la primitive Église, qui a été persécutée dans sa foi par la synagogue qui lui avait donné le jour, et qui, forte de la vérité de sa foi, lutta elle-même contre la synagogue. La belle-mère, c’est encore la synagogue ; la bru, c’est l’Église qui vient des nations ; car Jésus-Christ, qui est l’époux de l’Église, est le Fils de la synagogue selon la chair. La synagogue se trouve donc divisée contre sa bru et contre sa fille, en persécutant les fidèles qui viennent de l’un et de l’autre peuple ; et celles-ci sont à leur tour divisées contre leur mère et leur belle-mère, en refusant de se soumettre à la circoncision de la chair.

 

Vv. 54-57.

Théophyl. Ce que le Sauveur venait de dire de la prédication qu’il avait comparée à un glaive, pouvait jeter le trouble dans l’esprit dé ses auditeurs qui ne savaient pas le but de ces paroles. Aussi, ajoute-t-il, qu’ils devraient connaître son avènement, de même qu’ils connaissent les variations de l’atmosphère à certains signes particuliers : « Lorsque vous voyez un nuage se former au couchant, vous dites aussitôt : La pluie vient, et cela arrive ainsi. Et quand vous voyez que souffle le vent du midi, vous dites : Il fera chaud, et cela arrive ainsi. » Comme s’il leur disait : Mes paroles et mes oeuvres indiquent clairement que je suis en contradiction avec vous. Vous pouvez donc conjecturer que je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’orage et la tempête : car je suis la nuée, et je viens de l’occident, c’est-à-dire de la nature humaine qui depuis longtemps est enveloppée des ténèbres épaisses du péché. Je suis venu aussi apporter le feu, c’est-à-dire inspirer une grande chaleur ; car je suis le vent du midi, vent brûlant qui est opposé au froid glacial du nord. — Bède. Ou bien encore, ceux qui par les variations des éléments peuvent facilement conjecturer l’état de l’atmosphère pourraient aussi, s’ils le voulaient, connaître par les oracles des prophètes le temps de l’avènement du Seigneur. — S. Cyr. Car les mystères de Jésus-Christ se trouvent annoncés en mille endroits des prophètes. Ils devraient donc, s’ils étaient prudents, porter leurs regards vers les choses futures et ne pas ignorer les tempêtes qui doivent suivre la vie présente, car ce sera le temps du vent, de la pluie et du supplice du feu ; c’est le sens de ces paroles : « La pluie vient. » Ils auraient dû également connaître les jours de salut, c’est-à-dire l’avènement du Sauveur, qui a introduit dans le monde la religion parfaite ; ce que signifient ces paroles : « Vous dites : Il fera chaud. » Aussi leur fait-il ce reproche : « Hypocrites, vous savez reconnaître l’aspect du ciel et de la terre, comment donc ne reconnaissez-vous pas les temps où nous sommes ? »

S. Bas. (homél. 6 sur l’hexamer.) Remarquons que les pronostics que l’on tire des astres sont nécessaires aux hommes pourvu qu’ils ne soient pas exagérés. Il est utile en effet de connaître par avance les signes qui annoncent la pluie, les signes précurseurs des grandes chaleurs et des tempêtes soit particulières soit universelles, et de savoir si elles seront violentes ou modérées. Il n’est personne qui ne sache quelle utilité on peut retirer dans la vie de ces divers pronostics. Il importe eu effet au navigateur de prévoir les dangers des tempêtes, au voyageur les changements de temps, au laboureur les signes qui lui promettent une grande abondance de fruits.

Bède. Il pouvait s’en trouver dans la foule qui allégueraient leur ignorance des oracles prophétiques et s’excuseraient ainsi de ne pouvoir connaître les temps marqués ; le Sauveur leur ôte cette excuse en ajoutant : « Comment ne discernez-vous point par vous-même ce qui est juste ? » et il leur apprend ainsi que sans savoir les lettres humaines, leur sens naturel seul pouvait leur faire reconnaître que celui qui avait opéré des oeuvres que nul autre n’eût pu faire était au-dessus de l’homme et qu’il était Dieu, et qu’aux injustices du monde présent, succéderait un jour le juste jugement du Créateur. — Orig. (homél. 35 sur S. Luc.) Or si nous n’avions en nous-mêmes la faculté de discerner ce qui est juste, jamais le Sauveur n’eût parlé de la sorte.

 

 

Vv. 58-59.

Théophyl. Notre-Seigneur vient de parler d’une guerre bonne et louable, il nous apprend maintenant qu’il y a une paix qui ne l’est pas moins : « Lorsque vous allez avec votre adversaire devant le magistrat, tâchez de vous dégager de lui en chemin, » etc. C’est-à-dire, lorsque votre adversaire vous traîne devant les tribunaux, tâchez, c’est-à-dire, faites tous vos efforts pour vous libérer envers lui. Ou bien encore, tâchez, c’est-à-dire si vous n’avez rien, empruntez pour vous acquitter envers lui, de peur qu’il ne vous fasse comparaître devant le juge. « De peur, ajoute-t-il, qu’il ne vous traîne devant le juge, et que le juge ne vous livre à l’exécuteur, et que l’exécuteur ne vous jette en prison. » — S. Cyr. Où vous aurez à souffrir jusqu’à ce que vous ayez payé la dernière obole : « Je vous le dis, vous ne sortirez pas de là que vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole. »

S. Chrys. (homél. 16 sur S. Matth.) Notre-Seigneur me paraît vouloir parler ici des juges de la terre, de la comparution devant leurs tribunaux, et des prisons de ce monde, car souvent ce sont ces comparaisons tirées des choses qui se passent sous leurs yeux qui ramènent au bien les hommes sans raison qui s’en sont écartés. Aussi ce n’est pas seulement par la perspective des biens et des maux à venir, mais par le spectacle des choses présentes que le Sauveur cherche à convertir, à cause de la grossièreté de ses auditeurs. — S. Ambr. On bien, notre adversaire est le démon qui sème sous nos pas les séductions du vice, afin de faire partager son supplice à ceux qui auront été les complices de son crime. Nôtre adversaire c’est encore notre mauvaise conscience, qui fait ici-bas notre tourment, et qui sera notre accusateur et notre condamnation dans l’autre : Faisons donc tout au monde pendant le voyage de cette vie pour nous délivrer de toute action coupable, comme d’un adversaire dangereux ; de peur qu’en allant avec cet adversaire devant le magistrat, il ne condamne en chemin nos égarements. Or, quel est ce magistrat, si ce n’est celui qui possède toute puissance ? Il livre le coupable au juge, à celui qui a reçu le pouvoir de juger les vivants et les morts, c’est-à-dire à Jésus-Christ qui mettra au grand jour tous les crimes secrets, et qui infligera le châtiment à toutes les oeuvres mauvaises. C’est lui-même qui livre le coupable à l’exécuteur, et le jette en prison : « Saisissez-vous de lui, dit-il, et jetez-le dans les ténèbres extérieurs. » (Mt 22.) Ses exécuteurs ce sont les anges, dont il est dit : « Les anges viendront et sépareront les mauvais du milieu des justes, et ils les jetteront dans la fournaise de feu. » Et il ajoute : « Je vous le dis, vous ne sortirez pas de là, que vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole. » De même que ceux qui acquittent une dette, ne cessent d’être débiteurs jusqu’à ce qu’ils aient payé intégralement toute la somme par quelque moyen que ce soit, de même la peine que au péché ne peut-être acquittée que par la charité, par les bonnes oeuvres et par la satisfaction.

Orig. (homél. 33.) On peut encore donner cette explication : Nous voyons ici quatre personnes, l’adversaire, le prince ou le magistrat, le juge et l’exécuteur ; saint Matthieu ne parle pas du prince, et remplace l’exécuteur par ce qu’il appelle ministre. Les deux évangélistes diffèrent encore en ce que saint Matthieu se sert du mot de denier, et saint Luc de celui d’obole ; tous deux disent “ jusqu’au damier. » Or, nous lisons que tous les hommes ont deux anges près d’eux, un mauvais qui les excite au mal, un bon qui leur conseille le bien ; toutes les fois que nous succombons au péché, notre adversaire triomphe, parce qu’il sait qu’il a le droit de se glorifier devant le prince de ce monde qui l’a envoyé. Dans le texte grec, nous lisons l’adversaire avec l’article, ce qui désigne un adversaire spécial entre tous ; car chacun est sous la domination du prince qui commande à sa nation. Efforcez-vous donc de vous délivrer de votre adversaire, ou du prince devant lequel votre adversaire veut vous traîner, en cherchant à acquérir la sagesse, la justice, la force et la tempérance. Mais en faisant tous vos efforts, soyez uni à celui qui a dit : « Je suis la vie ; » (Jn 14), autrement votre adversaire vous traînera devant le juge. Il se sert de cette expression : « il vous traînera, » pour montrer qu’il force les coupables de venir entendre leur condamnation malgré toutes leurs résistances. Quant au juge qui doit livrer à l’exécuteur, je n’en connais pas d’autre que Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous avons tous nos exécuteurs, et ils ont pouvoir sur nous, lorsque nous sommes leurs débiteurs ; mais si je paie à tous mes créanciers ce que je leur dois, je me présente devant l’exécuteur et je lui réponds avec fermeté : « Je ne vous dois rien. » Mais si au contraire je suis débiteur, l’exécuteur me jettera en prison et ne m’en laissera sortir que lorsque j’aurai payé toute ma dette, car l’exécuteur n’a pas le droit de me faire grâce de la moindre obole. Celui que nous voyons remettre à l’un de ses débiteurs cinq cents deniers, à l’autre cinquante, (Lc 6) était le maître ; l’exécuteur au contraire n’est pas le maître, il est chargé par le maître d’exiger tout ce qui lui est dû. Il dit « Jusqu’à la dernière obole » pour signifier ce qu’il y a de moindre et de plus léger. Car les fautes que nous commettons sont graves ou légères ; bienheureux donc celui qui ne pèche point, heureux ensuite celui qui ne commet que des fautes légères. Mais dans les fautes même légères, il y a des degrés, autrement le Sauveur ne dirait pas : « Jusqu’à ce que vous ayez payé la dernière obole. » Ainsi celui dont les dettes sont minimes ne sortira pas qu’il n’ait payé jusqu’au dernier denier ; mais pour celui qui est chargé de dettes énormes, il lui faudra un nombre infini de siècles pour s’acquitter.

Bède. Ou bien encore, notre adversaire dans le chemin, c’est la parole de Dieu qui est en opposition avec nos désirs charnels dans la vie présente. Nous nous délivrons de cet adversaire en obéissant à ses préceptes : autrement il nous livrera au juge, car le mépris qu’on aura fait de la parole du Seigneur est un crime dont le pécheur rendra compte au tribunal du juge. Le juge le livrera à l’exécuteur, c’est-à-dire à l’esprit mauvais ; pour le punir, celui-ci le jettera en prison, c’est-à-dire dans l’enfer, c’est là que le pécheur souffrira éternellement sans pouvoir jamais acquitter ses dettes et obtenir son pardon ; il n’en sortira donc jamais, mais il sera condamné à des peines éternelles, avec le serpent redoutable, avec le démon.

 

CHAPITRE XIII

Vv. 1-5

La Glose. (En termes équival.) Notre-Seigneur venait de parler du supplice qui est réservé aux pécheurs, lorsqu’on vient lui annoncer le châtiment infligé à des rebelles, exemple dont il se sert pour menacer les pécheurs d’une peine semblable : « En ce même temps, quelques-uns vinrent raconter à Jésus ce qui était arrivé aux Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices. » — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) C’étaient les sectateurs de Judas le Galiléen dont saint Luc fait mention dans les Actes des Apôtres (Ac 5), qui prétendaient qu’on ne devait donner à personne le nom de maître. Aussi plusieurs d’entre eux qui ne voulaient pas reconnaître l’autorité de César, furent punis par Pilate. Ils enseignaient encore qu’on ne devait offrir à Dieu d’autres victimes que celles qui avaient été prescrites par Moïse ; ils défendaient donc d’offrir les victimes présentées par le peuple pour le salut de l’empereur, et du peuple romain. Pilate indigné contre les Galiléens, ordonna de les mettre à mort au milieu même des sacrifices qu’ils offraient suivant les prescriptions de la loi, et mêla ainsi le sang des sacrificateurs au sang des victimes qu’ils immolaient. Or, comme la foule pensait qu’ils n’avaient souffert que ce qu’ils méritaient, parce qu’ils semaient la division dans le peuple, et indisposaient les princes contre leurs sujets, quelques-uns vinrent raconter ces faits au Sauveur pour savoir ce qu’il en pensait. Notre-Seigneur déclare que c’étaient des rebelles et des pécheurs, mais sans affirmer qu’ils étaient plus coupables que ceux qui avaient échappé à ce châtiment : « Il leur répondit : Pensez-vous que les Galiléens fussent plus pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir été traités ainsi ? » etc.

S. Chrys. (Disc. 3, sur Lazare.) Dieu punit certains pécheurs, en mettant un terme à leur iniquité, en leur infligeant des peines légères, en les séparant complètement des autres, et en instruisant par l’exemple de leur châtiment ceux qui vivent dans le péché. Il ne punit pas tous les pécheurs ici-bas, il veut ainsi leur donner le moyen d’éviter par la pénitence les peines de cette vie, et les supplices de l’éternité ; mais s’ils persévèrent dans le mal, ils doivent s’attendre à un châtiment plus sévère. — Tite de Bostr. Le Sauveur nous apprend encore ici que toutes les sentences qui condamnent les coupables aux dernier supplice, ne sont pas seulement édictées par l’autorité des juges mais par la volonté de Dieu. Que le juge condamne suivant les règles de l’équité, ou pour tout autre motif, il faut voir dans le jugement qu’il prononce une permission de la divine justice.

S. Cyr. Notre-Seigneur veut donc détourner le peuple de toutes ces séditions intestines dont la religion était le prétexte, et il ajoute : « Si vous ne faites pénitence, (et si vous ne cessez de conspirer contre vos princes, ce qui est contraire à la volonté divine), vous périrez tous de la même manière, et votre sang sera mêlé au sang de vos victimes. » — S. Chrys. Il leur montre aussi par ces paroles que s’il a permis ce châtiment pour quelques-uns, c’est afin que la frayeur salutaire qu’il inspirerait à ceux qui survivraient, les rendît héritiers du royaume. Quoi donc, me direz-vous, Dieu en punit un autre pour me rendre meilleur ? Non pas précisément, il est puni pour ses propres crimes, mais son châtiment devient une occasion de salut pour ceux qui en sont témoins. — Bède. Mais comme les Juifs n’ont pas voulu faire pénitence, quarante ans après la passion du Sauveur, les Romains (figurés ici par Pilate qui était de leur nation), envahirent la Judée, et, commençant par la Galilée (où le Sauveur avait commencé le cours de ses divines prédications), ils détruisirent entièrement cette nation impie, et souillèrent de sang humain, non seulement les parvis du temple où on offrait les sacrifices, mais l’intérieur même des maisons.

S. Chrys. Dix-huit autres encore avaient été écrasés par la chute d’une tour, Notre-Seigneur en parle en ces termes : « De même ces dix-huit sur qui tomba la tour de Siloé, et qu’elle tua, pensez-vous qu’ils fussent plus redevables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Non, je vous le dis. » En effet, Dieu ne punit pas ici-bas tous les pécheurs pour leur laisser le temps de se repentir, mais il ne les réserve pas non plus tous aux châtiments de l’autre vie, pour ne pas donner lieu de nier sa providence. — Tite de Bostr. Il oppose cette tour à toute la ville, afin que le malheureux sort de quelques-uns épouvante tous les autres, et c’est pour cela qu’il ajoute : « Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous de la même manière, » c’est-à-dire, toute la ville sera bientôt envahie, si ses habitants persévèrent dans l’infidélité.

S. Ambr. Dans le sens figuré, ceux dont Pilate mêla le sang avec leurs sacrifices, représentent ceux qui sous l’impulsion du démon offrent des sacrifices impurs, et dont la prière devient un nouveau péché, (comme il est écrit de Juda), qui au milieu même du sacrifice eucharistique songeait à vendre le sang du Seigneur. — Bède. Pilate (qui signifie la bouche du forgeron) est la figure du démon, toujours prêt à frapper et à répandre le sang ; le sang figure le péché, et les sacrifices représentent les bonnes oeuvres. Pilate mêle donc le sang des Galiléens avec leurs sacrifices, quand le démon cherche à souiller et à corrompre les aumônes et les autres bonnes oeuvres des fidèles, par les plaisirs sensuels, par le désir des louanges, ou par tout autre vice. Ces habitants de Jérusalem qui furent écrasés par la chute de cette tour, représentent les Juifs qui, pour n’avoir pas voulu faire pénitence, furent écrasés sous les ruines de leurs murailles. Et le nombre de dix-huit a ici une signification particulière, (ce nombre s’écrit en grec par les deux lettres I, et H, qui sont les premières du nom de Jésus. Ce nombre signifie donc que la cause première de la ruine des Juifs, c’est qu’ils n’ont pas voulu recevoir le nom de Jésus. Cette tour est la figure de celui qui est la tour de la force ; elle est située à Siloé qui veut dire envoyé, parce qu’elle représente celui qui a été envoyé par son père, qui est venu dans le monde, et qui écrasera tous ceux sur lesquels il tombera.

 

Vv. 6-9.

Tite de Bostr. Les Juifs tiraient vanité de ce que dix-huit d’entre eux ayant péri, tous avaient été préservés, c’est pour cela que Notre-seigneur leur propose cette parabole du figuier : « Il leur dit encore cette parabole : Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. » — S. Ambr. La vigne du Dieu des armées est celle qu’il a livrée au prise aux nations. La comparaison de la synagogue avec le figuier est on ne peut plus juste ; de même, en effet, que cet arbre se couvre de larges feuilles en abondance, et trompe l’espérance de son maître qui en attend inutilement beaucoup de fruits ; ainsi la synagogue avec ses docteurs stériles en oeuvres, et fiers de leurs paroles pompeuses qui ressemblent aux feuilles du figuier est toute couverte des ombres d’une loi infructueuse. Le figuier est encore le seul arbre qui tout d’abord produit des fruits au lieu des fleurs, dont les premiers fruits tombent pour faire place à d’autres, et qui conserve cependant une partie des premiers fruits. C’est ainsi que le premier peuple qui était sous l’autorité de la synagogue est tombé comme un fruit inutile, afin que le nouveau peuple qui a formé l’Église sortit de la sève abondante de l’ancienne religion. Cependant les premiers d’entre les Israélites qui avaient été produits par un rameau d’une nature plus vigoureuse, à l’ombre de la loi et de la croix, dans le sein de l’une et de l’autre, nourris et colorés par cette double sève, et semblables aux premières figues qui arrivent à la maturité, l’ont emporté sur les autres par la richesse des plus beaux fruits ; et c’est à eux qu’il est dit : « Vous serez assis sur douze trônes. » Il en est cependant qui voient dans ce figuier la figure non de la synagogue, mais de la malice et de la perversité ; leur interprétation ne diffère de la précédente qu’en ce qu’ils prennent le genre pour l’espèce.

Bède. Or, le Seigneur qui avait daigné naître et se manifester dans une chair sensible, avait par ses fréquents enseignements dans la synagogue cherché le fruit de la foi et ne l’avait pas trouvé dans le coeur des pharisiens : « Il vint pour y chercher du fruit, et il n’en trouva point. » — S. Ambr. Le Maître cherchait du fruit, non pas qu’il ignorât que le figuier n’en portait pas, mais pour montrer par cette figure, que la synagogue aurait dû produire des fruits. D’ailleurs la suite fait bien voir qu’il n’est pas venu avant le temps, lui qui est venu pendant trois années consécutives : « Et il dit au vigneron : Voici trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier, et je n’en trouve point. Il est venu aux jours d’Abraham, sous Moïse et au temps de Marie ; c’est-à-dire dans le signe de la circoncision (Gn 17, 11 ; Rm 4, 11), dans la loi, et dans la chair qu’il a prise du sein de Marie, et nous reconnaissons son avènement à ses bienfaits, d’un côté la purification, de l’autre la sanctification, de l’autre enfin la justification. La circoncision purifiait, la loi sanctifiait, la grâce a justifié. Le peuple juif n’a donc pu ni être purifié, parce qu’il n’avait que la circoncision extérieure sans avoir la circoncision de l’esprit ; ni être sanctifié, parce qu’il ignorait la vertu de la loi, et qu’il était bien plus fidèle aux formalités extérieures qu’aux prescriptions spirituelles ; ni être justifié, parce que ne faisant aucune pénitence de ses péchés, il ne connaissait pas la grâce de Dieu. Il était donc impossible de trouver des fruits dans la synagogue, aussi commande-t-il, qu’elle soit retranchée : « Coupez-le donc, pourquoi occupe-t-il encore la terre ? » Cependant le bon vigneron, (peut-être celui sur lequel a été bâtie l’Église), présageant qu’un autre irait évangéliser les Gentils, tandis que lui-même serait envoyé au peuple de la circoncision, intervient dans un sentiment de charité chrétienne pour prier qu’il ne soit point coupé, parce qu’il puise dans sa vocation la confiance que le peuple juif pourra aussi être sauvé par l’Eglise : « Le vigneron lui répondit : Seigneur, laissez-le encore cette année. » Il reconnut aussitôt que c’était la dureté et l’orgueil des Juifs qui étaient la cause de leur stérilité. Il sait donc comment il faut les cultiver, parce qu’il sait les reprendre de leurs vices : « Je creuserai tout autour. » Il promet de labourer profondément leurs coeurs si durs avec la bêche apostolique, afin que la racine de la sagesse ne soit ni étouffée ni cachée sous un amas de terre : « Et je mettrai du fumier, » c’est-à-dire le sentiment de l’humilité qui peut faire produire aux Juifs eux-mêmes des fruits dignes de l’Évangile de Jésus-Christ. Aussi ajoute-t-il : « Alors s’il porte du fruit, à la bonne heure, (c’est-à-dire ce sera bien), sinon vous le couperez. » — Bède. C’est ce qui s’accomplit, lorsque les Romains détruisirent la nation juive, et la chassèrent de la terre promise.

S. Aug. (serm. 23, sur les par. du Seig.) Ou bien encore, ce figuier c’est le genre humain ; car lorsque le premier homme eut péché, il prit des feuilles de figuier pour couvrir sa nudité, c’est-à-dire les membres dont nous sommes nés. — Théophyl. Chacun de nous est encore ce figuier planté dans la vigne de Dieu, c’est-à-dire dans l’Église de Dieu ou dans ce monde. — S. Grég. (hom. 31, sur les Evang.) Le Seigneur est venu trois fois à ce figuier, parce qu’il a cherché le fruit que produirait le genre humain avant la loi, sous la loi, et sous la grâce, (en l’attendant, en l’avertissant, en le visitant). Et cependant il se plaint de ce que pendant trois années consécutives, il n’a point trouvé de fruit, parce que certains esprits dépravés n’ont pu être corrigés par la loi naturelle gravée dans leurs coeurs, ni instruits par les préceptes de la loi, ni convertis par les miracles de l’incarnation. — Théophyl. Par trois fois notre nature a refusé de donner le fruit qui lui est demandé ; dans le paradis lorsque dans la personne de nos premiers parents nous avons désobéi au commandement de Dieu, en second lieu, lorsque les Israélites adorèrent le veau d’or qu’ils avaient fabriqué (Ex 32), troisièmement, lorsqu’ils renièrent le Sauveur. Ces trois ans peuvent encore figurer les trois âges de la vie ; l’enfance, la virilité et la vieillesse.

S. Grég. (hom. 31 sur les Evang.) C’est avec un grand sentiment de crainte qu’il faut entendre ces paroles : « Coupez-le, pourquoi occupe-t-il inutilement la terre ? » Tout homme, en effet, à sa manière, et en tant qu’il tient une place dans cette vie, occupe inutilement la terre comme un arbre infructueux, s’il ne peut présenter les fruits de ses bonnes oeuvres ; parce qu’en effet, dans la place qu’il occupe, il est un obstacle au bien que d’autres pourraient produire.

S. Bas. (serm. 8 sur la pénit.) C’est le propre de la divine miséricorde, de ne pas infliger de punitions sans avertir, mais de faire toujours précéder les menaces, pour rappeler à la pénitence. C’est ainsi qu’il avait fait pour les Ninivites, et qu’il fait encore ici en disant au vigneron : « Coupez-le ; » il le presse par là d’en prendre soin, et il excite cette âme stérile à produire les fruits qu’il a droit d’exiger d’elle. — S. Grég. de Nazianze. (disc. 26 sur la modération qu’il faut garder dans les discussions.) Ne soyons donc pas nous-mêmes trop prompts à frapper, faisons prévaloir la miséricorde ; ne coupons pas le figuier qui peut encore faire du fruit, et qui peut être guéri de sa stérilité par les soins d’un habile jardinier : « Le vigneron lui répondit : Seigneur, laissez-le encore cette année, » etc.

S. Grég. (hom. 31 sur les Evang.) Le cultivateur de la vigne représente l’ordre des supérieurs qui sont placés à la tête de l’Église, pour prendre soin de la vigne du Seigneur. — Théophyl. Ou bien le père de famille, c’est Dieu le Père ; le cultivateur, c’est Jésus-Christ qui ne permet pas que l’on coupe le figuier stérile, et qui semble dire à son Père : Ni la loi, ni les prophètes n’ont pu leur faire produire des fruits de pénitence, cependant je les arroserai de mes souffrances et de mes enseignements, peut-être alors ils produiront des fruits d’obéissance.

S. Aug. (serm. 31 sur les par. du Seig.) Ou bien encore, le cultivateur qui intercède, c’est toute âme sainte qui, dans le sein de l’Église, prie pour ceux qui sont hors de l’Église en disant à Dieu : « Seigneur, laissez-le encore cette année (c’est-à-dire dans ce temps de grâce), jusqu’à ce que je creuse tout autour. » Creuser autour, c’est enseigner l’humilité et la patience, car une terre creusée est déprimée ; le fumier (il faut l’entendre dans un bon sens), c’est de l’ordure, mais il aide à produire des fruits. Le fumier du cultivateur, c’est la douleur du pécheur. Ceux qui font pénitence, paraissent sous des dehors négligés, et agissent en cela selon la vérité. — S. Grég. (hom. 31.) Ou bien encore, ce sont les péchés de la chair qui sont appelés du fumier, ainsi c’est du fumier qu’il tire sa vie et sa fécondité, parce que c’est la considération du péché qui ressuscite l’âme à la vie des bonnes oeuvres. Mais la plupart entendent ces menaces, et refusent cependant de faire pénitence, c’est pour cela que le cultivateur ajoute : « S’il porte du fruit, à la bonne heure. » — S. Aug. (comme précéd.) « Sinon, vous le couperez, » c’est-à-dire lorsque vous viendrez au jour du jugement pour juger les vivants et les morts, jusque-là, le figuier est épargné. — S. Grég. (hom. 31.) Celui donc qui ne veut pas écouter ces menaces pour revenir à la vie et à la fécondité, tombe dans un état dont il lui est impossible de se relever par la pénitence.

 

Vv. 10-17.

S. Ambr. Notre-Seigneur ne tarde pas à prouver ce qu’il vient de dire de la synagogue, et il fait voir qu’il est venu jusqu’à elle, en la choisissant pour lui faire entendre ses divins enseignements : « Or, Jésus enseignait dans leurs synagogues les jours de sabbat. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ce n’est pas en secret qu’il enseigne, mais en public dans les synagogues avec fermeté, sans hésitation et sans rien dire contre la loi de Moïse. Il choisit le jour du sabbat, parce que les Juifs s’appliquaient ce jour-là à l’étude de la loi.

S. Cyr. C’est pour triompher de la corruption de la mort et de l’envie du démon, que le Verbe s’est incarné, les faits évangéliques nous en donnent la preuve : « Et voici qu’une femme, qui avait un esprit d’infirmité depuis dix-huit ans, » etc. L’Évangéliste dit : « Un esprit d’infirmité, » parce que les souffrances de cette femme venaient de la cruauté du démon ; abandonnée qu’elle était de Dieu pour ses propres fautes, ou à cause de la transgression d’Adam qui a soumis le corps de l’homme aux infirmités et à la mort. Or, Dieu donne au démon ce pouvoir, afin que les hommes, accablés sous le poids de l’adversité, éprouvent le désir de s’élever à une condition meilleure. Saint Luc nous fait ensuite connaître quelle était l’infirmité de cette femme : « Elle était courbée et ne pouvait aucunement regarder en haut. » — S. Bas. (hom. 9 sur l’hexam.) Les animaux ont la tête inclinée vers la terre et ne regardent que les choses de la terre, tandis que la tête de l’homme est tournée vers le firmament, et ses yeux contemplent le ciel ; car il est appelé à chercher les choses du ciel et à porter ses regards au-dessus de la terre.

S. Cyr. Le Sauveur, pour montrer que sa venue dans le monde était le remède de toutes les infirmités humaines, guérit cette femme : « Jésus la voyant, l’appela et lui dit : Femme, vous êtes délivrée de votre infirmité, » paroles dignes de Dieu, pleines d’une majesté toute puissante, qui met en fuite la maladie par un seul acte de sa volonté souveraine. Il lui impose aussi les mains : « Et il lui imposa les mains, et aussitôt elle se redressa, et elle glorifiait Dieu. » Il faut se rappeler ici que la chair sacrée du Sauveur était revêtue d’une puissance toute divine ; car c’était la chair de Dieu lui-même, et non d’une autre personne, par exemple, du Fils de l’homme qui aurait existé séparément du Fils de Dieu, comme quelques-uns ont osé le soutenir. Mais le chef de cette ingrate synagogue, à la vue de cette femme qui était courbée jusqu’à terre, et que le Sauveur venait de redresser en lui imposant seulement les mains, est comme enflammé d’envie contre la gloire du Seigneur, et condamne hautement cette guérison miraculeuse en se couvrant d’un zèle apparent pour le sabbat : « Mais le chef de la synagogue, s’indignant que Jésus eût guéri un jour de sabbat, dit au peuple : Il y a six jours pendant lesquels on doit travailler, venez donc ces jours-là pour vous faire guérir, et non le jour du sabbat. » Il les engage à choisir les autres jours où ils sont tous dispersés et occupés chacun de leurs travaux, et non le jour du sabbat, pour voir et admirer les miracles du Seigneur, dans la crainte qu’ils ne croient en lui. Mais dites-moi : La loi défend toute oeuvre manuelle le jour du sabbat, défend-elle aussi celles qui se font par une simple parole, et par la bouche ? Cessez donc alors de manger, de boire, de parler et de chanter les psaumes le jour du sabbat. Et si vous ne lisez même pas la loi ce jour-là, à quoi vous sert le sabbat ? Admettons que la loi a défendu toute oeuvre manuelle, est-ce donc une oeuvre manuelle que de redresser d’une seule parole cette femme courbée jusqu’à terre ?

S. Ambr. D’ailleurs, Dieu s’est reposé des oeuvres de la création du monde, mais non pas de ces oeuvres saintes et divines qu’il ne cesse d’opérer, selon cette parole de son Fils : « Mon Père ne cesse point d’agir jusqu’à présent, et j’agis aussi, » nous enseignant ainsi à imiter Dieu, en nous abstenant des oeuvres terrestres, mais non des oeuvres de religion. Aussi, Notre-Seigneur répond-il directement au chef de la synagogue : « Hypocrites, chacun de vous ne délie-t-il pas son boeuf ou son âne de la crèche le jour du sabbat pour les mener boire ? »

S. Bas. (Homél 1 sur le jeûne.) On appelle hypocrite celui qui joue sur un théâtre le rôle d’une personne étrangère, c’est ainsi que dans cette vie, quelques-uns ont dans le coeur des sentiments tout différents de ceux qu’ils affichent à l’extérieur devant les hommes. — S. Chrys. C’est donc, à juste titre, qu’il traite d’hypocrite le chef de la synagogue, qui sous l’apparence d’un zélé défenseur de la loi, cachait le coeur d’un homme fourbe et envieux, car ce qui l’émeut ce n’est point la violation du sabbat, mais la gloire que tous rendent à Jésus-Christ. Remarquez cependant que lorsqu’il s’agit d’un travail quelconque (comme lorsqu’il commanda au paralytique d’emporter son lit), il puise ses raisons plus haut, et fait appel à la dignité de son Père par ces paroles : « Mon Père ne cesse point d’agir jusqu’à présent, et j’agis aussi. » (Jn 5.) Ici, au contraire, où il fait tout par sa seule parole, il se contente d’invoquer leur propre conduite pour répondre à leur accusation.

S. Cyr. Le chef de la synagogue est traité d’hypocrite, parce qu’il délie ses animaux le jour du sabbat pour les faire boire, tandis que pour cette femme, fille d’Abraham, autant par la foi que par le sang, il ne croit pas qu’on doive briser les liens de son infirmité : « Et cette fille d’Abraham, lui dit le Sauveur, que Satan a tenue liée pendant dix-huit ans, il ne fallait pas rompre son lien le jour du sabbat ? » Peu leur importe que cette femme reste toujours courbée vers la terre comme les animaux, plutôt que de reprendre la posture qui convient à la créature raisonnable, pourvu qu’il ne revienne aucune gloire à Jésus-Christ ; ils ne pouvaient d’ailleurs rien lui répondre, et ils étaient à eux-mêmes leur inévitable condamnation. Aussi, ajoute l’Évangéliste : « Pendant qu’il parlait ainsi, tous ses adversaires étaient couverts de confusion ; le peuple, au contraire, qui recueillait les avantages de ces miracles, faisait publiquement éclater sa joie : « Et tout le peuple était ravi des choses merveilleuses qu’il faisait. » L’éclat de ces prodiges tranchait toute difficulté pour des esprits qui cherchaient la vérité avec une intention droite.

 

S. Grég. (hom. 31 sur les Evang.) Dans le sens figuré, le figuier stérile et cette femme courbée vers la terre, ont la même signification. En effet, la nature humaine, précipitée dans le péché par sa volonté, a perdu son premier état de droiture en refusant de produire les fruits de l’obéissance ; et le figuier qu’on réserve, signifie également la même chose que cette femme qui est redressée par le Sauveur. — S. Ambr. Ou bien encore, le figuier représente la synagogue ; enfin, cette femme infirme est comme le figuier de l’Église, qui, après avoir épuisé le temps de la loi et de la résurrection, sera élevée au faite des grandeurs dans un repos éternel, et ne pourra plus être courbée sous le poids de nos misères. Cette femme ne pouvait être guérie que par l’accomplissement des préceptes de la loi et de la grâce, car la perfection résulte de l’observation des dix commandements de la loi, et le nombre huit exprime le plein accomplissement des préceptes du temps de la résurrection. — S. Grég. (hom. 31.) Ou bien dans un autre sens : l’homme a été fait le sixième jour, et ce sixième jour, toutes les oeuvres de Dieu étaient achevées : or, le nombre six multiplié par trois, fait dix-huit ; cette femme qui fut courbée pendant dix-huit ans, représente donc l’homme qui créé le sixième jour, n’a pas voulu produire des oeuvres parfaites, et qui est resté dans un état d’infirmité avant la loi, sous la loi et au commencement du règne de la grâce.

 

S. Aug. (serm. 31 sur les par. du Seign.) Les trois années, pendant lesquelles le figuier est resté stérile, ont donc la même signification que les dix-huit ans d’infirmité de cette femme, car trois fois six font dix-huit. Elle était courbée et ne pouvait regarder en haut, parce qu’elle était incapable d’entendre ces paroles : « Élevez vos coeurs en haut. » — S. Grég. (hom. 31.) En effet, tout pécheur qui ne pense qu’aux choses de la terre et oublie les choses du ciel, est incapable de regarder en haut, parce qu’en suivant les désirs de la nature dégradée, il perd la droiture première de son âme, et ne voit plus que ce qui fait l’objet habituel de ses pensées. Notre-Seigneur appelle cette femme et la redresse, c’est-à-dire, qu’il l’éclaire de sa lumière et l’aide de sa grâce. Il appelle quelquefois, mais sans redresser. En effet, il arrive quelquefois que la grâce nous éclaire suffisamment pour nous montrer ce que nous devons faire, et cependant par notre faute, nous négligeons de le faire, car une faute qui devient habituelle est comme un lien pour l’âme qui l’empêche de reprendre sa droiture première, elle s’efforce et retombe toujours comme malgré elle dans l’état où elle a longtemps vécu volontairement.

 

S. Ambr. Cette oeuvre miraculeuse est donc le symbole du sabbat éternel, lorsqu’après avoir tous passé sous le régime de ta loi et de la grâce, nous serons délivrés par la miséricorde de Dieu de toutes les misères de la fragilité corporelle. Mais pourquoi le Sauveur ne parle-t-il pas d’autre animal que du boeuf et de l’âne, si ce n’est pour montrer que le peuple juif et celui des gentils seraient un jour délivrés de la soif du corps et des ardeurs de ce monde, qu’ils éteindraient dans les sources abondantes du Seigneur, et que la vocation de ces deux peuples assurerait le salut de l’Église ? — Bède. Toute âme fidèle est cette fille d’Abraham, ou l’Église formée des deux peuples et réunie par une seule et même foi. Dans le sens figuré, délier son boeuf ou son âne de leur crèche pour les mener boire, c’est rompre les liens de nos inclinations qui retenaient captive cette fille d’Abraham.

 

Vv. 18-21.

La Glose. (en termes équivalents.) Après avoir couvert ses ennemis de confusion et comblé le peuple de joie par, les oeuvres glorieuses qu’il opérait, Jésus leur découvre le progrès de l’Évangile sous le voile de plusieurs paraboles : « Il disait encore : A quoi est semblable le royaume de Dieu, et à quoi le comparerai-je ? Il est semblable à un grain de sénevé, » etc. — S. Ambr. Dans un autre endroit, le grain de sénevé est comparé à la foi (Mt 17, 19). Si donc le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé, et que la foi elle-même soit figurée par ce grain de sénevé, la foi est donc le royaume des cieux qui est au dedans de nous (Lc 17). Le grain de sénevé est très-commun et sans beaucoup de valeur, mais aussitôt qu’il est broyé il répand sa force ; ainsi la foi elle-même paraît au premier abord sans valeur, mais si elle est aussi broyée par les souffrances, elle répand la grâce de sa force. Les martyrs sont des grains de sénevé, ils avaient en eux-mêmes le parfum odoriférant de la foi, mais elle était cachée. La persécution est venue, ils ont été brisés par le glaive et ont répandu jusqu’aux extrémités du monde la semence de leur martyre. Notre-Seigneur lui-même est un grain de sénevé. Il a voulu être broyé, afin que nous puissions dire : « Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ. » (2 Co 2.) Il a voulu être semé comme le grain de sénevé, qu’un homme prend et sème dans son jardin, car c’est dans un jardin que Jésus-Christ a été fait prisonnier et qu’il a été enseveli ; c’est là aussi qu’il est ressuscité et qu’il est devenu un grand arbre, comme il le dit lui-même : « Il crût et devint un grand arbre. » Notre-Seigneur, en effet, est le grain de sénevé lorsqu’il est enseveli dans la terre, mais il devient un grand arbre lorsqu’il s’élève dans les cieux. Il est aussi cet arbre qui couvre le monde de son ombrage : « Et les oiseaux du ciel se reposèrent dans ses rameaux, » c’est-à-dire, les puissances des cieux, et tous ceux qui, par leurs oeuvres spirituelles, ont le privilège de prendre leur essor au-dessus de la terre, Pierre et Paul sont les rameaux de cet arbre, et nous qui étions loin (Ep 2, 13), nous nous envolons sur les ailes des vertus dans les retraites cachées de ces branches à travers les profondeurs des controverses. Semez donc Jésus-Christ dans votre jardin, un jardin est un lieu parsemé de fleurs ; que vos oeuvres soient donc les fleurs de ce jardin, et qu’elles y exhalent les parfums variés des vertus chrétiennes. Jésus-Christ se trouve là où la semence produit des fruits.

 

S. Cyr. Ou bien encore, le royaume de Dieu, c’est l’Évangile qui nous donne le droit d’aspirer à régner un jour avec Jésus-Christ. Le grain de sénevé est plus petit que toutes les autres semences, mais il prend ensuite de si grands développements qu’il reçoit sous ses ombrages une multitude d’oiseaux ; ainsi la doctrine du salut peu répandue dans le commencement, a pris ensuite les plus grands accroissements.

 

Bède. Cet homme, dont il est ici parlé, c’est Jésus-Christ, le jardin, c’est l’Église, qui doit être cultivée par ses enseignements. Cet homme a reçu cette semence, dit le Sauveur, parce qu’il a reçu avec nous comme homme les dons dont il est avec son Père la source en tant que Dieu. La prédication de l’Évangile, répandue par tout l’univers, a pris successivement des développements prodigieux, elle se développe aussi progressivement dans l’âme de chaque fidèle, car personne n’arrive tout d’un coup à la perfection, mais il croit et s’élève, non pas comme les plantes qui se dessèchent si vite, mais à la manière des arbres. Les rameaux de cet arbre sont les divers dogmes dans lesquels les âmes chastes, prenant leur essor sur les ailes des vertus, viennent faire leur nid et trouver un doux lieu de repos.

Théophyl. Ou bien encore, tout homme qui prend ce grain de sénevé, c’est-à-dire, la doctrine de l’Évangile, et la sème dans le jardin de son âme, produit un grand arbre qui étend ses rameaux, et les oiseaux du ciel, c’est-à-dire, ceux qui s’élèvent au-dessus des choses de la terre, viennent se reposer dans ses branches, c’est-à-dire, dans les magnifiques développements des vérités chrétiennes. C’est ainsi que Paul reçut les premières leçons d’Ananie comme un grain de senevé (Ac 9), mais il le sema dans le jardin de son âme, et lui fit produire de nombreux et utiles enseignements où viennent habiter ceux qui ont l’intelligence élevée, comme Denis, Hiérothée, et beaucoup d’autres.

 

Notre-Seigneur compare ensuite le royaume de Dieu au levain : « Et il dit encore : A quoi comparerai-je le royaume de Dieu ? il est semblable à du levain qu’une femme prend, » etc. — S. Ambr. D’après le plus grand nombre des interprètes, ce levain est la figure de Jésus-Christ, parce que de même que le levain qui est un composé de farine, est supérieur à cette matière première, non par sa nature, mais par la force dont il est doué ; ainsi Jésus-Christ, par sa nature corporelle, était égal à ses ancêtres, mais leur était incomparablement supérieur par la dignité. Nous avons donc une figure de l’Église dans cette femme, dont il est dit « Qu’une femme prend, et mêle dans trois setiers de farine, jusqu’à ce que le tout soit fermenté. » — Bède. Le setier est une mesure en usage dans la Palestine et qui contient un boisseau et demi. — S. Ambr. C’est nous qui sommes la farine de cette femme, qui dépose Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l’intérieur de notre âme, jusqu’à ce que la chaleur de la sagesse céleste anime et soulève les sentiments les plus intimes de notre coeur. Comme ce levain se trouve ici mêlé dans trois mesures de farine, on a été conduit à y voir le Fils de Dieu caché dans la loi, voilé dans les prophètes et accompli dans la prédication évangélique ; cependant j’aime mieux suivre le sentiment indiqué par Notre-Seigneur lui-même, que ce levain est la doctrine spirituelle de l’Eglise. Lorsque l’homme a pris une nouvelle naissance dans son corps, dans son âme et dans son esprit, l’Église le sanctifie par le levain spirituel, quand ces trois facultés sont unies ensemble par une certaine égalité de désirs, et qu’elles aspirent ensemble aux mêmes jouissances. Si donc ces trois mesures demeurent unies au levain en cette vie, jusqu’à ce qu’elles fermentent et ne fassent plus qu’un, cette union sera un jour suivie par ceux qui aiment Jésus-Christ d’une communion éternelle et incorruptible. — Théophyl. Dans cette femme, on peut encore voir l’âme humaine, et dans les trois mesures les trois parties, la partie raisonnable, la partie irascible et la partie concupiscible. Si donc un chrétien dépose et cache le Verbe de Dieu dans ces trois mesures, elles ne formeront plus qu’un seul tout spirituel, de manière que la raison ne soit plus en opposition avec les divins enseignements) que la colère et la concupiscence ne s’emportent plus à aucun excès, mais se conforment à la parole du Verbe. — S. Aug. (serm. 32 sur les par. du Seign.) Ou bien encore, ces trois mesures de farine figurent le genre humain, qui a été reproduit par les trois enfants de Noé, et la femme qui mêle et cache le levain, c’est la sagesse de Dieu. — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien dans un autre sens, le levain c’est l’Esprit saint, qui est comme la vertu qui procède de son principe, c’est-à-dire du Verbe de Dieu ; les trois mesures de farine signifient la connaissance du Père, du Fils et du Saint-Esprit, que donne cette femme, c’est-à-dire, la divine sagesse et l’Esprit saint. — Bède. Ou bien encore, ce levain c’est l’amour de Dieu, qui fait fermenter et soulève l’âme. Cette femme, c’est-à-dire, l’Église, mêle donc le levain de l’amour de Dieu dans trois mesures, parce qu’elle nous ordonne d’aimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme, de toutes nos forces, et cela jusqu’à ce que le tout ait fermenté, c’est-à-dire, jusqu’à ce que la charité ait opéré dans l’âme une parfaite transformation d’amour, ce qu’elle commence ici-bas, mais qui ne s’achève que dans la vie future.

 

Vv. 22-30.

La Glose. Après que Notre-Seigneur a exposé sous le voile des paraboles qui précèdent les progrès de la doctrine évangélique, il s’applique lui-même à la répandre par ses prédications : « Et il allait par les villes et par les villages, enseignant, » etc. — Théophyl. Il ne visitait pas seulement les petites localités, comme font ceux qui veulent tromper les esprits simples, ni seulement les villes, comme ceux qui veulent se faire valoir et cherchent la gloire qui vient des hommes ; mais il allait partout, comme le maître de tous les hommes, comme un père dont la providence s’étend à tous ses enfants. En visitant les villes, il n’évite point la ville de Jérusalem, par crainte des accusations des docteurs, ou de la mort qui pouvait en résulter, car l’Évangéliste fait remarquer : « Qu’il se dirigeait vers Jérusalem ; » le médecin, en effet, doit surtout sa présence et ses soins aux endroits qui contiennent un plus grand nombre de malades. « Or, quelqu’un lui demanda : Seigneur, n’y aura-t-il qu’un petit nombre qui soient sauvés ? » — La Glose. Cette question paraît se rapporter à ce dont il avait parlé plus haut. En effet, dans la parabole précédente, le Sauveur avait dit que les oiseaux étaient venus se reposer sur les branches de l’arbre, ce qui donnait à entendre qu’il y en aurait un grand nombre qui parviendraient au repos du salut. Comme cet homme faisait cette question au nom de tous, le Seigneur ne lui répond pas en particulier : « Il leur répondit : Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite. » — S. Bas. (règle abrég. quest. 240.) De même que dans cette vie, quand on sort du droit chemin, on trouve de larges issues, ainsi quand on sort du sentier qui conduit au royaume des cieux, on tombe dans les voies larges de l’erreur. (Quest. 241.) Le droit chemin est toujours étroit, on ne peut sans danger s’en écarter soit à droite soit à gauche, il est semblable à un pont qu’on ne peut quitter d’un côté ou de l’autre sans être englouti dans le fleuve.

 

S. Cyr. (Ch. des Pères gr.) La porte étroite est aussi la figure des souffrances et de la patience des saints. De même en effet, que la victoire qui suit le combat atteste la bravoure du soldat, de même les travaux et les tribulations courageusement supportés donnent de l’éclat et de la gloire. — S. Chrys. (hom. 24 et 40, sur S. Matth.) Mais pourquoi donc le Sauveur dit-il ailleurs : « Mon joug est doux, et mon fardeau léger ? » (Mt 11.) Il n’y a point ici de contradiction, d’un côté Notre-Seigneur a en vue la violence des tentations, de l’autre l’amour de ceux qui les éprouvent. En effet, que de choses accablantes pour la nature, et qui nous deviennent faciles quand nous les embrassons avec amour ? D’ailleurs, si la voie du salut est étroite à son entrée, elle conduit cependant dans des régions vastes et spacieuses ; au contraire la voie large mène directement à la mort. — S. Grég. (Moral., 11, 26.) Avant de parler de l’entrée de la porte étroite, il dit : « Efforcez-vous, » parce qu’en effet, si l’âme ne déploie toute son ardeur elle ne pourra triompher des flots du monde qui toujours l’entraînent dans les abîmes.

 

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Il semble que Notre-Seigneur ne répond pas directement à cette question : « Y en a-t-il peu qui soient sauvés ? » en faisant connaître la voie qui peut conduire à la justice. Mais il faut se rappeler qu’il avait coutume de ne pas répondre en entrant dans les pensées et les désirs de ceux qui l’interrogeaient, toutes les fois qu’ils demandaient des choses inutiles, mais en ayant pour but l’utilité de ceux qui l’entendaient. Or, quel avantage pouvait résulter pour eux de savoir si le nombre de ceux qui seraient sauvés serait petit ou grand ? Il était bien plus nécessaire de connaître les moyens d’arriver au salut. C’est donc dans un dessein plein de miséricorde, que sans répondre à cette question inutile, il traite un sujet beaucoup plus nécessaire.

 

S. Aug. (serm. 32, sur les par. du Seig.) Ou bien encore, le Sauveur répond affirmativement à la question qui lui est faite : « Y en a-t-il peu qui soient sauvés ? » parce qu’il y en a peu qui entrent par la porte étroite. C’est ce qu’il déclare lui-même dans un autre endroit : « Le chemin qui conduit à la vie est étroit, et il en est peu qui le trouvent. » (Mt 7.) — Bède. C’est pour cela qu’il ajoute ici : « Car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer, (excités par le désir de sauver leur âme), et ils ne le pourront pas, » effrayés qu’ils seront des difficultés de la route. — S. Bas. (sur le Ps 1.) L’âme, en effet, hésite et chancelle quand, d’un côté, la considération de l’éternité lui fait choisir le chemin de la vertu, et quand en même temps la vue des choses de la terre lui fait donner la préférence aux séductions du monde. D’un côté elle voit le repos et les plaisirs de la chair, de l’autre l’assujettissement, l’esclavage de soi-même ; d’un côté l’intempérance, de l’autre la sobriété ; d’un côté les rires dissolus, de l’autre des ruisseaux de larmes, d’un côté les danses, de l’autre les prières ; ici le son des instruments, là les pleurs ; d’un côté la volupté, de l’autre la chasteté. S. Aug. (serm., 32.) Notre-Seigneur ne se contredit pas en disant ici qu’il en est peu qui entrent par la porte étroite, et en déclarant dans un autre endroit « qu’un grand nombre viendront de l’Orient et de l’Occident, » etc. (Mt 8.) Ils seront peu en comparaison de ceux qui se perdent, mais ils seront beaucoup dans la société des anges. Quand le grain est battu dans l’aire, à peine si on le voit, mais cependant il sortira de cette aire une si grande quantité de grains qu’elle remplira le grenier du ciel.

 

S. Cyr. Notre-Seigneur nous montre ensuite par un exemple manifeste combien sont coupables ceux qui ne peuvent entrer : « Lorsque le père de famille sera entré et aura fermé la porte, » etc. ; c’est-à-dire, supposez un père de famille qui a invité beaucoup de monde à son festin, lorsqu’il est entré avec ses convives et que la porte est fermée, d’autres arrivent et frappent à la porte. — Bède. Ce père de famille, c’est Jésus-Christ qui est présent partout par sa divinité, mais qui nous est représenté dans l’intérieur du ciel avec ceux qu’il réjouit de la vue de sa présence, tandis qu’il est comme dehors avec ceux qu’il soutient invisiblement dans le combat de cette vie. Il entrera définitivement, lorsqu’il admettra toute l’Église à le contempler, il fermera la porte lorsqu’il refusera aux réprouvés la grâce de la pénitence. Ceux qui se tiendront au dehors et frapperont à la porte, c’est-à-dire ceux qui seront séparés des justes, imploreront en vain la miséricorde qu’ils auront méprisée : « Et il leur répondra : Je ne sais d’où vous êtes. » — S. Grég. (Moral., 8.) Ne point savoir, pour Dieu, c’est l’éprouver, comme on dit d’un homme vrai dans ses paroles, qu’il ne sait pas mentir, parce qu’il a horreur du mensonge ; ce n’eut pas qu’il ne saurait mentir, s’il le voulait, mais l’amour de la vérité lui inspire un profond mépris pour te mensonge. La lumière de la vérité ne connaît donc point les ténèbres qu’elle réprouve.

 

« Alors vous commencerez à dire : Nous avons mangé et bu devant vous, » etc. — S. Cyr. Ceci s’applique aux Israélites qui offraient à Dieu des sacrifices selon les prescriptions de la loi, et se livraient à la. joie en mangeant la chair des victimes. Ils entendaient aussi dans leurs synagogues la lecture des livres de Moïse qui, dans ses écrits, ne parlait point en son nom, mais au nom même de Dieu. — Théophyl. Ou bien encore, on peut sans doute appliquer ces paroles aux Israélites, parce que Jésus-Christ est né d’eux selon la chair, qu’ils ont mangé et bu avec lui, et ont entendu ses prédications. Mais elles s’appliquent aussi aux chrétiens ; car nous mangeons le corps de Jésus-Christ, et nous buvons son sang, lorsque tous les jours nous nous asseyons à la table mystique, et il enseigne sur les places de nos âmes.

 

Bède. Ou bien dans un sens figuré, manger et boire devant le Seigneur, c’est recevoir la nourriture de la divine parole, et le Seigneur semble confirmer cette explication en ajoutant : « Vous avez enseigné dans nos places publiques. » En effet, la sainte Écriture, dans les choses obscures, est une nourriture, parce qu’on la rompt pour ainsi dire en morceaux en l’expliquant, et qu’on la broie avant de l’avaler. Elle est comme un breuvage dans les vérités plus claires, parce qu’on les prend comme elles se présentent. Mais les joies de ce festin spirituel ne servent de rien à celui qui ne se recommande pas par une piété appuyée sur la foi ; la science des Écritures ne fait pas connaître à Dieu ceux que l’iniquité de leurs oeuvres rendent indignes de cet honneur. Aussi que leur dit Notre-Seigneur : « Et il lui dira : Je ne sais d’où vous êtes, retirez-vous de moi, » etc. — S. Bas. (règl. abr., quest. 282.) Peut-être s’adresse-t-il à ceux que l’Apôtre semble personnifier lui-même, quand il dit : « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges… quand j’aurais toute la science..., quand je distribuerais toutes mes richesses pour nourrir les pauvres, si je n’ai point la charité, je ne suis rien » (1 Co 13) ; car ce qui ne se fait point par un motif d’amour de Dieu, mais pour obtenir les louanges des hommes, ne mérite point les éloges de Dieu. — Théophyl. Remarquez combien sont détestés de Dieu ceux qu’il est forcé d’enseigner sur les places publiques. Il nous faut donc écouter ses divins enseignements, non dans les places publiques, mais dans un coeur que l’humilité a rendu petit, si nous voulons éviter ce malheur.

 

Bède. Or, nous voyons ici la double peine de l’enfer, celle du froid et celle de la chaleur : « Là sera le pleur et le grincement de dents. » L’excessive chaleur, en effet, fait verser des larmes, et le grand froid produit le grincement de dents. Ou bien ce grincement de dents est un signe d’indignation, indignation tardive de celui qui attend trop tard pour faire pénitence. — La Glose. Ou bien encore, le grincement de dents sera pour ceux qui, sur la terre, mettaient, toute leur joie dans les plaisirs de la table ; et les pleurs, pour ces yeux qui s’égaraient ici-bas dans les désirs de la concupiscence. Ces deux tourments sont du reste une preuve de la résurrection des impies.

 

Théophyl. Ces tristes prédictions s’appliquent encore aux Israélites auxquels il s’adressait, et dont le plus grand supplice sera de voir les Gentils entrer avec leurs pères dans le repos éternel, tandis qu’ils en seront exclus : « Quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, » etc. — Eusèbe. Les patriarches, en effet, avant la promulgation de la loi, abandonnaient l’erreur de la pluralité des Dieux, comme s’ils avaient été instruits par l’Évangile, et se sont élevés à la connaissance du Dieu très-haut. Un grand nombre de Gentils ont été associés à leur bonheur, parce qu’ils ont suivi leurs exemples, tandis que leurs enfants ont repoussé les enseignements de la doctrine évangélique : « Et ce sont les derniers qui seront les premiers, et ce sont les premiers qui seront les derniers. » — S. Cyr. En effet, les Gentils ont été préférés aux Juifs qui tenaient le premier rang. — Théophyl. Nous-mêmes, qui avons reçu dès notre enfance les enseignements de la foi, nous sommes, ce semble aussi, les premiers, et peut-être serons-nous les derniers en comparaison des Gentils qui n’ont embrassé la foi qu’à la fin de leur vie. — Bède. Il en est beaucoup, en effet, dont la ferveur dégénère en tiédeur, beaucoup qui, de froids qu’ils étaient, s’enflamment d’amour pour Dieu ; beaucoup qui, méprisés dans ce monde, seront couverts de gloire dans l’autre ; d’autres, au contraire qui, honorés des hommes sur la terre, seront à la fin de leur vie condamnés pour l’éternité.

 

Vv. 31-35.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Les paroles que le Sauveur venait de prononcer avaient profondément irrité les pharisiens ; car ils voyaient déjà le peuple, touché de repentir, croire en lui, Désolés donc de perdre leur autorité sur les peuples, et de voir diminuer le profit qu’ils en retiraient, ils simulent pour lui une affection hypocrite, et lui conseillent de se retirer : « Le même jour, quelques-uns des pharisiens vinrent lui dire : Allez-vous en, retirez-vous d’ici ; car Hérode veut vous faire mourir. » Mais Jésus, qui sonde les coeurs et les reins, leur répond avec douceur et dans un langage figuré : « Et il leur dit : Allez, et dites à ce renard. » — Bède. Il appelle Hérode un renard à cause de son esprit rusé et insidieux ; car le renard est un animal rempli d’astuce, qui se cache dans sa tanière pour mieux tendre ses piéges, exhale une odeur fétide, et ne suit jamais les droits chemins. Tous ces traits conviennent aux hérétiques, dont Hérode est la figure, et qui cherchent à faire mourir Jésus-Christ, c’est-à-dire l’humilité de la foi chrétienne dans le coeur des fidèles.

 

S. Cyr. Ou bien encore, les paroles du Sauveur ont un autre objet, et ne se rapportent pas à la personne d’Hérode (comme quelques-uns l’ont pensé), mais plutôt à l’hypocrisie des pharisiens. En effet, Notre-Seigneur paraît indiquer ce pharisien qui n’est pas loin, en disant : « Allez, et dites à ce renard, » selon le sens du texte grec. Il leur commande de dire ce qui était de nature à exciter contre lui la multitude des pharisiens : « Voilà que je chasse les démons et guéris les malades aujourd’hui et demain, et c’est le troisième jour que je dois, être consommé, Il leur annonce donc qu’il fera ce qui leur déplaisait souverainement, c’est-à-dire qu’il commandera aux esprits immondes, et guérira les malades jusqu’à ce qu’il subisse volontairement le supplice de la croix. Mais comme les pharisiens s !imaginaient qu’il redoutait la puissance d’Hérode, lui qui était le Dieu des vertus, il éloigne cette pensée en ajoutant : « Cependant il faut que je marche aujourd’hui et demain, et c’est le troisième jour que je dois être consommé. » Cette expression : « Il faut, » n’indique nullement une nécessité qui serait imposée au Sauveur, mais bien plutôt qu’il se rendait librement et volontairement vers le but qu’il se proposait, jusqu’à ce. qu’il terminât sa vie par le supplice de sa croix adorable, dont il annonce que le temps approche en disant : « Aujourd’hui et demain. » — Théophyl. Comme s’il leur disait : Pourquoi vous préoccuper de ma mort ? Le temps n’en est pas éloigné. Cependant ces expressions : « Aujourd’hui et demain, » signifient un espace de plusieurs jours. C’est ainsi que dans le langage ordinaire nous disons : « Je ferai ceci aujourd’hui et demain ; » bien que nous ne puissions le faire dans un si court espace de temps. Et pour donner une explication plus claire de ces paroles, ne les entendez pas dans ce sens : « Il faut que je marche aujourd’hui et demain, » non, arrêtez-vous après ces mots : « Aujourd’hui et demain, » puis ajoutez : « Le jour suivant je dois marcher. » De même que souvent pour compter, nous disons : Dimanche, lundi, mardi, je sortirai ; nous comptons deux jours pour indiquer le troisième, Notre-Seigneur dit aussi : « Aujourd’hui et demain, et le troisième jour, je dois aller à Jérusalem. »

 

S. Aug. (Quest. évang.) Ou bien encore, Notre-Seigneur parle ici dans un sens figuré et ces paroles ont pour objet son corps mystique qui est l’Église. En effet, il chasse les démons, lorsque les nations idolâtres abandonnent leurs superstitions pour croire en lui, et il opère des guérisons, lorsqu’après qu’elles ont renoncé au démon et au monde, il conduit l’Église à la perfection angélique par l’immortalité du corps qui aura lieu à la résurrection, figurée ici par le troisième jour comme la consommation de toutes choses.

Théophyl. Mais comme ceux qui lui disaient : « Retirez-vous d’ici, parce que Hérode veut vous faire mourir, » lui parlaient ainsi dans la Galilée où régnait Hérode ; Notre-Seigneur leur déclare que ce n’est pas en Galilée, mais à Jérusalem, qu’il a été réglé d’avance qu’il devait souffrir. « Car il ne peut se faire qu’un prophète périsse hors de Jérusalem. » En entendant ces paroles : « Il ne faut pas, » c’est-à-dire, il ne convient pas qu’un prophète meure hors de Jérusalem, n’allez pas croire que les Juifs aient été forcés de le faire mourir ; le Sauveur parle ainsi, parce que les habitants de Jérusalem avaient comme soif du sang. Quand on entend parler d’un atroce scélérat, on dit, il faut que le chemin où il dresse ses embûches soit arrosé du sang des voyageurs ; de même, il fallait pour ainsi dire que le Seigneur des prophètes ne pérît pas ailleurs que dans la ville où demeuraient les meurtriers. Accoutumés à verser le sang des prophètes, ils feront aussi mourir le Seigneur des prophètes ; c’est ce qu’il déclare dans les paroles suivantes : « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes, » etc.

Bède. Ce n’est ni aux pierres ni aux édifices de cette ville que Notre-Seigneur s’adresse dans cette apostrophe, mais aux habitants de Jérusalem sur lesquels il pleure avec une affection de père. — S. Cyr. (hom. 75 sur S. Matth.) Cette répétition : Jérusalem, Jérusalem, indique un profond sentiment de compassion ou d’amour, le Sauveur parle à cette ville infortunée comme à une personne qui oublie celui qui l’aime, et il lui prédit le châtiment dont sera punie son ingratitude. — Sévère d’Ant. Cette répétition est aussi l’indice d’un violent reproche, comment, en effet, cette ville qui a reçu la connaissance de Dieu, peut-elle persécuter les ministres de Dieu ? — S. Cyr. Il fait bien voir, du reste, dans quel oubli des bienfaits de Dieu ils étaient tombés, en ajoutant : « Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme un oiseau rassemble sa couvée sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu ! » Sa main les a conduits par Moïse, un de ses plus fidèles et de ses plus sages serviteurs, il les a mille fois avertis par les prophètes ; il a voulu les voir réunir sous ses ailes, c’est-à-dire sous sa protection toute puissante, mais ils ont rendu inutiles toutes ces faveurs par leur ingratitude. — S. Aug. (Enchirid., chap. 17.) « J’ai voulu, » dit Notre-Seigneur, « et tu n’as pas voulu, » c’est-à-dire : Tous ceux que j’ai rassemblés par ma volonté toujours efficace, je les ai rassemblés malgré toi, parce que tu n’as cessé d’être ingrate. — Bède. Après avoir appelé renard le roi Hérode qui en voulait insidieusement à sa vie, il se présente lui-même sous la comparaison pleine de justesse d’un oiseau, parce que les renards tendent toujours astucieusement des piéges aux oiseaux.

 

S. Bas. (sur Is 16.) Il compare aussi les enfants de Jérusalem à des petits qui ne peuvent sortir de leur nid, comme s’il disait : Les oiseaux qui prennent leur essor dans les airs, échappent aux atteintes de ceux qui leur dressent des embûches ; mais pour vous, vous serez comme un poussin qui a besoin de protection et de secours, et une fois privé de votre mère qui s’envolera, vous serez arraché de votre nid, incapable de vous défendre, et trop faible pour prendre la fuite. C’est ce qu’il lui prédit en ces termes : « Voilà que votre maison va demeurer déserte. » — Bède. Cette ville qu’il avait comparée à un nid, il l’appelle maintenant la maison des Juifs ; car après qu’ils eurent mis le Seigneur à mort, les Romains vinrent et ravagèrent cette maison comme un nid vide, et détruisirent leur ville, leur nation et leur royaume — Théophyl. Ou bien encore, votre maison, c’est-à-dire votre temple, et tel est le sens de ces paroles : Tant que la vertu a été en honneur parmi vous, ce temple était le mien ; mais depuis que vous en avez fait une caverne de voleurs, ce n’est plus ma maison, c’est la vôtre. Ou bien enfin, cette maison, c’est toute la nation des juifs, selon ces paroles du Psalmiste : « Maison de Jacob, bénissez le seigneur, et il leur prouve ainsi que c’était lui qui les gouvernait, et qui les délivrait des mains de leurs ennemis.

« Je vous le dis, vous ne me verrez plus jusqu’à ce que vienne le jour où vous direz : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 75.) Ce récit de saint Luc n’est pas en opposition avec ce que nous lisons dans saint Matthieu, que la foule accueillit le Sauveur à son entrée dans Jérusalem en lui disant : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, » parce qu’il n’y était pas encore venu, et que ces paroles n’avaient pas encore été dites. — S. Cyr. Il s’était éloigné de Jérusalem, et avait abandonné ses habitants comme indignes de jouir de sa présence ; puis après avoir opéré un grand nombre de miracles, il revient de nouveau à Jérusalem, et la foule se porte à sa rencontre en disant : « Salut au Fils de David ! Beni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Mais comme saint Luc ne dit pas où le Seigneur s’est retiré, pour ne venir dans cette ville qu’au temps où il serait accueilli par ces paroles (il continue, en effet, de marcher jusqu’à ce qu’il vienne à Jérusalem), cet Évangéliste veut ici parler de l’avènement glorieux du Sauveur. — Théophyl. Alors ils seront forcés de reconnaître pour leur Sauveur et pour leur Dieu, alors que cette profession de foi ne leur servira de rien. Ces paroles : « Vous ne me verrez plus, » etc., ne doivent pas s’entendre du moment même où il leur parlait, mais du temps de sa mort sur la croix, et tel en est le sens : Après que vous m’aurez crucifié, vous ne me verrez plus jusqu’à ce que je revienne de nouveau. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 75.) Il faut donc entendre que saint Luc a voulu raconter ceci par anticipation, avant que son récit conduisît le Seigneur à Jérusalem, ou bien que lorsque le Sauveur approchait de Jérusalem, il a tenu à ceux qui l’engageaient à se mettre en garde contre Hérode, le même langage que lui prête saint Matthieu lorsqu’il entre dans cette ville. — Bède. Ou bien encore, ces paroles : « Vous ne me verrez plus, » signifient : Si vous ne faites pénitence, et si vous ne confessez que je suis le Fils du Dieu tout-puissant, vous ne serez point admis à contempler ma face adorable, lors de mon second avènement.

 

 

CHAPITRE XIV

Vv. 1-6.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Bien que le Seigneur connût à fond la malice des pharisiens, il consent à s’asseoir à leur table pour l’utilité de ceux qui seraient témoins de ses paroles et de ses miracles : « Un jour de sabbat, Jésus étant entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas, ceux-ci l’observaient, » c’est-à-dire, qu’ils regardaient s’il manquerait au respect dû à la loi, et s’il ferait quelque action défendue le jour du sabbat. Un hydropique s’étant donc présenté, Notre-Seigneur confond par la question suivante la témérité des pharisiens qui voulaient le prendre en défaut : « Et voici qu’un homme hydropique se trouvait devant lui : et Jésus prenant la parole, dit aux docteurs de la loi et aux pharisiens : Est-il permit de guérir le jour du sabbat ? » — Bède. Nous lisons dans le texte sacré « Et Jésus répondant, » parce qu’il répond, en effet, aux pensées de ceux dont il dit plus haut : « Et ils l’observaient, » (cf. Mc 12, 35 ; Ap 7, 13) car le Seigneur pénètre les plus secrètes pensées des hommes. — Théophylacte. Dans la question qu’il leur adresse, il se rit de leur folie, qui leur fait proscrire les bonnes oeuvres le jour du sabbat, que Dieu lui-même a béni ; en effet, un jour où l’on ne fait point de bonnes oeuvres, est un jour maudit. — Bède. Ils n’osent, et avec raison, répondre à cette question ; quelle que soit leur réponse, ils voient qu’elle tournera contre eux, car s’il est permis de guérir le jour du sabbat, pourquoi épier le Sauveur pour voir s’il guérira ? Et si ce n’est pas permis, pourquoi prennent-ils soin de leurs animaux même le jour du sabbat : « Et ils gardèrent le silence. »

 

S. Cyr. Sans donc se préoccuper des embûches que lui tendent les Juifs, Notre-Seigneur guérit cet hydropique qui, par crainte des pharisiens, n’osait lui demander sa guérison le jour du sabbat ; il se tenait seulement devant lui, afin que le Sauveur, touché de compassion à la vue de son triste état, lui rendit la santé. Aussi Jésus, connaissant ses dispositions, ne lui demande pas s’il veut être guéri, mais il le guérit sans tarder : « Et prenant cet homme par la main, il le guérit et le renvoya. » — Théophyl. Notre-Seigneur ne s’inquiète pas du scandale que vont prendre les pharisiens, il ne songe qu’à faire du bien à celui dont l’état réclame son secours ; ainsi quand il s’agit d’un grand bien, nous ne devons pas nous préoccuper si les insensés en seront scandalisés. — S. Cyr. Comme les pharisiens continuent à garder un silence ridicule, Jésus confond leur impudence obstinée par de sérieuses raisons : « Puis il leur dit : Qui de vous, si son fils ou son boeuf tombe dans un puits, ne l’en retire aussitôt le jour du sabbat ? » — Théophyl. C’est-à-dire, si la loi défend les oeuvres de miséricorde le jour du sabbat, ne prenez ce jour-là aucun soin de votre fils, qui est en danger ; mais pourquoi parler de votre fils ; quand votre boeuf en péril a droit le jour du sabbat à toute sollicitude ? — Bède. Notre-Seigneur confond ainsi les pharisiens qui épiaient sa conduite, et condamne à la fois leur avarice, car c’était par un sentiment d’avarice qu’ils délivraient leurs animaux en péril le jour du sabbat. À combien plus juste titre, le Christ devait-il délivrer l’homme, mille fois supérieur à l’animal sans raison ? — S. Aug. (Quest. évang., 2, 29.) Le Sauveur compare justement l’hydropique à l’animal qui est tombé dans un puits (car c’est un excès d’humeur liquide qui le rendait malade), comme il a comparé plus haut à l’animal qu’on délie pour le mener boire, la femme qui était comme liée depuis plusieurs années. — Bède. Il tranche donc la question par un exemple des plus propres à les convaincre qu’ils violaient le sabbat par un motif de cupidité, eux qui l’accusaient de le violer par une oeuvre de charité. Aussi l’Évangéliste ajoute-t-il : « Et ils ne pouvaient rien lui répondre. »

 

Dans le sens mystique, l’hydropique est la figure de celui qui est comme accablé sous le poids du cours déréglé des voluptés charnelles, car l’hydropisie tire son nom d’un épanchement de sérosité aqueuse. — S. Aug. (Quest. évang.) Ou bien encore, l’hydropique figure le riche avare, car plus le liquide épanché abonde chez l’hydropique, plus il est dévoré par la soif ; ainsi plus le riche avare voit augmenter les richesses dont il fait un mauvais usage, plus aussi ses désirs s’enflamment. — S. Grég. (Moral., 14, 6.) C’est à dessein que Notre-Seigneur guérit cet hydropique en présence des pharisiens, parce que l’infirmité corporelle de l’un était la figure de la maladie intérieure des autres. — Bède. Il choisit le boeuf et l’âne comme objet de sa comparaison, pour signifier les sages et les insensés, ou les deux peuples, c’est-à-dire, le peuple juif, accablé sous le joug de la loi, et le peuple des Gentils, qui n’avait pu être dompté par aucun moyen ; car Notre-Seigneur les a tous retirés du puits de la concupiscence où ils étaient tombés.

 

Vv. 7-11.

S. Ambr. Notre-Seigneur a commencé par guérir l’hydropique, en qui la surabondance de l’humeur appesantissait l’activité de l’âme et éteignait l’ardeur de l’esprit ; il enseigne maintenant l’humilité en défendant de choisir les premières places dans les repas de noces : « Il leur dit : Quand vous serez invité à des noces, » etc. — S. Cyr. En effet, aller au-devant des honneurs qui ne vous sont pas dus, c’est une preuve de témérité qui rend notre conduite digne de blâme. Aussi le Sauveur ajoute : « De peur qu’il ne se trouve quelqu’un plus considéré que vous, » etc. — S. Chrys. C’est ainsi que l’ambitieux n’obtient pas les distinctions qu’il désire, mais subit un honteux affront et qu’en cherchant de trop grands honneurs il n’en reçoit aucuns. Mais comme rien n’est comparable à l’humilité, le Sauveur, engage ceux qui l’écoutent à faire le contraire, non seulement il leur défend d’ambitionner les premières places, il leur commande de rechercher les dernières : « Mais lorsque vous serez invité, allez vous asseoir à la dernière place, » etc. — S. Cyr. Car celui qui ne désire point d’être placé au-dessus des autres, l’obtient justement de la divine Providence : « Afin que quand viendra celui qui vous a invité, il vous dise : Mon ami, montez plus haut. » Ce n’est pas ici une réprimande sévère, mais une observation pleine de douceur, car un simple avertissement suffit aux sages, et c’est ainsi que l’humilité est couronnée de gloire et d’honneur : « Alors ce sera une gloire pour vous devant ceux qui seront à table avec vous. »

 

S. Bas. (Règl. développ., quest. 21.) Prendre la dernière place dans les repas, est chose louable pour tous, mais vouloir s’en emparer avec obstination est une action digne de blâme, parce qu’elle trouble l’ordre et devient une cause de tumulte, et une contestation soulevée à ce sujet, vous rend semblables à ceux qui se disputent la première place. Nous devons donc laisser au maître du festin, comme l’observe Notre-Seigneur, le soin de placer ses convives, C’est ainsi que nous nous supporterons mutuellement en toute patience et en toute charité, nous traitant les uns les autres avec déférence selon l’ordre, et fuyant toute vaine gloire et toute ostentation. Nous ne chercherons pas non plus à pratiquer une humilité affectée au prix de vives contestations, mais nous paraîtrons humbles surtout par la condescendance mutuelle et par la patience. Car l’amour de la contestation et de la dispute est un plus grand signe d’orgueil, que de s’asseoir à la première place, quand on ne la prend que par obéissance.

 

Théophyl. Que personne ne pense que ces enseignements de Jésus-Christ soient peu importants et indignes de la grandeur et de la magnificence du Verbe de Dieu, car vous ne regarderiez pas comme un médecin dévoué celui qui vous promettrait de vous guérir de la goutte, mais qui refuserait de guérir une plaie survenue à votre doigt ou un simple mal de dents. D’ailleurs est-elle donc si peu importante cette passion de la vaine gloire qui agitait et troublait ceux qui recherchaient les premières places ? Il était donc souverainement utile que le Maître de l’humilité retranchât toutes les branches de cette racine pernicieuse. Remarquez enfin l’opportunité de cet enseignement, alors qu’on allait se mettre à table, et que le Sauveur était témoin du violent désir d’occuper les premières places qui tourmentait ces infortunés.

 

S. Cyr. Après avoir montré par ce fait si simple comment les orgueilleux étaient abaissés, et comment les humbles sont exaltés ; il fait suivre cet exemple d’une leçon plus importante, et proclame cette maxime générale : « Car quiconque s’élèvera sera humilié, et quiconque s’humilie sera exalté, » paroles qui doivent s’entendre de la règle suivie par la justice de Dieu et non de la conduite ordinaire des hommes, qui accordent souvent les honneurs à ceux qui les désirent, et qui laissent les humbles dans l’obscurité. — Théophyl. Cependant celui qui se pousse lui-même aux honneurs, ne jouit pas d’une estime durable et universelle ; tandis que les uns semblent l’honorer, les autres le déchirent, et souvent ceux qui affectent de le traiter avec plus de distinction.

 Bède. Mais puisque l’Évangéliste appelle cet enseignement une parabole, examinons brièvement quel en est le sens figuré. Que celui qui est invité aux noces de Jésus-Christ et de son Église, et qui se trouve par la foi en union avec les membres de l’Église, ne s’enorgueillisse pas de ses mérites, comme s’il était plus élevé que les autres, car il sera obligé de céder la place à un plus honorable que lui, bien qu’invité après lui, lorsqu’il se verra précédé par l’ardeur de ceux qui l’ont suivi dans les voies ouvertes par Jésus-Christ, Et il descendra couvert de confusion à la dernière place, quand il reconnaîtra la supériorité des autres sur lui, et qu’il se verra obligé de rabattre de la haute estime qu’il avait de sa vertu. On s’assoie à la dernière place quand on met en pratique la recommandation de l’Esprit saint : « Plus vous êtes grand, plus vous devez vous humilier en toutes choses. » (Si 3, 20.) Alors le Seigneur donnant le nom d’ami à celui qu’il trouvera dans ces sentiments d’humilité, lui commandera de monter plus haut, car quiconque s’humilie comme un enfant, est le plus grand dans le royaume des cieux. (Mt 18, 4.) Remarquez ces paroles : « Alors ce sera une gloire pour vous ; » ne cherchez donc pas maintenant ce qui vous est réservé pour la fin. On peut aussi cependant l’entendre de cette vie, car Notre-Seigneur entre tous les jours dans la salle du festin nuptial, tous les jours il abaisse les orgueilleux, et répand en si grande abondance dans le coeur des humbles les dons de son esprit, que tous les convives, c’est-à-dire l’assemblée des fidèles les admire et les honore. La conclusion générale qui termine cette parabole, prouve qu’il faut entendre dans un sens plus élevé les paroles de Notre-Seigneur, car il n’est pas vrai de dire que tous ceux qui s’élèvent devant les hommes, soient abaissés, ou que ceux qui s’humilient devant les hommes soient exaltés par eux, mais celui qui s’enorgueillit de ses mérites sera certainement humilié par le Seigneur, et celui qui s’humilie des bienfaits qu’il en a reçus sera élevé par sa main puissante.

 

Vv. 12-14.

Théophyl. Un festin se compose de deux sortes de personnes (ceux qui invitent et ceux qui sont invités), Notre-Seigneur ayant donc exhorté ceux qui sont invités à la pratique de l’humilité, s’acquitte envers celui qui l’avait invité, en lui recommandant de ne point inviter par un motif d’intérêt et dans l’intention de recevoir de ses convives une invitation semblable : « Il dit aussi à celui qui l’avait invité : Lorsque vous donnerez à dîner ou à souper, n’appelez ni vos amis, ni vos frères, » etc. — S. Chrys. (hom. sur la I Epit. aux Cor.) Il est plusieurs causes qui peuvent donner lieu aux relations d’amitié ; nous passons sous silence les causes qui sont criminelles pour ne parler que des causes naturelles et morales ; les causes naturelles produisent les rapports d’amitié entre le père et le fils, entre les frères et les autres parents, et c’est d’eux que Notre-Seigneur dit : « Ni vos frères, ni Vos parents. » Les causes morales sont les invitations réciproques ou le voisinage, et le Sauveur y fait allusion en ajoutant : « Ni vos voisins. »

 

Bède. Notre-Seigneur ne défend pas comme un crime aux frères, aux amis et aux riches, de se donner mutuellement des repas, mais il veut montrer que ces rapports comme toutes les autres relations sociales, sont de nul prix pour obtenir les récompenses de la vie céleste. C’est pour cela qu’il ajoute : « De peur qu’ils ne vous invitent à leur tour, et ne vous rendent ce qu’ils auront reçu de vous. » Il ne dit pas : De peur que vous ne deveniez coupable. Ces paroles ont la même signification que ces autres : « Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel est votre mérite ? » (Lc 6.) Il est cependant de ces festins mutuels entre frères et voisins, qui non seulement reçoivent leur récompense ici-bas, mais aussi leur condamnation dans l’autre vie. Ce sont ces festins qu’on se donne à frais communs, ou bien tour à tour, et où on ne se réunit que dans un but criminel et pour exciter, par l’excès du vin, toutes les passions de la chair.

 

S. Chrys. (comme précéd.) Ne faisons donc jamais du bien aux autres, dans l’espérance qu’ils nous le rendent, c’est là une intention misérable ; aussi une amitié de ce genre perd-elle bientôt toute sa force ; si au contraire vous invitez les pauvres, vous aurez pour débiteur Dieu, qui ne vous oubliera jamais : « Mais lorsque vous faites un festin, appelez-y les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles. » (hom. 45 sur les Actes.) Plus votre frère est obscur et pauvre, plus vous êtes certain que Jésus-Christ se présente à vous et vous visite dans sa personne. Celui qui reçoit un homme de condition, le fait souvent pour un motif de vaine gloire ou pour un motif semblable, souvent encore dans un but d’intérêt personnel pour arriver plus aisément aux honneurs. Je pourrais en citer un grand nombre qui courtisent les plus illustres sénateurs, afin d’avoir par leur crédit une plus grande part aux faveurs des princes. Ne recherchons donc point ceux qui peuvent nous rendre le bien que nous leur faisons « Et vous serez heureux de ce qu’ils n’ont rien à vous rendre. » Soyons donc sans inquiétude, lorsque nous ne recevons pas la récompense de nos bienfaits ; soyons bien plutôt inquiets, quand nous la recevons, car alors nous n’avons plus rien à attendre ; mais si les hommes ne nous rendent rien, alors c’est Dieu lui-même qui nous le rendra : « Car vous en recevrez la récompense à la résurrection des justes. » — Bède. Bien que la résurrection doive être générale, il est fait cependant une mention spéciale de la résurrection des justes, parce que dans cette résurrection, ils ne pourront douter de leur bonheur. Ceux donc qui invitent les pauvres à leurs repas, en recevront la récompense dans l’autre vie ; ceux au contraire qui invitent leurs amis, leurs frères et les riches, reçoivent ici-bas leur récompense. Si cependant ils le font pour Dieu, à l’exemple des enfants de Job (Jb 1, 4), de même qu’ils remplissent les autres devoirs de la charité fraternelle, ils en seront récompensés par celui qui est l’auteur de ces devoirs.

 

S. Chrys. (hom. 1 sur l’Epit. aux Coloss.) Vous me direz : Ce pauvre est d’une malpropreté repoussante : Lavez-le, et faites-le ensuite asseoir à votre table. Ses vêtements sont misérables ? donnez-lui en de plus convenables ? Comment, Jésus-Christ vous visite dans la personne de ce pauvre, et vous apportez d’aussi frivoles prétextes ? — S. Grég. de Nysse. (Ch. des Pèr. gr.) Gardez-vous donc de mépriser les pauvres, comme s’ils n’avaient droit à rien. Réfléchissez à ce qu’ils sont, et vous reconnaîtrez bientôt leur dignité et leur valeur. Ils sont revêtus de l’image de Jésus-Christ, ils sont les héritiers des biens futurs, les portiers du ciel, de puissants accusateurs et d’éloquents défenseurs, sans avoir besoin de prendre la parole, mais par leur seule présence devant le Juge suprême. — S. Chrys. (hom. 45 sur les Actes.) Vous devriez les recevoir sur la terrasse de votre maison exposée aux rayons du soleil (Jos 2, 6 ; Jg 16, 27 ; 1 R 9, 15 ; 2 R 11, 2 ; 16, 11). Si cela vous répugne, recevez au moins Jésus-Christ dans les places inférieures où sont vos animaux et vos serviteurs, que le pauvre soit au moins le portier de vos demeures ; car le démon n’ose entrer là où on fait l’aumône ; et si vous ne consentez à les faire asseoir près de vous, envoyez-leur au moins les miettes de votre table.

Orig. (ou Géom., Ch. des Pèr. gr.) Dans le sens figuré, celui qui s’eut éviter la vaine gloire, invite à son banquet spirituel les pauvres, c’est-à-dire les ignorants pour les enrichir ; les infirmes, c’est-à-dire ceux dont la conscience est malade, pour les guérir ; les boiteux, c’est-à-dire ceux qui s’écartent des sentiers de la raison, pour les guérir ; les aveugles, c’est-à-dire ceux qui ne peuvent contempler la vérité, pour faire briller à leurs yeux la vraie lumière. Quant aux paroles qui suivent : « Ils ne peuvent vous le rendre, » c’est-à-dire ils sont incapables de vous répondre.

 

Vv. 15-24.

Eusèbe. Notre-Seigneur venait de recommander d’inviter au repas ceux qui ne peuvent le rendre, afin d’en recevoir la récompense à la résurrection des justes. Un des convives qui confondait la résurrection des justes avec le royaume de Dieu, exalte cette récompense qui est promise : « Un de ceux qui étaient à table avec lui, ayant entendu ces paroles, lui dit ; Heureux celui qui mangera le pain dans le royaume de Dieu. » — S. Cyr. Cet homme avait des idées toute charnelles, et ne comprenait pas le sens exact des paroles du Sauveur ; car il s’imaginait que les récompenses des saints seraient matérielles. — S. Aug. (serm. 33 sur les par. du Seig.) Peut-être encore était-ce qu’il soupirait après un bonheur qui lui paraissait éloigné, tandis qu’il avait sous les yeux le pain qui faisait l’objet de ses désirs. Car quel est le pain du royaume de Dieu, si ce n’est celui qui a dit : « Je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel ? » (Jn 6.) Ce n’est donc pas la bouche qu’il faut ouvrir, c’est le coeur.

 

Bède. Mais comme il en est plusieurs qui se contentent de sentir par la foi l’odeur de ce pain céleste, mais qui dédaignent d’en savourer les douceurs en le mangeant réellement, Notre-Seigneur se sert de la parabole suivante pour déclarer que ce dédain les rend indignes du festin des cieux : « Et il leur dit : Un homme fit un grand festin et y convia beaucoup de monde. » — S. Cyr. Cet homme, c’est Dieu le père, d’après la signification de ces paraboles, qui sont les images de la vérité. Toutes les fois que Dieu veut exprimer sa puissance vindicative, il se sert des comparaisons de l’ours, du léopard, du lion, et d’autres du même genre, mais quand il veut nous parler de sa miséricorde, il se présente à nous sous la figure d’un homme.

 

S. Cyr. Le Créateur de toutes choses, et le Père de gloire, le Seigneur en un mot a préparé un grand festin, qui a eu lieu dans la personne du Christ. Dans les derniers temps, et comme vers le déclin du monde, le Fils de Dieu a fait briller sa lumière à nos yeux, et en mourant pour nous, il nous a donné son corps à manger ; c’est pour cela qu’on immolait chaque jour, au soir, un agneau selon les prescriptions de la loi de Moïse, et c’est pour cela que le festin qui nous est préparé dans la personne de Jésus-Christ, porte le nom de cène. — S. Grég. (hom. 36 sur les Evang.) Ou bien, il a fait un grand festin, en nous préparant le banquet des douceurs éternelles, où tous nos désirs seront satisfaits. Il y convie beaucoup de monde, et peu se rendent à son invitation, parce que souvent ceux qui font profession de lui être soumis par la foi, se rendent indignes par la dépravation de leur vie de son banquet éternel. Or, il y a cette différence entre les plaisirs du corps et ceux du coeur, que les plaisirs du corps excitent de violents désirs avant qu’on les ait goûter, mais dès qu’on en est en possession, ils se changent en satiété et en dégoût pour celui qui s’y est livré ; au contraire, les délices spirituelles inspirent le dégoût à ceux qui ne les connaissent pas, tandis qu’elles excitent de vifs désirs dans le coeur de celui qui les a une fois goûtées. C’est pour cela que la miséricorde divine place sous les yeux de notre âme ces délices spirituelles que nous dédaignons, et pour combattre cet éloignement, nous invite à venir les goûter : « Et il envoya son serviteur, » etc. — S. Cyr. Ce serviteur qui est envoyé, c’est Jésus-Christ lui-même (cf. Mt 12, 18) qui étant Dieu par essence, et vrai Fils de Dieu, s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave. Il a été envoyé à l’heure de la Cène ; car ce n’est pas dès l’origine que le Verbe du Père s’est revêtu de notre nature, mais dans les derniers temps. Il ajoute : « Parce que tout est prêt. » Dieu le Père, en effet, nous a préparé dans la personne de Jésus-Christ, tous les biens qu’il a répandus par lui sur le monde, la rémission des péchés, la participation à l’Esprit saint, l’honneur de l’adoption divine ; c’est à toutes ces grâces que Jésus-Christ est venu nous appeler par les enseignements de l’Évangile.

S. Aug. (serm. 33 sur les par. du Seig.) Ou bien encore cet homme, c’est le médiateur de Dieu et des hommes, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il envoie presser de venir les invités, c’est-à-dire ceux qui avaient été invités par les prophètes qu’il avait envoyés. Ils étaient chargés, en effet, d’inviter à la Cène du Christ ; ils ont été souvent envoyés aux enfants d’Israël, souvent ils leur ont renouvelé l’invitation de venir à l’heure de la Cène ; ceux-ci ont accepté l’invitation, et ont refusé de venir au festin ; et c’est ainsi que sans le savoir, ils nous ont préparé ce grand festin. Lorsque tout fut prêt pour ce festin, c’est-à-dire lorsque Jésus-Christ fut immolé, les Apôtres furent envoyés à leur tour vers ceux à qui Dieu avait autrefois envoyé les prophètes.

S. Grég. (comme précéd.) Ce serviteur, que le père de famille envoie vers les invités, figure l’ordre des prédicateurs. Or, il arrive souvent qu’un personnage puissant ait un serviteur qui parait mériter peu de considération ; cependant lorsque le maître transmet ses ordres par ce serviteur, on se garde de mépriser sa personne, parce qu’on respecte intérieurement l’autorité du Maître qui l’a envoyé. Dieu offre donc ce qu’on aurait dû le supplier de donner, et qu’il prie lui-même de recevoir ; il veut donner ce qu’on pouvait à peine espérer, et tous s’excusent comme de concert. « Et ils commencèrent à s’excuser tous ensemble. » Un homme riche invite à son festin, et tous les pauvres s’empressent de se rendre à son invitation ; Dieu nous invite à son banquet, et nous apportons des excuses.

 

S. Aug. (comme précéd.) Nous voyons ici trois excuses différentes : « Le premier dit : J’ai acheté une maison de campagne, et il faut que j’aille la voir. » Cette maison de campagne, cette propriété figure l’esprit de domination, aussi l’orgueil est le premier des vices qui aient été châtiés ; car le premier homme a voulu dominer, en cherchant à se soustraire à l’autorité de Dieu qu’il avait pour Maître. — S. Grég. Ou encore, cette maison de campagne représente les biens de la terre, cet homme va donc la voir, parce qu’il ne pense qu’aux biens extérieurs destinés à l’entretien de cette vie. — S. Ambr. Il est donc ordonné au fidèle qui s’est engagé dans la milice sainte, de mépriser tous les biens de la terre, parce que celui qui, tout occupé d’intérêts secondaires, achète des propriétés ici-bas, ne peut acquérir le royaume des cieux, au témoignage du Sauveur qui a dit : « Vendez tout ce que vous avez, et suivez-moi (cf. Mt 19, 21 ; Mc 10, 21 ; Lc 18, 22). »

 

« Un second dit : J’ai acheté cinq paires de boeufs, et je vais les essayer. » — S. Aug. (serm. 33 sur les par. du Seig.) Ces cinq paires de boeufs figurent les cinq sens de notre corps, la vue dans les yeux ; l’ouïe dans les oreilles ; l’odorat dans les narines, le goût dans la bouche ; le toucher répandu dans tous les membres. Mais l’analogie parait plus frappante dans les trois premiers sens, parce qu’ils sont doubles ; nous avons deux yeux, deux oreilles, deux narines, voilà trois paires. Nous trouvons aussi dans le goût comme un double sens parce que nous ne pouvons rien sentir par le goût que par le contact de la langue et du palais. Quant à la volupté de la chair qui se rapporte au sens du toucher, elle cache aussi une double sensation extérieure et intérieure. Ces cinq sens sont comparés à des paires de boeufs, parce que les boeufs labourent la terre, et que c’est par les sens du corps que nous sommes en rapport avec les choses de la terre. Ainsi les hommes éloignés de la foi, et livrés tout entiers aux intérêts de la terre, ne veulent rien croire que ce qu’ils peuvent percevoir par un des cinq sens du corps : « Je ne crois que ce que je vois, » telle est leur maxime. Si telles étaient nos pensées, les cinq paires de boeufs nous empêcheraient de nous rendre au festin. Et pour vous faire comprendre que l’obstacle qui vient de ces cinq sens n’est pas le plaisir qui charme, la volupté qui entraîne, mais un simple mouvement de curiosité, cet homme ne dit pas : J’ai acheté cinq paires de boeufs, et je vais les faire paître, mais : « Je vais les essayer. » — S. Grég. (hom. 36 sur les Evang.) Comme les sens du corps ne peuvent comprendre les choses intérieures et ne connaissent que ce qui paraît au dehors, ils représentent à juste titre la curiosité qui, en cherchant à discuter la vie d’autrui, ignore toujours son état intérieur, et se répand tout entière dans les choses extérieures. Remarquez encore que ceux qui s’excusent de venir au festin où ils sont invités, l’un, parce qu’il va voir sa maison de campagne ; l’autre, parce qu’il veut essayer les boeufs qu’il a achetés, s’excusent avec une espèce de respect et d’humilité : « Je vous prie, » disent-ils, et ils refusent de venir, c’est-à-dire que l’humilité est dans leurs paroles, et l’orgueil dans leur manière d’agir.

« Un autre dit : J’ai pris une femme, et c’est pourquoi je ne puis venir. » — S. Aug. (serm. 33 sur les par. du Seig.) Ce sont les plaisirs de la chair qui sont un obstacle pour le plus grand nombre, et plût à Dieu que cet obstacle ne fût qu’extérieur ! Car celui qui prend une femme, qui se livre aux joies de la chair, et s’excuse de venir au festin, doit prendre bien garde de ne pas s’exposer à mourir de faim intérieure. — S. Bas. (Chaîne des Pèr. gr.) Il dit : « Je ne puis venir, » parce que l’esprit de l’homme qui se laisse entraîner par les charmes du monde, n’a plus de force pour pratiquer les commandements divins. — S. Grég. (hom. 36 sur les Evang.) Bien que le mariage soit bon et établi par la divine Providence pour la propagation du genre humain, il en est plusieurs néanmoins qui s’y proposent, non d’avoir une nombreuse famille, mais la satisfaction de leurs désirs voluptueux ; et voilà pourquoi une chose juste et licite, peut très bien être la figure d’une chose injuste et criminelle. — S. Ambr. On peut dire encore que le Sauveur ne blâme pas ici le mariage, mais qu’il lui préfère la chasteté qu’il appelle à de plus grands honneurs ; car une femme qui n’est point mariée, pense aux choses qui sont du Seigneur, afin d’être sainte de corps et d’esprit ; mais celle qui est mariée, pense aux choses du monde. (1 Co 7, 34.)

 

S. Aug. (serm. 33 sur les par. du Seig.) Or, saint Jean, en disant : « Tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition du monde (1 Jn 2, 16), » commence par où l’Évangile termine : « J’ai pris une femme, » voilà la concupiscence de la chair : « J’ai acheté cinq paires de boeufs, » c’est la concupiscence des yeux ; « J’ai acheté une maison de campagne, » voilà l’ambition du siècle. C’est en prenant la partie pour le tout, que les cinq sens sont représentés par les yeux seuls qui tiennent le premier rang parmi les sens ; aussi, bien que les yeux soient l’organe spécial de la vue, cependant dans le langage habituel, nous étendons aux cinq sens la faculté de voir.

 

S. Cyr. Or, quels sont ceux qui, pour ces différents motifs, ont refusé de se rendre à l’invitation qui leur était faite, si ce n’est les principaux d’entre les Juifs dont la sainte Écriture condamne à chaque page la coupable indifférence ? — Orig. (et Géom. Ch. des Pèr. gr.) Ou bien encore, ceux qui ont acheté la maison de campagne, sont ceux qui ont reçu tous les autres enseignements divins, mais qui ne les ont point mis en pratique, et n’ont eu que de l’indifférence et du mépris pour la divine parole qu’ils possédaient. Celui qui avait acheté cinq paires de boeufs, est la figure de ceux qui négligent leur nature spirituelle pour s’attacher aux choses sensibles, et qui se rendent incapables de comprendre ce qui est immatériel. Celui qui a pris une femme, représente ceux qui sont étroitement liés à la chair, et qui ont plus d’amour pour la volupté que pour Dieu. (2 Tm 3, 4.) — S. Ambr. On peut voir encore ici trois sortes d’hommes qui sont exclus de ce festin ; les Gentils, les Juifs et les hérétiques. Les Juifs, esclaves d’une religion tout extérieure, portent le joug de la loi ; les cinq paires de boeufs, sont les dix commandements dont il est dit (Dt 4, 13) : « Dieu vous a fait connaître son alliance qu’il vous a commandé d’observer, et les dix paroles. qu’il écrivit sur deux tailles de pierre, » etc. (c’est-à-dire, les commandements du Décalogue) ; ou bien les cinq paires de boeufs sont les cinq livres de la loi ancienne ; en second lieu, l’hérésie, comme Ève autrefois, tente le sentiment de la foi par ses entraînantes séductions. Enfin l’Apôtre nous recommande en plusieurs endroits (Ep 5 ; Col 3 ; He 13 ; 2 Tm 2) de fuir l’avarice, qui nous empêcherait, comme les Gentils, de parvenir au royaume de Jésus-Christ. Ainsi celui qui a acheté une maison de campagne, celui qui a mieux aimé porter le joug de la loi que celui de la grâce, et celui qui s’excuse, parce qu’il vient de se marier, sont tous exclus du royaume de Dieu.

 

« Le serviteur étant revenu, rapporta tout ceci à son maître. » — S. Aug. (sur la Genès. expliq. littér., V, 19.) Dieu n’a pas besoin d’envoyés pour connaître ce qui se passe dans le monde qui lui est inférieur, et ils ne peuvent ajouter rien à sa science, car elle embrasse toutes choses dans sa durée comme dans son immutabilité ; si donc il se sert d’envoyés, c’est tout à la fois dans leur intérêt et dans le nôtre, car c’est un avantage en rapport avec leur nature, que de se tenir ainsi sous les yeux et en présence de Dieu, pour le servir vis-à-vis des créatures inférieures et exécuter ses ordres suprêmes.

S. Cyr. Ce refus des premiers d’entre les Juifs de se rendre à l’appel de Dieu, refus qu’ils constatent par leurs propres paroles : « Y a-t-il quelqu’un des sénateurs ou des pharisiens qui ait cru en lui ? » (Jn 7, 48) remplit d’une juste indignation le père de famille : « Alors le père de famille, irrité, » etc. — S. Bas. (cf. Ps 37 ; Is 5, 25) La divinité ne peut être accessible à la passion de la colère, mais nous appelons en Dieu colère et indignation, ce qui ressemble aux sentiments que nous éprouvons sous l’impression de ces passions. — S. Cyr. Le père de famille fut donc irrité contre les principaux des Juifs, et à leur place il appela ceux qui, parmi eux, composaient le peuple et qui avaient un esprit faible et plus borné. Ainsi à la parole de Pierre, trois mille d’abord (Ac 2), cinq mille ensuite (Ac 4), embrassèrent la foi, et une grande multitude après eux. Écoutez, en effet, ce que le maître dit au serviteur : « Allez vite dans les places et les rues de la ville, et amenez ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux. » — S. Ambr Il invite les pauvres, les infirmes et les aveugles, pour montrer qu’aucune infirmité corporelle n’exclut du royaume ; que celui qui n’est point exposé aux séductions du péché, tombe aussi plus rarement dans le péché, et aussi peut-être que l’infirmité que produit le péché est guérie par la miséricorde de Dieu ; c’est pour cela qu’il les envoie chercher sur les places publiques, afin de leur faire quitter les voies larges et spacieuses pour suivre le sentier étroit.

S. Grég. (hom. 36 sur les Evang.) Au défaut des orgueilleux qui refusent de venir, les pauvres sont choisis ; le texte sacré dit les infirmes et les pauvres qui sont infirmes à leurs yeux, car il y a des pauvres que l’on peut regarder comme forts, ce sont ceux qui sont orgueilleux jusqu’au sein de la pauvreté ; les aveugles sont ceux qui n’ont aucune lumière dans l’esprit ; les boiteux, ceux qui manquent de droiture dans leurs actions. Or, comme les infirmités corporelles de ces derniers sont la figure de leurs vices intérieurs, il s’ensuit que ceux qui ont été invités et ont refusé de venir, et ceux qui ont répondu à l’invitation étaient pécheurs les uns comme les autres ; mais les premiers ont été rejetés comme des pécheurs orgueilleux, tandis que les seconds ont été choisis, parce qu’ils étaient humbles : Dieu choisit donc ceux que le monde méprise, car la plupart du temps, le mépris des hommes fait rentrer en soi-même, et on écoute avec d’autant plus de docilité la voix de Dieu, que le monde offre moins d’attraits. Dieu appelle donc à son festin ceux qui sont dans les rues et les places publiques, ils sont la figure de ce peuple qui tenait à honneur d’être fidèle à l’observation de la loi, mais la multitude du peuple d’Israël, qui a embrassé la foi, n’a pu remplir la salle du festin des cieux. Aussi écoutez la suite : « Et le serviteur dit à son maître : Il a été fait comme vous avez commandé ; et il y a encore de la place, » etc. Les Juifs sont en effet entrés en grand nombre, mais il y a encore de la place dans le royaume pour recevoir la multitude innombrable des Gentils. C’est pourquoi « le maître dit au serviteur : Allez dans les chemins et le long des haies, et contraignez-les d’entrer. » Ces convives qu’il envoie chercher dans les chemins et le long des haies, c’est un peuple encore barbare et grossier, c’est-à-dire, le peuple des Gentils.

 S. Ambr. Ou bien il envoie dans les chemins et le long des haies, pour figurer que ceux-là sont propres au royaume des cieux qui, dégagés de toutes les passions de la vie présente, se hâtent d’arriver à la possession des biens futurs, en suivant le sentier que leur bonne volonté leur a ouvert ; et aussi ceux qui, semblables aux haies qui séparent la terre cultivée de celle qui ne l’est pas, et la défend coutre le ravage des animaux, savent discerner le bien du mal et opposer le rempart de la foi aux attaques de l’esprit du mal (Ep 6, 12 ). — S. Aug. (serm. 33 sur les par. du Seign.) Les Gentils sont venus des chemins et des places publiques, les hérétiques viennent comme du milieu des haies. Ceux, en effet, qui plantent des haies, cherchent à établir des divisions ; qu’ils soient donc retirés d’entre ces haies, qu’ils soient arrachés du milieu de ces épines. Mais ils ne veulent pas qu’on les contraigne : « Nous entrerons, dit-il, de notre propre volonté. » Ce n’est pas ce que le Seigneur a commandé : « Contraignez-les d’entrer, » nous dit-il, usez de contrainte au dehors, de là naîtra la bonne volonté.

 

S. Grég. (hom. 36 sur les Evang.) Ceux qui reviennent à l’amour de Dieu, après avoir été brisés par les tribulations du monde, entrent comme par violence. Mais la sentence est de nature à nous faire trembler : « Or, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités, ne goûtera de mon festin. » Gardons-nous donc de mépriser l’invitation qui nous est faite, de peur qu’après nous être excusés d’y répondre, nous ne puissions plus entrer dans la salle du festin, lorsque nous en aurons la volonté.

 

Vv. 25-28.

S. Grég. (hom. 37 sur les Evang.) L’âme s’enflamme en entendant parler des récompenses célestes, et elle désirerait déjà être transportée dans ce séjour d’éternelle félicité ; mais on ne peut parvenir à ces grandes récompenses sans de grands efforts. C’est ce que Notre-Seigneur va nous apprendre : « Or, comme une grande foule de peuple allait avec lui, il se retourna vers eux et leur dit. » — Théophyl. Parmi ceux qui l’accompagnaient, il en était beaucoup qui ne le suivaient pas de tout coeur, mais avec une certaine tiédeur ; il leur apprend donc les qualités que doit avoir son disciple.

 

S. Grég. (hom. 37.) On peut demander comment Notre-Seigneur nous fait un devoir de haïr nos parents et ceux qui nous sont unis par les liens du sang, tandis qu’il nous est commandé d’ailleurs d’aimer jusqu’à nos ennemis ? Mais si nous comprenons bien toute la force de ce précepte, nous pourrons pratiquer l’un et l’autre par un sage discernement ; d’un côté, aimer ceux qui nous sont unis par les liens du sang et que nous reconnaissons pour nos proches ; de l’autre, haïr et éviter ceux qui se déclarent contre nous dans la voie de Dieu, car en refusant d’écouter les mauvaises suggestions des hommes charnels, nous les aimons jusque dans notre haine. — S. Ambr. Le Seigneur, dans votre intérêt, a renoncé sa mère : « Quelle est ma mère, et quels sont mes frères ? » (Mt 12, Mc 3.) Et vous oseriez-vous préférer à votre Dieu ? Le Seigneur ne veut, ni que nous méconnaissions les droits de la nature, ni que nous en soyons esclaves ; nous devons leur accorder assez pour honorer l’auteur de la nature, mais ne jamais nous séparer de Dieu par amour pour nos parents.

S. Grég. (hom. 37.) Pour démontrer plus clairement que cette haine pour nos parents prenait son principe, non d’un mauvais sentiment ou de la passion, mais de la charité, Notre-Seigneur ajoute : « Et même sa propre vie. » Il est donc évident que celui qui hait son prochain comme soi-même, doit l’aimer tout en le haïssant, car nous avons pour notre âme une haine vraiment louable, lorsque nous ne consentons pas à ses désirs charnels, lorsque nous brisons ses inclinations, lorsque nous luttons contre ses penchants voluptueux. Puisque nous la rendons meilleure en la traitant avec mépris, nous l’aimons donc jusque dans la haine que nous avons pour elle. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr. et liv. V sur Isaie.) Nous ne devons pas chercher à quitter la v-le que saint Paul lui-même a conservée dans son corps et dans son âme, pour l’employer tout entière à la prédication de Jésus-Christ, mais il nous déclare lui-même que lorsqu’il fallait exposer sa vie pour achever sa course, elle ne lui était plus alors d’aucun prix. (Ac 20, 24.)

 

S. Grég. (hom. 37.) Mais comment cette haine pour notre propre vie doit-elle se manifester ? Le voici : « Et celui qui ne porte pas sa croix, » etc. Il ne veut pas dire que nous devions porter sur nos épaules une croix de bois, mais que nous devons avoir la mort toujours présente à nos yeux, comme saint Paul qui mourait tous les jours (1 Co 15), et qui méprisait la mort. — S. Bas. (Régl. abrég., quest. 234.) En portant ainsi sa croix, il annonçait la mort du Seigneur et disait : « Le monde est crucifié pour moi, et je suis crucifié pour lui. » (Ga 6.) Et c’est ce que nous commençons nous-mêmes à faire au baptême dans lequel « notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché soit détruit. » (Rm 6.) — S. Grég. (hom. 37.) Comme le mot croix vient de souffrance cruelle, nous portons la croix du Seigneur de deux manières ; ou lorsque nous mortifions notre chair par la pénitence, ou lorsque la compassion pour le prochain nous identifie avec ses propres souffrances. Mais il en est quelques-uns qui pratiquent la mortification, non pour plaire à Dieu, mais par un motif de vaine gloire, et qui témoignent au prochain une compassion toute charnelle, Notre-Seigneur ajoute : « Et ne me suit pas. » Car porter sa croix et suivre le Sauveur, c’est pratiquer la mortification de la chair, ou compâtir aux souffrances du prochain en vue de la récompense éternelle.

 

Vv. 28-33.

S. Grég. (hom. 37 sur les Evang.) Notre-Seigneur vient de donner de sublimes préceptes, il les appuie par la comparaison d’un grand édifice qu’il s’agit de construire : « Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne s’assied pas auparavant, pour supputer les dépenses, » etc. Toutes nos actions, en effet, doivent être précédées d’une sérieuse réflexion. Voulons-nous donc construire la tour de l’humilité ? préparons-nous tout d’abord aux contradictions du monde. —. S. Bas. (Comment. sur Is 2.) Ou bien cette tour est un observatoire élevé, d’où l’on peut facilement veiller à la garde de la ville et découvrir les approches de l’ennemi ; de même Dieu nous a donné l’intelligence pour veiller avec soin sur nos richesses spirituelles et prévoir tout ce qui pourrait nous en dépouiller. Avant de construire cette tour, Dieu nous commande de nous asseoir pour calculer si nous avons des ressources suffisantes pour l’achever. — S. Grég. de Nyss. (Liv. sur la Virg., chap. 18.) Il faut, en effet, de grands efforts pour mener à bonne fin toute grande entreprise spirituelle qui s’élève sur la pratique successive de tous les commandements de Dieu, et accomplir l’oeuvre de Dieu, car une seule pierre ne suffit pas pour construire une tour, et la pratique d’un seul commandement ne peut nous conduire à la perfection ; mais il faut d’abord poser le fondement, et selon la recommandation de l’Apôtre placer dessus des assises d’or, d’argent et de pierres précieuses, « de peur, ajoute Notre-Seigneur, qu’après avoir posé les fondements, et n’avoir pu l’achever, » etc.

Théophyl. Nous ne devons donc pas nous contenter de poser le fondement de cet édifice (c’est-à-dire, de pratiquer les premiers éléments de la doctrine de Jésus-Christ), et de le laisser inachevé, comme ceux dont parle l’évangéliste, saint Jean : « Dès ce moment-là plusieurs de ses disciples s’éloignèrent et ne marchèrent plus avec lui. » (Jn 6.)

 On bien, on peut entendre par ce fondement la doctrine que Notre-seigneur vient d’exposer sur la mortification. Or, il faut ajouter à ce fondement l’édifice des oeuvres, pour achever la tour forte qui doit nous défendre contre nos ennemis. (Ps 60.) Autrement cet homme deviendra un objet de moquerie pour tous ceux qui le verront, aussi bien pour les hommes que pour les démons. — S. Grég. (hom. 37.) Car lorsque nous nous livrons à la pratique des bonnes oeuvres, si nous ne nous mettons soigneusement en garde contre les esprits de malice, nous serons en butte aux railleries de ceux-là mêmes qui nous ont entraînés dans le mal. Notre-Seigneur ajoute à ce premier exemple une comparaison plus importante, pour montrer comment les plus petites choses élèvent notre esprit aux plus grandes. «  Ou quel est le roi qui, se disposant à aller faire la guerre à un autre roi, ne s’assied d’abord pour se demander s’il peut, avec dix mille hommes, faire face à un ennemi qui vient contre lui avec vingt mille ? » — S. Cyr. « Nous avons, en effet, à combattre contre les esprits de malice répandus dans, l’air. » (Ep 6.) Nous sommes assiégés d’ailleurs par mille autres ennemis : l’aiguillon de la chair, la loi de péché qui tyrannise nos membres, et toutes les passions réunies, telle est la multitude redoutable de nos ennemis. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 31.) Ou bien les dix mille hommes de ce roi qui se prépare à combattre contre celui qui en a vingt mille, signifient la simplicité du chrétien qui doit combattre contre la duplicité du démon. — Théophyl. Ces deux rois, c’est encore d’un côté le péché qui règne dans notre corps mortel (Rm 6), de l’autre notre âme, à qui Dieu a donné en la créant, un pouvoir vraiment royal. Si donc elle veut résister victorieusement au péché, qu’elle réfléchisse sérieusement en elle-même, car les démons sont comme les soldats du péché qui paraissent être vingt mille contre les dix mille que nous avons, parce que leur nature incorporelle leur donne sur nous qui avons un corps une force beaucoup plus grande.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 31.) Notre-Seigneur combat l’idée de construire une tour qu’on ne pourrait achever par la crainte des railleries auxquelles on s’exposerait : « Cet homme a commencé à bâtir, et il n’a pu achever ; » ainsi dans la parabole du roi, contre lequel il faut combattre, il désapprouve et condamne la paix qu’on est obligé de faire : « Autrement, tandis que celui-ci est encore loin, il envoie des ambassadeurs demander la paix. » Il nous enseigne par là que ceux qui ne renoncent pas à tout ce qu’ils possèdent, sont incapables de soutenir les assauts des tentations du démon, et qu’ils sont obligés de faire la paix avec lui, en consentant au péché qu’il les engage à commettre.

S. Grég. (hom. 37.) Ou bien encore, dans le jugement redoutable qui nous attend, nous ne pouvons nous présenter à forces égales devant notre juge ; nous sommes dix mille contre vingt mille, un seul contre deux. Dieu marche donc avec deux armées contre une seule, parce que nous ne nous sommes préparés que sur les oeuvres, tandis qu’il s’apprête à discuter à la fois nos actions et nos pensées. Pendant qu’il est encore éloigné, et qu’il ne nous fait pas sentir sa présence comme juge, envoyons-lui des ambassadeurs, nos larmes, nos oeuvres de miséricorde, des victimes de propitiation, telle est l’ambassade qui peut apaiser ce roi qui s’avance contre nous.

S. Aug. (Lettre à Laet., 38.) Le Sauveur nous fait voir clairement le but qu’il s’est proposé dans ces paraboles en ajoutant : « Ainsi donc, quiconque d’entre vous ne renonce pas à ce qu’il possède, ne peut être mon disciple. » Ainsi les ressources nécessaires pour construire cette tour, la force et le courage des dix mille qui marchent contre le roi qui en a vingt mille, ne signifient qu’une chose, c’est que chacun doit renoncer à tout ce qu’il possède. Le commencement de ce discours s’accorde parfaitement avec la conclusion ; car le précepte de renoncer à tout ce qu’on possède, renferme celui de haïr son père, sa mère, son épouse, ses enfants, ses frères, ses soeurs, et même sa propre vie. Toutes ces choses, en effet, sont la propriété d’un chacun, et la plupart du temps, elles sont pour lui un obstacle qui l’empêche d’obtenir non les biens particuliers du temps, qui passent si vite, mais ces biens communs à tous qui doivent durer éternellement.

 

S. Bas. (régl. abrég., quest. 263.) L’intention de Notre-Seigneur dans les deux comparaisons précédentes, n’est pas de laisser croire à chacun qu’il a le droit ou la permission d’être ou de n’être pas son disciple, de même qu’on est libre de ne pas poser les fondements de la tour ou de ne pas faire la paix ; mais de montrer l’impossibilité de plaire à Dieu au milieu de toutes ces affections qui divisent l’âme et la mettent en péril, parce qu’elle est ainsi plus exposée à tomber dans les embûches et dans les piéges que lui tend le démon.

 

Bède. Il y a une différence entre renoncer à tout, et abandonner tout ce qu’on possède. C’est le partage d’un petit nombre de quitter tout absolument, c’est-à-dire de sacrifier entièrement toutes les sollicitudes de ce monde ; mais c’est une obligation pour tous les fidèles de renoncer à tout, c’est-à-dire d’user des choses du monde, sans en devenir jamais l’esclave dans le monde.

 

Vv. 34-35.

Bède. Notre-Seigneur venait de nous recommander non seulement de commencer, mais d’achever la tour des vertus ; les paroles suivantes : « Le sel est bon, » se rapportent encore à cette recommandation ; c’est-à-dire il est bon d’assaisonner les parties intimes de notre coeur avec le sel de la sagesse spirituelle, et même de devenir comme les Apôtres le sel de la terre. (Mt 5.) — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Le sel est naturellement composé d’eau et d’air mêlés d’un peu de terre ; il absorbe la partie liquide des corps corruptibles, et les conserve ainsi après leur mort. C’est donc avec raison qu’il compare les Apôtres au sel, parce qu’ils ont été régénérés par l’eau et par l’esprit ; et que par leur vie toute spirituelle et séparée des inclinations de la chair, ils étaient comme le sel qui changeait la vie corrompue des hommes qui vivaient sur la terre, et répandait sur leurs disciples l’assaisonnement agréable d’une vie vertueuse. (cf. Lv 2, 13).

Théophyl. Ce ne sont pas seulement ceux qui ont reçu le pouvoir d’enseigner les autres, mais les simples fidèles qui sont obligés d’être utiles à leur prochain à la manière du sel. Mais si celui qui devait être utile aux autres, devient mauvais lui-même, comment pourra-t-on venir à son secours ? Si le sel s’affadit, comment lui rendra-t-on sa saveur ? — Bède. C’est-à-dire, si quelqu’un après avoir été éclairé par le sel divin de la vérité, devient apostat, quel docteur pourra le ramener à la vérité, alors qu’effrayé des persécutions du monde, ou séduit par ses charmes trompeurs, il a renoncé à cette sagesse dont il avait goûté la douceur ? « Il n’est plus propre ni pour la terre, ni pour le fumier, » etc. Le sel, en effet, lorsqu’il a perdu sa force pour assaisonner les aliments ou pour dessécher les viandes, ne peut plus servir à aucun usage. Il n’est plus propre ni pour la terre qu’il rendrait inféconde, ni pour le fumier qui sert d’engrais à la terre. Ainsi celui qui, après avoir connu la vérité, retourne en arrière (He 10, 26.27 ; 2 P 2, 21), devient incapable et de produire aucun fruit de bonnes oeuvres, et d’en faire produire aux autres ; il doit être jeté dehors, c’est-à-dire séparé de l’unité de l’Église.

Théophyl. Comme ces enseignements paraboliques pouvaient avoir quelque obscurité, Notre-Seigneur exhorte ses auditeurs à bien entendre ce qu’il a dit du sel : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende, » c’est-à-dire qu’il comprenne selon la mesure de la sagesse qui lui est donnée. Car les oreilles figurent ici la force intellectuelle de l’âme, et son aptitude à saisir la vérité. — Bède. Qu’il entende aussi sans mépriser la parole qu’il entend, et en mettant en pratique ce qu’il a appris.

 

 

 CHAPITRE XV

Vv. 1-7.

S. Ambr. Les enseignements qui précèdent vous avaient appris à ne vous point laisser absorber par les préoccupations du siècle, et à ne point préférer les choses passagères aux biens éternels. Mais comme la fragilité humaine ne peut tenir pied dans les voies si glissantes du monde, ce médecin plein de bonté vous a indiqué les remèdes contre vos erreurs, et ce juge miséricordieux ne vous a pas refusé l’espérance du pardon : « Or, les publicains et les pécheurs s’approchaient de Jésus pour l’entendre. » La Glose. (interlin.) C’est-à-dire ceux qui exigeaient les impôts publics ou qui les affermaient, et ceux qui cherchent à acquérir les richesses de ce monde par les opérations du commerce.

 

Théophyl. Notre-Seigneur remplissait ici la fin pour laquelle il s’était incarné, en accueillant avec bonté les pécheurs, comme un médecin accueille les malades. Mais les pharisiens, véritables accusateurs de leur nature, ne répondent que par des murmures à cette conduite pleine de miséricorde : « Et les pharisiens et les scribes murmuraient en disant : Cet homme accueille les pécheurs et mange avec eux. »

S. Grég. (hom. 34 sur les Evang.) Nous pouvons conclure de là que la vraie justice est compatissante, tandis que la fausse est pleine d’une hauteur dédaigneuse. Les justes, il est vrai, traitent et justement les pécheurs avec une certaine dureté, mais il faut bien distinguer ce qui est inspiré par l’orgueil et ce qui est dicté par le zèle pour la discipline. Car bien que les justes, par amour pour la règle, paraissent excéder dans les reproches qu’ils adressent, ils conservent cependant toujours la douceur intérieure sous l’inspiration de la charité ; ils se mettent dans leur coeur bien au-dessous de ceux qu’ils reprennent, et en agissant de la sorte, ils maintiennent dans la vertu ceux qui leur sont soumis, et se conservent eux-mêmes dans la grâce de Dieu par l’humilité. Au contraire, ceux qui s’enorgueillissent de leur fausse justice, affectent un grand mépris pour les autres, n’ont aucune condescendance pour les faibles, et deviennent d’autant plus grands pécheurs, qu’ils s’imaginent être exempts de péché. De ce nombre étaient les pharisiens qui, reprochant au Seigneur d’accueillir favorablement les pécheurs, accusaient avec un coeur desséché la source même de la miséricorde. Mais comme ils étaient malades, au point de ne point connaître leur maladie, le céleste médecin leur prodigue les soins les plus dévoués pour les amener à ouvrir les yeux sur leur triste état : « Et il leur proposa cette parabole : Quel est celui d’entre vous qui, ayant cent brebis, s’il en perd une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert ? etc. » Il choisit une comparaison dont l’homme pouvait reconnaître la vérité en lui-même, mais qui s’appliquait surtout au Créateur des hommes ; car le nombre cent étant un nombre parfait, Dieu a été le pasteur de cent brebis, lorsqu’il est devenu le Maître dés anges et des hommes. C’est pour cela qu’il ajoute : « Qui a cent brebis. »

 

S. Cyr. Jugez de là quelle est l’étendue du royaume de notre Sauveur. Il fait remarquer que cet homme avait cent brebis pour exprimer par un chiffre déterminé, et par un nombre complet, la multitude des créatures raisonnables qui lui est soumise, car le nombre cent, composé de dix décades est un nombre parfait. Une de ces brebis s’est égarée, c’est-à-dire le genre humain qui habite la terre. — S. Ambr. Qu’il est riche ce pasteur, puisque nous ne sommes que la centième partie de son troupeau ! « Et s’il en perd une, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres, » etc. — S. Grég. (hom. 34, sur les Evang.) Une brebis s’est égarée, lorsque l’homme par son péché à quitté les pâturages de la vie. Les quatre-vingt-dix-neuf autres étaient restées dans le désert, parce que le nombre des créatures raisonnables, (c’est-à-dire des anges et des hommes), qui avaient été créées pour jouir de la vue de Dieu, se trouvait diminué par la perte de l’homme. C’est pourquoi il s’exprime de la sorte : « Ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert ? » parce qu’en effet il a laissé dans le ciel les choeurs des anges. L’homme a quitté le ciel lorsqu’il a commis le péché, et c’est pour que le nombre des brebis fût ramené dans le ciel à son intégrité primitive, que Dieu condescend à chercher sur la terre l’homme qui s’était égaré : « Et il va après celle qui est perdue, » etc. — S. Cyr. Est-il donc cruel pour toutes les autres, en se montrant si tendre pour celle qui s’est égarée ? Non sans doute. Car les autres sont en sûreté, entourées comme d’un rempart de la protection de la main du Tout-Puissant ; mais il fallait avant tout avoir pitié de celle qui allait périr, afin que le troupeau ne restât pas incomplet, car le retour de cette brebis rétablit le nombre cent dans sa perfection première. — S. Aug. ( Quest. Ev., 2, 32.) Ou bien les quatre-vingt-dix-neuf qu’il laisse dans le désert, figurent les orgueilleux, qui portent pour ainsi dire la solitude dans leur âme, en cherchant à concentrer l’attention Sur eux seuls. L’unité leur manque pour qu’ils soient parfaits, car quand on se sépare de l’unité véritable, c’est toujours par un sentiment d’orgueil ; on veut être son maître, et jouir de soi-même, et on ne veut plus suivre l’unité qui n’est autre que Dieu. Or, c’est à cette unité qu’il ramène tous ceux qui sont réconciliés par la grâce de la pénitence qui ne peut s’obtenir que par l’humilité.

S. Grég. de Nyss. Lorsque le pasteur eut retrouvé sa brebis, il ne la châtia point, il ne la ramena pas au bercail avec violence, mais il la chargea sur ses épaules, et la porta avec tendresse pour la réunir au troupeau : « Et lorsqu’il l’a trouvée, il la met avec joie sur ses épaules. » Il met sa brebis sur ses épaules, c’est-à-dire qu’en se revêtant de notre nature, il a porté sur lui nos péchés. (1 P 2, 24 ; Is 53, 4.) Après avoir retrouvé sa brebis, il retourne à sa maison, c’est-à-dire, que notre pasteur, après l’oeuvre de la réparation du genre humain, est rentré dans son céleste royaume : « Et venant à sa maison, il appelle ses amis, et ses voisins, leur disant : Réjouissez-vous avec moi, parce que j’ai trouvé ma brebis qui était perdue. » Ses amis et ses voisins ce sont les choeurs des anges qui sont vraiment ses amis, parce qu’ils accomplissent sa volonté d’une manière constante et immuable ; ils sont aussi ses voisins, parce qu’étant toujours en sa présence, ils jouissent de la claire vision de Dieu.

 

Théophyl. Les esprits célestes reçoivent ici le nom de brebis, parce que toute nature créée, en comparaison de Dieu, est comme un animal dépourvu de raison, mais cependant il les appelle ses amis et ses voisins, parce que ce sont des créatures raisonnables.

S. Grég. (hom. 34, sur les Evang.) Remarquez qu’il ne dit pas : Réjouissez-vous avec ma brebis, mais : « Réjouissez-vous avec moi, » parce que notre vie fait sa joie, et lorsque nous sommes ramenés dans le ciel, nous mettons le comble à son allégresse et à son bonheur.

S. Ambr. Les anges étant des créatures raisonnables, il est juste qu’ils se réjouissent de la rédemption des hommes : « Ainsi, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui fait pénitence, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence. » Quel puissant encouragement au bien, pour chacun de nous à qui il est permis de croire que sa conversion sera un sujet de joie pour les anges dont il doit rechercher la protection, autant qu’il doit craindre de la perdre ! — S. Grég. (hom. 34.) Le Sauveur nous déclare que la conversion des pécheurs donnera plus de joie dans le ciel que la persévérance des justes ; souvent en effet, ceux qui ne se sentent point chargés du poids de fautes énormes, persévèrent, à la vérité, dans les voies de la justice, mais ne soupirent point avec ardeur après la céleste patrie, et demeurent presque toujours indifférents à la pratique des oeuvres de perfection, parce qu’ils ont la conscience de ne pas s’être rendus coupables de fautes bien graves. Au contraire, ceux qui se rappellent la gravité des fautes qu’ils ont commises, puisent dans ce souvenir le principe d’une douleur plus vive, et d’un amour de Dieu plus ardent, et la considération de leurs longs égarements les excite à compenser leurs pertes passées en acquérant de nouveaux mérites. Ils sont donc pour le ciel le sujet d’une plus grande joie, parce qu’un général aime mieux un soldat qui, après avoir fui honteusement devant l’ennemi, revient sur ses pas, et le charge avec intrépidité, que celui qui n’a jamais pris la fuite, mais qui aussi n’a jamais fait aucune action d’éclat. C’est ainsi que le laboureur préfère de beaucoup la terre qui, après avoir porté des épines, produit des fruits en abondance, à celle qui n’a jamais produit d’épines, mais qui aussi ne s’est jamais couverte d’une riche moisson. Et cependant, il faut le reconnaître, il est un grand nombre de justes, dont la vie est pour le ciel un si grand sujet de joie, qu’aucune pénitence des pécheurs convertis ne peut lui être préférée. Comprenons par là quelle joie donnent à Dieu les larmes du juste qui gémit dans l’humilité de son âme, puisque le pécheur produit dans le ciel une si grande joie lorsqu’il désavoue et pleure par la pénitence le mal qu’il a commis.

 

Vv. 8-10.

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) La parabole précédente où le genre humain était comparé à une brebis égarée, nous apprenait que nous sommes les créatures du Dieu très-haut, qui nous a faits, car nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes, et nous sommes les brebis de sa bergerie. (Ps 94.) Le Sauveur à cette première parabole en ajoute une seconde, qui nous rappelle que nous avons été faits a l’image et à la ressemblance d’un roi, c’est-à-dire à l’image et à la ressemblance du Dieu tout-puissant, car la drachme est une pièce de monnaie qui porte l’empreinte de la figure du roi : « Ou quelle est la femme qui ayant dix drachmes, si elle en perd une, » etc. — S. Grég. (hom. 34, sur les Evang.) Celui dont le pasteur était la figure nous est encore représenté par cette femme ; c’est Dieu lui-même, c’est la sagesse de Dieu. Il a créé les anges et les hommes pour qu’ils puissent le connaître, et il les a faits à sa ressemblance. Il avait dix drachmes, parce qu’il y a neuf choeurs des anges, et que pour rendre complet le nombres des élus, l’homme a été créé le dixième. — S. Aug. (quest. Evang., si, 33.) Ou bien ces neuf drachmes comme les quatre-vingt-dix-neuf brebis représentent ceux qui par un sentiment de présomption se préfèrent aux pécheurs repentants, car il manque une unité au nombre neuf pour faire dix, et au nombre quatre-vingt-dix-neuf pour faire cent, et c’est à cette unité qu’il compare tous ceux qui obtiennent la réconciliation par la pénitence. — S. Grég. (hom. 34.) Comme la drachme porte l’empreinte d’une figure royale, cette femme a perdu sa drachme, lorsque l’homme qui avait été créé à l’image de Dieu, a perdu par le péché sa ressemblance avec son Créateur. Le Sauveur ajoute : « Si elle en perd une, n’allume-t-elle pas sa lampe ? » etc. Cette femme qui allume sa lampe, c’est la sagesse de Dieu qui s’est manifestée sous une forme humaine, car une lampe est une lumière dans un vase de terre, et cette lumière dans un vase de terre c’est la divinité dans une chair mortelle. Après qu’elle a allumé sa lampe, « elle bouleverse sa maison, » c’est-à-dire qu’aussitôt que la divinité a brillé à nos yeux dans l’humanité dont elle s’était revêtue, notre conscience a été tonte bouleversée. Cette expression, « elle bouleverse toute sa maison, » ne diffère point de cette autre qu’on lit dans certains manuscrits : « elle balaye sa maison ; » car l’âme du pécheur ne peut être purifiée de ses habitudes vicieuses qu’après avoir été profondément remuée par la crainte de Dieu. La maison ainsi mise sens dessus dessous, la drachme se retrouve : « Et elle cherche soigneusement jusqu’à ce qu’elle la trouve, » car c’est grâce à ce trouble salutaire de la conscience, que l’homme répare en lui l’image de son Créateur.

 

S. Greg. de Naz. (Disc. 42, 2° sur la fête de Pâques.) Aussitôt qu’il a retrouvé la drachme qu’il avait perdue, il veut faire partager sa joie aux esprits célestes qu’il a établis les ministres de sa miséricorde : « Et lorsqu’elle l’a retrouvée, elle assemble ses amies et ses voisines, » etc. — S. Grég. (hom. 34.) En effet les vertus des cieux sont d’autant plus voisines de la divine sagesse qu’elles en sont plus rapprochées par la grâce de la claire vision de Dieu. — Théophyl. Ou encore : elles sont ses amies, parce qu’elles exécutent ses volontés ; elles sont ses voisines, parce qu’elles ont une nature incorporelle. Ou encore, toutes les vertus célestes sont les amis de Dieu ; ses voisines sont celles qui sont plus rapprochées, c’est-à-dire : les trônes, les chérubins et les séraphins.

 

S. Grég. de Nyss. (De la virginité, chap. 12.) Ou bien dans un autre sens, voici la vérité que Notre-Seigneur a voulu nous enseigner sous la comparaison de cette drachme qui est perdue et que l’on cherche ; c’est que nous ne pouvons retirer aucune utilité des vertus purement extérieures, figurées ici par les drachmes, (les eussions-nous toutes réunies), si notre âme est dépourvue et comme veuve de celle qui seule peut lui donner l’éclat de la ressemblance divine. La première chose qu’il nous ordonne de faire, c’est d’avoir une lampe allumée ; c’est-à-dire la parole divine qui découvre les choses cachées : ou bien encore la lampe de la pénitence. Or, c’est dans sa propre maison, (c’est-à-dire en soi-même et dans sa conscience), qu’il faut chercher cette drachme qu’on a perdue, c’est-à-dire cette image de notre roi qui n’est pas entièrement effacée et perdue, mais qui est cachée sous le fumier, qui figure les souillures de la chair. Il faut enlever ces souillures avec soin, et lorsqu’on les a fait disparaître de la drachme, la sainteté de la vie est alors dans tout son jour ce que l’on cherchait. Il faut donc se réjouir de l’avoir retrouvée et appeler à partager sa joie ses voisines, c’est-à-dire les puissances de notre âme, la partie raisonnable, et la partie irascible ou sensible et toutes les autres puissances de notre âme qui doivent se réjouir dans le Seigneur. Le Sauveur conclut ensuite cette parabole par ces paroles : « Ainsi, je vous le dis, sera la joie parmi les anges de Dieu pour un pécheur qui fait pénitence. Faire pénitence, c’est pleurer les fautes passées, et cesser de commettre celles qu’on déplore ; car celui qui déplore ses fautes anciennes, sans cesser d’en commettre de nouvelles, ne sait pas encore ce que c’est de faire pénitence, ou fait l’hypocrite. Il faut encore bien réfléchir qu’une des satisfactions à offrir au Créateur, c’est de s’interdire même les choses permises, parce qu’on s’est permis des choses défendues, c’est d’être sévère pour soi dans les plus petites circonstances, parce qu’on se rappelle d’avoir été infidèle dans les plus grandes.

 

Vv. 11-16.

S. Ambr. Saint Luc raconte successivement trois paraboles de Notre-Seigneur, celle de la brebis égarée et ramenée au bercail, celle de la drachme qui était perdue et qui fut retrouvée, et celle du fils qui était mort et qui fut ressuscité, pour que la vue de ces trois remèdes différents nous engage à guérir nos propres blessures. Jésus-Christ, comme un bon pasteur, vous porte sur ses épaules ; l’Église vous cherche comme cette femme qui avait perdu sa drachme ; Dieu vous reçoit comme un tendre père ; dans la première parabole, nous voyons la miséricorde de Dieu ; dans la seconde, les suffrages de l’Église ; dans la troisième, la réconciliation. — S. Chrys. (hom. sur le père et ses deux fils.) Il y a encore entre ces trois paraboles une différence fondée sur les personnes ou les dispositions des pécheurs ; ainsi le père accueille son fils repentant, qu’il a laissé user de sa liberté pour lui faire connaître d’où il était tombé, tandis que le pasteur cherche sa brebis égarée et la rapporte sur ses épaules, parce qu’elle était incapable de revenir ; cette brebis, animal dépourvu de raison, est donc la figure de l’homme imprudent qui, victime de ruses étrangères, s’est égaré comme une brebis. Or Notre-Seigneur commence ainsi cette parabole : « Un homme avait deux fils. » Il en est qui prétendent que le plus âgé de ces deux fils figure les anges, et que le plus jeune représente l’homme qui s’en alla dans une région lointaine, lorsqu’il tomba des cieux et du paradis sur la terre, et ils appliquent la suite de la parabole à la chute d’Adam et à son état après qu’il eut péché. Cette interprétation me parait pieuse, mais je ne sais si elle est aussi fondée en vérité. En effet, le plus jeune fils revint de lui-même à la pénitence, au souvenir de l’abondance dont il avait joui dans la maison de son père, tandis que le Seigneur est venu appeler lui-même à la pénitence le genre humain, qui ne songeait même pas à retourner au ciel d’où il était tombé. Ajoutez que l’aîné des deux fils s’attriste du retour et du salut de son frère, tandis que Notre-Seigneur nous déclare que la conversion d’un pécheur est un sujet de joie pour tous les anges. — S. Cyr. Suivant d’autres, le fils aîné représente le peuple d’Israël, selon la chair (Rm 9, 6), et celui qui quitte la maison paternelle, la multitude des Gentils.

S. Aug. (Quest. év., 2, 33.) Cet homme qui a deux fils représente donc Dieu, père aussi de deux peuples, qui sont comme les deux souches du genre humain, l’une composée de ceux qui sont restés fidèles au culte d’un seul Dieu, et l’autre de ceux qui ont oublié le vrai Dieu, jusqu’à adorer des idoles. Ainsi, c’est dès l’origine du monde et immédiatement après la création des hommes, que l’aîné des fils embrasse le culte du seul et vrai Dieu, et que le plus jeune demande à son père la portion du bien qui devait lui revenir : « Et le plus jeune des deux dit à son père : Mon père, donnez-moi la portion de bien qui doit me revenir. » Ainsi l’âme, séduite par la puissance qu’elle croit avoir, demande à être maîtresse de sa vie, de son intelligence, de sa mémoire, et à dominer par la supériorité de son génie ; ce sont là des dons de Dieu, mais elle les a reçus pour en disposer selon sa volonté. Aussi le père accède à ce désir : « Et il leur partagea leurs biens. » Théophyl. Le bien de l’homme, c’est la raison accompagnée du libre arbitre ; tout ce que nous tenons de la main libérale de Dieu, peut aussi être regardé comme notre bien, le ciel, la terre, toutes les créatures, la loi et les prophètes.

S. Ambr. Vous voyez que le patrimoine que nous tenons de Dieu est donné à tous ceux qui le demandent, et ne pensez pas que le père ait commis une imprudence en le donnant au plus jeune de ses fils. Pour le royaume de Dieu, nul âge n’est trop faible, et les années ne sont jamais un poids trop lourd pour la foi. D’ailleurs ce jeune homme s’est jugé capable d’administrer ce patrimoine, puisqu’il en demande le libre usage. Et plût à Dieu qu’il ne se fût pas éloigné de son père, il n’eût pas connu l’impuissance de l’âge : « Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant rassemblé tout ce qu’il avait, partit pour une région lointaine, » etc. — S. Chrys. (comme précéd.) Le plus jeune fils part pour un pays lointain, ce n’est pont par le changement et la distance des lieux qu’il s’éloigne de Dieu, qui remplit tout de son immensité, mais par les affections du coeur, car le pécheur fuit Dieu pour s’en tenir éloigné. — S. Aug. (serm. 34 sur les paroles du Seigneur.) Celui qui veut se rendre semblable à Dieu en conservant toute sa force en lui (Ps 58, 8), ne doit point s’éloigner de Dieu, mais s’attacher étroitement à lui pour conserver l’image et la ressemblance à laquelle il a été fait. Mais s’il veut imiter Dieu d’une manière coupable, et à l’exemple de Dieu, qui ne reconnaît point de maître, vivre indépendant et affranchi de toute autorité, que doit-il arriver ? C’est qu’en s’éloignant de la chaleur il tombera dans l’engourdissement, c’est qu’en s’éloignant de la vérité, il se dissipera dans la vanité. — S. Aug. (quest. évang., 2, 33.) C’est peu de jours après, qu’ayant rassemblé tout ce qu’il avait, il part pour une région lointaine, qui est l’oubli de Dieu, c’est-à-dire, que ce fut peu de temps après la création du genre humain, que l’âme voulut à l’aide de son libre arbitre, se rendre maîtresse de sa nature et s’éloigner de son Créateur dans un sentiment exagéré de ses forces, qu’elle perdit d’autant plus vite, qu’elle se sépara de celui qui en était la source. Aussi quelle fut la suite : « Et il y dissipa son bien en vivant dans la débauche. » Il appelle une vie d’excès ou de débauche, une vie de prodigalité, qui aime à se répandre, à errer en liberté et qui se dissipe au milieu des pompes extérieures du monde, cette vie qui fait qu’on poursuit toujours de nouvelles choses, tandis qu’on s’éloigne davantage de celui qui est au-dedans de nous-mêmes : « Et après qu’il eut tout consumé, il survint une grande famine dans ce pays. » Cette famine, c’est l’indigence de la parole de vérité.

 

« Et il commença à sentir le besoin. » — S. Ambr. C’est par une juste punition qu’il tombe dans l’indigence, lui qui a volontairement abandonné les trésors de la sagesse et de la science de Dieu, et la source inépuisable des richesses célestes : « Il alla donc, et s’attacha à un habitant de ce pays-là. » — S. Aug. (Quest. évang.) Cet habitant de cette région, c’est quelque puissance de l’air, faisant partie de la milice du démon. (Ep 6, 42.) Cette maison des champs, c’est une des manières dont il exerce sa puissance, comme nous le voyons par la suite : « Il l’envoya dans sa maison des champs pour garder les pourceaux. » Les pourceaux sont les esprits immondes dont le démon est le chef. — Bède. Mener paître les pourceaux, c’est commettre ces actions infâmes qui font la joie des esprits immondes : « Et il désirait se rassasier des caroubes que les pourceaux mangeaient. » — S. Ambr. La silique (ou ce que la Vulgate a traduit par ce mot), est une espèce de légume vide au-dedans et assez tendre à l’extérieur, qui remplit le corps sans le fortifier, et qui, par conséquent, est plus nuisible qu’utile. — S. Aug. (Quest. évang.) Ces siliques, dont les pourceaux se nourrissaient, sont donc les doctrines du siècle, aussi vaines qu’elles sont sonores, dont retentissent les discours et les poèmes consacrés à la louange des idoles et les fables des dieux qu’adorent les nations et qui font la joie des démons. Ainsi ce jeune homme qui voulait se rassasier, cherchait dans cette nourriture un élément solide et réel de bonheur, et cela lui était impossible : « Et personne ne lui en donnait. »

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Les Juifs sont souvent accusés dans la sainte Écriture, de crimes multipliés (Is 29, 13 ; Jr 2, 5) ; comment donc peut-on appliquer à ce peuple ces paroles du fils aîné : « Voici tant d’années que je vous sers, et je n’ai jamais manqué à vos commandements ? » Voici donc le sens de cette parabole. Les pharisiens et les scribes ayant accusé le Sauveur d’accueillir avec bonté les pécheurs, il leur proposa cette parabole, dans laquelle il compare Dieu à un homme qui est le père de ces deux frères (c’est-à-dire des justes et des pécheurs) ; le premier degré est celui des justes qui ne se sont jamais écartés des sentiers de la justice ; le second degré comprend les hommes qui ont été ramenés par la pénitence dans les sentiers de la vertu. — S. Bas. (sur Is 3.) Ce qui donne à l’aîné plus de constance dans le bien, c’est moins son âge avancé et ses cheveux blancs que sa maturité et la gravité du caractère ; et celui qui est ici condamné n’est pas le plus jeune par l’âge, mais celui qui, jeune par sa conduite, suit les inspirations de ses passions. — Tite de Bostra. Le plus jeune de ces deux fils, dont l’esprit n’était pas encore arrivé à la maturité, s’en va donc et demande à son père la portion de l’héritage qui doit lui revenir, afin de n’être plus dans la nécessité de lui être soumis, car nous sommes des êtres raisonnables doués de la faculté du libre arbitre.

 

S. Chrys. (comme précéd.) Le père, dit l’Évangile, leur partagea donc également son bien, c’est-à-dire la science du bien et du mal, source de richesses vraies et durables pour l’âme qui sait en faire un bon usage. En effet, la faculté de la raison que l’homme reçoit de Dieu en naissant est donnée également à tous ceux qui viennent au monde ; mais dans la suite, chacun se trouve avoir plus ou moins de cette faculté de la raison suivant le genre de vie qu’il adopte : l’un, en effet, regarde et conserve comme appartenant à son père, le patrimoine qu’il en a reçu, l’autre en use comme d’un bien qui lui appartient en propre et le dissipe dans tous les excès. Nous avons du reste dans la conduite de ce père une preuve démonstrative du libre arbitre, il ne retient pas le fils qui veut se séparer de lui pour ne point blesser son libre arbitre, il ne force point non plus l’aîné de quitter la maison paternelle, pour ne point paraître le premier auteur des malheurs qui suivraient cette séparation. Or, ce fils s’en va, non point en changeant de lieu, mais par l’éloignement de son coeur : « Il partit, dit l’Évangile, pour une région étrangère et lointaine. » — S. Ambr. Quel éloignement plus grand, en effet, que de s’éloigner de soi-même et d’être séparé, non par la distance des contrées, mais par la différence des moeurs ? Celui, en effet, qui se sépare de Jésus-Christ, est un exilé de sa patrie et un habitant du monde. Et il n’est pas surprenant qu’en s’éloignant de l’Église, il ait dissipé son patrimoine. — Tite de Bostr. Aussi donne-t-on le nom de prodigue à celui qui dissipe tout son bien, c’est-à-dire, la droiture de son intelligence, les leçons de la chasteté, la connaissance de la vérité, le souvenir de son père, la pensée de son origine.

S. Ambr. Il survint dans cette région une grande disette, non d’aliments, mais de bonnes oeuvres et de vertus, privation des plus déplorables. En effet, celui qui s’éloigne de la parole de Dieu, ressent, bientôt l’aiguillon de la faim ; car l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu (Mt 4) ; et celui qui s’éloigne d’un trésor, tombe dans l’indigence. Il commença donc à se trouver dans l’indigence et à souffrir de la faim, parce que rien ne peut suffire à une volonté prodigue. « Il s’en alla donc, et s’attacha à un habitant do ce pays ; » car celui qui s’attache est comme pris au piège ; cet habitant paraît être le prince de ce monde. L’infortuné est envoyé dans cette maison des champs achetée par celui qui s’est excusé de venir au festin royal. (Lc 14.) — Bède. Etre envoyé dans une maison des champs, c’est devenir l’esclave des désirs des jouissances de ce monde. — S. Ambr. Il garde les pourceaux dans lesquels le démon a prié qu’on le laissât entrer (Mt 8 ; Mc 2 ; Lc 8), et qui vivent dans l’ordure et le fumier. — Théophyl. Garder les pourceaux, c’est être supérieur aux autres dans le vice, tels sont les corrupteurs, les chefs de brigands, les chefs des publicains, et tous ceux qui tiennent école d’obscénités.

 

S. Chrys. (comme précéd.) Celui qui garde les pourceaux est encore celui qui est dépouillé de toute richesse spirituelle (de la prudence et de l’intelligence), et qui nourrit dans son âme des pensées impures et immondes. Il mange aussi les aliments grossiers d’une vie corrompue, aliments doux à celui qui est dans l’indigence de tout bien ; car les âmes perverties trouvent une certaine douceur dans les plaisirs voluptueux qui énervent et anéantissent les puissances de l’âme ; l’Écriture désigne sous le nom de siliques ces aliments destinés aux pourceaux, et dont la douceur est si pernicieuse (c’est-à-dire les attraits des plaisirs charnels.) — S. Ambr. Il désirait remplir son ventre de ces siliques ; parce que ceux qui mènent une vie dissolue, n’ont d’autre souci que de satisfaire pleinement leurs instincts grossiers. — Théophyl. Mais personne ne peut lui donner cette satiété dans le mal ; car celui qui a ce désir est éloigné de Dieu, et les démons s’appliquent à ce qu’on ne trouve jamais la satiété dans le vice. — La Glose. Ou bien encore, personne ne lui en donnait, car le démon ne donne jamais satisfaction pleine aux désirs de celui dont il s’est emparé, parce qu’il sait qu’il est mort.

 

Vv. 17—24.

S. Grég. de Nysse. (comme précéd.) Le plus jeune fils avait traité son père avec mépris en quittant la maison paternelle, et en dissipant tout son patrimoine ; mais lorsque dans la suite il fut brisé par les travaux, réduit à la condition de mercenaire, et à manger la même nourriture que les pourceaux ; instruit par une aussi grande infortune, il revint dans la maison de son père : « Rentrant alors en lui-même, il dit : Combien de mercenaires, dans la maison de mon père, ont du vain en abondance, et moi ici je meurs de faim. » — S. Ambr. Il a bien raison de rentrer en lui-même, lui qui s’en est tant éloigné ; car eu retournant à Dieu, on se rend à soi-même, et on s’en sépare quand on se sépare de Jésus-Christ. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 33.) Il rentra en lui-même, lorsqu’il ramena dans l’intérieur de sa conscience ses affections qu’il avait laissé s’égarer sur toutes ces vanités extérieures qui nous séduisent et nous entraînent.

S. Bas. (de la préface des régl. dévelop.) On peut distinguer trois degrés d’obéissance d’après leurs différents motifs. Ou bien nous nous éloignons du mal par la crainte des supplices, et nous sommes dans une disposition servile ; ou nous faisons ce qui nous est commandé exclusivement par le désir de la récompense, et nous ressemblons à des mercenaires ; ou enfin nous obéissons par amour pour le bien et pour celui qui nous a donné la loi, et nos dispositions sont celles d’un véritable fils. — S. Ambr. Car le fils qui a dans son coeur le gage de l’Esprit saint, ne cherche pas les avantages passagers de la terre, mais il conserve ses droits d’héritier. Il y a aussi de bons mercenaires, tels que ceux que le père de famille envoie travailler à sa vigne. (Mt 20.) Ils ne se nourrissent pas de siliques, mais ont le pain en abondance. — S. Aug. (Quest. évang.) Mais comment pouvait-il le savoir, lui qui, comme tous les idolâtres, était tombé dans un si grand oubli de Dieu ? Cette pensée de retour ne lui vint donc qu’à la prédication de l’Évangile. C’est alors que cette âme put déjà s’apercevoir que dans le grand nombre de ceux qui prêchaient la vérité, il en était plusieurs qui n’étaient pas conduits par l’amour de la vérité, mais par le désir d’obtenir les avantages de la terre, quoique cependant ils n’annonçaient pas une autre doctrine, comme font les hérétiques. On les appelle justement mercenaires, parce qu’ils demeurent dans la même maison, et rompent le même pain de la parole ; toutefois, ils ne sont pas appelés à l’héritage éternel, mais ils travaillent pour une récompense purement temporelle.

 

S. Chrys. (comme précéd.) Après que cet enfant prodigue a souffert dans une terre étrangère le digne châtiment de ses égarements, vaincu par l’extrémité de ses malheurs, c’est-à-dire par la famine et la pauvreté, il commence à réfléchir sur la cause de sa détresse, lui qui, sous l’impulsion d’une volonté vicieuse a quitté son père pour des étrangers, sa maison pour l’exil, les richesses pour la pauvreté, l’abondance de tous les biens pour l’extrême indigence. Aussi écoutez cet aveu si expressif : « Et moi ici, je meurs de faim, » c’est-à-dire, moi qui ne suis pas un étranger, mais le fils d’un si bon père, et le frère d’un fils si soumis, moi qui étais libre et de condition noble, je suis devenu plus misérable que les mercenaires en tombant du comble de ma grandeur première dans l’abîme de l’humiliation. — S. Grég. de Nysse. Il n’y eut pour lui de retour à sa félicité première, qu’après qu’il fut rentré en lui-même, pour sentir tout le poids de sa misère, et qu’il eut réfléchi sur les paroles de repentir qui suivent : « Je me lèverai, » etc. — S. Aug. (Quest. évang.) « Je me lèverai, » parce qu’en effet, il était comme étendu à terre ; « à mon père, » parce qu’il était au service du maître de ces pourceaux. Les autres paroles sont celles du pécheur qui songe à faire pénitence en confessant son péché, mais qui n’en vient pas encore à l’action ; car il ne fait pas encore cet aveu à son père ; il se propose de le faire lorsqu’il se présentera devant lui, Il faut donc bien comprendre le sens de ces paroles : « Venir à son père ; » elles veulent dire être établi par la foi dans l’Église, où la confession peut être légitime et avantageuse. Il prend donc la résolution de dire à son père : « Mon père. » — S. Ambr. Qu’il est miséricordieux ce Dieu qui, tout offensé qu’il est, ne dédaigne pas ce nom de père que le pécheur lui donne ! « J’ai péché, » c’est le premier aveu que nous devons faire devant l’auteur de notre nature, le roi de la miséricorde, le confident et le juge de nos fautes. Mais bien que Dieu connaisse toutes choses, il attend néanmoins votre confession extérieure, car la confession de bouche (Rm 10, 10) est nécessaire pour le salut. Celui qui se charge lui-même, allége le poids de l’erreur qui pèse sur lui, et ôte à l’accusateur le désir de l’accuser, en le prévenant par une confession volontaire. C’est en vain, d’ailleurs, que vous voudriez en dérober la connaissance à celui pour qui rien n’est caché, tandis que vous pouvez sans danger avouer ce que vous savez lui être déjà connu. Confessez-vous donc, pour que le Christ intercède en votre faveur, pour que l’Église prie pour vous, pour que le peuple fidèle verse des larmes sur vous. Ne craignez pas de n’être pas exaucé, votre avocat vous assure du pardon ; votre protecteur s’engage à vous donner la grâce ; le témoin de la tendresse de votre père vous promet la réconciliation qu’il vous réserve. Il ajoute : « Contre le ciel et devant vous. » — S. Chrys. (comme précéd.) Ces paroles : « Devant vous, » nous apprennent que ce père c’est Dieu, qui seul voit toutes choses, et pour qui les péchés même dont la pensée est comme ensevelie dans le coeur, ne peuvent demeurer cachés.

S. Aug. (Quest. évang.) Mais ce péché contre le ciel est-il le même que le péché commis sous les yeux de Dieu, dans ce sens que le ciel serait la majesté sublime du Père ? Ou bien faut-il entendre : J’ai péché contre le ciel en présence des âmes saintes qui l’habitent, et devant vous dans le secret de ma conscience ? — S. Chrys. (comme précéd.) Ou bien encore faut il entendre par le ciel Jésus-Christ ? car celui qui pèche contre le ciel, qui malgré son élévation est cependant un élément visible, pèche contre l’homme, dont le Fils de Dieu s’est revêtu pour notre salut. — S. Ambr. Ou encore ces paroles veulent dire que le péché diminue dans l’âme les dons célestes de l’Esprit saint ; ou que nous n’aurions pas dû nous séparer du sein de la Jérusalem céleste qui est notre mère. Or, après être tombé si bas, il doit se garder de s’élever, aussi ajoute-t-il : « Je ne suis plus digne d’être appelé votre fils, » mais afin que cette humiliation volontaire lui obtienne la grâce dont il déclare n’être point digne, il ajoute : « Traitez-moi comme un de vos mercenaires. » Bède. Il n’ose aspirer à l’affection dont jouit un fils qui ne peut douter que tout ce qui est à son père ne soit à lui, il se contente de demander la condition d’un mercenaire prêt à servir pour son salaire, et encore déclare-t-il qu’il ne peut obtenir cette condition que par l’indulgence de son père.

 

S. Grég. de Nysse. Le Saint-Esprit, nous décrit les égarements et le retour de cet enfant prodigue, pour nous apprendre comment nous devons déplorer les égarements de notre coeur. — S. Chrys. (hom. 14 sur l’Epît. aux Rom.) Aussitôt qu’il a pris cette résolution, source pour lui de tous les biens : « J’irai vers mon Père, » il franchit sans tarder la distance qui le sépare de lui : « Et se levant, il vint vers son pore. » Imitons son exemple, ne soyons pas effrayés de la longueur du chemin ; car pourvu, que nous le voulions, le retour sera prompt et facile ; il suffit que nous nous détachions du péché qui nous a éloignés de la maison paternelle. Mais voyez la tendresse de ce bon père pour ceux qui reviennent à lui : « Comme il était encore loin, son père le vit, » etc. — S. Aug. (Quest. évang.) Avant même qu’il comprit ce qu’était Dieu, dont il était si éloigné, mais qu’il commençait à chercher avec amour, son père le vit. L’Écriture nous dit avec raison que Dieu ne voit point les impies et les superbes, comme s’ils n’étaient pas présents à ses yeux ; car il n’y a que ceux qu’on aime dont on puisse dire qu’on les a toujours devant les yeux.

 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Le père comprit le repentir de son fils, il n’attendit point qu’il eût fait l’aveu de ses fautes, et il prévint ses désirs par les effets de sa miséricorde : « Et il fut touché de compassion. » — S. Grég. de Nysse. La volonté de confesser ses égarements suffit pour apaiser son père, le déterminer à aller à sa rencontre et à couvrir son cou de ses baisers : « Il accourut, se jeta à son cou, et le baisa. » C’est la figure du joug spirituel imposé aux lèvres de l’homme par la tradition évangélique qui a mis fin aux observances légales. — S. Chrys. (hom. sur le pèr. et ses deux enfants.) Or, que signifie cette condescendance du père qui va à la rencontre de son fils ? c’est que nos péchés étaient un obstacle insurmontable qui nous empêchait d’arriver jusqu’à Dieu par nos propres forces. Mais pour lui qui pouvait parvenir jusqu’à notre infirmité, il est descendu jusqu’à nous ; et il baise cette bouche d’où était sortie la confession dictée par un coeur repentant, et que ce bon père a reçue avec tant de joie.

 

S. Ambr. Il vient donc à votre rencontre, parce qu’il entend le langage des secrètes pensées de votre coeur ; et alors que vous êtes encore bien loin, il accourt au-devant de vous pour lever tous les obstacles : il embrasse son fils avec effusion, (car il vient à sa rencontre dans sa prescience, et l’embrasse dans sa tendresse), et se jette à son cou par un élan d’amour paternel, pour relever ce fils si abattu, et redresser vers le ciel celui qui était accablé sous le poids de ses péchés, et courbé vers les choses de la terre. Aussi j’aime mieux être le fils égaré que la brebis perdue, car si la brebis est retrouvée par le pasteur, le fils est comblé d’honneur par son père. — S. Aug. (quest. Evang.) Ou bien encore, il accourt et se jette à son cou : parce que ce père n’a pas quitté son Fils unique dans lequel il est accouru jusque dans notre lointain pèlerinage ; car Dieu était dans Jésus-Christ se réconciliant le monde. (2 Co 5.) Il tombe sur son cou, c’est-à-dire, qu’il. abaisse pour l’étreindre son bras, qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ (1 Co 1, 24 ; Is 53, 1 ; Lc 1). Il le console par la parole de la grâce qui lui donne l’espérance de la rémission de ses péchés ; c’est ainsi qu’au retour de ses longs égarements, il lui donne le baiser d’amour paternel. Une fois entré dans l’Église, il commence la confession de ses péchés ; mais sans la faire aussi complète qu’il se l’était proposé : « Et le Fils lui dit : Mon Père, j’ai péché contre le ciel et à vos yeux, je ne suis plus digne d’être appelé votre fils. » Il veut obtenir de la grâce de Dieu ce dont il avoue que ses fautes le rendent indigne, car il n’ajoute pas ce qu’il s’était proposé de dire : « Traitez-moi comme un de vos mercenaires. » Lorsqu’il était sans pain, il désirait la condition des mercenaires, mais il la dédaigne avec une noble fierté après qu’il a reçu le baiser de son père.

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Le père n’adresse point la parole à son fils, mais à ses serviteurs, parce que le pécheur repentant est tout entier à la prière, et ne reçoit pas une réponse verbale, mais prouve intérieurement les effets puissants de la miséricorde divine : « Et le père dit à ses serviteurs : Apportez vite sa robe première et l’en revêtez. » Théophyl. Ces serviteurs, ce sont ou les anges qui servent à Dieu de ministres, ou les prêtres qui par le baptême et la parole sainte revêtent l’âme en Jésus-Christ « Car nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons revêtu Jésus-Christ. » (Ga 3, 27.) — S. Aug. (quest. Evang.) Ou bien cette robe première, c’est la dignité qu’Adam a perdue par son péché : les serviteurs qui l’apportent, sont les prédicateurs de la réconciliation. — S. Ambr. Ou bien cette robe, c’est le vêtement de la sagesse dont les apôtres couvrent la nudité de notre corps ; cette robe première, c’est le premier degré de la sagesse, parce qu’il en est une autre pour laquelle il n’y a point de mystère. L’anneau est le signe d’une foi sincère et l’emblème de la vérité : « Et mettez-lui un anneau au doigt. » Bède. C’est-à-dire, dans l’action, afin que ses oeuvres fassent éclater sa foi, et que la foi à son tour confirme les oeuvres. — S. Aug. (quest. Evang.) Ou bien l’anneau au doigt c’est le. gage de l’Esprit saint, à cause de la participation à la grâce dont le doigt est comme la figure. — S. Chrys. (hom. sur le Père et ses deux enf.) On bien il commande de lui mettre au doigt un anneau, comme le symbole du signe du salut, ou plutôt comme un signe d’alliance, et un gage de l’union que Jésus-Christ contracte avec l’Église son épouse, et aussi avec l’âme repentante qui s’unit avec Jésus-Christ par l’anneau de la foi,

S. Aug. (quest. Evang.) La chaussure qu’on lui met aux pieds figure la préparation à la prédication de l’Évangile qui consiste à ne point s’approcher de trop près des choses de la terre : « Et mettez-lui une chaussure aux pieds. » — S. Chrys. (comme précéd.) Ou bien il commande de lui mettre une chaussure aux pieds, soit pour protéger ses pas, et donner à sa marche plus de fermeté dans les sentiers gus. sauts de ce monde, soit comme symbole de la mortification des membres, car tout le cours de notre vie est comparé au pied dans les Écritures (Jb 23, 11 ; Ps 25, 12 ; Pv 3, 23 ; Si 6, 25 ; Si 1, 20), et les chaussures sont comme un symbole de mortification, puisqu’elles sont faites avec des peaux d’animaux qui sont morts. Le père commande ensuite d’amener le veau gras et de le tuer pour le festin qu’il fait préparer : « Et amenez le veau gras, » c’est-à-dire Notre-Seigneur Jésus-Christ, ainsi appelé à cause du sacrifice de son corps immaculé ; et parce qu’il est une victime si riche et si excellente, qu’elle suffit à la rédemption du monde entier. Ce n’est pas le père lui-même qui met à mort le veau gras, mais il le laisse immoler à d’autres, car c’est par la permission du Père, et le consentement du Fils que ce dernier a été crucifié par les hommes. — S. Aug. (quest. Evang.) Ou bien le veau gras est le Seigneur qui dans son incarnation a été rassasié d’opprobres. Il commande qu’on l’amène, c’est-à-dire qu’on l’annonce, et qu’en l’annonçant on rende la vie aux entrailles épuisées de ce fils mourant de faim ? Il ordonne aussi de le mettre à mort, c’est-à-dire de prêcher sa mort, car il est vraiment immolé pour celui qui croit à son immolation et à sa mort.

« Mangeons et réjouissons-nous. » — S. Ambr. Mangeons la chair du veau gras, parce que c’était la victime que le prêtre offrait pour ses péchés. Notre-Seigneur nous représente son Père se livrant à la joie d’un festin, pour nous montrer que le salut de notre âme est la nourriture de son Père, et que la rémission de nos péchés est sa joie. — S. Chrys. (comme précéd.) Le père se réjouit du retour de son fils, et en signe de joie fait un festin avec le veau gras ; ainsi le Créateur se réjouit des fruits de miséricorde produits par l’immolation de son fils, et l’acquisition du peuple fidèle est pour lui comme un festin de joie : « Car mon fils que voici était mort, et il revit, il était perdu, et il est retrouvé. » — S. Athan. Celui-là seul meurt qui a existé : ainsi les Gentils n’existent plus, le chrétien seul est vivant. On peut encore entendre ces paroles du genre humain : Adam a existé, et nous avons tous existé en lui, il est mort, et tous sont morts en lui, l’homme est donc réparé dans cet homme qui était mort. On peut aussi les appliquer à celui qui fait pénitence, car il ne peut mourir sans avoir auparavant vécu, quant aux gentils ils ont reçu la vie par la grâce aussitôt qu’ils eurent embrassé la foi, tandis que celui qui tombe dans le péché, revient à la vie par la pénitence. — Théophyl. Si l’on n’a égard qu’à l’excès de ses vices, il était mort sans espoir de retour ; mais si l’on considère la nature humaine, qui est sujette à la mutabilité, et peut se convertir du vice à la vertu, il était simplement perdu, car c’est un moindre mal de se perdre que de mourir. Tout homme ainsi rappelé à la vie et purifié de ses crimes participe au veau gras et devient une cause de joie pour son père et pour ses serviteurs, c’est-à-dire pour les anges et pour les prêtres : « Et ils commencèrent à faire grande chère. » — S. Aug. (quest. Evang.) Ces festins de joie et cette fête se célèbrent aujourd’hui par toute l’Église répandue dans tout l’univers, car ce veau gras qui est le corps et le sang du Seigneur, est offert à Dieu le Père, et nourrit toute la maison.

 

Vv. 25-32.

Bède. Aux murmures des scribes et des pharisiens, qui reprochaient au Sauveur d’accueillir favorablement les pécheurs ; il répond par trois paraboles, qu’il leur expose successivement. Dans les deux premières, il montre combien la conversion des pécheurs est un sujet de joie pour lui et pour les anges ; le but de cette troisième parabole n’est plus seulement de faire ressortir cette grande joie, mais de condamner les murmures de ces esprits envieux : « Cependant, poursuit-il, son fils aîné était dans les champs. » — S. Aug. (Quest. évang.) Ce fils aîné, c’est le peuple d’Israël ; il n’est point allé dans une région lointaine, cependant il n’est pas dans la maison, il est dans les champs, c’est-à-dire, qu’il travaille pour acquérir les biens de la terre dans le riche héritage de la loi et des prophètes. Il revient des champs et approche de la maison, c’est-à-dire, qu’il désapprouve les travaux de son oeuvre servile, en considérant d’après les mêmes Écritures la liberté de l’Église : « Et comme il revenait et approchait de la maison, il entendit une symphonie et des danses, » c’est-à-dire, ceux qui, remplis de l’Esprit saint, prêchaient l’Évangile dans une parfaite harmonie de doctrine : « Et il appela un des serviteurs, » etc., c’est-à-dire, qu’il se met à lire un des prophètes et cherche à savoir en l’interrogeant la cause de ces fêtes qu’on célèbre dans l’Église, dont il voit qu’il ne fait pas encore partie. Le prophète, serviteur de son père, lui répond : « Votre frère est revenu, » etc. Comme s’il lui disait : Votre frère s’en était allé jusqu’aux extrémités de la terre, de là cette joie. plus vive de ceux qui font entendre des chants nouveaux, car « ses louanges retentissent d’un bout de la terre à l’autre. » (Is 42, 10.) Et pour fêter le retour de celui qui était égaré, on a immolé l’homme qui sait ce que c’est de souffrir, « parce que ceux auxquels il n’avait point été annoncé l’ont vu. » (Is 53, 3 ; Is 52, 45.)

 

S. Ambr. Le peuple d’Israël représenté par le frère aîné, envie à son plus jeune frère, c’est-à-dire, au peuple des Gentils, le bienfait de la bénédiction paternelle ; ce que faisaient les Juifs, en voyant Jésus-Christ manger avec les païens : « Il s’indigna et ne voulait pas entrer. » — S. Aug. (Quest. évang.) Cette indignation dure encore aujourd’hui, et ce peuple persiste à ne vouloir pas entrer. Mais lorsque la plénitude des nations sera entrée dans l’Église, le père sortira dans le temps favorable, afin que tout Israël soit sauvé. (Rm 11, 23.26) :

« Son père donc étant sorti, se mit à le prier. » Les Juifs, en effet, seront un jour ouvertement appelés au salut apporté par l’Évangile, et cette vocation manifeste nous est ici représentée par la sortie du père, qui vient prier son fils aîné d’entrer. La réponse du fils aîné soulève deux questions : « Il répondit à son père : Voilà tant d’années que je vous sers, et je n’ai jamais manqué à un de vos commandements, » etc. Il est évident d’abord que cette fidélité à ne transgresser aucun commandement, ne doit pas s’entendre de tous les commandements, mais de celui qui est le premier et le plus nécessaire, c’est-à-dire, qu’on ne l’a jamais vu adorer d’autre Dieu que le Dieu, seul créateur de toutes choses (Ex 20, 3). Il n’est pas moins certain que ce fils aîné ne représente pas tous les Israélites, mais ceux qui n’ont jamais quitté le culte du vrai Dieu pour adorer les idoles ; car bien que ses désirs eussent pour objet les biens de la terre, il n’attendait cependant que du seul vrai Dieu ces biens communs ici-bas aux justes et aux pécheurs, selon ces paroles du Psalmiste : « Je suis devenu semblable devant vous à l’animal stupide, cependant j’ai toujours été avec vous. » (Ps 72, 22.23.) Mais quel est le chevreau qu’il n’a jamais reçu pour faire un festin ? « Et vous ne m’avez jamais donné un chevreau pour faire bonne chère avec mes amis. » Le pécheur est ordinairement figuré sous l’emblème du bouc ou de chevreau. — S. Ambr. Les Juifs demandent un chevreau, et les chrétiens un agneau ; aussi on leur délivre Barabbas, tandis que l’agneau est immolé pour nous. Le fils aîné se plaint qu’on ne lui ait point donné un chevreau, parce que les Juifs ont perdu les rites de leurs anciens sacrifices ; ou bien ceux qui désirent un chevreau sont ceux qui attendent l’Antéchrist. — S. Aug. (Quest. évang.) Cependant, je ne vois pas comment on peut appliquer les conséquences de cette interprétation, car il est souverainement absurde que ce fils, à qui son père dira bientôt : « Vous êtes toujours avec moi, » ait demandé à son père de croire à l’Antéchrist. On ne peut pas davantage voir dans ce fils ceux des Juifs qui devaient embrasser le parti de l’Antéchrist. Or, si ce chevreau est la figure de l’Antéchrist, comment pourrait-il en faire un festin, lui qui ne croit pas à l’Antéchrist ? Mais si le festin de joie qui est fait avec ce chevreau signifie la joie produite par la ruine de l’Antéchrist, comment ce fils aîné du père peut-il dire que cette faveur ne lui ait jamais été accordée, puisque tous ses enfants doivent se réjouir de sa ruine ? Il se plaint donc que le Seigneur ne lui ait pas été donné en festin, parce qu’il le prend pour un pécheur, car comme cette nation considère le Sauveur comme un chevreau ou comme un bouc, en le regardant comme un violateur et un profanateur du sabbat, elle n’a pu mériter la faveur d’être admise à son festin. Ces paroles : « Avec mes amis, » doivent s’entendre, ou des principaux des Juifs avec le peuple, on des habitants de Jérusalem avec les autres peuples de Juda. — S. Jér. (lett. 446, parab. du prod. au pape Damase), ou bien encore : « Vous ne m’avez jamais donné un chevreau, » c’est-à-dire, le sang d’aucun prophète ni d’aucun prêtre ne nous a délivrés de la domination romaine.

 

S. Ambr. Ce fils sans pudeur est semblable au pharisien qui cherchait à se justifier, parce qu’il observait la lettre de la loi, et qu’il accusait son frère d’avoir dévoré son bien avec des femmes perdues : « Et à peine votre autre fils qui a dévoré son bien avec des courtisanes, est-il revenu, » etc. — S. Aug. (Quest. évang.) Ces femmes perdues sont les superstitions des Gentils, et on dissipe son bien avec elles, quand au mépris de la légitime alliance qu’on a contractée avec le vrai Dieu, on se livre à une honteuse fornication avec le démon. — S. Jér. Il ajoute : « Vous avez tué pour lui le veau gras. » Le peuple juif confesse donc que le Christ est venu, mais par un sentiment d’envie, il refuse le salut qui lui est offert. — S. Aug. (comme précéd.) Son père ne l’accuse pas de mensonge, il le loue même d’avoir toujours persévéré avec lui, et il l’invite à se livrer aux sentiments plus parfaits d’une joie meilleure et plus douce : « Alors le père lui dit : Vous, mon fils, vous êtes toujours avec moi. » — S. Jér. On peut dire encore que les paroles du fils ne sont point l’expression de la vérité, mais d’une vaniteuse présomption ; aussi le père ne s’y laisse point tromper, et il cherche à calmer son fils par une autre raison, en lui disant : « Vous êtes avec moi, » par la loi qui vous enchaîne, non qu’il n’ait jamais été coupable, mais parce que son père l’a toujours retiré des occasions de péché par ses châtiments ? Rien d’étonnant d’ailleurs de voir mentir à son père celui qui porte envie à son frère. — S. Ambr. Cependant ce bon père ne laisse point de vouloir le sauver en lui disant : « Vous êtes toujours avec moi, » ou comme juif, par l’observation de la loi, ou comme juste par l’union plus intime avec Dieu.

 

S. Aug. (Quest. évang.) Mais que veulent dire ces paroles : « Et tout ce que j’ai est à vous ? » Est-ce que ce n’est pas aussi à son frère ? Sans doute, mais les fils arrivés à la perfection, et comme entrés déjà dans l’immortalité, possèdent toutes choses, comme si chacune d’elles était à tous, et comme si toutes étaient à chacun d’eux. La cupidité rend le coeur étroit et ne peut rien posséder qu’avec égoïsme ; la charité, au contraire, agrandit et dilate le coeur. Mais comment, tout ce qui est au père peut-il être au fils ? Est-ce que Dieu a aussi donné à ce fils la possession des anges ? Si par possession vous entendez que le possesseur soit le propriétaire et le maître, il ne lui a pas tout donné, car nous ne serons pas un jour les maîtres des anges, mais nous partagerons leur bonheur. Mais si vous entendez le mot possession dans le sens que nous disons, que les âmes possèdent la vérité, je ne vois pas pourquoi nous ne prendrions pas cette expression à la lettre, car en parlant ainsi, nous ne voulons pas dire que les âmes soient maîtresses de la vérité ; si enfin le sens propre du mot possession ne se prête pas à cette interprétation, nous y renonçons volontiers, car le père ne dit pas : Vous possédez touts mais : « Tout ce qui est à moi est à vous, » mais non pas comme si vous en étiez le maître. En effet, ce que nous avons d’argent peut être destiné, soit à l’entretien, soit à l’ornement de notre famille ou à quelque autre usage semblable. Car puisque ce fils peut dire, dans un sens vrai, que son père est à lui, pour. quoi ne pourrait-il pas le dire de ce que possède son père ? Il faut seulement l’entendre de différentes manières ; ainsi lorsque nous serons parvenus à la béatitude des cieux, les choses supérieures seront à nous pour les contempler, les êtres qui nous sont égaux pour partager leur sort, les créatures inférieures pour les dominer. Le frère aîné peut donc se livrer à la joie en toute sécurité. — S. Ambr. Car s’il veut renoncer à tout sentiment d’envie, il verra bientôt que tout est réellement à lui, les sacrements de l’Ancien Testament, s’il est juif, et ceux de la nouvelle loi, s’il est baptisé.

 

Théophyl. On peut encore donner à tout ce passage une explication différente : Ce fils qui se laisse aller aux murmures, figure tous ceux qui se scandalisent en voyant les progrès rapides et le salut des âmes parfaites, comme celui que David nous représente, se scandalisant de la paix dont jouissent les pécheurs. — Tit. de Bostr. Ce fils aîné, semblable à un laboureur, s’appliquait aux travaux de l’agriculture, en cultivant non un champ matériel, mais le champ de son âme, et en greffant les arbres du salut, c’est-à-dire, les vertus. — Théophyl. Ou bien il était dans les champs, c’est-à-dire dans le monde, cultivant sa propre chair pour lui donner du pain en abondance, et semant dans les larmes pour moissonner dans la joie. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) On demande si celui qui s’afflige du bonheur des autres est atteint de la passion de l’envie. Je réponds qu’aucune âme sainte ne s’attriste de la sorte ; loin de là, elle regarde le bien des autres comme le sien propre. Il ne faut pas du reste vouloir expliquer à la lettre tout ce que renferme une parabole, quand on a découvert le sens que s’est proposé l’auteur, il ne faut plus chercher autre chose. Or le but de cette parabole est d’exciter les pécheurs à revenir à Dieu avec confiance, par l’espérance des grands avantages qui leur sont promis. Aussi voyons-nous les grâces qui leur sont prodiguées devenir un sujet de trouble et de profonde jalousie pour les autres, bien qu’ils soient eux-mêmes environnés de tant d’honneurs, qu’ils puissent devenir à leur tour un sujet d’envie. — Théophyl. Ou bien encore, Notre-Seigneur, dans cette parabole, a dessein de reprendre les mauvaises dispositions de ceux qu’il appelle justes par supposition ; comme s’il leur disait : Vous êtes vraiment justes, je l’admets, vous n’avez transgressé aucun des commandements, est-ce donc une raison pour ne pas vouloir accueillir ceux qui reviennent de leur conduite coupable ? — S. Jér. (de l’enf. prod. à Damase.) Disons encore que toute justice en comparaison de celle de Dieu, n’est qu’injustice. De là ce cri de saint Paul : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » (Rm 8.) De là cette indignation des Apôtres, lorsqu’ils entendirent la demande de la mère des enfants de Zébédée (Mt 20). — S. Cyr. Nous éprouvons quelque fois nous-mêmes ce sentiment, nous en voyons, en effet, dont toute la vie se passe dans l’exercice des plus sublimes vertus, d’autres qui ne se convertissent à Dieu que dans l’extrême vieillesse, ou même qui, par une grâce particulière de la miséricorde divine, n’effacent leurs pêchés qu’au dernier jour de leur vie. Or il en est qui, par un sentiment de défiance inopportune, ne peuvent admettre cet excès de miséricorde, parce qu’ils ne considèrent pas la bonté du Sauveur, qui se réjouit du salut des pécheurs. — Théophyl. Le fils dit donc à son père : J’ai passé gratuitement dans les douleurs une vie toujours exposée aux persécutions des pécheurs, et vous n’avez jamais commandé qu’on mît à mort pour moi un chevreau (c’est-à-dire, le pécheur qui me persécutait), pour me donner quelques moments de soulagement et de repos. Dans ce sens, Achab était le chevreau d’Élie, qui disait à Dieu : « Seigneur, ils ont tué vos prophètes. » (3 R 19.)

 

S. Ambr. Ou bien dans un autre sens : l’Évangile nous dit que ce frère aîné revenait des champs, c’est-à-dire des occupations de la terre, et comme il ignore les choses de l’Esprit de Dieu, il se plaint qu’on n’a jamais tué pour lui un chevreau ; car ce n’est pas pour satisfaire l’envie, mais pour la rédemption du monde que l’agneau a été immolé. L’envieux demande un chevreau, celui qui est innocent demande qu’on immole pour lui un agneau. Ce frère est le plus âgé, parce que l’envie est la cause d’une vieillesse prématurée ; il se tient dehors, parce que la malveillance lui défend d’entrer, il ne peut souffrir ni le bruit de la symphonie et des danses, (il ne s’agit pas ici des joies du théâtre qui ne sont propres qu’à exciter les passions), c’est-à-dire les chants harmonieux du peuple qui fait éclater les sentiments d’une joie douce et suave lorsqu’un pécheur revient à Dieu. Ceux au contraire qui sont justes à leurs propres yeux, s’indignent du pardon accordé au pécheur qui avoue ses fautes. Qui êtes-vous pour vous opposer à Dieu qui veut pardonner, lorsque vous pardonnez vous-même à qui bon vous semble ? Applaudissons donc à la rémission des péchés qui suit la pénitence, de peur qu’en nous montrant ainsi jaloux du pardon qui est accordé aux autres, nous nous rendions indignes de l’obtenir nous-mêmes du Seigneur. Ne portons point envie à ceux qui reviennent de loin, car nous nous sommes égarés nous-mêmes dans ces régions lointaines.

 

 

CHAPITRE XVI

 

Vv. 1-7.

Bède. Après avoir condamné par les trois paraboles qui précèdent la sévérité de ceux qui murmuraient de l’accueil qu’il faisait aux pécheurs repentants, le Sauveur ajoute deux autres paraboles, sur l’obligation de l’aumône et de la vie simple et modeste. Il était très naturel en effet, que le précepte de l’aumône suivit immédiatement celui de la pénitence : « Jésus disait encore à ses disciples : Un homme riche avait un économe, » etc. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Les hommes sont dominés par une fausse opinion qui ne sert qu’à augmenter leurs fautes et à diminuer leurs mérites ; elle consiste à croire que tous les biens que nous possédons pour l’usage de la vie, nous les possédons comme maîtres absolus, et de les rechercher en conséquence comme les biens les plus importants. Or, c’est le contraire qui est vrai ; car nous n’avons pas été placés dans cette vie comme des maîtres dans la maison qui leur appartient en propre, mais semblables à des hôtes et à des étrangers, nous sommes conduits là où nous ne voulons pas aller, et dans le temps ou nous y pensons le moins. Qui que vous soyez, rappelez-vous donc que vous n’êtes que le dispensateur de biens qui ne vous appartiennent pas, et que vous n’avez sur eux que les droits d’un usage transitoire et passager. Rejetez donc de votre âme l’orgueil qu’inspire la pensée qu’on est maître absolu pour prendre les sentiments de réserve et d’humilité qui conviennent à un simple fermier. — Bède. Le fermier est celui qui régit une ferme ; d’où lui vient le nom de fermier, l’économe est l’administrateur de l’argent, des fruits, et en général de tout ce que possède son maître. — S. Ambr. Nous apprenons de là que nous ne sommes pas les maîtres, mais bien plutôt les fermiers des biens d’autrui. — Théophyl. Une autre conséquence c’est qu’au lieu d’administrer ces biens suivant la volonté du Seigneur, nous en abusons pour satisfaire nos passions, nous devenons des fermiers coupables d’infidélité : « Et celui-ci fut accusé près de lui d’avoir dissipé ses biens. »

 

S. Chrys. (comme précéd.) On rappelle alors cet économe et on lui ôte son administration : « Il l’appela et lui dit : Qu’est-ce que j’entends dire de vous ? Rendez-moi compte de votre gestion, car désormais vous ne pourrez plus la conserver. » Le Seigneur nous tient tous les jours le même langage par les exemples qu’il nous met sous les yeux ; tel qui jouissait d’une parfaite santé à midi, meurt avant la fin du jour, tel autre expire au milieu d’un festin, et cette administration nous est ôtée de différentes manières. Mais l’économe fidèle qui s’occupe sérieusement de son administration, a comme saint Paul un ardent désir d’être dégagé des liens du corps et d’être avec Jésus-Christ. (Ph 1, 23.) Celui au contraire dont toutes les affections sont pour la terre, voit arriver avec anxiété la fin de sa vie. En effet : « Cet économe dit alors en lui-même : Que ferai-je, puisque mon maître m’ôte la gestion de ses biens ? Travailler à la terre, je n’en ai pas la force, et j’ai honte de mendier. » Cette impuissance pour le travail accuse toute une vie d’indolence, car il n’aurait pas ces craintes, s’il s’était habitué à supporter les fatigues d’une vie laborieuse. Le sens figuré de cette parabole est qu’après que nous sommes sortis de cette vie, il n’est plus temps de se livrer au travail. La vie présente doit être employée à l’accomplissement des commandements, la vie future en est la récompense. Si vous n’avez rien fait ici-bas, tous vos projets pour la vie future sont superflus, et il ne vous servira pas davantage de mendier. Vous en avez pour preuve les vierges folles, qui après avoir été si imprévoyantes allèrent mendier auprès des vierges prudentes, mais revinrent sans rien obtenir (Mt 25). Chacun de nous en effet se revêt de ses oeuvres comme d’une tunique ; on ne peut ni s’en dépouiller, ni la changer contre une autre. Mais cet économe infidèle forme alors le dessein de libérer les débiteurs de son maître, et de chercher en eux le remède à son infortune : « Je sais ce que je ferai, afin que lorsqu’on m’aura ôté mon emploi, je trouve des gens qui me reçoivent dans leurs maisons. » Celui qui en effet pense au jour de sa mort, et cherche en faisant le bien à rendre moins accablant le poids de ses péchés, (soit en remettant leurs dettes à ceux qui lui doivent, soit en donnant aux pauvres d’abondantes aumônes), celui-là distribue les biens du Seigneur pour se faire beaucoup d’amis qui rendront de lui devant son juge un bon témoignage non par leurs discours, mais en manifestant ses bonnes oeuvres ; et lui prépareront par leur témoignage un lieu de rafraîchissement et de repos. Or, rien de ce que nous avons, n’est à nous, mais tout appartient à Dieu. En effet, « cet économe ayant fait venir l’un après l’autre les débiteurs de son maître, dit au premier : Combien devez-vous à mon maître ? Il répondit : Cent barils d’huile. » — Bède. Un baril est la même mesure que l’amphore grecque qui contenait trois urnes : « L’économe lui dit : Prenez votre billet ; asseyez-vous vite, et écrivez cinquante. » Il lui remet ainsi la moitié de ce qu’il doit : « Ensuite, il dit à un autre : Et vous, combien devez-vous ? Il répondit : Cent mesures de froment. » Cette mesure équivalait à trente boisseaux. « L’économe lui dit : Prenez votre billet et écrivez quatre-vingts ; » il lui remet la cinquième partie de sa dette. Or, voici comment on peut entendre ce passage. Celui qui soulage la misère du pauvre pour moitié ou pour la cinquième partie sera récompensé pour sa miséricorde. — S. Aug. (quest. Evang., 2, 34.) Ou bien encore, l’action de cet économe qui au lieu de cent barils d’huile en fait souscrire cinquante au débiteur, au lieu de cent mesures de froment, quatre-vingts doit être entendue en ce sens que les dons offerts par les juifs aux prêtres et aux lévites doivent être plus abondants dans l’Église chrétienne. Ainsi, tandis qu’ils ne donnaient que la dîme, les chrétiens doivent donner la moitié, comme Zachée le fit pour ses biens (Lc 19) ; ou ils doivent au moins surpasser les offrandes des Juifs, en donnant au moins la double dîme, c’est-à-dire la cinquième partie de leurs biens,

 

Vv. 8-13.

S. Aug. (quest. Evang., 2, 34.) Le maître ne laisse pas de louer cet économe, tout en le privant de son emploi, parce qu’il avait su se prémunir contre l’avenir : « Et le maître de l’économe infidèle le loua d’avoir agi prudemment. » Nous ne devons cependant pas tout imiter dans cet exemple, car il nous est défendu de faire tort à personne, aussi bien que de faire l’aumône avec le bien que nous avons dérobé. — S. Orig. (ou Géom. Ch. des Pèr. gr.) Mais comme les païens mettent la prudence au nombre des vertus, et la définissent la science du bien et du mal et de ce qui est indifférent, ou la connaissance de ce qu’il faut faire et de ce qu’il faut éviter, examinons si ce mot n’a qu’une signification ou s’il est susceptible de plusieurs sens. Nous lisons dans l’Écriture que Dieu a préparé (Pv 3, 19) les cieux par sa prudence. Il est donc certain que la prudence est bonne, puisque c’est par elle que Dieu a créé les cieux. Nous voyons encore dans la Genèse que le serpent était le plus prudent (Gn 3, 1) de tous les animaux ; la prudence ici n’est pas la vertu de prudence, mais un esprit de ruse qui est porté au mal. C’est dans ce dernier sens que le maître loue son économe d’avoir agi prudemment, c’est-à-dire avec ruse et finesse. Peut-être encore cette expression, « il le loua, » n’exprime pas un véritable éloge, mais a été dite dans un sens très étendu ; ainsi on dit d’un homme qu’il se distingue dans des choses indifférentes et de peu d’importance, et qu’il excite une espèce d’admiration par son talent de discussion et la vivacité qui mettent en relief la force de son esprit. — S. Aug. (quest. Evang.) Ces paraboles sont tirées d’objets. qu’on peut appeler contraires ; si en effet cet économe, tout en se rendant coupable de fraude, a mérité les éloges de son maître, combien plus ceux qui font les mêmes bonnes oeuvres en se conformant aux préceptes de Dieu seront-ils assurés de lui plaire ?

 

Orig. (comme précéd.) Remarquez encore que Notre-Seigneur dit que les enfants de ce siècle sont non pas plus sages, mais plus prudents que les enfants de lumière ; et encore n’est-ce pas absolument parlant, mais dans leurs relations entre eux : « Car les enfants du siècle sont plus prudents envers leurs parents que les enfants de lumière, » etc. Notre-Seigneur distingue ici entre les enfants de lumière et les enfants de ce siècle, comme il distingue ailleurs entre les enfants du royaume et les enfants de perdition, car on est fils de celui dont on fait les oeuvres. — Théophyl. Les enfants de ce siècle sont donc dans la pensée du Sauveur ceux qui sont tout entiers aux avantages de la terre ; et les enfants de lumière ceux qui recherchent les richesses spirituelles par un motif d’amour de Dieu. Or, il arrive que dans l’administration des choses humaines, nous prenons des dispositions prudentes à l’égard de nos biens, et nous avons un soin extrême de nous ménager un lieu de refuge et de repos dans le cas ou notre administration nous serait ôtée ; tandis que dans l’administration des choses divines nous ne savons pas prévoir ce qui pourra nous être utile pour l’avenir.

 

S. Grég. (Moral., XVIII, 14.) Si donc les hommes ne veulent pas se trouver les mains vides après leur mort, qu’ils placent avant leur dernier jour, leurs richesses dans les mains des pauvres : « Et moi je vous dis : Faites vous des amis avec les richesses d’iniquité, » etc.

 

S. Aug. (Serm. 23, sur les par. du Seig.) Le mot hébreu mammona, signifie en latin richesses ; Notre-Seigneur veut donc dire : « Faites vous des amis avec les richesses d’iniquité. » Il en est qui par une fausse interprétation de ces paroles dérobent le bien d’autrui, pour en distribuer une partie aux pauvres, et qui s’imaginent accomplir le précepte qui leur est imposé. C’est une erreur qu’il faut redresser. Faites l’aumône avec le juste fruit de votre travail (Pv 3, 9), car vous ne pourrez tromper ni corrompre Jésus-Christ votre juge. Si vous offriez à un juge une partie de la dépouille d’un indigent, pour le disposer à juger en votre faveur, et qu’il se laissât en effet corrompre, la force de la justice est si grande que vous n’auriez aucune sympathie pour ce juge. Ne vous figurez pas un Dieu de la sorte, il est la source même de la justice : ne faites donc pas l’aumône avec des gains injustes et avec le fruit de l’usure, dirai-je aux fidèles à qui nous distribuons le corps de Jésus-Christ, mais si vous avez de l’argent acquis par cette voie, vous le possédez injustement. Cessez de commettre le mal ; Zachée dit au Sauveur : « Je donne la moitié de mes biens aux pauvres. » (Lc 19.) C’est avec ce pieux empressement qu’agit celui qui désire se faire des amis avec les richesses d’iniquité ; et dans la crainte de s’être rendu coupable d’ailleurs, il ajoute : « Et si j’ai fait tort à quelqu’un en quelque chose, je lui rends le quadruple. » Voici une autre explication : Toutes les richesses de ce monde, quelle que soit leur source sont appelées des richesses d’iniquité. Si vous cherchez les véritables richesses, il en est d’autres que Job possédait en abondance dans son entier dénuement, alors que son coeur était rempli de Dieu. Les richesses du monde au contraire sont appelées richesses d’iniquité, parce qu’elles ne sont point véritables, car elles sont remplies de pauvreté, et sujettes à mille vicissitudes : si elles étaient de véritables richesses, elles vous donneraient de la sécurité. — S. Aug. (quest. Evang.) Ou bien encore on les appelle richesses d’iniquité, parce qu’elles ne sont qu’entre les mains des méchants qui placent en elles leur confiance et toute l’espérance de leur félicité. Au contraire lorsque les justes sont maîtres de ces richesses, ils ont entre les mains le même argent, mais leurs richesses à eux sont toute célestes et toutes spirituelles. — S. Ambr. Ou bien enfin il appelle ces richesses, des richesses d’iniquité, parce que l’avarice par les séductions variées qu’elles nous offrent, tente notre coeur, en cherchant à le réduire en esclavage.

 

S. Bas. Ou bien si vous héritez d’un patrimoine, peut-être est-il le fruit de l’injustice, car quel est celui qui parmi ses ancêtres, n’en trouvera nécessairement quelqu’un qui aura pris injustement le bien d’autrui ? Mais admettons que votre père n’a rien acquis par des voies injustes, d’où vient cet or que vous avez ? Si vous me répondez : Il vient de moi, vous ne connaissez pas Dieu, et n’avez aucune notion de votre Créateur ; si vous dites qu’il vient de Dieu, pour quelle raison l’avez vous reçu ? Est-ce que la terre et tout ce qu’elle contient n’appartient pas au Seigneur ? (Ps 23.) Si donc nos biens appartiennent à un commun maître, ils appartiennent aussi à vos semblables.

 

Théophyl. On appelle donc richesses d’iniquité toutes celles que le Seigneur nous a données pour soulager les besoins de nos frères et de nos semblables, et cependant nous les réservons pour nous. Nous devions dès le principe distribuer tous nos biens aux pauvres ; mais après avoir été des économes infidèles qui avons retenu injustement ce qui était destiné aux besoins d’autrui, cessons de persévérer dans ces sentiments de cruauté, et donnons largement aux pauvres, afin qu’ils nous reçoivent un jour dans la céleste demeure : « Afin, poursuit Notre-Seigneur, que lorsque vous viendrez à défaillir, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. » — S. Grég. (Moral., XXI, 44.) Si donc nous devons à leur affection reconnaissante d’entrer dans les tabernacles éternels, nous devons en leur donnant être pénétrés de cette pensée que c’est moins une aumône que nous faisons aux pauvres, que des présents que nous offrons à des protecteurs (cf. Lc 3, 37). — S. Aug. (Serm. 35, sur les par. du Seig.) Quels sont ceux, en effet, qui entreront dans les tabernacles éternels, si ce n’est les saints de Dieu, et quels sont ceux qu’ils recevront eux-mêmes dans ces tabernacles ? Ceux qui ont soulagé leur indigence, et leur ont donné avec joie ce qui leur était nécessaire. Ce sont là les humbles serviteurs du Christ qui ont tout quitté pour le suivre, et qui ont distribué tous leurs biens aux pauvres, pour servir Dieu avec un coeur dégagé de toutes les chaînes du siècle ; et s’élever vers le ciel comme sur des ailes, libres de tous les fardeaux accablants du monde.

 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 33.) Il n’est pas permis de regarder comme les débiteurs de Dieu ceux par qui nous voulons être reçus dans les tabernacles éternels ; car ce passage désigne clairement les justes et les saints qui introduiront dans le ciel ceux qui ont soulagé leur indigence, en partageant avec eux les biens de la terre. — S. Ambr. Ou bien encore : « Faites-vous des amis avec les richesses d’iniquité, » afin que les aumônes que vous distribuerez aux pauvres, vous obtiennent les bonnes grâces des anges et des autres saints. — S. Chrys. Remarquez qu’il ne dit pas : « Afin qu’ils vous reçoivent dans leurs demeures, » car rigoureusement parlant, ce ne sont pas eux qui vous reçoivent. Aussi le Sauveur après avoir dit : « Faites-vous des amis, » ajoute : « avec les richesses d’iniquité, » pour montrer que l’amitié des saints ne sera pour nous un véritable appui, qu’autant que nous serons accompagnés de nos bonnes oeuvres, et que nous nous serons dépouillés, suivant la justice, de toutes les richesses acquises injustement. L’aumône est donc le premier et le plus savant des arts ; car elle ne nous bâtit pas des maisons de terre, mais nous procure la vie éternelle. Tous les autres arts ont besoin de leur mutuel appui ; mais pour l’exercice de la miséricorde, la volonté seule est nécessaire.

 

S. Cyr. C’est ainsi que Notre-Seigneur Jésus-Christ enseigne à ceux qui ont de grandes richesses en partage, à rechercher par dessus tout l’amitié des pauvres, et à se préparer des trésors dans le ciel. Mais il connaissait l’apathie du coeur humain qui, une fois dominé par la passion d’acquérir, n’exerce plus aucune oeuvre de charité envers les pauvres. il n’a plus à espérer par conséquent aucun fruit des dons spirituels, suivant la déclaration expresse du Sauveur : « Celui qui est fidèle dans les petites choses, est fidèle aussi dans les grandes, et celui qui est infidèle dans les petites choses, est infidèle aussi dans les grandes. » Notre-Seigneur nous ouvre ici les yeux du coeur, et nous donne le vrai sens de ces paroles en ajoutant : « Si vous n’avez pas été fidèles dans les richesses trompeuses, qui vous confiera les biens véritables ? » Les petites choses sont donc les richesses d’iniquité, c’est-à-dire les biens de la terre quine sont rien pour ceux qui ont le goût des choses du ciel. Or, je pense qu’on est fidèle dans les petites choses, lorsque l’on consacre ces richesses si peu importantes au soulagement de l’infortune. Si donc nous sommes infidèles dans ces petites choses, comment pourrons-nous obtenir le don véritable et fécond des grâces de Dieu, qui imprime à nos âmes le sceau de la ressemblance divine ? Et la suite fait voir que tel est le sens des paroles du Sauveur : « Et si vous n’avez pas été fidèles dans un bien étranger, qui vous donnera votre bien propre ? » — S. Ambr. Les richesses nous sont comme étrangères, parce qu’elles sont en dehors de notre nature, elles ne naissent pas avec nous, elles ne meurent pas avec nous ; Jésus-Christ, au contraire, est véritablement à nous, parce qu’il est la vie des hommes, et en venant parmi eux, il est venu dans son propre bien. (Jn 1, 4.11.)

Théophyl. Notre-Seigneur nous a donc enseigné jusqu’ici avec quelle fidélité nous devons administrer nos richesses ; mais comme nous ne pouvons en faire un usage conforme à la volonté de Dieu, sans que notre coeur soit complètement dégagé de l’affection aux richesses, il ajoute : « Personne ne peut servir deux maîtres. » — S. Ambr. Ce n’est pas, sans doute, qu’il existe deux maîtres, il n’y en a qu’un seul qui est Dieu. Il en est qui se rendent les esclaves des richesses, mais les richesses n’ont par elles-mêmes aucun droit, aucune autorité sur les hommes, ce sont eux qui se soumettent volontairement à ce honteux esclavage. Il n’y a qu’un seul Maître, parce qu’il n’y a qu’un seul Dieu, par conséquent le Père et le Fils ont une seule et même puissance. Le Sauveur donne la raison de ce qu’il vient de dire : Car ou il haïra l’un, et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. » — S. Aug. (Quest. évang., 2, 36.) Ne croyons pas que ces paroles aient été dites au hasard et sans dessein. Sans doute, il n’est pas un homme qui, à cette question : Aimez-vous le démon, ne réponde que loin de l’aimer, il l’a en horreur ; tandis que presque tous se font gloire de proclamer qu’ils aiment Dieu. Voici donc le sens de ces paroles : Il haïra l’un (c’est-à-dire le démon), et aimera l’autre (c’est-à-dire Dieu) ; ou il s’attachera à l’un (c’est-à-dire au démon, en recherchant ses faveurs temporelles) ; et méprisera l’autre (c’est-à-dire Dieu), comme font tant, de chrétiens qui mettent leurs passions au-dessus de ses menaces, et qui se flattent d’obtenir de sa bonté l’impunité de leurs crimes.

S. Cyr. La conclusion de tout ce discours est dans ces paroles : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent. » Renonçons donc aux richesses et mettons tous nos soins et tout notre zèle à servir Dieu seul. — Bède. (tiré de S. Jérôme.) Que l’avare entende ces paroles ; « On ne peut servir à la fois les richesses et Jésus-Christ. Et cependant remarquez que le Sauveur n’a pas dit : Celui qui possède des richesses, mais : « Celui qui est l’esclave des richesses ; » car celui qui est sous l’esclavage des richesses, les garde comme un esclave ; celui, au contraire, qui s’est affranchi de cette servitude, les distribue comme un maître. Or, celui qui est esclave des richesses, l’est aussi de celui qui a mérité, par sa perversité, d’être mis comme à la tête des. richesses de la terre, et qui est appelé pour cela le prince de ce siècle. (Jn 12 ; 2 Co 4.)

 

Vv. 14-18.

Bède. Jésus-Christ avait enseigné aux scribes et aux pharisiens à ne pas présumer de leur justice, à recevoir les pécheurs repentants, et à racheter leurs péchés par l’aumône ; mais les insensés se moquaient de ce divin docteur qui leur enseignait la miséricorde, l’humilité et la modération dans l’usage des richesses : « Or, les pharisiens qui étaient avares, écoutaient toutes ces choses, et se moquaient de lui. » Ils se moquaient de lui pour deux raisons, parce que ses recommandations leur paraissaient peu utiles, ou parce qu’il leur prescrivait des choses utiles, mais qu’ils faisaient depuis longtemps. Or le Seigneur, qui découvrait leur malice secrète, leur montra que leur justice n’était qu’hypocrisie : « Et il leur dit : Pour vous, vous affectez de paraître justes devant les hommes. » — Bède. Ils affectent de paraître justes devant les hommes, ils méprisent les pécheurs comme des infirmes désespérés, et ils s’imaginent être assez parfaits pour n’avoir pas besoin du remède de l’aumône ; mais celui qui répandra un jour la lumière sur les ténèbres les plus épaisses, voit combien est condamnable la profondeur de cet orgueil coupable : « Mais Dieu connaît vos coeurs. » — Théophyl. Aussi votre arrogance et le désir effréné de l’estime des hommes vous rendent-ils un objet d’abomination à ses yeux : « Car ce qui est grand aux yeux des hommes est abominable devant Dieu. »

Bède. Les pharisiens se moquaient du Sauveur qui leur parlait contre l’avarice, comme si son enseignement était contraire à celui de la loi et des prophètes, où l’on voit un grand nombre de personnes riches qui ont été agréables à Dieu ; Moïse lui-même avait promis au peuple qu’il gouvernait, tous les biens de la terre en abondance, s’il était fidèle à suivre la loi. (Dt 28, 1-14.) Notre-Seigneur combat donc ces idées en leur montrant qu’il y a une grande différence entre les préceptes comme entre les promesses de la loi et de l’Évangile : « La loi et les prophètes ont duré jusqu’à Jean. » — S. Ambr. Ce n’est pas que la loi ait été immédiatement détruite, mais parce qu’alors a commencé la prédication de l’Évangile ; car les institutions moins importantes paraissent atteindre leur terme, lorsque de plus grandes leur succèdent. — S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Par ces paroles, Notre-Seigneur les dispose à croire en lui ; si au temps de Jean, tout est arrivé à son terme, je suis donc celui qui doit venir ; car les prophètes n’auraient pas cessé de paraître, si je n’étais pas venu. (hom. 19 de l’ouvr. incomp.) Comment peut-on dire que les prophètes n’ont duré que jusqu’au temps de Jean, puisqu’il y a eu beaucoup plus de prophètes dans le Nouveau Testament que dans l’Ancien ? Notre-Seigneur ne veut donc parler ici que de ceux qui ont annoncé l’avènement de Jésus-Christ.

Eusèbe. (Ch. des pèr. gr.) Les anciens prophètes avaient eu aussi la connaissance du royaume des cieux, mais aucun d’eux ne l’avait enseigné en termes exprès au peuple juif, parce que cç peuple avait un esprit trop léger et trop faible pour comprendre l’étendue de cet enseignement. Jean-Baptiste fut le premier qui annonça ouvertement que le royaume des cieux était proche, et que les péchés seraient remis par le baptême de la régénération : « Depuis Jean, le royaume de Dieu est annoncé, et chacun fait effort pour y entrer. » — S. Ambr. La loi contenait beaucoup de préceptes conformes à notre nature, pour nous attirer à la pratique de la justice par cette condescendance pour nos inclinations naturelles ; Jésus-Christ, au contraire, vient détruire la nature en retranchant toutes les jouissances naturelles. Mais nous ne faisons violence à la nature que pour l’empêcher de se plonger dans les joies de la terre, et l’élever jusqu’à la pensée des choses du ciel. — Eusèbe. Ce n’est pas sans de grands combats, que de faibles mortels peuvent monter jusqu’au ciel. Comment, en effet, des hommes revêtus d’une chair mortelle, pourraient-ils, sans se faire violence, dompter la volupté et tout désir criminel, et imiter sur la terre la vie des anges ? En les voyant se livrer à des travaux si pénibles pour le service de Dieu, et réduire presque leur chair à une mort véritable (Rm 8, 13 ; Col 3, 5), qui n’avouera qu’ils font véritablement violence au royaume des cieux ? Peut-on encore, en considérant le courage admirable des saints martyrs, ne pas reconnaître qu’ils ont fait une véritable violence au royaume des cieux ? — S. Aug. (Quest. évang., 2, 37.) On fait encore violence au royaume des cieux, en méprisant non seulement les richesses de la terre, mais les discours de ceux qui se moquent de cette indifférence complète pour ces jouissances passagères. En effet l’Évangéliste rapporte ces paroles après avoir fait observer qu’ils se moquèrent de Jésus qui leur parlait du mépris des choses de la terre.

Bède. Ces paroles du Sauveur : « La loi et les prophètes ont duré jusqu’à Jean, » pouvaient donner à croire qu’il annonçait l’abolition de la loi et des prophètes, il combat cette pensée eu ajoutant : « Le ciel et la terre passeront plus facilement qu’un seul point de la loi périsse ; » car la figure de ce monde passe (1 Co 7), mais le moindre trait d’une seule lettre de la loi ne passera pas, c’est-à-dire que le plus petit article de la loi a une signification mystérieuse. Et cependant il était vrai de dire que la loi et les prophètes ont duré jusqu’à Jean, parce qu’il n’y avait plus lieu de prédire l’avènement de celui qui était arrivé, d’après le témoignage si manifeste de Jean-Baptiste. Notre-Seigneur confirme ensuite par un seul trait de la loi, ce qu’il vient de dire, qu’aucun de ses préceptes ne serait jamais abrogé : « Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère, et quiconque épouse la femme renvoyée par son mari, commet un adultère. » Par ce seul trait, il leur apprend qu’il n’est pas venu détruire, mais accomplir les autres points de la loi. — Théophyl. La loi, sans doute, tenait aux imparfaits un langage encore imparfait, lorsque, prenant en considération la dureté de coeur des Juifs, elle leur disait : « Si un homme prend une femme, et qu’elle lui inspire ensuite du dégoût..., il la renverra de sa maison. » (Dt 24, 1.) Car ils avaient des instincts homicides et prenaient plaisir à verser le sang ; ils n’avaient même pas pitié de ceux qui leur étaient le plus étroitement unis, jusque-là qu’ils immolaient aux démons leurs fils et leurs fuies. Mais il faut maintenant une doctrine plus parfaite. Aussi, je vous le déclare, si quelqu’un répudie son épouse, hors le cas de fornication, il commet un adultère ; et celui qui en épouse une autre, commet également un adultère.

 S. Ambr. Il nous faut d’abord traiter de la loi du mariage, avant d’en venir à la prohibition du divorce. Il en est qui pensent que tout mariage a Dieu pour auteur, parce qu’il est écrit : « Que l’homme ne sépare point ce que Dieu a uni. » (Mt 19 ; Mc 10.) Mais comment alors l’Apôtre a-t-il pu dire : « Si le mari infidèle se sépare d’avec sa femme, qu’elle le laisse aller ? » (1 Co 7, 15.) Ces paroles démontrent clairement que Dieu n’est pas l’auteur de tous les mariages ; car ce n’est point conformément à sa volonté, que les chrétiens s’unissent aux Gentils. Gardez-vous donc de renvoyer votre épouse, pour ne pas désavouer que Dieu est l’auteur de votre union. Vous devez supporter les défauts de vos semblables, à plus forte raison devez-vous supporter et corriger les défauts de votre épouse. Si vous la renvoyez après qu’elle vous a donné des enfants, n’est-ce pas une cruauté que de renvoyer la mère, et de retenir les gages de votre mutuelle union, et de la blesser ainsi dans son amour maternel, en même temps que dans son honneur ? Mais ne serait-il pas plus cruel encore de chasser les enfants à cause de la mère ? Souffrirez-vous que de votre vivant, vos enfants soient sous la dépendance d’un beau-père, ou que du vivant de leur mère ils soient assujettis à une marâtre ? Quoi de plus dangereux que d’exposer aux séductions de l’erreur l’âge si fragile d’une jeune femme ? Quoi de plus barbare, que d’abandonner dans sa vieillesse, celle qui a perdu auprès de vous les grâces de sa jeunesse ? Supposez qu’ainsi répudiée, elle ne se marie pas, est-ce qu’il ne vous est pas désagréable qu’elle reste fidèle à un adultère ? Admettez, au contraire, qu’elle contracte une autre union, la nécessité où elle se trouve fait votre crime, et ce que vous regardez comme un mariage, n’est qu’un adultère. Tel est le sens moral de ce passage. Cependant, comme Notre-Seigneur vient de dire précédemment que le royaume de Dieu était annoncé, et que le plus petit point de la loi ne serait point effacé, et qu’il ajoute ensuite : « Quiconque renvoie sa femme, » etc. ; on peut donner ici cette interprétation figurée : L’homme, c’est Jésus-Christ ; l’épouse, c’est l’Église, épouse par la charité, vierge par la chasteté. Que celui donc que Dieu a par sa grâce attiré à son Fils, ne s’en laisse ni séparer par la persécution, ni détourner par les plaisirs des sens ; qu’il ne se laisse point dépouiller par la philosophie, ni empoisonner par l’hérésie, ni entraîner par les Juifs. Tous ceux qui s’efforcent de corrompre la vérité de la foi et de la sagesse sont des adultères.

 

Vv. 19-21

Bède. Le Sauveur venait d’exhorter à se faire des amis avec les richesses d’iniquité, et comme les pharisiens se moquaient de ses enseignements, il les confirme par l’exemple suivant : « Il y avait un homme riche, » etc. — S. Chrys. (hom. sur les riches.) « Il y avait, » et non : li y a, car il a passé comme une ombre fugitive. — S. Ambr. Toute pauvreté n’a pas le privilège de la sainteté, comme aussi toute richesse n’est pas nécessairement criminelle, mais de même que c’est la vie molle et sensuelle qui déshonore les richesses, c’est la sainteté qui rend la pauvreté recommandable.

« Il était vêtu de pourpre et de fin lin. » — Bède. La pourpre est la couleur des habits des rois, on la tire de coquillages marins par une incision faite avec le fer. Ce que la Vulgate traduit par byssus est une espèce de lin très-blanc et très-doux. — S. Grég. (hom. 40 sur les Evang.) Si la recherche des vêtements fins et précieux n’était pas coupable, le Sauveur n’aurait pas détaillé avec tant de soin ces diverses circonstances. En effet, on ne désire de luxe dans les vêtements, que par un motif de vaine gloire, pour obtenir plus de considération ; car quel est celui qui voudrait se revêtir d’habits somptueux, s’il ne devait être vu par personne ? — S. Chrys. (comme précéd.) Cet homme recouvrait de pourpre et de soie, la cendre, la poussière et la terre, ou bien la cendre, la poussière et la terre portaient la pourpre et la soie. Sa table répondait à ses vêtements. Il en est ainsi de nous, telle est notre table, tels sont nos vêtements : « Et il faisait tous les jours une chère splendide. » — S. Grég. (Moral., 1, 5.) Remarquons ici avec attention qu’il est presque impossible de faire fréquemment des festins sans se rendre coupable ; car presque toujours la volupté est la compagne inséparable de ces festins, lorsque le corps est amolli par les plaisirs de la terre, le coeur s’abandonne lui-même à une joie déréglée.

« Il y avait aussi un mendiant nommé Lazare. » — S. Ambr. Il semble que ce soit ici une histoire plutôt qu’une parabole, puisqu’il y a désignation précise du nom. — S. Chrys. (comme précéd.) Dans la parabole, au contraire, on propose un exemple et on passe les noms sous silence. Le mot Lazare signifie qui est secouru ; en effet, il était pauvre et il avait Dieu pour soutien. — S. Cyr. Ou encore ce récit du mauvais riche et de Lazare, est présenté sous forme de parabole, pour apprendre à ceux qui possèdent de grandes richesses, qu’ils encourront une sévère condamnation, s’ils refusent de secourir les nécessités des pauvres. Une tradition juive rapporte qu’il y avait alors à Jérusalem un homme nommé Lazare, accablé tout à la fois sous le poids de l’indigence et de la maladie, et c’est lui que Notre-Seigneur prend ici pour exemple pour donner plus de clarté à ses divins enseignements. — S. Grég. (hom. 40 sur les Evang.) Remarquez encore que dans le peuple on connaît bien mieux le nom des riches que celui des pauvres ; or Notre-Seigneur nous fait connaître ici le nom du pauvre et passe sous silence le nom du riche, pour nous apprendre que Dieu connaît et chérit les humbles, tandis qu’il ne connaît point les superbes. Une nouvelle épreuve venait s’ajouter à sa pauvreté, il était victime à la fois de la pauvreté et de ta souffrance : « Il était couché à sa porte, couvert d’ulcères. »

 

S. Chrys. (comme précéd.) Il était couché devant la porte, afin que le riche ne pût dire : Je ne l’ai pas vu, personne ne m’en a parlé. Il le voyait donc toutes les fois qu’il entrait et sortait. Le Sauveur ajoute que ce pauvre était couvert d’ulcères pour faire ressortir par ce trait toute la cruauté du riche. O le plus malheureux des hommes, vous voyez votre corps dans celui de votre semblable, mourant et étendu à votre porte, et vous n’en avez aucune pitié ! Si vous êtes peu sensible aux commandements de Dieu, souvenez-vous au moins de votre condition, et craignez d’être un jour réduit à ce triste état. Mais encore la maladie trouve-t-elle quelque soulagement dans les richesses, quand elle les possède ; qu’elle est donc grande la misère de ce pauvre, puisque couvert de tant de plaies, il oublie ses douloureuses souffrances pour ne se souvenir que de la faim qu’il éprouve : « Il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, » et semblait lui dire : Faites-moi l’aumône de ce que vous rejetez de votre table, et faites-vous un gain avec ce que vous perdez.

S. Ambr. L’insolence et l’orgueil des riches se révèlent ici à des signes non équivoques : « Et personne ne lui en donnait. » Les riches, en effet, sont si oublieux de leur condition, qu’ils s’imaginent être d’une nature supérieure, et trouvent dans la misère même des pauvres un nouveau stimulant pour leurs voluptés, ils se moquent du pauvre, ils insultent aux malheureux, et ils vont jusqu’à dépouiller ceux dont ils auraient dû prendre pitié. — S. Aug. (serm. 25 sur les par. du Seign.) En effet, l’avarice des riches est insatiable, elle n’a ni crainte pour Dieu, ni égard pour les hommes, elle n’épargne pas son père, elle trahit les droits sacrés de l’amitié, elle opprime la veuve et s’empare des biens de l’orphelin.

S. Grég. (hom. 40.) Ajoutez que le pauvre voyait tous les jours le riche s’avancer, entouré d’un nombreux cortége de gens obséquieux, tandis qu’il était complètement délaissé dans son infirmité et dans son indigence, car une preuve évidente que personne ne venait le visiter, c’est que les chiens venaient paisiblement lécher ses ulcères : « Et les chiens venaient, ajoute le Sauveur, et léchaient ses ulcères. » — S. Chrys. (comme précéd.) Ces animaux compatissants viennent lécher ces plaies qu’aucun homme ne daignait laver et panser.

S. Grég. (hom. 40.) Dans un seul fait, Dieu exerce un double jugement. Il permet que le pauvre Lazare soit étendu devant la porte du riche, afin que ce riche impitoyable aggravât ainsi la sévérité de sa condamnation, et aussi pour que le pauvre augmentât ses droits à la récompense, car le premier voyait tous les jours celui dont il devait avoir pitié, et le second avait sans cesse sous les yeux ce qui faisait le sujet de son épreuve et de son mérite.

 

Vv. 22-26.

S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Nous avons vu quel a été le sort de chacun d’eux sur la terre, voyons quel est maintenant leur sort dans les enfers. Tout ce qui était temporel est passé, les voici en face de l’éternité. Tous deux sont morts, l’un est reçu par les anges, l’autre ne rencontre que les supplices : « Or il arriva que le mendiant mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d’Abraham, » etc. De si grandes douleurs sont tout à coup changées en délices ineffables. Il est porté, parce que ses souffrances l’avaient épuisé, et pour lui épargner les fatigues de la marche ; et il est porté par les anges. Ce n’est pas assez d’un seul ange pour porter ce pauvre, ils viennent en grand nombre, comme pour former un choeur d’allégresse et de joie, chacun d’eux est heureux de toucher un aussi précieux fardeau. Ils aiment à se charger de tels fardeaux pour conduire les hommes au ciel. Or, il fut porté dans le sein d’Abraham pour s’y reposer de ses longues souffrances. Le sein d’Abraham, c’est le paradis. Les anges devenus ses serviteurs, ont porté ce pauvre et l’ont déposé dans le sein d’Abraham, parce qu’au milieu du profond mépris dont il était l’objet sur la terre, il ne s’est laissé aller ni au désespoir ni au blasphème, en disant : ce riche, tout impie qu’il est, vit dans la joie et ne connaît pas la souffrance, tandis que je ne puis pas même obtenir la nourriture qui m’est nécessaire.

S. Aug. (de l’orig. de l’âme, 4, 46.) Si vous croyez que le sein d’Abraham soit quelque chose de corporel, je crains que vous n’apportiez pas dans la discussion d’une question aussi importante, toute la gravité et le sérieux qu’elle demande. En effet, vous ferez-vous illusion à ce point de croire que le sein d’un seul homme (pris dans le sens matériel), puisse contenir un si grand nombre d’âmes, bien plus (suivant votre opinion), autant de corps que les anges y portent comme celui de Lazare, à moins que vous ne disiez que son âme est la seule qui ait mérité de parvenir jusqu’au sein d’Abraham ? Si donc vous ne voulez point tomber dans une erreur puérile, entendez par le sein d’Abraham un lieu éloigné de ce monde, séjour tranquille et mystérieux, où se trouve Abraham, et qui porte le nom d’Abraham, non qu’il ne soit réservé qu’à lui seul, mais parce qu’il est le père d’un grand nombre de nations, et que Dieu l’a proposé à leur imitation comme le plus grand modèle de foi.

S. Grég. (hom. 40.) Tandis que ces deux coeurs (celui du pauvre et celui du riche étaient sur la terre), ils avaient dans les cieux un seul juge qui préparait le pauvre à la gloire par les souffrances, et qui supportait le riche en le réservant au supplice : « Le riche mourut aussi. » — S. Chrys. (hom. 6 sur la 2 Epit. aux Cor.) Il mourut de la mort du corps, car son âme était morte depuis longtemps, il ne faisait plus aucune des oeuvres auxquelles elle donne la vie, toute la chaleur que lui communique l’amour pour le prochain, était complètement éteinte, et cette âme était plus morte que le corps. (II disc. sur Lazare.) Nous ne voyons pas que personne soit venu rendre à ce mauvais riche les devoirs de la sépulture comme à Lazare. Tant qu’il était heureux au milieu des jouissances de la voie large, il comptait un grand nombre de flatteurs complaisants, à peine a-t-il expiré, que tous l’abandonnent, car le Sauveur nous dit simplement : « Et il fut enseveli dans les enfers. » Mais pendant sa vie même, son âme était comme ensevelie et écrasée dans son corps comme dans un tombeau. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 38.) Cette sépulture dans l’enfer signifie cet abîme de supplices qui dévore après cette vie les orgueilleux et ceux qui ont été sans miséricorde. — S. Bas. (sur Is 5.) L’enfer est un lieu immense situé dans les profondeurs de la terre, couvert de tous côtés d’épaisses ténèbres, dont l’ouverture donne dans un abîme profond, par où descendent les âmes condamnées aux supplices éternels. — S. Chrys. (hom. 53 de l’ouvr. incompl.) De même que les prisons des rois sont en dehors des villes, ainsi l’enfer est placé en dehors du monde, et c’est pour cela qu’il est appelé. « les ténèbres extérieures. » (Mt 8 ; 22 ; 25.) — Théophyl. Il en est qui prétendent que l’enfer est le passage du visible à l’invisible, et la complète déformation de l’âme, car tant que l’âme du pécheur est dans son corps, elle est comme visible par ses opérations, mais dès qu’elle est sortie du corps, elle perd pour ainsi dire toute sa forme.

 

S. Chrys. (2 disc. sur Lazare.) Le pauvre, pendant sa vie, trouvait un nouveau surcroît de souffrances dans son malheureux état, comparé aux jouissances et au bonheur dont il était témoin ; de même ce qui ajoutait aux tourments du riche après sa mort, c’était d’être plongé dans les enfers et d’être témoin du bonheur de Lazare, de sorte que son supplice lui était intolérable, et par sa nature, et par la comparaison qu’il en faisait avec la gloire de Lazare : « Or levant les yeux, lorsqu’il était dans les tourments, » etc. — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Il élève les yeux pour le voir au-dessus et non au-dessous de lui ; car Lazare était en effet au-dessus et lui au-dessous. Lazare avait été porté par les anges, et lui était en proie à des tourments infinis. Aussi Notre-Seigneur ne dit pas : Lorsqu’il était dans le tourment, mais « dans les tourments, » car il était tout entier dans les tourments, il n’avait de libre que les yeux pour voir la joie de Lazare. Dieu lui laisse l’usage de ses yeux pour augmenter ses souffrances en le rendant témoin d’un bonheur dont il est privé, car les richesses des autres sont de véritables tourments pour les pauvres.

S. Grég. (Moral., IV, 27.) Or si Abraham n’était encore dans ces lieux inférieurs, le mauvais riche n’eût pu l’apercevoir du milieu des tourments ; c’est qu’en effet, ceux qui avaient suivi les voies de la patrie céleste, étaient, au sortir de cette vie, retenus dans les enfers, non pas pour y être punis comme coupables, mais pour se reposer dans ce séjour mystérieux, jusqu’à ce que la rédemption du Médiateur vînt leur ouvrir l’entrée du royaume qui était fermé depuis la faute de nos premiers parents.

S. Chrys. (Hom. 4, sur l’Epît. aux Philip.) Il y avait sans doute parmi les pauvres beaucoup de justes, mais c’est celui qu’il a vu étendu à sa porte qui se présente à ses regards pour augmenter sa tristesse : « Et Lazare dans son sein. » — S. Chrys. (II Disc. sur Lazare.) Apprenons de là que ceux à qui nous aurons fait quelque injure s’offriront alors à nos regards. Or, ce n’est point dans le sein d’un autre, mais dans le sein d’Abraham que le mauvais riche voit Lazare, parce qu’Abraham était plein de charité, et que le mauvais riche est condamné pour sa cruauté. Abraham assis à sa porte recherchait les voyageurs pour les forcer d’entrer dans sa maison ; le mauvais riche repoussait ceux-là même qui demeuraient à sa porte. — S. Grég. (hom. 40.) Voilà ce riche qui du milieu de ses tourments implore la protection de celui dont il n’a point daigné prendre pitié pendant sa vie. — Théophyl. Toutefois ce n’est point à Lazare, mais à Abraham qu’il adresse la parole, peut-être par un sentiment de honte, et dans la pensée que Lazare qu’il jugeait par lui-même se ressouvenait de ce qu’il avait souffert : « Et il lui cria. » — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) La grandeur de ses souffrances lui arrachait ce grand cri : « Père Abraham, » comme s’il lui disait : Je vous appelle mon père selon la nature, comme l’enfant prodigue qui a perdu tout son bien ; bien que par ma faute j’ai perdu le droit de vous appeler mon père : « Ayez pitié de moi. » C’est inutilement que vous exprimez ce repentir dans un lieu où la pénitence n’est plus possible ; ce sont les souffrances qui vous arrachent cet acte de repentir, ce ne sont point les sentiments du coeur. Je ne sais d’ailleurs si un seul de ceux qui sont dans le royaume des cieux peut avoir pitié de celui qui est dans les enfers. Le Créateur a compassion de ses créatures. Il est le seul médecin qui puisse guérir efficacement leurs maladies, nul autre ne peut les en délivrer. « Envoyez Lazare. » Infortuné, tu es dans l’erreur, Abraham ne peut envoyer personne, il ne peut que recevoir. « Afin qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau, » Autrefois tu ne daignais pas même jeter les yeux sur Lazare, et maintenant tu réclames le secours de son doigt ; tu devais au moins lorsque tu vivais lui rendre le service que tu demandes de lui ; tu désires une goutte d’eau, toi qui autrefois voyais avec dégoût les mets les plus délicats. Voyez le jugement que, la conscience du pécheur porte contre lui, il n’ose demander que Lazare trempe son doigt tout entier. Voilà donc le riche réduit à mendier le secours du pauvre, qui souffrait autrefois de la faim ; les rôles sont changés, et chacun peut voir maintenant quel était le vrai riche, quel était le vrai pauvre. Dans les théâtres, quand vient le soir, et que les acteurs se retirent et quittent leur costume, ceux qu’on avait vus figurer sur la scène comme des généraux et des préteurs, se montrent à tous tels qu’ils sont dans toute leur misère. C’est ainsi que lorsque la mort arrive, et que le spectacle de la vie s’achève, tous les masques de la pauvreté et des richesses tombent, et c’est exclusivement d’après les oeuvres qu’on juge quels sont les vrais riches, quels sont les vrais pauvres, et ceux qui sont dignes de gloire ou d’opprobre. — S. Grég. (hom. 40.) Ce riche qui a refusé à ce pauvre couvert d’ulcères jusqu’aux miettes de sa table, précipité maintenant dans l’enfer, est réduit à mendier le plus léger secours ; il mendie une goutte d’eau lui qui a refusé les miettes qui tombaient de sa table.

S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Ce riche reçoit le juste châtiment qui lui est dû, le feu et le supplice de l’enfer, une langue desséchée ; les gémissements remplacent les sons harmonieux de la lyre ; une soif brûlante l’usage des plus délicieuses boissons ; d’épaisses ténèbres, les spectacles brillants et licencieux ; le ver qui ne dort point les empressements assidus des flatteurs : « Pour me rafraîchir la langue, car je souffre cruellement dans cette flamme » — S. Chrys. (hom. 2, sur l’Epît. aux Philipp.) S’il souffre de si cruels tourments, ce n’est point parce qu’il était riche, mais parce qu’il a été sans pitié. — S. Grég. (hom. 40.) Apprenons de là quel châtiment est réservé à celui qui prend le bien d’autrui, puisque ce riche est condamné au feu de l’enfer pour n’avoir pas donné de ses propres biens. — S. Ambr. Il souffre encore, parce que c’est un supplice pour l’homme sensuel d’être privé des jouissances de la vie ; l’eau qu’il demande est le soulagement de toute âme accablée de douleurs.

S. Grég. (hom. 40.) Pourquoi au milieu de ses tourments, demande-t-il une goutte d’eau pour rafraîchir sa langue ? parce que sa langue, par un juste châtiment, souffrait plus cruellement pour expier les excès de paroles qu’il avait commis au milieu de ses festins ; c’est en effet dans les festins que les intempérances de la langue sont plus fréquentes. — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Que de paroles orgueilleuses avait aussi proférées cette langue ! il est donc juste que le châtiment tombe sur le péché ; et que la langue qui a été si coupable soit aussi plus sévèrement punie. — S. Aug. (quest. Evang., 2, 38.) Ou bien encore, cette demande qu’il fait d’une goutte d’eau pour rafraîchir sa langue, alors qu’il était tout entier au milieu des flammes, est l’accomplissement de ce qui est écrit : « La mort et la vie sont au pouvoir de la langue ; » (Pv 18)  et encore : « Il faut confesser de bouche pour obtenir le salut, » (Rm 10) ce que son orgueil l’a empêché de faire. L’extrémité du doigt signifie la plus petite des oeuvres de miséricorde inspirée par l’Esprit saint.

S. Aug. (de l’ong. de l’âme, IV, 16.) Vous dites que tous les membres de l’âme se trouvent ici décrits, parce qu’il est dit que le mauvais riche levait les yeux ; ces yeux figurent la tête ; la langue, la bouche elle doigt, la main tout entière. Mais comment se fait-il que ces noms de membres appliqués à Dieu ne vous fassent pas conclure qu’il ait un corps, tandis que vous tirez cette conclusion pour l’âme ? Serait-ce parce qu’il faut les prendre à la lettre quand il s’agit de la créature, et dans un sens figuré et métaphorique, lorsqu’il est question du Créateur ? Ainsi vous nous donnerez des ailes corporelles parce que la créature, c’est-à-dire l’homme, et non pas le Créateur, dit par la bouche du Psalmiste : « Si je prends mon vol (mes ailes) dès l’aurore. » (Ps 138.) Or, si de ces paroles : « Pour rafraîchir ma langue, » vous concluez que l’âme du mauvais riche avait dans l’enfer une langue corporelle, notre langue doit avoir aussi dans cette vie des mains corporelles, puisqu’il est écrit : « La mort et la vie sont dans les mains de la langue. » (Pv 18.)

 

S. Grég. de Nyss. (Disc. 5, sur les Béatitudes.) De même que les miroirs les plus parfaits représentent fidèlement les formes des visages, tels qu’ils se placent devant eux, joyeux, s’ils sont dans la joie, tristes, s’ils sont dans la tristesse, ainsi le juste jugement de Dieu est la fidèle reproduction des dispositions de notre âme ; le riche n’a eu aucune compassion du pauvre étendu à sa porte, il ne trouve à son tour aucune compassion, lorsqu’il aurait tant besoin de miséricorde : « Et Abraham lui dit : Mon fils. » — S. Chrys. (Disc. 2 et 3, sur Lazare, et hom. sur le mauv riche.) Voyez la bonté du patriarche, il l’appelle son fils par un sentiment de tendresse et de douceur ; mais cependant il n’accorde aucun secours à celui qui s’en est rendu indigne. « Souvenez-vous, » lui dit-il, c’est-à-dire rappelez-vous le passé, n’oubliez pas que vous avez nagé au sein des délices, et que vous avez reçu les biens pendant votre vie, c’est-à-dire ce que vous regardiez comme les vrais biens ; il est impossible que vous régniez ici après avoir régné sur la terre, les richesses ne peuvent avoir de réalité à la fois sur la terre et dans l’enfer : « De même que Lazare à reçu les maux. » Ce n’est pas que Lazare les ait regardés comme des maux ; Abraham parle ici d’après les idées du riche qui regardait la pauvreté, la faim, les souffrances de la maladie comme des maux extrêmes. Lors donc que la violence de la maladie nous accable, que la pensée de Lazare nous fasse supporter avec joie les maux de cette vie.

S. Aug. (Quest. Evang., 2, 38.) Abraham fait donc cette réponse au mauvais riche, parce qu’il amis toutes ses affections dans les jouissances de la terre, et n’a aimé d’autre vie que celle où il étalait tout le faste de son orgueil. Il ajoute que Lazare a reçu les maux, c’est-à-dire qu’il a compris que la fragilité des choses de cette vie, les travaux, les douleurs, les souffrances étaient la peine du péché, parce que nous mourons tous en Adam qui est devenu sujet à la mort par sa désobéissance. — S. Chrys. (Disc. 3, sur Lazare.) Il dit encore au riche : « Vous avez reçu les biens dans cette vie, » comme une chose qui vous était que. C’est-à-dire : Si vous avez fait quelque bien qui fût digne de récompense, vous avez reçu dans le monde tout ce qui vous revenait, des festins, des richesses, la joie qui accompagne une vie toujours heureuse et les grandes prospérités. Si au contraire Lazare a commis quelque faute, il a tout réparé par la pauvreté, la faim et l’excès des misères sous le poids desquelles il a gémi. Tous deux vous êtes arrivés ici nus et dépouillés, l’un de ses péchés, et c’est pour cela qu’il reçoit la consolation, en partage, l’autre, de la justice, et c’est pourquoi vous subissez un châtiment qui ne pourra jamais être adouci : « Maintenant il est consolé ; et vous, vous souffrez. » — S. Grég. (hom. 40.) Si donc vous avez souvenir d’avoir fait quelque bien, et que ce bien ait été suivi de bonheur et de prospérité, craignez que ce bonheur ne soit la récompense du bien que vous avez fait ; comme aussi lorsque, vous voyez les pauvres tomber dans quelques fautes, pensez que le creuset de la pauvreté suffit pour purifier ceux qu’aurait pu souiller ce reste si léger de corruption. — S. Chrys. (Disc. 3, sur Lazare.) Vous me direz : N’y a-t-il donc personne qui puisse être heureux et tranquille dans cette vie et dans l’autre ? Non, c’est chose difficile et presque impossible ; car si la pauvreté n’accable, c’est l’ambition qui tourmente ; si la maladie ne déchire, c’est la colère qui enflamme ; si l’on n’est point en butte aux tentations, on est en proie aux pensées mauvaises. Or, ce n’est pas un médiocre travail que de mettre un frein à la colère, d’étouffer les désirs criminels, d’apaiser les mouvements violents de la vaine gloire, de réprimer le faste et l’orgueil, et de mener une vie pénitente et mortifiée. C’est là cependant une condition indispensable du salut.

S. Grég. (comme précéd.) Ou peut encore répondre que les méchants reçoivent les biens en cette vie, parce qu’ils mettent toute leur joie dans ce bonheur passager ; comme les justes peuvent avoir quelques biens, en partage, mais sans les recevoir comme récompense, car comme ils aspirent à des biens meilleurs, c’est-à-dire aux biens éternels, ils n’estiment pas que les biens qu’ils peuvent recevoir ici soient de véritables biens.

 

S. Chrys. (Disc. 4, sur Lazare.) Après la grâce de Dieu, c’est sur nos propres efforts que nous devons fonder l’espérance de notre salut, sans compter sur nos parents, sur nos proches, sur nos amis, car le frère même ne pourra racheter son frère (Ps 48, 8). C’est pour cela qu’Abraham ajoute : « De plus, entre nous et vous est creusé pour toujours un grand chaos. » — Théophyl. Ce grand chaos signifie la distance immense qui sépare les justes des pécheurs ; leurs affections sur la terre ont été bien différentes, leurs demeures après cette vie le sont également. — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Il dit qu’un grand chaos a été comme affermi, parce qu’il ne peut être ni détruit, ni agité, ni ébranlé.

S. Ambr. Un grand abîme existe donc entre le riche et le pauvre, parce qu’après la mort les mérites de chacun sont immuables : « De sorte que ceux qui voudraient passer d’ici à vous, ou de là venir ici, ne le peuvent pas. » — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche) Il semble dire ? Nous pouvons vous voir, mais nous ne pouvons passer où vous êtes : nous voyons le danger que nous avons évité, et vous voyez le bonheur que vous avez perdu, notre joie est pour vous un surcroît de tourments, comme vos tourments, mettent le comble à notre joie. — S. Grég. (hom. 40.) De même que les réprouvés désirent passer du côté des élus, et quitter le séjour de leurs souffrances, ainsi les justes éprouvent intérieurement le désir d’aller vers ceux qui sont en proie à ces tourments indicibles et de les délivrer, Mais les âmes des justes, bien que la bonté de leur nature les rende accessibles à ce sentiment de la compassion, sont unies étroitement à la justice de leur auteur, et dominées par un tel sentiment de droiture et d’équité, qu’elles ne ressentent pour les réprouvés aucun sentiment de miséricorde. Ainsi donc, ni les méchants ne peuvent entrer dans le séjour des bons, retenus qu’ils sont par les chaînes d’une éternelle damnation, ni les justes ne peuvent passer du côté des réprouvés, parce que élevés à la hauteur de la justice des jugements de Dieu, ils ne peuvent éprouver pour eux aucun sentiment de compassion. — Théophyl. On peut tirer de ces paroles un des plus forts arguments contre les partisans d’Origène, qui prétendent que les supplices de l’enfer auront un terme, et qu’un temps arrivera où les pécheurs seront réunis aux justes et à Dieu. — S. Aug. (quest. Evang., 2, 38.) L’immutabilité de la sentence divine prouve jusqu’à l’évidence que les justes, quand ils le voudraient, ne pourront exercer aucun acte de miséricorde envers les pécheurs, et Dieu les avertit par là d’être utiles pendant cette vie à tous ceux qui pourront profiter de leurs bons offices, de peur que même après avoir été reçus dans les cieux, ils soient dans l’impuissance de porter secours à ceux qu’ils aiment ; car ces paroles : « Afin qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels, » ne s’appliquent ni aux superbes, ni aux âmes sans miséricorde, mais à ceux qui se sont fait des amis avec les oeuvres de la charité ; et si les justes les reçoivent dans les tabernacles éternels, ce n’est point en vertu de leur propre pouvoir et comme s’ils les récompensaient d’eux-mêmes, mais en vertu d’une permission de Dieu.

 

Vv. 27-31.

S. Grég. (hom. 40 sur les Evang.) Lorsque le riche, tourmenté au milieu des flammes, a perdu toute espérance pour lui-même, sa pensée se reporte vers les proches qu’il a laissés sur la terre : « Et il dit : Je vous prie donc, père Abraham, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. » — S. Aug. (quest. évang.) Il demande qu’on envoie Lazare, parce qu’il comprend qu’il est indigne de rendre témoignage à la vérité, et comme il n’a pu obtenir le moindre rafraîchissement à ses souffrances, il espère beaucoup moins sortir des enfers pour aller faire connaître la vérité. — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Voyez la perversité de cet homme, jusqu’au milieu de ses châtiments il ne peut reconnaître la vérité ; si Abraham est vraiment ton père, comment dis-tu : « Envoyez-le dans la maison de mon père ? » Tu n’as donc pas oublié ton père, tu ne l’as pas oublié, quoiqu’il ait été la cause de ta perte.

S. Grég. (hom. 40.) Le supplice des réprouvés leur inspire quelquefois une charité stérile, et fait qu’ils sont portés alors d’un amour tout particulier pour leurs parents, eux qui, dans l’affection qu’ils avaient pour leurs péchés ne s’aimaient pas eux-mêmes, c’est ce qui lui fait dire : « Car j’ai cinq frères, afin qu’il leur atteste qu’ils ne viennent pas aussi eux-mêmes dans ce lieu de tourments. »

S. Ambr. Ce mauvais riche s’y prend trop tard pour commencer à instruire les autres, alors qu’il n’y a plus de temps ni pour apprendre, ni pour enseigner. — S. Grég. (hom. 40.) Remarquons ici quel surcroît de souffrances pour ce riche, que les flammes tourmentent si cruellement. Dieu lui laisse pour son supplice la connaissance et la mémoire. Il reconnaît Lazare, qu’il ne daignait pas regarder pendant sa vie, il se souvient de ses frères qu’il a laissés sur la terre, car pour ajouter aux peines que souffrent les pécheurs, Dieu permet qu’ils voient la gloire de ceux qui ont été l’objet de leur mépris et qu’ils souffrent du châtiment de ceux qu’ils ont aimés d’une amitié stérile. A la demande que fait le riche que Lazare soit envoyé, Abraham répond : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent. »

S. Chrys. (disc. 4 sur Lazare.) C’est-à-dire, votre sollicitude pour le salut de vos frères, n’est pas plus grande que celle de Dieu, qui les a créés et leur a donné des docteurs pour les instruire et les exciter au bien. Moïse et les prophètes, ce sont les écrits de Moïse et les oracles prophétiques. — S. Ambr. Paroles par lesquelles Dieu montre jusqu’à la dernière évidence, que l’Ancien Testament est le ferme appui de notre foi, réprimant ainsi l’incrédulité des Juifs, et repoussant toutes les interprétations perverses des hérétiques.

S. Grég. (hom. 40.) Mais ce mauvais riche qui, pendant toute sa vie avait méprisé la parole de Dieu, croyait que ses parents n’en feraient pas plus de cas : « Et il dit : Non, père Abraham, mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils feront pénitence. » — S. Chrys. (comme préc.) Comme il n’avait que du mépris pour les Écritures, et qu’il les regardait comme des fables, il jugeait ses frères d’après ses propres sentiments. — S. Grég. de Nysse. (Liv. de l’âme et de la résur.) Ces paroles contiennent encore une autre leçon, c’est que l’âme de Lazare est dégagée de toute sollicitude pour les choses présentes, et n’a pas un regard pour ce qu’elle a quitté. Le riche, au contraire, même après la mort, est encore attaché à la vie charnelle comme avec de la glu, car celui dont l’âme se plonge dans les affections de la chair, reste esclave de ses passions, même lorsque son âme est séparée de son corps. — S. Grég. (hom. 40.) Abraham fait au mauvais riche cette réponse pleine de vérité : « S’ils n’écoutent point Moïse et les prophètes, quelqu’un des morts ressusciterait, qu’ils ne croiraient point ; » parce qu’en effet, ceux qui méprisent les paroles de la loi, pratiqueront d’autant plus difficilement les préceptes du Rédempteur, qui est ressuscité des morts, qu’ils sont beaucoup plus sublimes.

S. Chrys. (disc. 4 sur Lazare.) Les Juifs sont une preuve que celui qui n’est point docile aux enseignements de l’Écriture, n’écouterait pas davantage un mort ressuscité à la vie, eux qui ont voulu tuer Lazare après sa résurrection et persécuté les Apôtres, bien qu’ils aient vu plusieurs morts ressuscités à l’heure du crucifiement (cf. Mt 27, 52). Mais pour vous convaincre encore davantage que l’autorité des Écritures et des prophètes est d’un plus grand poids que le témoignage d’un mort ressuscité, remarquez qu’un mort quel qu’il soit est un serviteur, tandis que tout ce qu’enseignent les Écritures, c’est Dieu, même qui l’enseigne. Ainsi donc qu’un mort ressuscite, qu’un ange descende du ciel, les Écritures sont beaucoup plus dignes de foi, car c’est le Seigneur des anges, le maître des vivants et des morts qui en est l’auteur. D’ailleurs, si Dieu avait jugé que la résurrection des morts pourrait être utile aux vivants, il n’eût pas omis ce moyen, de salut, lui qui se propose en tout notre utilité. Mais supposons de fréquentes résurrections de morts, on n’y ferait bientôt plus attention. ; le démon se servirait de ce moyen pour introduire des doctrines perverses en cherchant à imiter ce miracle par ses suppôts. Il ne pourrait sans doute ressusciter réellement les morts, mais il ferait illusion aux yeux des spectateurs par certains artifices, ou en exciterait quelques-uns à simuler une mort véritable.

S. Aug. (Du soin qu’on doit avoir pour les morts, chap. XIV.) On me dira : Si les morts n’ont aucun souci des vivants, comment ce riche a-t-il pu prier Abraham d’envoyer Lazare vers ses cinq frères ? Mais cette prière du riche suppose-t-elle nécessairement qu’il connût alors ce que faisaient ces frères ou ce qu’ils pouvaient souffrir ? Il portait donc intérêt aux vivants, mais sans savoir aucunement ce qu’ils faisaient ; de même que notre sollicitude s’étend aux morts, bien que nous ignorions complètement leur état actuel. On demande encore : Comment Abraham connaissait-il Moïse et les prophètes, c’est-à-dire leurs livres ? comment avait-il pu savoir que le riche avait vécu dans les délices et Lazare dans les souffrances ? Nous répondons qu’il put le savoir, non pendant leur vie, mais après leur mort, lorsque Lazare le lui eut appris, explication qui ne détruit pas la vérité de ces paroles du prophète : « Abraham ne nous a pas connus. » (Is 63.) Les âmes des morts peuvent encore savoir quelque chose par le moyen des anges qui président aux choses d’ici-bas, L’esprit de Dieu peut enfin leur révéler, soit dans le passé, soit dans l’avenir, ce qu’il leur importe de connaître.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 38.) Dans le sens allégorique, on peut voir dans ce riche la figure des Juifs orgueilleux, « qui ne connaissaient point la justice de Dieu, et s’efforçaient d’établir leur propre justice. » (Rm 10.) La pourpre et le lin sont le symbole du royaume : « Le royaume de Dieu vous sera enlevé, » (Mt 21.) Ces festins splendides, c’est l’ostentation de la loi dans laquelle ils se glorifiaient par orgueil et pour se faire valoir plutôt que de la faire servir à leur salut. Ce mendiant, du nom de Lazare, qui signifie celui qui est assisté, représente la pauvreté des Gentils ou des publicains, qui obtiennent d’autant plus facilement du secours, qu’ils présument moins de leurs propres ressources. — S. Grég. (hom. 40.) Lazare, couvert d’ulcères, est la figure du peuple des Gentils, qui se convertit à Dieu et ne rougit pas de confesser ses péchés ; sa peau est couverte de blessures, car qu’est-ce que la confession des péchés, qu’une rupture de nos blessures intérieures ? Lazare, tout couvert d’ulcères, « désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, et personne ne lui en donnait, » parce que ce peuple orgueilleux ne daignait admettre aucun Gentil à la connaissance de la loi, et qu’il laissait tomber les paroles de cette science comme les miettes de sa table. — S. Aug. (quest. évang.) Les chiens qui venaient lécher les ulcères du pauvre, figurent ces hommes profondément corrompus, dévoués au mal, qui ne cessent de louer à bouche ouverte les oeuvres d’iniquité qui sont l’objet des gémissements et des regrets publics de ceux qui les ont commises. — S. Grég. (hom. 40.) Quelquefois dans les saintes Écritures, les chiens représentent les prédicateurs, selon ces paroles du Psalmiste : « La langue de tes chiens s’abreuvera du sang de tes ennemis. » (Ps 67 ; cf. Is 56, 10.) En effet, la langue des chiens guérit les blessures qu’elle lèche, ainsi les saints docteurs, par les instructions qui suivent la confession de nos péchés, touchent pour ainsi dire avec leur langue les blessures de notre âme. Le riche a été enseveli dans les enfers, Lazare, au contraire, a été porté par les anges dans le sein d’Abraham, c’est-à-dire, dans ce séjour mystérieux de repos, dont la vérité a dit : « Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident, et auront place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, tandis que les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures. » C’est de loin que le riche lève les yeux pour voir Lazare, parce que c’est du fond de l’abîme où ils souffrent les peines dues à leurs péchés, que les infidèles aperçoivent au-dessus d’eux, jouissant d’un repos ineffable, les fidèles dont après le jugement dernier, ils ne pourront plus contempler le bonheur. C’est de loin qu’ils les aperçoivent, parce qu’ils ne peuvent y atteindre par leurs mérites. C’est surtout dans sa langue que le riche endure de plus vives souffrances, parce que ce peuple infidèle avait toujours à la bouche les paroles de la loi qu’il dédaignait de mettre en pratique. Il sera donc plus cruellement tourmenté dans sa langue qui manifestait à tous qu’il savait parfaitement ce qu’il refusait de pratiquer. Abraham l’appelle son fils, bien qu’il ne le délivre pas de ses tourments, parce que les ancêtres de ce peuple infidèle n’ont aucune compassion pour arracher au supplice ceux qu’ils reconnaissent bien comme étant leurs enfants, mais qui ont en si grand nombre abandonné les exemples de leur foi.

 

S. Aug. (Quest. évanq., 2, 39.) Les cinq frères que le riche dit avoir dans la maison de son père, figurent les Juifs qui sont au nombre de cinq, parce qu’ils étaient soumis à la loi qui a été donnée par Moïse (cf. Jn 1, 17 ; 7, 19), et renfermée dans les cinq livres qu’il a écrits. — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Ou bien ce riche avait cinq frères, c’est-à-dire, les cinq sens dont il était l’esclave ; aussi ne pouvait-il aimer Lazare, parce que ses frères n’aiment pas la pauvreté. Ce sont ces frères qui t’ont précipité dans ces tourments, ils ne peuvent être sauvés s’ils ne meurent, autrement il est nécessaire que les frères habitent avec leur frère. Mais pourquoi demande-tu que j’envoie Lazare ? Ils ont Moïse et les prophètes. Moïse a été lui-même pauvre comme Lazare, lui qui a estimé que la pauvreté de Jésus-Christ était un plus grand trésor que toutes les richesses de l’Egypte (He 12), Jérémie, jeté dans un lac, y fut nourri du pain de la tribulation. (Jr 38.) Tous ces prophètes sont là pour enseigner tes frères, mais ils ne peuvent être sauvés qu’autant que quelqu’un ressuscite des morts, car ces frères, avant la résurrection de Jésus-Christ, me conduisaient à la mort ; il est mort, mais ces frères sont ressuscités, et maintenant mes yeux voient Jésus-Christ, mes oreilles l’entendent, mes mains peuvent le toucher. Ce que nous venons de dire est la condamnation des marcionites et des manichéens, qui ne veulent point admettre l’Ancien Testament. Voyez ce que dit Abraham : « S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, » etc., paroles qui signifient : Vous faites bien d’attendre celui qui doit ressusciter des morts, mais c’est Jésus-Christ lui-même qui vous parle par la bouche des prophètes, et si vous les écoutez, c’est lui-même que vous écoutez. — S. Grég. (hom. 40.) Mais comme le peuple juif a refusé d’entendre dans le sens spirituel les paroles de Moïse, il n’a pu parvenir à celui que Moïse avait prédit et annoncé.

 

S. Ambr. On peut encore donner à cette histoire cet autre sens : Lazare est pauvre dans ce monde, mais il est riche aux yeux de Dieu. En effet, toute pauvreté n’est pas sainte, comme toute possession des richesses n’est pas nécessairement criminelle, c’est la vie molle et sensuelle qui déshonore les richesses, comme c’est la sainteté qui rend la pauvreté honorable. Ou bien encore, Lazare, c’est tout homme apostolique qui est pauvre par la parole et riche par la foi, qui s’attache à la vraie foi et ne recherche pas les vains ornements de la parole. Je comparerai cet homme à celui qui, souvent frappé de verges par les Juifs, offrait pour ainsi dire, à lécher aux chiens les ulcères de son corps (2 Co 11, 24 ; cf. Dt 25, 2.3). Heureux ces chiens qui ont léché les gouttes de sang pli découlait de ces plaies et qui remplit ainsi la bouche et le coeur de ceux qui doivent garder la maison, veiller sur le troupeau et le défendre contre les loups. Et comme le pain est la figure de la parole, et que la foi vient de la parole, les miettes de pain représentent certaines vérités de la foi, c’est-à-dire les mystères des Écritures. Les Ariens, qui recherchent avec tant d’empressement l’appui de la puissance royale pour attaquer la vérité de l’Église, ne vous paraissent-ils pas comme revêtus de pourpre et de fin lin ? Comme ils prêchent l’erreur et le mensonge en place de la vérité, ils multiplient leurs pompeux discours. C’est ainsi que la riche hérésie a composé je ne sais combien d’évangiles, tandis que la foi pauvre s’en est tenu au seul Évangile qu’elle a reçu de Dieu. La riche philosophie s’est fait plusieurs dieux, et l’Église pauvre n’a reconnu et adoré qu’un seul Dieu. Ces richesses ne vous semblent-elles pas être une véritable indigence, et cette indigence une véritable richesse ?

S. Aug. (Quest. évang.) Ce récit peut encore recevoir une autre interprétation. Lazare serait la figure du Seigneur, étendu à la porte du riche, parce que les humiliations de son incarnation l’ont abaissé jusqu’aux oreilles superbes des Juifs. Il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, c’est-à-dire, qu’il demandait aux Juifs les plus petites oeuvres de justice qui ne fussent pas enlevées par leur orgueil à sa table, c’est-à-dire à sa puissance, et qu’ils pussent au moins pratiquer, sinon sous l’influence d’une vie constamment vertueuse, au moins de temps en temps et par hasard, comme les miettes qui tombent de la table. Les ulcères, ce sont les blessures du Seigneur, les chiens qui venaient les lécher, ce sont les Gentils, que les Juifs regardaient comme immondes, et qui, cependant par tout l’univers, goûtent avec une pieuse suavité les plaies du Seigneur dans le sacrement de son corps et de son sang. Le sein d’Abraham, c’est le secret du Père, où Jésus-Christ est monté après sa résurrection ; il y a été porté par les anges, parce que ce sont les anges qui ont annoncé à ses disciples (Mt 28, 7 ; Mc 16, 7 ; Lc 24, 9), qu’il était remonté dans le sein du Père. L’interprétation que nous avons donnée plus haut peut s’appliquer au reste du récit, car le sein de Dieu peut très-bien s’entendre du lieu où (même avant la résurrection) les âmes des justes vivent dans la société de Dieu.

 

 

CHAPITRE XVII

Vv. 1-2.

Théophyl. Notre-Seigneur répond aux pharisiens avares qui attaquaient ses enseignements sur la pauvreté, par la parabole du mauvais riche et de Lazare. Il s’entretient ensuite des pharisiens avec ses disciples, et les leur représente comme des schismatiques et comme des gens qui entravent par leurs obstacles les voies divines : « Et Jésus dit à ses disciples : Il est impossible qu’il n’arrive des scandales, » c’est-à-dire des obstacles à la vie sainte et agréable à Dieu. — S. Cyr. Il y a deux sortes de scandales, les uns sont opposés directement à la gloire de Dieu, les autres se bornent à créer des obstacles à nos frères dans la voie du bien ; c’est ainsi que les doctrines des hérétiques, et tout discours contraire à la vérité sont directement opposés à la gloire de Dieu. Or, Notre-Seigneur ne parait pas avoir ici en vue cette première espèce de scandale, mais plutôt ceux qui arrivent entre amis et entre frères, comme les querelles, les médisances, et autres différends semblables. Voilà pourquoi il ajoute plus bas : « Si votre frère pèche contre vous, reprenez-le, » etc. — Théophyl. Ou bien il veut dire que la prédication et la vérité doivent nécessairement rencontrer bien des difficultés, telles que celles que les pharisiens suscitaient à la prédication de Jésus-Christ. Mais s’il est nécessaire que les scandales arrivent, comment me dira-t-on, Notre-Seigneur peut-il en faire un crime à l’auteur du scandale en disant : « Malheur à celui par qui arrive le scandale ? » Car tout ce qui est le produit de la nécessité est digne d’indulgence. Nous répondons que cette nécessité tire son origine de notre libre arbitre. Notre-Seigneur, considérant comment les hommes se portent au mal et sont indifférents pour le bien, déclare que les scandales sont une conséquence nécessaire de cet état de choses ; comme un médecin qui voit un de ses malades faire usage d’un mauvais régime, dit de lui : Cet homme deviendra nécessairement malade. Aussi le Sauveur annonce malheur à celui par qui arrive le scandale, et lui en prédit le châtiment : « Il vaudrait mieux pour lui qu’on lui mît une meule de moulin au cou et qu’on le précipitât dans la mer. » — Bède. Notre-Seigneur fait ici allusion à un usage de la Palestine, où le châtiment des grands crimes, chez les anciens Juifs, consistait à précipiter les coupables au fond de la mer avec une grosse pierre au cou. Et en effet, il vaut mieux, même pour un innocent, perdre la vie du corps par un supplice atroce, mais passager, que de précipiter son frère innocent dans la mort éternelle. C’est à juste titre que le Sauveur donne le nom de « petit » à celui qui est scandalisé ; car celui dont l’âme est grande et élevée, quoi qu’il voie, quoi qu’il lui arrive, ne se laisse point détourner de la foi. Autant que nous le pouvons sans péché, évitons donc de donner du scandale à nos frères ; s’ils prennent scandale de la vérité, il est plus utile de permettre ce scandale, que d’abandonner les intérêts de la vérité. — S. Chrys. Par le supplice de celui qui scandalise les âmes, apprenez quelle sera la récompense de celui qui les sauve. Car s’il n’avait tant à coeur le salut d’une seule âme, il ne menacerait pas d’un si grand châtiment les auteurs du scandale.

 

Vv. 3-4

S. Ambr. Après la parabole du mauvais riche souffrant cruellement dans les flammes éternelles, le Sauveur fait à ses disciples une obligation de pardonner à tous ceux qui reviennent de leurs erreurs ; de peur que le désespoir ne les fasse persévérer dans le mal : « Prenez garde à vous. » — Théophyl. Comme s’il leur disait : Il est nécessaire qu’il arrive des scandales, mais il n’est pas nécessaire que vous périssiez si vous êtes sur vos gardes, de même qu’il n’y a point nécessité que les brebis deviennent la proie du loup, si le berger veille sur elles, et comme il y a plusieurs espèces de personnes qui donnent le scandale, que les unes peuvent être guéries, que les autres sont incurables, il ajoute : « Si votre frère pèche contre vous, reprenez-le, » etc. — S. Ambr. Le pardon ne doit pas être trop difficile, ni l’indulgence trop grande, il faut éviter à la fois les reproches sévères qui découragent, et une connivence coupable qui autorise le mal ; aussi Notre-Seigneur nous dit-il ailleurs : « Reprenez-le entre vous et lui ; » car une réprimande amicale est toujours plus utile qu’une accusation trop vive ; l’une inspire une honte salutaire, l’autre excite l’indignation ; ayez plutôt des ménagements pour cette crainte qu’a le coupable que ses fautes soient révélées ; car il est bien plus avantageux qu’il voie en vous un ami qui le reprend, qu’un ennemi qui veut sa perte, et il se rendra toujours plus facilement à vos conseils, qu’il ne cédera à vos injures. La crainte est un faible gardien de la persévérance, la honte enseigne bien plus efficacement le devoir ; car si la crainte réprime le vice, elle ne peut le corriger. Notre-Seigneur dit avec dessein : « Si votre frère pèche contre vous, » car on ne peut raisonner des fautes commises contre Dieu, comme des offenses envers nos semblables.

Bède. Remarquez encore qu’il ne nous fait point une obligation de pardonner indifféremment à tout homme qui nous offense, mais seulement à celui qui témoigne du repentir ; car tel est l’ordre que nous devons suivre pour éviter les scandales : n’offenser personne, reprendre par zèle pour la justice ceux qui sont en faute, et recevoir avec des entrailles de miséricorde les pécheurs repentants. — Théophyl. Mais, me dira-t-on, si après avoir pardonné plusieurs fois à mon frère, il continue à m’offenser, quelle conduite tenir à son égard ? Notre-Seigneur a répondu à cette question : « S’il pèche contre vous sept fois le jour, et que sept fois le jour il revienne à vous, disant : Je me repens, pardonnez-lui. »

Bède. Le nombre sept n’exprime pas ici les limites que nous devons apporter au pardon, mais il signifie qu’il faut pardonner toutes les offenses, ou du moins qu’il faut toujours pardonner à celui qui se repent. Le nombre sept, en effet, exprime souvent dans l’Écriture l’universalité des choses ou des temps. — S. Ambr. Ou bien encore, de même que Dieu s’est reposé de ses oeuvres le septième jour, ainsi un repos éternel nous est promis après la semaine de ce monde ; Dieu veut donc que la sévérité de la vengeance s’apaise et se repose, à l’exemple de toutes les oeuvres mauvaises de ce monde, qui doivent un jour prendre fin.

 

Vv. 5-6.

Théophyl. Les disciples ayant entendu les enseignements du Seigneur sur des devoirs difficiles, c’est-à-dire sur la pauvreté et la fuite des scandales, lui demandent d’augmenter en eux la foi, qui doit les aider à pratiquer la pauvreté (car rien de plus efficace pour inspirer l’amour de la pauvreté, comme la foi et l’espérance en Dieu), et à résister aux scandales : « Alors les Apôtres dirent au Seigneur : Augmentez-nous la foi. » — S. Grég. (Moral., XXII, 14.) Afin que cette foi qu’ils avaient reçue dans son germe, parvînt à la perfection par des accroissements successifs. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 39.) Par cette foi, qu’ils prient le Sauveur d’augmenter en eux, on peut entendre celle qui nous fait croire ce que nous ne voyons pas ; cependant il y a aussi une foi qu’on peut appeler la foi des choses, qui nous porte à croire non seulement aux paroles, mais aux choses présentes, ce qui doit un jour s’accomplir, lorsque la sagesse de Dieu, par laquelle tout a été fait, s’offrira à la contemplation des saints dans tout l’éclat de sa gloire.

Théophyl. Notre-Seigneur approuve ouvertement leur demande, et les exhorte à croire fermement en leur découvrant toute la puissance de la foi : « Le Seigneur leur dit : Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, » etc. Il y a ici deux prodiges extraordinaires, transporter un arbre enraciné dans la terre, et le planter au milieu de la mer (car que peut-on planter au milieu des flots), et qui tous deux font voir la puissance de la foi. — S. Chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) Le Sauveur prend pour exemple le grain de sénevé, parce que bien que son volume soit très-petit, il a cependant plus de force que toutes les autres graines, et il veut nous apprendre par là que le plus petit degré de foi, peut opérer de grandes choses. N’allez pas cependant accuser légèrement les Apôtres, de ce qu’ils n’ont point transporté de mûrier, car Notre-Seigneur ne leur a point dit : Vous transporterez, mais : « Vous pourrez transporter. » Mais ils ne l’ont point voulu, parce que cela était inutile, puisqu’ils ont opéré de plus grands prodiges. — S. Chrys. (hom. 32 sur la 1e Epit. aux Cor.) Mais comment concilier ces paroles de Jésus-Christ, que le plus petit degré de foi peut transporter un arbre ou une montagne, avec celles où saint Paul déclare que c’est la foi parfaite qui transporte les montagnes ? (1 Co 13, 2) Nous répondons que l’apôtre saint Paul attribue à la foi parfaite la vertu de transporter les montagnes, non que ce soit le privilège exclusif de la foi parfaite, mais parce qu’il s’adressait à des esprits encore grossiers qui trouvaient ce prodige extraordinaire à cause de la difficulté que présente la masse énorme d’une montagne.

Bède. Ou bien le Seigneur compare ici la foi parfaite à un grain de sénevé, parce qu’elle a peu d’apparence au dehors, et qu’elle déploie toute sa force dans l’intérieur de notre corps. Dans le sens allégorique, le mûrier (dont les fruits et les branches ont la couleur du sang), est la figure de l’Évangile de la croix que la foi des Apôtres a par la prédication arraché du peuple juif, dans lequel il était enraciné comme dans sa terre primitive, pour le transporter et le planter au milieu de la mer des nations. — S. Ambr. Ou bien encore, ces paroles signifient la puissance de la foi pour chasser l’esprit immonde, d’autant plus que la nature de cet arbre favorise cette opinion. En effet, le fruit du mûrier est blanc dans sa fleur, il parait rouge lorsqu’il a pris sa forme, et devient noir lorsqu’il est parvenu à sa maturité. C’est ainsi que le démon, déchu par sa prévarication de la fleur blanche de sa nature angélique, et de son éclatante dignité, est devenu un objet d’horreur par les noires vapeurs qu’exhale son iniquité. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Il y a encore une autre analogie entre le démon et le mûrier ; les vers se nourrissent des feuilles du mûrier, ainsi le démon se sert des pensées qu’il suggère pour nourrir le ver qui ne meurt point, mais la foi peut déraciner de nos âmes ce mûrier et le précipiter dans l’abîme.

 

Vv. 7-10.

Théophyl. Comme la foi rend celui qui la possède fidèle observateur des commandements de Dieu, et lui fait opérer des oeuvres vraiment admirables, il semblait qu’elle pouvait exposer l’homme au vice de l’orgueil. Aussi Notre-Seigneur prémunit ses disciples contre ce sentiment d’orgueil qui pouvait naître de leurs vertus, par l’exemple suivant : « Qui de vous, ayant un serviteur attaché au labourage, » etc. — S. Aug. (quest. Evang., 2, 39.) Ou bien encore, comme la plupart ne comprenaient pas cette foi à la vérité qui devait un jour se découvrir sans nuage, on pourrait croire que Notre-Seigneur ne répond pas directement à la demande de ses disciples. En effet, la suite des paroles du Sauveur se rapporte difficilement à cette prière des Apôtres : « Augmentez en nous la foi, » à moins de les entendre dans ce sens, que nous passons d’une foi moins parfaite à une foi parfaite, c’est-à-dire de la foi qui nous fait servir Dieu, à la foi où nous jouissons pleinement de Dieu. La foi s’augmente en effet, lorsqu’après avoir eu pour objet les paroles de la prédication, elle s’étend même aux choses visibles. Mais cette foi contemplative est accompagnée de ce repos ineffable que Dieu nous prépare dans son royaume éternel, et ce repos est la récompense des travaux méritoires qui s’accomplissent dans l’Église. Ainsi, quel que soit le genre de travaux auxquels est appliqué le serviteur, qu’il laboure dans les champs, ou qu’il garde les troupeaux (c’est-à-dire qu’il s’occupe dans cette vie des choses de la terre, ou qu’il soit au service des hommes insensés figurés par les troupeaux), il faut qu’après ces travaux accomplis il rentre à la maison, c’est-à-dire qu’il soit réuni à l’Église.

 

Bède. Ou bien encore, ce serviteur qui revient des champs, c’est le docteur qui interrompt pour un temps l’oeuvre de la prédication, pour rentrer dans sa conscience et y repasser ses actions et ses paroles. Le Seigneur ne lui dit pas aussitôt ; Allez (de cette vie mortelle), et mettez-vous à table, c’est-à-dire, réjouissez-vous dans l’éternel repas de la vie bienheureuse. — S. Ambr. En effet, nul ne s’asseoit à ce banquet avant de passer de cette vie à l’autre. ; Moïse lui-même a dû passer de l’endroit où il était pour être témoin de la grande vision ou Dieu se révélait à lui. (Ex 3.) De même donc que vous ne dites pas aussitôt à votre serviteur : Mettez-vous à table, mais que vous exigez de lui auparavant d’autres services ; ainsi Dieu ne vous demande pas un seul genre d’oeuvres et de travaux, notre travail ne doit cesser qu’avec notre vie : Est-ce qu’il ne lui dit pas au contraire : « Préparez-moi à souper, » etc. — Bède. Dieu commande à ce serviteur de lui préparer à manger, c’est-à-dire qu’après le travail de la prédication publique, il doit se livrer à une humble considération de lui-même ; c’est la nourriture que Dieu désire. Se ceindre les reins, c’est, pour une âme humble, relever et resserrer toutes les pensées flottantes qui peuvent entraver notre marche dans la voie des bonnes oeuvres ; car on ne serre ses vêtements avec une ceinture que pour n’être point exposé à tomber en marchant. Servir le vrai Dieu, c’est confesser hautement que toute notre force vient du secours de sa grâce.

S. Aug. (quest. Evang.) C’est alors que ses ministres le servent, c’est-à-dire qu’ils se livrent à la prédication de l’Évangile, que Dieu boit et mange, pour ainsi dire, la confession et la foi des Gentils.

« Et après cela tu mangeras et tu boiras, » c’est-à-dire : Après que j’aurai goûté avec joie l’oeuvre de votre prédication, et que je me serai rassasié de votre componction comme d’un mets délicieux, alors vous passerez, et vous serez nourri vous-même à jamais de l’aliment éternel de ma sagesse.

S. Cyr. Notre-Seigneur nous enseigne ici qu’en vertu du droit de sa puissance souveraine, il exige de ses serviteurs l’obéissance comme une chose qui lui est que : « Aura-t-il de l’obligation à ce serviteur, parce qu’il a fait ce qu’il lui a commandé ? Je ne le pense pas. R Quoi de plus propre à guérir la maladie de l’orgueil ? Pourquoi vous enorgueillir ? Ignorez-vous que si vous ne remplissez pas l’obligation qui vous est imposée, vous vous exposez au danger, et que si vous y êtes fidèle, vous ne faites rien de trop, d’après ces paroles de saint Paul : « Si je prêche l’Évangile, la gloire n’en est point à moi, car c’est pour moi une obligation de le faire, malheur à moi si je ne prêche pas l’Évangile ! » Considérez en effet, que ceux qui exercent l’autorité parmi nous, ne remercient pas leurs serviteurs lorsqu’ils exécutent les ordres qui leur ont été donnés, mais ils cherchent à gagner leur affection à force de bienveillance pour leur inspirer un plus grand zèle dans l’accomplissement de leurs devoirs. Ainsi Dieu nous demande de le servir en vertu de son droit souverain, mais comme il est plein de clémence et de bonté, il promet des honneurs infinis à ceux qui travaillent pour lui, et la grandeur de sa bienveillance est bien supérieure à toutes les fatigues que nous endurons à son service.

S. Ambr. Ne vantez donc pas votre mérite lorsque vous avez fidèlement servi, vous n’avez fait que ce que vous deviez faire. Le soleil obéit à Dieu, la lune lui est soumise, les anges exécutent ses ordres ; gardons-nous donc de nous louer nous-mêmes, c’est la conclusion que le Sauveur tire lui-même de ce qu’il vient de dire : « De même quand vous aurez fait ce qui vous est commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire. » — Bède. Nous sommes des serviteurs, parce que nous avons été rachetés d’un grand prix (1 Co 7) ; nous sommes des serviteurs inutiles, parce que le Seigneur n’a nul besoin de nos biens (Ps 15) ; ou parce que les souffrances de cette vie n’ont aucune proportion avec la gloire future. (Rm 8.) La perfection de la foi pour les chrétiens, consiste donc à reconnaître leur imperfection, alors même qu’ils ont accompli tout ce qui leur est commandé.

 

Vv. 11-19

S. Ambr. A la suite de cette parabole, Notre-Seigneur reproche aux Juifs leur ingratitude : « Il arriva qu’en allant à Jérusalem, Jésus traversait le pays de Samarie, » etc. — Tite de Bostr. (Ch. des Pèr. gr.) Son dessein est de faire ressortir la reconnaissance des samaritains comparée à l’ingratitude des Juifs pour les bienfaits qu’ils ont reçus. L’inimitié la plus grande existait entre les Samaritains et les Juifs, Notre-Seigneur voulant les pacifier passe entre les deux pour les réunir en un seul homme (Ep 2, 14). — S. Cyr. Il manifeste ensuite sa gloire pour attirer les Israélites à la foi : « Et comme il entrait dans un village, il rencontra dix lépreux, » etc., expulsés des villes et des villages, et regardés comme immondes d’après la loi de Moïse.

Tite de Bostr. Ces dix lépreux vivaient ensemble, unis entre eux par la communauté de souffrances, et ils attendaient le passage de Jésus, pleins d’impatience de le voir venir : « Et ils se tenaient éloignés, » parce que la loi des Juifs regardait la lèpre comme une impureté, tandis que la loi de l’Évangile ne regarde comme impure que la lèpre intérieure, et non celle qui n’est qu’extérieure.

Théophyl. Ces lépreux se tiennent éloignés, honteux pour ainsi dire de cette maladie qui les faisait regarder comme impurs ; car ils pensaient que Jésus-Christ aurait pour eux la même horreur que les autres ; ils se tiennent donc éloignés extérieurement, mais ils s’approchent de lui par leurs prières : car le Seigneur est proche de tous ceux qui l’invoquent dans la vérité (Ps 114) : « Et ils élevèrent la voix en disant : Jésus, Maître, ayez pitié de nous. » — Tite de Bostr. Ils prononcent le nom de Jésus, et méritent d’en éprouver l’efficacité, car le nom de Jésus veut dire Sauveur. Ils lui disent : « Ayez pitié de nous ; » pour ressentir les effets de sa puissance, ils ne lui demandent ni or ni argent, mais qu’il guérisse et purifie leur corps. — Théophyl. Ils ne lui adressent pas leurs prières et leurs supplications comme à un simple mortel ; ils l’appellent Maître, c’est-à-dire Seigneur, et ils ne sont pas loin de le regarder comme Dieu. Jésus leur commande d’aller se montrer aux prêtres : « Dès qu’il les vit, il leur dit : Allez, montrez-vous aux prêtres, » car c’était à eux de vérifier si la guérison de la lèpre était véritable ou non.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) La loi ordonnait aussi à ceux qui étaient purifiés de la lèpre d’offrir un sacrifice en reconnaissance de leur guérison. — Théophyl. En leur commandant d’aller se montrer aux prêtres, le Sauveur leur donnait à entendre qu’ils seraient guéris : « Et il arriva, pendant qu’ils y allaient, qu’ils furent purifiés. » — S. Cyr. Les prêtres des Juifs, jaloux de la gloire de Jésus, avaient une preuve certaine que Jésus les avait guéris soudainement et miraculeusement par un acte de sa toute-puissance.

Théophyl. Parmi ces dix lépreux, les neuf qui étaient Israélites se montrèrent ingrats, l’étranger seul qui était samaritain revint pour exprimer hautement sa reconnaissance : « Un d’eux se voyant guéri, revint sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix. » — Tite de Bostr. La guérison qui lui est rendue lui donne la confiance d’approcher du Sauveur : « Et il se prosterna la face contre terre aux pieds de Jésus, en lui rendant grâces, » et il manifeste ainsi doublement sa foi et sa reconnaissance.

« Et c’était un Samaritain. » — Théophyl. Nous pouvons conclure de là que rien n’empêche qu’on soit agréable à Dieu, fût-on descendu d’une race coupable, pourvu qu’on fasse preuve de bonne volonté. Que personne aussi ne s’enorgueillisse d’avoir des saints comme ancêtres, puisque ces neuf qui étaient Israélites, furent des ingrats « Alors Jésus dit : Est-ce que les dix n’ont pas été guéris, » etc. ? — Tite de Bostr. Nous voyons ici que les étrangers étaient bien plus empressés que les Israélites pour embrasser la foi : « Et Jésus lui dit : Levez-vous, allez, votre foi vous a sauvé. »

 

S. Aug. (quest. Evang., 2, 40.) Dans le sens figuré les lépreux représentent ceux qui, n’ayant point la science de la vraie foi, professent les doctrines si variées de l’erreur. Loin de cacher leur ignorance, fis la font paraître au grand jour comme une souveraine habileté, et la font valoir dans des discours pleins d’ostentation. La lèpre vicie et altère la couleur du corps ; or, ce mélange incohérent de vérités et d’erreurs qui se produit dans une seule discussion, dans un seul et même discours, comme dans la couleur extérieure d’un seul et même corps, figure la lèpre qui altère et flétrit le corps de l’homme par les nuances vraies et fausses de ses diverses couleurs. L’Église doit éviter la société de tels hommes, qui doivent être tenus au loin, et invoquer de là le Sauveur à grands cris. Le nom de Maître (cf. Mt 8 ; Mc 1 ; Lc 5), qu’ils lui donnent, me paraît indiquer que la lèpre est la figure des fausses doctrines qu’il n’appartient qu’au bon Maître de faire disparaître. Â l’exception de ces lépreux, nous ne voyons pas que Notre-Seigneur ait envoyé vers les prêtres aucun de ceux auxquels il avait rendu la santé du corps. Le sacerdoce des Juifs a été la figure du sacerdoce qui est dans l’Église ; le Seigneur guérit et corrige par lui-même toits les autres vices dans l’intérieur de la conscience : mais le pouvoir d’instruire et de sanctifier les âmes par l’administration des sacrements et d’enseigner par la prédication extérieure a été donné à l’Église. « Pendant qu’ils y allaient, ils furent guéris ; » en effet les Gentils que Pierre vint trouver, avant d’avoir reçu le sacrement de baptême, qui nous fait parvenir spirituellement jusqu’aux prêtres, furent manifestement purifiés par l’effusion de l’Esprit saint. Tout fidèle donc qui dans la société de l’Église possède la doctrine de la foi dans sa vérité, et dans son intégrité, et qui n’a pas été souillé par les taches si variées de l’erreur comme par une lèpre, et qui par un sentiment d’ingratitude pour le Dieu qui l’a purifié ne se prosterne pas humblement à ses pieds, est semblable à ceux dont parle l’apôtre saint Paul : « Qui ayant connu Dieu, ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui Ont point rendu grâces. » Ils sont au nombre de neuf, signe qu’ils resteront dans leur imperfection, car le nombre neuf a besoin d’un pour former une espèce d’unité qui est le nombre dix. Au contraire celui qui vient rendre grâces, reçoit des éloges parce qu’il est la figure de l’Église qui est une. Quant aux neuf qui étaient Juifs, Notre-Seigneur déclare qu’ils ont perdu par leur orgueil le royaume des cieux, où règne la plus parfaite unité ; tandis que ce Samaritain qui veut dire gardien, rendant grâces à Dieu de ce qu’il avait reçu selon ces paroles du Psalmiste : « C’est en vous que je conserverai ma force, » (Ps 58) a gardé l’unité du royaume par son humble reconnaissance. — Bède. Il se prosterne la face contre terre, parce qu’il est couvert de honte au souvenir des fautes qu’il a commises, Notre-Seigneur lui ordonne de se lever et d’aller trouver les prêtres parce que celui qui s’humilie profondément dans la connaissance qu’il a de sa faiblesse, reçoit avec la consolation de la parole divine l’ordre de se porter à des oeuvres plus parfaites. Or, si la foi a sauvé celui qui s’est ainsi prosterné pour rendre grâces, c’est donc l’infidélité qui a perdu ceux qui négligèrent de rendre gloire à Dieu pour les bienfaits qu’ils en avaient reçus. Le Sauveur démontre donc ici par les faits ce qu’il avait enseigné dans la parabole précédente que la foi s’augmente et s’accroît par la pratique de l’humilité.

 

Vv. 20-21

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Comme le Sauveur, dans les discours qu’il adressait au peuple, parlait fréquemment du royaume de Dieu, les pharisiens prenaient occasion de là pour se moquer de lui : « Interrogé par les pharisiens, quand viendrait le royaume de Dieu. » Ils semblaient lui dire comme par dérision : Avant que vienne ce royaume dont vous parlez, vous finirez vos jours sur la croix. » Mais le Seigneur voulant nous montrer toute sa patience, au lieu de repousser cette injure par de violents reproches, ne. dédaigne pas de répondre directement aux méchants : « Il leur répondit : Le royaume de Dieu ne vient point d’une manière qui frappe les regards. » Paroles qui reviennent à celles-ci : « Ne cherchez pas à connaître le temps où viendra le royaume des cieux, » car il ne peut être connu ni par les anges ni par les hommes, comme l’a été le temps de l’incarnation, qui a été prédit et annoncé par les oracles des prophètes et par la voix des anges. Aussi le Sauveur ajoute : « On ne dira point : Il est ici, ou il est là. » Ou bien encore, ils l’interrogent sur le temps où viendra le royaume de Dieu, parce qu’ils pensaient (comme il est dit plus bas), que le royaume de Dieu se manifesterait à l’entrée du Seigneur dans la ville de Jérusalem. C’est pour cela qu’il leur répond : « Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à être remarqué. » — S. Cyr. Il fait seulement cette déclaration pour la consolation de chacun : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous, » c’est-à-dire, il dépend de vos affections, il est en votre pouvoir de l’obtenir, car tout homme justifié par la foi et par la grâce de Jésus-Christ, et orné des vertus chrétiennes, peut établir en lui-même le royaume des cieux. — S. Grég. de Nysse. (du but que doit se propos. le chrét.) Peut-être aussi entend-il par ce royaume qui est au dedans de nous la joie que l’Esprit saint répand dans nos âmes, car cette joie est la figure et le gage de la joie éternelle qui est le partage des âmes saintes dans la vie future. — Bède. Ou bien encore, ce royaume de Dieu, c’est lui-même qui demeure au milieu d’eux, c’est-à-dire, qui règne dans leurs coeurs par la foi.

 

Vv. 22-25.

S. Cyr. Le Seigneur qui venait de dire : « Le royaume de Dieu est en vous-mêmes, » voulut préparer ses disciples à la patience, et les remplir de courage pour qu’ils pussent entrer dans le royaume de Dieu. Il leur prédit donc qu’avant qu’il descende des cieux, à la fin du monde, la persécution fondra sur eux : « Et il dit à ses disciples : Viendra un temps, » etc. C’est-à-dire, que la persécution sera si grande, qu’ils désireront voir un de ces jours où ils avaient le bonheur de vivre dans la société du Christ, Sans doute, les Juifs avaient accablé le Sauveur de mille outrages et de mille injures, ils avaient voulu le lapider et le précipiter du haut d’une montagne, mais ces épreuves étaient désirables en comparaison des persécutions bien plus grandes qui les attendaient. — Théophyl. Ils vivaient alors sans aucune sollicitude sous la providence, et la protection de Jésus-Christ, mais il devait venir un temps où, séparés de lui, ils seraient livrés à tous les dangers, conduits devant les rois et les princes, et alors ils regretteraient les premiers temps comme des jours de tranquillité. — Bède. Ou bien par ce jour du Christ, il veut parler de son règne dont nous attendons l’avènement, et il dit très-justement « Un jour, » parce que, dans ce bienheureux séjour de la gloire éternelle, il n’y aura plus d’alternative de jour et de nuit. Il est bon de désirer le jour du Christ, mais il ne faut pas que la vivacité de ce désir nous jette dans des illusions et des songes, comme si ce jour du Seigneur était proche. C’est contre ces illusions que le Sauveur ajoute : « Et on vous dira : Il est ici, il est là, gardez-vous d’y aller. » — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) C’est-à-dire, si à la venue de l’Antéchrist, le bruit se répand que c’est le Christ qui apparaît, ne sortez point, ne marchez pas à sa suite, car il est impossible que celui qui s’est manifesté une fois clairement aux hommes, puisse revenir se renfermer dans quelque lieu particulier de la terre. Ce sera donc celui dont on doit dire : Ce n’est pas le vrai Christ. Un signe évident du second avènement de notre Sauveur, c’est que l’éclat de son arrivée remplira tout à coup l’univers tout entier : « Comme l’éclair brille soudain d’une extrémité du ciel à l’autre, ainsi paraîtra le Fils de l’homme en son jour. » Car on ne le verra pas marchant sur la terre comme un homme ordinaire, mais il répandra sur nous tous les rayons de sa gloire et fera briller à tous les yeux les splendeurs de sa divinité.

 

Bède. Il dit avec raison : « Comme l’éclair qui brille sous un côté du ciel, » parce que le jugement dernier se fera sous le ciel (c’est-à-dire, au milieu des airs), D’après ces paroles de l’Apôtre : « Nous qui vivons, qui sommes restés, nous serons emportés avec eux dans les nuées au-devant du Christ dans les airs. » (1 Th 4.) Or, si le Seigneur apparaît alors comme l’éclair, personne donc ne pourra demeurer caché dans son intérieur, pénétré qu’il sera par cette lumière éclatante qui environnera le juge. On peut encore entendre ces paroles de cet avènement du Sauveur qui se fait tous les jours dans l’Église. En effet, en proclamant que leur doctrine seule conservait la foi de Jésus-Christ, les hérétiques ont souvent troublé l’Église à ce point, que les fidèles qui vivaient alors ont désiré que le Sauveur revint, s’il était possible, un seul jour sur la terre, pour déclarer lui-même quelle était la foi véritable : « Et vous ne le verrez pas, » ajoute-t-il, parce qu’il n’est pas nécessaire que le Seigneur revienne visiblement pour enseigner de nouveau la doctrine qu’il a répandue par tout l’univers par les divines clartés de l’Évangile.

 

S. Cyr. Les disciples de Jésus pensaient qu’aussitôt son arrivée à Jérusalem, il leur manifesterait le royaume de Dieu. Pour détruire cette opinion, il leur fait connaître qu’il doit d’abord souffrir pour notre salut, remonter vers son Père, et descendre du ciel dans tout l’éclat de sa gloire pour juger l’univers dans la justice : « Il faut auparavant que le Fils de l’homme souffre beaucoup, et qu’il soit rejeté par cette génération. » — Bède. Par cette génération, il entend non seulement les Juifs, mais tous les réprouvés qui, maintenant encore, rejettent et persécutent le Fils de l’homme dans son corps, c’est-à-dire dans l’Église. Il mêle à la prédiction de sa passion, celle de son glorieux avènement, afin d’adoucir pour eux la douleur qu’ils éprouveraient de sa passion par la promesse de la gloire qui devait la suivre, et les préparer en même temps à braver la mort la plus affreuse, s’ils voulaient jouir eux-mêmes un jour de la gloire du royaume.

 

Vv. 26-30.

Bède. Notre-Seigneur avait comparé son avènement à l’éclair qui traverse rapidement les airs, il le compare maintenant à ce qui arriva aux jours de Noé et de Loth, lorsque les hommes furent surpris par une ruine soudaine : « Et comme il est arrivé aux jours de Noé, » etc. — S. Chrys. (hom. 2 sur la I Epît. aux Thessal.) Ils n’ont point ajouté foi aux menaces qui leur étaient faites, et ils furent tout à coup frappés d’un châtiment trop véritable. (hom. 2 sur l’Epît. aux Coloss.) Leur incrédulité venait de leur vie oisive et dissolue, car l’homme n’attend ordinairement que ce qui fait l’objet habituel de ses pensées et de ses désirs : «  Ils mangeaient et ils buvaient, » dit Notre-Seigneur. — S. Ambr. Il a soin de faire remarquer que ce sont les péchés des hommes qui ont été la cause du déluge, car Dieu n’est pas l’auteur du mal, ce sont nos péchés qui nous l’ont attiré. Ce n’est pas non plus qu’il condamne ni le mariage qui est le moyen donné de Dieu pour la perpétuité du genre humain,, ni la nourriture nécessaire pour son existence, mais il veut qu’on observe en tout une juste mesure, et tout ce qui la dépasse vient d’un mauvais principe.

 

Bède. Dans le sens allégorique, Noé qui construit l’arche, est la figure du Seigneur qui bâtit l’Église avec les fidèles du Christ, unis ensemble comme des bois parfaitement travaillés. Quand cette arche est entièrement terminée, il y entre, lorsqu’au jour du jugement il vient y habiter pour l’éternité et y répandre les clartés de sa divine présence. Pendant qu’il construit cet arche, les méchants se livrent aux excès d’une vie dissolue, mais lorsqu’il y entre, ils sont frappés de mort, parce qu’en effet, ceux qui outragent les saints pendant leur vie de luttes et de combats, seront punis d’un éternel supplice, alors que les saints recevront leurs couronnes immortelles.

Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Le déluge que Notre-Seigneur vient d’apporter en exemple, pouvait donner la pensée que le déluge à venir serait un déluge d’eau ; il cite donc en second lieu l’exemple de Loth, pour nous apprendre quel sera le genre de supplice des méchants, c’est-à-dire que la colère de Dieu fera tomber sur eux un feu descendu du ciel : « Et comme il est arrivé encore aux jours de Loth, » etc. Il passe sous silence le crime infâme de Sodome, et ne parle que de ces fautes qu’on regarde ordinairement comme légères ou comme nulles, pour nous faire comprendre quel sera le châtiment des actions criminelles, puisque l’usage immodéré des choses permises sera puni par le feu et par le souffre : « Le jour où Loth sortit de Sodome, une pluie de feu et de souffre tomba du ciel, qui les fit périr tous. » Remarquez que le feu ne tomba du ciel sur les infâmes habitants de Sodome, que lorsque Loth en fut sorti, de même que le déluge ne fit périr les habitants de la terre que lorsque Noé fut entré dans l’arche ; car tant que Noé et Loth vivaient au milieu des impies, Dieu suspendait les effets de sa colère pour ne pas confondre dans un même supplice les justes et les pécheurs. Mais quand il voulut faire périr les pécheurs, il retira le juste du milieu d’eux ; de même à la consommation des siècles, le supplice des méchants ne commencera qu’après leur séparation d’avec les justes : « Ainsi en sera-t-il au jour où le Fils de l’homme sera révélé. » — Bède. Car celui qui voit tout maintenant sans être visible lui-même, apparaîtra alors pour juger tous les hommes, et il choisira pour cette manifestation le temps où les hommes oublieux de ses jugements seront asservis sous le joug des choses de ce monde. — Théophyl. En effet, lorsque l’Antéchrist sera venu, les hommes se jetteront dans les plus honteux excès de la débauche, et deviendront « plus amateurs de la volupté que de Dieu. » (2 Tm 3.) Car si l’Antéchrist est comme le réceptacle de tous les vices, qu’inspirera-t-il aux hommes dans ces temps malheureux que l’amour du vice ? C’est ce que le Sauveur veut nous faire entendre par les exemples du déluge et du châtiment des habitants de Sodome.

Bède. Dans le sens allégorique, Loth, dont le nom veut dire qui s’écarte, représente le peuple des élus, qui vit comme un étranger dans Sodome, c’est-à-dire au milieu des réprouvés, et se détourne autant qu’il peut des crimes dont il est témoin. A peine Loth est-il sorti de Sodome, que le feu du ciel tombe sur cette ville ; c’est ainsi qu’à la consommation des siècles les anges viendront et sépareront les méchants du milieu des justes, et les jetteront dans la fournaise de feu. (Mt 3.) Cependant cette pluie de feu et de souffre qui tombe du ciel n’est pas la figure du feu éternel de l’enfer, mais représente l’arrivée soudaine et imprévue de ce jour terrible.

 

Vv. 31-32.

S. Ambr. Comme les bons, par suite de leur mélange avec les méchants, doivent nécessairement souffrir en ce monde de grandes tribulations de coeur et d’esprit pour mériter dans l’autre vie une récompense plus abondante, Notre-Seigneur leur donne par avance quelques conseils utiles : « En ce jour-là, que celui qui se trouvera sur le toit, ne descende point, » etc. C’est-à-dire que celui qui sera déjà monté au faîte de sa maison et jusqu’au sommet des plus hautes vertus, ne se laisse pas retomber dans les occupations toutes terrestres de ce monde misérable. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 41.) Etre sur le toit, c’est s’élever au-dessus des jouissances charnelles, et vivre comme en liberté dans la sphère d’une vie toute spirituelle. Les meubles qui sont dans la maison, sont les sens de la chair qui ont souvent égaré le grand nombre de ceux qui les ont pris pour guide dans la recherche de la vérité qu’on ne peut découvrir que par l’intelligence. Que l’homme spirituel prenne donc garde de se laisser entraîner au jour de la tribulation par la vie de la chair qui se nourrit par les sens du corps, et de descendre pour goûter les jouissances de ce monde : « Et que celui qui est dans les champs ne retourne point non plus en arrière, » c’est-à-dire que celui qui travaille dans l’Église, à l’exemple de Paul qui plante et d’Apollo qui arrose (1 Co 3, 6), ne jette pas un oeil de regret sur les espérances du siècle auxquelles il a renoncé.

Théophyl. Saint Matthieu rapporte ces conseils du Sauveur au temps où Jérusalem devait être prise et détruite ; à l’approche des Romains ; ceux qui étaient dans leurs maisons devaient prendre aussitôt la fuite sans vouloir emporter aucune des choses même nécessaires ; et ceux qui étaient dans les champs, ne devaient point retourner dans leurs demeures. C’est ce qui eut lieu, en effet, lors de la ruine de Jérusalem, c’est ce qui doit arriver encore au temps de l’Antéchrist ; mais bien plus encore à la fin des temps, lorsque les tribulations seront parvenues à leur comble.

Eusèbe. Notre-Seigneur nous apprend par là que le fils de perdition soulèvera une violente persécution contre les fidèles disciples du Christ. Ce jour dont il parle, c’est le temps qui précédera la fin du monde ; temps où celui qui prendra la fuite ne devra ni revenir sur ses pas, ni s’inquiéter des biens qu’il perd, et ne point imiter la femme de Loth qui, s’étant retournée lorsqu’elle fuyait de la ville de Sodome, fut frappée de mort et changée en colonne de sel : « Souvenez-vous de la femme de Loth, » dit Notre-Seigneur. — S. Ambr. C’est pour avoir jeté un regard en arrière qu’elle a perdu le privilège de sa nature ; car Satan, comme Sodome, est en arrière : fuyez donc l’intempérance, évitez toute dissolution, souvenez-vous que Loth se sauva et parvint jusqu’à la montagne, parce qu’il n’a point jeté un regard en arrière sur les occupations de sa vie passée ; sa femme, au contraire, cédant au mouvement qui la fit regarder en arrière, ne put parvenir à cette montagne même avec le secours de son mari, et resta en chemin. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 43.)La femme de Loth signifie donc ceux qui, dans la tribulation, regardent en arrière, et détournent, les yeux de l’espérance des promesses divines ; elle fut changée en statue de sel pour avertir les hommes de ne point imiter son exemple, devenant pour ainsi dire le sel qui préserve leur coeur de l’affadissement et de la corruption.

Théophyl. Notre-Seigneur tire ensuite la conclusion de ce qu’il vient de dire, en ajoutant : « Quiconque cherchera à sauver sa vie la perdra, » comme s’il disait : Que personne ne cherche à sauver sa vie dans les persécutions de l’Antéchrist, car il la perdra ; celui, au contraire, qui bravera les persécutions et les dangers, la conservera : « Et quiconque l’aura perdue, la sauvera, » en ne cédant pas aux menaces du tyran, dans la crainte de perdre la vie. — S. Cyr. Saint Paul nous apprend comment on doit perdre sa vie pour la sauver, lorsqu’il, parle de ceux qui ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences (Ga 5, 24), c’est-à-dire qui soutiennent avec courage et piété les combats de la vie chrétienne.

 

Vv. 34-37.

Bède. Notre-Seigneur avait recommandé plus haut à celui qui serait dans les champs, de ne point revenir dans sa maison ; paroles qui ne s’adressaient pas seulement à ceux qui devaient revenir ouvertement des champs, c’est-à-dire à ceux qui devaient hautement nier le Seigneur, comme le Sauveur le démontre, en ajoutant qu’il en est dont le coeur regarde en arrière, bien qu’extérieurement ils semblent jeter les yeux en avant : « Je vous le dis : En cette nuit-là, deux personnes seront dans un lit ; l’une sera prise, et l’autre laissée. » — S. Ambr. C’est bien avec raison qu’il dit : « Dans cette nuit, » car l’heure de l’Antéchrist est l’heure des ténèbres, parce que l’Antéchrist répand d’épaisses ténèbres sur le coeur des hommes, en affirmant qu’il est le Christ. Le Christ, au contraire, brillera comme la foudre étincelante, afin que dans cette nuit nous puissions voir la gloire de la résurrection. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 44.) Ou bien : « dans cette nuit, » c’est-à-dire dans cette tribulation.

Théophyl. Ou bien par ces paroles : « Dans cette nuit, » le Sauveur veut nous apprendre qu’il viendra sans être attendu, et comme à l’improviste. Il avait dit aussi précédemment que les riches seraient difficilement sauvés, et il fait voir ici que cependant tous les riches ne seront pas tous réprouvés, de même que tous les pauvres ne seront pas indistinctement sauvés. — S. Cyr. Ces deux personnes qui se trouvent dans le même lit, semblent désigner ceux qui placent leur repos dans les plaisirs du monde ; car le lit est l’emblème du repos. Or, tous ceux qui ont de grandes richesses en partage, ne sont pas pour cela des impies (Ps 61), il en est qui sont vertueux et du nombre des élus dans la foi ; ceux-là donc seront choisis, et les autres dont les moeurs sont différentes, seront laissés. En effet, lorsque le Seigneur descendra pour juger les hommes, il enverra ses anges qui laisseront sur la terre tous ceux qui sont destinés aux supplices éternels, et amèneront les saints en sa présence, selon ces paroles de l’Apôtre : « Nous serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller dans les airs au-devant de Jésus-Christ. » (2 Th 4, 16.) — S. Ambr. Ou bien encore sur le même lit de l’infirmité humaine, l’un est laissé, c’est-à-dire réprouvé ; et l’autre est enlevé pour aller dans les airs au-devant de Jésus-Christ : « Deux femmes moudront ensemble, » etc. — S. Cyr. Ces deux femmes qui tournent la meule représentent ceux dont la vie s’écoule dans la pauvreté et les pénibles travaux, de même que les deux qui sont dans les champs. Il existe, en effet, une grande différence dans les pauvres ; les uns supportent courageusement le fardeau de la pauvreté, mènent une vie vertueuse et humble, et sont du nombre de ceux qui seront choisis ; les autres sont toujours prêts à se porter au crime, et seront laissés. — S. Ambr. Peut-être encore ces deux femmes qui tournent la meule, représentent ceux qui cherchent leur nourriture spirituelle dans les choses secrètes, et qui la produisent au dehors des substances où elle était cachée. En effet, on peut comparer ce monde à un moulin ; et notre âme est enfermée dans le corps comme dans une prison. Or, dans ce moulin, la synagogue, ou l’âme esclave de ses vices, semblable au blé mouillé et corrompu par une trop grande humidité, ne peut séparer l’intérieur de l’écorce extérieure, et elle est laissée, parce que sa farine est mauvaise. Au contraire, la sainte Église ou l’âme pure de toute faute, qui moud un froment séché aux rayons du soleil éternel, offrent à Dieu une bonne farine, qu’elles tirent du coeur des hommes. Il nous sera facile de comprendre ceux que représentent ceux qui sont dans les champs, si nous nous rappelons que nous avons comme deux hommes en nous (2 Co 4, 14), l’homme extérieur qui s’altère de jour en jour ; l’homme intérieur qui se renouvelle par les sacrements. Ce sont ces deux hommes qui travaillent dans notre champ, l’un produit de bons fruits par son zèle, J’autre le perd par sa négligence. Ou bien encore ces deux hommes qui sont dans les champs, représentent les deux peuples qui sont dans ce monde, l’un qui est fidèle est pris ; l’autre qui est infidèle est laissé.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 44.) Ou bien Notre-Seigneur veut nous représenter ici trois classes différentes d’hommes. La première est composée de ceux qui préfèrent mener une vie de loisir et de repos, affranchie de toute occupation, soit séculière, soit ecclésiastique ; leur repos est figuré par le lit. La seconde comprend ceux qui, faisant partie du peuple, sont conduits par les docteurs et sont occupés des choses de ce monde. Ils sont ici figurés par des femmes, parce qu’il leur est avantageux de se laisser diriger par les conseils de leurs supérieurs ; et ces femmes tournent la meule, figure de ceux qui sont dans le cercle des affaires de ce monde. Notre-Seigneur les représente comme tournant la meule ensemble, c’est-à-dire qu’ils s’occupent de ces affaires du siècle, en faisant servir leurs biens à l’utilité de l’Église. La troisième classe est composée de ceux qui travaillent dans les divers ministères de l’Église, comme dans le champ de Dieu. Ces trois classes à leur tour en renferment deux autres, c’est-à-dire que les uns demeurent dans l’Église et sont pris et choisis ; les autres sont infidèles et sont laissés. — S. Ambr. Dieu, en effet, ne peut être injuste et refuser la même récompense à ceux qui sont unis par une entière conformité de sentiments et d’action. Cependant ce n’est pas la communauté de vie qui produit l’identité de mérites, car tous n’accomplissent pas entièrement ce qu’ils commencent, et celui-là seul qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. (Mt 10, 22 ; 24, 43.)

S. Cyr. Notre-Seigneur ayant dit que les uns seraient choisis et les autres laissés, les disciples sont fondés à lui demander dans quel endroit ils seraient pris : « Ils lui demandèrent : Où sera-ce Seigneur ? » — Bède. Cette demande comprenait ces deux questions : Dans quel endroit les bons devaient être pris et où les méchants devaient être laissés, le Sauveur répond à la première de ces questions, et laisse sous-entendue la réponse à la seconde : « Il leur répondit : Partout où sera le corps, les aigles s’y assembleront. » — S. Cyr. C’est-à-dire, de même que les oiseaux carnivores s’assemblent autour d’un cadavre abandonné ; ainsi lors de l’avènement du Fils de l’homme, tous les aigles, c’est-à-dire les saints, s’empresseront autour de lui. — S. Ambr. Les âmes des saints sont comparées à des aigles qui s’élèvent sur les hauteurs, s’éloignent de tout ce qui est sur la terre et passent pour vivre très-longtemps. Nous ne pouvons douter quel est ce corps, surtout si nous nous rappelons que Joseph obtint de Pilate le corps de Jésus. Est-ce que vous ne voyez pas les aigles autour du corps dans la personne des femmes et des Apôtres, qui se réunissent autour du tombeau du Sauveur ? Ne voyez-vous pas ces aigles autour de son corps, lorsqu’il viendra sur les nuées et que tout oeil le verra ? (Ap 5.) Or, le corps est celui dont il est écrit : « Ma chair est vraiment une nourriture. » (Jn 6.) Autour de ce corps sont les aigles qui volent avec les ailes spirituelles. Les aigles autour du corps sont encore ceux qui croient que Jésus-Christ est venu sur la terre dans une chair véritable. C’est aussi l’Église où nous sommes renouvelés dans l’Esprit par la grâce du baptême. — Eusèbe. Ou bien encore, les aigles qui se nourrissent de la chair des animaux morts, figurent les princes de ce monde, et ceux qui persécuteront alors les saints de Dieu, et il laisse en leur pouvoir ceux qui n’ont point mérité d’être pris et auxquels il donne le nom de corps ou de cadavres, ces aigles peuvent encore représenter ces puissances vengeresses qui voleront vers les impies. — S. Aug. (De l’ac. des Evang., 2, 7.) Les enseignements que place ici saint Luc (dans un discours différent de celui où saint Matthieu les fait entrer), sont rapportés par avance et n’ont été donnés que plus tard par le Seigneur, ou bien il faut dire qu’il les a donnés deux fois.

 

 

 

 

Chapitre XVIII

Vv. 1-8.

Théophyl. Après avoir prédit les persécutions et les souffrances qui attendent ses disciples, Notre-Seigneur en indique le remède, c’est-à-dire une prière continuelle et attentive : « Il leur disait encore cette parabole, » etc. — S. Chrys. Celui qui vous a racheté vous enseigne ici ce que vous devez faire. Il ne veut point que vous cessiez de prier, il veut que vous méditiez les bienfaits qui sont l’objet de votre prière, il veut que vous soyez redevable à la prière des grâces que sa bonté désire vous accorder. Comment pourrait-il ne pas exaucer les prières qu’on lui adresse, alors qu’il nous presse par sa miséricorde, de rendre notre prière continuelle ? Recevez donc avec amour ces, exhortations du Seigneur, sa volonté doit être la règle de votre conduite dans ce qu’elle commande comme dans ce qu’elle défend. D’ailleurs considérez quel, honneur vous est accordé de vous entretenir dans la prière avec Dieu, et de pouvoir lui demander tout ce que vous désirez, car si vous n’entendez pas sa voix, il vous répond cependant par les bienfaits qu’il vous accorde. Il ne dédaigne point vos demandes, il n’en témoigne aucun ennui, votre silence seul lui fait peine. — Bède. Celui-là prie toujours et ne cesse point de prier, qui est fidèle à la prière canoniale aux diverses heures de la journée ; on peut dire encore que tout ce que le juste fait, ou dit conformément à la volonté de Dieu, peut être assimilé à une prière. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 45.) Tantôt le Seigneur tire ses paraboles d’une similitude, comme dans la parabole du créancier qui, ayant remis à ses deux débiteurs ce qu’ils lui devaient, fut plus aimé de celui à qui il avait remis une plus forte dette. (Lc 7.) Tantôt il s’appuie sur une opposition, comme dans ces paroles : « Si Dieu revêt ainsi l’herbe des champs qui, aujourd’hui est, et qui demain sera jetée dans le four, combien aura-t-il plus soin de vous vêtir, hommes de peu de foi ? » (Mt 6.) L’exemple de ce juge impie n’est point un exemple de ressemblance mais bien d’opposition : « Il y avait dans certaine ville un juge, » etc. — Théophyl. Voyez comme l’insolence à l’égard des hommes est un indice de souveraine méchanceté. La plupart, en effet, sans craindre Dieu, sont cependant retenus par la crainte des hommes, et sont moins sujets au péché. Mais lorsqu’un homme perd toute pudeur même à l’égard des hommes, alors les vices sont bientôt à leur comble.

« Dans cette même ville était une veuve, » etc. — S. Aug. (Quest. évang.) Cette veuve peut être considérée comme la figure de l’Église, laquelle est dans la désolation jusqu’à l’avènement du Seigneur, qui la couvre ici-bas de sa protection mystérieuse. La prière que cette femme adresse au juge : « Faites-moi justice de mon adversaire, » nous porte à demander pour quel motif les élus de Dieu lui demandent vengeance, comme font les martyrs dans l’Apocalypse de saint Jean (Ap 6), bien qu’il nous soit expressément recommandé de prier pour nos ennemis et nos persécuteurs. Il faut donc comprendre que cette vengeance des justes a pour objet la destruction des méchants. Or, cette destruction peut se faire de deux manières, ou par le retour des méchants à la justice, ou par le châtiment qui leur ôte le pouvoir de faire le mal. En supposant que tous les hommes se convertissent à Dieu, resterait encore le démon qui doit être condamné à la fin du monde, et comme les justes désirent ardemment que cette fin du monde arrive, on conçoit qu’ils désirent aussi d’être vengés de leur mortel ennemi. — S. Cyr. Dans un autre sens, on peut dire que toutes les fois qu’une injure s’adresse à nous, nous devons tenir à honneur d’oublier le mal qu’on nous fait ; mais lorsque ceux qui font la guerre aux ministres de la vérité divine dirigent leurs outrages contre Dieu lui-même, nous invoquons alors le secours de Dieu, et nous lui demandons hautement vengeance contre les ennemis de sa gloire.

S. Aug. (Quest. évang.) Les instances persévérantes de cette femme triomphèrent de ce juge d’iniquité et le déterminèrent à lui accorder ce qu’elle demandait : « Mais enfin il dit à lui-même : Quoique je ne craigne pas Dieu, et que je me soucie peu des hommes, » etc. Quelle certitude bien plus grande doivent avoir ceux qui prient avec persévérance le Dieu, qui est la source de la justice et de la miséricorde ? « Vous entendez, ajouta le Seigneur, ce que dit ce juge inique. » — Théophyl. Comme s’il disait : Si la persévérance de cette femme a pu fléchir ce juge pétri de tous les crimes, combien plus facilement nos prières pourront-elles fléchir en notre faveur le Dieu de toute miséricorde. « Et Dieu ne vengerait pas bientôt ses élus qui, jour et nuit, crient vers lui, et il différerait de les secourir ? Je vous le dis, il les vengera bientôt. » Il en est qui ont donné de cette parabole une interprétation plus subtile que fondée. ils prétendaient que cette femme est toute âme qui s’est séparée de son premier époux (c’est-à-dire du démon), lequel se déclare son adversaire, parce qu’elle s’approche de Dieu, le juste Juge par excellence, qui ne peut craindre Dieu, puisqu’il est le seul Dieu, ni les hommes, parce qu’il ne fait pas acception de personne. Or, Dieu, touché de la prière persévérante de cette veuve, c’est-à-dire de l’âme qui le supplie, étend sur elle sa miséricorde et la défend contre le démon.

Après avoir enseigné la nécessité et l’utilité de la prière à la fin des temps pour échapper aux dangers qui surviendront alors, le Sauveur ajoute : « Mais quand le Fils de l’homme viendra, pensez-vous qu’il trouve de la foi sur la terre ? » — S. Aug. (serm. 36 sur les par. du Seig.) Notre-Seigneur veut parler ici de la foi parfaite, à peine la trouve-t-on sur la terre ; l’Église de Dieu est remplie de fidèles, qui pourrait y entrer sans avoir la foi ? et si la foi était parfaite, qui ne transporterait les montagnes ? — Bède. Or, lorsque le Créateur tout-puissant apparaîtra sous la forme du Fils de l’homme, les élus seront en si petit nombre, que la ruine du monde sera comme accélérée, moins par les instantes prières des fidèles que par l’indifférence et la tiédeur des autres. Le Sauveur semble parler ici sous une forme dubitative, mais ne nous y trompons pas, ce n’est pas un doute, c’est un reproche qu’il exprime. C’est ainsi que nous-mêmes, dans les choses que nous tenons pour certaines, nous employons la forme dubitative, par exemple lorsque nous disons à un de nos serviteurs : « Faites-y attention, ne suis-je pas votre maître ? » — S. Aug. (Comme précéd.) Notre-Seigneur a voulu ajouter cet avertissement pour nous apprendre que si la foi s’éteint, la prière cesse elle-même d’exister. Croyons donc pour assurer le succès de nos prières, et prions pour que notre foi ne vienne pas à faiblir. La foi produit la prière, et la prière à son tour obtient l’affermissement de la foi.

 

Vv. 9-14.

S. Aug. (serm. 36 sur les par. du Seig.) Comme la foi ne peut être donnée aux orgueilleux, mais qu’elle est le partage des humbles ; à la parabole qui précède, Notre-Seigneur en ajoute une autre, pour recommander l’humilité et condamner l’orgueil : « Il dit encore cette parabole pour quelques-uns qui se confiaient en eux-mêmes, » etc.

Théophyl. L’orgueil est de toutes les passions celle qui tourmente le plus le coeur des hommes, aussi le Sauveur en fait-il plus souvent la matière de ses enseignements. Or, l’orgueil est le mépris de Dieu, car toutes les fois qu’on s’attribue à soi-même le bien qu’on fait, au lieu d’en renvoyer à Dieu la gloire, c’est une véritable négation de Dieu (cf. Jb 31, 27). Cette parabole est donc à l’adresse de ceux qui se confient en eux-mêmes, ne renvoient pas à Dieu la gloire de leurs bonnes oeuvres, et qui, pour cela, n’ont que du mépris pour les autres. Notre-Seigneur veut nous y apprendre que lors même que la justice approcherait l’homme de Dieu, si elle est entachée d’orgueil, elle le précipite dans l’abîme : « Deux hommes montèrent au temple, » etc.

Astér. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur nous a enseigné le zèle pour la prière par la parabole de la veuve et du juge, il nous apprend par l’exemple du pharisien et du publicain, quelles doivent être les conditions de nos prières, si nous ne voulons qu’elles soient frappées de stérilité, car le pharisien fut condamné pour avoir mal prié : « Or, le pharisien se tenant debout, priait ainsi en lui-même. » — Théophylacte. Sa contenance seule indique une âme superbe, et son attitude trahit un orgueil excessif. — S. Bas. (sur Is 2.) « Il faisait en lui-même cette prière, » c’est-à-dire qu’il ne l’adressait pas à Dieu, parce que dans son orgueil il n’envisageait que lui-même : « Mon Dieu, je vous rends grâces. » — S. Aug. (serm. 36 sur les par. du Seig.) Ce qui est répréhensible dans la conduite de ce pharisien, ce n’est pas de rendre grâces à Dieu, mais de ce qu’il semblait ne plus rien désirer pour lui-même. Vous êtes donc parfait, vous avez tout en abondance, vous n’avez plus besoin de dire : « Remettez-nous nos dettes. » Quel crime n’est-ce pas de combattre la grâce avec impiété, puisque cet homme est coupable pour avoir rendu grâces avec orgueil. Écoutez donc, vous qui dites : C’est Dieu qui m’a fait homme, c’est moi-même qui me fais juste. Ah ! vous êtes pire que le pharisien, et votre orgueil plus détestable que le sien. Son orgueil le portait à se proclamer juste, mais cependant il en rendait grâces à Dieu.

Théophyl. Considérez attentivement toute la suite de sa prière. Il énumère d’abord les défauts dont il est exempt, puis les vertus qu’il croyait avoir : « Je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, » etc. — S. Aug. (comme précéd.) S’il disait seulement : Je ne suis pas comme un grand nombre d’hommes. Mais qu’est-ce que le reste des hommes ? Tous les hommes, excepté lui seul. Pour moi, dit-il, je suis juste, tous les autres sont pécheurs.

S. Grég. (Moral., 4, 23.) L’orgueil des âmes arrogantes se manifeste sous quatre formes différentes : ou elles s’imaginent que le bien qui est en elles vient d’elles-mêmes ; ou elles attribuent à leurs mérites personnels de l’avoir reçu de Dieu, ou elles se vantent de vertus qu’elles n’ont point, ou enfin elles veulent qu’on ne soit occupé que du bien qu’elles peuvent faire et qu’on n’ait que du mépris pour les autres. C’est ainsi que le pharisien n’attribue qu’à lui seul le mérite de ses bonnes oeuvres. — S. Aug. Mais voici que le publicain qui était près de lui, devient pour lui l’occasion d’un plus grand orgueil : « De ce que je ne suis pas comme ce publicain, » comme s’il disait : Je suis seul de mon côté, celui-ci est du reste des hommes. — S. Chrys. (Disc. sur le phar. et le publ.) Le genre humain tout entier n’avait pu assouvir ce désir de mépris, il faut qu’il s’attaque à ce publicain. Son péché eût été moins grand s’il eût excepté le publicain ; mais au contraire, d’une seule parole il s’en prend aux absents, et rouvre les blessures de celui qu’il a sous les yeux. Or, l’action de grâces n’est pas une invective contre le prochain, si vous rendez sérieusement grâces à Dieu, ne vous occupez que de lui seul, sans tourner vos regards du côté des hommes pour condamner votre prochain. — S. Bas. (comme précéd.) L’orgueilleux ne diffère de celui qui insulte que par l’extérieur ; celui-ci abaisse les autres par ses outrages, celui-là s’élève au-dessus par les efforts présomptueux de son âme. — S. Chrys. (comme précéd.) Or, celui qui outrage son prochain, se nuit considérablement en même temps qu’il fait beaucoup de mal aux autres. D’abord il rend plus mauvais celui qui l’écoute. Est-il pécheur, il est dans la joie d’avoir trouvé un complice de ses péchés. Est-il juste, les fautes des autres le portent à avoir de lui une meilleure opinion. Secondement, il fait tort à la société de l’Église, car ceux qui sont témoins de ces outrages, ne blâment pas seulement celui qui s’en rend coupable, mais ils comprennent la religion chrétienne elle-même dans leur condamnation et leurs mépris. Troisièmement, il est cause que la gloire de Dieu est blasphémée, car nos péchés font blasphémer le nom de Dieu, de même que nos bonnes oeuvres le font glorifier. Quatrièmement, il couvre de confusion celui à qui s’adressent les outrages, le rend plus inconsidéré et s’en fait un ennemi. Cinquièmement, il se rend digne de châtiment pour avoir proféré des paroles outrageantes et coupables.

Théophyl. Mais il ne suffit pas d’éviter le mal, il faut encore faire le bien. Aussi après avoir dit : « Je ne suis pas comme le reste des hommes, voleurs, injustes, adultères ; » il ajoute par opposition : « Je jeûne deux fois la semaine, » (dans le sabbat.) Les Juifs donnaient à la semaine le nom de sabbat, de son dernier jour qui était un jour de repos. Or, les pharisiens jeûnaient le second et le cinquième jour. Ce pharisien oppose donc ses jeûnes à la passion de l’adultère, car la dissolution vient de la sensualité. Aux voleurs et à ceux qui commettent des injustices, il oppose le paiement fidèle de la dîme : « Je donne la dîme de tout ce que je possède, » comme s’il disait : Je suis si éloigné des rapines et des injustices, que je distribue mon propre bien. — S. Grég. (Moral., 19, 42.) C’est ainsi que par son orgueil, ce pharisien a ouvert la cité de son coeur aux ennemis qui l’assiégeaient ; vainement il l’a fermée par les jeûnes et la prière, vainement il a fortifié tous les autres côtés, puisqu’il a laissé sans défense l’endroit ouvert par lequel l’ennemi peut entrer dans la place.

S. Aug. (comme précéd.) Cherchez dans ses paroles, vous n’en trouverez aucune qui soit l’expression d’une prière à Dieu. Il était monté au temple pour prier, mais au lieu de prier effectivement, il a préféré se louer lui-même et insulter celui qui priait. Quant au publicain, le sentiment de sa conscience le tenait éloigné, mais sa piété le rapprochait de Dieu : « Le publicain se tenant éloigné, » etc. — Théophyl. Bien que le publicain nous soit représenté comme se tenant debout, il différait cependant du pharisien par son langage autant que par son attitude et le repentir de son âme. Il n’osait lever les yeux vers le ciel, il les jugeait indignes de contempler les choses d’en haut, parce qu’ils avaient préféré regarder et chercher les choses de la terre. Il frappait encore sa poitrine, comme le remarque le Sauveur, meurtrissant pour ainsi dire son coeur pour le punir de ses mauvaises pensées et le réveiller de son sommeil. Aussi n’a-t-il recours qu’à la miséricorde de Dieu : « Mon Dieu, ayez pitié de moi, qui ne suis qu’un pécheur. » — S. Chrys. Il a entendu le pharisien dire : « Je ne suis pas comme ce publicain ; » loin d’en concevoir de l’indignation, il s’en humilié avec compassion ; le pharisien a découvert la blessure, il en cherche la guérison. Que personne donc ne prononce cette froide parole : Je n’ose, j’ai trop de honte, je ne puis ouvrir la bouche. Cette crainte est diabolique, le démon veut vous fermer les portes qui donnent accès auprès de Dieu.

S. Aug. (serm. 36, sur les par. du Seign.) Pourquoi vous étonner que Dieu pardonne au publicain, puisqu’il se juge lui-même ? Il se tenait éloigné, mais néanmoins il s’approchait de Dieu, et le Seigneur était près de lui attentif à ses paroles, car le Dieu très-haut abaisse ses regards sur les humbles. Il ne levait pas les yeux vers le ciel, il ne regardait point pour mériter d’être regardé. Sa conscience l’accablait, l’espérance le relevait, il frappait sa poitrine, il se punissait lui-même ; aussi le Seigneur lui pardonnait-il les péchés qu’il confessait si humblement. Vous avez entendu l’orgueilleux accusateur, vous avez entendu l’humble coupable, écoutez maintenant la sentence du juge : « Je vous le dis, celui-ci s’en retourna justifié dans sa maison, et non pas l’autre. »

S. Chrys. (hom. sur la nat. incompréh. de Dieu.) Cette parabole nous représente deux chars et deux conducteurs dans une arène, l’un porte la justice unie à l’orgueil, l’autre le péché avec l’humilité ; et vous voyez le char du péché dépasser celui de la justice, non par ses propres forces, mais par la vertu de l’humilité qui lui est unie, tandis que le char de la justice reste en arrière, retardé non par la faiblesse de la justice, mais par la masse pesante de l’orgueil. En effet, de même que l’humilité par son élévation et son excellence triomphe du poids du péché, et s’élance pour atteindre Dieu ; ainsi l’orgueil par sa masse pesante entrave facilement la marche de la justice. Ainsi quand vous auriez fait un grand nombre d’actions vertueuses, si elles sont pour vous un sujet de vaine présomption, vous avez perdu tout le fruit de votre prière, elle est tout à fait stérile pour vous. Au contraire, votre conscience fût-elle chargée d’une multitude innombrable de fautes, si vous vous estimez le dernier de tous, vous pourrez vous présenter devant Dieu avec une grande confiance. Notre-Seigneur donne la raison de la sentence qu’il vient de prononcer « Car quiconque s’exalte sera humilié, et quiconque s’humilie sera exalté. » Le nom d’humilité s’applique à plusieurs choses toutes différentes. Il y a la vertu d’humilité que nous voyons dans ces paroles : « Mon Dieu, vous ne rejetterez pas un coeur contrit et humilié » (Ps 50) ; il y a l’humilité produite par les tribulations : « Il a humilié mon âme jusqu’à terre. » (Ps 142.) Il y a l’humilité ou l’humiliation qui est la suite du péché, de l’orgueil, du désir insatiable des richesses, car quelle humiliation plus profonde que celle de ces hommes qui se rendent esclaves, qui s’abaissent et s’avilissent dans la recherche des honneurs et des richesses, et qu iles regardent comme le comble de la grandeur ? — S. Bas. (sur Is 2.) Il y a aussi une fierté louable, c’est celle de l’âme qui dédaigne de penser aux choses de la terre, et qui s’élève avec noblesse jusqu’à la hauteur de la vertu. Cette grandeur d’âme consiste à dominer les chagrins, à faire preuve de courage dans les tribulations, à mépriser toutes les choses de la terre, pour penser à celles du ciel. Cette grandeur de l’âme diffère autant de la hauteur qui est le produit de l’orgueil, que l’embonpoint d’un corps bien portant diffère de la grosseur qui vient de l’hydropisie.

S. Chrys. (comme précéd.) Ce faste orgueilleux peut précipiter du ciel celui qui s’y abandonne, de même que l’humilité peut retirer le pécheur de l’abîme de ses crimes. C’est elle qui a justifié le publicain de préférence au pharisien, c’est elle qui a conduit dans le paradis le bon larron avant les apôtres eux-mêmes, tandis que l’orgueil étant entré dans l’esprit des puissances célestes (Ep 2, 12), a été la cause de leur perte. Or, si l’humilité jointe au péché marche si rapidement qu’elle dépasse la justice qui est unie à l’orgueil, quelle ne sera pas la rapidité de sa course, si vous l’unissez à la justice ? Elle se présentera avec confiance devant le tribunal de Dieu au milieu de l’assemblée des anges. Mais d’un autre côté, si l’orgueil joint à la justice peut ainsi l’abaisser, dans quel abîme nous précipitera-t-il, s’il est uni au péché ? Je parle de la sorte, non pour nous faire négliger la pratique de la justice, mais pour nous faire éviter l’orgueil. — Théophyl. On s’étonnera peut-être que ce peu de paroles dites à sa louange ait suffi pour faire condamner le pharisien, tandis que Job qui fit plusieurs discours pour se justifier, fut récompensé de Dieu. Nous répondrons que le pharisien en se vantant de ses bonnes oeuvres, accusait les autres sans motif aucun, tandis que Job accusé par ses amis, et pressé par la souffrance fut forcé de faire l’énumération de ses vertus dans l’intérêt de la gloire de Dieu, et afin que les hommes ne fussent point découragés.

Bède. Dans le sens figuré, le pharisien représente le peuple des Juifs, qui fier de la justice qui vient de la loi exalte bien haut ses mérites ; le publicain représente le peuple des Gentils, qui se tient éloigné de Dieu, et confesse humblement ses péchés ; l’orgueil de l’un fut cause de son humiliation, et les humbles gémissements de l’autre lui méritèrent de s’approcher de Dieu et la grâce d’une élévation sans égale.

 

Vv. 15-17.

Théophyl. Notre-Seigneur montre immédiatement dans sa conduite la pratique des leçons d’humilité qu’il vient de donner, en ne repoussant pas les petits enfants, mais en les accueillant avec bonté : « On lui présentait aussi des petits enfants, pour qu’il les touchât. » — S. Aug. (serm. 36, sur les par. du Seign.) A qui présente-t-on ces enfants pour être touchés ? Au Sauveur. Mais s’il est le Sauveur, c’est pour qu’ils soient sauvés qu’on les présente à celui qui est venu sauver ce qui avait péri. Or, quand ces enfants ont-ils pu périr, innocents qu’ils sont de toute faute ? Mais selon la doctrine de l’Apôtre : « Le péché est entré dans ce monde par un seul homme. » (Rm 5.) Que ces petits enfants viennent donc comme des malades à leur médecin, comme des coupables à leur Rédempteur.

S. Ambr. Il peut paraître dur à quelques-uns que les disciples aient empêché ces petits enfants de s’approcher du Seigneur, car l’Évangéliste ajoute : « Ce que voyant, ses disciples les repoussaient avec de rudes paroles. » Mais il faut voir dans cette conduite des disciples, ou un mystère ou une marque d’attention pour le Sauveur, En effet, ils n’agissaient pas ainsi par un sentiment d’envie ou de dureté à l’égard de ces enfants, mais par un empressement de zèle attentif pour leur divin Maître qu’ils ne voulaient point exposer à être pressé par la foule. il faut en effet renoncer à nos intérêts, lorsque la gloire de Dieu se trouve compromise. Leur conduite renferme d’ailleurs un mystère, c’est-à-dire, qu’ils désiraient que le peuple juif dont ils descendaient selon la chair, fût sauvé le premier. Ils savaient bien que les deux peuples devaient être appelés à la foi, puisqu’ils avaient prié le Sauveur en faveur de la Chananéenne, mais ils ne savaient pas encore dans quel ordre cette vocation devait avoir lieu. Que leur répond Jésus ? « Mais Jésus les appelant, dit : Laissez les enfants venir à moi, » etc. Ce n’est donc point l’âge de l’enfance qu’il préfère à un autre âge de la vie, autrement il serait nuisible de croître et de se développer. Pourquoi donc déclare-t-il que les enfants sont plus propres au royaume des cieux ? Peut-être parce qu’ils sont sans malice, sans tromperie, qu’ils n’osent se venger, qu’ils sont étrangers à toute volupté coupable, qu’ils ne désirent ni les richesses, ni les honneurs, ni les dignités. Cependant la vertu ne consiste pas à ignorer toutes ces choses, mais à les mépriser, car la vertu n’est point dans l’impuissance de commettre le péché, mais dans la volonté de le fuir. Ce n’est donc pas l’enfance, mais la vertu qui imite la simplicité de l’enfance que Notre-Seigneur nous recommande ici. — Bède. Aussi a-t-il soin de dire : « Le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent, » et non pour ces enfants, nous montrant ainsi que ce n’est pas l’âge, mais les moeurs de l’enfance qui donnent accès dans le royaume des cieux, et que c’est à ceux qui imitent leur simplicité et leur innocence que la récompense est promise. — S. Ambr. C’est cette même vérité que Notre-Seigneur veut exprimer lorsqu’il ajoute : « En vérité je vous le dis, quiconque ne recevra pas comme un enfant le royaume de Dieu, n’y entrera pas. » Quel est cet enfant que Jésus propose à l’imitation de ses apôtres ? c’est celui dont Isaïe a dit : « Un petit enfant nous est né (Is 9) ; qui, lorsqu’on le maudissait, ne répondait point par des injures. » (1 P 2.) Il y a donc dans l’enfance quelque chose des moeurs vénérables de la vieillesse ; comme la vieillesse à quelque chose de l’innocence des enfants. — S. Bas. (Règl. abrég. quest. 127.) Or, nous recevrons le royaume de Dieu comme un enfant, si nous apportons aux enseignements du Seigneur les dispositions d’un enfant aux instructions qui lui sont données ; il ne contredit pas ses maîtres, il ne dispute pas avec eux, mais il reçoit leurs leçons avec confiance et soumission. — Théophyl. Au contraire, les sages parmi les Gentils, cherchant la sagesse dans le mystère qui est le royaume de Dieu, et ne voulant l’admettre qu’autant qu’il serait appuyé sur des preuves tirées de la raison, ont été justement exclus de ce royaume.

 

Vv. 18-23.

Bède. Un des principaux d’entre le peuple avait entendu dire au Seigneur qu’on ne pouvait entrer dans le royaume de Dieu, si l’on ne devenait semblable aux enfants ; il le prie donc de lui apprendre non en paraboles, mais ouvertement les oeuvres nécessaires pour mériter la vie éternelle : « Alors un jeune homme de qualité lui fit cette demande : Bon Maître, » etc. — S. Ambr. C’était pour tenter le Sauveur que cet homme l’appelle bon Maître, lui qui aurait dû l’appeler Dieu bon : car bien que la divinité soit inséparable de la bonté, comme la bonté de la Divinité, cependant en l’appelant bon Maître, il ne confesse sa bonté que dans un sens non général, mais particulier, car Dieu est bon dans le sens le plus étendu de ce mot, tandis que l’homme ne l’est que d’une manière limitée.

S. Cyr. Ce jeune homme s’imagina qu’il allait surprendre Jésus-Christ, qui peut-être en lui répondant jetterait le blâme sur la loi de Moise pour lui substituer ses propres commandements. Il s’approche donc du divin Maître, et en l’appelant bon maître, il lui dit qu’il vient dans l’intention de s’instruire, tandis qu’il ne venait que pour lui tendre un piége. Mais celui qui surprend les sages dans leur propre finesse (Jb 5, 13 ; 1 Co 3, 50), lui fait une réponse digne de lui : « Jésus lui dit : Pourquoi m’appelez-vous bon ? nul n’est bon que Dieu seul. » — S. Ambr. Il ne nie pas qu’il ne soit bon, mais il fait entrevoir qu’il est Dieu ; car celui-là seul est bon qui a la plénitude de la bonté. Vous êtes impressionné de ces paroles : « Nul n’est bon, » mais faites donc attention à celles qui suivent : « Si ce n’est Dieu. » Si vous ne pouvez concevoir Dieu sans son Fils, vous ne pouvez concevoir Jésus-Christ sans la bonté ; car comment pourrait-il n’être pas bon, étant né de celui qui est la bonté par essence ? Car tout bon arbre produit de bons fruits. (Mt 7.) Comment pourrait-il n’être pas bon, puisque la substance de sa bonté qu’il a reçue du Père n’est point dégénérée dans le Fils, de même qu’elle n’est point dégénérée dans l’Esprit saint : « Votre bon Esprit, dit le Psalmiste, me conduira dans la terre de la justice. » (Ps 140.) Or, si l’Esprit est bon de la bonté qu’il a reçue du Fils, comment le Fils, qui est le principe de cette bonté, ne serait-il pas bon lui-même ? Mais comme celui qui venait pour tenter Jésus-Christ était un docteur de la loi, ainsi que nous l’avons démontré dans un autre livre, le Sauveur lui répond on ne peut plus à propos : « Nul n’est bon, si ce n’est Dieu, » afin de lui rappeler qu’il est écrit : « Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu, » et de le porter à rendre gloire au Seigneur, parce qu’il est bon. (Ps 117 ; 135.)

S. Chrys. (Hom. 64 sur S. Matth.) Ou bien encore, je ne craindrai pas d’avancer que ce jeune homme de qualité ne venait point pour surprendre Jésus-Christ, mais qu’il était avare (car le Sauveur lui en fait un reproche indirect.) — Tite de Bostr. En faisant à Jésus-Christ cette question : « Bon maître, que dois-je faire pour posséder la vie éternelle ? » il semble lui dire : Vous êtes bon, daignez répondre à la question que je vous adresse : Je suis instruit de tout ce que contient l’Ancien Testament, mais je trouve vos enseignements supérieurs, car ce ne sont point les biens de la terre que vous promettez, c’est le royaume des cieux que vous annoncez ; dites-moi donc, que ferai-je pour arriver à la vie éternelle ? Comme la foi est le chemin qui conduit aux oeuvres, le Sauveur, ne considérant que l’intention de ce jeune homme et sans répondre à la question qu’il lui fait, l’amène à la connaissance de la foi. Il agit comme un médecin à qui son malade demanderait : Que dois-je manger ? et qui lui répondrait en lui prescrivant ce qu’il doit faire avant de prendre de la nourriture. Le Sauveur élève donc son esprit jusqu’à son Père, en lui disant « Pourquoi m’appelez-vous bon ? » Ce n’est pas qu’il ne fût bon ; car il était le bon fruit d’un bon arbre. — S. Aug. (Quest. évang., 1.) Le récit de saint Matthieu présente ici une différence (Mt 19) ; Notre-Seigneur dit à ce jeune homme : « Pourquoi m’interrogez-vous sur ce qui est bon ? » ce qui répond plus directement à cette question : Quel bien dois-je faire ? » etc., car ces paroles renferment une question qui a pour objet ce qui est bien. On peut donc parfaitement admettre que Notre-Seigneur a fait ces deux réponses : « Pourquoi m’appelez-vous bon ? » et « pourquoi m’interrogez-vous sur ce qui est bon ? » deux choses, dont l’une revient à l’autre.

 

Tite de Bostr. Après lui avoir donné la connaissance de la foi, le Sauveur ajoute : « Vous connaissez les commandements ? » comme s’il lui disait : Après avoir commencé par connaître Dieu, il est naturel que vous cherchiez à savoir ce que vous devez faire. — S. Cyr. Ce jeune homme de qualité s’attendait à ce que Jésus lui dit : « Laissez les commandements de la loi de Moïse, et suivez les miens ; » mais au contraire, le Sauveur le renvoie aux préceptes de la loi : « Vous ne tuerez point, vous ne commettrez pas d’adultère, » etc. La loi cherche d’abord à prévenir les fautes dans lesquelles nous tombons plus facilement, comme la fornication et l’adultère, pour lesquels nous avons en nous un penchant naturel, et l’homicide, parce que la fureur fait de nous comme autant de bêtes féroces. Le vol et le faux témoignage sont des crimes que l’on commet plus rarement, et qui sont généralement moins graves que les précédentes. Aussi Notre-Seigneur place en second lieu le vol et le faux témoignage, parce qu’ils sont de moindre gravité, et entraînent moins souvent les hommes.

« Vous ne déroberez point. » — S. Bas. (cf. Is 1, 23). Par voleurs, il ne faut pas seulement entendre les coupeurs de bourse, et ceux qui font métier de voler dans les bains, mais encore ceux qui sont placés à la tête des légions, ou préposés au gouvernement des villes et des provinces, les premiers volent furtivement, les seconds emploient la violence et la force ouverte. — Tite de Bost. Remarquez ici que l’observation des préceptes consiste à s’abstenir ; en effet, si vous ne commettez pas d’adultère, vous serez chaste ; si vous ne dérobez point, vous serez honnête et bon ; si vous ne faites point de faux témoignages, vous serez vrai dans votre conduite. Voyez comme la vertu nous est rendue facile par la bonté de celui qui nous en fait un devoir, il nous impose la fuite du mal, plutôt que la pratique du bien. Or, il est bien plus facile de s’abstenir du mal, que de pratiquer le plus petit acte de vertu.

 

Théophyl. L’outrage contre les parents est un grand crime, mais comme ce crime est peu fréquent, Notre-Seigneur le place en dernier lieu : « Honorez votre père et votre mère. » — S. Ambr. Or, cet honneur ne consiste pas seulement dans le respect qu’on leur témoigne, mais dans l’assistance qu’on leur donne ; car c’est leur rendre honneur que de les assister en reconnaissance de leurs bienfaits. Nourrissez votre père, nourrissez votre mère ; et lorsque vous les aurez nourris, vous n’aurez pas encore payé les douleurs et les déchirements que votre mère a soufferts pour vous. Vous devez à votre père ce que vous avez, à votre mère ce que vous êtes. Quel jugement sévère vous attend si l’Église nourrit ceux que vous avez refusé de nourrir. Mais, direz-vous, je préfère donner à l’Église, ce que je donnerai à mes parents. Le Seigneur ne veut pas d’un don qui condamne vos parents à mourir de faim. Cependant, de même que l’Écriture fait un devoir de nourrir ses parents, ainsi elle commande de les quitter pour Dieu, s’ils sont un obstacle aux sentiments religieux de l’âme.

« Il répondit : J’ai gardé tous ces commandements depuis ma jeunesse. » — S. Jér. (sur Mt 19.) Ce jeune homme fait ici un mensonge. En effet, s’il avait accompli le commandement suivant : « Vous aimerez le prochain comme vous-même, » il ne se serait pas retiré plein de tristesse en entendant ces paroles : « Allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres. » Bède. On peut admettre aussi que sans faire de mensonge, il a simplement avoué quelle avait été sa vie extérieure, autrement saint Marc n’aurait pas ajouté que Jésus, ayant jeté les yeux sur lui, conçut pour lui de l’affection.

Tite de Bost. Le Sauveur nous apprend ensuite qu’on n’est point parfait pour accomplir tout ce que commande l’Ancien Testament, mais qu’il faut encore suivre Jésus-Christ : « Ce qu’entendant, Jésus lui dit : Une chose vous manque encore, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres. » C’est-à-dire : Vous me demandez comment vous pourrez arriver à la vie éternelle, distribuez vos biens aux pauvres, et vous la mériterez, ce que vous donnez est. peu de chose, ce que vous recevrez est immense. — S. Athan. (Ch. des Pèr. gr.) Ne pensons pas, en effet, avoir fait un grand sacrifice en renonçant aux biens de ce monde ; car la terre tout entière est bien petite en comparaison du ciel ; fussions-nous donc maîtres de toute la terre, le sacrifice que nous en ferions ne serait rien en comparaison du royaume des cieux. — Bède. Que celui donc qui veut être parfait, vende tous ses biens, non en partie, comme Ananie et Saphire, mais sans réserver rien absolument. — Théophyl. « Vendez tout ce que vous avez ; » le Sauveur conseille donc la pauvreté absolue, si vous vous réservez quelque chose, ou s’il vous reste quelque partie de votre bien, vous en êtes l’esclave.

 

S. Bas. (règ. abrég., quest. 92.) Cependant si Notre-Seigneur conseille à ce jeune homme de vendre ses biens, ce n’est pas qu’ils soient mauvais par leur nature, autrement ils ne seraient pas des créatures de Dieu. Le Sauveur ne lui conseille pas de les rejeter, mais de les distribuer aux pauvres, et ce que Dieu condamne dans quelques-uns, ce n’est pas la possession des richesses, mais le mauvais usage. Au contraire, en les distribuant aux pauvres selon le commandement de Dieu, on efface ses péchés et on mérite le royaume des cieux. C’est ce que Notre-Seigneur indique par ces paroles : « Et donnez-le aux pauvres. » — S. Chrys. (hom. 22 sur la 1re Epit. aux Cor.) Dieu, sans doute, pouvait nourrir les pauvres sans l’intermédiaire de notre compassion pour eux, mais il a voulu établir des liens de charité entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. — S. Bas. (rég. développ., quest. 9.) Devant cette parole formelle du Sauveur : « Donnez-le aux pauvres, » la négligence dans l’accomplissement de ce devoir n’est permise à personne, et chacun doit s’en acquitter avec le plus grand soin, par lui-même autant que cela est possible ; ou s’il ne le peut, par celui dont la prudence et la fidélité lui sont connues ; car : « Maudit est celui qui fait les oeuvres de Dieu avec négligence. » (Jr 48, 18.) — S. Chrys. (comme précéd.) Mais comment Jésus-Christ enseigne-t-il que la perfection consiste à distribuer tous ses biens aux pauvres, tandis que saint Paul déclare que sans la charité, c’est une oeuvre très-imparfaite ? Ce qui suit fait disparaître toute opposition entre le maître et le disciple : « Alors, venez et suivez-moi, » ce qui ne peut se faire que par un motif de charité ; « car tous reconnaîtrons que vous êtes mes disciples, si vous avez la charité les uns pour les autres. » (Jn 17.) — Théophyl. Le chrétien doit joindre, en effet, à la pauvreté toutes les autres vertus, c’est pour cela que Jésus dit à ce jeune homme : « Et venez, et suivez-moi, » c’est-à-dire soyez mon disciple en tout, et suivez-moi constamment.

S. Cyr. Mais cet homme de qualité n’était point capable de contenir ce vin nouveau, il était comme ces outres trop vieilles dont parle Notre-Seigneur (Mt 9 ; Mc 2 ; Lc 5), et il fut brisé par la tristesse : « Mais lui, entendant ces paroles, devint triste, parce qu’il était fort riche. » — S. Bas. (hom. sur l’aum.) Le marchand ne s’attriste pas de dépenser son avoir dans les marchés publics pour acheter les choses dont il a besoin, et vous vous affligez de donner une misérable poussière pour acquérir la vie éternelle ?

 

Vv. 24-30.

Théophyl. Ce riche ayant entendu la réponse du Sauveur, qu’il fallait renoncer à ses biens, en devint tout triste, jusque là que Jésus en exprime son étonnement : « Voyant qu’il était devenu triste, Jésus lui dit : Que difficilement ceux qui ont des richesses entreront dans le royaume de Dieu ! » Il ne dit pas : Il est impossible, mais : « Il est difficile. » En effet, les riches peuvent acquérir au moyen de leurs richesses les biens célestes, mais ils ne le peuvent que difficilement, parce que les richesses sont plus gluantes que la glu elle-même, et que le coeur qui s’y laisse prendre peut à peine s’en détacher. Cependant le Sauveur semble insinuer par la comparaison qui suit, qu’il y a pour eux une véritable impossibilité : « Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » Le mot grec peut signifier également un chameau, ou un câble, ou cordage de navire. De quelque manière que vous l’entendiez, il est impossible que l’un ou l’autre puisse passer par le trou d’une aiguille. Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’être sauvé. Or, ce qui est plus facile est impossible ; donc l’impossibilité pour le riche d’être sauvé est encore plus grande. Que dire donc à cela ? D’abord qu’il est vrai, en effet, qu’un riche ne peut être sauvé. Ne me dites pas que des riches ont été sauvés pour avoir distribué leurs richesses, ce n’est pas comme riches qu’ils ont été sauvés, mais parce qu’ils se sont faits pauvres, ou qu’ils ont été les simples administrateurs de leurs biens. Il y a, en effet, une grande différence entre un riche et un économe ou un administrateur : le riche garde toutes ses richesses pour lui, l’économe ou l’administrateur ne les tient en réserve que pour l’utilité des autres. — S. Chrys. (hom. 24 sur la 1re Epît. aux Cor.) Abraham possédait ses richesses dans l’intérêt des pauvres ; et ceux qui en sont les justes possesseurs, reconnaissent qu’ils les tiennent de Dieu pour les employer conformément à ses préceptes. Ceux au contraire qui les ont acquises contre la volonté de Dieu, les dépensent également contre sa volonté, en débauches ou en festins, ou les enfouissent dans la terre, sans que les pauvres y aient la moindre part. (Hom. 18 sur S. Jean.) Dieu ne défend donc point d’amasser des richesses, mais de se rendre esclave des richesses. Il veut qu’elles soient employées à nos besoins, et non pas conservées comme un dépôt inutile. La fonction du serviteur est de garder ce qui lui est confié, le privilège du maître est de pouvoir distribuer ce qu’il possède. Si Dieu avait voulu que les richesses fussent tenues en réserve, il ne les aurait pas données aux hommes, il les aurait laissées ensevelies dans le sein de la terre.

Théophyl. Remarquez que pour le riche, le Sauveur déclare qu’il lui est impossible d’être sauvé, tandis que pour celui qui possède les richesses, cela est simplement difficile, c’est comme s’il disait : Le riche, qui est épris des richesses jusqu’à en devenir l’esclave, ne pourra être sauvé ; mais celui qui possède les richesses, c’est-à-dire, celui qui en est vraiment le maître, se sauvera difficilement, tant est grande la fragilité humaine. En effet, tant que le démon nous voit posséder des richesses, il fait tout pour nous perdre, et il est bien difficile d’échapper aux piéges qu’il nous tend ; aussi la pauvreté est un véritable bien qui nous met à l’abri des tentations. — S. Chrys. (hom. 81 sur S. Matth.) Car à quoi servent les richesses, lorsque l’âme est dans l’indigence, et en quoi peut nuire la pauvreté à l’âme qui nage au sein des richesses ? Si le signe le plus assuré de la richesse est de n’avoir besoin de rien, comme le signe le plus certain de la pauvreté est de manquer de tout, n’est-il pas évident qu’on devient d’autant plus riche qu’on est plus pauvre, car il est bien plus facile de mépriser les richesses dans la pauvreté qu’au sein de l’abondance ? Qui ne sait, en effet, qu’une fortune immense, loin d’apaiser le désir des richesses, ne fait que l’enflammer davantage, comme un feu dans lequel on jette un nouvel aliment. De plus, les peines qui paraissent attachées à la pauvreté, lui sont communes avec les richesses, tandis que les richesses en ont qui leur sont exclusivement propres.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 47.) Le riche ici, dans le sens que lui donne le Sauveur, est celui qui est avide, des biens de la terre et en fait un aliment pour son orgueil. Ceux qui sont opposés à ces riches, sont les pauvres d’esprits auxquels appartient le royaume des cieux. Dans le sens mystique, on peut dire qu’il est plus facile à Jésus-Christ de souffrir pour ceux qui aiment le siècle, qu’à ces derniers de se convertir à Dieu. Le Sauveur a voulu se représenter sous la figure du chameau, parce qu’il s’est humilié volontairement pour se charger du fardeau de nos faiblesses ; l’aiguille signifie les piqûres, les piqûres, les douleurs qu’il a endurées dans sa passion, et le trou de l’aiguille figure les angoisses de sa passion.

S. Chrys. (hom. 64 sur S. Matth.) Ce discours si relevé était au-dessus des forces des disciples de Jésus, aussi « ceux qui l’écoutaient, lui dirent : Qui peut donc être sauvé ? » Ce n’est point pour eux-mêmes qu’ils craignent, c’est pour le monde entier. — S. Aug. (Quest. évang.) Comme le nombre des pauvres qui peuvent espérer d’être sauvés est incomparablement plus considérable que celui des riches qui se perdent, les disciples comprirent qu’il fallait mettre au nombre des riches, tous ceux qui aiment les richesses, alors même qu’ils ne peuvent les acquérir : « Jésus leur répondit : Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu ; » paroles qu’il ne faut pas entendre dans ce sens que les riches puissent jamais entrer dans le royaume des cieux, elles signifient simplement qu’il est possible à Dieu de les ramener de la cupidité et de l’orgueil à la pratique de la charité et de l’humilité. — Théophyl. Le salut est donc impossible, comme on vient de le dire, à ceux dont les affections rampent sur la terre, mais il est possible avec le secours de Dieu, car si l’homme veut prendre Dieu pour conseiller, se pénétrer des enseignements divins sur la manière dont Dieu nous justifie, et sur la pauvreté, et de plus invoquer son secours, toute difficulté s’aplanira.

S. Cyr. Il est juste que le riche qui a fait le sacrifice d’une fortune considérable, en attende une grande récompense ; mais il était aussi à propos de demander ce que devait espérer celui qui avait renoncé au peu qu’il possédait : « Pierre lui dit alors : Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre. » Saint Matthieu ajoute : « Que nous sera-t-il donc donné ? » (Mt 19.)— Bède. C’est-à-dire, nous avons fait ce que vous avez commandé, quelle récompense nous donnerez-vous ? Et parce qu’il ne suffit pas de renoncer à tout ce qu’on possède, il ajoute, ce qui nous rend parfaits : « Et nous vous avons suivi. » — S. Cyr. Il est nécessaire de remarquer que ceux qui renoncent au peu qu’ils possèdent, à ne considérer que leur intention et leur obéissance, ont aux yeux de Dieu le même mérite que les riches, parce que c’est la même disposition de renoncement qui leur a inspiré le sacrifice volontaire de tout ce qu’ils possèdent : « Jésus leur répliqua : En vérité, je vous le dis, il n’est personne qui ait quitté sa maison, etc., qui ne reçoive beaucoup plus en ce monde même, et dans le siècle à venir, la vie éternelle. » Le Sauveur élève l’âme de ceux qui l’écoutent aux plus douces espérances, en joignant à sa promesse la formule ordinaire du serment : « En vérité. » En effet, lorsque la prédication de la divine parole vint appeler le monde à la foi de Jésus-Christ, quelques-uns, par considération pour leurs parents infidèles, ne voulurent point les contrister eux ou leurs propres frères, en embrassant la foi chrétienne ; d’autres, au contraire, quittèrent généreusement leur père, leur mère, et sacrifièrent toutes les affections de famille par amour pour Jésus-Christ.

 

Bède. Voici donc le sens de ces paroles : Celui qui, pour mériter le royaume de Dieu. aura renoncé à toutes les affections de la terre, et foulé aux pieds toutes les richesses, tous les plaisirs et toutes les joies du monde, recevra dans le siècle présent beaucoup plus qu’il n’aura quitté. Il en est qui cherchent à appuyer sur ces paroles de Jésus-Christ, l’opinion fabuleuse de certains Juifs, qui prétendent qu’après la résurrection, les justes jouiront sur la terre de mille ans de bonheur, pendant lesquels tout ce que nous avons sacrifié nous sera rendu, en attendant que nous entrions en possession de la vie éternelle. Ils ne voient pas, les insensés, que si pour tout le reste, cette récompense abondante peut être digne, de Dieu, elle serait d’une souveraine inconvenance pour ce qui est des femmes (d’après les autres évangélistes, on doit recevoir au centuple), d’autant plus que Notre-Seigneur nous atteste qu’il n’y a plus de mariage après la résurrection ; d’ailleurs saint Marc, affirme que tout ce que nous aurons quitté nous sera rendu dans cette vie avec les persécutions, et, de leur propre témoignage, ces mille ans doivent être entièrement exempts.

 

S. Cyr. Nous affirmons donc que celui qui aura renoncé aux jouissances de la chair, recevra beaucoup plus qu’il n’a quitté, à l’exemple des Apôtres, qui, pour avoir sacrifié bien peu de chose, ont reçu les dons multipliés de la grâce, et sont devenus célèbres par tout l’univers. Un bonheur semblable nous attend ; celui qui abandonne sa maison recevra en échange la demeure des cieux ; s’il quitte son père il deviendra fils du Père céleste ; s’il quitte ses frères, il aura Jésus-Christ pour frère ; s’il se sépare de son épouse, il s’unira à la sagesse divine qui lui donnera des fruits spirituels ; s’il quitte sa mère il trouvera la Jérusalem céleste qui est notre mère à tous. (Ga 4, 26.) Dès cette vie même il trouvera une affection beaucoup plus douce et plus pure dans les frères et les soeurs qui lui sont unis par les liens spirituels d’une même résolution.

 

 

Vv. 31-34.

S. Grég. (hom. 2, sur les Evang.) Le Sauveur qui prévoyait le trouble que sa passion devait jeter dans l’esprit de ses disciples, leur prédit longtemps à l’avance et les souffrances de la passion, et la gloire de sa résurrection : « Ensuite Jésus prit à part les douze, et leur dit : Voici que nous montons à Jérusalem, » etc. — Bède. Il prévoyait aussi que certains hérétiques prétendraient qu’il avait enseigné une doctrine contraire à la loi et aux prophètes, et il leur montre que les oracles des prophètes ont annoncé au contraire la consommation de son sacrifice sanglant, et la gloire qui devait le suivre.

 

S. Chrys. (hom. 66, sur S. Matth.) Il prend à part ses disciples pour s’entretenir avec eux de sa passion ; il ne voulait pas qu’elle fût connue pour le moment du peuple parmi lequel cette prédiction eût jeté le trouble et l’agitation ; mais il la fait exclusivement connaître à ses disciples pour leur donner le courage de supporter ce triste événement lorsqu’il serait arrivé.

 

S. Cyr. Il veut aussi les convaincre que sa passion lui était parfaitement connue, qu’il allait volontairement au-devant de ses souffrances, et prévenir ainsi dans leur esprit cette difficulté : Comment celui qui promettait de nous sauver, est-il tombé lui-même dans les mains de ses ennemis ? Aussi leur raconte-t-il par ordre toute la suite de sa passion : « Il sera livré aux Gentils, et moqué, et flagellé, et couvert de crachats. » — S. Chrys. (hom. 66, sur S. Matth.) C’est ce qu’avait prédit Isaïe : « J’ai livré mes épaules aux coups, et mes joues aux soufflets, je n’ai point détourné mon visage de ceux qui me couvraient d’injures et de crachats. » (Is 50.) Le même prophète a également prédit le supplice de la croix : « Il a livré son âme à la mort, et il a été mis au nombre des scélérats. » (Is 53.) Notre-Seigneur ajoute : « Et après qu’ils l’auront flagellé, ils le mettront à mort. » David a aussi prédit sa résurrection, lorsqu’il disait (Ps 15) : « Vous ne laisserez pas mon âme dans l’enfer (Ac 2). » Le Sauveur renouvelle ici cette prédiction : « Et il ressuscitera le troisième jour. »

 

S. Isid. (Liv. 2, lett. 212.) J’admire la folie de ceux qui demandent pourquoi Jésus-Christ a ressuscité avant le troisième jour. Qui ne voit que s’il eut ressuscité plus tard qu’il ne l’avait prédit, ce serait un signe d’impuissance, tandis qu’en ressuscitant plutôt il donne une preuve de sa puissance toute divine. Qu’un débiteur qui a promis à son créancier de payer sa dette dans trois jours, s’acquitte le jour même, nous le regarderons non comme un menteur, mais comme un homme fidèle à sa parole. Je dirai plus, le Sauveur n’a pas prédit qu’il ressusciterait après trois jours, mais le troisième jour. Or, vous avez la veille du sabbat, le jour du sabbat lui-même jusqu’au coucher du soleil, et le jour qui suit le sabbat, lequel fut celui de sa résurrection.

 

S. Cyr. Les disciples ne comprenaient pas encore parfaitement ce que les prophètes avaient prédit ; mais après sa résurrection, il leur ouvrit l’esprit pour qu’ils comprissent les Écritures (Lc 24, 45) : « Mais ils ne comprirent rien à cela. » — Bède. Ils désiraient ardemment voir se prolonger la vie de leur maître, par conséquent ils ne pouvaient souffrir d’entendre parler de sa mort. Ils savaient d’ailleurs qu’il était non seulement un homme innocent, mais qu’il était véritablement Dieu, et ils ne pouvaient supposer qu’il pût mourir ; et comme il leur parlait souvent en paraboles, ils croyaient pouvoir entendre dans un sens figuré tout ce qu’il leur disait de sa passion : « Et cette parole leur était cachée, et ils ne comprenaient point ce qui leur était dit. » Les Juifs au contraire qui conspiraient pour le faire mourir, comprenaient parfaitement qu’il voulait parler de sa passion, lorsqu’il leur disait : ce que nous lisons dans saint Jean : « Il faut que le Fils de l’homme soit élevé. » Aussi lui répondirent-ils : « Nous avons appris de la loi que le Christ demeure éternellement, comment donc pouvez-vous dire : « Il faut que le Fils de l’homme soit élevé ? »

 

Vv. 35-43

S. Grég. (hom. 2, sur les Evang.) Comme les disciples encore charnels ne pouvaient comprendre le mystère que Jésus venait de leur prédire, il fait suivre cette prédiction d’un miracle sous leurs yeux, rend la vue à un aveugle, pour les affermir dans la foi par cette guérison toute divine : « Comme il approchait de Jéricho, il arriva qu’un aveugle était assis sur le bord du chemin. » — Théophyl. Notre-Seigneur guérit miraculeusement cet aveugle pendant qu’il était en chemin pour ne pas laisser ses voyages même sans utilité, et nous apprendre à nous ses disciples que nous devons rendre toutes nos actions profitables au prochain, et à n’en point souffrir d’inutiles. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 48.) Ces paroles : « Comme ils étaient près de Jéricho, » pourraient signifier qu’ils en étaient déjà sortis, mais qu’ils n’en étaient pas encore éloignés. A la vérité, cette manière de parler n’est pas très-usitée, mais ce qui motiverait ici cette interprétation c’est que d’après le récit de saint Matthieu, comme ils sortaient de Jéricho, Jésus rendit la vue à deux aveugles qui étaient assis le long du chemin. Le nombre des aveugles ne pourrait faire difficulté ; qu’un évangéliste ne parle que d’un seul sans faire mention de l’autre, peu importe, saint Marc lui-même ne parle que d’un seul, lorsqu’il raconte que Jésus lui rendit la vue, comme il sortait de Jéricho. Il va même jusqu’à faire mention de son nom et de son père, pour nous faire entendre qu’il était très-connu, tandis que l’autre ne l’était pas du tout, ce qui explique pourquoi il a cru ne devoir parler que de celui que l’on connaissait davantage. Cependant comme la suite du récit, dans l’Évangile selon saint Luc, prouve évidemment que la guérison de cet aveugle eut lieu lorsque Jésus allait à Jéricho, il ne nous reste d’autre solution que de dire que le Sauveur a deux fois opéré ce miracle, la première fois sur un seul aveugle, lorsqu’il allait entrer dans Jéricho, et la seconde sur deux aveugles, lorsqu’il sortait de cette ville, de sorte que saint Luc a rapporté le premier miracle et saint Matthieu le second

 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Une foule nombreuse entourait Jésus-Christ, l’aveugle ne le connaissait pas, mais il sentait intérieurement sa présence, et son coeur lui faisait pressentir celui que ses yeux ne pouvaient apercevoir : « Entendant le bruit du peuple qui passait, il demanda ce que c’était. » Ceux qui le voyaient de leurs yeux lui répondirent d’après l’idée qu’on s’était faite du Sauveur : « Ils lui dirent que c’était Jésus de Nazareth qui passait. » Mais l’aveugle proclame bien haut la vérité. On lui enseigne une chose, et il en annonce hautement une autre : « Et il se mit à crier : Jésus fils de David, ayez pitié de moi. » Qui vous a donc enseigné cette vérité ? Avez-vous pu lire les livres sacrés, privé que vous êtes de la vue ? Comment donc avez-vous pu connaître celui qui est la lumière du monde ? Ah ! c’est vraiment ici que « Dieu éclaire les aveugles. » (Ps 145.) — S. Cyr. Cet homme élevé dans la loi des Juifs ne pouvait ignorer que le Dieu fait homme devait naître de la race de David ; aussi s’adresse-t-il à lui comme à un Dieu, en lui disant : « Ayez pitié de moi ; » bel exemple qu’il donne à imiter à ceux qui divisent le Christ en deux personnes, il proclame ici que le Christ est Dieu, en même temps qu’il proclame sa descendance de David. Qu’ils admirent aussi la justice de sa foi ; ceux qui l’entendaient voulaient en comprimer les élans et la constance : « Ceux qui marchaient devant, le gourmandaient pour le faire taire, » mais sa pieuse hardiesse ne se laissait pas intimider par ces défenses répétées, c’est que la foi sait résister à tous les obstacles, et triompher de toutes les difficultés. Il est bon de se dépouiller de toute fausse honte, lorsqu’il s’agit du service de Dieu, car si nous en voyons quelques-uns déployer tant d’audace pour acquérir quelques sommes d’argent, ne faut-il pas que nous soyons saintement audacieux lorsqu’il s’agit du salut de notre âme : Voyez en effet cet aveugle : « Mais il criait beaucoup plus encore : Fils de David, ayez pitié de moi. » Jésus-Christ s’arrête à la voix de ceux qui l’invoquent avec foi, et il abaisse sur eux ses regards. Aussi appelle-t-il cet aveugle et lui commande-t-il de s’approcher : « Alors Jésus s’arrêtant, commanda qu’on le lui amenât. » Il voulait que celui qui l’avait déjà touché par la foi s’approchât aussi de lui par le corps : « Et quand il se fut approché, il lui demanda : Que voulez-vous que je vous fasse ? » Il lui fait cette question, non par ignorance, mais dans l’intérêt de ceux qui étaient présents, afin de les convaincre que ce pauvre aveugle ne demandait pas d’argent, mais un acte de puissance divine à Jésus comme à un Dieu : « Il lui dit : Seigneur, que je voie. »

 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Comme les Juifs toujours prêts à calomnier la vérité pouvaient dire ainsi que pour l’aveugle-né (Jn 9) : ce n’est pas lui, c’est quelqu’un qui lui ressemble, le Sauveur voulut que l’aveugle avouât ouvertement l’infirmité de sa nature, pour qu’il connût mieux ensuite la puissance de la grâce divine ; mais dès que cet aveugle a formulé l’objet de sa demande, Jésus, avec une majesté souveraine lui commande de voir : « Et Jésus lui dit : Voyez ; » ce ton d’autorité rendait plus coupable l’incrédulité des Juifs, car quel prophète avait jamais tenu un pareil langage ? Considérez cependant ce que le divin Médecin a exigé de celui qu’il a guéri : « Votre foi vous a sauvé. » C’est au prix de la foi que Dieu vend ses bienfaits, et la grâce ne se répand que là où la foi est prête à la recevoir. La grâce est comme une fontaine abondante, ceux qui viennent y puiser avec des vases de petite dimension, remportent une petite quantité d’eau, ceux au contraire qui puisent avec de plus grands vases, en remportent davantage ; ou bien encore, elle est comme la lumière du soleil qui pénètre plus ou moins dans l’intérieur d’un appartement selon la grandeur des fenêtres qui sont ouvertes, ainsi la grâce se répand dans une âme selon la mesure de ses intentions et de ses désirs. La voix de Jésus-Christ devient pour cet aveugle un principe de lumière, car il était la parole ou le Verbe de la véritable lumière : « Il vit aussitôt, » ajoute l’Évangéliste. Or, cet aveugle montra autant de reconnaissance après sa guérison, qu’il avait manifesté de foi avant de l’obtenir.

 

« Et il suivait Jésus en glorifiant Dieu. » — S. Cyr. Preuve évidente qu’il est délivré d’une double cécité, de celle du corps et de celle de l’âme, car il n’eût point ainsi glorifié Dieu, s’il n’eût véritablement recouvré la vue. Il devient en outre pour les autres une occasion de rendre gloire à Dieu : « Et tout le peuple voyant cela, rendit gloire à Dieu. » — Bède. Non seulement pour le bienfait de la vue qui vient d’être rendue à cette aveugle, mais pour la foi vive qui lui a obtenu sa guérison.

 

S. Chrys. C’est ici le lieu d’examiner pourquoi Jésus-Christ défendit au possédé qu’il avait délivré du démon, de marcher à sa suite (Mc 5, 19 ; Lc 8, 38 ; Mt 8), tandis qu’il ne s’oppose pas à ce même désir que manifeste l’aveugle après sa guérison. Ces deux manières d’agir ont leur raison d’être. Il renvoie le premier comme un hérault qui devra proclamer partout par sa guérison, la puissance de son bienfaiteur ; car c’était un miracle vraiment extraordinaire, qu’un possédé aussi furieux eût recouvré le parfait usage de sa raison. Il permet au contraire à l’aveugle de le suivre, alors qu’il se rendait à Jérusalem pour y consommer le grand mystère de la croix, afin qu’en ayant sous les yeux le souvenir de ce miracle si récent, ses disciples fussent bien persuadés que sa passion était l’effet non de sa faiblesse, mais de sa miséricorde.

 

S. Ambr. Cet aveugle est la figure du peuple des Gentils, qui dut au mystère de la rédemption du Seigneur de recouvrer la lumière qu’il avait perdue. Peu importe que sa guérison soit figurée par un seul aveugle ou par deux ; car comme il tire son origine de Cham et de Japhet (cf. Gn 10, 1), fils de Noé, il peut trouver dans ces deux aveugles la figure des deux auteurs de sa race. — S. Grég. (hom. 2, sur les Evang.) Ou bien encore, cet aveugle représente le genre humain, aveugle lui-même par la faute de son premier père qui lui a fait perdre la clarté de la céleste lumière, et l’a plongé dans les ténèbres de sa condamnation. Jéricho veut dire lune, et cet astre par ses décroissances mensuelles représente les défaillances continuelles de notre nature mortelle. C’est au moment où notre Créateur s’approche de Jéricho, que l’aveugle recouvre la lumière, parce qu’en effet le genre humain a recouvré la lumière qu’il avait perdue, lorsque la divinité s’est revêtue des infirmités de notre chair. Celui donc qui ne connaît pas la clarté de l’éternelle lumière est un aveugle. S’il se contente de croire au Rédempteur, qui a dit : « Je suis la voie, » (Jn 11) il est assis le long du chemin, mais si à la foi s’ajoute la prière pour obtenir de voir la lumière éternelle, il demande l’aumône. Ceux qui marchent devant Jésus représentent la multitude des désirs de la chair, et l’agitation tumultueuse des vices qui, avant que Jésus entre dans notre coeur, dissipent toutes nos pensées, et viennent nous troubler jusque dans l’exercice de la prière. Cet aveugle loin de se taire, criait beaucoup plus encore ; ainsi, plus nous sommes accablés par l’agitation et le tumulte de nos pensées, plus devons-nous persévérer avec ferveur dans la prière. Lorsqu’en priant nous sommes obsédés de pensées étrangères, nous sentons jusqu’à un certain point que Jésus passe. Si au contraire nous nous appliquons fortement à la prière, Dieu s’arrête dans notre coeur, et nous rend la lumière que nous avions perdue. Ou bien encore, l’action de passer est propre à l’humanité, celle de s’arrêter ne convient qu’à la divinité. Le Seigneur entendit en passant les cris de cet aveugle, et il s’arrêta pour lui rendre la vue, parce qu’en effet, c’est par son humanité qu’il a compâti avec miséricorde aux cris que nous poussons vers lui dans notre aveuglement, et c’est par la puissance de sa divinité qu’il a répandu en nous la lumière de sa grâce. Il lui demande tout d’abord ce qu’il veut, pour exciter notre coeur à prier, car il veut que nous lui demandions ce qu’il a prévu que nous demanderions et ce qu’il accorderait à nos prières. — S. Ambr. Ou bien encore, il fait cette question à cet aveugle, pour nous enseigner qu’on ne peut être sauvé sans confesser sa foi. — S. Grég. (hom. 2, sur les Evang.) Cet aveugle, ne demande pas au Seigneur de lui donner de l’argent, mais de lui rendre la vue ; gardons-nous donc nous-mêmes de demander les richesses trompeuses, mais demandons cette lumière, qu’il n’est donné de voir qu’à nous et aux anges ; et c’est la foi qui nous conduit à cette lumière. Comme Notre-Seigneur le dit à cet aveugle : « Voyez, votre foi vous a sauvé. » Il voit en effet, et marche à la suite du Sauveur, parce qu’il pratique le bien qu’il connaît.

 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 48.) Si Jéricho veut dire lune, et par là même est la figure de notre mortalité, nous pouvons dire que le Sauveur lorsque sa mort était proche, avait commandé de prêcher la lumière de l’Évangile aux Juifs seuls, qui sont représentés par cet aveugle dont parle ici saint Luc. Mais lorsqu’il ressuscite des morts et quitte la terre, il ordonne d’annoncer cette lumière aux Juifs et aux Gentils qui sont figurés par les deux aveugles dont parle saint Matthieu (Mt 10, 5 ; Mt 13, 10).

 

 

 

Chapitre XIX

Vv. 1-10.

S. Ambr. Zachée était monté sur un sycomore, l’aveugle était assis le long du chemin ; le Seigneur attend l’un pour le guérir, il honore l’autre en daignant descendre dans sa maison : « Jésus étant entré dans Jéricho, traversait la ville, » etc. C’est par un dessein particulier de Dieu que nous voyons paraître ici un chef de publicains ; car qui pourra désespérer de son salut, puisque cet homme, dont les richesses venaient en grande partie de la fraude, a cependant trouvé grâce devant Dieu ? Il était fort riche, pour vous apprendre que tous les riches ne sont pas nécessairement des avares. — S. Cyr. Mais Zachée, de son côté, n’a point mis le moindre retard, et s’est ainsi montré digne de la miséricorde de Dieu, qui rend la vue aux aveugles, et appelle ceux qui sont éloignés.

 

Tite de Bost. La semence du salut avait germé dans son âme, puisqu’il désirait voir Jésus : « Et il cherchait à voir Jésus pour le connaître. » Il ne l’avait jamais vu, car s’il l’eût vu une seule fois, il aurait renoncé depuis longtemps aux injustices de sa vie ; en effet, lorsqu’on a vu Jésus, il est impossible de persévérer dans l’iniquité. Or, deux choses s’opposaient à ce que Zachée pût voir Jésus : il en était empêché par la foule, moins des hommes que de ses péchés et de ses crimes, et il était d’ailleurs petit de taille : « Et il ne le pouvait à cause de la foule, parce qu’il était fort petit, » ajoute l’Évangéliste. — S. Ambr. D’où vient qu’il n’est fait mention dans l’évangile de la taille d’aucun autre que de celle de Zachée ? La raison n’en serait-elle pas qu’il était petit par suite de sa malice, ou qu’il était petit par son peu de foi ? car il n’était pas encore bien zélé, lorsqu’il monta sur cet arbre, il n’avait pas encore vu le Christ. — Tite de Bost. Mais il eut une bonne inspiration, car il courut en avant et monta sur un sycomore, et il vit ainsi passer Jésus qu’il désirait tant de connaître : « Courant donc en avant, dit l’Évangéliste, il monta sur un sycomore pour le voir, parce qu’il devait passer par là. » Il désirait seulement voir Jésus, mais celui qui nous accorde toujours plus que nous ne demandons, lui donne au delà de ses espérances : « Arrivé à cet endroit, Jésus le vit. » Il vit son âme pleine du désir ardent de mener une vie sainte, et il l’inclina doucement vers la piété. — S. Ambr. Sans être invité, il s’invite lui-même à descendre chez lui : « Et l’ayant vu, il lui dit : Zachée, descendez vite, » etc. Il savait que l’hospitalité qu’il demandait serait largement récompensée, et bien qu’il n’eût pas encore entendu Zachée lui adresser d’invitation, il voyait les sentiments de son cœur.

 

Bède. Voici que le chameau a déposé la lourde protubérance qu’il portait sur son dos, et il passe par le trou d’une aiguille, c’est-à-dire, un riche, un publicain, sacrifie l’amour des richesses, renonce à tous ses profits frauduleux, et reçoit la bénédiction que lui apporte la visite du Sauveur : « Et il se hâta de descendre, et il le reçut avec joie. » — S. Ambr. Que les riches apprennent donc que le crime n’est pas dans les richesses, mais dans le mauvais usage qu’on en fait ; car si les richesses sont un moyen de perdition pour les méchants, elles sont dans la main des bons un puissant auxiliaire de leur vertu.

 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Considérez l’excessive bonté du Sauveur : innocent, il se mêle aux coupables ; source de toute justice, il entre en relation avec l’avarice qui est la cause de toute perversité ; en entrant dans la maison d’un publicain, sa sainteté n’est point obscurcie par les sombres vapeurs de l’avarice, qu’il dissipe au contraire par l’éclat de sa justice. Cependant les envieux, et ceux qui ne cherchaient qu’à le calomnier, s’efforcent d’incriminer sa conduite : « Voyant cela, tous murmuraient en disant : « Il est descendu chez un pécheur. » Mais Jésus, accusé d’être le convive et l’ami des publicains, dédaigne ces calomnies pour accomplir son oeuvre ; car le médecin ne peut guérir les malades qu’à la condition de supporter ce que leurs plaies ont de rebutant. C’est ce qui arriva, le publicain changea de vie et devint meilleur : « Mais Zachée, se tenant devant Jésus, lui dit : Voici, Seigneur, que je donne la moitié de mes biens aux pauvres, » etc. Entendez cette admirable résolution, Jésus n’a point encore parlé, et il obéit déjà. De même que le soleil, dont les rayons pénètrent dans une maison, l’éclaire non point par des paroles, mais par son action, ainsi le Sauveur dissipe les ténèbres de l’iniquité par les seuls rayons de sa justice, car il est la lumière qui luit dans les ténèbres. Tout ce qui est uni est fort, tout ce qui est divisé est faible, c’est pourquoi Zachée fait le partage de ses biens. Il faut avoir soin de remarquer que les richesses de Zachée n’étaient pas toutes le fruit de l’injustice, mais qu’elles provenaient aussi de son patrimoine. Comment aurait-il pu sans cela rendre le quadruple de ce qu’il avait acquis injustement ? Il savait que la loi prescrit de rendre le quadruple de tout bien mal acquis (Ex 22), afin que si l’on ne craint pas de violer la loi, on soit au moins arrêté par l’obligation onéreuse qu’elle impose. Mais Zachée n’attend pas la condamnation de la loi, il se fait lui-même son propre juge.

 

Théophyl. Si nous voulons pénétrer plus avant, nous trouverons qu’il ne restait plus rien à Zachée de ses biens. Après avoir donné la moitié de ses biens aux pauvres, il emploie le reste à rendre le quadruple à tous ceux qu’il avait pu léser. Et non seulement il le promet, mais il le fait aussitôt, car il ne dit pas : Je donnerai la moitié de mes biens, et je rendrai quatre fois autant à ceux à qui j’ai fait tort, mais voici que je donne, et que je restitue. Aussi Jésus-Christ lui annonce-t-il qu’il a reçu le salut : « Jésus lui dit : Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison. » La maison ici signifie celui qui l’habite, et le Sauveur veut dire que Zachée a obtenu la grâce du salut. Il ajoute, en effet : « Parce que celui-ci est aussi enfant d’Abraham. » Or, il n’aurait pu dire d’un édifice matériel et inanimé qu’il était enfant d’Abraham. — Bède. Zachée est appelé enfant d’Abraham, non parce qu’il est né de sa race, mais parce qu’il a été l’imitateur de sa foi, et qu’il a renoncé à ses biens pour les distribuer aux pauvres, de même qu’Abraham avait quitté son pays et la maison de son père. Notre-Seigneur dit : « Il est aussi enfant d’Abraham, » pour nous apprendre que ce ne sont pas seulement ceux qui ont vécu dans la sainteté, mais ceux qui renoncent à leur vie injuste qui sont enfants de la promesse.

 

Théophyl. Jésus ne dit pas que Zachée était fils d’Abraham, mais qu’il l’est maintenant ; car tant qu’il était chef des publicains, il n’avait aucun trait de ressemblance avec le juste Abraham, et ne pouvait être son fils. Cependant comme quelques-uns murmuraient de ce que le Sauveur était descendu dans la maison d’un pécheur, il calme leur indignation en ajoutant : « Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » — S. Chrys. Pourquoi me faire un crime de chercher à ramener les pécheurs ? Je suis si loin de les haïr, qu’ils sont la cause de ma venue sur la terre ; je suis venu comme médecin et non comme juge, aussi je ne dédaigne pas de devenir le convive des malades, et je supporte la mauvaise odeur de leurs plaies, afin de pouvoir y appliquer des remèdes plus efficaces. Mais on me demandera comment saint Paul défend aux chrétiens de manger avec un de leurs frères qui serait ou fornicateur, ou avare (1 Co 5, 11), tandis que nous voyons Jésus-Christ s’asseoir à la table des publicains. Je réponds que les publicains n’étaient pas encore élevés à la dignité de frères ; et d’ailleurs saint Paul défend tout commerce avec ceux de nos frères qui persévèrent dans le mal. Or, tels n’étaient point les publicains avec qui le Sauveur ne dédaignait pas de manger.

 

Bède. Dans le sens figuré, Zachée, qui veut dire justifié, représente le peuple des Gentils qui a embrassé la foi. Il était comme amoindri et rapetissé par les préoccupations de la terre, mais Dieu l’a grandi et sanctifié. Il a désiré voir Jésus qui entre dans Jéricho, lorsqu’il a cherché à participer à la foi que le Sauveur était venu apporter au monde. — S. Cyr. La foule représente cette multitude ignorante et tumultueuse qui n’a pu élever ses regards jusqu’au sommet de la sagesse ; aussi longtemps que Zachée demeure dans la foule, il ne peut voir Jésus-Christ, mais aussitôt qu’il s’élève au-dessus de cette multitude ignorante, il mérite de recevoir dans sa maison celui qu’il désirait simplement de voir. — Bède. Ou bien encore la foule (c’est-à-dire les habitudes criminelles), qui défendait à l’aveugle de demander à Jésus par ses cris qu’il lui rendit la vue, est aussi l’obstacle qui empêche Zachée de voir le Sauveur. Or, de même que l’aveugle a triomphé de la foule en redoublant ses cris suppliants, ainsi Zachée qui était petit, s’est élevé au-dessus des obstacles de la foule, en abandonnant toutes les choses de la terre, et en montant sur l’arbre de la croix. En effet, le sycomore, dont les feuilles sont semblables à celles du mûrier, mais qui s’élève à une plus grande hauteur (ce qui lui a fait donner par les latins le nom de celsa, élevé), porte aussi le nom de figuier sauvage. Or, la croix du Seigneur est comme le figuier qui nourrit les fidèles, tandis que les incrédules s’en moquent comme d’une folie. Zachée qui était petit, monte sur cet arbre pour grandir sa taille ; ainsi le chrétien qui est humble et qui a la conscience de sa propre misère s’écrie : A Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n’est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. (Ga 6.) — S. Ambr. L’Évangéliste ajoute avec dessein : « Parce que le Seigneur devait passer par là, » soit où était le sycomore, soit où Zachée se trouvait lui-même. Le Sauveur voulait observer l’ordre mystérieux d’après lequel la grâce de la foi devait se répandre, et son dessein était d’annoncer l’Évangile aux Juifs avant de le porter aux Gentils. Il voit donc Zachée sur l’arbre, car déjà la sublimité de sa foi l’élevait au milieu des fruits des bonnes oeuvres à la hauteur d’un arbre fécond, Zachée est monté sur l’arbre, parce qu’en effet, il s’élève au-dessus de la loi.

 

Bède. Le Seigneur, en traversant la ville, arrive à l’endroit où Zachée était monté sur le sycomore. C’est ainsi qu’après avoir envoyé des prédicateurs dans la personne desquels il allait prêcher lui-même l’Évangile, Jésus arriva au milieu du peuple des Gentils, qui déjà s’était relevé de son état d’abaissement par la foi à sa passion ; le Sauveur jette sur lui un regard en le choisissant par sa grâce. Notre-Seigneur était aussi entré quelquefois dans la maison d’un des chefs des pharisiens, mais tandis qu’il y opérait des oeuvres dignes d’un Dieu, ils trouvaient le moyen de calomnier sa conduite. Aussi ne pouvant plus souffrir leur audace criminelle, il les abandonne en leur disant : « Votre maison sera laissée déserte. » (Mt  23.) Aujourd’hui, au contraire, il faut qu’il descende dans la maison de Zachée qui était petit, c’est-à-dire qu’il se repose dans le coeur des Gentils devenus humbles, en faisant briller à leurs yeux la grâce de la nouvelle loi. Zachée reçoit l’ordre de descendre de ce sycomore, et de préparer à Jésus une demeure dans sa maison ; c’est ce que l’Apôtre nous recommande par ces paroles : « Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte ; » (2 Co 5, 16) ; et par ces autres : « Encore qu’il ait été crucifié selon la faiblesse de la chair ; il vit néanmoins maintenant par la vertu de Dieu. » (2 Co 13, 4.) Il est manifeste que les Juifs ont toujours été opposés au salut des Gentils ; mais cette grâce du salut qui remplissait autrefois les demeures des Juifs, brille aujourd’hui aux yeux des Gentils, parce qu’ils sont devenus eux-mêmes enfants d’Abraham, en imitant la foi qu’il avait en Dieu.

 

Théophyl. Il est facile de tirer de ce récit des inductions morales. Ainsi celui qui a sur les autres la triste prééminence du vice, est très petit au point de vue spirituel, et il ne peut voir Jésus à cause de la foule, car embarrassé qu’il est par ses passions et par les préoccupations du monde, il ne voit point Jésus marcher, c’est-à-dire agir en nous, et il ne reconnaît aucune de ses opérations.  Il monte sur un sycomore (c’est-à-dire qu’il s’élève au-dessus des fausses douceurs de la volupté figurées par cet arbre), il le domine, et de cette hauteur, il voit Jésus-Christ et en est vu. — S. Grég. (Moral., 27, vers la fin.) Ou encore, comme le sycomore est aussi appelé figuier sauvage (ficus fatua), Zachée, qui est petit, monte sur un sycomore, et voit ainsi le Seigneur, parce que ceux qui embrassent ce qui est une folie aux yeux du monde, contemplent dans tout son éclat la sagesse de Dieu. En effet, quelle folie plus grande pour le monde, que de ne pas chercher à recouvrer ce qu’on a perdu, d’abandonner ses biens à ceux qui les ravissent, et de ne pas rendre injure pour injure ? Or, c’est justement cette sage folie qui nous obtient de voir la sagesse de Dieu, sinon pleinement telle qu’elle est, du moins par la lumière de la contemplation.

 

Théophyl. Or, le Seigneur lui dit : « Hâtez-vous de descendre, » c’est-à-dire : Vous êtes monté par la pénitence en un lieu élevé, descendez maintenant par un sentiment d’humilité, de peur que l’orgueil ne soit la cause de votre ruine, car je ne puis descendre que dans la maison de celui qui est humble. Il y a en nous deux sortes de biens, les biens du corps, et ceux de l’âme ; le juste se dépouille donc de tous ses biens corporels, mais il conserve les biens spirituels. De plus, s’il a fait tort à quelqu’un, il lui en rend quatre fois autant ; c’est-à-dire que celui qui, sous la conduite de la pénitence, marche dans un sentier tout opposé à la voie de ses anciennes iniquités, répare ainsi par ses nombreuses vertus tous ses péchés passés, il mérite ainsi la grâce du salut, et le nom d’enfant d’Abraham, parce qu’il s’est séparé de sa propre famille, c’est-à-dire de ses anciennes iniquités.

 

Vv. 11-27.

Eusèbe. Il en était qui pensaient que le premier avènement du Sauveur serait immédiatement suivi de l’établissement de son royaume, et ils croyaient que ce royaume commencerait lors de son entrée à Jérusalem, tant la vue des miracles qu’il avait opérés les avait frappés d’étonnement. Il les avertit donc que son père ne le mettrait pas en possession de son royaume, avant qu’il eût quitté les hommes pour retourner à son Père : « Comme ils écoutaient ces discours, il ajouta encore une parabole sur ce qu’il était près de Jérusalem, » etc. — Théophyl. Le Seigneur leur fait voir qu’ils sont dans l’illusion ; car le royaume de Dieu n’est pas une chose extérieure et sensible. Il leur montre aussi que comme Dieu il connaît leurs pensées, en leur proposant la parabole suivante : « Il dit donc : Un homme de grande naissance s’en alla en un pays lointain pour prendre possession d’un royaume et revenir ensuite. »

 

S. Cyr. L’explication de cette parabole retrace tous les mystères de Jésus-Christ, depuis le premier jusqu’au dernier. En effet, le Verbe qui était Dieu s’est fait homme, et quoiqu’il ait pris la forme d’esclave, il est cependant d’une noblesse éclatante par sa naissance ineffable au sein du Père. — S. Bas. (sur Is 13.) Cette noblesse, il ne la tire pas seulement de sa divinité, mais de son humanité, puisqu’il est né selon la chair de la race de David. Il s’en est allé dans un pays lointain, non point par la distance matérielle qui nous sépare de lui, mais par l’effet des rapports qui existent entre lui et nous. Dieu est près de chacun de nous, toutes les fois que nous lui sommes unis par la pratique des bonnes oeuvres, et il s’en éloigne, toutes les fois que poursuivant notre perte, nous nous séparons de lui. Il s’en alla donc dans cette région terrestre si éloignée de Dieu, pour prendre possession du royaume des nations, selon cette prédiction du Roi-prophète : « Demandez-moi, et je vous donnerai toutes les nations pour héritage. » (Ps 2 ; cf. Ac 13, 3 ; He 1, 5 ; He 5, 5) — S. Aug. (Quest. évang., 2, 40.) Ou bien cette région lointaine, c’est l’Église des Gentils qui s’est étendue jusqu’aux extrémités de la terre ; car le Sauveur s’en est allé pour faire entrer la plénitude des nations, et il reviendra pour que tout le peuple d’Israël obtienne la grâce du salut.

 

Eusèbe. Ou bien ce départ pour un pays lointain, signifie son ascension de la terre aux cieux ; et lorsqu’il ajoute « Pour prendre possession de son royaume et revenir, » il fait allusion à la gloire et à la majesté de son second avènement. Il prend seulement d’abord le nom d’homme, à cause de sa naissance temporelle, il y ajoute le titre de noble, mais il n’y joint pas celui de roi, parce que lors de son premier avènement il n’était pas environné de l’éclat de la majesté royale. Il ajoute avec raison : « Pour entrer en possession de son royaume, car il l’a reçu des mains de son Père qui le lui a donné, selon ces paroles de Daniel : « Le Fils de l’homme venait sur les nuées, et le royaume lui fut donné. » (Dn 7.) — S. Cyr. En effet, lorsqu’il monte dans les cieux, il va s’asseoir à la droite de la majesté du Très-Haut ; et en y montant il répand suivant certaine mesure les grâces divines sur ceux qui croient en lui, de même qu’un maître confie ses biens à ses serviteurs pour qu’ils les fassent fructifier, et qu’ils méritent ainsi la récompense de leurs services : « Ayant appelé dix de ses serviteurs, il leur donna dix mines. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) La sainte Écriture emploie ordinairement le nombre dix pour exprimer la perfection. En effet, lorsqu’on veut dépasser ce nombre, il faut commencer de nouveau par l’unité, comme si le dernier était la limite du nombre parfait ; voilà pourquoi dans la distribution des talents, celui qui atteint la limite des devoirs que Dieu lui impose, reçoit dix mines. — S. Aug. (quest. Evang.) Ou bien encore, les dix mines signifient le décalogue de la loi, et les dix serviteurs, tous ceux qui étaient soumis à la loi et auxquels la grâce de l’Évangile a été annoncée. Car nous devons entendre que ces dix mines ne leur ont été confiées, que lorsqu’ils comprirent que la loi, débarrassée de ses voiles, se rapportait à l’Évangile. — Bède. La mine que les Grecs appellent μνα, pesait cent drachmes, et tout discours de l’Écriture qui nous enseigne la perfection de la vie des cieux a, pour ainsi dire, la valeur éclatante du nombre cent.

 

Eusèbe. Ceux qui reçoivent ces mines représentent ses disciples, à chacun desquels il confie la même somme, en leur recommandant à tous le même emploi, c’est-à-dire de la faire fructifier : « Et il leur dit : Faites-les valoir jusqu’à ce que je revienne. » Or, le seul moyen pour les disciples de les faire valoir, était d’annoncer aux hommes attentifs la doctrine de son royaume, doctrine qui est la même pour tous, c’est la même foi, le même baptême, et c’est pour cela que chacun d’eux reçoit une mine. — S. Cyr. Mais il y a une grande différence entre ces derniers, et ceux qui ont refusé de recevoir le royaume de Dieu, et dont il ajoute : « Or, ceux de son pays le haïssaient, » etc. C’est le reproche que Jésus-Christ adressait aux Juifs : « Maintenant ils ont vu les oeuvres que j’ai faites, et ils ont haï, et mon Père et moi. » (Jn 15.) Ils ont refusé de se soumettre à son règne, lorsqu’ils dirent à Pilate : « Nous n’avons pas d’autre roi que César. » (Jn 19.) Dans ceux qu’il appelle ses concitoyens, les Juifs se trouvent clairement désignés, puisqu’ils avaient les mêmes ancêtres selon la chair, et parce qu’il se conformait comme eux aux prescriptions de la loi. S. Aug. (quest. Evang.) Ils envoyèrent une députation après lui, parce que même après sa résurrection ils poursuivirent les Apôtres par de continuelles persécutions, et rejetèrent ouvertement la prédication de l’Évangile

 

Eusèbe. Le Sauveur, après avoir parlé de ce qui a trait à son premier avènement, prédit son retour dans tout l’éclat de sa gloire et de sa majesté : « Etant donc revenu après avoir été mis en possession de son royaume. » — S. Chrys. (hom. 39, sur la 1re Epît. aux Cor.) (1 Co 15, 24). La sainte Écriture distingue deux règnes de Dieu sur les hommes, l’un qu’il tient de la création, et qu’il possède comme Roi universel de tout ce qui existe, en vertu de son droit de Créateur ; l’autre qui est un règne d’affection qu’il n’exerce que sur les justes qui lui sont librement et volontairement soumis ; c’est ce dernier royaume dont il prend ici possession.

 

S. Aug. (quest. Evang.) Il revient après avoir pris possession de ce royaume, parce qu’il doit revenir dans tout l’éclat de sa gloire, lui qui avait apparu d’abord si humble au milieu des hommes, lorsqu’il disait : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » (Jn 18.)

 

S. Cyr. Or, lorsque Jésus-Christ reviendra, après avoir pris possession de son royaume, il donnera aux ministres de sa parole les éloges qu’ils ont mérités, et les comblera de joie et d’honneurs dans les cieux, parce qu’en faisant valoir le talent qui leur avait été confié, ils en ont acquis un grand nombre d’autres : « Le premier vint et dit : Seigneur, votre mine a produit dix autres mines. » Ce premier serviteur représente l’ordre des docteurs qui ont été envoyés au peuple de la circoncision, il a reçu une mine pour la faire valoir, parce que les docteurs ont reçu l’ordre de prêcher une seule et même foi. Cette mine en a produit dix autres, parce que leurs enseignements ont fait entrer en société avec eux le peuple qui vivait sous la loi.

 

« Il lui dit : Fort bien, bon serviteur, parce que vous avez été fidèle en peu de choses, » etc. Ce serviteur a été fidèle en peu de choses, c’est-à-dire qu’il n’a point altéré la parole de Dieu ; car tous les dons que nous pouvons recevoir dans la vie présente, ne sont rien en comparaison de ceux qui nous sont réservés pour l’avenir. — Evagr. (Ch. des Pèr. gr.) L’Évangile nous dit que ce serviteur reçoit le gouvernement de dix villes, parce qu’il reçoit la récompense de ses propres biens. Il en est qui interprétant ces promesses dans un sens grossier et laissant encore dominer dans leur âme l’ambition du pouvoir et des honneurs, s’imaginent qu’ils recevront les dignités de préteurs et de gouverneurs dans la Jérusalem terrestre qu’ils espèrent voir rebâtir avec des pierres précieuses. — S. Ambr. Ces dix villes sont les âmes à la tête desquelles est placé à juste titre celui qui a fait fructifier dans le coeur des hommes les trésors du Seigneur, c’est-à-dire : « Les paroles du Seigneur qui sont pures comme l’argent éprouvé par le feu. » (Ps 11.) Jérusalem est bâtie comme une ville (Ps 121) ; ainsi en est-il des âmes pacifiques, et ceux qui ont été jugés dignes de la vie des anges, sont établis comme les anges au-dessus de ces âmes pour les diriger et les conduire.

 

« Un autre vint et dit : Seigneur, votre mine a produit cinq autres mines. » — Bède. Ce serviteur représente la phalange de ceux qui ont été envoyés pour prêcher l’Évangile aux Gentils. La mine qui leur a été confiée, (c’est-à-dire la foi de l’Évangile) a produit cinq mines, parce qu’ils ont converti à la grâce de la foi les nations qui étaient auparavant esclaves des sens du corps : « Vous, lui répondit-il, vous aurez puissance sur cinq villes, » c’est-à-dire la perfection de votre vie brillera d’un éclat supérieur à celui des âmes que vous, avez initiées à la foi.

 

S. Ambr. Ou bien dans un autre sens : Celui qui a gagné cinq mines est celui qui est chargé d’enseigner les préceptes de la morale, parce que notre corps a cinq sens qui ont chacun leurs obligations distinctes ; celui qui en a gagné dix, reçoit le double, le pouvoir d’enseigner les mystères de la loi, et la sainteté de la morale chrétienne. Nous pouvons encore voir dans les dix mines, les dix commandements de la loi (c’est-à-dire la doctrine de la loi), et dans les cinq mines, les conseils de la perfection ; mais je veux que le docteur de la loi soit parfait en toutes choses. Comme il est ici question des Juifs, il n’y a que deux serviteurs qui apportent le produit de leur argent, non de l’argent de lui-même, mais de leur bonne administration ; car le produit de la doctrine céleste ne ressemble point au produit de l’argent que l’on prête à intérêt. — S. Chrys. Pour les biens de la terre, l’on ne peut guère devenir riche sans qu’un autre s’appauvrisse ; pour les biens spirituels, au contraire, on ne peut s’enrichir qu’à la condition d’enrichir les autres ; c’est qu’en effet, le partage des biens extérieurs les diminue nécessairement, tandis que les biens spirituels ne font que s’accroître en se partageant.

 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 46.) On peut dire encore que les dix et les cinq mines qui ont été gagnées par les deux serviteurs qui ont fait un bon emploi de la somme qui leur était confiée, représentent ceux à qui la grâce avait déjà donné l’intelligence de la loi et qui ont été comme acquis au troupeau de Dieu ; analogie fondée sur les dix préceptes de la loi, ou sur les cinq livres écrits par Moïse qui a été chargé de donner la loi. Les dix et les cinq villes, à la tête desquelles le Seigneur place ces fidèles serviteurs, se rapportent au même sujet ; car la multiplicité des interprétations variées qui sortent en abondance de chaque précepte ou de chaque livre, ramenées ou réduites à un seul et même objet, forme comme la ville des intelligences, qui vivent des pensées éternelles. En effet, une ville n’est pas une agglomération d’êtres quelconques, mais une multitude d’êtres raisonnables unis entre eux par les liens d’une loi commune. Les serviteurs qui reçoivent des éloges pour avoir fait valoir et fructifier la somme qui leur était confiée, représentent ceux qui justifieront du bon emploi qu’ils ont fait du talent qu’ils ont reçu en multipliant les richesses du Seigneur, c’est-à-dire le nombre de ceux qui croient en lui. Ceux qui ne peuvent rendre compte sont figurés par le serviteur qui avait gardé dans un linge la mine qu’il avait reçue : « Et un troisième vint et dit : Seigneur, voilà votre mine que j’ai gardée enveloppée dans un suaire, » etc. Il y a, en effet, des hommes qui se rassurent dans cette coupable erreur, qu’il suffit que chacun rende compte de lui-même. A quoi bon, disent-ils, prêcher aux autres et travailler à leur salut, pour assumer ainsi devant Dieu la responsabilité des autres ? puisque d’ailleurs ceux-mêmes qui n’ont pas reçu la loi, sont inexcusables devant Dieu, aussi bien que ceux qui sont morts sans que l’Évangile leur ait été annoncé, parce que les uns et les autres pouvaient connaître le Créateur par les créatures : « Je vous ai craint, parce que vous êtes un homme sévère, » etc. En effet, Dieu semble moissonner ce qu’il n’a pas semé, en condamnant comme coupables d’impiété, ceux qui n’ont jamais entendu parler ni de la loi, ni de l’Évangile. Or, c’est sous le prétexte d’éviter la responsabilité de ce jugement sévère, qu’ils vivent dans l’oisiveté, et négligent le ministère de la parole, et c’est comme s’ils enveloppaient dans un suaire le talent qu’ils ont reçu. — Théophyl. C’est avec un suaire que l’on couvre la face des morts. Ce n’est donc pas sans raison qu’il est dit que ce serviteur paresseux avait enveloppé dans un suaire la mine qu’il avait reçue, parce qu’il l’avait laissée comme ensevelie et sans emploi, sans la faire ni valoir ni fructifier.

 

Bède. On peut dire encore qu’envelopper l’argent dans un suaire, c’est ensevelir dans l’oisiveté d’une indolente apathie les dons qu’on a reçus de Dieu. Or, ce que ce serviteur prétendait donner comme excuse, est justement ce qui le fait déclarer plus coupable : « Le maitre lui répondit : Je te juge sur tes paroles, méchant serviteur. » Il l’appelle méchant serviteur, tant pour sa négligence à faire valoir le talent qui lui était confié, que pour l’orgueilleuse hardiesse avec laquelle il accuse Injustice du Seigneur : « Vous saviez que j’étais un homme sévère, reprenant ce que je n’ai pas déposé, et moissonnant ce que je n’ai pas semé, pourquoi donc n’avez-vous pas mis mon argent à la banque ? » c’est-à-dire : Vous saviez que j’étais dur et prêt à reprendre ce qui ne m’appartenait pas, pourquoi cette pensée ne vous a-t-elle pas inspiré la crainte que j’exigerais avec bien plus de sévérité encore ce qui m’appartient ? Cet argent, c’est la prédication de l’Évangile et la parole divine, car la parole de Dieu est pure comme l’argent éprouvé par le feu. (Ps 11.) Cette parole de Dieu devait être mise à la banque, c’est-à-dire déposée dans des coeurs ouverts et bien disposés. — S. Aug. (Quest. évang.) Ou encore, cette banque à laquelle l’argent doit être placé, c’est la profession extérieure et publique de la religion qui nous est imposée comme un moyen nécessaire de salut.

 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Dans l’ordre des richesses matérielles, les débiteurs ne sont obligés qu’à représenter la somme qui leur a été donnée ; ils ne doivent rendre qu’autant qu’ils ont reçu, et on ne leur en demande pas davantage. Mais pour la parole divine, non seulement nous sommes obligés de la garder fidèlement, mais nous devons encore la faire fructifier, comme le Sauveur nous en avertit par les paroles qui suivent : « Afin qu’à mon retour, je reprisse mon argent avec intérêt. » Bède. Celui, en effet, qui reçoit par la foi l’argent de la parole divine que lui confient les docteurs de l’Évangile, doit le rendre avec usure, soit par la pratique des bonnes oeuvres, soit en se servant de ce qu’il a entendu pour chercher à comprendre ce que les prédicateurs ne lui ont point encore expliqué. — S. Cyr. Le devoir des docteurs c’est d’annoncer aux fidèles les salutaires enseignements de l’Évangile ; mais il n’appartient qu’à la grâce divine de leur faire comprendre ce qu’ils écoutent avec docilité, et de seconder leur intelligence. Or, ce serviteur n’a mérité ni louange, ni honneur, loin de là, il a été condamné comme un serviteur paresseux et inutile : « Et il dit à ceux qui étaient présents : ôtez-lui la mine, et la donnez à celui qui en a dix. » — S. Aug. (Quest. évang.) Nous apprenons de là qu’on peut perdre les dons de Dieu, si on les a sans les avoir, c’est-à-dire sans en faire usage, et qu’on mérite, au contraire, de les voir augmenter lorsqu’on les possède véritablement, c’est-à-dire quand on en fait un salutaire emploi.

 

Bède. Dans le sens figuré, cette dernière circonstance signifie je pense, que lorsque la plénitude des nations sera entrée dans l’Église, tout Israël sera sauvé (Rm 11), et qu’alors la grâce spirituelle se répandra avec abondance sur les docteurs. — S. Chrys. (hom. 43 sur les Actes.) Le Seigneur dit à ceux qui étaient présents : « Ôtez-lui la mine, » parce qu’il ne convient pas à l’homme sage de punir par lui-même, et il se sert d’un autre pour infliger le châtiment qu’il a prononcé comme juge ; ainsi Dieu ne punit point par lui-même les pécheurs, mais par le ministère des anges. — S. Ambr. On ne dit rien des autres serviteurs, qui, comme des débiteurs prodigues, ont laissé perdre ce qui leur avait été confié. Les deux serviteurs qui ont fait fructifier ce qu’ils avaient reçu, représentent le petit nombré de ceux qui, par deux fois, sont appelés à cultiver la vigne du Seigneur ; les autres représentent tous les Juifs : « Seigneur, lui dirent-ils, il a déjà dix mines. » Mais pour justifier cette mesure de toute injustice, le Seigneur ajoute : « On donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance. »

 

Théophyl. Puisqu’il a décuplé la mine qu’il avait reçue, et en a représenté dix à son maître, il est évident que s’il en multiplie un plus grand nombre dans la même proportion, le profit de son maître sera plus considérable. Quant au serviteur oisif et paresseux, qui n’a point cherché à augmenter ce qu’il avait reçu, on lui ôtera même ce qu’il possède : « Et à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a, » afin que l’argent du maître ne demeure pas infructueux, tandis qu’il peut être donné à d’autres qui le feront fructifier. Cette vérité s’applique non seulement à la prédication et à l’enseignement, mais à la pratique des vertus morales. En effet, Dieu nous donne pour ces vertus des grâces et une aptitude particulière, il donne à l’un la grâce du jeûne, à l’autre celle de la prière, à un troisième la grâce de la douceur et de l’humilité. Si nous sommes attentifs à profiter de ces grâces, nous les multiplierons, mais si nous sommes indifférents, nous les perdrons sans retour. Notre-Seigneur ajoute ensuite pour ses ennemis : « Quant à mes ennemis, qui n’ont pas voulu m’avoir pour roi, amenez-les ici, et tuez-les devant moi. » — S. Aug. (Quest. évang.) Il désigne ici l’impiété des Juifs qui n’ont pas voulu se convertir à lui. — Théophyl. Il les livrera à la mort en les jetant dans le feu extérieur (cf. Mt 8, 22 ; 25), et dès cette vie même, ils ont été massacrés impitoyablement par les armées romaines.

 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Cette sentence tombe directement sur les Marcionites. Jésus-Christ dit ici : « Amenez mes ennemis, et qu’on les mette à mort en ma présence ; » et cependant ils prétendent que le Christ est bon, et que le Dieu de l’Ancien Testament est mauvais. Or, il est évident que le Père et le Fils font ici la même chose, le Père envoie une armée à la vigne pour détruire ses ennemis (Mt 21), et le fils les fait mettre à mort en sa présence. — S. Chrys. (hom. 79 sur S. Matth.) Cette parabole est différente de la parabole des talents racontée par saint Matthieu (Mt 25). Nous voyons ici le même capital donner divers produits, puisqu’une seule mine rapporte d’un côté cinq, de l’autre, dix mines. Dans la parabole de saint Matthieu, c’est le contraire, celui qui a reçu deux talents, en a gagné deux autres, celui qui en avait reçu cinq, en a gagné autant ; et c’est la raison pour laquelle ils ne reçoivent pas la même récompense.

 

 

Vv. 28-37.

Tite de Bostr. (Ch. des Pèr. gr.) Les disciples qui avaient entendu dire au Sauveur : « Le royaume de Dieu est proche, » et qui le voyaient se diriger vers Jérusalem, pensaient qu’il allait commencer à y établir le royaume de Dieu. Dans la parabole qui précède, Jésus a redressé cette erreur, et montré qu’il n’avait pas encore triomphé de la mort qu’on lui préparait. Cette parabole achevée, il va au-devant de sa passion en continuant sa marche vers Jérusalem : « Après ce discours, il continua de marcher vers Jérusalem. » — Bède. Il leur apprend en même temps que cette parabole est une prédiction de la triste destinée de cette ville qui allait le mettre à mort, et devait périr elle-même au milieu des horreurs de la guerre : « Comme il approchait de Bethphagé et de Béthanie, » etc. Bethphagé était une bourgade habitée par les prêtres, et située sur le versant du mont des Oliviers ; Béthanie était aussi une petite ville située sur le penchant de la même montagne, à quinze stades environ de Jérusalem (cf. Mc 11, 1 ; Lc 19, 59 ; Jn 11, 1.14).

S. Chrys. (hom. 67, sur S. Matth.) Dans les commencements de sa vie publique, Jésus se mêlait simplement et sans distinction avec les Juifs ; mais lorsqu’il eut donné assez de preuves de sa puissance, toutes ses actions sont empreintes d’une grande autorité. Les miracles se multiplient, il annonce à ses disciples qu’ils trouveront un ânon qui n’a pas encore été monté : « Allez à ce village qui est devant vous, » etc. Il leur prédit également que personne ne les empêchera, mais qu’aussitôt qu’ils auront parlé, on les laissera faire sans dire un seul mot. Il ajoute donc : « Déliez-le, et me l’amenez. »

 

Tite de Bostr. Il y eut ici un ordre divin bien clairement connu, car personne ne peut résister à Dieu, quand il réclame ce qui lui appartient. Or, les disciples chargés de conduire cet ânon, ne refusèrent point de remplir cette office comme peu relevé, mais ils partirent aussitôt pour l’amener : « Ceux qui étaient envoyés, s’en allèrent, » etc. — S. Bas. C’est ainsi que nous devons accepter avec empressement et avec zèle les plus humbles fonctions, persuadés qu’aucune action n’est petite lorsqu’elle est faite en vue de Dieu, et qu’elle est digne du royaume des cieux.

Tite de Bostr. Ceux qui avaient attaché l’ânon, obéissent en silence à cet acte de puissance du Sauveur, et ne peuvent résister à l’ordre qu’il leur donne : « Comme ils détachaient l’ânon, ses maîtres leur dirent : Pourquoi déliez-vous cet ânon ? Ils répondirent : Parce que le Seigneur en a besoin. » C’est qu’en effet le nom du Seigneur annonce la majesté, et qu’il allait paraître comme un roi à la vue de tout le peuple.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 66.) Ne soyez pas surpris que saint Matthieu parle de l’ânesse et de son ânon, tandis que les autres ne disent rien de l’ânesse ; car lorsque deux faits peuvent se concilier, il n’y a aucune contradiction à les admettre, alors même que chaque évangéliste y mêlerait des circonstances différentes, a plus forte raison quand un évangéliste raconte une circonstance qu’un autre passe tout simplement sous silence.

 La Glose. Les disciples témoignent ici leur empressement et leur zèle pour Jésus-Christ, non seulement en lui amenant l’ânon qui ne leur appartenait pas, mais en se dépouillant de leurs propres vêtements qu’ils jetèrent sur l’ânon, et qu’ils étendirent le long du chemin : « Et ils l’amenèrent à Jésus, et jetant leurs vêtements sur l’ânon, » etc. — Bède. D’après les autres évangélistes, ce ne furent pas seulement les disciples, mais une grande partie de la foule, qui étendirent leurs vêtements le long du chemin.

S. Ambr. Dans le sens figuré, Notre-Seigneur vient sur la montagne des Oliviers, pour planter de nouveaux oliviers en vertu de sa souveraine puissance ; or, cette montagne, c’est Jésus-Christ lui-même, car quel autre que lui pourrait produire ces olives fécondées par la plénitude de l’Esprit ? — Bède. Les villes dont il est ici question, sont situées sur le versant du mont des Oliviers, c’est-à-dire sur le Seigneur lui-même, qui entretient l’onction des grâces spirituelles par la double lumière de la science et de la piété.

Orig. (hom. 37, sur S. Luc.) Béthanie veut dire maison d’obéissance, et Bethphagé, ville habitée par les prêtres, signifie maison des mâchoires, parce que la loi attribuait aux prêtres les mâchoires des victimes dans les sacrifices. C’est donc dans la maison de l’obéissance et dans une ville habitée par les prêtres, que le Sauveur envoie ses disciples pour délier le petit de l’ânesse. — S. Ambr. Ils trouvèrent donc dans ce village l’ânon qui était lié avec l’ânesse : il ne pouvait être délié que par l’ordre du Seigneur, et ce fut la main des Apôtres qui le délia. Telles sont les actions, telle est la vie, telle est la grâce. Soyez donc tels que vous méritiez de rompre les liens de ceux qui sont attachés. Dans l’ânesse, saint Matthieu a comme figuré la mère de l’erreur ; et saint Luc représente dans l’ânon l’universalité du peuple des Gentils. Notre-Seigneur ajoute avec dessein : « Sur lequel aucun homme ne s’est encore assis, » parce qu’avant Jésus-Christ, personne n’avait appelé les Gentils à faire partie de l’Église. Ce peuple était retenu dans les liens de l’infidélité, attaché à un maître injuste, et esclave de l’erreur. Il ne pouvait revendiquer son indépendance, parce qu’elle était enchaînée non par sa nature, mais par sa faute. Aussi quand on parle ici du Seigneur, on ne veut parler que d’un seul. Misérable servitude que celle dont les droits ne sont pas clairement définis ; car celui qui n’est pas soumis à un seul maître en a nécessairement plusieurs. Les maîtres étrangers lient pour posséder, celui-ci délie pour retenir, car il sait que les bienfaits sont plus forts pour retenir que tous les liens. — Orig. (hom. 37, sur S. Luc.) Cet ânon avait donc plusieurs maîtres avant que le Sauveur en eût besoin, mais dès qu’il en fut devenu le véritable maître, les autres cessèrent d’avoir autorité sur lui, car personne ne peut servir Dieu et l’argent. (Mt 12.) Lorsque nous étions esclaves du péché, nous étions sous la domination d’une multitude de passions et de vices. Or, le Seigneur déclare qu’il a besoin de l’ânon, parce que son grand désir est de rompre les liens qui nous attachent au péché.

Orig. (Traité 11, sur S. Jean.) Ce n’est pas sans raison que le lieu où l’ânesse et l’ânon se trouvaient attachés, était un village ; parce que la terre tout entière, en comparaison du monde céleste, n’est elle-même que comme un simple hameau.

S. Ambr. Ce n’est pas non plus sans un dessein particulier qu’il envoie deux de ses disciples, ils figurent Pierre qui fut envoyé au centurion Corneille, et Paul au reste de la gentilité ; et c’est pourquoi l’Évangéliste se contente d’indiquer le nombre sans désigner les personnes. Si cependant on veut ici une désignation spéciale, ou peut appliquer ceci à Philippe que l’Esprit-Saint envoya dans la ville de Gaza, lorsqu’il baptisa l’eunuque de la reine Candace. (Ac 8.) — Théophyl. Ou bien encore, ces deux disciples figurent les deux ordres des prophètes et des Apôtres qui doivent amener à l’Église, et soumettre à Jésus-Christ le peuple des Gentils, Us amènent cet ânon d’un simple village, pour signifier la grossièreté et l’ignorance de ce peuple avant sa conversion. — S. Ambr. Ces deux disciples envoyés pour délier l’ânon, ne parlent point en leur propre nom, ils reproduisent les paroles de Jésus, pour vous apprendre que ce n’est point par la vertu de leurs discours, mais par la parole de Dieu, ni en leur nom, mais au nom de Jésus-Christ qu’ils ont converti les Gentils à la foi, et que les puissances ennemies qui exerçaient sur les nations un empire tyrannique ont cédé devant l’ordre de Dieu. — Orig. Les disciples jettent leurs vêtements sur l’ânon et y font asseoir le Sauveur, lorsqu’ils prennent la parole de Dieu et la déposent sur l’âme de ceux qui les écoutent. Ils se dépouillent de leurs vêtements, et les étendent le long du chemin ; les vêtements des Apôtres, ce sont leurs bonnes oeuvres, et il est vrai de dire que l’ânon délié par les disciples, et qui porte Jésus, marchent sur les vêtements des Apôtres, quand il pratique leur doctrine et qu’il imite leurs vertus. Qui de nous est assez heureux pour porter ainsi Jésus ? — S. Ambr. Ce n’est pas que le Maître du monde trouve aucun plaisir à être ainsi porté par une ânesse ; mais cette action est un emblème mystérieux de sa présence sur le siège intime de notre âme où il est assis comme un guide invisible pour diriger les démarches de notre âme, et réprimer tous les mouvements de la concupiscence de la chair par la vertu de sa parole dont il se sert à la fois comme de rênes et d’aiguillon.

 

Vv. 37-40.

Orig. (sur S. Luc.) Tant que le Seigneur fut sur la montagne, il était avec les Apôtres seuls ; mais lorsqu’il est près de descendre, le peuple vient à sa rencontre : « Et comme il approchait de la descente du mont des Oliviers, les disciples en foule, » etc. — Théophyl. L’Évangéliste appelle disciples non seulement les douze, ou les soixante-douze, mais encore tous ceux qui suivaient Jésus-Christ, entraînés par l’éclat de ses miracles ou par le charme de sa doctrine qui attirait même jusqu’aux enfants, comme le racontent les autres évangélistes : « Ils commencèrent à louer Dieu de tous les prodiges qu’ils avaient vus. » — Bède  Le Sauveur les avaient rendus témoins d’un grand nombre de miracles, mais ils étaient surtout frappés de la résurrection de Lazare, car comme le dit saint Jean : « Une grande multitude de peuple vint à sa rencontre, parce qu’ils avaient entendu parler de ce miracle. » (Jn 12, 48.) Il faut remarquer aussi que ce n’est pas la première fois que Notre-Seigneur venait à Jérusalem, nous voyons dans l’Évangile selon saint Jean, qu’il y était déjà venu plusieurs fois.

S. Ambr. La foule reconnaît sa dignité, elle l’appelle son roi, elle lui applique les oracles des prophètes, et proclame que le Fils de David selon la chair qu’ils attendaient, est arrivé : « Béni soit, disaient ils, le roi qui vient au nom du Seigneur ! » — Bède. C’est-à-dire, au nom de Dieu le Père ; bien qu’on puisse entendre aussi, en son propre nom, car il est Dieu lui-même ; mais il vaut mieux adopter ici le sens que nous indiquent les propres paroles : « Je suis venu, nous dit-il, au nom de mon Père, » (Jn 5, 43) car Jésus est le maître et le modèle de l’humilité. Si donc il consent à être appelé roi, ce n’est ni pour exiger des impôts, lever des armées, et combattre visiblement contre ses ennemis ; mais parce qu’il est le roi des coeurs, et qu’il veut conduire dans le royaume des cieux tous ceux qui croient, espèrent en lui, et qui l’aiment ; car s’il a voulu être roi d’Israël, c’est pour nous montrer sa miséricorde et non pour augmenter sa puissance. Or, comme Jésus-Christ s’est manifesté dans une chair mortelle pour être la victime de propitiation du monde entier, le ciel est la terre s’unissent dans un admirable concert pour célébrer ses louanges. A sa naissance, les armées des cieux ont, chanté un cantique de louanges sur son berceau, et lorsqu’il est sur le point de retourner dans les cieux, les hommes publient à leur tour ses louanges : « Paix dans les cieux ! » — Théophyl. C’est-à-dire que la guerre que nous faisions depuis si longtemps à Dieu a enfin cessé : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! » parce qu’en effet les anges louent Dieu d’avoir opéré cette réconciliation, car n’est-ce pas une preuve que Dieu est en paix avec nous, de le voir se manifester sous une forme visible au milieu même de ses ennemis ? Cependant les pharisiens murmuraient d’entendre la foule le proclamer roi, et le louer comme un Dieu. Lui donner le nom de roi, c’est à leurs yeux un acte de sédition, lui donner celui, de Dieu un blasphème « Alors quelques pharisiens qui étaient parmi le peuple, lui dirent : Maître, faites taire vos disciples. » — Bède. Dans quel excès de folie tombent les envieux ; ils n’ont pas hésité à lui donner le nom de Maître, parce qu’ils ont reconnu la vérité de sa doctrine, et comme s’ils étaient maintenant mieux instruits, ils veulent empêcher ses disciples de publier ses louanges.

S. Cyr. Mais le Sauveur, loin de faire taire ceux qui publiaient ses louanges, comme s’il était Dieu, impose silence à ceux qui veulent les reprendre, et atteste lui-même la gloire de sa divinité : « Il leur répondit : Je vous le dis, si ceux-ci se taisent, les pierres crieront. — Théophyl. C’est-à-dire, ce n’est pas sans raison qu’ils publient mes louanges, mais ils agissent sous l’impression des miracles dont ils ont été les témoins.

Bède. Lorsque le Seigneur fut crucifié, tandis que la crainte fermait la bouche à ses amis, les pierres et les rochers publièrent sa gloire, alors qu’au moment où il rendait le dernier soupir la terre trembla, les rochers se fendirent, et les tombeaux s’ouvrirent. — S. Ambr. Or, il n’est pas étonnant que les rochers, contre leur nature, publient sa divinité, puisque ses bourreaux, plus durs que les rochers, sont obligés de la reconnaître. N’entendons-nous pas, en effet, cette même foule qui, dans quelques jours, doit crucifier son Dieu, et renier dans son coeur celui dont sa voix confesse aujourd’hui la divinité ? Ne peut-on pas dire aussi qu’au milieu du silence gardé par les Juifs après la passion du Seigneur, les pierres vivantes (selon le langage de saint Pierre) (1 P 2, 5), élèveront la voix. — Orig. (sur S. Luc.) Lorsque nous gardons le silence (c’est-à-dire lorsque la charité d’un grand nombre se refroidit, les pierres élèvent la voix ; car Dieu, des pierres mêmes, peut susciter des enfants d’Abraham. — S. Ambr. Ce n’est pas sans un dessein mystérieux que nous voyons la foule qui louait Dieu, venir à la rencontre du Sauveur, lorsqu’il descendait de la montagne, elle nous apprend par cette démarche que celui qui doit accomplir les mystères du salut de nos âmes est descendu du ciel. La multitude descend avec le Seigneur de la montagne des Oliviers, pour nous apprendre encore, à nous qui avons besoin de la miséricorde du Sauveur, à marcher sur les traces de l’auteur de la miséricorde qui s’est si profondément humilié pour notre salut.

 

Vv. 41-44.

Orig. (hom. 38 sur S. Luc.) Jésus a confirmé par son exemple toutes les béatitudes qu’il a proclamées dans son Évangile. Il a dit « Bienheureux ceux qui sont doux, » et il confirme cette vérité en disant de lui-même : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. » Il a dit : « Bienheureux ceux qui pleurent, » et il a pleuré lui-même sur la ville de Jérusalem : « Et comme il approchait, voyant la ville, il pleura sur elle, » etc. — S. Cyr. Jésus-Christ, qui veut sincèrement le salut de tous les hommes, était ému de compassion, mais comment aurions-nous pu en être certains, si le Sauveur ne nous en avait donné une preuve sensible ? Les larmes, en effet, sont le signe de la tristesse.

S. Grég. (hom. 39 sur les Evang.) Notre miséricordieux Rédempteur pleure donc la ruine de cette ville infidèle qui ne savait pas que cette ruine était si proche : « Si tu connaissais, toi aussi, a dit-il ; sous entendez : Tu verserais des larmes, toi qui te livres aux transports de la joie dans l’ignorance où tu es de ta triste destinée. Il ajoute : « Du moins en ce jour qui t’est encore donné, » etc. Comme elle s’abandonnait aux plaisirs sensibles, elle avait ce qui pouvait lui apporter la paix. Notre-Seigneur donne ensuite la raison pour laquelle elle mettait sa paix dans les biens sensibles : « Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. » En effet, si les malheurs qui la menacent, n’étaient pas cachés aux yeux de son coeur, elle ne placerait pas sa joie dans les prospérités de la vie présente. Aussi lui prédit-il aussitôt le châtiment dont elle était menacée : « Viendront des jours sur toi. »

S. Cyr. « Si tu connaissais, toi aussi. » Ils n’étaient pas dignes, en effet, de comprendre les Écritures divinement inspirées, qui annoncent les mystères de Jésus-Christ. Car toutes les fois qu’ils lisent les livres de Moïse, le voile qui est sur leur coeur ne leur permet pas de voir l’accomplissement de la loi en Jésus-Christ qui, étant la vérité, dissipe toutes les ombres ; et pour n’avoir pas voulu voir la vérité, ils se sont rendus indignes du salut que Jésus-Christ leur apportait : « Du moins en ce jour, ce qui importe à ta paix. » — Eusèbe. Il nous apprend ainsi que son avènement a eu pour objet la paix du monde entier ; il est venu, en effet, pour annoncer la paix à ceux qui étaient près, comme à ceux qui étaient loin (Ep 2, 17), mais cette paix est restée cachée pour eux, parce qu’ils n’ont pas voulu la recevoir, lorsqu’elle était annoncée « Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. » Il lui prédit donc dans les termes les plus clairs le siège qui la menace : « Viendront des jours sur toi, » etc. — S. Grég. (comme précéd.) Il veut parler des généraux qui commandaient les armées romaines, car il décrit ici la ruine de Jérusalem qui eut lieu sous Vespasien et sous Tite : « ils t’environneront, » etc.

Eusèbe. Nous pouvons vérifier l’accomplissement de ces paroles dans le récit de Josèphe, qui, tout juif qu’il était, a raconté ces événements d’une manière conforme à ce qui avait été prédit par Jésus-Christ. — S. Grég. La translation même de cette ville vient rendre témoignage à ces paroles du Sauveur : « Et ils ne laisseront pas sur toi pierre sur pierre ; » car elle est rebâtie aujourd’hui hors de la porte où Notre-Seigneur a été crucifié, tandis que l’ancienne Jérusalem est totalement détruite. Quelle a été la cause de cette entière destruction ? Parce que tu n’as pas connu le temps où tu as été visitée. » — Théophyl. C’est-à-dire le temps de mon avènement ; car je suis venu pour te visiter et te sauver ; si tu m’avais connu, et si tu avais voulu croire en moi, tu serais restée en paix avec les Romains, préservée de tout danger, comme l’ont été tous ceux qui ont embrassé la foi en Jésus-Christ.

Orig. (hom. 36 sur S. Luc.) J’admets que cette Jérusalem a été détruite en punition des crimes de ses habitants ; mais je me demande si ces larmes du Sauveur n’ont pas été versées sur une autre Jérusalem qui est la vôtre. Si après avoir connu les mystères de la vérité, un chrétien retombe dans le péché, Jésus pleure sur lui, il ne pleure point sur les Gentils, mais sur celui qui appartenait à Jérusalem, et qui a cessé d’en faire partie. — S. Grég. (comme précéd.) Notre Rédempteur ne cesse de pleurer dans la personne de ses élus, lorsqu’il en voit un certain nombre faire succéder à une vie sainte, une conduite criminelle. S’ils pouvaient connaître le jugement de condamnation qui les menace, ils mêleraient leurs larmes à celles des élus. L’âme coupable a ici-bas son jour, parce qu’elle met sa joie dans des jouissances passagères ; elle a ce qui importe à sa paix, puisqu’elle met son bonheur dans les biens de la terre, et elle ne veut pas prévoir l’avenir dont la vue pourrait troubler sa joie présente : « Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. »

Orig. (hom. 36 sur S. Luc.) Le Sauveur pleure sur notre Jérusalem, c’est-à-dire sur notre âme, de ce qu’en punition des péchés qu’elle a commis, ses ennemis (c’est-à-dire les esprits mauvais), l’environnent et l’entourent de tranchées pour en faire le siège, et ne pas laisser dans son enceinte pierre sur pierre. Tel est surtout le sort de celui qui, après une longue pratique de la continence, après plusieurs années de chasteté, succombe à la tentation, et séduit par les attraits des plaisirs de la chair, perd le sentiment de la pudeur. S’il devient impudique, les démons ne laisseront pas en lui pierre sur pierre, selon cet oracle d’Ézéchiel (18) : « Je ne me souviendrai plus de ses premières justices.

S. Grég. (comme précéd.) Ou encore, les esprits mauvais assiègent l’âme lorsqu’elle est sur le point de sortir du corps. Comme ils l’ont toujours vue dominée par l’amour de la chair, ils la séduisent par l’attrait des plaisirs trompeurs. Ils l’environnent de tranchées, en ramenant devant ses yeux toutes les iniquités qu’elle a commises, et en la resserrant par la triste perspective des compagnons de sa damnation ; et ainsi, cette pauvre âme, saisie de toutes parts au dernier moment de sa vie, voit quels ennemis l’environnent, sans qu’elle trouve aucune issue pour leur échapper, parce qu’elle ne peut plus faire le bien qu’elle a négligé de pratiquer, lorsqu’elle le pouvait. Ils la serrent de toutes parts, en lui représentant tous ses péchés, non seulement d’actions, mais de paroles et de pensées ; et parce qu’elle s’est donnée autrefois toute latitude pour le crime, elle se voit resserrée dans cette extrémité, par les angoisses du châtiment qu’elle a mérité. Cette âme, alors en punition de ses crimes, est renversée par terre, lorsque ce corps, qu’elle croyait être toute sa vie, est forcé de retourner dans la poussière. Ses enfants tombent sous les coups de la mort, alors que les pensées coupables, qui prenaient naissance au milieu d’elles, se dissipent dans ce dernier jour de la vengeance. Ces pensées peuvent aussi être représentées par les pierres. En effet, lorsque l’âme coupable ajoute à une pensée mauvaise une pensée plus criminelle encore, elle met pour ainsi dire pierre sur pierre ; mais lorsqu’arrive le jour de la vengeance et du châtiment, tout cet édifice de pensées mauvaises s’écroule. Or, Dieu visite l’âme continuellement en lui rappelant ses préceptes, quelquefois par des châtiments, quelquefois par des miracles, pour lui faire entendre la vérité qu’elle ne connaissait pas, lui faire mépriser ce qu’elle aimait, afin que, ramenée à lui par la douleur du repentir ou vaincue par ses bienfaits, elle rougisse du mal qu’elle a fait. Mais comme elle n’a point voulu connaître le jour où Dieu l’a visitée, elle est livrée à ses ennemis, avec lesquels la sentence du jugement dernier doit l’unir par les tristes liens d’une éternelle damnation.

 

Vv. 45-48.

S. Grég. (hom. 39 sur les Evang.) Après avoir prédit les malheurs qui devaient fondre sur Jérusalem, Jésus entre aussitôt dans le temple, pour en chasser les vendeurs et les acheteurs, montrant ainsi que la ruine du peuple a pour cause la conduite coupable des prêtres : « Et étant entré dans le temple, il commença à chasser ceux qui y vendaient et y achetaient. » — S. Ambr. Dieu ne veut pas que son temple soit un rendez-vous de marchands, mais la maison de la sainteté, et son dessein, en instituant le ministère sacerdotal, n’a pas été que ses fonctions augustes devinssent l’objet d’un trafic sacrilège, mais qu’elles fussent remplies avec un désintéressement parfait.

S. Cyr. Il y avait, en effet, dans le temple, une multitude de marchands qui vendaient les animaux destinés à être immolés conformément aux prescriptions de la loi. Mais le temps était venu où les ombres allaient faire place au brillant éclat de la vérité en Jésus-Christ. C’est pourquoi Notre-Seigneur, qui était adoré dans le temple avec son Père, commence à réformer les rites défectueux de la loi, et rappelle que le temple est une maison de prières : « Il est écrit : Ma maison est une maison de prières, et vous en faites une caverne de voleurs. » — S. Grég. C’est, qu’en effet, ceux qui demeuraient dans le temple pour recevoir les offrandes, commettaient souvent des exactions à l’égard de ceux qui refusaient de donner.

Théophyl. Notre-Seigneur avait déjà vengé de la sorte la sainteté du temple au commencement de sa prédication, comme nous le voyons dans saint Jean, il le fait encore aujourd’hui, et fait ainsi ressortir en même temps la conduite sacrilège des Juifs, que le premier avertissement n’avait pu corriger.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 48.) Dans le sens figuré, le temple, c’est l’humanité de Jésus-Christ, ou le corps qu’il s’est uni, qui est l’Église. C’est comme chef de l’Église qu’il disait : « Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours ; » et c’est en tant qu’il est uni à l’Église, qu’il dit en cet endroit : « Emportez tout cela d’ici, » etc. Il a voulu nous signifier par là qu’il s’en trouverait qui chercheraient leurs intérêts dans l’Église, ou qui s’en feraient un asile pour cacher leurs crimes au lieu de pratiquer la charité de Jésus-Christ, et de réformer leur vie après avoir obtenu le pardon de leurs fautes par une confession sincère.

S. Grég. (hom. 39.) Notre divin Rédempteur ne veut pas priver de ses divins enseignements les indignes mêmes et les ingrats, et après cet acte de vigueur pour venger la sainteté du temple, en chassant ceux qui l’outrageaient, il répand sur eux les dons de sa grâce : « Et il enseignait tous les jours dans le temple. » — S. Cyr. La doctrine de Jésus-Christ, aussi bien que ses oeuvres, auraient dû les convaincre qu’ils devaient l’adorer comme leur Dieu, mais loin de là, ils cherchaient à le mettre à mort : « Cependant les princes des prêtres, les scribes et les principaux du peuple cherchaient à le perdre. » — Bède. Ou parce qu’il enseignait tous les jours dans le temple, ou parce qu’il en avait chassé les voleurs, ou enfin, parce qu’en y entrant comme roi et Seigneur, il avait été reçu par la foule de ceux qui croyaient en lui au milieu des louanges et des chants des hymnes célestes. — S. Cyr. Mais le peuple avait conçu de Jésus-Christ une idée meilleure et plus juste que les scribes, les pharisiens et les princes des Juifs, qui, refusant de croire en lui, blâmaient ceux qui proclamaient ses louanges : « Mais ils ne trouvaient aucun moyen de rien faire contre lui, car tout le peuple était ravi en l’écoutant. » — Bède. Ces paroles peuvent s’entendre de deux manières ; soit que dans la crainte de soulever le peuple, ils ne sussent que faire de Jésus, qu’ils avaient résolu de mettre à mort, soit qu’ils cherchassent à le perdre, parce qu’ils en voyaient un grand nombre abandonner leur enseignement pour se presser en foule autour du Sauveur.

S. Grég. (hom. 39.) Dans un sens figuré, de même que le temple est au milieu de la ville, ainsi ceux qui sont consacrés à Dieu, se trouvent au milieu du peuple fidèle. Or, il arrive souvent que quelques-uns de ceux qui prennent l’habit religieux et qui remplissent les fonctions des saints ordres, font de cet auguste ministère l’objet d’un commerce terrestre. Les vendeurs dans les temples sont ceux qui ne veulent donner qu’à prix d’argent ce qui appartient de droit aux fidèles, car c’est vendre la justice de ne vouloir en faire part que moyennant une somme d’argent. Ceux à leur tour qui achètent dans le temple, sont ceux qui ne veulent pas rendre au prochain ce qui lui est dû, et qui en refusant de faire ce qui est juste, achètent à prix d’argent les coupables faveurs de leurs supérieurs.

Orig. (Hom. 37 sur S. Luc.) Celui qui vend sera donc chassé du temple et surtout s’il vend les colombes. En effet, si je vends au peuple à prix d’argent les vérités qui m’ont été révélées et confiées par l’Esprit saint, ou que je refuse de les enseigner gratuitement, que fais-je autre chose que de vendre une colombe, c’est-à-dire l’Esprit saint ? — S. Ambr. Le Seigneur nous apprend donc en général que toute transaction commerciale doit être bannie du temple. Dans un sens spirituel, il chasse les changeurs qui cherchent à trafiquer avec l’argent du Seigneur, c’est-à-dire avec les divines Écritures, et qui ne mettent plus de distinction entre le bien et le mal. — S. Grég. (hom. 39 sur S. Luc.) Ils font de la maison de Dieu une caverne de voleurs, car lorsque des hommes pervers remplissent les fonctions du ministère sacerdotal, ils mettent à mort avec le glaive de leur malice ceux qu’ils auraient dû vivifier par leurs prières médiatrices. Le temple, c’est encore l’âme des fidèles, si elle se laisse aller à des pensées préjudiciables aux intérêts du prochain, elle devient comme une caverne de voleurs. Au contraire, la vérité enseigne tous les jours dans le temple, lorsqu’elle instruit soigneusement l’âme des fidèles des moyens à prendre pour éviter le mal.

 

 

 

 CHAPITRE XX

Vv. 1-8.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 2, 69.) Saint Luc ayant raconté comment Jésus avait chassé du temple les vendeurs et les acheteurs, passe sous silence qu’il retournait chaque jour à Béthanie, et revenait le lendemain à Jérusalem, ne dit rien du figuier qu’il dessécha, ni de la réponse qu’il fit à ses disciples étonnés sur la vertu de la foi (Mt 21, 21 ; Mc 11, 28), et au lieu de suivre par ordre les événements de chaque jour, il continue ainsi son récit : « Un de ces jours-là, » etc., paroles qui doivent s’entendre du jour où saint Matthieu et saint Marc placent les mêmes faits. — Eusèbe. Tandis que les principaux d’entre les Juifs auraient dû être dans l’admiration devant la doctrine tonte céleste du Sauveur, et reconnaître à ses paroles comme à ses actions qu’il, était le Christ prédit par les prophètes, ils ne cherchent qu’à soulever le peuple contre lui et à entraver son enseignement : « Et ils lui parlèrent de la sorte : Dites-nous par quelle autorité vous faites ces choses, » etc. — S. Cyr. C’est-à-dire, d’après la loi de Moïse, il n’y a que ceux qui sont de la tribu de Lévi, qui aient reçu le droit d’enseigner et le pouvoir de remplir les fonctions sacrées dans le temple ; or, comme vous êtes de la tribu de Juda, vous usurpez évidemment les fonctions qui nous ont été confiées. Mais, ô pharisien ! si vous connaissiez les Écritures, vous vous rappelleriez qu’il est le prêtre selon l’ordre de Melchisédech, qui doit offrir à Dieu ceux qui croient en lui par le moyen d’un culte bien supérieur à la loi. Pourquoi donc vous tourmenter de ce qu’il a chassé et banni des parvis sacrés des coutumes qui n’avaient leur raison d’être que dans les sacrifices prescrits par la loi, puisqu’il vient appeler les hommes à la véritable justification par la foi.

Bède. Ou encore : Quand ils font au Sauveur cette question : Par quelle autorité faites-vous ces choses ? ils doutent que ce soit par la puissance de Dieu, et veulent faire entendre que ses oeuvres sont les oeuvres du démon. D’ailleurs, en ajoutant : Qui vous a donné cette puissance, ils nient ouvertement qu’il soit le Fils de Dieu, puisqu’ils attribuent les miracles qu’il opère à une puissance autre que la sienne. Notre-Seigneur pouvait confondre cette atroce calomnie par une réponse péremptoire, mais il préfère leur adresser une question pleine de sagesse pour les confondre et les condamner par leur silence ou par leur propre réponse : « Jésus leur répondit : Moi aussi, je vous ferai une question, » etc. — Théophyl. Il veut leur prouver qu’ils ont toujours résisté à l’Esprit saint, et qu’ils ont refusé de croire non seulement à Isaïe dont ils ne se souvenaient plus, mais à Jean-Baptiste qui avait paru récemment au milieu d’eux, Il leur adresse donc à son tour une question pour leur faire entendre que s’ils n’ont point voulu croire au témoignage que lui rendait Jean-Baptiste, un si grand prophète, et qui jouissait parmi eux d’une si grande considération, ils ne le croiraient pas davantage lui-même lorsqu’il leur dirait par quelle puissance il fait ces choses.

Eusèbe. Le Sauveur demande non pas quelle était l’origine de Jean-Baptiste, mais d’où venait son baptême ? — S. Cyr. Et ils ne rougirent pas de reculer devant la vérité, car n’est-ce pas Dieu qui avait envoyé Jean comme une voix qui criait : « Préparez la voie du Seigneur (Is 40, 3 ; Mt 3, 3 ; Mc 1, 3 ; Lc, 3, 4). » Or, ils craignirent de dire la vérité de peur de s’attirer cette réponse : Pourquoi donc n’y avez-vous pas cru ? Et ils n’osent d’ailleurs blâmer le saint précurseur, non par un sentiment de crainte de Dieu, mais par crainte du peuple : « Et ils faisaient en eux-mêmes cette réflexion : Si nous répondons : Du ciel, il dira : Pourquoi donc n’y avez-vous pas cru ? » — Bède. C’est-à-dire : Celui qui de votre aveu a reçu du ciel le don de prophétie, m’a rendu témoignage, et vous avez appris de lui par quelle puissance je fais ces choses : « Et si nous répondons : Des hommes, tout le peuple nous lapidera, car il est persuadé que Jean était un prophète. » Ils comprirent donc que quelle que fût leur réponse, ils tomberaient dans un piége ; car ils craignaient d’être lapidés ; mais plus encore peut-être de confesser la vérité : « Ils lui répondirent donc qu’ils ne savaient d’où il était. » Ils n’ont pas voulu avouer ce qu’il savaient ; par un juste retour Notre-Seigneur ne veut pas leur dire non plus ce qu’il sait : « Et moi, leur dit Jésus, je ne vous dirai pas non plus par quelle autorité je fais ces choses. » Il y a deux raisons en effet qui autorisent à cacher la connaissance de la vérité : lorsque celui qui demande à la connaître n’a pas assez d’intelligence pour comprendre ce qu’il demande, ou qu’il est indigne de la connaître par la haine ou le mépris qu’il affecte pour la vérité.

 

Vv. 9-18.

EusÈBE. Les princes des Juifs s’étant trouvés réunis dans le temple, Jésus leur prédit sous le voile de cette parabole les excès auxquels ils allaient se porter contre lui, et la destruction de leur nation qui devait en être le châtiment : « Alors il commença à dire au peuple cette parabole : Un homme planta une vigne, » etc. — S. Aug, (acc. des Evang., 2, 70.) Saint Matthieu, pour abréger, passe sous silence cette circonstance rapportée par saint Luc : que le Sauveur raconta cette parabole, non seulement aux principaux d’entre les Juifs qui l’avaient interrogé sur sa puissance, mais encore à tout le peuple. — S. Ambr. La plupart des interprètes diffèrent sur la signification de la vigne dont parle ici Notre-Seigneur, mais il faut s’en tenir à l’explication d’Isaïe, qui dit clairement que la vigne du Dieu des armées, c’est la maison d’Israël. (Is 5.) Quel autre que Dieu a planté cette vigne ? — Bède. Cet homme qui a planté cette vigne est le même qui, dans une autre parabole, loue des ouvriers pour travailler à sa vigne. — Eusèbe. Mais dans la parabole d’Isaïe c’est à la vigne que le Seigneur adresse ses reproches ; ici au contraire, ce n’est pas à la vigne, mais aux vignerons : « Il la loua à des vignerons, c’est-à-dire, aux anciens du peuple, aux princes des prêtres et aux grands de la nation. — Théophyl. Ou bien encore : tout homme est à la fois la vigne et je vigneron, car chacun de nous se cultive lui-même. Or, après avoir ainsi confié sa vigne aux vignerons, il s’en alla, c’est-à-dire qu’il les laissa faire à leur gré : « Puis il s’en alla pour longtemps en voyage. » — S. Ambr. Ce n’est pas que le Seigneur se transporte d’un lieu dans un autre, lui qui est toujours présent partout, mais parce qu’il fait sentir plus particulièrement sa présence à ceux qui l’aiment, et son absence à ceux qui l’oublient. Il fut longtemps absent, pour que la demande de ce qui lui était dû ne parût point prématurée ; car plus la générosité à fait preuve d’indulgence, plus la résistance est inexcusable.

S. Cyr. Ou encore : Dieu fut absent de sa vigne pendant une longue suite d’années, parce qu’en effet depuis qu’il apparut au milieu du feu sur le mont Sinaï (Ex 19), il ne manifesta plus sa présence d’une manière sensible. Cependant il ne cessa d’envoyer sans interruption à son peuple des prophètes et des justes pour lui rappeler ses devoirs : « Le temps de la vendange étant venu, il envoya un de ses serviteurs aux vignerons, afin qu’ils lui donnassent du fruit de la vigne. » — Théophyl. Il dit : « Du fruit de la vigne, » parce qu’il ne réclamait pas la totalité, mais seulement une partie des fruits ; car qu’est-ce que Dieu peut gagner de nous, si ce n’est la connaissance que nous avons de lui et qui encore tourne à notre avantage ? — Bède. C’est à dessein qu’il parle du fruit et non du revenu de la vigne, car elle ne produisit jamais aucun revenu. Or, le premier serviteur que Dieu envoya, fut Moïse, qui pendant quarante ans (Ps 94, 19) demanda aux vignerons quelque fruit de la loi qu’il leur avait donnée ; mais au contraire : « Il fut affligé à cause d’eux, car ils aigrirent son esprit » (Ps 105, 32) : « Mais eux l’ayant battu, dit Notre-Seigneur, le renvoyèrent les mains vides. »

S. Ambr. Il leur envoya encore plusieurs autres serviteurs que les Juifs renvoyèrent avec toute sorte d’outrages, et sans en avoir tiré aucun profit : « Il envoya encore un autre serviteur, » etc. — Bède. Cet autre serviteur, c’est David qui fut envoyé de Dieu après la promulgation de toutes les observances de la loi, pour exciter par les chants harmonieux des psaumes ; les ouvriers de la vigne à la pratique des bonnes oeuvres. Mais au lieu de l’écouter, ils dirent : « Quelle part avons-nous avec David, et qu’attendons-nous du fils d’Isaïe ? » (2 R 20, 1 ; 3 R 12, 16) : « Et ayant aussi battu et chargé d’outrages ce second serviteur, ils le renvoyèrent les mains vides. » Cependant le maître ne s’en tint pas là : « Il en envoya un troisième, » c’est-à-dire le choeur des prophètes, qui ne cessèrent de faire entendre au peuple leurs enseignements et leurs réclamations. Mais quel est celui des prophètes que ce peuple n’ait persécuté ? « Ils le blessèrent, et le jetèrent dehors. » Notre-Seigneur, dans ces trois serviteurs différents, a voulu comprendre les docteurs de la loi mosaïque ; interprétation qu’il autorise lui-même lorsqu’il dit dans un autre endroit : « il est nécessaire que tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes s’accomplisse. » (Lc 24, 44.)

Théophyl. Après que les prophètes eurent souffert tous ces outrages, Dieu résolut d’envoyer son Fils. Alors le maître de la vigne dit : « Que ferai-je ? » — Bède. Si le Seigneur s’exprime ici en termes dubitatifs, ce n’est point par ignorance de ce qu’il doit faire, (car qu’est-ce que Dieu peut ignorer ?) mais il emploie cette forme dubitative pour laisser à l’homme le libre usage de sa volonté. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Le maître de la vigne parait délibérer en lui-même sur ce qu’il doit faire, non pas qu’il manque de serviteurs, mais parce qu’après avoir tenté tous les moyens de sauver les hommes, sans qu’ils en aient jamais profité, il a eu recours à un moyen qui surpasse tous les autres : « J’enverrai mon fils bien aimé, peut-être qu’en le voyant ils le respecteront. » — Théophyl. S’il parle de la sorte, ce n’est pas qu’il ignorât qu’ils le traiteraient plus cruellement encore qu’ils n’avaient traité les prophètes, mais parce que le fils avait plus de droits à leurs respects que les serviteurs, et qu’ils mettraient le comble à leurs crimes en refusant de lui obéir et en le mettant à mort. S’il emploie encore ici la forme dubitative, c’est donc pour qu’on ne pût dire que la prescience divine avait été la cause de leur désobéissance.

S. Ambr. Les Juifs perfides voulant se défaire du Fils unique que Dieu leur envoyait, et qu’ils refusaient de reconnaître pour héritier, le chassèrent en le reniant, et le mirent à mort en l’attachant à une croix : « Les vignerons l’ayant vu, dirent en eux-mêmes : Voici l’héritier, tuons-le, afin que l’héritage soit pour nous. » Jésus-Christ est tout à la fois l’héritier et le testateur ; l’héritier, parce qu’il a survécu à sa propre mort, et que nos progrès dans le bien sont comme les biens héréditaires qu’il reçoit en vertu des testaments qu’il a faits en notre faveur. — Bède. Notre-Seigneur prouve ici de la manière la plus évidente que ce n’est point par ignorance, mais par envie que les princes des Juifs ont crucifié le Fils de Dieu. Car ils comprirent que c’était à lui que s’appliquaient ces paroles du Roi-prophète : « Je vous donnerai les nations pour héritage, » (Ps 2.) « Et l’ayant jeté hors de la vigne, ils le tuèrent. » En effet, « Jésus, afin de sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors la porte de la ville. » (He 13.) — Théophyl. Comme nous avons expliqué plus haut la vigne du peuple juif plutôt que de la ville de Jérusalem, peut-être serait-il plus naturel de dire ici que le peuple a mis à mort le Fils hors de la vigne, dans ce sens que le Fils de Dieu n’a point souffert par ses mains, parce qu’en effet, il ne le fit pas mourir de ses propres mains, mais le livra à Pilate et aux mains des Gentils. Il en est qui par la vigne entendent la sainte Écriture, ce fut pour avoir, refusé d’y croire qu’ils mirent le Seigneur à mort, et c’est pour cela qu’il est dit qu’ils le firent mourir hors de la vigne, c’est-à-dire hors de l’Écriture. — Bède. Ou bien encore : il a été jeté hors de la vigne avant d’être mis à mort, parce qu’il a été repoussé du coeur des infidèles avant d’être attaché à la croix.

S. Chrys. C’est par un dessein de miséricorde et non par oubli ou indifférence que Dieu a envoyé Jésus-Christ après les prophètes. En effet, Dieu ne précipite pas l’exécution de ses oeuvres, mais son amour use à notre égard d’une grande condescendance ; n’est-il pas vrai que si les Juifs ont maltraité le fils qui venait après les serviteurs, à plus forte raison ne l’auraient-ils pas écouté tout d’abord ? Comment auraient-ils pu entendre des enseignements plus élevés, eux qui ne voulaient même pas entendre les plus simples ?

S. Ambr. Le Sauveur leur adresse ensuite une question pour qu’ils prononcent eux-mêmes leur condamnation : « Que leur fera donc le maître de la vigne ? » — S. Bas. (sur le chap. 6 d’Isaïe.) Il leur parle de la sorte comme à des criminels qui n’ont rien à opposer à la justice de leur condamnation. Or, c’est le propre de la miséricorde divine de ne jamais punir sans avertir, sans prédire les châtiments dont les coupables sont menacés pour exciter en eux un repentir salutaire : « Il viendra et exterminera ces vignerons et donnera sa vigne à d’autres. » — S. Ambr. Il annonce que le maître de la vigne viendra, parce que le Fils a la même majesté et la même puissance que le Père, ou parce que dans les derniers temps il fera sentir plus sensiblement sa présence pour répondre aux désirs des hommes.

S. Cyr. Les principaux d’entre les Juifs ont donc été rejetés comme rebelles à la volonté du Seigneur, et pour avoir laissé stérile la vigne qui leur avait été confiée. La culture de cette vigne a été donnée aux prêtres du Nouveau-Testament. Or, dès qu’ils comprirent l’application de cette parabole, ils voulurent s’y soustraire : « Ce qu’ayant entendu, ils lui dirent : A Dieu rie plaise. » Et cependant ils n’en devinrent pas meilleurs, par suite de leur opiniâtreté et de leur résistance à la foi en Jésus-Christ.

Théophyl. Le récit de saint Matthieu paraît tant soi peu différent, puisqu’à cette question du Seigneur : « Que fera donc aux vignerons le maître de la vigne ? » les Juifs répondent : « Il fera périr misérablement ces misérables. » (Mt 21.) Cependant il n’y a ici aucune contradiction, et les deux récits sont également vrais. En effet, les Juifs ont d’abord rendu cette sentence ; puis, quand ils comprirent le but de cette parabole, ils se récrièrent et dirent : « A Dieu ne plaise, » comme saint Luc le raconte ici. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 4, 70.) Ou bien encore, dans la multitude qui entourait le Sauveur, il en était qui lui avaient demandé astucieusement par quelle puissance il faisait ces choses ; il en était aussi qui, sans aucun artifice et de bonne foi, l’avaient acclamé en disant : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » Et ce sont ces derniers qui ont pu dire : « Il fera périr misérablement ces misérables, et donnera sa vigne à d’autres. » On peut aussi attribuer cette parole au Seigneur, soit qu’il l’ait dite véritablement, soit à cause de l’union de ses membres avec leur chef. D’autres aussi ont pu répondre à ceux qui prononçaient cette sentence : « A Dieu ne plaise, » parce qu’ils comprenaient que cette parabole était dirigée contre eux.

« Mais Jésus les regardant, dit : Qu’est-ce donc que cette parole de l’Écriture : « La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue le sommet de l’angle ? » — Bède. C’est-à-dire, comment s’accomplira cette prophétie, si ce n’est lorsque le Christ que vous avez rejeté et mis à mort, sera prêché aux Gentils, qui croiront en lui, et que, comme une pierre angulaire, il se bâtira un seul temple avec les deux peuples. — Eusèbe. Le Christ est comparé ici à une pierre à cause de son corps d’une nature terrestre ; cette pierre a été détachée de la montagne sans la main d’aucun homme, selon la vision de Daniel (Dn 2, 34), parce qu’il est né d’une vierge : cette pierre n’est ni d’argent ni d’or, parce qu’il n’a point paru comme un roi resplendissant de gloire, mais comme un homme humble et méprisé ; aussi ceux qui bâtissaient l’ont rejeté. — Théophyl. Les princes du peuple l’ont rejeté, lorsqu’ils ont dit « Cet homme ne vient pas de Dieu. » (Jn 7, 16.) Et cependant cette pierre était si utile et d’un si grand choix, qu’elle est devenue le sommet de l’angle. — S. Cyr. L’angle, dans le langage de la sainte Écriture, représente l’union des deux peuples Juif et Gentil dans une même foi (Ep 2; 1 P 2), car de ces deux peuples le Sauveur n’a formé lui-même qu’un seul homme nouveau, et les réunissant tous deux en un seul corps, les a réconciliés à Dieu. Il est donc une pierre de salut pour l’angle qu’il a construit, mais il devient une cause de ruine pour les Juifs qui s’opposent à cette union spirituelle des deux peuples.

Théophyl. Notre-Seigneur distingue ici deux condamnations ou deux ruines des Juifs : la ruine de leurs âmes, lorsque Jésus-Christ leur a été un objet de scandale, et il y fait allusion par ces paroles : « Quiconque tombera sur cette pierre sera brisé ; » la ruine de leur nation et sa dispersion dans tout l’univers, qui eurent pour cause cette pierre qu’ils avaient rejetée, comme l’indique le Sauveur : « Et celui sur qui elle tombera elle l’écrasera » (ou le réduira en poussière). En effet, les Juifs ont été dispersés loin de la Judée, dans tout l’univers, comme la paille qui est emportée par le vent. Et remarquez l’ordre des événements, d’abord le crime énorme qu’ils ont commis contre Jésus-Christ, et puis à la suite la juste vengeance de Dieu. — Bède. Ou encore, celui qui pèche, mais qui néanmoins continue de croire en Jésus-Christ, tombe sur la pierre et s’y brise, mais la pénitence lui ouvre encore une voie de salut ; celui au contraire sur qui tombera cette pierre (parce qu’il l’a rejetée), elle l’écrasera comme un vase dont il ne restera pas même un fragment pour aller puiser un peu d’eau. Ou bien encore, ceux qui tombent sur lui sont ceux qui le méprisent et qui ne périssent pas encore entièrement, mais qui sont brisés, en sorte qu’ils ne peuvent plus marcher droit. Mais pour ceux sur lesquels il tombe, il descendra du ciel pour leur infliger le juste châtiment de leurs crimes, et ils seront écrasés comme la poussière que, le vent disperse de dessus la face de la terre. (Ps 1.)

 

S. Ambr. Cette vigne est encore notre image, Dieu le Père est le laboureur, Jésus-Christ est la vigne, nous sommes les branches. (Jn 15.) C’est à juste titre que le peuple chrétien est appelé la vigne du Christ, ou parce qu’il porte sur le front le signe de la Croix, soit parce que son fruit n’est cueilli que dans la dernière saison de l’année, soit parce que dans l’Église, les pauvres et les riches, les serviteurs et les maîtres sont placés indistinctement comme les ceps de la vigne. De même que la vigne se marie aux arbres autour desquels elle s’enlace, ainsi le corps est étroitement uni à l’âme. Le vigneron diligent prend soin de cultiver et de tailler cette vigne, pour retrancher la trop grande abondance de feuilles et cette stérile ostentation de paroles qui paralyse la force naturelle de la vigne et empêche son fruit de parvenir à sa maturité. Enfin la vendange de cette vigne se fait par tout l’univers, puisqu’elle est répandue jusqu’aux extrémités du monde. — Bède. (sur S. Marc.) Ou encore, dans le sens moral, Dieu donne à chaque fidèle la vigne à cultiver, lorsqu’il lui confie le soin de faire fructifier le baptême qu’il a reçu. Il lui envoie cm premier, un second, un troisième serviteur, lorsqu’il lui fait lire la loi, les psaumes et les prophètes. Le serviteur qu’il envoie est couvert d’outrages et déchiré de coups, lorsqu’on méprise ou qu’on blasphème la parole qu’on entend ; et on met à mort l’héritier (autant qu’on peut le faire), lorsqu’on foule aux pieds le Fils de Dieu par ses péchés. (He 6.) Le mauvais vigneron ayant reçu le châtiment qu’il mérite, la vigne est confiée à un autre, lorsque l’humble fidèle s’enrichit du don de la grâce que le superbe a méprisé.

 

Vv. 19-26.

S. Cyr. Les princes des prêtres, comprenant que cette parabole s’appliquait à eux, et instruits de ce qui devait leur arriver, auraient dû renoncer à leurs mauvais desseins ; mais loin de là, ils cherchent l’occasion de les mettre à exécution : « Les princes des prêtres cherchaient à se saisir de lui, » etc. Ils ne sont point retenus par ce commandement de la loi : « Tu ne feras périr ni l’innocent ni le juste. » (Ex 23.) Et s’ils ajournent l’accomplissement de leurs criminels desseins, c’est par crainte du peuple : « Mais ils craignaient le peuple. » Ils mettent la crainte des hommes au-dessus de la crainte de Dieu. Or, quel motif leur fit concevoir ce coupable projet ? le voici : « Car ils comprirent que cette parabole s’appliquait à eux. » — Bède. (sur S. Marc.) En cherchant à faire mourir le Sauveur, ils confirmaient la vérité de ce qu’il avait dit dans cette parabole, car il était l’héritier dont la mort injuste devait être vengée par le châtiment des meurtriers, et ils étaient eux-mêmes ces méchants vignerons, qui cherchaient à faire mourir le Fils de Dieu. La même chose se renouvelle encore tous les jours dans l’Église, lorsqu’un chrétien qui ne l’est que de nom, n’a aucune affection pour l’unité de la foi et de la paix dans l’Église, quoiqu’il rougisse ou qu’il craigne de la combattre, à cause de la multitude des fidèles dont il est environné. Les princes des prêtres voulaient se saisir de la personne de Jésus et ne pouvant le faire par eux-mêmes, ils cherchaient à le livrer aux mains du gouverneur : « C’est pourquoi l’épiant, ils lui envoyèrent des gens apostés, » etc. — S. Cyr. Ils paraissaient agir avec légèreté, mais au fond ils agissaient avec une malice réfléchie, ils oubliaient que Dieu a dit : « Qui est celui-là qui prétend dérober à Dieu le secret de ses desseins ? » (Jb 42.) Ils viennent trouver le Sauveur comme un homme ordinaire : « Pour le surprendre dans ses paroles. »

Théophyl. Ils voulurent tendre un piége au Seigneur, et ils y tombèrent eux-mêmes les premiers. Écoutez, en effet, leur question astucieuse : « Et ils vinrent donc ainsi l’interroger : Maître, nous savons que vous parlez et que vous enseignez avec droiture. » — Bède (de S. Jér. sur S. Matth.) Par cette flatterie mensongère et cette question insidieuse, ils veulent le forcer à déclarer qu’il craint plus Dieu que César : « Et vous ne faites acception de personne, mais vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité. » En parlant ainsi, ils veulent l’amener à dire qu’on ne doit pas payer le tribut, afin que les satellites du gouverneur, qui étaient présents, selon les autres Évangélistes, se saisissent de lui, comme cherchant à soulever le peuple contre les Romains. C’est pour cela qu’ils lui font cette question : « Nous est-il permis de payer le tribut à César, ou non ? » Il y avait, en effet, une grande division d’opinions parmi le peuple, les uns soutenaient qu’à raison de la paix et de la sécurité, dont toute la nation jouissait sous les Romains, on devait leur payer le tribut ; les pharisiens, au contraire, prétendaient que le peuple de Dieu, qui donnait déjà la dîme et les prémices, ne devait pas être soumis à des lois qui venaient des hommes. — Théophyl. Ils épiaient donc la réponse qu’il allait faire : s’il faisait une obligation de payer le tribut à César, le peuple l’accuserait de vouloir réduire la nation en servitude ; s’il défendait, au contraire, de le payer, on le dénoncerait au gouverneur comme rebelle. Mais Jésus échappe au piége qu’ils lui tendent : « Considérant leur démarche astucieuse, il leur dit : Pourquoi me tentez-vous ? Montrez-moi un denier, quelle image et quel nom porte-t-il ? » — S. Ambr. Notre-Seigneur nous apprend ici avec quelle circonspection nous devons répondre aux hérétiques ou aux Juifs, comme il nous l’a recommandé ailleurs : « Soyez prudents comme des serpents. » (Mt 10.)

Bède. Ceux qui pensent que le Seigneur interrogeait par ignorance, doivent reconnaître ici que Jésus pouvait parfaitement savoir de qui cette monnaie portait l’image, cependant il interroge les Juifs pour leur répondre d’après leurs propres paroles : « Ils lui répondirent : De César. » Ce César n’est pas César Auguste, mais Tibère ; car tous les empereurs romains, depuis le premier, Caius César, ont porté le nom de César. Notre-Seigneur résoud la difficulté qu’ils lui ont proposée, d’après leur réponse : « Et il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » — Tite. Comme s’il leur disait : Vous me tentez par vos paroles, conformez votre conduite à vos oeuvres ; vous avez accepté la domination de César, vous jouissez des avantages qu’elle vous procure, rendez-lui donc le tribut, et à Dieu la crainte qui lui est due ; car Dieu ne vous demande point votre argent, mais votre foi. — Bède. Rendez aussi à Dieu ce qui appartient à Dieu, c’est-à-dire les dîmes, les prémices, les offrandes et les victimes. — Théophyl. Et remarquez qu’il ne dit pas : « Donnez, » mais : « Rendez, » parce que c’est une dette qu’il nous faut payer. Le prince vous protège contre vos ennemis, il assure la tranquillité de votre vie, vous lui devez donc en retour le tribut qu’il exige de vous. Cette pièce de monnaie, même que vous lui payez, c’est de lui que vous la tenez, rendez donc au roi, la monnaie qui vient du roi. Dieu vous a donné aussi l’intelligence et la raison, rendez-lui ces biens, en vous gardant de devenir rendre semblable aux animaux (cf. Ps 48, 12, 21), et en prenant, au contraire, la raison pour guide dans toutes vos actions. — S. Ambr. Si donc vous ne voulez point vous rendre tributaire de César, ne désirez posséder aucune chose du monde. C’est avec raison qu’il veut qu’on rende d’abord à César ce qui lui appartient ; car on ne peut se donner au Seigneur sans avoir tout d’abord renoncé au monde. Quelle grave responsabilité de promettre à Dieu et de ne rien donner ! Les obligations souscrites par la foi, sont plus pressantes que les obligations qui ont pour objet une somme d’argent.

Orig. (hom. 39 sur S. Luc.) Ce passage a aussi un sens mystique. En effet, il y a deux images dans l’homme, l’une qu’il a reçue de Dieu, comme il est écrit dans la Genèse : « Faisons l’homme à notre image, » l’autre qui est l’image de son ennemi, et que le péché et la désobéissance ont comme gravée sur son âme, lorsqu’il s’est laissé gagner et entraîner par les séductions du prince de ce monde. Car de même qu’une pièce de monnaie porte l’image du roi de la terre, ainsi celui qui fait les oeuvres du prince des ténèbres, porte en lui l’image de celui dont il fait les oeuvres. Le Sauveur dit donc : « Rendez à César ce qui est à César, » c’est-à-dire : Effacez cette image terrestre, afin que, retraçant en vous l’image céleste, vous puissiez rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est-à-dire, l’aimer de tout votre coeur, car c’est là ce que Dieu demande de vous, comme Moïse le disait à son peuple (Dt 10, 12.) Or, Dieu nous le demande, ce n’est pas qu’il en ait besoin, mais parce qu’il veut rendre profitable à notre salut ce que nous lui avons donné.

Bède. Une réponse aussi sage aurait dû les déterminer à croire en lui ; ils se contentent d’admirer comment leur ruse n’avait pu réussir à le faire tomber dans le piége : « Et ils ne purent reprendre aucune de ses paroles devant le peuple, et ayant admiré sa réponse, ils se turent. » Théophyl. Le but principal qu’ils se proposaient était de le prendre en défaut en présence du peuple, mais ils ne purent y parvenir, tant sa réponse était pleine de sagesse.

 

Vv. 27-40.

Bède. (de S. Jér. sur S. Matth.) Il y avait parmi les Juifs deux sectes principales, l’une des pharisiens, qui faisaient consister toute leur justice dans l’observance des traditions, ce qui leur faisait donner par le peuple le nom de séparés ; l’autre des sadducéens, dont le nom signifie justes, et qui s’attribuaient une justice qu’ils n’avaient pas. Les premiers donc s’étant retirés, ceux-ci s’approchent pour tenter le Sauveur : « Quelques-uns des sadducéens, qui nient la résurrection, s’approchèrent alors, » etc. — Orig. La secte des sadducéens ne niait pas seulement la résurrection des morts, mais enseignait que l’âme meurt avec le corps. Comme ils veulent aussi surprendre le Sauveur dans ses paroles, ils lui proposent cette difficulté au moment où il venait de parler à ses disciples de la résurrection : « Maître, lui dirent-ils, Moïse a écrit pour nous cette loi : Si un homme, ayant une femme, meurt sans laisser d’enfants, » etc. — S. Ambr. La lettre de la loi oblige cette veuve à se remarier, même contre son gré, mais l’esprit conseille bien plutôt la chasteté (Rm 2, 29 ; 7, 6, 9 ; 2 Co 3, 6).

Théophyl. Les sadducéens, sur un fondement des plus fragiles, refusaient de croire à la résurrection des morts. Persuadés qu’ils étaient que la vie future, dans la résurrection, ne pouvait être que charnelle, ils tombaient dans une grossière erreur, qui les amenait à nier la possibilité de la résurrection, ce qu’ils font en inventant le récit suivant : « Il y avait sept frères, » etc. — Bède. Ils imaginent cette fable pour convaincre de folie ceux qui affirment la résurrection des morts, et ils opposent l’inconvenance de ce récit fabuleux pour s’inscrire en faux contre la vérité de la résurrection : « Dans la résurrection donc, duquel sera-t-elle la femme ?

S. Ambr. Dans le sens figuré, cette femme représente la synagogue qui a eu sept maris. Notre-Seigneur dit à la Samaritaine : « Vous avez eu cinq maris, » (Jn 4) parce que la Samaritaine n’admettait que cinq livres de Moïse, tandis que la synagogue en reconnaissait sept principaux. Mais par suite de son infidélité, elle n’en eut aucune postérité, elle ne put donc être unie à ses maris dans la résurrection, parce qu’elle a entendu dans un sens charnel les préceptes spirituels de la loi. Ce ne fut point un frère selon la chair qui l’épousa pour donner des enfants à celui qui était mort ; mais le frère qui lui fut donné, prit pour épouse, après la mort du peuple juif, la sagesse du culte divin, et en fit naître des enfants spirituels dans la personne des Apôtres. Ceux-ci qui étaient comme les restes du peuple juif, et qui avaient été comme abandonnés dans le sein de la synagogue, avant d’être formés, ont mérité d’être sauvés selon l’élection de la grâce, comme fruits de cette union toute spirituelle. — Bède. Ou bien ces sept frères figurent les réprouvés qui, pendant toute cette vie (laquelle se compose de semaines de sept jours), sont tout à fait stériles en bonnes oeuvres ; ils sont enlevés successivement par la mort, et leur vie toute mondaine passe de l’un à l’autre jusqu’au dernier, comme une épouse stérile.

Théophyl. Cependant Notre-Seigneur, voulant démontrer qu’après la résurrection, la vie des sens et de la chair cesserait d’exister, renverse là croyance des sadducéens avec le fragile fondement sur lequel ils l’appuyaient : « Et Jésus leur dit : Les enfants de ce siècle se marient, » etc. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 49.) En effet, la fin du mariage est d’avoir des enfants, on a des enfants pour en faire ses héritiers, et on leur laisse son héritage, parce que la mort en fait une obligation. Là donc où il n’y a plus de mort, il n’y a plus de mariage : « Mais ceux qui sont trouvés dignes du siècle à venir et de la résurrection des morts, ne se marieront point, » etc. — Bède. Ces paroles ne veulent pas dire qu’il n’y aura que ceux qui seront dignes de la résurrection pour ressusciter et ne point se marier, car les pécheurs eux-mêmes ressusciteront, sans également se marier dans le siècle futur. Mais le Sauveur, voulant nous inspirer un vif désir pour la gloire de la résurrection, n’a voulu parler ici que des élus.

S. Aug. (Quest. évang.) Nos paroles se composent de qui se suivent et se succèdent ; de même les hommes, auteurs de la parole, se succèdent et se remplacent les uns les autres, et ils composent et forment ainsi l’ordre du monde présent, qui résulte de l’ensemble et de la beauté des choses extérieures. Dans la vie future, au contraire, le Verbe de Dieu, dont nous jouirons, ne se compose d’aucune suite, d’aucune succession de syllabes tout en lui est immuable et simultané ; ainsi pour ceux qui seront admis à la participation de sa félicité, et dont il sera l’unique principe de vie, il n’y aura plus ni destruction par la mort, ni succession par la naissance, ils seront comme sont les anges : « Ils ne pourront plus mourir, parce qu’ils seront égaux aux anges et enfants de Dieu, » etc. — S. Cyr. La multitude innombrable des anges ne se propage point par la génération, elle ne doit son existence qu’à la création, ainsi le mariage cessera d’être nécessaire à ceux qui seront comme créés de nouveau par la résurrection : « Ils seront enfants de Dieu, et enfants de la résurrection. » — Théophyl. C’est-à-dire : Comme Dieu est le principe de la résurrection, ceux qui reprennent une nouvelle vie en ressuscitant, sont appelés avec raison les enfants de Dieu. En effet, nous ne voyons rien de charnel dans cette nouvelle vie de la résurrection, ni l’union des époux, ni le sein de la mère, ni l’enfantement. — Bède. Ou bien encore : « Ils seront égaux aux anges et enfants de Dieu, » parce qu’étant renouvelés par la gloire de la résurrection, ils jouiront de l’éternelle vision de Dieu, sans aucune crainte de la mort, sans aucune atteinte de la corruption, sans aucune des vicissitudes de la vie présente.

Orig. D’après saint Matthieu, Notre-Seigneur aurait ajouté ici ces paroles omises par saint Luc : « Vous vous trompez, ne comprenant pas les Écritures ; » (Mt 22) or, je me demande où sont écrites ces paroles : « Ils ne se marieront point et n’épouseront point de femmes. » Autant que je le puis savoir, on ne trouve rien de semblable ni dans l’Ancien, ni dans le Nouveau Testament. Notre-Seigneur veut donc dire que l’erreur des sadducéens vient tout entière de ce qu’ils lisent l’Écriture sans la comprendre. En effet, on lit dans le prophète Isaïe : « Ils n’engendreront point d’enfants soumis à la malédiction, » etc. (Is 65, 23) ; ils s’imaginent que ces choses existeront encore après la résurrection. Mais saint Paul interprète toutes ces bénédictions dans un sens spirituel, et pour en éloigner toute idée charnelle, il dit aux Ephésiens : « Dieu le Père nous a comblés de toutes sortes de bénédictions spirituelles. » (Ep 1, 3.) — Théophyl. A, la raison qu’il avait donnée plus haut, Notre-Seigneur ajoute le témoignage de l’Écriture : « Or, que les morts ressuscitent, Moïse le déclare lui-même dans le récit du buisson, quand il appelle le Seigneur, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, » c’est-à-dire : Si les patriarches étaient rentrés dans le néant, et ne vivaient pas en Dieu dans l’espérance de la résurrection, Dieu n’eût pas dit : « Je suis, » mais : « J’ai été ; » en effet, lorsque nous parlons des choses qui ne sont plus ou qui sont passées, nous disons : « J’étais maître de cette chose, » mais Dieu dit au contraire : « Je suis le Dieu et le Seigneur des vivants ; car tous sont vivants devant lui ; et bien que ces patriarches soient morts pour les hommes, ils vivent à ses yeux dans l’espérance de la résurrection. — Bède. Ou bien en parlant ici, Notre-Seigneur veut établir que les âmes survivent à leur séparation d’avec le corps (ce que niaient les sadducéens), et en tirer comme conséquence la résurrection des corps qui ont participé aux bonnes et aux mauvaises actions des âmes. Il y a, en effet, une véritable vie, dont les justes vivent en Dieu, même après la mort du corps. Le Sauveur eût pu établir la vérité de la résurrection sur des témoignages plus évidents, empruntés aux prophètes, mais les sadducéens rejetaient tous les livres des prophètes, et n’admettaient que les cinq livres de Moïse.

S. Chrys. Les saints ne diminuent en rien le souverain domaine de Dieu, en appelant spécialement : « Mon Dieu, » le Maître commun de l’univers ; ils ne font que manifester l’étendue de leur amour, et agissent en cela comme ceux qui, dominés par une affection vive, ne veulent point que leur amour soit partagé par un grand nombre, mais qu’il soit pour ainsi dire exclusif et privilégié. Ainsi Dieu se dit spécialement le Dieu de ces patriarches, sans restreindre pour cela son domaine, mais en l’agrandissant au contraire ; car ce qui étend le domaine de Dieu, ce n’est pas tant la multitude des créatures qui lui sont soumises, que la vertu de ses fidèles serviteurs. Aussi se glorifie-t-il moins d’être appelé le Dieu du ciel et de la terre, que le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob. Voyez d’ailleurs parmi les hommes, les serviteurs sont désignés par le nom de leur maître (nous disons, par exemple, le fermier de tel seigneur), ici, au contraire, Dieu s’appelle le Dieu d’Abraham, son serviteur.

Théophyl. Les scribes qui étaient les ennemis déclarés des sadducéens, approuvent hautement Jésus qui vient de les confondre : « Quelques-uns des scribes, prenant la parole, lui dirent : Maître, vous avez bien parlé. » — Bède. Honteux d’avoir été ainsi confondus, ils cessent de l’interroger : « Et ils n’osaient plus lui faire aucune question. » Mais ils se saisirent bientôt de sa personne pour le livrer au pouvoir des Romains, preuve trop évidente qu’on peut triompher de l’envie, mais qu’il est bien difficile de jamais l’apaiser.

 

Vv. 41-44.

Théophyl. Le Seigneur était près de sa passion, il n’en proclame pas moins sa divinité, non pas sans précaution et avec fierté, mais avec la plus grande modération. En effet, il se contente de leur adresser une question qui jette le doute dans leur esprit, et leur permet de tirer eux-mêmes la conséquence de ses paroles : « Alors Jésus leur demanda : Comment dit-on que le Christ est Fils ne David, » etc. — S. Ambr. Le Sauveur ne leur reproche point de l’appeler Fils de David, puisque c’est en lui donnant ce nom, que l’aveugle avait mérité sa guérison (Lc 13) ; et que les enfants avaient offert à Dieu le plus beau tribut de louanges et de gloire par cette acclamation : « Hosanna au Fils de David. » Mais il leur fait un reproche de ne pas le reconnaître pour le Fils de Dieu ; voilà pourquoi il ajoute : « David lui-même dit dans le livre des Psaumes (Ps 109) : Le Seigneur a dit à mon Seigneur. » Ce n’est pas qu’il y ait deux Seigneurs ; il n’y en a qu’un seul, parce que le Père est dans le Fils, et le Fils est dans le Père, fi est assis à la droite du Père, parce qu’étant égal et consubstantiel au Père, il n’a personne au-dessus de lui : « Asseyez-vous à ma droite. » Il n’est pas supérieur au Père, parce qu’il est assis à sa droite ; il ne lui est pas inférieur, parce qu’il est envoyé, la dignité ne peut être plus ou moins grande, là où se trouve la plénitude de la divinité.

S. Aug. (du Symb., 2, 7.) Il ne faut pas entendre ces paroles « Asseyez-vous à ma droite, » dans un sens matériel, comme si le Père était réellement assis à la gauche, et le Fils à la droite ; mais la droite ici signifie la puissance de l’humanité unie à la divinité, puissance en vertu de laquelle le Sauveur viendra juger les hommes, lui qui, dans son premier avènement, était venu pour être jugé. — S. Cyr. Ou bien encore : Il est assis à la droite du Père, parce que sa gloire est la gloire souveraine de Dieu ; ceux, en effet, qui ont un même trône, ont une même majesté. Or, cette expression figurée : être assis exprime la souveraineté et la puissance de Dieu sur toutes choses. Il est donc assis à la droite du Père, parce que le Verbe consubstantiel au Père n’a pas cessé d’être Dieu en se faisant homme. — Théophyl. Il leur fait voir ensuite que loin d’être opposé à Dieu le Père, il est avec lui dans la plus parfaite union, puisque le Père se déclare contre ses ennemis : « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds. » — S. Ambr. Croyons donc que Jésus-Christ est à la fois Dieu et homme, et que Dieu le Père lui a soumis tous ses ennemis ; non que le Fils lui soit inférieur en puissance, mais parce qu’ils ont une seule et même nature, et que l’un opère nécessairement avec l’autre ; car le Fils lui-même assujettit aussi ses ennemis à son Père, par la gloire qu’il lui procure sur la terre. (Jn 17.) — Théophyl. Notre-Seigneur les interroge donc lui-même, et après avoir fait naître le doute dans leur esprit, il leur laisse tirer la conséquence de ce qu’il vient de dire : « David l’appelle son Seigneur, comment peut-il être son fils. » — S. Chrys. David est à la fois père et serviteur du Christ, père selon la chair, et serviteur selon l’esprit. — S. Cyr. Et nous aussi nous adressons la même question à ces nouveaux pharisiens qui refusent d’admettre que celui qui est né de la très-sainte Vierge soit le vrai Fils de Dieu et Dieu lui-même, et qui le divisent en deux personnes, et nous leur demandons : Comment le Fils de David est-il son Seigneur, en vertu d’une puissance qui n’est pas une puissance humaine, mais une souveraineté toute divine ?

 

Vv. 45-47.

S. Chrys. Rien n’est plus fort que les preuves tirées des prophètes, elles sont bien supérieures aux faits eux-mêmes. Voyez eu effet, malgré les miracles que Jésus opérait, ses ennemis ne laissaient pas de le contredire, mais lorsqu’il eut cité les témoignages des prophètes, ils se turent, parce qu’ils n’avaient rien à répliquer. Or, comme ils gardaient le silence, Notre-Seigneur leur adresse les reproches qu’ils méritaient : « Il dit ensuite à ses disciples, devant tout le peuple qui l’écoutait. » — Théophyl. Il les envoyait pour être les docteurs de l’univers, il leur recommande donc avec raison de ne point imiter les prétentions ambitieuses des pharisiens : « Gardez-vous des scribes qui affectent de se promener vêtus de longues robes. — Bède. C’est-à-dire qui aiment à paraître en public vêtus d’habits magnifiques et somptueux ; ce qui est relevé comme une des fautes dont le mauvais riche s’est rendu coupable.

 

S. Cyr. Les principaux vices des scribes étaient l’amour de la gloire et de l’argent. C’est contre ces vices les pires de tous que Notre-Seigneur prémunit ses disciples en leur disant : « Ils aiment à être salués dans les places publiques. » — Théophyl. C’est le propre de ceux qui recherchent et poursuivent l’éclat de la renommée, Ou encore, ils agissaient ainsi par un motif d’intérêt pécuniaire.

 

« Ils aiment à occuper les premiers siéges dans les synagogues. » — Bède. Il ne défend point de s’asseoir les premiers dans les synagogues ou dans les festins, à ceux que leur position appelle à occuper ces premières places, mais il recommande à ses disciples de se garder de ceux qui les recherchent sans y avoir droit. C’est l’intention qu’il condamne ici et non le rang qu’on occupe, bien qu’on ne puisse entièrement excuser ceux qui veulent à la fois se mêler aux discussions, aux litiges de la place publique, et en même temps être appelés maîtres dans les synagogues. Or, le Sauveur nous donne deux raisons pour nous engager à nous prémunir contre les sectateurs de la vaine gloire : la première, afin que nous ne soyons pas dupes de leur hypocrisie, en regardant leur conduite comme irrépréhensible ; la seconde, afin que nous ne soyons pas tentés de les imiter, en mettant follement notre joie dans les louanges que l’on donne à leurs vertus apparentes. Et ce ne sont pas seulement les louanges qu’ils recherchent, mais encore les richesses : « Et qui sous prétexte de longues prières dévorent les maisons des veuves. » Ils affectent en effet d’être justes et de jouir d’un grand crédit auprès de Dieu, et ils n’hésitent pas à recevoir de l’argent des personnes faibles et troublées par la conscience de leurs péchés, pour se constituer leurs défenseurs au jugement de Dieu. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ils absorbent les biens des veuves, et foulent aux pieds la pauvreté, car ils n’épuisent pas ces biens d’une manière quelconque, mais ils les dévorent, et font servir la prière d’instrument à leurs iniquités, ce qui les rend dignes d’un plus terrible châtiment : « Ils subiront une condamnation plus rigoureuse ». Théophyl. Car non seulement ils font le mal, mais ils se servent de leurs prières pour le commettre, et veulent faire de la vertu l’excuse du crime. Ils dépouillent d’ailleurs les veuves dont ils devraient avoir pitié, en exigeant d’elles des rétributions pour la protection qu’ils leur accordent. — Bède. Ou encore : « Ils subiront une condamnation plus rigoureuse parce qu’ils cherchent à obtenir à la fois des louanges et de l’argent. »

 

 

 

 CHAPITRE XXI

Vv. 1-4.

La Glose. Après avoir condamné l’avarice des scribes qui dévoraient les maisons des veuves, Notre-Seigneur fait l’éloge de l’offrande d’une pauvre veuve : « Jésus regardait un jour les riches qui mettaient leurs offrandes dans le tronc, » etc.

 

Bède. Le mot grec φυλαζαι, veut dire conserver, et le mot persan gaza, signifie richesse, de là vient le nom de gazophylacium, donné à l’endroit où on déposait l’argent. C’était un coffre percé d’un trou à la partie supérieure et placé près de l’autel, à la droite de ceux qui entraient dans le temple, et dans lequel les prêtres qui gardaient les offrandes mettaient toutes les sommes d’argent que le peuple apportait au temple du Seigneur (Mc 12, 41). Or, de même que le Seigneur discerne le mérite de ceux qui travaillent dans sa maison, il regarde aussi attentivement ceux qui viennent lui présenter leurs offrandes, et il donne des éloges à celui qu’il en juge digne, comme il condamne celui dont les intentions sont mauvaises : « Et il vit aussi une pauvre veuve qui mit deux petites pièces de monnaie. » — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Elle offrait deux petites pièces de monnaie qu’elle gagnait à la sueur de son front pour sa subsistance de chaque jour. Ou encore : elle donnait à Dieu ce qu’elle demandait chaque jour à la charité publique, elle montrait ainsi la richesse et la fécondité de son indigence qui l’emportait sur tous les autres et recevait de Dieu les justes éloges qu’elle méritait : « Et il dit : En vérité je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres. » — Bède. Dieu a pour agréable tout ce que nous lui offrons d’un coeur généreux ; il pèse les intentions bien plus que l’objet même de notre offrande, et il considère moins la matière de notre sacrifice que la disposition généreuse de celui qui l’offre : « Car tous ceux-là ont fait des offrandes à Dieu de leur superflu, mais cette femme a mis de son indigence même tout ce qu’elle avait pour vivre. » — S. Chrys. (hom 1, sur l’Epit. aux Hebr.) Ce n’est pas la modicité de l’offrande, mais la richesse du coeur que Dieu considère ici. (hom. 28.) L’aumône en effet ne consiste pas à donner une petite partie des grandes richesses qu’on possède, mais à imiter cette veuve qui s’est dépouillée de tout ce qu’elle possédait. Si vous ne pouvez donner autant qu’elle, donnez au moins tout votre superflu.

 

Bède. Dans le sens allégorique, les riches qui déposaient leurs offrandes dans le tronc du temple, sont la figure des Juifs fiers de la justice de la loi ; cette pauvre veuve représente la simplicité de l’Église ; elle est pauvre parce qu’elle s’est dépouillée de l’esprit d’orgueil et des péchés qui sont comme les richesses du monde ; elle est veuve, parce que son époux a souffert la mort pour elle ; elle met deux petites. pièces de monnaie dans le tronc, parce que c’est en présence de Dieu (qui conserve les offrandes que nous lui faisons de nos oeuvres), qu’elle vient apporter l’offrande soit de l’amour de Dieu et du prochain, soit de la foi et de la prière qui l’emportent de beaucoup sur toutes les oeuvres des Juifs orgueilleux. En effet, les Juifs qui présument de leur justice, donnent à Dieu de leur abondance ; l’Église au contraire offre tout ce qui sert à sa subsistance, parce qu’elle reconnaît que tout ce qui contribue à entretenir sa vie, est un don de Dieu. —  Théophyl. Ou encore, cette veuve est l’image de toute âme qui, veuve de la loi ancienne, comme de son premier mari, n’est pas encore digne de s’unir au Verbe de Dieu ; elle donne à Dieu pour gage sa foi et sa bonne conscience, et c’est ainsi qu’elle paraît offrir beaucoup plus que ceux qui sont riches en paroles, beaucoup plus que toutes les vertus morales qui forment les richesses des Gentils.

 

 

Vv. 5-9.

Eusèbe ou Théophane. (Ch. des Pèr. gr.) L’histoire nous atteste quelle était la magnificence des constructions du temple, et ce qui en reste encore aujourd’hui nous fait comprendre quelle devaient être la grandeur et la richesse de cet édifice. Or, comme ses disciples admiraient les constructions du temple, Notre-Seigneur leur déclare qu’il n’en restera pas pierre sur pierre : « Quelques-uns lui faisant remarquer la beauté des pierres du temple, et les riches offrandes dont il était orné, il dit : Il ne restera pas pierre suit pierre. » Il était juste, en effet, que ce lieu fût entièrement détruit, pour punir l’insolence audacieuse de ceux qui venaient y accomplir les cérémonies de leur culte. — Bède. Ce fut encore par un dessein particulier de la Providence divine que la ville et le temple furent voués à, une entière destruction, car il était à craindre que des chrétiens, faibles encore dans la foi, voyant la ville et le temple debout, et considérant avec étonnement les sacrifices qu’on y offrait, ne fussent comme ébranlés par le spectacle de ces rites si différents. — S. Ambr. Ce que le Sauveur prédisait de la destruction future de ce temple bâti par les hommes, était vrai, car tout ce qui est construit de main d’homme, ou périt nécessairement de vétusté, ou est renversé par la force, ou est consumé par le feu. Il y a cependant un autre temple (la synagogue), dont l’antique édifice devait s’écrouler à la naissance de l’Église. Nous avons tous aussi un temple au-dedans de nous, qui s’écroule lorsque la foi s’affaiblit, et surtout lorsqu’on affecte par hypocrisie de paraître extérieurement chrétien pour se déclarer plus facilement contre Jésus-Christ dans l’intérieur de son âme.

 

S. Cyr. Les disciples ne comprenaient point le sens de ces paroles, ils s’imaginaient que le Sauveur voulait parler de la fin du monde, c’est pourquoi ils lui demandent quand cette destruction devait avoir lieu : « Alors ils lui demandèrent : Maître, quand cela arrivera-t-il ? et à quel signe connaîtra-t-on que ces choses sont, prêtes à s’accomplir ? » — S. Ambr. Saint Matthieu ajoute une troisième question, c’est-à-dire, que les disciples demandent à la fois le temps de la destruction du temple, les signes de l’avènement du Sauveur, et ceux qui doivent précéder la fin du monde. Or, Notre-Seigneur, interrogé sur le temps de la destruction du temple et sur les signes de son avènement, s’explique sur cette dernière question, mais ne répond pas à la première : « Il leur dit : Prenez garde d’être séduits. » — S. Athan. (Disc. 4 contr. les Ar.) Dieu nous a donné des grâces et fait connaître des vérités qui appartiennent à l’ordre surnaturel (par exemple les règles de la vie céleste, la puissance contre les démons, l’adoption, la connaissance du Père et du Fils, et le don de l’Esprit saint) ; aussi le démon, notre ennemi, rôde sans cesse autour de nous pour nous ravir la semence de la parole divine. Dieu donc, pour conserver en nous les dons précieux qu’il nous a faits et les enseignements qu’il nous a donnés, nous prémunit contre la séduction. Le Verbe de Dieu nous a fait une grâce extraordinaire, c’est non seulement de ne pas nous laisser tromper par les choses apparentes, mais encore de discerner, à l’aide de la grâce de l’Esprit saint celles qui sont cachées. Le démon, auteur de tout mal, sait l’horreur qu’il inspire, il cache donc avec soin ce qu’il est, et se couvre astucieusement d’un nom qu’il sait être cher à tous. Il fait comme celui qui veut gagner des enfants en l’absence de leurs parents, il prend leur extérieur et simule leur Voix pour tromper l’amour de ces enfants. Ainsi donc, dans toutes les hérésies, le démon se déguise et dit : Je suis le Christ, la vérité est avec moi : « Plusieurs viendront en mon nom et diront : C’est moi, et le temps approche. » — S. Cyr. Avant que Jésus-Christ descende du ciel, il en viendra plusieurs qu’il faudra se garder de suivre, ce qui sera facile, car si le premier avènement du Verbe, Fils unique de Dieu, venant pour sauver le monde, a été obscur et caché, parce qu’il voulait souffrir pour nous la mort de la croix ; son second avènement, au contraire, sera éclatant et terrible, car il descendra environné de la gloire de Dieu le Père, au milieu des anges, qui seront ses ministres, pour juger le monde dans la justice ; ne les suivez donc point, nous dit-il. — Tite de Bostr. Peut-être ne veut-il point parler ici de des faux christs qui viendront avant la fin du monde, mais de ceux qui parurent au temps des Apôtres. — Bède. En effet, peu de temps avant la ruine de Jérusalem, on vit paraître plusieurs chefs de sédition, qui affirmaient qu’ils étaient le Christ, et annonçaient l’approche de l’ère de l’affranchissement et de la liberté. On vit aussi dans l’Église, des hérésiarques, que l’Apôtre a condamnés (2 Th 2, 2), et qui annonçaient que le jour du Seigneur approchait. Il parut aussi plusieurs antéchrists, qui déclaraient venir au nom du Christ ; le premier d’entre eux fut Simon le magicien, qui disait de lui-même : « Celui-ci est la grande vertu de Dieu (Ac 8, 10). »

 

Vv. 9-11.

S. Grég. (hom. 35 sur les Evang.) Notre-Seigneur prédit les calamités qui doivent précéder la fin du monde, pour diminuer par cette prédiction le trouble qu’elles produiront quand elles seront arrivées, car les coups qui sont prévus se font moins sentir. Il commence donc ainsi : « Et lorsque vous entendrez parler de guerres et de séditions, » etc. Les guerres viendront des ennemis, les séditions des concitoyens entre eux, et le Sauveur prend soin de distinguer ce que nous aurons à souffrir des ennemis extérieurs et de nos propres frères, pour nous faire comprendre que nous serons en proie au trouble et à l’affliction tout à la fois au dedans et au dehors. — S. Ambr. Qui peut mieux attester la vérité de ces paroles divines que nous-mêmes, qui devons être les témoins de la fin du monde ? Quelles guerres avons-nous apprises, et quels bruits de combats avons-nous entendus !

S. Grég. (hom. 35.) Mais la fin du monde ne doit pas suivre immédiatement ces calamités, qui en seront comme les signes précurseurs. Aussi Notre-Seigneur ajoute : « Il faut d’abord que ces choses arrivent, mais la fin ne viendra pas immédiatement après. » La dernière tribulation sera précédée par beaucoup d’autres tribulations, car Dieu veut que le malheur qui n’aura point de fin soit précédé et annoncé par des calamités sans nombre : « Alors, ajouta-t-il, on verra se soulever peuple contre peuple et royaume contre royaume. » Les maux que nous aurons à souffrir nous viendront, les uns du ciel, les autres de la terre, ceux-ci des éléments, ceux-là des hommes, et Notre-Seigneur commence par ces derniers. Il ajoute : « Il y aura en divers lieux de grands tremblements de terre. » Voilà les effets de la colère céleste. — S. Chrys. (hom 2 sur les Actes.) Les tremblements de terre sont quelquefois les effets de la colère de Dieu, comme lorsque le Sauveur fut crucifié ; quelquefois, ils sont un signe de la grâce et des faveurs divines, c’est ainsi que le lieu où les Apôtres étaient réunis pour prier, trembla lorsque l’Esprit saint descendit sur eux : « Et des pestes. » — S. Grég. (hom. 35.) Voilà la perturbation des corps : « Et les famines ; » c’est la stérilité de la terre : « Il paraîtra des signes épouvantables et des signes extraordinaires dans le ciel, » c’est la perturbation dans les airs, Il faut entendre ces paroles des tempêtes qui viennent en dehors des lois ordinaires de la nature, car pour celles qui suivent ses lois, elles ne sont point des signes. Nous avons détourné à des usages coupables, ce que nous avions reçu pour les besoins de notre vie ; Dieu, à son tour, fera servir à notre châtiment toutes les créatures dont nous aurons fait des instruments d’iniquité.

 

S. Ambr. La fin du monde sera donc précédée de divers fléaux qui en seront comme les maladies, c’est-à-dire, la famine, la peste et la persécution. — Théophyl. Suivant quelques interprètes, ces prédictions n’ont pas seulement pour objet les événements qui doivent précéder la fin du monde, mais elles ont reçu leur accomplissement au temps du siège et de la ruine de Jérusalem. C’est à juste titre, en effet, que les Juifs qui avaient mis à mort l’auteur de la paix, virent éclater parmi eux les guerres et les séditions. La guerre à son tour fut suivie de la peste et de la famine, comme conséquence, la première, de l’air infecté par les cadavres ; la seconde, des champs restés sans culture. L’historien Josèphe, rapporte les effroyables extrémités dont cette famine fut la cause, nous voyons dans les Actes, que sous le règne de l’empereur Claude, la Judée fut en proie à une grande famine (Ac 11), et le même Josèphe raconte beaucoup d’autres terribles fléaux, qui annonçaient la prise de Jérusalem.

 

S. Chrys. Notre-Seigneur prédit que la prise et la ruine de la ville ne suivront pas immédiatement ces signes précurseurs, mais qu’elles n’auront lieu qu’après de longs et nombreux combats. — Bède. Notre-Seigneur veut aussi avertir les Apôtres, de ne pas s’effrayer de ces signes précurseurs, et de ne quitter ni Jérusalem ni la Judée. On peut voir encore dans ces royaumes soulevés les uns contre les autres, dans ces pestes, les doctrines pestilentielles qui s’étendent et rongent comme un cancer (2 Tm n, 16) ; dans ces famines, la faim d’entendre la parole de Dieu ; dans ce tremblement de toute la terre, la séparation de la vraie foi même dans les hérétiques qui, en luttant les uns contre les autres, contribuent ainsi au triomphe de l’Église. — S. Ambr. Il y a encore d’autres guerres que doit soutenir un chrétien, ce sont les combats contre les passions multipliées et contre les désirs coupables qui naissent en nous, et ces ennemis domestiques sont mille fois plus redoutables que ceux du dehors.

 

Vv. 12-19.

S. Grég. (hom. 35 sur les Evang.) Comme les calamités que le Sauveur vient de prédire, ne viennent pas de l’injustice de Dieu qui les envoie, mais sont un juste châtiment des crimes du monde, Notre-Seigneur fait connaître ces attentats des hommes pervers : « Avant que toutes ces choses arrivent, ils se saisiront de vous, » etc., c’est-à-dire, le trouble s’emparera des coeurs des hommes avant qu’il s’étende aux éléments ; on saura ainsi, lorsque l’ordre de la nature sera bouleversé, quelle tribulation en est la cause ? car bien que la fin du monde soit une conséquence des éléments qui le composent, le Sauveur nous fait connaître que les hommes qui vivront alors seront justement écrasés sous ses ruines en punition de leurs crimes énormes. — S. Cyr. Ou encore, Notre-Seigneur veut parler ici des persécutions que ses disciples eurent à souffrir des Juifs, qui les jetèrent en prison et les traînèrent devant les tribunaux avant la prise de Jérusalem par les Romains. C’est ainsi que saint Paul fut envoyé à Rome pour être jugé par César, et qu’il comparut devant Festus et Agrippa.

 

« Et ce sera pour vous une occasion de rendre témoignage. » Le grec porte : « Pour le martyre (εις μαρτυριον), c’est-à-dire, d’obtenir la gloire du martyre. — S. Grég. (hom. 35.) Ou bien encore, pour être en témoignage contre eux, parce qu’ils vous ont persécutés et mis à mort, ou parce qu’ils n’ont pas imité dans leur vie les exemples que vous leur avez donnés, ou parce que ces exemples qui ont été pour les élus un principe de vie, sont devenus pour les méchants une cause de mort sans excuse. Mais ces terribles prédictions pouvaient jeter le trouble dans le coeur de ceux qui les entendaient, le Sauveur ajoute donc pour les consoler : « Gravez cette pensée dans vos coeurs, de ne point préméditer ce que vous devrez répondre. » — Théophyl. Comme les Apôtres étaient sans instruction et sans lettres, Notre-Seigneur leur recommande de ne point se troubler lorsqu’ils sont appelés à rendre compte de leur conduite devant les sages du monde, et il en donne la raison : « Car je mettrai moi-même sur vos lèvres des paroles et une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne pourront résister et qu’ils ne pourront contredire, » c’est-à-dire, vous recevrez à l’instant de moi l’éloquence et la sagesse, de sorte que tous vos ennemis, quand ils réuniraient tous leurs efforts, ne pourront vous résister, ni par leur sagesse (c’est-à-dire, par la force des raisonnements), ni par l’éloquence et par l’élégance du langage. Il en est beaucoup, en effet, qui ont un grand fond de sagesse, mais qui, faciles à troubler, voient se confondre toutes leurs idées lorsque le moment est venu de les exposer. Tels ne furent point les Apôtres, qui reçurent le double don de la sagesse et de la parole. — S. Grég. Le Sauveur semble leur dire : Ne vous effrayez pas, vous marchez au combat, mais c’est moi qui combats pour vous ; vous prononcez les paroles, mais c’est moi qui les forme sur vos lèvres. — S. Ambr. Tantôt c’est Jésus-Christ qui parle par la bouche de ses disciples, tantôt c’est le Père (Mt 16), tantôt enfin l’Esprit saint. (Mt 10) Ces divers passages, loin de se contredire, s’accordent parfaitement, car ce que l’un dit, les trois le disent également, parce que la Trinité n’a qu’une seule et même voix.

 

Théophyl. Après leur avoir ainsi parlé, pour dissiper la crainte que pouvait leur inspirer leur ignorance, il les prémunit contre un autre danger non moins important, qui aurait pu aussi jeter le trouble dans leurs coeurs, s’il les avait surpris à l’improviste : « Vous serez même trahis et livrés par vos pères, par vos frères, par vos amis, et on en fera mourir plusieurs d’entre vous. » — S. Grég. (hom. 35.) Les épreuves les plus cruelles nous viennent de ceux sur l’affection desquels nous croyions pouvoir compter, parce qu’aux souffrances extérieures viennent se joindre alors la douleur de l’affection que nous avons perdue. — S. Grég. de Nysse. Considérons quelle était alors la situation de la société. Dans toutes les familles divisées par la différence de religion, on était suspect les uns aux autres. Le fils encore idolâtre trahissait ses parents devenus chrétiens ; le père, obstiné dans son infidélité, devenait l’accusateur de son fils qui avait embrassé la foi. Tous les âges étaient exposés à la persécution, et les femmes elles-mêmes, n’en étaient pas à l’abri par la faiblesse naturelle de leur sexe.

Théophyl. Notre-Seigneur leur prédit ensuite la haine universelle dont ils seront l’objet : « Et vous serez haïs de tout le monde à cause de mon nom. » — S. Grég. (Hom. 35.) Mais comme ces prédictions qui leur montrent une mort cruelle en perspective ont quelque chose d’effrayant et de redoutable, il les console aussitôt par l’espérance des joies de la résurrection : « Cependant il ne se perdra pas un seul cheveu de votre tête, » c’est-à-dire : Pourquoi craindriez-vous de voir périr ce que vous ne pouvez perdre sans douleur, puisque même ce qui peut vous être retranché sans vous causer aucune souffrance, ne peut périr ? — Bède. Ou bien encore : Il ne périra pas un seul cheveu de la tête des disciples, parce que non seulement les grandes actions et les paroles des saints, mais encore leurs moindres pensées recevront de Dieu leur juste récompense.

 

S. Grég. (Moral., 5, 13.) Celui qui pratique la patience dans l’adversité, puise sa force contre toutes les tribulations, par le même principe qui lui fait remporter la victoire sur lui-même : « Vous posséderez vos âmes dans la patience. » Qu’est-ce que posséder son âme, c’est mener une vie entièrement irréprochable, et comme du haut d’une forteresse, dominer par la vertu tous les mouvements de son coeur. — S. Grég. (hom. 35.) Ainsi nous possédons nos âmes par la patience, parce qu’en nous dominant nous-mêmes, nous commençons à être les maîtres de ce que nous sommes. La possession de l’âme dépend de la vertu de patience, parce que la patience est la racine et la gardienne de toutes les vertus. Or, la patience consiste à supporter avec calme les épreuves qui nous viennent d’autrui, et à ne nourrir aucun ressentiment contre ceux qui en sont la cause.

 

Vv. 20-24.

Bède. Jusqu’ici Notre-Seigneur a prédit les événements qui arriveraient pendant les quarante années qui devaient suivre, mais sans qu’il fût question de la ruine définitive des Juifs, il en vient maintenant à la destruction de cette malheureuse nation, et aux ruines qu’amoncellera l’armée romaine : « Lorsque vous verrez une armée environner Jérusalem, sachez que la désolation est proche. » — Eusèbe. (Ch. des pèr. gr.) Il appelle cette ruine la désolation de Jérusalem, parce qu’elle ne sera plus rebâtie par ses habitants, ni reconstituée selon les prescriptions de la loi, et que personne, après le siège et la désolation qui doivent avoir lieu, ne doit espérer ion rétablissement, comme au temps du roi des Perses, d’Antiochus le Grand, et aussi comme au temps de Pompée.

 

S. Aug. (Lettre 80 à Hésych.) Saint Luc rapporte ici ces paroles du Seigneur, pour nous faire comprendre que ce fut lors du siége de Jérusalem qu’eut lieu l’abomination de la désolation prédite par le prophète Daniel, et dont saint Matthieu (Mt 24) et saint Marc (Mc 13) ont parlé. — S. Ambr. Les Juifs crurent que cette abomination de la désolation s’était alors vérifiée, parce que les Romains avaient jeté une tête de porc dans le temple, pour insulter aux observances judaïques. — Eusèbe. Or, le Seigneur, prévoyant que la ville devait être désolée par la famine, avertissait ses disciples de ne point s’y réfugier lors du siége, comme dans un lieu sûr et protégé de Dieu, mais de s’en éloigner bien plutôt, et de s’enfuir vers les montagnes : « Alors que ceux qui sont dans la Judée, s’enfuient vers les montagnes. » — Bède. L’histoire ecclésiastique (Eusèbe, 3, 5) rapporte qu’aux approches de la ruine de Jérusalem, tous les chrétiens qui étaient dans la Judée en sortirent, sur l’avis qu’ils avaient reçu du Seigneur, et allèrent habiter au delà du Jourdain, la ville de Pella, jusqu’à ce que la désolation. de la Judée fût consommée. — S. Aug. (Lettre 80 à Hésych.) Au lieu de ces paroles, nous lisons dans saint Matthieu et dans saint Marc : « Que celui qui sera sur le toit, ne descende pas dans sa maison ; » salut Marc ajoute : « Et n’y entre point pour en emporter quelque chose. » Saint Luc, au contraire : « Et que ceux qui sont au milieu d’elle s’en retirent. »

 

Bède. Mais comment ceux qui sont au milieu de Jérusalem pourront-ils en sortir lorsqu’elle sera investie par une armée ? Pour résoudre ces difficultés, il faut rapporter ces paroles, non pas au temps même du siége, mais à celui qui le précéda immédiatement, lorsque les soldats romains commencèrent à se répandre sur les frontières de la Galilée ou de la Samarie. — S. Aug. (comme précéd.) Saint Matthieu et saint Marc disent : « Et que celui qui sera dans les champs, n’en revienne pas pour prendre son vêtement. » Saint Luc est plus explicite : « Et que ceux qui sont dans les régions voisines n’y entrent point ; car ce sont les jours de la vengeance dans lesquels doivent s’accomplir toutes les prédictions qui ont été faites. » — Bède. Ces jours de la vengeance sont les jours où Dieu vengera le sang du Seigneur que les Juifs ont répandu.

 

S. Aug. (comme précéd.) Saint Luc continue ensuite comme les deux autres Évangélistes : « Malheur aux femmes qui seront grosses ou nourrices en ces jours-là ». C’est ainsi que cet Évangéliste fait disparaître toute ambiguïté, et nous rend certains que ce que le Sauveur a dit de l’abomination de la désolation, doit se rapporter non pas à la fin du monde, mais au temps du siége de Jérusalem. — Bède. Notre-Seigneur dit : « Malheur aux femmes qui seront grosses (aux, approches de la captivité), ou à celles qui nourriront ou qui allaiteront, parce qu’il leur sera bien difficile de fuir avec ce précieux, mais lourd fardeau, qu’elles porteront dans leur sein ou dans leurs bras. » — Théophyl. Quelques-uns pensent que Notre-Seigneur fait ici allusion aux mères qui allèrent jusqu’à manger leurs enfants, selon le récit de l’historien Josèphe.

 

S. Chrys. (cont. les détract. de la vie mon.) Le Sauveur donne la raison de ce qu’il vient de dire : « Car la terre sera accablée de maux, et la colère du ciel tombera sur ce peuple. » En effet, les Juifs virent fondre sur eux un si grand déluge de maux, qu’aucun désastre ne pourra jamais être comparé aux calamités qu’ils éprouvèrent alors, au témoignage du même historien. — Eusèbe. (Ch. des pèr. gr.) Lorsque les Romains arrivèrent et s’emparèrent de Jérusalem, une multitude innombrable de Juifs périrent par le glaive, selon la prédiction du Sauveur : « Ils tomberont sous le tranchant du glaive. » Néanmoins, un plus grand nombre furent victimes de la famine. Ces tristes événements arrivèrent d’abord sous Tite et Vespasien, et ensuite sous le règne de l’empereur Adrien, quand il fut interdit aux Juifs de rentrer dans leur patrie : « Ils seront emmenés captifs dans toutes les nations. » En effet, les Juifs furent dispersés dans tout l’univers, et se répandirent jusqu’aux extrémités de la terre, et tandis que la Judée est habitée par des étrangers, ils sont les seuls qui ne puissent remettre le pied dans leur patrie : « Et Jérusalem sera foulée aux pieds par les Gentils, jusqu’à ce que le temps des nations soit accompli. » — Bède. C’est ce mystère dont veut parler l’Apôtre, lorsqu’il dit : « Une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce que la multitude des nations soit entrée, et que tout le peuple d’Israël fût ainsi sauvé. » Lorsqu’il aura enfin obtenu le salut qui lui a été promis, il pourra légitimement espérer de rentrer dans sa patrie.

S. Ambr. Dans le sens figuré, l’abomination de la désolation est l’avènement de l’Antéchrist, parce qu’il doit souiller l’intérieur des âmes par ses abominations sacrilèges, et selon la prédiction littérale de l’Écriture (2 Th 2, 3, 4), s’asseoir dans le temple pour usurper le trône de la divine majesté. Il est aussi l’objet du sens spirituel de ces paroles, parce qu’il voudra imprimer dans les âmes les traces profondes de sa perfidie, en cherchant à prouver par les Écritures qu’il est le Christ. Alors approchera la désolation, parce que la plupart succomberont honteusement, et abandonneront la véritable religion. Alors aussi ce sera le jour du Seigneur ; car de même que son premier avènement a eu pour objet de nous racheter de nos iniquités, le second aura pour fin de réprimer les coupables efforts de ceux qui voudraient entraîner les fidèles dans l’erreur et l’infidélité. Il y a encore un autre Antéchrist, c’est le démon qui s’efforce d’assiéger Jérusalem (c’est-à-dire l’âme pacifique), avec l’armée de sa loi tyrannique. Or, quand le démon se trouve au milieu du temple, c’est l’abomination de la désolation. Mais lorsque la présence spirituelle du Christ vient à nous éclairer de sa lumière au milieu de nos tentations, le démon s’éloigne, et la justice commence à régner. Il y a encore un troisième Antéchrist, c’est Arius et Sabellius, et tous ceux qui cherchent à nous séduire pour nous perdre. Les femmes qui sont enceintes, dont le Sauveur déplore le triste sort, sont les chrétiens qui flattent les instincts de la chair, dont la marche est ralentie et entravée par la mollesse, qui sont stériles pour la vertu, et n’ont de fécondité que pour le vice. Ceux mêmes qui sont pour ainsi dire comme en travail de bonnes oeuvres, et qui n’eu ont encore produit aucune, ne sont pas à l’abri de cet anathème. Il en est, en effet, qui conçoivent par un sentiment de crainte de Dieu, mais tous n’enfantent pas ; quelques-uns font, pour ainsi parler, comme avorter la parole de Dieu, et la rejettent avant de l’enfanter ; d’autres portent le Christ dans leur sein, mais il n’est pas encore formé. Ainsi l’âme qui enfante la justice, enfante le Christ. Hâtons-nous aussi d’allaiter nos enfants, pour n’être pas surpris par le jour du jugement ou de la mort. Il en sera ainsi, si vous conservez dans votre coeur toutes les paroles de la justice, sans attendre le temps de la vieillesse, et si dès votre premier âge vous vous hâtez de concevoir la sagesse et de la nourrir, en la préservant de la corruption des sens. A la fin du monde, les nations qui auront embrassé la foi, soumettront toute la Judée par le glaive de la parole spirituelle, qui est comme un glaive à deux tranchants. (Ap 1, 16 ; 19, 15.)

 

Vv. 25-27.

Bède. Notre-Seigneur annonce ensuite successivement ce qui doit arriver, lorsque les temps des nations seront accomplis « Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles. » — S. Ambr. Saint Matthieu explique plus clairement quels seront ces signes : « Alors, dit-il, le soleil s’obscurcira, et la lune ne donnera plus sa lumière, et les étoiles tomberont du ciel. » — Eusèbe. (Ch. des pèr. gr.) En effet, lorsque la consommation de cette vie mortelle et corruptible sera venue, la figure de ce monde passera, selon l’expression de l’Apôtre, (1 Co 7) pour faire place à un monde nouveau, dans lequel, au lieu des astres visibles, Jésus-Christ lui-même brillera comme l’astre et le roi de ce monde nouveau, et l’éclat de la gloire de sa divinité sera si grand, que le soleil qui nous éclaire maintenant, la, lune, et les autres astres disparaîtront en présence de cette incomparable lumière. — S. Chrys. (Ch. des pèr. gr.) Aussitôt que le soleil se lève, la lune et les étoiles sont comme éclipsés ; ainsi lorsque le Christ apparaîtra dans sa gloire, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, et les étoiles tomberont du ciel, c’est-à-dire que ces astres seront dépouillés de leur premier vêtement, pour se revêtir d’une lumière plus éclatante.

Eusèbe. Le Sauveur expose ensuite ce qui doit arriver après que les astres du ciel seront obscurcis, et quelles seront les angoisses de tous les peuples de la terre : « Et sur la terre, les nations seront dans l’abattement et dans la consternation, » etc. Il semble vouloir nous dire que le principe de la transformation de l’univers viendra de la suppression de l’élément liquide, qui sera dévoré par le feu ou gelé par le froid, de sorte qu’on n’entendra plus le bruit de la mer, que ses flots ne viendront plus mouiller les sables du rivage, par suite de cette excessive sécheresse, et qu’alors les autres parties du monde, ne recevant plus ces vapeurs humides, produites par les eaux, seront transformées. Comme l’avènement du Sauveur doit combattre et renverser les prodiges de l’ennemi de Dieu, c’est-à-dire de l’Antéchrist, ses premières vengeances commenceront par ce fléau de la sécheresse, qui sera si grande, qu’on n’entendra plus ni le bruit des tempêtes de la mer, ni le frémissement de ses flots soulevés ; ce qui jettera dans les plus terribles angoisses les hommes qui survivront : « Les hommes sècheront de frayeur dans l’attente de ce qui doit arriver dans tout l’univers. » Quels seront ces nouveaux fléaux qui doivent fondre sur l’univers, c’est ce que nous apprend la suite des paroles du Sauveur : « Les vertus des cieux seront ébranlées. »

Théophyl. Ou encore : Lorsque le monde du firmament sera bouleversé, les éléments terrestres devront ressentir les mêmes secousses : « Et sur la terre les nations seront dans l’abattement, » etc. Comme s’il voulait dire : Les mugissements de la mer seront si épouvantables, et ses rivages seront battus par de si violentes tempêtes, que les peuples seront dans l’angoisse, (c’est-à-dire dans une détresse universelle), jusqu’à sécher de frayeur dans l’attente des maux dont le monde entier sera menacé : « Les hommes sécheront de frayeur dans l’attente de ce qui doit arriver à tout l’univers. »

S. Aug. (Lettre 80, à Hésych.) Mais, direz-vous, nos calamités nous forcent de reconnaître que la fin des temps est venu, puisque les prédictions du Sauveur ont revu leur accomplissement, car n’est-il pas certain qu’il n’y a aucun peuple, aucune contrée qui ne soit actuellement dans l’angoisse et la tribulation ? Or, si ces calamités qui pèsent en ce moment sur le genre humain, sont des signes certains de la venue prochaine du Seigneur, pourquoi l’Apôtre nous dit-il au contraire : « Lorsque les hommes diront : Nous sommes dans la paix et la sécurité ? » (1 Th 5.) Avec un examen plus sérieux des prédictions du Sauveur, nous découvrirons qu’elles n’ont point encore reçu leur accomplissement ; mais qu’il faut le différer jusqu’au temps où la tribulation s’étendra à tout l’univers, c’est-à-dire à l’Église qui sera persécutée dans le monde entier, et non à ses persécuteurs qui diront : « Nous sommes dans la paix et la sécurité. » Or, nous voyons au contraire que les malheurs de notre temps, que nous regardons comme les grandes calamités qui doivent précéder la fin du monde, sont communs aux deux royaumes de Jésus-Christ et du démon. Les bons et les méchants en sont également victimes, et au milieu de ces épreuves déchirantes, les hommes continuent à se plonger partout dans les excès de la table et de la débauche. Est-ce là sécher de frayeur ? n’est-ce pas plutôt brûler des ardeurs de la volupté ?

Théophyl. Ce ne sont pas seulement les hommes qui trembleront devant ces terribles épreuves auquel le mondé sera soumis, les anges eux-mêmes seront saisis d’étonnement à la vue des bouleversements épouvantables de l’univers : « Car les vertus des cieux seront ébranlées. » — S. Grég. Quelles sont ces vertus des cieux, si ce n’est les anges, les dominations, les principautés et les puissances ? Ils apparaîtront visiblement à nos yeux à l’avènement du juge sévère de nos âmes, pour exiger rigoureusement de nous ce que notre Créateur invisible supporte maintenant avec tant de miséricorde. — Eusèbe. Ajoutons que le Fils de Dieu devant venir dans sa gloire pour confondre la superbe tyrannie du fils du péché (2 Th 2, 3), environné des anges du ciel qui lui serviront de ministres, les portes du ciel depuis si longtemps fermées s’ouvriront pour nous laisser contempler les splendeurs du ciel. — S. Chrys. (Lettre 2, à Olymp.) Ou bien encore, les vertus des cieux, quoiqu’elles n’aient la conscience d’aucune faute, seront ébranlées, c’est-à-dire qu’elles perdront leur assurance. — Bède. C’est ce qui est écrit dans le livre de Job : « Les colonnes du ciel tremblent, et sont saisies d’effroi devant un seul signe de sa volonté, » or, si les colonnes tremblent, que feront les planches légères ? Que deviendra le roseau du désert, lorsque les cèdres du paradis sont ébranlés ? — Eusèbe. Ou encore : Les vertus des cieux, sont les esprits qui gouvernent les diverses parties du monde visible ; ils s’ébranleront alors pour s’élever à un état meilleur, car ils seront déchargés du ministère qu’ils remplissent par ordre de Dieu auprès des créatures visibles qui sont encore soumises à la corruption. — S. Aug. (A Hésych.) Cependant, afin qu’on ne puisse dire que Notre-Seigneur a donné comme signes extraordinaires de son second avènement des choses qui arrivaient fréquemment dans le monde avant son premier avènement, et pour ne point nous exposer à la risée de ceux qui ont lu dans l’histoire des peuples le récit de calamités plus nombreuses et plus grandes, je crois qu’il vaut mieux appliquer ces prédictions à l’Église. En effet, l’Église est le soleil, la lune et les étoiles ; et c’est d’elle qu’il est dit : « Vous êtes belle comme la lune, éclatante comme le soleil ; » (Ct 6) et elle cessera de briller sous les violences inouïes de ses persécuteurs. — S. Ambr. Par suite de l’apostasie d’un grand nombre, la clarté de la foi sera obscurcie par les nuages de l’infidélité, car le soleil de justice croît ou décroît pour moi, en raison de ma foi ; et de même que dans ses révolutions mensuelles, la lune perd sa clarté à mesure que la terre s’interpose entre elle et le soleil, de même la sainte Église ne peut plus emprunter aux rayons de Jésus-Christ, l’éclat de sa divine lumière, lorsque les vices de la chair viennent s’interposer entre elle et la lumière céleste. En effet, presque toujours dans les persécutions l’amour de cette vie devient un obstacle à la lumière de ce soleil divin. Les étoiles (c’est-à-dire les personnages célèbres) tombent des cieux, lorsque la violence de la persécution redouble. Tout cela doit s’accomplir, jusqu’à ce que le nombre des enfants de l’Église soit complet, car la persécution est la pierre de touche qui fait reconnaître les bons et les mauvais. — S. Aug. (A Hésych.) Notre-Seigneur ajoute : « Et sur la terre les nations seront dans l’abattement et la consternation ; » Les nations ne sont pas les nations qui seront bénies dans celui qui sortira d’Abraham (Gn 12, 3 ; 23, 18 ; et Mt 25, 32), mais les peuples qui au dernier jour seront placés à la gauche.

S. Ambr. L’agitation et les angoisses des esprits seront si grandes que la multitude des crimes dont le souvenir se réveillera par la crainte du jugement, desséchera pour nous la source de la rosée divine. Or, de même que l’avènement du Seigneur est ardemment attendu afin que sa présence se fasse sentir dans toute l’humanité comme dans tout l’univers, et que cette présence se manifeste à tous ceux qui reçoivent le Christ avec toutes les affections de leur coeur ; de même les vertus des cieux recevront à l’avènement du Sauveur, une augmentation de grâce et seront comme ébranlées par la plénitude de la divinité qui se communiquera de plus près à elles. Ces vertus des cieux peuvent encore être celles qui racontent la gloire de Dieu, et qui s’ébranlerait pour contempler le Christ, lorsqu’il épanchera sur elle une plus grande abondance de ses grâces. — S. Aug. (A Hésych.) Ou bien encore : Les vertus des cieux seront ébranlées, parce que la persécution des impies sera si violente qu’elle ébranlera les plus forts dans la foi.

« Alors ils verront le Fils de l’homme venant sur une nuée. » — Théophyl. Aussi bien les infidèles que les fidèles, car il sera plus resplendissant que le soleil, lui et sa croix, de sorte que tous le connaîtront. — S. Aug. (comme précéd.) Ces paroles : « Il viendra sur une nuée, » peuvent s’entendre de deux manières : ou il viendra dans son Église comme dans une nuée lumineuse, ainsi qu’il ne cesse de venir dans le temps présent ; mais il viendra avec une grande puissance et une grande majesté, parce que sa puissance et sa majesté se manifesteront avec plus d’éclat aux yeux des saints pour leur donner la force qui doit les faire triompher de la violence de la persécution. Ou bien il viendra dans ce même corps avec lequel il est assis à la droite de son Père, et nous devons croire en effet, qu’il viendra non seulement dans le même corps, mais sur une nuée, parce qu’il reviendra des cieux comme il y est remonté ; or, ce fut une nuée qui le déroba aux yeux de ses disciples (Ac 1, 11). — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Nous voyons dans l’Écriture que Dieu apparaît toujours au milieu d’une nuée, selon ces paroles : « Les nuées sont autour de lui, et l’obscurité l’environne. » (Ps 17.) Le Fils de l’homme aussi viendra sur les nuées comme Dieu et Seigneur, non plus en cachant sa divinité, mais au milieu d’une gloire digne de Dieu, c’est pourquoi il ajoute : « Avec une grande puissance et majesté. » — S. Cyr. Il faut sous-entendre : Avec une grande majesté. Dans son premier avènement, il a voulu paraître revêtu de notre infirmité et de notre bassesse, mais lorsqu’il reviendra, pour la seconde fois, ce sera avec la puissance qui lui est propre. — S. Grég. Ceux qui n’ont pas voulu l’écouter dans son état d’humiliation, le verront alors dans sa puissance et dans sa gloire, et ils ressentiront d’autant plus les effets de sa colère que leurs coeurs auront résisté davantage aux avarices de sa miséricorde.

 

Vv. 28-33.

S. Grég. (hom. 4.) Les prédictions qui précèdent s’adressaient aux réprouvés, les paroles de consolation qui suivent sont pour les élus : « Pour vous, lorsque ces choses commenceront d’arriver, regardez en haut, et levez la tête, parce que votre rédemption est proche. » Comme s’il disait : Lorsque vous verrez se multiplier les fléaux du monde, levez la tête, c’est-à-dire livrez-vous à la joie de vos coeurs, parce qu’en même temps que finit ce monde que vous n’aimez pas, la rédemption que vous avez cherchée approche. Dans le langage de l’Écriture la tête est souvent prise pour le coeur (Si 2, 14 ; Si 32, 11), parce que le coeur dirige les pensées comme la tête gouverne les membres du corps ; lever la tête, c’est donc élever nos âmes vers les joies de la patrie céleste. — Eusèbe. Ou encore : aux choses corporelles et sensibles qui, auront cessé d’exister, succéderont les choses spirituelles et célestes, c’est-à-dire le règne d’un siècle qui n’aura plus de fin, et alors ceux qui en sont dignes, verront s’accomplir pour eux les promesses du salut : « Lorsque ces choses commenceront d’arriver, regardez en haut, » etc. En effet, en voyant l’effet des promesses qui faisaient l’objet de nos espérances, nous nous relèverons, nous qui étions auparavant dans l’abaissement, et nous lèverons la tête, nous qui étions humiliés, parce que la rédemption que nous espérions et que toutes les créatures attendaient, est arrivée. — Théophyl. C’est-à-dire, la parfaite liberté du corps et de l’âme ; car de même que le premier avènement du Seigneur avait pur but la réformation de nos âmes, le second aura pour but la réformation de nos corps. — Eusèbe. Notre-Seigneur parle ainsi à ses disciples, non pas que leur vie dût se prolonger jusqu’à la fin du monde, mais parce qu’ils ne font qu’un seul corps avec nous et avec tous ceux qui dans la suite de temps doivent croire en Jésus-Christ jusqu’à la consommation des siècles.

S. Grég. (comme précéd.) Notre-Seigneur apporte ensuite une comparaison pleine de justesse pour nous faire comprendre que nous devons fouler aux pieds et mépriser le monde : « Voyez, dit-il, la figuier et tous les autres arbres, lorsqu’ils commencent à produire leurs fruits, vous savez que l’été est proche, » etc. C’est-à-dire, de même que les fruits des arbres vous font juger de la proximité de l’été, ainsi la destruction du monde vous fera connaître que le royaume de Dieu approche. Nous voyons ici que le fruit du monde n’est que destruction. Il ne produit que pour détruire ce qu’il a contribué à faire croître et à nourrir. Le royaume de Dieu au contraire est justement comparé à l’été, parce qu’il dissipera tous les nuages de nos afflictions, et répandra sur les jours de notre vie les splendeurs du soleil éternel. — S. Ambr. Saint Matthieu ne parle ici que du figuier, tandis que saint Luc étend la comparaison à tous les autres arbres. Or, le figuier a ici une double signification symbolique, il figure à la fois l’adoucissement des dures épreuves, et la funeste abondance de tous les vices. Lors donc que nous verrons les arbres chargés de fruits encore ; verdoyants, et le figuier si fécond, couvert de fleurs, (c’est-à-dire lorsque toute langue louera Dieu de concert même avec le peuple juif), nous devons espérer l’avènement prochain du royaume de Dieu qui sera pour nous comme l’été et le temps de la moisson des fruits de la résurrection. De même encore, lorsque l’homme d’iniquité se sera revêtu de l’orgueil léger et frivole de la synagogue comparé aux feuilles des arbres, nous devons conjecturer que le jugement approche ; car le Seigneur se hâtera de récompenser la foi et de mettre fin à l’iniquité. — S. Aug. (A Hésych.) A quels signes se rapportent ces paroles : « Lorsque vous verrez ces choses arriver ? » évidemment à ceux qui sont rapportés plus haut ; or, parmi ces signes, nous lisons : « Alors ils verront le Fils de l’homme qui viendra. » Ainsi l’avènement du Fils de l’homme ne sera pas encore le royaume de Dieu, mais il annoncera qu’il est proche. Ou bien faut-il dire que ces paroles : « Lorsque vous verrez arriver ces choses, » ne doivent pas s’entendre de tous les signes qui précèdent, mais d’une partie seulement en exceptant celui-ci : « Alors ils verront le Fils de l’homme ? » Mais le récit de saint Matthieu ne nous permet pas de faire la moindre exception, puisqu’il dit en termes exprès : « Lorsque vous verrez arriver toutes ces choses. » Or, parmi ces choses se trouve la venue du Fils de l’homme qu’on peut entendre, ou de sa venue dans ses membres figurés par les nuages, ou de sa venue dans l’Église comparée à une grande nuée. — Tite. Ou encore : Le Seigneur dit : « Le royaume de Dieu est proche, » parce que ces signes précurseurs n’annonceront pas la fin immédiate et irrévocable du monde, mais qu’il touche à sa fin, car la venue du Seigneur aura pour but de renverser tout pouvoir sur la terre pour préparer les voies au règne tout-puissant de Dieu. — Eusèbe. De même que dans cette vie, lorsque le printemps succède à l’hiver, le soleil réchauffe et vivifie de ses rayons les semences confiées à la terre, les transforme et leur fait produire d’innombrables plantes nuancées à l’infini ; ainsi le glorieux avènement du Fils unique de Dieu répandant ses rayons vivifiants sur le monde nouveau, fera renaître à la lumière les semences ensevelies dans le monde entier, c’est-à-dire ceux qui dorment dans la poussière de la terre (cf. Dn 12, 2), leur rendra des corps bien préférables aux premiers, et fera succéder au règne de la mort vaincue à jamais, le règne d’une vie toute nouvelle.

S. Grég. (homél. 1 sur les Evang.) Le Sauveur donne à toutes ces prédictions le sceau d’une certitude infaillible, en ajoutant : « Je vous le dis en vérité, » etc. — Bède. Il donne ainsi la plus grande autorité à ses paroles, et s’il est permis de le dire, il fait une espèce de serment, car le mot amen, veut dire il est vrai. C’est donc la vérité elle-même qui nous dit : « Je vous dis la vérité, » bien qu’elle ne puisse mentir en aucune manière, quand elle ne s’exprimerait pas de la sorte. Cette génération dont il parle est tout le genre humain en général, ou le peuple juif en particulier. Eusèbe. Ou bien, c’est la génération de sa sainte Église, et Jésus prédit au peuple fidèle, qu’il vivra jusqu’au temps où il sera témoin de tous ces événements, et contemplera de ses yeux l’accomplissement des promesses du Sauveur. — Théophyl. Comme il avait prédit, en effet, qu’il y aurait des troubles, des guerres et des bouleversements, tant parmi les éléments que parmi toutes les autres créatures, il ne veut point laisser croire que le peuple chrétien lui-même périrait, et il ajoute : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point ; » comme s’il disait : Quand tout serait bouleversé, ma foi ne périra pas, preuve évidente qu’il met l’Église au-dessus de toutes les autres créatures, car toutes les autres créatures seront soumises au changement et à la destruction, tandis que l’Église des fidèles et les paroles de l’Évangile ne passeront pas. — S. Grég. (comme précéd.) Ou encore : « Le ciel et la terre passeront, » etc., c’est-à-dire, tout ce qui vous parait durable sur la terre ne l’est point sans changement et ne peut durer toujours, tandis que ce qui semble passer en moi, demeure fixe et immuable, parce que mes paroles qui passent sont l’expression de vérités, permanentes et immuables. — Bède. Ce ciel qui doit passer, n’est ni le firmament, ni le ciel parsemé d’étoiles, mais l’atmosphère céleste, d’où les oiseaux prennent le nom d’oiseaux du ciel ; mais si la terre doit aussi passer, pourquoi est-il dit dans l’Ecclésiaste : « La terre demeure éternellement. » (Si 1.) C’est-à-dire, que le ciel et la terre passeront quant à leur forme présente et leurs propriétés actuelles, mais ils existeront toujours dans leur essence.

 

Vv. 34-36.

Théophyl. Notre-Seigneur vient de prédire les signes terribles et manifestes des calamités qui doivent fondre sur les pécheurs, mais il donne comme préservatif contre ces maux la vigilance et la prière : « Prenez donc garde à vous, » etc. — S. Bas. (hom. 1 sur ces par. du Dt 15, 9 : veillez sur vous.) Tous les animaux ont reçu de Dieu un mystérieux instinct qui leur fait pourvoir à leur propre conservation. Or, le Sauveur nous donne cet avertissement pour que nous fassions ici par raison et par prudence ce qui est chez les animaux l’effet de l’instinct naturel. Nous devons donc fuir le péché, comme les animaux sans raison évitent les aliments qui leur seraient mortels, et rechercher la justice comme ils recherchent les plantes pleines pour eux d’un suc nutritif. C’est donc pour nous faire discerner ce qui est salutaire de ce qui est nuisible, que Notre-Seigneur nous dit : « Prenez garde à vous. » Mais il y a deux manières de prendre garde ou de veiller, l’une extérieure par les yeux du corps, l’autre intérieure par l’attention de l’esprit ; or, l’oeil du corps ne peut conduire à la vertu, c’est donc un acte de l’esprit que Notre-Seigneur nous conseille, lorsqu’il nous dit : « Prenez garde à vous, » etc., c’est-à-dire, soyez pleins de circonspection, et que la lumière de votre âme veille sans cesse sur vous pour vous garder de tout danger. il ne nous dit pas : Veillez sur ce qui est à vous ou sur les choses, qui vous entourent, mais : « Veillez sur vous. » Ce qui est vous, c’est votre intelligence et votre âme, ce qui est à vous, c’est votre corps et vos sens, ce qui est autour de vous, ce sont vos biens, votre industrie et tous les autres soutiens de votre vie. Or, ce n’est point à toutes ces choses que doit s’étendre votre vigilance, c’est votre âme qui doit être l’objet principal de vos soins. Ce même avertissement guérit à la fois les malades et donne une santé, parfaite à ceux qui sont déjà guéris ; il nous fait conserver le présent et pourvoir à l’avenir, il nous détourne de la censure du prochain pour reporter toute notre attention sur nos propres actions, il ne permet pas que notre esprit devienne l’esclave de ses passions, et soumet le corps et les sens dépourvus de raison à l’âme spirituelle et raisonnable. Mais pour quel motif devons nous veiller ? Le voici : « De peur que vos coeurs ne s’appesantissent, » etc. — Tite de Bostr. Comme s’il disait : Prenez garde que les yeux de votre âme ne s’appesantissent, car les préoccupations de la vie présente, la crapule et l’ivresse font perdre la prudence, ébranlent la foi, et sont cause de naufrages malheureusement certains.

 

Clém. d’Alexand. (Pédag., liv. 2, chap. 2.) L’ivresse, c’est l’usage immodéré du vin, la crapule, c’est le malaise et les vomissements qui sont la suite de l’ivresse, elle est ainsi appelée d’un mot grec qui veut dire branlement de tête. Or, de même que nous ne devons faire usage des aliments que pour apaiser la faim, nous ne devons user de la boisson que pour éteindre la soif, et nous devons éviter avec soin tout excès, car le vin est un breuvage trompeur. L’âme qui sera libre des excès du vin aura la prudence et la sagesse en partage ; mais celle qui se plonge dans les vapeurs de l’ivresse, sera comme couverte d’un nuage épais. — S. Bas. (Règl. abrég., quest. 88.) Nous devons éviter la curiosité et les préoccupations de cette vie, alors même qu’elles semblent n’avoir rien de coupable si elles ne concourent point à nous faire honorer Dieu. Le Sauveur donne ensuite la raison de cet avertissement : « De peur que ce jour ne vienne tout d’un coup vous surprendre, » etc. — Théophyl. Car ce jour viendra à l’improviste, sans qu’on en soit prévenu et il surprendra comme un filet ceux qui ne sont point sur leurs gardes : « Car il viendra, dit le Sauveur, comme un filet sur tous ceux qui habitent la face de la terre, » etc. Approfondissons davantage ces paroles : Ce jour surprendra tous ceux qui sont assis (sedentes) sur la terre, c’est-à-dire, ceux qui vivent dans l’imprévoyance et l’inaction. Mais pour ceux qui sont pleins de vigilance et d’activité pour le bien, et qui, loin de croupir dans l’inaction et le désoeuvrement des plaisirs de la terre, s’arrachent à ces obstacles et se disent : « Lève-toi, marche, ce n’est pas ici le lieu du repos ; » ce jour ne viendra ni comme un filet, ni comme un malheur, mais comme un jour de fête.

 

Eusèbe. Notre-Seigneur nous recommande donc la vigilance pour nous prémunir contre l’appesantissement que produisent les plaisirs et les sollicitudes de la terre : « Veillez donc et priez en tout temps, afin que vous soyez trouvés dignes d’échapper à tous ces maux qui arriveront. » — Théophyl. C’est-à-dire, la faim, la peste et les autres fléaux de ce genre, qui menacent les élus aussi bien que les autres hommes, et les supplices éternels réservés aux coupables, car nous ne pouvons éviter ces malheurs que par la vigilance et la prière. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 77.) C’est dans ce sens qu’il faut entendre cette fuite dont parle saint Matthieu, et qui ne doit avoir lieu ni dans l’hiver, ni le jour du sabbat. L’hiver est la figure des soucis de cette vie qui sont tristes comme la saison d’hiver ; le sabbat figure les excès de l’intempérance et de l’ivresse, qui submergent et étouffent le coeur dans les jouissances et les voluptés de la chair. Ces excès sont figurés par le sabbat, parce que c’est le jour où les Juifs se livrent à toutes les jouissances de la terre, dans l’ignorance où ils sont du sabbat spirituel. — Théophyl. Et comme il est du devoir d’un chrétien, non seulement de fuir le mal, mais de s’efforcer de parvenir à la gloire que Dieu lui réserve, le Sauveur ajoute : « Et de paraître avec confiance devant le Fils de l’homme, » car c’est la gloire des anges de se tenir devant le Fils de l’homme, qui est notre Dieu, et de contempler éternellement sa face. — Bède. Si un habile médecin nous recommandait de prendre bien garde au suc de quelque plante, de peur qu’elle ne nous donnât aussitôt la mort, avec quel soin nous observerions ses prescriptions. Cependant le Sauveur nous avertit de nous préserver de l’ivresse, de l’excès de la débauche et dés sollicitudes de cette vie, et nous ne craignons ni les blessures, ni la mort, dont toutes ces choses sont pour nous la cause, parce que, nous refusons d’accorder aux paroles du Seigneur, la même confiance que nous accordons aux paroles d’un médecin.

 

Vv. 37-38

Bède. Notre-Seigneur confirme ses enseignements par son exemple ; il vient de nous recommander la vigilance et la prière pour attendre avec confiance l’arrivée du Fils de l’homme et le jour si incertain de notre mort, et lui-même, aux approches de sa passion, se donne tout entier à la prédication, aux veilles et à la prière : « Or, le jour il enseignait dans le temple. » Il nous enseigne ainsi par son exemple, que la vigilance vraiment digne de Dieu est de faire connaître au prochain la voie de la vérité par ses paroles ou par ses actions. — S. Cyr. Quel était l’objet de son enseignement, si ce n’est cette religion sublime bien supérieure à celle de Moïse ? Le temps approchait, en effet, où les ombres devaient faire place à la vérité.

 

Théophyl. Les Évangélistes ont passé sous silence la plus grande partie des enseignements de Jésus-Christ ; il a prêché publiquement pendant près de trois années, et c’est à peine si ce qu’ils ont écrit suffirait à remplir une journée. Ils ne nous ont donc laissé qu’un abrégé de ses nombreux enseignements, pour nous donner le goût de la douceur et de la suavité de sa doctrine. Le Sauveur nous enseigne encore que nous devons converser avec Dieu dans le silence de la nuit et travailler pendant le jour à être utile au prochain, qu’il faut amasser des trésors pendant la nuit et les distribuer quand le jour est arrivé : « Et la nuit il sortait et se retirait sur la montagne appelée des Oliviers. » Ce n’est point sans doute que la prière lui fût nécessaire, mais parce qu’il voulait nous donner l’exemple.

 

S. Cyr. Comme sa parole était puissante et qu’il substituait avec autorité le culte en esprit et en vérité aux traditions figuratives de Moïse et des prophètes, le peuple était avide de l’entendre : « Et tout le peuple accourait de grand matin dans le temple pour l’écouter. » Ce peuple qui s’empressait ainsi autour de lui avant l’aurore, aurait pu dire : « Seigneur mon Dieu, je vous cherche dès l’aurore. » (Ps 62.)

 

Bède. Dans le sens figuré, lorsqu’au milieu de la prospérité nous vivons dans la tempérance, la piété, la justice, nous enseignons nous-mêmes dans le temple, en donnant aux fidèles l’exemple des bonnes oeuvres ; nous passons les nuits sur la montagne des Oliviers, lorsqu’au milieu des ténèbres de l’adversité, nous aspirons après les consolations spirituelles ; enfin le peuple vient à nous dès le matin, lorsqu’ayant dissipé les oeuvres de ténèbres, les nuages des tribulations, il s’empresse de nous imiter.

 

CHAPITRE XXII

Vv. 1-2.

S. Chrys. Les solennités des Juifs étaient l’ombre et la figure des nôtres ; si donc vous interrogez un juif sur la pâque et les azymes, il ne vous répondra rien de bien élevé, et se contentera de vous rappeler la délivrance de la captivité d’Égypte. Si, au contraire, vous me faites la même question, je ne vous parlerai ni de l’Égypte, ni de Pharaon, mais de la délivrance du péché et des ténèbres du démon, accomplie, non par Moïse, mais par le Fils de Dieu. — La Glose. En commençant le récit de la passion du Sauveur, l’Évangéliste parle d’abord de ce qui en était la figure : « La fête des pains sans levain, appelée la pâque, était proche. » — Bède. Le mot pâque, en hébreu phase, ne tire pas son nom du mot souffrance, mais du mot passage, parce que l’ange exterminateur, voyant le sang de l’agneau sur les portes des Israélites, passa sans mettre à mort leurs premiers-nés ; ou encore, parce que le Seigneur lui-même vint du ciel et passa au milieu d’eux pour secourir son peuple. Or, la pâque diffère des azymes, en ce que le nom de pâque est donné exclusivement au jour où l’on devait immoler l’agneau (c’est-à-dire le quatorzième de la lune du premier mois), tandis que le quinzième de la lune, jour de la sortie d’Égypte, commençait la fête des azymes qui durait sept jours, jusqu’au vingt et unième jour du même mois. C’est pourquoi les Évangélistes emploient indifféremment ces deux noms, comme dans cet endroit : « Le jour des azymes qui est appelé la pâque. » Le sens mystique de cette interprétation est que Jésus-Christ, qui a souffert une fois pour nous, nous fait un devoir de vivre dans les azymes de la sincérité et de la vérité (1 Co 5, 7-8), pendant toute la durée de cette vie, qui se compose de révolutions successives de sept jours.

S. Chrys. (hom. 80 sur S. Matth.) Les princes des prêtres concertent des projets criminels même pendant cette fête : « Et les princes des prêtres cherchaient un moyen pour faire mourir Jésus, » etc. D’après les prescriptions de Moïse, il ne devait y avoir qu’un seul grand prêtre, et ce n’est qu’à sa mort qu’on pouvait en créer un autre. Mais comme les observances judaïques commençaient à se relâcher, on nommait chaque année plusieurs grands prêtres. Or, en voulant faire mourir Jésus, ils ne craignent point que la justice divine ne punisse un forfait d’autant plus énorme, qu’ils le commettaient dans ces jours sacrés, et ils redoutent beaucoup plus les hommes : « Mais ils craignaient le peuple. » — Bède. Ce n’est pas qu’ils craignissent une sédition, mais ils avaient peur que le peuple ne vînt le délivrer de leurs mains. Ceci se passa, d’après saint Matthieu, deux jours avant la pâque, dans la maison de Caïphe, où ils étaient assemblés.

 

Vv. 3-6.

Théophyl. Les princes des prêtres cherchaient donc le moyen de mettre Jésus à mort, sans courir de danger ; l’Évangéliste raconte maintenant le moyen d’exécution qui vint s’offrir à eux : « Or, Satan entra dans Judas. » Il entra dans Judas sans violence, et comme dans une place ouverte ; car, absorbé tout entier par son avarice, il avait oublié tous les prodiges qu’il avait vus. — S. Chrys. (hom. 81 sur S. Matth.) L’auteur sacré fait connaître son surnom, qui était Iscariote, parce qu’il y avait un autre Judas. Il ajoute : « L’un des douze apôtres, » car Judas complétait le nombre, mais il était loin de remplir les devoirs d’un apôtre. — S. Chrys. Ou encore, l’Évangéliste fait mention de cette circonstance, pour établir un contraste, comme s’il disait : Il était de la première compagnie que Jésus avait choisie avec le plus de soin. »

Bède. Il n’y a aucune contradiction entre le récit de saint Luc, et ce que dit saint Jean, que Satan entra dans Judas après le morceau de pain que Jésus lui avait présenté. (Jn 13, 27.) Il entra la première fois comme sur un terrain qui n’était pas à lui, et pour tenter Judas, il entra la seconde fois comme dans un coeur qui lui appartenait, et pour le plier à toutes ses volontés. — S. Chrys. Considérez ici l’insigne méchanceté de Judas ; c’est lui-même qui se charge de cet odieux forfait, et il met à prix sa trahison : « Et il s’en alla conférer avec les princes des prêtres et les officiers du temple, sur les moyens de le leur livrer, et ils en furent pleins de joie. » — Théophyl. Ces officiers sont ceux qui étaient chargés de veiller à l’entretien et à la garde du temple, ou bien ceux que les Romains avaient établis pour prévenir les séditions auxquelles le peuple juif était porté.

 

S. Chrys. Or, ce fut l’avarice qui fut la cause de la perte de Judas : « Et ils convinrent de lui donner de l’argent. » Telles sont les passions qu’engendre l’avarice, elle précipite les hommes dans l’impiété et dans l’ignorance de Dieu ; et alors même qu’ils ont reçu des bienfaits sans nombre, elle les porte à se déclarer contre leurs bienfaiteurs : « Et il le leur promit. » — Théophyl. C’est-à-dire qu’il s’engagea de son côté à livrer Jésus : « Et il cherchait une occasion favorable de le leur livrer, sans exciter de troubles, » c’est-à-dire qu’il épiait le moment où il le verrait éloigné de la foule. — Bède. Combien en est-il qui ont en horreur le crime de Judas, et qui ne laissent pas de l’imiter. Car celui qui viole les droits de la charité et de la vérité, trahit Jésus-Christ (qui est la vérité et la charité), surtout lorsque sa trahison n’est l’effet ni de la faiblesse ni de l’ignorance, mais qu’à l’exemple de Judas, il cherche l’occasion de trahir sans témoin la vérité par le mensonge, et la vertu par le crime.

 

Vv. 7-13.

Tite de Bost. Notre-Seigneur voulait nous donner la pâque céleste, il se soumet pour cela à manger la pâque figurative, et il supprime le symbole pour lui substituer la vérité : « Vint le jour des azymes, » etc. — Bède. L’Évangéliste appelle jour des azymes le quatorzième jour du premier mois, dans lequel on avait coutume de faire disparaître tout pain fermenté, et d’immoler vers le soir la pâque, c’est-à-dire l’agneau pascal. — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) On me dira peut-être : Puisque les disciples ont préparé, le premier jour des azymes, ce qu’il fallait pour que leur divin Maître pût manger la pâque, nous devons aussi célébrer la pâque le même jour, je réponds que ce n’est pas ici une prescription, mais le simple récit d’un fait qui a eu lieu au temps de la passion du Sauveur, et que le récit d’un fait qui s’est passé est tout différent de l’établissement d’une règle qui oblige pour l’avenir. Je dirai plus, c’est que le Sauveur n’a point mangé la pâque le jour où les Juifs immolaient l’agneau pascal ; car cette immolation n’eut lieu que la veille du sabbat, le jour même de la passion du Seigneur : c’est pour cela qu’ils n’entrèrent point dans le prétoire de Pilate, afin de pouvoir manger la pâque. (Jn 19.) Du moment qu’ils conspirèrent contre la vérité, ils ne craignirent plus de s’écarter des règles tracées par la vérité, et ils ne mangèrent plus la pâque, comme ils avaient coutume de le faire le premier jour des azymes, où la pâque devait être immolée (car ils étaient occupés de bien autre chose), mais ils la célébrèrent le jour suivant, qui était le second jour des azymes. Le Seigneur, au contraire, célébra la pâque avec ses disciples le premier jour des azymes, c’est-à-dire le cinquième jour après le sabbat.

Théophyl. Ce même jour qui était le cinquième, il envoya pour préparer la pâque deux de ses disciples, Pierre, le plus ardent pour son Maître, et Jean, celui qui en était le plus aimé : « Il envoya Pierre et Jean pour préparer ce qu’il fallait, » etc. C’est ainsi qu’il se montre en tout fidèle observateur de la loi jusqu’à la fin de sa vie. Il envoie ses disciples dans une maison étrangère ; car ni lui ni ses disciples n’avaient de maison en propre, autrement il eût célébré la pâque chez l’un d’eux : « Ils lui dirent donc : Où voulez-vous que nous la préparions ? » — Bède. Comme s’ils disaient : Nous n’avons ni demeure ni habitation. Entendez ces paroles, vous qui mettez tous vos soins à vous construire des maisons sur la terre, et apprenez que le Christ, le Maître de toutes choses, n’avait même pas où reposer sa tête. — S. Chrys (hom. 82 sur S. Matth.) Comme ils ne connaissaient point celui à qui Notre-Seigneur les envoyait, il leur donna pour le reconnaître un signe semblable à celui que Samuel avait donné à Saul (1 R 10, 2 ) : « Il leur répondit : En entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau ; suivez-le dans la maison où il entrera. »

S. Ambr. Considérez d’abord la puissance de la divinité dans ces paroles du Sauveur, il s’entretient avec ses disciples, et il sait ce qui doit se passer dans un autre endroit. Admirez ensuite sa condescendance ; ce n’est ni un riche ni un puissant du siècle, mais un pauvre dont il choisit la maison, et il préfère cette étroite et modeste demeure aux palais des grands. Le Seigneur connaissait le nom de celui dont il prévoyait ainsi la mystérieuse rencontre, mais il le désigne sans le nommer, pour faire ressortir son humble condition. — Théophyl. Ou encore, il les adresse à un homme inconnu, pour leur faire comprendre que c’était volontairement qu’il allait souffrir dans sa passion. En effet, celui qui pouvait inspirer à cet inconnu des dispositions si favorables pour ses disciples, aurait bien pu aussi amener les Juifs à faire tout ce qu’il aurait voulu. Quelques-uns pensent que le Sauveur ne voulut point dire le nom de cet homme, de peur que le traître, venant à savoir ce nom, ne fît connaître la maison aux pharisiens, qui auraient pu venir s’emparer de lui avant qu’il eût célébré la cène et distribué aux disciples les augustes mystères ; il se contente de leur donner quelques signes pour trouver cette maison : « Et vous direz au maître de cette maison : Le Maître vous mande : Où est le lieu où je mangerai la pâque avec mes disciples ? Et il vous montrera une grande salle meublée, » etc. — La Glose. Les disciples ayant reconnu les signes qui leur avaient été donnés, accomplirent exactement ce qui leur avait été prescrit : « S’en allant donc, ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit, et ils préparèrent la pâque. » — Bède. L’apôtre saint Paul, parlant de cette pâque, nous dit : « Notre agneau pascal, Jésus-Christ a été immolé, » (1 Co 5.) Il fallait que cette pâque fût alors immolée, pour obéir à un ordre tout divin, et au décret du Père céleste ; et bien que le Sauveur n’ait été crucifié que le jour suivant, c’est-à-dire le quinzième jour de la lune ; cependant il fut arrêté et chargé de chaînes la nuit même où l’agneau pascal était immolé par les Juifs, et il consacra ainsi les préliminaires de son immolation ou de sa passion.

Théophyl. Par le jour des azymes, il nous faut entendre cette vie lumineuse et toute spirituelle, qui n’a rien de commun avec la vie ancienne, suite de la faute de notre premier père, et lorsque nous vivons de cette vie, nous devons mettre toute notre joie dans les mystères de Jésus-Christ. C’est Jean et Pierre qui nous préparent ces mystères, c’est-à-dire l’action et la contemplation ; la ferveur du zèle et la douceur de la paix. Ces deux disciples rencontrent un homme, parce que ces deux vertus nous font retrouver l’homme qui a été créé à l’image de Dieu. Cet homme porte une cruche d’eau, symbole de la grâce de l’Esprit saint. Ce vase figure l’humilité du coeur, car Dieu ne donne sa grâce qu’aux humbles qui reconnaissent qu’ils ne sont que cendre et poussière. — S. Ambr. Ou encore, ce vase c’est la mesure de la perfection, et cette eau est celle qui a mérité de devenir la matière du sacrement de Jésus-Christ, et de purifier au lieu d’être elle-même purifiée.

Bède. Les disciples préparent la pâque là où ils voient cet homme porter la cruche d’eau, parce que le temps était venu où le sang devait cesser de marquer la porte de ceux qui célèbrent la pâque véritable, pour être remplacé par la source vivifiante du baptême qui efface les péchés. — Orig. (Traité 35 sur S. Matth.) Cet homme que les disciples rencontrèrent à leur entrée dans la ville, portant une cruche d’eau, était, à mon avis, un des serviteurs du père de famille, qui portait dans un vase de terre l’eau destinée à la boisson ou aux purifications légales, et je pense qu’il était la figure de Moïse, dont la doctrine spirituelle était contenue dans le récit de faits extérieurs. Ceux qui ne peuvent atteindre à cette doctrine spirituelle, ne célèbrent point la pâque avec Jésus. Montons donc avec le Seigneur lui-même, qui est au milieu de nous, à cet endroit plus élevé où se trouve le lieu du festin, et que l’intelligence (figurée par le père de famille), découvre à chacun des disciples de Jésus-Christ. Que cette salle située dans l’endroit le plus élevé de la maison, soit grande pour recevoir Jésus, le Verbe de Dieu, qui ne peut être reçu que par les âmes vraiment grandes. Que ce soit le père de famille (c’est-à-dire, l’intelligence), qui prépare cette demeure pour le Fils de Dieu, qu’elle soit purifiée et ne conserve plus aucune des souillures de l’iniquité. Que le nom du maître de cette maison ne soit point connu de la foule, comme l’indiquent ces paroles de Jésus dans saint Matthieu : « Allez dans la ville chez un tel. » — S. Ambr. Cet homme a une grande salle au haut de sa maison, ce qui vous fait comprendre quel mérite éminent doit avoir celui en qui le Seigneur vient prendre avec ses disciples un doux repos au milieu des plus sublimes vertus. — Orig. N’oublions pas que ceux qui passent leur vie dans les plaisirs de la table et les sollicitudes de ce monde, ne montent point dans cette salle supérieure et ne célèbrent point la pâque avec Jésus. Car ce n’est qu’après que les paroles des disciples ont instruit le père de famille, c’est-à-dire, l’intelligence, que Dieu vient avec ses disciples dans cette maison pour y célébrer le festin sacré.

 

Vv. 14-17.

S. Cyr. Après que les disciples eurent préparé ce qu’il fallait pour célébrer la pâque, l’heure vint de la manger : « Et l’heure étant venue, » etc. — Bède. L’heure de manger la pâque, c’est le soir du quatorzième jour du premier mois, au moment où la lune du quinzième jour se lève. — Théophyl. Mais pourquoi l’Évangéliste nous dit-il que le Seigneur se mit à table, puisque les Juifs devaient se tenir debout pour manger l’agneau pascal ? Nous répondons qu’après avoir mangé l’agneau pascal, suivant les prescriptions de la loi, ils se mirent à table, suivant l’usage, pour prendre d’autres aliments.

« Et il leur dit : J’ai désiré d’un grand désir de manger cette pâque avec vous, » etc. — S. Cyr. Notre-Seigneur s’exprime de la sorte, parce que l’avare disciple épiait le moment où il pourrait livrer son divin Maître, mais le Sauveur n’avait fait connaître ni la maison ni le nom de celui chez qui il devait célébrer la pâque, pour qu’on ne pût se saisir de sa personne avant qu’il l’eût célébrée, et il donne ici la raison de cette conduite. — Théophyl. Ou encore : « J’ai désiré d’un grand désir, » c’est-à-dire, c’est la dernière cène que je fais avec vous, aussi m’est-elle précieuse et chère. Ainsi ceux qui partent pour un long voyage, adressent à leurs amis leurs plus tendres adieux. — S. Chrys. Ou encore, il s’exprime ainsi, parce que cette pâque devait être suivie de sa mort sur la croix ; or, nous voyons que plusieurs fois, pendant sa vie, il prédisait sa passion et manifestait le désir ardent de la voir arriver. — Bède. Il désire manger d’abord avec ses disciples la pâque figurative et révéler ainsi au monde les mystères de sa passion. — Eusèbe. Ou bien encore, le Seigneur étant sur le point d’instituer une pâque nouvelle, il dit avec raison : « J’ai désiré ardemment cette pâque, » c’est-à-dire, le mystère nouveau du Nouveau Testament qu’il donnait à ses disciples, et que tant de prophètes et de justes avaient désiré voir. Or, comme il avait soif du salut de tous les hommes, il instituait un mystère qui devait être célébré dans le monde entier, tandis que la pâque établie par Moïse ne pouvait être célébrée que dans un seul endroit, c’est-à-dire, à Jérusalem ; elle n’était donc point destinée à toutes les nations et ne pouvait être l’objet d’un désir si ardent. — S. Epiph. (Liv. 1 cont. les hérés., 30, 22.) Ce fait seul peut servir à confondre l’erreur insensée des ébionites sur l’usage de la chair, puisque le Sauveur a mangé l’agneau pascal des Juifs, et il dit expressément : « J’ai désiré manger cette pâque, » afin qu’on ne puisse l’entendre autrement.

 

Bède. Notre-Seigneur donne ainsi par son exemple son approbation à la pâque légale, et en même temps il en interdit désormais la célébration, en enseignant qu’elle n’était que la figure des mystères qu’il venait révéler : « Car je vous le dis, je ne la mangerai plus jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu, » c’est-à-dire, je ne célébrerai plus la pâque mosaïque, jusqu’à ce que Je mystère dont elle est la figure, soit accompli dans l’Eglise, car elle est vraiment le royaume de Dieu, selon cette parole : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous. » (Lc 17.) C’est encore à cette pâque ancienne à laquelle le Sauveur voulait mettre fin que se rapportent les paroles qui suivent : « Et prenant le calice, il rendit grâces et dit : Prenez et partagez entre vous, » etc. Il rend grâces, parce que toutes les cérémonies de l’ancienne loi allaient finir et céder la place à des rites tout nouveaux. — S. Chrys. (Disc. 1 sur Lazare.) Lorsque vous prenez place à table, souvenez-vous que la prière doit succéder au repas ; mangez donc avec modération et sobriété, de peur qu’appesantis par les excès de la table, vous ne puissiez ni fléchir les genoux, ni prier Dieu. Après nos repas, ne nous dirigeons donc pas aussitôt vers notre lit, mais livrons-nous à la prière, car évidemment le Sauveur a voulu nous enseigner ici qu’au repas doivent succéder, non le sommeil et le repos, mais la prière et la lecture des saintes Écritures : « Car je vous le dis ; je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’à ce que vienne le royaume de Dieu. » — Bède. Ces paroles peuvent être entendues simplement en ce sens, que le Sauveur ne devait plus boire de vin depuis cette heure de la cène jusqu’au temps de sa résurrection où il devait venir établir le royaume de Dieu. En effet, saint Pierre atteste qu’ils le virent alors manger et boire avec eux : « Il s’est manifesté… à nous qui avons mangé et bu avec lui depuis sa résurrection. » (Ac 10, 41.) — Théophyl. La résurrection de Jésus-Christ est appelée le royaume de Dieu, parce qu’elle a détruit l’empire de la mort, ce qui a fait dire à David : « Le Seigneur a régné, il s’est revêtu de gloire, » c’est-à-dire que, selon la prophétie d’Isaïe, il s’est dépouillé de la corruption du corps pour se revêtir d’un vêtement de magnificence et d’honneur. Or, après sa résurrection, il a voulu boire en présence de ses disciples, pour leur prouver que sa résurrection était réelle. — Bède. Cependant, il est plus logique de dire que Notre-Seigneur déclare qu’il ne boira plus le vin de in pâque comme il a déclaré précédemment qu’il ne mangerait plus l’agneau figuratif, jusqu’à ce que la manifestation de la gloire de son royaume fît embrasser la foi chrétienne à tout l’univers, et que le changement spirituel des deux grandes prescriptions de la loi (la nourriture et le breuvage de la pâque), vous fît comprendre que toutes les observances figuratives de la loi ne seraient plus désormais accomplies que d’une manière spirituelle.

 

Vv. 19-20.

Bède. Après avoir accompli les cérémonies solennelles de la pâque ancienne, le Sauveur institue la nouvelle pâque, et commande à son Église de la célébrer en mémoire du mystère de la rédemption. Établi prêtre selon l’ordre de Melchisédech (Ps 109, et He 7), il remplace la chair et le sang de l’agneau par le sacrement de son corps et de son sang sous les espèces du pain et du vin : « Et ayant pris du pain il rendit grâces. » Il avait déjà rendu grâces en mettant fin à la pâque ancienne, et il nous enseigne ainsi par son exemple à louer, à glorifier Dieu au commencement comme à la fin de chacune de nos bonnes oeuvres. « Il le rompit. » Il rompt lui-même le pain qu’il donne à ses disciples, pour montrer que son corps ne sera brisé dans sa passion que par sa volonté : « Et il le leur donne en disant : Ceci est mon corps qui est donné pour vous. » — S. Grég. de Nysse. (sur le bapt. de Jésus-Christ.) Avant la consécration, le pain est un pain ordinaire, mais aussitôt le mystère de la consécration, il devient et il est appelé le corps de Jésus-Christ.

S. Cyr. Ne doutez point de cette vérité, puisque le Fils de Dieu vous dit clairement : « Ceci est mon corps. » Mais plutôt recevez avec foi les paroles du Sauveur, car il est la vérité et ne peut mentir. C’est donc une erreur autant qu’une folie, de dire que l’effet de la consécration mystérieuse cesse, lorsqu’on réserve pour le jour suivant quelques fragments du pain consacré, car aucun changement ne se fait dans le corps sacré de Jésus-Christ, et il conserve toujours la vertu de la consécration aussi bien que la grâce qui donne la vie (Liv. 4 sur Jn 14). Car la vertu vivifiante de Dieu le Père, c’est le Verbe, son Fils unique, qui s’est fait chair sans cesser d’être le Verbe, et qui a communiqué à sa chair une vertu vivifiante (chap. 23). Si vous trempez un peu de pain dans une liqueur quelconque, il s’imprègne aussitôt du goût de cette liqueur. C’est ainsi que le Verbe de Dieu, source de vie, communique cette vertu vivifiante à sa chair par l’union étroite qu’il a contractée avec elle. Pouvons-nous en conclure que notre corps a part aussi à cette vertu vivifiante, parce que la vie de Dieu est en nous, et que le Verbe de Dieu demeure dans notre âme ? Non, car il y a une différence entre la participation que le Fils de Dieu nous donne à sa vertu lorsqu’il demeure en nous, et l’union étroite par laquelle il s’est incarné dans le corps qu’il a pris dans le sein de la vierge Marie, et dont il a fait son propre corps. Il était convenable, en effet, que le Fils de Dieu s’unit à nos corps par sa chair sacrée et son sang précieux que nous recevons sous les espèces du pain et du vin, pour nous communiquer une bénédiction vivifiante. Nous aurions eu horreur de la chair et du sang placés sur les saints autels, Dieu, plein de condescendance pour notre faiblesse, a donc communiqué aux dons offerts une vertu vivifiante en les changeant véritablement en sa propre chair, afin que ce corps vivifiant soit en nous comme une semence de vie, il ajoute : « Faites ceci en mémoire de moi. » — S. Chrys. (hom. 46 sur S. Jean.) Jésus-Christ a institué ce mystère pour nous faire contracter avec lui une alliance plus étroite, et nous manifester toute l’étendue de son amour ; c’est pour cela que, non seulement il se rend visible à ceux qui désirent le voir, mais encore qu’ils les laissent le toucher, le manger, l’embrasser et rassasier leurs saints désirs. Nous sortons donc de cette table, semblables à des lions qui respirent la flamme, et devenus terribles au démon. — S. Bas. (Moral., règl. 21, chap. 3, et régl. abrég., quest. 172.) Apprenez à quelles conditions il nous est permis de manger le corps de Jésus-Christ, c’est-à-dire, en mémoire de l’obéissance qu’il a portée jusqu’à la mort, de sorte que ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. (2 Co 5, 45.) — Théophyl. Il est question dans saint Luc de deux coupes, l’une dont Jésus dit plus haut : « Prenez-la et distribuez-la entre vous ; » la seconde qu’il distribue lui-même à ses disciples après la fraction et la distribution du pain, et dont il est dit : « De même le calice après le souper. » — Bède. Il faut sous-entendre : Il leur donna, afin que la phrase soit complète. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 1.) Ou encore, saint Luc parle deux fois de la coupe, d’abord avant que Jésus distribuât le pain, et une seconde fois lorsqu’il l’eût distribué ; ce qu’il en dit en premier lieu, il le fait par anticipation, selon sa coutume, et il raconte ensuite en son temps ce dont il n’avait point parlé précédemment ; or, en réunissant ces deux parties, nous avons le même récit que nous donne saint Matthieu et saint Marc. — Théophyl. Le Sauveur appelle ce calice le calice du Nouveau Testament : « Ce calice est le Nouveau Testament en mon sang qui sera répandu pour vous. » Il nous apprend ainsi que le Nouveau Testament commence dans son sang. En effet, dans l’Ancien Testament, le sang des animaux vint consacrer la promulgation de la loi, et maintenant le sang du Verbe de Dieu est pour nous le signe sacré de la nouvelle alliance. Ces paroles : « Qui sera répandu pour vous, » ne signifient pas que Jésus-Christ n’ait donné son corps et répandu son sang que pour les Apôtres seuls, car il a donné l’un et l’autre pour le salut du genre humain tout entier. La pâque ancienne avait pour objet la délivrance de la servitude d’Égypte, le sang de l’agneau avait été versé pour sauver de la mort les premiers nés des Hébreux ; la pâque nouvelle a pour fin la rémission des péchés, et le sang de Jésus-Christ est versé pour le salut éternel de ceux qui sont consacrés au service de Dieu. — S. Chrys. (hom. 46 sur S. Jean.) Ce sang imprime en nous l’image auguste de notre roi, il préserve de toute flétrissure la noblesse de notre âme, il pénètre notre coeur de sa divine rosée, et lui inspire une force surhumaine. Ce sang met en fuite les démons et fait descendre en nous les anges et le Seigneur des anges ; ce sang répandu sur la terre l’a purifiée et lui a ouvert les portes des cieux. Ceux qui participent à ce sang divin sont associés aux vertus des cieux, revêtus du manteau royal de Jésus-Christ, ou plutôt revêtus de ce divin roi lui-même. Or, si vous approchez de lui avec un coeur pur, il sera pour vous un principe de grâce et de salut ; mais si vous osez vous présenter devant lui avec une conscience coupable, vous commettez un sacrilège et vous le recevez pour votre condamnation et votre supplice. En effet, si ceux qui profanent la pourpre royale sont punis du même châtiment que ceux qui la mettent en pièces, est-il contraire à la raison de dire que ceux qui reçoivent le corps de Jésus-Christ dans une conscience souillée, méritent le même supplice que ceux qui l’ont percé de clous ? — Bède. Comme le pain a pour but de fortifier notre corps, et le vin de produire le sang dans nos membres, l’un, le pain, se rapporte au corps de Jésus-Christ, et le vin à son sang. Mais aussi comme nous devons demeurer en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ doit demeurer en nous, on mêle au vin de l’eau dans le calice du Seigneur, car au témoignage de l’apôtre saint Jean, les eaux sont la figure des peuples (Ap 17). Le Sauveur distribue d’abord le pain, et puis ensuite le calice ; en effet, dans la vie spirituelle, il faut commencer par les actions laborieuses et pénibles qui sont comme le pain, non seulement parce que nous ne devons manger notre pain qu’à la sueur de notre front (Gn 3), mais parce que le pain quand on le mange est d’une déglutition tant soit peu difficile. Ensuite aux fatigues de cette vie laborieuse, succède la joie produite par la grâce divine dont le calice est la figure. — Bède. Les Apôtres communièrent au corps de Jésus-Christ après la cène, parce qu’il fallait d’abord accomplir et terminer la pâque figurative avant de célébrer les mystères de la véritable pâque. Mais depuis, pour l’honneur d’un si grand sacrement, l’autorité de l’Église nous a ordonné de prendre tout d’abord cette nourriture spirituelle avant tout aliment terrestre. — Eutych. Patriar. Or, celui qui communie reçoit tout le corps et tout le sang du Seigneur, alors même qu’il ne reçoit qu’une partie des espèces consacrées ; car de même qu’un sceau imprime son empreinte tout entière sur plusieurs choses à la fois, et demeure intégralement le même après l’avoir communiquée ; de même encore qu’une seule et même parole se fait entendre à un grand nombre, nous devons croire aussi sans hésiter que le corps et le sang du Seigneur sont tout entiers dans tous ceux qui communient. Quant à la fraction du pain consacré, elle est une figure de la passion.

 

Vv. 21-23.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 1) Après avoir distribué le calice è ses disciples, Notre-Seigneur parle de nouveau de celui qui devait le trahir : « Cependant voici que la main de celui qui me trahit est avec moi à cette table. » — Théophyl. Il tient ce langage, non seulement pour montrer qu’il connaît l’avenir, mais pour faire ressortir sa grande bonté, qui épuisa tous les moyens propres à détourner Judas de son perfide dessein. C’est ainsi qu’il nous donne l’exemple du zèle avec lequel nous devons poursuivre jusqu’à la fin la conversion des pécheurs. Il veut aussi nous montrer la noire méchanceté de ce traître disciple qui ne rougit point de s’asseoir à la table de son Maître. — S. Chrys. (hom. 83 sur S. Matth.) La participation aux divins mystères rie le fait pas renoncer à son dessein ; son crime n’en devient donc que plus monstrueux, et parce qu’il a osé s’approcher des saints mystères avec cette intention criminelle, et parce qu’il les reçoit sans en devenir meilleur, et en restant insensible à la crainte, aussi bien qu’à la reconnaissance et à l’honneur incomparable que le Sauveur lui témoigne. — Bède. Et cependant Jésus ne le désigne pas spécialement, de peur que ce reproche public ne le rende plus audacieux, et il parle en général de celui qui doit le trahir, pour toucher de repentir celui qui se sentira coupable. Il prédit en même temps le châtiment dont le traître sera puni, pour ramener par la perspective du supplice celui que la honte n’a pu fléchir : « Pour ce qui est du Fils de l’homme, il s’en va, » etc. — Théophyl. Ce n’est pas qu’il n’eût pu se défendre lui-même, mais parce qu’il avait résolu de souffrir la mort pour le salut des hommes.

S. Chrys. Quant à Judas, il accomplissait les Écritures avec une pensée criminelle ; gardons-nous de le justifier comme ayant été l’instrument de la Providence ; écoutons plutôt le Sauveur : « Cependant malheur à l’homme par lequel il sera trahi ! » — Bède. Malheur aussi à l’homme qui s’approche indignement de la table du Seigneur, et qui, à l’exemple de Judas, trahit le Fils de l’homme, en le livrant non pas aux Juifs, mais à des membres souillés par le péché ! Les onze Apôtres savaient bien qu’ils ne méditaient rien contre leur divin Maître ; néanmoins ils s’en rapportent plus volontiers à son témoignage, qu’à celui de leur conscience, et la crainte de leur faiblesse leur fait se demander s’ils ne sont pas coupables d’une faute qu’ils ne découvrent point en eux-mêmes : « Et ils commencèrent à se demander les uns aux autres, » etc. — S. Bas. (règ. aarég. quest. 301.) Parmi les maladies du corps, il en est qui ne sont point senties par ceux mêmes qui en sont atteints, et ils ont plus de foi aux conjectures des médecins qu’à leur propre insensibilité. Il en est de même pour les maladies de l’âme, celui qui ne se sent point coupable, doit s’en rapporter plus volontiers au témoignage de ceux qui peuvent mieux connaître l’état de son âme.

 

Vv. 24-27.

Théophyl. Ils venaient de rechercher entre eux quel était celui qui trahirait le Seigneur, il était donc naturel de les entendre se dire l’un à l’autre : « C’est vous qui le trahirez, » et de tirer cette conclusion : « Je suis le premier, c’est moi qui suis le plus grand, » et autres choses semblables. C’est ce que raconte l’Évangéliste : « Il s’éleva aussi parmi eux une contestation, lequel d’entre eux devait être estimé le plus grand. » — Apollin. (Ch. des Pèr. gr.) Ou encore, la cause de cette contestation put venir de ce que le Seigneur devant bientôt quitter la terre, il fallait que l’un d’eux fût mis à la tête des autres, et tînt la place du Sauveur. Or, de même que les bons cherchent dans les Écritures les exemples de nos pères dans la foi qui peuvent augmenter en eux le zèle pour la perfection et l’humilité, de même aussi les méchants saisissent avec joie ce qu’il peut y avoir de répréhensible dans la conduite des élus, pour autoriser et couvrir leurs propres fautes. Aussi sont-ils enchantés de lire qu’une contestation s’éleva entre les disciples de Jésus-Christ. — S. Ambr. La conduite des Apôtres dans cette circonstance, n’est point pour nous une excuse, mais un avertissement. Veillons donc à ce qu’aucune contestation sur la préséance ne s’élève entre nous pour notre perte. — Bède. Considérons plutôt, non ce que les Apôtres ont fait sous l’impression d’un sentiment tout humain, mais la recommandation que leur a faite leur divin Maître : « Il leur dit : Les rois des nations, » etc. — S. Chrys. (hom. 66 sur S. Matth.) Il dit : « Les rois des nations, » ce qui déjà est un préjugé défavorable contre l’action dont il s’agit ; car c’était le défaut dominant des païens d’ambitionner la primauté. — S. Cyr. Ajoutons que leurs sujets leur adressent des paroles de flatterie : « Et ceux qui exercent sur elles l’autorité, sont appelés bienfaiteurs. » Comme ils sont étrangers à toutes les lois divines, ils sont en proie à toutes ces passions funestes ; mais pour vous, votre grandeur sera dans la pratique de l’humilité : « Mais pour vous, il n’en sera pas ainsi, » etc. — S. Bas. (rég. dévelop., quest. 30 et 31.) Que personne donc ne s’enorgueillisse de la préséance, s’il ne veut perdre le mérite et la récompense de la béatitude promise à l’humilité (Mt 5), et qu’il sache que la véritable humilité nous porte à être le serviteur de tous nos frères. Or, de même que celui qui est chargé du soin d’un grand nombre de blessés, et qui étanche le sang de leurs plaies, ne s’enorgueillit point des services qu’il leur rend, à plus forte raison celui à qui Dieu a confié le soin de guérir les langueurs spirituelles de ses frères, et qui doit, comme serviteur de tous, rendre compte de tout au tribunal de Dieu, doit veiller avec le plus grand soin sur lui-même, et ainsi : « Celui qui est le plus grand, doit être comme le moindre. » Il est juste encore que ceux qui sont à la tête des autres, leur rendent des services même corporels, à l’exemple de Notre-Seigneur qui a lavé les pieds de ses disciples : « Et celui qui a la préséance, doit être comme celui qui sert. » Il n’est pas à craindre que cette condescendance du supérieur ne détruise l’humilité dans, l’inférieur, c’est au contraire pour lui une éclatante leçon d’humilité.

S. Ambr. Remarquez que l’humilité ne consiste pas seulement dans les marques d’honneur que vous témoignez aux autres ; car vous pouvez agir en cela pour obtenir la faveur du monde, par crainte de ceux qui ont la puissance, ou par un motif d’intérêt personnel ; vous cherchez alors votre avantage, plutôt que l’honneur des autres ; aussi Notre-Seigneur formule-t-il pour tous la même règle qui défend toute recherche de la préséance, et ne permet que les saintes luttes de l’humilité. — Bède. Pour suivre cette règle que prescrit le Seigneur, les supérieurs ont besoin d’un grand discernement, ils doivent éviter l’esprit de domination sur leurs inférieurs, ce qui est le propre des rois des nations, et la vaine complaisance dans les louanges qui leur sont données, sans cesser néanmoins d’être animés du zèle de la justice contre les vices des coupables. Le Sauveur confirme ensuite cette leçon par son exemple : « Car quel est le plus grand, celui qui est à table, ou celui qui sert ? Et moi cependant je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » — S. Chrys. Paroles qui reviennent à celles-ci : Ne croyez pas que vos inférieurs aient besoin de vous, tandis que pour vous, vous en êtes complètement indépendants ; car moi-même, qui n’ai besoin de personne, de qui, au contraire, toutes les créatures du ciel et de la terre ont besoin, je suis descendu au rang de serviteur. — Théophyl. Il a exercé à leur égard les fonctions de serviteur, lorsqu’il leur a distribué le pain sacré et le calice, et il fait mention de ce fait pour leur rappeler que puisqu’ils ont mangé du même pain et bu du même calice, ils doivent tous faire profession des mêmes sentiments que Jésus-Christ, qui n’a point dédaigné de se rendre leur serviteur. — Bède. Ou encore, il veut parler de l’humble office qu’il a rempli en leur lavant les pieds, lui leur Maître et Seigneur. (Jn 13, 34.) On pourrait encore appliquer cet office de serviteur à toutes les actions de sa vie mortelle. Enfin, on peut aussi l’entendre du sang qu’il a répandu sur la croix pour notre salut.

 

Vv. 28-30.

Théophyl. De même que Notre-Seigneur avait dit malheur au traître, il promet des récompenses aux disciples qui lui resteront fidèles : « Pour vous, vous êtes demeurés avec moi dans mes tentations, » etc. — Bède. Ce n’est point aux premiers essais de la vertu de patience, mais à la persévérance qu’est donnée la gloire du royaume des cieux ; parce qu’en effet, la persévérance (qui est aussi appelée constance ou force d’âme), est comme la base et la colonne de toutes les vertus, Ce sont donc ceux qui ont persévéré avec lui dans les tentations, que le Fils de Dieu fait entrer dans son royaume éternel ; car si nous sommes implantés en lui pour la ressemblance de sa mort, nous y serons aussi entés pour sa résurrection (Rm 6, 8), comme l’ajoute le Sauveur : « Et moi, je vous prépare un royaume, » etc.

S. Ambr. Le royaume de Dieu n’est pas de ce monde. Remarquons ici que l’homme ne doit pas ambitionner la parfaite égalité avec Dieu, mais seulement la ressemblance avec lui ; car Jésus-Christ seul est la parfaite image de Dieu, parce qu’il reproduit en lui l’unité de la gloire du Père. L’homme juste porte en lui l’image de Dieu, lorsque la connaissance de Dieu le porte à mépriser le monde pour reproduire en lui la ressemblance de la vie divine. Or, nous mangeons le corps de Jésus-Christ afin de pouvoir participer à la vie éternelle, suivant la promesse du Sauveur : « Afin que vous mangiez et que vous buviez à ma table dans mon royaume. » Ce que Jésus-Christ nous promet ici pour récompense, n’est ni le manger, ni le boire, mais la communication de la grâce et de la vie des cieux. — Bède. Ou encore, cette table qui est préparée pour le bonheur de tous les saints, c’est la gloire elle-même de la vie des cieux, dont ceux qui ont eu faim et soif de la justice seront rassasiés, par la pleine jouissance du vrai bien, objet de tous leurs désirs. — Théophyl. Ces paroles du Sauveur ne signifient donc point qu’il y aura dans les cieux des aliments matériels, ni que son royaume doit être extérieur et sensible ; car la vie des élus sera semblable à celle des anges, comme il l’a prédit lui-même aux sadducéens (Mt 22 ; Lc 20) ; et saint Paul, d’ailleurs, nous déclare que le royaume de Dieu n’est ni dans le manger ni dans le boire (Rm 14, 17).

S. Cyr. Notre-Seigneur explique les vérités spirituelles par des comparaisons prises dans ce qui se passe au milieu de nous. En effet, ceux qui s’asseoient à la table des rois de la terre, jouissent auprès d’eux de certaines prérogatives, et c’est par cet usage qu’il veut nous faire comprendre ceux qui auront part aux premiers honneurs dans son royaume. — Bède. C’est la droite du Très-Haut qui opère cette transformation (Ps 117) ; elle fait asseoir à la table des cieux pour les nourrir des mets de la vie éternelle ceux qui sur la terre se sont fait gloire d’être les humbles serviteurs de leurs frères ; et elle établit les justes juges de leurs persécuteurs, ceux qui sont restés fidèles avec le Seigneur au milieu des tentations et des injustes jugements des hommes : « Et que vous siégiez sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël. » — Théophyl. C’est-à-dire pour condamner dans les douze tribus ceux qui auront persévéré dans l’infidélité. — S. Ambr. Ces douze trônes ne sont point des siéges matériels et sensibles comme ceux dont se servent les hommes pour s’asseoir ; mais il faut les entendre dans ce sens, que de même que Jésus-Christ juge comme Dieu, récompense la vertu et punit l’impiété par la seule connaissance qu’il a des coeurs, et sans avoir besoin de discuter les actions ; ainsi les Apôtres entreront en participation de ce jugement tout spirituel, par les louanges qu’ils donneront à la foi et l’horreur qu’ils témoigneront pour l’infidélité, en condamnant l’erreur par l’exemple de leur vertu, et en poursuivant de leur haine le crime des sacrilèges.

 

S. Chrys. (hom. 65 sur S. Matth.) Mais est-ce que Judas prendra place aussi avec les autres Apôtres ? Non, sans doute, écoutez la loi que Dieu proclame par la bouche du prophète Jérémie : « Lorsque j’aurai promis quelque bien ou quelque faveur, si vous vous en rendez indigne, je vous châtierai (Jr 18, 9.10). » Aussi la promesse du Sauveur n’est pas absolue, mais conditionnelle : « Vous qui avez persévéré avec moi dans les tentations. » — Bède. Judas est donc exclus de ces magnifiques promesses ; il faut d’ailleurs admettre qu’il était sorti avant ces paroles de Notre-Seigneur. Nous devons aussi excepter de ces promesses ceux qui se retirèrent de Jésus et ne marchèrent plus avec lui après qu’ils l’eurent entendu parler de l’incompréhensible sacrement de son corps et de son sang. (Jn 6, 67.)

 

Vv. 31-34.

Bède. Dans la crainte que les onze Apôtres ne se laissent aller à un sentiment d’orgueil et n’attribuent à leurs propres forces d’avoir été presque les seuls de tant de milliers de Juifs, pour demeurer avec le Seigneur au milieu des tentations, le Sauveur leur déclare que s’ils n’avaient été protégés et soutenus par l’assistance divine, ils eussent été brisés comme les autres par la même tempête : « Le Seigneur dit encore Simon, Simon, voilà que Satan vous a demandés pour vous cribler comme le froment, » etc. C’est-à-dire, qu’il a demandé à vous tenter et à vous secouer, comme on secoue le froment pour le cribler, paroles qui nous apprennent que le démon ne peut tenter la foi de personne sans la permission de Dieu. — Théophyl. Il s’adresse à Pierre, parce qu’il était plus fort que les autres, et qu’il pouvait s’enorgueillir des promesses que Jésus-Christ lui avait faites. Ou encore, il veut nous apprendre que les hommes qui ne sont rien (tant par leur nature que par la faiblesse de leur esprit), doivent fuir tout désir de domination sur leurs frères, c’est pour cela que, laissant tous les autres disciples, il s’adresse à Pierre qui avait été placé à leur tête : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. »

 

S. Chrys. (hom. 83 sur S. Matth.) Il ne dit pas : J’ai voulu, mais : « J’ai prié, » langage plein d’humilité qu’il tient aux approches de sa passion, pour prouver la vérité de sa nature humaine. Car comment supposer que celui qui, sans recourir à la prière, avait dit avec le ton du commandement : « Sur cette pierre je bâtirai mon Église, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux, » ait eu besoin de la prière pour confirmer dans la foi l’âme chancelante d’un homme ? Il ne lui dit pas non plus : J’ai prié, afin que tu ne me renies point, mais afin que tu ne perdes point la foi. — Théophyl. Tu seras, il est vrai, ébranlé pour un moment, mais tu conserveras la semence de la foi que j’ai déposée dans ton âme ; le vent des tentations fera tomber les feuilles, mais la racine demeurera ferme. Satan, jaloux de l’amour que je te porte, demande et cherche à te nuire, et bien que j’ai prié pour toi, tu ne laisseras pas de succomber à ses attaques : « Et quand tu seras converti, confirme tes frères. » C’est-à-dire, après que tu auras expié dans les larmes et dans la pénitence le crime de m’avoir renié, confirme tes frères, toi que j’ai établi le prince des Apôtres ; c’est là ton devoir, comme étant avec moi la force et la pierre fondamentale de l’Église. Ce ne sont point seulement les Apôtres qui existaient alors que Pierre devait fortifier, mais tous les fidèles qui se succéderont jusqu’à la fin du monde. Que personne donc, parmi les chrétiens, ne perde confiance en voyant cet Apôtre renier son divin Maître, et recouvrer ensuite par la pénitence la sublime prérogative qui fait de lui le souverain Pontife du monde entier.

 

S. Cyr. Admirez ici la patience vraiment inépuisable de Dieu, pour empêcher son disciple de tomber dans la défiance et le désespoir, il lui promet le pardon avant même qu’il ait commis son crime, et il le rétablit ensuite dans tous les droits de sa dignité d’Apôtre, en lui disant : « Et toi, quand tu seras converti, confirme tes frères. » — Bède. C’est-à-dire, j’ai préservé ta foi par mes prières, afin qu’elle ne vint point à défaillir. Souviens-toi donc aussi de fortifier la faiblesse de tes frères, afin qu’ils ne désespèrent point du pardon. — S. Athan. Gardez-vous donc de tout sentiment d’orgueil, gardez-vous du monde, c’est à celui qui a dit : « Nous avons tout quitté pour vous suivre, » (Mt 19) que Notre-Seigneur commande de confirmer ses frères.

 

Bède. Le Seigneur ayant promis à Pierre qu’il prierait, pour que sa foi ne vînt pas à défaillir, cet Apôtre, plein de confiance dans l’amour qu’il ressent pour le Sauveur, dans la ferveur de sa foi, et ne prévoyant point la chute lamentable qu’il va faire, ne peut croire qu’il puisse jamais être infidèle à son maître : « Pierre lui dit : Seigneur, je suis prêt à aller avec vous en prison et à la mort. » — Théophylacte. La grandeur de son amour l’enflamme et lui fait promettre l’impossible, tandis qu’il aurait dû ne point s’obstiner, en entendant la vérité même lui prédire qu’il succomberait à la tentation. Or, le Seigneur voyant ce langage présomptueux, lui précise la tentation à laquelle il doit succomber ; et lui prédit qu’il le reniera « Jésus lui répondit : Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera point aujourd’hui que tu ne m’aies renié, » etc. — S. Athan. Le Sauveur prédit à Pierre, dont l’esprit était prompt mais dont la chair était faible, qu’il le renierait, car il ne pouvait égaler le courage et la force d’âme de son divin Maître. Notre-Seigneur, dans sa passion, peut avoir des imitateurs mais pas d’égaux. — Théophyl. Il nous donne ici une grande leçon, c’est que la volonté de l’homme ne peut rien sans le secours de Dieu. Pierre, en effet, malgré toute sa ferveur, fut abandonné de Dieu, et vaincu par l’ennemi du salut.

 

S. Bas. (Régl. abrég., guest. 8.) Il est bon de savoir que Dieu permet quelquefois que les justes eux-mêmes fassent des chutes pour les guérir de l’orgueil dont ils se sont précédemment rendus coupables. Bien que leurs fautes paraissent avoir les mêmes caractères que celles des autres, il y a cependant une grande différence ; le juste, en effet, pèche comme par surprise, et presque sans le vouloir, tandis que les autres pèchent sans prendre aucun souci, ni d’eux-mêmes, ni de Dieu, et ne mettent même aucune distinction entre le péché et la vertu. Aussi ne doivent-ils pas être repris de la même manière, l’âme timorée a besoin d’être soutenue, et la réprimande qui lui est faite doit se borner à la faute qu’elle a commise. Quant aux autres, au contraire, qui ont détruit dans leur âme tout ce qu’il y avait de bien, il faut les soumettre aux châtiments, aux avertissements, aux reproches sévères, jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’ils ont pour juge un Dieu juste, et qu’ils en conçoivent une crainte salutaire.

 

S. Amb. (De l’acc. des Evang., 3, 2.) Tous les évangélistes racontent cette prédiction que le Sauveur fit à Pierre, qu’il le renierait, mais tous ne la racontent pas dans les mêmes circonstances. Saint Matthieu et saint Marc placent cette prédiction après que Notre-Seigneur fut sorti de la maison où il avait mangé la pâque ; saint Luc et saint Jean, avant qu’il en fût sorti. Il nous serait facile de les concilier en disant que les deux derniers racontent cette prédiction, comme par récapitulation, et les deux autres par anticipation, si nous n’étions arrêtés par les paroles si diverses du Sauveur, et par les avertissements si différents, qui donnent lieu à Pierre de faire cette promesse si téméraire de mourir pour son Maître ou avec son Maître ; ce qui nous force d’admettre que Pierre fit éclater trois fois sa confiance présomptueuse à l’occasion de trois divers discours du Seigneur, et qu’à trois reprises, le Seigneur lui répondit qu’il le renierait trois fois avant que le coq eût chanté.

 

Vv. 35-38.

S. Cyr. Notre-Seigneur avait prédit à Pierre qu’il le renierait alors qu’il le verrait au pouvoir de ses ennemis ; et comme il avait déjà parlé de la manière dont les Juifs s’empareraient de sa personne, il annonce à ses disciples la lutte qu’ils vont avoir à soutenir contre les Juifs : « Il leur dit ensuite : Quand je vous ai envoyés sans bourse, » etc. En effet, le Sauveur avait envoyé ses saints Apôtres prêcher le royaume des cieux dans les villes et les bourgades, en leur défendant toute préoccupation des besoins du corps, et leur commandant de mettre en lui toute leur confiance pour lés choses de la vie,

 

S. Chrys. (sur ces par. de Rm 16, 3 : Saluez Priscille et Aquilée) Celui qui enseigne l’art de la natation, commence par soutenir avec grande attention ses élèves de la main, mais ensuite il retire de temps en temps la main, et leur commande de s’aider eux-mêmes, il les laisse même s’enfoncer quelque peu. Notre-Seigneur tient cette conduite à l’égard de ses disciples. Dans les commencements il était attentif à tous leurs besoins, et leur préparait toutes choses avec une extrême abondance : « Et ils lui dirent : Nous n’avons manqué de rien. » Mais lorsque le moment fut venu pour eux de montrer leurs propres forces, il leur retira une partie de son secours et voulut qu’ils agissent un peu par eux-mêmes. Il leur dit donc : « Mais maintenant que celui qui a une bourse (pour mettre son argent), la prenne, qu’il prenne de même son sac qui porte ses vivres. » Or, lorsqu’ils n’avaient ni chaussures, ni ceinture, ni bâton, ni argent, ils n’ont manqué absolument de rien ; au contraire, dès que le Sauveur leur eut permis d’avoir une bourse et un sac, ils furent exposés à souffrir la faim, la soif, la nudité ; comme s’il leur disait : Jusqu’à présent vous avez eu tout en abondance, maintenant je veux que vous éprouviez la pauvreté ; aussi je ne vous oblige plus d’observer la loi que je vous ai donnée en premier lieu (Mt 10, 18 ; Mc 6, 8 ; Lc 9, 3), et je vous permets de porter une bourse et un sac. Dieu aurait pu sans doute les maintenir dans cette même abondance, il ne le voulut pas pour plusieurs raisons : premièrement, afin que ses disciples, loin de rien s’attribuer, fussent obligés de reconnaître que tout ce qu’ils avaient venait de Dieu ; secondement, pour leur apprendre à se conduire eux-mêmes ; troisièmement pour prévenir l’idée trop avantageuse qu’ils auraient eue d’eux-mêmes. Ainsi, comme il permet que ses disciples soient exposés à des épreuves imprévues, il adoucit la sévérité de la première loi qu’il leur avait imposée, pour que la vie ne fût pas pour eux trop dure et trop accablante. — Bède. Le Sauveur ne prescrit pas à ses disciples la même règle de vie pour les temps de persécution et pour lés temps de paix. Lorsqu’il envoie ses disciples prêcher l’Évangile, il leur défend de rien emporter avec eux, il veut que celui qui annonce l’Évangile, vive de l’Évangile, mais quand l’heure de sa mort approche, et que le peuple juif tout entier est sur le point de persécuter à la fois le pasteur et le troupeau, il leur donne, une règle appropriée aux circonstances, et leur permet d’emporter les choses nécessaires à la vie, jusqu’à ce que la fureur des persécuteurs soit apaisée, et que le temps d’annoncer l’Évangile soit revenu. Il nous donne en même temps l’exemple de nous relâcher un peu pour une cause juste et pressante des règles sévères que nous nous sommes prescrites. — S. Aug. (cont. Faust., 12, 77.) Le Sauveur n’agit donc point ici par inconstance, mais par une sage économie, il modifie suivant la diversité de temps, ses préceptes, ses conseils ou ses permissions.

 

S. Ambr. Mais pourquoi Notre-Seigneur, qui défend de frapper, commande-t-il d’acheter un glaive ? C’est pour les préparer à une légitime défense, et non pour autoriser un acte de vengeance, et pour qu’il soit bien constant qu’on a renoncé à se venger, alors qu’on aurait pu le faire. Il ajoute : « Et que celui qui n’en a point, vende sa tunique et achète une épée. » — S. Chrys. Que signifient ces paroles ? Jésus a dit à ses disciples : « Si l’on vous frappe sur la joue droite, présentez l’autre, » (Mt 6) et voilà qu’il les arme pour se défendre, et seulement d’une épée. S’il jugeait nécessaire de les armer, il fallait joindre à l’épée le bouclier et le casque. Mais encore quand ils auraient eu ces armes par milliers, comment les Apôtres auraient-ils pu lutter contre tant de violences et d’embûches venant à la fois des peuples, des tyrans, des villes et des nations. Le seul aspect des armées ennemies eût jeté la terreur dans l’âme de ces hommes, qui avaient passé leur vie sur le bord des lacs et des fleuves. Ne croyons donc pas que Notre-Seigneur commande ici à ses disciples de se munir de glaives, il se sert ici de cette expression pour figurer les embûches que les Juifs lui tendaient pour le perdre. C’est pour cela qu’il ajoute : « Car je vous le dis, il faut encore que cette parole de l’Écriture s’accomplisse en moi. » « Il a été mis au rang des malfaiteurs. » (Is 52.) — Théophyl. Le Sauveur, qui venait d’entendre ses disciples se disputer entre eux la préséance, leur dit : Ce n’est point ici le moment de vous occuper des premières places, c’est le temps des dangers et des blessures, moi-même qui suis votre maître, je vais être conduit à une mort ignominieuse et mis au rang des malfaiteurs, car toutes les prédictions qui me regardent touchent à leur fin, c’est-à-dire, à leur accomplissement. Sous cette image du glaive, Notre-Seigneur leur fait pressentir l’agression violente dont il va être l’objet, il ne la leur révèle pas tout entière pour ne point les frapper de terreur et d’abattement, il ne veut pas non plus la leur laisser entièrement ignorer, de peur que cette attaque subite et imprévue ne vînt les ébranler. Les disciples ainsi avertis, rappelleraient plus tard leurs souvenirs, et admireraient comment leur divin Maître s’était offert lui-même dans sa passion pour être la rançon du genre humain. — S. Bas. (Règl. abrég., quest. 31.) Ou encore, le Seigneur ne fait pas ici un commandement de porter une bourse et un sac et d’acheter un glaive, mais il prédit ce qui doit arriver à ses Apôtres, qui, oubliant les circonstances de la passion, les grâces qu’ils avaient reçues, et la loi de Dieu, oseront se servir de l’épée ; souvent, en effet, l’Écriture emploie l’impératif pour le futur dans les prophéties, quoique cependant, dans plusieurs manuscrits, on ne lise point : Qu’il prenne, qu’il porte et qu’il achète, mais : « Il prendra, il portera, il achètera. » — Théophyl. Ou bien, il leur annonce qu’ils auront à souffrir la faim et la soif (sous l’expression figurée du sac), et de nombreuses tribulations (figurées par le glaive).

 

S. Cyr. Ou bien encore, ces paroles du Sauveur : « Que celui qui a une bourse la prenne, et qu’il prenne aussi un sac, » ne s’adressent pas à ses disciples, mais à tous les Juifs en général, et il semble leur dire : Si quelqu’un, parmi vous, a de grandes richesses, qu’il les réunisse et qu’il prenne la fuite ; et si quelque habitant de ce pays se trouve réduit à la dernière indigence, qu’il vende sa tunique pour acheter une épée ; car le choc de l’attaque qui viendra fondre sur eux sera si terrible, que rien ne pourra lui résister. Il leur fait connaître ensuite la cause de ces calamités, c’est-à-dire parce qu’il a été condamné au supplice destiné aux criminels, et qu’il a été crucifié avec des voleurs. Or, lorsque ce crime aura été consommé, les prophéties qui avaient pour objet la rédemption seront accomplies, et les persécuteurs subiront les châtiments prédits par les prophètes. Notre-Seigneur a donc prédit ici le sort réservé à la nation juive ; mais les disciples ne comprenaient pas la portée de ses paroles et pensaient que c’était pour résister à l’attaque du perfide disciple qu’il était besoin d’épées : « Ils lui dirent donc : Seigneur, voici deux épées. » — S. Chrys. Si son intention était qu’ils eussent recours pour le défendre à des moyens humains, cent épées n’auraient pas suffi, et s’il ne voulait qu’ils se servissent de ces moyens naturels, ces deux épées étaient même de trop.

 

Théophyl. Le Seigneur ne voulut point les reprendre de leur peu d’intelligence, il se contenta de leur dire : « C’est assez, » c’est ce que nous disons nous-mêmes lorsqu’une personne à qui nous adressons la parole, ne nous comprend pas : C’est bien, cela suffit, pour ne pas la fatiguer davantage. Quelques-uns prétendent que c’est par ironie que le Sauveur dit : « C’est assez, » comme pour dire : Puisqu’il y a deux épées, elles suffiront pour nous défendre contre la multitude qui doit nous assaillir. — Bède. Ou bien encore, ces deux épées suffisent pour attester que le Sauveur a souffert volontairement sa passion, l’une témoigne du courage des Apôtres pour défendre leur divin Maître, et de la puissance qu’il a de guérir les blessures ; l’autre, qui n’est point tirée du fourreau, prouve qu’il ne leur a pas permis de faire tout ce qu’ils auraient pu pour le défendre. — S. Ambr. Ou bien encore, comme la loi ne défendait pas de frapper celui qui avait frappé, peut-être le Seigneur dit-il a Pierre : « C’est assez, » pour faire entendre que cette juste vengeance n’était permise que jusqu’au règne de l’Évangile, parce que la loi ne commandait que la stricte justice, tandis que l’Évangile enseigne la charité parfaite. Il y a aussi un glaive spirituel qui porte le chrétien à vendre son patrimoine pour acheter la parole qui est comme le vêtement intérieur de l’âme. Il y a encore le glaive de la souffrance qui nous fait sacrifier notre corps, et acheter la couronne sacrée du martyre avec les dépouilles de notre chair immolée. Dans ces deux glaives que les disciples avaient avec eux, je ne puis m’empêcher de voir encore la figure de l’Ancien et du Nouveau Testament, qui sont les armes mises en nos mains contre les attaques insidieuses du démon (Ep 6, 13.17). Enfin Notre-Seigneur dit : « C’est assez, » comme pour dire que rien ne manque à celui qui a pour armes la doctrine de l’Ancien et du Nouveau Testament.

 

Vv. 39-42.

Bède. Le Sauveur voyant arriver l’heure où son disciple devait le trahir, se dirige vers l’endroit où il avait coutume de se retirer, pour que ses ennemis le trouvent plus facilement : ce Et étant sorti, il s’en alla, suivant sa coutume, à la montagne des Oliviers. » — S. Cyr, Il passait toute la journée dans la ville de Jérusalem, et le soir venu, il se retirait avec ses disciples sur la montagne des Oliviers : « Et ses disciples le suivirent. » — Bède. C’est avec dessein qu’après les avoir nourris des mystères de son corps et de son sang, il les conduit sur la montagne des Oliviers, pour nous apprendre que tous ceux qui ont été baptisés en sa mort, doivent être confirmés par l’onction du Saint-Esprit.

 

Théophyl. Après le repas, le Seigneur ne se laisse aller ni à l’oisiveté, ni aux douceurs du repos, ni au sommeil, mais il s’applique à la prière et à l’enseignement : ce Lorsqu’il fut arrivé en ce lieu, il leur dit : Priez, » etc. — Bède. Il est impossible que l’âme de l’homme soit exempte de tentations. Aussi ne leur dit-il pas : Priez afin de n’être point tentés, mais : « Priez, afin de ne point entrer en tentation ; » c’est-à-dire afin de n’être pas vaincus dans cette dernière tentation.

 

S. Cyr. Mais ce n’est pas seulement par ses paroles qu’il veut leur être utile ; il s’avance donc un peu plus loin, et se met en prière : « Et il s’éloigna d’eux à la distance d’un jet de pierre, » etc. Partout vous voyez le Sauveur se retirer à l’écart pour prier, il vous apprend ainsi la nécessité du recueillement de l’esprit et de la paix du coeur pour vous entretenir avec le Dieu très-haut, Or, s’il s’applique ainsi à la prière, ce n’est point qu’il ait besoin d’un secours étranger, lui qui est la vertu toute puissante du Père, mais il veut nous apprendre qu’il ne faut pas s’endormir dans les tentations, mais prier avec plus d’instance. — Bède. Le Sauveur prie seul pour tous les hommes, lui qui devait seul souffrir pour tous, et il nous enseigne par là que sa prière est aussi élevée au-dessus de la nôtre, que sa passion l’est au-dessus de nos souffrances. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 50.) Il s’éloigne de ses disciples à la distance d’un jet de pierre, comme pour les avertir par cette figure qu’ils devaient diriger vers lui la pierre, c’est-à-dire conduire jusqu’à lui le sens de la loi qui fut écrite sur la pierre.

 

S. Grég. de Nysse. (ou Isid., Ch. des Pèr. gr.) Mais pourquoi fléchit-il les genoux, selon le récit de l’Évangéliste : « Et s’étant mis à genoux, il priait ? » Les hommes ont coutume de se prosterner ainsi devant les grands pour les supplier, témoignant ainsi par leur attitude, que ceux qu’ils prient leur sont supérieurs. Or, il est évident que la nature humaine n’est rien en comparaison de celle de Dieu, c’est pourquoi dans les devoirs que nous rendons à cette nature incomparable, nous employons les marques d’honneur en usage parmi nous, pour témoigner notre respect à l’égard de ceux qui sont élevés au-dessus de nous. C’est ainsi que celui qui a pris sur lui nos misères, et s’est rendu notre médiateur, fléchit pour prier les genoux de l’humanité dont il s’est revêtu, pour nous apprendre à fuir l’orgueil pendant que nous prions, et à suivre en tout les inspirations de l’humilité ; car Dieu résiste aux superbes, et il accorde sa grâce aux humbles. (Jc 4 ; 1 P 5.)

S. Chrys. Tout homme qui enseigne un art quelconque, doit joindre l’exemple aux paroles ; c’est pourquoi Notre-Seigneur qui est venu nous enseigner toutes les vertus, conforme sa conduite à ses enseignements. Il nous fait un devoir de prier pour ne point entrer en tentation, il appuie ce précepte de son exemple : « Il priait, disant : Mon Père, si vous le voulez, éloignez de moi ce calice. » Ces paroles : « Si vous le voulez, » ne supposent pas que le Sauveur ignorât que sa prière était agréable à son Père ; car cette connaissance n’était pas plus difficile pour lui que la science de la nature du Père, que lui seul connaît dans toute son étendue, ainsi qu’il le déclare lui-même : « Comme mon Père me connaît, ainsi je connais mon Père. » (Jn 10.) S’il parle de la sorte, ce n’est pas non plus pour éloigner sa passion, car comment admettre qu’il refusât d’être crucifié, lui qui, voyant un de ses Apôtres s’opposer à ses souffrances, l’avait repris sévèrement jusqu’à l’appeler Satan, après qu’il avait fait un si magnifique éloge de sa foi ? (Mt 16.) Pour comprendre la raison de cette prière, considérez combien il était difficile de croire qu’un Dieu ineffable et incompréhensible, ait voulu se renfermer dans le sein d’une vierge, être nourri de son lait, et souffrir toutes les infirmités humaines. Or, comme tous les mystères de sa vie mortelle étaient presque incroyables, il envoya d’abord les prophètes pour les prédire à l’avance ; puis il vint lui-même revêtu d’une chair véritable (pour bien convaincre qu’il n’était pas un fantôme), et il permit que cette chair fût soumise à toutes les infirmités de la nature humaine ; à la faim, à la soif, au sommeil, au travail, à la douleur, à l’angoisse, et c’est par suite du même dessein, et pour prouver la vérité de son humanité, qu’il demande à son Père d’éloigner de lui la mort.

 

S. Ambr. Il dit donc à Dieu : « Si vous le voulez, éloignez de moi ce calice ; » comme homme, il repousse la pensée de la mort ; comme Dieu, il maintient la loi qu’il a portée. — Bède. Ou encore, il demande à Dieu d’éloigner de lui ce calice, non par crainte des souffrances, mais par un sentiment de miséricorde pour son ancien peuple, des mains duquel il ne voudrait pas recevoir ce calice. Aussi ne dit-il pas : Éloignez de moi le calice, mais : « Éloignez de moi ce calice, » c’est-à-dire le calice que me prépare le peuple juif, qui ne peut alléguer son ignorance pour excuser son crime, s’il me met à mort, puisqu’il a entre les mains la loi et les prophètes qui lui parlent tous les jours de moi. — S. Denys d’Alex. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien encore, ces paroles : « Éloignez de moi ce calice, » ne veulent pas dire : Faites qu’il ne m’arrive pas ; car on ne peut l’éloigner que parce qu’il est déjà arrivé. C’est donc lorsque le Sauveur sentit que ce calice était présent, qu’il commença à être affligé et attristé ; et c’est lorsqu’il le vit sous ses yeux, qu’il dit à son Père : « Éloignez de moi ce calice, » car ce qui passe, ne demeure pas dans le même état, Jésus donc demande à Dieu d’éloigner de lui la tentation qui commence à l’assaillir ; et c’est dans ce sens qu’il nous conseille de prier pour ne point entrer en tentation. Or, il nous indique la voie la plus parfaite et la plus sûre pour échapper aux tentations : « Cependant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la vôtre. » En effet, Dieu est essentiellement étranger au mal, et il veut sincèrement nous combler de biens, au delà même de ce que nous pouvons demander et comprendre. Le Sauveur demande donc que la volonté parfaite du Père qui lui est connue, ait son plein effet, parce que cette volonté est la même que la sienne en tant qu’il est Dieu, et il renonce à l’accomplissement de la volonté humaine, qu’il appelle la sienne, et qui est inférieure à celle de son Père. — S. Athan. (de l’incarn. contre les Ariens.) Notre-Seigneur nous fait donc voir en lui deux volontés, la volonté humaine et la volonté divine ; la volonté humaine, qui ne voit que la faiblesse de la chair, refuse de souffrir, mais la volonté divine se soumet à la passion avec amour, parce qu’elle sait que le Fils de Dieu ne peut rester enchaîné dans les liens de la mort.

 

S. Grég. de Nysse. Apollinaire prétend que la nature humaine en Jésus-Christ n’avait pas de volonté propre, et qu’il n’y a en lui qu’une seule volonté, celle du Dieu qui est descendu du ciel. Qu’il nous dise donc quelle est cette volonté dont le Sauveur ne veut point l’accomplissement, car la divinité ne peut renoncer à sa propre volonté. — Bède. Le Sauveur, aux approches de sa passion, a pris la voix de nos infirmités, pour nous apprendre à demander dans notre faiblesse l’éloignement des maux dont nous sommes menacés, tout en ayant la force d’être prêts à dire : Que la volonté de notre Créateur s’accomplisse, fût-elle opposée à la nôtre.

 

Vv. 43-46.

Théophyl. Le Seigneur veut être fortifié par un ange alors qu’il priait, pour nous faire comprendre la puissance de la prière et nous apprendre à y recourir avant tout dans nos adversités. — Bède. Nous lisons dans un autre endroit, que les anges s’approchèrent de lui et le servaient. (Mt 4.) Nous avons donc une preuve de sa double nature dans ces anges qui tour à tour le servent et le fortifient, car le Créateur n’a pas besoin du secours de ses créatures, mais s’étant fait homme, il a voulu être fortifié pour notre instruction, de même qu’il s’est soumis à nos tristesses par amour pour nous. — Théophyl. Selon quelques-uns, cet ange apparut au Sauveur pour le glorifier et lui dire : Seigneur, c’est à vous qu’appartient la puissance, car vous pouvez délivrer le genre humain de la mort et de l’enfer.

 

S. Chrys. Notre-Seigneur s’est revêtu véritablement de notre chair, et c’est pour établir la vérité de son incarnation et fermer la bouche aux hérétiques, qu’il se soumet à toutes les faiblesses de notre nature : « Et étant tombé en agonie, il priait encore plus. » — S. Ambr. Cette tristesse, cette agonie, sont un sujet de difficultés pour un grand nombre de ceux qui inclinent à voir dans la tristesse du Sauveur une preuve de l’infirmité essentielle à sa nature plutôt que la suite d’une faiblesse qu’il n’avait acceptée que pour un temps. Quant à moi, non seulement je ne crois pas devoir excuser ce sentiment, mais nulle part je ne trouve plus à admirer sa miséricorde et sa puissance. En effet, la rédemption de Notre-Seigneur m’eût été beaucoup moins avantageuse, s’il n’avait pris sur lui toutes nos passions, toutes nos faiblesses, car il a pris ma tristesse pour me communiquer sa joie. C’est avec confiance que je parle de la tristesse, parce que je suis prédicateur de la croix. Le Sauveur a dû prendre sur lui nos douleurs pour en triompher, car ceux en qui les souffrances produisent la stupeur et l’insensibilité plutôt que la douleur, n’ont point le mérite du véritable courage. Jésus a donc voulu nous apprendre à triompher de la mort, et surtout des tristesses de la mort. Vous êtes affligé, Seigneur, mais ce n’est pas de vos blessures, c’est des miennes, car c’est à cause de nos péchés qu’il a été blessé. Peut-être aussi est-il triste de ce que depuis la chute d’Adam, la mort est la seule voie par laquelle nous puissions sortir de ce monde. Ajoutons qu’il n’est pas moins vraisemblable que sa tristesse eût pour cause les châtiments que le crime sacrilège de ses persécuteurs devait attirer sur eux.

 

S. Grég. (Moral., 7, 24.) Aux approches de sa mort, le Sauveur a voulu reproduire en lui les combats de notre âme qui est aussi en proie à la terreur et à l’effroi, lorsque la dissolution prochaine de notre corps nous annonce l’heure du jugement éternel, et ce n’est pas sans raison, puisqu’elle est sur le point d’entendre la sentence qui doit fixer immuablement son sort pour l’éternité.

 

Théophyl. Une nouvelle preuve que la prière du Sauveur était un acte de la nature humaine et non de la divinité, c’est la sueur dont il est inondé : « Et il eut une sueur comme des gouttes de sang découlant jusqu’à terre. » — Bède. Il ne faut point attribuer cette sueur à la faiblesse, une sueur de sang est contre nature, mais reconnaître plutôt l’enseignement que Notre-Seigneur a voulu nous y donner, c’est qu’il avait obtenu l’effet de sa prière, qui était d’épurer par son sang la foi de ses disciples encore entachée des imperfections de la fragilité humaine. — S. Aug. (sur les max. de Prosp.) Cette sueur sanglante, qui accompagne la prière du Sauveur, figurait encore, que tous les martyres découleraient de son corps sacré qui est l’Église. — Théophyl. Ou encore, c’est ici une manière de parler au figuré, et cette sueur de sang signifie une sueur très-abondante. L’Évangéliste voulant nous représenter Notre-Seigneur inondé de sueur, nous dit qu’il eut une sueur de sang. Cependant il trouve ses disciples endormis sous le poids de la tristesse, et il leur en fait un reproche en même temps qu’il leur recommande de prier : « S’étant levé après sa prière, il vint à ses disciples, et les trouva endormis à cause de la tristesse. » — S. Chrys. On était au milieu de la nuit, les yeux des disciples étaient appesantis par le chagrin, et ils succombaient au sommeil plutôt par tristesse que par épuisement. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 4.) Saint Luc ne dit pas combien de fois le Seigneur avait adressé à Dieu sa prière avant de venir trouver ses disciples, mais il n’y a ici aucune contradiction entre son récit et celui de saint Marc.

Bède. Notre-Seigneur apprend à ses disciples que c’est pour eux qu’il a prié, et il les engage à entrer en participation de ses prières, en veillant et en priant eux-mêmes. « Et il leur dit : Pourquoi dormez-vous ? levez-vous et priez, afin de ne point entrer en tentation. » — Théophyl. C’est-à-dire, pour n’être point vaincu par la tentation ; car ne pas entrer en tentation, signifie n’en être pas victime. Ou encore, il nous recommande de prier pour obtenir une vie calme et tranquille, exempte de tout mal, car c’est en suivant les inspirations du démon et de l’orgueil qu’os se jette dans la tentation. Aussi l’apôtre saint Jacques ne dit pas : Jetez-vous dans la tentation, mais : « Considérez comme le sujet d’une grande joie lorsque vous tomberez dans les tentations, en acceptant volontiers et avec joie ce qui vous arrive malgré vous. » (Jc 2.)

 

Vv. 47-53.

La Glose. Après le récit de la prière de Jésus-Christ, l’Évangéliste raconte sa trahison par son perfide disciple : « Il parlait encore, lorsqu’une troupe de gens parut, et à leur tête celui qui s’appelait Judas. » — S. Cyr. Il dit : « Celui qui s’appelait Judas, » comme si ce nom lui faisait horreur. Il ajoute : « Un des douze, » pour faire ressortir davantage la méchanceté de ce traître disciple, qui est devenu la cause de la mort de Jésus-Christ, après avoir été élevé par lui à la sublime dignité de l’apostolat. — S. Chrys. Il est des maladies incurables qui sont rebelles aux remèdes les plus énergiques, comme à ceux qui sont les plus doux ; ainsi l’âme une fois captivée et enchaînée volontairement dans les liens du vice, ne se rend à aucun avertissement. C’est ce qui s’est vérifié dans Judas, qui ne renonça pas au dessein de trahir son maître, bien que Jésus ait cherché à l’en détourner par tous les moyens possibles : « Et il s’approcha de Jésus pour le baiser. » — S. Cyr. Il avait oublié la gloire qui avait environné la vie du Christ, il crut donc pouvoir consommer son crime en secret, et il osa donner pour signal de cette trahison sacrilège le symbole de l’affection la plus tendre.

S. Chrys. (Disc. 1 sur Laz.) Nous ne devons pas cesser d’avertir nos frères, lorsque bien même ils ne profitent pas de nos avertissements, car les ruisseaux ne cessent pas de couler, lors même que personne ne vient y puiser. Vous ne persuadez pas aujourd’hui, peut-être serez-vous plus heureux demain. Le pêcheur traîne ses filets vides pendant toute la journée, et c’est vers le soir qu’il les remplit de poissons. Aussi bien que le Seigneur sut parfaitement qu’il ne convertirait pas Judas, il ne laissa pas de faire tout ce qui pouvait le détourner de son mauvais dessein : « Jésus lui dit : Judas, vous trahissez le Fils de l’homme par un baiser ? » — S. Ambr. Il faut donner à ces paroles la forme interrogative, comme exprimant mieux le reproche tendre et affectueux que le Sauveur fait à ce traître disciple. — S. Chrys. Il l’appelle par son nom plutôt pour exprimer sa douleur et ramener le traître à de meilleurs sentiments que pour redoubler sa fureur. — S. Ambr, Il lui dit : « Vous trahissez par un baiser, » c’est-à-dire, vous choisissez le symbole et le gage de l’amour pour me faire le plus cruel outrage, et c’est avec le plus doux signe de la paix que vous me donnez le coup de la mort. Vous, mon serviteur, vous trahissez votre Seigneur, vous, mon disciple, vous trahissez votre maître, vous que j’ai choisi pour apôtre, vous trahissez le Dieu, auteur de votre vocation. — S. Chrys. Cependant il ne lui dit pas en termes exprès : Vous trahissez votre maître, votre Seigneur, votre bienfaiteur ; mais « Vous trahissez le Fils de l’homme, » c’est-à-dire, la mansuétude et la douceur même, celui qui vous a témoigné tant de tendresse et de bonté, que vous ne devriez jamais songer à le trahir, quand même il ne serait pas votre Seigneur et votre maître.

S. Ambr. Le Sauveur donne ici à la fois une preuve éclatante de sa puissance divine et une grande leçon de vertu. Il dévoile le crime de son traître disciple, et il le supporte encore avec patience ; il lui montre celui qu’il trahit, en dévoilant aux yeux de tous les secrets de ses noirs desseins ; il montre celui qu’il va livrer, en disant : « Le Fils de l’homme ; » car ce n’est pas la divinité, mais l’humanité dont les ennemis de Jésus vont se saisir. Et cependant ce qui rend plus odieuse l’ingratitude du traître disciple, c’est d’avoir trahi celui qui, étant le Fils de Dieu, a voulu devenir pour nous le Fils de l’homme, et Jésus semble lui dire : Ingrat, c’est pour toi que j’ai pris cette humanité que tu trahis avec tant d’hypocrisie — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 5.) Lorsque le Seigneur fut trahi, les premières paroles qu’il prononça furent celles-ci rapportées par saint Luc : « Vous trahissez le Fils de l’homme par un baiser ; » puis celle que lui prête saint Matthieu : « Mon ami, dans quel dessein êtes-vous venu ? » Et enfin celles que rapporte saint Jean : « Qui cherchez-vous ? » — S. Ambr. Le Sauveur donne le baiser à Judas, non pour nous enseigner à dissimuler, mais pour nous montrer qu’il ne repousse pas même ce traître, et pour rendre sa trahison plus odieuse.

Théophyl. Cependant les disciples veulent prendre la défense de leur maître, et tirent l’épée : « Ceux qui étaient avec lui, voyant ce qui allait arriver lui dirent : Seigneur, si nous frappions de l’épée ? » Mais comment pouvaient-ils avoir des épées ou des glaives ? Parce qu’ils venaient d’immoler l’agneau et sortaient de table. Tandis que les autres disciples demandent s’ils doivent se servir de leur épée, Pierre, toujours plein de zèle pour son divin Maître, n’attend pas sa réponse, et frappe aussitôt le serviteur du grand-prêtre : « Et l’un d’eux frappa l’un des serviteurs du grand-prêtre, » etc. — S. Aug. (De l’acc. des Evang.) D’après saint Jean, celui qui frappa fut Pierre, et celui qui fut frappé s’appelait Malchus. — S. Ambr. Pierre, dont l’ardeur n’avait pas d’égale et qui était instruit dans la loi, savait que le zèle de Phinées, qui avait mis à mort des sacrilèges, lui avait été imputé à justice (Nb 25 ; Ps 105, 31 ; Si 45, 28 ; 1 M 2, 54), et il frappe sans hésiter le serviteur du grand-prêtre. — S. Amb. (De l’acc. des Evang.) Saint Luc ajoute : « Jésus dit : Arrêtez, laissez-les. » C’est ce que saint Matthieu rapporte en d’autres termes : « Remettez votre épée dans son fourreau. » Il n’y a pas de contradiction entre la réponse du Seigneur, telle que la rapporte saint Luc : « Arrêtez-vous là, » et d’après laquelle le Sauveur approuverait ce qui avait été fait, mais sans vouloir rien de plus ; et celle que saint Matthieu prête au Sauveur, qui semble désapprouver tout ce que Pierre a fait en se servant de son épée. Il est certain que lorsque les disciples lui firent cette question : « Si nous frappions avec l’épée ? » il leur répondit : « Arrêtez-vous là, laissez-les ; » c’est-à-dire, ne vous inquiétez pas de ce qui doit arriver, il faut les laisser s’avancer jusqu’au bout, c’est-à-dire, se saisir de moi pour accomplir ce que les prophètes ont écrit de moi. En effet, l’Évangéliste ne dirait pas : « Jésus répondit, » s’il ne répondait par le fait à la question de ses disciples plutôt qu’à l’action de Pierre. Or, dans l’intervalle qui s’écoule entre la question faite au Seigneur et sa réponse, Pierre, emporté par son zèle, frappa le serviteur du grand-prêtre, mais les Évangélistes n’ont pu raconter en même temps ce qui s’était passé simultanément. Alors, selon le récit de saint Luc, Jésus guérit celui qui avait été frappé : « Et ayant touché l’oreille de cet homme il le guérit. » — Bède. Jamais le Seigneur ne cesse d’exercer sa miséricorde, ils vont faire mourir le juste, et à ce moment même il guérit les blessures de ses bourreaux.

S. Ambr. En guérissant la sanglante blessure de cet homme, Notre-Seigneur nous révèle ses divins mystères, et nous montre le serviteur du prince de ce monde réduit en servitude, non par la condition de sa nature, mais par sa fauté, et recevant une blessure à l’oreille, parce qu’il n’a point voulu écouter les enseignements de la sagesse ; ou si Pierre lui-même a voulu frapper cet homme à l’oreille, c’est pour nous enseigner que celui qui n’a point l’oreille du coeur ouverte pour les saints mystères, ne mérite point d’avoir l’oreille du corps qui en est la figure, Mais pourquoi est-ce Pierre plutôt qu’un autre disciple ? Parce qu’il a reçu le pouvoir de lier et de délier, et c’est pour cela qu’il coupe avec le glaive spirituel l’oreille intérieure de celui dont l’intelligence est rebelle aux divins enseignements. Mais le Seigneur rend aussitôt à cet homme l’usage de l’ouïe, pour nous apprendre que ceux mêmes qui ont été blessés et scandalisés de sa passion, peuvent parvenir au salut, s’ils veulent se convertir, parce qu’il n’y a point de péché qui ne puisse être effacé par la puissance mystérieuse des sacrements de la foi. — Bède. Ou encore, ce serviteur est la figure du peuple juif, réduit injustement en servitude par les princes des prêtres, et qui, dans la passion du Sauveur, perd l’oreille droite, c’est-à-dire, l’intelligence spirituelle de la loi. Cette oreille est coupée par le glaive de Pierre, non que cet Apôtre ôte le sens de l’intelligence à ceux qui en font un bon usage, mais il le retranche aux âmes négligentes qui méritent de le perdre par un juste jugement de Dieu. Cependant la bonté divine rétablit dans son premier état l’oreille droite de ceux qui, parmi le peuple juif, ont embrassé la foi.

« Or, Jésus leur dit : Vous êtes venus comme à un voleur, avec des épées et des bâtons, » etc. — S. Chrys. Ils étaient venus de nuit, parce qu’ils craignaient le soulèvement de la multitude, et Jésus leur dit : « Qu’aviez-vous besoin de ces armes pour prendre celui qui est tous les jours au milieu de vous, puisque j’étais tous les jours avec vous dans le temple ? » — S. Cyr. Notre-Seigneur ne blâme pas les principaux d’entre les Juifs de n’avoir pas cherché plutôt à le mettre à mort, mais il leur reproche de s’imaginer, dans leur aveuglement, qu’ils peuvent se saisir de lui contre sa volonté ; et tel est le sens de ses paroles : Vous n’avez pu vous saisir de moi alors, parce que je ne le voulais pas, et aujourd’hui encore vous ne le pourriez pas davantage, si je ne me livrais moi-même entre vos mains : « Mais voici votre heure, » c’est-à-dire mon Père qui se rend à mes voeux, vous accorde ce peu de temps pour exercer contre moi votre cruauté. Il ajoute que cette puissance de sévir contre le Christ, a été donnée aux ténèbres (c’est-à-dire au démon et aux Juifs) ; mais voici votre heure et la puissance des ténèbres. — Bède. C’est-à-dire : Vous vous réunissez contre moi dans les ténèbres, parce que la puissance dont vous vous armez contre la lumière est la puissance des ténèbres. On se demande comment saint Luc a pu dire que Jésus parlait ainsi aux princes des prêtres, aux officiers du temple, et aux anciens qui étaient venus pour le prendre ; tandis que d’après les autres Évangélistes, ils ne vinrent pas en personne, mais envoyèrent leurs serviteurs, et attendirent dans la maison de Caïphe. Nous répondons que cette contradiction n’est qu’apparente, et que les princes des prêtres vinrent effectivement, non par eux-mêmes, mais par ceux qu’ils envoyèrent en leur nom, et qui avaient reçu d’eux l’ordre de se saisir de Jésus-Christ.

 

Vv. 54-62.

S. Ambr. Ces infortunés ne comprirent point le mystère de cette guérison, et n’eurent aucun égard pour ce sentiment de bonté et de clémence, qui ne peut souffrir que ses ennemis mêmes soient blessés : « S’étant donc saisis de lui, ils l’amenèrent, » etc. Lorsque nous lisons qu’ils se saisirent de Jésus, gardons-nous de l’entendre de sa divinité, ou de croire que ce fut malgré lui, et par suite de sa faiblesse ; ils ne s’emparent de lui et ne le chargent de chaînes qu’en tant qu’il est revêtu d’un corps véritable semblable au nôtre. — Bède. Le prince des prêtres était Caïphe, qui était grand-prêtre pour cette année. — S. Aug. (de l’acc. des Evang) Cependant Jésus fut conduit premièrement chez Anne, beau-père de Caïphe, selon le récit plus circonstancié de saint Jean, et non chez Caïphe, comme le raconte saint Matthieu. Saint Marc et saint Luc ne disent pas le nom du grand-prêtre. — S. Chrys. (hom. 84 sur S. Matth,) Il fut conduit dans la maison du grand-prêtre, pour que tout se fit de son consentement et par son ordre ; car c’est là qu’ils s’étaient tous réunis pour attendre Jésus. Pierre donne ici une preuve de son ardent amour, il a vu tous les disciples prendre la fuite, et ne les a point imités : « Et Pierre le suivait de loin. » — S. Ambr. Remarquez cependant qu’il le suivait de loin, parce qu’il allait bientôt le renier ; car il n’eût pu se rendre coupable de ce crime, s’il se fût tenu plus près de Jésus-Christ. Toutefois il est digne d’éloges pour n’avoir point abandonné le Sauveur, malgré la crainte qu’il éprouvait ; cette crainte était un sentiment naturel, mais son zèle était l’effet de son amour. — Bède. Pierre, suivant de loin le Seigneur qui se dirige vers le lieu de ses souffrances, est la figure de l’Église, qui suit, il est vrai, c’est-à-dire qui doit imiter la passion du Sauveur, mais d’une manière bien différente ; car l’Église souffre pour elle-même, tandis que Jésus-Christ souffre pour l’Église.

S. Ambr. Or, on avait allumé du feu dans la maison du prince des prêtres : « Après avoir allumé du feu au milieu de la cour, ils s’assirent autour, et Pierre s’assit parmi eux. » Pierre s’approcha pour se réchauffer, parce qu’à la vue du Seigneur chargé de chaînes, la chaleur de son âme s’était déjà refroidie. — S. Aug. (serm. 124 du temps.) Pierre avait reçu les clefs du royaume des cieux, et devait avoir la charge d’une multitude innombrable de peuples encore ensevelis dans leurs péchés. Mais il avait encore quelque dureté dans le caractère, comme il le fait voir en coupant l’oreille au serviteur du grand-prêtre. Or, avec cette sévérité et cette dureté, quelle indulgence aurait-il eue pour les peuples qui devaient lui être confiés, s’il avait reçu le privilège de l’impeccabilité ? La Providence divine permit donc qu’il tombât le premier dans le péché, pour que le souvenir de sa propre chute modérât la sévérité de ses jugements à l’égard des pécheurs. Comme il était près du feu pour se chauffer, une jeune fille s’approcha de lui : « Une servante qui le vit assis devant le feu, l’ayant considéré attentivement, » etc. — S. Ambr. Pourquoi est-ce une servante qui découvre la première la présence de Pierre, alors que c’était bien plutôt aux hommes à la reconnaître ? N’est-ce point que Dieu permit que ce sexe ne se rendît coupable dans la passion du Seigneur, pour qu’il eût part aussi à la grâce de la rédemption par sa passion ? Pierre étant reconnu, renie son Maître ; je préfère voir Pierre renier Jésus, plutôt que de dire que le Seigneur s’est trompé : « Et Pierre le nia, disant : Femme, je ne le connais point. » — S. Aug. (comme précéd.) Que faites-vous, Pierre ? votre langage est tout à coup changé ; votre bouche, pleine de foi et d’amour, ne laisse plus sortir que des paroles de haine et de perfidie ? Vous n’avez encore à craindre ni violences, ni tortures ; aucun de ceux qui vous interrogent, n’a assez d’autorité pour vous faire trembler ; une femme vous fait une simple question, sans intention peut-être d’abuser de votre réponse pour vous faire connaître ; que dis-je, ce n’est pas une femme, c’est une jeune fille chargée de garder la porte, c’est une humble servante.

S. Ambr. Or, Pierre a renié Jésus, parce que sa promesse a été présomptueuse. Il ne le renie pas sur la montagne, ni dans le temple, ni dans sa maison, mais dans le prétoire des Juifs, il renie Jésus là où il est enchaîné, là où ne se trouve point la vérité. Il le renie en disant « Je ne le connais point ; » il eût été téméraire, en effet, de dire qu’il connaissait celui que l’esprit humain ne peut comprendre : « Car personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père. » (Mt 11, 47.) Bientôt il renie Jésus une seconde fois : « Un peu après, un autre le voyant, lui dit : Vous aussi, vous êtes de ces gens là. » — S. Aug. (de l’accord des Evang.) Lors de ce second reniement, Pierre fut interpellé par deux personnes ; par cette servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, et par une autre personne, dont fait mention saint Luc. Au moment dont saint Luc dit : « Un peu après, » Pierre était déjà sorti, et le coq avait chanté pour la première fois, comme le raconte saint Marc, puis il était rentré (selon le récit de saint Jean), et se tenait devant le feu près de renier Jésus pour la seconde fois. En effet, écoutez-le : « Pierre répondit : Mon ami, je n’en suis point. » — S. Ambr. Il aime mieux se renier lui-même que de renier Jésus-Christ ; ou encore, c’est en niant qu’il soit de la société de Jésus, qu’il se renie lui-même. — Bède. Ce reniement de Pierre nous apprend qu’on ne renie pas seulement Jésus-Christ en soutenant qu’il n’est pas le Christ, mais en niant qu’on soit chrétien, lorsqu’on l’est en effet.

 

S. Ambr. La même question est répétée à Pierre une troisième fois : « Une heure environ s’était écoulée, lorsqu’un autre vint dire avec assurance : Certainement cet homme était avec lui. » — S. Aug. (de l’accord des Evang.) Saint Luc précise l’intervalle qui s’écoula entre le deuxième et le troisième renoncement : « Une heure environ s’était écoulée, » intervalle dont saint Matthieu et saint Marc ne parlent qu’en ces termes généraux : « Un peu après, » saint Jean n’en fait point mention. De même saint Matthieu et saint Marc parlent au pluriel de ceux qui adressaient ces questions à Pierre, tandis que saint Luc et saint Jean ne font mention que d’un seul. Il est facile de résoudre cette contradiction apparente en disant : ou bien que saint Matthieu et saint Marc ont suivi l’usage souvent adopté de mettre le pluriel pour le singulier ; ou bien qu’un seul surtout affirmait avoir vu Pierre, et que tous les autres insistaient en s’appuyant sur son témoignage. D’un autre côté, saint Matthieu raconte qu’un de ceux qui étaient présents dit à saint Pierre : « Certainement vous êtes aussi de ces gens-là ; car votre langage même vous trahit, » et saint Jean qu’un autre lui dit également : « Est-ce que je ne vous ai pas vu dans le jardin ? » tandis que selon saint Marc et saint Luc, ils s’entretenaient de Pierre à peu près dans les mêmes termes. On peut adopter l’opinion de ceux qui croient que d’après tous les Évangélistes Pierre fut interpellé directement (car parler de lui devant lui-même, n’était-ce pas la même chose que lui parler à lui-même), ou bien qu’on s’est servi de ces deux manières de parler, et que les Évangélistes n’en ont raconté qu’une seule des deux. — Bède. On ajoute : « Car il est aussi Galiléen, » non pas sans doute que les Galiléens eussent une langue différente de celle des habitants de Jérusalem (qui étaient aussi des hébreux), mais parce que chaque province et chaque pays ayant ses usages propres, ne pouvait éviter, en parlant, l’accent qui lui était particulier.

« Pierre répondit : Mon ami, je ne sais ce que vous dites. » — S. Ambr. C’est-à-dire, je ne connais point vos discours sacrilèges. Nous cherchons à excuser Pierre, mais lui-même ne s’excusa point, c’est qu’en effet, ce n’est pas avec une réponse vague que l’on peut confesser Jésus-Christ, il faut une déclaration claire et formelle ; aussi ne peut-on dire que Pierre ait eu dessein de répondre dans ce sens, puisque bientôt le. souvenir de son reniement lui fit verser des larmes amères.

Bède. L’Écriture sainte a coutume de caractériser le mérite des faits par les différentes circonstances des temps ; ainsi Pierre, qui avait renié son divin Maître au milieu de la nuit, se repentit de son péché au chant du coq : « Et aussitôt, comme il parlait encore, le coq chanta, » le souvenir de la vraie lumière lui fait expier le crime qu’il a commis dans les ténèbres de l’oubli. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 3, 7.) Le chant du coq se fit entendre après le triple reniement de Pierre, comme saint Marc le dit expressément. — Bède. Dans le sens figuré, ce coq représente les docteurs qui excitent les âmes languissantes et engourdies, en leur adressant ces paroles de l’Apôtre : Justes, tenez-vous dans la vigilance, et gardez-vous du péché. » (1 Co 15, 34.)

S. Chrys. (hom. 42 sur S. Jean.) Admirez la tendre sollicitude du Sauveur, il est chargé de chaînes et il veille avec amour sur son disciple, et d’un seul regard, il le touche et lui fait verser un torrent de larmes : « Et le Seigneur, se retournant, regarda Pierre. » — S. Aug. (de l’accord des Evang.) Il faut examiner attentivement dans quel sens il faut entendre ces paroles. En effet, d’après saint Matthieu, « Pierre était assis au dehors dans la cour, » et il ne se fût pas exprimé de la sorte, si Notre-Seigneur n’eût été alors dans l’intérieur de la maison. Saint Marc, de son côté, nous dit que « Pierre était en bas, dans la cour, » paroles qui indiquent que les faits qui concernent Jésus, et font l’objet de son récit, se passaient non seulement dans l’intérieur, mais dans le haut de la maison. Comment donc le Seigneur a-t-il regardé Pierre ? Ce ne fut pas des yeux du corps, puisque Pierre alors se trouvait en dehors, dans la cour, avec ceux qui se chauffaient, pendant que tout le reste se passait dans l’intérieur de la maison. Il est donc ici question d’un regard tout divin, tel que celui qu’implorait le Psalmiste, lorsqu’il disait : « Regardez-moi, et exaucez-moi ; » (Ps 13) et encore « Tournez-vous vers moi, et délivrez mon âme ; » (Ps 6) et c’est dans ce sens qu’il faut entendre ces paroles : « Et le Seigneur, se retournant, regarda Pierre. » — Bède. En effet, pour Jésus, regarder, c’est faire miséricorde, et cette miséricorde nous est nécessaire non seulement pour faire pénitence, mais même pour en concevoir la résolution.

 

S. Ambr. Ceux sur lesquels Jésus daigne ainsi jeter un regard, pleurent amèrement leurs fautes : « Et Pierre se ressouvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : « Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Et Pierre étant sorti, pleura amèrement. » Quelle fut la cause de ses larmes ? la faute qu’il avait commise. Je lis bien que Pierre a pleuré ; je ne vois point qu’il ait cherché à s’excuser ; ses larmes effacent le crime qu’il avait honte d’avouer. Il avait renié son divin Maître une première et une seconde fois, mais sans verser de larmes, parce que le Seigneur ne l’avait pas encore regardé ; il le renie une troisième fois, Jésus le regarde, et il pleure amèrement. Si donc vous voulez mériter votre pardon, vous aussi lavez vos fautes dans vos larmes. — S. Cyr. Cependant Pierre n’osait pleurer publiquement, de peur que ses larmes ne le fissent découvrir, mais il sortit dehors pour donner un libre cours à ses larmes. Or, il pleurait non par crainte du châtiment qu’il avait mérité, mais parce qu’il avait renié son Maître bien-aimé, pensée plus accablante pour lui que tous les supplices.

 

Vv. 63-71.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 6.) Tous les évangélistes ne rapportent pas dans le même ordre le reniement de Pierre, qui eut lieu pendant que le Seigneur était en butte aux outrages de ses ennemis. Saint Matthieu et saint Marc racontent d’abord ces outrages, et puis la chute de Pierre ; saint Luc suit un ordre contraire, et ce n’est qu’après le reniement de Pierre, qu’il parle de ces outrages en ces termes : « Cependant ceux qui tenaient Jésus le raillaient, » etc. — S. Chrys. Jésus, le Seigneur du ciel et de la terre, supporte et souffre les dérisions des impies, pour nous donner un sublime exemple de patience. — Théophyl. Ajoutons que le Seigneur des prophètes est l’objet de leurs moqueries comme un faux prophète.

 

« Puis lui ayant bandé les yeux, ils le frappaient au visage, » etc. — Bède. Ils lui faisaient subir cet indigne traitement, parce qu’il avait voulu se faire passer aux yeux du peuple pour un prophète. Or, ce même Jésus qui fut alors souffleté par les Juifs, est encore aujourd’hui outragé de la même manière par les blasphèmes des faux chrétiens. Ils lui bandèrent les yeux, non pour lui dérober le spectacle de leurs violences, mais pour dérober à eux-mêmes la vue de sa face adorable. C’est ainsi que les hérétiques, les Juifs et les mauvais catholiques, qui continuent de l’outrager par leur conduite criminelle, lui disent encore pour se moquer de lui : « Qui t’a frappé ? » lorsqu’ils s’imaginent qu’il ne peut connaître leurs pensées et leurs oeuvres de ténèbres.

S. Aug. (De l’accord des Evang.) Le Seigneur fut donc en butte à ces outrages pendant toute la nuit dans la maison du prince des prêtres où il avait d’abord été conduit : « Et dès qu’il fut jour, les anciens du peuple, les princes des prêtres et les scribes s’assemblèrent, et l’ayant fait amener devant eux, ils lui dirent : Si vous êtes le Christ, dites-le nous. » Bède. Ils ne désirent point connaître la vérité, mais ils attendent sa réponse pour le calomnier. Le Christ dont ils espéraient la venue, devait être de la race de David, et ils lui font cette question, pour lui faire un crime de s’être attribué la puissance royale, s’il répondait affirmativement : « Je suis le Christ. »

 

Théophyl. Mais Jésus connaissait leurs dispositions intérieures, et il savait bien que n’ayant point voulu croire à ses oeuvres, ils se rendraient encore bien moins à ses discours : « Et il leur répondit : Si je vous le dis, vous ne me croirez pas. » — Bède. Souvent en effet, il leur avait déclaré qu’il était le Christ ; par exemple lorsqu’il leur disait : « Mon Père et moi nous sommes un, » (Jn 10) et en d’autres termes semblables : « Et si je vous interroge, vous ne me répondrez pas. » C’est ainsi qu’il leur avait demandé comment ils pouvaient dire que le Christ fût le Fils de David, puisque David inspiré l’appelait son Seigneur (cf. Mt 22, 42 ; Mc 12, 35.36 ; Lc 20, 42, etc). Or, ils n’avaient voulu ni croire à sa parole, ni répondre à ses questions, et comme ils s’attachaient à calomnier le fils de David, il leur fait entendre une vérité beaucoup plus importante : « Désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. » — Théophyl. Paroles dont voici le sens : Le temps des discours et des enseignements est passé pour vous ; désormais c’est le temps du jugement, où vous me verrez, moi le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance de Dieu. — S. Cyr. Lorsque la sainte Écriture nous représente Dieu comme assis, et qu’elle nous parle de son trône, elle veut exprimer qu’il est le Roi de l’univers, et qu’il a sur tous les hommes une puissance souveraine. Nous ne pouvons admettre, en effet, qu’il existe un tribunal où le Seigneur de toutes choses vienne siéger, ni que la nature divine ait une droite ou une gauche, car il n’appartient qu’aux corps d’avoir une forme, d’occuper une place, ou d’être assis. Mais comment le Fils de l’homme pourra-t-il paraître dans la même gloire et au même rang que son Père, s’il n’est pas son Fils par nature, s’il n’a pas en lui l’essence même du Père ? — Théophyl. Cette déclaration solennelle aurait dû leur inspirer une crainte salutaire, loin de là, elle ne fait que redoubler leur acharnement : « Alors ils dirent tous : Vous êtes donc le Fils de Dieu ? » Bède. ils comprirent qu’il s’était déclaré le Fils de Dieu en disant de lui-même : « Désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. » — S. Ambr. Notre-Seigneur aime mieux prouver qu’il était roi plutôt que de le dire, afin de leur ôter tout motif de le condamner, puisqu’ils étaient forcés d’avouer eux-mêmes ce dont ils lui faisaient un crime : « il répondit : Vous le dites, je le suis. » — S. Cyr. A ces paroles, toute la troupe des pharisiens entre en fureur, et l’accuse de blasphème : « Et ils repartirent : Qu’avons-nous besoin d’autre témoignage ? nous l’avons entendu nous-mêmes de sa propre bouche. » Théophyl. Cette conduite des Juifs nous montre que les esprits rebelles ne tirent aucun avantage des mystères qui leur sont révélés, mais qu’ils n’en deviennent que plus coupables, aussi vaut-il mieux les leur laisser ignorer.

 

 

CHAPITRE XXIII

Vv. 1-5.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 7.) Saint Luc ayant achevé le récit du reniement de Pierre, résume tout ce que le Sauveur eut à souffrir vers le matin, en rapportant quelques circonstances que les autres évangélistes ont passées sous silence, et il poursuit son récit en racontant les mêmes faits que les autres : « Toute l’assemblée s’étant levée, ils le menèrent à Pilate, » etc. — Bède. C’est ainsi que s’accomplit cette prophétie de Jésus sur sa mort : « il sera livré aux Gentils, » c’est-à-dire, aux Romains, car Pilate était romain, et c’était l’empereur romain qui l’avait nommé gouverneur de la Judée. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 8.) Saint Luc raconte ensuite ce qui se passa chez Pilate : « Et ils commencèrent à l’accuser en disant : Nous avons trouvé cet homme pervertissant notre nation, » etc. Saint Matthieu et saint Marc n’ont point fait mention de cette circonstance, bien qu’ils disent qu’ils portaient contre le Sauveur diverses accusations, tandis que saint Luc précise l’objet de ces fausses accusations.

Théophyl. Évidemment, ces accusations sont contraires à la vérité. Loin de défendre, le Sauveur a bien plutôt recommandé de payer le tribut. Pour quel motif d’ailleurs aurait-il cherché à soulever le peuple ? Est-ce pour se faire roi ? Mais qui pourrait le croire, lorsqu’on le voit se dérober par la fuite à la multitude qui voulait le choisir pour roi. — Bède. Les ennemis de Jésus formulaient surtout contre lui deux griefs : qu’il défendait de payer le tribut à César, et qu’il se disait le Christ-roi. Or, il put très-bien se faire que Pilate lui-même eût appris que le Sauveur enseignait formellement : « Rendez à César ce qui est à César ; » aussi sans s’arrêter à cette accusation qu’il regardait comme un mensonge flagrant des Juifs, il crut ne devoir l’interroger que sur ce qu’il ignorait, c’est-à-dire, sur ce que Jésus avait pu dire de sa royauté : « Pilate l’interrogea donc en lui disant : Êtes-vous le roi des Juifs ? » Théophyl. Pilate, je crois, fait cette question à Jésus-Christ, par dérision pour ces Juifs hypocrites, qui l’accusent d’un crime si peu vraisemblable. Comment semble-t-il lui dire, vous qui êtes pauvre, méprisé, dénué de tout, sans appui ; on vous accuse d’aspirer à la royauté, qu’on ne peut obtenir qu’à l’aide d’une multitude de partisans et d’immenses richesses ? — Bède. Jésus fait au gouverneur la même réponse qu’aux princes des prêtres, pour qu’il soit condamné aussi par son propre aveu : « Jésus lui répondit : Vous le dites. »

Théophyl. Les Juifs voyant l’inutilité de leurs calomnies, ont recours aux cris et aux vociférations : « Mais redoublant leurs instances, ils dirent : Il soulève le peuple, répandant sa doctrine dans toute la Judée, depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu’ici. » C’est-à-dire, il soulève le peuple, non seulement dans une partie du pays, mais depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu’ici où il est venu en traversant la Judée. C’est avec dessein qu’ils font mention de la Galilée, ils veulent réveiller les craintes de Pilate, car les Galiléens étaient schismatiques et amateurs de nouveautés, tel que fut Judas le Galiléen, dont il est parlé dans le livre des Actes (Ac 5, 37). — Bède. Mais en parlant de la sorte, ils s’accusent eux-mêmes au lieu d’accuser Jésus, car ce n’est point un crime, mais un acte et une preuve de vertu que d’avoir par ses enseignements, fait sortir ce peuple de sa trop longue torpeur et parcouru toute la terre promise, en y produisant de semblables effets. — S. Ambr. Devant ces accusations, Notre-Seigneur se tait, parce qu’il n’a pas besoin de défense. Que ceux-là cherchent des défenseurs, qui craignent à bon droit de perdre leur cause. Il ne confirme donc point ces accusations par son silence, mais il les dédaigne comme indignes d’être réfutées. Que craindrait-il d’ailleurs, lui qui ne désire point échapper à la mort qu’on lui prépare ? Lui, le Sauveur de tous, abandonne le soin de son propre salut pour ne s’occuper que du salut de tous les hommes.

 

Vv. 6-12.

Bède. Pilate, convaincu qu’il ne peut ni interroger, ni condamner le Sauveur, sur les accusations portées contre lui, saisit avec empressement l’occasion qui lui est offerte, d’échapper à la responsabilité du jugement de Jésus : « Pilate, entendant nommer la Galilée, demanda si cet homme était Galiléen. » Il craint d’être obligé de prononcer une sentence de mort contre un homme innocent à ses yeux, et qui n’est accusé, il le sait, que par la noire envie de ses ennemis ; il le renvoie donc au tribunal d’Hérode, pour être absous ou condamné par le tétrarque qui gouvernait son pays : « Et dès qu’il sut qu’il était de la juridiction d’Hérode, il le renvoya à ce prince qui se trouvait lui-même à Jérusalem en ces jours-là. » — Théophyl. Il se conforme en cela aux prescriptions de la loi romaine, d’après laquelle chacun devait être jugé par son prince naturel.

S. Grég. (Moral., 10, 17.) Or, Hérode voulut s’assurer de la renommée de Jésus-Christ, et il désirait lui voir opérer quelque prodige : « Hérode eut une grande joie de voir Jésus, » etc. — Théophyl. Ce n’est pas qu’il voulut tirer quelque utilité de la présence du Sauveur, mais il avait la passion des nouveautés, et il s’attendait à voir un homme extraordinaire dont il avait entendu vanter la sagesse et les prodiges : « Car il avait entendu raconter beaucoup de choses de lui, et il espérait lui voir faire quelque miracle. » Il voulait aussi savoir ce qu’il lui dirait, et dans ce dessein il l’interroge sur le ton de la dérision et de la raillerie : « Il lui fit donc beaucoup de questions. » Mais Jésus, dont toute la conduite est dirigée par une raison souveraine, et qui, au témoignage de David, règle tous ses discours avec prudence et jugement (Ps 111, 5), crut plus utile pour Hérode de garder le silence dans cette circonstance. En effet, tout discours adressé à celui qui n’en fait aucun profit, devient pour lui une cause de condamnation : « Mais Jésus ne lui répondit rien. » — S. Ambr. Jésus se tait et ne fait aucun miracle, parce qu’Hérode n’avait pas la foi qui mérite d’avoir des miracles, et que lui-même fuyait toute ostentation. Peut-être aussi, Hérode est-il la figure de tous les impies, qui ne peuvent voir et comprendre les miracles de Jésus-Christ, racontés dans l’Évangile, qu’à la condition de croire à la loi et aux prophètes. — S. Grég. (Moral., 22, 42.) Cette conduite de Jésus nous apprend à garder nous-mêmes un silence absolu, toutes les fois que nos auditeurs témoignent le désir de nous entendre pour faire l’éloge de nos discours plutôt que pour corriger leurs vices, de peur qu’en annonçant la parole de Dieu par un motif de vaine gloire, nos discours n’aient d’autre résultat que de nous rendre coupables, sans avoir rendu les autres meilleurs. Or, nous pouvons reconnaître à plusieurs signes les intentions douteuses de ceux qui nous écoutent, mais surtout lorsque nous les voyons louer sans cesse ce qu’ils entendent, sans jamais mettre en pratique les enseignements dont ils font l’éloge.

 

S. Grég. (Moral., 10, 17.) Notre-Seigneur ne répond à aucune des questions qui lui sont adressées, il dédaigne d’opérer les prodiges qu’on attend de lui, il se recueille dans l’intérieur de son âme, et laisse dehors sans leur accorder aucune grâce, ceux qu’il voit ne rechercher que ce qui frappe les sens, il préfère le mépris public des orgueilleux aux louanges stériles de ceux qui refusent de croire en lui : « Cependant les princes des prêtres et les scribes étaient là, l’accusant avec opiniâtreté. Or, Hérode, avec sa cour, le méprisa, et l’ayant par dérision revêtu d’une robe blanche, il le renvoya. » — S. Ambr. Ce n’est pas sans un dessein mystérieux que Jésus est revêtu par Hérode d’une robe blanche, le symbole de sa mort innocente et le signe glorieux de l’agneau sans tache, qui devait expier les péchés du monde.

Théophyl. Cependant, considérez comme le démon est pris et entravé dans ses propres filets. Il multiplie contre Jésus-Christ les dérisions et les outrages, qui prouvent jusqu’à l’évidence qu’il n’est point coupable de sédition, car on ne se serait pas contenté de se moquer de lui, s’il avait soulevé contre l’autorité, ce peuple qui aimait tant les nouveautés. Ce renvoi de Jésus, de Pilate à Hérode, devint pour eux une occasion de rapprochement, Pilate voulant ainsi prouver à Hérode qu’il n’usurpait point la juridiction sur ses propres sujets : « Et ce jour-là, Hérode et Pilate devinrent amis, car auparavant ils étaient ennemis l’un de l’autre. » Voyez comme le démon sait réunir ceux qui sont le plus divisés, pour arriver à consommer la mort de Jésus-Christ. Rougissons donc nous-mêmes, si, dans l’intérêt de notre propre salut, nous ne savons pas conserver l’union avec nos amis.

S. Ambr. Dans un sens figuré, Hérode et Pilate, qui se réconcilièrent à l’occasion de Jésus-Christ, représentent jusqu’à un certain point le peuple juif et le peuple des Gentils, qui devaient aussi se réconcilier entre eux par la passion du Seigneur, en suivant néanmoins cet ordre que les Gentils recevraient les premiers la parole de Dieu, et feraient ensuite entrer en participation de leur foi et de leur charité, les Juifs qui revêtiraient aussi de gloire et de majesté le corps de Jésus-Christ, objet autrefois de leurs mépris. — Bède. Ou encore, la réconciliation d’Hérode et de Pilate signifie que les Gentils et les Juifs, si différents d’origine, de religion et de sentiments, se réuniront et se ligueront pour persécuter les chrétiens.

 

Vv. 13-25.

S. Aug. (Quest. Evang., 3, 8.) Saint Luc revient aux événements qui se passèrent chez le gouverneur et dont il avait interrompu le récit pour raconter ce qui arriva chez Hérode : « Pilate, ayant assemblé les princes des prêtres, » etc. Nous voyons par là que cet Évangéliste a passé sous silence la demande que Pilate fit au Seigneur de répondre à ses accusateurs (Mt 27, 13 ; Mc 15, 4).

S. Ambr. Pilate reconnaît judiciairement l’innocence du Sauveur, et il le crucifie par un acte arbitraire de son autorité. Jésus est envoyé à Hérode, qui le renvoie à Pilate : « Je n’ai trouvé en lui aucun des crimes dont vous l’accusez, ni Hérode non plus, car je vous ai renvoyés à lui, et on ne l’a convaincu de rien qui mérite la mort. » Ainsi tous deux s’accordent à proclamer son innocence, et cependant, par un lâche sentiment de crainte, Pilate se rend aux désirs sanguinaires d’un peuple cruel.

Théophyl. Jésus est donc déclaré innocent par le témoignage de ces deux hommes, tandis que les Juifs qui l’accusent, ne peuvent produire aucun témoin digne de foi. Voyez quelle est la puissance de la vérité, Jésus se tait, et ses ennemis lui rendent témoignage ; les Juifs demandent sa mort à grands cris, et personne ne vient appuyer leurs vociférations sanguinaires. — Bède. Périssent donc ces écrits qui ont été composés si longtemps après contre Jésus-Christ, ils n’ont pu réussir à prouver que le Sauveur avait été accusé de magie au tribunal de Pilate, mais ils démontrent jusqu’à l’évidence que ceux qui les ont composés sont coupables au tribunal de Dieu de perfidie et de mensonge.

Théophyl. Pilate donc lâche et timide et sans fermeté pour la défense de la vérité, parce qu’il craint d’être lui-même accusé, ajoute : « Je le renverrai donc après l’avoir fait châtier. » — Bède. Paroles dont voici le sens : Je l’accablerai de coups, je le couvrirai d’ignominie, tant que vous le voudrez, pourvu que vous cessiez d’avoir soif du sang innocent. « Or, il était obligé de leur accorder la délivrance d’un prisonnier à la fête de Pâques. » Cette nécessité lui était imposée, non par une disposition d’une loi impériale, mais par la coutume annuelle dont la nation juive était en possession, et qu’il observait fidèlement pour leur être agréable. — Théophyl. En effet, les Romains avaient permis aux Juifs de vivre selon leurs lois et leurs rites particuliers. Or, c’était une coutume nationale parmi les Juifs de demander à celui qui les gouvernait la grâce des condamnés, c’est ainsi que nous les voyons, demander à Saül la grâce de Jonathas. (1 R 14, 45.) Or, voici la demande qu’ils firent à Pilate : « La foule entière s’écria : Faites mourir celui-ci et donnez-nous Barabbas ». — S. Ambr. Il est juste qu’ils sollicitent la grâce d’un homicide, eux qui demandaient avec tant d’instance la mort d’un innocent, telles sont les lois auxquelles obéit l’iniquité, l’affection du crime est acquise à ce que l’innocence a en horreur. Le nom de ce grand criminel a d’ailleurs une signification symbolique : Barabbas veut dire en latin fils du père. Or, ce sont ceux à qui Jésus a dit : « Vous êtes les enfants du démon, » que nous voyons donner la préférence au fils de leur père, c’est-à-dire à l’Antéchrist sur le vrai Fils de Dieu. — Bède. Les Juifs sont encore aujourd’hui victimes de cette indigne préférence. Sur le choix qu’il leur fut donné, ils ont préféré à Jésus un voleur, au Sauveur un assassin, et ils ont mérité par là de perdre à la fois le salut et la vie, et ils se sont livrés à tant de brigandages et de séditions. qu’ils se sont vu enlever leur patrie et leur royaume. — Théophyl. C’est ainsi que cette nation autrefois sainte s’acharne à de— mander la mort de l’innocent, tandis que Pilate, païen d’origine s’oppose à ce désir sanguinaire : « Pilate leur parla de nouveau, dans le désir qu’il avait de délivrer Jésus. Mais ils redoublaient leurs clameurs, en disant : Crucifiez-le, crucifiez-le. » — Bède. Ils demandent que l’innocent meure de la mort la plus affreuse, c’est-à-dire de la mort de la croix. En effet, les crucifiés attachés au bois de la croix par des clous qui leur perçaient les pieds et les mains, étaient condamnés à mourir d’une mort lente pour prolonger plus longtemps leurs souffrances. Mais le Seigneur avait choisi cette mort de la croix, parce qu’il voulait, après avoir triomphé du démon, placer cette croix sur le front des fidèles comme un trophée de sa victoire.

Théophyl. Pilate proclame une troisième fois l’innocence de Jésus : « Pour la troisième fois Pilate leur dit : Qu’a-t-il donc fait de mal ? Je ne trouve rien en lui qui mérite la mort. Je vais donc le faire châtier et je le renverrai. » — Bède. Nous lisons dans l’Évangile selon saint Jean, que Pilate ne se contenta pas de proposer aux Juifs pour leur être agréable, de châtier Jésus, espérant désarmer ainsi leur acharnement à demander sa mort, mais qu’après l’avoir fait flageller, il le leur présenta comme un objet de dérision. Alors les Juifs, voyant que tout le système d’accusations qu’ils avaient dressé contre Jésus ne pouvait tenir contre la persistance de Pilate à le déclarer innocent, n’ont plus recours qu’à la prière, et demandent avec instance qu’il soit crucifié. — Théophyl. Ils renouvellent trois fois leurs cris de mort contre Jésus-Christ, pour constater par ce triple cri que cette mort du Sauveur est bien leur oeuvre, et qu’ils l’ont obtenue violemment par leurs demandes répétées : « Alors Pilate ordonna que ce qu’ils demandaient fût exécuté. Il leur délivra, selon leur désir, celui qui avait été mis en prison pour cause de meurtre et de sédition, et il abandonna Jésus à leur volonté. » — S. Chrys. Ils croyaient ainsi pouvoir persuader que Jésus était mille fois pire que ce voleur, et tellement coupable que ni la compassion, ni l’occasion privilégiée de la fête n’avaient pu déterminer à lui rendre ta liberté.

 

Vv. 26-32.

La Glose. Après le récit de la condamnation de Jésus vient naturellement celui de son crucifiement : « Or, comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène qui revenait des champs et le chargèrent de la croix, la lui faisant porter après Jésus. » — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 10.) Saint Jean raconte que Jésus portait lui-même sa croix, ce qu’il faut entendre du moment où il sortait pour aller au lieu dit du Calvaire, et que dans le chemin, ils requirent Simon pour la porter jusqu’à ce lieu. — Théophyl. Personne, en effet, n’eût consenti à porter la croix, qu’on regardait comme un bois infâme et maudit, c’est pour cela qu’ils imposèrent à Simon l’humiliation forcée de se charger de cette croix que tous les autres refusaient de porter. Ainsi fut accomplie la prophétie d’Isaïe : « Il portera sur ses épaules le signe de sa puissance. (Is 9.) En effet, sa croix est vraiment le signe de sa puissance, et c’est à cause de sa croix que Dieu l’a élevé si haut. (Ph 2.) Vous voyez les uns porter comme marque de leur dignité un riche baudrier, les autres une tiare ou un diadème ; quant au Sauveur, la marque de sa dignité, c’est sa croix. Et si vous voulez bien y réfléchir, vous verrez que Jésus n’établit en nous son royaume que par les souffrances ; aussi ceux qui recherchent les délices de la vie sont ennemis de la croix de Jésus-Christ.

S. Ambr. Jésus portant sa croix, est comme un vainqueur qui porte déjà le trophée de sa victoire ; la croix est placée sur ses épaules, soit en effet qu’il l’ait portée lui-même, ou que Simon en ait été chargé, c’est toujours le Christ qui la porte dans l’homme, de même que l’homme la porte dans la personne du Christ. Il n’y a point ici de contradiction dans le récit des évangélistes, puisque la signification mystérieuse est la même. L’ordre de notre progrès dans la perfection demandait que Jésus dressât d’abord lui-même le trophée de sa croix, et qu’il le transmît aux martyrs pour le porter après lui. Or, ce n’est pas un Juif qui porte la croix, mais un étranger et un voyageur, et il ne marche pas devant Jésus, mais se contente de le suivre, selon la parole du Sauveur : « Qu’il porte sa croix, et qu’il me suive. »

Bède. Simon veut dire obéissant, et Cyrène, signifie héritier ; cet homme est donc la figure du peuple des nations, qui autrefois était complètement étranger aux alliances (Ep 2, 12), et qui maintenant est devenu par son obéissance héritier de Dieu. C’est en revenant de la maison des champs, que Simon porte la croix après Jésus, figure en cela des Gentils qui commencent par renoncer aux superstitions du paganisme pour suivre avec obéissance les traces de la passion du Sauveur, car maison des champs se dit en grec παγος (pagos), d’où les païens ont tiré leur nom. — Théophyl. Ou encore : Celui qui porte la croix de Jésus-Christ revient des champs, c’est-à-dire se sépare du monde et de ses oeuvres, pour se diriger vers Jérusalem, c’est-à-dire vers la liberté des cieux. Notre-Seigneur nous donne encore ici une importante leçon, c’est que celui qui est à son exemple le mettre de ses frères, doit commencer aussi par porter sa croix et crucifier sa propre chair par la crainte de Dieu, avant d’en charger ceux qu’il instruit et qu’il dirige.

« Cependant Jésus était suivi d’une grande multitude de peuple, et de femmes qui pleuraient et se lamentaient sur lui. » Une grande multitude suit la croix de Jésus-Christ, mais avec des dispositions bien différentes ; le peuple qui a demandé et obtenu qu’il fût crucifié, veut rassasier ses yeux du spectacle de sa mort, tandis que les pieuses femmes au contraire le suivent pour répandre des larmes sur lui. Si l’Evangéliste remarque que les femmes seules le suivaient en pleurant, ce n’est pas que dans cette multitude innombrable d’hommes, il ne s’en trouvât aussi qui ne fussent profondément affligés de sa passion, mais parce que les femmes attirant moins l’attention, pouvaient donner un cours plus libre à leurs sentiments. — S. Cyr. D’ailleurs, les femmes sont naturellement portées aux larmes, et leur âme est plus accessible à la compassion.

Théophyl. Ces femmes sont aussi la figure de la grande multitude des Juifs qui devait un jour suivre la croix et embrasser la foi. La femme signifie aussi l’âme pécheresse qui, brisée par la contrition verse les larmes du repentir, et marche à la suite de Jésus affligé pour notre salut. Les femmes pleuraient donc par compassion. Cependant il ne faut point pleurer sur celui qui marche volontairement au-devant des souffrances, mais bien plutôt applaudir à son généreux dessein ; aussi Notre-Seigneur défend-t-il à ces femmes de pleurer « Jésus, se tournant vers elles, leur dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi. » Bède. Né pleurez pas sur moi dont la prompte résurrection va bientôt briser les liens de la mort, dont la mort a triomphé de la mort et détruit l’auteur même de la mort. Remarquez que le Sauveur les appelle : « Filles de Jérusalem, » parce qu’aux femmes qui l’avaient suivi de la Galilée, s’étaient jointes celles de la ville de Jérusalem qui s’étaient attachées à lui.

 

Théophyl. Il engage ces femmes qui pleurent sur lui, à porter leurs regards sur les calamités qui les menacent, et à pleurer sur elles-mêmes : « Mais pleurez sur vous mêmes. » — S. Cyr. Il leur fait pressentir que bientôt les femmes seront privées de leurs enfants, car lorsque la guerre viendra fondre sur la Judée, tous sans distinction en seront victimes, grands et petits : « Car voici que viendront des jours où l’on dira : heureuses les stériles, » etc. — Théophyl. C’est-à-dire ces jours où des mères dénaturées feront cuire leurs propres enfants et que leurs entrailles recevront de nouveau le fruit malheureux qui en était sorti. — Bède. Il prédit ici le siége de Jérusalem par les Romains, et le temps de la captivité dont il avait dit précédemment : « Malheur aux femmes qui seront grosses ou qui nourriront ! » Lorsqu’on est envahi par un ennemi qui doit vous entraîner en captivité, il est naturel de chercher dans les montagnes on dans les lieux inaccessible, un refuge assuré. C’est le sens qu’on peut donner à ces paroles : « Alors il commenceront à dire aux montagnes : Tombez sur nous ; et aux collines : Couvrez-nous. » Josèphe nous raconte en effet, qu’aux approches de l’armée romaine, les Juifs s’enfuirent précipitamment dans les cavernes et les antres creusés dans le flanc des collines et des montagnes. Ces paroles : « Heureuses les stériles, » peuvent aussi s’entendre des chrétiens des deux sexes qui ont embrassé volontairement la chasteté pour le royaume des cieux, et celles qui suivent : « Montagnes, tombez sur nous, collines, couvrez-nous, » peuvent être mises sur les lèvres de ceux à qui le souvenir de leur fragilité fait chercher du secours, au fort de la tentation, dans les exemples, les leçons, et les prières des hommes d’une perfection éminente.

« Car si l’on traite ainsi le bois vert, que fera-t-on du bois sec ? » — S. Grég. (Moral., 12, 4.) Notre-Seigneur se compare au bois vert et nous au bois sec, parce qu’il avait en lui la sève de la puissance divine, tandis que nous, qui n’avons que la faible humanité en partage, nous ressemblons au bois sec. — Théophyl. Voici le sens de ces paroles : Si les Romains se sont portés à de tels excès de cruauté sur moi, arbre toujours vert et fécond, que ne feront-ils pas contre vous, c’est-à-dire, contre ce peuple qui est comme un bois sec, privé de toute sève vivifiante et qui n’a jamais produit aucun fruit ? — Bède : Ou encore, c’est à tous que le Sauveur s’adresse et dit : Si moi qui n’ai point commis de péché, qui suis appelé l’arbre de vie, je ne puis sortir de ce monde sans passer par le feu de ma passion, quels, pensez-vous, seront les tourments réservés à ces arbres tombés qui n’ont jamais porté de fruits ?

Théophyl. Pour noircir dans l’esprit du peuple la réputation du Sauveur, le démon porte ses ennemis à croiser avec lui deux voleurs : « On menait aussi avec lui deux voleurs pour les faire mourir. »

 

V. 33.

S. Athan. Notre-Seigneur a livré son corps aux souffrances et à la mort, là où le genre humain a perdu son intégrité première, afin que l’incorruptibilité prit naissance là où la corruption avait comme été semée, et c’est pour cette raison qu’il veut être crucifié sur le mont du Calvaire : « Et lorsqu’ils furent arrivés au lieu qui est appelé Calvaire, ils le crucifièrent. » Les docteurs des Juifs disent que c’est sur cette montagne que se trouvait le tombeau d’Adam. — Bède. Ou encore, il y avait hors des portes de la ville, des lieux affectés au supplice des criminels, qui devaient avoir la tête tranchée, d’où leur venait le nom de lieu du Calvaire (c’est-à-dire, des décapités), et le Sauveur a voulu être crucifié comme un coupable au milieu des coupables, pour le salut de tous les hommes, afin que la grâce surabondât là où le péché avait abondé. (Rm 5, 20.)

 

S. Cyr. Ce n’est point dans sa nature divine et en tant que Dieu, mais dans sa nature humaine et en tant qu’homme, que le Fils unique de Dieu a souffert ces tourments corporels, car tel est le langage qu’il convient de tenir à l’égard de la personne du Fils de Dieu, c’est qu’il n’a pas souffert comme Dieu, mais qu’il a souffert comme homme. — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Si au contraire, après avoir vécu sur la terre au milieu des hommes, il eût disparu subitement sans passer par la mort, on l’eût regardé comme un fantôme. De même donc que pour prouver qu’un vase quelconque est à l’épreuve du feu, et d’une nature incombustible, on le jette dans les flammes pour l’en retirer complètement intact ; ainsi le Verbe de Dieu, voulant prouver que le corps dont il s’est servi pour le salut du genre humain est supérieur à la mort, l’a livré à la mort pour montrer sa nature, puis, presque aussitôt, l’a délivré de la mort par la vertu de sa divine puissance. Telle est la première raison de la mort de Jésus-Christ ; la seconde est de faire ressortir la puissance divine qui habite dans son corps comme dans un temple. Dans l’antiquité, on déifiait les hommes qui avaient subi la loi commune de la mort, et on leur décernait le nom de héros et de dieux ; mais Jésus a voulu nous enseigner que celui-là seul méritait d’être proclamé vrai Dieu après sa mort, qui avait triomphé de la mort, et s’était revêtu des glorieux trophées de sa victoire. La troisième raison de sa mort, a été d’immoler une victime digne pour le salut du genre humain tout entier, une victime dont l’immolation détruisit la puissance des démons et anéantit toutes les erreurs. Une quatrième raison enfin, était de rendre ses disciples témoins de sa résurrection, de ranimer ainsi leur foi, de relever leur espérance, et de les préparer à marcher avec joie au combat contre toutes les erreurs, sans craindre la mort.

 

S. Chrys. Ce n’est point sa propre mort que le Sauveur est venu détruire (puisque étant la vie il ne pouvait être soumis à la mort), mais il est venu détruire la mort à laquelle l’homme était condamné ; aussi la séparation de son âme d’avec son corps a été l’effet, non d’une mort qui lui fut propre, mais du supplice cruel que les hommes lui ont fait souffrir. Si son corps eût été en proie aux maladies, et qu’on l’eût vu se dissoudre et se détruire comme dans les autres hommes, on eût, trouvé étrange que celui qui guérissait les infirmités des autres, ne pût en garantir son propre corps. Si au contraire il eût quitté secrètement son corps sans être atteint d’aucune maladie, et l’eût fait venir ensuite de nouveau, on n’eût pas voulu croire aux preuves de sa résurrection, car la résurrection doit nécessairement être précédée de la mort. Pourquoi d’ailleurs prêcher publiquement sa résurrection, après qu’il aurait tenu sa mort secrète ? Si les circonstances de sa passion s’étaient passées dans l’ombre, que de calomnies l’incrédulité n’eût-elle pas inventées ? Comment aurait-on pu savoir la victoire de Jésus-Christ sur la mort, s’il ne l’avait soufferte au grand jour, et s’il n’eût ainsi rendu publique sa défaite par l’incorruptibilité de son corps ? Mais, me direz-vous, il aurait dû au moins trouver une mort glorieuse pour échapper aux ignominies de la croix. S’il eût agi ainsi, il aurait excité les justes soupçons que sa puissance ne s’étendait pas sur toute espèce de mort. De même donc qu’un athlète qui terrasse l’adversaire que lui oppose son ennemi, fait ressortir la supériorité incontestable de sa force sur tous les autres ; ainsi celui qui est la vie de tous les hommes, a voulu souffrir la mort ignominieuse de la croix, que ses ennemis lui ont fait souffrir comme la plus cruelle et la plus infâme, pour détruire complètement, par le triomphe de sa résurrection l’empire universel de la mort. On ne lui coupe point la tête comme à Jean-Baptiste, son corps n’est pas scié comme celui d’Isaïe, mais il veut que ce corps reste entier et indivisible jusque dans la mort, pour ne point donner un prétexte à ceux qui voudraient un jour mettre la division dans l’Église. Il voulait encore porter la malédiction que nos péchés avaient attirée sur nous, en subissant une mort qui était maudite, la mort de la croix, selon cette parole : « Maudit de Dieu est l’homme qui est suspendu au bois. » (Dt 21, 23) Il meurt aussi les bras étendus sur la croix, pour attirer d’une main le peuple ancien, et de l’autre le peuple des Gentils, et ne plus faire des deux qu’un seul peuple. Il meurt encore sur la croix pour purifier l’air souillé par la présence des démons, et nous ouvrir la voie qui conduit au ciel. — Théophyl. C’est par le bois que la mort était entrée dans le monde, c’est par le bois qu’elle devait en être chassée, et le Seigneur devait passer, sans en être victime par les douleurs du bois de la croix pour expier la volupté produite par le fruit de l’arbre du paradis.

 

S. Grég. de Nysse. (Disc. 1 sur la résurrect. de Jésus-Christ) La forme de la croix, dont les quatre extrémités partent d’un même centre, signifie que la vertu et la puissance de celui qui y est attaché s’étendent partout. — S. Aug. (De la grâce de l’Anc. et du Nouv. Test.) Ce n’est pas sans raison que Jésus a choisi ce genre de mort ; il a voulu nous enseigner quelle est cette largeur, cette longueur, cette hauteur, cette profondeur dont parle l’Apôtre. (Ep 3, 18.) La largeur est dans la partie de la croix qui est en travers, elle désigne les bonnes oeuvres, parce que les mains y sont attachées ; la longueur est dans la partie du bois qui descend du haut jusqu’à terre, c’est là qu’elle trouve son point d’appui, c’est-à-dire, sa fermeté et de sa persévérance, qui sont le fruit de la patience ; la hauteur est cette partie de la croix qui part du centre et s’étend vers le haut, c’est-à-dire, vers la tête du crucifié, parce que la véritable espérance tend vers le ciel ; enfin la partie du bois de la croix qui, enfoncée dans la terre, ne parait point et soutient tout le reste, représente la profondeur de la grâce que Dieu nous donne gratuitement.

 

S. Chrys. Ils crucifièrent aussi avec lui deux voleurs, pour l’associer à leurs crimes dans l’opinion publique : « Ils le crucifièrent, et les voleurs aussi, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche ; mais il en fut tout autrement ; ces voleurs sont maintenant oubliés, tandis que la croix de Jésus reçoit partout des honneurs. Les rois déposent leurs couronnes et mettent la croix sur leur pourpre royale, sur leurs diadèmes, sur leurs armes, la croix brille sur les saints autels dans tout l’univers. Il n’en est pas ainsi des choses humaines, tant que vivent ceux qui ont fait des actions d’éclat, leurs oeuvres sont exaltées, mais à peine sont-ils morts, que le souvenir en périt avec eux. Pour Jésus-Christ, c’est tout le contraire ; avant sa croix, ce n’est que tristesse profonde, mais après sa croix tout est triomphe, tout est gloire, pour vous apprendre que ce crucifié n’était pas seulement un homme. — Bède. Les deux voleurs crucifiés avec Jésus-Christ figurent les chrétiens qui soutiennent les combats sanglants du martyre, ou ceux qui embrassent les obligations d’une chasteté plus parfaite ; ceux qui pratiquent cette perfection en vue de la gloire éternelle, sont représentés par le voleur de droite, et ceux qui n’agissent que par un motif de vaine gloire, imitent la conduite du voleur de gauche.

 

Vv. 34-37.

S. Chrys. Notre-Seigneur pratique sur la croix le commandement qu’il nous a donné : « Priez pour ceux qui vous persécutent. » (Mt 5.) « Et Jésus disait : Mon Père, pardonnez-leur. » S’il fait cette prière, ce n’est pas qu’il ne pût leur pardonner lui-même, mais il voulait par son exemple autant que par ses paroles, nous enseigner à prier pour nos persécuteurs. Or, il dit pardonnez-leur, mais à la condition qu’ils se repentiront, car Dieu est plein de miséricorde pour les vrais pénitents qui prennent la généreuse résolution d’effacer par la foi les longues iniquités de leur vie. — Bède. Gardons-nous de croire que la prière du Sauveur ait été sans effet, elle a eu toute son efficacité pour ceux qui, après sa passion, crurent en lui. Remarquons encore qu’il n’a point prié pour ceux qui, tout en reconnaissant qu’il était le Fils de Dieu, ont mieux aimé le crucifier que le confesser hautement ; mais pour ceux qui, égarés par un zèle qui n’était pas selon la science, ne savaient pas ce qu’ils faisaient, comme il le dit expressément : « Car ils ne savent ce qu’ils font. » — Chaîne des pèr. gr. Quant à ceux qui persévèrent dans leur incrédulité, depuis que Jésus-Christ a été crucifié, qu’ils n’espèrent point pouvoir s’excuser sur leur ignorance, alors que d’éclatants miracles ont proclamé hautement sa divinité.

 

S. Ambr. Mais il importe de considérer dans quel état Jésus monte sur la croix ; je le vois entièrement dépouillé de ses vêtements, tel doit être celui qui veut triompher du monde, il ne doit rechercher ni les biens ni les consolations du siècle. Adam fut vaincu par le démon, et se couvrit de vêtements ; Jésus se dépouille de ses vêtements, et triomphe de l’ennemi du salut, il monte sur la croix tel que Dieu a formé l’homme dès l’origine. C’est dans cet état que le premier Adam habita le paradis terrestre, c’est dans le même état que le second Adam entre dans le paradis des cieux. Ce n’est pas sans raison qu’avant de monter sur la croix, il se dépouille de ses vêtements, il voulait nous apprendre que c’est en tant qu’homme qu’il a souffert, et non comme Dieu, bien que le Christ soit l’un et l’autre. — S. Athan. (disc. sur la pass. du Seig.) Celui qui, par amour pour nous, s’était soumis à toutes les conditions de notre nature, se couvrit aussi de nos vêtements (signes de la mortalité d’Adam), pour s’en dépouiller ensuite, et nous revêtir en échange de la vie et de l’incorruptibilité.

 

« Partageant ensuite ses vêtements, ils les jetèrent au sort. » Peut-être plusieurs d’entre eux en avaient besoin, ou plutôt c’est par dérision et pour lui faire outrage qu’ils agirent de la sorte, car de quel prix pouvaient être les vêtements du Sauveur. — Bède. Le sort parait être ici le symbole de la grâce de Dieu ; car quand on consulte le sort, on ne tient aucun compte des personnes ou du mérite, on abandonne tout au secret jugement de Dieu. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 3, 12.) Les trois premiers évangélistes (Mt 25, 35 ; Mc 5, 24) rapportent sommairement cette circonstance qui se trouve plus détaillée dans l’évangile selon saint Jean. (Jn 19, 23.)

 

Théophyl. C’est donc par dérision qu’ils tirent au sort les vêtements du Sauveur. Or que devait faire le peuple en voyant les chefs de la nation donner l’exemple de ces railleries outrageantes ? « Et le peuple était là (ceux qui avaient demandé qu’il fût crucifié), attendant (quelle serait la fin), et les membres du grand conseil le raillaient aussi bien que le peuple. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 3.) Sous le nom de princes, en général, sans ajouter : des prêtres, l’Évangéliste comprend tous les premiers de la nation, soit les scribes, soit les anciens. — Bède. Ils sont forcés de reconnaître malgré eux que Jésus a sauvé les autres : « Il a sauvé les autres, disent-ils, qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ, l’élu de Dieu. » — S. Athan. Le Seigneur Jésus, qui est le Sauveur véritable, voulait être reconnu en cette qualité, non en se sauvant lui-même, mais en délivrant ses créatures. Un médecin ne fait point connaître son talent médical en se guérissant lui-même, mais en appliquant sa science aux maladies des autres ; ainsi Notre-Seigneur qui était aussi notre Sauveur, n’avait pas besoin d’être sauvé, il voulait être reconnu pour Sauveur, non pas en descendant de la croix, mais en mourant sur la croix ; car en mourant sur la croix, il a sauvé bien plus efficacement les hommes, qu’il n’aurait pu le faire en descendant de la croix.

 

Chaîne des Pères grecs. Le démon, se voyant forcé dans tous ses retranchements, ne savait plus que faire, et en désespoir de cause, il fait présenter du vinaigre à boire au Sauveur : « Les soldats aussi s’approchaient et l’insultaient, lui présentant du vinaigre. » Le démon ignorait qu’il agissait ici contre lui-même. En effet, il offrait au Sauveur l’amertume de la colère, produite par les prévarications de la loi (qui pesaient sur tous les hommes) ; Jésus prenait pour lui toute cette amertume, pour nous donner à boire, en échange de ce vinaigre, le vin préparé par la sagesse divine. (Pv 9.) — Théophyl. Les soldats présentèrent ce vinaigre à Jésus-Christ comme à un roi : « Et ils lui disaient : Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi. » — Bède. Remarquez que les Juifs font du nom du Christ, que les Écritures leur avaient appris, l’objet de leurs blasphèmes et de leurs dérisions, tandis que les soldats, qui ne connaissaient pas les Écritures, n’insultent pas le Christ, l’élu de Dieu, mais le roi des Juifs.

 

Vv. 38-43.

Théophyl. Considérez le nouvel artifice que le démon met en oeuvre contre Jésus-Christ. Il publie par trois inscriptions, en caractères différents, la cause de la condamnation de Jésus, afin que tous les passants voient qu’il a été crucifié, parce qu’il se disait roi : « Et au-dessus de sa tête était une inscription en grec, en latin, et en hébreu, où était écrit : Celui-ci est le roi des Juifs. » Cette triple inscription signifiait que les peuples les plus puissants, comme les Romains, les plus sages, comme les Grecs, les plus religieux, comme le peuple juif, se soumettraient à l’empire de Jésus-Christ. — S. Athan. C’est avec raison que cette inscription est placée au haut de la croix, parce que le règne de Jésus-Christ n’a point pour principe sa nature humaine, mais sa puissance divine. Je lis l’inscription du roi des Juifs, lorsque je lis dans saint Jean : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » (Jn 19.) Je lis au-dessus de la tête de Jésus-Christ la cause de sa condamnation, quand je lis : « Et le Verbe était Dieu ; car Dieu est la tête ou le chef de Jésus-Christ. » (1 Co 11.)

 

S. Cyr. Cependant un des voleurs s’associait aux outrages des Juifs contre le Sauveur : « Or, l’un des voleurs qui étaient suspendus en croix, le blasphémait en disant : Si tu es le Christ, sauve-toi toi-même et nous avec toi, » l’autre lui adressait ce reproche : « Ne crains-tu pas Dieu non plus, toi qui partages le même supplice ? » Il va plus loin, et confesse ses propres crimes : « Pour nous, du moins, c’est justice, nous sommes traités comme nous le méritons. » — S. Chrys. Ici donc, c’est le condamné qui remplit les fonctions de juge, celui qui, après mille tortures, a fini par avouer ses crimes devant le tribunal de Pilate, commence à reconnaître de lui-même la vérité ; c’est qu’en effet, le jugement de l’homme qui ignore le secret des coeurs, est bien différent de celui de Dieu, qui pénètre jusqu’au fond des consciences. Là, d’ailleurs, l’aveu est suivi du châtiment, ici, au contraire, la confession de son crime devient pour lui un principe de salut. Il fait plus encore, il proclame l’innocence de Jésus-Christ en ajoutant : « Mais celui-ci n’a rien fait de mal ; » comme s’il disait : Voyez ce nouveau genre d’injustice qui condamne l’innocence avec le crime. Pour nous, nous avons tué les vivants, celui-ci a ressuscité les morts ; nous avons dérobé le bien d’autrui, celui-ci commande de donner son propre bien. C’est ainsi que ce bienheureux larron instruisait ceux qui étaient présents, tout en reprenant le complice de ses crimes, Mais dès qu’il vit que cette multitude avait les oreilles fermées, il revient à celui qui connaît le secret des coeurs : « Et il disait à Jésus : Seigneur, souvenez-vous de moi, quand vous serez entré dans votre royaume. » Quoi ! vous ne voyez qu’un crucifié, et vous l’appelez votre Seigneur ; vous avez sous les yeux la figure d’un condamné, et vous proclamez sa puissance royale ; vous êtes couvert de crimes, et vous demandez à la source de toute justice de se souvenir de vos iniquités ? Oui, mais je découvre son royaume caché aux yeux des autres, et vous, Seigneur, vous effacez mes crimes publics, et vous agréez la foi des sentiments secrets de mon âme. L’iniquité s’est emparé précédemment du disciple de la vérité, est-ce que la vérité ne changera point le disciple de l’iniquité ?

 

S. Grég. (Moral., 18, 23.) Les pieds et les mains de ce voleur étaient attachés à la croix avec des clous, et il n’avait de libre des souffrances que le coeur et la langue. Dieu lui inspire donc de lui offrir tout ce qu’il avait encore de libre, afin que selon la doctrine de l’Apôtre : « Il crût de coeur pour être justifié, et confessât de bouche pour obtenir le salut. » (Rm 10, 10.) C’est ainsi que cet heureux larron, rempli tout à coup de la grâce divine, reçut et conserva sur la croix les trois vertus dont parle encore l’Apôtre saint Paul (1 Co 3.) Il eut en effet la foi, puisqu’il crut que celui qu’il voyait mourir avec lui, régnerait un jour en Dieu, il eut l’espérance, puisqu’il lui demanda l’entrée de son royaume, il fit aussi profession en mourant d’une vive charité, en reprenant de sa conduite coupable, son compagnon et son complice, qui mourait en punition des mêmes crimes.

 

S. Ambr. Quel exemple plus puissant pour nous exciter à revenir à Dieu, que l’exemple de ce voleur qui obtient si facilement son pardon ? Le Seigneur pardonne promptement, mais la conversion a été prompte aussi ; la grâce est plus abondante et s’étend bien plus loin que la prière, car Dieu accorde toujours plus qu’on ne demande, le larron le prie de se souvenir de lui, et Jésus lui répond : « En vérité, je vous le dis, vous serez avec moi dans le paradis, » car la vie, c’est d’être avec Jésus-Christ, et là où est Jésus-Christ, là aussi est le royaume. — Théophyl. De même qu’un roi victorieux rentre en triomphateur dans ses États, portant avec lui les plus riches dépouilles, ainsi Notre-Seigneur ayant enlevé au démon une partie de son butin (c’est-à-dire ce larron), la porte avec lui dans le paradis.

 

S. Chrys. Quel spectacle admirable de voir le Sauveur au milieu de ces deux larrons, pesant avec la balance de la justice la foi et l’incrédulité. Le démon avait chassé Adam du paradis, Jésus-Christ introduit un voleur dans le ciel avant tous les hommes, avant les Apôtres eux-mêmes, une simple parole et la foi seule lui ont ouvert les portes du paradis, afin que personne ne désespère d’obtenir la même grâce après ses égarements. Et voyez avec quelle promptitude s’opère ce changement, il passe de la croix dans les cieux, d’un supplice infâme dans le paradis, pour vous apprendre que c’est ici l’oeuvre de la miséricorde de Dieu plutôt que l’effet des bons sentiments de ce grand coupable. Or, si Dieu accorde dès maintenant la récompense des cieux, la résurrection ne devient-elle pas inutile ? Le Seigneur introduit ce larron dans le paradis, et abandonne sur la terre son corps à la corruption, il est donc évident qu’il n’y a point de résurrection des corps. Tel est le langage que tiennent quelques-uns. Mais quoi ! est-ce que le corps qui a partagé les travaux de l’âme, n’aurait aucune part dans les récompenses ? Écoutez ces paroles de saint Paul : « Il faut que ce corps corruptible soit revêtu de l’incorruptibilité. » (1 Co 15.) Mais puisque le Seigneur a promis au bon larron le royaume des cieux, et qu’il le fait entrer dans le paradis, il ne lui a pas encore donné la récompense promise. On dit à cela que sous le nom de paradis, le Sauveur a voulu désigner le royaume des cieux, et il s’est servi de cette expression usitée chez les Juifs, en s’adressant au larron qui n’avait jamais entendu ses sublimes enseignements. Il en est d’autres qui au lieu de lire : « Aujourd’hui vous serez avec moi dans le paradis, » coupent ainsi la phrase : « Je vous le dis aujourd’hui ; vous serez avec moi dans le paradis. » Voici toutefois une explication plus claire : lorsque les médecins voient un malade dans un état désespéré, ils disent : « Il est mort ; » ainsi dit-on de ce larron qu’il est entre dans le paradis, parce qu’on n’avait plus à craindre qu’il retombât dans l’abîme de la perdition. — Théophyl. Enfin, il est plus vrai de dire encore que le bon larron et les autres saints n’ont pas encore reçu tout l’effet des promesses, parce que selon la doctrine de saint Paul dans l’épître aux Hébreux (He 11, 40), Dieu n’a pas voulu qu’ils reçussent sans nous l’accomplissement de leur félicité, mais ils sont néanmoins dans le royaume des cieux et dans le paradis.

S. Grég. de Nysse. Il nous faut encore examiner comment le bon larron est jugé digne d’entrer dans le paradis, alors qu’un glaive de feu en interdit l’entrée aux saints. Mais remarquez que le texte sacré dit que ce glaive de feu s’agitait toujours pour éloigner les indignes et laisser librement entrer dans la vie ceux qui en sont dignes. — S. Grég. (Moral., 12, 61.) Ou encore, il est dit que ce glaive de feu s’agitait toujours, parce qu’il savait qu’il devait disparaître un jour, lorsque viendrait celui qui devait nous ouvrir le chemin du paradis par le mystère de l’incarnation. — S. Ambr. Une autre difficulté se présente : les autres évangélistes, saint Matthieu et saint Marc, rapportent que les deux voleurs insultaient le Sauveur ; d’après saint Luc, au contraire, l’un deux insultait Jésus, et l’autre s’opposait à ces outrages. Nous répondons qu’ils ont pu tous deux commencer par l’insulter, et que l’un d’eux ne tarda pas à changer de sentiments et de langage. On peut encore dire que les deux premiers évangélistes ont employé ici le pluriel pour le singulier comme dans ce passage : « Ils ont mené une vie errante, couverts de peaux de chèvres, » et dans cet autre : « Ils ont été sciés, » bien qu’Élie seul fût vêtu de cette manière, et que le seul prophète Isaïe ait souffert le supplice de la scie. Dans le sens figuré, ces deux larrons sont le symbole des deux peuples pécheurs qui devaient être crucifiés par le baptême avec Jésus-Christ, et leur conduite si opposée représente la conduite si différente de ceux qui ont embrassé la foi. — Bède. « Car nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort, » (Rm 5.) Et lorsque nous étions pécheurs, nous avons été purifiés dans les eaux du baptême ; cependant les uns sont couronnés, parce qu’ils glorifient le Dieu qui a daigné souffrir dans une chair mortelle, tandis que les autres perdent la grâce qu’ils ont reçue, parce qu’ils ont renoncé à la foi et aux oeuvres de leur baptême.

 

Vv. 44-47.

S. Cyr. Aussitôt que les Juifs eurent crucifié le Seigneur de toutes choses, l’univers tout entier pleura son Créateur et son Maître, et la lumière s’obscurcit en plein midi selon la prédiction du prophète Amos (Am 8, 9) : « Il était environ la sixième heure, » etc. Cette profonde obscurité était la figure manifeste des ténèbres qui devaient se répandre dans l’âme de ceux qui avaient crucifié le Fils de Dieu. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 17). Saint Matthieu et saint Marc rapportent également que les ténèbres couvrirent toute la terre, mais saint Luc en indique la cause en ajoutant : « Et le soleil s’obscurcit. » — S. Aug. (De la cité de Dieu, 3, 15.) Une preuve évidente que cet obscurcissement du soleil n’était pas le résultat du cours régulier des astres, c’est que c’était la Pâque des Juifs qui se célébrait à la pleine lune ; or, les éclipses ordinaires de soleil n’ont lieu que lorsque la lune est en pleine décroissance. — S. Denys. ( Lettre 7 à Polyc.) Nous étions alors à Héliopolis, et nous vîmes que la lune était venue inopinément se placer devant le soleil (car ce n’était pas l’époque de sa conjonction), et qu’ensuite, depuis la neuvième heure jusqu’au soir, elle revint miraculeusement en opposition directe avec le soleil. Nous vîmes aussi cette éclipse commencer du côté de l’Orient, et elle atteignit jusqu’au bord occidental du soleil. Ensuite elle rebroussa chemin, de sorte que la disparition et le retour de la lumière ne se firent point par le même côté, mais par le côté opposé. Tels sont les phénomènes surnaturels qui parurent alors et qui n’ont pu avoir pour auteur que le Christ, créateur de toutes choses. — Ch. des Pèr. gr. Ce prodige eut lieu pour montrer jusqu’à l’évidence que celui qui se soumettait à la mort, était le Seigneur et le maître de toutes les créatures. — S. Ambr. Le soleil se voile aux yeux de ces sacrilèges, pour ne pas éclairer le triste spectacle de ce crime affreux, et les ténèbres se répandent sur les yeux de ces perfides pour rendre plus éclatante la lumière de la foi.

 

Bède. A ce miracle, saint Luc en ajoute un autre : « Et le voile du temple se déchira par le milieu. » C’est au moment même où Jésus expira que ce prodige eut lieu, comme le rapportent saint Matthieu et saint Marc ; saint Luc le place ici par anticipation. — Théophyl. Le Seigneur annonçait ainsi que désormais le saint des saints ne serait plus inaccessible, qu’il serait livré aux profanations des Romains, et que l’entrée en serait ouverte à tous. — S. Ambr. Le voile du temple se déchira encore pour figurer la division des deux peuples, et la profanation de la synagogue. Le voile ancien se déchire pour laisser l’Eglise déployer et suspendre les voiles nouveaux de la foi chrétienne. Le voile de la synagogue disparaît, pour nous permettre de voir des yeux de nôtre âme les profonds mystères de la religion. Théophyl. C’est encore une figure que le voile qui nous séparait des mystères du ciel est déchiré, c’est-à-dire, que l’inimitié de Dieu et le péché sont détruits.

 

S. Ambr. Dès que Jésus eut bu le vinaigre qu’on lui présentait, tous les mystères de sa vie mortelle furent accomplis et l’immortalité seule demeura : « Alors Jésus s’écria d’une voix forte : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. » — Bède. En invoquant Dieu comme son Père, il déclare qu’il est le Fils de Dieu, et en remettant son esprit entre ses mains, il ne révèle point un défaut de puissance, mais la confiance qu’il possède une seule et même puissance avec son Père. — S. Ambr. Le corps du Sauveur ne meurt que pour ressusciter, et il remet son esprit à son Père, afin que toutes les créatures qui habitent les cieux soient affranchies des liens de l’iniquité, et que la paix commence par le ciel pour servir de modèle à celle qui doit se faire sur la terre. — S. Cyr. Ces paroles du Sauveur nous apprennent que les âmes des saints ne sont plus retenues captives dans les enfers, comme auparavant, mais qu’elles sont avec Dieu, depuis que Jésus-Christ les a délivrées. — S. Athan. (De l’incarn. cont. les Ar.) Dans sa personne, il recommande à son Père tous les hommes auxquels il a rendu la vie, car nous sommes ses membres, selon ces paroles de l’apôtre saint Paul aux Galates : « Vous n’êtes tous qu’un en Jésus-Christ. » (Ga 4, 28.)

S. Grég. de Nysse. Il convient ici d’examiner comment Jésus-Christ a pu dans le même temps se diviser en trois et aller dans les entrailles de la terre, comme il l’avait prédit aux pharisiens (Mt 12, 4), dans le paradis, comme il l’a dit au bon larron, et dans les mains de son Père, d’après ses dernières paroles. Or, cette difficulté ne forme même pas une question pour ceux qui veulent tant soi peu réfléchir, car celui qui est partout, est à la fois présent en tout lieu par sa divine puissance. — S. Ambr. Il recommande son âme à son Père, mais tout en étant dans le ciel, il éclaire les enfers (les limbes) et étend à toute créature les effets de la rédemption, car le Christ est en toutes choses, et toutes choses subsistent en lui. (Col 1, 17.) — S. Grég. de Nysse. On peut encore répondre qu’au temps de la passion, la divinité n’abandonna aucune partie de l’humanité à laquelle elle s’était unie, et qu’elle sépara volontairement l’âme du corps en restant elle-même unie à l’une et à l’autre. C’est ainsi qu’il détruit la puissance de la mort par son corps qu’il livre à la mort, tandis que par son âme, il ouvre au bon larron l’entrée du paradis. Or, le prophète Isaïe, en décrivant la céleste Jérusalem, qui n’est autre que le paradis, fait ainsi parler Dieu : « Je vous porte gravée sur ma main, vos murailles sont sans cesse devant mes yeux ; » (Is 49, 16) paroles qui prouvent que la main de Dieu le Père est dans le paradis. — S. Damas. (hom. pour le samedi saint.) Ou encore pour être plus précis : il était dans le tombeau quant à son corps ; quant à son âme, à la fois dans les enfers et dans le paradis avec le bon larron, et comme Dieu sur son trône avec le Père et l’Esprit saint.

Théophyl. Il expire en poussant un grand cri, parce qu’il avait le pouvoir de quitter la vie et de la reprendre (Jn 10, 18) : « Et en prononçant ces mots il expira. » — S. Ambr. Paroles dont voici le sens : Il rendit l’âme, il ne perdit point la vie malgré lui, car ce qu’on rend est volontaire, mais ce qu’on perd est forcé,

 

Vv. 47-49.

S. Aug. (De la Trinité, 4, 13.) Tous ceux qui étaient présents furent saisis d’étonnement en voyant Jésus rendre l’âme après avoir poussé ce grand cri, car les crucifiés ne mouraient qu’après de longues tortures : « Or, le centurion voyant ce qui était arrivé, glorifia Dieu en disant Vraiment, cet homme était juste. » — S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 30.) Il n’y a point de contradiction entre saint Matthieu, qui attribue l’étonnement du centurion au tremblement de terre qui eut alors lieu, et saint Luc, d’après lequel le centurion fut saisi d’étonnement de voir Jésus expirer après avoir poussé ce grand cri, et montrer ainsi quelle puissance il avait en mourant. D’ailleurs saint Matthieu, en attribuant l’étonnement du centurion au tremblement de terre et à tout ce qui se passait, démontre la vérité du récit de saint Luc, qui donne pour cause de cet étonnement la mort même du Sauveur. Saint Luc, de son côté, en s’exprimant de la sorte : « Le centurion voyant ce qui était arrivé, » comprend dans cette manière générale de parler, tous les prodiges qui eurent lieu alors, et le renferme dans un seul prodige dont les apôtres faisaient partie et dont ils étaient comme des circonstances détaillées. On pourrait peut-être trouver une divergence en ce que, d’après un autre évangéliste, le centurion dit : « Celui-ci est vraiment le Fils de Dieu, » tandis que d’après saint Luc, il se contente de dire : « Cet homme était vraiment juste. » Mais on peut admettre que le centurion a confessé ces deux vérités, et que chacun des évangélistes n’en a rapporté qu’une seule, ou que saint Luc a exprimé dans quel sens le centurion avait confessé que Jésus était le Fils de Dieu. En effet, le centurion n’a peut-être pas voulu dire qu’il était le Fils unique et consubstantiel du Père, mais il l’a proclamé Fils de Dieu, parce qu’il croyait à son innocence, et dans le même sens qu’un grand nombre de justes ont été appelés fils de Dieu (cf. Gn 6, 2.4). D’après le récit de saint Matthieu encore, ceux qui étaient avec le centurion partagèrent sa crainte, circonstance dont saint Luc n’a rien dit ; mais où est la contradiction, lorsque l’un raconte ce que l’autre passe sous silence ? Enfin, suivant saint Matthieu : « Ils furent saisis de crainte, » tandis que saint Luc dit simplement du centurion : « Il glorifia Dieu. » Mais qui ne comprend que c’est un sentiment de crainte qui l’a porté à glorifier Dieu ?

 

Théophyl. Nous voyons ici l’accomplissement de cette prédiction. du Sauveur : « Lorsque j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » En effet, c’est lorsqu’il fut élevé sur la croix qu’il attira le bon larron, le centurion et plusieurs autres d’entre les Juifs, dont l’Evangéliste dit : « Et toute la multitude de ceux qui assistaient à ce spectacle et qui virent toutes ces choses, frappaient leurs poitrines, » etc. — Bède. Ils frappaient leur poitrine eu signe de repentir et de tristesse, ce qui peut s’entendre de deux manières, ou parce qu’ils s’affligeaient de la mort injuste de celui dont ils avaient tant aimé la vie, ou parce qu’ils voyaient celui dont ils avaient demandé la mort, environné dans sa mort même d’une gloire encore plus éclatante. Remarquez aussi que la crainte de Dieu ouvre la bouche des Gentils, et leur fait confesser et glorifier Dieu à haute voix, tandis que les Juifs se contentent de frapper leur poitrine et retournent en silence dans leurs maisons.

 

S. Ambr. O coeurs des Juifs plus durs que les rochers ! Celui qu’ils ont pris pour juge les condamne, le centurion est forcé de croire, le traître disciple désavoue son crime par sa mort, les éléments se troublent, la terre est ébranlée, les sépulcres s’ouvrent, et cependant la dureté des Juifs demeure inflexible au milieu du bouleversement de l’univers. — Bède. Le centurion figure ici la foi de l’Église, qui proclame que Jésus est le Fils. de Dieu, tandis que la synagogue garde un coupable silence. C’est alors aussi que s’accomplit cette prédiction du Roi-prophète, où le Seigneur se plaint à Dieu son Père en ces termes : « Vous avez éloigné de moi mes amis et mes proches, et vous avez fait que ceux qui me connaissaient m’ont quitté à cause de ma misère. » (Ps 87, 19.) « Là aussi, dit l’Évangéliste, à quelque distance se tenaient tous ceux de la connaissance de Jésus. » — Théophyl. Les femmes, dont le sexe fut autrefois maudit, demeurent et considèrent toutes ces choses : « Et les femmes qui l’avaient suivi de Galilée se tenaient à l’écart, regardant ce qui se passait ; » et c’est ainsi qu’elles reçurent les premières la grâce de la justification et toutes les bénédictions qui découlent de la passion aussi bien que de la résurrection de Jésus-Christ.

 

Vv. 50-56.

Chaîne des Pèr. gr. Joseph avait été jusque là un disciple caché de Jésus-Christ ; il triomphe aujourd’hui de la crainte qui le retenait, et plein de zèle et d’ardeur, il dépose le corps du Seigneur de la croix où il était ignominieusement attaché, et acquiert ainsi la pierre précieuse de l’Évangile par la sagesse de ses paroles : « Et voici qu’un membre du grand conseil nommé Joseph, » etc. — Bède. Il est appelé décurion, parce qu’il appartenait à la curie et en gérait les affaires ; cette charge est aussi appelée curiale, parce qu’elle a pour objet de veiller sur les intérêts civils des citoyens, Joseph était donc revêtu d’une haute dignité, dans le monde, mais il était bien plus élevé encore en vertu et en mérite aux yeux de Dieu : « C’était un homme vertueux et juste, d’Arimathie, ville de Judée, » etc. Arimathie est la même ville que Ramatha, patrie d’Helcana et de Samuel.

S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 22.) Saint Jean dit qu’il était disciple de Jésus, ce qui fait ajouter à saint Luc : « Et il attendait, lui aussi, le royaume de Dieu. » On s’étonne avec raison que ce disciple qui avait jusque là dissimulé soigneusement ses relations avec Jésus, dans la crainte d’encourir la haine des Juifs, ait osé demander. son corps, ce qu’aucun de ceux qui le suivaient publiquement n’aurait osé faire : « Il vint trouver Pilate, et lui demanda le corps de Jésus. » Mais cette difficulté disparaît, si l’on considère que la haute dignité de Joseph lui donnait ses entrées chez Pilate, et lui inspira assez de confiance pour lui faire cette demande, D’ailleurs, si lorsqu’il allait écouter les divins enseignements du Sauveur, il prenait soin d’éviter la haine et la vengeance des Juifs, il semble ne plus se préoccuper d’eux, aujourd’hui qu’il s’agit de rendre au corps de Jésus les derniers devoirs.

 

Bède. Joseph fut donc jugé digne d’ensevelir le corps du Seigneur, à cause de son éminente vertu, de même qu’il obtint de Pilate le corps de Jésus, en considération du rang élevé qu’il occupait parmi les Juifs : « Et l’ayant détaché de la croix il l’enveloppa d’un linceul. » Cette modeste sépulture du Seigneur condamne la vanité des riches, qui veulent être entourés de leurs richesses jusque dans la poussière du tombeau.

 

S. Athan. (Vie de S. Ant.) C’est un véritable crime que d’embaumer les corps des morts, et de ne pas les ensevelir, même quand ce seraient les corps des saints, car qu’y a-t-il de plus saint ou de plus grand que le corps du Seigneur ? Cependant il fut mis dans le tombeau et y demeura jusqu’au troisième jour, où il ressuscita : « Et il le déposa dans un tombeau taillé dans le roc. » — Bède. Ce tombeau était taillé dans le roc, car s’il avait été construit de plusieurs pierres assemblées, on aurait accusé ses disciples d’en avoir soulevé les fondements pour enlever le corps de leur maître. Il est déposé dans un tombeau neuf, comme le fait remarquer l’Évangéliste : « Dans lequel personne n’avait encore été mis, » car s’il était resté d’autres corps dans ce sépulcre, après la résurrection on aurait pu croire que c’était un autre que Jésus qui était ressuscité. C’est le sixième jour que l’homme avait été créé, c’est aussi le sixième jour que le Seigneur fut crucifié pour accomplir le mystère de la réparation du genre humain : « Or, c’était le jour de la préparation ;  » c’est le nom que les Juifs donnaient au sixième jour, parce qu’ils préparaient ce jour-là tout ce qui était nécessaire pour le jour du sabbat. De même aussi que le créateur s’est reposé de son oeuvre le septième jour, ainsi le Sauveur s’est reposé dans le sépulcre le septième jour : « Et le jour du sabbat allait commencer. » Nous avons vu plus haut que tous ceux qui étaient de la connaissance de Jésus, et les femmes qui l’avaient suivi se tenaient à l’écart. Lors donc que le corps de Jésus eut été détaché de la croix, les amis du Sauveur s’en retournèrent chez eux ; et les femmes seules qui l’aimaient plus tendrement, suivirent ses funérailles, dans le désir qu’elles avaient de voir où son corps serait déposé. « Les femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus, ayant suivi Joseph, virent le sépulcre, et comment le corps de Jésus y avait été déposé, » afin de pouvoir lui offrir en temps opportun l’hommage de leur pieuse affection.

Théophyl. Cependant elles n’avaient pas encore une foi véritable. Elles préparent des aromates et des parfums pour la sépulture définitive de Jésus, comme s’il n’était qu’un homme, suivant la coutume des Juifs qui ensevelissaient ainsi leurs morts : « Et s’en étant retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums, » etc. Après que le Sauveur fut déposé dans le sépulcre, elles s’occupèrent à préparer des aromates, tant qu’il leur fut permis de travailler ; c’est à-dire jusqu’au coucher du soleil. Or, la loi voulait que le silence ou le repos du sabbat fût scrupuleusement observé depuis le soir du jour précédent, jusqu’au soir du jour suivant : « Et le jour du sabbat, elles demeurèrent en repos pour obéir aux préceptes de la loi. »

S. Ambr. Dans le sens figuré, remarquons que c’est un juste qui ensevelit le corps de Jésus-Christ ; car la fraude et l’iniquité ne doivent prendre aucune part à la sépulture du Sauveur.  Ce n’est pas sans raison que saint Matthieu nous fait observer que Joseph, qui se charge d’ensevelir le corps de Jésus-Christ, était riche ; car en portant lui-même le corps d’un riche, il ne connut point la pauvreté de la foi. Il enveloppa le corps de Jésus-Christ dans un linceul ; et vous aussi revêtez le corps du Seigneur de sa gloire, si vous voulez être juste, et bien que vous croyiez, qu’il a souffert la mort, couvrez-le de la plénitude de la divinité. L’Église elle-même se revêt aussi de la grâce de l’innocence. — Bède. Celui qui reçoit Jésus dans un coeur pur, l’enveloppe dans un suaire blanc. — S. Ambr. Ce n’est pas sans raison non plus qu’un évangéliste rapporte que le tombeau était neuf, et un autre que c’était le tombeau de Joseph. En effet, c’est à ceux qui sont soumis à la loi de la mort qu’on prépare un tombeau, mais le vainqueur de la mort n’a pas besoin d’avoir son sépulcre ; car quel rapport peut-il y avoir entre Dieu et un tombeau. Il est mis seul dans ce sépulcre, parce que bien que la mort de Jésus-Christ lui soit commune avec nous, à ne considérer que la nature de son corps, elle est exceptionnelle à raison de sa puissance. Jésus-Christ est enseveli dans le sépulcre d’un juste, pour nous apprendre qu’il prend volontiers son repos dans la demeure de la justice. Le juste a creusé ce sépulcre à l’aide de la parole pénétrante dans la pierre dure du coeur des Gentils, pour faire éclater parmi les nations la puissance de Jésus-Christ ; c’est aussi dans un dessein mystérieux qu’on roule une grande pierre à l’entrée du sépulcre. Celui qui a donné à Jésus-Christ une sépulture convenable dans son coeur, doit le garder avec soin pour ne pas s’exposer à le perdre et ne pas donner entrée dans son âme à l’incrédulité.

Bède. Notre-Seigneur a voulu être crucifié le sixième jour, et se reposer le septième jour dans le sépulcre, pour nous apprendre que pendant le sixième âge du monde, nous devons souffrir et être crucifié au monde pour le Seigneur. (Ga 6, 14.) Mais au septième âge, c’est-à-dire après la mort, les corps reposent dans les tombeaux et les âmes dans le sein de Dieu. Aujourd’hui encore, il y a de saintes femmes, c’est-à-dire des âmes vraiment humbles et embrasés d’amour qui suivent avec un pieux empressement la passion de Jésus-Christ, et qui, afin d’en faire l’objet de leur imitation, méditent avec soin l’ordre dans lequel elle s’est accomplie. Après qu’elles l’ont lue, entendue et gravée dans leur mémoire, elles s’appliquent à la pratique des bonnes oeuvres qui sont agréables à Jésus-Christ, afin que lorsque finira la préparation de la vie présente, elles puissent, le jour de la résurrection, aller au-devant du Sauveur dans le repos bienheureux, portant avec elles les parfums des oeuvres spirituelles.

 

 

CHAPITRE XXIV

Vv. 1-12.

Bède. Les saintes femmes ne se contentèrent pas de ce qu’elles avaient fait le jour de la préparation ; lorsque le sabbat fut passé (c’est-à-dire après le coucher du soleil) et dès qu’il leur fut permis de reprendre leur travail, elles achetèrent des parfums, pour aller embaumer dès l’aurore le corps de Jésus, comme le rapporte saint Marc ; mais l’obscurité de la nuit les empêcha d’aller au sépulcre : « Le premier jour donc de la semaine, de grand matin, elles vinrent au sépulcre, » etc. Le jour d’après le sabbat, ou le premier jour de la semaine, est le premier qui suit le sabbat, et que les chrétiens ont appelé depuis le jour du Seigneur, à, cause de la résurrection du Sauveur. La démarche de ces pieuses femmes, qui viennent au sépulcre de grand matin, montre la grandeur de leur amour et du désir qu’elles avaient de chercher et de trouver le Seigneur.

 

S. Ambr. Toutefois, le récit des évangélistes présente ici une assez grande difficulté ; saint Luc dit que les saintes femmes sont venues de grand matin au sépulcre ; saint Matthieu, qu’elles sont venues le soir du sabbat. Mais cette divergence de temps disparaît, en admettant que des femmes différentes vinrent au sépulcre à plusieurs reprises, et qu’il y eut aussi plusieurs apparitions distinctes. Quant à ces paroles de saint Matthieu : « Le soir ou la nuit du sabbat, à la première lueur du jour qui suit le sabbat, » eut lieu la résurrection du Seigneur, il ne faut pas les entendre dans ce sens que le Sauveur soit ressuscité le matin du dimanche, qui est le premier jour après le sabbat, ni le jour même du sabbat ; car où seraient dans cette dernière hypothèse les trois jours qui devaient s’écouler jusqu’à la résurrection ? Ce n’est donc pas au déclin du jour, mais au déclin de la nuit, qu’il est ressuscité. D’ailleurs, le texte grec de l’Évangile selon saint Matthieu porte οφε, en latin sero, qui veut dire tard. Or, ce mot signifie le déclin du jour, et aussi tout ce qui vient tard, comme lorsque l’on dit : Cela m’a été suggéré trop tard. Cette expression signifie donc que la nuit était profonde, ce qui permit aux saintes femmes d’approcher du sépulcre pendant le sommeil des gardes. Une nouvelle preuve que la résurrection eut lieu pendant la nuit, c’est que parmi ces saintes femmes les unes en étaient instruites, c’étaient celles qui ont veillé le jour et la nuit ; les autres l’ignoraient, parce qu’elles s’étaient retirées. Saint Jean parle d’une Marie Madeleine qui ne savait où on avait mis le corps du Seigneur ; saint Matthieu, d’une autre Madeleine qui le savait ; car la même personne n’a pu le savoir d’abord, et l’ignorer ensuite. Si donc il y a plusieurs Maries, on peut admettre aussi plusieurs Maries Madeleines, le premier nom étant celui de la personne, et le second celui de son pays. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 24.) Ou encore, saint Matthieu, dans la première partie de la nuit qui est le soir, a voulu comprendre la nuit elle-même ; c’est au déclin de cette nuit que les saintes femmes allèrent au sépulcre, ce qui s’explique d’autant plus facilement, qu’elles avaient préparé les aromates dès le soir, et que le jour du sabbat étant passé, il leur était permis de les apporter.

Eusèbe. Le corps du Verbe était étendu sans vie dans le tombeau, et une grande pierre en fermait l’entrée, comme si la mort eût voulu le retenir captif ; mais trois jours n’étaient pas encore écoulés, que la vie se manifesta de nouveau, après que la mort du Sauveur eut été environnée de toute la certitude possible : « Et elles virent que la pierre qui était au-devant du sépulcre, en avait été ôtée. » — Théophyl. C’était un ange qui l’avait renversée, comme le rapporte saint Matthieu. — S. Chrys. (hom. 91 sur S. Matth.) Cette pierre fut ôtée après la résurrection, afin que les pieuses femmes, à la vue du sépulcre, vide du corps du Sauveur, n’hésitassent pas à croire qu’il était ressuscité : « Et étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. » — S. Cyr. Or, ne trouvant point le corps du Sauveur qui était ressuscité, elles étaient agitées de diverses pensées, mais leur tendre amour pour Jésus-Christ, et leur pieuse sollicitude leur méritèrent d’être visitées par les anges : « Pendant qu’elles étaient remplies de frayeur et d’anxiété, près d’elles parurent deux anges revêtus de robes resplendissantes. — Eusèbe. Les messagers de cette heureuse résurrection apparaissent revêtus d’habits resplendissants, comme présages de joie et de bonheur. Lorsque Moïse était sur le point de frapper l’Égypte de plaies, il vit un ange au milieu d’une flamme ardente ; mais ce n’est point dans cet appareil terrible, que les anges se montrent aux saintes femmes, ils sont environnés de la grâce et de la douceur qui convenaient au règne et au glorieux triomphe du Seigneur. Et de même qu’au temps de sa passion le soleil s’était éclipsé, pour témoigner son horreur et sa tristesse aux bourreaux qui crucifièrent le Fils de Dieu ; ainsi les anges messagers de la vie et de la résurrection annoncent, par l’éclat de leurs vêtements, la joie de cette grande fête qui est le salut du monde.

 

S. Ambr. Mais comment se fait-il que saint Matthieu et saint Marc ne parlent que d’un jeune homme assis et vêtu de blanc, tandis que d’après saint Luc et saint Jean les saintes femmes virent deux anges revêtus de robes blanches ? S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Nous pouvons très-bien admettre que les saintes femmes ne virent qu’un seul ange lorsqu’elles entrèrent dans le sépulcre, c’est-à-dire dans une espèce d’enceinte qui entourait le sépulcre taillé dans le roc, et était fermée d’une muraille ; c’est là qu’elles virent assis à droite l’ange dont parle saint Marc. Elles avancèrent ensuite pour regarder dans l’intérieur du sépulcre, où le corps du Seigneur avait été déposé, et c’est alors que d’après le récit de saint Luc, elles virent ces deux autres anges qui raniment leur courage et fortifient leur foi : « Et comme dans leur frayeur, elles tenaient leur visage abaissé vers la terre, » etc. — Bède. A la vue des anges qui leur apparaissent, les saintes femmes ne se prosternent pas la face contre terre, elles tiennent simplement leurs yeux baissés vers la terre. Nous ne voyons également qu’aucun des saints qui furent témoins de la résurrection du Seigneur se soit prosterné la face contre terre, lorsque le Seigneur lui-même ou ses anges leur apparaissaient. C’est de là qu’est venu l’usage dans l’Église de prier les yeux baissés vers la terre, mais sans fléchir les genoux, tous les jours de dimanche et pendant les cinquante jours qui forment le temps pascal, soit en mémoire de la résurrection du Seigneur, soit comme un signe de l’espérance de notre propre résurrection. Or, ce n’était point dans un sépulcre (qui est la demeure des morts), qu’il fallait chercher celui qui était ressuscité d’entre les morts à une vie nouvelle. Aussi les anges disent-ils aux saintes femmes : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? Il n’est point ici, il est ressuscité. » En effet, c’est le troisième jour après sa mort, qu’il célébra le triomphe de sa résurrection, comme il l’avait prédit aux saintes femmes qui étaient avec ses disciples : « Souvenez-vous de ce qu’il vous a dit lorsqu’il était encore en Galilée : Il faut que le Fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu’il soit crucifié, et qu’il ressuscite le troisième jour. » En effet, il expira le jour de la préparation du sabbat, vers la neuvième heure, il fut enseveli le soir du même jour, et ressuscita au commencement du premier jour après le sabbat. — S. Athan. (de l’incarn. du Fils de Dieu.) Il aurait pu sans doute ressusciter immédiatement son corps, mais on n’eût pas manqué de dire qu’il n’était pas véritablement mort, ou que la mort ne l’avait pas entièrement atteint ; au contraire, si la résurrection du Seigneur avait été différée, la gloire de son incorruptibilité eût été moins évidente ; il mit donc un intervalle d’un jour entre sa mort et sa résurrection, pour prouver que son corps était véritablement mort, et il le ressuscita le troisième jour pour démontrer qu’il n’était pas soumis à la corruption. — Bède. Il est resté dans le tombeau un jour et deux nuits, parce qu’il a voulu joindre la lumière de sa mort qui est une aux ténèbres de notre double mort.

S. Cyr. Les saintes femmes, instruites par les paroles des anges, se hâtèrent de venir annoncer toutes ces choses aux Apôtres : « Elles se ressouvinrent des paroles de Jésus ; et étant revenues du sépulcre, elles annoncèrent toutes ces choses aux onze et à tous les autres. » Ainsi la femme qui fut autrefois comme le ministre et l’instrument de la mort, est la première pour apprendre et pour annoncer l’auguste mystère de la résurrection. C’est ainsi que la femme a mérité le pardon de l’opprobre et l’affranchissement de la malédiction qui pesaient sur elle. — S. Ambr. Il n’est point permis aux femmes d’enseigner dans l’Église (1 Tm 2), elles doivent se contenter d’interroger leurs maris dans l’intérieur de leurs maisons. (1 Co 14.) C’est pour cela que la femme est envoyée à ceux qui sont de la famille de Jésus. L’Évangéliste nous fait connaître le nom de ces femmes : « Ce fut Marie Madeleine. » —Bède. (la soeur de Lazare), et Jeanne (épouse de Chusaï, intendant d’Hérode) ; et Marie, mère de Jacques, (de Jacques le Mineur et de Joseph.) Quant aux autres, saint Luc ne les désigne que de cette manière générale : « Et les autres qui étaient avec elles, qui racontèrent ceci aux Apôtres. » — Bède. (d’apr. S. Ambr.) Pour décharger la femme du crime et de l’opprobre perpétuel dont elle était chargée aux yeux des hommes, Dieu permet qu’après avoir été pour l’homme l’intermédiaire du mal, elle devienne aujourd’hui l’intermédiaire de la grâce.

Théophyl. A ne consulter que les lois de la nature, le miracle d’une résurrection est une chose incroyable pour les hommes : « Aussi, ajoute l’Évangéliste, les Apôtres regardèrent comme une rêverie ce qu’elles leur disaient, et ne les crurent point. » — Bède. (d’après S. Grég.) Ce doute est moins un effet de la faiblesse de leur foi, que le fondement inébranlable de la nôtre, car pour triompher de leurs doutes, Dieu fit ressortir la vérité de la résurrection par une multitude de preuves, et lorsque nous lisons ces preuves, le doute même des Apôtres produit en nous la certitude. — Théophyl. Pierre, à cette nouvelle, court sans tarder au sépulcre, prompt comme le feu qui n’attend pas qu’on lui jette le bois qu’il doit consumer : « Pierre se leva aussitôt et courut au sépulcre. »

Eusèbe. Seul parmi les Apôtres, il se rend au témoignage des femmes, qui lui rapportent l’apparition des anges, et comme il avait pour Jésus un amour plus grand que les autres Apôtres, il montrait aussi un plus grand zèle, et regardait de tous côtés pour découvrir le Seigneur : « Et s’étant penché, il ne vit que les linges par terre. »

Théophyl. Lorsqu’il fut venu au sépulcre, le premier sentiment qu’il éprouva fut un sentiment d’admiration pour les choses qu’il avait pu tourner en dérision aussi bien que les autres Apôtres : « Et il s’en alla, admirant en lui-même, ce qui était arrivé, » c’est-à-dire, qu’il admirait comment les linges seuls qui avaient servi à recouvrir le corps embaumé de myrrhe, avaient été laissés, ou quelles circonstances avaient favorisé le voleur à ce point, qu’au milieu des gardes qui environnaient le sépulcre, il ait eu le temps de débarrasser le corps des linges qui l’entouraient avant de l’enlever.

 

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 25.) Saint Luc a voulu résumer ici tout ce que fit Pierre dans cette circonstance. En effet, Pierre courut au sépulcre en même temps que Jean, alors seulement que les saintes femmes, et Marie Madeleine en particulier, vinrent leur annoncer que le corps avait été enlevé, et l’apparition des anges n’eut lieu qu’ensuite. Saint Luc ne parle ici que de Pierre, parce que c’est à lui d’abord que Marie Madeleine annonça ce qu’elle avait vu. On peut aussi s’étonner que d’après le récit de saint Luc, Pierre n’entrât point dans le sépulcre, mais qu’étant penché il vit simplement les linges par terre, et se retira plein d’admiration, tandis que saint Jean dit positivement qu’il vit aussi ces linges posés à terre et qu’il entra dans le sépulcre après Pierre. Cette difficulté disparaît, en admettant que Pierre vit d’abord ces linges en se penchant sur le sépulcre (circonstance que saint Luc rapporte et saint Jean passe sous silence), et qu’il entra ensuite dans le sépulcre avant que Jean y entrât lui-même.

Bède. Dans le sens figuré, ces pieuses femmes qui viennent au tombeau de grand matin, nous apprennent par leur exemple à dissiper les ténèbres de nos péchés avant d’approcher du corps de Jésus-Christ. En effet, ce sépulcre était la figure de l’autel du Seigneur où les mystères du corps de Jésus-Christ doivent être consacrés, non dans la soie ou dans la pourpre, mais sur le lin pur, figuré par le suaire dans lequel Joseph d’Arimathie l’enveloppa. Ainsi de même que le Sauveur a offert pour nous à la mort la véritable substance de sa nature terrestre, nous aussi, en souvenir de sa passion, nous étendons sur l’autel le lin blanc et pur que produit la terre après l’avoir préparé par un travail qui figure les divers genres de mortification. Les aromates que les saintes femmes apportent, sont l’emblème de l’odeur des vertus et du parfum suave des prières avec lesquelles nous devons approcher de l’autel (cf. Ap 8, 4.8). Le renversement de la pierre figure la révélation des mystères qui étaient cachés sous le voile de la lettre de la loi, écrite sur des, tables de pierre ; lorsque cette pierre est ôtée on ne trouve plus dans le sépulcre le corps de Jésus-Christ, qu’on y avait déposé après sa mort, mais on annonce et on prêche qu’il est plein de vie, « parce que si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte. » (2 Co 5, 16.) De même enfin que les anges se tenaient autour du corps. du Seigneur déposé dans le sépulcre, ainsi devons-nous croire que les anges environnent le corps du Seigneur au moment de la consécration des divins mystères. Nous donc aussi, à l’exemple des saintes femmes, chaque fois que nous approchons des saints mystères, et autant par respect pour les anges qui sont présents que par vénération pour l’oblation sainte, abaissons nos yeux vers la terre dans un profond sentiment d’humilité, en nous rappelant que nous ne sommes que cendre et poussière.

 

Vv. 13-24.

La Glose. Après que les anges ont fait connaître aux saintes femmes la résurrection de Jésus-Christ, le Sauveur apparaît lui-même à ses disciples, pour leur apprendre qu’il est ressuscité : « Or, ce jour-là même deux d’entre s’en allaient à un village nommé Emmaüs. » — Théophyl. Il en est qui prétendent que l’un de ces deux disciples était saint Luc lui-même, et que c’est la raison pour laquelle il a caché son nom. — S. Ambr. Le Sauveur se manifeste sur le soir et séparément à ces deux disciples nommés Ammaon et Cléophas, comme il se manifesta plus tard séparément aux onze Apôtres. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 25.) Saint Marc a pu sans absurdité appeler campagne le bourg d’Emmaüs. Saint Luc fait connaître ensuite la situation de ce bourg, en ajoutant : Il était éloigné d’environ soixante stades de Jérusalem et s’appelait Emmaüs. — Bède. C’est aujourd’hui Nicopolis, ville célèbre de la Palestine, qui après que la Judée eut été réduite en servitude, fut rebâtie par l’empereur Marc-Aurèle, et changea d’aspect et de nom. Le stade qui, selon les Grecs, fut inventé par Hercule pour mesurer les distances, est la huitième partie du mille, ainsi soixante stades font sept mille cinq cents pas, ce fut la distance qu’eurent à parcourir ceux qui étaient certains de la mort et de la sépulture du Seigneur, mais qui doutaient encore de sa résurrection ; on ne peut nier en effet que la résurrection qui eut lieu après le septième jour de la semaine, ne soit figurée par le nombre huit. Or, ces deux disciples qui marchaient en s’entretenant du Seigneur, avaient déjà parcouru six mille de chemin, parce qu’ils s’affligeaient qu’on eût mis à mort (le sixième jour), un homme innocent de tout crime. Ils avaient même parcouru le septième mille, parce qu’ils ne doutaient nullement que son corps n’eût reposé dans le sépulcre, mais ils n’avaient encore parcouru que la moitié du huitième, parce qu’ils ne croyaient qu’imparfaitement à la gloire de la résurrection qui s’était déjà accomplie.

Théoph. Ces deux disciples s’entretenaient donc entre eux des choses qui étaient arrivées, sans y croire, et comme tout étonnés de ces événements extraordinaires « Et ils s’entretenaient de tout ce qui s’était passé. » — Bède. Pendant qu’ils s’entretiennent ainsi du Seigneur Jésus, il s’approche et fait route avec eux pour allumer dans leurs âmes la foi de sa résurrection, et accomplir cette promesse qu’il avait faite : « Là où deux où trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. » (Mt 18.) « Pendant qu’ils discouraient et se communiquaient leurs pensées, Jésus lui-même vint les joindre et se mit à marcher avec eux. » — Théophyl. Le corps de Jésus étant doué de spiritualité depuis sa résurrection, la distance des, lieux ne l’empêchait plus de se manifester au milieu de ceux auxquels il voulait apparaître ; son corps n’était plus soumis aux lois naturelles, mais aux lois surnaturelles qui régissent les esprits. Voilà pourquoi saint Marc rapporte qu’il apparut aux deux disciples sous une autre forme qui ne leur permettait pas de le reconnaître. (Mc 16.) « Et quelque chose empêchait que leurs yeux ne le reconnussent. » Le Sauveur se conduit de la sorte à leur égard pour leur donner lieu de révéler le doute qui assiége leur esprit, et d’obtenir la guérison de leurs blessures en les découvrant à ce divin médecin. Son intention est encore de leur apprendre que bien que son corps ressuscité fût le même qui avait souffert, cependant il n’était plus dans un état où il pût être vu de tous indifféremment, mais seulement de ceux à qui il voulait se manifester. Il veut enfin qu’ils sachent pourquoi désormais il ne vit plus au milieu des hommes, c’est que depuis sa résurrection les hommes ne sont plus dignes de cette vie nouvelle et toute divine qui est une image de notre résurrection future, où notre vie sera celle des anges et des enfants de Dieu.

S. Grég. (hom. 23 sur les Evang.) C’est par un dessein plein de sagesse que Jésus n’apparaît pas aux deux disciples sous une forme qui le fit reconnaître ; il reproduit extérieurement pour les yeux du corps ce qui se passait intérieurement pour les yeux de leur âme. En effet, l’amour pour Jésus et le doute se partageaient à la fois leur coeur. Il leur manifeste donc sa présence, pendant qu’ils s’entretenaient de lui, mais il leur apparaît sous une forme qui ne leur permettait pas de le reconnaître, parce que leur âme est en proie au doute. Cependant il leur adresse la parole : « Et il leur dit : De quoi vous entretenez-vous ainsi en marchant et d’où vient votre tristesse ? » — Ch. des Pèr. gr. Ils s’entretenaient ensemble comme ayant perdu toute espérance de revoir le Christ vivant, et ils s’affligeaient vivement de la mort du Sauveur : « L’un d’eux, nommé Cléophas, lui répondit : Êtes-vous seul si étranger dans Jérusalem que vous ne sachiez pas les choses qui y sont arrivées ces jours-ci ? » — Théophyl. C’est-à-dire, êtes-vous donc seul étranger, habitez-vous si loin de Jérusalem et vous inquiétez-vous si peu de ce qui s’est passé au milieu de cette ville que vous l’ignoriez complètement ? — Bède. Ils lui tiennent ce langage, parce qu’ils le prenaient pour un étranger dont le visage leur était inconnu ; en effet, il était véritablement pour eux un étranger, la gloire de sa résurrection mettait entre lui et leur faible nature une distance immense, et il demeurait aussi comme un étranger pour leur foi qui ne pouvait croire à sa résurrection. Cependant il continue de les interroger : « Quelles choses, leur dit-il ? Ils répondirent : Ce qui est arrivé au sujet de Jésus de Nazareth, qui était un prophète. » Ils reconnaissent hautement qu’il est un prophète mais non qu’il est le Fils de Dieu, soit que leur foi sur ce point fût encore imparfaite, soit par crainte de tomber dans les mains persécutrices des Juifs. Ils ne savaient donc qui il était, ou ils dissimulaient ce qu’ils regardaient comme la vérité : ils ajoutent cependant à sa louange : « Puissant en oeuvres et en paroles. » — Théophyl. Les oeuvres d’abord, ensuite les paroles ; aucune doctrine, en effet, n’est acceptable, si celui qui l’enseigne ne commence par la mettre en pratique ; les oeuvres doivent précéder les considérations, et si vous ne purifiez pas vos bonnes oeuvres, le miroir de votre intelligence, elle n’aura pas l’éclat que vous désirez. Ils ajoutent encore : « Devant Dieu et devant tout le peuple, » car nous devons chercher avant tout à plaire à Dieu, et veiller ensuite autant qu’il est possible, à ce que notre vertu édifie les hommes, c’est-à-dire, que nous devons mettre au premier rang le service de Dieu, et éviter ensuite tout ce qui peut scandaliser nos frères.

Ch. des Pèr. gr. Ils font connaître ensuite la cause de leur tristesse, c’est la passion du Christ livré à la fureur de ses ennemis : « Et comment les princes des prêtres et nos anciens l’ont livré pour être condamné à mort. » Et ils laissent ensuite échapper cette parole de désespoir : « Nous espérions qu’il était celui qui doit délivrer Israël » Nous espérions, disent-ils, nous n’espérons plus, comme si la mort de Jésus-Christ était semblable à la mort des autres hommes. — Théophyl. Lorsqu’ils espéraient, en effet, que le Christ délivrerait le peuple d’Israël des maux qui l’accablaient et de la servitude des Romains, ils croyaient qu’il serait roi à la manière des rois de la terre, et qu’il aurait pu par conséquent échapper à la sentence de mort portée contre lui. — Bède. C’est donc avec raison qu’ils sont dans la tristesse, ils se reprochent pour ainsi dire d’avoir placé leurs espérances de rédemption dans celui qu’ils ont vu mourir sur la croix, et à la résurrection duquel ils ne peuvent croire, et ils s’affligent de la mort injuste de celui dont ils connaissaient l’innocence. Théophyl. Les paroles qui suivent prouvent toutefois qu’ils ne sont pas complètement incrédules : « Et cependant après tout cela, c’est aujourd’hui le troisième jour que ces choses se sont passées. » Ils avaient donc quelque souvenir de ce que le Seigneur leur avait dit qu’il ressusciterait le troisième jour.

 

Ch. des Pèr. gr. Ils rapportent même le bruit que les saintes femmes avaient répandu de la résurrection de Jésus : « A la vérité, quelques-unes des femmes qui sont avec nous, nous ont fort étonnés, » etc. ils rapportent ce bruit sans y croire, la seule impression qu’il ait produite sur eux, c’est l’étonnement, la frayeur, car ils ne pouvaient supposer la vérité de ce qui leur était raconté ni croire à l’apparition des anges, cette nouvelle les jetait donc dans l’étonnement et le trouble. Le témoignage de Pierre lui-même ne leur paraissait pas certain, car il n’affirmait pas qu’il avait vu le Seigneur, mais de ce que son corps n’était plus dans le sépulcre, il conjecturait qu’il pouvait être ressuscité : « Quelques-uns des nôtres sont allés au sépulcre, et ont trouvé toutes choses comme les femmes les leur avaient rapportées, mais pour lui, ils ne l’ont point trouvé. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Saint Luc vient de dire précédemment que Pierre courut au sépulcre, et en rapportant les paroles de Cléophas : « Quelques-uns des nôtres sont allés au sépulcre, » il confirme le récit de Jean, d’après lequel deux disciples (Jn 20) allèrent au sépulcre ; mais saint Luc n’a parlé d’abord que de Pierre, comme étant le premier à qui Marie annonça ce qu’elle avait vu.

 

Vv. 25-35.

Théophyl. Notre-Seigneur voyant l’âme de ses deux disciples en proie à d’aussi grands doutes, les en reprend avec sévérité : « Alors il leur dit : O insensés (ils venaient en effet de tenir le même langage que les Juifs au pied de la croix : Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même) et lents de coeur, à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! » On en voit, en effet, qui croient à quelques-uns des oracles prophétiques, mais non pas à toutes les prophéties ; ainsi ils ajouteront foi aux prophéties qui ont pour objet la croix de Jésus-Christ, à celle-ci par exemple : « ils ont percé mes pieds et mes mains ; » (Ps 21) mais ils ne croiront pas à celles qui ont annoncé sa résurrection, comme à cette autre du même Roi-prophète : « Vous ne souffrirez point que votre saint soit sujet à la corruption. » (Ps 15.) Or, nous devons croire indistinctement à toutes les prophéties, à celles qui ont prédit ses gloires, comme à celles qui ont annoncé ses humiliations ; car c’est justement par ses humiliations et ses souffrances qu’il est entré dans sa gloire : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu’il entrât ainsi dans sa gloire ? » ce qu’il faut entendre de son humanité.

S. Isid. de Péluse. Mais bien qu’il fallût que le Christ passât par les souffrances, ceux qui l’ont crucifié n’en sont pas moins coupables ; car ils ne cherchaient point à accomplir les desseins de Dieu ; aussi leur action a-t-elle été souverainement impie, tandis que la providence de Dieu s’est montrée pleine de sagesse en faisant servir leur iniquité au salut du genre humain, comme on se sert de la chair des vipères pour composer un antidote efficace et salutaire. — S. Chrys. Aussi le Sauveur leur explique comment les choses ne sont pas arrivées naturellement, mais par un dessein depuis longtemps prémédité de Dieu : « Et parcourant tous les prophètes, en commençant par Moïse, il leur expliquait ce qui le concerne dans toutes les Écritures. » Il semble leur dire : Puisque vous êtes ai lents à croire, je vais vous rendre une sainte activité en vous expliquant les mystères des Écritures ; ainsi le sacrifice d’Abraham, immolant un bélier à la place d’Isaac, a été la figure du sacrifice de la croix (Gn 22, 12), et c’est ainsi que les mystères de la croix et de la résurrection de Jésus-Christ se trouvent annoncés ça et là dans tous les oracles prophétiques. — Bède. Or, si Moise et les prophètes ont parlé de Jésus-Christ et prédit qu’il n’entrerait dans sa gloire que par le chemin des souffrances, comment peut-on se glorifier d’être chrétien, et ne point examiner avec soin le rapport que les Écritures ont avec Jésus-Christ, et surtout ne point vouloir obtenir par les souffrances la gloire qu’on désire partager avec Jésus-Christ ?

Ch. des Pèr. gr. L’Évangéliste nous a fait observer précédemment que les yeux des deux disciples étaient comme fermés, et qu’ils ne purent le reconnaître, jusqu’à ce que les paroles du Sauveur eurent disposé leur âme à la foi ; il raconte maintenant comment Jésus se découvrit à eux après les avoir préparés par ses enseignements : « Cependant ils approchèrent du village où ils allaient, et Jésus feignit d’aller plus loin. » — S. Aug. (Quest. évang., 2, 51.) Il n’y a point ici de mensonge de la part du Sauveur, car toute feinte n’est pas un mensonge. il y a mensonge toutes les fois que l’action que nous, feignons de faire ne signifie absolument rien, mais lorsque cette action a une signification, ce n’est plus un mensonge, mais une figure de la vérité ; autrement il faudrait regarder comme autant de mensonges tout ce que les saints et Notre-Seigneur lui-même ont dit en termes figurés, puisque ces paroles, prises dans leur sens naturel et ordinaire, n’ont rien de vrai. On peut donc sans mensonge user de feinte dans ses actions aussi bien que dans ses paroles, en se proposant, dans ces actions, la signification d’une vérité quelconque.

S. Grèg. (hom. 22 sur les Evang.) Jésus feint d’aller plus loin, parce qu’il était encore étranger pour leurs coeurs qui avaient si peu de foi en lui. Feindre veut dire façonner, de là vient le nom que nous donnons à ceux qui façonnent l’argile. La vérité qui est simple, n’a donc rien fait ici par duplicité, elle s’est montrée extérieurement aux yeux de leur corps, telle qu’elle était pour les yeux de leur âme. Cependant comme ils ne pouvaient rester étrangers à la charité, alors qu’ils avaient pour compagnon de voyage la charité elle-même, ils lui offrent l’hospitalité comme à un étranger : « Et ils le pressèrent. » Apprenons par cet exemple, que nous devons non seulement inviter les étrangers, mais encore les forcer à accepter l’hospitalité. — La Glose. Non contents de le forcer, ils lui apportent une raison déterminante : « Ils le pressèrent, en disant : Demeurez avec nous, car il se fait tard, et le jour est déjà sur son déclin. »

S. Grég. (hom. 22.) Lorsque Jésus-Christ est reçu dans la personne de ses membres, il s’approche lui-même de ceux qui le reçoivent : « Et il entra avec eux. » Ils dressent la table, servent les aliments, et ils vont reconnaître dans la fraction du pain le Dieu qu’ils n’ont pas reconnus quand il leur expliquait les saintes Écritures : « Etant avec eux à table, il prit le pain et le bénit, et l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ils le reconnurent non pas des yeux du corps, mais des yeux de l’âme. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 25.) Ce n’est pas qu’ils eussent les yeux fermés en marchant avec lui, mais quelque chose les empêchait de reconnaître ce qu’ils voyaient par un effet semblable à celui que produit un brouillard, ou une humeur répandue sur les yeux). Notre-Seigneur aurait pu sans doute transformer son corps et lui donner une autre forme apparente que eau, qu’ils avaient coutume de voir, lui qui, avant sa passion, s’était transfiguré sur la montagne, et avait donné à son visage la splendeur du soleil. Mais il n’en fut point ainsi, et nous sommes fondés à croire que ç’est le démon qui avait placé ce bandeau sur leurs yeux, pour les empêcher de reconnaître Jésus-Christ. Or le Sauveur ne laissa ce bandeau sur leurs yeux que jusqu’au moment où il leur distribua le sacrement du pain, pour nous faire comprendre que la communion à son corps sacré, a la puissance d’écarter les obstacles qui nous empêchent de reconnaître Jésus-Christ. — Théophyl. Il veut encore nous apprendre que la participation au pain sacré nous ouvre les yeux, pour que nous puissions le reconnaître, tant est grande et ineffable la vertu de la chair de Jésus-Christ.

S. Aug. (Quest. évang.) Lorsque le Seigneur, marchant avec ses disciples qui ne le reconnaissent pas, et leur expliquant les Écritures, feint ensuite d’aller plus loin, il veut nous enseigner. encore qu’en pratiquant les devoirs de l’hospitalité, les hommes peuvent arriver à le connaître, et qu’il sera toujours avec ceux qui exerceront l’hospitalité à l’égard de ses serviteurs, lors même qu’il se sera plus éloigné des hommes en remontant dans les cieux. Celui donc qui, après avoir été instruit des choses de la foi, communique tous ses biens à celui qui l’a instruit (Ga 6), est sûr de retenir Jésus-Christ et de l’empêcher de s’éloigner de lui. En effet, les disciples d’Emmaüs avaient reçu l’enseignement de la parole, lorsque le Sauveur leur expliquait les Écritures. Et c’est parce qu’ils ont pratiqué à son égard l’hospitalité, qu’ils ont mérité de connaître lors de la fraction du pain celui qu’ils n’avaient pas reconnu lorsqu’il leur expliquait les Écritures, « car ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi, qui sont justes aux yeux de Dieu, mais ce sont ceux qui la pratiquent qui seront justifiés. (Rm 2.)

S. Grég. (hom. 22.) Que celui donc qui veut comprendre les enseignements qu’il a reçus, se hâte de mettre en pratique ce qu’il a déjà pu comprendre. Voyez, le Seigneur n’a pas été connu pendant qu’il parlait, et il daigne se faire connaître lorsqu’il se donne en nourriture. L’Évangéliste ajoute : « Et il disparut de devant leurs yeux. » — Théophyl. La nature de son corps ressuscité ne lui permettait pas de demeurer plus longtemps avec eux, et il voulait aussi par là augmenter leur amour : « Aussi ils se dirent alors l’un à l’autre : N’est-il pas vrai que notre coeur était tout brûlant au dedans de nous, lorsqu’il nous parlait dans le chemin, et qu’il nous expliquait les Écritures ? » — Orig. Nous voyons ici que les paroles du Sauveur embrasaient du feu de l’amour divin ceux qui les écoutaient. — S. Grég. (hom. pour la Pentec.) Lorsque la parole divine se fait entendre, le coeur s’enflamme, la froide langueur disparaît, et l’âme est comme agitée par les saintes inquiétudes du désir des cieux. Elle se plaît à entendre les divins préceptes, et les enseignements qu’elle reçoit sont comme autant de feux qui l’embrasent.

Théophyl. Leur coeur était donc brûlant, soit du feu des paroles du Sauveur qu’ils recevaient comme la vérité, soit parce qu’en l’écoutant expliquer les Écritures, ils comprenaient à la vive émotion de leurs cœur qu’il était le Seigneur. Aussi leur joie était si grande que, sans tarder, ils retournèrent aussitôt à Jérusalem : « Et se levant à l’heure même, ils retournèrent à Jérusalem. » Ils partirent à l’heure même, mais ils n’arrivèrent que quelques heures après, car ils avaient à parcourir une distance de soixante stades.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 25.) Déjà le bruit que Jésus. était ressuscité avait été répandu et par les saintes femmes, et par Simon Pierre, à qui il était apparu, et les deux disciples, étant arrivés à Jérusalem, trouvèrent les Apôtres qui s’entretenaient de ce grand événement : « Et ils trouvèrent assemblés les onze, et ceux qui étaient avec eux, disant : Le Seigneur est vraiment ressuscité, et il est apparu à Simon. » — Bède. C’est donc à saint Pierre, le premier de tous, que Notre-Seigneur est apparu d’après le témoignage des quatre Évangélistes et de l’Apôtre saint Paul. Il ne se manifestait, pas à tous, parce qu’il voulait jeter les semences de la foi ; en effet, celui à qui le Seigneur apparaissait le premier, et qu’il rendait ainsi certain de sa résurrection, racontait cette apparition aux autres ; et ce récit, se propageant, préparait ceux qui l’entendaient à voir le Sauveur lui-même. C’est donc pour cette raison qu’il apparut d’abord au plus digne et au plus fidèle de tous ses Apôtres. Il fallait, en effet, une âme dont la fidélité fût à toute épreuve pour recevoir cette apparition sans être troublé d’une vision aussi inattendue. Il apparaît donc à Pierre qui méritait d’être le premier témoin de la résurrection, parce qu’il avait confessé le premier qu’il était le Christ. Il lui apparaît encore le premier, parce que Pierre l’avait renié, et qu’il voulait ainsi le consoler et le préserver du désespoir. Il apparût ensuite à d’autres, tantôt plus, tantôt moins nombreux, au rapport des deux disciples : « Eux-mêmes, à leur tour, racontèrent ce qui leur était arrivé en chemin, et comment ils l’avaient reconnu dans la fraction du pain. »

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 25.) Saint Marc dit, il est vrai, que les Apôtres ne crurent pas au rapport des deux disciples, tandis que d’après saint Luc, ils déclarent eux-mêmes que le Seigneur est vraiment ressuscité ; mais cette contradiction apparente s’explique en disant que quelques-uns seulement de ceux. qui étaient présents refusèrent de croire au récit des deux disciples.

 

Vv. 36-40.

S. Cyr. Les Apôtres ayant répandu partout la nouvelle de la résurrection, et les disciples étant pleins d’une sainte impatience de voir leur divin Maître, il se rend à leurs désirs, il se révèle à eux pendant qu’ils le cherchent et qu’ils l’attendent, et leur apparaît clairement et sans qu’il y ait lieu à contestation : « Pendant qu’ils s’entretenaient ainsi, Jésus parut au milieu d’eux, » etc.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 25.) Saint Jean rapporte aussi cette apparition du Seigneur après sa résurrection, mais en faisant remarquer que Thomas n’était pas alors avec les autres Apôtres ; tandis que d’après saint Luc, les deux disciples d’Emmaüs étant rentrés dans Jérusalem, trouvèrent les onze assemblés : il faut donc admettre que Thomas sortit avant que le Seigneur parut aux Apôtres qui s’entretenaient de sa résurrections En effet, le récit de saint Luc autorise cette supposition, que Thomas sortit pendant l’entretien des autres Apôtres, et que ce ne fut qu’après son départ que le Seigneur entra dans le cénacle. On pourrait peut-être dire encore que ces onze n’étaient pas ceux qui dès-lors portaient le nom d’Apôtres, mais qu’ils faisaient partie du grand nombre des disciples de Jésus. Cependant comme saint Luc ajoute : « Et ceux qui étaient avec eux, » il indique assez clairement que les onze avec lesquels les autres se trouvaient réunis, devaient être les onze Apôtres.

Mais examinons la signification mystérieuse de ces paroles que Jésus, d’après saint Matthieu et saint Marc, adresse à ses disciples après sa résurrection : « Je vous précéderai en Galilée. » Si ces paroles se sont accomplies, ce n’est qu’après beaucoup d’autres faits racontés dans l’Évangile, et cependant Notre-Seigneur semble dire que c’est la seule chose ou au moins la première que les disciples devaient attendre. — S. Ambr. L’opinion qui me paraît la plus probable est que Notre-Seigneur avait annoncé en effet à ses disciples qu’ils le verraient en Galilée, mais qu’il crut ensuite devoir leur apparaîtra dans le cénacle, où la crainte les tenait renfermés. — Chaîne des Pères grecs. Le Sauveur ne manque pas ici à sa promesse, mais au contraire, il se hâte de l’accomplir par un sentiment de bonté pour ses disciples encore faibles et pusillanimes. — S. Ambr. Lorsqu’il eut ainsi ranimé leur courage, les onze Apôtres se rendirent en Galilée. Rien n’empêche encore de dire qu’ils étaient peu nombreux dans le cénacle, tandis qu’ils furent en très-grand nombre sur la montagne de Galilée. — Eusèbe. En effet, si deux évangélistes, saint Luc et saint Jean, ont écrit que Notre-Seigneur est apparu aux onze dans la ville de Jérusalem, les deux autres rapportent que l’ange aussi bien que le Sauveur commandèrent de se rendre en Galilée, non seulement aux onze, mais à tous les disciples et aux frères dont parle saint Paul, quand il dit : « Ensuite il apparut à plus de cinq cents frères réunis. » (1 Co 15.) Mais la solution la plus vraisemblable de cette difficulté, est que Jésus apparut d’abord une ou deux fois pour la consolation des Apôtres qui se tenaient cachés dans Jérusalem, et qu’il se manifesta ensuite dans la Galilée, non plus une fois ou deux, comme dans le cénacle, mais dans tout l’éclat de sa puissance, et en faisant voir à ses Apôtres par beaucoup de preuves qu’il était vivant, comme l’atteste saint Luc dans le livre des Actes (Ac 1, 3.) S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Ou bien encore : les paroles que l’ange adresse aux disciples au nom du Seigneur, doivent s’entendre dans un sens prophétique. En effet, Jésus les précède en Galilée, qui veut dire transmigration, parce que les Apôtres devaient quitter le peuple d’Israël pour aller prêcher l’Évangile aux Gentils, mais les Gentils n’auraient pas cru à leurs prédications, si le Seigneur lui-même ne leur eût préparé la voie dans les coeurs des hommes. Tel est donc le sens de ces paroles : « Il vous précédera en Galilée. » Si au contraire, on prend la Galilée dans le sens de révélation, nous devons entendre que le Sauveur ne se révélera plus sous la forme d’esclave, mais dans l’éclat qui convient au Fils de Dieu égal à son Père, comme il l’a promis à ses élus. Cette révélation sera pour nous comme une véritable Galilée, alors que nous le verrons tel qu’il est. Ce sera aussi notre, bienheureuse transmigration de ce monde dans cette vie éternelle, qu’il n’a point quittée en venant parmi nous, et où il nous précède sans nous abandonner.

Théophyl. Notre-Seigneur, apparaissant pour la première fois au milieu de ses disciples, calme l’agitation de leur âme par. le salut de paix accoutumé, il leur. montre ainsi qu’il est ce même Maître qui aimait à leur répéter cette parole de paix, qu’il leur a tant recommandée lorsqu’il les envoya prêcher l’Évangile : « Et il leur dit : La paix soit avec vous ; c’est moi, ne craignez point. » — S. Grég. de Nazianze. (disc. 14 sur la paix.) Rougissons de renoncer si facilement à ce don de la paix, que Jésus-Christ nous a laissé en quittant la terre. La paix, cette chose et ce nom si doux, a Dieu pour auteur, selon ces paroles : « La paix de Dieu, » (Ph 4) et elle est aussi le principal attribut de Dieu, selon ces autres paroles de saint Paul : « Il est lui-même notre paix. » La paix est un bien dont tout le monde fait l’éloge, mais que très-peu de personnes savent conserver. Quelle en est la cause ? Peut-être l’ambition du pouvoir et des richesses, l’envie, la haine ou le mépris du prochain, ou quelqu’autre vice de ce genre où fait tomber l’ignorance de Dieu. En effet, le principe est la source de la paix, c’est Dieu qui établit l’union en toutes choses, et dont l’attribut principal est l’unité de nature et une pacifique immutabilité. Cette paix se communique aux anges et aux puissances célestes qui sont en paix avec Dieu et entre elles ; elle se répand sur toutes les créatures, dont la beauté consiste dans la tranquillité ; enfin elle demeure dans notre âme par l’amour et la pratique des vertus, et dans notre corps, par la juste proportion qui règne dans nos membres, et l’équilibre des éléments dont il est composé ; la première de ces choses constitue la beauté de nos corps, et l’autre la santé.

Bède. Les disciples qui avaient vécu si longtemps avec Jésus-Christ, ne doutaient point qu’il fût véritablement homme ; mais lorsqu’il fut mort, ils ne croyaient pas qu’il pût ressusciter avec un corps véritable. Aussi croient-ils voir l’esprit qu’il avait rendu au moment de sa mort Sur la croix : « Dans leur trouble et leur saisissement, ils croyaient voir un esprit. » Cette erreur des Apôtres est devenue celle des Manichéens. — S. Ambr. Nous ne pouvons concevoir que saint Pierre et saint Jean aient pu douter de la résurrection après les faits prodigieux dont ils avaient été les témoins. Pourquoi donc saint Luc nous dit-il qu’ils furent troublés ? premièrement, parce qu’il confond leurs sentiments particuliers avec ceux du plus grand nombre ; secondement, parce que Pierre, tout certain qu’il était de la résurrection du Sauveur, a pu néanmoins être troublé, en le voyant tout à coup traverser avec son corps les portes qui étaient fermées. — Théophyl. Le salut de paix que Jésus adresse à ses disciples, n’ayant pu calmer l’agitation de leur âme, il leur prouve d’une autre manière qu’il est le Fils de Dieu qui pénètre le secret des coeurs : « Et il leur dit : Pourquoi vous troublez-vous, et pourquoi ces pensées s’élèvent-elles dans vos coeurs ? » — Bède. Quelles pouvaient être ces pensées ? des pensées fausses et dangereuses ; car Jésus-Christ eût perdu tout le fruit de sa passion, s’il n’était vraiment ressuscité. Il est semblable ici à un laboureur habile qui dirait : Je dois trouver ce que j’ai planté (c’est-à-dire la foi qui. descend dans le coeur, parce qu’elle vient du ciel) ; or, ces pensées ne sont point descendues du ciel, mais elles sont montées de la terre dans le coeur, comme de mauvaises herbes. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) La preuve la plus évidente qu’il était vraiment celui qu’ils avaient vu mort sur la croix et déposé dans le sépulcre, c’est qu’aucune des pensées du coeur de l’homme ne lui était cachée.

S. Ambr. Examinons maintenant comment d’après saint Jean, les Apôtres crurent et furent dans la joie, tandis que d’après saint Luc, le Sauveur leur reproche leur incrédulité. Saint Jean, en sa qualité d’apôtre, me parait n’avoir voulu traiter que les vérités les plus importantes et les plus élevées, tandis que saint Luc suit les évènements en se maintenant dans une sphère plus rapprochée de nous ; l’un s’est attaché à l’ordre historique, l’autre a voulu abréger. On ne peut douter de la véracité du témoignage de celui qui raconte ce qu’il a vu de ses yeux. La conclusion est donc que le récit des deux Évangélistes est vrai, car bien que saint Luc fasse observer qu’ils ne crurent point tout d’abord, il déclare positivement qu’ils finirent par croire.

S. Cyr. Notre-Seigneur, voulant démontrer à ses Apôtres qu’il a triomphé de la mort, et que la nature humaine du Christ est désormais affranchie de la corruption, leur montre ses mains, ses pieds et les trous des clous : « Voyez mes mains et mes pieds, et reconnaissez que c’est bien moi. » — Théophyl. Il fait plus encore, il leur donne à toucher ses pieds et ses mains en leur disant : « Touchez et voyez, un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’ai, » c’est-à-dire : Vous me prenez pour un esprit, ou un de ces fantômes qu’on voit souvent errer autour des tombeaux, mais sachez qu’un esprit n’a ni chair ni os, tandis que j’ai une chair et des os. — S. Ambr. Notre-Seigneur s’exprime de la sorte pour nous donner une image de la résurrection ; en effet, ce qui peut se toucher, est nécessairement un corps, nous ressusciterons donc dans notre corps, la seule différence est qu’il sera subtil, tandis qu’il est maintenant épais et grossier, parce qu’il est composé d’éléments infirmes et terrestres. Ce n’est donc point en vertu de sa nature incorporelle et divine, mais par suite des propriétés de son corps ressuscité, que Jésus-Christ a pénétré dans le cénacle, les portes demeurant fermées. — S. Grég. (Moral., 14, 29.) Lorsque notre corps aura part à la gloire de la résurrection, il ne sera pas impalpable, ni plus subtil et plus délié que le vent ou l’air (comme le prétend Eutychius) ; mais il sera tout à la fois subtil en vertu de sa nouvelle puissance spirituelle, et palpable par une conséquence de la nature corporelle.

« Ayant ainsi parlé, il leur montra ses mains et ses pieds. » — Bède. Ses mains et ses pieds qui avaient conservé la trace des clous qui les avaient transpercés. D’après saint Jean, il leur montra aussi son côté que le fer de la lance avait ouvert, afin que la vue des cicatrices de ses plaies guérît la blessure de leurs doutes. Les infidèles soulèvent ici une difficulté, et accusent le Seigneur de n’avoir pu guérir les blessures qui lui ont été faites. Nous leur répondons qu’il n’est pas logique d’admettre que celui qui a fait évidemment des miracles beaucoup plus grands n’ait pu en faire de moindres. C’est donc par un dessein plein de miséricorde, que celui qui a triomphé de la mort n’a point voulu détruire les signes que la mort avait imprimés sur son corps : premièrement pour rendre plus ferme dans ses disciples la foi à sa résurrection ; secondement, afin qu’en intercédant pour nous près de son Père, il pût lui montrer toujours le genre de mort qu’il avait souffert pour le salut des hommes ; troisièmement, pour rappeler à ceux qu’il a rachetés par sa mort, quels secours miséricordieux il leur aménagés en leur mettant sous les yeux les signes visibles de sa mort ; quatrièmement enfin, pour faire comprendre aux impies, au jour du jugement, la justice de leur condamnation.

 

Vv. 41-44.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur avait montré à ses disciples ses mains et ses pieds pour leur certifier que le corps qui avait souffert était le même qui était ressuscité. Pour leur rendre cette vérité plus certaine encore, il demande quelque chose à manger : « Mais comme ils hésitaient encore à croire, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger ? » — S. Grég. de Nysse. (disc. 1 sur la résurr.) La loi prescrivait qu’on mangeât la pâque avec des laitues amères, parce que c’était encore le temps de l’amertume, mais après la résurrection, cette amertume est adoucie par un rayon de miel : « Et ils lui présentèrent un morceau de poisson rôti, et un rayon de miel. »

Bède. C’est donc pour démontrer la vérité de sa résurrection, qu’il daigne non seulement se laisser toucher par ses disciples, mais manger avec eux, il détruit ainsi dans leur esprit la pensée que le corps qui leur apparaissait n’était pas réel, mais imaginaire : « Lorsqu’il eut mangé devant eux, prenant ce qui restait, il le leur donnai » Manger pour lui est un acte de puissance et non une nécessité ; en effet, la terre altérée et le soleil brûlant n’absorbent point l’eau de la même manière, la terre le fait par indigence, le soleil par puissance. — Ch. des Pèr. gr.) Mais, dira-t-on, si nous accordons que le Seigneur ait véritablement mangé, il faut admettre aussi qu’après la résurrection les hommes auront également besoin des aliments comme soutien de leur existence. Nous répondons que les actions que le Sauveur a faites dans une pensée de miséricorde ne sont ni une règle générale ni une loi établies par la nature, en vertu de sa conduite particulière dans certains cas. Ainsi il ressuscitera nos corps sans aucun défaut, et dans un état de perfection et d’incorruptibilité entières, bien qu’il ait voulu conserver dans son corps ressuscité les trous dont les clous ont percé ses pieds et ses mains, et la cicatrice de son côté, pour montrer qu’après sa résurrection il a conservé à son corps la même nature et ne l’a point changé en une autre substance. — Bède. Si donc il a mangé après sa résurrection, ce n’est ni qu’il eût besoin de nourriture, ni pour figurer qu’après la résurrection qui fait l’objet de notre espérance, nous aurons encore besoin d’aliments, mais pour établir ainsi la vérité de sa résurrection.

Dans le sens figuré, ce poisson grillé représente Jésus-Christ dans sa passion, il a daigné, en effet, vivre caché dans lés, eaux du genre humain, il s’est laissé prendre dans les filets de notre mort, il a été comme brûlé par la tribulation au temps de sa passion, mais il est devenu pour nous un rayon de miel après sa résurrection. Ce rayon de miel représente la double nature de sa personne, car le rayon de miel repose dans la cire, et ce miel dans la cire, c’est la divinité dans l’humanité.

Théophyl. Ces aliments ont encore une autre signification mystérieuse. En mangeant un morceau de ce poisson grillé, il veut nous représenter qu’il a purifié par le feu de sa divinité notre nature qui nageait dans la mer de cette vie ; qu’il a desséché l’humidité qu’elle avait contractée au milieu de ces eaux profondes et qu’il en a fait ainsi une nourriture divine, et que d’un aliment abominable, elle est devenue une nourriture des plus agréables à Dieu, ce que figure le rayon de miel. Ou encore, le poisson grillé est la figure de la vie active qui consume notre humidité par le feu du travail, tandis que la contemplation se trouve représentée par le rayon de miel à cause de la douceur ineffable de la parole de Dieu.

Bède. Après qu’il s’est laissé voir et toucher et qu’il a mangé avec ses disciples ; pour achever de montrer qu’il ne veut faire illusion à aucun de nos sens, Notre-Seigneur apporte en preuve les Écritures : « Puis il leur dit : C’est là ce que je vous ai dit, étant encore avec vous, » c’est-à-dire, lorsque j’étais revêtu de la chair mortelle dont vous êtes revêtu vous-même. C’était encore la même chair qui était ressuscitée, mais elle n’était plus comme celle des Apôtres, soumise à la mortalité. Le Sauveur ajoute : « Il fallait que tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les Psaumes s’accomplit. » — S. Aug. (De l’accord des Evang., 1, 11.) Qu’ils méditent ces paroles ceux qui poussent la folie jusqu’à oser dire que c’est par là magie qu’il a opéré tant de merveilles, et par son habileté qu’il a divinisé son nom aux yeux des peuples pour les convertir à Son culte. Est-ce grâce à la magie qu’il a pu accomplir les prophéties que l’Esprit saint avait inspirées bien avant sa naissance ? Car si c’est par des opérations magiques qu’il s’est fait adorer après sa mort, il était donc magicien avant sa naissance, puisqu’un peuple tout entier a été suscité de Dieu pour prophétiser sa venue.

 

Vv. 45-49.

Bède. Notre-Seigneur s’est fait voir aux yeux et toucher par les mains de ses disciples, il vient de leur rappeler les témoignages des saintes Écritures, il ne lui restait plus que de leur en découvrir le véritable sens : « Alors il leur ouvrit l’esprit pour leur faire comprendre les Écritures. » — Théophyl. Autrement, comment leur âme troublée et chancelante aurait-elle pu s’appliquer à l’étude des mystères de Jésus-Christ ? il y ajoute encore l’enseignement de sa divine parole : « Il leur dit : Il est ainsi écrit, et c’est ainsi qu’il fallait que le Christ souffrît, » c’est-à-dire, le supplice de la croix.

Bède. Jésus-Christ aurait perdu tout le fruit de sa résurrection, s’il ne fût véritablement ressuscité. Aussi ajoute-t-il : « Et qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour. » Après avoir établi la vérité de son corps, il veut aussi établir l’unité de son Église : « Et qu’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations. » — Eusèbe. Dieu lui avait en effet : « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage. » (Ps 2.) Il était nécessaire, en effet, que ceux des Gentils qui se convertiraient à lui, fussent purifiés par sa vertu de toutes les taches et de toutes les souillures contractées au milieu des erreurs diaboliques de l’idolâtrie et des abominations d’une vie d’impudicité. Voilà pourquoi il ajoute : « Il fallait qu’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations ; » car tous ceux qui témoignent un véritable repentir, reçoivent de sa grâce et de sa miséricorde le pardon des iniquités pour l’expiation desquelles il a voulu souffrir la mort.

Théophyl. L’idée du baptême dans lequel on obtient le pardon de ses péchés en renonçant aux crimes de la vie passée se trouve renfermée dans ces paroles : « Qu’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés. » Mais comment entendre que le baptême doit être donné au seul nom de Jésus-Christ, lorsque lui-même commande ailleurs de baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ? Nous répondons premièrement que ces paroles ne veulent point dire que le baptême ne doive être donné qu’au nom de Jésus-Christ, mais qu’il faut recevoir le baptême de Jésus-Christ, c’est-à-dire un baptême spirituel tout différent du baptême des Juifs, un baptême qui ne soit plus comme celui de Jean, un baptême de simple pénitence, mais une véritable participation de l’Esprit saint, comme il arriva au baptême de Jésus-Christ dans le Jourdain, alors qu’on vit l’Esprit saint descendre sur sa tête sous la forme d’une colombe. Etre baptisé au nom de Jésus-Christ, c’est donc être baptisé en la mort de Jésus-Christ. En effet, de même qu’il est ressuscité trois jours après sa mort, de même nous sommes plongés trois fois dans l’eau, et nous en sortons en recevant les arrhes de l’esprit d’incorruptibilité. Ajoutons que le nom de Jésus-Christ comprend en lui-même, et le Père qui donne l’onction, et le Saint-Esprit qui est l’onction même, et le Fils qui a reçu cette onction dans sa nature humaine). Le genre humain ne devait plus être divisé en deux peuples, les Juifs et les Gentils, et c’est pour réunir tous les hommes en un seul peuple, qu’il ordonne à ses Apôtres de commencer la prédication par Jérusalem, et de la terminer par les nations : « Dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem. » — Bède. La raison de ce précepte n’est pas seulement parce que c’est aux Juifs que les oracles de Dieu ont été confiés (Rm 3, 2) ; et qu’à eux appartient l’adoption des enfants, et la gloire et l’alliance (Rm 9, 4) ; mais parce que Dieu veut que les Gentils, plongés dans tant d’erreurs différentes, conçoivent une vive espérance d’obtenir leur pardon, en voyant la divine miséricorde l’accorder à ceux mêmes qui ont crucifié le Fils de Dieu. — S. Chrys. Il voulait aussi prévenir le reproche que l’on pourrait faire aux Apôtres, d’avoir négligé leurs concitoyens pour aller se produire avec ostentation chez les étrangers ; c’est donc devant les bourreaux eux-mêmes du Sauveur, qu’ils exposent les preuves de la résurrection, et dans cette même ville où s’est accompli cet audacieux forfait ; or quelle preuve plus éclatante de la résurrection de Jésus-Christ, que la conversion et la foi de ceux mêmes qui l’ont crucifié ?

 

Eusèbe. Or, si les prédictions que Jésus-Christ a faites, ont déjà leur accomplissement, et si la foi du monde entier reconnaît la puissance et l’efficacité de sa parole, il est temps désormais de croire à l’auteur de cette parole, et de reconnaître aussi qu’il doit nécessairement être Dieu, puisque les oeuvres divines qu’il opère sont conformes à ses divins enseignements. C’est ce qui s’est accompli par le ministère des Apôtres : « Pour vous, vous êtes témoins de ces choses » etc., c’est-à-dire, de ma mort et de ma résurrection. — Théophyl. Mais comment, pouvaient se demander les Apôtres, dans le trouble de leur âme, comment, nous qui sommes des hommes ignorants, pourrons-nous rendre ce témoignage devant les Gentils et devant les Juifs qui vous ont mis à mort. Notre-Seigneur prévient cette difficulté : « Je vous enverrai, leur dit-il, le don promis par mon Père, » etc., celui que Dieu avait promis en ces termes par le prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur toute chair, » etc. (Jl 2, 18.)

S. Chrys. (hom. 4 sur les Actes.) De même qu’un général ne laisse point ses soldats marcher contre de nombreux ennemis, qu’ils ne soient parfaitement armés ; ainsi le Sauveur ne permet pas à ses disciples d’affronter les combats avant la descente de l’Esprit saint : « Vous, tenez-vous eu repos dans la ville, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en haut. » — Théophyl. C’est-à-dire, d’une force qui n’a rien d’humain et qui est toute céleste. Et il ne dit pas : Jusqu’à ce que vous receviez, mais : « Jusqu’à ce que vous soyez revêtus, » pour signifier la protection toute-puissante dont les couvrira l’Esprit saint. — Bède. C’est de cette vertu céleste, c’est-à-dire, de l’Esprit saint, que l’ange dit à Marie : « La vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; » (Lc 1) et que le Seigneur lui-même dit ailleurs : « J’ai senti qu’une vertu était sortie de moi. » (Lc 8.)

S. Chrys. Mais pourquoi l’Esprit saint ne descendit-il pas sur les Apôtres pendant que le Sauveur était encore sur la terre ou aussitôt qu’il l’eût quittée ? Il voulait leur faire désirer ardemment cette grâce, avant de la leur accorder, car c’est lorsque la nécessité nous presse que nous nous empressons de recourir à Dieu. Il fallait auparavant que notre nature fit son entrée dans le ciel, et que notre alliance avec Dieu fût consommée. C’est alors que l’Esprit saint devait descendre et répandre dans notre âme une joie pure et sans mélange. Remarquez aussi l’obligation expresse qu’il leur impose de demeurer à Jérusalem, parce que c’est là qu’ils recevront l’Esprit saint qu’il leur a promis, et comment il les enchaîne par cette bienheureuse attente, qui les empêche de prendre de nouveau la fuite après sa résurrection. Il leur dit : « Jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en haut. » Il ne précise pas le moment pour les tenir dans une constante vigilance. Qu’y a-t-il donc d’étonnant qu’il ne nous ait pas fait connaître le dernier jour, puisqu’il n’a pas voulu indiquer à ses Apôtres le jour qui était si proche ?

S. Grég. (Past., part. 3, chap. 26.) Il faut donner de sévères avertissements à ceux que leur âge ou leurs imperfections devraient éloigner du ministère de la prédication, et qui s’y jettent cependant avec présomption ; car en usurpant avec autant de témérité un ministère aussi sublime et aussi redoutable, ils se ferment la voie à tout progrès dans la vertu. Voyez la Vérité elle-même qui pouvait en un instant donner à ses Apôtres la force qui leur manquait, qui leur avait donné les instructions les plus complètes sur l’objet de leurs prédications, leur commande cependant de se tenir en repos dans la ville, jusqu’à ce qu’ils soient revêtus de la force d’en haut, exemple qu’elle voulait donner à tous les siècles suivants, et qui devait détourner les âmes imparfaites de se charger témérairement du ministère de la prédication. Or, nous nous tenons en repos dans la ville, lorsque nous nous renfermons dans l’intérieur de notre âme, évitant de nous répandre dans les conversations extérieures, et attendant que nous soyons pleinement revêtus de la force divine, avant de sortir de nous-mêmes pour instruire les autres. 

S. Ambr. Mais comment se fait-il que d’après saint Jean (Jn 20, 23), les Apôtres avaient déjà reçu alors l’Esprit saint, tandis qu’ici nous voyons le Sauveur leur commander de demeurer dans la ville, jusqu’à ce qu’ils soient revêtus de la force d’en haut ? Peut-être soufflait-il d’abord sur les onze Apôtres pour leur donner l’Esprit Saint, comme étant plus parfaits, et promet-il ici de le donner ensuite aux autres. Ou bien, c’est aux mêmes qu’il le donne d’un côté et qu’il le promet de l’autre. Et il n’y a en cela aucune contradiction, puisque les grâces sont différentes ; ainsi le Sauveur donne, d’après saint Jean, la grâce d’une opération divine, et en promet une autre d’après saint Luc. En effet, la première fois il donne à ses Apôtres le pouvoir de remettre les. péchés (pouvoir qui est moins étendu), et Jésus-Christ le leur donne en soufflant sur eux, afin que vous croyiez que l’Esprit saint est l’esprit de Jésus-Christ, et que c’est le même que l’esprit de Dieu, car Dieu seul peut remettre les péchés. Saint Luc, au contraire, veut parler du don des langues que l’Esprit saint communiqua aux Apôtres. — S. Cyr. Ou encore, il leur dit d’abord : « Recevez l’Esprit saint, afin de les préparer à le recevoir ; ou il parle au présent de ce qui ne devait arriver que plus tard. — S. Aug. (de la Trin., 15, 26.) Ou encore, le Seigneur adonné deux fois l’Esprit saint à ses Apôtres après sa résurrection, la première fois sur la terre pour leur inspirer l’amour du prochain, et la seconde du haut du ciel pour allumer dans leurs coeurs l’amour de Dieu.

 

Vv. 50-53.

Bède. Saint Luc ne dit rien absolument de tout ce qui se passa entre le Seigneur et les Apôtres pendant quarante-trois jours, et il joint sans intermédiaire au premier jour de la résurrection le dernier où Jésus quitta la terre pour remonter au ciel : « Ensuite il les emmena hors de la ville jusqu’à Béthanie. » Ce fut d’abord à cause du nom de ce village qui signifie maison d’obéissance, car celui qui est descendu sur la terre pour expier la désobéissance des méchants, est remonté aux cieux pour récompenser l’obéissance des bons. Ce fut encore à cause de la position de ce village, situé sur le versant de la montagne des Oliviers, parce qu’en effet., la maison, de l’Église, modèle d’obéissance, a placé sur le versant de la montagne céleste, c’est-à-dire de Jésus-Christ, les fondements de sa foi, de son espérance et de sa charité. Le Sauveur bénit ensuite ceux à qui il venait de confier la mission d’instruire : « Et ayant élevé les mains, il les bénit. » — Théophyl. Peut-être, répandit-il en ce moment sur eux une vertu protectrice qui les conservât jusqu’à la venue de l’Esprit saint. Peut-être aussi a-t-il voulu nous enseigner à bénir ceux qui nous sont soumis et à les recommander à Dieu par nos bénédictions, toutes les fois que nous nous séparons d’eux.

 

Orig. Il les bénit en levant les mains, pour apprendre à celui qui est appelé à bénir les autres, qu’il doit être orné de toutes les vertus les plus éminentes et de la pratique des oeuvres les plus parfaites, c’est ainsi que nous élevons nos mains en haut.

S. Chrys. Remarquez encore comment Jésus-Christ place sous nos yeux les récompenses qu’il nous a promises. Il nous a promis la résurrection des corps, il ressuscite le premier d’entre les morts, et donne des preuves certaines de sa résurrection en demeurant quarante jours avec ses disciples. Il nous a promis que nous serions emportés dans les airs sur les nuées, et il confirme cette promesse par ses actes : « Et en les bénissant, il se sépara d’eux, et il s’éleva vers le ciel. » — Théophyl. Elle avait paru être transporté dans le ciel, » mais le Sauveur est le premier qui entre véritablement dans le ciel comme le précurseur de tous les hommes pour se présenter devant Dieu avec son corps sacré ; et dès lors, notre nature dans la personne de Jésus-Christ, reçut les hommages de toutes les vertus angéliques.

S. Chrys. Mais, direz-vous, que m’importe à moi l’ascension du Sauveur ? Vous ne savez donc pas que vous serez un jour pareillement enlevé dans les nues, car votre corps est de la même nature-que le corps de Jésus-Christ ? Il sera donc doué de la même agilité pour traverser les airs, car le corps aura le même sort que la tête, et tel principe telle fin. Or, voyez quels honneurs vous avez reçu dans ce principe. L’homme était la dernière des créatures raisonnables, mais. voici que les pieds sont devenus comme la tête, et ils sont élevés dans leur chef sur un trône d’une magnificence royale.

Bède. Pendant que le Seigneur s’élevait vers le ciel, les disciples adorèrent la dernière trace de ses pas, puis retournèrent immédiatement à Jérusalem, où Jésus leur avait commandé d’attendre la promesse du Père : « Et eux, l’ayant adoré, retournèrent à Jérusalem avec une grande joie, » etc. Ils sont remplis d’une grande joie, parce qu’ils ont eu le bonheur de voir le Seigneur et leur Dieu remonter dans les cieux après le triomphe de sa résurrection. — Ch. des Pèr. grecs. Or, ils passaient leurs journées dans les veilles, dans les prières, dans les jeûnes ; ils ne restent point chacun dans leurs maisons particulières, mais ils demeurent dans le temple, attendant la grâce qui doit descendre des cieux, et s’exerçant à la piété et à la vertu dans ce lieu si propre à inspirer l’une et l’autre : « Et ils étaient toujours dans le temple. » — Théophyl. Ils n’avaient pas encore reçu l’Esprit saint, et déjà leur vie était toute spirituelle. Auparavant ils n’osaient sortir de leur retraite ; maintenant ils sont dans le temple, au milieu des princes des prêtres ; ils ne sont distraits par aucune des pensées de ce monde, et dans un saint mépris de toutes les choses de la terre, ils ne cessent de louer Dieu : « Ils étaient toujours dans le temple louant et bénissant Dieu. » — Bède. Remarquez enfin que parmi les quatre animaux symboliques (Ez 1 ; Ap 4), saint Luc est désigné sous l’emblème du taureau, qui était la victime prescrite pour la consécration des prêtres (Ex 29), parce qu’il a eu pour but d’exposer plus au long que les autres le sacerdoce de Jésus-Christ, et qu’après avoir commencé son Évangile par le récit des fonctions sacerdotales que Zacharie exerçait dans le temple, il le termine en rapportant les pratiques de religion auxquelles les Apôtres se livraient aussi dans le temple. Il nous montre ces futurs ministres du sacerdoce nouveau qui ne verse plus le sang des victimes, mais ne cesse de louer et de bénir Dieu, et c’est dans le lieu même de la prière et au milieu des pieux exercices de la religion, qu’ils préparent leurs coeurs à recevoir l’Esprit saint qui leur a été promis. — Théophyl. Imitons-les nous-mêmes par une vie toujours sainte, consacrée aussi à bénir et à louer Dieu, à qui appartient la gloire, la bénédiction et la puissance dans tous les siècles. Ainsi soit-il.