CHAINE D’OR SUR L’EVANGILE DE SAINT JEAN
EVANGILE DE SAINT MATTHIEU
Explication suivie
des
QUATRE EVANGILES
par le docteur angélique
Saint Thomas d’Aquin
composée des interprètes grecs et latins, et surtout des ss. Pères
admirablement coordonnés et enchaînés
de manière à ne former qu’un seul texte suivi et appelé à juste titre
la
CHAINE D’OR
Edition où le texte corrigé par le P. Nicolaï a été revu avec le plus grand soin sur les textes originaux grecs et latins
TRADUCTION NOUVELLE
par
M. L’ABBE J.-M. PERONNE
Chanoine titulaire de l’Eglise de Soissons, ancien professeur d’Ecriture sainte et d’éloquence sacrée
Tome premier
PARIS
LIBRAIRIE DE LOUIS VIVÈS, ÉDITEUR
rue Delambre, 9
1868
cf. reproduction offset aux « Editions pamphiliennes », rue St. Louis, F 84400 Saignon
SAINT THOMAS D’AQUIN
PRÉFACE DE L'EXPLICATION SUIVIE DE L'ÉVANGILE DE SAINT
JEAN PAR SAINT THOMAS
CATENA AUREA
SUR SAINT JEAN – CHAP. 05-08
CATENA AUREA
SUR SAINT JEAN – CHAP. 9-14
Le prophète Isaïe, éclairé des splendeurs d'une vision toute divine, dit : « J'ai vu le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé, et la maison était pleine de sa majesté, et le bas de ses vêtements remplissait le temple. — S. JER. (sur Isa.) Saint Jean l'évangéliste nous apprend quel est celui qui apparut à Isaïe, lorsqu'après avoir cité une de ses prophéties, il ajoute : « Isaïe dit ces choses, lorsqu'il vit sa gloire, et qu'il parla de lui, » et nul doute que dans sa pensée, il ne soit question du Christ. — LA GLOSE. Voilà donc dans ces paroles le sujet de l'Evangile, qui porte le nom de saint Jean. — HIST. ECCL. (3, 34.) Saint Matthieu et saint Luc ayant raconté ce qui avait rapport à la naissance temporelle du Sauveur, saint Jean n'en dit rien ; il commence son Evangile par l'exposé de sa naissance éternelle et divine, et nul doute que cette mission ne lui ait été réservée par l'Esprit saint comme au plus éminent des évangélistes.
ALCUIN. L'Evangile est de beaucoup supérieur à toutes les autres parties de l'Ecriture, parce que nous y voyons l'accomplissement de toutes les prédictions de la loi et des prophètes ; mais saint Jean tient à son tour le premier rang parmi les autres évangélistes, à cause de la profondeur des mystères qui lui ont été révélés. Après l'ascension du Sauveur, il se contenta pendant soixante-cinq ans de prêcher de vive voix la parole de Dieu sans rien écrire, jusqu'aux dernières années de Donatien. Mais après la mort de cet empereur, Nerva, son successeur, ayant permis au saint Apôtre de revenir à Ephèse, il écrivit à la prière des évoques d'Asie, sur la divinité du Christ, coéternel au Père, contre les hérétiques, qui niaient que Jésus-Christ fût antérieur à Marie. Aussi est-ce avec raison que parmi les quatre animaux symboliques, il est comparé à l'aigle qui vole plus haut que tous les autres oiseaux, et fixe d'un regard intrépide les rayons du soleil sans en être ébloui. — S. AUG. (sur S. Jean, chap. 1.) Il s'élève au-dessus de tous les espaces de l'air, au-dessus de toutes les hauteurs des astres, au-dessus de tous les chœurs et de toutes les légions des anges. Et, en effet, à moins de s'élever au-dessus de toutes les créatures, comment pourrait-il parvenir jusqu'à celui par qui tout a été créé ?
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 1, 5.) Si donc vous prêtez une sérieuse attention, vous verrez que les trois premiers évangélistes qui se sont attachés principalement dans leur récit aux faits de la vie mortelle de Nôtre-Seigneur, et aux paroles qui tendent à la sanctification de la vie présente, semblent avoir eu pour objet la vie active ; saint Jean, au contraire, raconte peu de faits de la vie de Nôtre-Seigneur, mais il reproduit dans toute leur étendue et avec le plus grand soin ses discours, surtout ceux qui traitent de l'unité des trois personnes divines et du bonheur de la vie éternelle, et parait avoir eu pour dessein et pour fin dans son récit, de relever le mérite de la vie contemplative. Aussi les trois animaux, emblèmes des trois autres évangélistes (le lion, l'homme, le taureau), marchent sur la terre, parce que ces trois évangélistes ont eu pour but principal de rapporter les actions de la vie mortelle du Sauveur, et les préceptes de morale qui doivent diriger les hommes dans le cours de cette vie périssable et mortelle. Mais pour saint Jean, semblable à l'aigle, il prend son vol au-dessus des nuages de la faiblesse humaine, et contemple d'un œil intrépide et assuré la lumière de l'immuable vérité. Il s'applique surtout à faire ressortir la divinité du Seigneur, qui le rend égal à son Père, et à en donner aux hommes dans son Evangile, une idée aussi étendue que l'intelligence humaine le permet.
LA GLOSE. Saint Jean l'évangéliste peut donc dire comme le prophète Isaïe : « J'ai vu le Seigneur sur un trône élevé et sublime », lui qui, par la pénétration de son regard, a contemplé le Christ régnant dans toute la majesté de la divinité, dont la nature est élevée au-dessus de toutes les créatures. Il peut dire aussi : « Et le temple était rempli de sa majesté, » lui qui déclare que tout a été fait par lui et qu'il éclaire de sa lumière tous ceux qui viennent en ce monde. Il peut dire encore « ce qui était au-dessous de lui remplissait le temple, » lui qui nous révèle en ces termes le mystère de l'incarnation : « Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, sa gloire comme Fils unique, né du Père, plein de grâce et de vérité, et nous avons tous reçu de sa plénitude. » Les paroles du prophète contiennent donc tout le sujet de cet Evangile. Saint Jean nous représente le Seigneur assis sur un trône élevé, en nous montrant la divinité de Jésus-Christ ; nous voyons la terre remplie de sa majesté, lorsqu'il nous montre toutes les créatures tirées du néant par sa puissance et comme remplies de ses divines perfections. Il nous enseigne encore que ce qui est au-dessous de lui (les mystères accomplis dans son humanité), remplit le temple (c'est-à-dire l'Eglise), lorsqu'il nous découvre dans les mystères de l'incarnation et de la rédemption de Jésus-Christ une source abondante de grâce et de gloire pour les fidèles.
S. CHRYS. (hom. 1 sur S. Jean.) Comment donc ce barbare, cet homme sans lettres, a-t-il pu parler un langage si sublime, et révéler des vérités qu'aucun homme ne connut jamais avant lui ? Cela serait déjà un prodige extraordinaire ; mais une preuve plus forte encore, que c'est l'inspiration divine qui lui a dicté tout ce qu'il raconte dans son Evangile, c'est que les hommes de tous les siècles l'écoutent et se rendent dociles à ses divines leçons. Qui donc n'admirerait la vertu toute-puissante qui habite en lui ?
ORIG. (hom. 2 sur div. endr. de l'Evang.) Jean signifie la grâce de Dieu, ou celui en qui est la grâce, ou celui à qui elle a été donnée. Mais de tous ceux qui ont traité des choses divines, à qui a-t-il jamais été donné de pénétrer aussi profondément les mystères cachés du souverain bien, et de les enseigner aux hommes ?
EXPLICATION SUIVIE
DES QUATRE ÉVANGILES
PAR SAINT THOMAS
LE
SAINT ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST
SELON SAINT JEAN
v. 1
Au commencement était le Verbe.
S. CHRYS. (hom. 3 sur S. Jean.) Tandis que tous les autres Evangélistes commencent par l'incarnation du Sauveur, saint Jean, sans s'arrêter à sa conception, à sa naissance, à son éducation, aux progrès successifs de ses premières années, raconte immédiatement en ces termes la génération éternelle : « Au commencement était le Verbe. » — S. AUG. (Liv. des 83 quest.) Le mot grec λόγος signifie également en latin raison et verbe, mais ici la signification de verbe est préférable, parce qu'elle exprime mieux les rapports, non-seulement avec le Père, mais avec les créatures qui ont été faites par la puissance opérative du Verbe. La raison, au contraire, même quand elle n'agit pas, s'appelle toujours raison.
S. AUG. (Traité 3 sur S. Jean.) L'usage journalier de la parole, lui fait perdre de son prix à nos yeux, et nous en faisons peu de cas, à cause de la nature passagère du son dont elle est revêtue. Or, il est une parole dans l'homme lui-même qui reste dans l'intérieur de son âme, car le son est produit par la bouche. La parole véritable, à laquelle convient particulièrement ce nom, est celle que le son vous fait entendre, mais ce n'est pas le son lui-même.— S. AUG. (de la Trinité, 15, 10.) Celui qui peut comprendre la parole non-seulement avant que le son de la voix la rende sensible, mais avant même que l'image des sons se présente à la pensée, peut voir déjà dans ce miroir et sous cette image obscure quelque ressemblance du Verbe dont il est dit : « Au commencement était le Verbe. » En effet, lorsque nous énonçons ce que nous savons, le verbe doit nécessairement naître de la science que nous possédons, et ce verbe doit être de même nature que la science dont il est l'expression. La pensée qui naît de ce que nous savons est un verbe qui nous instruit intérieurement, et ce verbe n'est ni grec, ni latin, il n'appartient à aucune langue. Mais lorsque nous voulons le produire au dehors, nous sommes obligés d'employer un signe qui eu soit l'expression. Le verbe qui se fait entendre an dehors est donc le signe de ce verbe qui demeure caché à l'intérieur, et auquel convient bien plus justement le nom de verbe. Car ce qui sort de la bouche, c'est la voix du verbe, et on ne lui donne le nom de verbe ou de parole, que par son union avec la parole intérieure, qui est son unique raison d'être.
S. BAS. (hom. sur ces par.) Le Verbe dont parle ici l'Evangéliste n'est pas un verbe humain ; comment, en effet, supposer au commencement l'existence du verbe humain, alors que l'homme fut créé le dernier de tous les êtres ? Ce Verbe qui était au commencement, n'est donc point le verbe humain, ce n'est point non plus le verbe des anges ; car toute créature est postérieure à l'origine des siècles, et a reçu du Créateur le principe de son existence. Elevez-vous donc ici à la hauteur de l'Evangéliste, c'est le Fils unique qu'il appelle le Verbe.
S. CHRYS. (hom. 2 sur S. Jean.) Mais pourquoi saint Jean nous parle-t-il immédiatement du Fils, sans rien dire du Père ? C'est que le Père était connu de tous les hommes, sinon comme Père, du moins comme Dieu ; le Fils unique, au contraire, n'était pas connu. Voilà pourquoi l'Evangéliste s'applique dès le commencement à en donner la connaissance à ceux qui ne l'avaient pas. Disons plus, le Père lui-même est compris dans tout ce qu'il dit du Fils. C'est pour cette raison qu'il lui donne le nom de Verbe. Il veut enseigner que le Verbe est le Fils unique de Dieu, il détruit donc par avance toute idée d'une génération charnelle, en montrant que ce Verbe a été engendré de Dieu d'une manière incorruptible. Une seconde raison pour laquelle il lui donne ce nom, c'est que le Fils de Dieu devait nous faire connaître ce qui concerne le Père. Aussi ne l'appelle-t-il pas simplement Verbe, mais il le distingue de tous les autres verbes, en ajoutant l'article. L'Ecriture a coutume d'appeler verbe ou parole les lois et les commandements de Dieu ; mais le Verbe dont il est ici question est une substance, une personne, un être qui est né du Père par une naissance exempte de corruption et de douleur.
S. BAS. (hom. précéd.) Mais pourquoi est-il le Verbe ? parce que sa naissance est sans douleur, parce qu'il est l'image de celui qui l'a engendré, qu'il le reproduit tout entier en lui-même, sans aucune division, et en possédant comme lui toute perfection. — S. AUG. (de la Trin., 15, 13.) De même qu'il existe une grande différence entre notre science et celle de Dieu, le verbe qui est le produit de notre science est aussi bien différent du Verbe de Dieu qui est né de l'essence même du Père ; comme si je disais qu'il est né de la science du Père, de la sagesse du Père, ou ce qui est plus expressif encore, du Père, qui est science, du Père, qui est sagesse. Le Verbe de Dieu, Fils unique du Père, est donc semblable et égal à son Père en toutes choses ; car il est tout ce qu'est le Père, il n'est cependant pas le Père, parce que l'un est le Fils, et l'autre le Père. Le Fils connaît tout ce que connaît le Père, puisqu'il reçoit du Père la connaissance en même temps que l'être. Connaître et exister sont ici une seule et même chose ; et ainsi le Fils n'est point pour le Père le principe de la connaissance, parce qu'il n'est pas pour lui le principe de l'existence. C'est donc en s'énonçant lui-même, que le Père a engendré le Verbe qui lui est égal en toutes choses ; car il ne se serait pas énoncé dans toute son intégrité et dans toute sa perfection, si son Verbe lui était inférieur ou supérieur en quelque chose. N'hésitons pas à considérer quelle distance sépare de ce Verbe divin notre verbe intérieur, dans lequel nous trouvons cependant quelque analogie avec lui. Le verbe de notre intelligence ne reçoit pas immédiatement sa forme définitive, c'est d'abord une idée vague qui s'agite dans l'intérieur de notre âme, et qui est le produit des différentes pensées qui se présentent successivement à notre esprit. Le verbe véritable n'existe, que lorsque de ces pensées qui s'agitent et se succèdent dans notre âme, naît la connaissance qui donne à son tour naissance au verbe, et ce verbe ressemble en tout à cette connaissance ; car la pensée doit nécessairement avoir la même nature que la connaissance dont elle est le produit. Qui ne voit quelle différence extrême dans le Verbe de Dieu, qui possède la forme et la nature de Dieu sans l'avoir acquise par ces divers essais de formation, sans qu'il puisse jamais la perdre, et qui est l'image simple et consubstantielle du Père ? C'est la raison pour laquelle l'Evangéliste l'appelle le Verbe de Dieu, plutôt que la pensée de Dieu ; il ne veut pas qu'on puisse supposer en Dieu une chose qui soit soumise au changement, ou au progrès du temps ; qui commence à prendre une forme qu'elle n'avait pas auparavant, et qu'elle peut perdre un moment après en retombant dans les vagues agitations de l'intelligence. — S. AUG. (serm. 38 sur les par. du Seig.) C'est qu'en effet le Verbe de Dieu est la forme qui n'a jamais été soumise à la formation, c'est la forme de toutes les formes, la forme immuable, exempte de vicissitudes, de décroissance, de toute succession, de toute étendue mesurable, la forme qui surpasse toutes choses, qui existe en toutes choses, qui est le fondement sur lequel reposent toutes choses, et le faîte qui les couvre et les domine.
S. BAS. (hom. précéd.) Notre verbe extérieur a quelque ressemblance avec le Verbe de Dieu. Notre verbe, en effet, reproduit la conception de notre esprit, car nous exprimons par la parole ce que notre intelligence a préalablement conçu. Notre cœur est comme une source, et la parole que nous prononçons est comme le ruisseau qui sort de cette source.
S. CHRYS. (hom. précéd.) Remarquez ici la prudence spirituelle de l'Evangéliste. Il savait que les hommes avaient de tout temps rendu des honneurs divins à l'être qu'ils reconnaissaient exister avant toutes les créatures et qu'ils appelaient Dieu. C'est donc par cet être qu'il commence en lui donnant le nom de principe, et bientôt celui de Dieu : « Dans le principe était le Verbe. » — ORIG. Ce nom de principe ou de commencement a plusieurs significations. Il peut signifier le commencement d'un chemin ou d'une longueur quelconque, comme dans ces paroles : « Le commencement de la bonne voie est de faire la justice. » (Pr 16, 5.) Il signifie encore le principe ou commencement de la génération, comme dans ces paroles du livre de Job : « Il est le commencement des créatures de Dieu ; et l'on peut, sans rien dire d'extraordinaire, affirmer que Dieu est le commencement ou le principe de toutes choses. Pour ceux qui regardent la matière comme éternelle et incréée, elle est le principe de tous les êtres qui ont été tirés de cette matière préexistante. Le mot principe a encore une signification plus particulière, comme lorsque saint Paul dit que le Christ est le principe de ceux qui ont été faits à l'image de Dieu. (Col 1) Il y a encore le commencement ou le principe de la discipline et de la morale chrétienne, et c'est dans ce sens que le même Apôtre dit aux Hébreux : « Lorsqu'on raison du temps, vous devriez être maîtres, vous avez encore besoin qu'on vous enseigne les premiers commencements do la parole de Dieu. » (Hé 5, 12.) Le mot principe a lui-même deux sens différents, il y a le principe considéré dans ses rapports avec nous. Ainsi le Christ est par nature le principe de la sagesse, on tant qu'il est la sagesse et le Verbe de Dieu ; et il est pour nous ce môme principe en tant que Verbe fait chair. Parmi tontes ces significations différentes du mot principe, nous pouvons choisir ici celle qui exprime le principe agissant ; car le Christ créateur est comme le principe en tant qu'il est la sagesse, et le Verbe dans le principe, est la même chose que le Verbe dans la sagesse ; car le Sauveur est la source d'une infinité de biens. De même donc que la vie était dans le Verbe, ainsi le Verbe était dans le principe, c'est-à-dire dans la sagesse. Considèrez, si d'après cette signification, il est possible d'entendre le principe, dans ce sens que c'est suivant les règles de cette sagesse, et les idées exemplaires qu'elle renferme, que toutes choses ont été faites. Ou bien encore, comme le Père est le principe du Fils, le principe des créatures et de tous les êtres, il faut entendre ces paroles : « Dans le principe était le Verbe, » dans ce sens que le Verbe qui était le Fils, était dans le principe, c'est-à-dire dans le Père. — S. AUG, (de la Trin., 6, 2.) Ou bien encore, ces paroles : « Au commencement, » dans le principe, signifient : « Avant toutes choses. » — S. BAS. (hom. précéd.) Le Saint-Esprit a prévu que des envieux et les détracteurs de la gloire du Fils unique chercheraient à détruire par leurs sophismes la foi des fidèles en disant : S'il a été engendré, on ne peut pas dire qu'il était, et avant d'être engendré, il n'était pas. C'est pour fermer par avance la bouche à ces blasphémateurs, que l'Esprit saint dit : « Au commencement était le Verbe. »
S. HIL. (de la Trin., 2.) Tous les temps sont dépassés, tous les siècles sont franchis, toutes les années disparaissent ; imaginez tel principe que vous voudrez, vous ne pouvez circonscrire celui-ci dans les limites du temps, il existait avant tout les temps.
S. CHRYS. (hom. 2 sur S. Jean.) Lorsqu'un homme monte sur un navire, tant qu'il est près du rivage, il voit se dérouler devant lui les ports et les cités, mais dès qu'il est avancé en pleine mer, il perd de vue ces premiers objets, sans que ses yeux puissent s'arrêter sur aucun point. Ainsi l'Evangéliste, en nous élevant au-dessus de toutes les créatures, laisse notre regard comme suspendu et sans objet, et ne lui permet d'entrevoir ni aucunes bornes dans les hautes régions où il l'a transporté, ni aucunes limites où il puisse se fixer, car ces paroles : « Au commencement, » expriment à la fois l'Etre infini et éternel.
S. AUG. (serm. 38 sur les par. du Seign.) On fait cette objection : S'il est Fils, donc il est né. Nous l'avouons. Ils ajoutent : S'il est né un Fils au Père, il était Père avant la naissance de son Fils. La foi rejette cette conclusion. Mais, poursuit-on, expliquez-moi donc comment le Père a pu avoir un Fils, qui fut coéternel au Père dont il est né, car le fils naît après son père pour lui succéder après sa mort. Ils vont chercher leurs comparaisons dans les créatures, il nous faut donc aussi trouver des comparaisons à l'appui des vérités que nous défendons. Mais comment pouvoir trouver dans toute la création un être coéternel, alors qu'aucune créature n'est éternelle ? Si nous pouvions trouver ici-bas deux êtres absolument contemporains, l'un qui engendre, l'autre qui est engendré, nous pourrions avoir une idée de l'éternité simultanée du Père et du Fils. La sagesse nous est représentée dans l'Ecriture comme l'éclat de la lumière éternelle et comme l'image du Père. Cherchons dans ces deux termes une comparaison qui, à l'aide de deux choses existant simultanément, puisse nous donner l'idée de deux êtres coéternels. Personne n'ignore que l'éclat de la lumière vient du feu ; supposons donc que le feu est le père de cet éclat, dès que j'allume une lampe, le feu et la lumière existent simultanément. Donnez-moi du feu sans lumière, et je vous concéderai que le Père n'a point eu de Fils. L'image doit son existence au miroir, cette image se produit dès qu'un homme se regarde dans un miroir, mais celui qui se regarde dans un miroir existait avant de s'en approcher. Prenons encore comme objet de comparaison une plante on un arbuste nés sur le bord des eaux, est-ce que leur image ne naît pas simultanément avec eux ? Si donc cet arbuste existait toujours, l'image de l'arbuste aurait la même durée. Or, ce qui vient d'un être est vraiment né de lui ; l'être qui a engendré peut donc toujours avoir existé avec celui qui est né de lui. Mais on me dira : Je comprends que le Père soit éternel, et que le Fils lui soit coéternel, mais de la même manière que je comprends l'éclat du feu moins brillant que le feu lui-même, ou comme l'image de l'arbuste qui se produit dans les eaux, moins réelle et moins parfaite que l'arbuste lui-même. Non, l'égalité est parfaite et absolue. Je ne le crois point, me réplique-t-on, parce que vos comparaisons ne sont pas justes. Peut-être, cependant, trouverons-nous dans les créatures des choses qui nous feront comprendre comment le Fils est coéternel au Père, sans lui être inférieur, mais ce ne sera pas dans un seul objet de comparaison. Joignons donc ensemble deux comparaisons différentes, celle qu'ils donnent eux-mêmes et celle que nous apportons. Ils ont emprunté leur comparaison aux êtres qui sont postérieurs par le temps à ceux qui leur donnent naissance, par exemple, à l'homme qui naît d'un autre homme ; mais cependant ces deux hommes ont une même nature. Nous trouvons donc dans cette naissance l'égalité de nature, mais nous n'y trouvons pas l'égalité d'existence. Au contraire, dans cette autre comparaison empruntée à l'éclat du feu et à l'image de l'arbuste, vous ne trouvez pas l'égalité de nature, mais l'égalité de temps. Vous trouvez donc réunies en Dieu les propriétés qui sont disséminées dans plusieurs créatures, et vous les trouvez réunies, non pas comme elles sont dans les créatures, mais avec la perfection qui convient au Créateur.
actes du concile d'ephèse. L'Ecriture appelle le Fils, tantôt le Fils du Père, tantôt le Verbe, tantôt l'éclat de la lumière éternelle, et elle emploie tour à tour ces divers noms en parlant du Christ, pour les opposer aux blasphèmes de l'hérésie. Votre fils est de même nature que vous ; l'Ecriture, pour vous montrer que le Père et le Fils ont une même nature, appelle le Fils, qui est né du Père, son Fils unique. Mais comme la naissance d'un fils rappelle l'idée de souffrance et de douleur qui accompagnent inséparablement la génération humaine, la sainte Ecriture appelle le Fils de Dieu le Verbe, pour éloigner toute idée de souffrance de la génération divine. Et encore, tout père est incontestablement plus âgé que son fils, mais il n'en est pas de même pour la nature divine, et c'est pour cela qu'elle appelle le Fils unique du Père, l'éclat de la lumière éternelle. En effet, la lumière naît du soleil, mais elle ne lui est point postérieure. Le nom d'éclat de la lumière éternelle vous montre donc que le Fils est coéternel au Père, le nom de Verbe vous prouve l'impassibilité de sa naissance, et le nom de Fils, sa consubstantialité avec le Père.
S. CHRYS. (hom. 2 sur S. Jean). On objecte encore : Ces paroles : « Au commencement, » ne signifient pas simplement et nécessairement l'éternité, car n'est-il pas dit de la création du ciel et de la terre : « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre ? » Mais qu'a de commun cette expression : « Il était, » avec cette autre : « Il fit ? » Lorsqu'on dit d'un homme : « Il est » cette expression marque le temps présent ; lorsqu'on l'applique à Dieu, elle signifie celui qui existe toujours et de toute éternité. De même l'expression : « Il était, » appliquée à notre nature, signifie le temps passé, mais lorsqu'il s'agit de Dieu, elle exprime son éternité. — ORIG. (hom. 2. sur div. sujets.) Le verbe être a une double signification, tantôt il exprime les différentes successions de temps, lorsqu'il se conjugue avec d'autres verbes ; tantôt il exprime la nature de la chose dont on parle sans aucune succession de temps, c'est pour cela qu'il est appelé verbe substantif. — S. HIL. (De la Trin., 2.) Jetez donc un regard sur le monde, comprenez ce qui est écrit du monde : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » Ce qui est créé reçoit donc l'existence au commencement, et ce qui se trouve renfermé dans le principe qui lui donne l'existence se trouve également renfermé dans les limites du temps. Or, ce simple pécheur, sans lettres, sans science, s'affranchit des bornes du temps, remonte avant tous les siècles et s'élève au-dessus de tout commencement. Car ce qui était, c'est ce qui est, ce qui n'est circonscrit par aucune durée, et qui était au commencement ce qu'il est, bien plutôt qu'il n'était fait. — ALCUIN. C'est donc contre ceux qui alléguaient la naissance temporelle du Christ, pour enseigner qu'il n'avait pas toujours existé, que l'Evangéliste commence son récit par l'éternité du Verbe : « Au commencement était le Verbe. »
Et le Verbe était en Dieu.
S. CHRYS. (hom. 2 sur S. Jean.) C'est surtout le propre de Dieu d'être éternel et sans commencement, c'est ce que l'Evangéliste a établi tout d'abord, mais de peur qu'on ne vînt à conclure de ces paroles : « Au commencement était le Verbe, » que le Verbe n'a pas été engendré, il ajoute aussitôt pour repousser cette idée : « Et le Verbe était en Dieu. » — S. HIL. (De la Trin., 2.) Il est dans le Père sans aucun commencement, il n'est point soumis à la succession du temps, mais il a un principe de son existence. — S. BAS. (hom. précéd.) Il s'exprime encore de la sorte contre ceux qui osaient blasphémer que le Verbe n'était pas. Où donc était le Verbe ? Il n'était pas dans un lieu, car ce qui ne peut être circonscrit, ne peut être soumis aux lois de l'espace. Mais où était-il donc ? Il était en Dieu. Or, ni le Père, ni le Fils, ne peuvent être contenus dans aucun espace.
ORIG. Il est utile de faire remarquer que nous lisons dans l'Ecriture, que le verbe ou la parole a été faite ou adressée à quelques-uns, par exemple à Osée, à Isaïe, à Jérémie ; mais le Verbe n'est pas fait en Dieu comme une chose qui n'existe pas en lui. C’est donc d’un être qui est éternellement en lui, que l'Evangéliste dit : « Et le Verbe était avec Dieu, » paroles qui prouvent que, même au commencement le Fils n'a jamais été séparé du Père. — S. CHRYS. (hom. 3 sur S. Jean.) Il ne dit pas : Il était en Dieu, mais : « Il était avec Dieu, » nous montrant ainsi son éternité comme personne distincte. — THEOPHYL. L’erreur de Sabellius se trouve détruite par ces paroles. Cet hérétique enseignait que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne formaient qu’une seule personne, qui se manifestait tantôt comme le Père, tantôt comme le Fils, et tantôt comme le Saint-Esprit ; mais quoi de plus fort pour le confondre que ces paroles : « Et le Verbe était en Dieu ? » car l’Evangéliste déclare ouvertement que le Fils est différent du Père, qu il désigne ici par le nom de Dieu.
Et le Verbe était Dieu.
S. HIL. (De la Trin., 2.) Vous me direz : Le Verbe, c'est le son de la voix l'énoncé des choses, l'expression des pensées. Le Verbe était dans le principe avec Dieu, parce que la parole, expression de la pensée, est éternelle, lorsque celui qui pense est éternel lui-même. Mais comment le Verbe était-il au commencement, lui qui n'est ni avant, ni après le temps ; je ne sais même s'il peut exister dans le temps ? Lorsque les hommes parlent, leur parole n'existe pas avant qu'ils ouvrent la bouche, et lorsqu'ils ont fini de parler, elle n'existe plus ; au moment même où ils arrivent à la fin de leurs discours, le commencement a cessé d'exister ; Mais si vous avez admis, tout ignorant que vous êtes, ces premières paroles : « Au commencement était le Verbe, » pourquoi demander ce que signifient les suivantes : « Et le Verbe était avec Dieu. » Est-ce que vous pouviez supposer qu'en Dieu le Verbe était l'expression d'une pensée cachée, ou bien Jean aurait-il ignoré la différence qui existe entre ces deux termes : Etre et assister ? Ce qui était au commencement vous est présenté comme étant, non pas dans un autre, mais avec un autre. Faites donc attention au nom et à la nature qu'il donne au Verbe : « Et le Verbe était Dieu. » Il n'est plus question du son de la voix, de l'expression de la pensée ; ce verbe est un être subsistant et non pas un son, c'est une substance, une nature et non une simple expression, ce n'est pas une chose vaine, c'est un Dieu. — S. HIL. (De la Trin., 7.) L'Evangéliste lui donne le nom de Dieu sans aucune addition étrangère qui puisse être matière à difficulté. Il a bien été dit à Moïse : « Je t'ai établi le dieu de Pharaon. » (Ex 7, 1.) Mais on voit immédiatement la raison de cette dénomination dans le mol qui l'accompagne : « de Pharaon, » c'est-à-dire, que Moïse a été établi le dieu de Pharaon, pour s'en faire craindre et prier, pour le châtier et pour le guérir ; mais il y a une grande différence entre ces deux choses : Etre établi le dieu de quelqu'un et être véritablement Dieu. Je me rappelle encore un autre endroit des Ecritures où nous lisons : « J'ai dit : Vous êtes des dieux. » (Ps 81) Mais il est facile de voir que ce nom n'est donné ici que par simple concession ; et ces paroles : « J'ai dit, » expriment bien plutôt une manière de parler que la réalité du nom qui est donné. Au contraire, lorsque j'entends ces paroles : « Et le Verbe était Dieu ; » je comprends que ce n'est point une simple dénomination, mais une véritable démonstration de sa divinité.
S. BAS. (homél. précéd.) C'est ainsi que l'Evangéliste réprime les calomnies et les blasphèmes de ceux qui osent demander : Qu'est-ce que le Verbe ? Il répond : « Et le Verbe était Dieu. » — THEOPHYL. On peut encore donner une autre liaison de ces paroles avec ce qui précède. Puisque le Verbe était avec Dieu, il est évident qu'il y avait deux personnes distinctes, n'ayant toutes deux qu'une seule et même nature ; c'est ce qu'affirmé l'Evangéliste : « Et le Verbe était Dieu, » c'est-à-dire, que le Père et le Fils n'ont qu'une même nature, comme ils n'ont qu'une même divinité. — ORIG. Ajoutons que le Verbe ou la parole que Dieu adressait aux prophètes, les éclairait, de la lumière de la sagesse ; au contraire, le Verbe qui est avec Dieu, reçoit de Dieu la nature divine, et voilà pourquoi saint Jean a fait précéder ces paroles : « Et le Verbe était Dieu ; » de ces autres : « Et le Verbe était avec Dieu ou en Dieu. » — S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) Et il n'est pas Dieu dans le sens de Platon, qui l'appelle tantôt une certaine intelligence, tantôt l'âme du monde, toutes choses complètement étrangères à sa nature divine. Mais on nous fait cette objection : Le Père est appelé Dieu avec addition de l'article, et le Fils sans l'article. Que dit en effet l'apôtre saint Paul ? « Du grand Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ. » (Tite, 2, 13.) Et dans un autre endroit : « Qui est Dieu au-dessus de toutes choses? » (Rm 9, 5.) C'est-à-dire, que le Fils est appelé Dieu sans article. Nous répondons que la même observation peut s'appliquer au Père. En effet, saint Paul écrivant aux Philippiens, dit : « Qui ayant la forme et la nature de Dieu (έν μορφή Θεού, sans article), n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu. » (Ph 2, 6.) Et dans son Epître aux Romains : « Grâce et paix soient à vous de la part de Dieu (άπό Θεού, sans article), notre Père, et de Jésus-Christ Nôtre-Seigneur. » (Rm 1, 7.) D'ailleurs, il était parfaitement inutile de mettre ici l'article, alors qu'on l'avait employé mainte fois dans ce qui précède. Donc le Fils n'est pas Dieu dans un sens plus restreint, parce que le nom de Dieu qui lui est donné n'est pas précédé de l'article.
v. 2.
Il était au commencement avec Dieu.
S. HIL. (De la Trin., 2.) Ces paroles : « Et le Verbe était Dieu, » m'étonnent, et cette locution inusitée me jette dans le trouble, lorsque je me rappelle que les prophètes ont annoncé un seul Dieu. Mais notre pêcheur calme bientôt ce trouble en donnant la raison d'un si grand mystère ; il rapporte tout à un seul Dieu, et fait ainsi disparaître toute idée injurieuse à la divinité, toute pensée d'amoindrissement ou de succession de temps, en ajoutant : « Il était au commencement avec Dieu, » avec Dieu qui n'a pas été engendré, et dont il est proclamé seul le Fils unique, qui est Dieu. — THEOPHYL. Ou encore, c'est pour prévenir ce soupçon diabolique qui pouvait en troubler plusieurs, que le Seigneur étant Dieu, s'était déclaré contre son Père (comme l'ont imaginé les fables des païens), et séparé de son Père pour se mettre en opposition avec lui, que l'Evangéliste ajoute : « Il était au commencement avec Dieu, » c'est-à-dire, le Verbe de Dieu n'a jamais eu d'existence séparée de celle de Dieu.
S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) Ou bien encore ces paroles : « Au commencement était le Verbe, » tout en établissant l'éternité du Verbe, pouvaient laisser croire que la vie du Père avait précédé, ne fût-ce que d'un moment la vie du Fils ; saint Jean va au-devant de cette pensée, et se hâte de dire : « Il était dans le commencement avec Dieu, » il n'en a jamais été séparé, mais il était toujours Dieu avec Dieu. Ou encore, comme ces paroles : « Et le Verbe était Dieu, » pouvaient donner ù penser que la divinité du Fils était moindre que celle du Père, il apporte aussitôt un des attributs particuliers de la divinité, c'est-à-dire, l'éternité, en disant : « Il était au commencement avec Dieu ; et il fait ensuite connaître quelle a été son œuvre, en ajoutant : « Toutes choses ont été faites par lui. »
ORIG. Ou bien encore, l'Evangéliste résume les trois propositions qui précèdent dans cette seule proposition : « Il était au commencement avec Dieu. » La première de ces propositions nous a appris quand était le Verbe, il était au commencement ; la seconde, avec qui il était, avec Dieu ; la troisième, ce qu'il était, il était Dieu. Voulant donc démontrer que le Verbe dont il vient de parler est vraiment Dieu, et résumer dans une quatrième proposition les trois qui précèdent : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu, » il ajoute : « Il était au commencement avec Dieu. » Demandera-t-on pourquoi l'Evangéliste n'a pas dit : « au commencement était le Verbe de Dieu, et le Verbe de Dieu était avec Dieu, et le Verbe de Dieu était Dieu ? » Nous répondons que pour tout homme qui reconnaît que la vérité est une, il est évident que la manifestation de la vérité, manifestation qui est la sagesse, doit être également une. Or, s'il n'y a qu'une seule vérité et qu'une seule sagesse, la parole qui est l'expression de la vérité, et qui répand la sagesse dans ceux qui sont capables de la recevoir, doit aussi être une. En donnant cette réponse, nous sommes loin de dire que le Verbe n'est pas le Verbe de Dieu, mais nous voulons simplement montrer l'utilité de l'omission du mot Dieu. D'ailleurs, saint Jean lui-même dit dans l'Apocalypse : « Et son nom est le Verbe de Dieu. » — ALCUIN. Mais pourquoi s'est-il servi du verbe substantif, « il était ? » Pour vous faire comprendre que le Verbe de Dieu, coéternel à Dieu le Père, précède tous les temps.
v. 3.
Toutes choses ont été faites par lui.
ALCUIN. Après avoir exposé la nature du Fils, l'Evangéliste fait connaître ses œuvres : « Toutes choses ont été faites par lui, » c'est-à-dire, tout ce qui existe comme substance ou comme propriété. — S. HIL. (De la Trin., 2.) On pouvait dire encore : Le Verbe était au commencement, mais il a pu ne pas exister avant le commencement? Saint Jean répond : « Toutes choses ont été faites par lui. » Celui par qui a été fait tout ce qui est fait est un être infini, et comme toutes choses viennent de lui, il est aussi le principe du temps.
S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) Moïse commence l'histoire de l'Ancien Testament, par le récit détaillé de la création des choses extérieures : « Au commencement, dit-il, Dieu fit le ciel et la terre ; » paroles qu'il fait suivre de la création de la lumière, du firmament, des étoiles et des différentes espèces d'animaux. L'Evangéliste, an contraire, abrège et résume tout ce récit en un seul mot, comme étant connu de ses auditeurs ; il entreprend un sujet plus sublime, et consacre tout son Evangile, non aux œuvres de la création, mais à la gloire du Créateur. — S. AUG. (de la Gen., à la lett. 2.) Ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui, » nous prouvent suffisamment que la lumière elle-même a été faite par lui, lorsque Dieu dit : « Que la lumière soit, » de même que tous les autres ouvrages de la création. Mais s'il en est ainsi, puisque le Verbe de Dieu, qui est Dieu lui-même, est coéternel à Dieu le Père, cette parole que Dieu prononce : « Que la lumière soit, » est éternelle, bien que la créature n'ait été faite que dans le temps. Ces expressions que nous employons, quand, alors, désignent un temps déterminé, mais quand une chose doit être faite par Dieu, elle est éternelle dans le Verbe de Dieu, et elle est faite au moment où le Verbe a résolu de la faire, car dans ce Verbe, il n'y a aucune de ces successions de temps indiquées par ces expressions quand, alors, parce que le Verbe tout entier est éternel.
S. AUG. (Traité 1 sur S. Jean.) Comment donc pourrait-il se faire que le Verbe de Dieu ait été fait, alors que c'est par le Verbe que Dieu a fait toutes choses ? Et si ce Verbe a été fait, par quel autre Verbe a-t-il été fait ? Si vous dites qu'il est le Verbe du Verbe par lequel il a été fait, moi je l'appelle le Fils unique de Dieu. Mais si vous ne l'appelez pas le Verbe du Verbe, reconnaissez qu'il n'a pas été fait, puisque toutes choses ont été faites par lui. — S. AUG. (De la Trin., 6.) S'il n'a pas été fait, il n'est pas créature, il a la même nature que son Père, car toute substance qui n'est pas Dieu est créature, et la substance qui n'a pas été créée est nécessairement la nature divine.
THEOPHYL. Tel est le langage que tiennent les Ariens ; tout a été fait par le Fils, comme nous disons qu'une porte a été faite avec une scie qui a servi d'instrument à l'ouvrier, c'est-à-dire, qu'il n'a pas agi comme créateur, mais comme instrument. Et ils prétendent que le Fils a été fait pour servir d'instrument à la création des autres êtres. Nous répondons simplement aux auteurs de ce mensonge : Si, comme vous le dites, le Père avait créé le Fils, pour s'en servir comme d'un instrument, la nature du Fils serait beaucoup moins noble que celle des autres créatures qui ont été faites par lui. De même qu'une scie est d'un rang inférieur à celui des ouvrages qu'elle sert à faire, puisqu'elle n'existe que pour eux ; c'est par le même dessein, disent-ils, que Dieu a créé le Fils, comme si Dieu n’eût jamais produit son Fils, dans l'hypothèse où il n'aurait pas dû créer l'univers. Peut-on tenir un raisonnement plus insensé ? Mais, ajoutent-ils, pourquoi l'Evangéliste n'a-t-il pas dit que le Verbe a fait toutes choses, et s'est-il servi de la préposition par : « Toutes choses ont été faites par lui ? » C'est afin que vous ne croyez pas que le Fils n'a pas été engendré, qu'il est sans principe, et comme le créateur de Dieu. — S. CHRYS. (hom. 5 sur S. Jean.) Si du reste cette expression : « Par lui » vous déconcerte, et que vous vouliez trouver dans l'Ecriture un témoignage que le Verbe a tout fait lui-même, écoutez David : « Au commencement, Seigneur, vous avez créé la terre, et les cieux sont les œuvres de vos mains. » (Ps. 101) C’est du Fils que le Roi-prophète parle ainsi, comme vous l'apprend l'apôtre saint Paul, qui lui applique ces paroles dans son Epître aux Hébreux (He 1). Si vous prétendez que c'est du Père que le Roi-prophète a voulu parler, et que saint Paul applique ces paroles au Fils, notre raisonnement conserve toute sa force, car saint Paul ne les aurait jamais appliquées au Fils, s'il n'avait été profondément convaincu que le Père et le Fils ont la même puissance et la même divinité. Si la préposition par vous parait indiquer une infériorité quelconque, pourquoi saint Paul remploie-t-il à l'occasion du Père ? « Dieu, écrit-il aux Corinthiens, par lequel vous avez été appelés à la société de son Fils Jésus-Christ, Nôtre-Seigneur, est fidèle ; » (1 Co 1, 9) et encore : « Paul, Apôtre par la volonté de Dieu ? » — ORIG. Valentin est aussi tombé dans l'erreur, en disant que le Verbe avait été pour le Créateur la cause de la création du monde. Car si les choses étaient telles qu'il les affirme, l'Evangéliste aurait dû dire : que le Verbe a tout fait par le Créateur, et non que le Créateur a tout fait par le Verbe.
Et sans lui rien n'a été fait.
S. CHRYS. (hom. 5 sur S. Jean,) Ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui, » ne comprennent pas seulement les êtres dont Moïse nous rapporte la création ; aussi saint Jean ajoute-t-il expressément : « Et sans lui rien n'a été fait, » soit des choses visibles, soit des invisibles. Ou encore : c'est afin qu'on ne fût point tenté de restreindre aux miracles racontés par les autres évangélistes, ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui, » qu'il ajoute : « Et sans lui rien n'a été fait. » — S. HIL. (De la Trin., 2.) Ou encore : Ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui, » ont un sens indéterminé. Or, il y a un être qui n'a pas été engendré et qui n'a été fait par personne ; il y a un Fils qui a été engendré par celui qui n'a pas eu de naissance, et l'Evangéliste fait nécessairement supposer que le Père est l'auteur de toutes choses, en parlant de celui qui lui est si étroitement associé, et en disant : « Sans lui rien n'a été fait. » Car puisque rien n'a été fait sans lui, je conclus nécessairement qu'il n'est pas seul, mais qu'il y eu a un par qui tout a été fait, et un autre sans lequel rien n'a été fait. — ORIG. (homélie 2 sur divers sujets.) Ou encore : L'Evangéliste veut aller au-devant de cette pensée qu'il y a des choses qui sont faites par le Verbe, et d'autres qui existent par elles-mêmes indépendamment du Verbe, et c'est pour cela qu'il ajoute : « Et sans lui rien n'a été fait, » c'est-à-dire, rien n'a été fait en dehors de lui, car il embrasse, contient et conserve toutes choses. — S. AUG. (Quest. sur l'Anc. et le Nouv. Test., 97.) Ou bien encore : Ces paroles : « Sans lui rien n'a été fait, » éloignent de nous jusqu'à l'idée que le Verbe soit une simple créature. Comment soutenir, en effet, qu'il est une créature, lorsque l'Evangéliste affirme que Dieu n'a rien fait sans lui ?
ORIG. (Traité sur S. Jean.) Ou bien encore, si toutes choses ont été faites par le Verbe, et qu'au nombre de ces choses se trouve le mal et tout le malheureux courant du péché, le Verbe serait donc l'auteur du mal et du péché, ce qu'il est impossible d'admettre. Le néant et le non être sont deux termes qui ont la même signification. L'Apôtre lui-même semble appeler le mal le non être, lorsqu'il dit : « Dieu appelle les choses qui sont comme celles qui ne sont pas ; » (Rm 4) ainsi sous le nom de rien, il faut comprendre le mal qui a été fait sans le Verbe. — S. AUG. (Traité 1 sur S. Jean.) En effet, le péché n'a point été fait par le Verbe, et il est évident que le péché c'est le rien, ou le non être, et que les hommes tombent dans le rien, lorsqu'ils commettent le péché. L'idole, non plus, n'a pas été faite par le Verbe ; elle a bien une forme humaine, et c'est par le Verbe que l'homme a été fait. Mais la forme humaine n'a pas été donnée à l'idole par le Verbe, car il est écrit : « Nous savons qu'une idole n'est rien. » (1 Co 8) Donc aucune de ces choses n'a été faite par le Verbe, mais il est l'auteur de tout ce qui existe dans la nature, et de tout l'ensemble des créatures depuis l'ange jusqu'au vermisseau.
ORIG. (Traité 2 sur S. Jean.) Valentin retranche du nombre des choses qui ont été faites par le Verbe, celles qui ont été faites dans les siècles, et dont il fait remonter l'existence avant le Verbe ; opinion contraire à toute évidence ; car les choses qu'il regarde comme divines ne sont point comprises dans toutes ces choses qui ont été faites par le Verbe, et celles qui, de son avis, sont sujettes à la destruction, en font évidemment partie. Quelques-uns prétendent, mais à tort, que le démon n'est pas une créature de Dieu ; ce n'est qu'en tant qu'il est démon, qu'il n'est pas créature de Dieu, mais celui qui a eu le malheur de devenir un démon, est vraiment l'œuvre de Dieu ; ainsi, disons-nous qu'un homicide n'est point l'œuvre et la créature de Dieu, bien cependant que comme homme il soit véritablement son œuvre.
S. AUG. (de la nature du bien, 25.) Il ne faut point s'arrêter à l'opinion absurde de ceux qui prétendent qu'il faut entendre ici le rien d'un certain ordre d'êtres, parce que ce mot rien se trouve placé à la fin de la phrase ; ils ne comprennent pas qu'il n'y a aucune différence entre ces deux manières de s'exprimer : « Sans lui, rien n'a été fait, » ou : « Sans lui n'a été fait rien. »
ORIG. (Traité 2 sur S. Jean.) Si l'on prend le verbe dans le sens qu'il se trouve en chacun de nous, et qu'il nous a été donné par le Verbe qui était au commencement, ou peut dire que nous ne faisons rien sans ce verbe, en prenant le mot rien dans son sens le plus simple. L'Apôtre dit : « Que sans la loi, le péché était mort, mais que le commandement étant survenu, le péché est ressuscité ; » (Rm 7, 8-9) car le péché n'est pas imputé, lorsque la loi n'est pas encore. Le péché n'existait pas non plus, avant que le Verbe descendît sur la terre, au témoignage de Nôtre-Seigneur lui-même : « Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient pas de péché. (Jn 15) En effet, il ne reste aucune excuse à celui qui veut se justifier de ses fautes, alors qu'il a refusé d'obéir au Verbe qui était présent, et qui lui indiquait ce qu'il devait faire. Nous ne devons cependant ni inculper ni accuser le Verbe, pas plus qu'on ne peut accuser un maître dont les leçons ont ôté à son élève tout moyen de rejeter ses fautes sur son ignorance. Donc toutes choses ont été faites par le Verbe, non-seulement les choses de la nature, mais tous les êtres privés de raison.
v. 4.
Ce qui a été fait était vie en lui.
BEDE. L'Evangéliste vient de dire que toute créature a été faite par le Verbe ; mais afin qu'on ne pût supposer dans le Verbe une volonté changeante (comme si par exemple il avait voulu faire une créature à laquelle il n'aurait jamais songé de toute éternité), il prend soin de nous enseigner que la création a eu lieu, il est vrai, dans le temps, mais que le moment et l'objet de la création ont toujours existé dans la pensée de l'éternelle sagesse, vérité qu'expriment ces paroles : « Ce qui a été fait était vie en lui. »
S. AUG. (Traité 1 sur S. Jean) On peut ainsi ponctuer ce texte : « Ce qui a été fait en lui, était vie, » et si nous adoptons cette ponctuation, il faut dire : Tout était vie, car qu'y a-t-il qui ne soit fait par lui ? Il est la sagesse de Dieu, et nous lisons dans le Psaume 103 : «Vous avez tout fait dans la sagesse. » Toutes choses ont donc été faites en lui comme elles ont été faites par lui. Mais si tout ce qui a été fait en lui est vie, donc la terre est vie, donc la pierre est vie aussi. Gardons-nous de cette interprétation inconvenante qui nous serait commune avec les manichéens, et nous ferait tenir avec eux ce langage absurde, qu'une pierre, qu'une muraille ont en elles la vie. Essaie-t-on de les reprendre et de les réfuter ? ils cherchent à s'appuyer sur les Ecritures et nous disent : Pourquoi est-il écrit : « Ce qui a été fait en lui, était vie ? » Il faut donc préférer cette ponctuation : « Ce qui a été fait, était vie en lui. » Quel est le sens de ces paroles ? La terre a été faite, mais la terre qui a été faite n'est point la vie ; ce qui est vie, c'est cette raison, cette pensée éternelle qui existent dans la sagesse de bien, et en vertu de laquelle la terre a été faite. Ainsi la vie n'est point dans un meuble quelconque, lorsqu'il est exécuté ; ce meuble, ce bâtiment, si l'on veut, est vie dans son plan, parce qu'il est vivant dans la pensée, dans le dessein de l'ouvrier ou de l'architecte ; de même comme la sagesse de Dieu, par laquelle toutes choses ont été faites, contient dans ses plans éternels tout ce qui se fait d'après ces plans, bien que ces choses ne soient point en elles-mêmes la vie, elles sont vivantes dans celui qui les a faites.
ORIG. (hom. sur div. suj.) On peut donc sans craindre d'erreur séparer ainsi les deux membres de cette phrase : « Ce qui a été fait en lui, était vie, » et voici quel serait le sens : Toutes les choses qui ont été faites par lui et en lui sont vivantes et une même chose en lui. Car elles étaient, c'est-à-dire elles existaient en lui, comme dans leur cause, avant d'exister effectivement en elles-mêmes. Demandera-t-on comment toutes les choses qui ont été faites par le Verbe sont vivantes eu lui, et subsistent en lui d'une manière uniforme comme dans leur cause ? La nature des êtres créés vous en offre des exemples. Voyez comment toutes les choses que renferme la sphère de ce monde visible subsistent comme dans leur cause et d'une manière uniforme dans le soleil, qui est le plus grand des astres ; comment le nombre infini des végétaux et des fruits est contenu dans chacune des semences ; comment les règles multipliées viennent se réduire à l'unité dans l'art de l'ouvrier, et sont comme vivantes dans l'esprit qui les met en ordre ; comment enfin le nombre infini des lignes subsiste comme une seule unité dans un seul point. De ces différents exemples puisés dans la nature, vous pourriez vous élever comme sur les ailes de la contemplation du monde physique jusqu'aux oracles du Verbe, pour les considérer avec toute la pénétration de l'esprit, et pour voir autant que cela est donné à des intelligences créées, comment toutes les choses qui ont été faites par le Verbe sont vivantes et ont été faites en lui.
S. HIL. (de la Trin., 2.) On peut encore lire et entendre ces paroles d'une autre manière. En entendant l'Evangéliste dire : « Sans lui rien n'a été fait, » quelque esprit troublé pourrait dire : II y a donc quelque chose qui a été fait par un autre, et qui cependant n'a pas été fait sans lui, et si quelque chose a été fait par un autre, bien que non sans lui, toutes choses n'ont pas été faites par lui ; car il y a une grande différence entre faire soi-même, et s'associer à l'opération d'un autre. L'Evangéliste expose donc que rien n'a été fait sans lui en disant : « Ce qui a été fait en lui, » donc ce qui a été fait en lui n'a pas été fait sans lui. Car ce qui a été fait en lui, a été fait aussi par lui, au témoignage de l'Apôtre : « Toutes choses ont été créées par lui et en lui. (Col 1, 16.) C'est pour lui aussi que toutes choses ont été créées, parce que le Dieu créateur s'est soumis à une naissance temporelle ; mais ici rien n'a été fait sans lui de ce qui a été fait en lui, parce que le Dieu qui voulait naître parmi nous était la vie ; et celui qui était la vie, n'a pas attendu sa naissance pour devenir la vie. Rien donc de ce qui se faisait en lui, ne se faisait sans lui, parce qu'il est la vie qui produisait ces choses, et le Dieu qui a consenti à naître parmi nous, n'a pas attendu sa naissance pour exister, mais il existait aussi en naissant.
S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) Ou encore dans un autre sens, ne plaçons pas après ces paroles : « Sans lui rien n'a été fait, » le point qui termine la phrase, comme font les hérétiques qui prétendent que l'Esprit saint a été créé, et qui lui appliquent celles qui suivent : « Ce qui a été fait en lui, était la vie. » En effet, cette explication est inadmissible. D'abord ce n'était pas le moment de parler de l'Esprit saint ; mais supposons qu'il soit question de l'Esprit saint, et admettons leur manière de lire le texte, leur explication n'en sera ni moins absurde ni moins inconvenante. Ils prétendent donc que ces paroles : « Ce qui a été fait en lui était la vie, » s'appliquent à l'Esprit saint qui est la vie. Mais cette vie est en même temps la lumière, car nous lisons à la suite : « Et la vie était la lumière des hommes. » Donc d'après ces hérétiques, c'est l'Esprit saint qui est appelé ici la lumière de tous. Mais ce que l'Evangéliste appelait plus haut le Verbe, c'est ce qu'il appelle ici Dieu, la vie et la lumière. Or, comme le Verbe s'est fait chair, ce sera donc l'Esprit saint qui se sera incarné et non le Fils. Il faut donc renoncer à cette manière de lire le texte, et adopter une lecture et une explication plus raisonnables. Or, voici comme on doit lire : « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n'a été fait de ce qui a été fait, » et arrêter là le sens de la phrase, puis recommencer ensuite : « En lui était la vie, comme s'il disait : « Sans lui rien n'a été fait de ce qui a été fait, » c'est-à-dire de tout ce qui devait être fait. Vous voyez comment en ajoutant deux mots au premier membre de phrase, on fait disparaître toute difficulté. En effet, en disant : « Sans lui rien n'a été fait, » et en ajoutant : « De ce qui a été fait, » l'Evangéliste embrasse toutes les créatures visibles et invisibles, et exclut évidemment l'Esprit saint, car l'Esprit saint ne peut être compris parmi les créatures qui pouvaient être faites et appelées à la vie. Ces paroles de saint Jean ont donc pour objet la création de l'univers ; il en vient ensuite à l'idée de la Providence dont il parle en ces termes : « En lui était la vie. » De même que vous ne pouvez épuiser ni diminuer une de ces sources profondes qui donnent naissance aux grands fleuves et alimentent les mers, ainsi vous ne pouvez supposer la moindre altération dans le Fils unique, quelles que soient les œuvres que vous croyiez qu'il ait faites. Ces paroles : « En lui était la vie, » ne se rapportent pas seulement à la création, mais à la Providence qui conserve l'existence aux choses qui ont été créées. Gardez-vous toutefois de supposer rien de composé ou de créé dans le Fils, en entendant l'Evangéliste tous dire : « En lui était la vie, » car a comme le Père a en soi la vie, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en soi. » (Jn 5) Ne supposez donc rien de créé dans le Fils, pas plus que vous ne le supposez dans le Père.
ORIG. (Traité 3 sur S. Jean.) On peut donner encore cette autre explication : Il faut se rappeler que dans le Sauveur certains attributs ne sont point pour lui, mais pour les autres, et certains autres sont tout à la fois pour lui et pour les autres. Gomment donc doit-on ici entendre ces paroles : « Ce qui a été fait dans le Verbe, était vie en lui ? » Signifient-elles qu'il était la vie pour lui et pour les autres, ou qu'il ne l'était que pour les autres ? et s'il ne l'était que pour les autres, quels sont ces antres ? Le Verbe est à la fois vie et lumière. Or, il est la lumière des hommes, il est donc aussi la vie de ceux dont il est la lumière, et ainsi lorsque l'Evangéliste dit qu'il est la vie, ce n'est point pour lui, mais pour ceux dont il est la lumière. Cette vie est inséparable du Verbe de Dieu, et elle existe par lui, aussitôt qu'elle a été faite, il faut, en effet, que la raison ou le Verbe soit comme préexistant dans l'âme pour la purifier, et lui donner une pureté exempte de tout péché, afin que la vie puisse s'introduire et se répandre dans celui qui s'est rendu capable de recevoir le Verbe de Dieu. Aussi l'Evangéliste ne dit pas que le Verbe a été fait au commencement ; car on ne peut supposer de commencement où le Verbe de Dieu n'existât point, mais la vie des hommes n'était pas toujours dans le Verbe ; cette vie des hommes a été faite, parce que cette vie était la lumière des hommes. En effet, avant que l'homme existât, il n'était pas la lumière des hommes, cette lumière ne pouvant se comprendre que dans ses rapports avec les hommes. C'est pourquoi saint Jean dit : « Ce qui a été fait était vie dans le Verbe, » et non pas : Ce qui était dans le Verbe était vie. D'après une autre variante qui n'est pas dénuée de fondement, on lit : « Ce qui a été fait en lui, était vie. » Or, si nous comprenons que la vie des hommes qui est dans le Verbe, est celle dont il a dit : « Je suis la vie, » (Jn 11, 14) nous en conclurons qu'aucun de ceux qui refusent de croire à Jésus-Christ n'a la vie en lui, et que tous ceux qui ne vivent pas en Dieu sont morts.
Et la vie était la lumière des hommes.
THÉOPHYL. L'Evangéliste vient de dire : « En lui était la vie, » pour éloigner de vous cette pensée, que le Verbe n'avait point la vie. Il vous enseigne maintenant qu'il est la vie spirituelle et la lumière de tous les êtres raisonnables : « Et la vie était la lumière des hommes ; » comme s'il disait : Cette lumière n'est point sensible, c'est une lumière toute spirituelle qui éclaire l'âme elle-même. — S. AUG. (Traité 1 sur S. Jean.) C'est cette vie qui éclaire tous les hommes ; les animaux sont privés de cette lumière, parce qu'ils n'ont point d'âmes raisonnables, capables de voir la sagesse. L'homme, au contraire, qui a été fait à l'image de Dieu, est doué d'une âme raisonnable qui lui permet de comprendre la-sagesse. Ainsi cette vie qui a donné l'existence à toutes choses, est en même temps la lumière, qui éclaire non pas indistinctement tous les animaux, mais les hommes raisonnables.
THEOPHYL. Il ne dit pas que cette lumière éclaire seulement les Juifs, c'est la lumière de tous les hommes. Tous les hommes, en effet, par là même qu'ils reçoivent l'intelligence et la raison du Verbe qui les a créés, sont éclairés de cette divine lumière ; car la raison qui nous a été donnée, et qui fait de nous des êtres raisonnables, est la lumière qui nous éclaire sur ce que nous devons faire et sur ce que nous devons éviter.
ORIG. N'oublions pas de remarquer que le Verbe est la vie avant d'être la lumière des hommes ; il eût été peu logique de dire qu'il éclairait ceux qui n'avaient point la vie, et de faire précéder la vie par la lumière. Mais si ces paroles : « La vie était la lumière des hommes, » doivent s'entendre exclusivement des hommes, il en faudra conclure que Jésus-Christ n'est la lumière et la vie que des hommes seuls, ce qui est contraire à la foi. Lors donc qu'une chose est affirmée de quelques-uns, ce n'est pas à l'exclusion des autres. Ainsi, il est écrit de Dieu, qu'il est le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ; évidemment, il n'est pas exclusivement le Dieu de ces patriarches. De ce qu'il est la lumière des hommes, il ne s'ensuit donc point qu'il ne soit pas également la lumière pour d'autres. Il en est qui s'appuient sur ces paroles : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, » pour soutenir qu'il faut ici comprendre sous le nom d'hommes tous les êtres qui ont été faits à l'image et à la ressemblance de Dieu ; et ainsi la lumière des hommes, c'est la lumière qui éclaire toute créature raisonnable.
v. 5.
Et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas comprise.
S. AUG. (Traité 1 sur S. Jean.) Cette vie était donc la lumière des hommes, mais les cœurs des insensés ne peuvent comprendre cette lumière, appesantis qu'ils sont par leurs péchés qui leur dérobent la vue de cette divine lumière. Toutefois, qu'ils ne croient pas que cette lumière est loin d'eux, parce qu'ils ne peuvent la voir : « Et la lumière luit dans les ténèbres, dit l'Evangéliste, et les ténèbres ne l'ont pas comprise. » Placez un aveugle devant le soleil, le soleil lui est présent, mais il est comme absent pour le soleil. Or, tout insensé est un aveugle ; la sagesse est devant lui, mais comme elle est devant un aveugle, elle ne peut éclairer ses yeux, non parce qu'elle est loin de lui, mais parce qu'il est loin d'elle.
ORIG. (Traité 3 sur S. Jean.) Si la vie est la même chose que la lumière des hommes, aucun de ceux qui sont dans les ténèbres ne vit véritablement, comme aucun de ceux qui sont vivants n'est dans les ténèbres, car tout homme qui a la vie est dans la lumière, comme réciproquement tout homme qui est dans la lumière a la vie en lui. Or, d'après ce que nous avons dit des contraires, nous pouvons comprendre et apprécier ici les contraires dont l'Evangéliste ne parle pas. Le contraire de la vie c'est la mort, et le contraire de la lumière des hommes, ce sont les ténèbres qui couvrent leur intelligence. Donc celui qui est dans les ténèbres est aussi dans la mort, et celui qui fait des œuvres de mort ne peut être que dans les ténèbres ; celui au contraire qui fait des œuvres de lumière, ou celui dont les œuvres brillent devant les hommes, et qui a toujours présent le souvenir de Dieu, n'est point dans la mort, d'après cette parole du Psaume sixième : « Celui qui se souvient de vous n'est point redevable à la mort. » Que les ténèbres des hommes et de la mort soient telles de leur nature ou pour d'autres causes, c'est une autre question. Or, nous étions autrefois ténèbres, mais nous sommes devenus lumière en Notre-Seigneur (Ep 5), si nous sommes tant soit peu initiés à la sainteté et à la vie spirituelle. Tout homme qui a été autrefois ténèbres, l'a été comme l'apôtre saint Paul, tout en demeurant capable de devenir lumière dans le Seigneur. — (Hom. 2 sur div. suj.) Ou bien encore, dans un autre sens, la lumière des hommes, c'est Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, qui s'est manifesté lui-même dans la nature humaine à toute créature raisonnable et intelligente, et a révélé aux cœurs des fidèles les mystères de sa divinité qui le rend égal au Père ; ce que saint Paul exprime en ces termes : « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur. » Dites donc : « La lumière luit dans les ténèbres, » parce que le genre humain tout entier était plonge, non par nature, mais par suite du péché originel dans les ténèbres de l'ignorance qui lui dérobaient la connaissance de la vérité ; or Jésus-Christ, après être né d'une Vierge, a brillé comme une vive lumière dans le cœur de tous ceux qui veulent le connaître. Il en est toutefois qui persistent à demeurer dans les ténèbres épaisses de l'impiété et de l'incrédulité, voilà pourquoi l'Evangéliste ajoute : « Et les ténèbres ne l'ont point comprise, » c'est-à-dire, la lumière luit dans les ténèbres des urnes fidèles, ténèbres qu'elle dissipe en faisant naître la foi et en conduisant à l'espérance. Mais l'ignorance et la perfidie des cœurs privés de la véritable sagesse n'ont pu comprendre la lumière du Verbe de Dieu qui brillait dans une chair mortelle. Telle est l'explication morale de ces paroles ; en voici le sens littéral : La nature humaine, en la supposant même exempte de péché, ne pourrait pas luire par ses propres forces, car de sa nature elle n'est pas lumière, mais capable seulement de participer à la lumière ; elle peut recevoir la sagesse, mais elle n'est pas la sagesse elle-même. L'air qui nous environne ne luit point par lui-même et ne mérite que le nom de ténèbres. Ainsi notre nature, considérée en elle-même, est une certaine substance ténébreuse, capable d'être éclairée par la lumière de la sagesse. Lorsque l'atmosphère est pénétrée par les rayons du soleil, on ne peut pas dire qu'elle luit par elle-même, mais qu'elle est éclairée par la lumière du soleil ; ainsi, lorsque la partie intelligente de notre nature jouit de la présence du Verbe, ce n'est point par elle-même qu'elle arrive à la connaissance de son Dieu et des autres choses intelligibles, mais par la lumière divine, qui l'éclairé de ses rayons. La lumière luit donc dans les ténèbres, parce que le Verbe de Dieu, qui est la vie et la lumière des hommes, ne cesse de répandre cette lumière dans notre nature qui, considérée en elle-même, n'est qu'une substance ténébreuse et informe, et comme la lumière par elle-même est incompréhensible à toute créature, c'est avec raison que l'Evangéliste ajoute : « Et les ténèbres ne l'ont point comprise. »
S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) On peut encore expliquer ces paroles dans un autre sens : L'Evangéliste a voulu d'abord nous parler de la création, et il nous apprend ensuite les biens spirituels dont le Verbe nous a comblés en venant parmi nous, en disant : « Et la vie était la lumière des hommes. » Il ne dit pas : Il était la lumière des Juifs, mais il était la lumière de tous les hommes sans exception ; car ce sont pas seulement les Juifs, mais les Gentils, qui sont parvenus à la connaissance du Verbe. S'il n'ajoute pas qu'il était la lumière des anges, c'est qu'il parle seulement ici de la nature humaine à laquelle le Verbe de Dieu est venu annoncer de si grands biens.
ORIG. (Traité 1 sur S. Jean.) On nous demande pourquoi ce n'est point le Verbe qui est appelé la lumière des hommes, mais la vie qui est dans le Verbe ? Nous répondons que la vie dont il est ici question n'est pas la vie qui est commune aux créatures raisonnables, mais celle qui est unie au Verbe et qui nous est donnée par la participation à ce Verbe primitif et essentiel, pour nous faire discerner la vie apparente et sans réalité et désirer la véritable vie. Nous participons donc premièrement à la vie qui, pour quelques-uns, n'est point encore la possession actuelle de la lumière, mais la faculté de la recevoir, parce qu'ils n'ont point un désir assez vif de ce qui peut leur donner la science. Pour d'autres, au contraire, cette vie est la participation actuelle à la lumière, ce sont ceux qui, suivant le conseil de l'Apôtre, recherchent les dons les plus parfaits (1 Co 12), c'est le Verbe de la sagesse qui est suivi de près par les enseignements de la science.
S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) Ou bien encore, la vie dont parle ici l'Evangéliste, n'est pas seulement celle que nous avons reçue par la création, mais la vie éternelle et immortelle qui nous est préparée par la providence de Dieu. Lorsque nous entrons en possession de cette vie, l'empire de la mort est à jamais détruit, et dès que cette lumière brille à nos yeux, les ténèbres disparaissent sans retour ; ni la mort ne peut triompher de cette vie qui est éternelle, ni les ténèbres obscurcir celte lumière qui ne s'éteindra jamais. « Et la lumière luit dans les ténèbres. » Ces ténèbres, c'est la mort et l'erreur, car la lumière sensible ne luit pas dans les ténèbres, mais elles disparaissent à son approche, tandis que la prédication de Jésus-Christ a brillé au milieu de l'erreur qui étendait son règne sur toute la terre et l'a chassée devant elle ; et Jésus-Christ, par sa mort, a changé la mort en vie et a remporté sur elle un triomphe si complet, qu'il a délivré ceux qu'elle retenait captifs. C'est donc parce que cette prédication n'a pu être vaincue ni par la mort, ni par l'erreur, et qu'elle brille de toute part du plus vif éclat et par sa propre force, que l'Evangéliste ajoute : « Et les ténèbres ne l'ont point comprise. »
ORIG. (Traité 4 sur S. Jean.) Il faut savoir que le mot ténèbres, comme le nom d'hommes, signifie deux choses spirituelles. Nous disons d'un homme qui est en possession de la lumière, qu'il fait les œuvres de la lumière, et qu'il puise la connaissance au sein même de la lumière de la science. Tout au contraire, nous appelons ténèbres les actes coupables et la fausse science qui n'a que l'apparence de la science. Mais de même que le Père est lumière et qu'il n'y a point en lui de ténèbres (1 Jn 1, 5), ainsi en est-il du Sauveur. Toutefois, comme il a revêtu la ressemblance de la chair du péché (Rm 8), on peut dire sans inconvenance, qu'il y a en lui quelques ténèbres, puisqu'il a pris sur lui nos ténèbres pour les dissiper. Cette lumière, qui est devenue la vie des hommes, brille au milieu des ténèbres de nos âmes, et répand ses clartés là où le prince de ces ténèbres est en guerre avec le genre humain. (Ep 6) Les ténèbres ont persécuté cette lumière, comme le prouve ce que le Sauveur et ses disciples ont eu à souffrir dans ce combat des ténèbres contre les enfants de lumière. Mais grâce à la protection divine, ces ténèbres restent sans force, et ne peuvent s'emparer de la lumière, ou parce que la lenteur naturelle de leur marche ne leur permet pas de suivre la course rapide de la lumière, ou parce qu'elles sont mises en fuite à son approche si elles attendent son arrivée. Remarquons que les ténèbres ne sont pas toujours prises en mauvaise part, et qu'elles sont quelquefois le symbole d'une bonne chose, par exemple, dans ce passage du Psalmiste : « Il a choisi sa retraite dans les ténèbres, » c'est-à-dire, que tout ce qui a rapport à Dieu, est comme caché et incompréhensible pour l'intelligence humaine. Les ténèbres, entendues dans ce sens, conduisent à la lumière et finissent par la saisir, car ce que l'ignorance couvrait comme d'un nuage devient une lumière éclatante pour celui qui a cherché à la connaître. — S. AUG. (De la cité de Dieu, 10, 3.) Un platonicien a dit que le commencement de ce saint Evangile devrait être écrit en lettres d'or et placé dans l'endroit le plus éminent de toutes les Eglises. — BEDE. En effet, les autres Evangélistes racontent la naissance temporelle du Christ ; saint Jean nous affirme qu'il était au commencement. Les autres le font descendre aussitôt du haut du ciel parmi les hommes ; saint Jean déclare qu'il a toujours été avec Dieu : « Et le Verbe était avec Dieu. » Les trois premiers évangélistes décrivent sa vie mortelle au milieu des hommes ; saint Jean nous le présente comme Dieu étant avec Dieu au commencement : « Il était au commencement avec Dieu. » Les trois autres racontent les grandes choses qu'il a faites comme homme ; saint Jean nous enseigne que Dieu le Père a fait toutes choses par lui : « Toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été fait sans lui. »
S. AUG. (Traité 2 sur S. Jean.) Tout ce qui précède avait pour objet la divinité de Jésus-Christ, qui, en venant à nous, s'est revêtu d'une forme humaine. Mais comme dans le Verbe fait chair, l'humanité cachait un Dieu ; un homme extraordinaire fut envoyé devant lui, pour découvrir en lui, par son témoignage, un caractère supérieur à l'homme. Et quel a été cet envoyé ? « Il y eut un homme. » — THEOPHYL. Ce ne fut pas un ange, pour détruire les idées qu'un grand nombre s'était faites de la nature de Jean-Baptiste. — S. AUG. Et comment pourra-t-il nous dire la vérité en parlant de Dieu ? « II fut envoyé de Dieu. » — S. CHRYS. (hom. 6 sur S. Jean.) Gardez-vous de croire que cet envoyé de Dieu tienne un langage purement humain, ce n'est point de lui-même qu'il vient parler, toutes ses paroles lui sont dictées par celui qui l'a envoyé ; c'est pour cela qu'un prophète lui donne le nom d'ange en parlant de lui : « Voici que j'envoie mon ange, » car un ange (ou envoyé), ne dit rien de lui-même, et ne fait que transmettre les ordres de celui qui l'envoie. Ces paroles : « Il fut envoyé, » ne signifie pas un acte qui tend à donner l'être, mais qui destine à l'accomplissement d'un ministère. De même qu'Isaïe ne fut pas appelé d'autre part que du monde où il était, et qu'il fut envoyé au peuple du moment qu'il eut vu le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé ; ainsi Jean fut envoyé du désert pour baptiser, comme il l'atteste lui-même : « Celui qui m'a envoyé baptiser, m'a dit : Celui sur lequel vous verrez, » etc.
S. AUG. Comment s'appelait-il ? « Son nom était Jean. » — ALCUIN. c'est-à-dire, grâce de Dieu ou celui en qui était la grâce de Dieu, c'est-à-dire, celui qui, le premier, a fait connaître Jésus-Christ au monde par son témoignage. Ou bien encore, le nom de Jean signifie il a été donné, parce qu'il lui a été donné par la grâce de Dieu, non-seulement d'être le précurseur du Roi des rois, mais de le baptiser.
S. AUG. Pourquoi fût-il envoyé ? « Il vint comme témoin pour rendre témoignage à la lumière. »
ORIG. (Traité 5 sur S. Jean.) Il en est qui cherchent à jeter le blâme sur les témoignages que les prophètes ont rendus à Jésus-Christ, et qui prétendent que le Fils de Dieu n'a pas besoin de témoins, et qu'il présente des motifs suffisants de crédulité, soit dans ses enseignements salutaires, soit dans ses miracles tout divins. Moïse lui-même, disent-ils, ne mérita créance que par ses paroles et ses miracles, sans avoir besoin d'être précédé par des témoins. Nous répondons qu'il est un grand nombre de motifs qui peuvent déterminer la foi, mais que tel motif, malgré sa force apparente, ne produira sur quelques-uns aucune impression, tandis que tel autre sera tout-puissant pour les amener à la foi. Or, Dieu a des moyens à l'infini pour amener les hommes à croire qu'un Dieu a daigné se faire homme pour sauver les hommes. Aussi est-ce un fait certain que les oracles des prophètes en ont forcé un grand nombre à croire à la divinité de Jésus-Christ, étonnés qu'ils étaient de voir que tant de prophètes l'avaient annoncé avant son avènement, et prédit d'une manière précise le lieu de sa naissance, et d'autres circonstances semblables. Il faut encore remarquer que les miracles opérés par Jésus-Christ, avaient plus de force pour amener à la foi ceux qui en étaient témoins ou ses contemporains, mais que plusieurs siècles après ils pouvaient n'avoir plus la même puissance, et passer même aux yeux de quelques-uns pour des fables. Donc, lorsqu'un long espace de temps nous sépare de ces miracles, le motif le plus fort de crédibilité, ce sont les prophéties jointes aux miracles. Disons encore, que par ce témoignage rendu à Dieu, plusieurs se sont couverts de gloire. C'est donc vouloir enlever au chœur des prophètes la grâce signalée qui lui a été faite, que de contester l'utilité des témoignages qu'ils ont rendus à Jésus-christ. Jean est venu se joindre à ces prophètes, en rendant lui-même témoignage à la lumière. — S. CHRYS. (hom. 5 sur S. Jean.) Ce n'est pas sans doute que la lumière eût besoin de témoignage, mais l'Evangéliste nous apprend le vrai motif de la mission de Jean, dans les paroles suivantes : « Afin que tous crussent par lui. » Le Fils de Dieu a pris une chair mortelle pour sauver tous les hommes d'une perte inévitable, et c'est par suite du même dessein qu'il envoie devant lui un homme pour précurseur, afin que cette voix d'un de leurs semblables les déterminât plus facilement à venir à lui. — BEDE. L'Evangéliste ne dit pas : Afin que tous crussent en lui, (car maudit est l'homme qui met sa confiance dans l'homme), (Jr 7, 5) mais : « Afin que tous crussent par lui, » c'est-à-dire, que tous par son témoignage crussent à cette lumière. — THEOPHYL. Que quelques-uns aient refusé de croire, Jean n'en est pas responsable. Si un homme s'enferme dans une maison obscure, et se prive ainsi de voir les rayons du soleil, la faute n'en est pas au soleil mais bien à lui-même ; ainsi Jean a été envoyé, afin que tous crussent par lui ; si ce but n'a pas été entièrement atteint, le saint précurseur n'en est pas la cause.
S. CHRYS. (hom. 6 sur S. Jean.) D'après l'opinion commune, celui qui rend témoignage nous paraît ordinairement supérieur à celui qui est l'objet de son témoignage, et plus digne de foi ; aussi l'Evangéliste se hâte de détruire ici ce préjugé en ajoutant : « Il n'était pas la lumière, mais il était venu pour rendre témoignage à la lumière. » Si telle n'a pas été son intention en répétant ces paroles : « Pour rendre témoignage à la lumière, » ce membre de phrase est complètement superflu. Ce n'est pas un développement de la doctrine, c'est une répétition de mots inutiles.
THEOPHYL. Mais la conclusion de ces paroles n'est-elle pas que ni Jean-Baptiste, ni aucun autre saint n'ont été ou ne sont la lumière ? Si nous voulons donner à un saint le nom de lumière, il faut employer le mot lumière sans article ; si l'on vous demande, par exemple : Jean est-il la lumière ? répondez qu'il est lumière, sans mettre l'article, mais non pas la lumière avec l'article ; car il n'est pas la lumière par excellence, et il n'est lumière, que parce qu'il est entré en participation de la vraie lumière.
v. 9.
S. AUG. (Traité 2 sur S. Jean.) Nous voyons ici quelle est cette lumière à laquelle Jean-Baptiste rend témoignage : « Celui-là était la vraie lumière. » — S. CHRYS. (hom. 6 sur S. Jean.) Ou bien encore, l'Evangéliste venait de dire que Jean-Baptiste avait été envoyé et était venu pour rendre témoignage à la lumière. Or, ce témoignage d'un homme envoyé tout récemment pouvait faire croire à l'origine récente aussi de celui à qui il rendait témoignage ; il élève donc aussitôt nos pensées vers cette existence antérieure à tout commencement, et qui ne doit jamais avoir de fin : « Celui-là était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde.» — S. AUG. (Traité 2 sur S. Jean.) Pourquoi saint Jean ajoute-t-il le mot vraie ? C'est qu'on donne aussi à l'homme qui est éclairé le nom de lumière, mais la vraie lumière est celle qui éclaire elle-même. Nos yeux aussi sont appelés des lumières, et cependant c'est en vain que ces lumières sont ouvertes, si pour les éclairer, on n'allume une lampe pendant la nuit, où si dans le jour le soleil ne répand sur eux ses clartés. Aussi l'Evangéliste ajoute : « Qui éclaire tout homme. » Si elle éclaire tout homme, elle éclaire donc Jean lui-même. Elle éclairait donc celui qu'elle avait choisi pour lui rendre témoignage. Il arrive souvent que le soleil nous fait connaître son lever par la lumière qu'il fait rayonner sur les corps, et cependant nous ne pouvons le voir de nos yeux. Ainsi ceux qui ont les yeux trop malades ou trop faibles pour voir le soleil, peuvent cependant les arrêter sur un mur qui réfléchit sa lumière, sur une montagne, sur un arbre ou sur tout autre objet semblable. Il en était de même de ceux au milieu desquels Jésus-Christ était venu, et qui étaient encore beaucoup moins capables de le voir. Il a donc éclairé Jean de ses rayons, et Jean, qui confessait hautement la source d'où lui venait cette lumière, fit connaître ainsi celui qui l'éclairait. Il ajoute : « Venant en ce monde, » c'est qu'en effet, si l'homme ne venait pas en ce monde, il n'aurait pas besoin d'être éclairé, mais il faut qu'il soit éclairé, parce qu'il a quitté l'endroit où il aurait joui toujours de cette divine lumière. — THEOPHYL. Que le manichéen rougisse d'oser dire que nous sommes l'œuvre d'un Créateur mauvais et ténébreux ; car jamais nous ne pourrions être éclairés si nous n'étions les créatures de la vraie lumière.
S. CHRYS. (hom. 8 sur S. Jean.) Où sont aussi ceux qui prétendent que Jésus-Christ n'est pas le vrai Dieu ? alors qu'il est appelé ici la vraie lumière. Mais s'il éclaire tout homme venant en ce monde, comment se fait-il qu'un si grand nombre soient demeurés dans les ténèbres ? Car tous n'ont pas connu le culte qui est dû à Jésus-Christ. Il éclaire tout homme, autant qu'il dépend de lui. Mais s'il en est qui ont fermé volontairement les yeux de leur âme pour ne point recevoir les rayons de cette divine lumière, les ténèbres dans lesquelles ils demeurent plongés, ne viennent pas de la nature delà lumière, mais de la malice de ceux qui se privent volontairement du don de la grâce. Car la grâce a été répandue sur tous les hommes et ceux qui ont refusé de la recevoir, ne doivent imputer qu'à eux-mêmes leur aveuglement. — S. AUG. (Enchirid,, 109.) Ces paroles : « Qui éclaire tout homme, » veulent dire non pas que tous les hommes sans exception sont éclairés, mais que personne ne peut l'être que par cette lumière. — BEDE. Il nous éclaire, soit en nous donnant la raison, soit en répandant en nous sa divine sagesse ; car nous ne pouvons nous donner la sagesse, pas plus que nous n'avons pu nous donner l'existence.
ORIG. (hom. 2 sur div. suj.) Ou bien encore, nous ne devons pas entendre ces paroles : « Qui éclaire tout homme venant en ce monde, » de ceux qui entrent dans le monde avec un corps formé d'après les principes secrets qui président à la génération, mais de ceux qui entrent dans le monde invisible par la régénération spirituelle de la grâce conférée par le baptême. Voilà pourquoi cette lumière éclaire ceux qui entrent dans le monde des vertus, et non pas ceux qui se précipitent dans le monde des vices.
THEOPHYL. Ou bien encore, cette lumière qui nous est donnée de Dieu, c'est l'intelligence dont il nous a doués pour nous diriger ici-bas, intelligence qui s'appelle aussi la raison naturelle, mais un grand nombre, par le mauvais usage dé la raison, se sont jetés eux-mêmes dans les ténèbres.
v. 10.
S. AUG. (Traité 2 sur S. Jean.) La lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, est venue sur la terre sous le voile d'une chair mortelle ; car tant qu'elle n'y était que par la divinité, elle était invisible pour les insensés, pour les aveugles et pour les méchants dont saint Jean a dit plus haut : « Les ténèbres ne l'ont point comprise, » c'est pour cela qu'il dit ici : « Il était dans le monde. » — ORIG. (hom. 2 sur div. suj.) Lorsque celui qui parle cesse de parler, sa voix cesse de se faire entendre ; de même si le Père céleste ne faisait plus entendre son Verbe, l'œuvre du Verbe, c'est-à-dire l'univers qu'il a créé, cesserait d'exister. — S. AUG. (Traité 2 sur S. Jean.) N'allez pas croire qu'il était dans le monde comme sont dans le monde la terre, les animaux, les hommes, ou comme le ciel, le soleil, les étoiles ; il y était comme un ouvrier qui dirige l'ouvrage sorti de ses mains : « Et le monde a été fait par lui. » Toutefois il n'a pas créé le monde comme un ouvrier fait son ouvrage, car l'ouvrier est en dehors de l'ouvrage qu'il travaille, Dieu, au contraire, est comme répandu dans le monde qu'il crée, il est présent partout, et il n'est pas un seul être qui soit en dehors de son immensité. C'est donc par la présence de sa divinité, qu'il fait tout ce qu'il crée, et qu'il gouverne tout ce qu'il a créé. Il était donc dans le monde, comme le Créateur du monde.
S. CHRYS. (hom. 8 sur S. Jean.) Et encore, comme il était dans le monde, mais sans être contemporain du monde, l'Evangéliste ajoute : « Et le monde a été fait par lui, et il vous élève ainsi jusqu'à l'existence éternelle du Fils unique. » En effet, en entendant dire que tout cet univers est son ouvrage, fût-on d'une intelligence bornée, on sera forcé de reconnaître qu'il existait avant son ouvrage. — THEOPHYL. Saint Jean confond en même temps l'erreur insensée de Marcion, qui prétendait que c'était un mauvais principe qui avait créé toutes choses, et celle des ariens qui osaient soutenir que le Fils de Dieu était une simple créature.
S. AUG. (comme précéd.) Que signifient ces paroles : « Le monde a été fait par lui ? » On appelle monde le ciel, la terre, la mer, et tout ce qu'ils contiennent. Dans un autre sens, on donne encore ce nom à ceux qui aiment le monde, et c'est de ce monde qu'il est dit : « Le monde ne l'a point connu. » On ne peut dire, en effet, ni du ciel, ni des anges, ni des astres, qu'ils n'ont pas connu le Créateur, dont les démons eux-mêmes confessent la puissance. Toutes les créatures lui ont donc rendu témoignage. Quels sont ceux qui ne l'ont point connu ? Ceux qui sont appelés le monde, parce qu'ils aiment le monde, car en aimant le monde, nous habitons de cœur dans le monde ; ceux, au contraire, qui n'aiment pas le monde, sont de corps dans le monde, mais ils habitent le ciel par le cœur, suivant ces paroles de l'Apôtre : « Pour nous, nous vivons déjà dans le ciel. » (Ph 3) C'est donc parce qu'ils ont aimé le monde, qu'ils ont mérité eux-mêmes le nom du monde où ils habitent. Lorsque nous disons d'une maison qu'elle est bonne ou qu'elle est mauvaise, ce n'est point aux murailles que s'adressent notre blâme ou nos louanges, mais à ceux qui l'habitent ; c'est ainsi que nous appelons monde ceux qui habitent le monde par leurs affections. — S. CHRYS. (hom. 8 sur S. Jean.) Quant aux amis de Dieu, ils l'ont connu avant même qu'il eût rendu sa présence sensible, c'est-à-dire avant son avènement en ce monde, comme le prouvent ces paroles du Sauveur : « Abraham, votre père, a tressailli du désir de voir mon jour. » (Jn 8, 56.) Lors donc que les Gentils nous adressent ce reproche. Pourquoi le Sauveur n'est-il venu opérer notre salut que dans les derniers temps, après tant de siècles écoulés, sans qu'il ait pensé à nous ? Nous leur répondons, qu'avant même son avènement, il était dans le monde, sa providence s'étendait à toutes ses œuvres, et il était connu de tous ceux qui en étaient dignes ; et si le monde ne l'a pas connu, ceux dont le monde n'était pas digne, ont mérité de le connaître. En disant : « Le monde ne l'a point connu, » il a indiqué sommairement la cause de cette ignorance ; car le monde ici sont les hommes qui ne sont attachés qu'au monde, qui n'ont de goût et d'affection que pour le monde ; or rien ne trouble autant l'âme que l'amour énervant des choses présentes.
S. CHRYS. (hom. 9 sur S. Jean.) Ces paroles : « Le monde ne l'a point connu, » doivent s'entendre des temps qui ont précédé l'incarnation. Celles qui suivent : « Il est venu dans son héritage, » se rapportent aux temps de la prédication de l'Evangile.— S. AUG. (Traité 2 sur S. Jean.) « Il est venu dans son héritage, » parce que toutes choses ont été faites par lui. — THEOPHYL. On peut donc entendre ici ou le monde, ou la Judée, qu'il avait choisie pour héritage. — S. CHRYS. (hom. 9 et 10 sur S. Jean.) Il est venu dans son héritage, non pas dans un motif d'intérêt personnel (car Dieu n'a besoin de personne), mais pour combler les siens de bienfaits. Mais d'où a pu venir celui qui remplit tout de son immensité, et qui est présent partout ? C'est par un effet de sa grande condescendance qu'il est venu jusqu'à nous ; il était au milieu du monde, sans que le monde pensât à sa présence, parce qu'il n'eu était pas connu ; il a donc daigné se revêtir d'un corps sensible. C'est cette manifestation et cette condescendance, qu'il appelle sa présence ou son avènement (hom. 11) Or, Dieu, plein de bonté et de miséricorde, ne néglige rien de ce qui peut nous élever à une vertu éminente. Aussi ne veut-il s'attacher personne par force ou par nécessité, et ne veut nous attirer à lui que par la persuasion et par les bienfaits. De là vient que les uns le reçurent, et que les autres refusèrent de le recevoir ; car il ne veut pas qu'on soit à son service malgré soi et comme par contrainte ; celui qui le sert forcément et de mauvaise grâce, est à ses yeux comme celui qui refuse complètement de le servir : « Et les siens ne l'ont pas reçu. » (hom. 9.) L'Evangéliste appelle les Juifs les siens, comme étant son peuple privilégié, ou bien tous les hommes comme étant tous ses créatures. Dans l’étonnement où le jetait la conduite insensée du genre humain, il s'est écrié plus haut : « Le monde a été fait par lui, et le monde n'a point connu son Créateur ; » ici l'ingratitude des Juifs le remplit d'indignation, et il lance contre eux cette accusation bien plus grave : « Et les siens ne l'ont pas reçu. »
S. AUG. (Traité 1 sur S, Jean.) Mais si personne absolument ne l'a reçu, personne donc n'est sauvé ; car la condition essentielle du salut, c'est de recevoir Jésus-Christ, aussi l'Evangéliste ajoute : « Tous ceux qui l'ont reçu, » etc. — S. CHRYS. (hom. 10 sur S. Jean.) Esclaves ou hommes libres, grecs ou barbares, savants ou illettrés, hommes ou femmes, enfants ou vieillards, tous ont été rendus dignes du même honneur : « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. »— S. AUG. (comme précéd.) Quelle extrême bonté ! il était né Fils unique, et il n'a pas voulu demeurer seul ; il n'a pas craint d'avoir des cohéritiers, parce que son héritage ne peut être amoindri par le partage qu'il en fait. — S. CHRYS. (hom. 10.) Il ne dit pas qu'il les fit enfants de Dieu, mais qu'il leur à donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, nous apprenant ainsi que ce n'est qu'au prix de grands efforts que nous pouvons conserver sans tache ce caractère de l'adoption qui a été imprimé et gravé dans notre âme par le baptême. Il nous enseigne encore que personne ne peut nous ôter ce pouvoir, si nous-mêmes ne consentons à nous en dépouiller. Ceux à qui les hommes délèguent une partie de leur puissance ou de leur autorité, la possèdent presque à l'égal de ceux qui la leur ont donnée ; à plus forte raison en sera-t-il ainsi de nous qui avons reçu cet honneur de Dieu même. Il veut encore nous apprendre que cette grâce n'est donnée qu'à ceux qui la veulent et qui la recherchent ; car c'est le concours du libre arbitre et de l'opération de la grâce, qui nous fait enfants de Dieu. — THEOPHYL. Ou bien encore, il veut parler ici de cette filiation parfaite, dont la résurrection doit nous mettre en possession, d'après ces paroles de l'Apôtre : « Attendant l'effet de l'adoption divine, la rédemption de notre corps. » (Rm 8) Il nous a donc donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, c'est-à-dire d'obtenir cette grâce dans la vie future.
S. CHRYS. (hom. 10.) Comme dans la distribution de ces biens ineffables, il appartient à Dieu de donner la grâce, de même qu'il appartient à l'homme de faire acte de foi, saint Jean ajoute : « A ceux qui croient en son nom. » Pourquoi ne nous dites-vous pas, saint Evangéliste, quel sera le supplice de ceux qui n'ont pas voulu le recevoir ? Mais quel supplice plus grand pour ceux qui ont reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu, que de refuser de le devenir, et de se priver volontairement d'un si grand honneur ? Toutefois ce ne sera pas leur seul supplice, ils seront condamnés à un feu qui ne s'éteindra jamais, comme l'Evangéliste le déclarera plus ouvertement dans la suite. (Jn 3)
S. AUG. (même traité.) Ceux qui croient en son nom deviennent donc enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ, et prennent par là même une nouvelle naissance. Comment, en effet, sans cette seconde naissance pourraient-ils devenir enfants de Dieu ? Les enfants dès hommes naissent de la chair et du sang, delà volonté de l'homme et de l'union des époux. Mais comment naissent les enfants de Dieu ? Ils ne sont pas nés des sangs, c'est-à-dire, de l'homme et de la femme. Le mot sangs (sanguina ou sanguines) n'est pas latin, mais comme cette expression est au pluriel dans le texte grec, le traducteur aima mieux la rendre de la sorte, sauf à employer un mot peu conforme aux règles de la latinité, pour faire mieux comprendre la vérité aux esprits moins intelligents. En effet, les enfants naissent du mélange du sang de l'homme et de la femme. — BEDE. Il est bon aussi de remarquer que dans la sainte Ecriture, le mot sang au pluriel signifie ordinairement le péché, comme dans ce passage du Psaume 50 : « Délivrez-moi des sangs (de sanguinibus). »
S. AUG. (même traité.) Dans les paroles suivantes : « Ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme ; » la chair est synonyme de la femme, en souvenir de sa création. Lorsque, en effet, elle eut été créée d'une côte du premier homme, Adam lui dit : « Voici l'os de mes os et la chair de ma chair. » Le mot chair signifie donc ici la femme, de même que souvent l'esprit est le symbole du mari, parce que son rôle est de commander, et celui de la femme de servir. Quelle maison plus mal ordonnée, en effet, que celle où la femme commande au mari ? Les enfants de Dieu ne sont donc nés ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu. — BEDE. La génération charnelle de tous les hommes tire son origine de l'union des époux, tandis que la génération spirituelle a pour principe la grâce de l'Esprit saint.
S. CHRYS. (hom. 10 sur S. Jean.) L'Evangéliste, en parlant ainsi, veut nous faire comprendre d'un côté la bassesse de la première génération qui vient du sang et de la volonté de la chair, et l'élévation de la seconde qui vient de la grâce et ennoblit notre nature, afin que nous ayons une haute idée de la grâce qui nous a engendrés, et que nous ne négligions rien pour la conserver.
v. 13.
S. AUG. (même traité.) Cette idée d'une naissance qui vient de Dieu était de nature à inspirer un sentiment d'étonnement mêlé de frayeur, et il pouvait même paraître incroyable que les hommes soient nés de Dieu. Aussi l'Evangéliste s'empresse de nous rassurer, en ajoutant : « Et le Verbe a été fait chair. » Qu'y a-t-il d'étonnant que des hommes naissent de Dieu ? Considérez Dieu lui-même qui a voulu naître des hommes. — S. CHRYS. (hom. 11 sur S. Jean.) Ou bien encore : après avoir dit que ceux qui l'ont reçu ont reçu de Dieu une nouvelle naissance, il fait connaître la cause d'un si grand honneur, c'est que le Verbe s'est fait chair, car le propre Fils de Dieu est devenu le Fils de l'homme, afin de rendre les hommes enfants de Dieu. Lorsque vous entendez dire que le Verbe s'est fait chair, ne vous laissez pas troubler par ces paroles. Il n'a point changé en chair la nature divine (interprétation qui serait une impiété), mais il a pris la forme d'esclave en demeurant ce qu'il est. C'est pour confondre les blasphèmes de ceux qui prétendent que tout ce qui a rapport à l'incarnation était fantastique et imaginaire que l'Evangéliste s'est servi de cette expression : « A été fait, » expression qui ne signifie pas un changement de substance, mais l'union du Fils de Dieu à une chair véritable. S'ils viennent nous dire que Dieu étant tout-puissant, a bien pu changer en chair sa nature divine, nous répondrons que Dieu peut tout ce qui n'atteint pas directement son être divin. Or, toute idée de changement est directement opposée à cette nature immuable.
S. AUG. (De la Trin., 15, 11) De même que notre Verbe ou notre parole devient en quelque sorte la voix du corps en s'unissant à elle pour se manifester aux sens des hommes, ainsi le Verbe de Dieu s'est fait chair, en s'unissant à elle pour se manifester aussi aux hommes ; notre parole devient voix, mais elle n'est pas changée en voix ; ainsi le Verbe de Dieu s'est fait chair, mais loin de nous la pensée qu'il ait été changé en chair. Il s'est uni à la chair, mais il ne s'est pas transformé en chair, il s'est fait chair comme notre parole se fait voix. — CONS. D’EPH. La parole qui sort de nos lèvres et dont nous faisons usage dans nos rapports avec les autres hommes, est une parole incorporelle qui n'est sensible ni à la vue, ni au toucher ; mais lorsqu'elle s'est comme revêtue de lettres et de formes extérieures, elle devient visible et accessible à la vue comme au toucher. De même le Verbe de Dieu qui, par sa nature, est invisible, est devenu visible ; il est incorporel aussi par sa nature, et il a pris un corps accessible au toucher. — ALCUIN. (Liv. 1, chap. 1, sur S. Jean.) Ces paroles : « Le Verbe s'est fait chair, » ne doivent pas s'entendre dans un autre sens que celui-ci : Dieu s'est fait homme en prenant un corps et une âme. De même que chacun de nous est un composé d'un corps et d'une âme qui ne forment qu'un seul homme ; ainsi Jésus-Christ, depuis son incarnation, ne fait qu'une seule personne formée de la divinité, d'un corps, et d'une âme. La divinité du Verbe a daigné s'unir à cette nature humaine qu'elle avait choisie spécialement pour qu'elle devînt une seule personne en Jésus-Christ. La nature divine n'a subi dans cette union aucune altération, aucun changement, elle s'est simplement unie à la nature humaine qu'elle n'avait pas auparavant. (Liv. 3, de la foi en la Trin., chap. 9.) C'est une vérité incontestable que le Fils de Dieu a pris, non pas la personne, mais la nature humaine pour l'unir à sa personne divine et éternelle ; l'homme a comme passé en Dieu, non point par un changement de nature, mais par son union avec la personne divine. Il n'y a donc point deux Christs, il n'y a qu'un seul Christ, Dieu et homme tout à la fois. (Liv. 1, cont. Félix d'Urgel.) Cette union du Verbe avec la chair est tellement ineffable, que pour l'exprimer, nous disons que le Verbe s'est fait chair, quoique le Verbe n'ait pas été changé en chair, et cette chair est appelée Dieu, bien qu'elle ne soit pas elle-même changée en la nature divine. (Liv. 3.) Nous confessons donc qu'il y a dans la seule personne de Jésus-Christ deux natures unies entre elles par un lien si ineffable, que chacune d'elles conservant ses propriétés, cette sainte et admirable union nous présente, non pas un changement ou une altération de la divinité, mais une élévation sublime pour l'humanité, c'est-à-dire, que Dieu n'a pas été changé en l'homme, mais l'homme glorifié en Dieu, etc. (Dans la Glose.) Nous croyons qu'une âme incorporelle peut être unie à un corps, et que l'union de ces deux substances fait un seul homme ; nous devons croire plus facilement que la nature divine qui est incorporelle, s'est unie à une âme jointe à un corps pour former une seule personne, de manière que le Verbe n'a pas été changé en chair, ni la chair dans le Verbe, pas plus que le corps ne se change en âme, ni l'âme en corps.
THEOPHYL. Apollinaire de Laodicée a voulu appuyer son hérésie sur ces paroles ; il prétendait que le Christ n'avait point eu d'âme raisonnable, mais seulement un corps ayant pour âme la divinité qui gouvernait et dirigeait le corps. — S. AUG. (cont. Les Ar., ch. 9.) Vous êtes impressionné de ce qu'il est écrit que le Verbe s'est fait chair, sans qu'il soit question de l'âme ? Mais rappelez-vous que la chair est souvent mise pour l'homme tout entier en vertu de cette locution figurée qui emploie la partie pour le tout, comme dans ces paroles : « Toute chair viendra à vous. » (Ps 64) Et dans ces autres : « Nulle chair ne sera justifiée par les œuvres de la loi. » Ce que l'Apôtre explique plus clairement dans l'Epître aux Galates : « L'homme ne sera point justifié par les œuvres de la loi. » (Ga 2) Ces paroles : « Le Verbe s'est fait chair, » ont donc la même signification que celles-ci : « Le Verbe s'est fait homme. »
THEOPHYL. Si l'Evangéliste nomme de préférence la chair, c'est pour nous montrer la condescendance inénarrable de Dieu, et nous faire admirer sa miséricorde qui l'a porté à s'unir pour notre salut, à ce qui est séparé de sa nature par une distance incommensurable, c'est-à-dire la chair. L'âme, en effet, a quelques points de rapprochement avec Dieu. Mais si le Verbe, en s'incarnant, n'avait pas pris une âme humaine, il s'ensuivrait que nos âmes ne seraient ni guéries ni rachetées, car le Sauveur n'a sanctifié que ce qu'il s'est uni. C'est l'âme qui, la première s'est rendue coupable, ne serait-il donc pas ridicule de supposer qu'il se soit uni la chair pour la sanctifier, tandis qu'il aurait délaissé la partie la plus noble de l'homme, comme aussi la plus malade ? Ainsi se trouve encore détruite l'hérésie de Nestorius, qui enseignait que ce n'est pas le Verbe-Dieu qui s'est fait homme et qui a été conçu du sang d'une Vierge, mais que la Vierge a enfanté un homme, orné et enrichi de toutes les vertus, et que le Verbe de Dieu s'était uni. Il concluait de là qu'il y avait en Jésus-Christ deux fils, l'un né de la Vierge, qui était homme, l'autre né de Dieu, c'était son luis, qui était uni à cet homme par les liens de la grâce et de la charité. L'Evangéliste lui a répondu d'avance, en affirmant que c'est le Verbe lui-même qui s'est fait homme, et non pas que le Verbe a fait choix d'un homme vertueux pour s'unir à lui.
S. CYR. (Lett. 8 à Nestor.; 4 dans l'édit. lat.) Le Verbe s'est fait homme en s'unissant une chair animée d'une âme raisonnable, par une union ineffable et incompréhensible, qui ne fait en lui qu'une seule personne, et il a été appelé Fils de l'homme, non par suite d'une simple union de volonté ou de bon vouloir, ni parce qu'il avait pris la simple personnalité de l'homme, mais par suite de l'union véritable de deux natures différentes qui n'ont formé qu'un seul Christ et qu'un seul Fils, sans que cette union étroite ait détruit la différence des deux natures.
THEOPHYL. De ces paroles : « Le Verbe s'est fait chair, » nous concluons que le Verbe s'est fait homme, et que tout en demeurant Fils de Dieu, il est devenu fils de la femme, à qui nous donnons le nom distinctif de mère de Dieu, parce qu'elle a véritablement engendré Dieu selon la chair.
S. HIL. (De la Trin., 10.) Il en est qui veulent que le Fils unique de Dieu, c'est-à-dire, le Dieu Verbe, qui était en Dieu au commencement, ne soit pas Dieu substantiellement, mais seulement la parole d'une voix qui s'est produite, c'est-à-dire, que le Fils serait pour Dieu le Père, ce que la parole est pour ceux qui la profèrent. Par suite de cette erreur, ils cherchent à nier, par leurs raisonnements insidieux, que le Verbe-Dieu soit né comme homme et comme Christ, en demeurant Dieu. Ils donnent à cette conception et à cette naissance une cause toute naturelle, et refusent de leur reconnaître un caractère mystérieux et divin, de sorte que dans leur sentiment, le Dieu Verbe n'a pas reçu son humanité d'un enfantement virginal, mais il a été simplement dans la personne de Jésus, comme l'esprit de prophétie était dans les prophètes. Ils nous reprochent d'ailleurs de dire que le Christ, dans sa naissance, n'a pas pris un corps et une âme semblables au nôtre, alors que nous professons hautement que le Verbe fait chair a pris en naissant une nature comme à la nôtre, et qu'il est vrai fils de Dieu, en même temps qu'il est né vrai Fils de l'homme. Mais de même qu'il avait reçu de la Vierge un corps qu'il avait lui-même créé, c'est de lui-même aussi que vient l'âme qu'il s'est unie, et qui d'ailleurs n'est jamais donnée à l'homme par voie de génération. Or, puisqu'il est certain qu'il est à la fois Fils de l'homme et Fils de Dieu, n'est-il pas ridicule de supposer en dehors du Fils de Dieu, du Verbe fait chair, je ne sais quel prophète, animé par le Verbe de Dieu, alors qu'il est certain que le Seigneur Jésus-Christ est à la fois Fils de Dieu et Fils de l'homme ? — S. CHRYS. (hom. 10 sur S. Jean.) L'Evangéliste détruit par avance la fausse idée que ces paroles : « Le Verbe s'est fait chair, » pourraient faire naître dans certains esprits, d'un changement ou d'une transformation de cette nature incorruptible, en ajoutant : « Et il a habité parmi nous. » Car celui qui habite n'est pas une même chose avec le lieu qu'il habite, il en diffère. Je parle ici de la différence de nature, car en vertu de l'union étroite qui existe entre les deux natures, le Dieu Verbe fait chair, ne forme qu'une seule personne sans aucune confusion, comme sans destruction de ces deux natures. — ALCUIN. Ou bien encore : « Il a habité parmi nous, » c'est-à-dire, il a vécu et conversé parmi les hommes.
v. 14.
S. CHRYS. (hom. 11 sur S. Jean.) Nous avons donc été faits enfants de Dieu et en vertu du mystère du Verbe fait chair; l'Evangéliste nous fait connaître un nouveau bienfait de l'incarnation : « Et nous avons vu sa gloire ; » car jamais nous n'aurions pu la voir, si lui-même ne s'était manifesté à nous sous une forme semblable à la nôtre. En effet, si les Hébreux n'ont pu soutenir l'éclat du visage glorifié de Moïse, qu'il fallut couvrir d'un voile, comment, nous, dont l'origine et les instincts sont tout terrestres, pourrions-nous soutenir à découvert la vue de la Divinité, inaccessible même aux vertus supérieures des cieux.
S. AUG. (Traité 2 sur S. Jean.) Ou bien encore, ces paroles : « Le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, » nous apprennent que le Verbe a fait du mystère de sa naissance comme un collyre pour éclaircir les yeux de notre cœur, et nous permettre de voir sa Majesté à travers son humanité : « Et nous avons vu sa gloire. » Personne ne pourrait voir sa gloire, s'il n'était guéri par l'humilité de son incarnation. L'œil de l'homme était comme obscurci par la poussière soulevée de la terre, il avait les yeux malades, et Dieu lui met comme de la terre sur les yeux pour les guérir. La chair vous avait aveuglé, c'est la chair qui vous guérit. L'âme était devenue charnelle en donnant son consentement aux affections de la chair, et c'est ainsi que l'œil du cœur avait été aveuglé. Le médecin vous a fait un collyre en venant revêtu d'une chair mortelle pour réprimer les vices de la chair, car le Verbe s'est fait chair, afin que vous puissiez dire : « Nous avons vu sa gloire. »
S. CHRYS. (hom. 12 sur S. Jean.) Saint Jean ajoute : « Comme la gloire du Fils unique. » C'est, qu'en effet, un grand nombre de prophètes ont été glorifiés, tels que Moïse, Elie, Elisée, et beaucoup d'autres qui ont opéré de grands miracles. Il en est de même des anges qui, en apparaissant aux hommes, ont fait briller à leurs yeux la gloire qui est propre à leur nature ; c'est ainsi que les chérubins et les séraphins ont été vus par le prophète, environnés d'une gloire éclatante. L'Evangéliste nous élève bien au-dessus de cette gloire, au-dessus de toute nature et de toute gloire créée, et nous conduit jusqu'au faite de tous les biens. Or voici le sens de ses paroles : La gloire que nous avons vue n'est pas la gloire d'un prophète, d'un homme ordinaire, ni même d'un ange, d'un archange, ou de quelqu'une des puissances supérieures, mais c'est comme la gloire du dominateur lui-même, du roi, du Fils unique par nature. — S. GREG. (Moral., 18, 6.) En effet, dans les saintes Ecritures, les particules, de même, comme (sicut, quasi), n'indiquent pas toujours une simple ressemblance, mais quelquefois une parfaite identité, comme dans ces paroles : « Comme du Fils unique du Père. » — S. CHRYS. (hom. 12 sur S. Jean.) Ceux qui ont vu un roi dans toute sa gloire et sa majesté, dans l'impuissance où ils sont de rendre comme ils le voudraient l'impression produite sur eux par tant d'éclat et de splendeur, s'expriment ordinairement de la sorte : Pourquoi vous en dirai-je davantage ? C'était comme un roi. Saint Jean s'exprime de la même manière : « Nous avons vu sa gloire comme, celle du Fils unique du Père. » Lorsque les anges apparaissaient, c'était toujours comme des serviteurs qui exécutent les ordres de leur maître ; mais le Fils de Dieu, quoique sous une forme humaine, se révèle comme étant le Seigneur. D'ailleurs, les créatures le reconnaissent comme leur Maître ; l'étoile, en appelant les mages à son berceau ; les anges, en annonçant sa naissance aux bergers ; l'enfant (Jean-Baptiste), en tressaillant dans le sein de sa mère. Le Père lui-même lui a rendu témoignage du haut des cieux, et le Paraclet en descendant sur lui lors de son baptême. Que dis-je, toute la nature a proclamé bien plus haut que la multitude qu'il était le roi des cieux. Il mettait les démons en fuite, il guérissait toutes les maladies, faisait sortir les morts de leurs tombeaux, retirait les âmes de l'abîme du mal pour les conduire au sommet des plus éminentes vertus. Qui pourrait dire la sagesse de ses préceptes, la force de ses lois divines et la belle harmonie de la vie toute angélique qu'il est venu établir parmi les hommes ?
ORIG. (hom. 2 sur div. suj.) Les paroles qui suivent : « Plein de grâce et de vérité, » peuvent s'entendre de deux manières différentes, c'est-à-dire de l'humanité et de la divinité du Verbe incarné. Ainsi la plénitude de la grâce se rapporterait à l'humanité, par laquelle le Christ est le chef de l'Eglise et le premier né de toute créature. En effet, c'est en lui que s'est manifesté le plus grand et le plus merveilleux effet de la grâce, en vertu de laquelle l'homme est devenu dieu sans aucun mérite de sa part. La plénitude de la grâce eu Jésus-Christ peut encore s'entendre de l'Esprit saint, dont les sept dons remplirent l'humanité du Sauveur. (Is 11) La plénitude de la vérité se rapporte à la divinité. Si vous aimez mieux appliquer au Nouveau Testament cette plénitude de grâce et de vérité, vous pourriez dire avec beaucoup de vraisemblance que la plénitude de la grâce du Nouveau Testament nous a été donnée par Jésus-Christ, et que la vérité des symboles figuratifs de la loi s'est accomplie en lui. — THEOPHYL. Ou encore, il est plein de grâce, à cause de la grâce de ses paroles, comme le prédit David : « La grâce est répandue sur vos lèvres » (Ps 44) ; il est plein de vérité, en comparaison de Moïse et des prophètes qui parlaient ou agissaient eu figure, tandis que toutes les paroles comme toutes les actions de Jésus-Christ étaient vérité.
v. 15
ALCUIN. Nous avons vu plus haut qu'un homme avait été envoyé pour rendre témoignage ; l'Evangéliste rapporte ici le témoignage que le Précurseur rend publiquement à l'élévation de l'humanité en Jésus-Christ et à l'éternité de son existence divine : « Jean rend témoignage de lui. » — S. CHRYS. (hom. 13 sur S. Jean.) Ou bien, tel est le motif qui a déterminé l'Evangéliste à rapporter ce témoignage : Ne croyez pas, semble-t-il dire, que c'est pour avoir longtemps vécu avec le Sauveur et nous être assis à la même table, que nous lui rendons ainsi un témoignage de reconnaissance ; car Jean-Baptiste qui ne l'avait pas vu auparavant, qui n'avait point vécu avec lui, lui rend le même témoignage. Il revient à plusieurs reprises sur ce témoignage, et le reproduit avec le plus grand soin sous différentes formes, parce que les Juifs avaient Jean-Baptiste en très-grande estime. Les autres évangélistes ont invoqué les oracles des anciens prophètes. « Ceci s'est fait, disent-ils, afin que fût accomplie la parole du prophète. » Saint Jean, au contraire, produit un témoin plus élevé, et aussi plus récent, non qu'il prétende donner du crédit au Maître par le témoignage du serviteur, mais pour s'accommoder à la faiblesse de ses auditeurs. Si le Fils de Dieu n'eût pris la forme de serviteur, il n'eût pu être reçu par les hommes ; de même s'il n'eût préparé par la voix de son serviteur l'esprit de ses semblables, peu de Juifs eussent consenti à recevoir la parole de Jésus-Christ : « Et il dit à haute voix,» c'est-à-dire qu'il parle publiquement, avec confiance et en toute liberté, et sans rien dissimuler. Toutefois, il ne commence point par dire que Jésus est le Fils unique de Dieu par nature, mais il dit à haute voix : « Voici celui dont je disais : Celui qui doit venir après moi, a été fait pins grand que moi, parce qu'il était avant moi. » Les mères des petits oiseaux n'apprennent pas tout de suite à voler à leurs petits ; ils commencent par les faire sortir de leur nid, puis les laissent se reposer, puis les exercent de nouveau, et enfin leur font prendre un essor plus rapide dans les airs. Jean-Baptiste fait de même, il ne porte pas tout d'abord les Juifs à de hautes considérations, mais il les élève insensiblement au-dessus de la terre en leur disant que le Christ était au-dessus de lui, ce qui était un grand point. Et voyez avec quelle prudence il lui rend témoignage. Il n'attend pas que Jésus soit présent pour le faire connaître, il l'annonce avant qu'il eût paru au milieu des Juifs. C'est ce qu'indiquent ces paroles : « Voici celui dont je disais, » etc. Jean-Baptiste agit de la sorte pour préparer les esprits à recevoir plus facilement Jésus-Christ, sans être arrêté par ses humiliations volontaires et l'extrême simplicité de son extérieur. En effet, le Sauveur avait un extérieur si simple et si ordinaire, que si les Juifs n'avaient entendu parler de lui qu'après l'avoir vu, ils se seraient moqués du témoignage de Jean.
THEOPHYL. Il dit : « Celui qui vient après moi, » dans l'ordre de la naissance temporelle ; Jean-Baptiste, en effet, précédait le Christ de six moissons ce rapport.— S. CHRYS. (hom. 13.) Ou bien encore,-il ne parle pas ici de la naissance de Jésus du sein de Marie ; car Jésus était déjà né, quand Jean-Baptiste tenait ce langage, mais du commencement de sa vie évangélique. Il dit : « il a été fait avant moi, » c'est-à-dire qu'il est plus illustre et plus digne d'honneur et de gloire. Ne croyez pas, semble-t-il dire, que je sois plus grand que lui, parce que je le précède dans la carrière de la prédication. — THEOPHYL. Les ariens interprètent ce passage, dans ce sens que le Fils de Dieu n'est pas engendré du Père, mais qu'il a été fait comme toutes les autres créatures. — S. AUG. (Traité 3 sur S. Jean.) Ces paroles ne veulent donc pas dire : Il a été fait avant que je fusse fait moi-même, mais il a été placé au-dessus de moi.
S. CHRYS. (hom. précéd.) Si ces paroles : « Il a été fait avant moi, » devaient s'entendre du commencement de l'existence, il serait fort inutile d'ajouter : « Parce qu'il était avant moi. » Car qui est assez ignorant, pour ne pas savoir que celui qui a été fait avant lui était avant lui ? Si telle avait été son intention, voici comme il aurait dû s'exprimer : Il était avant moi, parce qu'il a été fait avant moi. Ces paroles : « Il a été fait avant moi, » doivent donc s'entendre d'une priorité d'honneur, et Jean-Baptiste présente comme étant déjà accompli ce qui devait se faire, selon la coutume des prophètes qui parlaient des choses à venir comme si elles étaient déjà passées.
ORIG. (Traité 5 sur S. Jean.) Ces paroles sont la continuation du témoignage que Jean-Baptiste rend à Jésus-Christ, et on se trompe en attribuant les réflexions qui suivent à saint Jean l'Evangéliste, jusqu'à ces paroles : « Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a fait connaître. » C'est faire violence au texte que de supposer que le discours du Précurseur est interrompu par les réflexions de l'Evangéliste, et l'enchaînement des paroles est ici visible pour qui est capable de le saisir. Jean-Baptiste venait de dire : « Il a été fait plus grand que moi, parce qu'il était avant moi. » Or, poursuit-il, je suis porté à croire et à conclure qu'il est avant moi, parce que nous avons reçu, moi, et les prophètes avant moi, une seconde grâce après la première ; car l'esprit de Dieu, après les symboles figuratifs, les a conduits jusqu'à la contemplation de la vérité. En recevant ainsi de sa plénitude, nous comprenons que la loi a été donnée par Moïse, et que la grâce et la vérité ont été données ou plutôt ont été faites par Jésus-Christ; car Dieu le Père a donné la loi par Moïse, et il a fait la grâce et la vérité par Jésus-Christ. Mais puisque Jésus a dit : « Je suis la vérité, » comment la vérité a-t elle pu être faite par lui ? Nous répondons que la vérité substantielle, la vérité première qui est le principe et le modèle de toutes les vérités qui existent dans l'esprit de ceux qui enseignent la vérité, n'a été faite ni par Jésus-Christ ni par aucun autre ; la vérité qui a été faite par Jésus-Christ est donc celle que nous remarquons dans saint Paul et dans les autres Apôtres. — S. CHRYS. (hom. 13 sur S. Jean.) On peut dire encore que saint Jean l'Evangéliste joint ici son témoignage à celui de Jean-Baptiste. Ainsi ces paroles : « Et nous avons reçu tous de sa plénitude, » etc., ne sont pas les paroles du Précurseur, mais celles du disciple, et voici quel en est le sens : Et nous autres aussi, les douze Apôtres, et toute la multitude des fidèles présents et futurs, nous avons tous reçu de sa plénitude.
S. AUG. (Traité 3 sur S. Jean.) Et qu'avez-vous donc reçu ? « Grâce pour grâce, » c'est-à-dire que nous avons reçu de sa plénitude je ne sais quoi d'ineffable, et ensuite grâce pour grâce. Ainsi nous avons reçu de sa plénitude, d'abord la grâce, et nous avons reçu ensuite grâce pour grâce. Quelle est la première grâce que nous avons reçue ? La foi, qui est appelée grâce, parce qu'elle est donnée gratuitement. Le pécheur a donc reçu cette première grâce qui a été pour lui le principe de la rémission de ses péchés ; et il a de nouveau reçu grâce pour grâce, c'est-à-dire que, pour cette grâce qui nous fait vivre de la foi, nous en recevrons une autre, c'est-à-dire la vie éternelle. Car la vie éternelle est comme la récompensé de la foi, et comme la foi est une grâce, la vie éternelle est aussi une grâce donnée pour une autre grâce. Cette grâce n'existait pas dans l'Ancien Testament, parce que la loi menaçait sans porter secours ; elle commandait sans guérir, elle montrait le mal sans le faire disparaître, et se contentait de préparer les hommes à recevoir le médecin qui devait venir avec la grâce et la vérité. Voilà pourquoi l'Evangéliste ajoute : « La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ, » car la mort de votre Seigneur a détruit la mort temporelle et la mort éternelle ; et c'est là cette grâce que la loi promettait et ne donnait pas.
S. CHRYS. (hom. 14 sur S. Jean.) Ou bien, nous avons reçu grâce pour grâce, c'est-à-dire une grâce nouvelle pour la grâce ancienne. De même, en effet, qu'il y a justice et justice , adoption et adoption, circoncision et circoncision, il y a aussi grâce et grâce, la première comme figure, la seconde comme vérité. Jean-Baptiste parle de la sorte pour prouver aux Juifs qu'eux-mêmes n'étaient sauvés que par grâce, et que nous-mêmes, tous tant que nous sommes, nous ne pouvons arriver au salut par une autre voie. Ce fut donc une véritable grâce, et un acte de miséricorde que la loi qui fut donnée aux Juifs. Aussi l'Evangéliste, voulant faire ressortir la grandeur des dons qui ont été faits, ajoute : « La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce, » etc. Il avait plus haut établi une comparaison entre Jésus-Christ et lui, en disant : « Il a été fait plus grand que moi. » Ici saint Jean fait cette comparaison entre Jésus-Christ et Moïse qui fut pour les Juifs l'objet d'une bien plus grande admiration que Jean-Baptiste. Et voyez quelle est ici sa prudence : Il n'établit pas la comparaison entre les personnes, mais entre les choses, et il oppose la grâce et la vérité à la loi, aussi bien que cette expression : « A été donnée, » à cette autre : « A été faite. » Il dit de la loi qu'elle a été donnée, c'était l'œuvre d'un serviteur qui transmet ce qu'il a reçu selon l'ordre qui lui a été imposé. Ces paroles, au contraire : « La grâce et la vérité ont été faites, » indiquent un roi qui remet tous les péchés par sa puissance, c'est ce que faisait Jésus : « Vos péchés vous sont remis (Mc 2, 9), et encore : « Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir de remettre les péchés, » etc. (Mc 2, 10 et 11.) Vous voyez comme la grâce a été faite par Jésus-Christ, considérez comment la vérité nous est aussi venue de la même manière. Le don du baptême, le bienfait de l'adoption qui nous est donné par le Saint-Esprit, et une multitude d'autres dons sont les preuves et les fruits de la grâce. Quant à la vérité, nous comprendrons mieux comment elle est venue par Jésus-Christ, si nous avons une connaissance parfaite des figures de la loi ; car tout ce qui devait s'accomplir dans le Nouveau Testament a été annoncé et figuré dans l'Ancien, et c'est Jésus-Christ qui est venu accomplir toutes ces figures. C'est ainsi que la figure a été donnée par Moïse, et que la vérité a été faite par Jésus-Christ.
S. AUG. (de la Trin., 13, 20.) Ou bien encore, nous pouvons rapporter la grâce à la science, et la vérité à la sagesse. Parmi les choses qui ont pris naissance dans le cours des temps, la grâce par excellence qui nous a été donnée, c'est que l'homme ait été uni à Dieu en unité de personne ; et dans les choses de l'éternité, la vérité suprême et par excellence doit s'entendre du Verbe de Dieu.
v. 18.
ORIG. (Traité 6 sur S. Jean.) C'est sans aucune raison qu'Héracléon prétend que ces paroles ne sont point de Jean-Baptiste, mais de l'Evangéliste. En effet, si les paroles qui précèdent : « Nous avons tous reçu de sa plénitude, » ont été dites par le saint Précurseur, comment ne pas admettre comme conséquence, que celui qui avait reçu de la plénitude de Jésus-Christ et une seconde grâce pour la première, celui qui avait déclaré que la loi avait été donnée par Moïse, et que la grâce et la vérité étaient venues par Jésus-Christ, ait compris comment personne n'a jamais vu Dieu, mais que le Fils unique, qui repose dans le sein du Père, a donné la connaissance de ces mystères, non-seulement à Jean, mais à tous ceux qui marchent dans les voies de la perfection ? Et ce n'est pas la première fois que celui qui est dans le sein du Père les révélait, comme si avant les Apôtres, personne n'avait été digne de recevoir cette révélation ; car lui qui existait avant qu'Abraham fût fait, nous apprend qu'Abraham a tressailli du désir de voir son jour, et qu'il en a été rempli de joie.
S. CHRYS. (hom. 15 sur S. Jean.) Ou bien, c'est l'Evangéliste lui-même qui, pour faire ressortir la prééminence des dons que Jésus-Christ nous a faits sur ceux dont Moïse a été le dispensateur, nous indique le véritable motif de cette supériorité. Moïse, simple serviteur, a été le dispensateur de grâces moins importantes ; Jésus, au contraire, le souverain Seigneur et Fils de roi, a répandu sur nous des grâces d'un ordre bien supérieur, lui dont l'existence est éternelle comme celle du Père, et qui jouit éternellement de sa présence. Voila l'explication de ces paroles : « Personne n'a jamais vu Dieu. » — S. AUG. (Lettre 112 à Pauline.) Que signifient donc ces paroles de Jacob : « J'ai vu le Seigneur face, à face, » (Gn 32) et ce qui est écnt de Moïse, qu'il parlait à Dieu face à face (Ex 33), et encore ce que le prophète Isaïe dit de lui-même : « J'ai vu le Seigneur des armées assis sur un trône ? » (chap. 6)— S. GREG. (Moral., 28, 18) Ces textes nous donnant clairement à comprendre que pendant cette vie mortelle, on peut bien voir Dieu sous certaines figures, mais jamais dans la claire manifestation de sa nature, c'est-à-dire que, l'âme comme inspirée par la grâce de l'Esprit saint, le voit comme à travers ces figures, mais sans pouvoir jamais parvenir à la vue intime de son essence. C'est ainsi que Jacob, qui affirme qu'il a vu Dieu, n a vu cependant qu'un ange; c'est ainsi encore que Moïse, qui parlait à Dieu face à face, lui fait cette prière : « Manifestez-vous à moi ouvertement, afin que je vous voie et que je vous connaisse ». D'où nous pouvons conclure qu'il avait soif de voir dans toute sa splendeur cette nature infinie qu'il avait commencé à voir dans des figures imparfaites.
S. CHRYS. (hom. précéd.) Si les patriarches de l'Ancien Testament avaient véritablement vu la nature divine, ils ne l'auraient point vue sous des formes différentes, car cette divine nature est simple et sans figure, on ne peut la supposer ni assise, ni debout, ni en marche, toutes choses qui ne conviennent qu'aux corps. Aussi écoutez comment Dieu parle par son prophète : « J'ai multiplié pour eux les visions, et ils m'ont représenté à vous sous des images différentes. » (Os 12) C'est-à-dire, je me suis accommodé à leur faiblesse ; je ne leur ai pas apparu tel que j'étais. Comme le Fils de Dieu devait se manifester à nous dans une chair véritable, il les préparait dès lors à voir Dieu, autant que cela leur était possible.
S. AUG. (Lettr. à Pauline.) Mais comment concilier ces paroles : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu, » (Mt 5) et ces autres : « Lorsqu'il apparaîtra , nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est, » avec celles-ci : « Personne n'a jamais vu Dieu ? » On peut répondre que les témoignages qu'on vient de citer ont pour objet la vision future de Dieu, et non la vision actuelle. Le texte dit en effet : « Ils verront Dieu, » et non : Ils ont vu Dieu ; de même encore : « Nous le verrons tel qu'il est, » et non pas : Nous l'avons vu. Or, Jean dit ici : « Personne n'a jamais vu Dieu, » ou dans cette vie tel qu'il est, ou même dans la vie des anges, où Dieu n'est pas vu comme le sont les objets extérieurs par les yeux du corps.
S. GREG. (Moral., 18, 28.) Que cependant, même dans cette chair corruptible, des âmes qui ont fait d'immenses progrès dans la vertu puissent voir la splendeur divine avec les yeux perçants de la contemplation cela n'est nullement en contradiction avec ces paroles ; car celui qui a le bonheur de voir la sagesse qui est Dieu, meurt entièrement à la vie présente, et s'affranchit ainsi de toutes ses affections. S. AUG. (De la Gen.; explic. littér., 27) Si, en effet on ne meurt à cette vie soit en se séparant réellement du corps, sent en se détachant si parfaitement des sens extérieurs, qu'on puisse dire avec l’Apôtre, qu’on ne sait si on est avec son corps ou en dehors de son corps (2 Co 12), ou ne peut être élevé jusqu'à la hauteur de cette contemplation.
S. GREG. (Moral., 18, 28.) Il en est qui ont prétendu que, même dans cette région du bonheur, Dieu pourra être vu dans sa gloire, mais nullement dans sa nature. Leurs recherches plus subtiles qu approfondies les ont induits en erreur, car pour cette essence simple et immuable la gloire n'est pas différente de la nature.
S. AUG. (Lettre à Pauline.) Dira-t-on que ces paroles : « Personne n'a jamais vu Dieu, » doivent s'entendre des hommes seuls, comme l'explique plus ouvertement l'Apôtre, quand il dit : « Qu’aucun homme ou que nul homme n'a vu et ne peut voir. » (1 Tm 6) La difficulté se résout d'elle-même, et ces paroles : « Personne n’a jamais vu Dieu, » ne sont nullement en opposition avec ces autres du Sauveur : « Leurs anges voient toujours la face de mon Père, » (Mt 18) puisqu'il est facile de comprendre que les anges voient Dieu, qu'aucun homme n'a jamais pu voir. — S. GREG. (Moral., 18, 28.) D'autres cependant soutiennent qu'il est impossible, même aux anges de voir Dieu. — S. CHRYS. (hom. précéd.) Certainement, ni les prophètes, ni les anges, ni les archanges, n'ont jamais vu ce qu'est Dieu en lui-même. Si vous interrogez les anges, ils ne vous diront rien de la substance divine, ils se contentent de chanter : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. » (Lc 2) Désirez-vous apprendre quelque chose de plus des chérubins et des séraphins ? Vous n'entendrez sortir de leur bouche que cette hymne mystérieuse de la sainteté de Dieu : « Le ciel et la terre sont pleins de sa gloire. » (Is 6) — S. AUG. (Lett. à Pauline.) Ces paroles sont encore vraies en ce sens, que personne n'a jamais pu comprendre, non-seulement des yeux du corps, mais par les forces de son esprit, la plénitude de l'essence divine. Il y a, en effet, une grande différence entre la simple vision et la compréhension parfaite. Nous voyons ce dont nous apercevons la présence de quelque manière que ce soit, mais nous comprenons une chose quand nous la voyons si parfaitement, qu'aucune des parties qui la composent n'échappe à nos investigations. — S. AUG. Il n'y a donc que le Fils et l'Esprit saint qui puissent voir le Père, car comment une simple créature pourrait-elle voir une nature incréée ? Personne donc ne connaît le Père, si ce n'est le Fils : « Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a fait connaître. » Et de peur que le nom de Fils vous donne à penser qu'il s'agit ici d'au de ceux qui sont devenus fils de Dieu par sa grâce, l'article précède le mot Fils (ό υίος). Et si cela ne suffit pas encore, on vous dit que c'est le Fils unique.
S. HIL. (De la Trin., 6) Le nom de Fils ne paraissait pas encore assez explicite pour exprimer la nature divine, si Jean-Baptiste n'y ajoutait une propriété qui le rend exclusif et incommunicable. En effet, par l'emploi de ces seuls mots : Fils et unique, il exclue toute idée d'adoption, puisque la nature divine seule peut remplir toute la signification de ce nom. — S. CHRYS. (hom. précéd.) Il ajoute encore une autre preuve de la même vérité : « Qui est dans le sein du Père, » privilège bien supérieur à celui de voir simplement Dieu. Celui qui ne fait que le voir, n'a pas une connaissance parfaite de ce qu'il voit. Mais celui qui demeure dans le sein du Père, ne peut rien ignorer de ce qui est en Dieu. Lors donc que vous entendez ces paroles : « Personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, » ne les prenez pas dans ce sens que le Fils a du Père une connaissance supérieure à celle de tous les hommes, mais qui cependant n'embrasse point l'immensité de son être, car l'Evangéliste vous dit qu'il demeure dans le sein du Père, pour vous faire comprendre son union intime avec le Père, et son existence coéternelle avec lui. — S. AUG. (Tr. 3 sur S. Jean. ) « Dans le sein du Père, » c'est-à-dire, dans le secret du Père, car Dieu n'a pas de sein comme celui que nous formons avec nos vêtements, il ne s'assoie point comme nous, il ne porte pas de ceinture qui puisse former un sein. Mais on appelle le secret du Père le sein du Père, parce que le sein chez nous est comme une partie intime de nous-mêmes. C'est donc celui qui a connu le Père dans le secret du Père, qui nous a raconté ce qu'il a vu.
S. CHRYS. (hom. précéd.) Comment nous l'a-t-il raconté ? Eu proclamant qu'il n'y a qu'un seul Dieu ; mais c'est ce que Moïse et les prophètes avaient fait avant lui. Que nous a donc fait connaître de plus le Fils, qui demeurait dans le sein du Père ? Il nous a enseigné d'abord que les prophètes n'ont annoncé l'existence d'un seul Dieu que par la vertu du Fils unique ; secondement, que nous avons reçu par ce Fils unique des grâces bien plus grandes et plus abondantes ; troisièmement, que Dieu est esprit, et que ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité (Jn 4), et enfin que Dieu est le Père du Fils unique. — BEDE. Si on rapporte au passé ce mot (enarravit), il a raconté, nous dirons que le Fils de l'homme nous a l'ait connaître ce que nous devions penser et croire de l'unité de la Trinité, comment nous devons nous élever jusqu'à la contemplation d'un si grand mystère et par quelles œuvres nous pouvons y parvenir. Si on traduit ce mot au futur, le sens sera que le Fils racontera ce qu'il a vu dans le sein du Père, lorsqu'il introduira ses élus dans les célestes clartés de la vision éternelle. — S. AUG. (Traité 3.) Il s'est trouvé des hommes qui, trompés par la vanité de leur cœur, ont dit : Le Père est invisible, le Fils, au contraire, est visible. Si dans leur pensée, le Fils est visible, parce qu'il s'est revêtu d'un corps sensible, nous sommes de leur avis, et c'est aussi ce qu'enseigne la foi catholique ; mais s'ils prétendent qu'il était visible avant même son incarnation, ils tombent dans une grave absurdité. Jésus-Christ est la sagesse et la vertu de Dieu, or la sagesse de Dieu ne peut pas être vue des yeux du corps. La parole, le verbe de l'homme est invisible pour les yeux de l'homme, comment le Verbe de Dieu pourrait-il être visible ? — S. CHRYS. (hom. préc.) Ce n'est donc pas au Père seul que se rapportent ces paroles : « Personne n'a jamais vu Dieu, mais elles sont également vraies du Fils, dont saint Paul a dit: « Il est l'image du Dieu invisible, » or, celui qui est l'image d'un être invisible, est invisible lui-même.
ORIG. (Traité 6 sur S. Jean.) C'est ici le second témoignage que nous voyons Jean-Baptiste rendre à Jésus-Christ, puisque le premier commence à ces paroles : « Voici celui dont je disais : celui qui doit venir après eux, » etc., et se termine par ces autres : « C'est lui qui l'a raconté. » — THEOPHYL. On peut dire encore que l'Evangéliste, après avoir rapporté le témoignage rendu par Jean-Baptiste à Jésus-Christ : « Il a été fait plus grand que moi, » etc., nous fait connaître l'époque à laquelle le saint précurseur a rendu ce témoignage : « Et tel est le témoignage de Jean, lorsque les Juifs lui envoyèrent, » etc. — ORIG. (Traité 6.) Les Juifs qui envoient cette députation étaient parents de Jean-Baptiste, comme étant eux-mêmes de race sacerdotale, et ils envoient pour demander à Jean qui il était, des prêtres et des lévites de Jérusalem, c'est-à-dire, des hommes élevés au-dessus des autres, et par leur vocation, et par la ville qu'ils habitaient. Ils s'adressent donc à Jean avec les marques du plus grand respect, jamais ils n'agirent de cette manière à l'égard du Sauveur. Mais la démarche qu'ils font aujourd'hui auprès de Jean-Baptiste, le saint précurseur la fit lui-même à l'égard de Jésus-Christ, en envoyant ses propres disciples lui demander : « Etes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »— S. CHRYS. (hom. 16 sur S. Jean.) Jean-Baptiste était à leurs yeux si digne de foi, qu'ils étaient disposés à croire au témoignage qu'il rendrait de lui-même : « Ils envoyèrent pour demander : Qui êtes vous ? » — S. AUG. (Traité 4 sur S. Jean.) Ils ne lui auraient pas envoyé cette députation, s'ils n'avaient été frappés du caractère de supériorité qui brillait en sa personne et en vertu duquel il donnait le baptême. — ORIG. (Traité 6 sur S. Jean.) Jean-Baptiste démêlait dans la question des prêtres et des lévites le doute où ils étaient, s'il n'était pas le Christ qui baptisait, doute qu'ils se gardaient bien de produire au dehors, de crainte de paraître téméraires. Aussi s'empresse-t-il tout d'abord de détruire cette opinion erronée, et de préparer ainsi les voies à la vérité, en déclarant ouvertement qu'il n'est pas le Christ. Ajoutons que le temps où le Christ devait venir était pour le peuple juif un temps d'espérance et de joie dont il jouissait par avance, parce que les docteurs de la loi recueillaient dans les saintes Ecritures les témoignages qui attestaient que ce temps était proche ; c'est ce qui explique comment Théodas réunit autour de lui une assez grande multitude de peuple, et après lui Judas, le Galiléen, au temps du dénombrement du peuple. (Ac 5) Comme l'avènement du Christ était alors l'objet des plus ardents désirs et de l'attente universelle, les Juifs envoient demander à Jean : « Qui êtes-vous ? » pour savoir s'il avouerait qu'il était le Christ. Or, en disant : « Je ne suis point le Christ ; » il ne nie pas, mais au contraire, confesse ouvertement la vérité. — S. GREG. (hom. 7 sur les Evang.) Il nie clairement ce qu'il n'est pas, mais il ne nie pas ce qu'il est. Son langage, est celui de la vérité, et il mérite ainsi de devenir le membre de celui dont il ne voulait pas usurper injustement le nom.
S. CHRYS. (hom. 16 sur S. Jean.) On peut dire encore que les Juifs avaient à l'égard de Jean-Baptiste, des sentiments beaucoup trop humains. Ils regardaient comme indigne de lui d'être inférieur au Christ, à cause de l'éclat extraordinaire qui entourait toutes les circonstances de sa vie, sa naissance illustre (il était fils du prince des prêtres), son éducation austère, et le mépris qu'il faisait des choses humaines. Jésus-Christ, au contraire, paraissait venir d'une famille obscure, comme les Juifs le lui reprochaient : « Est-ce qu'il n'est pas le fils du charpentier ? » et sa manière de se nourrir et de se vêtir n'avait rien qui le distinguât des autres hommes. Or, comme Jean envoyait continuellement à Jésus-Christ, et que les Juifs cependant préféraient l'avoir pour maître, ils lui envoient une députation, dans l'espérance de l'amener par leurs flatteries, à déclarer qu'il était le Christ. Ce ne sont donc point des hommes du peuple qu'ils lui députent (comme lorsqu'ils envoient au Christ des serviteurs et des hérodiens), mais des prêtres et des lévites, et encore n'étaient-ce pas les premiers venus, mais des prêtres de Jérusalem, c'est-à-dire, les plus honorables et les plus distingués d'entre eux. Ils lui envoient donc demander : « Qui êtes-vous ? » non pas qu'ils ignorent ce qu'il est, mais parce qu'ils veulent l'amener à donner une réponse conforme à leurs désirs. Aussi Jean-Baptiste répond à leurs pensées plutôt qu'à leur question : « Il confessa, et il ne le nia point, il confessa : Je ne suis pas le Christ. » Et voyez la sagesse de l'Evangéliste, il répète trois fois à peu près la même expression, pour faire ressortir la vertu de Jean-Baptiste, et la malice insensée des Juifs ; car c'est le devoir d'un serviteur fidèle, non-seulement de ne pas ravir la gloire qui appartient à son maître, mais de la rejeter quand elle lui est offerte, même par un grand nombre. C'était par ignorance que le peuple conjecturait que Jean-Baptiste pourrait être le Christ, tandis que c'est avec mauvaise intention que les prêtres et les lévites lui adressent cette question, espérant l'amener par leurs flatteries au résultat qu'ils désiraient. Si telle n'avait pas été leur intention, lorsque Jean leur eut répondu : « Je ne suis pas le Christ, » ils se fussent empressés de dire : Nous n'avons jamais eu cette pensée, ce n'est pas ce que nous sommes venus vous demander. Mais honteux de voir leur pensées ainsi dévoilées, ils passent aussitôt à une autre question : « Qui êtes-vous donc, lui dirent-ils ? Etes-vous Elie ?» — S. AUG. (Traité 4 sur S. Jean.) Ils savaient qu'Elie devait précéder le Christ, car le nom du Christ n'était ignoré de personne chez les Juifs. Ils ne croyaient pas que Jean-Baptiste fût le Christ, ils n'avaient pas cependant perdu toute espérance de l'avènement prochain du Christ, et avec cette espérance, la venue du Christ fut pour eux comme une véritable pierre de scandale.
« Et il répondit : Je ne le suis pas. » — S. GREG. (hom. 7.) Cette réponse donne lieu à une difficulté assez grande : les disciples de Jésus l'ayant un jour questionné sur l'avènement d'Elie, il leur répondit : « Puisque vous voulez le savoir, c'est Jean lui-même qui est Elie. » (Mt 11) Ici on demanda à Jean-Baptiste lui-même s'il est Elie, et il répond : « Je ne le suis pas. » Comment peut-il être le prophète de la vérité, si ces paroles sont en désaccord avec celles de la vérité ? — ORIG. (Traité précédent.) On dira peut-être que Jean-Baptiste ignorait qu'il fût Elie, et c'est l'opinion que soutiennent ceux qui professent la doctrine de la transmigration des âmes dans de nouveaux corps. Les Juifs lui demandent donc par les prêtres et les lévites s'il était Elie, parce qu'ils admettent comme véritable le dogme de la transmigration successive des âmes, dogme conforme à leurs traditions et à leurs doctrines secrètes ; et Jean-Baptiste leur répond : « Je ne suis pas Elie, » parce qu'il ignore sa première existence dans un autre corps. Mais comment peut-on supposer raisonnablement que Jean, qui, comme prophète, a été inondé des lumières de l'Esprit saint, et nous a révélé de si grandes vérités sur Dieu et sur son Fils unique, ait pu ignorer que son âme avait autrefois animé le corps d'Elie ? — S. GREG. (hom. 7.) Si l'on veut examiner à fond cette difficulté, on trouvera le moyen de concilier cette contradiction apparente. Que dit, en effet, l'ange à Zacharie ? « Il marchera devant lui dans l'esprit et la vertu d'Elie, » c'est-à-dire, que Jean-Baptiste devait précéder le premier avènement, comme Elie devra un jour précéder le second ; de même qu'Elie sera le précurseur du Juge, ainsi Jean-Baptiste devait être le précurseur du Rédempteur ; Jean-Baptiste était donc Elie en esprit, mais il ne l'était pas en personne. Ce que le Sauveur affirme de l'esprit d'Elie, Jean le nie de la personne. Il était juste, en effet, que le Seigneur parlât de Jean à ses disciples dans un sens spirituel, tandis que Jean devait répondre au peuple encore grossier, en niant dans le sens littéral, qu'il fût Elie en personne.
ORIG. Jean répondit donc aux prêtres et aux lévites ; « Je ne le suis pas, » en devinant l'intention qui avait dicté leur demande. Cette question, en effet, avait pour but de savoir, non pas s'il avait le même esprit qu'Elie, mais s'il était en réalité cet Elie, qui avait été enlevé dans les cieux, et qui, sans passer par une nouvelle naissance, apparaissait de nouveau conformément à l'attente des Juifs. Ceux qui croient à la transmigration des âmes dans de nouveaux corps, diront qu'il est invraisemblable que des prêtres et des lévites pussent ignorer la naissance d'un fils, que Zacharie, prêtre si distingué, eut dans sa vieillesse, surtout lorsque saint Luc nous atteste qu'à sa naissance, tous les habitants du voisinage furent remplis de crainte, et que le bruit de ces merveilles se répandit dans tout le pays des montagnes de Judée. Peut-être, comme ils savaient qu'Elie viendrait avant Jésus-Christ vers la fin du monde, demandent-ils à Jean-Baptiste, dans le sens figuré : « Est-ce vous qui annoncez l'arrivée du Christ, qui doit venir à la fin du monde ? » Et il répond avec sagesse : « Non, ce n'est pas moi. » Un grand nombre savait que Jésus était né de Marie, mais quelques-uns ne laissaient pas de tomber dans cette erreur qu'il pouvait être Jean-Baptiste, ou Elie, ou quelqu'un des prophètes ; il n'y a donc rien d'étonnant que, tandis que les uns savaient parfaitement que Jean-Baptiste était fils de Zacharie, d'autres fussent dans le doute s'il n'était pas le prophète Elie qu'ils attendaient. Mais comme il avait paru plusieurs prophètes en Israël, l'objet de leur attente était surtout en prophète que Moïse avait annoncé en ces termes : « Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères, vous lui obéirez comme à moi. » (Dt 5, 5 ; Ex 24, 7-8.) C'est ce qui explique la troisième question qu'ils font à Jean-Baptiste, non pas s'il était simplement prophète, mais s'il était le prophète avec l'article, comme porte le texte grec : « Etes-vous le prophète ? » Le peuple d'Israël savait, qu'aucun des prophètes n'avait été celui que Moïse avait annoncé, et qui devait, à l'exemple de ce législateur du peuple de Dieu, être le médiateur entre Dieu et les hommes, et transmettre à ses disciples le testament ou l'alliance qu'il recevait de Dieu. Or, tandis que les Juifs refusaient de reconnaître dans Jésus-Christ ce prophète prédit par Moïse, et voulaient attribuer ce nom à un autre que lui, Jean savait que Jésus était vraiment ce prophète. Aussi répond-il : « Je ne le suis pas. » — S. AUG. (Traité précéd.) Peut-être répond-il de la sorte, parce qu'il était plus grand qu'un prophète, les prophètes ayant prédit le Christ longtemps à l'avance, tandis que Jean le montrait présent au milieu des hommes.
« Ils lui dirent donc : Qui êtes-vous, afin que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés ? » — S. CHRYS. (hom. 16 sur S. Jean.) Voyez comme ils insistent et le pressent de nouvelles questions, et comme Jean-Baptiste leur répond avec douceur en détruisant toutes leurs fausses idées et leur faisant connaître ce qu'il était en vérité : « Il répondit : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert. » — S. AUG. (Traité précéd.) Cette prophétie d'Isaïe a reçu son accomplissement dans la personne de Jean-Baptiste. — S. GREG. (hom. 7.) Vous savez que le Fils unique de Dieu est appelé le Verbe du Père ; or, notre langage nous aide à nous rendre compte de ce fait, que la voix doit retentir d'abord, pour que le verbe ou la parole puisse être entendue. Jean affirme donc qu'il est la voix, parce qu'il précède le Verbe, et que c'est par son ministère que le Verbe du Père a été connu des hommes.— ORIG. Héracléon, dans ses réflexions absurdes sur Jean et les prophètes, reconnaît que le Sauveur est bien le Verbe, et que Jean est la voix, parce que tout prophète n'est qu'un son. Nous lui répondrons par ces paroles de l'Apôtre : « Si la trompette ne rend qu'un son confus, qui est-ce qui se préparera au combat ? » (1 Co 14) Si donc la voix des prophètes n'est qu'un son, comment le Sauveur nous ordonne-t-il de recourir à cette voix ? « Scrutez les Ecritures, nous dit-il. » (Jn 5, 1.) Or, Jean déclare qu'il est non pas la voix qui crie dans le désert, mais « la voix de celui qui crie dans le désert, » c'est-à-dire, de celui qui se tenait debout et disait à haute voix : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. » (Jn 7) Il parle à haute voix pour se faire entendre de ceux qui étaient éloignés, et aussi pour faire comprendre à ceux qui ont l'ouïe dure, l'importance des vérités qu'il leur enseignait. — THEOPHYL. Ou bien encore, Jean est la voix, parce qu'il annonce ouvertement la vérité, tandis que sous la loi le langage des prophètes était couvert d'obscurité. — S. GREG. (hom. 7.) Ou encore, Jean criait dans le désert, parce qu'il venait annoncer la consolation du Rédempteur à la Judée, semblable à un lieu désert et abandonné. — ORIG. (Traité précéd.) La voix qui crie dans le désert est nécessaire à l'âme abandonnée de Dieu, pour la ramener dans les voies droites qui conduisent à lui, sans qu'elle s'égare davantage dans les voies tortueuses du serpent mauvais, pour l'élever par la méditation jusqu'à la contemplation de la vérité sans mélange d'erreur, et faire succéder à cette méditation sérieuse la pratique des bonnes œuvres. Voilà le sens de ces paroles : « Rendez droite la voie du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe. » — S. GREG. (hom. 7.) La voie du Seigneur va droit au cœur, lorsqu'on écoute avec humilité la parole de vérité ; elle va droit au cœur lorsqu'elle le prépare à l'accomplissement des divins préceptes.
ORIG. (Traité 7 sur S.. Jean.) Après que Jean-Baptiste eut fait cette réponse aux prêtres et aux lévites, les pharisiens l'interrogèrent de nouveau : « Or, ceux qui avaient été envoyés, étaient des pharisiens.» Autant qu'il est permis de le conjecturer d'après le contexte, ce fut là le troisième témoignage. On peut remarquer que les prêtres et les lévites avaient fait au saint Précurseur une question pleine de convenance et conforme ù leur caractère : « Qui êtes-vous ? » Cette question n'est ni insolente ni déplacée, tout y est digne de vrais ministres de Dieu. Mais les pharisiens, justifiant la signification de leurs noms, qui veut dire divisés, importuns et fâcheux, font à Jean-Baptiste, par esprit de division, une question blessante : « Ils l'interrogèrent, et lui dirent : Pourquoi donc baptisez-vous, si vous n'êtes ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète ? » Ce n'est point qu'ils désirent eu savoir la raison, ils veulent tout simplement l'empêcher de baptiser. Avec cela, je ne sais quel motif les portait encore à recevoir le baptême de Jean. Pour expliquer cette conduite, il faut dire que les pharisiens venaient recevoir ce baptême sans y croire, par hypocrisie, et par crainte du peuple. — S. CHRYS. (hom. 15 sur S, Jean.) On peut dire encore que les prêtres et les lévites eux-mêmes étaient du nombre des pharisiens ; ils n'ont pu triompher de Jean par leurs flatteries, ils cherchent donc à l'accuser pour le forcer de faire un aveu contraire à la vérité : « Et ils l'interrogèrent et lui dirent : Pourquoi baptisez-vous, si vous n'êtes ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète ? » Comme si c'était une témérité impardonnable de baptiser, sans être le Christ, ou son précurseur, ou son héraut, c'est-à-dire un prophète.
S. GREG. (hom. 7.) Mais l'amour de la bonté dans les saints est à l'épreuve même des questions malveillantes qui leur sont adressées. Aussi Jean-Baptiste ne répond à ces paroles dictées par un sentiment de jalousie, que par les enseignements de la vie : « Il leur répondit : Moi, je baptise dans l'eau. » — ORIG. (Traité 8 sur S. Jean.) Quelle autre réponse convenait-il de faire à cette question : « Pourquoi baptisez-vous ? » que de bien définir la nature de son baptême qui était un baptême purement corporel.
S. GREG. (hom. 7.) En effet, Jean-Baptiste ne baptisait pas dans l'esprit, mais dans l'eau, parce que son baptême ne pouvait effacer les péchés ; ce baptême lavait dans l'eau les corps de ceux qui venaient le recevoir, mais ne purifiait pas les âmes par le pardon. Pourquoi donc baptise-t-il, puisque son baptême ne peut remettre les péchés ? C'était pour remplir encore ici son office de précurseur ; sa propre naissance avait précédé la naissance du Seigneur, son baptême devait aussi précéder le baptême du Sauveur. Il avait été le précurseur du Christ en l'annonçant aux Juifs, il était juste qu'il le fût aussi par un baptême qui était la figure du sacrement do baptême, et qu'en baptisant de la sorte, il annonçât le mystère de la rédemption, et déclarât que le Rédempteur se trouvait au milieu d'eux, sans en être connu : « Mais il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas. » C'est qu'en effet, le Seigneur s'étant manifesté dans un corps sensible, il était visible dans son corps, et invisible dans sa majesté.
S. CHRYS. (hom. 16.) Jean-Baptiste parlait de la sorte, parce que le Sauveur était mêlé au peuple, comme un homme ordinaire, pour nous apprendre qu'il voulait en tout pratiquer l'humilité. Ces paroles : « Que vous ne connaissez pas, » doivent s'entendre d'une connaissance parfaite, qui s'étendit par conséquent à la nature du Sauveur et à son origine divine. — S. AUG. (Traité 4 sur S. Jean.) Son humilité le couvrait comme d'un voile qui ne permettait pas de le voir, c'est pour cola qu'il fallut allumer une lampe. — THEOPHYL. Ou bien le Seigneur était au milieu des pharisiens sans en être connu, parce qu'ils prétendaient savoir les Ecritures ; comme le Seigneur s'y trouve annoncé, il était au milieu d'eux, c'est-à-dire au milieu de leurs cœurs, mais ils ne le connaissaient pas, parce qu'ils ne comprenaient pas les Ecritures. Ou bien encore, Jésus-Christ était au milieu des pharisiens, en tant que médiateur de Dieu et des hommes pour les unir à Dieu, mais les pharisiens ne le connaissaient pas.
ORIG. (Traité 7) Ou bien encore, après avoir répondu à la première partie de leur question : « Pourquoi baptisez-vous ? » en leur disant : « Moi, je baptise, dans l'eau, » il répond à la seconde partie : « Si vous n'êtes pas le Christ, » en faisant l'éloge de la nature supérieure et divine du Christ, dont la puissance est si grande qu'il est invisible dans sa divinité, bien qu'il soit présent partout, et comme répandu dans tout ce vaste univers, ce qu'il veut exprimer par ces paroles : « Il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas. » En effet, il est répandu dans tout cet univers, et en pénètre toutes les parties, tout ce qui est créé ne l'est que par lui ; car toutes choses ont été faites par lui. Il était donc évidemment au milieu de ceux qui demandaient à Jean-Baptiste : « Pourquoi baptisez-vous ? » Ou bien encore, ces paroles : « Il y en a un au milieu de vous, » doivent s'entendre de nous tous ; car il est au milieu de nous, en tant que nous sommes des êtres raisonnables, puisque la partie la plus excellente de notre âme, c'est-à-dire notre cœur, se trouve au milieu de notre corps. Ceux donc qui portent le Verbe au milieu d'eux, mais qui ne connaissaient ni sa nature, ni son origine, ni la manière dont il est en eux, ont le Verbe au milieu d'eux, sans le connaître. Mais pour Jean, il le connaissent, de là ce reproche qu'il leur fait : « Il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas. » Les pharisiens qui attendaient la venue du Christ, n'apercevaient en lui rien d'aussi élevé, et le regardaient simplement comme un homme vertueux, voilà pourquoi Jean-Baptiste leur reproche d'ignorer l'excellence et la supériorité du Sauveur. Il leur dit : « Il est, il se tient au milieu de vous, » car de même que le Père reste toujours immuable et au-dessus de tonte vicissitude, ainsi le Verbe se tient aussi toujours prêt à nous sauver, c'est dans ce but qu'il s'est incarné, et qu'il se tient au milieu des hommes comme invisible et sans en être connu. Et pour ne pas laisser à penser que celui qui est invisible, qui pénètre le cœur de tous les hommes, et l'univers tout entier, est différent de celui qui s'est incarné et qui s'est manifesté sur la terre, Jean-Baptiste ajoute : « C'est lui qui doit venir après moi, » c'est-à-dire qui doit se manifester aux hommes après moi. L'expression après, n'a pas ici le même sens que dans ces paroles où Jésus nous invite à marcher après lui. (Mt 16 ; Lc 9) D'un côté, le Sauveur nous ordonne de le suivre, afin de pouvoir parvenir jusqu'au Père en marchant sur ses traces ; de l'autre, Jean-Baptiste veut nous faire connaître le but et la fin de sa prédication : il est venu pour préparer les hommes, par la foi, à recevoir des enseignements plus parfaits que ceux qu'il leur donnait. — S. CHRYS. (hom. préced.) Il leur dit donc : « C'est lui qui doit venir après moi, » c’est-à-dire : Ne croyez pas que mon baptême contienne et donne toute perfection, s'il en était ainsi, un autre ne viendrait pas après moi pour donner un baptême différent. Mon baptême en est la préparation, il passera comme une ombre et une image pour faire place à la réalité ; car il faut que celui qui doit annoncer la vérité, vienne après moi. Si mon baptême était parfait, il n'y aurait pas lieu de lui en substituer un second. Aussi a-t-il soin d'ajouter : « Qui a été fait plus grand que moi, » c'est-à-dire qui est plus illustre et plus digne d'honneur et de gloire que moi. — S. GREG. Ces paroles : « Il a été fait avant moi, » veulent dire, il m'a été préféré. Il vient après moi ; parce que sa naissance a suivi la mienne, mais il a été fait avant moi, parce qu'il a été placé au-dessus de moi.
S. CHRYS. (hom. 16 sur S. Jean.) Mais Jean-Baptiste ne veut pas laisser supposer qu'on puisse établir une comparaison entre le Christ et lui, et pour montrer que sa gloire est incomparable, il ajoute : « Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sa chaussure, » c'est-à-dire il est tellement élevé au-dessus de moi, que je ne suis pas digne d'être compté au nombre de ses derniers serviteurs, car c'est un des derniers offices, que de dénouer la courroie des chaussures.—S. AUG. (Traité 4 sur S. Jean.) Se juger digne seulement de dénouer la courroie de sa chaussure, eût déjà été dans Jean-Baptiste un grand acte d'humilité. — S. GREG. (hom. préc.) On peut encore donner cette explication. C'était un usage chez les anciens Juifs, que lorsqu'un homme refusait de prendre pour femme celle que la loi lui faisait un devoir d'épouser, celui qui devait l'épouser alors par ordre de parenté, était la chaussure au premier. Or, sous quel titre Jésus-Christ s'est-il surtout manifesté parmi les hommes ? comme l'Epoux de la sainte Eglise. C'est donc avec raison que Jean-Baptiste se déclare indigne de dénouer la courroie de sa chaussure, comme s'il faisait ouvertement un aveu : Je ne suis pas digne de déchausser les pieds du Rédempteur, parce que je ne veux pas usurper injustement le titre d'époux. On peut encore l'entendre dans un autre sens. Qui ne sait que les chaussures sont faites de la peau des animaux, que l'on dépouille après leur mort ? Or, le Sauveur par son incarnation, apparut comme ayant les pieds couverts d'une chaussure, en unissant sa divinité à notre nature mortelle et corruptible. La courroie de la chaussure est donc comme le lien de cette union mystérieuse. Jean-Baptiste ne peut dénouer la courroie de sa chaussure, parce qu'il ne peut approfondir lui-même le mystère de l'incarnation, et il semble tenir ce langage : Qu'y a-t-il d'étonnant qu'il ait été placé au-dessus de moi, lui qui est né, il est vrai, après moi, mais dont la naissance est pour moi un mystère incompréhensible ?— ORIG. Un auteur a donné de ce passage cette interprétation qui a quelque vraisemblance : Je n'ai pas assez d'importance pour que le Fils de Dieu descende pour moi des hauteurs des cieux et se revête d'un corps mortel comme d'une chaussure.
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Jean-Baptiste prêchait publiquement les prérogatives du Christ avec une indépendance pleine de dignité, et l'Evangéliste désigne le lieu où il faisait entendre sa voix : « Ceci se passa à Béthanie, au delà du Jourdain, où Jean baptisait. » Ce n'est ni dans l'intérieur d'une maison, ni dans un lieu retiré qu'il annonçait Jésus-Christ, c'était au-delà du Jourdain, au milieu d'une nombreuse multitude, et en présence de ceux qu'il avait baptisés. Quelques exemplaires portent, et peut-être avec plus de raison : « A Bethabara, » car Béthanie n'est ni au delà du Jourdain, ni dans le désert, mais près de Jérusalem. — LA GLOSE. Ou bien, il faut admettre deux endroits du nom de Béthanie, l'un au delà du Jourdain, et l'autre près de Jérusalem, et où Lazare fut ressuscité. — S. CHRYS. (hom. 17.) C'est encore pour un autre motif que l'Evangéliste fait connaître le nom du lieu où Jean baptisait. Il racontait des faits dont la date n'était pas éloignée, et remontaient à quelque temps seulement auparavant ; il appelle donc en témoignage de la véracité de son récit ceux qui avaient été les témoins oculaires de ces faits, qu'il confirme par la désignation des lieux où ils se sont passés.
ALCUIN. Béthanie signifie maison d'obéissance, ce qui nous apprend que c'est par l'obéissance de la foi, que tous les hommes doivent parvenir au baptême. —
ORIG. (Traité 7 sur S. Jean. ) Béthanie signifie encore maison de la préparation, et cette signification se rapporte parfaitement au baptême de Jean, qui avait pour fin de préparer au Seigneur un peuple parfait. Le mot Jourdain veut dire leur descente ; or, quel est ce fleuve, si ce n'est notre Sauveur qui purifie tous ceux qui entrent dans le monde, en descendant et en s'humiliant non pour lui-même, mais dans la personne du genre humain. Ce fleuve sépare les terres et les villes données par Moïse, de celles qui ont été données par Josué, et les eaux rapides de ce fleuve portent la joie dans la cité de Dieu. (Ps 45, 5) De même que le serpent se cache dans le fleuve d'Egypte, ainsi Dieu se cache dans ce fleuve, car le Père est dans le Fils, et ceux qui viennent pour se purifier dans ses eaux, se dépouillent Je l'opprobre de l'Egypte, et se rendent dignes d'avoir part à l'héritage, ils sont purifiés de la lèpre, et ils méritent de recevoir une double grâce et de voir descendre en eux l'Esprit de Dieu, car la colombe spirituelle ne descend point sur un autre fleuve. C'est au delà du Jourdain que Jean donne son baptême, comme précurseur de celui qui venait appeler non les justes, mais les pécheurs.
ORIG. (Traité 6 sur S.Jean.) Après ce témoignage de Jean-Baptiste, Jésus vient à lui ; le saint Précurseur, non-seulement persévère dans son témoignage, mais il expose des effets plus merveilleux encore de la venue du Rédempteur, et qui sont comme figurés par le second jour dont il est question : « Le jour suivant, Jean vit Jésus venant à lui. » Autrefois la mère de Jésus, aussitôt qu'elle l'eut conçu, était allé visiter la mère de Jean qui était encore enceinte, et aussitôt que la voix de Marie, qui saluait sa parente, eut frappé les oreilles d'Elisabeth, Jean tressaillit dans le sein de sa mère. Ici Jean-Baptiste voit venir à lui et s'approcher de lui Jésus lui-même, à qui il a rendu témoignage. Il est dans l'ordre que l'homme soit d'abord instruit par le témoignage des autres, avant de juger par ses yeux de la vérité de ce qui lui a été enseigné. La visite de Marie à Elisabeth, qui était son inférieure, et la démarche du Fils de Dieu, qui vient trouver Jean-Baptiste, nous apprennent l'humilité et le zèle avec lequel nous devons nous rendre utiles à ceux qui sont nos inférieurs. Nous ne voyons pas ici de quel endroit le Sauveur vint trouver Jean-Baptiste, mais nous pouvons le conclure de ces paroles de saint Matthieu : « Alors Jésus vint de la Galilée sur les bords du Jourdain , pour être baptisé par lui. » (Mt 2) — S. CHRYS. (hom. 17.) Ou bien, saint Matthieu raconte l'arrivée de Jésus-Christ sur les bords du Jourdain pour recevoir le baptême, et saint Jean une autre démarche du Sauveur pour se rendre près de Jean-Baptiste après son baptême, c'est ce que semble indiquer la suite de son récit : « J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe, » etc. Les Evangélistes se sont comme partagé, en effet, les diverses époques de la vie de Jésus. Saint Matthieu passe sous silence tous les faits qui ont précédé la prison de Jean-Baptiste, et passe immédiatement aux événements qui l'ont suivie ; tandis que saint Jean s'attache surtout à raconter les faits qui ont eu lieu avant que le saint Précurseur fût jeté dans les fers. C'est ce qu'il fait en ces termes : « Le lendemain, Jean vit Jésus, » etc. Pourquoi Jésus vient-il trouver Jean-Baptiste une seconde fois après son baptême ? parce que le Sauveur avait été baptisé avec un grand nombre d'autres, et qu'il ne voulait pas qu'on put soupçonner qu'il était venu trouver Jean-Baptiste pour le même motif, c'est-à-dire pour confesser ses péchés, ou recevoir dans le Jourdain le baptême de pénitence. Il revient donc trouver Jean-Baptiste, pour lui donner occasion de détruire cette fausse opinion, ce que Jean fait en ces termes : « Et il dit : Voici l'Agneau de Dieu, » etc. Il était de toute évidence , en effet, que celui dont la sainteté infinie devait effacer les péchés des autres, ne venait pas pour confesser ses péchés, mais pour donner occasion à Jean-Baptiste de lui rendre témoignage. Disons encore qu'il vient une seconde fois pour confirmer la vérité des premiers témoignages dans l'esprit de ceux qui les avait entendus, et les préparer à en recevoir d'autres. Jean-Baptiste dit : « Voici l'Agneau de Dieu, » pour signifier que c'est cet Agneau qui était autrefois attendu, pour rappeler la prophétie d'Isaïe, les symboles figuratifs de la loi ancienne, et conduire ainsi plus facilement les hommes à la vérité par les figures.
S. AUG. (Traité 4 sur S. Jean.) Si un agneau est innocent, et que Jean soit un agneau, n'est-il pas innocent par là même ? Mais tous les hommes descendent de cette race coupable dont David disait en gémissant : « Voici que j'ai été conçu dans l'iniquité. » (Ps 50) Il n'y a donc que cet Agneau qui ne soit point né de cette race. Il n'a point été conçu dans l'iniquité, et sa mère ne l'a point nourri dans son sein d'un sang impur. Il a été conçu par une vierge, enfanté par une vierge, parce qu'elle l'a conçu par la foi, et que c'est par la foi qu'elle lui a donné le jour.
ORIG. (Traité 6 sur S. Jean.) On offrait dans le temple comme victimes cinq espèces d'animaux, trois choisies parmi les animaux terrestres, le veau, la brebis et la chèvre, deux parmi les oiseaux, la tourterelle et la colombe. L'espèce ovine en fournissait trois : le bélier, la brebis et l'agneau, et parmi ces trois derniers, Jean-Baptiste choisit l'agneau comme figure du Sauveur, parce que l'agneau était la victime des sacrifices qu'on offrait chaque jour, l'un le matin et l'autre le soir. Or, quel est ce sacrifice que la nature raisonnable doit offrir à Dieu chaque jour, si ce n'est le Verbe toujours plein de force, de vie et de beauté, et qui nous est ici représenté sous la figure d'un agneau ? C'est lui qui sera notre sacrifice du matin, qui applique notre intelligence à la méditation des vérités divines, car notre âme ne peut toujours être appliquée à des choses aussi relevées, à cause de son étroite union avec ce corps mortel qui l'appesantit. De cette vérité que Jésus-Christ est un agneau, nous pourrions tirer encore plusieurs conséquences très-utiles, et nous arriverions ainsi jusqu'au sacrifice du soir, qui représente les choses corporelles. Or, celui qui a offert cet agneau en sacrifice, c'est Dieu qui était comme caché dans l'homme ; c'est le grand-prêtre qui a dit : « Personne ne m'ôte la vie, mais je la donne de moi-même, » (Jn 10) et c'est pour cela qu'il est appelé l'Agneau de Dieu ; car il a pris sur lui toutes nos infirmités (Is 53) ; il a effacé tous les péchés du monde (1 P 2) ; et a reçu la mort comme un baptême. (Lc 12) Dieu, en effet, ne laisse passer sans les reprendre et les châtier aucune de nos actions contraires à sa loi, et ce n'est qu'au prix des plus grands efforts qu'elles peuvent être ramenées à cette règle divine.
THEOPHYL. Ou bien encore, Jésus-Christ est appelé l'Agneau de Dieu, en ce sens que sa mort a été acceptée par Dieu le Père pour notre salut, ou parce qu'il l'a livré lui-même à la mort pour nous sauver. C'est ainsi que nous avons coutume de dire : « Cette offrande est de tel homme, » c'est-à-dire que cet homme l'a offerte ; de même Jésus-Christ est appelé l'Agneau de Dieu, parce que Dieu a offert son Fils à la mort pour notre salut. L'agneau figuratif n'a effacé le péché d'aucun homme ; l'Agneau véritable a effacé le péché du monde tout entier qu'il a délivré de la colère de Dieu, aux châtiments de laquelle il était exposé. C'est pour cela que Jean-Baptiste dit : « Voici celui qui efface le péché du monde. » Il ne dit pas : Qui effacera, mais : « Qui efface les péchés du monde, » c'est-à-dire qu'il continue toujours de le faire. Ce n'est pas seulement dans sa passion et sur la croix qu'il efface le péché du monde, il n'a cessé de l'effacer depuis sa mort jusqu'à présent, il n'est pas toujours crucifié, il est vrai, puisqu'il n'a offert qu'un seul sacrifice pour nos péchés, mais il ne cesse de les effacer par la vertu de ce sacrifice.
S. GREG. (Moral., 8, 20.) Il ôtera entièrement le péché du genre humain, lorsque notre corruption sera remplacée par la glorieuse incorruptibilité ; car nous ne pouvons être affranchis de tout péché tant que nous sommes retenus captifs dans ce corps de mort. — THEOPHYL. Mais pourquoi dit-il : « Le péché du monde, » et non pas : Les péchés du monde ? C'est pour renfermer dans cette dénomination générale l'universalité des péchés, comme lorsque nous disons : l'homme a été chassé du paradis, c'est-à-dire le genre humain tout entier.
BEDE. Ou bien, le péché du monde signifie le péché originel, qui est commun au genre humain tout entier. Or, c'est ce péché originel, et tous ceux que les hommes y ont ajoutés, que Jésus-Christ efface par sa grâce. — S. AUG. (Traité 4 sur S. Jean.) Celui qui, en prenant notre nature, n'a point pris notre péché, est celui-là même qui efface notre péché. Vous savez qu'il est des hommes qui tiennent ce langage : Nous remettons les péchés aux hommes, parce que nous sommes saints ; car si celui qui baptise n'a pas la sainteté, comment peut-il effacer le péché d'un autre, lui dont l'âme est souillée par toute sorte de péchés ? A ces prétentions, nous nous contentons d'opposer ces paroles : « Voici celui qui efface le péché du monde, » paroles qui détruisent toute confiance présomptueuse dans les hommes. — ORIG. (comme préced.) De même qu'au sacrifice de l'agneau figuratif les autres sacrifices prescrits par la loi se trouvaient joints par un lien étroit, ainsi au sacrifice de l'Agneau véritable, viennent s'unir par un lien non moins intime, d'autres sacrifices semblables, le sacrifice des martyrs qui répandent leur sang, et dont la patience, la foi et le zèle ardent détruisent et anéantissent tous les obstacles que les impies voudraient apporter au bien.
THEOPHYL. Jean-Baptiste avait dit précédemment à ceux qu'on lui avait envoyés : « Il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas, » il le fait connaître maintenant à ceux qui l'ignoraient: « C'est celui dont j'ai dit : Un homme vient après moi, » etc. Il appelle le Seigneur un homme, parce qu'il avait atteint la plénitude de l'âge, puisqu'il fut baptisé à l'âge de trente ans ; ou encore, parce qu'il est le mari spirituel de l'âme et l'époux de l'Eglise, ce qui a fait dire à saint Paul : « Je vous ai fiancés à un seul homme qui est Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge toute pure, » (2 Co 2) — S. AUG. (Traité 4 sur S. Jean.) Il est venu après moi, parce que sa naissance a suivi la mienne, mais « il a été fait avant moi, » c'est-à-dire qu'il a été placé au-dessus de moi. — S. GREG. (hom. 7 sur les Evang.) La raison de cette prééminence de Jésus, c'est, ajoute-t-il : « Qu'il était avant moi, » c'est-à-dire, quoique ma naissance précède lu sienne, il ne laisse pas d'être au-dessus de moi, parce que son existence n'est point limitée par l'époque de sa naissance, car celui qui a voulu naître d'une mère dans le temps, a été engendré par son Père on dehors de toute succession de temps. — THEOPHYL. Ecoutez ces paroles, ô Arius ! Jean ne dit pas : Il a été créé avant moi, mais : « Il était avant moi. » Que les sectateurs de Paul de Samosate entendent aussi ces paroles, et qu'ils apprennent que Jésus ne tire pas sa première origine de Marie, car s'il avait reçu d'elle le principe de son existence, comment aurait-il pu exister avant son précurseur, puisqu'il est évident que la naissance de Jean-Baptiste précédait de six mois la naissance temporelle de Jésus-Christ ?
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) On pouvait soupçonner Jean-Baptiste d'obéir à la voix de l'amitié ou aux liens du sang qui l'unissaient à Jésus-Christ en lui rendant un si glorieux témoignage ; aussi se hâte-t-il d'ajouter : « Et moi, je ne le connaissais pas, » ce qui devait paraître vraisemblable, puisque Jean avait toujours vécu dans le désert. Les prodiges qui avaient entouré le berceau de Jésus enfant, par exemple, lors de l'adoration des mages, ou dans d'autres circonstances semblables, remontaient à une époque déjà éloignée, et au temps de la première enfance de Jean-Baptiste. Depuis, le Sauveur avait passé sa vie dans l'obscurité, et sans être connu de personne, comme le déclare Jean-Baptiste lui-même : « Mais c'est afin qu'il fût manifesté en Israël, que je suis venu baptiser dans l'eau. » Donc tous ces prétendus miracles avec lesquels Jésus se serait joué dès son enfance, sont autant de fictions dénuées de fondement. Si Jésus avait fait des miracles dès sa première enfance, Jean l'aurait connu de quelque manière, et le peuple n'eût pas en besoin qu'on le lui fit connaître. Ce baptême n'était donc nullement nécessaire au Sauveur, et il n'avait d'autre raison que de préparer les hommes à croire en Jésus-Christ. Aussi Jean-Baptiste ne dit pas : Je suis venu pour purifier ceux qui reçoivent mon baptême, ou pour les délivrer de leurs péchés, mais : « Je suis venu, afin qu'il fût manifesté eu Israël. » Mais ne pouvait-il donc faire connaître Jésus-Christ, et déterminer le peuple à croire en lui, sans qu'il fût nécessaire de baptiser ? Oui, sans doute, mais il atteignait ainsi plus facilement ce but, car la foule ne se fût pas empressée d'accourir à lui, si la prédication n'eût pas été suivie du baptême.
S. AUG. (Traité 4 sur S. Jean.) Mais dès que le Seigneur fut connu, il était inutile de lui préparer les voies, puisqu'il devenait lui-même la voie pour ceux qui le connaissaient. Aussi le baptême de Jean ne dura plus longtemps, et seulement jusqu'à ce qu'il eût fait connaître suffisamment le Sauveur, si humble dans tout son extérieur. (Tr. 5.) C'est donc pour nous donner un exemple d'humilité, et nous engager à recevoir le baptême qui efface les péchés et nous donne le salut, que le Seigneur a daigné être baptisé des mains de son serviteur. Mais afin que le baptême du serviteur ne fût pas mis au-dessus du baptême du Seigneur, d'autres reçurent aussi le baptême du serviteur. Or ceux qui recevaient le baptême du serviteur, devaient encore nécessairement recevoir le baptême du Seigneur, tandis que ceux qui recevaient le baptême du Seigneur, n'avaient nul besoin du baptême du serviteur.
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Le témoignage que Jean-Baptiste avait rendu à Jésus, qu'il pouvait seul remettre les péchés du monde entier, avait pour objet un mystère si relevé qu'il pouvait jeter dans l'étonnement et la stupeur ceux qui l'entendaient, et c'est pour le rendre plus digne de foi qu'il le fait remonter jusqu'à Dieu et à l'Esprit saint. En effet, on pouvait dire à Jean : « Comment donc l'avez-vous connu ? » C'est, répond-il par l'Esprit saint qui est descendu sur lui : « Et Jean rendit encore ce témoignage : J'ai vu l'Esprit saint descendre sur lui, » etc. — S. AUG. (de la Trin., 15, 20.) Ce n'est pas cependant que Jésus n'ait reçu l'onction de l'Esprit saint, que lorsqu'il descendit sur lui, après son baptême, sous la forme d'une colombe. Le Sauveur daignait alors représenter son corps mystique, c'est-à-dire son Eglise, dans laquelle surtout ceux qui sont baptisés reçoivent l'Esprit saint. Il serait, en effet, de la dernière absurdité de croire que Jésus ne reçut l'Esprit saint qu'à l'âge de trente ans, puisqu'il avait cet âge lorsqu'il fut baptisé et qu'il vint recevoir le baptême de Jean sans aucun péché, mais aussi sans avoir reçu l'Esprit saint. Il est écrit de Jean, son serviteur et son précurseur : « Il sera rempli de l'Esprit saint dès le sein de sa mère, » et quoiqu'il eût un homme pour père, il reçut l'Esprit saint dès le sein de sa mère, que devrons-nous donc penser et croire de Jésus-Christ fait homme, lui dont la conception dans le sein de sa mère eut pour principe, non point la chair, mais l'Esprit ?
S. AUG. (du comb. chrét., 22) Nous ne disons pas que Jésus-Christ seul avait un véritable corps, tandis que l'Esprit saint ne se manifesta aux yeux des hommes que sous une apparence trompeuse. Il est aussi indigne de l'Esprit saint que du Fils de Dieu, d'induire les hommes en erreur. Aussi disons-nous que Dieu, qui a créé tout de rien, a pu fort bien créer un véritable corps de colombe sans l'intermédiaire d'aucun oiseau de cette espèce, avec la même facilité qu'il forma un véritable corps dans le sein de la Vierge, sans le concours d'aucun homme.
S. AUG. (Traité 6, sur S. Jean.) L'Esprit saint s'est manifesté aux hommes sous deux formes visibles différentes, sous la forme d'une colombe lorsqu'il descendit sur Nôtre-Seigneur après son baptême, et sous la forme de langues de feu quand il descendit sur les Apôtres réunis. D'un côté, c'est le symbole de la simplicité, de l'autre, l'emblème de la ferveur. La forme de la colombe apprend à ceux qui ont été sanctifiés par l'Esprit saint, à fuir toute duplicité ; et le feu enseigne à la simplicité, à ne point faire ses actions avec froideur. Ne vous étonnez pas que les langues soient divisées. Ne craignez pas la division, reconnaissez dans la colombe le symbole de l'unité. Il fallait que l'Esprit saint descendît sur Nôtre-Seigneur sous la forme d'une colombe, pour apprendre à tous les chrétiens qu'on reconnaîtra qu'ils ont reçu l'Esprit saint, s'ils ont la simplicité de la colombe et s'ils vivent avec leurs frères dans cette paix véritable que figurent les baisers des colombes. Les corbeaux donnent aussi des baisers, mais en même temps ils déchirent ; la colombe ne sait point déchirer, les corbeaux se nourrissent de corps qui ont été mis à mort, ce que ne fait pas la colombe, qui ne se nourrit que des fruits de la terre. Que si la colombe fait entendre des gémissements d'amour, ne soyons pas surpris que l'Esprit saint ait voulu apparaître sous la forme d'une colombe, lui qui prie pour nous par ses gémissements ineffables. (Rm 9) Ce n'est point en lui même, mais en nous que l'Esprit saint gémit par les gémissements qu'il nous inspire. Celui qui gémit d'être accablé sous le poids de ce corps mortel, et de vivre éloigné du Seigneur, gémit d'une manière agréable à Dieu. Mais il en est beaucoup qui gémissent d'être privés de la félicité de ce monde, ou d'être brisés par les épreuves, accablés sous le poids écrasant des infirmités du corps, ce ne sont pas là les gémissements de la colombe. Sous quelle forme devait se manifester l'Esprit saint pour représenter l'unité, si ce n'est sous la forme de la colombe, afin de pouvoir dire à l'Eglise, après lui avoir donné la paix ; « Ma colombe est unique ? » (Ct 6) Quel symbole plus convenable de l'humilité, que cet oiseau simple et gémissant ? La sainte et véritable Trinité apparut tonte entière dans cette circonstance ; le Père, dans cette voix qui dit: « Vous êtes mon Fils bien-aimé. » Le Fils dans celui qui est baptisé, et l'Esprit saint dans la colombe. C'est au nom de cette Trinité, que les Apôtres ont été envoyés pour baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. (Mt 28)
S. GREG. (Moral., 28, 41.) Jean-Baptiste ajoute : « Et demeurer sur lui, » car l'Esprit descend, il est vrai, dans le cœur de tous les fidèles, mais c'est dans le médiateur seul qu'il demeure d'une manière spéciale, parce qu'il ne s'est jamais séparé de l'humanité de Jésus, de la divinité duquel il procède. Or le Sauveur parlant à ses disciples de cet Esprit, leur dit aussi : « Il demeurera en vous. » (Jn 16) A quel titre particulier demeure-t-il donc en Jésus-Christ ? C'est ce qu'il nous sera facile de reconnaître si nous faisons une distinction entre les dons de l'Esprit saint. S'agit-il des dons sans lesquels il est impossible de parvenir à la vie, comme la douceur, l'humilité, la foi, l'espérance et la charité, l'Esprit saint demeure dans tous les fidèles. Mais quant aux dons qui out pour objet la manifestation de l'Esprit saint, et qui tendent moins à conserver la vie spirituelle en nous qu'à l'établir dans les autres, l'Esprit saint ne demeure pas toujours en ceux qui ont reçu ces dons, et il se dérobe quelquefois à l'éclat des miracles pour rendre plus humbles les vertus qu'il a inspirées ; Jésus-Christ, au contraire, a eu toujours et en tontes circonstances l'Esprit saint en lui.
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Que personne ne pense que Jésus-Christ eut besoin de recevoir l'Esprit saint, comme nous avons besoin de le recevoir nous-mêmes ; Jean-Baptiste détruit jusqu'à l'ombre de ce soupçon, en déclarant que l'unique motif de la descente du Saint-Esprit sur Jésus était de le faire connaître : « Et moi je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, m'a dit : Celui sur qui tu verras l'Esprit saint descendre et se reposer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit saint. » — S. AUG. (Traité 5 sur S. Jean.) Mais qui donc a envoyé Jean-Baptiste ? Si nous disons : le Père, nous disons vrai ; si nous disons : le Fils, nous disons vrai encore, mais beaucoup plus vrai, si nous disons le Père et le Fils. Mais comment pouvait-il ne pas connaître celui qui l'avait envoyé ? S'il ne connaissait pas celui des mains duquel il voulait recevoir le baptême, il parlait donc d'une manière inconsidérée, lorsqu'il lui disait : « C'est moi qui dois être baptisé par vous. » Il le connaissait donc, pourquoi donc alors affirme-t-il qu'il ne le connaissait pas ? — S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Jean-Baptiste, en disant : « Je ne le connaissais pas, » veut parler d'une époque antérieure et non de celle du baptême, où il dit à Jésus : « C'est moi qui dois être baptisé par vous. » S. AUG. (Traité 5 sur S. Jean.) Si nous lisons les autres évangélistes qui se sont étendus davantage sur le baptême du Sauveur, nous y verrons de la manière la plus claire que la colombe est descendue sur le Seigneur, lorsqu'il sortit de l'eau. Or, si la colombe n'est descendue qu'après le baptême, et que Jean-Baptiste ait dit à Jésus avant son baptême : « C'est moi qui dois être baptisé par vous, » il le connaissait donc avant son baptême ; et comment alors a-t-il pu dire : « Je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser m'a dit : Celui sur lequel vous verrez descendre l'Esprit saint ? » etc. Sont-ce ces dernières paroles qui lui ont fait connaître celui qu'il ne connaissait pas ? Jean-Baptiste savait que le Sauveur était le Fils de Dieu, il savait également qu'il baptiserait dans l'Esprit saint. Car avant que Jésus-Christ se rendît sur les bords du Jourdain, alors que le peuple venait en foule trouver Jean-Baptiste, il leur dit : « Celui qui vient après moi est plus grand que moi, c'est lui qui vous baptisera dans l'eau et dans le feu. » Mais que ne savait donc pas Jean-Baptiste ? Il ne savait pas que le pouvoir du baptême devait appartenir exclusivement en propre au Seigneur, qui devait le conserver, de manière à ce que ni Pierre ni Paul ne pussent dire : « Mon baptême, » comme nous voyons que Paul a dit : « Mon Evangile ; » et que l'administration de ce sacrement devait être confié également aux bons et aux mauvais. Que vous importe un mauvais ministre, alors que le Seigneur est bon ? On a rebaptisé après le baptême de Jean-Baptiste, ou n'a point rebaptisé après le baptême d'un homicide, parce que Jean n'a donné que son baptême, et que l'homicide a donné le baptême de Jésus-Christ, et que la sainteté de ce sacrement est si grande, qu'elle ne peut être souillée par un ministre coupable d'homicide. Le Seigneur aurait pu, s'il avait voulu, donner à l'un de ses serviteurs le pouvoir d'administrer le baptême en son propre nom, et attribuer au sacrement de baptême conféré au nom de son serviteur, une efficacité aussi grande que celle du baptême donné par le Seigneur lui-même. Il ne l'a pas voulu, afin que ceux qui reçoivent son baptême missent toute leur espérance en celui au nom duquel ils reconnaîtraient avoir été baptisés, et il n'a point voulu qu'un serviteur plaçât son espérance dans un autre serviteur. S'il avait transmis ce pouvoir à ses serviteurs, il y aurait autant de baptêmes qu'il y a de serviteurs ; et comme on a dit le baptême de Jean, on aurait dit aussi le baptême de Pierre ou de Paul. Ce pouvoir que Jésus-Christ s’est exclusivement réservé, est le fondement de l'unité de l'Eglise, dont il est dit : « Une seule est ma colombe. » (Ct 6) Il peut se faire que quelqu'un ait reçu le baptême d'un autre que de la colombe, mais il est impossible que ce baptême ait pour lui la moindre efficacité.
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Le Père avait fait entendre sa voix pour proclamer son Fils, l'Esprit saint descend des cieux pour fixer les paroles du Père sur la tête de Jésus-Christ, afin que personne ne fût tenté d'attribuer à Jean ce qui ne convenait qu'à Jésus-Christ. Mais comment, me dira-t-on, les Juifs ne crurent-ils pas s'ils ont vu l'Esprit saint descendre sur Jésus ? C'est que de telles apparitions n'exigent pas seulement les yeux du corps, mais encore ceux de l'âme. Lorsqu'ils furent témoins des miracles que faisait Jésus, l'envie égara leur raison à ce point qu'ils affirmaient le contraire de ce qu'ils avaient vu ; comment donc veut-t-on que la seule apparition de l'Esprit saint ait pu dissiper leur incrédulité ? Suivant quelques-uns, tous ne virent pas l'Esprit saint, mais seulement Jean-Baptiste, et ceux dont les dispositions étaient meilleures ; car bien qu'il fût possible de voir des yeux du corps l'Esprit saint descendre sous la forme d'une colombe, il n'était pas nécessaire que tous fussent témoins de cette apparition miraculeuse. Le prophète Zacharie (Za 1-6) ; Daniel (Dn 7-10) ; Ezéchiel (Ez 1 ; 3 ; 8 ; 10-11 ; 37 ; 40 ; etc.), n'eurent-ils pas plusieurs visions sous des formes sensibles, sans qu'aucun autre en fût témoin ? Moïse lui-même, n'a-t-il pas vu des choses qui n'ont été révélées à aucun autre ? c'est pour cela que Jean-Baptiste ajoute : « J'ai vu et j'ai rendu témoignage que celui-ci est le Fils de Dieu. » Il lui avait donné le nom d'Agneau de Dieu, il avait annoncé qu'il baptiserait dans l'Esprit saint, mais jusqu'ici il ne l'avait point appelé Fils de Dieu. — S. AUG. (Traité 7 sur S. Jean.) C'était au Fils unique de Dieu, et non point à un Fils adoptif que devait être réservé le pouvoir de baptiser. Les fils adoptifs sont les ministres du Fils unique, le Fils unique a seul le pouvoir du baptême, les fils adoptifs n'eu ont que l'administration.
S. CHRYS. (Hom. 17 sur S. Jean.) Plusieurs peut-être n'avaient pas prêté grande attention aux premiers discours de Jean-Baptiste, il multiplie donc coup sur coup les témoignages pour les rendre plus attentifs : « Le lendemain, dit l'Evangéliste, Jean était encore là avec deux de ses disciples. » — BEDE. (hom. pour la vigil. de S. And.) Jean se tenait encore là, parce qu'il s'était élevé dans la pratique des vertus à une tulle hauteur, qu'il ne pouvait en être renversé par aucune tentation, par aucune épreuve. Ses disciples étaient avec lui, parce qu'ils suivaient les enseignements de leur Maître avec un cœur plein de docilité et de constance.
S. CHRYS. (hom. précéd.) Mais pourquoi Jean-Baptiste, au lieu de parcourir toute la Judée pour annoncer Jésus en tous lieux, se tient-il sur les bords du Jourdain, attendant pour le faire connaître, que le Sauveur vienne le trouver ? Parce qu'il réservait cette mission aux oeuvres mêmes de Jésus-Christ. Considérez d'ailleurs combien cette conduite fut plus utile à l'édification des âmes. Jean-Baptiste ne fit que jeter une petite étincelle, et on vit aussitôt s'allumer un grand incendie. Si un autre eût parcouru la Judée pour annoncer Jésus-Christ, on eût pu l'accuser d'agir par un motif tout humain, et sa prédication eût donné lieu à mille soupçons. C'est pour cette raison que les prophètes et les Apôtres ont annoncé Jésus-Christ lorsqu'il n'était pas présent, les uns avant son avènement et son incarnation, les autres après son ascension. Mais voyez comme Jean-Baptiste rend témoignage non-seulement de la voix, mais des yeux : « Et regardant Jésus qui s'avançait, il dit : Voici l'Agneau de Dieu. » — THEOPHYL. Il regarde Jésus, comme-pour exprimer par son regard les sentiments de joie et d'admiration que lui fait éprouver la présence de Jésus-Christ.
S. AUG. (Traité 7 sur S. Jean.) Jean était l'ami de l'Epoux, il ne cherchait point sa propre gloire, mais rendait témoignage à la vérité, aussi ne voulut-il point retenir près de lui ses disciples et les empêcher de suivre le Seigneur, et c'est lui, au contraire, qui leur montre celui qu'ils devaient suivre en leur disant : « Voici l'Agneau de Dieu. » — S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Il ne leur fait pas de longs discours, il n'a qu'une chose en vue, c'est de les amener et de les unir à Jésus-Christ, il savait que pour le reste, ils n'auraient pas besoin de son témoignage. Pourquoi encore Jean-Baptiste ne s'adresse-t-il pas à ses disciples en particulier, mais leur dit-il publiquement devant tout le peuple : « Voici l'Agneau de Dieu. » En se déterminant à suivre Jésus-Christ, par suite d'un enseignement qui s'adressait à tous, leur résolution fut beaucoup plus ferme et plus constante, et ce ne fut pas eu considération de leur Maître, mais dans leur intérêt, qu'ils s'attachèrent au Sauveur. Remarquons encore que le discours de Jean-Baptiste ne contient aucune prière, aucune instance, il se contenta d'exprimer son admiration à la vue de Jésus-Christ, défaire connaître la grâce qu'il apporte an monde, et de quelle manière il doit purifier les âmes, deux choses que signifie le nom d'Agneau. Il l'appelle l'Agneau avec l'article δ άμνός, c'est-à-dire l'Agneau par excellence. — S. AUG. (Traité 7 sur S. Jean.) Le Sauveur est en effet l'Agneau proprement dit, le seul qui soit sans péché, dont on n'a pas en besoin de laver les souillures, mais qui a été sans souillure aucune. Il est par excellence l'Agneau de Dieu, parce que ce n'est que par le sang de cet Agneau, que les hommes ont pu être rachetés. C'est cet Agneau que redoutent les loups, et qui a donné la mort au lion après que lui-même avait été mis à mort. — BEDE. Il s'appelle encore Agneau, parce qu'il devait nous laisser en don gratuit sa toison pour nous en faire une robe nuptiale, c'est-à-dire qu'il a voulu nous laisser les exemples de sa vie, pour nous communiquer les saintes ardeurs de la charité. ALCUIN. Dans le sens figuré, Jean s'arrête, c'est-à-dire que la loi cesse, et Jésus vient, c'est-à-dire la grâce de l'Evangile, à laquelle la loi elle-même rend témoignage. Jésus se met en marche pour réunir ses disciples. — BEDE. Cette marche de Jésus représente la divine économie de l'incarnation, par laquelle il a daigné venir jusqu'à nous, et nous laisser les exemples d'une vie sainte.
ALCUIN. Les disciples de Jean ayant entendu le témoignage qu'il rendait à Jésus, qu'il était l'Agneau de Dieu, se montrèrent dociles à ses conseils et suivirent Jésus : « Les deux disciples l'entendirent parler ainsi, et suivirent Jésus. »
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Remarquez que lorsque Jean-Baptiste se contentait de dire : « Celui qui vient après moi, est avant moi, et je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sa chaussure, » il n'a pris ni gagné personne ; mais aussitôt qu'il parle de son incarnation et par là même de ses humiliations, en disant : « Voici l'Agneau de Dieu, » ses disciples se mettent aussitôt à la suite de Jésus. Il en est un très-grand nombre qui se sentent moins attirés à Dieu par les considérations élevées sur sa nature divine, que par l'exposé de sa bonté, de sa miséricorde et de ce qu'il a fait pour le salut des hommes. Remarquez que tandis que Jean-Baptiste prononce ces paroles : «Voici l'Agneau de Dieu, » Jésus ne dit rien. En effet, d'après les usages reçus, l'époux reste dans le silence, d'autres lui amènent l'épouse, et la lui remettent entre les mains ; mais aussitôt qu'il l'a prise pour épouse, il lui témoigne tant d'affection, qu'elle ne se souvient plus de ceux qui l'ont conduite à son époux. Ainsi lorsque Jésus-Christ vient pour épouser l'Eglise, il ne dit rien non plus, Jean-Baptiste, son ami, s'approche seul, lui présente la main droite de son épouse, lorsque par ses discours il remet comme entre ses mains les âmes des hommes. Jésus les accueille et leur témoigne aussi tant d'amour qu'elles ne retournent plus à Jean-Baptiste. Remarquons encore que dans la célébration des noces, ce n'est pas la jeune fille qui va au-devant de sou époux, c'est lui-même qui vient la trouver (quand ce serait un fils de roi qui épouserait une humble servante) ; Nôtre-Seigneur Jésus-Christ a fait de même ; la nature humaine n'est point montée dans les cieux, c'est le Fils de Dieu qui est venu la trouver et qui l'a conduite dans la maison paternelle. Il y eut sans doute d'autres disciples de Jean, qui non-seulement ne suivirent point Jésus-Christ, mais qui nourrirent contre lui des sentiments d'envie, et se montrèrent jaloux de sa gloire. Mais ceux dont les dispositions étaient meilleures s'attachèrent à Jésus aussitôt qu'ils l'eurent connu, non par mépris de leur premier maître, mais par la persuasion où ils étaient d'après les enseignements du Précurseur, que Jésus-Christ les baptiserait dans l'Esprit saint. Considérez dans ces disciples un saint empressement mêlé d'une sage réserve. En se mettant à la suite de Jésus, ils ne se hâtent pas de l'interroger sur les grandes vérités du salut, et ce n'est pas en public, mais en particulier, qu'ils cherchent à lui parler : « Alors Jésus s'étant retourné, et les voyant qui le suivaient, leur dit : Que cherchez-vous ? » Ces paroles nous apprennent que lorsque nous commençons sincèrement à vouloir le bien, Dieu nous prodigue les occasions de salut. Jésus interroge ses disciples, non pour en apprendre quelque chose, mais pour se les rendre plus familiers, leur inspirer une plus grande confiance, et leur montrer qu'ils sont vraiment dignes de ses divins enseignements.
THEOPHYL. Considérez ici que Nôtre-Seigneur se tourne vers ceux qui le suivent, et abaisse sur eux ses regards ; c'est qu'en effet, si vous ne marchez à sa suite par la pratique des bonnes œuvres, vous ne parviendrez jamais à voir sa face adorable, ni à entrer dans sa maison. — ALCUIN. Ces deux disciples suivaient donc Jésus par derrière, dans l'intention de le voir, mais sans pouvoir y parvenir. Aussi, que fait Jésus ? il se retourne, et descend, pour ainsi dire, des hauteurs de sa majesté, afin que ses disciples puissent contempler sa face adorable. — ORIG. (Traité 7 sur S. Jean.) Peut-être n'est-ce pas sans raison qu'après le sixième témoignage, Jean-Baptiste cesse de parler de Jésus à ses disciples, et c'est Jésus lui-même qui se rend pour ainsi dire un septième témoignage en leur demandant : « Que cherchez-vous ? » — S. CHRYS. (hom. 18 sur S. Jean.) Ces deux disciples font paraître leur amour pour Jésus-Christ, non-seulement par leur empressement à le suivre, mais par la question qu'ils lui adressent : « Et ils demandèrent : Maître, où habitez-vous ? » Jésus ne leur a encore rien appris, et ils lui donnent le nom de Maître pour se ranger d'eux-mêmes au nombre de ses disciples, et lui faire connaître la raison qui les a déterminés à s'attacher à lui.
ORIG. Après avoir été convaincus et amenés à Jésus par le témoignage de Jean, les deux disciples, par cette question, reconnaissent Jésus pour leur docteur, et expriment le désir de voir l'habitation du Fils de Dieu. — ALCUIN. Car ce n'est pas en passant qu'ils veulent profiter de ses divins enseignements, ils lui demandent où il demeure, afin de pouvoir se pénétrer de ses paroles dans le secret, visiter plus souvent le Sauveur, et en recevoir une instruction plus parfaite. Dans le sens mystique, ils demandent à Jésus-Christ dans quelles âmes il daigne habiter, afin qu'en imitant leurs exemples, ils puissent mériter la même faveur. Ou bien encore, ils virent Jésus marcher, et lui demandent aussitôt où il demeure ; et il nous enseigne par là, lorsque nous méditons intérieurement sur l'incarnation du Fils de Dieu, à le prier avec instance et ferveur de nous faire connaître le lieu de son éternelle demeure. Jésus approuve la légitimité de leur demande, et leur ouvre volontiers ses secrets : « Et il leur dit : Venez et voyez. » C'est-à-dire : Ce n'est point par des paroles, mais par des œuvres, que vous pouvez apprendre quelle est mon habitation. Venez donc par la foi et par les œuvres, et vous verrez par l'intelligence qui vous sera donnée. — ORIG. Ou bien encore, par cette parole : « Venez , » il les invite à la vie active, et par cette autre : « Voyez, » à la vie contemplative.
S. CHRYS. (hom. 18 sur S. Jean.) Jésus ne leur indique ni la maison ni le lieu qu'il habitait, mais il les attire à sa suite, et leur montre ainsi qu'il les accepte pour ses disciples. Il ne leur dit pas : « Il n'est pas temps encore, demain vous apprendrez ce que vous désirez savoir, mais il leur parle comme à des amis et à des familiers qui auraient depuis longtemps déjà vécu avec lui. Mais comment concilier ce que le Sauveur dit ailleurs : « Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête, » (Mt 8 ; Lc 9) avec ce qu'il dit ici : « Venez et voyez quelle est ma demeure ? » Ces paroles : « Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête, » veulent simplement dire qu'il n'avait pas de demeure en propre, et non pas qu'il n'habitait pas dans une maison. Voilà pourquoi l'Evangéliste ajoute : « Ils vinrent et virent où il demeurait, et ils restèrent près de lui ce jour-là. Il ne dit pas le motif qui les retint près de lui, il est évident que c'était pour entendre ses divines leçons.
S. AUG. (Traité 7 sur S. Jean). Quel heureux jour pour ces disciples, quelle heureuse nuit ! Construisons donc nous-mêmes aussi dans notre cœur, et élevons une maison où Jésus vienne habiter et où il nous instruise.
THEOPHYL. Ce n'est pas sans raison que l'Evangéliste nous indique quelle heure il était alors : « Or, il était environ, la dixième heure ; » il voulait apprendre aux docteurs comme aux disciples, qu'on ne doit point négliger le soin de la doctrine sous prétexte de l'heure avancée. — S. CHRYS. (hom. précéd.) Ces disciples montraient un grand zèle pour s'instruire, puisqu'ils n'étaient point arrêtés par l'heure avancée qui touchait presque au coucher du soleil. La plupart des hommes, esclaves des besoins de la chair, ne peuvent dans le temps qui suit le repas appliquer leur esprit aux choses nécessaires, parce que leur corps est appesanti par la nourriture. Mais tel n'était pas Jean-Baptiste, qui avait formé ces disciples, et il pratiquait le soir une sobriété beaucoup plus grande que n'est la nôtre le matin.
S. AUG. (Traité précéd.) La dixième heure est encore ici le symbole de la loi qui a été donnée en dix préceptes. Le temps était venu d'accomplir par l'amour cette loi que les Juifs ne pouvaient accomplir par la crainte ; aussi est-ce à la dixième heure que Nôtre-Seigneur s'entend donner le nom de Maître ; car il n'y a de véritable maître de la loi, que celui qui en est l'auteur.
« André, frère de Simon Pierre, était un de ceux qui avaient entendu le témoignage de Jean, et qui avaient suivi Jésus. » — S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Pourquoi l'Evangéliste ne nous fait-il pas connaître le nom de l'autre disciple ? Il en est qui donnent pour raison que saint Jean était lui-même ce disciple ; d'antres, que ce disciple n'était pas autrement important à connaître. Il n'y avait donc aucune utilité à nous apprendre son nom. L'Evangéliste ne nous a pas donné non plus le nom des soixante-douze disciples. — ALCUIN. On peut dire encore que ces deux disciples étaient André et Philippe.
S. CHRYS. (hom. 19 sur S. Jean.) André ne garda pas pour lui seul ce qu'il venait d'apprendre de Jésus, il s'empresse de courir vers son frère pour lui faire part des grâces qu'il vient de recevoir : « Or, il rencontra d'abord son frère Simon, et lui dit : Nous avons trouvé le Messie (c'est-à-dire le Christ). » — BEDE. (hom. pour la vig. de S. And.) Oui, c'est bien avoir trouvé le Seigneur, que d'être embrasé pour lui d'un amour véritable, et plein de zèle pour le salut de ses frères.
S. CHRYS. (hom. 19 sur S. Jean.) L'Evangéliste ne nous a pas rapporté l'entretien de Jésus-Christ avec ces deux disciples, mais il nous est permis de conjecturer quel en fut l'objet, par ce qu'André dit à son frère, et ce peu de paroles nous en donne comme l'abrégé. Nous y trouvons, en effet, la puissance du Maître qui avait porté le persuasion dans leurs âmes, et la vivacité des désirs dont leur cœur était depuis longtemps animé. En effet, cette parole : « Nous avons trouvé, » exprime le travail de l'enfantement d'une âme qui soupirait ardemment après la présence du Messie, et qui tressaille de joie d'avoir enfin trouvé l'objet de ses désirs. — S. AUG. Le mot Messie en hébreu, Christ en grec, veut dire oint en latin ; car le mot chrisma signifie onction. Tous les chrétiens reçoivent l'onction, d'après ces paroles : « Votre Dieu vous a sacré d'une onction de joie, qui vous élève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager; » (Ps 44) tous les saints, en effet, entrent en participation des dons du Christ, mais le Christ lui-même est le saint par excellence, et a reçu par lui-même une onction plus parfaite.— S. CHRYS. (hom. précéd.) Aussi André ne l'appelle-t-il pas simplement Messie, mais le Messie avec l'article. Remarquez comme tout d'abord Pierre avait un esprit docile, il accourt aussitôt sans tarder, sans hésiter : « Et il l'amena à Jésus. » N'accusons pas et ne condamnons pas cette promptitude qui, sans plus d'informations, le fait ajouter foi aux paroles de son frère. On peut supposer raisonnablement qu'André prit soin de lui développer la grande vérité qu'il lui annonçait ; mais c'est la coutume des Evangélistes d'omettre un grand nombre de choses pour abréger leur récit. D'ailleurs, il n'est pas dit que Pierre crut immédiatement, mais que son frère l'amena à Jésus et le lui confia pour qu'il apprit de lui toutes les vérités nécessaires. Or, le Seigneur commence à lui révéler lui-même les secrets de sa divinité, et à confirmer cette révélation par les prédictions qu'il fait de l'avenir. En effet, les prophéties sont une preuve non moins forte que les miracles, elles sont même plus particulièrement l'œuvre de Dieu, que les démons ne peuvent imiter. Dans les miracles, l'illusion est possible, et on peut être trompé par l'apparence. Mais il n'appartient qu'à la nature divine et incorruptible de prédire l'avenir d'une manière certaine. C'est ce que fait ici Jésus : « Et Jésus, l'ayant regardé, lui dit : Vous êtes Simon, fils de Jonas, vous serez appelé Céphas, c'est-à-dire Pierre. »
BEDE. Jésus le considère non-seulement des yeux du corps, mais c'est du regard éternel de sa divinité, qu'il voit la simplicité de son cœur et l'élévation de son âme qui devaient lui mériter d'être placé un jour à la tête de toute l'Eglise. Il ne faut pas chercher une autre signification du mot Pierre dans l'hébreu ou dans le syriaque ; car le mot Pierre a en grec et en latin la même signification que le mot Céphas en syriaque, et dans les deux langues, ce nom dérive du mot Pierre. Or, cet Apôtre est appelé Pierre, à cause de la fermeté de la foi avec laquelle il s'attacha à cette pierre, dont l'Apôtre a dit : « Or, la pierre était Jésus-Christ, » qui délivre des embûches de l'ennemi ceux qui espèrent en lui, et qui répand sur eux, comme un fleuve, l'abondance de ses grâces spirituelles.
S. AUG. (Traité précéd.) Il n'y a rien d'étonnant à ce que le Seigneur ait dit de qui Simon était fils. Il savait, en effet, le nom de tous les saints qu'il avait prédestinés avant la création du monde. Mais ce qui est vraiment extraordinaire, c'est qu'il ait changé son nom et l'ait appelé Pierre au lieu de Simon. Le nom de Pierre vient du mot petra, pierre, et la pierre, c'est l'Eglise, donc le nom de Pierre est la figure de l'Eglise. Le Seigneur veut exciter ici votre attention. Si Pierre avait porté ce nom auparavant, vous n'auriez pas aussi bien remarqué le mystère qu'il renferme, et vous auriez pu croire que ce nom vient du hasard plutôt que d'une disposition providentielle. C'est pour cela que Dieu a voulu qu'il portât auparavant un autre nom, pour faire ressortir plus vivement dans le nom qui lui fut substitué la force du mystère qu'il renfermait.
S. CHRYS. (hom. 19.) Jésus a changé encore le nom de cet Apôtre, comme preuve qu'il était l'auteur de l'Ancien Testament, et que c'était lui-même qui avait changé les noms des patriarches, et appelé Abram, Abraham ; Sarai, Sara (Gn 17), et Jacob, Israël. (Gn 32) Pour plusieurs, il leur a donné leurs noms, dès leur naissance, par exemple à Isaac (Gn 17), et à Samson. (Jg 13) Pour d'autres, au contraire, il a changé les noms que leurs parents leur avaient donnés, c'est ce qu'il a fait ici pour Pierre, et plus tard pour les fils de Zébédée. (Mc 3) Ceux dont la vertu devait jeter un vif éclat dès leurs premières années, ont reçu alors leur nom, tandis que ceux dont le mérite et la vertu ne devaient se produire que plus tard, n'ont reçu aussi que plus tard le nom que Dieu leur destinait.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 17.) Saint Jean raconte ici que c'est sur les bords du Jourdain (avant que Jésus se rendit en Galilée), que, sur le témoignage de Jean-Baptiste, deux de ses disciples, dont l'un, qui s'appelait André, amena son frère Simon à Jésus, se mirent à la suite du Sauveur, et que ce fut alors que Simon reçut le nom de Pierre. Or, il y a ce semble une assez grave contradiction entre ce récit et celui des autres évangélistes, d'après lesquels Jésus rencontra André et Simon qui prêchaient dans la Galilée, et les appela alors pour en faire ses disciples. Cette contradiction disparaît, en admettant que ces deux frères ne s'attachèrent pas au Sauveur inséparablement et d'une manière définitive, lorsqu'ils le rencontrèrent sur les bords du Jourdain. Ils connurent seulement alors qui il était, et ils retournèrent à leurs occupations. Que personne cependant n'aille penser que Pierre ne reçut son nom que dans la circonstance solennelle où Jésus lui dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. » (Mt 16) Il reçut ce nom, lorsque le Sauveur lui dit : « Tu t'appelleras Céphas, c'est-à-dire, Pierre. » (Jn 1) — ALCUIN. On peut dire encore que Jésus ne lui donne pas ici le nom de Pierre, mais qu'il ne fait que présager qu'il lui sera donné plus tard, lorsqu'il lui dira : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. » (Mt 16) Mais au moment même de changer son nom, Jésus voulut faire ressortir la signification mystérieuse du nom même qu'il avait reçu de ses parents. En effet Simon veut dire, qui est obéissant, Joanna, signifie grâce, et Jona, colombe. Le Sauveur semble donc lui dire : Vous êtes docile et obéissant, vous êtes le fils de la grâce ou le fils de la colombe, c'est-à-dire, de l'Esprit saint, car c'est l'Esprit saint qui vous a inspiré cette humilité, qui vous fait venir à moi sur la parole d'André votre frère ; vous n'avez pas dédaigné, vous son aîné, de suivre celui qui était plus jeune que tous, car le mérite de la foi l'emporte sur les prérogatives de l'âge.
S. CHRYS. (hom. 20 sur S. Jean.) Après ces premiers disciples, Jésus cherche à en convertir d'autres, c'est-à-dire, Philippe et Nathanaël : « Le lendemain Jésus voulut aller en Galilée. » — ALCUIN. En partant de la Judée, où Jean baptisait, Jésus quitte la Judée par honneur pour Jean-Baptiste, et pour ne point affaiblir l'influence de ses enseignements qui devaient encore alors se faire entendre. Sur le point d'appeler de nouveaux disciples à sa suite, il se dirige vers la Galilée, qui signifie transmigration et changement, et il apprend ainsi à ceux qui le suivent à sortir d'eux-mêmes, à faire de continuels progrès dans la vertu, et à parvenir à la joie éternelle par les souffrances, comme il a lui-même voulu avancer et croître en sagesse, en âge, en grâce devant Dieu et devant les hommes (Lc 11), et passer par les souffrances avant de ressusciter et d'entrer dans sa gloire : « Et il trouva Philippe, et Jésus lui dit : » Suivez-moi. On suit Jésus, quand on imite son humilité et sa passion, pour avoir part à la gloire de sa résurrection et de son ascension.
S. CHRYS. (Hom 20.) Remarquez que le sauveur n a appelé personne à sa suite, avant qu'on eût commencé à s'attacher, à lui ; en effet, s'il avait cherché à se faire des disciples, avant que quelques-uns n'eussent pris cette détermination d'eux-mêmes, ils n'auraient peut-être pas persévéré longtemps. Mais au contraire, ils lui restent d'autant plus fidèlement attachés, que c'est volontairement qu'ils ont choisi de marcher à sa suite. Il appelle d'abord Philippe, qui lui était plus connu, comme étant de la Galilée. Mais comment expliquer cet empressement de Philippe à suivre Jésus ? André l'avait suivi sur le témoignage de Jean-Baptiste ; Pierre, sur la parole d'André ; Philippe n'a été instruit par personne, et cette seule parole de Jésus-Christ : « Suivez-moi, » suffit pour le déterminer à le suivre. On peut dire que Philippe avait déjà pris cette résolution lorsqu'il entendit Jean-Baptiste, ou que la voix de Jésus fut assez puissante pour produire cet effet. — THEOPHYL. Car la voix du Sauveur n'était pas un simple son qui frappe les oreilles, mais elle enflammait d'amour pour lui le cœur de ses disciples. D'ailleurs, Philippe avait la connaissance du Christ, et lisait assidûment les livres de Moïse, et y puisait l'espérance de son prochain avènement, il crut donc en lui aussitôt qu'il le vit. Peut-être encore fut-il instruit par André et par Pierre, qui étaient du même pays, et l'Evangéliste semble l'indiquer par ces paroles : « Or, Philippe était de Bethsaïde, de la même ville qu'André et Pierre, » etc. — S. CHRYS. (hom. 20.) Nôtre-Seigneur Jésus-Christ fait encore éclater sa puissance en choisissant les plus illustres de ses disciples dans une terre qui n'avait porté jusqu'alors aucun fruit (car aucun prophète n'était sorti de la Galilée). — ALCUIN. Bethsaïde, signifie aussi maison des chasseurs, et par le nom de cette ville, l'Evangéliste veut nous montrer ce qu'étaient déjà intérieurement Philippe, Pierre et André, et comment ils rempliraient un jour la mission qui leur serait donnée en se livrant tout entiers à la chasse spirituelle des âmes pour leur donner la vie.
S. CHRYS. (hom. 20.) Non-seulement Philippe fut docile aux paroles du Christ, mais il veut l'annoncer lui-même aux autres : « Philippe trouva Nathanaël, et lui dit : Nous avons trouvé celui de qui Moïse a écrit dans la loi, » etc. Voyez quelles étaient les saintes préoccupations ds son esprit, comme il méditait continuellement les livres de Moïse, et vivait dans l'attente de l'avènement du Christ. Il savait bien sans doute que le Christ devait venir, mais il ignorait jusque-là que Jésus fût le Christ. Il dit donc à Nathanaël : « Celui de qui Moïse a écrit et que les prophètes ont annoncé ; » il donne ainsi un nouveau poids à ses paroles, en montrant que l'étude de la loi et des prophètes lui était chère, et qu'il approfondissait tout en vérité, au témoignage de Jésus-Christ lui-même. Ne soyez pas surpris qu'il appelle Jésus fils de Joseph, il passait alors pour le fils de Joseph. — S. AUG. (Traité précéd.) C'est-à-dire, que sa mère était l'épouse de Joseph, car tous les chrétiens ont appris de l'Evangile, que Jésus a été conçu et qu'il est né d'une Vierge. Il ajoute le nom de son pays : « De Nazareth. » — THEOPHYL. Ce n'était pas le lieu de sa naissance, mais celui où il avait été élevé. Sa naissance était inconnue d'un grand nombre, mais on savait qu'il avait été élevé à Nazareth : « Nathanaël lui dit : Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? » — S. AUG. (Traité préced.) La réponse de Philippe se prête également à ces deux significations : ou bien la proposition de Nathanaël est affirmative : « Il peut venir quelque chose de bon de Nazareth, » et Philippe ajoute : « Venez et voyez, » ou bien elle est dubitative et sous forme d'interrogation : « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? » et Philippe lui répond : « Venez et voyez. » Quelle que soit du reste celle des deux significations qu'on adopte, elle s'harmonise parfaitement avec ce qui suit. Examinons donc quel est le sens de ces paroles. Nathanaël, qui était très-instruit dans la loi, ayant entendu dire à Philippe : « Nous avons trouvé Jésus de Nazareth ; » ce dernier mot réveilla son espérance, et il dit : « Il peut venir quelque chose de bon de Nazareth. » Car il avait approfondi les Ecritures, et il savait (ce que les scribes et les pharisiens ignoraient), que c'était de Nazareth qu'on devait attendre le Sauveur. — ALCUIN. C'est lui qui est le saint par excellence, l'innocence, celui qui est sans tache et dont le prophète a dit : « Un rejeton sortira de la tige de Jessé, et du Nazaréen (une fleur) s'élèvera de sa racine. » (Is 11) On peut encore entendre ces paroles dans un sens dubitatif et sous forme d'interrogation. — S. CHRYS. (hom. précéd.) Nathanaël savait, d'après les Ecritures, que Jésus devait sortir de Bethléem. Selon l'oracle du prophète Michée : « Et toi Bethléem, terre de Juda, c'est de toi que sortira le chef qui doit conduire mon peuple d'Israël. » (Mi 5) Lors donc qu'il entend dire à Philippe : « Jésus de Nazareth, » il a un moment d'hésitation, et trouve que cette indication n'est pas en rapport avec la prédication du prophète. Or, les prophètes donnent au Christ le nom de Nazaréen, parce que c'est à Nazareth qu'il fat élevé et qu'il passa la plus grande partie de sa vie. Remarquez encore la prudence et la douceur de Nathanaël dans la question qu'il adresse à Philippe, il ne lui dit pas : Vous m'induisez en erreur, mais il lui fait cette simple question : « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? » Philippe, de son côté, n'est pas moins prudent, il n'est pas déconcerté par la question de Nathanaël, mais il insiste et veut absolument amener un nouveau disciple à Jésus-Christ : « Philippe lui dit : Venez et voyez. » Il l'entraîne jusqu'à Jésus-Christ, bien convaincu qu'il ne lui résistera point dès qu'il aura goûté la vérité de ses paroles et de sa doctrine.
S. CHRYS. (hom. 20 sur S. Jean.) Nathanaël, en refusant d'admettre que le Christ devait sortir de Nazareth, fait voir l'étude approfondie qu'il avait faite des Ecritures ; et en consentant à suivre celui qui lui annonçait sa présence, il montre le vif désir qu'il avait de voir le Christ, car il présumait que Philippe pouvait se tromper sur le lieu de sa naissance : « Jésus voyant venir Nathanaël, dit de lui : Voici un vrai Israélite, dans lequel il n'y a point de ruse. » Il ne croit pas devoir lui faire aucun reproche, bien que d'après ses paroles, il n’eut pas cru à l'instant même, parce qu'il s'attachait plus que Philippe aux indications des oracles prophétiques. Jésus porte donc de lui ce jugement : « Voici un vrai Israélite, dans lequel il n'y a pas de ruse, » parce que ses paroles ne respirent ni flatterie ni aversion. — S. AUG. (Traité précéd.) Ou bien encore, que signifie ces paroles : « Dans lequel il n'y a point de ruse ? » Veulent-elles dire que Nathanaël était pur de tout péché, et qu'il n'avait pas besoin de médecin ? Non, sans doute, car il n'est personne de ceux qui reçoivent le jour, qui n'ait besoin de recourir à ce médecin. Or, la ruse consiste à feindre une chose différente de celle qu'on fait. Dans quel sens donc n'y avait-il point de ruse dans Nathanaël ? C'est-à-dire, que s'il est pécheur, il ne craint pas de le reconnaître ; si au contraire il se disait juste, tout pécheur qu'il est, la ruse se fût trouvée sur ses lèvres. Le Sauveur loue donc dans Nathanaël, de reconnaître sincèrement qu'il est pécheur, mais il ne veut nullement dire qu'il soit sans péché.
THEOPHYL. Mais Nathanaël, malgré cet éloge, ne se rend pas aussitôt, il attend une preuve plus évidente, et il interroge le Sauveur : « Nathanaël lui dit : D'où me connaissez-vous ? » — S. CHRYS. (hom. précéd.) La question de Nathanaël est la question d'un homme, la réponse de Jésus est celle d'un Dieu : « Avant que Philippe vous appelât, lui dit Jésus, je vous ai vu. » II l'a vu, non pas des yeux de l'homme, mais de ce regard divin que Dieu abaisse sur les hommes du haut des cieux. « Je vous ai vu, » c'est-à-dire, j'ai vu les habitudes de votre vie. Il ajoute : « Lorsque vous étiez sous le figuier, » là où il n'y avait personne, si ce n'est Philippe et Nathanaël qui s'entretenaient ensemble. L'Evangéliste fait remarquer que c'est en voyant Nathanaël de loin, que Jésus dit de lui : « Voici un vrai Israélite, » c'est-à-dire, avant que Philippe se fût approché de Jésus, de manière que vous ne puissiez élever aucun soupçon sur le témoignage du Sauveur. Jésus ne voulut pas répondre : Je ne suis pas né à Nazareth, comme Philippe vous l'a dit, mais à Bethléem, pour ne pas soulever de discussion sur ce point, c'eût été d'ailleurs une preuve insuffisante qu'il était le Christ, et il le prouve bien plus fortement en leur démontrant qu'il était présent à leur entretien.
S. AUG. (Traité 6 sur S. Jean.) Examinons si ce figuier a ici une signification particulière. Nous trouvons dans l'Evangile, un figuier maudit, parce qu'il n'avait que des feuilles et point de fruit. (Mt 21 ; Mc 11) Au commencement du monde Adam et Eve, après leur péché, se firent une ceinture de feuilles de figuier. (Gn 3) Les feuilles du figuier sont donc la figure des péchés. Or, Nathanaël était assis sous un figuier comme à l'ombre de la mort, et le Seigneur semble lui dire : O Israël ! vous qui êtes sans ruse ! O peuple qui vivez de la foi ! avant que je vous aie appelé par mes Apôtres, lorsque vous étiez encore à l'ombre de la mort, et avant que vous ayez pu me voir, je vous ai vu. — S. GREG. (Moral., 18, 20.) Ou bien, je vous ai vu pendant que vous étiez sous le figuier, c'est-à-dire, je vous ai choisi lorsque vous étiez encore sous les ombres de la loi.
S. AUG. (sermon 40 sur les paroles du Seigneur.) Nathanaël se souvint qu'il était sous le figuier où Jésus n'était présent que par sa science spirituelle et divine, et comme il savait qu'il était seul sous ce figuier, il reconnut que celui qui lui parlait ainsi était Dieu.
S. CHRYS. (hom. 20 sur S. Jean.) Nathanaël reconnut donc que Jésus était vraiment le Christ, à la révélation qu'il vient de lui faire, a la connaissance qu'il avait de ses dispositions intérieures, et aussi parce que loin de le reprendre, il a fait son éloge, après le langage peu favorable en apparence que Nathanaël avait tenu à son égard : « Nathanaël lui répondit : Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le roi d'Israël, » c'est-à-dire, vous êtes celui que nous attendions, celui que nous cherchions. La preuve indubitable qui vient de lui être donnée, détermine cet aveu ; l'hésitation qu'il a manifestée d'abord montre son zèle à chercher la vérité, et son empressement à la reconnaître ensuite est une preuve de sa vertu et de sa religion. (Hom. 21.) Ce passage en embarrasse un grand nombre ; Pierre, disent-ils, qui a confessé que Jésus était le Fils de Dieu, après avoir été témoin de ses miracles et de sa doctrine, est proclamé bienheureux, de ce que le Père lui a révélé cette vérité, tandis que Nathanaël, qui confesse la divinité de Jésus, sans avoir ni vu ses miracles, ni entendu ses divins enseignements, ne reçoit point les mêmes louanges. En voici la raison, c'est que Pierre et Nathanaël ont tenu le même langage mais sans y attacher le même sens. Pierre a confessé que Jésus était le Fils de Dieu, et vrai Dieu lui-même; Nathanaël, au contraire, ne voit encore en lui qu'un homme. Car en lui disant : « Vous êtes le Fils de Dieu ; » il ajoute : « Vous êtes le roi d'Israël. » Or, le Fils de Dieu n'est pas seulement le roi d'Israël, il est le roi de tout l'univers. La suite du texte rend encore plus sensible cette différence. En effet, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ n'ajouta rien à la confession de Pierre, il considéra sa foi comme parfaite, et lui prédit que sur cette confession il bâtirait son Eglise, tandis que pour Nathanaël, dont la confession était moins complète et laissait beaucoup à désirer, il l'élève vers des considérations plus hautes : « Et Jésus lui dit : Parce que je vous ai dit : Je vous ai vu sous le figuier, vous croyez ; vous verrez de plus grandes choses, » c'est-à-dire, vous regardez comme une chose extraordinaire ce que je vous ai dit, et c'est pour cela que vous me proclamez roi d'Israël ; que direz-vous donc, lorsque vous verrez de plus grandes choses ? Et quelles sont ces choses ? « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l'homme. » Voyez comme il l'élève peu à peu au-dessus de la terre, et l'amène à reconnaître que le Christ n'est pas seulement un homme. Car comment celui qui a les anges pour serviteurs, pourrait-il n'être qu'un homme ? Il se fait donc ainsi connaître pour le maître des anges qui descendirent sur Jésus et montèrent avec lui comme les ministres de sa divine royauté ; ils descendirent sur lui au moment de sa mort sur la croix, et montèrent au temps de sa résurrection et de son ascension. Ils avaient déjà rempli précédemment ce ministère lorsqu'ils s'approchèrent de lui pour le .servir dans le désert, et aussi lorsqu'ils annoncèrent sa naissance. Le Sauveur prouve donc ici l'avenir par le passé. En reconnaissant les signes de sa puissance dans le passé, Nathanaël pouvait plus facilement croire à la prédiction que le Sauveur lui faisait pour l'avenir.
S. AUG. (serm. 40 sur les par. du Seig.) Rappelons-nous l'ancienne histoire de Jacob, qui vit dans son sommeil une échelle posée sur la terre et dont le sommet touchait au ciel, et les anges de Dieu qui montaient et descendaient le long de l'échelle. (Gn 28) Jacob, comprenant la signification mystérieuse de cette vision, prit la pierre qu'il avait mise sous sa tête et répandit de l'huile dessus. Est-ce qu'il voulut en cela faire une idole ? Non, l'action de Jacob est ici figurative, et il ne rend aucun culte d'adoration à cette pierre. Vous voyez ici l'onction, reconnaissez aussi le Christ. Il est la pierre qui a été repoussée par ceux qui bâtissent. Puisque Jacob, qui fut appelé Israël (Gn 32), a vu cette échelle en songe, et que, d'un autre côté, Nathanaël, au témoignage de Jésus, est un vrai Israélite, c'est avec raison que le Sauveur lui rappelle le songe de Jacob, comme s'il lui disait : Le songe de celui dont vous portez le nom se réalisera pour vous-même, vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l'homme. S'ils descendent sur lui, ils montent aussi jusqu'à lui, car il est tout à la fois dans les hauteurs des cieux et sur la terre, il est en haut dans sa propre nature, il est en bas dans la personne des siens.
S. AUG. (Traité 7 sur S. Jean.) Les bons prédicateurs qui annoncent vraiment Jésus-Christ, sont les anges de Dieu, ils montent et descendent sur le Fils de l'homme, à l'exemple de saint Paul, qui monta jusqu'au troisième ciel (2 Co 2), et qui est descendu jusqu'à donner du lait pour nourriture aux petits enfants. (1 Co 3) Jésus dit à Nathanaël : « Vous verrez encore de plus grandes choses, » car la justification de ceux que le Seigneur a appelés à la foi est un plus grand miracle que de nous avoir vus couchés et étendus à l'ombre de la mort. Que nous aurait-il servi, en effet, qu'il nous vit, si nous étions restés à l'ombre de la mort ? Mais pourquoi Nathanaël, à qui le Fils de Dieu a rendu un si glorieux témoignage, ne fait-il point partie des douze Apôtres ? Nous avons dû voir qu'il était instruit et versé dans la science de la loi, et c'est la raison pour laquelle le Seigneur ne voulut point l'admettre au nombre de ses Apôtres ; il aima mieux choisir des ignorants pour confondre la vaine science du monde. Dans le dessein qu'il avait formé d'abaisser la tête altière des orgueilleux, ce n'est point par l'éloquence d'un orateur qu'il voulut amener à lui un pêcheur, c'est par ce simple pêcheur qu'il convertit à lui les empereurs. Cyprien a été un grand orateur, mais avant lui nous voyons Pierre, qui n'était que pêcheur, et c'est par lui que devaient croire dans la suite, non-seulement les orateurs, mais les empereurs eux-mêmes.
S. CHRYS. (hom. 21 sur S. Jean.) Jésus est invité à ces noces, parce qu'il était très-connu dans la Galilée : « Et trois jours après il se fit des noces à Cana, en Galilée. »— ALCUIN. La Galilée est une province de la Palestine, dans laquelle se trouve le bourg de Cana. — S. CHRYS. (hom. précéd.) Le Sauveur est invité à ces noces, non pas comme un personnage considérable, mais simplement comme une connaissance ordinaire. C'est ce que semble indiquer l'Evangéliste en ajoutant : « Et la mère de Jésus y était, » c'est-à-dire qu'ils invitèrent le fils, parce qu'ils avaient invité la mère : « Et Jésus fut aussi convié aux noces avec ses disciples. » En se rendant à cette invitation, il ne considère pas les intérêts de sa dignité, mais le bien qui peut en résulter pour nous ; il n'a pas dédaigné de prendre la forme d'esclave, il ne dédaigne pas davantage de se rendre aux noces de ses serviteurs. — S. AUG. (serm. 41 sur les par. du Seig.) Que l'homme rougisse donc de son orgueil, en voyant comment un Dieu pratique l'humilité. Entre autres raisons, le Fils de Dieu assiste à ces noces pour montrer que c'était lui qui, avant son incarnation et lorsqu'il était dans le sein de Dieu le Père, avait institué le mariage.
BEDE. (hom pour le 1° dim. après l'Epiphan.) La démarche pleine de condescendance de Jésus, en assistant à ces noces, confirme la foi des chrétiens, et démontre combien est condamnable l'erreur de Tatien et de Marcion, qui déclarent le mariage illicite. Si le lit nuptial, orné de la pureté requise, et le mariage, contracté avec la chasteté voulue, étaient illicites, le Seigneur n'eût jamais voulu assister à ces noces. La chasteté est bonne, la continence des veuves est meilleure, la perfection virginale est bien supérieure ; Nôtre-Seigneur donc pour approuver le choix de ces divers états de vie, et discerner cependant le mérite de chacun, a daigné naître du sein immaculé de la Vierge Marie ; aussitôt sa naissance, il a voulu recevoir les bénédictions de la prophétesse Anne qui était veuve, et, dans sa jeunesse, il honore de la présence de sa haute vertu les noces auxquelles il est invité.
S. AUG. (Traité 8 sur S. Jean.) Qu'y a-t-il d'étonnant que le Fils de Dieu se soit rendu à ces noces, lui qui est venu dans le monde pour célébrer des noces toutes divines ? Il a, en effet, une épouse qu'il a rachetée de son sang, à laquelle il a donné l'Esprit saint pour gage, et qu'il s'est unie dans le sein de la Vierge Marie. Le Verbe est lui-même époux, et la nature humaine est sou épouse, et l'un et l'autre forment un seul Fils de Dieu, comme un seul Fils de l'homme. Le sein de la Vierge Marie a été le lit nuptial, d'où il s'avance comme un époux qui sort de sa chambre nuptiale.
BEDE. Ces noces ont lieu trois jours après l'arrivée de Jésus en Galilée ; et cette circonstance n'est pas sans mystère. Le premier âge ou le premier jour du monde, avant la loi, a été éclairé par les exemples éclatants des patriarches ; le second sous la loi, par les oracles des prophètes ; le troisième sous la grâce, par les écrits des Evangélistes, et c'est dans ce troisième jour, que Nôtre-Seigneur a voulu naître dans une chair mortelle. Ces noces ont lieu à Cana, en Galilée, c'est-à-dire (d'après la signification de ces deux mots), dans le zèle de la transmigration, et cette circonstance apprend à ceux qui veulent se rendre dignes de la grâce de Jésus-Christ, qu'ils doivent être enflammés du zèle d'une religion véritable, et passer des vices à la pratique des vertus et des choses de la terre à l'amour des biens célestes. Pendant que le Seigneur prend part au repas des noces , le vin vient à manquer, et il le permet pour faire éclater, par la création d'un vin plus exquis, la gloire qui est comme cachée dans l'Homme-Dieu : « Et le vin, venant à manquer, la mère de Jésus lui dit : Ils n'ont plus de vin. »
S. CHRYS. (hom. 21 sur S. Jean.) Il est important d'examiner d'où venait à la mère de Jésus, cette haute idée qu'elle avait de son Fils, alors qu'il n'avait encore fait aucun miracle, puisque l'Evangéliste fait plus loin cette remarque : « Ainsi Jésus fit à Cana, en Galilée, le premier de ses miracles, » etc. Nous répondons que sa gloire et sa puissance commençaient à se révéler par le témoignage de Jean, et par ce que Jésus lui-même avait dit à ses disciples. D'ailleurs, et bien auparavant, sa conception toute divine, et les prodiges qui entourèrent son berceau, avaient donné à Marie la plus haute idée de l'enfant dont elle était mère. Saint Luc confirme cette explication, lorsqu'il dit : « Et sa mère conservait toutes ces choses dans son cœur. » Pourquoi donc Marie ne l'a-t-elle pressé plus tôt de faire des miracles ? C'est qu'il commençait seulement alors sa vie publique ; jusque-là sa vie extérieure avait été celle d'un homme ordinaire, et sa mère n'avait osé lui faire une demande semblable. Mais dès qu'elle eut appris le témoignage que Jean lui avait rendu, et qu'elle l'eut vu entouré déjà de disciples, elle lui fait cette prière avec confiance. — ALCUIN. Marie représente ici la synagogue qui presse Jésus-Christ de faire un miracle ; car les Juifs avaient coutume de faire de semblables demandes.
« Jésus lui répondit : Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? » — S. AUG. (Traité précéd.) Il en est qui osent contredire l'Evangile, affirmer que Jésus n'est point né de la Vierge Marie, et ils cherchent à appuyer leur erreur sur ces paroles de Jésus à Marie. Comment, objectent-ils, regarder comme sa mère celle à qui Jésus ne craint pas de dire : « Qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Mais quel est donc celui qui présente ces dernières paroles du Seigneur à notre foi ? c'est Jean l'Evangéliste ; mais n'est-ce pas lui aussi qui vient de nous dire : « Et la mère de Jésus était là ? » Pourquoi s'exprime-t-il de la sorte ? c'est que les deux choses sont vraies. Mais Jésus s'est-il donc rendu à ces noces pour enseigner aux enfants à mépriser leurs mères ? — S. CHRYS. (hom. 21.) Voulez-vous savoir le respect profond que Jésus avait pour sa mère ? écoutez saint Luc qui vous dit que « le Sauveur était soumis à ses parents. » Tant que les parents, en effet, ne s'opposent pas à l'accomplissement de ce que Dieu demande de nous, c'est un devoir de leur être soumis. Mais quand leurs exigences sont inopportunes, et tendent à nous arracher à nos devoirs religieux, il n'est plus sûr de leur obéir.
S. AUG. (du symbole, 2, 5) Jésus, en tant qu'homme, était inférieur à Marie, et il lui était soumis ; mais en tant que Dieu, il était au-dessus de toutes les créatures. C'est donc pour bien distinguer entre l'homme et Dieu, qu'il dît à Marie : « Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? » — S. CHRYS. (hom. 21.) Le Sauveur fait encore cette réponse pour une autre raison, il ne veut pas que ses miracles soient l'objet du moindre soupçon. En effet, c'étaient à ceux qui manquaient du vin, et non à sa mère, de lui faire cette demande. Il veut donc montrer qu'il fait toutes ses actions en temps convenable, avec discernement et sans aucune confusion. C'est pour cela qu'il ajoute : « Mon heure n'est pas encore venue, » c'est-à-dire, je ne suis pas encore connu de ceux qui sont ici ; ils ne savent pas encore que le vin manque, laissez-les donc s'en apercevoir tout d'abord. Celui qui n'a pas éprouvé la nécessité d'un bienfait, n'en comprendra pas non plus l'importance.
S. AUG. (du symbole, 2, 5.) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur répond de la sorte, parce qu'en tant qu'il était Dieu, il n'avait point de mère ; il en avait une en tant qu'homme, mais le miracle qu'il devait opérer était l'œuvre de la divinité, et non de la faible nature humaine. Cependant la mère de Jésus le pressait de faire ce miracle. Mais Jésus, alors qu'il allait accomplir les oeuvres divines, semble méconnaître le sein où il a été conçu, et il dit à sa mère : « Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? » paroles dont voici le sens : Vous n'avez pas engendré la puissance qui doit en moi opérer ce miracle, c'est-à-dire ma divinité. (Il l'appelle femme, pour désigner son sexe, et non pour l'assimiler aux femmes ordinaires.) Mais comme c'est vous qui avez engendré ce qu'il y a de faible en moi, je vous reconnaîtrai lorsque cette faible nature humaine sera suspendue à la croix. Voilà pourquoi il ajoute : « Mon heure n'est pas encore venue, » c'est-à-dire, je vous reconnaîtrai lorsque cette humanité, dont vous êtes la mère, sera attachée à la croix. C'est alors, en effet, qu'il recommande sa mère à son disciple, parce qu'il allait mourir avant elle, et qu'il devait ressusciter avant sa mort. Remarquez qu'à l'exemple des manichéens qui cherchent un appui à leurs pernicieuses erreurs dans ces paroles : « Qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? » les astrologues veulent autoriser leur système erroné sur ces autres paroles du Sauveur : « Mon heure n'est pas encore venue. » Vous voyez, disent-ils, que Jésus-Christ était assujetti au destin, puisqu'il déclare lui-même que son heure n'est pas encore venue. Qu'ils se rendent donc à ces paroles du Fils de Dieu, lorsqu'il dit : « J'ai le pouvoir de quitter la vie, et de la reprendre ensuite ; » qu'ils cherchent le véritable sens de ces paroles : « Mon heure n'est pas encore venue ; » qu'ils cessent d'asservir au destin le Créateur du ciel, car en supposant même l'influence des astres sur la destinée de l'homme, le Créateur des astres devait être nécessairement affranchi de cette influence. Ajoutez que non-seulement Jésus-Christ ne fut point soumis à cette destinée fatale, ni vous, ni un autre, ni aucun homme que ce soit. Que signifient donc ces paroles : « Mon heure n'est pas encore venue ? » C'est qu'il avait le pouvoir de mourir quand il le voudrait, et que le temps ne lui paraissait pas encore venu d'user de ce pouvoir. Il voulait auparavant appeler ses disciples autour de lui, annoncer le royaume des deux, opérer les prodiges et les miracles qui devaient faire reconnaître sa divinité, et aussi manifester son humilité en se soumettant à toutes les infirmités de notre nature mortelle. Lorsqu'il eut accompli suffisamment ces divers desseins, l'heure vint pour lui, non l'heure de la nécessité, mais celle de sa volonté, non l'heure imposée par la fatalité, mais déterminée par sa puissance.
S. CHRYS. (hom. 22 sur S. Jean.) Bien que Jésus vienne de dire à sa mère : « Mon heure n'est pas encore venue, » il se rend cependant à ses désirs, et démontre amplement par là qu'il n'était point soumis à l'heure. Car s'il était assujetti à une heure déterminée, comment se fait-il qu'il opère ce miracle avant que l'heure soit arrivée ? Un autre motif de cette conduite, c'est le témoignage d'honneur qu'il veut donner à sa mère, pour ne point paraître la contredire et la couvrir de honte devant tant de témoins ; car elle avait fait approcher les serviteurs, pour faire appuyer sa demande par un plus grand nombre de personnes : « Sa mère dit à ceux qui servaient, faites tout ce qu'il vous dira. » — BEDE. Comme si elle leur disait : Il fera ce miracle, bien qu'il paraisse le refuser, car sa mère connaissait sa bonté et son âme compatissante : « Or, il y avait là six urnes de pierre, » etc. Ces urnes (en latin hydriae), étaient des vases destinés à contenir de l'eau, et leur nom vient du mot grec ΰδωρ, qui veut dire eau.
ALCUIN. Ces vases étaient destinés à contenir de l'eau pour servir aux purifications en usage chez les Juifs, qui, entre autres traditions pharisaïques, observaient celle de se purifier fréquemment.— S. CHRYS. (hom. précéd.) Comme le sol de Palestine est très-aride, et qu'on y rencontre peu de fontaines et de puits, les Juifs remplissaient d'eau de grandes urnes, pour n'être pas obligés d'en aller chercher dans les fleuves, et pouvoir se purifier facilement s'ils venaient à tomber dans quelque impureté légale. L'Evangéliste ajoute : « Qui servaient aux purifications des Juifs, » pour ôter aux incrédules jusqu'à l'ombre du soupçon qu'il restait au fond de ces vases de la lie avec laquelle en jetant de l'eau dessus, on aurait fait un vin fort léger, et il montre aussi jusqu'à l'évidence, que ces vases n'avaient jamais contenu de vin.
S. AUG. (Traité 9 sur S. Jean.) Le mot metretas vient du grec μέτρον, et signifie des vases d'une certaine mesure, des urnes, des amphores ou autres vases semblables. — BEDE. Ces expressions deux ou trois ne veulent pas dire que parmi ces vases, les uns contenaient deux mesures, les autres trois, mais que chacun d'eux pouvait contenir deux ou trois mesures.
« Jésus leur dit : Remplissez les urnes d'eau, et ils les remplirent jusqu'au bord. » — S. CHRYS. (hom. précéd.) Mais pourquoi Jésus ne fit-il pas ce miracle avant que les urnes fussent remplies d'eau ? Le miracle eût été bien plus éclatant, s'il eût fait sortir une nouvelle substance du néant, au lieu de donner simplement de nouvelles propriétés à une substance déjà existante. Oui, en effet, ce miracle est d'un ordre supérieur, mais pour plusieurs il eût paru beaucoup moins digne de foi. Aussi voyons-nous souvent Nôtre-Seigneur affaiblir, pour ainsi dire, la grandeur de ses miracles, pour les rendre plus croyables. Ajoutons qu'il opère un grand nombre de miracles à l'aide de substances déjà existantes, pour détruire cette pernicieuse erreur que le Créateur du monde est distinct du vrai Dieu, car si ce prétendu créateur du monde lui était opposé, il ne ferait point servir les objets qu'il a créés à démontrer sa puissance divine. Ce n'est point Jésus lui-même qui puise dans les vases pour montrer que l'eau est changée en vin, c'est aux serviteurs qu'il donne l'ordre de puiser pour les rendre eux-mêmes témoins du miracle : « Et Jésus leur dit : Puisez maintenant et portez-en au maître d'hôtel. »
ALCUIN. Le mot triclinium veut dire une rangée de trois lits, du mot grec χλίνη, lit de repos sur lequel les-convives s'étendaient ; l'Architriclinus, ou président du festin, était le premier des convives qui, suivant l'usage antique, étaient étendus sur des lits. Il en est qui pensent que ce président du festin étaient un des prêtres juifs, qui pouvaient assister aux noces, pour apprendre comment on devait s'y conduire. — S. CHRYS. (hom. 22.) On aurait pu objecter que les convives étaient dans l'ivresse et que leur goût était émoussé au point de ne plus pouvoir juger si c'était de l'eau ou du vin qu'on leur présentait. Ceux au contraire qui étaient chargés du service de la table, étaient à l'abri de tout soupçon et n'avait qu'un soin, celui de préparer tout avec ordre et intelligence. Aussi est-ce pour donner un témoin irrécusable du miracle qu'il venait d'opérer, que Nôtre-Seigneur dit aux serviteurs : « Portez-en au maître du festin, » parce que son palais n'était pas émoussé, et non pas : Servez ce vin aux convives.
S. HIL. (de la Trin., 3.) C'est de l'eau que l'on verse dans les urnes, et c'est du vin que l'on en retire avec les coupes ; ceux qui ont rempli ces urnes diffèrent de sentiment avec ceux qui viennent y puiser. Les premiers ne peuvent pas supposer qu'on puisse en retirer autre chose que de l'eau ; ceux au contraire qui puisent dans ces urnes croient qu'on les a remplies de vin : « Sitôt que le maître du festin eut goûté l'eau changée en vin, ne sachant d'où il venait (mais les serviteurs qui avaient puisé l'eau le savaient), il appela l'époux. » Ce ne fut pas un mélange, mais une création. L'eau pure disparut pour faire place à un vin généreux ; ce n'est point par le mélange d'une substance plus forte qu'on obtient une liqueur plus faible ; la première substance est complètement détruite, et fait place à une substance qui n'existait pas encore.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur voulait que le caractère divin de ses miracles se révélât peu à peu ; aussi ne fait-il pas connaître lui-même ce qui vient d'arriver. Le maître du festin n'appelle pas non plus les serviteurs (car leur témoignage n'eût pas suffi pour faire admettre un miracle aussi étonnant de la part de celui que l'on regardait comme un homme ordinaire) ; il s'adresse à l'époux qui était beaucoup plus on mesure de voir et d'apprécier ce qui venait de se faire. Or, ce n'est pas un vin ordinaire, mais un vin excellent que Nôtre-Seigneur met à la place de l'eau : « Et il lui dit : Tout homme sert d'abord le bon vin, » etc. En effet, un des caractères des miracles de Jésus-Christ, c'est d'être beaucoup plus éclatants et aussi plus utiles que les choses qui sont le produit ordinaire de la nature. Les serviteurs furent témoins du changement de l'eau en vin, et le maître du festin aussi bien que l'époux, jugèrent eux-mêmes de l'excellence de ce vin. Il est probable que l'époux exprima sa reconnaissance en quelques paroles, mais l'Evangéliste n'en dit rien, il se contente de rapporter ce qui est nécessaire, c'est-à-dire, que Jésus a changé l'eau en vin, et il ajoute aussitôt : « Ainsi Jésus fit à Cana, en Galilée, le premier de ses miracles. » (hom. 23.) C'était le moment, en effet, d'opérer des miracles, puisqu'il était entouré de disciples parfaitement disposés et qui suivaient avec une grande attention toutes les actions du Sauveur, (hom. 21.) Prétendrait-on qu'il n'y a point de preuve suffisante que ce soit là le premier des miracles de Jésus, parce que l'Evangéliste ajoute : « A Cana, en Galilée, » ce qui permet de supposer qu'il en avait déjà fait ailleurs ? Nous répondrons en citant de nouveau les paroles de Jean-Baptiste : « C'est pour qu'il fût manifesté en Israël, que je suis venu baptiser dans l'eau. » (Jn 1, 31.) Si le Sauveur avait fait des miracles dans sa première enfance, les Israélites n'auraient pas eu besoin qu'on vînt le leur révéler. La multitude des miracles que fit Jésus dans un court espace de temps, lui donnèrent une si grande célébrité, que son nom était connu dans toute la Judée. Mais sa réputation eût été mille fois plus grande s'il avait commencé à faire des miracles dès ses premières années, car des miracles faits par un enfant eussent paru plus surprenants et ils auraient eu beaucoup plus de temps pour se répandre. Mais il convenait qu'il ne fit point de miracles dès son enfance, car on eût refusé de croire à son incarnation, et la jalousie extrême de ses ennemis les aurait portés à le crucifier avant le temps qu'il avait marqué.
S. AUG. (Traité 9 sur S. Jean.) Ce miracle par lequel Nôtre-Seigneur a changé l'eau en vin, n'a rien d'étonnant pour ceux qui savent que c'est Dieu qui agit lui-même. Il opère aux noces de Cana, dans les urnes pleines d'eau, ce qu'il fait tous les ans dans les ceps de nos vignes, nous n'admirons pas cette dernière transformation, parce qu'elle s'accomplit chaque année sous nos yeux ; Dieu s'est donc réservé de nouveaux prodiges pour réveiller les hommes de leur assoupissement, et leur rappeler l'adoration qu'ils lui doivent, voilà pourquoi l'Evangéliste ajoute : « Et il manifesta sa gloire. » — ALCUIN. C'est qu'en effet, il est le roi de gloire qui change les éléments aveu une puissance souveraine. — S. CHRYS. (hom. 23.) Voilà ce qu'il a fait, de son côté du moins, pour manifester sa gloire. Si ce miracle fut alors inconnu d'un grand nombre, tout l'univers devait dans la suite l'entendre raconter.
« Et ses disciples crurent en lui. » Ils devaient, en effet, croire avec plus de facilité, et examiner avec plus d'attention les faits dont ils étaient témoins. — S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 17.) Mais si leur foi en Jésus-Christ ne date que de ce miracle, ils n'étaient donc pas encore ses disciples, lorsqu'ils se rendirent à ces noces ? Il faut donc voir ici une manière de parler semblable à celle que nous employons, lorsque nous disons que l'apôtre saint Paul est né à Tarse, en Cilicie, car il est évident qu'il n'était pas Apôtre au moment de sa naissance. De même lorsque nous lisons dans l'Evangile, que les disciples de Jésus-Christ furent invités à ces noces, nous devons entendre qu'ils n'étaient pas encore ses disciples, mais qu'ils devaient le devenir plus tard.
S. AUG. (Traité 9 sur S. Jean.) Considérez maintenant les mystères qui sont renfermés dans ce miracle du Seigneur; toutes les prédictions qui avaient Jésus-Christ pour objet devaient recevoir en lui leur accomplissement. C'était de l'eau qu'il avait sous les yeux, et il a changé cette eau en vin lorsqu'il ouvrit l'intelligence de ses Apôtres et qu'il leur expliqua les Ecritures. (Lc 24) C'est ainsi qu'il donne de la saveur à ce qui était insipide, et une force enivrante à ce qui n'en avait aucune. — BEDE. Au moment où le Seigneur se manifesta dans le mystère de son incarnation, la saveur généreuse du vin de la loi perdait insensiblement de sa force première par suite de l'interprétation toute charnelle des pharisiens. — S. AUG. (Traité précéd.) S'il avait fait répandre l'eau qui était dans les urnes pour la remplacer par un vin qu'il aurait tiré des trésors cachés de la création, il aurait paru condamner les livres de l'Ancien Testament. Mais au contraire, il change cette eau en vin, et nous démontre ainsi qu'il est l'auteur de l'Ancien Testament, car c'est par son ordre que les urnes ont été remplies d'eau. Mais cette eau reste sans saveur si la foi n'y découvre pas le Christ. Nous savons que les livres de la loi comprennent tout le temps qui s'est écoulé depuis le commencement du monde, que ce temps se partage en six époques, et que nous sommes dans la sixième de ces époques. La première se compte d'Adam jusqu'à Noé ; la seconde, de Noé à Abraham ; la troisième, d'Abraham à David ; la quatrième de David jusqu'à la captivité de Babylone ; la cinquième de la captivité de Babylone jusqu'à Jean-Baptiste ; la sixième, de Jean-Baptiste à la fin du monde. Les six urnes sont donc la figure des six âges du monde pendant lesquels la prophétie n'a pas fait défaut. Les urnes pleines représentent les prophéties accomplies. Mais que signifie cette circonstance qu'elles contenaient deux ou trois mesures ? Si l'Evangéliste n'avait dit que trois mesures, notre esprit, sans chercher ailleurs, s'arrêterait au mystère de la Trinité. Mais de ce qu'il s'est exprimé autrement, en disant : « Deux ou trois, » ce n'est pas une raison pour abandonner cette interprétation, car là où le Père et le Fils sont nommés, on doit y joindre aussi l'Esprit saint, qui est la charité mutuelle du Père et du Fils. Voici une autre explication qu'on peut encore donner. Les deux mesures peuvent représenter les deux peuples, Juifs et Grecs, et les trois mesures, les trois enfants de Noé.
ALCUIN. Les serviteurs sont les docteurs du Nouveau Testament, chargés d'expliquer aux simples fidèles le sens spirituel des Ecritures. Le président du festin, c'est tout homme versé dans la science de la loi, comme Nicodème, Gamaliel, Saul. L'eau changée en vin que l'on présente au maître du festin, c'est la doctrine de l'Evangile qui leur est confiée et qui était comme cachée sous la lettre de la loi. Nous voyons à ce festin nuptial trois espèces différentes de convives, parce que l'Eglise se compose de trois ordres de fidèles ; les personnes mariées, les vierges et les docteurs. Nôtre-Seigneur Jésus-Christ a gardé le bon vin pour la fin, parce qu'il a réservé l'Evangile pour le sixième âge du monde.
S. CHRYS. (hom. 23 sur S. Jean.) Le Seigneur, peu de temps avant d'aller à Jérusalem, se rend à Capharnaüm, pour ne pas conduire partout avec lui ses frères et sa mère : « Après cela, il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples, et ils n'y demeurèrent que peu de jours. » — S. AUG. (Traité 10 sur S. Jean.) Tel est le Seigneur notre Dieu, le Verbe de Dieu, le Verbe fait chair, le Fils du Père, le Fils de Dieu, et en même temps le Fils de l'homme. Il est le Très-Haut, et par-là même notre Créateur, il s'est fait humble pour nous régénérer; il vit au milieu des hommes, il se soumet aux infirmités de leur nature, et voile ainsi ses attributs divins. Il a une mère, il a des frères, il a des disciples. Il a des frères, par la même raison qu'il a une mère. Or, l'Ecriture a coutume de donner le nom de frères, non-seulement à ceux qui ont un même père ou une même mère, mais encore à ceux qui sont nés au même degré de deux frères ou de deux sœurs. Quelle était donc la parenté de ces frères avec le Seigneur ? car il est certain que Marie n'eût pas d'autres enfants, puisque c'est à elle que remonte l'honneur de la virginité. Abraham était oncle de Loth (Gn 12), et Jacob avait également pour oncle Laban le Syrien (Gn 13), et cependant l'Ecriture leur donne à tous le nom de frères. — ALCUIN. Les frères du Seigneur sont donc les cousins de Marie et de Joseph, et non pas leurs fils, car non-seulement la bienheureuse Vierge, mais encore Joseph, le témoin de sa chasteté, demeurèrent toujours étrangers à tout rapport conjugal.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 17.) L'Evangéliste ajoute : « Et ses disciples. » Veut-il entendre par là Pierre et André, et les fils de Zébédée ? c'est ce qu'il est difficile de dire. En effet, d'après saint Matthieu, Nôtre-Seigneur est venu d'abord à Capharnaüm, où il a fixé son séjour ; et ce n'est qu'après qu'il aurait appelé à sa suite ces deux disciples, occupés alors à la pèche. Saint Matthieu a-t-il donc simplement récapitulé ce qu'il avait omis, comme le ferait supposer l'absence dans son récit de désignation précise de temps : « En se promenant sur le bord de la mer de Galilée, il vit deux frères ? » Ou bien les disciples dont il parle sont-ils différents de Pierre et d'André, et des fils de Zébédée ? Ces deux explications ont chacune leur probabilité. On sait, en effet, que les saints Evangiles et les épîtres des Apôtres donnent le nom de disciples, non-seulement aux douze Apôtres, mais à tous ceux qui croyaient en Jésus-Christ et que le divin Maître instruisait des mystères du royaume des cieux. Comment encore saint Jean a-t-il pu dire que Jésus se rendit en Galilée avant que Jean-Baptiste eût été mis en prison, tandis que nous lisons dans saint Matthieu et dans saint Marc : « Jésus, ayant appris que Jean avait été jeté en prison, il se retira en Galilée ? » Saint Luc lui-même ne dit rien de l'emprisonnement de Jean, et comme les deux premiers Evangélistes, il place le voyage de Jésus en Galilée après son baptême et sa tentation. Nous répondons que les trois premiers Evangélistes ne sont pas en opposition avec saint Jean, mais qu'ils ont tout simplement passé sous silence le premier voyage du Sauveur en Galilée, voyage qui suivit immédiatement son baptême, et où il changea l'eau en vin. — EUSEBE. (Hist. éccles., 23, 24.) Lorsque Jean l'Evangéliste eut pris connaissance des trois premiers évangiles, il confirma par son témoignage l'authenticité de la doctrine et la véracité des faits qu'ils contenaient, mais il y découvrit quelques lacunes, surtout pour les premiers temps de la prédication du Sauveur. Il paraît certain, en effet, que les trois premiers évangiles ne contiennent que les faits qui se sont passés l'année où Jean-Baptiste a été jeté dans les fers et mis à mort. C'est pour cela que saint Jean fut prié de transmettre par écrit les événements de la vie du Sauveur qui avaient précédé l'emprisonnement de Jean-Baptiste, et un examen attentif découvrira que les Evangiles ne se contredisent pas, mais que saint Jean et les trois premiers Evangélistes racontent des faits qui se sont passés dans des temps différents. — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur ne fit alors aucun miracle à Capharnaüm, parce que les habitants étaient fort mal disposés à son égard, et profondément corrompus. Cependant il se rend dans cette ville et s'y arrête quelque temps, par considération pour sa mère.
BEDE. Cependant ils n'y restèrent pas longtemps à cause de la fête de Pâques qui approchait, « Or, la pâque des Juifs était proche. » — ORIG. (Traité 10 sur S. Jean.) Mais pourquoi l'Evangéliste ajoute-t-il : « Des Juifs, » puisqu'aucun autre peuple ne célébrait cette fête ? C'est peut-être qu'il y avait une pâque toute humaine, que les hommes célébraient en dehors de la volonté et de l'institution de Dieu, et une pâque véritable et divine qui se célébrait en esprit et en vérité, et c'est pour distinguer cette seconde pâque de la première, qu'il ajoute : « Des Juifs. »
« Et Jésus monta à Jérusalem. » D'après le récit évangélique, Jésus se rendit deux fois à Jérusalem, une première fois, la première année de sa vie publique, avant que Jean-Baptiste eût été jeté en prison, et une seconde fois l'année de sa passion. Nôtre-Seigneur nous apprend ici par son exemple la soumission parfaite que nous devons aux commandements de Dieu. Si le Fils de Dieu a voulu accomplir les préceptes de la loi dont il était l'auteur, en célébrant les fêtes légales comme les autres hommes, avec quel soin et quelle exactitude ses serviteurs doivent-ils célébrer les saintes solennités, et s'y préparer par la pratique des bonnes œuvres ?
ORIG. Dans le sens allégorique, c'est après la préparation des noces à Cana, en Galilée, que Jésus, avec sa mère, ses frères et ses disciples, descend à Capharnaüm, dont le nom signifie le champ de la consolation. Après avoir donné le vin généreux qui augmente la force et l'ardeur, il était convenable que le Sauveur vint avec sa mère et ses disciples dans le champ de la consolation pour consoler et fortifier par l'espérance des fruits à venir, et par la perspective des champs nombreux et fertiles ceux qui embrassaient sa doctrine, et aussi l'âme de celle qui l'avait conçu du Saint-Esprit. Ceux qui portent des fruits de salut voient descendre vers eux Nôtre-Seigneur, avec les ministres de la parole sainte et ses disciples, et le Seigneur vient les fortifier en présence de sa sainte mère, et souvent même par son intercession. Ceux qui ont été conduits à Capharnaüm, ne supportent pas longtemps la présence de Jésus, parce que le champ de la consolation terrestre ne peut supporter l'éclat d'un grand nombre de vérités, et peut à peine en recevoir quelques-unes. — alcuin. Ou bien encore, Capharnaüm signifie la campagne très-belle, et figure le monde dans lequel le Verbe de Dieu a voulu descendre.
BEDE. Nôtre-Seigneur n'y resta que peu de jours, parce qu'en effet, il a passé peu de temps sur la terre au milieu des hommes. — ORIG. (Traité 11 sur S. Jean.) Jérusalem, c'est la cité du grand roi, comme l'atteste le Sauveur lui-même ; (Mt 5, 35) et aucun de ceux-qui restent sur la terre ne peut monter ni entrer dans cette ville. Mais toute âme qui s'élève à la perfection de sa nature, et arrive à comprendre les vérités spirituelles, mérite d'habiter cette ville dans laquelle nous voyons Jésus seul entrer. Ses disciples y sont présents eux-mêmes plus tard, lorsqu'ils se rappellent ces paroles : « Le zèle de votre maison me dévore, » mais c'est Jésus qui monte encore dans la personne de chacun de ses disciples.
BEDE. Aussitôt son arrivée à Jérusalem, Nôtre-Seigneur se rend immédiatement au temple pour prier, et nous donne ainsi l'exemple, quelque part que nous allions, de nous rendre aussitôt dans la maison du Seigneur pour lui offrir nos prières : « Et il trouva, dit l'Evangéliste, des hommes qui vendaient des bœufs, des brebis et des colombes.» —S. AUG. (Traité 10 sur S. Jean.) Ces sacrifices que Dieu avait imposés à ce peuple étaient en rapport avec ses inclinations charnelles, et avaient pour but de le détourner du culte des idoles ; ils immolaient donc des bœufs, des brebis et des colombes.
BEDE. Mais comme ceux qui venaient de loin ne pouvaient porter avec eux les victimes qu'ils devaient immoler, ils en apportaient le prix. C'est ce qui donna lieu à l'usage établi par les scribes et les pharisiens de vendre les animaux destinés aux sacrifices ; les pèlerins achetaient ces animaux et les offraient à Dieu, et les scribes et les pharisiens les revendaient à d'autres après qu'ils avaient été offerts, et augmentaient ainsi leurs bénéfices. Des changeurs se tenaient à leurs comptoirs pour faciliter les transactions entre les acheteurs et les vendeurs, c'est pour cela que l'Evangéliste ajoute : « Et les changeurs assis à leurs tables. » Le Seigneur ne veut pas souffrir dans sa maison le moindre trafic terrestre, n'eut-il rien que de légitime, et il chasse dehors, sans distinction, tous les trafiquants. — S. AUG. Il flagelle le premier ceux qui devaient un jour le flageller : « Et ayant fait comme un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, » etc. — THEOPHYL. Il jette dehors non-seulement les acheteurs et les vendeurs, mais tout ce qui leur appartenait : « Les brebis, les bœufs , et il jeta par terre l'argent des changeurs, et renversa leurs tables, » c'est-à-dire les comptoirs qui contenaient leur argent.
ORIG. Examinons sérieusement cette action qui peut nous paraître excessive, puisque nous y voyons le Fils de Dieu se faire un fouet avec des cordes pour chasser ces vendeurs hors du temple. A toutes les difficultés qu'on pourrait objecter, nous aurons toujours pour réponse la puissance divine de Jésus, qui pouvait, lorsqu'il le voulait, réprimer la fureur de ses ennemis, malgré leur nombre, et apaiser l'agitation tumultueuse de leurs esprits ; « car le Seigneur dissipe les desseins des nations, il rend vaines les pensées des peuples, et il renverse les conseils des princes. » (Ps 32, 10.) Ce fait ne le cède en rien aux miracles les plus éclatants de la vie du Sauveur, on peut même assurer qu'il y déploie une puissance plus grande que lorsqu'il changea l'eau en vin ; car dans ce dernier miracle, il agit sur une matière inanimée, tandis que dans le premier, c'est sur des milliers d'hommes qu'il exerce sa domination.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 67.) Il est évident que le fait dont il s'agit s'est répété deux fois, saint Jean raconte ici le premier, et les trois autres Evangélistes le second. — ORIG. D'après saint Jean, le Sauveur ne chassa que les vendeurs, tandis que saint Matthieu y joint les acheteurs. Or, le nombre des acheteurs était beaucoup plus considérable que celui des vendeurs, et il fallait pour les chasser hors du temple, une puissance supérieure à celle du fils d'un charpentier, comme on l'appelait ; aussi était-ce par un effet de la puissance divine, qu'il commanda, comme nous l'avons dit, à toute cette multitude.
BEDE. Nous voyons ici clairement les deux natures en Jésus-Christ, la nature humaine, parce qu'il est accompagné de sa mère ; et la nature divine, parce qu'il se déclare le vrai Fils de Dieu. En effet, écoutons la suite : « Et il dit à ceux qui vendaient des colombes : Emportez cela d'ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. » — S. CHRYS. (hom. 22 sur S. Jean.) Il appelle Dieu son Père, et ils ne s'irritent point contre lui, parce qu'ils prennent cette appellation dans le sens le moins rigoureux. Mais lorsque plus tard, il s'exprimera plus clairement, de manière à leur faire comprendre qu'il est égal et consubstantiel à son Père, ils donneront un libre cours à leur fureur. Saint Matthieu ajoute qu'en les chassant, il disait : « Cessez de faire de cette maison une caverne de voleurs. » Il parlait ainsi aux approches de sa passion, et son langage était plus sévère. Au contraire, le fait raconté par saint Jean avait lieu au début de sa vie publique et pleine de miracles ; aussi ses expressions sont moins dures, et ses reproches plus modérés.
S. AUG. (Traité 10 sur S. Jean.) Ce temple n'était encore qu'un temple figuratif, et le Seigneur en chasse tous ceux qui venaient y faire le trafic. Et qu'y vendaient-ils ? Les victimes nécessaires aux sacrifices alors en usage. Qu'aurait fait Jésus-Christ s'il y avait trouvé des hommes plongés dans l'ivresse ? Si la maison de Dieu ne doit pas être une maison de commerce , doit-on en faire une maison de buveurs?
S. CHRYS. (hom. précéd.) Mais pourquoi Nôtre-Seigneur manifeste-t-il un si grand courroux ? Il devait opérer des guérisons le jour du sabbat, et faire un grand nombre d'œuvres qui paraissaient aux Juifs une véritable transgression de la loi de Dieu. C'est donc pour leur prouver qu'il n'est point en opposition avec Dieu, qu'il chasse, au péril de sa vie, les marchands hors du temple, et il donne à comprendre que celui qui s'expose ainsi au danger pour défendre l'honneur de la maison, ne peut être accusé de mépriser le maître de la maison ; aussi pour montrer la parfaite harmonie qui règne entre Dieu et lui, il ne dit pas : La maison sainte, mais : « La maison de mon Père. » C'est pour la même raison que l'Evangéliste ajoute : « Ses disciples se ressouvinrent alors qu'il est écrit : Le zèle de votre maison me dévore. » — BEDE. En effet, les disciples, témoins de ce zèle si ardent, se ressouvinrent que c'était le zèle pour la maison de son Père, qui lui faisait chasser les impies hors du temple. — ALCUIN. Le zèle, pris en bonne part, est une certaine ardeur de l'âme qui l'enflamme du désir de défendre la vérité en méprisant toute crainte des hommes. — S. AUG. Celui qui est dévoré du zèle de la maison de Dieu s'efforce d'en bannir tout ce qui pourrait la déshonorer, et si cela lui est impossible, il gémit en souffrant un mal qu'il ne peut empêcher ; vous prenez soin qu'aucune action mauvaise ne se fasse dans votre maison, devez-vous donc la souffrir, si vous pouvez l'empêcher dans la maison de Dieu, où le salut éternel vous est annoncé ? Est-ce votre ami qui lui manque de respect ? avertissez-le avec douceur; est-ce votre épouse ? mettez un frein sévère à sa légèreté ; est-ce votre servante ? employez même les châtiments extérieurs pour la maintenir ; en un mot, faites tout ce que vous pouvez, eu égard à la position que vous occupez.
ALCUIN. Dans le sens allégorique, Dieu entre tous les jours dans sa maison pour y considérer la manière dont chacun s'y conduit. Gardons-nous donc de nous laisser aller dans l'Eglise de Dieu à des futilités, à des rires, à des haines, à des désirs passionnés, si nous ne voulons qu'il ne vienne à l'improviste nous chasser à coups de fouet hors de sa maison. — ORIG. Il peut arriver, en effet, que même un habitant de Jérusalem tombe dans cette faute, et que les plus intelligents comme les plus instruits s'écartent du droit chemin, et s'ils ne reviennent au plutôt de leurs erreurs, ils perdent la force et la pénétration de leur esprit. Jésus trouve donc quelquefois dans le temple (c'est-à-dire, au milieu des fonctions saintes et dans l'exercice de la prédication de la parole divine), des hommes qui font de la maison de son Père une maison de commerce. Ils mettent en vente les bœufs qu'ils auraient dû réserver pour la charrue et empêcher de retourner en arrière pour les rendre propres au royaume de Dieu. Il en est aussi qui préfèrent les richesses d'iniquité aux brebis qui auraient pu suffire à leur entretien et à leur ornement. Il en est enfin qui dédaignent la simplicité et l'innocence, et leur préfèrent l'amertume du cœur et les emportements de la colère, et pour un vil motif d'intérêt, ils sacrifient la fidélité de ceux qui sont figurés par les colombes. Lorsque le Sauveur trouve ces hommes dans la maison sainte, il fait un fouet avec des cordes et les chasse dehors avec leurs brebis ; il jette à terre leur argent, renverse les comptoirs dressés dans l'âme des avares, et défend de vendre désormais des colombes dans la maison de Dieu. Ce fait renferme encore, si je ne me trompe, un enseignement mystérieux et caché. Jésus veut nous faire comprendre que les sacrifices que Dieu exigeait des prêtres ne devaient plus être conformes aux sacrifices extérieurs de la loi, et que la loi elle-même ne serait plus observée comme le voulaient les Juifs encore charnels. En chassant les bœufs et les brebis, en commandant d'emporter les colombes, qui étaient les victimes ordinaires des Juifs ; en renversant les tables couvertes de cette monnaie matérielle qui était la figure indirecte de la loi divine, c'est-à-dire, de ce qui était honnête et licite, à ne consulter que la lettre de l'Ecriture ; enfin en prenant un fouet pour chasser le peuple du temple, Nôtre-Seigneur nous apprenait que tout ce qui faisait partie de l'ancienne loi devait être détruit et dispersé, et que le royaume ou le sacerdoce des Juifs devait être transféré à ceux qui, parmi les nations, ont embrassé la foi.
S. AUG. Ou bien encore, ces vendeurs dans l'Eglise sont ceux qui cherchent leurs intérêts, et non les intérêts de Jésus-Christ. (Ph 2) Tout est vénal chez eux parce qu'ils veulent être payés de tout. Pourquoi Simon voulait-il acheter l'Esprit saint ? Parce qu'il voulait le vendre. Il était du nombre de ceux qui vendent les colombes, car c'est sous la forme d'une colombe que l'Esprit saint a voulu apparaître, cette colombe ne se vend pas, elle se donne gratuitement, parce qu'elle s'appelle grâce. — BEDE. Ceux-là donc vendent les colombes, qui ne donnent pas gratuitement, comme Dieu l'ordonne, la grâce de l'Esprit saint, mais qui la vendent à prix d'argent ; ou bien si ce n'est point à prix d'argent, c'est pour un vain désir de popularité qu'ils accordent l'imposition des mains qui appelle le Saint-Esprit dans les âmes, et ils confèrent les saints ordres, non d'après le mérite de la vie, mais en sacrifiant à la faveur ou à la complaisance. — S. AUG. Les bœufs représentent les Apôtres et les prophètes, par le moyen desquels Dieu nous a transmis les saintes Ecritures. Ceux donc qui se servent des Ecritures pour tromper la multitude, afin d'en recevoir des honneurs, vendent les bœufs, les brebis, c'est-à-dire, les peuples eux-mêmes ; et à qui les vendent-ils ? au démon, car tout ce qui est détaché de l'Eglise qui est une, est emporté par le démon qui, comme un lion rugissant, tourne autour de nous, cherchant quelqu'un à dévorer. (1 P 5, 8.) — BEDE. Ou bien, les brebis sont les œuvres d'innocence et de piété. Vendre les brebis, c'est donc pratiquer la piété en vue des louanges des hommes ; les changeurs d'argent dans le temple sont ceux qui se livrent publiquement dans l'Eglise aux intérêts de la terre. On fait encore de la maison du Seigneur une maison de commerce, non-seulement quand on confère les saints ordres pour recevoir en échange de l'argent, des louanges, des honneurs, mais encore quand on exerce le ministère tout spirituel qu'on tient de Dieu, avec une intention qui n'est pas droite, et en vue d'une récompense toute humaine.
S. AUG. L'action de Nôtre-Seigneur, faisant un fouet avec des cordes pour chasser les vendeurs hors du temple, renferme un sens mystérieux et caché. Tout homme qui ne cesse d'ajouter de nouveaux péchés à ceux qu'il a commis, se fait comme une corde de ses iniquités. Lors donc que les hommes souffrent parce qu'ils sont coupables, qu'ils reconnaissent que Dieu se fait comme un fouet avec des cordes, et les avertit de changer de conduite, sinon ils entendront à la fin de leur vie cette parole terrible : « Liez-lui les mains et les pieds. » (Mt 22) — BEDE. Après avoir fait un fouet avec des cordes, il chasse les vendeurs hors du temple, c'est-à-dire, qu'il exclut du sort et de l'héritage des saints ceux qui se trouvant mêlés parmi les saints pratiquent la vertu par hypocrisie ou commettent ouvertement le mal. Il chasse également les brebis et les bœufs pour montrer que leur vie comme leur doctrine sont également dignes de condamnation. Il jette à terre l'argent des changeurs, et renverse leurs tables, parce que les réprouvés à la fin du monde se verront enlever jusqu'à la figure de ce qu'ils avaient aimé. Il commande de faire disparaître du temple la vente des colombes, pour nous apprendre que la grâce de l'Esprit saint que nous recevons gratuitement, doit aussi être donnée gratuitement.
ORIG. Le temple peut encore être considéré comme la figure de l'âme attentive à son salut, parce que la parole de Dieu habite en elle, et qui avant d'avoir reçu les divins enseignements de Jésus-Christ, servait d'habitation aux passions terrestres et aux instincts des animaux sans raison. Le bœuf qui sert à la culture des champs, est le symbole des passions de la terre, la brebis, le plus stupide des animaux, est la figure des mouvements contraires à la raison ; la colombe est l'image des âmes légères et inconstantes, et les pièces d'argent, la figure de ceux qui portent l'apparence de la vertu, et que Jésus-Christ chasse par sa divine doctrine en défendant que la maison de son Père soit plus longtemps une place publique.
THEOPHYL. Les Juifs voyant Jésus agir avec une si grande puissance, et dire hautement : « Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de trafic, » lui demandent un miracle. « Les Juifs prenant la parole, lui dirent : Par quel miracle nous prouvez-vous que tous avez le droit de faire ces choses ? » — S. CHRYS. (hom. 22.) Etait-il donc besoin d'un miracle pour lui donner le droit de mettre fin à des actions coupables ? Le zèle ardent qu'il faisait paraître pour la maison de Dieu, n'était-il pas une preuve éclatante de sa puissance ? Ils se souvenaient bien de la prédiction du prophète, mais ils ne laissent pas de lui demander un miracle, parce qu'ils sont mécontents de le voir entraver le honteux trafic auquel ils se livraient dans le temple et qu'ils veulent l'empêcher d'exercer cette puissance. Ils ont la prétention de le déterminer ou à faire un miracle, ou à revenir sur la défense qu'il leur a faite. Aussi Nôtre-Seigneur ne leur accorde pas le miracle qu'il demande. Il leur répond comme il fera plus tard à ceux qui venaient lui demander un prodige dans le ciel : « Cette génération coupable et adultère demande un signe, et il ne lui sera donné d'autre signe que celui du prophète Jonas. » (Mt 12) C'est la même réponse de part et d'autre, mais dans cette dernière circonstance, le Sauveur s'exprime plus clairement, tandis qu'ici sa réponse a quelque chose de plus obscur. Sans nul doute il eut accédé à leur demande, lui qui multipliait les miracles avant même qu'on le lui demandât, s'il n'avait remarqué tout ce que leur âme renfermait de fourberie : « Il leur dit donc : Détruisez ce temple, et je le relèverai en trois jours. » — BEDE. Ils demandent à Nôtre-Seigneur un signe qui établit le droit qu'il se donnait de défendre dans le temple le trafic qui s'y faisait ordinairement ; et il leur répond que ce temple était la figure de son corps dans lequel on ne pourrait trouver la moindre tache du péché. Voici donc le sens de ses paroles : de même que je purifie ce temple inanimé du trafic coupable et des crimes dont vous le souillez, ainsi je ressusciterai après trois jours, lorsque tous l'aurez détruit de vos propres mains, ce temple de mon corps, dont ce temple matériel est la figure.
THEOPHYL. Ces paroles : «Détruisez ce temple» ne sont pas toutefois une provocation à l'homicide, mais une preuve que leurs desseins criminels ne lui sont pas inconnus. Or, que les ariens écoutent cette parole du Seigneur qui vient détruire l'empire de la mort : « Je le relèverai par ma propre puissance. » — S. AUG. (Traité 10 sur S. Jean.) C'est aussi Dieu le père qui l'a ressuscité, comme il le lui demande dans le livre des Psaumes : « Ressuscitez-moi, et je le leur rendrai. » (Ps 40, 10.) Mais que fait le Père sans le Verbe ? De même donc que le Père ressuscite le Fils, le Fils aussi se ressuscite lui-même, car le Fils a dit : « Mon père et moi nous ne sommes qu'un. » (Jn 10) — S. CHRYS. (hom. 22.) Mais pourquoi leur donne-t-il de préférence le signe de sa résurrection ? Parce que ce miracle était celui de tous qui prouvait invinciblement qu'il n'était pas seulement un homme, qu'il pouvait triompher de la mort, et détruire d'un seul coup l'empire tyrannique qu'elle exerçait depuis si longtemps.
ORIG. (Traité 12 sur S. Jean.) Ces deux choses, le corps de Jésus et le temple, me paraissent être la figure de l'Eglise qui est construite de pierres vivantes pour former une maison spirituelle, un sacerdoce saint ; et aussi conformément à ces autres paroles: « Vous êtes le corps de Jésus-Christ et les membres les uns des autres. » (1 Co 12, 27.) Cet édifice de pierre semble renversé, et les os du Christ semblent dispersés par le vent des adversités et des tribulations, mais il sera rétabli et ressuscitera le troisième jour qui doit répandre ses clartés sur un nouveau ciel et sur une nouvelle terre. De même que le corps sensible de Jésus-Christ a été crucifié et enseveli avant de ressusciter, ainsi le corps mystique du Sauveur composé de tous les saints a été crucifié avec lui. Aucun d'eux, en effet, qui se glorifie en autre chose qu'en la croix de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, par laquelle il est crucifié pour le monde. (Ga 6, 14.) Aucun d'eux également qui ne soit enseveli avec Jésus-Christ, et ne ressuscite avec lui, parce qu'il marche dans une sainte nouveauté de vie (Rm 6) ; mais aucun d'eux cependant n'a encore eu part à la bienheureuse résurrection. Aussi n'est-il point écrit : Je le rétablirai le troisième jour, mais : « dans trois jours, » pour marquer que la restauration de ce temple s'accomplira pendant toute la durée de ces trois jours. THEOPHYL. — Les Juifs qui s'imaginaient qu'il parlait du temple matériel, se moquaient de lui. « Les Juifs répartirent : On a mis quarante-six ans à bâtir ce temple, et vous le rebâtirez en trois jours ? »
ALCUIN. Remarquez que les Juifs ne veulent point parler ici de la première construction du temple par Salomon, et qui dura sept ans, mais de sa reconstruction par Zorobabel, qui se prolongea pendant quarante-six ans au milieu des obstacles sans nombre que les ennemis ne cessaient d'y apporter. (Esd 1, 4.) — ORIG. Il en est qui prétendent qu'on peut compter ces quarante-six ans du jour où David consulta le prophète Nathan sur la construction du temple, s'occupant dès lors d'amasser les matériaux nécessaires. Ne serait-il pas même possible que ce nombre quarante appliqué au temple soit la figure des quatre éléments du monde, et le nombre six le symbole du sixième jour où l'homme fut créé ? — S. AUG. (de la Trinité, chap. 5.) On peut dire encore que ce nombre exprime convenablement la perfection du corps du Seigneur. En effet, six fois quarante-six font deux cent soixante-seize, c'est-à-dire neuf mois et six jours. Or, c'est justement le temps que le corps de Jésus se développa dans le sein de sa mère jusqu'au jour de sa naissance, comme nous pouvons le conclure delà tradition de nos ancêtres, tradition que l'Eglise a revêtue de son autorité. C'est en effet, le huitième jour des calendes d'avril, c'est-à-dire le vingt-cinq mars, que l'on croit que Jésus fut conçu et souffrit la mort, et c'est le huitième jour des calendes de janvier, c'est-à-dire le vingt-cinq décembre, qu'il est né. Depuis le jour de sa conception jusqu'à celui de sa naissance, on compte donc deux cent soixante-seize jours que l'on obtient par le nombre quarante-six multiplié par six. — S. AUG. (Liv. des 88 quest., quest. 6.) Tels sont, dît-on, les phénomènes progressifs de la conception de l'homme ; pendant les six premiers jours son corps, a l'apparence du lait ; durant les neuf jours suivants ce lait se change en sang ; ce sang se coagule pendant les douze jours qui suivent ; puis les organes se forment et les contours des membres se dessinent pendant dix-huit autres jours, et le corps continue à se développer le reste du temps jusqu'à l'époque de l'enfantement. Or, les nombres six, neuf, douze, dix-huit additionnés ensemble, font quarante-cinq ; et en ajoutant un, quarante-six. Si on multiplie quarante-six par le nombre six qui se trouve en tête de cette addition, on obtient deux cent soixante-seize, c'est-à-dire neuf mois et six jours. Ce n'est donc point sans raison qu'on a mis quarante-six ans à construire le temple qui était la figure du corps du Sauveur, mais pour que les années de sa construction fussent le symbole et l'image des jours pendant lesquels le corps du Seigneur atteignit sa perfection.
S. AUG. (Traité 10 sur S. Jean.) Ou bien encore, Notre Seigneur a reçu son corps d'Adam, mais sans en prendre le péché. Il a donc reçu de lui le temple de son corps, mais non l'iniquité qui doit être bannie de ce temple. Si vous prenez les quatre mots grecs άνατολή, orient ; δύσις, l'occident ; άρχρτς, le septentrion ; μεσημξρία, le midi ; et que vous réunissiez les quatre premières lettres de ces mots, vous avez le nom d'Adam. Aussi le Seigneur nous déclare qu'il rassemblera ses élus des quatre vents, lorsqu'il viendra juger les hommes. Les lettres qui servent à former le nom d'Adam, correspondent en grec au nombre quarante-six qui est le nombre d'années qu'a duré la construction du temple. Ce nom, en effet, est composé de α, c'est-à-dire un ; de δ, quatre ; de α, c'est-à-dire un ; de y, quarante ; ce qui fait en tout quarante-six. Mais les Juifs, esclaves des inclinations de la chair, ne pouvaient goûter que les choses charnelles, et ne comprenaient pas le langage spirituel du Sauveur. Aussi l'Evangéliste nous explique de quel temple il voulait parler : « Mais Jésus voulait parler du temple de son corps. »
THEOPHYL. Apollinaire nous oppose ce texte pour prouver que la chair de Jésus-Christ était inanimée, parce que le temple auquel il la compare était lui-même inanimé. Dites donc alors que la chair de Jésus était un composé de pierres et de bois, puisque tels sont les éléments qui entrent dans la construction du temple. Vous prétendez que ces paroles : « Mon âme est troublée, » etc. (Jn 12) « J'ai le pouvoir de donner mon âme, » etc. (Jn 10) ne doivent point s'entendre d'une âme raisonnable ; dans quel sens prendrez-vous donc ces paroles : « Seigneur, je remets mon âme entre vos mains ? » (Lc 23) Car vous ne pouvez pas davantage l'entendre d'une âme raisonnable, pas plus que ces autres paroles : « Vous ne laisserez pas mon âme dans l'enfer. » (Ps 15) — ORIG. Le corps du Seigneur est ici appelé le temple de Dieu, parce que de même que le temple de Dieu était rempli de la gloire de Dieu qui l'habitait, ainsi le corps de Jésus-Christ qui représente l'Eglise contient le Fils unique, qui est l'image substantielle de la gloire de Dieu.
S. CHRYS. (hom. 22 sur S. Jean.) Deux choses s'opposaient à ce que les disciples comprissent parfaitement le sens de ces paroles : la première, c'était le fait même de la résurrection ; la seconde, c'est que Dieu lui-même habitait le temple de son corps, ce que le Seigneur avait exprimé en termes mystérieux et cachés, en disant : « Détruisez ce temple, et je le relèverai en trois jours. » Aussi ajoute-t-il : « Lors donc qu'il fut ressuscité d'entre les morts, ses disciples se ressouvinrent qu'il avait dit cela, et ils crurent à l'Ecriture et à la parole qu'avait dite Jésus.» — ALCUIN. Avant la résurrection, ils ne comprenaient pas les Ecritures, parce qu'ils n'avaient pas encore reçu l'Esprit saint, et « l'Esprit saint n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié. » (Jn 7) Mais le jour de sa résurrection, Notre-Seigneur apparut à ses disciples, et leur ouvrit l'intelligence pour comprendre ce que la loi et les prophètes avaient prédit de lui. (Lc 24) « Et ils crurent alors à l'Ecriture, » (c'est-à-dire aux prophètes qui avaient prédit qu'il ressusciterait le troisième jour), et à la parole que Jésus leur avait dite : « Détruisez ce temple, » etc.
ORIG. Dans le sens analogique, nous parviendrons au complément de la foi, au jour de la grande résurrection du corps entier de Jésus, c'est-à-dire de son Eglise ; car la foi qui voit Dieu tel qu'il est, est bien différente de celle qui ne le voit que comme dans un miroir et sous des images obscures.
BEDE. L'Evangéliste vient de raconter ce qu'avait fait le Sauveur en arrivant à Jérusalem, il fait connaître maintenant la conduite qui fut tenue à son égard pendant son séjour à Jérusalem : « Lorsque Jésus était à Jérusalem, » etc. — ORIG. Il nous faut examiner comment la vue des miracles dont ils furent témoins en détermina un grand nombre à croire en lui ; car nous ne lisons pas qu'il ait fait aucun miracle à Jérusalem, à moins qu'il n'en ait fait sans que l'Evangile les ait rapportés. C'est à vous de voir si l'on ne doit pas mettre au nombre des miracles l'action de Jésus faisant un fouet avec des cordes, et chassant les marchands hors du temple.
S. CHRYS. (hom. 22.) Les disciples qui s'étaient attachés à Jésus-Christ, non pour ses miracles, mais pour sa doctrine, avaient été les mieux inspirés. En effet, les esprits vulgaires sont attirés par l'éclat des miracles, tandis que les âmes plus élevées sont beaucoup plus sensibles à la vérité des prophéties ou de la doctrine. Aussi l'Evangéliste ajoute : « Mais Jésus ne se fiait pas à eux. » — S. AUG. (Traité 11) Que signifient ces paroles ? « Ils croyaient au nom de Jésus, et Jésus ne se fiait pas à eux ? » Est-ce qu'ils ne croyaient pas en réalité, et que leur foi n'était qu'apparente ? Mais alors l'Evangéliste n'aurait pas dit aussi expressément : « Beaucoup crurent en son nom. » Chose extraordinaire et merveilleuse ! Les hommes croient en Jésus-Christ, et Jésus-Christ ne se fie pas aux hommes. C'est surtout parce qu'il est le Fils de Dieu ; s'il a souffert, c'est parce que telle était sa volonté, et s'il ne l'avait pas voulu, il n'eût jamais souffert. Or, tels sont tous les catéchumènes. Si nous demandons à un catéchumène : Croyez-vous en Jésus-Christ ? il répond : je crois, et fait sur lui le signe de la croix. Si nous lui faisons cette question : Mangez-vous la chair du Fils de l'homme ? Il ne sait ce que nous lui disons, parce que Jésus ne s'est pas encore confié à lui. — ORIG. On peut dire encore que Jésus ne se fie pas à ceux qui croient en son nom, mais qui ne croient pas encore en lui ; car ceux-là seuls croient en lui qui suivent la voie étroite qui conduite la vie. (Mt 7) Ceux dont la foi ne repose que sur les miracles ne croient pas en lui, mais en son nom.
S. CHRYS. (hom. 22.) Ou bien encore, l'Evangéliste s'exprime de la sorte, parce que Jésus ne se fiait pas à eux, comme il se fie à des disciples parfaits, il ne leur confiait pas encore tous ses dogmes, comme ù des fidèles fortement affermis dans la foi ; car il ne s'arrêtait pas aux paroles qui sortent de la bouche, il pénétrait jusqu'au fond des cœurs, et savait parfaitement le moment favorable pour ses divines communications. C'est pour cela que l'auteur sacré ajoute : « Parce qu'il les connaissait tous, et qu'il n'avait pas besoin que personne lui rendit témoignage d'aucun homme, car il savait lui-même ce qu'il y avait dans l'homme. » En effet, il n'appartient qu'à Dieu, qui seul a formé les cœurs des hommes, de connaître ce qu'ils renferment de plus intime. Il n'avait donc nul besoin de témoignages étrangers pour lui apprendre les pensées secrètes des cœurs qu'il avait créés.
S. AUG. (Traité 11.) Ce divin ouvrier connaissait mieux ce qui était dans son œuvre, que l'œuvre ne pouvait le connaître elle-même. Ainsi Pierre sentait bien ce qui se passait au fond de son cœur, lorsqu'il disait à Jésus : « Je vous suivrai jusqu'à la mort, » (Jn 13) mais Nôtre-Seigneur savait bien mieux ce qui était dans l'homme, lorsqu'il lui répondait : « Avant que le coq chante, vous me renierez trois fois. » — BEDE. Avertissement salutaire de ne jamais nous reposer entièrement sur le témoignage de notre conscience, mais d'être toujours dans une craintive sollicitude ; car ce qui demeure caché pour nous, ne saurait échapper aux yeux du Juge éternel.
S. AUG. (Traité 12 sur S. Jean.) L'Evangéliste venait de dire que pendant le séjour de Jésus à Jérusalem, beaucoup crurent en son nom, en voyant les prodiges et les miracles qu'il opérait. De ce nombre était Nicodème, un des pharisiens. — BEDE. (pour la fête de l'inv. de la sainte croix.) Saint Jean nous fait connaître son rang et sa dignité : « C'était un des chefs des Juifs, ». et la démarche qu'il fit : « Il vint de nuit trouver Jésus. » Il désirait s'instruire plus à fond dans un entretien secret des mystères de la foi, dont les miracles publics du Sauveur lui avaient fait connaître les premiers éléments.
S. CHRYS. (hom. 24 sur S. Jean.) Cet homme était encore esclave de la faiblesse judaïque, et il vient de nuit, parce qu'il craignait de faire de jour cette démarche. C'est ce même motif de crainte auquel l'Evangéliste fait allusion, lorsqu'il dit : « Cependant plusieurs d'entre les princes mêmes crurent en lui, mais à cause des pharisiens, ils ne le confessaient pas, de peur d'être chassés de la synagogue. » (Jn 12, 12.) — S. AUG. (Traité 12.) Nicodème était du nombre de ceux qui crurent en Jésus-Christ, mais qui n'avaient pas encore reçu une nouvelle naissance, et c'est la raison pour laquelle il vient de nuit. C'est à ceux qui sont nés de nouveau de l'eau et de l'Esprit saint, que l'Apôtre dit : « Vous avez été autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur. » — HAYM. Cette démarche qu'il fait la nuit est parfaitement appropriée aux dispositions de son âme, encore couverte des ténèbres de l'ignorance, et privée de cette vive lumière qui le fit croire parfaitement au Dieu véritable ; car la nuit, dans la sainte Ecriture, est le symbole de l'ignorance : « Et il lui dit : Maître, nous savons que vous êtes un docteur envoyé de Dieu. » Le mot rabbi, en hébreu, a la même signification que le mot magister, (maître) en latin. Il donne à Jésus le nom de maître, et non celui de Dieu, parce qu'il le regardait comme envoyé de Dieu, mais sans croire encore à sa divinité.
S. AUG. (Traité 12.) Quel motif l'avait porté à croire ? le voici : « Car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu n'est avec lui. » Nicodème faisait donc partie de ce grand nombre de Juifs qui avaient cru au nom de Jésus, en voyant les miracles qu'il opérait. — S. CHRYS. (hom. 24.) Cependant les prodiges ne lui donnent pas encore une bien haute idée de Jésus, il avait de lui une opinion toute humaine ; il en parle comme d'un prophète envoyé de Dieu pour une mission spéciale, et qui a besoin pour la remplir d'un secours étranger, bien que son Père, en l'engendrant de toute éternité, lui ait communiqué toute perfection, qu'il se suffise à lui-même, et n'ait rien en lui d'imparfait. Comme le dessein de Nôtre-Seigneur, pendant un certain temps, était moins de révéler sa divinité, que de persuader qu'il n'était en rien contraire à son Père, son langage est empreint de ménagements et de modération, tandis qu'il déploie dans toutes ses actions un pouvoir souverain. C'est pour cette raison qu'il ne révèle clairement à Nicodème rien de sublime sur sa personne ; mais il corrige seulement l'opinion peu relevée qu'il avait de lui, en lui apprenant qu'il n'a besoin de personne pour opérer ses miracles : « Jésus lui répondit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, nul, s'il ne naît de nouveau, ne peut voir le royaume de Dieu. » — S. AUG. (Traité 12.) Voilà ceux à qui Jésus se fie, à ceux qui sont nés de nouveau, et ne viennent pas trouver Jésus de nuit, comme Nicodème. Jésus lui dit donc : « Nul, s'il ne naît de nouveau, » etc. — S. CHRYS. (hom. 24.) Paroles dont voici le sens : Comme vous n'êtes pas encore né de nouveau par la génération spirituelle dont Dieu est l'auteur, la connaissance que vous avez de moi est loin d'être spirituelle, elle est toute charnelle et toute humaine. Or, je vous le déclare, ni vous, ni un autre, quel qu'il soit, ne pouvez, sans cette nouvelle naissance qui vient de Dieu , comprendre la gloire dont je suis environné, et vous restez nécessairement eu dehors du royaume ; car la génération dont le baptême est le principe, répand les plus vives lumières dans l'âme. Un peut encore suivre cette version : « Nul, à moins d'être né, » etc., c'est-à-dire votre naissance ne vient pas d'en haut, si vous n'avez pas reçu une foi ferme et inébranlable aux vérités révélées, vous êtes hors de la voie, et loin du royaume des cieux. Nôtre-Seigneur parle ici de lui-même, et veut faire comprendre qu'il n'est pas seulement ce qu'il parait extérieurement, mais qu'il est besoin d'autres yeux pour le voir tel qu'il est. Suivant les uns, cette expression : d'en haut, signifie du ciel, suivant les autres, dès le commencement. Si les Juifs avaient entendu cette doctrine, ils auraient bien vite laissé Jésus eu se moquant de lui, mais Nicodème, en continuant d'interroger Jésus-Christ, fait paraître l'amour d'un vrai disciple pour son maître.
S. chrys. (hom. 24.) Nicodème, en venant trouver Jésus, ne voyait en lui qu'un homme, mais lorsqu'il l'entend exposer des vérités supérieures à l'intelligence de l'homme, son esprit s'efforce de s'élever à la hauteur de ces enseignements ; toutefois les ténèbres qui couvrent son esprit ne lui permettent pas de s'y maintenir, il est encore dans le doute et l'incertitude, et il objecte une espèce d'impossibilité, pour engager Nôtre-Seigneur à s'expliquer plus clairement. Deux choses surtout le jetaient dans l'étonnement : la nouvelle naissance et le royaume, choses inouïes et inconnues parmi les Juifs. Nicodème s'attache surtout à la première difficulté qui troublait le plus ses idées : « Et Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître lorsqu'il est vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître de nouveau ? »
BEDE. L'observation de Nicodème semble indiquer que dans sa pensée un enfant peut rentrer dans le sein de sa mère et naître de nouveau. Mais il faut se rappeler qu'il était déjà avancé en âge, et qu'il se donne lui-même comme exemple : Je suis déjà vieux, semble-t-il dire, je veux sincèrement arriver au salut, comment donc puis-je rentrer dans le sein de ma mère et y prendre une nouvelle naissance ? S. CHRYS. (hom. 24.) Quoi, vous appelez Jésus, Maître et Docteur, vous reconnaissez qu'il est envoyé de Dieu, et vous ne recevez pas ses enseignements, et vous lui faites une question capable de porter le trouble dans les esprits ? Chercher la raison des choses est en effet le propre de ceux dont la foi est encore faible, et il en est beaucoup qui ont perdu la foi au milieu de ces recherches, les uns en demandant : Comment Dieu a-t-il pu s'incarner ? Les autres : Comment peut-il rester ainsi impassible ? C'est sous l'impression de cette incertitude d'esprit que Nicodème fait cette question : « Comment un homme peut-il ? » etc. Mais voyez dans quelles pensées ridicules tombent ceux qui veulent mêler leurs conceptions aux vérités surnaturelles. — S. AUG. (Traité 11 sur S. Jean.) C'est l'Esprit qui parle ici, et cet homme n'a que des idées charnelles ; il ne connaissait qu'une seule naissance, celle qui vient d'Adam et d'Eve, et n'avait aucune connaissance de celle qui vient de Dieu et de l'Eglise. Nous devons toutefois entendre la naissance spirituelle comme Nicodème entendait la naissance charnelle, car de même qu'on ne peut rentrer dans le sein de sa mère, on ne peut non plus recevoir une seconde fois le baptême.
S. chrys. (hom. 24 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur, voyant que Nicodème ne pouvait s'élever au-dessus de la génération charnelle, lui explique plus clairement le mode de cette naissance toute spirituelle : « Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, nul, s'il ne renaît de l'eau et de l'Esprit saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. » — S. AUG. (Traité 11) Paroles dont voici le sens : Vous ne pensez qu'à la génération charnelle, mais il faut que l'homme naisse de l'eau et de l'Esprit saint pour entrer dans le royaume de Dieu. Pour recueillir l'héritage de son père dans le temps, l'homme doit naître du sein d'une mère mortelle ; pour parvenir à l'héritage éternel de Dieu le Père, il doit prendre une nouvelle naissance dans le sein de l'Eglise. L'homme est composé de deux substances différentes, d'un corps et d'une âme ; cette naissance spirituelle a aussi un double mode d'action, l'eau qui est visible sert à purifier le corps, et l'Esprit saint, dont l'opération est invisible, purifie l'âme qui est également invisible. — S. CHRYS. (hom. 24.) Si l'on me demande comment l'homme peut recevoir de l'eau une nouvelle naissance, je demanderai à mon tour comment Adam a pu naître de la terre ? Au commencement la matière première était simplement de la terre, et la formation d'Adam est tout entière l'œuvre du Créateur; de même ici la matière est l'eau, mais cette nouvelle naissance est tout entière l'œuvre de l'Esprit de grâce. Dieu alors donna au premier homme le paradis terrestre pour habitation, il nous ouvre maintenant le ciel. Mais pourquoi l'eau est-elle nécessaire à ceux qui reçoivent l'Esprit saint ? Voici la raison de ce mystère, c'est que l'eau est le symbole d'opérations divines, de la sépulture, de la mortification, de la résurrection et de la vie. En effet, lorsque notre corps est plongé dans l'eau, le vieil homme est comme enseveli, il disparaît tout entier dans cette immersion, et reparaît ensuite tout renouvelé. C'est encore pour vous apprendre que la vertu du Père, du Fils et du Saint-Esprit, remplit toutes choses, et que Jésus-Christ attendit trois jours pour ressusciter. (hom. 26.) L'eau est pour le fidèle comme le sein de la mère pour l'enfant, c'est dans l'eau que le chrétien reçoit la vie et sa forme. Mais l'enfant ne se développe que graduellement dans le sein de sa mûre, tandis que dans l'eau, le chrétien reçoit sa forme en un seul instant. Il est en effet dans la nature des corps de ne se développer et de n'atteindre leur perfection que progressivement. Il n'en est pas ainsi des natures spirituelles, elles sont parfaites aussitôt qu'elles existent. Depuis le jour où Nôtre-Seigneur est sorti des eaux du Jourdain, l'eau ne produit plus seulement des reptiles et des animaux privés de raison, mais des âmes spirituelles et raisonnables.
S. AUG. (du bapt. des enf., 1, 30.) Nôtre-Seigneur ne dit pas : Nul, s’il ne renaît de l'eau et de l'Esprit saint, n'obtiendra pas le salut ou la vie éternelle, mais : « N'entrera pas dans le royaume de Dieu, » et il en est qui concluent de ces paroles, qu'à la vérité les enfants doivent être baptisés pour être avec le Christ dans le royaume de Dieu, où ils ne peuvent entrer que par le baptême, mais qu'ils ne laissent pas, s'ils viennent à mourir sans baptême, d'obtenir le salut et la vie éternelle, parce qu'ils ne sont esclaves d'aucun péché. Mais pourquoi duc nouvelle naissance, si ce n'est pour produire un renouvellement complet de vie ? Ou quel sera l'obstacle qui empêchera l'image de Dieu, d'entrer dans le royaume de Dieu, si ce n'est le péché ?
HAYM. De si grands et de si profonds mystères étaient au-dessus de l'intelligence de Nicodème, aussi Nôtre-Seigneur cherche-t-il à se faire comprendre par une comparaison empruntée à la naissance charnelle : « Ce qui est né de la chair est chair, » etc., c'est-à-dire, de même que la chair engendre la chair, ainsi l'esprit engendre l'esprit. — S. CHRYS. (hom. 26.) Elevez-vous donc au-dessus des choses sensibles, et n'allez point penser que l'esprit engendre la chair, car la chair elle-même du Sauveur n'a pas été produite par l'esprit seul, mais par la chair. Mais ce qui est né de l'esprit est spirituel, la naissance dont il est ici question n'est point celle qui produit la substance, mais celle qui lui donne l'honneur et la grâce. Si telle a été la naissance du Fils de Dieu, qu'a-t-il de plus que ceux qui ont eu part aussi à cette naissance ? Comment est-il le Fils unique de Dieu ? Car je suis ne aussi de Dieu, mais sans sortir de sa substance. Et s'il n'a point pour principe la substance même de Dieu, en quoi diffère-t-il de nous. Que dis-je ? Il serait même inférieur à l'Esprit saint, car cette nouvelle naissance n'a lieu que par la grâce de l'Esprit saint. Aurait-il donc besoin du secours de l'Esprit saint pour continuer à être le Fils de Dieu ? En quoi cette doctrine différerait-elle de la doctrine des Juifs ? Considérez ici la dignité de l'Esprit saint, l'Ecriture lui attribue les œuvres mêmes de Dieu, elle a dit plus haut : « Ils sont nés de Dieu. » Ici elle nous déclare que c'est l'Esprit saint qui les engendre. Nôtre-Seigneur voit que ces paroles : « Celui qui est né de l'esprit est esprit, jettent de nouveau le trouble dans les idées de ce pauvre pharisien, et il emprunte pour se faire comprendre un nouvel exemple aux choses sensibles : « Ne vous étonnez pas que je vous aie dit : Il faut que vous naissiez de nouveau, » paroles qui indiquent visiblement le trouble produit dans l'esprit de Nicodème. L'objet de la comparaison que choisit le Sauveur, n'appartient pas précisément au monde matériel, il n'atteint pas non plus la nature incorporelle ; ce terme de comparaison, c'est le vent : « Le vent souffle où il veut, vous entendez sa voix, mais vous ne savez d'où il vient ni où il va ; ainsi en est-il de tout homme qui est né de l'Esprit. » Voici l'explication de ces paroles : Rien ne peut arrêter le vent, il suit son impulsion naturelle, à plus forte raison l'action de l'Esprit saint ne pourra être entravée ni par les lois de la nature, ni par les bornes et les limites de la naissance corporelle, ni par aucun autre obstacle semblable. Qu'il soit ici question du vent, c'est ce que prouvent clairement les paroles suivantes : « Et vous entendez sa voix, » c'est-à-dire, le son dont il frappe les airs. Car le Sauveur n'eût point dit à un infidèle qui ne connaissait point l'action de l'Esprit saint : « Vous entendez sa voix. » Il ajoute : « Il souffle où il veut, » non pas que le vent se détermine par un choix libre et volontaire, mais parce qu'il suit l'impulsion qu'il a reçue de la nature, et que sa force n'est entravée par aucun obstacle : « Et vous ne savez d'où il vient, ni où il va, » c'est-à-dire, si vous ne pouvez connaître la voie que suit le vent dont vous entendez le son, et qui est sensible au toucher, comment pourriez-vous pénétrer les opérations de l'esprit de Dieu ? « Ainsi, ajoute Nôtre-Seigneur, est tout homme qui est né de l'Esprit. »
S. AUG. (Traité 12 sur S. Jean.) Mais qui de nous, par exemple, ne voit pas venir l’auster du midi au nord, ou un autre vent de l'orient à l'occident ? Dans quel sens donc ne savons-nous pas d'où il vient, ni où il va ? — BEDE. (hom. pour l'Inv. de la sainte Cr.) C'est donc l'Esprit saint qui souffle où il veut, parce qu'il a le pouvoir de choisir l’âme qu'il veut combler de la grâce de sa présence et de ses lumières, et vous entendez sa voix, lorsque celui qui est rempli de l'Esprit saint, parle en votre présence. — S. AUG. (Traité 12.) Vous entendez le son des psaumes, le son de l'Evangile, le son de la parole divine, c'est la voix de l'Esprit saint. Nôtre-Seigneur s'exprime de la sorte, parce que l'Esprit saint anime invisiblement la parole et le sacrement, pour nous donner une nouvelle naissance. — ALCUIN. Vous ne savez d'où il vient, ni où il va, car alors même que l'Esprit saint descendrait en votre présence dans l'âme d'un de vos frères, vous ne pourriez voir ni comment il y est entré, ni comment il en sortirait, parce qu'il est invisible de sa nature. — HAYM. Ou bien encore, vous ne savez d'où il vient, parce que vous ignorez comment il conduit les hommes à la foi, ni où il va, parce que vous ne savez non plus comment il les élève jusqu'à l'espérance : « Ainsi est tout homme qui est né de l'Esprit, c'est-à-dire : L'Esprit saint est un esprit invisible, ainsi celui qui naît de l'esprit naît également d'une manière invisible. — S. AUG. (Tr. 12.) Ou bien, lorsque vous serez né vous-même de l'Esprit saint, vous serez une énigme pour celui qui n'a point encore eu part à cette naissance, il ne saura ni d'où vous venez, ni où vous allez. C'est pour cela que le Sauveur ajoute : « Ainsi en est-il de tout homme qui est né de l'Esprit. » — THEOPHYL. Quoi de plus propre à confondre Macédonius, cet ennemi de l'Esprit saint, qui ose enseigner que ce divin Esprit n'est qu'un serviteur, puisque d'après ces paroles, l'Esprit saint opère dans la plénitude de sa puissance, et agit là où il veut et comme il veut ?
HAYM. Nicodême ne peut comprendre les mystères de la puissance divine que le Sauveur vient de lui révéler; sans donc les révoquer en doute, il lui en demande la raison, non dans l'intention de le blâmer, il l'interroge dans le désir de s'instruire : « Nicodème lui répondit : Comment cela peut-il se faire ? »—S. CHRYS. (hom. 26.) Il reste encore dans les basses régions du judaïsme et malgré la comparaison si claire qui lui a été donnée, il continue d'interroger, aussi Nôtre-Seigneur lui parle-t-il avec plus de sévérité : «Jésus lui dit : Vous êtes maître en Israël, et vous ignorez ces choses ? » — S. AUG. (Traité 12) Que signifient ces paroles ? L'intention de Nôtre-Seigneur est-elle de blesser ce maître en Israël ? Non, il voulait le faire naître de l'esprit. Or, l'humilité est la condition indispensable de cette naissance, puisque c'est l'humilité elle-même qui nous fait naître de l'esprit. Or, Nicodème était comme enflé de son titre de maître, et il se croyait un homme important, parce qu'il était docteur des Juifs. Nôtre-Seigneur réprime donc son orgueil, pour qu'il puisse naître de l'esprit. — S. CHRYS. (hom. 26.) Il n'accuse pas ses mauvaises dispositions, il lui reproche seulement son ignorance et son défaut de jugement. Mais quel rapport, me demandera-t-on, pouvait-il y avoir entre cette naissance dont Jésus-Christ venait de parler et les croyances des Juifs ? Le voici : La création du premier homme, la formation de la femme d'une des côtes d'Adam, les femmes stériles qui sont devenues mères, les miracles dont l'eau a été l'instrument, Elisée faisant surnager le fer sur l'eau, les Juifs passant la mer Rouge à pied sec, Naamon le syrien guéri de la lèpre dans les eaux du Jourdain, étaient autant de symboles figuratifs de cette naissance spirituelle, et de la purification qu'elle produit dans l'âme. Les oracles des prophètes rendent à leur tour témoignage quoique d'une manière plus cachée à la manière dont s'accomplit cette naissance, par exemple dans ces paroles : « Votre jeunesse sera renouvelée comme celle de l'aigle ; » (Ps 12) « Bienheureux ceux dont les iniquités sont pardonnées. » (Ps 31) Isaac lui-même a été une figure de cette naissance. Voilà pourquoi Nôtre-Seigneur dit à Nicodème : « Vous êtes maître en Israël et vous ignorez ces choses ! » Le Sauveur donne une nouvelle preuve de la vérité de ses paroles en ajoutant par condescendance pour la faiblesse de ce pharisien : « En vérité, en vérité je vous le dis, nous disons ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu, et vous ne recevez pas notre témoignage. » La vue est pour nous le plus sûr de tous les sens, et si nous voulons convaincre quelqu'un de l'existence d'une chose, nous lui disons que nous l'avons vue de nos yeux. C'est pour cette raison que Nôtre-Seigneur, parlant à Nicodème un langage humain, lui donne pour motif de certitude qu'il a vu ce dont il parle. Il ne peut être ici question de la vue des yeux du corps, et il est évident que le Sauveur veut parler ici d'une connaissance des plus certaines et qui exclut jusqu'à la possibilité de l'erreur. Or, ces paroles : « Nous savons » s'appliquent ou à lui seul ou à son Père conjointement avec lui.
HAYM. Mais pourquoi dit-il au pluriel: « Nous savons ? » Nous répondons que c'était le Fils unique de Dieu qui parlait de la sorte et qu'il montrait ainsi comment le Père est dans le Fils, le Fils dans le Père, et comment le Saint-Esprit procède invisiblement de tous les deux. —ALCUIN. Ou bien il parle au pluriel en ce sens : Moi et tons ceux qui ont eu le bonheur de renaître de l'Esprit saint, nous comprenons ce que nous disons et ce que nous avons vu dans le sein du Père, nous l'attestons publiquement dans le monde, et vous qui êtes charnels et superbes, vous ne recevez pas notre témoignage. — THEOPHYL. Ce n'est point à Nicodème que s'appliquent ces paroles, mais à toute la nation juive qui persévéra jusqu'à la fin dans son incrédulité. — S. CHRYS. (hom. 26.) Ce n'est non plus ni le mécontentement ni l'aigreur qui inspirent ces paroles à Nôtre-Seigneur, mais un sentiment de douceur et de bonté, ainsi nous apprend-il lorsque nos paroles n'auront point porté la persuasion dans les cœurs, à ne point nous laisser aller ni à la tristesse, ni à la colère, mais à rendre notre parole digne de foi, en évitant non-seulement la colère, mais les cris qui sont une cause de disputes. Jésus, sur le point de révéler des vérités sublimes, semble se retenir par égard pour la faiblesse de ses auditeurs, il ne s'élève pas aussitôt à ces vérités dignes de sa grandeur, mais traite de choses plus en rapport avec la disposition des esprits : « Si vous ne croyez pas lorsque je vous parle des choses qui sont sur la terre, comment croirez-vous lorsque je vous parlerai des choses qui sont dans le ciel ? » — S. AUG. (Traité 12.) C'est-à-dire, si vous ne croyez pas que je puisse relever le temple que vous aurez renversé, comment croirez-vous que les hommes puissent être régénérés par l'Esprit saint ? — S. CHRYS. (hom. 27.) Ou bien encore, ne soyez point surpris, s'il appelle le baptême une chose terrestre, il l'appelle ainsi, parce qu'il se confère sur la terre, et qu'en comparaison de cette naissance étonnante qui fait sortir le Fils de la substance du Père, la naissance même spirituelle de la grâce est une chose terrestre. Et c'est avec raison qu'il ne dit pas : Vous ne comprenez point mais : « Vous ne croyez pas, » car qu'un homme ne puisse faire entrer une vérité dans son intelligence, c'est un signe de folie ou d'ignorance, mais qu'il refuse de donner son adhésion à une vérité qu'il doit simplement croire, ce n'est plus de la folie, c'est une incrédulité coupable. Nôtre-Seigneur révélait ces vérités bien que ceux qui entendaient refusaient de les croire, parce que plus tard elles devaient être crues d'une foi vive.
S. AUG. (Du bapt. des enfants, 1, 31.) Après avoir relevé l'ignorance de ce pharisien qui s'élevait au-dessus des autres à cause de son titre de docteur, et blâmé l'incrédulité de ceux qui refusent de recevoir le témoignage de la vérité, Nôtre-Seigneur ajoute qu'il en est cependant qui croiront malgré l'incrédulité des autres, et à cette question : « Comment cela peut-il se faire ? » il répond : « Et personne n'est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel, » paroles dont voici le sens : L'effet de la génération spirituelle est de rendre les hommes célestes de terrestres qu'ils étaient, grâce qu'ils ne peuvent obtenir qu'en devenant mes membres, de manière que celui qui monte soit le même qui est descendu, c'est-à-dire que Nôtre-Seigneur regarde son corps ou son Eglise, comme lui-même. — S. GREG. (Moral,, 27, 11.) Comme nous sommes devenus une seule chose avec lui, il remonte seul avec nous dans le ciel d'où il est descendu seul en lui-même ; et ainsi celui qui reste toujours dans le ciel, ne cesse de monter tous les jours dans le ciel. — S. AUG. (Du bapt. des enfants.) Bien que ce soit sur la terre qu'il soit devenu Fils de l'homme, il n'a point jugé indigne de sa divinité qui est descendue jusqu'à nous de porter le nom de Fils de l'homme, tout en restant dans le ciel, de même qu'il a honoré son humanité du nom de Fils de Dieu, car l'unité de personne qui existe entre les deux natures fait qu'il n'y a qu'un seul Christ et fils de Dieu qui s'est rendu visible sur la terre, de même que le Fils de l'homme demeurait dans les deux. La foi a des mystères plus incroyables, prépare à croire des vérités moins difficiles ; car si la nature divine si éloignée de nous a pu cependant s'unir à la nature humaine, de manière à ne former qu'une seule personne ; il est bien plus facile de croire que les hommes sanctifiés ne fassent qu'un avec le Fils de Dieu fait homme, et que tandis que tous montent au ciel par un effet de sa grâce, il monte lui seul au ciel d'où il est descendu.
S. CHRYS. (hom. 27.) Ou bien encore, comme Nicodème l'avait abordé en lui disant : « Nous savons que vous êtes un docteur envoyé de Dieu, » Nôtre-Seigneur veut détruire l'idée qui faisait de lui un maître à la manière des nombreux prophètes qui avaient paru sur la terre, et c'est pour cela qu'il ajoute : « Et personne n'est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel. » — THEOPHYL. Lorsque vous entendez dire que le Fils de l'homme est descendu du ciel, n'allez pas croire que la chair elle-même en est descendue, c'est là une erreur des hérétiques qui enseignaient que le Christ avait pris son corps dans le ciel, et n'avait fait que passer par le sein de la Vierge. — S. CHRYS. (hom. 27.) La dénomination de Fils de l'homme ici ne comprend pas seulement la chair du Sauveur, mais désigne toute sa personne par celle des deux natures qui est inférieure. Maintes fois Nôtre-Seigneur la désigne tout entière sous le nom de sa divinité, ou sous celui de son humanité. — BEDE. Qu'un homme descende sans vêtements du sommet d'une montagne dans une vallée, et qu'il remonte sur cette montagne après s'être revêtu de ses habits et de ses armes, on pourra dire avec raison que celui qui remonte est le même qui est descendu.
S. HIL. (De la Trin., 10.) Ou bien encore, entant qu'il est descendu du ciel, il est le principe de sa conception dans le sein de Marie, car ce n'est pas d'elle-même qu'elle a donné naissance au corps du Sauveur, bien qu'elle ait contribué pour toute la part naturelle à son sexe, nu développement et à l'enfantement de ce corps. Or, il est devenu le Fils de l'homme par suite de la chair qu'il a prise dans le sein de la Vierge. Il est dans le ciel en vertu de cette nature divine et immuable dont l'infinité ne fut jamais resserrée dans les limites étroites d'un corps matériel, mais qui, tout en demeurant par la puissance du Verbe, sous la forme d'un serviteur, ne laissa pas comme maître du ciel et de la terre d'être présent par son immensité dans tontes les parties de ce vaste univers. Il est donc descendu du ciel, parce qu'il est le Fils de l'homme, et il est dans le ciel, parce que le Verbe en se faisant chair n'a point perdu sa nature de Verbe de Dieu. — S. AUG. (Traité 12.) Vous êtes surpris qu'il soit à la fois sur la terre et dans le ciel, mais il communique le même privilège à ses disciples. Ecoutez, saint Paul : « Notre vie, dit le grand Apôtre, est dans les cieux. » Or, si saint Paul qui n'était qu'un homme vivait à la fois sur la terre et dans les cieux, le Dieu du ciel et de la terre ne pouvait-il pas être en même temps dans le ciel et sur la terre ? — S. CHRYS. (hom. 27.) Voyez comme ce qui nous parait élevé est indigne de la grandeur du Fils de Dieu. Non-seulement il est dans le ciel, mais il remplit tout de son immensité. Cependant il condescend à la faiblesse de celui à qui il parle, et il l'élève peu à peu à des idées plus sublimes.
S. CHRYS. (hom. 27.) Le Sauveur vient d'exposer les grands bienfaits du baptême, il en découvre maintenant la cause, c'est-à-dire la croix : « Et comme Moïse a élevé le serpent, » etc. — BEDE. Il fait titrer ce docteur de la loi mosaïque dans le sens spirituel de cette loi, et il lui rappelle un fait de l'ancienne histoire de sa nation qu'il lui présente comme la figure de sa passion et du salut du genre humain. — S. AUG. (du bap. des enf., 32.) Un grand nombre d'Israélites moururent par suite des morsures des serpents ; ce fut donc par ordre du Seigneur, que Moïse éleva dans le désert un serpent d'airain, et ceux qui le regardaient étaient aussitôt guéris. Ce serpent élevé, c'est le symbole de la mort de Jésus-Christ, avec cette particularité que c'est en qui produit le mal qui devient ici le signe de ce qui doit la réparer. C'est le serpent, en effet, qui a été l'auteur de la mort, en persuadant à l'homme le péché qui a été la cause de sa mort. Or, Notre-Seigneur n'a point transporté dans sa chair le péché qui était le venin du serpent, mais seulement la mort. Ainsi sa chair qui n'avait que la ressemblance du péché a souffert la peine séparée du péché, pour détruire dans la vraie chair du péché et la peine et la faute.
THEOPHYL. Considérez maintenant le rapport de la figure à la vérité. Ce serpent d'airain avait la forme d'un serpent sans en avoir le venin, et c'est ainsi que Nôtre-Seigneur est venu avec la ressemblance de la chair de péché, mais sans le moindre péché. Il a été élevé, c'est-à-dire suspendu dans les airs, pour sanctifier l'air après avoir sanctifié la terre par les qu'il y avait imprimés. On peut encore entendre par cette élévation la gloire de Jésus-Christ ; car cette élévation de la croix sur laquelle il a été attaché, est devenue la gloire du Sauveur. Il veut être jugé par les hommes, et la sentence qu'ils prononcent contre lui devient le jugement qu'il porte lui-même contre le prince du monde. Adam a été soumis justement à la mort, parce qu'il a péché, mais le Seigneur, en souffrant injustement la mort, a triomphe de celui qui l’avait livré à la mort et a délivré ainsi Adam de la mort. Mais le démon s’est trouvé complètement vaincu ; car il n'a pu inspirer au Sauveur attaché sur la croix aucun sentiment de haine contre, ceux qui crucifiaient ; au contraire, son amour pour eux semblait s'en accroître, et le portait à prier son Père pour eux. C'est ainsi que la croix de Jésus-Christ est devenue son exaltation et sa gloire. — S. CHRYS. (hom. 27.) Nôtre-Seigneur ne dit pas : Il faut que le Fils de l'homme soit suspendu, mais : « Il faut qu'il soit élevé, » cette dernière expression est plus convenable, et le Sauveur s'en sert pour montrer le rapport intime de l'Ancien Testament avec le Nouveau, nous apprendre que ce n'est point malgré lui qu'il a souffert la mort, et que cette mort a été pour un grand nombre un principe de vie et de salut.
S. AUG. (du bapt. des enf.) Ceux qui regardaient le serpent d'airain élevé dans les airs, étaient guéris de la maladie, et délivrés de la mort ; de même celui qui reproduit en lui la ressemblance de la mort de Jésus-Christ en croyant en lui et en recevant le baptême, est délivré tout à la fois du péché par la justification, et de la mort par la résurrection. C’est ce que le Sauveur exprime par les paroles suivantes : « Afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. » Quel besoin pour l’enfant de reproduire en lui la mort de Jésus-Christ par le baptême, si son âme n'était point infectée par la morsure du serpent ?
S. CHRYS. (hom. 27.) Il n'est pas sans intérêt de remarquer que Vôtre-Seigneur jette comme un voile sur sa passion, pour ne point répandre la tristesse dans l'âme de celui qui l'écoutait ; mais il parle ouvertement du fruit de sa passion ; car si ceux qui croient au crucifié ne périssent pas, à plus forte raison celui qui a été crucifié ne doit point périr.
S. AUG. (Traité 12 sur S. Jean.) Il y a cette différence entre la figure et la réalité, que les Israélites étaient guéris de la mort pour cette vie temporelle, tandis que les autres le sont pour la vie éternelle.
S. CHRYS. (hom. 27.) Nôtre-Seigneur venait de dire : « Il faut que le Fils de l'homme soit élevé, » paroles qui sont une prédiction voilée de sa mort, il craint donc qu'elles ne jettent la tristesse dans l'âme de Nicodème, qu'elles ne lui donnent de sa personne, une idée toute humaine, et ne lui fassent regarder la mort comme le terme définitif de son existence ; il redresse donc ses idées, en lui enseignant que c'est le Fils de Dieu qui est livré à la mort, et que sa mort a été la cause de la vie éternelle. Il ajoute donc : « C'est ainsi que Dieu a aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique. » Ne soyez donc pas surpris, s'il est nécessaire que je sois élevé en croix pour votre saint, telle est la volonté de mon Père, qui vous a aimés à ce point, de livrer son Fils pour des serviteurs ingrats et impies : « C'est ainsi que Dieu a aimé le monde ! » Il ne pouvait exprimer plus fortement la grandeur de cet amour ; car ces deux termes : Dieu et le monde, sont sépares par une distance infinie. En effet, c'est celui qui est immortel, qui est sans commencement, dont la grandeur est infinie, qui a aimé ceux qui sont sortis de la terre et de la cendre, et qui sont pleins de péchés innombrables. Mais ce qui suit exprime plus fortement encore cet amour : Ce n'est pas un serviteur, ce n'est pas un ange, ce n'est pas un archange, c'est son propre Fils qu'il a donné. S'il eût eu plusieurs fils, et qu'il en eût sacrifié un, ce serait déjà la preuve d'un amour immense, mais c'est son Fils unique qu'il nous a donné. — S. HIL. (de la Trin., 6.) Donner une créature à une autre créature, est un témoignage d'amour, et cependant le don d'une chose de si peu d'importance, et que nous devons bientôt perdre, n'a pas grand mérite. Les présents d'un grand prix attestent une charité plus étendue, et les grands dons sont la preuve d'un grand amour. Dieu a aimé le monde, et lui a donné non pas un fils adoptif, mais son Fils unique, son Fils propre, son Fils par naissance, son Fils véritable. Ce n'est point ici un fils par création, par adoption, un fils qui ne le serait pas en réalité. Quel plus grand témoignage d'amour et de charité que d'avoir donné pour le salut du monde un Fils, son Fils propre, son Fils unique !
THEOPHYLACTE. Notre-Seigneur a dit plus haut que le Fils de l'homme est descendu du ciel, bien que la chair n'en soit point descendue ; et il s'exprime de la sorte, parce qu'en vertu de l'unité de personne qui est en Jésus-Christ, il attribue à l'homme toutes les propriétés de la nature divine. De même ici, il attribue au Verbe de pieu les propriétés de la nature humaine. En effet, le Fils de Dieu est toujours demeuré impassible, mais comme en vertu de l'union hypostatique le Fils de Dieu et l'homme qui a souffert la mort ne faisaient qu'une seule personne, on dit que le Fils de Dieu a été livré à la mort, parce qu'il a souffert véritablement, non pas dans sa propre nature, mais dans la chair qu'il s'était rendue propre. Or, les plus grands avantages découlent pour nous de ce don qui dépasse la portée de l’esprit humain. Ecoutez la suite : « Afin que tout homme qui croit en lui, ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle. » En effet, l'Ancien Testament promettait aux fidèles observateurs de la loi de longs jours sur la terre, l'Evangile promet une vie impérissable et éternelle.
BEDE. Remarquez que Nôtre-Seigneur applique au Fils unique de Dieu les mêmes paroles qu'il avait dites précédemment du Fils de l'homme élevé sur la croix : « Afin que tout homme qui croit en lui, » etc., parce qu'en effet, notre Créateur et notre Rédempteur, le Fils de Dieu qui existe avant tous les siècles, s'est fait homme à la fin des siècles. Il nous avait créés par un acte de sa puissance divine pour jouir de la félicité de la vie éternelle, il nous a rachetés par la faiblesse de la nature humaine qu'il s'est unie pour nous remettre en possession de la vie que nous avons perdue.
ALCUIN. On ne peut douter que le Fils de Dieu ne donne la vie au monde, puisque c'est l'unique raison pour laquelle il est venu en ce monde, comme il le déclare lui-même : « Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, » etc. — S. AUG. (Traité 12 sur S. Jean.) Pourquoi a-t-il été appelé le Sauveur du monde, si ce n'est parce qu'il devait sauver le monde ? Le médecin a donc fait tout ce qui dépendait de lui pour guérir le malade et celui qui ne veut pas suivre les prescriptions du médecin, ne doit attribuer sa mort qu'à lui-même. — S. CHRYS. (hom. 28.) Il est beaucoup d'âmes lâches et sans force qui, pour multiplier plus librement leurs transgressions et s'endormir au sein de la plus profonde indifférence, abusent de la miséricorde de Dieu, et s'autorisent de ces paroles du Sauveur pour dire : « Il n'y a point d'enfer, il n'y a point de supplice, Dieu nous pardonne tous nos péchés. » II faut donc nous rappeler qu'il y a deux avènements de Jésus-Christ : le premier, qui est accompli ; le second, qui doit avoir lieu plus tard. Le premier a eu pour objet, non pas de juger nos crimes, mais de nous les pardonner; dans le second, Nôtre-Seigneur viendra, non plus pour pardonner, mais pour juger. C'est du premier de ces deux avènements qu'il dit : « Je ne suis pas venu pour juger le monde. » Comme il est la bonté même, il ne veut pas juger, il nous remet tous nos péchés dans le baptême d'abord, et ensuite dans le sacrement de pénitence ; et s'il avait agi autrement, tous les hommes auraient péri sans exception, car tous ont péché, et ont besoin de la grâce de Dieu. Mais que personne ne s'autorise de ces paroles pour pécher avec impunité, et qu'il apprenne quel sera le châtiment de celui qui ne croit pas : « Il est déjà jugé. » Il dit précédemment : « Celui qui croit, n'est pas condamné, » remarquez, celui qui croit, non pas celui qui cherche avec curiosité. Mais qu'en sera-t-il de ceux dont la vie aura été souillée par le crime ? Saint Paul déclare qu'ils ne sont pas au nombre des vrais fidèles : « Ils font profession, dit-il, de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs œuvres. » (Tite, 1, 16.) Ces paroles signifient que celui qui croit ne sera pas jugé sur le point de la foi, il sera puni plus sévèrement pour les crimes qu'il aura commis, mais il ne le sera pas pour les crimes d'infidélité dont il n'est point coupable. — ALCUIN. Ou bien encore, celui qui croit en lui, et s'attache à lui comme le membre à son chef, ne sera pas jugé.
S. AUG. (Traité 12.) Mais que va-t-il dire de celui qui ne croit pas, et quelle sentence attendez-vous de sa bouche, si ce n'est qu'il est jugé ? Ecoutez, en effet, ce que dit le Sauveur : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé. » Le jugement n'a pas encore été rendu public, mais il a déjà eu lieu, car le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent, il connaît ceux à qui est réservée la couronne et ceux qu'attendent les flammes éternelles. — S. CHRYS. (hom. 28.) Ou bien encore, il s'exprime de la sorte, parce que l'incrédulité est elle-même un châtiment pour l'âme impénitente, car quel plus grand supplice eu soi que d'être placé en dehors de la lumière ? Ou bien Notre-Seigneur ne fait que prédire ce qui doit arriver : celui qui s'est rendu coupable d'homicide avant même la sentence du juge qui le condamne, est déjà condamné par la nature même de son crime ; il en est de même de l'incrédule, et c'est ainsi qu'Adam mourut le jour où il mangea du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal.
S. GREG. (Mor., 26, 20.) On peut encore donner cette explication. Au dernier jugement, il en est qui périront sans être jugés, et c'est d'eux qu'il est dit ici : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé, » car alors on ne discutera pas la cause de ceux qui se présenteront devant le tribunal du Juge sévère avec la condamnation que leur aura méritée leur incrédulité ; ce sont ceux qui ont toujours professé la vraie foi, mais dont les œuvres ne seront pas conformes à la foi qui seront jugés et condamnés. Quant à ceux qui n'ont jamais cru aux mystères de la foi, ils n'entendront point les reproches du juste Juge au dernier jour, ils ont été jugés par avance au milieu des ténèbres de leur incrédulité, et ils ne méritent même pas d'être convaincus et condamnés par celui qu'ils ont dédaigné de connaître. Le prince qui se trouve à la tète d'un royaume, punit différemment un de ses sujets coupables, et l'ennemi qui l'attaque au dehors ; pour le premier, il examine et discute ses droits ; quant à l'ennemi, il lui déclare la guerre, et lui inflige le châtiment que mérite sa méchanceté sans examiner les prescriptions de la loi contre son crime, car pourquoi punir au nom de la loi celui qui n'a jamais pu se soumettre à la loi ?
ALCUIN. Mais pour quelle raison celui qui ne croit point est-il déjà jugé ? La voici : « Parce qu'il ne croit point an nom du Fils unique de Dieu, » car c'est par ce nom seul qu'on peut être sauvé. Dieu n'a pas un grand nombre de Fils qui puissent sauver, il n'a que ce Fils unique pour être le Sauveur des hommes. — S. AUG. (du bapt. des enf., chap. 33.) Où donc placerons-nous les enfants qui ont reçu le baptême, si ce n'est parmi ceux qui ont fait profession de la foi chrétienne ? c'est une grâce qui leur est acquise, et par la vertu du sacrement, et par l'engagement que contractent ceux qui les présentent. Par la même raison, nous plaçons les enfants qui n'ont pus été baptisés parmi ceux qui n'ont pas eu la foi.
ALCUIN. Nôtre-Seigneur fait connaître à la fois la cause de l'incrédulité des hommes et celle de leur condamnation : « Or, la cause de cette condamnation est que la lumière est venue dans le monde, » etc. — S. CHRYS. (hom. 28.) C'est-à-dire, ils n'ont eu besoin ni de recherches, ni d'efforts pour trouver la lumière, la lumière elle-même est venue vers eux sans qu'ils aient été à sa rencontre : « Et ils ont mieux aimé les ténèbres que la lumière. » Voilà ce qui rend les hommes tout à fait inexcusables. Le Sauveur est venu les arracher aux ténèbres et les conduire à la lumière, comment donc peut-on avoir pitié de celui que la lumière vient trouver et qui refuse de s'approcher de cette lumière ?
BEDE. Cette lumière, c'est Nôtre-Seigneur lui-même, dont l'Evangéliste a dit plus haut : « Il était la vraie lumière, » etc. (Jean, 1.) Les ténèbres sont les péchés. — S. CHRYS. (hom. 28.) Cette haine de la lumière devait paraître une chose incroyable pour plusieurs (car il n'est personne qui préfère les ténèbres à la clarté), il fait donc connaître la cause de cet aveuglement : « Car leurs œuvres, ajoute-t-il, étaient mauvaises. » S'il était venu pour juger les hommes, cette haine de la lumière aurait eu quelque raison, car celui qui a conscience de ses crimes, cherche à fuir le juge qui doit le condamner, mais les coupables se présentent sans crainte devant celui qui n'a pour eux que des paroles de pardon. Quoi de plus naturel donc pour les hommes dont la conscience était chargée de si grands crimes, d'aller au-devant du Sauveur, qui leur apportait le pardon ? C'est ce que plusieurs ont fait, et nous voyons les publicains et les pécheur; venir s'asseoir à la même table que Jésus. Mais il en est dont la mollesse est si grande, que leurs mains tombent de langueur devant les travaux de la vertu, et qu'ils persévèrent dans le mal jusqu'à la fin de leur vie ; Nôtre-Seigneur flétrit ouvertement celte lâcheté: « Quiconque fait le mal, hait la lumière, » ce qui est vrai de ceux qui veulent obstinément persévérer dans le mal. — ALCUIN. « Tout homme qui fait le mal hait la lumière, c'est-à-dire, que celui qui est dans la résolution de pécher, qui aime le péché, hait par-là même la lumière qui découvre le péché. — S. AUG. (Confess., 10, 23.) Les hommes ne peuvent souffrir d'être trompés, et ils veulent tromper, voilà pourquoi ils aiment la lumière quand elle se découvre, et la détestent quand elle les découvre eux-mêmes. La juste punition de cet aveuglement sera que la lumière les mettra en évidence malgré eux, pendant qu'elle-même leur sera cachée. Ils aiment donc la lumière de la vérité, mais ils ne peuvent souffrir ses censures : « Et il ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient découvertes. » — S. CHRYS. (hom. 28.) On ne songe point à reprendre de ses vices celui qui vit dans l'idolâtrie, les dieux qu'il adore sont esclaves des mêmes vices, et ses œuvres sont conformes à ses croyances. Les disciples de Jésus-Christ, au contraire, qui mènent une vie déréglée, sont accusés par tous les gens de bien ; mais y a-t-il des païens qui soient vraiment vertueux ? Je n'en connais point quant à moi. Ne me citez pas, en effet, des hommes qui sont naturellement doux et honnêtes (ce n'est point là de la vertu), mais montrez-moi un homme qui soutient un rude combat contre ses passions, et vit selon les règles de la sagesse, cela vous est impossible. La promesse d'un royaume éternel, la menace de l'enfer, et tant d'autres vérités non moins importantes suffisent à peine pour retenir les hommes dans la pratique du bien, comment voulez-vous que ceux qui n'ont aucune de ces convictions aient quelque ardeur pour la vertu ? Vous rencontrez peut-être chez quelques-uns d'entre eux des vertus apparentes, qui n'ont pour motif que l'amour de la gloire. Aussi dès qu'ils peuvent espérer qu'ils ne seront point découverts, ils ne se font aucun scrupule de suivre tous leurs mauvais désirs. Or, à quoi leur sert d'être tempérants, de ne point ravir le bien d'autrui, s'ils sont esclaves de la vaine gloire ? Ce n'est point là de la vertu, l'esclave de la vaine gloire n'est pas moins coupable que le fornicateur, et cette passion lui fait commettre des fautes, et plus nombreuses et plus graves. Mais admettons qu'il y ait chez les païens quelques hommes vertueux, cela ne contredit nullement ce que nous disons, parce que ces hommes vertueux sont rares et forment l'exception.
BEDE. Dans le sens moral, ceux qui préfèrent les ténèbres à la lumière, sont ceux qui poursuivent de leur haine et de leurs calomnies, les prédicateurs qui leur enseignent la saine doctrine.
« Mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres apparaissent. » — S. CHRYS. (hom. 28.) Nôtre-Seigneur ne veut point parler ici de ceux qui sont devenus chrétiens dès le commencement, mais uniquement de ceux qui, parmi les Juifs et les Gentils, devaient embrasser la vraie foi, et il veut nous enseigner qu'il est impossible à celui qui vit dans l'erreur, de prendre la résolution d'embrasser la vraie foi, à moins d'être décidé tout d'abord à mener une vie vertueuse et pure. — S. AUG. (du bapt. des enf.) Nôtre-Seigneur dit que les œuvres de celui qui vient à la lumière sont faites en Dieu, parce qu'il comprend que sa justification est l'œuvre, non de ses mérites, mais de la grâce de Dieu.
S. AUG. (Traité 12 sur S. Jean.) Mais si Dieu a trouvé mauvaises toutes les œuvres des hommes, comment se fait-il que quelques-uns ont obéi à la vérité, et sont venus à la lumière qui est Jésus-Christ ? « Ils ont mieux aimé, dit plus haut le Sauveur, les ténèbres que la lumière, » là est le point important. Il en est beaucoup qui ont aimé leurs péchés, il en est beaucoup qui les ont confessés. Dieu accuse vos péchés, si vous les accusez vous-même, vous faites cause commune avec Dieu. Il faut que vous haïssiez en vous ce qui est votre œuvre, et que vous aimiez en vous l'œuvre de Dieu. Le commencement des bonnes actions, c'est de confesser les mauvaises : alors vous faites la vérité, vous ne vous écoutez pas, vous ne vous flattez pas ; vous approchez volontiers de la lumière, car jamais votre péché ne vous déplairait, si Dieu ne faisait briller sa lumière à vos yeux et ne vous découvrait sa vérité. Or, on peut se placer dans la vérité de la confusion et s'approcher de la lumière par la pratique des bonnes œuvres, même quand il ne s'agit que de ces péchés légers de paroles ou de pensées, ou de l'usage immodéré des choses permises, parce qu'en effet, ces péchés légers, s'ils se multiplient et qu'on n'y fasse aucune attention, donnent la mort. Bien petites sont les gouttes d'eau qui remplissent le fleuve, bien petits sont les grains de sable, et cependant, ayez à porter une masse de grains de sable, c'est un poids qui vous écrasera. Une ouverture qu'on néglige dans la cale d'un vaisseau, produit les mêmes effets qu'une masse d'eau qui fait irruption ; cette eau entre peu à peu dans la cale, mais à force d'entrer sans qu'on songe à l’épuiser, elle coule à fond le vaisseau. Or, au sens moral, épuiser l'eau c'est empêcher par nos bonnes oeuvres, par nos gémissements, nos jeûnes, nos aumônes, le pardon des injures, que nous ne soyons accablés sous le poids écrasant de nos fautes.
S. CHRYS. (hom. 29.) Rien qui marche plus à découvert, comme aussi rien de plus fort que la vérité ; elle ne cherche pas à se cacher, elle ne craint aucun danger, ne redoute aucune embûche, elle ne désire point la gloire que donne le grand nombre, et n'est soumise à aucune des faiblesses humaines. C'est ainsi que Nôtre-Seigneur venait à Jérusalem aux jours de fête, non pour se produire ou par amour de la gloire, mais pour communiquer à un plus grand nombre ses divins enseignements, et opérer des miracles dans leur intérêt. Après que les fêtes étaient passées, il se rendait ordinairement sur les bords du Jourdain, où une foule considérable se réunissait : « Après cela, Jésus vint avec ses disciples dans la terre de Judée, » etc. — BEDE. Ces paroles : « Après cela, » ne signifient pas immédiatement après l'entretien avec Nicodème, qui eut lieu à Jérusalem ; et il s'écoula un certain espace de temps, avant que Jésus revînt de la Galilée en Judée.
ALCUIN. Le mot Judée signifie ceux qui confessent et qui reçoivent la visite de Jésus-Christ, car là où il trouve la confession des péchés ou des louanges divines, Jésus s'y rend avec ses disciples (c'est-à-dire suivi de sa doctrine et de ses lumières), et il demeure dans cette âme pour la purifier de ses crimes : « Et il y demeurait avec eux et il baptisait. » — S. CHRYS. (hom. 29.) Gomme l'Evangéliste déclare plus bas que Jésus ne baptisait pas, mais ses disciples, il est évident qu'il faut entendre également que ses disciples seuls baptisaient. — S. AUG. (Traité 13 sur S. Jean.). Le baptême que donnait le Sauveur après qu'il fut baptisé n'était pas celui qu'il avait reçu ; il avait voulu être baptisé par son serviteur pour nous tracer la voie de l'humilité et nous conduire jusqu'au baptême du Seigneur, c'est-à-dire à son baptême, mais Jésus baptisait comme étant lui-même Seigneur, le Fils de Dieu.
BEDE. Jean continue de baptiser alors même que Jésus baptise, les ombres ne sont pas encore entièrement dissipées, et le précurseur ne doit cesser son ministère que lorsque la vérité se manifestera dans tout son jour : « Or, Jean baptisait à Ænon,» etc. Ænon veut dire eau, en hébreu et l'Evangéliste donne pour ainsi dire la signification de ce nom en ajoutant : « Parce qu'il y avait là beaucoup d'eau. » Salem est une petite ville située sur les bords du Jourdain, et où Melchisédech régna autrefois. —S. JER. (Lettre 126 à Evagr.) Peu importe qu'on dise Salem ou Salim, les Hébreux emploient très rarement les voyelles au milieu des mots, et les mêmes mots ont une prononciation et un accent tout différents suivant la volonté personnelle des lecteurs ou la diversité des pays.
« Et plusieurs y venaient se faire baptiser. » — BEDE. Le baptême de Jean avait avant le baptême de Jésus-Christ la même efficacité que les enseignements de-la foi qui sont donnés aux catéchumènes, Il prêchait la pénitence, annonçait le baptême de Jésus-Christ, et attirait les hommes à la connaissance de la vérité qui venait de se manifester au monde ; c'est ainsi que les ministres de l'Eglise commencent par enseigner ceux qui veulent embrasser la foi, ils leur font voir ensuite l'énormité de leurs péchés, leur en promettent la rémission par le baptême de Jésus-Christ, et les attire ainsi à la connaissance et à l'amour de la vérité.
S. CHRYS. (hom. 29.) Pendant que les disciples de Jésus baptisent, Jean Baptiste continue de baptiser lui-même jusqu'à son incarcération, comme l'indique l'Evangéliste en ajoutant : « Car Jean n'avait pas encore été mis en prison. » — BEDE. Nous voyons ici clairement que cet Evangéliste raconte les faits de la vie de Jésus-Christ qui ont précédé la captivité de Jean-Baptiste. Ces faits ont été passés sous silence, par les autres Evangélistes qui commencent leur récit par les événements qui suivirent cette incarcération. — S. AUG. (Traité 13 sur S. Jean.) Or pourquoi Jean baptisait-il ? Parce qu'il fallait que le Christ fût baptisé. Mais le Sauveur ne fut pas le seul qui fut baptisé par le précurseur, afin que le baptême de Jean ne parût point supérieur au baptême du Seigneur.— S. CHRYS. (hom. 29.) Pourquoi encore continuait-il de baptiser jusqu'alors ? S'il avait cessé débaptiser, on eût attribué sa conduite à un sentiment de jalousie ou de mécontentement. Au contraire en continuant de baptiser, il ne cherchait point sa propre gloire, mais il envoyait de nouveaux disciples à Jésus-Christ ; et sa parole avait mille fois plus d'efficacité que celle des disciples du Sauveur, car son témoignage était à l'abri de tout soupçon, et sa réputation était beaucoup plus grande aux yeux de tous. Il baptisait encore pour ne pas augmenter l'esprit de rivalité de ses disciples. Je pense du reste que Dieu permit la mort de Jean-Baptiste, et que Jésus ne commença qu'après la mort du précurseur le cours de ses prédications, afin que l'affection du peuple tout entier lui fût acquise, les esprits n'étant plus partagés sur le mérite respectif de l'un et de l'autre. En effet, les disciples de Jean nourrissaient des sentiments de jalousie contre les disciples de Jésus-Christ, et contre Jésus-Christ lui-même ; dès qu'ils virent que les disciples du Sauveur baptisaient, ils engageront une discussion avec ceux qui recevaient leur baptême, discussion qui avait pour objet la supériorité du baptême de Jean sur celui des disciples de Jésus-Christ : « Or, il s'éleva une question entre les disciples de Jean et les Juifs, » etc. Ce furent les disciples de Jean et non les Juifs qui soulevèrent cette question. Ce que l'Evangéliste fait entendre en disant que cette question s'éleva, non parmi les Juifs, mais entre les disciples de Jean et les Juifs.
S. AUG. (Traité 13.)Les Juifs soutenaient probablement que Jésus était supérieur à Jean, et qu'on devait recevoir son baptême ; les disciples du précurseur, au contraire, ne comprenant pas encore cette supériorité, défendaient le baptême de leur maître. On vint donc trouver Jean-Baptiste pour qu'il décidât la question : « Les premiers étant venus trouver Jean, lui dirent : Maître, celui qui était avec vous au delà du Jourdain, baptise, » etc. — S. CHRYS. (hom. 29.) C'est-à-dire, celui que vous avez baptisé ; mais ils se gardent bien de s'exprimer de la sorte, car alors ils eussent été forcés de rappeler aussi la voix qui se fit entendre au-dessus de lui ; ils se contentent donc de dire : « Celui qui était avec vous, celui qui était confondu avec vos disciples, qui n'avait rien qui le distinguât de nous, se sépare maintenant de vous, et baptise lui-même. Ils ajoutent : A qui vous avez rendu témoignage. » C'est-à-dire celui dont vous avez manifesté la gloire, sur qui vous avez attiré les regards, ose remplir le même ministère que vous ; car que signifient ces paroles : « Voilà qu'il baptise ? » Et ce n'est point le seul grief qu'ils formulent contre Jésus auprès de son précurseur, ils se plaignent encore de voir ses disciples perdre de leur considération, et leur nombre diminuer de jour en jour. « Et tous vont à lui. »— ALCUIN. C'est-à-dire, tous vous abandonnent et courent se foire baptiser par celui que vous avez baptisé.
S. CHRYS. (hom. 29.) Aux questions que lui font ses disciples, Jean-Baptiste ne répond point par de sévères reproches, dans la crainte qu'en se séparant de lui, ils ne se portent à une autre extrémité, il leur parle donc en termes très-modérés : « Jean répondit : L'homme ne peut rien recevoir s'il ne lui a été donné du ciel. » C'est-à-dire, si la personne de Jésus-Christ est environnée d'un éclat extraordinaire, si tous s'empressent à l'envi autour de lui, il ne faut pas vous en étonner, c'est Dieu qui est l'auteur de ces merveilles. Ce qui est purement humain, se découvre facilement, est faible et passe avec rapidité, mais telle n'est point la gloire de Jésus-Christ, ce n'est point ici l'œuvre de l'homme, tout est empreint d'un caractère divin. Ne soyez pas surpris s'il ne parle point du Sauveur en termes plus relevés, ses disciples étaient dominés par un sentiment trop vif de jalousie pour qu'il fût opportun ou même possible de les enseigner à fond ; il veut donc simplement leur inspirer un sentiment de crainte, en leur montrant qu'ils tentent l'impossible et se mettent en opposition avec Dieu. — S. AUG. (Traité 13) On peut dire encore que Jean veut parler ici de lui-même : Comme homme, j'ai tout reçu du ciel ; si donc je dois à Dieu d'être quelque chose, voulez-vous donc que je m'annihile moi-même en parlant contre la vérité ?
S. CHRYS. (hom. 29.) Remarquez comme Jean-Baptiste retourne contre eux le trait dont ils avaient voulu se servir contre Jésus-Christ, ça disant : « Celui à qui vous avez rendu témoignage. » Il leur répond : « Vous-mêmes, vous m'êtes témoins que j'ai dit : Je ne suis point le Christ, » c'est-à-dire, puisque vous croyez à la vérité de mon témoignage, vous devez en conclure que je dois lui céder tout honneur. Il ajoute : « Mais que j'ai été envoyé devant lui, » c'est-à-dire, je suis un simple ministre, je fais connaître les ordres et la volonté de celui qui m'a envoyé, je ne cherche pas à le flatter dans une pensée d'intérêt personnel, je n'ai d'autre but que de remplir la mission que le Père m'a confiée.
ALCUIN. On pouvait lui faire cette difficulté : Puisque vous n'êtes pas le Christ, qui êtes-vous donc ? ou quel est celui à qui vous rendez témoignage ? Il répond : Il est l'Epoux, et je suis, moi, l'ami de l'Epoux, et envoyé devant lui pour préparer son Epouse à le recevoir : « Celui qui a l'Epouse, est l'Epoux. » Cette Epouse, c'est l'Eglise formée de toutes les nations, elle est vierge par l'intégrité de son âme, la perfection de sa charité, l'unité de la foi catholique, la concorde qui est le fruit de la paix, la pureté de son cœur et de son corps ; elle a un Epoux qui la rend mère tous les jours. — BEDE. C'est bien inutilement qu'une vierge a la pureté du corps, si elle n'y joint la chasteté de l'âme. Mais pour cette épouse, Jésus-Christ se l'est unie sur le lit nuptial du sein virginal de sa mère, et l'a rachetée du prix de son sang.
THEOPHYL. Jésus-Christ est encore l'Epoux de toute âme fidèle, et le lieu où se contracte cette union, c'est l'Eglise où l'âme reçoit le saint baptême. Les arrhes que l'Epoux donne à l'Epouse sont la rémission des péchés, la communication du Saint-Esprit ; et il réserve pour l'autre vie des dons plus parfaits à ceux qui en seront dignes. Nul autre ne peut prétendre à l'honneur d'être l'Epoux, que Jésus-Christ seul. Tous les docteurs sont des paranymphes comme le Précurseur ; mais Dieu seul est la source de tous les biens célestes, tous les autres ne sont que les ministres dont il se sert pour répandre ces biens.
BEDE. Le Seigneur a donc confié son Epouse à son ami, c'est-à-dire à l'ordre des prédicateurs qui doivent être pour elle pleins de zèle, non dans leur intérêt, mais dans l'intérêt de Jésus-Christ. Voilà pourquoi Jean-Baptiste ajoute : « Mais l'ami de l'Epoux qui se tient debout et l'écoute, » etc. — S. AUG. (Traité 13.) Il déclare donc : Ce n'est pas mon Epouse. Vous demeurez donc étranger à la joie des noces ? Tout au contraire, répond-il, je partage la joie de l'Epoux, parce que je suis son ami. — S. CHRYS. (horn. 29.) Mais comment Jean-Baptiste, qui avait dit précédemment : « Je ne suis pas digne de dénouer les courroies de sa chaussure, » se proclame maintenant son ami ? Ce n'est pas qu'il prétende à l'honneur d'être son égal, il veut simplement exprimer la plénitude de son allégresse ; car la joie des serviteurs, dans ces circonstances, est loin d'être aussi grande que celle des amis. C'est encore par condescendance pour la faiblesse de ses disciples, qu'il se dit l'ami de Jésus-Christ ; ils s'imaginaient que tout ce qui se passait le blessait vivement ; il leur fait voir que loin d'en être blessé, il est au comble de la joie, si l'Epoux est connu de son Epouse.
S. AUG. (Traité 13.) Mais pourquoi se tient-il debout ? parce qu'il ne tombe pas ; et pourquoi évite-t-il de tomber ? parce qu'il est humble. Voyez comme il s'appuie sur un terrain solide : « Je ne suis pas digne de dénouer les courroies de ses souliers. » Il se tient debout et l'écoute ; s'il venait à tomber, il ne l'entendrait pas, l'ami de l'Epoux doit donc se tenir debout et l'écouter, c'est-à-dire persévérer dans la grâce qu'il a reçue, et écouter la voix qui le remplit d'allégresse. Je ne me réjouis pas, dit-il, de ce que j'entends ma voix, mais de ce que j'entends la voix de l'Epoux ; ma joie c'est d'entendre, comme la sienne est de parler ; je suis l'oreille, il est la parole. Celui qui est chargé de garder la fiancée ou l'épouse de son ami, veille avec soin à ce qu'elle ne donne son affection à aucun autre. Mais s'il consentait lui-même a prendre dans son cœur la place de son ami, et qu'il abusât du dépôt qui lui est confié, ne serait-il pas un objet d'horreur pour le genre humain tout entier ? Combien je vois d'adultères qui veulent posséder cette Epouse qui a été achetée à un si grand prix, et dont toutes les paroles tendent à obtenir une affection qui n'est due qu'à l'Epoux ?
S. CHRYS. (hom. 29.) Ou bien encore, ces paroles : « Qui se tient debout, » ont un sens particulier, et signifient que le ministère de Jean-Baptiste est à son terme, et qu'il ne lui reste plus qu'à se tenir debout et à écouter. Il passe ici de la figure à l'objet figuré, il a pris pour comparaison l'époux et l'épouse, il montre comment se fait leur union, c’est-à-dire par la voix et par la doctrine : « Car la foi vient de ce qu'on a entendu, et on a entendu, parce qu'on prêche la parole de Dieu. » (Rm 10) Et comme il voit toutes ses espérances réalisées, il ajoute : « Cette joie est donc pleinement réalisée pour moi, » c'est-à-dire l'œuvre qui m'a été confiée est pleinement accomplie, et il ne me reste plus rien à faire. — THEOPHYL. Je me réjouis donc de ce que tous s'empressent de tourner vers lui leurs regards. Si l'épouse (c'est-à-dire le peuple), ne se fût pas approchée de l'Epoux, moi, son ami, son paranymphe, je serais dans la douleur. — S. AUG. (Traité 14.) Ou bien encore, ma joie est au comble, parce qu'il m'est donné d'entendre la voix de l'Epoux. C'est la faveur que je désirais, je n'en réclame pas d'autre, de peur de perdre la grâce que j'ai reçue. Car celui qui cherche sa joie en lui-même sera toujours triste, mais celui qui la place en Dieu ne verra jamais cesser sa joie, parce que Dieu est éternel. — BEDE. L'homme se réjouit d'entendre la voix de l'Epoux, lorsqu'il comprend qu'il doit placer sa joie, non dans sa propre sagesse, mais dans la sagesse qu'il a reçue de Dieu ; car celui-là seul est l'ami de l'Epoux, qui ne recherche pour prix de ses bonnes œuvres ni la gloire, ni les louanges, ni les avantages de la terre, mais ne se propose que les récompenses éternelles.
S. CHRYS. (hom. 29.) Jean-Baptiste veut éteindre dans le cœur de ses disciples tout sentiment d'envie, non-seulement pour le présent, mais pour l'avenir, et il ajoute : « Il faut qu'il croisse et que je diminue, » c'est-à-dire, ma mission et mon ministère touchent à leur fin, tandis que la mission et la gloire de Jésus doivent toujours aller en croissant. — S. AUG. (Traité 14.) Mais que signifient ces paroles : « Il faut qu'il croisse ? » Dieu ne peut ni croître ni diminuer ; Jean-Baptiste et Jésus, sous le rapport de la naissance temporelle, étaient contemporains, et les quelques mois qui séparaient l'une de l'autre ne faisaient pas une différence d'âge. Ces paroles renferment un grand mystère ; avant la venue du Seigneur, les hommes mettaient toute leur gloire en eux-mêmes, il est venu et s'est fait homme pour diminuer la gloire de l'homme, et accroître la gloire de Dieu. Il est venu, en effet, pour pardonner les péchés à l'homme, à la condition qu'il les confesserait. Or, l'homme s'humilie quand il confesse ses péchés, et Dieu s'élève, pour ainsi dire, quand il exerce la miséricorde. Cette vérité se trouve exprimée dans la mort différente de Jésus-Christ et de Jean-Baptiste ; Jean fut diminué de la tête, et Jésus fut élevé en croix. Remarquez encore que Jésus vint au monde, lorsque les jours commencent à croître, tandis que la naissance de Jean eut lieu lorsqu'ils commencent à décroître. Que la gloire de Dieu croisse donc dans notre âme, et que notre propre gloire s'amoindrisse, pour qu'elle puisse elle-même s'accroître en Dieu. Or, plus vous avancez dans la connaissance de Dieu, plus aussi Dieu paraît croître en vous ; car il ne peut croître en lui-même, puisqu'il est parfait de toute éternité. Lorsque les yeux d'un aveugle sont guéris de leur cécité, il commence d’abord par voir un peu la lumière ; le jour suivant, il la voit davantage, la lumière paraît croître pour lui ; cependant elle a toute sa plénitude, toute sa perfection, qu'il la voie ou qu'il ne la voie point ; ainsi l'homme intérieur fait des progrès dans la connaissance de Dieu, et Dieu paraît croître en lui, tandis qu'il s'amoindrit lui-même et tombe, pour ainsi dire, de sa propre gloire, pour se relever dans la gloire de Dieu.
THEOPHYL. Ou bien encore, lorsque le soleil paraît, la lumière des antres astres du ciel paraît s'éteindre, et cependant elle n'est pas éteinte en réalité ; elle est simplement éclipsée par une lumière plus brillante ; c’est ainsi que le Précurseur paraît éclipsé comme une étoile par le soleil. Quant à Jésus-Christ, on le voyait croître successivement à mesure qu'il se révélait par ses miracles, il ne croissait pas en vertus suivant l'erreur insensée de Nestorius, mais il croissait en révélant successivement les preuves de sa divinité.
S. CHRYS. (hom. 30.) De même que le ver ronge le bois, et la rouille le fer, ainsi la vaine gloire perd l'âme qui la nourrit et l'entretient. Aussi devons-nous mettre tous nos soins à détruire en nous celte malheureuse passion. Malgré tant de raisons convaincantes, Jean-Baptiste peut à peine guérir ses disciples atteints de cette funeste maladie, et il est comme obligé de leur apporter de nouvelles raisons : « Celui qui vient d'en haut, est au-dessus de tous. » Puisque vous avez en si grande estime mon témoignage, leur dit-il, et que vous ne voyez rien qui soit plus digne de foi, sachez donc que ce n'est pas à celui qui habite la terre, à recommander comme digne d'être cru celui qui vient du ciel. Tel est le sens de ces paroles : « Il est au-dessus de tous, » c'est-à-dire, il se suffît à lui-même, et sa grandeur est en dehors de toute comparaison. — THEOPHYL. Jésus-Christ, en effet, vient d'en haut et descend du Père, et il occupe une place si élevée qu'elle le distingue et le sépare de tous les hommes. — ALCUIN. Ou bien encore : « Il vient d'en haut, » c'est-à-dire des hauteurs que la nature humaine occupait avant le péché du premier homme. C'est sur ces hauteurs que le Verbe de Dieu a pris la nature humaine, dont il a revêtu les peines, sans prendre la faute.
« Celui qui tire son origine de la terre, est de la terre (c'est-à-dire est terrestre), et parle de la terre » (c'est-à-dire des choses terrestres.) — S. CHRYS. (hom. 30.) Cependant Jean-Baptiste ne venait pas tout entier de la terre, il avait une âme et il participait de l'esprit, qui ne vannent point de la terre. Pourquoi donc déclare-t-il qu'il vient de la terre ? Cette manière de s'exprimer signifie simplement dans l'intention du Précurseur, qu'il est peu de chose, parce qu'il vient de la terre, qu’il est né sur la terre, et qu'il ne peut en aucune sorte entrer en comparaison avec Jésus-Christ qui est venu du ciel : « Il parle de la terre, » non pas dans ce sens qu'il parle d'après ses propres inspirations, mais comparativement à la doctrine de Jésus-Christ, comme s'il disait : Ma personne, ma doctrine sont trop inférieures pour entrer en comparaison avec la personne et la doctrine de Jésus-Christ ; elles sont ce qu'il convient d'être à la nature humaine et terrestre, comparée à celui en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu. (Col 2, 3.) — S. AUG. (Traité 14.) Ou bien, ces paroles : « Il parle de la terre, » doivent s'entendre de l'homme qui suit ses propres inspirations ; car lorsqu'il parle un langage divin, c'est Dieu qui l'éclairé et qui l'inspire, comme le reconnaît le grand Apôtre : « Ce n'est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi.» (1 Co 15, 10.) C'est-à-dire que Jean, considéré en lui-même, vient de la terre, et parle le langage de la terre, et s'il vous a fait entendre le langage du ciel, ce n'est point de lui-même, mais par un effet de la grâce qui l'a rempli de ses lumières.
S. CHRYS. (hom. 30.) Jean-Baptiste, ayant étouffé tout sentiment d'envie dans le cœur de ses disciples, leur parle de Jésus-Christ avec une plus grande liberté, car tout ce qu'il aurait pu dire auparavant eut été inutile, et n'eût point trouvé d'écho dans des esprits si mal disposés. Il continue donc en ces termes : « Celui qui vient du ciel est au dessus de tous. » — LA GLOSE. C'est-à-dire celui qui vient du Père est au-dessus de tous de deux manières : Premièrement, au-dessus de la nature humaine, qu'il n'a prise que dans un état exempt de péché, et secondement, parce qu'il partage l'élévation du Père dont il est l'égal.
S. CHRYS. (hom. 30.) Après ces idées si hautes et si relevées sur Jésus-Christ, Jean-Baptiste descend de ces hauteurs et parle, pour ainsi dire, un langage plus humain : « Et ce qu'il a vu et entendu, il en rend témoignage. » C'est par ces deux sens de l'ouïe et de la vue que nous arrivons à une connaissance certaine de toutes choses, et nous sommes regardés comme des maîtres dignes de foi, lorsque nous enseignons les choses que nous avons vues ou entendues. Jean-Baptiste applique cette vérité à Jésus-Christ en disant de lui : « Et ce qu'il a vu et entendu, il en rend témoignage, » il établit ainsi que les paroles du Sauveur ne renferment aucune erreur et qu'elles sont la vérité même. Quant à moi, semble-t-il dire, j'ai besoin d'être instruit par celui qui vient du ciel, et j'annonce ce qu'il a vu et entendu, c'est-à-dire les vérités dont il a seul une connaissance entière et parfaite. — THEOPHYL. En entendant ces paroles : « Il rend témoignage de ce qu'il a vu et entendu, » n'allez pas croire que le Fils de Dieu ait besoin d'apprendre quelque chose de son Père ; tout ce que le Fils connaît en vertu de sa nature vient de son Père, et c'est en ce sens qu'il apprend de son Père tout ce qu'il sait. Mais qu'est-ce que le Fils a pu entendre du Père ? Peut-être la parole du Père ? Mais il est lui-même la parole, le Verbe du Père. — S. AUG. (Traité 14.) Lorsque vous concevez la parole que vous devez dire, vous voulez exprimer une idée, et la conception de cette idée est déjà une parole dans votre cœur. Or, de même que vous avez dans votre cœur la parole que vous devez dire, et qu'elle est vraiment en vous, ainsi Dieu a produit sa parole, son Verbe, c'est-à-dire a engendré son Fils. Donc, comme le Verbe de Dieu est le Fils de Dieu et que c'est le Fils de Dieu qui a parlé, celui qui parlait le Verbe du Père a voulu nous faire connaître non sa parole, mais le Verbe, la parole du Père. Jean-Baptiste a exposé ce mystère autant qu'il était nécessaire de le faire, et de la manière la plus convenable.
S. CHRYS. Jean-Baptiste vient de dire expressément de Jésus-Christ : « Il atteste ce qu'il a vu et entendu » pour défendre contre l'accusation d'erreur les enseignements du Sauveur auxquels un si petit nombre devait ajouter foi, comme il le déclare lui-même: « Et personne ne reçoit son témoignage ; » personne, c'est-à-dire un petit nombre de personnes ; car il avait des disciples qui ajoutaient foi à ses paroles. Jean-Baptiste fait ici allusion à ceux de ses disciples qui ne croyaient pas encore en Jésus-Christ et condamne en même temps l'indifférence coupable des Juifs. C'est ce que l'Evangéliste avait dit lui-même au commencement de son Evangile : « Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu. » (C'est-à-dire les Juifs qui lui appartenaient d'une manière toute particulière.)
S. AUG. (Traité 14.) Ou bien encore, il est un peuple qui est comme réservé à la colère de Dieu, et qui doit être condamné avec le démon ; personne, parmi ce peuple, ne reçoit le témoignage du Christ. Jean-Baptiste a donc considéré cette division que la différence de disposition et d'esprit établit dans ce mélange d'hommes qui composent le genre humain, il a séparé par la pensée ceux que la distance des lieux n'a point encore séparés, et il a vu deux peuples, le peuple des infidèles, et le peuple qui a embrassé la foi. Il jette les yeux sur lès infidèles, et dit : « Personne ne reçoit son témoignage.» Puis se détournant de la gauche, il regarde à droite et ajoute : « Celui qui reçoit son témoignage atteste que Dieu est véridique. » — S. CHRYS. (hom. 30.) C'est-à-dire prouve qu'il est véridique. Jean-Baptiste veut inspirer ici une crainte salutaire en disant : « Que Dieu est véridique, » et il montre par là qu'on ne peut refuser de croire en Jésus-Christ sans accuser de mensonge et d'erreur Dieu qui l'a envoyé, parce qu'il n'enseigne que la doctrine qu'il a reçue de son Père : « Car celui que Dieu a envoyé, dit les paroles de Dieu. » — ALCUIN. On peut encore entendre ces paroles : (signavit, il a marqué d'une empreinte) dans ce sens qu'il a gravé dans son cœur un signe distinct et spécial que Jésus est le vrai Dieu qui a souffert pour le salut du genre humain.
S. AUG. (Traité 14.) Que signifient ces paroles : « Dieu est véridique, » si ce n'est que l'homme est menteur et que Dieu est le seul qui soit vrai ? Quel est l'homme en effet, qui peut dire ce que c'est que la vérité, s'il n'est éclairé par celui qui ne peut mentir. Dieu est donc vrai, et Jésus-Christ est Dieu. En voulez-vous la preuve ? Recevez son témoignage et tous la trouverez. Mais si tous ne le reconnaissez pas comme Dieu, vous n'avez pas encore reçu son témoignage. Jésus est donc le Dieu Véridique, et c'est Dieu qui l'a envoyé. C'est un Dieu qui a envoyé un Dieu, réunissez-les, vous avez un seul Dieu. Ces paroles : « Celui que Dieu a envoyé, » Jean-Baptiste les appliquait à Jésus-Christ, pour bien établir la distinction qui existait entre le Sauveur et lui. Quoi donc ? Est-ce que Jean-Baptiste n'était pas aussi l'envoyé de Dieu ? Oui, mais écoutez la suite : « Parce que Dieu ne lui donne pas son esprit avec mesure. » Aux hommes, il la donne avec mesure, à son Fils unique il le donne sans mesure. L'un reçoit de l'Esprit le don de parler avec sagesse, l'autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science. (1 Co 12) Celui-ci reçoit une grâce, celui-là en reçoit une autre. La mesure est une espèce de partage dans les dons, mais Jésus-Christ ne reçoit pas avec mesure les grâces dont il est le principe et la source.
S. CHRYS. (hom. 30.) Par Esprit, Jean-Baptiste entend ici l'opération de l'Esprit saint, et il veut nous apprendre que tous nous avons reçu dans une certaine mesure cette divine opération de l'Esprit saint, tandis que Jésus-Christ l'a reçue toute entière, comment donc avoir le moindre soupçon contre sa parole ? Il ne dit rien qui ne soit de Dieu, qui ne soit de l'Esprit saint ; il ne parle point pour le moment du Dieu Verbe, et se contente de confirmer sa doctrine par l'autorité du Père et de l'Esprit saint ; car les Juifs croyaient qu'il existe un Dieu et admettaient aussi l'existence de l'Esprit saint, (sans en avoir toutefois une idée convenable) mais ils ne connaissaient pas l'existence du Fils.— S. AUG. (Traité 14.) Il venait de dire du Fils : « Il ne lui a pas donné i'Esprit avec mesure. » Il ajoute : « Le Père aime le Fils » et encore : « Et il a tout remis entre ses mains » pour vous faire comprendre toute l'étendue de ces paroles : « Le Père aime le Fils. » En effet, le Père aime Jean ou Paul, et cependant il n'a pas tout remis entre leurs mains. Le Père aime le Fils, mais comme un père aime son fils, non pas comme un maître aime son serviteur ; comme on aime non pas un fils adoptif, mais comme un fils unique. C'est pour cela qu'il lui a tout remis entre ses mains, afin que la grandeur du Fils soit égale à la grandeur du Père. Lors donc qu'il a daigné nous envoyer son Fils, gardons-nous de penser qu'il nous ait envoyé quelqu'un qui lui soit inférieur.
THEOPHYL. Ainsi donc, en vertu de sa divinité, Dieu a tout donné à son Fils par nature et non par grâce ; ou bien il a tout remis entre ses mains, sous le rapport de son humanité, car Nôtre-Seigneur Jésus-Christ est le maître de tout ce qui existe dans le ciel et sur la terre.
ALCUIN. Puisque toutes choses ont été remises entre ses mains, donc aussi la vie éternelle. C'est pour cela que Jean-Baptiste ajoute : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle. » — BEDE. La foi dont il est ici question, n'est pas celle qui ne consiste qu'en paroles, mais la foi qui reçoit sa perfection des œuvres. — S. CHRYS. (hom. 31.) Une veut donc point dire qu'il suffit de croire au Fils pour avoir la vie éternelle, puisque Nôtre-Seigneur déclare lui-même expressément que ce ne sont pas ceux qui se contentent de dire : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux. Il nous apprend encore que le blasphème contre l'Esprit saint, suffit pour précipiter dans l'enfer. Ne croyons pas même que la foi pleine et entière au Père, au Fils et au Saint-Esprit, suffise pour le salut, il faut y joindre une vie sainte et une conduite exemplaire. Et comme le saint Précurseur sait que la menace des châtiments a plus d'efficacité que la promesse des récompenses, il conclut son discours par ces paroles : « Celui qui ne croit point au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. » Remarquez comme il fait remonter au Père l'idée de châtiment, il ne dit pas : La colère du Fils, bien qu'il soit juge lui-même, il ne parle que de la juste colère du Père pour leur inspirer une crainte plus vive. Et il ne dit point : La colère de Dieu demeurera en lui, mais : « Elle demeurera sur lui, » c'est-à-dire, qu'elle ne le quittera jamais. Et pour qu'on ne pense pas qu'il ne s'agit ici que d'une mort temporelle, il ajoute : « Il ne verra point la vie. » — S. AUG. (Traité 14.) Il ne dit point : La colère de Dieu vient à lui, mais : « Elle demeure sur lui, » parce que tous les hommes qui naissent à cette vie mortelle, portent avec eux la colère de Dieu qui est tombée sur le premier Adam. Le Fils de Dieu est venu sans avoir de péché, et il s'est revêtu de notre immortalité, et il a souffert la mort pour nous rendre la vie. Celui donc qui refuse de croire au Fils, mérite de voir demeurer sur lui cette colère de Dieu, dont l'Apôtre a dit : « Nous étions par nature des enfants de colère. » (Ep 2)
LA GLOSE. Après avoir rapporté comment Jean-Baptiste réprima les mouvements de jalousie qu'excitait dans ses disciples le progrès de la doctrine de Jésus-Christ ; l'Evangéliste nous apprend ici comment le Sauveur se dérobe à la méchanceté des pharisiens qui, pour la même raison, étaient animés contre lui des mêmes sentiments d'envie : « Jésus donc ayant su que les pharisiens avaient appris, » etc. — S. AUG. (Traité 15.) Si Nôtre-Seigneur avait prévu que les pharisiens, en apprenant qu'il faisait plus de disciples que Jean-Baptiste, et qu'il en baptisait un plus grand nombre, se détermineraient à marcher à sa suite pour sauver leur âme, il n'aurait point quitté la Judée, et il y serait resté dans leur intérêt. Mais comme il vit que cette connaissance ne produisait en eux que de l'envie, et leur inspirait le désir, non de le suivre, mais de le persécuter, il s'éloigna de la Judée. Il eut pu sans doute leur échapper s'il eût voulu, tout en restant au milieu d'eux, mais dans toutes les actions qu'il a faites comme homme, il s'est proposé de donner l'exemple à ceux qui devaient croire en lui, et de leur apprendre qu'un serviteur de Dieu ne pèche pas en se retirant dans un autre lieu pour se dérober à la fureur de ses persécuteurs. Ce n'est donc point par crainte que le bon maître agit ainsi, mais pour nous instruire. — S. CHRYS. (hom. 31.) Il le fit aussi, et pour calmer leur jalousie et pour ne pas affaiblir la foi au mystère de son incarnation, car la vérité de sa chair eût pu paraître douteuse, si on l'eût vu échapper visiblement aux mains de ses ennemis.
S. AUG. (Traité 15.) On sera peut-être surpris de voir l'Evangéliste s'exprimer de la sorte : « Jésus en baptisait un plus grand nombre, » et ajouter aussitôt : « Quoique Jésus ne baptisât point lui-même. » Quoi donc ? Est-ce que la première proposition était fausse et avait besoin d'être rectifiée ? — S. CHRYS. (hom, 31.) Le fait est que Jésus-Christ ne baptisait pas lui-même, mais ceux qui firent ce rapport affirmèrent que Jésus en baptisait un plus grand nombre que Jean, pour exciter la jalousie des pharisiens. Jean-Baptiste nous donne du reste la raison pour laquelle le Sauveur ne baptisait pas, lorsqu'il dit : « il vous baptisera lui-même dans l'Esprit saint et dans le feu. » Or, comme il ne donnait pas encore l'Esprit saint, il était convenable qu'il ne baptisât pas encore. Quant à ses disciples, il les laissait baptiser pour en amener un plus grand nombre à la doctrine du salut.
C'est afin de n'être pas obligés de parcourir la Judée pour réunir ceux qui devaient embrasser la foi, comme Jésus avait fait pour Simon et son frère, qu'ils adoptèrent l'usage du baptême, car le baptême des disciples n'avait rien de plus que le baptême de Jean, l'un et l'autre étaient dépourvus de la grâce qui vient de l'Esprit, et tous deux avaient un seul et même but, celui d'amener à Jésus-Christ ceux qui étaient baptisés. — S. AUG. (Traité 15.) On peut dire encore que ces deux propositions sont vraies, c'est-à-dire, que Jésus baptisait et ne baptisait pas ; il baptisait, parce que c'est lui qui purifiait les âmes, et il ne baptisait pas, parce qu'il ne plongeait pas lui-même dans l'eau. Les disciples prêtaient leur ministère extérieur, mais lui, dont Jean-Baptiste disait : « C'est lui qui baptise, » donnait à ce baptême l'appui d'une majesté toute divine.
ALCUIN. On demande ordinairement si on recevait le Saint-Esprit dans le baptême du Christ, puisqu'il est dit dans l'Evangile selon saint Jean : « L'Esprit saint n'était pas encore donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié. » Nous répondons que l'Esprit saint était donné, mais sans cette manifestation éclatante qui eut lieu, lorsqu'après l'ascension, il descendit sur les Apôtres sous la forme de langues de feu. Jésus-Christ posséda toujours l'Esprit saint dans l'humanité qu'il s'était unie, et cependant l'Esprit saint descendit visiblement sur lui sous la forme d'une colombe, lorsqu'il fut baptisé ; c'est ainsi qu'avant l'avènement éclatant et public de l'Esprit saint, quelques saints ont pu le recevoir d'une manière plus secrète. — S. AUG. (Lett. 18 à Séleucis.) Il faut admettre que les disciples de Jésus-Christ étaient déjà baptisés, soit du baptême de Jean, soit (ce qui est plus vraisemblable) du baptême de Jésus-Christ ; il n'est pas probable, en effet, que le Sauveur ait omis de baptiser ses disciples qui devaient baptiser les autres en son nom, lui qui remplit si exactement l'humble ministère de leur laver les pieds.
S. CHRYS. (hom. 31.) En s'éloignant de la Judée, Nôtre-Seigneur reprenait la suite de ses premiers desseins : « Et il s'en alla de nouveau en Galilée. » Jésus vient chez les Samaritains, pour le même motif que les Apôtres, repoussés par les Juifs, allèrent chez les Gentils ; cependant, pour ôter toute excuse aux Juifs, les Samaritains ne sont point le but principal de son voyage, et il ne vient chez eux qu'en passant, c'est ce que l'Evangéliste exprime en disant : « Or, il lui fallait passer par la Samarie. » Cette contrée fut ainsi appelée, parce que la montagne de Samarie, qui donna son nom à la ville qu'on y bâtit, s'appelait Somer, du nom de son ancien possesseur. Les premiers habitants de cette ville et de cette contrée ne s'appelaient pas autrefois Samaritains, mais Israélites. Dans la suite des temps, ils transgressèrent les lois de Dieu, le roi d'Assyrie ne voulut plus les laisser dans leur pays, il les emmena à Babylone et dans la Médie, et le repeupla de colons tirés de diverses provinces assyriennes. Mais Dieu voulant prouver que ce n'était point par impuissance qu'il avait livré les Juifs aux mains de leurs ennemis, mais pour les punir de leurs crimes, envoya contre ces peuples barbares et idolâtres des lions qui dévastaient le pays. Le roi d'Assyrie, en ayant été instruit, leur envoya un prêtre Israélite pour leur enseigner le culte et les lois du Dieu des Juifs. Toutefois ils ne renoncèrent pas entièrement à leur impiété, et ils revinrent insensiblement au culte des idoles, ils y mêlaient cependant le culte du vrai Dieu. Ils prirent le nom de Samaritains, de la montagne même de Samarie.
BEDE. Il lui fallait passer par la Samarie, qui est située entre la Judée et la Galilée. Samarie est une des villes les plus remarquables de la Palestine, et tellement importante par sa population, qu'elle a donné son nom à toute la contrée qui l'entoure. Or, l'Evangéliste nous indique dans quel endroit de cette contrée Nôtre-Seigneur s'arrêta : « Il vint donc dans une ville de Samarie, nommé Sichar. » — S. CHRYS. (hom. 31.) C'était le lieu où Lévi et Siméon se vengèrent d'une manière sanglante de l'outrage fait à Dina, leur sœur. (Gn 34) Après que les fils de Jacob eurent rendu cette ville déserte par le meurtre des Sichimites, le patriarche la donna par la suite en héritage à son fils Joseph ; c'est à cette donation qu'il faisait allusion lorsqu'il lui dit : « Je te donnerai de plus qu'à tes frères la part de mon héritage que j'ai conquise par mon glaive et par mon arc de la main des Amorrhéens, » (Gn 48) et que l'Evangéliste rappelle en ces termes : « Près de l'héritage que Jacob donna à son fils Joseph. »
« Là était le puits de Jacob. » — S. AUG. (Traité 15.) C'était un puits, or tout puits est une fontaine (ou une source), mais toute fontaine n'est pas un puits. L'eau qui jaillit des entrailles de la terre et satisfait aux besoins de ceux qui viennent y puiser, s'appelle une source ; si elle jaillit à la surface de la terre et qu'elle soit comme sous la main, ce n'est qu'une source, mais si l'eau est à une grande profondeur dans l'intérieur de la terre, c'est à la fois un puits et une source. — THEOPHYL. Mais pourquoi l'Evangéliste fait-il mention de cette fontaine et de cet héritage ? Premièrement, pour que tous n'éprouviez aucune surprise lorsque vous entendrez dire à cette femme car c'est leur père Jacob qui leur a donné ce puits ; secondement, pour vous apprendre par le souvenir de ce puits et de cet héritage que les Juifs ont perdu par leur impiété, ce que les patriarches avaient reçu comme récompense de la foi qu'ils avaient en Dieu, et que ces lieux avaient été livrés aux nations idolâtres ; il n'y a donc rien de nouveau ni d'étonnant à ce que le royaume des cieux passe encore des Juifs aux Gentils.
S. CHRYS. (hom 31.) Nôtre-Seigneur Jésus-Christ en se rendant dans la Samarie, ne fait usage d'aucune des commodités de la vie, il choisit ce qu'il y a de plus pénible, il ne se sert point de monture, et entreprend à pied un voyage si difficile qu'il en éprouve une grande fatigue ; ainsi nous apprend-il à renoncer à toutes les superfluités et à nous priver même de beaucoup de choses nécessaires : C'est ce que veut exprimer l'Evangéliste par ces paroles : « Jésus, fatigué de la route, s'assit sur le bord du puits. » — S. AUG. (Traité 15.) Il semble dire : Nous avons trouvé Jésus à la fois plein de force et de faiblesse ; plein de force, parce qu'il est le Verbe qui était au commencement ; plein de faiblesse, parce que le Verbe s'est fait chair. C'est donc Jésus faible parce qu'il l'a voulu, qui, fatigué de la route, s'assied sur les bords du puits. — S. CHRYS. (hom. 31.) Ainsi, ce n'est ni sur un trône, ni sur des coussins qu'il est assis, mais simplement sur la terre, comme cela se rencontrait. Il s'assied et pour attendre ses disciples, et pour reposer et rafraîchir près de cette fontaine son corps fatigué de la route et des ardeurs du soleil : « Or, il était environ la sixième heure. » — THEOPHYL. L'Evangéliste prévient le reproche qu'on pourrait faire au Sauveur de venir dans la Samarie après avoir lui-même défendu à ses disciples d'y aller, en faisant remarquer que c'est pour se reposer de la fatigue du chemin que Jésus s'est assis dans cet endroit.
ALCUIN. Dans le sens mystique, le Seigneur quitte la Judée, (c'est-à-dire l'incrédulité de ceux qui ont refusé de le recevoir), il s'en va dans lu personne de ses apôtres en Galilée) figure de la rapidité du monde, et nous apprend ainsi à passer nous-mêmes des vices à la pratique des vertus. Ce champ, à mou avis, avait été laissé moins à Joseph qu'à Jésus-Christ dont il était la figure, et qu'adorent véritablement le soleil, la lune et les étoiles. Le Seigneur se rend dans ce champ, afin que les Samaritains qui revendiquaient pour eux l'héritage du patriarche Jacob pussent reconnaître le Christ qui est le légitime héritier du patriarche, et se convertir à lui. — S. AUG. (Traité 15.) Le chemin qu'il fait, c'est la chair qu'il a prise pour notre salut, car pour celui qui est partout, venir à nous, c'est se revêtir d'une chair visible. Il est fatigué de la route, c'est-à-dire fatigué des infirmités naturelles à la chair. Que signifie la sixième heure ? Le sixième âge du monde. Comptez en effet comme la première heure, le premier âge d'Adam jusqu'à Noé ; le second, de Noé à Abraham ; le troisième d'Abraham jusqu'à David : le quatrième, de David jusqu'à la transmigration de Babylone ; le cinquième, de la transmigration de Babylone jusqu'au baptême de Jean où commence le sixième âge.
S. AUG. (Liv. des 83 Quest., quest. 64.) C'est donc à la sixième heure du jour que Nôtre-Seigneur vint s'asseoir sur le bord du puits. Je vois dans ce puits une profondeur ténébreuse, je suis autorisé à y reconnaître les parties inférieures de ce monde, c'est-à-dire la terre sur laquelle le Seigneur Jésus est venu à la sixième heure, c'est-à-dire au sixième âge du genre humain qui représente la vieillesse de l'homme ancien dont nous devons nous dépouiller pour nous revêtir du nouveau. La sixième heure en effet représente la vieillesse ; la première, l'âge le plus tendre ; la seconde, l'enfance ; la troisième, l'adolescence ; la quatrième, la jeunesse ; la cinquième, l'âge mûr. Nôtre-Seigneur vient encore s'asseoir sur le bord de ce puits, vers la sixième heure, c'est-à-dire au milieu du jour, alors que le soleil commence à descendre vers le couchant, parce qu'en effet lorsque Jésus-Christ nous appelle à lui, nous sentons le goût des biens visibles s'affaiblir en nous pour faire place à l'amour des choses invisibles et les yeux de notre âme se tourner vers cette lumière intérieure qui ne se couche jamais. Nôtre-Seigneur est assis, ce qui peut figurer son humilité, ou bien comme les docteurs ont coutume d'être assis, pour nous rappeler qu'il est notre véritable maître.
S. CHRYS. (hom. 31.) Comme le Sauveur paraissait aller contre le commandement qu'il avait fait en parlant aux Samaritains, l'Evangéliste nous donne plusieurs raisons de la conversation qu'il eut avec cette femme. D'abord il n'était point venu dans le dessein premier de s'entretenir avec des Samaritains. Mais fallait-il pour cela repousser cette femme qui venait à lui, comme le remarque l'Evangéliste : « Or, une femme de Samarie vint puiser de l'eau ? » Vous voyez que cette femme vient puiser de l'eau à cause de la chaleur.
S. AUG. (Traité 15.) Cette femme est la figure de l'Eglise qui n'est pas encore justifiée, mais qui n'est pas loin de la justification. C'est comme symbole de ce qui doit arriver, qu'elle vient du milieu des étrangers. Car les Samaritains étaient des étrangers pour les Juifs quoique habitant une contrée voisine. Or, l'Eglise aussi devait venir du milieu des nations et d'une race étrangère à celle des Juifs.
THEOPHYL. La discussion avec cette femme commence très à-propos à l'occasion de la soif qu'éprouvait le Sauveur : « Jésus lui dit : Donnez-moi a boire. » Il avait soif en effet dans sa nature humaine par suite de la fatigue et de la chaleur. — S. AUG. (Quest. 83, quest. 64.) Jésus avait soif aussi de la foi de cette femme, car il a soif de la foi de tous les hommes pour lesquels il a répandu son sang. — S. CHRYS. (hom. 31.) Nôtre-Seigneur non-seulement affronte courageusement les difficultés delà route, mais se montre plein d'indifférence pour la nourriture, car ses disciples ne portaient point de vivres avec eux, comme nous le voyons par la suite du récit : « Ses disciples étaient allés dans la ville acheter de quoi manger. » L'Evangéliste nous fait encore ressortir l'humilité de Jésus qui consentait à ce qu'on le laissât seul. Il aurait pu s'il avait voulu, ou en garder quelques-uns près de lui, ou a leur défaut, avoir d'autres serviteurs, il ne le voulut pas, pour apprendre à ses disciples à fouler aux pieds tout orgueil. On me dira, peut-être, quoi d'étonnant que les disciples fussent humbles eux qui n'étaient que de simples pécheurs et des fabricants de tentes ? Mais ne sont-ils pas devenus tout d'un coup plus dignes de vénération que tous les rois, eux les amis et les intimes du Seigneur de l'univers entier ? Ne voit-on pas en effet ceux qui sortent d'une condition obscure et qui sont élevés à quelque dignité, être plus accessibles à l'orgueil, et comme incapables de supporter le poids d'un si grand honneur ? Le Seigneur donc, en maintenant ses disciples dans les mêmes sentiments d'humilité, leur apprenait à se modérer en toutes choses. Or, cette femme trouve dans ces paroles du Sauveur : « Donnez-moi à boire, » une occasion tout naturel de lui faire cette question : « Comment vous qui êtes Juif, me demandez-vous à boire à moi qui suis Samaritaine ? » Elle présuma qu'il était Juif à sa figure et à son langage. Mais voyez la circonspection de cette femme, car si Jésus devait se garder de tout commerce avec elle, elle n'avait point les mêmes raisons d'éviter tout rapport avec lui. L'Evangéliste en effet ne dit point que les Samaritains n'ont point de commerce avec les Juifs, mais que les Juifs n'ont point de commerce avec les Samaritains. Depuis le retour de la captivité, les Juifs étaient en garde contre les Samaritains et les regardaient comme des étrangers et des ennemis, car ils ne recevaient pas toutes les Ecritures, et n'admettaient que le livre de Moïse, sans tenir beaucoup de compte des prophètes. Ils prétendaient avoir part à la noblesse du peuple juif qui les avait en horreur à l'égal des autres nations infidèles. — S. AUG. (Traité 15.) Les Juifs n'auraient voulu à aucun prix se servir des vases qui étaient à l'usage des Samaritains ; aussi cette femme qui portait un vase pour puiser de l'eau, s'étonnait qu'un Juif lui demandât à boire, ce que ne faisaient jamais les Juifs. — S. CHRYS. (hom. 31.) Mais comment Jésus peut-il lui demander à boire, malgré la défense de la loi ? Dira-t-on qu'il prévoyait bien qu'elle n'accéderait pas à sa demande ? C'était une raison de ne pas la faire. Disons donc qu'il lui demande à boire parce que le temps était venu où l'on pouvait sans se rendre coupable, laisser de côté de telles observances.
S. AUG. (Traité 15.) Celui qui lui demandait à boire avait soif de la foi de cette femme. Aussi « Jésus lui répondit : Si vous connaissiez le don de Dieu, » etc. — ORIG. (Traité 14 sur S. Jean.) C'est une vérité des mieux établies en effet que les grâces divines ne sont accordées qu'à ceux qui les désirent et les recherchent. Ainsi le Père fait un commandement au Sauveur de lui demander ce qu'il désire obtenir : « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage. » (Ps 2) Nôtre-Seigneur lui-même nous en fait un précepte : « Demandez, et vous recevrez ; » (Mt 7, Lc 11) et voilà pourquoi il dit ici : « Peut-être lui en auriez-vous demandé, et il vous aurait donné une eau vive.» — S. AUG. (Liv. des 83 Quest. quest. 64.) Il cherche à lui faire comprendre que l'eau qu'il lui demandait n'était pas celle qu'elle entendait, mais qu'il avait soif de sa foi et qu'elle eût soif elle-même de l'Esprit saint qu'il désirait lui donner. Car cette eau vive, si nous la comprenons bien, c'est le don de Dieu, comme le Sauveur dit expressément : « Si vous connaissiez le don de Dieu. » — S. AUG. (Traité 15.) On donne ordinairement le nom d'eau vive à celle qui jaillit d'une source ; car pour l'eau de pluie qu'on recueille dans des fossés et dans des citernes, ce n'est point de l'eau vive. De même on ne peut appeler de l'eau vive l'eau qui vient d'une source, mais qu'on a recueillie dans un réservoir où ne coule pas la source d'où elle provient, et dont le cours se trouve interrompu de manière à séparer cette eau de la source qui l'a produite. —S. CHRYS. (hom. 32.) L'Ecriture sainte donne à la grâce de l'Esprit saint tantôt le nom d'eau, tantôt le nom de feu, ce qui est une preuve que ces noms ne sont pas l'expression de la nature de cette personne divine, mais de son action. Le feu est l'emblème de l'efficacité et de la ferveur de la grâce pour effacer et détruire le péché, et l'eau est la figure de l'action purifiante de l'Esprit saint, et le rafraîchissement divin qu'il donne aux âmes qui le reçoivent. — THEOPHYL. Il appelle la grâce de l'Esprit saint une eau vive, rafraîchissante et active, car la grâce de l'Esprit saint dirige et conduit celui qui fait le bien et dispose dans son cœur les degrés, par lesquels il s'élève jusqu'à Dieu.
S. CHRYS. (hom. 32.) Le Sauveur a déjà modifié l'opinion que cette femme avait d'abord de lui, en le regardant comme un homme ordinaire ; elle le traite avec plus d'égards, et lui donne le nom de Seigneur : « Cette femme lui dit : Seigneur, vous n'avez pas avec quoi puiser, et le puits est profond ; d'où auriez-vous donc de l'eau vive ? » — S. AUG. (Traité 15.) Vous voyez que la Samaritaine n'entendait par eau vive que celle qui était dans le puits, et qu'elle semble dire à Nôtre-Seigneur : Vous voulez me donner de l'eau vive, mais j'ai seule le vase nécessaire pour la puiser, et vous ne l'avez pas; vous ne pouvez donc pas me donner cette eau vive, puisque vous n'avez pas de quoi la puiser. Peut-être me promettez-vous l'eau d'une autre source, mais êtes-vous plus puissant que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits, et en a bu lui-même, aussi bien que ses enfants et ses troupeaux ? » — S. CHRYS. (hom. 31.) Voici le sens de ces paroles : « Vous ne pouvez pas dire que Jacob nous a donné ce puits, il est vrai, mais qu'il a fait usage d'un autre. Car lui aussi bien que ses enfants ont bu de cette eau, ce qu'ils n'eussent pas fait, s'ils avaient eu une source meilleure et plus pure. Vous ne pouvez donc prétendre avoir une fontaine meilleure que celle-ci, à moins que vous ne vous donniez comme un personnage plus grand que Jacob. Mais d'où ferez-vous venir cette eau que vous me promettez ? — THEOPHYL. Elle ajoute : « Et ses troupeaux, » pour montrer combien ces eaux étaient abondants, et comme si elle disait : Cette eau est si bonne, que Jacob en a bu ainsi que ses enfants ; et elle est si abondante, qu'elle a suffi pour abreuver les nombreux troupeaux du patriarche.
S. CHRYS. (hom. 3l.) Voyez comme cette femme prétend ouvertement partager l'honneur de la nation juive. Les Samaritains, en effet, regardaient Abraham comme leur ancêtre, parce qu'il était chaldéen d'origine, et ils appelaient Jacob leur père, parce qu'il était le petit-fils d'Abraham. — BEDE. Ou bien, elle appelle Jacob son père, parce qu'elle avait vécu sous la loi de Moïse, et que la nation possédait l'héritage que Jacob avait donné à son fils Joseph. — ORIG. (Traité 14 sur S. Jean.) Dans le sens mystique, le puits de Jacob, ce sont les maintes Ecritures, ceux qui sont versés dans la connaissance de ces saintes lettres, boivent comme Jacob et ses enfants ; les esprits simples et ignorants boivent comme les troupeaux du patriarche.
S. CHRYS. (hom. 32.) A la question que lui fait cette femme : « Etes-vous plus grand que notre père Jacob ? » Jésus ne répond pas expressément : Oui, je suis plus puissant que lui, pour ne point paraître se glorifier lui-même, mais il le fait entendre en termes équivalents : « Jésus lui répondit : Quiconque boit de cette eau, aura encore soif, mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura jamais soif. L’eau que je lui donnerai, deviendra en lui une fontaine d'eau jaillissante pour la vie éternelle. » C'est-à-dire Jacob vous paraît puissant et admirable, parce qu'il vous a donné l'eau de ce puits, que direz-vous donc si je vous donne une eau bien meilleure. Il ne déprécie pas l'eau de ce puits, il lui en indique simplement une d'une qualité bien supérieure ; il ne dit point que cette eau est vile et méprisable, mais il donne un fait qui est attesté par l'expérience, c'est que celui qui boira de cette eau aura encore soif. — S. AUG. (Traité 15.) Ce qui est très-vrai et de l'eau naturelle et de l'eau allégorique, dont elle est la figure. L'eau, dans le puits, signifie la volupté charnelle dans les profondeurs ténébreuses du siècle : c'est là que les hommes viennent la puiser avec l'urne de la convoitise, car c'est par la convoitise qu'on est poussé à la volupté. Mais lorsque l'homme s'est désaltéré dans les jouissances charnelles, sa soif sera-t-elle apaisée pour toujours ? Il est donc vrai que celui qui boira de cette eau aura encore soif. Mais s'il boit de l'eau que je donne, il n'aura jamais soif ; car comment ceux qui seront enivrés de l'abondance de la maison de Dieu (Ps 35), pourraient-ils encore éprouver le besoin de la soif ? Ce que le Sauveur promettait donc à cette femme, c'était l'effusion surabondante de l'Esprit saint qui devait rassasier son âme. — S. CHRYS. (hom. 32.) Nôtre-Seigneur donne la raison des propriétés merveilleuses de cette eau qui doit étancher la soif à tout jamais : « Mais l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine d'eau vive qui rejaillira jusque dans la vie éternelle, » paroles qui équivalent à celles-ci : Celui qui aurait une source au dedans de lui-même, n'éprouverait jamais le besoin de la soif ; ainsi en sera-t-il de celui qui boira cette eau que je lui donnerai. — THEOPHYL. Car l'eau que je lui donnerai ira toujours en se multipliant ; les saints reçoivent, en effet, de la grâce, le principe et les semences des vertus, mais c'est à eux de les développer et de les faire croître par leurs travaux et par leurs efforts.
S. CHRYS. (hom. 32.) Voyez comme Nôtre-Seigneur élève peu à peu cette femme jusqu'à la hauteur des vérités de la foi chrétienne. Elle a commencé par le regarder comme un juif transgresseur de sa loi. Lorsqu'elle l'entendit parler d'eau vive, elle prit ses paroles dans un sens matériel. Comprenant ensuite leur signification spirituelle, elle crut que cette eau pourrait étancher la soif pour toujours. Cependant elle ne savait pas encore quelle était cette eau, mais elle cherchait à le savoir, persuadée qu'elle était au-dessus des choses sensibles. Aussi écoutez ce qu'elle dit au Sauveur : « Cette femme lui dit : Donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus ici puiser. » Et elle place ainsi Jésus bien au-dessus du patriarche Jacob, dont elle avait cependant une si haute opinion.
S. AUG. (Traité 15.) On peut dire aussi que la Samaritaine se conduisait encore par les inclinations de la chair, elle fut charmée de pouvoir échapper au besoin de la soif, et elle s'imaginait que c'était nue promesse toute matérielle que Nôtre-Seigneur lui avait faite. Dieu avait préservé pendant quarante jours son serviteur Elie de la faim et de la soif. (R 3, 19.) Puisqu'il pouvait en préserver pour quarante jours, ne pouvait-il pas affranchir pour toujours de la nécessité de boire ? Cette promesse sourit à cette femme, et elle prie le Sauveur de lui donner cette eau vive : « Seigneur, donnez-moi cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus ici puiser, » car son indigence l'obligeait à cette fatigue, que sa faiblesse lui faisait repousser. Plût à Dieu qu'elle eût entendu cette douce invitation : « Venez à moi, vous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai ! » (Mt 11) Jésus adressait ces paroles pour la délivrer de tout travail, mais elle ne les comprenait pas encore. Nôtre-Seigneur voulut enfin lui en donner l'intelligence : « Jésus lui dit : Allez, appelez votre mari et venez ici. » Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce que c'est par l'intermédiaire de son mari qu'il voulait lui donner cette eau ? Voulait-il se servir de lui pour lui enseigner ce qu'elle ne comprenait pas suivant la recommandation de l'Apôtre : « Si les femmes veulent s'instruire de quelque chose, qu'elles le demandent à leurs maris dans la maison ? » Mais cela ne doit se faire que lorsqu'on n'a pas le Seigneur lui-même pour maître, car dès lors qu'il était présent, qu'était-il besoin du mari pour enseigner la femme ? Est-ce que le Sauveur employait l'intermédiaire d'un homme pour parler à Marie qui était assise à ses pieds ?
S. CHRYS. (hom. 32.) Aux instances que fait la Samaritaine pour recevoir l'eau qui lui a été promise, Jésus répond : « Appelez votre mari, et comme pour lui faire comprendre qu'il voulait faire participer son mari à la même grâce. Mais cette femme désirait recevoir cette eau sans retard ; elle voulait d'ailleurs cacher la honte de sa vie à Jésus, en qui elle ne voyait qu'un homme : « La femme lui répondit : Je n'ai point de mari. » Le Sauveur profite de cet aveu pour lui découvrir le scandale de sa vie. Il lui rappelle tous ceux qu'elle a eus pour mari, et lui fait un reproche de celui qu'elle cherche en ce moment à dissimuler : « Jésus lui dit : Vous avez raison de dire : Je n'ai point de mari. » — S. AUG. (Traité 15.) Cette femme, en effet, n'avait point alors de mari, et vivait avec je ne sais quel homme dans une union illégitime et scandaleuse, Nôtre-Seigneur le lui rappelle avec une intention particulière et secrète en lui disant : « Vous avez eu cinq maris. »
ORIG. (Traité 13 sur S. Jean.) Examinez s'il ne serait pas possible dans le sens allégorique, de voir dans cette fontaine de Jacob l'ensemble des saintes Ecritures ; l'eau que donne Jésus, ce sont les mystères que contiennent les saintes Ecritures, et qu'il n'est pas donné à tout le monde d'approfondir ; car la lettre de l'Ecriture a été dictée par des hommes, mais ces mystères que l'œil de l'homme n'a point vus, que son oreille n'a point entendus, que le cœur de l'homme n'a point compris, peuvent être reproduits par les Ecritures ; or ils découlent de cette source qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle, c'est-à-dire de l'Esprit saint qui est un esprit de sagesse, et sont révélés à ceux qui ne portent plus en eux-mêmes au cœur d'homme, et qui peuvent dire avec l'Apôtre : « Pour nous, nous avons l'esprit de Jésus-Christ. » (1 Co 2, 16.) Celui donc qui n'entre point dans la profondeur des paroles, peut bien goûter quelques instants de repos, mais pour retomber bientôt dans le doute. Celui, au contraire, qui boit de l'eau que Jésus lui donne, voit jaillir en lui la source de toutes les vérités qu'il cherche à connaître, et à mesure que l'eau s'élève, son âme s'envole à la suite de cette eau qui jaillit jusqu'à la vie éternelle. Cette femme voulait, sans recourir à l'eau de Jacob, parvenir à la vérite à la manière des anges, et par une voie supérieure à celle des hommes ; car les anges n'ont point besoin de l'eau de Jacob pour étancher leur soif, mais chacun d'eux a au dedans de lui une fontaine d'eau qui sort du Verbe et qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle : « Cette femme lui dit donc : Seigneur, donnez-moi cette eau. » Or. ici-bas, il est impossible de recevoir l'eau qui est donnée par le Verbe. sans puiser à la fontaine de Jacob ; aussi lorsque la Samaritaine loi demande cette eau, Jésus semble lui dire qu'il ne peut lui en donner qu'en puisant à la fontaine de Jacob : or Jésus lui dit : Allez, appelez votre mari, et venez ici. » Si nous avons soif, nous ne devons d'abord chercher à nous rafraîchir qu'avec l'eau de la fontaine de Jacob ; car selon la doctrine de l'Apôtre : la loi est comme le mari de l'âme. (Rm 7) — S. AUG. (Liv. des 83 quest., quest. 64.) Dans ces cinq maris, il en est qui voient la figure des cinq livres qui ont été écrits par Moïse ; et ce que Notre-Seigneur ajoute : « Celui que vous avez maintenant n'est pas votre mari, » devrait s'entendre de lui-même. Tel serait donc le sens de ces paroles : « Vous avez d'abord été soumise aux cinq livres de Moïse, comme à cinq maris. Mais maintenant celui que vous avez (c'est-à-dire que vous entendez), n'est pas votre mari, parce que vous ne croyez pas encore en lui. Mais puisqu'elle ne croyait point encore en Jésus-Christ, et qu'elle était encore unie et soumise à ces cinq maris, c'est- à-dire à ces cinq livres, pourquoi le Sauveur lui dit-il : « Vous avez eu cinq maris, » comme si elle avait cessé de les avoir ? D'ailleurs, comment peut-on comprendre qu'il faille rompre avec ces cinq livres pour se soumettre à Jésus-Christ, alors que celui qui croit en Jésus-Christ, loin de renoncer à ces cinq livres, recherche et goûte bien plus vivement le sens spirituel de ces livres ? Il faut donc entendre ces paroles autrement. — S. AUG. (Traité 15.) Jésus, voyant que cette femme ne comprenait pas, et voulant l'amener à comprendre les enseignements qu'il lui adressait : « Appelez, lui dit-il, votre mari, » c'est-à-dire, faites que votre intelligence soit présente. Lorsqu'on effet, la vie est bien réglée, c'est la raison qui dirige ses opérations, la raison qui n'est point quelque chose en dehors de l'âme, mais qui est une des facultés de l'âme. Cette faculté de l'âme qu'on appelle la raison ou l'esprit, est éclairée par une lumière supérieure. Cette lumière s'entretenait avec cette femme, mais l'intelligence lui faisait défaut. Aussi le Sauveur semble lui dire : Je voudrais vous éclairer, et le sujet manque ; appelez donc votre mari, c'est-à-dire faites usage de l'intelligence qui doit vous enseigner, vous conduire ; mais tant qu'elle n'a pas appelé son mari, elle ne peut comprendre. Les cinq premiers hommes peuvent signifier les cinq sens du corps. Car avant que l'homme fasse usage de sa raison, il n'est conduit que par les sens du corps ; mais lorsque l'âme est devenue capable de raison, elle se laisse alors diriger ou par la vérité ou par l'erreur. Or, l'erreur est incapable de diriger, et ne peut qu'égarer. Après avoir obéi à ses cinq sens, cette femme était donc encore dans l'égarement ; l'erreur qu'elle suivait n'était pas son légitime mari, mais un adultère. C'est donc avec raison que le Sauveur lui dit : « Rompez avec cet adultère qui ne peut que vous corrompre, et appelez votre mari pour qu'il vous aide à me comprendre. »
ORIG. (Traité 13 sur S. Jean.) Mais où Jésus pouvait-il mieux convaincre la Samaritaine que l'homme avec qui elle vivait n'était pas son véritable époux, qu'auprès de la fontaine de Jacob ? Si la loi est le mari de l'âme, on peut dire aussi que la Samaritaine, obéissant à une fausse interprétation de la loi, suivait les rites idolâtriques des infidèles. Le Sauveur la rappelle donc au Verbe de vérité, qui devait ressusciter d'entre les morts, pour ne plus mourir.
S. CHRYS. (hom. 31.) Cette femme ne s'offense pas des reproches du Sauveur, elle ne songe pas à le quitter, mais pleine au contraire d'admiration, elle prolonge la conversation pour rester avec lui : « La femme lui dit : Seigneur, je vois que vous êtes un prophète, » c'est-à-dire, les secrets que vous venez de me révéler me prouvent que vous êtes un prophète. — S. AUG. (Traité 15.) Son mari commence à venir, mais il n'est pas encore tout à fait venu. Elle regarde le Seigneur comme un prophète, et il était prophète, en effet, car il a dit de lui-même : « Il n'y a point de prophète sans honneur, si ce n'est dans sa patrie. » — S. CHRYS. (hom. 32.) Dans cette persuasion où elle est, elle ne lui demande aucun des biens de la terre, aucune des chose qui ont rapport à cette vie, elle ne se soucie ni de la santé, ni de l'opulence, ni des richesses, elle ne cherche qu'à s'instruire de la doctrine céleste. Elle, qui ne ressentait d'abord que les atteintes de la soif et n'était occupée que des moyens de la calmer, n'a plus qu'une pensée, celle de connaître la vérité. — S. AUG. Elle entame la discussion par le sujet qui la préoccupait le plus : « Nos pères, dit-elle, ont adoré sur cette montagne, et vous vous dites que Jérusalem est le lieu où il faut adorer. » C'était le grand sujet de dispute entre les Samaritains et les juifs. Les Juifs adoraient Dieu dans le temple bâti par Salomon, et se vantaient par là même d'être supérieurs aux Samaritains. Ceux-ci leur répondaient : Pourquoi vous vanter d'être en possession d'un temple que nous, Samaritains, nous n'avons pas ? Est-ce que nos pères qui, certes, ont été agréables à Dieu, l'ont adoré dans ce temple ? Nous sommes donc bien plus en droit de prier Dieu sur cette montagne où nos pères lui ont offert leurs adorations. — S. CHRYS. (hom. 32.) Ces aieux dont elle invoque l'exemple, c'est Abraham et les patriarches. C'est là, en effet, suivant la tradition, qu'Abraham offrit à Dieu son Fils Isaac. — ORIG. On peut dire encore que les Samaritains regardant comme sainte la montagne de Garizim, près de laquelle Jacob habita, croyaient devoir y offrir à Dieu leurs adorations. Les Juifs, au contraire, pour qui la montagne de Sion était sacrée, la regardaient comme le lieu exclusivement choisi de Dieu pour y recevoir les prières des hommes. Or, comme les Juifs, de qui vient le salut, sont figure de ceux qui n'admettent que la saine doctrine, tandis que les Samaritains sont l'image de ceux qui se livrent à tous les caprices si divers de l'erreur, le mot Garizim, qui veut dire distinction ou division, représente les Samaritains, comme la montagne de Sion, qui signifie lieu d'observation, représente les Juifs.
S. CHRYS. (hom. 32 et 33.) Jésus ne résout pas aussitôt la question qui lui est proposée, mais il élève cette femme à de plus hautes considérations, ce qu'il ne fait cependant que lorsqu'elle eut reconnu qu'il était prophète, afin qu'elle ajoutât une foi entière à ce qu'il allait lui révéler : « Jésus lui dit : Femme, croyez-moi, » etc. Il lui dit : « Croyez-moi, » parce qu'en toute circonstance la foi nous est nécessaire comme la mère de tous les biens, comme l'unique moyen d'arriver au salut, et sans lequel nous ne pouvons avoir la connaissance des grandes vérités du salut. Ceux qui ne s'appuient que sur leurs propres raisonnements, sont semblables à ceux qui essaieraient de traverser la mer sans navire, ils pourront peut-être nager un instant, mais à peine se seront-ils avancés en pleine mer qu'ils seront submergés dans les flots. — S. AUG. (Traité 15.) Le mari de cette femme est présent, le Sauveur peut donc lui dire : « Croyez-moi. » Vous avez on vous celui qui doit croire, vous êtes ici présente par votre intelligence, mais si vous ne croyez point, vous ne comprendrez point. — ALCUIN. Ces paroles : « L'heure vient, » signifient le temps de la doctrine évangélique qui était proche, et où toutes les figure ? devaient disparaître pour céder la place à la vérité qui devait répandre ses plus pures lumières dans l'âme de ceux qui devaient embrasser la foi.
S. CHRYS. (hom. 33 sur S. Jean.) Il était utile que Notre-Seigneur expliquât la raison pour laquelle les patriarches avaient adorer Dieu sur la montagne de Garizim, tandis que les Juifs l'adoraient à Jérusalem ; il n'en dit donc rien, il se contente de lui dire que le culte rendu à Dieu par les Juifs était préférable, non à cause du lieu où ils l'adoraient, mais à cause de l'esprit qui les guidait : « Vous adorez, vous, ce que vous ne connaissez pas, pour nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. » — ORIG. (Traité 14 sur S. Jean.) Ce mot « vous, » littéralement, désigne les Samaritains ; dans le sens allégorique, il s'applique à ceux qui interprètent les Ecritures dans un sens contraire à celui de l'Eglise, ou dont la doctrine est tout autre et par-là même erronée. De même le pronom « nous, » dans le sens littéral, désigne les Juifs, et dans le sens allégorique, le Verbe divin, aussi bien que ceux qui ont avec lui une bienheureuse conformité et qui parviennent au salut par les Ecritures qui sont entre les mains des Juifs. — S. CHRYS. (hom. 33.) Les Samaritains, en effet, adoraient ce qu'ils ne savaient pas, parce qu'ils faisaient de Dieu un être limité par les lieux et comme divisé par parties. Dans leur pensée, il n'était donc point supérieur aux idoles, et c'est pour cela qu'ils mêlaient le culte de la divinité avec celui des démons. Les Juifs, au contraire, étaient affranchis de ces erreurs et connaissaient le seul vrai Dieu de l'univers, comme le déclare Nôtre-Seigneur : « Nous adorons ce que nous savons. » Il se met lui-même au nombre des Juifs pour répondre à l'opinion de cette femme qui le considérait comme un prophète des Juifs, et c'est pour cela qu'il dit : « Nous adorons, » bien qu'il soit évidemment celui qui reçoit les adorations de tous les hommes. Les paroles qui suivent : « Parce que le salut vient des Juifs, » ne signifient autre chose que ce sont les Juifs qui ont conservé dans toute leur pureté toutes les doctrines du salut qui se répandirent ensuite dans tout l'univers comme la connaissance de Dieu, l'horreur pour les idoles et les autres vérités dogmatiques ; notre culte même tire son origine de celui des Juifs. Nôtre-Seigneur appelle sa présence dans le monde le salut, et il dit que ce salut vient des Juifs, selon ces paroles de l'Apôtre : « Eux de qui est sorti selon la chair Jésus-Christ. » (Rm 9) Voyez comme il confirme l'autorité de l'Ancien Testament, qu'il présente comme la source de tous les biens en même temps qu'il démontre qu'il n'est point opposé à la loi. — S. AUG. (Traité 15.) Nôtre-Seigneur accorde beaucoup aux Juifs, en déclarant en leur nom : « Pour nous, nous adorons ce que nous connaissons. » Ce n'est pas toutefois au nom des Juifs infidèles et réprouvés qu'il parle de la sorte, mais au nom de ceux qui ressemblèrent aux Apôtres, aux prophètes et à tous les saints, qui déposaient le prix de leurs biens aux pieds des Apôtres. (Ac 4)
S. CHRYS. (hom. 33.) Les Juifs vous sont donc supérieurs, ô femme, dans le culte qu'ils rendent à Dieu, mais ce culte lui-même touche à sa fin : « Car vient l'heure, (et elle est déjà venue) où les vrais adorateurs adoreront en esprit et en vérité. » Les oracles des prophètes avaient pour objet des événements éloignés, c'est pour cela que Nôtre-Seigneur dit : « Et elle est déjà venue, » pour ne point laisser croire que cette prophétie ne doit s'accomplir que longtemps après. Le fait, dit-il, est proche, et va bientôt se réaliser. Il se sert de cette expression : « Les vrais adorateurs, » pour les distinguer des faux adorateurs, qui ne cherchent dans la prière que les biens terrestres et périssables, ou dont la conduite est en opposition directe avec l'objet de leurs prières. — S. AUG. (hom. 33.) Ou bien par les vrais adorateurs, il veut exclure à la fois les Juifs et les Samaritains, car bien que les Juifs fussent préférables aux Samaritains, cependant ils étaient bien inférieurs à ceux qui devaient leur succéder, et autant que la figure l'est à la vérité : « Les vrais adorateurs sont donc ceux qui ne cherchent point à circonscrire le culte de Dieu dans un seul lieu et qui l'adorent en esprit, à l'exemple de saint Paul, qui disait de lui-même : « Dieu, que je sers en esprit. » — ORIG. (Traité 14.) Nôtre-Seigneur répète deux fois : « L'heure vient. » La première fois, sans ajouter : « La voici, elle est venue ; » la seconde fois, en ajoutant : « Et elle est venue. » Je crois que la première fois, Nôtre-Seigneur veut exprimer l'adoration parfaite de l'âme affranchie du corps dans l'autre vie, et que la seconde fois il veut parler de celle que nous rendons à Dieu dans la vie présente avec toute la perfection possible à la nature humaine. Lors donc que sera venue la première heure prédite par le Sauveur, il nous faudra éviter la montagne des Samaritains et adorer Dieu dans Sion où est Jérusalem, qui est appelée par Jésus-Christ la cité du grand roi. C'est l'Eglise où l'oblation sainte et les victimes spirituelles sont offertes en présence de Dieu par ceux qui ont l'intelligence de la loi spirituelle. Mais lorsque l'ordre des siècles sera révolu, il ne faudra plus songer à rendre le vrai culte à Dieu dans Jérusalem, c'est-à-dire, dans l'Eglise de la terre, car les anges n'adorent pus Dieu dans Jérusalem ; ainsi ceux dont les Juifs n'étaient que la figure, adorent le Père d'une manière bien supérieure à ceux qui habitent Jérusalem. Lorsque cette heure sera venue, chaque fidèle deviendra le fils du Père. C'est pour cela que Nôtre-Seigneur ne dit pas : Vous adorerez Dieu, mais : « Vous adorerez le Père. » Dans la vie présente, les vrais adorateurs adorent Dieu en esprit et en vérité. — S. CHRYS. (hom. 33.) Le Sauveur veut parler ici de l'Eglise, où l'on offre à Dieu l'adoration véritable et la seule digne de lui. C'est pour cela qu'il ajoute : « Car ce sont là les adorateurs que cherche le Père. » Il avait toujours cherché de tels adorateurs, cependant il les laissa s'attacher à leurs anciens rites et à leurs cérémonies figuratives, par condescendance et pour les amener ainsi à la vérité.
ORIG. (Traité 14.) Si le Père cherche de tels adorateurs, c'est par Jésus-Christ qui est venu chercher et sauver ceux qui avaient péri (Lc 19), et c'est par ses divins enseignements qu'il en a fait de véritables adorateurs. Le Sauveur ajoute : « Dieu est esprit d probablement parce qu'il nous conduit à la véritable vie, et que le principe de la vin du corps elle-même vient de l'esprit. — S. CHRYS. (hom. 33.) Ou bien il veut nous apprendre que Dieu est incorporel, et que le culte que nous lui rendons doit l'être également, c'est-à-dire que nous devons lui offrir l'hommage spirituel d'un cœur pur. C'est pour cela qu'il ajoute: « Et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité. » Les Samaritains se souciaient peu de leur âme, et au contraire s'occupaient beaucoup du corps pour lequel ils épuisaient tous les modes de purification. Nôtre-Seigneur enseigne donc à cette Samaritaine que en n'est point par les purifications du corps, mais par la pureté de ce qui est incorporel en nous, c'est-à-dire l'esprit, que nous pouvons rendre au Dieu incorporel un culte digne de lui. — S. HIL. (De la Trin., 3.) Ou bien encore, lorsque Notre-Seigneur enseigne que Dieu qui est esprit doit être adoré en esprit, il nous fait connaître la liberté et la science de ses vrais adorateurs, et l'infinité de leurs adorations, selon ces paroles de l'Apôtre : « Là où est l'esprit de Dieu, là est la liberté. » (2 Co 3, 17.) — S. CHRYS. (hom. 33.) Il faut adorer dans la vérité, parce que les rites et les cérémonies de l'ancienne loi n'étaient que des figures, par exemple, la circoncision, les holocaustes et les ablations de l'encens ; maintenant au contraire tout est vérité. — THEOPHYL. Ou bien encore il ajoute : « Et en vérité » parce qu'il en est beaucoup comme les hérétiques qui s'imaginent adorer Dieu en esprit, tout en se formant de fausses idées de sa divinité. Peut-être même pourrait-on dire que Nôtre-Seigneur a voulu désigner ici les deux parties de la sagesse chrétienne considérées subjectivement ; c'est-à-dire l'action et la contemplation ; l'esprit exprime la vie active selon les paroles de l'Apôtre : « Ceux qui sont poussés par l'esprit de Dieu sont les enfants de Dieu. » (Rm 8, 14.) La vérité est comme l'emblème de la vie contemplative. Ou bien enfin, aux Samaritains qui professaient cette erreur que Dieu était renfermé dans un lieu, et que c'était dans ce lieu qu'il fallait adorer Dieu, Jésus déclare que les vrais adorateurs adoreront en esprit, et non plus en circonscrivant leurs hommages dans un seul lieu ; et aux Juifs pour qui tout était ombre et figure, il enseigne que les vrais adorateurs n'adoreront plus en figure, mais en vérité. Dieu est esprit, il cherche donc des adorateurs spirituels ; il est vérité, il cherche des adorateurs véritables. — S. AUG. (Traité 15.) Vous cherchiez peut-être une montagne pour prier, vous espériez être plus près de Dieu, mais celui qui habite les hauteurs des cieux s'abaisse jusqu'aux humbles ; il vous faut donc descendre pour monter. Ce sont les degrés que le chrétien fidèle dispose dans son cœur dans cette vallée de larmes (Ps 82), qui sont la figure de l'humilité. Vous voulez prier dans un temple, priez en vous-même, mais commencez par devenir le temple de Dieu ?
S. CHRYS. (hom 33.) Cette femme comme fatiguée par la hauteur de ces sublimes enseignements, reste dans la surprise et dans l'étonnement. Elle lui dit donc : « Je sais que le Messie est sur le point de venir, » etc. — S. AUG. (Traité 15.) Le mot grec Christ qui veut dire en latin oint signifie en hébreu Messie. La Samaritaine savait donc déjà que c'était au Messie de l'instruire, mais elle ne connaissait pas encore que le Messie était précisément celui qui dans ce moment l'instruisait sur ce grave sujet. Voilà pourquoi elle ajouta : « Lors donc qu'il sera venu, il nous instruira de toutes choses. » Elle semble dire : Les Juifs disputent dans l'intérêt de leur temple, et nous en faveur de cette montagne, lorsque le Messie viendra, il rejettera cette montagne, il renversera le temple et nous enseignera comment il faut adorer Dieu en esprit et en vérité.
S. CHRYS. (hom. 33.) Mais comment les Samaritains pouvaient-ils attendre l'avènement du Christ ? Ils admettaient la loi de Moïse, et c'était dans les écrits de Moïse qu'ils avaient puisé cette espérance. Jacob en effet avait prophétisé l'avènement du Christ en ces termes : Le sceptre ne sera point ôté de Juda, ni le prince de sa postérité jusqu'à ce que celui qui doit être envoyé soit venu. » (Gn 49, 10.) Moïse lui-même n'avait-il pas dit : « Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères ? » (Dt 18) — ORIG. Il ne faut pas oublier que de même que Jésus a paru au milieu des Juifs, non-seulement en déclarant mais en prouvant qu'il était le Christ, ainsi on vit aussi paraître parmi les Samaritains un certain Dosithée qui prétendait être le Christ prédit par les prophètes. — S. AUG. (Liv. des 83 Quest., quest. 64.) Peut-être est-ce pour confirmer l'explication allégorique qui fait voir les cinq sens du corps dans les cinq maris de cette femme, qu'après les cinq premières réponses qui sont encore charnelles dans leur objet, elle nomme le Christ à la sixième.
S. CHRYS. (hom. 33.) Nôtre-Seigneur ne tarde pas davantage à se révéler à cette femme : « Jésus lui dit : Je le suis, moi qui vous parle. » S'il s'était fait connaître dès le commencement, il eût paru céder à un sentiment de vanité, au contraire, après qu'il a réveillé insensiblement dans l'esprit de cette femme le souvenir du Christ, cette révélation est on ne peut plus opportune. Les Juifs demandèrent un jour au Sauveur : « Si vous êtes le Christ, dites-le nous franchement. » (Jn 10) Mais il ne leur répondit que d'une manière obscure et mystérieuse, parce qu'ils lui faisaient cette demande, non dans le désir de s'instruire et pour croire en lui, mais pour le calomnier, tandis que cette femme parlait dans toute la simplicité de son cœur.
S. CHRYS. (hom. 33.) Les disciples de Jésus arrivèrent justement fort à propos, lorsque cet entretien venait de se terminer : « En même temps, ses disciples arrivèrent, et ils s'étonnaient, » etc. Ils admiraient la douceur et l'excessive bonté du Sauveur, qui si grand qu'il était, daignait s'abaisser jusqu'à s'entretenir si familièrement avec une pauvre femme et une Samaritaine. — S. AUG. (Traité 15.) Ils admiraient la bonté du Sauveur, et se gardaient bien de soupçonner le moindre mal. — S. CHRYS. (hom. 33.) Cependant, malgré leur étonnement, ils ne lui demandent point la raison de cet entretien. « Néanmoins aucun ne dit : Que lui demandez-vous ? ou : Pourquoi parlez-vous avec elle ? » Ils étaient habitués à garder la sage réserve qui convient à des disciples pleins d'une crainte respectueuse pour leur maître. Dans d'autres circonstances, ils l'interrogent avec liberté sur des choses qu'il leur importait de savoir, tandis qu'il n'y avait rien pour eux de personnel dans cet entretien.
ORIG. (Traité 15 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur se sert de cette femme comme d'un apôtre pour évangéliser ses concitoyens, il l'a tellement enflammée par ses paroles du feu sacré du zèle, qu'elle laisse là son urne pour retourner à la ville et raconter tout à ses concitoyens : « La femme alors, laissant là sa cruche, s'en alla dans la ville. » Elle oublie et les soins du corps, et la bassesse apparente de l'office qu'elle remplissait, elle ne voit que l'utilité du plus grand nombre. Ainsi devons-nous oublier et sacrifier nos intérêts corporels, pour nous efforcer de communiquer aux autres les biens que nous avons reçus. — S. AUG. (Traité 15.) Le mot grec ύδρίχ vient de ΰδωρ, qui veut dire eau, et signifie un vase destiné à porter de l'eau. — S. CHRYS. (hom. 34) A l'exemple des apôtres qui avaient quitté leurs filets, cette femme laisse là son urne et remplit l'office d'un évangéliste, et ce n'est pas une seule personne, mais une ville tout entière qu'elle appelle à la connaissance de la vérité : « Elle alla dans la ville, et dit aux habitants : Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'avais fait. » — ORIG. Elle les rappelle à venir voir un homme dont la parole était supérieure à la parole de l'homme. Ce qu'elle avait fait, c'était d'abord d'avoir eu cinq maris, et de vivre ensuite avec un sixième dans un commerce illégitime ; mais elle se sépare de cet homme pour s'attacher à un septième, et au moment où elle laisse son urne, elle a déjà recouvré la pudeur. S. CHRYS. (hom. 34.) Elle n'a point de honte de révéler les désordres de sa vie, car lorsque l'âme est enflammée de l'amour divin, aucune des choses de la terre ne l'arrête plus, elle n'est sensible ni à la gloire, ni à la honte, elle obéit uniquement à la flamme qui la dévore. Cette femme ne prétend pas qu'on la croie sur parole, et elle demande à ses concitoyens de venir se convaincre de leurs yeux et de leurs oreilles de la vérité de la doctrine du Christ. Aussi ne leur dit-elle pas : Venez et croyez, mais : « Venez et voyez, » ce qui était moins décisif ; car elle était persuadée que s'ils approchaient seulement leurs lèvres de cette source divine, ils éprouveraient aussitôt ce qu'elle avait éprouvé elle-même.
ALCUIN. Remarquez qu'elle n'en vient que par degrés à leur annoncer le Christ ; elle ne leur en parle d'abord que comme d'un homme dans la crainte que le nom de Christ ne vînt à les irriter et à les empêcher de venir. — S. CHRYS. (hom. 34.) Voilà pourquoi elle ne dit point d'un ton affirmatif : Cet homme ne peut-être que le Christ ; elle ne s'en tait pas non plus absolument, mais elle dit d'un ton dubitatif « Cet homme ne serait-il pas le Christ ? » Aussi se rendent-ils à son témoignage : « Ils sortirent donc de la ville et vinrent à lui. »
S. AUG. (Liv. des 83 Quest., quest. 64.) Il ne faut point passer légèrement sur cette circonstance que la Samaritaine abandonne sa cruche. Cette cruche signifie la convoitise avec laquelle l'homme puise la volupté charnelle des profondeurs ténébreuses du cœur, comme d'un puits obscur, c'est-à-dire de la vie de la terre et des sens. Mais dès lors qu'elle croit en Jésus-Christ, elle doit renoncer au monde, et en laissant son urne, montrer qu'elle renonce à la convoitise du monde. — S. AUG. (Traité 15.) Elle s'est dépouillée de sa convoitise pour être plus libre d'annoncer et de prêcher la vérité, et apprend ainsi à tous ceux qui veulent annoncer l'Evangile à laisser d'abord près du puits l'urne de la convoitise. — ORIG. Aussitôt qu'elle a ouvert son cœur à la véritable sagesse, elle fait peu de cas de tout ce qu'elle aimait auparavant et se hâte de s'en dépouiller.
S. AUG. (Traité 15.) Les disciples avaient été acheter des provisions, et ils étaient revenus. Cependant ses disciples le pressaient en disant : « Maître, mangez, » — S. CHRYS. (hom. 34.) Ils le voyaient fatigué tout à la fois de la route et de la chaleur, et ils le pressent simplement et familièrement de manger, ce n'était point témérité de leur part, mais une preuve de leur affection pour leur maître. — ORIG. Ils désirent qu'il profite pour manger du temps qui devait s'écouler entre le départ de cette femme et l'arrivée des Samaritains, car ils n'avaient pas l'habitude de lui servir sa nourriture devant des étrangers, c'est pour cela que l'Evangéliste dit expressément : « Pendant ce temps-là. »
THEOPHYL. Le Seigneur qui savait que la Samaritaine allait lui amener tous les habitants de la ville, voulut l'apprendre à ses disciples : « Mais il leur dit : J'ai une nourriture à manger que vous ne connaissez pas. » — S. CHRYS. (hom 34.) Il parle ici du salut des hommes comme d'une nourriture pour nous faire comprendre le grand désir qu'il a de notre salut. Il le désire aussi vivement qu'il nous est naturel de désirer la nourriture. Mais remarquez qu'il ne révèle pas aussitôt cette vérité, il fait naître le doute dans l'esprit de ses auditeurs, pour qu'ils embrassent avec plus d'ardeur la vérité qui a été de leur part l'objet de sérieuses recherches. — THEOPHYL. Il dit : « Que vous ne connaissez pas, » c'est-à-dire vous ne savez pas que le salut des hommes est pour moi une véritable nourriture, ou vous ne savez pas que les Samaritains doivent embrasser la foi et être sauvés. Les disciples étaient encore dans le doute sur le véritable sens de ces paroles : « Et les disciples se disaient l'un à l'autre : Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger ? » — S. AUG. (Traité 15.) Quoi d'étonnant que cette femme n'ait pas compris la nature de l'eau que Jésus voulait lui donner, alors que ses disciples eux-mêmes ne comprennent pas quelle est cette nourriture dont il leur veut parler ? — S. CHRYS. (hom. 34.) Ils donnent ici une preuve de leur respect habituel pour leur maître, ils se font cette demande entre eux, mais ils n'osent l'interroger lui-même. — THEOPHYL. De ces paroles : « Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger ? » nous concluons légitimement que Nôtre-Seigneur avait coutume de recevoir les aliments qu'on lui offrait, non sans doute qu'il eût besoin du secours d'autrui, lui qui donne la nourriture à toute chair (Ps 146), mais pour donner à ceux qui lui faisaient cette offrande l'occasion d'une action méritoire. Il nous apprenait en même temps à ne point rougir de la pauvreté, comme aussi à ne point regarder comme une humiliation d'être nourri par les autres, car c'est une nécessité inhérente à la condition des docteurs de se décharger sur les autres du soin de pourvoir à leur nourriture pour s'occuper exclusivement du ministère de la parole.
S. AUG. (Traité 15.) Le Seigneur entendit pour ainsi dire les pensée de ses disciples, et il les instruit en maître directement et ouvertement sans prendre de circuits comme il l'avait fait avec la Samaritaine : « Jésus leur dit : Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé. » — ORIG. La nourriture qui convient au Fils de Dieu c'est d'accomplir la volonté de son Père, en se proposant pour règle de ses actions les décrets de cette volonté divine. Or, le Fils de Dieu peut seul accomplir dans sa perfection la volonté du Père. Les autres saints conforment toutes leurs actions à cette volonté, mais celui-là seul l'accomplit dans toute sa perfection qui a dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé. » C'est la nourriture qui lui est exclusivement propre. Mais quelle est la volonté du Père ? C'est, ajoute Nôtre-Seigneur, d'accomplir son œuvre. En effet, pour parler simplement, dans un ouvrage quelconque, l'œuvre qui est commandée est lu fait de celui qui commande, c'est ainsi que nous disons de ceux qui construisent une maison ou creusent la terre, qu'ils exécutent l'œuvre de celui qui les a pris à son service. Mais si l'œuvre de Dieu est parfaitement accomplie par Jésus-Christ, elle était donc imparfaite auparavant, et comment admettre l'imperfection dans l'œuvre de Dieu ? L'accomplissement parfait de cette œuvre, c'était le perfectionnement de la créature raisonnable, et c'est pour donner toute sa perfection à cette oeuvre imparfaite que le Verbe s'est fait chair et qu'il a habité parmi nous. Nous disons donc que l'homme avait été créé dans un certain état de perfection, il en est déchu par sa faute, et le Seigneur a été envoyé d'abord pour accomplir la volonté de celui qui l'avait envoyé, et en second lieu, pour consommer l'œuvre de Dieu, afin que tout chrétien puisse parvenir à la perfection nécessaire pour participer à une nourriture plus solide. — THEOPHYL. Le Fils de Dieu donne encore à l’oeuvre de Dieu, c'est-à-dire à l'homme, toute sa perfection en montrant en lui-même notre nature pure de tout péché, parfaite dans toutes ses actions et affranchie de la corruption. Il accomplit aussi dans sa perfection l'œuvre de Dieu, c'est-à-dire la loi, parce que Jésus-Christ est la fin de la loi (Rm 10) ; il fait cesser le règne de la loi, en accomplissant toutes les figures qu'elle contenait, et en substituant aux cérémonies extérieures de la loi un culte vraiment spirituel.
ORIG. Dans le sens mystique, après l'entretien que le Sauveur venait d'avoir sur la boisson de l'âme, et ses divins enseignements sur l'eau toute spirituelle qu'il devait lui donner, il était naturel de parler de la nourriture. La Samaritaine à qui Nôtre-Seigneur demandait à boire, ne pouvait lui offrir une boisson digne de lui ; les disciples qui n'avaient trouvé chez ces étrangers que des aliments bien ordinaires, les présentent à Jésus en le pressant de manger. Ne pourrait-on pas dire que les disciples craignent que le Verbe de Dieu n'étant point suffisamment soutenu par la nourriture qui lui est propre ne vienne à tomber en défaillance. Ils proposent donc au Verbe de se nourrir de tous les aliments qu'ils trouvent et qu'ils lui présentent, espérant ainsi le conserver au milieu d'eux en lui donnant la nourriture qui doit il soutenir et le fortifier. Mais les corps qui ne peuvent se soutenir que par la nourriture n'ont pas tous besoin des mêmes aliments, ni de la même quantité d'aliments, il en est de même dans les choses spirituelles. Parmi les âmes, il en est qui demandent une nourriture plus abondante, d'autres ont besoin d'une quantité beaucoup moins considérable, parce que leur capacité est différente, et qu'elles n'ont, pour ainsi parler, ni les mêmes proportions, ni la même mesure. Il faut dire la même chose des discours et des pensées de haute perfection qui ne peuvent convenir indifféremment à toutes les âmes ; les enfants nouvellement nés désirent le lait spirituel et pur qui doit les faire croître pour le salut. (1 P 2) Mais ceux qui sont parfaits demandent une nourriture plus solide. (He 5) Nôtre-Seigneur exprime donc une vérité certaine en disant : « J'ai une nourriture à manger, que vous ne connaissez pas, » et tout homme qui se trouve placé au-dessus des infirmes et qui ne peuvent se nourrir des mêmes considérations que les âmes fortes, peut s'appliquer ces mêmes paroles.
S. CHRYS. (hom. 34.) Nôtre-Seigneur explique à ses disciples quelle est cette volonté du Père dont il vient de parler : « Ne dites-vous pas : Encore quatre mois et la moisson sera venue. » — THEOPHYL. C'est-à-dire la moisson matérielle. Mais moi, je vous dis que le temps de la moisson spirituelle est venu. Il parlait ainsi à la vue des Samaritains qui venaient à lui ; c'est pour cela qu'il ajoute : « Levez les yeux et voyez les champs qui déjà blanchissent pour la moisson. » — S. CHRYS. (hom. 34.) Il se sert des choses les plus ordinaires pour les élever à la considération des vérités les plus sublimes ; les champs et la moisson sont ici la figure des âmes qui sont prêtes à recevoir la parole de la prédication. Les yeux sont ici tout à la fois les yeux du corps et de l'âme, car les disciples voyaient en effet les Samaritains qui accouraient en foule. La comparaison qu'il fait des dispositions de ces hommes avec les champs qui blanchissent, est des plus justes, car de même que les épis blanchis n'attendent plus que la faux du moissonneur, ainsi ces hommes sont prêts à recevoir le salut. Mais pourquoi Jésus ne dit-il pas clairement et sans figure qu'ils sont disposés à recevoir la prédication de l'Evangile ? Pour deux raisons : premièrement, pour rendre cette vérité plus saillante en la plaçant pour ainsi dire sous les yeux ; secondement, pour donner plus de charme à son récit et en rendre le souvenir plus durable.
S. AUG. (Traité 15.) Le Sauveur brûlait du désir d'accomplir son œuvre ; et avait hâte d'envoyer des ouvriers recueillir cette moisson. C'est pour cela qu'il ajoute : « Celui qui moissonne, reçoit sa récompense, et recueille le fruit pour la vie éternelle, et ainsi celui qui sème se réjouit comme celui qui moissonne. » — S. CHRYS. (hom. 34.) Nôtre-Seigneur établit ici clairement la distinction qui sépare les choses de la terre des biens du ciel ; il avait dit précédemment de l'eau qu'il voulait donner : « Celui qui boit cette eau, n'aura plus soif, » et ici : « Celui qui moissonne reçoit sa récompense et recueille le fruit pour la vie éternelle, » et encore : « Et ainsi celui qui sème se réjouit comme celui qui moissonne. » Les prophètes ont répandu la semence, mais ce sont les apôtres qui ont moissonné, comme il va bientôt le dire : « L'un sème et l'autre moissonne. » Il ne faut pas croire cependant que les prophètes qui ont semé n'aient point de part à la récompense ; c'est pour éloigner cette idée que Nôtre-Seigneur donne une raison qui n'a point son application dans les choses sensibles. Dans le cours ordinaire de la vie, s'il arrive que l'un sème et que l'autre moissonne, la joie n'est pas égale pour tous deux. Ceux qui ont semé s'attristent d'avoir travaillé pour les autres, et ceux qui moissonnent sont les seuls à se réjouir. Il n'en est pas de même ici, ceux qui ont semé ne moissonnent pas, et cependant ils partagent la joie de ceux qui moissonnent, et reçoivent la même récompense. — S. AUG. (Traité 15.) Les Apôtres et les prophètes ont travaillé à des époques bien différentes, mais ils auront part à la même joie, et recevront tous pour récompense la vie éternelle.
S. CHRYS. (hom. 34.) Pour appuyer ce qu'il vient de dire, Nôtre-Seigneur rappelle le proverbe suivant : « Ici ce que l'on dit d'ordinaire est vrai, l'un sème et l'autre moissonne, » C'était un proverbe que l'on citait, lorsqu'on voyait les uns supporter toutes les fatigues, et d'autres venir moissonner tous les fruits. Mais ce proverbe a surtout ici son application, parce que les prophètes ont travaillé et que vous moissonnez les fruits de leurs travaux, comme le Sauveur l'ajoute : « Je vous ai envoyés moissonner où vous n'avez pas travaillé. » — S. AUG. (Traité 18.) Quoi donc ? Nôtre-Seigneur envoie des moissonneurs et non pas des semeurs. Et où envoie-t-il des moissonneurs ? Là où les prophètes avaient déjà répandu la semence. Lisez leurs travaux, et dans tous ces travaux vous trouverez une prophétie du Christ. La moisson était donc prête à recueillir, lorsque tant de milliers d'hommes offraient le prix de leurs biens (Ac 4), et le déposaient aux pieds des Apôtres, heureux de se décharger du fardeau des biens de la terre pour suivre plus librement Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. Quelques grains de cette moisson ont été jetés dans la terre, et ont ensemencé l'univers tout entier ; il en est sorti une antre moisson qui ne doit point être recueillie par les Apôtres, mais par les anges : « Les moissonneurs, dit-il ailleurs, sont les anges. » (Mt 13) — S. CHRYS. (hom. 34.) Il dit donc à ses disciples : « Je vous ai envoyés moissonner où vous n'avez pas travaillé, » c'est-à-dire, je vous ai réservé le travail où la fatigue est beaucoup moindre que la joie et le plaisir, et j'ai chargé les prophètes de ce qu'il y avait de plus pénible, c'est-à-dire de répandre la semence , et n'est ainsi que « d'autres ont travaillé et que vous êtes entrés dans leurs travaux. » Il veut ainsi nous prouver que la volonté des prophètes et le but que se proposait la loi étaient que tous les hommes vinssent se ranger autour de lui, et ils ont semé dans l'intention de préparer cette moisson. Il prouve en même temps que c'est lui qui a envoyé les prophètes, et l'étroite union qui existe entre l'Ancien et le Nouveau Testament.
ORIG. (Traité 15 sur S. Jean.) On peut encore donner de tout ce passage, l'explication suivante. Si rien ne s'oppose à ce qu'on entende dans un sens allégorique ces paroles : « Levez les yeux, » etc., n'est-il pas permis d'entendre dans le même sens les paroles qui précèdent immédiatement : « Ne dites-vous pas : Encore quatre mois, et la moisson sera venue ? » Or, voici l'explication qu'on pourrait donner de ces paroles des disciples : « Encore quatre mois, et la moisson sera venue. » Un grand nombre des disciples du Verbe, c'est-à-dire du Fils de Dieu, qui considèrent que la vérité est incompréhensible à la nature humaine, n'ont pas plus tôt découvert qu'il y avait une vie différente de la vie présente qui est soumise à la corruption des quatre éléments, qui sont comme autant de mois, qu'ils croient ne parvenir qu'après cette vie seulement à la connaissance de la vérité. Les disciples disent donc de la moisson, qui est le terme de tous les efforts qui tendent à la vérité, qu'elle se fera après qu'aura cessé la domination des quatre éléments. Le Verbe incarné redresse dans leur esprit cette pensée qui n'est pas conforme à la vérité, en leur disant : « Ne dites-vous pas : Encore quatre mois et la moisson vient. Et moi je vous dis : « Levez les yeux. » Dans plusieurs endroits de l'Ecriture, le Verbe divin nous fait cette recommandation d'élever nos pensées qui se traînent ordinairement sur les choses de la terre, et qui ne peuvent s'en affranchir sans le secours de Jésus. Nul, en effet, ne peut obéir à ce commandement, s'il reste l'esclave de ses passions et d'une vie sensuelle, il ne verra point les champs blanchis pour la moisson. Or, les champs blanchissent, lorsque le Verbe de Dieu répand sa lumière sur toutes les parties de l'Ecriture, auxquelles l'avènement de Jésus donne tonte leur fécondité. Toutes les choses sensibles elles-mêmes sont comme des champs blanchis pour la moisson, pour ceux qui élèvent les yeux, lorsque la raison nous montre dans chaque objet créé l'éclat de la vérité qui se trouve répandue sur toutes choses. (Traité 16.) Celui qui recueille ces moissons spirituelles a un double avantage, le premier, lorsqu'il reçoit sa récompense : « Et celui qui moissonne, reçoit une récompense, » c'est-à-dire la récompense future : « Et il recueille le fruit pour la vie éternelle, » ce qui exprime une disposition précieuse dé l'intelligence, qui est le fruit de la contemplation elle-même. Dans toute doctrine, je pense, celui qui pose les principes est celui qui sème ; d'autres à leur tour prennent ces principes, les méditent, les fécondent par de nouvelles considérations, et procurent ainsi à leurs descendants l'avantage de moissonner et de recueillir des fruits qui sont parvenus à leur maturité. C'est surtout dans l'art des arts que nous pouvons voir l'application de cette vérité. Ceux qui ont semé, c'est Moïse et les prophètes qui ont prédit l'avènement du Christ ; les moissonneurs sont les Apôtres qui ont reçu Jésus-Christ et contemplé sa gloire. La semence, c'est la connaissance que nous donne la révélation du mystère qui a été caché et comme enseveli dans le silence des siècles passés ; les champs sont les livres de la loi et des prophètes qui n'avaient point leur clarté, pour ceux qui n'étaient point capables de comprendre l'avènement du Verbe. Celui qui sème et celui qui moissonne partageront la même joie, lorsque dans la vie future le chagrin et la tristesse auront complètement disparu. C'est ce qui a commencé à se réaliser, lorsque Jésus fut transfiguré dans la gloire, et que les moissonneurs Pierre, Jacques et Jean, et les semeurs, Moïse et Elie se livraient à une joie commune en voyant la gloire du Fils de Dieu. Examinez cependant si ces mêmes paroles : « Autre est celui qui sème, et autre celui qui moissonne, » ne peuvent pas s'entendre des temps différents dans lesquels les hommes ont été justifiés, lorsqu'ils étaient les uns disciples de l'Evangile, les autres simples observateurs de la loi. Les uns et les autres ont part cependant à la même joie, car c'est la même fin que se propose un seul et même Dieu, par le même Jésus-Christ et dans un même Esprit. Les Apôtres sont entrés dans les travaux des prophètes et de Moïse, ils les ont moissonnés d'après les instructions de Jésus, en recueillant dans leurs greniers, c'est-à-dire dans leur intelligence, les vérités cachées dans les écrits de Moïse et des prophètes. Ceux qui recueillent les fruits d'une doctrine déjà semée, ont un partage plus éclatant, mais sont loin de travailler autant que ceux qui ont répandu la semence.
ORIG. (Traité 13 sur S. Jean.) Après avoir rapporté les paroles de Jésus à ses disciples, l'Evangéliste continue son récit, en racontant la conversion des habitants de cette ville qui vinrent trouver Jésus, et crurent en lui par le témoignage de cette femme. — S. CHRYS. (hom. 34.) Tout se fait ici avec autant de facilité qu'au temps de la moisson, les gerbes sont promptement recueillies, et en un instant l'aire de la grange en est remplie : « Or, beaucoup de samaritains de cette ville entrent en lui, » etc. Ils voyaient bien que ce n'était point par un sentiment naturel que cette femme était pleine d'admiration pour celui qui lui avait reproché ses désordres et qu'elle avait reconnu en lui les caractères d'une grandeur et d'une supériorité incontestables. — S. CHRYS. (hom. 35.) Ce fut donc sur le seul témoignage de cette femme, et sans avoir vu aucun miracle, qu'ils sortirent de la ville, et prièrent Jésus de rester au milieu d'eux. Les Juifs, au contraire, témoins de tant de miracles, non-seulement ne cherchèrent point à le retenir au milieu d'eux, mais mirent tout en œuvre pour le chasser de leur pays. Rien de plus mauvais, en effet, que l'envie et la jalousie, rien de plus pernicieux que la vaine gloire qui corrompt et détruit tous les biens qu'elle touche. Les Samaritains voulaient le retenir toujours auprès d'eux, mais il ne se rendit pas à leurs désirs, il demeura seulement deux jours avec eux : « Et il y demeura deux jours. »
ORIG. On pourrait demander avec assez de raison comment le Sauveur a pu rester deux jours avec les Samaritains, qui l'en avaient prié, lui qui avait défendu à ses disciples d'entrer dans les villes des Samaritains. (Mt 10) Et il est évident que les disciples y entrèrent avec lui. Nous répondons que marcher dans la voie des nations, c'est se laisser gagner par les croyances des nations, et en faire la règle de sa conduite, et qu'entrer dans les villes des Samaritains, c'est adhérer à la fausse doctrine de ceux qui admettent la loi, les prophètes, les évangiles et les écrits des Apôtres ; mais lorsqu'ils abandonnent leur doctrine personnelle pour venir trouver Jésus, il est alors permis de demeurer avec eux.
S. CHRYS. (hom. 35.) Les Juifs, malgré tous les miracles dont ils furent témoins, demeurèrent dans leur incrédulité, tandis que les Samaritains, sans avoir vu aucun miracle, et après avoir entendu seulement Jésus, manifestèrent en lui une foi vraiment extraordinaire : « Et un plus grand nombre crurent en lui pour avoir entendu ses discours. » Pourquoi donc les Evangélistes ne nous ont-ils pas rapporté ces discours ? Pour vous apprendre qu'ils ont passé sous silence bien des choses importantes ; ils vous font toutefois comprendre la puissance de ces discours, puisqu'ils ont persuadé tous les habitants de cette ville. Là, au contraire, où les auditeurs ne se laissent point persuader, les Evangélistes sont comme obligés de reproduire les discours du Sauveur, pour montrer que ce défaut de persuasion ne doit pas être imputé à l'insuffisance de la parole, mais aux mauvaises dispositions dès auditeurs. Or, les Samaritains, devenus les disciples de Jésus-Christ, ne veulent plus de cette femme pour les instruire : « Et ils disaient à la femme : Maintenant ce n'est plus sur ce que vous avez dit que nous croyons ; car nous-mêmes nous l'avons entendu, et nous croyons qu'il est vraiment le Sauveur du monde. » Voyez comme ils comprennent aussitôt qu'il était venu délivrer l'univers, et que voulant opérer le salut de tous les hommes, il ne devait pas renfermer son action dans la Judée, mais répandre partout la semence de sa parole. En le proclamant le Sauveur du monde, ils prouvent encore que le monde était perdu, et plongé dans un abîme de maux. Les prophètes et les anges étaient venus aussi en qualité de sauveurs, mais le seul vrai Sauveur est celui qui donne le salut, non-seulement pour le temps, mais pour l'éternité. Voyez encore comme malgré la question de cette femme qui semble renfermer quelque doute : « Ne serait-il point le Christ ? » ils ne disent point : Nous soupçonnons, mais : « Nous savons. » Ils vont plus loin, et reconnaissent qu'il est vraiment le Sauveur du monde, c'est-à-dire qu'il n'est pas un sauveur ordinaire comme l'ont été tant d'autres. Ils s'expriment de la sorte pour l'avoir entendu seulement parler, que n'auraient-ils pas dit à la rue des miracles si nombreux et si extraordinaires qu'il opérait ?
ORIG. Si nous nous rappelons ce qui précède, nous n'aurons point de peine à comprendre qu'après avoir trouvé la parole de vérité, ces Samaritains abandonnent toute autre doctrine, et sortent de la ville de leurs anciennes croyances pour embrasser la foi qui conduit au salut. Aussi est-ce avec intention, je pense, que l'Evangéliste ne dit pas : Les Samaritains le prièrent d'entrer dans la Samarie ou dans leur ville, mais : « Ils le prièrent de demeurer dans leur pays. » Jésus demeure toujours avec ceux qui l'en prient, et surtout lorsqu'ils sortent de leur ville et viennent le trouver. — S. AUG. (Traité 15.) Il demeure deux jours avec eux, c'est-à-dire qu'il leur donne les deux préceptes de la charité. — ORIG. Ils n'étaient pas encore dignes de voir son troisième jour, car ils ne désiraient point voir de choses extraordinaires, comme les disciples qui se trouvèrent avec Jésus aux noces de Cana, en Galilée, trois jours après que Jésus les eut appelés à sa suite. (Jn 2) Plusieurs d'entre eux durent le commencement de leur foi à la parole de cette femme qui leur' attestait que Jésus lui avait dit tout ce qu'elle avait fait, mais le progrès de cette foi et le nombre beaucoup plus considérable de ceux qui crurent ensuite furent l'œuvre des enseignements du Sauveur lui-même ; car la connaissance du Verbe ou Fils de Dieu, qui est due à un témoignage extérieur, n'est jamais aussi parfaite que celle qu'il répand avec toutes ses clartés dans l'âme de celui qu'il daigne instruire lui-même.
S. AUG. (Traité 15.) Les Samaritains connurent donc Jésus-Christ, d'abord par ce qu'ils entendirent raconter de lui, et ensuite par ce qu'ils virent de leurs yeux. Il tient encore aujourd'hui la même conduite à l'égard de ceux qui sont en dehors de l'Eglise et ne sont pas encore chrétiens. Ce sont les amis de Jésus-Christ, déjà chrétiens eux-mêmes, qui commencent à le faire connaître, et c'est sur le témoignage de cette femme, c'est-à-dire, de l'Eglise, qu'ils viennent le trouver. Ils croient donc d'abord par l'intermédiaire de cette femme, mais sur le témoignage même du Sauveur, un bien plus grand nombre croit et d'une foi plus parfaite qu'il est vraiment le Sauveur du monde. — ORIG. Il est impossible que l'effet produit sur l'intelligence, par ce que l'on voit soi-même, ne sont pas supérieur à l'impression produite par le témoignage d'un témoin oculaire, et il vaut beaucoup mieux avoir l'espérance que la foi pour guide, c'est pour cela que les habitants de cette ville croient non-seulement sur un témoignage humain, mais sur le témoignage de la vérité elle-même.
S. AUG. (Traité 16.) Après avoir passé deux jours dans la Samarie, Jésus s'en alla en Galilée, où il avait été élevé : « Deux jours après il sortit de ce lieu, » etc. Il nous parait surprenant que l'Evangéliste ajoute : « Car Jésus lui-même a rendu ce témoignage qu'un prophète n'est point honoré dans sa patrie, » il semble qu'il eût été plus logique de dire qu'un prophète n'est point honoré dans sa patrie, s'il avait évité d'aller dans la Galilée et qu'il fût resté dans la Samarie. Voici à mon avis l'explication de cette difficulté : Jésus ne resta que deux jours dans Samarie, et tous les Samaritains crurent en lui ; il prolonge son séjour dans la Galilée, et les Galiléens refusèrent de croire en lui, et c'est ce qui lui fait dire qu'un prophète est sans honneur dans sa sa patrie. — S. CHRYS. (hom. 35.) On peut dire encore que l'Evangéliste ajoute cette réflexion, parce que le Sauveur ne se rendit pas à Capharnaüm, mais dans la Galilée, et de là dans la ville de Cana ; car la patrie dont il est ici question est Capharnaüm, et pour se convaincre qu'il n'y reçut aucun honneur, il suffit de se rappeler les paroles qu'il a prononcées lui-même : « Et toi, Capharnaüm, qui t'es élevée jusqu'au ciel, tu seras abaissé jusqu'aux enfers. » (Mt 11) L'Evangéliste appelle la patrie du Sauveur le lieu où il paraît avoir passé la plus grande partie de sa vie.
THEOPHYL. On peut donner encore cette explication : Jésus, en sortant de la ville de Samarie se rend dans la Galilée, il pouvait donc paraître étonnant qu'il n'y restât pas plus longtemps, l'Evangéliste en donne la raison, c'est qu'il n'y était nullement honoré, ce qu'il déclare on ces termes : « Un prophète n'est point honoré dans sa patrie. »
ORIG. Approfondissons davantage cette parole. La Judée était la patrie des prophètes, et personne n'ignore qu'ils n'ont reçu des Juifs aucun honneur, comme l'atteste Nôtre-Seigneur loi-même : « Quel est celui des prophètes que vos pères n'ont point persécuté ? » La vérité de ce proverbe est d'autant plus frappante qu'il ne s'applique pas seulement aux saints prophètes qui ont été méprisés par leurs compatriotes, et à Nôtre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, mais qu'il s'étend à certains philosophes qui n'ont recueilli de leurs concitoyens que le mépris, les mauvais traitements et la mort même.
S. CHRYS. (hom. 35.) Quoi donc ? Est-ce que nous ne voyons pas un certain nombre d'hommes qui ont excité l'admiration de leur concitoyens ? Oui, sans doute, mais il ne faut pas prendre l'exception qui arrive rarement comme règle générale. D'ailleurs, s'ils ont été honorés dans leur patrie, ils l'eussent encore été davantage dans un autre pays, car l'habitude et la familiarité engendrent ordinairement le mépris : Lorsque Jésus fut arrivé dans la Galilée, il fut donc accueilli par les Galiléens, comme le remarque l'Evangéliste. Vous voyez que ce sont ceux qui étaient considérés comme plus mauvais qui se pressent le plus d'approcher de Jésus. N'est-ce pas en effet des Galiléens qu'il est dit : « Interrogez et voyez si jamais il s'est élevé un prophète dans la Galilée. » Quant aux Samaritains, on faisait un reproche au Sauveur de ses rapports avec eux : « Vous êtes un Samaritain et un possédé du démon. » (Jn 18) Or, voilà que les Samaritains et les Galiléens ont embrassé la foi à la grande confusion des Juifs. Les Galiléens paraissent même supérieurs aux Samaritaine car ces derniers n'ont cru que sur le témoignage d'une femme, tandis que la foi des Galiléens s'est appuyée sur les miracles que le Sauveur avait opérés sous leurs yeux : « Les Galiléens l'accueillirent, ayant vu tout ce qu'il avait fait à Jérusalem pendant la fête. » — ORIG. Ce que Nôtre-Seigneur avait fait en chassant du temple ceux qui vendaient des brebis et des bœufs, leur avait paru tellement extraordinaire, qu'ils l'accueillirent avec empressement, encore sous l'impression de sa puissance, qui n'avait pas moins éclaté, en effet, dans cette circonstance, que lorsqu'il rendait la vue aux aveugles et l'ouïe aux sourds. Je suppose d'ailleurs qu'ils furent encore témoins d'autres miracles.
BEDE. Mais comment purent-ils être témoins de ces miracles ? parce qu'eux aussi étaient venus à cette fête. Nous voyons ici en figure que lorsque les nations auront été affermies dans la foi par les deux préceptes de la charité, Jésus-Christ, à la fin du monde, retournera dans sa patrie, c'est-à-dire, vers les Juifs. — ORIG. Il est convenable que la Galilée (c'est-à-dire celle qui émigre), vienne célébrer les fêtes à Jérusalem, où est le temple de Dieu, et voir tous les prodiges qu'y opère Jésus, car l'ordre exige que les Galiléens reçoivent le Fils de Dieu qui rient les trouver, sans quoi, ou ils ne l'auraient pas reçu, ou lui-même ne serait pas venu au milieu d'eux s'ils n'avaient été préparés à le recevoir.
S. CHRYS. (hom. 35.) Nôtre-Seigneur était venu une première fois à Cana, en Galilée, où il était invité à assister à des noces ; il retourne maintenant dans cette ville pour l'attirer davantage à lui par cette démarche toute volontaire qu'il fait en quittant sa patrie, et pour affermir par sa présence la foi que son premier miracle avait commencé de former dans le cœur de ses habitants. — S. AUG. (Traité 16.) Lorsqu'il changea l'eau en vin dans cette circonstance, ses disciples crurent en lui, la maison était pleine de convives, et cependant à la vue d'un si grand miracle, aucun autre ne crut à sa puissance divine. Il revient donc dans cette ville pour amener à la foi ceux que son premier miracle n'avait pu déterminer à croire. — THEOPHYL. L'Evangéliste nous rappelle le miracle qu'il fit à Cana, en Galilée, en changeant l'eau en vin, pour ajouter à la gloire de Jésus-Christ, parce qu'en effet ce ne fut pas seulement à cause des miracles dont ils furent témoins à Jérusalem, mais par suite des prodiges qui s'accomplirent au milieu d'eux qu'ils accueillirent Nôtre-Seigneur. Il veut nous apprendre en même temps que cet officier croyait en Jésus-Christ depuis le miracle de Cana, bien qu'il ne connût point parfaitement sa dignité : « Or, il y avait à Capharnaüm un officier du roi dont le fils était malade. »
ORIG. Quelques-uns pensent que cet homme était un des officier d'Hérode, et d'autres affirment qu'il était dé la maison de César, et qu'il avait été envoyé en mission particulière en Judée, car on ne dit pas qu'il fut juif. — S. CHRYS. (hom. 35.) L'Evangéliste lui donne le nom de Régulus, officier royal, soit qu'il fût de race royale, soit qu'il fût revêtu de quelque haute dignité qui lui faisait donner ce titre. Il en est qui pensent que cet officier est le même que le centenier dont parle saint Matthieu (Mt 8, 5). Mais tout prouve que ce sont deux personnages différents. Le centenier prie Jésus de ne pas venir dans sa maison, alors que le Sauveur se disposait à y aller, cet officier, au contraire, veut l'entraîner chez lui sans que Nôtre-Seigneur le lui ait promis. Le premier vint trouver Jésus, alors qu'il descendait de la montagne et qu'il entrait à Capharnaüm, celui-ci, lorsque le Sauveur était dans la ville de Cana. Le serviteur de l'un était paralytique, le fils du second était atteint d'une fièvre mortelle. C'est donc de l'officier royal que l'Evangéliste dit : « Ayant appris que Jésus arrivait de Judée en Galilée, il l'alla trouver et le pria de descendre en sa maison, » etc. — S. AUG. Il priait, il n'avait donc pas la foi ? Quelle explication attendez-vous de moi ? Demandez au Seigneur lui-même ce qu'il pense de cet homme : « Jésus lui dit : Si vous ne voyez des signes et des prodiges vous ne croyez pas. » Il reproche à cet homme sa tiédeur, sa froideur dans la foi, peut-être même son absence complète de foi ; il n'avait qu'un désir la guérison de son fils comme une épreuve certaine de ce qu'était Jésus, de sa dignité, de sa puissance. Le mot prodige (prodigium comme porro dictum), signifie une chose qui date de loin, qui est éloignée et qui annonce un événement futur.
S. AUG. (de l'accord des Evang., 4, 10.) Nôtre-Seigneur veut tellement élever l'âme de ses fidèles au-dessus de toutes les choses soumises à la mutabilité, qu'il ne veut pas leur voir rechercher des miracles, où sa divinité est le premier et le principal agent, mais qui portent sur de simples changements opérés dans les corps. — S. GREG. (hom. 28 sur les Evang.) Rappelez-vous l'objet de la prière de cet officier, et vous connaîtrez. clairement que sa foi était bien chancelante : « Cet officier lui dit : Seigneur, descendez avant que mon fils ne meure. » Sa foi était donc bien faible, puisqu'il ne croyait pas qu'il pût guérir son fils sans venir lui-même en personne. — S. CHRYS. (hom. 35.) Ecoutez sous quelle impression toute humaine il veut attirer le Sauveur chez lui, comme s'il ne pouvait ressusciter son fils après sa mort. Rien d'étonnant du reste qu'il vienne trouver Jésus sans avoir la foi ; l'amour des pères pour leurs enfants leur fait consulter, non-seulement les médecins qui ont leur confiance, mais ceux mêmes qui ne leur en inspirent pas une bien grande, parce qu'ils ne veulent rien omettre de ce qui peut conserver la vie à leurs enfants. S'il avait eu une foi vive à la puissance de Jésus-Christ, il l'aurait été trouver jusque dans la Judée.
S. GREG. (hom. 28 sur les Evang.) Nôtre-Seigneur à qui cette prière est adressée, veut nous apprendre qu'il se rend toujours aux invitations qui lui sont faites, et il guérit le fils de cet homme par son commandement, lui qui a tout créé par sa volonté : « Jésus lui dit : Allez, votre fils est plein de vie. » Quelle condamnation pour notre orgueil qui respecte et vénère dans les hommes non cette nature faite à l'image et à la ressemblance de Dieu, mais les honneurs et les richesses ! Notre Rédempteur au contraire, pour nous apprendre que les saints méprisent ce qui paraît élevé aux yeux des hommes, et qu'ils estiment et vénèrent ce que les hommes méprisent, refuse d'aller dans la maison de cet officier pour guérir son fils ; et il est disposé au contraire à se rendre près du serviteur du centenier. — S. CHRYS. (hom. 35.) Ou bien encore, la foi du centenier était solidement affermie, et Nôtre-Seigneur promet d'aller chez lui, pour faire ressortir la piété du centenier. Cet officier au contraire, n'avait qu'une foi bien imparfaite, il ne croyait pas bien entièrement que Jésus pût guérir son fils, sans se rendre près de lui, et le refus du Sauveur a pour but de le lui apprendre, comme l'Evangéliste le dit expressément : « Cet homme crut à la parole que Jésus lui avait dite et s'en alla, sans toutefois comprendre parfaitement cette leçon. »
ORIG. Ces serviteurs qui viennent à sa rencontre montrent que cet homme était d'un rang élevé et occupait un emploi supérieur : « Comme il était en chemin, ses serviteurs vinrent à sa rencontre, » etc. — S. CHRYS. (hom. 35.) Ils viennent à sa rencontre, non-seulement pour lui annoncer la guérison de son fils, mais parce qu'ils croyaient que Jésus l'accompagnait, et qu'ils regardaient comme inutile qu'il allât plus loin. La question que leur fait cet officier prouve que sa foi n'était ni bien pure ni bien parfaite : « Et il leur demandait à quelle heure il s'était trouvé mieux, » Il voulut savoir si sa guérison était l'effet du hasard ou de la parole de Jésus : « Et ils lui dirent : Hier à la septième heure, la fièvre l'a quitté. » Voyez comme tout, concourt à rendre ce miracle éclatant, la guérison de cet enfant ne suit pas la marche ordinaire, elle est instantanée et complète pour bien établir qu'elle n'est pas due aux lois de la nature, mais à l'action toute puissante de Jésus-Christ : « Et son père reconnut que c'était l'heure à laquelle Jésus lui avait dit : Votre fils est plein de vie, et il crut lui et toute sa maison. »
S. AUG. (Traité 16.) S'il crut lorsqu'il apprit que son fils était guéri, et qu'il eut rapproché l'heure de sa guérison de celle où Jésus lui avait dit : « Votre fils est guéri, » il n'avait donc pas encore la foi quand il se présenta devant le Sauveur. — BEDE. Nous devons conclure de là qu'il y a des degrés dans la foi comme dans les autres vertus qui ont leur commencement, leur progrès et leur perfection. La foi de cet officier était à son commencement, lorsqu'il vint demander la guérison de son fils, elle prenait de l'accroissement, lorsqu'il crût à la parole du Seigneur qui lui disait : « Votre fils est guéri ; » et elle eut toute sa perfection lorsque ses serviteurs lui confirmèrent la guérison de son fils.
S. AUG. (Traité 16.) C'est après l'avoir simplement entendu qu'un grand nombre de Samaritains crurent en lui, et après ce grand miracle, il n'y eut que la maison seule de cet officier où cette guérison miraculeuse avait eu lieu. L'Evangéliste ajoute : « Ce fut le second miracle que Jésus fit après être revenu de Judée en Galilée. » — S. CHRYS. (hom. 35.) Ce n'est pas sans raison qu'il fait cette réflexion, et il veut nous faire remarquer que même après ce second miracle, les Juifs n'étaient pas encore parvenus à la hauteur des Samaritains qui n'avaient vu aucun miracle. — ORIG. (Traité 18 sur S. Jean.) Cette proposition est amphibologique, on peut l'entendre en ce sens, que Jésus en venant de la Judée en Galilée, fit deux miracles, dont le second fut la guérison du fils de cet officier ; ou dans cet autre qui est le plus vrai, que de ces deux miracles que Jésus fit dans la Galilée, le second eut lieu lorsqu'il vint de la Judée en Galilée.
Dans le sens mystique, ce double voyage de Jésus en Galilée figure le double avènement du Sauveur dans le monde, le premier qui est tout de miséricorde et où il porte la joie dans le cœur des convives en changeant l'eau en vin ; le second où il rend à la vie le fils de cet officier presque entre les bras de la mort, c'est-à-dire le peuple juif qui sera sauvé à la fin du monde après que la plénitude des nations sera entrée dans l'Eglise. C'est lui qui est le grand Roi des rois que Dieu a établi sur la sainte montagne de Sion (Ps 2) ; ceux qui ont vu son jour ont été remplis de joie. (Jn 8)Cet officier royal, c'est Abraham ; son fils malade, c'est le peuple d'Israël qui a laissé s'affaiblir entre ses mains le culte du vrai Dieu, et qui transpercé des traits enflammés de l'ennemi, est comme atteint d'une fièvre mortelle. Nous voyons encore ici que les saints dont nous venons de parler, lorsqu'ils ont dépouillé l'enveloppe de cette chair mortelle, prennent compassion de leur peuple. C'est ce que nous lisons dans le livre des Macchabées (M 2, 45), après la mortde Jérémie : « C'est Jérémie, le prophète de Dieu qui prie beaucoup pour le peuple. » Abraham prie le Sauveur de venir au secours de ce peuple infirme, c'est de Cana que part cette parole toute puissante : « Votre fils est plein de vie, » mais c'est à Capharnaüm que son efficacité se fait sentir ; car c'est là que le fils de cet officier est guéri, comme dans le champ de la consolation, et cet enfant représente ces hommes atteints de grandes faiblesses, mais sans être réduits à une stérilité complète. Ces paroles du Sauveur : « Si vous ne voyez des signes et des prodiges » peuvent s'appliquer à la multitude des enfants du patriarche, aussi bien qu'à lui-même. En effet, de même que Jean-Baptiste attendait le signe qui lui avait été donné : « Celui sur lequel vous verrez l'Esprit saint descendre ; » ainsi les justes morts depuis le commencement du monde, attendaient l'avènement de Jésus-Christ dans la chair, avènement qui devait se manifester par des signes et par des prodiges. Cet officier, outre son fils, avait des serviteurs qui représentent ceux dont la foi est encore faible et imparfaite, et ce n'est point sans dessein que la fièvre quitte cet enfant à la septième heure, car le nombre, sept est le symbole du repos. — ALCUIN. Ou bien encore, c'est parce que c'est l'Esprit aux sept dons qui est l'auteur de la rémission des péchés, car le nombre sept composé des nombres trois et quatre, représente la sainte Trinité dans les quatre temps de l'année, dans les quatre parties du monde, comme dans les quatre éléments.
ORIG. On peut encore voir ici les deux avènements du Verbe dans notre âme : le premier ou l'eau fut changée en vin fait éprouver à l'âme la joie d'un banquet spirituel ; le second qui retranche tous les restes de langueur et de mort spirituelle. — THEOPHYL. Cet officier du roi représente tout homme, non-seulement parce que l'homme est par sou âme dans des rapports étroits avec le souverain roi de tout ce qui existe, mais aussi parce que Dieu lui a donné l'autorité sur toutes les créatures. Son fils, c'est l'âme de l'homme en proie à la fièvre des mauvais désirs et des convoitises charnelles. Il s'approche de Jésus et le prie de descendre, c'est-à-dire de s'abaisser jusqu'à lui par une miséricordieuse condescendance et de lui pardonner ses péchés, avant que cette maladie des voluptés sensuelles ne lui ait fait perdre la vie. Le Seigneur lui dit : « Allez, » c'est-à-dire faites toujours de nouveaux progrès dans le bien ; et alors votre fils sera rendu à la vie ; mais si vous cessez de marcher, votre âme frappée de mort ne pourra plus faire aucune bonne action.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 4, 10.) Après que Jésus
eut opéré ce miracle dans la Galilée, il revint à Jérusalem : « Après cela, la
fête étant arrivée, Jésus s'en alla à Jérusalem. » — S. CHRYS. (hom. 36 sur S. Jean.) Cette fête, je
pense, était celle de la Pentecôte. Jésus se rendait toujours à Jérusalem aux
jours de fête ; en célébrant ces fêtes avec les Juifs, il détruisait le préjugé
qu'il était opposé à la loi, et attirait à lui le peuple par l'éclat de ses
miracles et de sa doctrine ; car c'était surtout aux jours de fête que ceux qui
n'étaient pas éloignés de Jérusalem s'y rendaient en foule.
« Or, il y avait à Jérusalem une piscine probatique, » etc. — S. AUG.
Le mot grec πρόξατον veut dire brebis.
La piscine probatique était donc une piscine réservée aux animaux, et où
les prêtres lavaient les corps des victimes. — S. CHRYS. Le Sauveur devait instituer un baptême pour la
rémission des péchés, et dont nous trouvons un emblème dans cette piscine et
dans d'autres figures semblables. Dieu ordonna d'abord des purifications
extérieures pour laver les souillures du corps et les taches qui n'existaient
pas en réalité, mais qu'on regardait comme telles, par exemple, celles que l'on
contractait par le contact d'un cadavre, par la lèpre ou par d'autres causes du
même genre. Dieu voulut ensuite que l'eau fût encore un remède efficace pour
diverses maladies, comme nous le voyons ici : « Sous ces portiques
gisaient un grand nombre de malades, d'aveugles, de boiteux, » etc. Pour nous
préparer de plus près à la grâce du baptême, il ne se contente plus de purifier
les souillures extérieures, il guérit encore les maladies. Ceux qui approchent
de plus près les rois, occupent aussi un rang plus éminent que ceux qui sont
plus éloignés, il en est de même des figures de l'ancienne loi. Or, cette eau
ne guérissait pas les malades en vertu de sa nature (autrement, elle aurait
toujours eu cotte efficacité), mais seulement lorsque l'ange descendait : « Un
ange du Seigneur descendait à certain temps dans la piscine, et l'eau
s'agitait. » Il en est de même dans le baptême, l'eau n'agit point par
elle-même, mais ce n'est qu'après avoir reçu la grâce de l'Esprit saint,
qu'elle efface tous les péchés. L'ange qui descendait du ciel agitait cette
eau, et lui communiquait une vertu toute particulière contre les maladies, pour
apprendre aux Juifs, qu'à plus forte raison le Seigneur des anges avait le
pouvoir de guérir toutes les maladies de l'âme. Mais alors l'infirmité était
elle-même un obstacle pour celui qui voulait obtenir la guérison, comme
l'indique l'Evangéliste : « Et celui qui y descendait le premier après le
mouvement de l'eau, était guéri de son infirmité. » Maintenant, au contraire,
chacun peut avoir accès ; car ce n'est point un ange qui vient agiter l'eau,
mais le Dieu des anges qui opère toutes ces merveilles. L'univers entier se
présenterait que la grâce ne serait point épuisée, elle reste toujours la
même ; de même que les rayons du soleil éclairent tous les jours qui se
succèdent, sans qu'ils soient jamais épuisés, sans que la profusion avec
laquelle le soleil répand sa lumière en diminue l'éclat ; ainsi, et à plus forte
raison la multitude de ceux qui participent à la grâce de l'Esprit saint n'en
amoindrit en rien l'efficacité toute divine. Or, un seul homme était guéri
après que l'eau était agitée, afin que ceux qui connaissaient la puissance de
cette eau pour guérir les maladies du corps, instruits par une longue
expérience, pussent croire plus facilement que l'eau pouvait également guérir
les maladies de l'âme.
S. AUG. (Traité 17 sur S. Jean.) C'est un plus grand
miracle pour Nôtre-Seigneur d'avoir guéri les maladies de l'âme, que d'avoir
porté remède aux maladies de ce corps périssable et mortel ; mais comme l'âme
ne connaissait pas le divin médecin qui devait la guérir, qu'elle ne voyait pas
les yeux du corps, que ce qui affectait les sens, et qu'elle n'avait point ces
yeux du cœur, à l'aide desquels elle peut connaître le Dieu invisible, il fît
un miracle que chacun pouvait voir pour guérir les yeux qui avaient perdu
l'usage de la vue ; il entra dans ce lieu où gisaient un grand nombre de
malades, et il en choisit un pour le guérir de son infirmité : « Or, il y
avait là un homme qui était malade depuis trente-huit ans. »
S. CHRYS. (hom. 36
sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur ne guérit pas cet homme tout d'abord, il
commence par ouvrir son cœur à la confiance et à le préparer à la foi par une
question toute de bienveillance. Il n'exige pas de lui la foi, comme lorsqu'il
dit aux deux aveugles : « Croyez-vous que je puisse faire ce que vous
demandez ? » car ce paralytique ne savait pas encore bien clairement ce qu'était
Jésus. Ceux qui connaissaient déjà la puissance du Sauveur par d'autres
miracles, étaient comme préparés à cette demande, mais pour ceux qui n'en
avaient aucune idée, Jésus attend qu'ils aient vu de leurs yeux de semblables
prodiges pour leur demander s'ils ont la foi : « Jésus l'ayant vu couché,
et sachant qu'il était malade depuis longtemps, il lui dit : Voulez-vous être
guéri ? » Il lui fait cette question, non pour apprendre ce qu'il savait
parfaitement, mais pour faire ressortir la patience de ce malade depuis
trente-huit ans, et qui chaque année, sans se décourager jamais, se faisait
porter en ce lieu dans l'espérance d'être guéri de sa maladie. Il voulait
encore nous faire connaître le motif pour lequel parmi tant d'autres, il avait
choisi cet homme de préférence pour le guérir. Et il ne lui dit pas : Si vous
le voulez, je vous guérirai ; car cet homme ne se formait encore aucune idée
bien grande de Jésus-Christ. Toutefois, il n'est nullement déconcerté par cette
question, il ne dit pas au Sauveur : Vous venez insulter à mon malheur en me
demandant si je veux être guéri, il lui répond avec une grande modération : «
Le malade lui répondit : Seigneur, je n'ai personne qui me jette dans la
piscine dès que l'eau est agitée. » II ne savait pas quel était celui qui lui
faisait cette question, et ne soupçonnait pas qu'il allait lui rendre la santé
; il croyait simplement que Jésus l'aiderait à descendre dans la piscine, mais
Jésus lui montre qu'il peut tout faire d'une seule parole : « Jésus lui
dit : Levez-vous, prenez votre lit et marchez. »
S. AUG. (Traité 17.)
Nôtre-Seigneur dit trois choses à cet homme ; ces paroles : « Levez-vous,
» ne sont pas un commandement qu'il lui fait, c'est l'acte même de la guérison,
et c'est lorsque cet homme est guéri, qu'il lui commande ces deux choses : «
Prenez votre lit et marchez. »
S. CHRYS. (hom. 37.)
Voyez jusqu'où s'étend la bonté divine, Jésus ne se contente pas de guérir cet
homme, il lui ordonne d'emporter son lit, pour rendre le miracle de sa guérison
plus évident et convaincre les plus incrédules, que ce n'était pas une illusion
des sens, car comment aurait-il pu emporter son lit, si ses membres n'avaient
repris toute leur force et leur fermeté. Le paralytique, en entendant cette
parole d'autorité et de commandement : « Levez-vous, prenez votre lit, et
marchez, » ne songe pas à les tourner en ridicule en répondant : Lorsque l'ange
descend pour agiter l'eau, un seul homme peut-être guéri ; et vous qui n'êtes
qu'un homme, vous espérez par une seule parole avoir plus de puissance que les
anges ? Non, il écoute avec docilité, il ajoute foi au commandement qui lui est
fait, et il obtient sa guérison : « Et à l'instant cet homme fut guéri. »
— BEDE. Les guérisons opérées par
le Seigneur sont bien différentes de celles qui sont dues aux soins et à
l'habileté des médecins ; les premières se font sur une simple parole de
commandement, et d'une manière instantanée, tandis que les secondes ont
ordinairement besoin d'un temps fort long pour atteindre à leur perfection.
S. CHRYS. (hom. 36.)
La conduite de cet homme est certainement admirable, mais ce qui suit l'est
bien plus encore. Qu'il ait obéi au commandement du Sauveur, alors qu'aucune
réclamation ne s'élevait encore, c'est un fait moins digne d'admiration que la
fermeté avec laquelle il exécute l'ordre du Sauveur, malgré les récriminations
violentes et les accusations des Juifs, que l'Evangéliste rapporte en ces
termes : « Or, c'était un jour de sabbat, les Juifs dirent donc à celui
qui avait été guéri : C'est aujourd'hui le jour du sabbat, et il ne vous est
pas permis d'emporter votre lit. » — S. AUG. (Traité 17.) Ils
n'accusaient pas précisément le Sauveur d'avoir guéri cet homme le jour du
sabbat, parce qu'il aurait pu leur répondre que si leur bœuf ou leur âne venait
à tomber dans un puits, ils s'empresseraient bien de les retirer le jour du
sabbat ; ils s'attaquent donc à celui qui portait son lit, et lui disent :
Admettons qu'on ne dût point différer de vous guérir, pourquoi vous commander
ce travail ? Cet homme se contente de leur opposer l'auteur de sa guérison :
« Il leur répondit : Celui qui m'a guéri m'a dit : Prenez votre lit et
marchez, » comme s'il leur disait : Pourquoi ne recevrai-je pas d'ordre de
celui de qui j'ai reçu la santé ? — S. CHRYS.
(hom. 36.) S'il avait voulu user de malice, il aurait pu leur
dire : L'action que je fais est-elle répréhensible, accusez celui qui me l'a
commandée, et je déposerai le lit que je porte. Mais en parlant de la sorte, il
eût dissimulé la guérison qu'il avait obtenue ; il savait que ce qui les
blessait, c'était moins la transgression du sabbat que la guérison de sa
maladie, il ne cherche pas cependant à cacher ce bienfait, on à se le faire
pardonner, mais il le proclame à haute voix. Quant aux Juifs, leur question
cache une intention perfide : « Ils lui demandèrent : Quel est cet homme
qui vous a dit : Prenez votre lit et marchez ? » Ils ne disent pas : Quel est
celui qui vous a guéri ? ils insistent sur ce qui pouvait être regardé comme
une violation de la loi. Or, celui qui avait été guéri ne savait pas qui il
était ; car Jésus s'était retiré de la foule du peuple assemblé en ce lieu. »
Jésus s'était éloigné pour mettre en dehors de tout soupçon le témoignage qui
lui était rendu ; car cet homme était un témoin irrécusable du bienfait qu'il
avait reçu. Il voulait éviter aussi de donner un nouvel aliment à leur
méchanceté ; car la vue seule de celui à qui on porte envie redouble les
ardeurs de cette honteuse passion. Il s'éloigne donc pour leur laisser toute
facilité d'examiner ce fait miraculeux. Il en est qui pensent que ce
paralytique est celui dont parle saint Matthieu (Mt 9), mais ils se
trompent, le paralytique de saint Matthieu était entouré de gens qui prenaient
soin de lui, et le portaient, celui-ci n'avait personne qui s'intéressât à lui.
D'ailleurs les lieux où s'accomplirent ces deux miracles sont tout différents.
S. AUG. (Traité 17.) Si nous considérons ce miracle avec nos
idées étroites et à un point de vue purement humain, nous n'y voyons pas un
grand acte de puissance, et la part de la bonté ne nous y paraît guère plus
grande. Dans un si grand nombre de malades, un seul est guéri, alors que Jésus
pouvait d'un seul mot leur rendre à tous la santé. Il nous faut donc comprendre
que ce que la puissance et la bonté du Sauveur se proposaient dans les miracles
qu'il opérait, c'était l'intérêt et le salut éternel des âmes, beaucoup plus
que la guérison temporelle des corps. Les miracles qui avaient pour objet la
guérison des corps mortels, n'ont eu qu'une durée passagère ; l'âme au
contraire qui a cru sur le témoignage de ces miracles a passé de cette vie d'un
instant à une vie éternelle. Cette piscine et l'eau qu'elle contenait me
paraissent être le symbole du peuple juif, car nous voyons clairement dans
l'Apocalypse (Ap 17, 15), les peuples figurés sous l'emblème des eaux.
BEDE. C'est avec raison que cette piscine est appelée la piscine probatique
ou des brebis, car le peuple juif est souvent représenté sous l'emblème de la
brebis, selon ces paroles du psaume : « Nous sommes votre peuple et
les brebis de votre troupeau.» — S. AUG. (Traité 17.) L'eau de cette
piscine, c'est-à-dire le peuple juif, était renfermée dans les cinq livres de
Moïse comme dans cinq portiques ; et ces livres découvraient les maladies, mais
sans les guérir, car la loi convainquait les pécheurs de leurs crimes, mais
sans pouvoir les absoudre. — BEDE. Toutes
sortes d'infirmités se donnaient rendez-vous autour de cette piscine ; les
aveugles qui sont privés de la lumière de la science, les boiteux qui n'ont pas
la force d'accomplir ce que la loi leur commande, et les desséchés (ou les
paralytiques) qui ont perdu la sève vivifiante de l'amour céleste.
S. AUG. (Traité 17.) Jésus-Christ est venu vers le peuple juif,
et par les grands miracles qu'il a opérés, et par les enseignements salutaires
qu'il leur a donnés, il a troublé les pécheurs (c'est-à-dire l'eau) par sa
présence, et les a comme excités à le mettre à mort. Cependant c'est sans se
découvrir qu'il les a troublés, car s'ils l'avaient connu, ils n'auraient
jamais crucifié le Seigneur de la gloire. (1 Co
2) L'eau paraissait agitée
tout d'un coup, sans qu'on pût voir l'auteur de cette agitation. Descendre dans
cette eau agitée, c'est croire humblement à la passion du Sauveur. Un seul
homme était guéri à la fois pour représenter l'unité de l'Eglise. Nul autre
malade qui venait ensuite n'était guéri, parce qu'on ne peut être ni guéri ni
sauvé en dehors de l'unité. Malheur à ceux qui n'aiment point l'unité, et qui
forment des parties ou des sectes parmi les hommes ! Celui qui fut guéri de son
infirmité était malade depuis trente-huit ans, et ce nombre est bien plutôt
l'emblème de la maladie que de la santé. En effet, le nombre quarante est un
nombre consacré pour signifier la perfection, ainsi la loi contient dix
préceptes et elle devait être annoncée dans tout l'univers qui se divise en
quatre parties, or le nombre dix pris quatre fois ou multiplié par quatre fait
quarante. Peut-être encore est-ce parce que les quatre livres de la loi
trouvent leur accomplissement dans l'Evangile. Si donc le nombre quarante
emporte la perfection de la loi, et si la loi ne peut être accomplie que par le
double précepte de la charité, pourquoi vous étonner que cet homme à qui il
manquait deux ans pour avoir quarante ans fût languissant et malade ? Il lui
fallait absolument un homme pour le guérir, mais un homme qui fût en même temps
Dieu. Le Sauveur le trouve malade depuis, quarante ans moins deux années, et il
lui ordonne deux choses pour combler cette lacune ; car ces deux commandements
du Seigneur représentent les deux préceptes de la charité, c'est-à-dire de
l'amour, de Dieu et de l'amour du prochain. L'amour de Dieu est le premier qui
soit commandé ; l'amour du prochain est le premier qui doit être mis en
pratique, Jésus lui dit : « Prenez votre lit, » c'est-à-dire : Lorsque
vous étiez infirme, c'était votre prochain qui vous portait ; maintenant que
vous êtes guéri, portez votre prochain à votre tour. Il lui dit encore :
« Marche » mais quelle voie devez-vous suivre ? Celle qui conduit au
Seigneur votre Dieu. —BEDE. Que
signifient ces paroles : « Levez-vous et marchez ? » Sortez de votre torpeur et
de votre indolence, et appliquez-vous à faire des progrès dans les bonnes
œuvres. Prenez votre lit ; c'est-à-dire votre prochain qui vous porte
lui-même et supportez patiemment ses défauts. — S. AUG. (Traité 17.)
Portez celui avec qui vous marchez si vous voulez parvenir jusqu'à celui avec
lequel vous désirez demeurer éternellement. Ce paralytique ne connaissait
pas encore Jésus, ainsi nous-mêmes nous croyons en lui sans le voir, parce
qu'il se retire de la foule pour se dérober aux regards. Dieu ne peut être vu
que dans une certaine solitude que se fait l'intention ; la foule est toujours
au milieu de l'agitation, et la vue de Dieu demande le silence et le secret.
S. CHRYS. (hom. 38
sur S. Jean. ) Cet homme une fois guéri ne va pas se mêler aux bruits
tumultueux des affaires du monde, ni se livrer aux voluptés sensuelles ou à la
vaine gloire, il va tout droit dans le temple, ce qui estime preuve de son
grand esprit de religion. — S. AUG. (Traité 17) Le Seigneur Jésus
le voyait aussi bien au milieu de la foule que dans le temple ; mais pour lui
il ne peut connaître Jésus dans la foule, il ne le reconnaît pour vrai Dieu et
pour Sauveur que dans un lieu sacré, dans le temple. — ALCUIN. Si nous voulons bien connaître la grâce de notre
Créateur et parvenir à le voir, il faut éviter la foule, les pensées mauvaises
et des affections coupables ; il faut fuir les assemblées des méchants, nous
retirer dans le temple et nous efforcer de devenir nous-mêmes le temple où Dieu
daigne venir et fixer sa demeure.
« Et il lui dit : Vous voilà guéri, ne péchez plus à l'avenir, de peur
qu'il ne vous arrive quelque chose de pire. » — S. CHRYS. (hom. 38.) Ces paroles nous apprennent d'abord
que la longue infirmité du paralytique était la conséquence et la punition de
ses péchés. Comme nous sommes la plupart du temps insensibles aux maladies de
notre âme, tandis qu'à la moindre blessure que reçoit notre corps, nous prenons
tous les moyens pour en être aussitôt guéris, Dieu frappe le corps en punition
des péchés de l'âme. Elles renferment un second et un troisième avertissements,
c'est la vérité des peines de l'enfer, et la durée infinie de ces mêmes peines.
Il en est qui osent dire: Est-ce qu'un adultère d'un instant sera puni par un
supplice éternel ? Mais est-ce que le paralytique avait péché autant d'années
qu'avait duré sa maladie ? Concluons de là que la gravité du péché ne doit pas se
calculer sur le temps que l'homme a mis à le commettre, mais la nature même de
ces péchés. Ces paroles nous apprennent encore que si nous retombons dans les
mêmes péchés pour lesquels Dieu nous a sévèrement châtiés, des peines beaucoup
plus sévères nous sont réservées, et c'est justice ; car celui que les premiers
châtiments n'ont pu rendre meilleur, doit s'attendre en punition de son
insensibilité et de ses mépris à un supplice bien plus terrible. Si nous ne
recevons pas tous ici-bas la punition de nos péchés, ne mettons pas notre
confiance dans cette impunité, car elle nous présage pour la vie future des
châtiments bien plus terribles. Cependant toutes les maladies ne sont pas
absolument la peine du péché, les unes sont la suite de notre négligence, les autres
nous sont envoyées comme au salut homme Job pour nous éprouver. Mais pourquoi Nôtre-Seigneur rappelle-t-il
ici ses péchés à ce paralytique ? Il en est qui le jugent sévèrement et qui
prétendent que le Sauveur lui parle de la sorte parce qu'il avait été un des
accusateurs de Jésus-Christ. Que diront-ils donc du paralytique dont il est
question dans saint Matthieu (Mt 9), et à qui Nôtre-Seigneur dit aussi :
« Vos péchés vous sont remis ? » D'ailleurs Jésus ne reproche pas au
paralytique de la piscine ses péchés passés, il se contente de le prémunir pour
l'avenir. Dans les autres guérisons miraculeuses qu'il opère, il ne les
présente point comme la peine du péché parce qu'elles n'avaient pour cause que
l'infirmité naturelle à l'homme, tandis que pour ces paralytiques, leurs
maladies pouvaient être la punition de leurs péchés. Ou bien encore dans la
personne de ces paralytiques, c'est un avertissement donné à tous les autres.
On peut dire aussi que Nôtre-Seigneur parle de la sorte à ce paralytique, parce
que témoin de sa grande patience, il le reconnut capable de recevoir cette
leçon. Il lui donne en même temps une preuve de sa divinité, car ces paroles :
« Ne péchez plus,» montrent évidemment qu'il connaissait toutes les fautes dont
il s'était rendu coupable.
S. AUG. (Traité 17.)
Quant à ce paralytique, aussitôt qu'il eut vu Jésus et qu'il eut connu qu'il
était l'auteur de sa guérison, il s'empressa de publier sans aucun retard le
nom de son bienfaiteur : « Cet homme s'en alla et apprit aux Juifs que c'était
Jésus qui l'avait guéri. » — S. CHRYS. (hom.
38.) Gardons-nous de croire qu'après un si grand bienfait, et
l'avertissement qui l'avait suivi, cet homme ait eu si peu de reconnaissance
que d'agir ici par un sentiment de méchanceté ; s'il avait eu l'intention
d'accuser le Sauveur, il n'eût parlé que de la violation du sabbat, sans rien
dire de sa guérison ; mais il fait tout le contraire, il ne leur dit pas :
C'est Jésus qui m'a commandé d'emporter mon lit (ce qui paraissait un crime aux
yeux des juifs), mais : « C'est Jésus qui m'a guéri. » — S. AUG. (Traité 17.)
A une déclaration si franche, les Juifs ne répondent que par une haine toujours
croissante : « C'est pourquoi les Juifs persécutaient Jésus, parce qu'il
faisait ces choses-là le jour du sabbat. » Une œuvre évidemment matérielle et
servile avait été faite sous leurs yeux, ce n'était point la guérison de ce
paralytique, mais l'action d'emporter son lit, ce qui ne paraissait point aussi
nécessaire que sa guérison. Nôtre-Seigneur déclare donc ouvertement que la loi
figurative du sabbat, et l'obligation de garder ce jour n'avaient été données
que pour un temps aux Juifs, et que cette loi figurative trouvait en lui son
accomplissement : « Mais Jésus leur dit : Mon Père ne cesse point d'agir
jusqu'à présent, et moi aussi j'agis sans cesse. » (Traité 20) C'est-à-dire
: Ne croyez pas que mon Père se soit reposé le jour du sabbat, en ce sens qu'il
ait cessé d'opérer; non, il continue d'opérer sans aucun travail, et j'agis de
même à son exemple. Le repos de Dieu doit donc s'entendre dans ce sens,
qu'après avoir achevé l'œuvre de la création, il n'a plus tiré du néant de
nouvelles créatures. C'est ce que l'Ecriture appelle repos, pour nous apprendre
que nos bonnes œuvres seront suivies d'un repos éternel. C'est après avoir fait
l'homme à son image et à sa ressemblance, après avoir achevé tous ses ouvrages,
et vu que toutes les choses qu'il avait faites étaient très-bonnes, que Dieu se
reposa le septième jour ; ainsi n'espérez point de repos pour vous-même, avant d'avoir
recouvré cette divine ressemblance que Dieu vous avait donnée et que vous avez
perdue par vos péchés, et avant que votre vie ait été remplie par la pratique
des bonnes œuvres.
S. AUG. (de la Genèse expliq., littér., chap. 11.) Il est
probable que le précepte de l'observation du sabbat fut donné aux Juifs comme
une figure de l'avenir et pour signifier le repos spirituel semblable au repos
de Dieu, et qu'il promettait sous une forme mystérieuse aux fidèles qui
auraient persévéré dans la pratique du bien. — S. AUG. Le sabbat viendra
lorsque les six âges du monde qui sont comme les six jours seront écoulés, et
c'est alors que les saints jouiront du repos qui leur est promis. — S. AUG. (de
la Gen. expl. litt., ch. 2) Nôtre-Seigneur Jésus-Christ lui-même a
voulu consacrer par sa sépulture le mystère de ce repos, en se reposant dans le
tombeau le jour du sabbat, après avoir achevé toutes ses œuvres le sixième
jour, et il prononça cette parole solennelle : « Tout est consommé, »
Qu'y aurait-il donc d'étonnant que Dieu, voulant comme figurer d'avance le jour
où le Christ devait se reposer dans le tombeau, ait choisi ce jour pour se
reposer de toutes ses œuvres avant de dérouler l'ordre des siècles ? (chap. 12)
On peut encore entendre ce repos de Dieu, en ce sens qu'il a cessé de créer de
nouvelles espèces d'êtres, car il n'en a créé aucune depuis ce repos
mystérieux. Mais depuis cette époque jusqu'à la fin des siècles, il gouverne
tous ces êtres qu'il a créés. Sa puissance n'a donc pas abdiqué le septième jour
le gouvernement du ciel, de la terre, et de toutes les choses dont il est le
créateur, autrement elles rentreraient aussitôt dans le néant. En effet, c'est
la puissance du Créateur qui est l'unique cause de l'existence de toutes les
créatures, et si l'action de cette divine puissance cessait un instant de se
faire sentir, elles cesseraient elles-mêmes d'exister, et toute la nature
rentrerait dans le néant. Il n'en est pas du monde comme d'un édifice que le
constructeur peut abandonner après l'avoir construit, et qui reste debout alors
que celui-ci a cessé d'y mettre la main ; le monde serait détruit en un clin
d'œil si Dieu lui retirait son action régulatrice. Ces paroles du Sauveur : «
Mon Père cesse d'agir, » indiquent une continuation de l'œuvre divine qui
embrasse et gouverné toute créature. On pourrait les entendre dans un autre
sens, s'il avait dit : « Et il opère maintenant, » sans qu'il fût
nécessaire d'y voir la continuation non interrompue de son œuvre, mais nous
sommes forcés de leur donner le premier sens, parce que Nôtre-Seigneur dit
expressément : « Il ne cesse d'opérer jusqu'à présent, depuis le jour qu'il a
créé toutes choses.
S. AUG. (Traité 17) Nôtre-Seigneur semble donc dire aux
Juifs : Pourquoi vouloir que je ne fasse rien le jour du sabbat ? La loi qui
vous ordonne de garderie jour du sabbat vous a été donnée en figure de ce que
je devais faire. Vous considérez les œuvres de Dieu, c'est par moi que toutes
choses ont été faites. Mon Père a créé la lumière mais en disant : « Que la
lumière soit. » S'il a dit cette parole, c'est par son Verbe qu'il a créé la
lumière, et c'est moi qui suis son Verbe. Mon Père a donc agi lorsqu'il a créé
le monde, et il agit encore en le gouvernant ; donc c'est par moi qu'il a créé
le monde lorsqu'il l'a tiré du néant, et c'est par moi qu'il le gouverne,
lorsqu'il lui fait sentir les effets de son action providentielle.
S. CHRYS. Lorsque
Jésus-Christ avait à défendre ses disciples contre le même grief, il produisait
l'exemple de David comme eux serviteur de Dieu ; mais lorsque lui-même est en
cause, il invoque l'exemple de son Père. Remarquons que ce n'est ni comme homme
exclusivement, ni comme Dieu qu'il se justifie, mais tantôt sous un rapport,
tantôt sous un autre, car il voulait que le mystère de ses humiliations fût
l'objet de la foi comme le mystère de sa divinité. Il établit donc ici sa
parfaite égalité aveu son Père, et en l'appelant son Père d'une manière toute
spéciale (il dit en effet : « Mon Père »), et en faisant les mêmes choses que
lui : (« Et moi aussi j'agis sans cesse. ») « Aussi les Juifs
cherchaient encore plus à le faire mourir, parce que non content de violer le
sabbat, il disait encore que Dieu était son Père, se faisant ainsi égal à Dieu.
» — S. AUG. (Traité 17.)
Ce n'était pas d'une manière quelconque, mais dans quel sens ? « En se
faisant égal à Dieu. » Nous disons tous à Dieu : « Notre Père qui êtes aux
cieux ; » nous lisons dans Isaïe, que les Juifs lui disaient : « Vous êtes
notre Père. » Ce qui les irritait n'était donc pas qu'il appelait Dieu son
Père, mais de ce qu'il le faisait dans un autre sens que le reste des hommes. —
S. AUG. (de l'acc. des Evang.,
4, 10.) En disant : « Mon Père continue d'agir jusqu'à présent, et moi
aussi j'agis sans cesse ; » il a voulu prouver qu'il était égal à son Père, car
il donne comme conséquence que le Fils agit, parce que le Père agit lui-même,
et que le Père ne peut agir sans le Fils. — S. CHRYS. (hom. 38 sur S. Jean.) Si Jésus n'était
pas le Fils naturel et consubstantiel au Père, sa justification serait pire que
le crime qu'on lui reproche. Un préfet, un gouverneur qui transgresserait un
décret royal, ne pourrait se justifier en disant que le roi lui-même
transgresse la loi. Mais comme ici la dignité du fils est égal à celle du Père,
la justification ne laisse rien à désirer. Le Père qui continue d'agir le jour
même du sabbat est à l'abri de tout reproche, il en est de même du Fils. — S.
AUG. (Traité 17.) Voici que les Juifs comprennent ce que les ariens ne
veulent point comprendre ; les ariens prétendent que le Fils n'est pas égal au
Père, et de là vient cette hérésie qui afflige l'Eglise.
S. CHRYS. (hom. 38.)
Ceux qui ne veulent pas interpréter ces paroles avec un esprit droit, disent
que Jésus-Christ ne s'est pas fait égal à Dieu, mais que c'était là un simple
soupçon des Juifs. Raisonnons ici d'après ce que nous avons dit plus haut. Il
est incontestable que les Juifs poursuivaient Jésus-Christ, et parce qu'il
transgressait la loi du sabbat, et parce qu'il disait que Dieu était son Père ;
donc les paroles qui suivent : « En se faisant égal à Dieu, » doivent être
entendues dans le même sens que celles qui précèdent, c'est-à-dire dans le sens
littéral.
S. HIL. (de la Trin., 7) Quel est ici le dessein de
l'Evangéliste ? C'est évidemment de faire connaître la cause pour laquelle les
Juifs voulaient faire mourir Nôtre-Seigneur. — S. CHRYS. (hom. 38.) Si Nôtre-Seigneur n'avait pas voulu
établir clairement cette vérité, et que ce ne fût là qu'un vain soupçon des
Juifs, il ne les eût pas laissés dans cette erreur, et il se fût empressé de la
combattre. L'Evangéliste lui-même n'aurait point omis cette circonstance, et il
eût fait comme dans une autre occasion où Jésus avait dit aux Juifs :
« Détruisez ce temple. » — S. AUG. (Traité
17.) Cependant les Juifs ne comprirent pas qu'il était le Christ, ni qu'il
était le fils de Dieu ; mais ils comprirent que Jésus leur parlait d'un Fils de
Dieu qui était égal à Dieu. Quel était ce Fils de Dieu ? ils ne le savaient
pas, ils comprenaient cependant qu'il se disait le Fils de Dieu, c'est pour
cela que l'Evangéliste ajoute : « Se faisant égal à Dieu. » Or, ce
n'est pas lui qui se faisait égal à Dieu, c'est Dieu qui l'avait engendré égal
et consubstantiel à lui-même.
S. HIL. (de la Trin., 7)
Au reproche qui lui est fait de violer le sabbat, Nôtre-Seigneur avait répondu
: « Mon Père continue d'agir jusqu'à présent, et moi aussi j'agis sans cesse, »
voulant leur faire comprendre qu'il s'appuyait sur l'autorité d'un si grand
exemple, et tout à la fois que ce qu'il faisait était l'œuvre du Père, parce
que le Père-agissait en lui lorsque lui-même agissait. A l'accusation que leur
inspire leur jalousie, qu'il se faisait égal à Dieu, en l'appelant son Père, il
répond en confirmant la vérité de sa naissance divine et l'excellence de sa
nature : « Jésus donc leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils
ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit que le Père fait.
» — S. AUG. (Traité 18.) Il en est qui revendiquant le nom de chrétiens
(les hérétiques ariens), tout en affirmant que le Fils de Dieu fait homme est
inférieur à son Père, veulent appuyer leur sacrilège erreur sur ces paroles et
nous tiennent ce langage : Vous voyez que lorsque le Seigneur Jésus s'aperçut
que les Juifs étaient indignés de ce qu'il se faisait égal à son Père, il
s'empresse de détruire dans leur esprit toute idée d'égalité parfaite ; car,
ajoutent-ils, celui qui ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il
voit que le Père fait, lui est nécessairement inférieur et ne peut être son
égal. Or, si le Verbe était Dieu, il y a donc un Dieu suprême, un Dieu
inférieur, et nous adorons deux Dieux, et non pas un seul Dieu. — S. HIL. (de
la Trin., 7) Nôtre-Seigneur dit que le Fils ne peut rien faire de lui-même,
afin que cette égalité qu'il proclamait exister entre lui et son Père, ne pût
détruire dans leur esprit la distinction d'avec le Père que lui donne sa
naissance. — S. AUG. (Traité 20.) Voici le vrai sens de ces paroles :
Pourquoi vous scandaliser de ce que j'ai appelé Dieu mon Père, et de ce que je
me déclare égal à Dieu ? Je suis son égal, mais tout en étant engendré par lui
; je suis son égal, mais de telle sorte que ce n'est pas lui qui vient de moi,
mais moi qui viens de lui. Pour le Fils, être et pouvoir c'est une seule et
même chose, et comme le Fils tire sa substance du Père, la puissance du Fils
vient également du Père. Donc puisque le Fils ne vient pas de lui-même, il ne
peut rien aussi de lui-même. Et c'est ainsi que le Fils ne peut rien faire de lui-même,
mais seulement ce qu'il voit que le Père fait : voir pour le Fils, c'est la
même chose qu'être engendré du Père, la vision pour lui n'est pas différente de
la substance. Tout ce qu'il est, c'est du Père qu'il le tient.
S. HIL. (de la Trin., 7) Pour conserver l'ordre qui doit
exister dans notre confession de foi au Père et au Fils, Nôtre-Seigneur nous
expose le mystère de sa naissance qui lui communique la puissance d'agir, non
par un accroissement successif des forces nécessaires pour chaque action en
particulier, mais en faisant découler ce pouvoir de la connaissance. Et encore,
cette connaissance n'est-elle point produite par la vue d'une œuvre matérielle,
que le Fils ferait après l'avoir vu faire à son Père ; le Fils est né du Père,
et c'est par la certitude qu'il a de posséder en lui la nature et la puissance
du Père, qu'il atteste que le Fils ne fait que ce qu'il voit faire au Père. Car
Dieu ne voit pas comme nous par les yeux du corps, mais sa vue est tout entière
dans la vertu de sa nature.
S. AUG. (de la Trin., chap.
1) Si nous croyons que ces paroles signifient que le Fils de Dieu en tant qu'il
s'est revêtu d'une forme humaine est inférieur au Père, il nous faudra comme
conséquence admettre que le Père a marché le premier sur les eaux, et qu'il a
commencé aussi par faire toutes les actions que le Fils a faites dans sa vie
mortelle, en prenant exemple sur sou Père ; mais qui serait assez insensé pour
admettre une semblable opinion ? — S. AUG.
(Traités 20 et 21 sur S. Jean.) Lorsque le Sauveur
marchait sur la mer, c'était le Père qui agissait par le Fils, car lorsque le
corps marchait dirigé par la divinité du Fils, le Père n'était pas absent,
puisque le Fils dit expressément : « Le Père qui demeure en moi, fait lui-même
les œuvres que je fais. » (Jn 14, 2) Or, comme ces paroles : « Le
Fils ne peut rien faire de lui-même, » pouvaient donner lieu à une
interprétation toute matérielle d'après laquelle on se représenterait deux
ouvriers l'un maître et l'autre disciple, l’un prenant exactement modèle sur
l’autre avant de construire un meuble quelconque, Nôtre-Seigneur ajoute :
« Car tout ce que faille Père, le Fils le fait pareillement. » Il ne dit
point : Toutes les choses que fait le Père, le Fils en fait de semblables, mais
il fait absolument les mêmes choses : C'est le Père qui a fait le monde, le
Fils qui a fait le monde, le Saint-Esprit qui a fait le monde. Si le Père, le
Fils, le Saint-Esprit ne font qu'un seul Dieu, c'est donc le Père qui a fait le
seul et même monde par le Fils dans le Saint-Esprit. Le Fils fait donc les
mêmes choses que le Père. Nôtre-Seigneur ajoute : Il les fait pareillement pour
prévenir une autre erreur qui pourrait s'élever dans l'esprit. Notre corps
paraît faire les mêmes choses que notre âme, mais il ne les fait point
pareillement, l'âme commande au corps, mais il y a une grande différence entre
le corps et l'âme ; le corps est visible, l'âme est invisible. Le maître du
corps fait une action, le serviteur fait la même action, mais c'est du maître
que le serviteur a reçu le moyen de faire cette action ; tous deux l'ont faite,
mais tous deux ne l'ont pas faite semblablement. Il n'en est pas ainsi du Père
et du Fils, il fait les mêmes choses, et il les fait semblablement,
c'est-à-dire qu'il nous faut comprendre que le Fils fait les mêmes choses que
le Père, avec la même puissance, avec la même sagesse et par la même opération,
et que par conséquent le Fils est égal au Père.
S. HIL. (de la Trin., 7)
Ou bien encore : Nôtre-Seigneur dit qu'il fait toutes choses et les mêmes
choses pour exprimer la puissance de la nature divine. C'est la même nature
dans le Père et le Fils puisqu'il n'appartient qu'à la même nature de pouvoir
absolument les mêmes choses. Mais puisque le Fils fait pareillement les mêmes
choses, cette ressemblance dans la manière de faire les oeuvres exclut
l'identité de celui qui agit. Tels sont donc les enseignements de la vraie foi
qui nous montrent dans un même passage l'identité de nature dans ces mots :
« Les mêmes œuvres, » et la distinction du Fils par sa naissance dans
cette expression : « Il les fait pareillement. »
S. CHRYS. (hom. 38.) On peut encore donner une autre
interprétation de tout ce passage : « Le Fils ne peut rien faire de
lui-même, » en ce sens qu'il ne peut rien faire qui soit en opposition, en
désaccord avec lePère. Et il ne dit point qu'il ne fait rien de contraire, mais
qu'il ne peut rien faire, pour montrer l'égalité absolue du Père et du Fils. Ce
n'est donc point la faiblesse du Fils mais sa puissance toute divine qui
ressort de ces paroles. Ainsi lorsque nous disons : Il est impossible que Dieu
commette le péché, nous n'accusons pas son impuissance, mais nous attestons sa
puissance ineffable; ainsi lorsque le Fils dit : « Je ne puis rien
faire de moi-même, » il nous déclare qu'il est impossible qu'il
fasse quelque chose de contraire à son Père. — S. AUG. (Contre les Ariens, chap. 14) Ces paroles n'accusent donc pas un
défaut de puissance dans le Fils, mais sont une attestation de la filiation
divine qu'il a reçue du Père, et il est aussi glorieux au Tout-Puissant de ne
pouvoir changer, qu'il lui est glorieux de ne pouvoir mourir. Le Fils pourrait
faire ce qu'il n'aurait pas vu faire au Père, s'il pouvait faire ce que le Père
ne fait point par le Fils ; c'est-à-dire s'il pouvait pécher, ce qui ne peut
convenir à cette nature immuablement bonne que le Père a engendrée ; donc pour
lui ne pouvoir pécher, ce n'est pas défaut de pouvoir, c'est an contraire un
signe de puissance.
S. CHRYS. (hom. 38.)
Les paroles qui suivent viennent confirmer cette interprétation : « Car
tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement. » C'est-à-dire si le
Père fait toutes choses par lui-même, le Fils les fait également par lui-même,
suivant la signification de cette parole : « Pareillement, de la même manière.
» Vous voyez quelle doctrine relevée sous ces expressions si simples ; et il ne
faut pas vous étonner de la simplicité, de l'humilité même du langage du
Sauveur, car il s'exprime de la sorte par ménagement pour ses ennemis qui le
poursuivaient à cause des hautes vérités qu'ils entendaient, et parce qu'ils le
regardaient comme étant en opposition avec Dieu.
S. AUG. (Traité 21) Après avoir dit qu'il faisait les mêmes
choses que fait le Père et qu'il les fait de la même manière, Nôtre-Seigneur
ajoute : « Car le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu'il fait, » ce qui
parait se rapporter à ce qu'il a dit plus haut : « Le Fils ne peut rien faire
de lui-même, mais seulement ce qu'il voit que le Père fait, parce que le Père
lui montre tout ce qu'il fait lui-même. » Mais la pensée de l'homme se trouble
encore à ces paroles, et je l'entends dire : Le Père agit donc séparément,
pour que le Fils puisse voir ce que fait le Père, de même qu'un ouvrier qui
veut apprendre son art à son fils, lui en montre tous les secrets, afin
qu'il puisse faire lui même tout ce qu'il voit faire à son père ? Ainsi le Fils
n'agirait pas en même temps que le Père, puisqu'il doit voir d'abord ce que
fait son Père? (Traité 19.) Si nous admettons comme une vérité certaine
et incontestable que le Père fait tout par le Fils, nous devons admettre qu'il
lui montre ce qu'il fait avant d'agir. (Traité 21) D'ailleurs où le Père
montre-t-il à son Fils tout ce qu'il fait, si ce n'est dans son Fils par lequel
il fait toutes choses ? Car si le Père donne un modèle au Fils en ce
sens que les yeux du Fils sont fixés sur les mains du Père pour voir comment il
agit, comment comprendre alors l'indivisible Trinité ? (Traité23.) Ce
n'est donc point en agissant que le Père montre au Fils ce qu'il fait ; c'est
en faisant cette démonstration qu'il agit par le Fils : le Fils voit ce que le
Père lui montre avant d'agir, et c'est de la démonstration du Père et de la vue
du Fils que résulte l'action que le Père fait par le Fils. Vous me direz : Je
montre à mon fils ce que je veux faire, et il le fait, et c'est moi qui, pour
ainsi parler, le fait par lui. La différence ici est énorme, car avant d'agir,
vous montrez à votre Fils ce que vous vous voulez faire afin que se guidant sur
cet exemple que vous lui donnez avant d'agir, il se conforme parfaitement au
modèle que vous lui donnez, et que vous agissiez par lui. Mais pour cela, il
vous faut adresser à votre fils des paroles différentes de ce que vous êtes,
différentes de ce qu'il est lui-même. Dieu le Père se serait-il servi aussi
d'une parole étrangère pour parler à son Fils ? Mais le Fils est le Verbe du
Père ; se servirait-il du Verbe pour parler au Verbe ? Ou bien, comme le Fils
est la parole par excellence du Père, faut-il admettre entre le Père et le Fils
un échange de paroles d'un ordre inférieur ? Peut-on supposer qu'un son créé et
passager est sorti de la bouche du Père pour aller frapper l'oreille du Fils ?
Eloignez toute image corporelle, ne voyez ici que la simplicité, si vous-même
vous êtes simple. Si vous ne pouvez comprendre ce que c'est que Dieu, comprenez
du moins ce qu'il n'est pas : vous aurez beaucoup gagné, si vous n'avez pas sur
Dieu des pensées contraires à sa nature divine. Considérez dans votre âme une
image de la vérité que je veux vous expliquer. Dans votre âme je vois la
mémoire et la pensée. Votre mémoire présente la ville de Carthage à votre
pensée et montre à votre intelligence attentive ce qui existait dans Carthage
avant que votre attention se tournât de ce côté. Voilà donc tout à la fois et
la démonstration de la mémoire, et la vue de l'intelligence, et tout cela sans
aucun échange de paroles, sans qu'on ait fait usage d'aucun signe extérieur ;
et cependant tout ce que vous possédez dans votre mémoire, vous l'avez reçu du
dehors. Le Père au contraire n'a point reçu du dehors ce qu'il montre au Fils,
tout ici se fait à l'intérieur ; car aucune créature n'existerait au dehors, si
elle n'avait reçu l'existence du Père par le Fils, et c'est en la montrant à
son Fils que le Père l'a créée, parce qu'il l'a créée par son Fils au même
moment qu'il la voyait. Le Père engendre donc la vision du Fils, de la même
manière qu'il engendre le Fils, et c'est la démonstration du Père qui engendre
la vision du Fils, ce n'est pas la vision qui engendre la démonstration. Si
l'œil de notre âme plus épuré pouvait pénétrer plus avant dans ces profondeurs,
nous découvririons peut-être que le Père n'est point différent de l'acte par
lequel il montre à son Fils, de même que le Fils n'est point différent de l'acte
par lequel il voit ce qui lui est montré.
S. HIL. (de la Trin.,
7) Ce n'est donc point par ignorance, gardons-nous bien de le croire, que le
Fils unique de Dieu a besoin de cette révélation, et cette expression ne doit
réveiller dans notre esprit d'autre idée que la foi à la naissance du Fils, foi
en vertu de laquelle nous croyons que le Fils est sorti de toute éternité du
sein de Dieu toujours existant. — S. AUG.
(Traité 21.) A l'égard du Fils, voir le Père c'est la même chose
qu'être Fils. Le Père montre donc tout ce qu'il fait à son Fils, et c'est du
Père qu'il reçoit la connaissance de toutes choses, voir et naître sont une
même chose pour le Fils, et il tire la connaissance de toutes choses du même
principe qui lui communique l'être, la naissance et l'existence éternelle.
S. HIL. (de la Trin., 7)
La parole divine est pleine ici de prudence et de circonspection, de peur que
l'ambiguïté des termes ne donne l'idée de deux natures différentes. Voilà
pourquoi elle nous dit que les œuvres du Père ont été révélées au Fils, et non
pas qu'il a reçu pour les opérer une nature et une force particulières. Ainsi
cette révélation du Père au Fils c’est la génération elle-même du Fils, à qui
l'amour du Père communique par cette génération elle-même la connaissance des
œuvres qu'il veut faire par lui.
S. AUG. (Traité 21)
Mais voici que celui que nous avons dit coéternel au Père, contemplant le
Père, et le contemplant par l'acte même de sa génération, nous parle encore de
succession de temps : « Et il lui montrera des œuvres plus grandes que
celles-ci. » S'il les lui montrera, on bien s'il doit les lui montrer, il ne
les a donc pas encore montrées, et il les montrera au Fils en même temps qu'à
ceux qui l'écoutent : « Afin que vous les admiriez, » ajoute Notre-Seigneur.
(Traité 19.) Il est assez difficile de comprendre comment le Père
éternel peut révéler dans le temps de nouvelles choses à son Fils qui lui est
coéternel, et qui connaît tout ce qui existe dans le Père. Quelles sont ces
œuvres plus grandes ? la suite nous l'apprend : « Car comme le Père ressuscite
les morts et leur donne la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut. » C'est une œuvre plus
grande, en effet, de ressusciter les morts que de guérir les malades. (Traité
21.) Celui qui jusque-là avait parlé comme Dieu, commence ici à parler
comme homme. (Traité 23.) Dieu montrera donc dans le temps à son Fils
fait homme, des œuvres plus grandes, c'est-à-dire la résurrection des corps ;
car les corps ressusciteront par suite de la divine économie de l'incarnation
du Fils de Dieu dans le temps, tandis que les âmes ressusciteront par la vertu
de la nature éternelle de Dieu. C'est par la participation à la nature de Dieu,
que l'âme arrive au bonheur; ce n'est point en entrant en participation avec
une âme sainte, qu'une âme faible peut obtenir la félicité. De même que l'âme
(qui est inférieure à Dieu), communique la vie au corps qui lui est inférieur,
il n'y a qu'un être supérieur à l'âme, c'est-à-dire, Dieu qui puisse lui
communiquer la vie bienheureuse. Voilà pourquoi Nôtre-Seigneur a dit
précédemment que le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu'il fait ; le
Père montre au Fils comment les âmes ressuscitent, car c'est par le Père et le
Fils qu'elles sont arrachées à la mort, et elles ne peuvent vivre qu'à la
condition que Dieu soit leur vie. (Traité 21) On peut dire encore que ce n'est pas précisément au
Fils que le Père doit faire cette révélation, voilà pourquoi le Sauveur ajoute
: « Afin que vous les admiriez, » paroles qui sont l'explication de celles
qui précèdent : « Et il vous montrera des œuvres plus grandes encore, a Mais
pourquoi n'a-t-il pas dit : Il vous montrera, au lieu de : « II
montrera au Fils ? » C'est parce que nous sommes les membres de son
Fils, et il apprend pour ainsi dire de la même manière, qu'il souffre dans ses
membres. Il nous a dit : « Lorsque vous donnez au plus petit d'entre les miens,
c'est à moi que vous donnez ; » (Mt 25) de même, si nous lui demandons :
Comment pouvez-vous apprendre, vous qui enseignez toutes choses ? il nous
répondra : « Lorsque l'un des plus petits d'entre les miens apprend, c'est
moi-même qui apprends. »
S. AUG. (Traité 21.) Le Sauveur venait de dire que le Père
devait montrer à son Fils des œuvres plus grandes encore, il explique maintenant
quelles sont ces œuvres : « Car comme le Père ressuscite les morts, » etc. Evidemment, ces
œuvres sont plus grandes, car c'est un plus grand miracle de ressusciter un
mort, que de rendre la santé à un malade. Il ne faut pas entendre ces paroles dans
ce sens que les uns soient ressuscites par le Père, et les autres par le Fils ;
car le Fils ressuscite et vivifie ceux-là mêmes que le Père ressuscite et rend
à la vie. Et pour qu'on ne dise pas : Le Père ressuscite les morts par le Fils,
celui-ci en vertu de sa propre puissance, celui-là par le moyen d'une puissance
étrangère, et comme le serviteur fait l'œuvre de son maître, il établit
clairement la puissance du Fils en disant : « Ainsi le Fils donne la vie à qui
il veut. » (Traité 19.) Ne séparez donc pas ici la puissance du Fils de
sa volonté, le Père et le Fils ont une même puissance et une même volonté. (Traité
21.) Le Père n'a d'autre volonté que celle du Fils, ils n'ont qu'une seule
et même volonté, comme ils n'ont qu'une seule et même nature. — S. HIL. (de
la Trinit., 7) Vouloir est un effet de la liberté de la nature, et cette
liberté concourt avec la volonté du libre arbitre à conduire à la parfaite
félicité.
S. AUG. (Traité 21)
Mais quels sont ces morts à qui le Père et le Fils rendent la vie ?
Nôtre-Seigneur veut parler ici de la résurrection des morts, qui est l'objet
commun de notre espérance ; non cette résurrection des morts qu'il a rappelés à
la vie pour amener à la foi ceux qui en étaient témoins : Lazare, par exemple,
qui ressuscita, mais pour être encore victime de la mort, tandis que pour nous,
nous ressusciterons un jour pour vivre éternellement avec Jésus-Christ. Ces
paroles : « Comme le Père ressuscite et vivifie les morts, » ne s'appliquent
donc pas aux résurrections miraculeuses qu'il a opérées pendant sa vie
mortelle, mais à la résurrection qui sera suivie de la vie éternelle ; et
Nôtre-Seigneur prend soin d'établir cette vérité en ajoutant : « Car le Père ne
juge personne, » etc., preuve évidente qu'il a voulu parler de la résurrection
des morts, qui doit avoir lieu lors du jugement dernier. (Traité 23.) On
peut dire encore que ces paroles : « Comme le Père ressuscite les morts, »
etc., doivent s'entendre de la résurrection des âmes, et ces autres : « Le
Père ne juge personne,» etc., de la résurrection des corps. En effet, la
résurrection des âmes est l'œuvre de la puissance éternelle du Père et du Fils,
et elle exige le concours simultané du Père et du Fils. La résurrection des
corps, au contraire, est le fruit de l'incarnation du Fils de Dieu, incarnation
qui n'est pas coéternelle au Père. (Traité 21.) Voyez comme la parole de
Jésus-Christ dirige et conduit notre âme d'une pensée à une autre, et ne le
laisse pas s'arrêter dans des idées exclusivement matérielles ; elle l'exerce
par cette conduite, elle la purifie par cet exercice, et en la purifiant, elle
la rend capable de recevoir la grâce divine qui doit la remplir. Nôtre-Seigneur
avait dit précédemment : « Le Père montre au Fils tout ce qu'il fait,
» c'est-à-dire que le Père agissait, et que le Fils semblait attendre. Ici, je
vois le Fils qui agit seul, à l'exclusion, ce semble, du Père. — S. AUG. (de la Trin., 1, 13.) Ces
paroles : « Il a donné tout jugement au Fils, » ne doivent pas s'entendre
dans le même sens que ces autres : « Il a donné au Fils d'avoir la vie en
lui-même, » qui expriment la génération éternelle du Fils. Si ces deux
passages devaient s'entendre dans le même sens, le Sauveur n'aurait pas dit : «
Le Père ne juge personne, » car le fait seul pour le Père de la génération d'un
Fils qui lui est égal, entraîne nécessairement le pouvoir de juger avec lui.
Ces paroles signifient donc qu'au jour du jugement, ce ne sera pas la nature
divine, mais la forme du Fils de l'homme qui apparaîtra. Il ne faut pas
en conclure que celui qui a donné tout jugement au Fils, sera privé du droit
déjuger lui-même, parce que le Fils a dit de lui : « Il est quelqu'un qui en
prendra soin (de ma gloire), et qui jugera. » (Jn 8, 50.) Ces paroles :
« Le Père ne juge personne, » signifient donc simplement : Personne ne
verra le Père au jour du jugement, mais tous verront le Fils, parce qu'il est
le Fils de l'homme, et qu'il sera vu même des impies qui jetteront les yeux sur
celui qu'ils auront percé de plaies. (Za 12, 10. ) — S. HIL. (de la Trin.,
7) On bien encore, Nôtre-Seigneur ne voulant pas que ces paroles :
« Le Fils donne la vie à qui il veut, » fussent prises comme une négation
de sa génération divine, et comme une preuve que sa puissance ainsi que sa
nature ne venaient que de lui-même, il ajoute aussitôt : « Le Père ne juge
personne,» etc. Dans ces seules paroles : « Il a donné tout jugement au
Fils, » nous voyons tout à la fois la nature divine du Fils de Dieu et sa
génération ; car la nature divine seule peut tout avoir, et celui qui est
engendré ne peut rien avoir qu'il n'ait reçu. — S. CHRYS. (hom. 39.) De même qu'il lui a donné la vie,
c'est-à-dire qu'il l'a engendré vivant, ainsi lui a-t-il donné tonte puissance
pour juger, c'est-à-dire qu'il lui a communiqué cette puissance avec la
génération. II se sert ici du mot « il a donné,» pour
éloigner toute idée qui exclurait la génération, ou supposerait l'existence de
deux Pères. Il dit : « Toute puissance de juger, » parce qu'il
est le maître de punir et de récompenser selon son bon plaisir. — S. HIL, (de la Trin., 7) « Il
lui a donné toute puissance de juger, »
parce que le Fils donne la vie à qui il lui plait, mais il ne faut pas
croire que le Père soit privé de la puissance de juger, parce qu'il ne juge pas
lui-même, car le pouvoir judiciaire du Fils vient du pouvoir du Père qui a
donné au Fils toute puissance de juger, et Nôtre-Seigneur fait connaître la
raison de cette puissance qui lui est donnée : « Afin que tous honorent le Fils
comme ils honorent le Père. »
S. CHRYS. (hom. 39.)
De ce que le Père est le principe de l'existence et de la puissance du Fils, ne
concluez pas que le Fils soit d'une nature différente et n'ait point droit au
même honneur, car Nôtre-Seigneur unit étroitement l'honneur du Fils à l'honneur
du Père, et il établit clairement que l'honneur qui est dû au Père, est le même
qui est dû au Fils. Dirons-nous pour cela que le Fils est le Père ? Non, sans
doute, celui qui lui donne le nom de Père , n'honore pas encore le Fils comme
le Père, mais les confond tous deux ensemble. — S. AUG. (Traité 21.)
Pendant sa vie mortelle, le Fils ne paraissait que comme un serviteur, le Père
recevait les honneurs dus à Dieu, mais après le jugement, le Fils apparaîtra
comme l'égal de son Père, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le
Père. (Traité 19.) Mais s'il en étaient qui honorent le Père sans
honorer le Fils ? Cela est impossible : « Celui qui n'honore pas le Fils,
poursuit Nôtre-Seigneur, n'honore pas le Père qui l'a envoyé. » Autre chose est
de considérer Dieu en tant qu'il est Dieu, autre chose est de le considérer en
tant qu'il est Père. Lorsqu'on vous le fait considérer comme Dieu, vous vous le
représentez comme un être tout-puissant, comme un esprit souverain, éternel,
invisible, immuable. Mais lorsqu'on vous le fait considérer comme Père, cette
idée réveille aussitôt dans votre esprit l'idée de Fils, puisqu'on ne peut lui
donner le nom de Père, que parce qu'il a un Fils. Et si vous veniez à honorer
le Père comme plus grand que le Fils, et le Fils comme lui étant inférieur,
vous diminuez la gloire du Père en diminuant l'honneur que vous rendez au Fils.
Car quelle est alors votre pensée, c'est que le Père n'a pas voulu, ou qu'il
n'a pu engendrer un Fils qui lui fût égal ; s'il n'a pas voulu, ce serait donc
qu'il lui aurait envié l'existence, s'il ne l'a pu, c'est une preuve
d'impuissance. (Traités 23) Ou bien encore, ces paroles : « Afin que
tons honorent le Fils comme ils honorent le Père, » se rapportent à la
résurrection des âmes que le Fils opère simultanément avec le Père, tandis que
les paroles qui suivent : « Celui qui n'honore pas le Fils, n'honore pas le
Père, » se rapportent à la résurrection des corps. Ici Nôtre-Seigneur ne dit
pas : De la même manière que le Père, parce que Jésus-Christ en tant qu'homme n'a
pas droit aux mêmes honneurs que Dieu le Père. (Traité 21.) Vous me
direz : Le Fils a été envoyé, il est donc inférieur au Père qui l'a envoyé ?
Eloignez de votre esprit toute idée charnelle, et comprenez qu'il y a eu
mission, mais non point séparation ; les choses humaines nous induisent en
erreur, les vérités divines purifient notre intelligence, bien qu'ici les
choses humaines rendent témoignage contre elles-mêmes. Un homme veut demander
une femme en mariage, il ne peut le faire par lui-même, il charge un ami plus
puissant que lui de faire cette demande. Et cependant remarquez la différence
qui existe dans les choses humaines, un homme ne va pas avec celui qu'il
envoie, tandis que le Père, qui envoie le Fils, ne se sépare pas de lui, comme
le déclare Nôtre-Seigneur : « Je ne suis pas seul, parce que mon Père est avec
moi. » (Jn 16, 32.) — S. AUG. (de la Trin., 4, 20.) Ce n'est pas
précisément parce que le Fils est engendré du Père, que les Ecritures disent
que le Fils est envoyé, mais parce qu'il s'est manifesté au monde, lorsque le
Verbe s'est fait chair, ce qui lui fait dire : « Je suis sorti de mon Père, et
je suis venu en ce monde ; » (Jn 16, 28) ou bien, parce qu'il est
successivement envoyé et reçu dans le cœur des fidèles suivant cette parole : «
Envoyez-la du ciel (votre sagesse), et du trône de votre grandeur, afin qu'elle
soit avec moi, et qu'elle agisse avec moi. » (Sag., 9, 10.) — S. HIL. (de
la Trin.) Toute issue est donc fermée aux inventions sataniques de
l'hérésie. Jésus est le Fils de Dieu, parce qu'il ne fait rien de lui-même ; il
est Dieu, parce qu'il fait tout ce que fait le Père, il ne fait qu'un avec le
Père, parce qu'ils ont droit aux mêmes honneurs, et cependant il n'est point le
Père, parce qu'il est envoyé.
LA GLOSE. Nôtre-Seigneur avait dit précédemment : « Le Fils
donne la vie à qui il veut ; » il lui restait à faire connaître comment le Fils
nous conduit à la vie : » En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui
écoute ma parole, » etc. — S. AUG. (Traité
22.) La vie éternelle consiste à écouter et à croire, mais encore plus à
comprendre. La foi est le degré qu'il faut franchir pour arriver à
l'intelligence qui est le fruit de la foi. Remarquez que le Sauveur ne dit
pas : Celui qui croit en moi, mais : « Celui qui croit à
celui qui m'a envoyé. » Pourquoi donc, Seigneur, entend-il votre parole, et
croit-il à un autre que vous ? Que voulez-vous dire ? si ce n'est : la parole
de celui qui m'a envoyé est en moi ? « Il entend ma parole, » c'est-à-dire,
c'est moi qu'il entend : « Il croit à celui qui m'a envoyé, » c'est-à-dire,
qu'en croyant en lui, il croit à sa parole, et en croyant à sa parole, c'est en
moi qu'il croit, parce que je suis la parole, le Verbe du Père.
S. CHRYS. (hom. 39.)
Le Sauveur ne dit pas : « Celui qui écoute ma parole et qui croit en moi; » ce
que les Juifs auraient regardé comme l'expression d'un orgueil qui veut
s'élever outre mesure. En disant au contraire : « Celui qui croit à celui qui
m'a envoyé ; » il faisait plus facilement accepter sa doctrine. Deux
considérations venaient à l'appui, il enseignait que c'était au Père qu'il
fallait croire, et il promettait toute sorte de biens comme récompense de la
foi qu'il demandait : « Il ne vient pas en jugement. » — S. AUG. (Traité
22.) Mais que signifient ces paroles ? Y aura-t-il donc un homme plus
vertueux que saint Paul, qui nous déclare : « Qu'il nous faut tous comparaître
devant le tribunal de Jésus-Christ. » (Rm 14 ; 2 Co 5)
Nous répondons que le jugement emporte quelquefois l'idée de punition, tandis
que dans d'autres circonstances, il signifie un simple examen ou un jugement de
séparation. Nous devrons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ,
pour subir ce jugement de séparation et d'examen. Mais ici Nôtre-Seigneur veut
parler du jugement qui emporte condamnation, et ces paroles : « Il ne vient
point en jugement, » signifient : « Il n'encourt pas une sentence de
condamnation, » mais ajoute le Sauveur : « Il a passé de la mort à la vie ; »
ce passage n'est pas encore entièrement effectué, mais dès maintenant il a
passé de la mort de l'infidélité à la vie de la foi, de la mort de l'iniquité à
la vie de la justice. Ou bien encore, Nôtre-Seigneur veut vous désabuser de la
pensée que la foi vous préserverait de la mort du corps, et bien vous convaincre
que vous paierez cette dette de la mort que vous a fait contracter le péché
d'Adam, qui nous représentait tout aux yeux de Dieu ; personne ne peut échapper
à cette sentence qu'il entendit porter contre lui : « Vous mourrez de mort. »
Mais après avoir payé on mourant cette dette du vieil homme, vous reprendrez la
vie de l'homme nouveau, et vous passerez de la mort à la vie. (Traité 19.)
Et à quelle vie ? à la vie éternelle, car les morts qui ressusciteront à la fin
du monde ressusciteront pour la vie éternelle. (Traité 22.) Quant à
cette vie, elle ne mérite point le nom de vie, parce qu'il n'y a de véritable
vie que la vie éternelle.
S. AUG. (serm. 64 sur
les par. du Seign.) Nous voyons les hommes dans leur amour passionné pour
cette vie périssable et mortelle, se donner mille efforts pour combattre la
crainte de la mort, et faire tout ce qu'ils peuvent, non pour se soustraire à
la mort, mais pour en retarder l'heure fatale. Mais si vous prenez tant de
soins, si vous vous donnez tant de peine pour prolonger votre vie de quelques
jours, que ne devez-vous pas faire pour la rendre éternelle ? Et si l'on donne
le nom de prudents, ceux qui tentent l'impossible pour retarder leur mort, et
vivre quelques jours de plus, combien sont insensés ceux qui vivent de manière
à perdre la vie éternelle.
S. AUG. (Traité 23
sur S. Jean.) On aurait pu faire cette difficulté au Sauveur : « Le Père
vivifie ceux qui croient en lui, et vous, ne pouvez vous donner aussi la vie ?
» Vous voyez ici que le Fils donne également la vie à qui il veut : « En
vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient, et elle est déjà venue, où
les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'entendront vivront.
» — S. CHRYS. (hom. 39.)
Et n'allez pas croire que ces paroles : « L'heure vient, » doivent
s'entendre d'un temps encore éloigné, car Nôtre-Seigneur ajoute :
« Et elle est venue, » et la parole du Fils de Dieu a été alors aussi
efficace qu'elle le sera lorsqu'elle nous commandera de ressusciter à la fin du
monde. — THEOPHYL. Le Sauveur
voulait parler ici de ceux qu'il devait ressusciter pendant sa vie mortelle, de
la fille du chef de la synagogue, du fils de la veuve de Naïm et de Lazare. —
S. AUG. (Traité 22.) Ou
bien encore, Nôtre-Seigneur ne veut pas que nous entendions de la résurrection
future ces paroles : « Il passe de la mort à la vie, » et pour nous
apprendre que ce bienheureux passage s'opère dans celui qui croit, il ajoute :
« En vérité, en vérité, l'heure vient. »
Quelle est cette heure ? Elle est venue, c'est l'heure où les morts
entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'entendront vivront. (Traité
29.) Il ne dit pas : Ils entendent parce qu'ils vivent, mais ils revivront
parce qu'ils entendront. Que veut dire ce mot : « Ils entendront ? »
c'est-à-dire : « Ils obéiront. » (Traité 22.) Ceux qui croient et qui
vivent selon les règles de la vraie foi, vivent véritablement et ne sont plus
soumis à la mort ; mais pour ceux qui refusent de croire, ou dont la vie
coupable est en désaccord avec leur foi, et qui ont perdu la charité, il faut
bien plutôt les mettre au rang des morts. Cependant cette heure dont il est ici
parlé dure encore, elle se prolonge jusqu'à la fin du monde, comme saint Jean
le déclare : « Nous sommes dans la dernière heure. » (1 Jn 2) — S. AUG. (serm.
61 sur les par. du Seig.) Lorsque les morts, c'est-à-dire les
infidèles, entendront la voix du Fils de Dieu (c'est-à-dire l'Evangile), ceux
qui l'entendront (c'est-à-dire qui obéiront), vivront, c'est-à-dire, seront
justifiés et cesseront d'être infidèles.
S. AUG. (Tr. 22.) On me fait cette question : Le Fils a-t-il en
lui la vie qu'il puisse communiquer à ceux qui croient ? Je réponds : Oui il a
en lui-la vie, lui-même vous l'atteste : « Comme le Père a la vie en lui-même,
ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même. » (Traité 19.) La
vie est une chose qui lui est propre, elle ne lui vient point d'un principe
étranger, il ne l'a point par emprunt, comme s'il entrait en participation de
la vie. La vie n'est antre chose que lui-même, et il a la vie en lui-même, il
est lui-même sa vie. — Et vous, ô âme, est-ce que vous n'étiez pas morte ?
Ecoutez le Père par la voix du Fils, levez-vous pour recevoir en vous la vie
que vous n'avez pas en vous-même, cette vie vous est donnée par le Père, elle
vous est donnée par le Fils qui a la vie en lui-même, et c'est la première
résurrection. Or, cette vie qui est le propre du Père et du Fils, est la vie de
l'âme, et l’âme raisonnable seule, à l'exclusion du corps, peut participer à
cette vie de la sagesse.
S. HIL. (des syn.
défin., 6.) Les hérétiques, pressés de tous côtés par l'autorité des
Ecritures, sont forcés d'attribuer au Fils une puissance semblable à celle du
Père, mais sans vouloir accorder qu'il ait une même nature, et ils ne comprennent
pas que l'égalité de puissance ne peut venir que de l'égalité de nature. Une
nature inférieure ne peut jamais recevoir la puissance d'une nature qui lui est
de beaucoup supérieure. Or, on ne peut nier que le Fils de Dieu n'ait une
puissance égale à celle du Père, puisqu'il affirme lui-même que : « Tout ce que
le Père fait, le Fils le fait pareillement, » et cette égalité de puissance
entraîne nécessairement l'égalité de nature comme il le déclare expressément :
« De même que le Père a la vie en lui ; ainsi il a donné à son Fils
d'avoir la vie en lui. » La vie est ici synonyme de nature et d'essence, et
Nôtre-Seigneur nous apprend à la fois qu'il possède cette vie et qu'elle lui a
été donnée. (Défin. 4.) La vie qui est dans le Père et dans le Fils, signifie
la nature, l'essence et la vie qui est engendrée de la vie (c'est-à-dire,
l'essence qui est engendrée de l'essence) ; comme elle n'est point différente
de son principe, parce qu'elle est la vie qui naît de la vie, elle possède en
vertu de son origine une parfaite égalité de nature.
S. AUG. (de la Trin., 15,
26) Comprenons-donc que le Père ne donne pas la vie à son Fils, comme s'il en
était privé auparavant, et qu'il l'engendre en dehors de toute succession de
temps, en sorte que la vie que le Père donne à son Fils en l'engendrant, est
coéternelle à la vie de celui qui l'engendre. — S. HIL. (de la Trin., 9) Ce qui naît vivant d'un être
vivant, possède la perfection dès sa naissance, sans qu'il y ait création d'une
nature nouvelle, car ce qui est engendré d'un autre être vivant, n'est point
une nature nouvelle, parce que ce n'est pas du néant que la vie est sortie ; la
vie qui prend sa naissance au sein même de la vie, doit nécessairement avoir
l'unité de nature, et celui qui est ainsi engendré doit posséder toute
perfection, de telle sorte qu'il vive dans celui qui l'a engendré, et qu'il ait
en lui la vie véritable. Notre faible nature humaine est composée d'éléments
fort disparates, et la vie pour elle semble sortir des choses inanimées ; elle
ne vit pas aussitôt ni toute entière de la vie qu'elle reçoit par la
génération, et il y a en elle beaucoup d'éléments qui, après s'être développés,
tombent et périssent sans avoir eu le sentiment de la vie. En Dieu, au
contraire, tout ce qui existe a la vie, car Dieu est la vie même, et la vie ne
peut produire que la vie. — S. AUG. (Traité 22.) Ces paroles : « Il a
donné au Fils, si ont donc la même signification que celles-ci : « Il a
engendré son Fils, » car c'est en l'engendrant qu'il lui a donné la vie.
De même qu'il lui a donné l'être, il lui a donné d'être la vie, d'être la vie
en lui-même, sans avoir besoin de la recevoir d'ailleurs, et d'avoir en lui la
plénitude de la vie pour la communiquer à tous ceux qui croient. Qu'importé
donc que l'un ait donné et l'autre reçu ? — S. CHRYS. (hom. 39.) Vous voyez donc ici l'égalité
absolue et parfaite, il n'y. a qu'une seule différence, c'est que l'un existe
comme Père, et l'autre comme Fils. — S. HIL. (des synod. définit. 2.) Il
faut distinguer ici entre celui qui donne et celui qui reçoit ; on ne peut
supposer que ce soit la même personne qui donne et qui reçoive, puisque l'un
est vivant par lui-même, et que l'autre déclare vivre de la vie qu'il a reçue
de son Père.
THEOPHYL. Le Père a donné à son Fils, non-seulement le pouvoir
de donner la vie, mais la puissance pour juger : « Et il lui a donné le
pouvoir. » — S. CHRYS. (hom, 39.)
Pourquoi Nôtre-Seigneur rappelle-t-il continuellement les idées de jugement, de
résurrection et de vie ? parce que rien n'est plus propre à conduire à la foi
les esprits les plus rebelles. Celui qui est profondément convaincu qu'il
ressuscitera, cl qu'il doit payer au Fils de Dieu, la peine des fautes qu'il a
commises, sans autre considération, s'empresse de se rendre son juge favorable.
« Parce qu'il est le Fils de l'homme ne vous étonnez pas. » Paul
de Samosate dispose ainsi le texte sacré : « Il lui a donné le pouvoir de
juger, parce qu'il est le Fils de l'homme. » Mais cette manière de lire est
contraire à toute logique ; le Sauveur en effet n'a pas reçu la puissance de
juger parce qu'il est homme, car alors pourquoi tous les hommes ne
recevraient-ils pas le même pouvoir ? Mais il est juge parce qu'il est le Fils
ineffable de Dieu. Voici donc comment il faut lire : « Ne vous étonnez pas de
ce qu'il est le Fils de l'homme. » Un des grands obstacles qui s'opposaient
dans l'esprit des Juifs à la parfaite intelligence des enseignements du
Sauveur, c'est qu'ils ne voyaient en lui qu'un homme ; tandis que sa doctrine
était de beaucoup supérieure à celle des hommes, à celle des anges et semblait
ne convenir qu'à un Dieu. Il va donc au-devant de cette difficulté et leur dit
: « Ne vous étonnez point, parce qu'il est le Fils de l'homme, » et il
en donne la raison : « Car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux
entendront la voix du Fils. » Et pourquoi leur dit-il : « Ne vous
étonnez point parce qu'il est le Fils de l'homme, parce qu'il est en même temps
le Fils de Dieu. » Il vient de parler de la résurrection, comme
d'une oeuvre qui est l'œuvre de Dieu par excellence, et il laisse à ses
auditeurs à tirer la conséquence qu'il était Dieu et Fils de Dieu. En effet
ceux qui font usage de raisonnements, lorsque les propositions qu'ils avancent
prouvent évidemment la vérité qu'ils établissent, se dispensent de tirer
eux-mêmes la conclusion, mais pour rendre la victoire plus éclatante, ils
laissent à leurs contradicteurs le soin de tirer cette conséquence contre
eux-mêmes. Lorsqu'il a fait allusion précédemment à la résurrection de Lazare,
il n'a point parlé du jugement, car Lazare n'est point ressuscité pour le
jugement ; mais lorsqu'il parle de la résurrection générale, il y joint le
souvenir du jugement : « Et ceux qui auront fait le bien en sortiront pour une
résurrection de vie, et ceux qui auront fait le mal pour une résurrection de
châtiment. » Il avait dit précédemment : « Celui qui écoute ma parole et qui
croit à celui qui m'a envoyé, n'entre point en jugement ; » mais pour ne point
laisser croire que la foi suffît pour être sauvé, il y joint ici la nécessité
d'une vie pleine de bonnes œuvres : « Et ceux qui ont fait le bien en
sortiront pour une résurrection de vie. »
S. AUG. (Traités 22
et 23) On peut encore expliquer autrement ces paroles : « Dieu lui a donné
d'avoir la vie en lui-même en tant qu'il était le Verbe qui était en Dieu dès
le commencement ; mais le Verbe s'est fait chair dans le sein de la Vierge
Marie, et c'est parce qu'il s'est fait homme qu'il est le Fils de
l'homme, » et c'est à ce titre qu'il a reçu le pouvoir de juger, pouvoir
qu'il exercera à la fin du monde alors qu'aura lieu la résurrection des corps.
Dieu ressuscite donc les âme-par Jésus-Christ Fils de Dieu, et il ressuscite
les corps par Jésus-Christ. Fils de l'homme. Et c'est pour cela qu'il ajoute :
« Parce qu'il est le Fils de l'homme, » car comme Fils de Dieu, il a
toujours eu ce pouvoir. » — S. AUG. (Sermon
64 sur les par. du Seign.) C'est sous la forme extérieure du Fils de
l'homme que Jésus-Christ doit juger les hommes, il les jugera sous cette forme
qu'ils l'ont jugé eux-mêmes, le même qui a comparu devant le tribunal d'un juge
de la terre montera sur son tribunal pour juger à son tour, il condamnera les
vrais coupables, lui qui a été condamné malgré les fausses accusations dont il
a été chargé. Il fallait en effet que ceux qui devaient être jugés vissent leur
juge de leurs propres yeux ; mais comme ce jugement devait s’étendre aux bons
comme aux méchants, il convenait qu'il se manifestât sous la forme de serviteur
aux bons et aux méchants, et qu'il réservât exclusivement aux bons la vue de la
nature divine suivant ces paroles. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur,
parce qu'ils verront Dieu. »
S. AUG. (Traité 19) Aucun de ceux qui ont essayé
d'établir des sectes où l'erreur était substituée à la vérité, n'ont pu nier la
résurrection spirituelle qui rend les âmes meilleures, et les fait passer du
vice à la vertu ; mais beaucoup d'entre eux ont nié la résurrection de la
chair, et que pourrions-nous leur répondre, Seigneur Jésus, si vous n'eussiez
affirmé cette vérité. C'est donc pour en établir plus solidement la croyance
qu'il ajoute : « Ne vous étonnez pas, » c'est-à-dire ne soyez pas surpris que
Dieu ait donné au Fils de l'homme le pouvoir de juger, car « l'heure vient, »
etc.— S. AUG. (Sermon 64
sur les par. du Seig.) Il n'ajoute pas ici comme précédemment : « Et cette
heure est venue, » parce qu'elle ne doit venir qu'à la fin du monde. Ne vous
étonnez pas que j'aie dit : « Il faut que les hommes soient jugés par un
homme, mais quels sont ces hommes ? Non-seulement ceux qui seront alors en vie
; car voici l'heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux, » etc. — S. AUG. (Traité 19) Quoi de
plus évident ? Ce sont les corps et non pas les âmes qui sont dans les
tombeaux. Lorsqu'il disait plus haut : « L'heure vient » et qu'il
ajoutait : « Et elle est venue, » il continuait en ces termes : « Où les morts
entendront la voix du Fils de Dieu ; » il ne dit pas : Tous les morts, car ces
morts dont il parle sont les pécheurs, et tous n'obéissent pas à l'Evangile.
Mais à la fin du monde, tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix
et en sortiront. Notre-Seigneur n'ajoute point : Et ils vivront, comme
précédemment, ce qu'il disait de la vie éternelle et bienheureuse, qui ne sera
point le partage de tous ceux qui sortiront des tombeaux. Vous avez
certainement et sans nul doute reçu le pouvoir de juger, parce que vous êtes le
Fils de l'homme, les corps ressusciteront tout d'abord, mais dites-nous quelque
chose de ce jugement. Ecoutez sa réponse : Ceux qui auront fait le bien
sortiront des tombeaux pour la résurrection de la vie, c'est-à-dire pour vivre
avec les anges de Dieu ; et ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du
jugement, » et ici le mot jugement est synonyme de châtiment.
S. AUG. (Traité 19 sur
S. Jean.) Nous étions sur le point de dire à Nôtre-Seigneur Jésus-Christ :
C'est vous qui jugerez et non pas votre Père, est-ce que votre jugement ne sera
pas conforme à sa volonté ? C’est pourquoi le Sauveur ajoute : « Je ne
puis rien faire de moi-même, » etc. — S. CHRYS.
(hom. 39.) C'est-à-dire vous ne me verrez rien faire qui soit
contraire ou opposé à la volonté du Père, mais « selon que j'entends, je juge,
» c'est-à-dire qu'il est impossible que ma volonté ne soit pas conforme en tout
à celle de mon Père ; et je juge absolument comme si mon Père lui-même jugeait.
— S. AUG. (Traité 23) Lorsqu'il
était question de la résurrection des âmes, il ne disait pas : J'entends mais
je vois. » Ici au contraire, il dit « J'entends, » comme la voix du Père
qui commande ; il parle ici comme homme, et sous ce rapport, son Père
est plus grand que lui.
S. AUG (Contre le
serm. des Ar., chap. 13) On peut dire encore que ces paroles : « Selon
que j'entends, je juge » doivent s'entendre de la dépendance où Jésus se trouve
vis-à-vis de Dieu comme Fils de l'homme ; ou même de cette nature simple et
immuable qui appartient au Fils mais qu'il a reçue du Père, nature pour
laquelle entendre, voir, être sont une seule et même chose, de sorte que la
faculté de voir, d'entendre lui vient du même principe que son existence,
(chap. 17) Il juge selon qu'il entend, parce que le Verbe ayant été engendré
pour être la vérité, il doit nécessairement juger selon la vérité, (chap. 18)
« Et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, »
etc. En parlant de la sorte, Nôtre-Seigneur veut rappeler à notre pensée cet
homme qui, en cherchant sa volonté et non la volonté de son Créateur, ne porta
point de lui-même un juste jugement, mais obligea Dieu à porter sur lui ce
juste jugement. En faisant sa volonté, il crut qu'il échapperait à la mort, et
en cela son jugement ne fut pas juste. Il fit donc sa volonté et en fut puni
par la mort, parce que le jugement de Dieu est juste, C'est ce jugement auquel
le Fils de Dieu se conforme en ne cherchant pas sa volonté en tant qu'il est le
Fils de l'homme, non pas que sa volonté n'ait aucune part dans le jugement
qu'il rend, mais parce que cette volonté qui lui est propre est en tout point
conforme à la volonté du Père. — S. AUG. (Traité 19.) Je ne cherche pas
ma volonté propre, c'est-à-dire la volonté du Fils de l'homme qui soit opposée
à celle de Dieu. Les hommes font leur volonté et non celle de Dieu, lorsqu'ils
font ce qu'ils veulent au préjudice de ce que Dieu commande. Mais lorsque tout
en faisant ce qu'ils veulent, ils suivent cependant la volonté de Dieu, ce
n'est plus leur volonté qu'ils suivent. Ou bien encore, il dit : « Je ne
cherche pas ma volonté, » parce que Jésus-Christ n'existe point par lui-même,
mais par son Père. — S. CHRYS. (hom.
39.) C'est ainsi qu'il établit que la volonté du Père n'est point différente de
la sienne, mais qu'ils n'ont tous deux qu'une seule et même volonté. Si son
langage vous parait un peu trop le langage de l'homme, n'en soyez pas surpris,
les Juifs ne voyaient en lui qu'un homme. Il prouve que son jugement est juste
par les raisons que tout homme apporterait pour se justifier en pareille
circonstance. En effet, celui qui songe à faire prévaloir ses intérêts, sera
facilement soupçonné d'avoir altéré la justice ; mais celui qui ne se guide
point d'après des vues personnelles n'est point exposé à prononcer des
jugements injustes. — S. AUG. (Traité 22) Le Fils unique dit :
« Je ne cherche pas ma volonté, » elles hommes ne veulent faire que leur
volonté. Faisons donc la volonté du Père et de Jésus-Christ et de l'Esprit
saint, parce qu'ils n'ont qu'une même volonté, une même puissance, une même
majesté.
S. CHRYS. (hom. 40
sur S. Jean.) Notre-Seigneur Jésus-Christ venait de s'attribuer de
grands privilèges, mais sans en donner encore de démonstration évidente. Pour
première preuve, il apporte l'objection qu'on pouvait lui faire : « Si je
rends témoignage de moi-même, mon témoignage n'est pas vrai. » Mais qui ne serait
troublé en entendant ces paroles du Sauveur ? car en mille endroits, nous le
voyons se rendre témoignage à lui-même. Si donc tous ces témoignages sont
dépourvus de vérité, quelle espérance de salut nous reste-t-il ? Où
pourrons-nous trouver la vérité, alors que la vérité elle-même nous dit : » Mon
témoignage n'est pas vrai ? » Nôtre-Seigneur en parlant ainsi n'exprime pas sa
pensée propre comme Fils de Dieu, mais celle des juifs qui pouvaient lui
objecter : Nous ne croyons pas en vous, parce que nul bomme qui se rend
témoignage à lui-même, n'est digne de foi. Après avoir reproduit cette
objection des Juifs, il apporte trois preuves évidentes et irréfragables, en
produisant trois témoins de la vérité de ses paroles, les œuvres qu'il a
faites, le témoignage du Père et la prédication de Jean-Baptiste, et il
commence par le témoignage le moins fort, celui de Jean-Baptiste : « Il en est
un autre qui rend témoignage de moi, » etc. — S. AUG. (serm. 43 sur les par. du Seig.) Jésus
savait bien que son témoignage était vrai ; mais le soleil cherchait des
flambeaux par ménagement pour les infirmes et pour les incrédules, car leurs
yeux malades ne pouvaient supporter l'éclat du soleil, Jean-Baptiste fut donc
choisi pour rendre témoignage à la vérité. Est-ce que les martyrs ne sont pas
les témoins de Jésus-Christ, pour rendre témoignage à la vérité ? Mais en y
réfléchissant de plus près, lorsque les martyrs lui rendent témoignage, c'est
lui qui se rend témoignage à lui-même, car c'est lui qui habite dans les martyrs,
et leur inspire le témoignage qu'ils rendent à la vérité.
ALCUIN. On peut dire encore que Jésus-Christ étant Dieu et homme, manifeste
tour à tour les propriétés de ces deux natures ; tantôt il parle le langage qui
convient à l'humanité qu'il s'est unie, tantôt celui qui n'appartient qu'à la
divinité. C'est donc en tant qu'homme qu'il dit. « Si je rends témoignage de
moi-même, mon témoignage n'est pas vrai, » paroles dont voici le sens :
« Si je rends témoignage de moi-même en tant que je suis homme (c'est-à-dire
en séparant ce témoignage de celui de Dieu), mon témoignage n'est pas vrai. »
C'est pour cela qu'il ajoute : « C'est un autre qui rend témoignage de
moi. » En effet, le Père a rendu témoignage de Jésus-Christ, et sa voix s'est
fait entendre au baptême du Sauveur, et sur la montagne où il fut transfiguré :
« Et je sais que son témoignage est vrai. » Car Dieu est vérité et le
témoignage de la vérité ne peut être que véritable.
S. CHRYS. (hom. 40.)
Mais d'après la première interprétation, les Juifs pouvaient faire au Sauveur
cette nouvelle objection : « Si votre témoignage n'est pas vrai, comment
pouvez-vous dire que vous savez que le témoignage de Jean-Baptiste est
véritable ? » Nôtre-Seigneur répond à cette pensée en ajoutant : « Vous avez envoyé
à Jean, » etc., ce qui veut dire : Vous n'auriez pas député des envoyés à Jean,
si vous ne l'aviez pas cru digne de foi. Et ce qu'il y a de plus fort, ces
envoyés ne devaient pas lui demander ce qu'il pensait du Christ, mais ce qu'il
pensait de lui-même. Ils ne lui disent pas, en effet : Que dites-vous du Christ
? mais : « Qui êtes-vous ? » Que
dites-vous de vous-même ? tant était grande l'admiration qu'ils professaient
pour lui. — ALCUIN.
Jean-Baptiste a rendu
témoignage non pas à lui-même, mais à la vérité; comme un ami de la vérité, il
a rendu témoignage à Jésus-Christ qui est la vérité. Or, Nôtre-Seigneur ne
rejette pas précisément le témoignage de Jean, comme un témoignage qui ne lui
fut pas nécessaire, mais il leur apprend que leurs regards ne doivent pas se
fixer sur Jean, au point de les empêcher d'admettre que Jésus-Christ seul leur
est nécessaire. C'est pour cela qu'il ajoute : « Pour moi, ce n'est pas d'un
homme que je reçois témoignage. » — BEDE.
Parce que je n'en ai pas besoin. Si Jean, d'ailleurs, rendit témoignage
à Jésus-Christ, c'était moins pour le grandir dans l'esprit des juifs, que pour
leur en donner la connaissance.
S. CHRYS. (hom. 40.)
Le témoignage de Jean-Baptiste n'était autre que le témoignage de Dieu, car
c'est Dieu lui-même qui le lui avait dicté. Mais Nôtre-Seigneur va au-devant
d'une objection, que les Juifs pouvaient lui faire : Où est la preuve que c'est
Dieu lui-même qui a dicté ce témoignage à Jean-Baptiste, en ajoutant : « Je
vous dis ces choses, afin que vous soyez sauvés, » c'est-à-dire , moi qui suis
Dieu, je n'avais pas besoin d'un témoignage humain, mais je vous rappelle ce
témoignage, parce qu'il a eu le privilège d'attirer votre attention, et que
vous l'avez jugé digne de confiance à l'exclusion de tout autre, tandis que
vous n'avez pas voulu croire en moi malgré les miracles que j'ai opérés. Ils
pouvaient encore lui dire : Qu'importé le témoignage de Jean, si nous ne
l'avons pas reçu ? Jésus leur prouve qu'ils ont cru aux paroles du Précurseur :
« Il était la lampe ardente et luisante, et un moment vous avez voulu vous
réjouir à sa lumière. » Cette expression : « un moment »
prouve la facilité avec laquelle ils ont cru, et le peu de durée de leur foi ;
si cette foi avait persévéré, Jean les aurait conduits comme par la main à
Jésus-Christ. Il appelle le saint Précurseur une lampe, parce que sa lumière ne
venait pas de lui-même, mais de la grâce de l'Esprit saint. — ALCUIN. Jean était donc comme une lampe
éclairée par Jésus-Christ qui est la vraie lumière, brûlant de foi et de
charité, brillant par la parole et par les oeuvres, envoyé devant le Christ
pour confondre ses ennemis, selon ces paroles du psaume 131 : « J'ai préparé
une lampe à mon Christ, je couvrirai de confusion ses ennemis. »
S. CHRYS. (hom. 40.) Si donc je vous rappelle le souvenir de
Jean, ce n'est pas que j'aie besoin de son témoignage, c'est dans l'intérêt de
votre salut ; car pour moi, j'ai un témoignage plus grand que celui de Jean,
c'est le témoignage de mes œuvres : « Car ces œuvres que mon Père m'a
données à faire, ces œuvres que je fais moi-même, rendent témoignage de moi. »
ALCUIN. Jésus rend la vie aux aveugles, l'ouïe aux sourds, il délie la langue
des muets, il met les démons en fuite, il ressuscite les morts, ce sont là les
œuvres qui rendent témoignage de lui. — S. HIL.
(de la Trin., 6) Ce n'est pas seulement par le témoignage du nom
qu'il porte, que le Fils unique de Dieu prouve sa filiation divine, mais par
les œuvres de sa puissance, qui attestent qu'il est vraiment l'envoyé du Père,
en qui nous voyons éclater tout à la fois l'obéissance du Fils et l'autorité du
Père. Mais comme les œuvres ne sont point un témoignage suffisant pour les
incrédules, il ajoute : « Et mon Père qui m'a envoyé a rendu lui-même
témoignage de moi. » Parcourez toutes les pages de l'Evangile, et examinez
sérieusement ce qu'elles renferment, et vous n'y trouverez aucun témoignage du
Père qui ne proclame que Jésus-Christ est son Fils. Quelle est donc cette
erreur calomnieuse (et quel en est le motif), qui ne voit dans la filiation
divine qu'une simple adoption, accuse Dieu de mensonge, et réduit à rien les
noms qui sont donnés au Fils ?
BEDE. La mission du Fils n'est autre que son incarnation. Notre-Seigneur
prouve ensuite que Dieu est incorporel et ne peut par conséquent être vu des
yeux du corps : « Mais vous n'avez jamais entendu sa voix, ni vu sa
figure. » — ALCUIN. Les Juifs
auraient pu lui dire : « Nos pères ont entendu la voix de Dieu sur le
Sinaï, et ils l'ont vu sous la forme de feu ; si donc Dieu consentait à rendre
témoignage de vous, nous pourrions entendre sa voix, Jésus les prévient et leur
dit : « J'ai le témoignage que me rend mon Père, bien que vous ne le compreniez
pas, parce que vous n'avez jamais entendu sa voix, et vous n'avez jamais vu sa
figure. » — S. CHRYS. (hom. 40.) Comment donc
Moïse a-t-il pu dire : « S'est-il jamais fait une chose semblable, et
jamais a-t-on ouï dire qu'un peuple ait entendu la voix du Seigneur parlant du
milieu du feu, comme vous l'avez entendue, sans être frappé de mort ? (Dt 4,
33-34.) Isaïe et plusieurs autres encore attestent qu'ils ont vu Dieu. Que
signifient donc ces paroles du Sauveur ? Il veut donner aux Juifs des idées
plus saines et plus exactes sur Dieu, en leur enseignant peu à peu que Dieu n'a
ni voix, ni figure ; mais qu'il est supérieur à toutes les figures et à tous
les langages possibles. En effet, ces paroles : « Vous n'avez jamais
entendu sa voix, » ne signifient pas que Dieu ait une voix, bien
qu'inintelligible pour l'homme ; de même que ces autres paroles : « Et vous
n'avez jamais vu sa figure, » ne veulent pas dire que Dieu ait une forme
sensible, quoique invisible pour l'homme ; mais il veut établir qu'il n'y a en
Dieu ni voix ni figure. — ALCUIN. Ce
n'est donc point avec les oreilles du corps, mais avec l'intelligence du cœur,
que Dieu peut être entendu par la grâce de l'Esprit saint. Or, les Juifs
n'avaient pas entendu cette voix toute spirituelle, parce qu'ils refusaient de
l'aimer et d'obéir à ses commandements ; et ils ne pouvaient voir sa face, parce
que ce n'est point des yeux du corps, mais des yeux de la foi et de l'amour
qu'elle peut être vue.
S. CHRYS. (hom. 40.)
Les Juifs ne pouvaient même se flatter d'avoir reçu les commandements de Dieu,
et de les observer, aussi le Sauveur ne craint pas de leur dire : « Et vous
n'avez point sa parole demeurant en vous, » c'est-à-dire les préceptes divins,
la loi, les prophètes, dont Dieu est l'auteur, et que vous ne recevez pas comme
vous devriez le faire. En effet, les Ecritures vous enseignent en mille endroits
à croire en moi, et vous refusez de croire, n'est-ce pas une preuve évidente
que vous n'avez point en vous la parole de Dieu, et il ajoute : « Parce que
vous ne croyez pas en celui qu'il a envoyé. »
ALCUIN. Ou bien encore, ils n'ont pas le Verbe qui était au commencement
demeurant en eux, parce qu'ils négligent de conserver le souvenir de la parole
de Dieu qu'ils ont entendue, et encore plus de la mettre en pratique.
Nôtre-Seigneur avait déclaré qu'il avait pour lui le témoignage de Jean, de ses
œuvres, de son Père ; il y ajoute le témoignage de la loi qui leur avait été
donnée par Moïse : « Approfondissez les Ecritures, puisque vous pensez avoir en
elles la vie éternelle ; ce sont elles qui rendent témoignage de moi, »
c'est-à-dire, vous qui pensez trouver dans les Ecritures la vie éternelle, et
qui me rejetez comme contraire à Moïse, vous arriveriez à comprendre par le
témoignage de Moïse lui-même, que je suis Dieu ; si vous vouliez étudier
sérieusement ces Ecritures, car toutes les Ecritures rendent témoignage de
Jésus-Christ, ou par les figures, ou par les prophéties, ou par le ministère
des anges. Mais les Juifs n'ont point voulu appliquer au Christ ces différents
témoignages, et c'est pourquoi ils ne peuvent avoir la vie éternelle : « Et vous
ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie, » c'est-à-dire, les Ecritures
rendent témoignage de moi, et malgré tant de témoignages, vous ne voulez pas
venir à moi, vous ne voulez pas croire en moi, vous ne voulez pas chercher en
moi votre véritable Sauveur.
S. CHRYS. (hom. 40.)
On peut encore enchaîner autrement les différentes parties de ce discours de
Nôtre-Seigneur. Les Juifs pouvaient lui dire : Comment nous assurer que Dieu
vous ait rendu témoignage, si nous n'avons pas entendu sa voix ? Jésus leur répond
: « Approfondissez les Ecritures, » preuve évidente qu'elles contiennent
le témoignage que Dieu a rendu en sa faveur. Dieu, en effet, ne lui a-t-il pas
rendu témoignage sur les bords du Jourdain et sur la montagne ? cependant
Nôtre-Seigneur ne leur rappelle pas textuellement ces deux témoignages, qui
eussent peut-être été pour eux l'occasion d'un nouvel acte d'incrédulité, car
ils n'avaient pas été témoins de la voix qui se lit entendre sur la montagne,
et quant à celle qui se fit entendre au baptême de Nôtre-Seigneur, ils
l'avaient bien entendue, mais sans y faire aucune attention. Il les renvoie
donc aux Ecritures, leur enseignant ainsi qu'elles renferment le témoignage que
le Père lui a rendu. (hom. 41.) Remarquez qu'il ne les renvoie pas à une
simple lecture, mais à un sérieux examen des Ecritures, parce que les
témoignages dont il était l'objet dans les Ecritures, étaient couverts d'un
voile et cachés comme un trésor sous l'écorce de la lettre. Il ne dit pas :
Dans lesquelles vous avez la vie éternelle, mais : « Dans lesquelles
vous pensez trouver la vie éternelle, » et il leur démontre ainsi le fruit
médiocre qu'ils tiraient des Ecritures, en s'imaginant qu'il leur suffisait de
les lire pour être sauvés, alors même qu'ils étaient dépourvus de la foi ;
c'est pour cela qu'il leur dit : « Et vous ne voulez pas venir à
moi, » parce qu'ils refusaient de croire en lui. — BEDE. Le Psalmiste nous apprend que le mot venir est
ici synonyme du mot croire, lorsqu'il dit : « Approchez de lui et soyez
sauvés. » (Ps 33, 6.) Nôtre-Seigneur ajoute : « Pour avoir la
vie. » Si l'âme, en effet, qui commet le péché est frappée de mort, ils étaient
morts d'esprit et de cœur. Il leur promettait donc la vie de l'âme ou de la
félicité éternelle.
S. CHRYS. (hom. 41.)
L'intention du Sauveur, en rappelant aux Juifs les témoignages de
Jean-Baptiste, de Dieu et de ses œuvres, était de les attirer à lui, mais
plusieurs d'entre eux pouvaient y voir le désir d'une gloire toute humaine ; il
repousse donc cet injurieux soupçon par cette déclaration : « Je n'accepte
point la gloire qui vient des hommes, » c'est-à-dire, je n'en ai pas besoin, et
ma nature n'est pas réduite à la nécessité de rechercher cette gloire ; le
soleil ne reçoit aucun nouvel éclat de la lumière d'une lampe, à bien plus
forte raison, n'ai-je nul besoin de la gloire humaine. — ALCUIN. Ou bien
encore, ces paroles : « Je n'accepte point la gloire qui vient des hommes,
» veulent dire : Je ne recherche pas les louanges des hommes, je ne suis pas
venu pour recevoir des hommes des honneurs terrestres, mais pour leur faire
part d'honneurs tout spirituels. Si donc je parle de la sorte, ce n'est point
pour rechercher la gloire, mais par compassion pour votre égarement, et pour
vous ramener dans la voie de la vérité. C'est pour cela qu'il leur dit : « Mais
j'ai reconnu que vous n'aviez point en vous l'amour de Dieu. » — S. CHRYS. (hom. 41.) C'est-à-dire,
en parlant de la sorte, j'ai voulu vous convaincre que ce n'est point pour
l'amour de Dieu que vous me persécutez, puisqu'il me rend lui-même témoignage
par mes œuvres et par les Ecritures. Vous me repoussez dans la pensée que
j'étais opposé à Dieu ; si donc vous aimiez véritablement Dieu, vous deviez
donc venir à moi, mais vous n'avez pas cet amour en vous. Et il leur prouve
non-seulement par leur conduite présente, mais par ce qu'ils feraient, si
quelqu'un venait leur parler en son propre nom : « Je suis venu au nom
de mon Père, et vous ne me recevez pas, si un autre vient en son propre nom,
vous le recevrez. » Il déclare qu'il est venu au nom de son Père, pour leur
ôter tout prétexte de lui refuser leurs hommages. — ALCUIN. Je suis venu au nom de mon Père, c'est-à-dire, je
suis venu pour que le nom de mon Père soit glorifié par moi, parce que je
renvoie tout à mon Père. Ils n'avaient donc pas en eux l'amour de Dieu, parce
qu'ils ne voulaient pas recevoir celui qui venait faire la volonté de son Père.
L'Antéchrist, au contraire, viendra non pas au nom du Père, mais en son propre
nom, non point pour procurer la gloire du Père, mais pour chercher la sienne
propre. Les Juifs n'ont point voulu recevoir Jésus-Christ ; comme juste
châtiment de leur infidélité ils recevront l'Antéchrist, et croiront au
mensonge pour avoir refusé de croire à la vérité.
S. AUG. (serm. 45 sur
les par. du Seig.) Mais écoutons ce que dit Jean lui-même : « Vous avez
oui-dire que l'Antéchrist doit venir, et maintenant il y a beaucoup
d'antéchrists. » (1
Jn 2, 18.) Or, qui vous fait trembler dans
l'Antéchrist ? c'est qu'il doit chercher à faire honorer son nom et à couvrir
de mépris le nom de Dieu. Et que fait donc autre chose celui qui ose dire :
« C'est moi qui justifie, » et ceux qui disent : « Si nous ne sommes
bons et vertueux, vous êtes perdus sans ressources ? » Ainsi la vie de mon âme dépendra
de vous, et mon salut sera attaché à vos mérites ? Ai-je donc oublié à ce point
le fondement que Dieu lui-même a posé ? Est-ce que la pierre n'était pas le
Christ ?
S. CHRYS. (hom. 41.)
Nôtre-Seigneur leur donne ici une preuve incontestable de leur peu de religion
en leur tenant équivalemment ce langage : Si c'est par amour pour Dieu que vous
me persécutez, à plus forte raison, devriez-vous persécuter l'Antéchrist, car
il ne vous dira point qu'il est envoyé par le Père, ou qu'il vient pour faire sa
volonté, mais il usurpera au contraire les prérogatives qui ne lui
appartiennent pas, et se donnera comme le Dieu qui est au-dessus de tout. Il
est donc évident que les Juifs persécutaient Jésus-Christ par un sentiment
d'envie contre lui et de haine contre Dieu. Le Sauveur leur fait connaître
ensuite la cause de leur incrédulité : Comment pouvez-vous croire, vous qui
recevez la gloire l'un de l'autre, et ne cherchez point la gloire qui vient de
Dieu seul ? Il leur fait voir une fois de plus que ce ne sont pas les intérêts
de Dieu, mais les intérêts de leur passion qu'ils cherchaient à défendre.
ALCUIN. C'est donc un grand vice que la vanité, et le désir de la gloire
humaine qui veut faire estimer en elle des qualités qu'elle n'a pas et qu'elle
ne cherche pas à avoir. Ils ne peuvent donc croire, parce qu'ils sont avides de
gloire humaine, mais quel est ce désir de la gloire humaine, si ce n'est
l'enflure d'une âme orgueilleuse ? C'est donc comme si Jésus-Christ
disait : « Ils ne peuvent croire, parce que leur âme superbe désire les
louanges et veut s'élever au-dessus de tous les autres. » — BEDE. Or, le moyen, le plus efficace
pour nous garantir de ce vice, c'est de rentrer dans notre conscience, de
considérer que nous ne sommes que poussière, et si nous découvrons quelque bien
en nous, de l'attribuer, non point à nous, mais à Dieu seul. Le Sauveur nous
apprend en même temps à toujours être tels que nous voulons paraître aux yeux
des autres. Ils pouvaient enfin lui faire cotte question : c'est donc vous qui
nous accuserez près de votre Père ? Jésus les prévient et leur dit : « Ne
pensez pas que ce soit moi qui doive vous accuser devant mon Père, » etc. — S. CHRYS. (hom. 41.) Car je ne suis
point venu pour condamner, mais pour sauver. « Votre accusateur sera Moïse,
en qui vous mettez votre espoir. » Il leur a dit plus haut, en parlant des
Ecritures : « Vous pensez trouver eu elles la vie éternelle, » de même il leur
dit ici : « Moïse, dans lequel vous espérez, » cherchant à les convaincre par
leurs propres croyances. Mais ils pouvaient encore lui faire cette objection.
Comment Moise pourra-t-il nous accuser ? Qu'y a-t-il de commun entre Moïse et
vous, qui transgressez la loi du
sabbat ? Jésus répond à cette objection : « Si vous croyez Moïse, peut-être me
croiriez-vous aussi, car il a écrit de moi. »
La preuve de ce que j'avance se trouve dans ce qui précède, puisqu'en
effet les oeuvres que j'ai faites, le témoignage de Jean-Baptiste et celui de
mon Père prouvent jusqu'à l'évidence que je suis envoyé de Dieu, il est
également certain que Moïse sera votre accusateur, car il a dit : S'il s'élève
parmi vous un homme qui opère des prodiges, conduise les hommes vers Dieu, et
fasse des prédictions que les événements justifient, vous devrez lui obéir. Or,
Jésus-Christ a fait toutes ces choses, et ils n'ont pas cru en lui. — ALCUIN. Nôtre-Seigneur emploie ici le
mot « peut-être, » pour se conformer à notre manière de parler et non pas qu'il
y ait en Dieu le moindre doute. Or, Moïse a prédit la venue du Christ,
lorsqu'il a dit Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète
semblable à moi, vous l'écouterez. » (Dt 18) — S. AUG. (contr.
Faust., 16, 9.) On peut même dire que tout ce que Moïse a écrit, les
figures, les événements, les discours ont Jésus-Christ pour objet, ou se
rapportent entièrement à Jésus-Christ, aussi bien lorsque Moïse prophétise le
règne de sa grâce et de sa gloire.
« Mais si vous ne croyez point à ses écrits, comment croirez-vous
à ses paroles ? — THEOPHYL. C'est-à-dire,
Moïse a écrit, et vous avez ses livres entre les mains, et si vous veniez à
oublier ce qu'ils contiennent, vous pourriez facilement en rappeler le
souvenir, mais vous ne croyez point aux écrits de Moïse, comment donc
pourrez-vous croire à mes simples paroles ? — ALCUIN. On peut conclure de là que ceux qui lisent les
commandements qui interdisent le vol et les autres crimes, sans prendre soin de
les mettre en pratique, ne pourront accomplir à plus forte raison les préceptes
évangéliques qui sont beaucoup plus parfaits et plus sublimes. — S. CHRYS. (hom. 41) S'ils avaient
donné une sérieuse attention aux paroles du Sauveur, ils devaient lui demander
et apprendre de lui ce que Moïse avait écrit sur le Christ, mais ils gardent le
silence ; telle est en effet la malice du cœur humain, que malgré tout ce que
l’on peut dire ou faire, il conserve le venin dont il est infecté.
S. CHRYS. (hom 42 sur S. Jean) Lorsque des traits
viennent tomber sur un corps dur qui leur résiste, ils retournent avec force
contre ceux qui les ont lancés, si, au contraire, ils ne rencontrent aucun
obstacle, leur force s'affaiblit et finit bientôt par s'éteindre. Ainsi lorsque
nous voulons résister à des hommes pleins d'audace, ils en deviennent plus
furieux, si au contraire, nous prenons le parti de leur céder, nous voyons leur
fureur s'apaiser aussitôt. Voilà comment Nôtre-Seigneur Jésus-Christ apaise la
colère que ses discours ont fait naître dans le cœur de ses ennemis. Il se
retire dans la Galilée, non pas cependant dans les mêmes lieux dont il était
parti précédemment pour se rendre à Jérusalem, car ce n'est pas à Cana en
Galilée, mais au delà de la mer qu'il se retire : « Jésus s'en alla
ensuite de l'autre côté de la mer de Galilée qui est le lac de
Tibériade. » — ALCUIN. Cette
mer prend divers noms suivant les divers lieux qui se trouvent sur ses bords.
On l'appelle ici la mer de Galilée de la province où elle se trouve et lac de
Tibériade de la ville de Tibériade qui est située sur ces bords. On lui donne
le nom de mer, non que l'eau en soit salée, mais parce que les Hébreux
donnaient le nom de mer à toutes les grandes étendues d'eau. Nôtre-Seigneur
traversa souvent ce lac pour prêcher l'Evangile aux peuples qui habitaient sur
ses bords. — THEOPHYL. Le Sauveur
va successivement d'un lieu dans un autre, pour éprouver la bonne volonté du
peuple et rendre les hommes plus désireux et plus avides de l'entendre : « Et
une grande multitude de peuple le suivait, parce qu'ils voyaient les miracles
qu'il faisait sur ceux qui étaient malades. » — ALCUIN. En rendant la vue aux aveugles et en opérant d'autres
prodiges semblables. Et il ne faut pas oublier qu'il guérissait l'âme en même
temps qu'il rendait la santé du corps.
S. CHRYS. (hom. 42.)
Malgré l'éclat et la sublimité de sa doctrine, ses miracles faisaient beaucoup
plus d'impression sur eux, ce qui est l'indice d'esprits encore peu instruits,
car les miracles, dit saint Paul, sont un signe, non pour les fidèles, mais
pour les infidèles. Ceux dont saint Matthieu rapporte qu'ils étaient dans
l'admiration de sa doctrine, (Mt 7, 28), faisaient preuve de plus grande
sagesse. Mais pourquoi l'Evangéliste ne rapporte-t-il pas les miracles opérés
par Jésus ? parce que le but qu'il s'est proposé était de consacrer la plus
grande partie de son ouvrage à reproduire les discours du Seigneur.
« Jésus monta donc sur une montagne et s'y assit avec ses disciples. » Il
monte sur une montagne à cause du miracle qu'il doit opérer, ses disciples y
montent avec lui et accusent ainsi la conduite du peuple qui ne peut l'y
suivre. Il monte encore sur cette montagne pour nous apprendre à nous
soustraire au tumulte et à l'agitation du monde, car la solitude est la
meilleure préparation à l'étude de la sagesse et à la méditation des choses
divines : « Or, la Pâque qui est la grande fête des Juifs était proche. » Vous
voyez que dans l'espace d'une année tout entière, l'Evangéliste ne nous raconte
que deux miracles de Jésus-Christ ; la guérison du paralytique et celle du fils
de l'officier royal, car il ne s'est point proposé de tout raconter, mais de
faire le choix de quelques faits plus importants. Mais pourquoi Nôtre-Seigneur
ne se rend-il pas à Jérusalem pour la fête de Pâques ? Il voulait laisser
tomber peu à peu la loi, en s'autorisant pour cela des mauvaises dispositions
des Juifs contre lui. — THEOPHYL. Les
Juifs le poursuivaient avec acharnement, il prend occasion de leur animosité
contre lai pour se dispenser d'observer la loi et il apprend ainsi aux
observateurs de la loi que tontes les figures disparaissent à l'avènement de la
vérité, et qu'il n'est ni soumis à la loi ni astreint à l'observance de
cérémonies légales. Remarquez en effet que ce n'était point la fête de
Jésus-Christ, mais la fête des Juifs.
BEDE. (sur S. Marc, chap. 6) En
examinant avec attention le récit des évangélistes, on se convaincra facilement
qu'il s'écoula un an tout entier entre la mort de Jean-Baptiste et la passion
du Sauveur. En effet, saint Matthieu rapporte que le Seigneur ayant appris la
mort de Jean-Baptiste, se retira dans le désert, et qu'il y nourrit
miraculeusement la multitude ; saint Jean de son côté nous fait
remarquer que la fête de Pâques était proche lorsque Jésus fit ce miracle, il
s'en suit évidemment que Jean-Baptiste fut décapité aux approches de la fête de
Pâques. Un an après eut lieu la passion du Sauveur, à l'époque de la même fête,
« Jésus donc ayant levé les yeux, et voyant qu'une très-grande multitude était
venue à lui, » etc. — THEOPHYL. Remarquez
cette circonstance du récit de l'Evangéliste : « Jésus ayant levé les
yeux, pour nous apprendre qu'il ne promenait pas librement ses regards de tous
côtés, mais qu'il les tenait modestement baissés en conversant avec ses
disciples. — S. CHRYS. (hom. 42
sur S. Jean.) Ce n'est pas sans motif que Nôtre-Seigneur était assis
avec ses disciples, il voulait les instruire plus librement et avec plus de
soin, et se les attacher plus étroitement. Il lève ensuite les yeux et aperçoit
la multitude qui venait à lui. Pourquoi donc fait-il cette question à Philippe
? Il connaissait ceux de ses disciples qui avaient besoin d'un enseignement
plus étendu, et tel était l'apôtre Philippe qui dit au Sauveur dans la suite :
« Montrez-nous votre Père, et cela suffît. » Nôtre-Seigneur commence donc par
instruire son disciple, car s'il avait opéré le miracle de la multiplication
des pains sans autre préparation, ce miracle n'eût point apparu dans tout son
éclat. Jésus l'oblige donc de reconnaître son impuissance à suffire aux besoins
de cette multitude pour qu'il demeure bien convaincu de la grandeur du miracle
qui va se faire : « Il parlait ainsi pour le tenter, » dit l'Evangéliste.
S. AUG. (Serm. 2 sur
les par. du Seign.) Il est une tentation qui porte directement au péché, et
elle ne peut jamais être l'œuvre de Dieu qui ne porte jamais personne au mal,
selon la parole de saint Jacques. Il est encore une tentation qui a pour objet
d'éprouver la foi, et dont Moïse dit : « Le Seigneur votre Dieu vous éprouve,
afin qu'on sache si vous l'aimez on non , » (Dt 13, 3) et c'est dans ce
sens qu'il faut entendre la question que Jésus faisait à Philippe pour le
tenter. — S. CHRYS. (hom. 42.)
Est-ce donc que Nôtre-Seigneur ignorait la réponse que lui ferait son disciple
? Non sans doute, mais l'Evangéliste se conforme ici à la manière déparier en
usage parmi les hommes-Ainsi lorsque l'Ecriture dit de Dieu « qu'il sonde les
cœurs des hommes, » (Rm 8, 27) cette expression ne signifie nullement un
examen qui a pour cause l'ignorance, mais une absolue certitude, de même
l'Evangéliste en rapportant que Jésus parlait de la sorte pour éprouver son
disciple, veut simplement dire qu'il savait certainement ce que Philippe lui
répondrait. On peut dire encore que par cette question, Nôtre-Seigneur voulait
faire passer son disciple par cette épreuve pour le rendre plus certain du
miracle qu'il allait opérer, et l'Evangéliste qui semble craindre que la
manière dont il s'exprime ne donne une idée peu favorable du Sauveur, se hâte
d'ajouter : « Car il savait ce qu'il devait faire. »
ALCUIN. Jésus fait donc cette question, non pour apprendre ce qu'il ignore,
mais pour convaincre son disciple de la lenteur de son esprit et de sa foi,
qu'il ne pouvait découvrir par lui-même. — THEOPHYL.
Ou bien il voulait le faire connaître aux autres disciples, et leur
montrer qu'il n'ignorait pas les pensées les plus intimes de son cœur. — S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2,
46.) D'après le récit de saint Jean, le Seigneur à la vue de cette nombreuse
multitude, aurait demandé à Philippe pour l'éprouver où il trouverait de quoi
nourrir tout ce peuple. Mais alors comment admettre la vérité du récit des
autres évangélistes dans lesquels nous lisons que les apôtres pressèrent tout
d'abord le Seigneur de congédier le peuple, et qu'il leur répondit : « Ils
n'ont nul besoin de s'en aller, donnez-leur vous-mêmes à manger ? » Pour
concilier cette difficulté, il suffit d'admettre qu'après ces paroles, le
Sauveur regarda cette grande multitude de peuple et qu'il fit à Philippe la
question qui est rapportée par saint Jean, et que les autres apôtres ont passée
sous silence.— S. CHRYS. (hom,
42.) Ou bien encore, il s'agit ici de deux faits différents qui n'ont point
eu lieu à la même époque.
THEOPHYL. Nôtre-Seigneur avait voulu éprouver la foi de son disciple,
et il le trouve encore dominé par des sentiments tout humains, qui se
trahissent dans sa réponse : « Quand on aurait pour deux cents deniers de pain,
cela ne suffirait pas pour en donner à chacun un morceau. » — ALCUIN. Une semblable réponse accuse en
effet un esprit bien lent à croire, car s'il avait compris parfaitement que
Jésus était le Créateur de toutes choses, il n'aurait eu aucun doute sur
l'étendue de sa puissance. — S. AUG. (de l'acc. des Evang. 2, 46.) Saint
Marc prête à tous les disciples la réponse que saint Jean attribue
exclusivement ici à Philippe. Mais on peut dire que ce dernier évangéliste
laisse à comprendre que Philippe répondit au nom des autres apôtres, quoiqu'il
ait pu, en se conformant à l'usage beaucoup plus reçu, mettre le pluriel à la
place du singulier.
THEOPHYL. Les sentiments d'André étaient à peu près semblables à
ceux de Philippe, bien qu'il eût sur Jésus-Christ des pensées plus élevées :
« André, frère de Simon Pierre, lui dit : Il y a ici un jeune homme qui a
cinq pains d'orge et deux poissons. » — S. CHRYS.
(hom. 42.) Ce n'est pas sans raison qu'André tient ce langage, il
se rappelait le miracle qu'avait fait le prophète Elisée qui avait multiplié
vingt pains d'orge pour nourrir cent personnes. (4 R 4, 42-44.) Il lui
vint donc dans l'esprit une idée un peu plus élevée, mais qui n'alla pas encore
bien loin, comme l'indique la réflexion qu'il ajoute : « Mais qu'est-ce que
cela pour tant de monde ? » Il s'imaginait que celui qui opérait des
miracles, les faisait plus ou moins grands, selon les éléments plus ou moins
considérables qu'il avait à sa disposition, ce en quoi il se trompait. Il lui
était aussi facile de nourrir une grande multitude avec quelques pains comme
avec un plus grand nombre, parce qu'il n'avait nul besoin d'une matière
préalable. Si donc il consent à se servir des éléments créés pour opérer ses
miracles, c'est pour montrer que les créatures sont régies par sa providence
pleine de sagesse. THEOPHYL. Ainsi
sont confondus les Manichéens qui prétendent que les pains et tous les autres
éléments crées viennent d'un principe mauvais, du Dieu du mal, puisque le Fils
du Dieu bon, Jésus-Christ consent à multiplier ces pains, car si les créatures
étaient mauvaises, Jésus, qui était bon, n'aurait pas voulu les multiplier.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 46.) La réflexion que saint
Jean prête à André au sujet des cinq pains et des deux poissons, est rapportée
par les autres Evangélistes (qui ont mis le pluriel pour le singulier), comme
ayant été faite collectivement par tous les disciples.
S. CHRYS. (hom. 42.)
Apprenons ici, nous qui sommes tout entiers aux satisfactions de la sensualité,
quelle était la nourriture de ces hommes admirables, quelle sobriété dans la
quantité comme dans le choix de leurs aliments. Nôtre-Seigneur fait asseoir le
peuple avant que les pains aient été multipliés, parce que, comme dit saint
Paul, les choses qui n'existent pas lui sont soumises comme celles qui existent
(Rm 4) : « Jésus leur dit : Faites-les asseoir. » — ALCUIN. L'expression discumbere signifie
littéralement manger étant couché, suivant l'usage des anciens : « Or, il y
avait beaucoup d'herbe en ce lieu. » — THEOPHYL.
C'est-à-dire du gazon encore vert, car on n'était pas loin de la fête de
Pâques, qui se célébrait au premier mois du printemps : « Les hommes s'assirent
donc au nombre d'environ cinq mille. » L'Evangéliste ne compte que les hommes,
suivant la coutume des Juifs, c'est ainsi que Moïse fit le dénombrement de tous
les hommes depuis vingt ans et au-dessus (Nb 1), sans faire aucune
mention des femmes, nous indiquant ainsi que ce qui est plein de jeunesse et de
force mérite seul d'être compté aux yeux de Dieu.
« Alors Jésus prit les pains, et après avoir rendu grâces, il les
distribua à ceux qui étaient assis ; il leur donna de même des deux
poissons, autant qu'ils en voulaient. » — S. CHRYS.
(hom. 42.) Mais pourquoi Nôtre-Seigneur n'a-t-il point fait de
prière avant de guérir le paralytique, de ressusciter les morts, d'apaiser la
mer agitée, tandis que nous le voyons ici prier et rendre grâces ? C'est pour
nous apprendre à rendre grâces à Dieu avant de commencer le repas. On peut dire
encore qu'il prie avant de faire des miracles de moindre importance, pour faire
voir qu'il ne prie pas pour obtenir du secours, car s'il avait eu besoin de
demander le secours d'en haut, c'eût été surtout avant de faire ses plus grands
miracles, et comme il les fait toujours avec autorité, il est évident que c'est
par condescendance pour nous, qu'il adresse à Dieu sa prière. Une autre raison,
c'est qu'il voulait bien persuader le peuple, qui était présent, que c'était
par la volonté de Dieu qu'il était venu sur la terre. Voilà pourquoi il ne prie
point avant de faire un miracle loin des yeux de la foule, il priait, au
contraire, lorsqu'il devait le faire devant tout le peuple, pour le convaincre
qu'il n'était point en opposition avec Dieu.
S. HIL. (de la Trin., 3)
Les disciples présentent donc à cette multitude cinq pains, et les leur
distribuent à mesure qu'ils les rompent, ils se succèdent dans leurs mains par
une création instantanée de nouveaux morceaux de pain. Le pain qui est rompu ne
diminue point, et cependant de nouveaux morceaux remplissent continuellement
les mains qui les rompent, sans que les sens ni les yeux puissent suivre la
continuité de cette création vraiment merveilleuse. Ce qui n'existait pas,
existe, on voit ce qu'on ne comprend pas, et la seule pensée qui reste, est
celle de la toute puissance de Dieu.— S. AUG.
(Traité 24 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur multiplie ces cinq
pains de la même manière qu'il fait sortir de quelques grains seulement
d'abondantes moissons. Les mains de Jésus-Christ étaient pleines d'une
puissance toute divine, et ces pains étaient comme des semences qui n'étaient
pas confiées à la terre, mais qui étaient multipliées par celui qui a créé la
terre.
S. CHRYS. (hom. 42.)
Considérez ici la différence qui sépare le Seigneur de ses serviteurs ; les
prophètes qui n'avaient la grâce qu'avec mesure, n'opéraient aussi des miracles
que dans une certaine mesure, tandis que Jésus-Christ, qui agit avec une puissance
absolue, faisait tous ses miracles dans toute la plénitude de son autorité :
« Lorsqu'ils furent rassasiés il dit à ses disciples : Recueillez les
morceaux qui sont restés. » Ce n'est point par vaine ostentation que le Sauveur
commande de recueillir ces restes, mais pour bien établir la réalité du
miracle, et c'est pour la même raison qu'il l'opère avec une matière
préexistante. Mais pourquoi charge-t-il ses disciples plutôt que la foule, de
recueillir ces restes ? parce qu'il voulait instruire surtout ceux qui devaient
être les maîtres du monde entier. Quant à moi, j'admire non-seulement la
multiplication des pains, mais le soin avec lequel l'Evangéliste mentionne le
nombre précis de corbeilles. Il y avait cinq pains, et Jésus-Christ dispose le
tout de manière à ce que les restes ne remplissent que douze corbeilles, ni
plus ni moins autant qu'il y avait d'Apôtres. — THEOPHYL. Ce miracle nous
apprend aussi à ne pas nous décourager au milieu des étreintes de la pauvreté.
BEDE. Le peuple, à la vue de ce miracle, était dans l'admiration, parce qu'il
ne connaissait pas encore la divinité du Sauveur, c'est pour cela que
l'Evangéliste ajoute : « Ces hommes (dont le jugement était dominé par les
sens), ayant vu le miracle que Jésus avait fait, disaient : Celui-ci est
vraiment le prophète qui doit venir dans le monde. » — ALCUIN. Leur foi était
loin d'être parfaite, puisqu'ils ne regardaient le Seigneur que comme un
prophète, sans reconnaître encore sa divinité, mais cependant l'éclat de ce
miracle leur avait fait faire de grands progrès, puisqu'ils le distinguaient
des autres par le nom de prophète ; ils se rappelaient, en effet, que leurs
prophètes s'étaient quelquefois signalés par des miracles. D'ailleurs ils ne se
trompent pas, en appelant Nôtre-Seigneur prophète, puisque lui-même a daigné
prendre ce nom : « Il ne convient pas, dit-il, qu'un prophète périsse hors de
Jérusalem. » (Lc 13) — S.
AUG. (Traité 24.) Jésus-Christ est prophète et le Seigneur des
prophètes, de la même manière qu'il est ange et le Seigneur des anges. Il est
ange (ou envoyé) parce qu'il est venu annoncer des choses présentes ; il est
prophète, parce qu'il a prédit l'avenir, et en tant que Verbe fait chair, il
est le Seigneur des anges et des prophètes, car on ne peut concevoir un prophète
sans le Verbe de Dieu. — S. CHRYS. (hom.
42.) Ils disent : « Qui doit venir en ce monde, » il est donc évident
qu'ils attendaient un prophète extraordinaire. Aussi ces paroles : « Celui-ci
est vraiment prophète, » se trouvent dans le texte grec avec l'article, comme
preuve qu'ils le distinguent de tous les autres prophètes.
S. AUG. (Traité 24
sur S. Jean.) Remarquons que comme la nature divine ne peut être aperçue
de nos yeux, et que les miracles de la Providence, par lesquels Dieu ne cesse
de gouverner le monde et de régir toutes les créatures, ont perdu pour nous de
leur éclat, parce qu'ils se renouvellent tous les jours ; il s'est réservé
quelques œuvres extraordinaires, qu'il opère à des temps marqués en dehors des
causes physiques et des lois ordinaires de la nature, pour émouvoir ainsi par
la nouveauté plutôt que par la grandeur du miracle, ceux sur qui les prodiges
de tous les jours ne font plus d'impression. En effet, le gouvernement du monde
entier est un bien plus grand miracle que l'acte par lequel le Sauveur nourrit
cinq mille hommes avec cinq pains : et cependant personne n'admire le premier
miracle, et tous sont ravis d'admiration en présence du second, non pas
précisément parce qu'il est plus grand, mais parce qu'il arrive rarement.
Toutefois, ne nous contentons pas de voir seulement le fait extérieur dans les
miracles du Christ, le Seigneur, sur la montagne, c'est le Verbe sur les
hauteurs, il ne se présente donc point ici dans un état d'humiliation, et il ne
faut point passer légèrement sur ce miracle, mais lever nos regards en haut. — ALCUIN. Dans le sens mystique, la mer
est l'emblème du monde toujours agité. Mais dès que Jésus-Christ se fut comme
embarqué par sa naissance sur la mer de notre mortalité, qu'il l'eut foulée aux
pieds par sa mort, et traversée par sa résurrection, la multitude des croyants,
formée des deux peuples, l'a suivi fidèlement par la foi et l'imitation de ses
vertus. — BEDE. Le Seigneur a
gagné le sommet de la montagne, lorsqu'il est monté au ciel dont cette montagne
est la figure. — ALCUIN. Il
laisse la multitude au pied de la montagne, et monte plus haut avec ses
disciples, pour nous apprendre qu'il faut imposer des préceptes moins
difficiles aux âmes encore faibles, et réserver la doctrine plus relevée pour
les âmes plus parfaites. C'est aux approches de la fête de Pâques qu'il nourrit
cette multitude, et il nous enseigne par là que celui qui désire se nourrir du
pain de la divine parole, et du corps et du sang du Seigneur, doit s'y préparer
en célébrant la pâque spirituelle, c'est-à-dire en passant de l'habitude du
vice à la pratique de la vertu, puisque le mot pâque signifie passage. les yeux
du Seigneur sont les dons spirituels, et il lève les yeux, c'est-à-dire qu'il
laisse tomber le regard de sa miséricorde sur les élus qui reçoivent de lui ses
dons spirituels.
S. AUG. (liv. des 83 quest.,
quest. 61.) Les cinq pains d'orge signifient la loi ancienne, soit parce
que la loi a été donnée aux hommes, alors qu'ils se conduisaient plutôt par la
chair que par l'esprit, et qu'ils étaient comme livrés aux cinq sens du corps
(remarquez que cette multitude se composait de cinq mille hommes) ; soit parce
que la loi a été donnée par Moïse, qui l'a renfermée dans les cinq livres qui
portent son nom. Ces cinq pains étaient d'orge, et figuraient parfaitement la
loi dans laquelle l'aliment vital de l'âme était recouvert par des signes
extérieurs. La moelle de l'orge est en effet recouverte d'une paille très
tenace. Ces pains d'orge peuvent encore représenter le peuple lui-même qui n'était
pas encore dépouillé de ses désirs charnels, qui adhérait à son cœur comme la
paille qui recouvre le grain d'orge. L'orge est la nourriture des bêtes de
somme et des esclaves. Or, la loi a été donnée à des esclaves, et à des hommes
charnels, dont les animaux sont la figure.
S. AUG. (comme
précéd.) Les deux poissons destinés à donner au pain une saveur agréable,
sont l'emblème des deux institutions qui gouvernaient le peuple, le sacerdoce
et la royauté, et ces deux institutions figuraient à leur tour Nôtre-Seigneur,
qui les réunissait toutes deux dans sa personne. — ALCUIN. On peut dire encore que ces deux poissons figurent
les paroles ou les écrits des prophètes et des auteurs de Psaumes ; or, de même
que le nombre cinq se rapporte aux cinq sens du corps, le nombre mille est le
symbole de la perfection. Ceux qui s'appliquent à maîtriser et à diriger
parfaitement les cinq sens de leur corps, sont appelés viri (hommes), du
mot vires (forces). Ce sont ceux qui ne se laissent point corrompre par
une mollesse féminine, qui vivent dans la chasteté et la tempérance, et
méritent de goûter les douceurs de la sagesse céleste.
S. AUG. (Traité 24.) L'enfant qui portait ces cinq pains et ces
deux poissons figurait le peuple juif, qui portait les cinq livres de la loi
comme un enfant inexpérimenté, sans songer à s'en nourrir ; ces aliments, tant
qu'ils restaient enveloppés, n'étaient pour lui qu'une charge accablante, et
ils n'avaient la vertu de nourrir qu'à la condition d'être mis à découverts.
BEDE. La réflexion que fait André : « Qu'est-ce que cela pour tant de monde ?
» est pleine de justesse, dans le sens allégorique, car la loi ancienne servait
à peu de chose jusqu'au moment où Jésus la prit dans les mains, c'est-à-dire,
en accomplit les prescriptions et nous offrit à l'entendre dans le sens
spirituel ; car par elle-même la loi ne conduisait personne à la perfection.
S. AUG. (Tr. 24.) C'est au moment où les pains étaient rompus
qu'ils se multipliaient, et c'est ainsi que les cinq livres de Moïse, par l'exposition
(ou la fraction) qui en a été faite, ont donné naissance à une multitude
d'autres livres.— S. AUG. (Liv. des 83 quest., qu. 61.) C'est, en
brisant en quelque sorte, ce qu'il y avait de dur dans la loi, et en expliquant
ce qu'elle avait d'obscur, que Nôtre-Seigneur nourrit ses disciples,
lorsqu'après sa résurrection il leur découvrit le sens des Ecritures.
S. AUG. (Traité 24.)La
question du Sauveur avait pour objet de faire ressortir l'ignorance de son
disciple, qui était la figure de l'ignorance où le peuple était de la loi. Le
peuple s'assoit sur l'herbe, parce qu'il avait encore des goûts charnels et se
reposait volontiers dans les satisfactions de la chair, car « toute chair est
comme l'herbe des champs. » (Is 40) Remarquez encore que le Seigneur ne
nourrit et ne rassasie de ces pains multipliés miraculeusement que ceux qui
traduisent dans leurs œuvres les enseignements qu'ils ont reçus.
S. AUG. (Traité 24.)
Quels sont ces restes qu'il commande de recueillir ? C'est ce que le peuple n'a
pu manger, et ces restes qui sont les vérités d'une intelligence plus cachée et
que la multitude ne peut comprendre, sont confiés à ceux qui sont capables, et
de les recevoir et de les enseigner aux autres, tels qu'étaient les Apôtres, et
voilà pourquoi nous voyons que douze corbeilles furent remplies de ces restes.
— ALCUIN et BEDE. Les corbeilles servent aux usages
domestiques, elles figurent donc ici les Apôtres et leurs imitateurs qui, d'un
extérieur peu remarquable aux yeux des hommes, sont cependant remplis
intérieurement des richesses de tous les trésors spirituels. Les Apôtres sont
comparés à des corbeilles, parce que c'est par leur ministère que la foi en la
sainte Trinité devait être prêchée dans toutes les parties du monde. Le
Sauveur n'a point voulu créer de nouveaux pains, mais s'est contenté de
multiplier ceux qui existaient, pour nous apprendre qu'il n'est point venu pour
rejeter et détruire la loi, mais en dévoiler les mystères en l'expliquant.
BEDE. A la vue d'un si grand miracle, le peuple comprit que Jésus réunissait
la puissance à la bonté, et il voulut le faire roi, car les hommes veulent dans
les princes qui sont à leur tête la bonté dans le gouvernement, jointe à la
puissance pour les défendre. Mais aussitôt que le Sauveur en eut connaissance,
il s'enfuit sur la montagne, c'est-à-dire, qu'il se retira promptement ;
« Jésus ayant connu qu'ils devaient venir pour l'enlever et le faire roi,
s'enfuit de nouveau sur la montagne tout seul ; » on peut conclure de là que
Nôtre-Seigneur, qui était d'abord assis avec ses disciples sur la montagne d'où
il vit la multitude qui venait à lui, était descendu ensuite de la montagne et
avait nourri le peuple dans la plaine, car comment aurait-il pu se retirer de
nouveau sur la montagne s'il n'en était d'abord descendu ?
S. AUG. (de l'acc. des
Evang.) Le récit de saint Jean n'est point ici en contradiction avec celui
de saint Matthieu, qui nous dit que : « Jésus monta seul sur la montagne pour
prier. » (Mt 4) Car ces deux motifs prier et fuir ne s'excluent pas,
bien au contraire, Nôtre-Seigneur nous enseigne que c'est surtout lorsque nous
sommes dans la nécessité de fuir qu'il nous faut recourir à la prière. — S. AUG. (Traité 25.) Nôtre-Seigneur
était roi, et cependant il craint de devenir roi, parce que sa royauté n'était
pas de celle que peuvent donner les hommes, mais bien plutôt une royauté qu'il
voulait communiquer aux hommes. En effet, comme Fils de Dieu, il ne cesse de
régner avec son Père. Les prophètes ont aussi prédit son règne comme Fils de
Dieu fait homme, il a fait chrétiens ceux qui ont cru en lui, et ce sont ceux
qui composent son royaume, royaume qui sur la terre se forme et s'achète au
prix du sang de Jésus-Christ. Un jour viendra où ce royaume disparaîtra dans
toute sa splendeur, lorsqu'après le jugement dernier, la gloire des saints
brillera de tout son éclat. Or, ses disciples et la multitude qui croyait en
lui, pensaient que sa venue sur la terre avait pour objet l'établissement de ce
royaume.
S. CHRYS. (hom. 42
et 43.) Voyez quelle est la puissance de la sensualité. Il n'est plus question
pour eux de la transgression du sabbat, tout leur zèle pour Dieu s'est évanoui,
ils sont rassasiés, tout est oublié ; Jésus est pour eux un prophète et ils
veulent le faire roi et le mettre sur le trône. Mais Jésus-Christ se dérobe à
leurs désirs, et nous apprend ainsi à mépriser les honneurs du monde. Jésus
laisse donc ses disciples et se retire sur la montagne. Les disciples voyant
que le Sauveur les avait quittés, descendirent vers la mer, lorsque le soir fut
venu, comme le fait remarquer l'Evangéliste. Ils l'attendirent jusqu'au soir,
espérant toujours qu'il viendrait les retrouver, mais le soir venu, ils ne
peuvent résister davantage au désir de le chercher, tant était grand leur amour
pour leur divin Maître ! et cet amour les porte à monter dans une barque pour
aller à sa rencontre : « Et étant montés dans une barque, ils naviguèrent
vers l'autre bord pour arriver à Capharnaüm, espérant qu'ils l'y trouveraient.
S. AUG. (Traité 24.)
L'Evangéliste fait connaître d'abord le but de leur voyage, avant d'exposer
quels en furent les incidents. Ils traversèrent le lac, et saint Jean raconte
comme par récapitulation ce qui arriva pendant la traversée : « Il faisait
déjà nuit, et Jésus n'était pas encore venu à eux. »
S. CHRYS. (hom. 42
sur S. Jean.) C'est avec dessein que l’Evangéliste précise le moment de
la traversée, il veut faire ressortir la vivacité de leur amour pour
Jésus-Christ. Ils ne disent pas : Le soir est venu, la nuit se fait, leur
amour les pousse à s'embarquer malgré tous les obstacles qui se présentaient,
d'abord le temps : « Il faisait déjà nuit, » puis la tempête : « La mer
soulevée par un grand vent s'enflait ; » enfin le lieu où ils se trouvaient, la
terre était fort éloignée : « Lorsqu'ils eurent ramé environ vingt-cinq ou
trente stades. » — BEDE. Nous
employons cette locution lorsque nous sommes dans le doute, à peu près
vingt-cinq ou trente. — S. CHRYS. (hom.
43.) Une dernière difficulté, c'est l'apparition inattendue du Sauveur :
« Ils virent Jésus marchant sur la mer et s'approchant de la barque, et
ils eurent peur. » Il leur apparaît après les avoir quittés, il veut leur
apprendre d'un côté ce que c'est que l'abandon et le délaissement, et rendre
leur amour plus vif ; et de l'autre, leur manifester sa toute-puissance. Cette
apparition est pour eux une cause d'effroi : « Et ils eurent peur, » dit
l'Evangéliste. Aussi Notre-Seigneur s'empresse de dissiper leur frayeur et de
relever leur courage : « Mais il leur dit : C'est moi, ne craignez point. » — BEDE. Il ne leur dit point : Je suis
Jésus, mais simplement : « C'est moi, » parce qu'ils vivaient dans son
intimité, et qu'au seul son de sa voix, ils purent facilement reconnaître leur
maître ; ou bien, ce qui est plus vraisemblable, il voulut leur apprendre qu'il
était celui qui dit à Moïse : « Je suis celui qui suis, » (Ex 3, 14)
S. CHRYS. (hom. 43.)
Le Sauveur voulut apparaître aux yeux de ses disciples pour les convaincre que
c'était lui-même qui allait apaiser la tempête, circonstance que l'Evangéliste
nous fait comprendre, en ajoutant : « Ils voulurent le prendre dans leur
barque, et aussitôt ils abordèrent au rivage vers lequel ils se dirigeaient. »
C'est donc à Jésus qu'ils furent redevables de cette heureuse traversée.
Cependant il ne voulut point monter dans la barque pour faire mieux ressortir
la grandeur du miracle et la puissance divine qui l'opérait. — THEOPHYL. Vous voyez ici, en effet,
trois miracles réunis : Jésus marche sur la mer, il calme la fureur des flots,
et fait aborder aussitôt la barque au rivage dont les disciples étaient encore
fort éloignés, lorsque le Seigneur apparut. — S. CHRYS. (hom. 43.) Jésus ne permit pas que la foule le
vît marcher sur la mer, parce que ce miracle était au-dessus de sa portée, il
ne voulut pas même qu'il se prolongeât longtemps aux yeux de ses disciples, et
il disparut presque aussitôt de leurs regards.
S. AUG. (de l'accord
des Evang., 1, 47) D'après saint Matthieu, Jésus ordonna d'abord à
ses disciples de monter dans une barque, de le devancer au delà du lac, et
d'attendre là qu'il eût congédié la foule ; et après l'avoir congédiée, il se
retire seul sur la montagne pour prier. Saint Jean, au contraire, rapporte que
le Sauveur s'enfuit aussitôt sur la montagne, et il ajoute : « Le soir étant
venu, ses disciples descendirent vers la mer, et lorsqu'ils furent montés dans
une barque, » etc. Mais il n'y a ici aucune contradiction, car qui ne voit que
saint Jean raconte par récapitulation, comme ayant été fait par les disciples,
ce que Jésus leur avait ordonné avant de se retirer sur la montagne ? — S. CHRYS. (hom. 43.) On peut dire
encore que ce miracle est différent de celui qui est rapporté par saint
Matthieu. Dans le récit de saint Matthieu, les disciples ne reçurent pas aussitôt
Nôtre-Seigneur, ici au contraire, ils s'empressent de le recevoir sans aucun
retard. Dans le premier évangéliste encore, la tempête continuait de battre les
flancs du navire, ici d'une seule parole, Jésus fait revenir le calme, on peut
donc admettre deux miracles différents, ce qui n'a rien de surprenant, car
Nôtre-Seigneur a pu faire plusieurs fois les mêmes miracles pour les rendre
plus faciles à croire.
S. AUG. (Traité 25
sur S. Jean.) Dans le sens mystique, Nôtre-Seigneur commence par nourrir la
multitude et se retire ensuite sur la montagne, selon ce qui était prédit de
lui : « L'assemblée des peuples vous entourera, et à cause d'elle remontez
dans les hauteurs. » (Ps 7) C'est-à-dire, remontez dans les hauteurs,
afin que l'assemblée des peuples vous entoure. Mais pourquoi l'Evangéliste
dit-il que le Sauveur s'enfuit ? car on n'aurait pu le retenir malgré lui.
Cette fuite a donc une signification mystérieuse, et nous apprend que la
hauteur de ces mystères ne pouvait être comprise ; en effet, vous dites de tout
ce que vous ne comprenez pas : « Cela me fuit. » Nôtre-Seigneur fuit
donc seul sur une montagne lorsqu'il monte au-dessus de tous les cieux. Tandis
qu'il est dans les hauteurs des cieux, ses disciples qui sont restés dans la
barque sont exposés à la violence de la tempête. Cette barque était la figure
de l'Eglise, il faisait déjà nuit, et il n'y avait rien d'étonnant, la vraie
lumière ne brillait pas encore, Jésus n'était pas encore venu les trouver. Plus
approche la fin du monde, et plus aussi on voit croître les erreurs et
augmenter l'iniquité. En effet, la charité est lumière, suivant les paroles de
saint Jean : « Celui qui hait son frère demeure dans les ténèbres. » (1 Jn 2,
9.) Les flots qui agitent le navire, la tempête, les vents sont les
clameurs des réprouvés. La charité se refroidit, les flots ne cessent de monter
et de battre les flancs du navire, et cependant ni les vents, ni la tempête, ni
les flots, ni les ténèbres ne peuvent briser la barque et l'engloutir, ni même
l'empêcher d'avancer, car celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé.
Le nombre cinq est l'emblème de la loi, renfermée dans les cinq livres de Moïse
; le nombre vingt-cinq est donc aussi la figure de la loi, puisqu'il est le
produit du nombre cinq multiplié par cinq. Mais la perfection qui est signifiée
par le nombre six, manquait à la loi avant l'Evangile, et en multipliant cinq
par six, on obtient le nombre trente, figure de la loi accomplie par
l'Evangile. Nôtre-Seigneur vient donc trouver ceux qui accomplissent la loi, en
marchant sur les flots, c'est-à-dire, en foulant aux pieds toutes les vaines
enflures de l'orgueil et toutes les hauteurs du monde, et cependant les
tribulations sont si grandes, que ceux mêmes qui croient en Jésus tremblent d'y
succomber.
THEOPHYL. Lorsque les hommes ou les démons s'efforcent de nous
ébranler par la crainte, écoutons Jésus-Christ qui nous dit : « C'est moi, ne
craignez point, » c'est-à-dire je suis toujours près de vous, je demeure avec
vous comme Dieu, et ne passe jamais, ne vous laissez donc point enlever par de
vaines terreurs la foi que vous avez en moi. Voyez encore comment
Nôtre-Seigneur ne vient pas au secours de ses disciples au commencement du
danger, mais longtemps après. C'est ainsi que Dieu permet que nous soyons au
milieu des dangers, pour éprouver notre courage parce combat contre les
tribulations, et nous enseigner à recourir à celui-là seul qui peut nous sauver
alors même que tout espoir est perdu. En effet c'est que lorsque l'intelligence
de l'homme est à bout de ressources et déclare son impuissance, que le secours
de Dieu arrive. Si nous voulons nous aussi recevoir Jésus-Christ dans notre
barque, c'est-à-dire lui offrir une habitation dans nos cœurs, nous arriverons
aussitôt au rivage où nous voulons aborder, c'est-à-dire au ciel.
BEDE. Mais cette barque ne porte point d'hommes indolents et paresseux, elle
veut des rameurs vigoureux ; c'est ainsi que dans l'Eglise ce ne sont point les
âmes molles et nonchalantes mais les âmes fortes et qui persévèrent dans la
pratique des bonnes œuvres qui parviennent au port du salut éternel.
S. CHRYS. (hom. 43
sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur n'a pas fait connaître clairement au peuple
comment il avait marché sur la mer, mais il le lui a laissé soupçonner à en
juger par ces paroles de l'Evangéliste : « Le lendemain, le peuple qui était
demeuré de l'autre côté de la mer, vit que Jésus n'était point entré dans la
seule barque qui était près du rivage, » etc. Cette manière de parler indique
que le peuple pouvait présumer que le Sauveur avait traversé la mer à pied. Et
on ne peut dire ici qu'il était monté dans une autre barque puisqu'il n'y en
avait qu'une seule dans laquelle ses disciples étaient montés, sans que Jésus
fût monté avec eux.
S. AUG. (Traité 25
sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur leur suggère donc l'idée de ce grand
miracle. D'autres barques arrivèrent près du lieu où ils avaient mangé le pain
que le Sauveur leur avait donné, et le peuple monta dans ces barques pour aller
à la recherche de Jésus : « D'autres barques suivirent, etc., et ils se
dirigèrent vers Capharnaüm pour chercher Jésus. » — S. CHRYS. (hom. 42.) Et cependant après un si grand
miracle, ils ne lui demandent pas comment il a traversé la mer, ni la manière
dont s'est opéré ce prodige extraordinaire : « Et l'ayant trouvé au-delà de la
mer, ils lui dirent : Maître, quand êtes-vous venu ici ? » A moins qu'on ne
prenne ici le mot quand dans le sens de comment. Ils font
ici preuve d'une habileté remarquable ; ils proclamaient précédemment que c'était
un prophète, ils s'étaient concertés pour le faire roi, ils le trouvent
aujourd'hui et ne lui découvrent rien de ce dessein. — S. AUG. Voici celui qui
s'était enfui sur la montagne, dans la crainte que le peuple ne le fît roi, qui
s'entretient maintenant avec le peuple, ils peuvent se saisir de sa personne et
le proclamer roi. Mais Jésus, après le miracle plein de mystère qu'il a opéré,
leur adresse ses enseignements, afin de nourrir de sa doctrine divine l'âme de
ceux dont il a nourri miraculeusement le corps.
ALCUIN. Celui qui nous a enseigné par son exemple à fuir la louange et les
honneurs de la terre, apprend également aux docteurs comment ils doivent
remplir le ministère de la prédication.
S. CHRYS. (hom. 44.)
La mansuétude et la douceur ne sont pas toujours utiles, lorsque vous avez
affaire à un disciple d'un esprit lent et peu ouvert encore, il faut le presser
avec l'aiguillon ; c'est ce que fait ici le Fils de Dieu. La multitude
accourt à lui et cherche à le flatter en lui disant : « Maître, quand donc
êtes-vous venu ici ? » et il ne répond à cette question que par un reproche
pour montrer qu'il ne désire nullement l'honneur qui vient des hommes, mais
qu'il ne cherche que leur salut, aussi il ne se contente pas de blâmer leur
conduite, il dévoile les pensées les plus secrètes de leur cœur : « Jésus
leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez non
parce que vous avez vu des miracles, » etc. — S. AUG. C'est-à-dire : En me cherchant, vous obéissez aux
instincts de la chair, et non aux désirs de l'esprit.
S. CHRYS. (hom. 44.)
Aux reproches Nôtre-Seigneur ajoute l'enseignement de la doctrine :
« Travaillez pour avoir, non la nourriture qui périt, mais celle qui
demeure pour la vie éternelle. » C'est-à-dire : Vous cherchez la vie matérielle
et périssable, mais mon intention en nourrissant vos corps a été de vous
inspirer le désir de cette nourriture qui donne non point la vie du temps, mais
la vie éternelle. — ALCUIN. La
nourriture matérielle n'alimente et n'entretient que le corps, et encore
n'atteint-elle ce but qu'à la condition d'être renouvelée tous les jours, mais
la nourriture spirituelle demeure éternellement et nous donne une satiété
perpétuelle et une vie qui n'a d'autre terme que l'éternité.
S. AUG. (Traité 25.) Il fait pressentir qu'il est lui-même cette
nourriture comme il le déclarera plus ouvertement dans la suite de son
discours, et il semble leur dire : Vous me cherchez pour toute autre chose que
moi, cherchez-moi donc pour moi-même.
S. CHRYS. (hom. 44.)
Mais comme il en est qui voudraient s'autoriser de ces paroles pour mener une
vie toute de paresse et d'oisiveté, il est nécessaire de leur rappeler ce que
dit saint Paul : « Que celui qui dérobait ne dérobe plus, mais qu'il s'occupe
en travaillant des mains à quelque ouvrage bon et utile, pour avoir de quoi
donner à ceux qui sont dans l'indigence. »
(Ep 4, 28.) Et lui-même lorsqu'il vint à Corinthe, demeurait chez
Aquila et Priscille et travaillait de ses mains. (Ac 18) Ces paroles : «
Ne travaillez pas pour avoir la nourriture qui périt, » n'autorisent en aucune
façon la paresse et l'oisiveté, mais nous font un devoir de travailler et de
distribuer le fruit de notre travail. C'est là en effet la nourriture qui ne
périt pas, tandis que travailler pour la nourriture qui périt, c'est être
dominé par l'amour des choses de la terre. Jésus leur tient ce langage parce
qu'ils n'avaient aucun souci de la foi, et qu'ils ne songeaient qu'à se
rassasier sans travailler, c'est ce qu'il appelle la nourriture qui périt. — S.
AUG. De même qu'il avait dit
précédemment à la Samaritaine : « Si vous saviez quel est celui qui vous
demande à boire, vous lui en auriez demandé vous-même et il vous eût donné une
eau vive. » Il ajoute ici : « Cette nourriture que le Fils de l'homme donnera.
»
ALCUIN. Lorsque vous recevez le corps de Jésus-Christ des mains du prêtre,
faites attention non au prêtre que vous voyez, mais à celui que vous ne voyez
pas. Le prêtre n'est que le dispensateur de cette nourriture, il n'en est pas
l'auteur. Or le Fils de l'homme se donne à nous, afin qu'il demeure en nous, et
que nous demeurions en lui. Ne considérez pas ce Fils de l'homme comme un des
enfants ordinaires des hommes, il en a été séparé par une grâce toute
particulière qui l'a placé en dehors de tous les autres ; ce Fils de l'homme
est tout ensemble le Fils de Dieu, comme il le déclare dans ce qui suit : « Car
c'est lui que le Père a marqué de son sceau. » Marquer d'un sceau, c'est
appliquer un signe, et Nôtre-Seigneur semble dire : Gardez-vous de me mépriser,
parce que je suis le Fils de l'homme, car je suis le Fils de l'homme marqué du
sceau de Dieu le Père, c'est-à-dire qu'il a imprimé sur moi un signe qui me
distingue de tout le reste du genre humain, et qui me constitue son libérateur.
S. HIL. (de la Trin., 8) Les sceaux ont cette propriété de
reproduire parfaitement la figure dont ils portent l'empreinte, et de la
conserver néanmoins tout entière. Ils reçoivent cette empreinte gravée à leur
surface, et la reproduisent dans toute son intégrité. Cette comparaison ne peut
donc être appliquée à la génération divine, car dans les sceaux il y a la
matière, la différence entre l'original et l'empreinte et l'impression qui
reproduit sur une matière plus molle l'empreinte gravée sur un métal plus dur.
Mais lorsque le Fils de Dieu qui est devenu le Fils de l'homme pour opérer le
mystère de notre salut, dit qu'il a été marqué du sceau de Dieu, il veut nous
faire comprendre qu'il reproduit en lui la nature du Père, et qu'il a le
pouvoir de donner la nourriture qui renferme le germe de la vie éternelle,
parce qu'il contient la plénitude de la nature divine du Père qui l'a marqué de
son sceau. — S. CHRYS. (hom. 44.)
Ou bien encore il l'a marqué de son sceau, c'est-à-dire il l'a comme désigné
pour nous apporter cette nourriture ; ou enfin il l'a marqué de son sceau,
c'est-à-dire il nous l'a fait connaître par son témoignage.
ALCUIN. Dans le sens mystique, c'est le lendemain, c'est-à-dire après
l'ascension de Jésus-Christ, que la multitude, qui s'applique à la pratique des
bonnes œuvres, et qui cesse d'être esclave des plaisirs des sens, attend
l'arrivée de Jésus. Cette seule barque qui est sur le rivage, c'est l'Eglise
qui est une ; les autres barques qui surviennent sont les conventicules des
hérétiques, qui recherchent leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ
(Ph 2) ; et c'est avec raison qu'il leur dit : « Vous me cherchez, parce
que vous avez mangé des pains. »
S. AUG. (Traité 25
sur S. Jean.) Combien en est-il encore qui ne cherchent Jésus que pour
en obtenir des faveurs temporelles ? L'un a une affaire, il vient réclamer
l'appui du clergé, un autre est opprimé par un homme puissant, il s'empresse de
venir réclamer le secours de l'Eglise ; à peine s'en trouvent-ils qui cherchent
Jésus pour lui seul.
S. GREG. (Moral., 23,
17 ou 20.) Cette multitude représente encore ceux qui, au sein même de la
sainte Eglise, s'attirent la haine de Dieu en recevant les ordres sacrés qui
les rapprochent de Dieu, sans s'occuper des vertus qu'exigent les saints ordres,
et en n'y cherchant qu'un moyen de subvenir aux besoins de la vie présente. On
suit le Seigneur pour le pain dont on a été rassasié, lorsqu'on ne demande à la
sainte Eglise que les biens et les aliments temporels ; on le cherche à cause
des pains, et non pour ses miracles, lorsqu'on aspire au ministère sacré, non
pour y pratiquer la vertu dans un degré plus excellent, mais pour un intérêt
tout matériel. — BEDE. Ceux
encore qui demandent dans leurs prières les biens temporels plutôt que les
biens de l'éternité, cherchent Jésus, non pour Jésus, mais pour toute autre
chose. Nous voyons ici, en figure, que les conciliabules des hérétiques
ne peuvent avoir pour hôtes ni Jésus-Christ, ni ses disciples ; ces autres
barques qui surviennent, ce sont les hérésies que l'on voit surgir tout d'un
coup. Cette foule qui reconnaît que ni Jésus ni ses disciples n'étaient là,
représente ceux qui, reconnaissant les erreurs des hérétiques, les abandonnent
pour venir embrasser la vraie foi.
ALCUIN. Ils comprirent que cette nourriture, qui demeure pour la vie éternelle,
c'était l'œuvre de Dieu, et ils demandent ce qu'ils doivent faire pour
travailler à se procurer cette nourriture, c'est-à-dire pour opérer l'œuvre de
Dieu : « Ils lui dirent donc : Que ferons-nous pour opérer les œuvres de
Dieu ? » — BEDE. C'est-à-dire,
quels préceptes devrons-nous observer pour accomplir les œuvres de Dieu ? — S. CHRYS. (hom. 45.) Ils lui
faisaient cette question, non dans le dessein de s'instruire et d'agir en
conséquence, mais pour l'amener à reproduire le miracle de la multiplication
des pains. — THEOPHYL. Bien que
Jésus-Christ connût parfaitement l'inutilité de ses enseignements pour ce
peuple grossier, il ne laisse pas de lui répondre pour l'utilité générale ; et
il lui apprend ainsi qu'à tous les hommes quelle est cette œuvre de Dieu : «
Jésus répondit : L'œuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a
envoyé. » —S. AUG. (Traité 25.)
Il ne dit pas : C'est que vous croyiez à lui, mais : « C'est que vous croyiez en
lui. » On peut croire à Jésus-Christ, sans croire immédiatement en lui ; ainsi
les démons croyaient à Jésus-Christ, sans cependant croire en lui ; ainsi nous
croyons à Paul, sans pour cela croire en Paul. Croire en Jésus-Christ, c'est
donc l'aimer en croyant, c'est unir la foi à l'amour, c'est s'unir à lui par la
foi et faire partie du corps dont il est le chef. C'est la foi que Dieu exige
de nous, et qui opère par la charité. (Gal 5) Cependant la foi est distincte des œuvres, selon la
doctrine de l'Apôtre : « L'homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la
loi. » (Rm 3, 28.) Il est des œuvres qui paraissent bonnes, quoique
séparées de la foi en Jésus-Christ, mais elles ne le sont pas en réalité, parce
qu'elles ne se rapportent pas à la fin qui les rend véritablement bonnes : «
Car Jésus-Christ est la un de la loi, pour justifier tout homme qui croit. » (Rm
10) Voilà pourquoi Nôtre-Seigneur n'a pas voulu distinguer la foi des
œuvres, mais qu'il a déclaré que la foi est l'ouvrage de Dieu ; car c'est la
foi qui opère par la charité. Et il ne dit pas : Votre œuvre, mais : « L'œuvre
de Dieu est que vous croyiez en lui, » afin que celui qui se glorifie, ne se
glorifie que dans le Seigneur. (2 Co 10, 17.) Croire en lui, c'est donc
manger la nourriture qui demeure pour la vie éternelle. Pourquoi préparer vos
dents et votre estomac ? Croyez, et vous avez mangé. A cause de cette
invitation que le Sauveur leur fait de croire en lui, ils répondent en
demandant de nouveaux miracles pour appuyer leur foi ; car c'est le propre des
Juifs de demander des miracles : « Ils lui répartirent : Quel miracle
faites-vous, pour que, le voyant, nous croyions en vous ? »
S. CHRYS. (hom. 45.)
Rien de plus déraisonnable à des hommes qui ont pour ainsi dire un miracle
entre les mains, que de tenir un pareil langage, comme s'ils n'avaient jamais
été les témoins d'aucun miracle. Ils ne laissent même pas au Sauveur le choix
du miracle, mais ils veulent le mettre dans la nécessité de n'opérer d'autre
prodige que celui qui a été fait en faveur de leurs ancêtres : « Nos pères
ont mangé la manne dans le désert. » — ALCUIN.
Et pour ne point exposer cette manne au mépris, ils la relèvent par
l'autorité du Psalmiste en ajoutant : « Ainsi qu'il est écrit : Il leur a
donné à manger le pain du ciel. » (Ps 77)
— S. CHRYS. (hom. 45.)
Parmi tant de miracles que Dieu opéra dans l'Egypte, dans la mer Rouge, dans le
désert, ils rappellent de préférence le souvenir du miracle de la manne, dont
leurs instincts sensuels leur faisaient désirer le retour. Remarquez qu'ils
n'attribuent point ce miracle à Dieu, pour ne point paraître égaler le Sauveur
à Dieu, ils ne présentent point non plus Moïse comme en étant l'auteur, parce
qu'ils ne veulent point humilier Jésus-Christ; ils échappent à cette double
difficulté en disant : « Nos pères ont mangé la manne dans le désert. »
S. AUG. (Traité 25.)
Ou bien encore, Nôtre-Seigneur se posait comme supérieur à Moïse, car jamais
Moïse n'osa dire de lui qu'il donnait la nourriture qui ne périt point. Au
souvenir donc des granas miracles opérés par Moïse, ils en voulaient de plus
grands encore, et semblaient dire au Sauveur : Vous promettez la nourriture qui
ne périt point, et vous êtes loin de faire des miracles semblables à ceux de
Moïse, ce ne sont point des pains d'orge qu'il a donnés au peuple de Dieu, mais
la manne qui tombait du ciel.
S. CHRYS. (hom. 45.)
Nôtre-Seigneur aurait pu leur répondre que Moïse avait fait de plus grands
miracles que celui de la manne ; mais ce n'était pas le moment de leur parler
de la sorte, il n'avait en vue qu'une seule chose, c'était de leur inspirer le
désir de la nourriture spirituelle : « Jésus leur répondit donc : En
vérité, en vérité, je vous le dis, Moïse ne vous a point donné le pain du ciel,
» etc. La manne ne venait donc point du ciel, et si l'Ecriture dit qu'elle
venait du ciel, c'est dans le même sens qu'elle appelle les oiseaux, les
oiseaux du ciel (Ps 8), et qu'elle dit ailleurs : « Le Seigneur a tonné
du haut du ciel. » (Ps 17 ; Qo 46.)
Le Sauveur dit que la manne n'était pas un pain véritable, non pas que
la manne ne fût vraiment miraculeuse, mais parce que c'était une figure et non
la vérité. Remarquez encore qu'il ne se met pas en opposition avec Moïse, c'est
Dieu qu'il oppose à Moïse, et il se met lui-même à la place de la manne. — S.
AUG. (Traité 25.) Voici le vrai sens des paroles du Sauveur : La manne
était le symbole de la nourriture dont je viens de vous parler, et toutes ces
choses étaient des figures de la vérité qui devait s'accomplir en moi ; vous
vous attachez aux figures, et vous n'avez que du mépris pour la vérité. C'est
Dieu, en effet, qui donne le pain figuré par la manne, c'est-à-dire,
Nôtre-Seigneur Jésus-Christ : « Car le pain véritable est celui qui descend du
ciel et donne la vie au monde. » — BEDE.
Le monde doit s'entendre ici non pas des éléments qui le composent, mais
des hommes qui l'habitent. — THEOPHYL. Nôtre-Seigneur
déclare qu'il est le pain véritable, parce que le premier et le principal objet
figuré par la manne, c'était le Fils unique de Dieu fait homme. Le mot manne
signifie en effet : Qu'est-ce que cela ? Car les Juifs ayant vu la manne
tomber du ciel, se disaient l'un à l'autre dans leur étonnement : « Quelle
chose est-ce là ? » (Ex 16) Or, le Fils de Dieu fait homme est
par-dessus tout cette manne, objet d'étonnement pour les Juifs, qui se
demandaient aussi les uns les autres : « Qu'est-ce que cela veut dire ? Comment
le Fils de Dieu peut-il être le Fils de l'homme ? Comment deux natures ne
forment-elles qu'une seule personne ? » — ALCUIN. Il est descendu des cieux en se revêtant de notre
humanité, et c'est la divinité qui s'en est revêtue qui donne la vie au monde.
THEOPHYL. Ce pain, qui de sa nature est la vie, parce qu'il est
le Fils du Dieu vivant, fait l'œuvre qui lui est propre, en donnant la vie à
tout ce qui existe ; de même, en effet, que le pain matériel conserve la vie du
corps, ainsi Jésus-Christ donne la vie à l'âme par les secrètes opérations de
l'Esprit. Il communique même au corps un principe d'incorruptibilité, qu'il lui
assure par sa résurrection, et c'est en ce sens qu'il donne la vie au monde. —
S. CHRYS. (hom. 45.) Et ce
n'est pas seulement aux Juifs, mais à tous les hommes répandus sur la surface
de la terre. Mais ceux qui l'écoutaient ne portaient pas encore leurs pensées
si haut : « Ils lui dirent donc : Seigneur, donnez-nous ce pain. » Il vient de
leur déclarer que c'était son Père qui leur donnait ce pain, et ils ne lui
disent pas : Priez-le de nous le donner, mais : « Donnez-nous ce pain. » À
l'exemple de la Samaritaine, qui avait pris dans un sens matériel ces paroles
du Sauveur : « Celui qui boira de cette eau n'aura jamais soif, » et qui lui
disait pour se mettre à l'abri du besoin : « Donnez-moi de cette eau ; » les
Juifs disent à Jésus : « Donnez-nous toujours ce pain pour nous soutenir.
»
S. CHRYS. (hom. 45
sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur, sur le point d'initier les Juifs à la
connaissance de ses mystères, commence par établir sa divinité et leur dit : «
Je suis le pain de vie, » paroles qui ne s'appliquent point à son corps, dont
il dira plus tard : « Le pain que je donnerai, c'est ma chair. » Il leur parle
donc de sa divinité, car c'est par suite de son union avec le Verbe que la
chair est un véritable pain qui devient le pain du ciel pour celui qui reçoit
l'Esprit lui-même. — THEOPHYL. Il
ne dit point : Je suis le pain qui sert d'aliment, mais : « Je suis le
pain de vie.» Tout était devenu la proie de la mort, et c'est par lui-même que
Jésus-Christ nous a rendu la vie ; et la vie que ce pain soutient et alimente
n'est pas cette vie naturelle et passagère, mais la vie sur laquelle la mort
n'a aucun empire. C'est pour cela qu'il ajoute : « Celui qui vient à moi,
c'est-à-dire, celui qui croit en moi n'aura jamais soif. » Ces paroles :
« Il n'aura jamais faim, » doivent être entendues dans le même sens que
ces autres : « II n'aura jamais soif, » elles expriment ce rassasiement
éternel qui ne laisse place à aucun besoin, à aucun désir.
THEOPHYL. Ou bien il n'aura jamais ni faim ni soif, c'est-à-dire,
qu'il n'éprouvera jamais aucun dégoût, aucune langueur pour entendre la parole
de Dieu, et qu'il ne souffrira jamais de la soif spirituelle, comme ceux qui
n'ont point été régénérés dans l'eau du baptême et qui n'ont point été
sanctifiés par l'Esprit saint.
S. AUG. (Traité 25.) Vous désirez donc le pain du ciel que vous
avez devant vous, mais vous ne le mangez pas. « Je vous l'ai dit, vous
m'avez vu et vous ne croyez point. » — ALCUIN.
Si je m'exprime de la sorte, ce n'est pas que j'espère que vous chercherez
à vous rassasier de ce pain, mais c'est bien plutôt pour condamner votre
incrédulité qui, tout en me voyant, refuse de croire en moi. — S. CHRYS. (hom. 45.) Ou bien,
Nôtre-Seigneur fait ici allusion au témoignage des Ecritures dont il a dit plus
haut : « Les Ecritures rendent témoignage de moi ; » et encore à
ces antres paroles : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m'avez
pas reçu, » etc. Quant à ce qu'il leur dit ici : « Parce que vous m'avez vu et
vous n'avez pas cru ; » il veut parler en termes couverts des
miracles qu'il a opérés sous leurs yeux.
S. AUG. (Traité 25.)
Cependant je n'ai point perdu le peuple de Dieu tout entier, parce que vous
avez vu et que vous n'avez pas cru : « Car tout ce que me donne mon Père
viendra à moi, et celui qui vient à moi je ne le rejetterai pas dehors. » — BEDE. Il dit en termes absolus :
« Tout ce que me donne mon Père, » c'est-à-dire, la plénitude des fidèles.
Ce sont ceux que le Père donné au Fils, lorsque, par une inspiration secrète,
il les fait croire au Fils. — ALCUIN. Celui donc que le Père attire à la foi
qui le fait croire en moi, viendra à moi par la foi pour entrer en union avec
moi, et je ne rejetterai pas dehors celui que les pas de la foi et des bonnes
œuvres conduiront jusqu'à moi, c'est-à-dire, qu'il demeurera avec moi dans le
secret d'une conscience pure, et je finirai par le recevoir dans l'éternelle
béatitude. — S. AUG. (Traité 25.) Cette retraite intérieure, d'où l'on
n'est point chassé dehors, est un sanctuaire profond et une douce solitude sans
aucun ennui, sans l'amertume des mauvaises pensées, sans les agitations des
tentations et des douleurs, et c'est de cette retraite intérieure que
Nôtre-Seigneur a voulu parler lorsqu'il dit : « Entrez dans la joie de votre
maître. » (Mt 25)
S. CHRYS. (hom. 45.)
Ces expressions : « Tout ce que me donne mon Père, » prouvent que la foi en
Jésus-Christ n'est point une chose ordinaire et facile, ni qui soit l'œuvre
exclusive de notre volonté, elle demande en même temps une révélation
supérieure et une âme sincèrement disposée à recevoir cette révélation. Il suit
de là que ceux à qui le Père ne donne point cette grâce ne sont pas à l'abri de
toute accusation, car nous avons aussi besoin de notre volonté pour croire.
Nôtre-Seigneur condamne en même temps leur incrédulité, en montrant que celui
qui ne croit point en lui, va contre la volonté de son Père. Saint Paul dit de
son côté, que c'est lui-même qui donne les fidèles à son Père : « Ensuite
viendra la fin de toutes choses, lorsqu'il aura remis son royaume à Dieu son
Père. » (1 Co 15, 24.) Le Père, lorsqu'il donne, ne se dépouille pas de ce qu'il
donne, il en est de même du Fils ; et s'il est dit de lui qu'il nous remet
entre les mains de son Père, parce que c'est lui qui nous amène à son Père ; il
est aussi écrit du Père : « C'est par lui que nous avons été appelés dans
la société de son Fils. » (1 Jn 1) Celui donc qui croit en moi sera sauvé, car
c'est pour les hommes que je suis venu sur la terre, et que je me suis incarné
: « Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la
volonté de celui qui m'a envoyé. » Quoi donc ! est-ce que votre volonté
est différente de celle de Dieu ? Nôtre-Seigneur va au-devant de cette pensée,
en ajoutant : « Or, la volonté de mon Père, qui m'a envoyé, est que,
quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle ; » donc c'est
aussi la volonté du Fils, puisque le Fils donne la vie à ceux qu'il veut. Tel
est donc le sens de ces paroles : Je ne suis point venu faire autre chose que
ce que veut le Père, et je n'ai point d'autre volonté que la sienne :
« Car tout ce qui est à mon Père, est également à moi ; » ce
qu'il réserve de dire à la fin de son discours, car il voile de temps en temps
les vérités trop relevées pour l'intelligence de ses auditeurs.
S. AUG. (Traité 25.)
Ou bien encore, le Sauveur donne ici la raison pour laquelle il ne rejette pas
dehors celui qui vient à lui : « C'est parce que je suis descendu du ciel,
non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé.
» L'âme est sortie de Dieu, parce qu'elle était orgueilleuse, c'est par
l'orgueil que nous avons été chassés dehors, c'est par l'humilité seule que
nous pouvons rentrer. Lorsqu'un médecin qui entreprend la guérison d'une
maladie, guérit la maladie elle-même, sans guérir la cause qui l'a produite, la
guérison n'est que momentanée, et le mal revient sous l'action de la cause qui
persévère. Or, c'est pour guérir la cause de toutes les maladies ;
c'est-à-dire, l'orgueil, que le Fils de Dieu est descendu des cieux, et qu'il
s'est profondément humilié. Pourquoi donc vous enorgueillir, ô homme ? C'est
pour vous que le Fils de Dieu s'est réduit à cet état d'humiliation. Peut-être
rougirez-vous d'imiter l'exemple de l'humilité qui vous serait donné par un homme,
imitez-le du moins quand cet exemple vous est donné par un Dieu, qui vous
recommande si hautement l'humilité en vous disant : « Je suis venu, non pour
faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé. »
L'orgueil, en effet, ne veut faire que sa volonté, l'humilité, au contraire,
fait la volonté de Dieu.
S. HIL. (de la Trin., 3) En s'exprimant de la sorte, le Sauveur
ne veut point dire qu'il fait ce qu'il ne veut pas, mais il fait paraître son
obéissance dans sa soumission à la volonté de son Père, volonté qu'il veut
accomplir dans toute sa perfection. — S. AUG.
(Traité 25.) Celui-là donc qui viendra à moi, je ne le rejetterai
pas dehors, parce que je ne suis pas venu pour faire ma volonté ; humble
moi-même, je suis venu enseigner l'humilité ; celui qui vient à moi s'unit et
s'incorpore à moi, parce qu'il ne fait pas sa volonté, mais celle de Dieu, et
c'est pour cela qu'il ne sera pas jeté dehors, car l'orgueil seul l'avait
chassé dehors. On ne peut venir à moi qu'à la condition d'être humble, et on
n'est rejeté dehors que par l'orgueil : celui qui pratique l'humilité ne tombe
jamais des hauteurs de la vérité. Mais pour quelle raison ne jette-t-il pas
dehors celui qui vient à lui, parce qu'il n'est pas venu faire sa volonté ? La
voici : « Car la volonté de mon Père qui m'a envoyé, est que je ne perde aucun
de ceux qu'il m'a donnés. » Celui qui est donné à Jésus-Christ est celui qui
est resté fidèle à la pratique de l'humilité : « Votre Père qui est dans
les cieux ne veut pas qu'il se perde un seul de ces petits. » (Mt 18,
14.) Il en peut périr parmi les orgueilleux, mais aucun de ceux qui sont petits
ne périt, car il faut devenir semblable à ce petit pour entrer dans le royaume
des cieux. (Mt 18, 3-5.) — S. AUG. (de la correct, et de la grâce, chap.
9) Ceux donc, qui dans les décrets de la providence de Dieu, ont été prévus,
prédestinés, appelés, justifiés, glorifiés, sont déjà enfants de Dieu, avant
leur seconde naissance et même avant la première, et il est impossible qu'ils
périssent, parce qu'ils sont véritablement venus à Jésus-Christ. C'est lui donc
qui leur donne la persévérance finale dans le bien, car elle n'est donnée qu'à
ceux qui ne doivent point périr. Quant à ceux qui ne persévèrent point, leur
perte est certaine.
S. CHRYS. (hom. 45
sur S. Jean.) Lorsque Nôtre-Seigneur dit : « Je ne perdrai aucun
d'eux ; » ce n'est pas qu'il ait besoin d'eux, mais en s'exprimant de
la sorte, il fait voir le désir qu'il a de leur salut. Après avoir dit :
« Je n'en perdrai aucun, et je ne le jetterai pas dehors ; » il ajoute : « Mais je le
ressusciterai au dernier jour. » C'est qu'en effet, à la résurrection générale,
les méchants seront jetés dehors, selon ces paroles du Sauveur :
« Prenez-le, et jetez-le dans les ténèbres extérieures. » (Mt 22 et
25) Vérité que confirment ces autres paroles : « Lui qui peut précipiter
dans la géhenne l'âme et le corps. » (Mt 10) Il ramène souvent la pensée
de la résurrection, pour que les hommes ne jugent pas la conduite de la
Providence divine par les seules choses présentes, et pour qu'ils vivent dans
l'attente d'une autre vie.
S. AUG. (Traités 23
et 25.) Voyez comme il parle ici en termes précis de cette double résurrection
: « Celui qui vient à moi ressuscite dès maintenant, en partageant l'humilité
de mes membres ; » et de plus : « Je le ressusciterai au dernier jour. »
Pour expliquer davantage ce qu'il venait de dire : « Tout ce que mon Père m'a
donné; » et encore : « Je ne perdrai aucun d'eux. » Nôtre-Seigneur ajoute
: « Telle est la volonté de mon Père qui m'a envoyé, que quiconque voit le
Fils et croit en lui, ait la vie éternelle. » Il avait dit précédemment : «
Celui qui écoute ma parole et qui croit à celui qui m'a envoyé. » Ici au
contraire : « Celui qui voit le Fils et qui croit en lui. » Il ne dit point :
Et qui croit dans le Père, parce que croire dans le Fils et croire dans le
Père, sont une seule et même chose ; car de même que le Père a la vie en
lui-même, il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même ; et ainsi celui qui
voit le Fils et qui croit en lui, a la vie éternelle, en arrivant par la foi à
la vie qui est comme la première résurrection. Mais cette première résurrection
n'est pas la seule, aussi Nôtre-Seigneur ajoute : « Et je le ressusciterai au
dernier jour. »
S. CHRYS. (hom. 46
sur S. Jean.) Les Juifs qui espéraient recevoir une nourriture
matérielle, ne commencèrent à se troubler que lorsque cette espérance leur fut
enlevée : « Cependant les Juifs murmuraient contre lui, parce qu'il avait
dit : Je suis le pain vivant, » etc. La cause apparente de leur trouble, c'est
que Nôtre-Seigneur leur déclarait qu'il était descendu du ciel, mais la cause
véritable, c'est qu'ils avaient perdu l'espérance de la nourriture matérielle
qu'ils attendaient. Cependant le miracle qu'il venait d'opérer leur inspirait
encore pour lui quelque respect, voilà pourquoi ils n'osent le contredire
ouvertement, ils se contentent de témoigner leur désapprobation par leurs
murmures. Quel était l'objet de ces murmures, le voici : « Et ils disaient : Est-ce
que ce n'est pas là Jésus, fils de Joseph ? » — S. AUG. (Traité 26
sur S. Jean.) Ils étaient encore loin du pain du ciel, et ils n'en
connaissaient pas le désir; car ce pain exige la faim de l'homme intérieur. —
S. CHRYS. (hom. 46.) Il
est évident qu'ils ne connaissaient pas encore l'admirable génération du
Sauveur, puisqu'ils l'appellent le fils de Joseph, et toutefois il ne leur en
fait point de reproche, et ne leur dit point : Je ne suis pas le fils de
Joseph, parce qu'ils étaient incapables de comprendre sa naissance miraculeuse
; car s'ils ne pouvaient comprendre sa naissance selon la chair, à plus forte
raison sa naissance éternelle et ineffable. — S. AUG. (Traité 26.) Il a pris notre chair mortelle, mais
non pas comme les hommes la prennent. Il avait un Père dans les cieux, et il
s'est choisi une mère sur la terre ; il est né sans mère dans le ciel, et sans
père sur la terre. Mais quelle fut sa réponse aux murmures des Juifs ?
« Jésus leur répondit : Ne murmurez, point entre vous, » c'est-à-dire :
Je sais pourquoi vous n'avez point cette faim spirituelle, et pourquoi vous ne
comprenez, ni ne cherchez ce pain : « C'est que personne ne peut venir à moi,
si mon Père qui m'a envoyé, ne l'attire. » Quel magnifique éloge de la grâce ! Nul ne vient, s'il n'est attiré ; ne cherchez point à
savoir et à juger qui est attiré, et qui ne l'est pas ; pourquoi Dieu attire
celui-ci plutôt que celui-là, si vous ne voulez vous égarer, et contentez-vous
d'entendre cette vérité : Vous n'êtes point encore attiré, priez Dieu qu'il
vous attire.
S. CHRYS. (hom. 46.)
Les Manichéens saisissent avidement ces paroles pour nous objecter que notre
libre arbitre n'a aucune puissance. Cependant Nôtre-Seigneur ne veut pas
détruire ici ce qui est en nous, mais nous montrer simplement le besoin que
nous avons du secours de Dieu, et il vent parler ici non de celui qui vient
malgré lui, mais de celui qui rencontre de grands obstacles. — S. AUG. Si nous
sommes attirés malgré nous à Jésus-Christ, c'est donc aussi malgré nous que
nous croyons. C'est donc ici l'œuvre de la violence et non de la volonté ;
mais on ne peut entrer dans l'Eglise qu'autant qu'on le veut, on ne peut croire
que parce qu'on le veut, « car il faut croire de cœur pour obtenir la justice.
» (Rm 10) Si donc celui qui est attiré vient malgré lui, il n'a point la
foi ; s'il n'a point la foi, il ne vient pas. En effet, ce n'est pas en
marchant que nous approchons de Jésus-Christ, mais en croyant ; ce n'est point
par un mouvement de notre corps, mais par la volonté de notre cœur. C'est donc
par la volonté que nous sommes attirés. Comment sommes-nous attirés par la
volonté ? « Mettez vos délices dans le Seigneur, et il vous accordera ce que
votre cœur demande. » (Ps 37) Il y a une certaine volupté du cœur pour
celui qui goûte la douceur de ce pain céleste. Or, si le poète a pu dire :
« Chacun est entraîné par son plaisir, » à combien plus juste titre
pouvons-nous dire que l'homme qui place ses délices dans la vérité, dans la
béatitude, dans la justice, dans la vie éternelle, est véritablement attiré
vers le Christ ; car toutes ces choses c'est le Christ. Dira-t-on que les sens
du corps ont leurs voluptés, et que l'âme n'en a point qui lui soient propres ?
Donnez-moi une âme qui aime, donnez-moi une âme qui désire, une âme fervente,
une âme qui se regarde comme exilée et qui ait faim et soif dans la solitude de
cette vie, une âme qui soupire après la fontaine de l'éternelle patrie, et elle
comprendra ce que je dis. Mais pourquoi Nôtre-Seigneur s'exprime-t-il de la
sorte : « Si mon Père ne l'attire ? » S'il faut que nous soyons attirés,
soyons-le par celui à qui l'Epouse des cantiques a dit: « Attirez-moi
après vous. » (Ct 1) Mais examinons le véritable sens de ces
paroles. Le Père attire au Fils ceux qui croient au Fils, parce qu'ils pensent
qu'il a Dieu pour Père. En effet, Dieu le Père a engendré un Fils qui lui est
égal, et celui qui pense et médite attentivement dans la foi de son âme, que
celui en qui il met sa foi est égal au Père, est attiré par le Père vers le
Fils. Arius ne voit en lui qu'une créature ; le Père ne l'a pas attiré. Photius
dit que le Christ n'est qu'un homme, celui qui partage ses sentiments n'est pas
attiré par le Père. Dieu le Père attire Pierre, lorsqu'il dit : « Vous
êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. » (Mt 16) Aussi que lui répond
Nôtre-Seigneur : « Ce n'est point la chair et le sang qui vous l'a révélé, mais
mon Père qui est dans les cieux. » Il l'attire par là même qu'il lui révèle ;
car si les révélations qui ont lieu parmi les jouissances de la terre sont
assez fortes pour entraîner ceux qui aiment, comment supposer que Jésus-Christ,
révélé par le Père, n'ait pas la même force pour nous entraîner ? Qu'est-ce que
l'âme désire plus vivement que la vérité ? Mais ici les hommes sont tourmentés
par la faim et la soif de la vérité, ce n'est que dans le ciel que leurs désirs
seront rassasiés, c'est pour cela que Nôtre-Seigneur ajoute : « Et je le
ressusciterai au dernier jour. » La soif qu'il éprouve ici-bas sera rassasiée à
la résurrection des morts, parce que je le ressusciterai.
S. AUG. (Quest. sur le
Nouv. et l'Ane. Test., chap. 27) Ou bien encore, le Père attire au Fils par
les œuvres qu'il faisait par le Fils. — S. CHRYS.
(hom. 46.) Quelle est grande la dignité du Fils, puisqu'il
ressuscite ceux que le Père lui amène, que ses œuvres ne sont point séparées de
celles du Père, et qu'il nous montre ici la parfaite égalité de sa puissance
avec celle du Père. Mais de quelle manière le Père attire au Fils ? la voici :
« Et il est écrit dans les prophètes : Et ils seront tous enseignés de Dieu. »
Voyez ici la dignité de la foi, ce n'est point des hommes, ni par le moyen des
hommes, qu'elle nous est enseignée, Dieu seul en est le souverain maître,
toujours prêt à répandre sur tous lès hommes ses grâces aussi bien que sa
doctrine. Mais si tous sont enseignés de Dieu, comment expliquer l'incrédulité
d'un certain nombre ? L'expression tous doit s'entendre de plusieurs, ou
bien de tous ceux qui ont la bonne volonté. — S. AUG. (de la prédest., chap. 8) On peut encore
l'entendre dans un autre sens : Lorsqu'un maître de belles-lettres est seul
dans une ville, nous disons : Il enseigne les lettres à tout le monde, non pas
que tous les habitants de la ville les apprennent, mais parce que ceux qui
veulent les apprendre n'ont que lui pour maître ; de même nous disons ici que
Dieu enseigne à tous les hommes à venir à Jésus-Christ, non pas que tous soient
dociles à ses enseignements, mais parce que personne ne peut venir par une
autre voie. — S. AUG. (Traité 26.)
Ou bien encore, tous les hommes de ce royaume seront enseignés de Dieu, dans ce
sens que les hommes ne seront point leur véritable maître. Sans doute, ce sont
les hommes qui leur enseignent extérieurement la doctrine qu'ils cherchent à
comprendre, mais c'est au dedans que l'intelligence en est donnée, au dedans
que la lumière brille, au dedans que la révélation se fait. Le bruit de mes
paroles vient frapper vos oreilles, mais si le maître intérieur n'en révèle le
sens, qu'est-ce que je dis ? que sont mes paroles ? Nôtre-Seigneur dit donc aux
Juifs : « Et ils seront tous enseignés de Dieu, » c'est-à-dire : Comment,
Juifs, pouvez-vous me connaître, vous que le Père n'a pas enseignés ?
BEDE. Nôtre-Seigneur dit au pluriel : « Il est écrit dans les
prophètes, » parce que tous les prophètes, remplis d'un seul et même
esprit, tendaient au même but, bien que l'objet de leurs prophéties fût
différent. Aussi tous les prophètes s'accordent avec chacun d'entre eux, c'est
ainsi que le prophète Joël s'accorde avec le prophète qui a dit : « Ils
seront tous enseignés de Dieu. » On ne trouve pas ces paroles dans Joël,
mais on y lit quelque chose de semblable : « Enfants de Sion, faites
éclater votre joie, livrez-vous à votre allégresse, à la présence du Seigneur
votre Dieu, parce qu'il vous a donné un docteur de justice. » (Jl 2,
23.) Cependant cette pensée se trouve plus explicitement exprimée dans Isaïe,
lorsqu'il dit : « Je rendrai tous tés-enfants disciples de Dieu. » — S. CHRYS. (hom. 46.) C'est qu'en effet avant
Jésus-Christ, c'étaient les hommes qui enseignaient les vertus divines,
maintenant, au contraire, c'est le Fils unique de Dieu et l'Esprit saint.
S. AUG. (de la prédestin., chap. 8) Tous ceux qui sont ainsi
enseignés de Dieu, viennent au Fils, parce que le Père les a instruits et
enseignés par le Fils : « Quiconque a entendu le Père et appris de lui,
vient à moi. » Si tout homme qui a entendu le Père et appris de lui, vient au Fils, tous ceux qui ne l'ont pas
entendu sont privés d'enseignement. Que cette école céleste dans laquelle le
Père se fait entendre, et apprend à venir au Fils, est éloignée des sens de la
chair ! Ce n'est point à l'oreille du corps qu'il s'adresse, mais à l'oreille
du cœur, là où est le Fils lui-même, parce qu'il est le Verbe, par lequel le
Père enseigne ; là où est aussi l'Esprit saint, car la foi nous apprend que les
œuvres de la Trinité sont indivisibles ; cependant ce divin enseignement est
attribué au Père, parce que le Fils procède de lui ainsi que le Saint-Esprit.
Ainsi la grâce qui se répand secrètement dans les âmes par un effet de la bonté
divine, n'est rejetée par aucune dureté de cœur, car son premier objet est de
faire disparaître cette dureté de cœur. Pourquoi donc Dieu n'enseigne-t-il pas
à tous les hommes à venir à Jésus-Christ ? C'est que ceux qui sont enseignés,
le sont par miséricorde, tandis que ceux qui ne le sont pas en sont privés par
un juste jugement. Dirons-nous que ceux qu'il n'enseigne pas veulent cependant
apprendre ? On nous répondra : Et que signifient ces paroles : « O Dieu ! vous
nous convertirez de nouveau vers nous, et vous nous donnerez la vie ? » (Ps 84) Et si ce n'est pas Dieu qui inspire
la bonne volonté à ceux qui ne l'ont pas, pourquoi l'Eglise prie-t-elle pour
ses persécuteurs, conformément au précepte que lui en fait le Seigneur ?
Il n'est personne qui puisse dire : J'ai cru et c'est ma foi qui a été le
principe de ma vocation, car c'est la miséricorde de Dieu qui prévient celui
qui est appelé, afin qu'il puisse recevoir le don de la foi.
S. AUG. (Traité 26.)
Voilà donc comment le Père nous attire en nous enseignant la vérité, et sans
nous imposer aucune nécessité, et il n'appartient qu'à Dieu de nous attirer
ainsi : « Quiconque a entendu le Père, et appris de lui, vient à moi. »
Quoi donc ! est-ce que Jésus. Christ n'a rien enseigné ? Mais les hommes
n'ont point vu le Père se faisant leur maître, et ils ont vu le Fils qui en
remplissait les fonctions à leur égard ? C'était le Fils qui parlait, mais
c'était le Père qui enseignait. Si donc moi qui ne suis qu'un homme, j'enseigne
celui qui a entendu ma parole, à plus forte raison le Père enseigne celui qui a
entendu sa parole ou son Verbe. C'est ce que le Sauveur nous explique
parfaitement en ajoutant immédiatement : « Non que personne ait vu le Père, si
ce n'est celui qui est de Dieu, » paroles dont voici le sens : Je viens de vous
dire : « Quiconque a entendu le Père et appris de lui ; » n'allez pas vous
tenir à vous-mêmes ce langage : Nous n'avons jamais vu le Père, comment
pourrons-nous être instruits par lui ? Apprenez de moi comment vous pourrez
être instruits : Je connais mon Père, je viens de lui comme la parole sort de
celui qui la profère, je suis non pas la parole qui retentit et qui passe, mais
la parole qui demeure avec celui qui la prononce, et qui attire celui qui
l'entend. — S. CHRYS. (hom. 46.)
Tous nous venons de Dieu, mais Nôtre-Seigneur ne parle point ici de ce qui
distingue le Fils de Dieu et lui est propre, à cause de l'esprit encore faible
et grossier de ses auditeurs.
S. AUG. (Traité 26
sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur en vient enfin à révéler, aux Juifs ce
qu'il était : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a
la vie éternelle ; » c'est-à-dire, celui qui croit en moi, me possède.
Qu'est-ce que me posséder ? c'est posséder la vie éternelle ; car la vie
éternelle, c'est le Verbe qui était au-commencement avec Dieu, et cette vie
était la lumière des hommes. La vie s'est revêtue de la mort, afin que la mort
fût détruite par la vie.
THEOPHYL. Comme ce peuple insistait pour obtenir la nourriture
corporelle, et rappelait à ce dessein le souvenir de la manne qui avait été
donnée à leurs pères, le Sauveur veut leur montrer que tous les faits de la loi
ancienne étaient une figure de la vérité qu'ils avaient présente sous leurs
yeux, et les élève à la pensée d'une nourriture toute spirituelle, en leur
disant : « Je suis le pain de vie. » — S. CHRYS. (hom. 46.) Il se donne le nom de pain de vie,
parce qu'il contient le principe de notre vie, de cette vie présente et de la
vie future.
S. AUG. (Traité 26.)
Mais pour réprimer l'orgueil des Juifs qui étaient fiers de la manne qui avait
été donnée à leurs pères, Jésus ajoute : Vos pères ont mangé la manne dans le
désert, et sont morts. » Ce sont véritablement vos pères, et vous leur êtes
semblables, ils sont les pères murmurateurs d'enfants imitateurs de leurs
murmures, car le plus grand crime que Dieu ait relevé contre ce peuple, ce sont
ses murmures contre Dieu. Or, ils sont morts, parce qu'ils ne croyaient que ce
qu'ils voyaient, et qu'ils ne croyaient ni ne comprenaient ce qui était
invisible à leurs yeux. — S. CHRYS. (hom.
46.) Ce n'est pas sans dessein que le Sauveur ajoute cette circonstance : «
Dans le désert, » il veut leur rappeler indirectement le peu de temps pendant
lequel la manne a été donnée à leurs pères, et qu'elle ne les a pas suivis dans
la terre promise. Mais les Juifs estimaient encore le miracle de la
multiplication des pains comme de beaucoup inférieur au miracle de la manne,
parce que la manne semblait descendre du ciel, et que le miracle de la
multiplication des pains avait lieu sur la terre ; c'est pourquoi
Nôtre-Seigneur ajoute : « Voici le pain descendu du ciel. » — S. AUG. (Traité
26.) Ce pain a été figuré par la manne, il a été figuré par l'autel de
Dieu. Départ et d'autre c'étaient des symboles figuratifs ; les signes
extérieurs sont différents, l'objet figuré est le même. Entendez l'Apôtre qui
vous dit : « Ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle. » (1 Co 10)
S. CHRYS. (hom. 46.)
Nôtre-Seigneur relève ensuite une circonstance qui devait faire sur eux une
vive impression, c'est qu'ils ont été bien plus favorisés que leurs pères que
la manne n'a pas empêchés de mourir : « Voici le pain qui descend du ciel,
pour que celui qui en mange ne meure point. » Il fait ressortir la différence
des deux nourritures par la différence des résultats. Le pain dont il parle
ici, ce sont les vérités du salut, et la foi que nous devons avoir en lui, ou
bien son corps, car toutes ces choses conservent la vie de l'âme.
S. AUG. (Traité 26)
Mais est-ce que nous qui mangeons le pain descendu du ciel, nous ne
mourrons pas aussi ? Ceux qui ont mangé la manne sont morts comme nous mourrons
nous-mêmes un jour de la mort du corps. Mais quand à la mort spirituelle dont
leurs pères sont morts, Moïse et un grand nombre d'autres qui ont mangé la
manne et qui ont été agréables à Dieu, n'y ont pas été soumis, parce qu'ils ont
reçu cette nourriture visible avec des dispositions toutes spirituelles, ils
l'ont désirée dans l'esprit, goûtée dans l'esprit, ils en ont été rassasiés
dans l'esprit. Encore aujourd'hui nous recevons une nourriture visible, mais
autre chose est le sacrement, autre chose est la vertu du sacrement. Combien
qui reçoivent ce pain de l'autel, et qui meurent en le recevant ! comme le dit
l'Apôtre : « Il mange et boit son jugement. » (1 Co 11) Mangez donc
spirituellement ce pain céleste, apportez l'innocence au saint autel. Tous les
jours vous péchez, mais que vos péchés ne soient point de ceux qui donnent la
mort à l'âme. Avant d'approcher de l'autel, pesez bien ce que vous dites :
Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs. Si vous les
remettez véritablement, on vous remettra les vôtres. Approchez donc avec
confiance, c'est du pain et non du poison qu'on vous présente : « Si
quelqu'un mange de ce pain, il ne mourra point. » Mais il s'agit ici de la
vertu du sacrement, et non de ce qui est visible dans le sacrement ; de celui
qui se nourrit intérieurement de ce pain, et non de celui qui se contente de le
manger extérieurement. — ALCUIN. Celui
qui mange ce pain ne meurt pas « parce que je suis le pain vivant qui suis
descendu du ciel. » — THEOPHYL. Il est descendu du ciel par
son incarnation, il n'a donc point commencé par être homme avant de s'unir à la
divinité comme le rêve Nestorius. — S. AUG.
(Traité 26.) La manne est aussi descendue du ciel, mais la manne
n'était que figurative, et nous avons ici la vérité. Or, ma vie, dit le
Sauveur, est pour les hommes une source de vie : « Si quelqu'un mange de ce
pain, il vivra non-seulement dans cette vie par la foi et la justice, mais il
vivra éternellement. » « Et le pain que je donnerai, est ma chair qui sera
livrée pour la vie du monde. » — LA
GLOSE. Le Seigneur explique ici dans quel sens il est un véritable pain,
ce n'est pas seulement par sa divinité qui donne la nourriture à tout ce qui
existe, mais par son humanité qui a été unie au Verbe de Dieu, et c'est pour
cela qu'il ajoute : « Et le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du
monde. » — BEDE. Le Seigneur a
donné ce pain lorsqu'il a livré à ses disciples le mystère de son corps et de
son sang, et quand il s'est offert lui-même à Dieu son Père sur l'autel de la
croix. La vie du monde dont il parle ici ne doit point s'entendre des éléments
matériels qui composent le monde, mais de tous ceux que l'on comprend sous le
nom de monde. — THEOPHYL. En
disant : « Que je donnerai, » il fait ressortir sa puissance et prouve que
s'il a été crucifié, ce n'est pas comme étant inférieur à son Père, mais de sa
pleine volonté. Car bien que nous disions qu'il a été livré par son Père,
cependant il s'est véritablement livré lui-même. Considérez encore que le pain
que nous mangeons dans les saints mystères n'est pas seulement la figure de la
chair de Jésus-Christ, mais qu'il est lui-même la vraie chair de Jésus- Christ.
Car il ne dit pas : Le pain que je donnerai est la figure de ma chair, mais :
« c'est ma chair. » En vertu de paroles ineffables, ce pain est changé au
corps de Jésus-Christ par une bénédiction mystérieuse et par l'habitation de
l'Esprit saint dans la chair de Jésus-Christ. Mais pourquoi ne voyons-nous pas
cette chair ? Parce que la vue de cette chair nous inspirerait une vive horreur
lorsque nous voudrions nous en nourrir. C'est donc pour condescendre à notre
faiblesse que cette nourriture spirituelle nous est donnée d'une manière
conforme à nos habitudes. Jésus donne sa chair pour la vie du monde, parce que
c'est en mourant qu'il a détruit l'empire de la mort. Cette vie du monde, je
puis l'entendre de la résurrection, car la mort du Seigneur a été pour tout le
genre humain un principe de résurrection. Peut-être aussi peut-on entendre
cette vie qui est le fruit de la justification et de la sanctification par
l'Esprit ; car bien que tous n'aient pas reçu la vie qui consiste dans la
sanctification et dans la participation de l'Esprit saint, cependant le
Seigneur s'est livré pour le monde et il a fait ce qui dépendait de lui, pour
que le monde tout entier fût sanctifié.
S. AUG. (Traité 26.)
Mais comment la chair pourrait-elle comprendre que Nôtre-Seigneur ait donné le
nom de pain à sa propre chair ? Les fidèles connaissent le corps de
Jésus-Christ, si toutefois ils ne négligent pas de devenir eux-mêmes le corps
de Jésus-Christ. Oui, qu'ils fassent partie du corps de Jésus-Christ, s'ils
veulent vivre de l'esprit de Jésus-Christ. Est-ce que mon corps peut recevoir
le mouvement et la vie de votre esprit ? C'est ce pain dont parle l'Apôtre,
lorsqu'il dit : « Nous ne faisons tous qu'un même corps, nous qui mangeons
d'un même pain. O sacrement de la piété ! O symbole de l'unité ! O lien de la
charité! Celui qui veut vivre, possède ici une source de vie, qu'il approche,
qu'il croie, et qu'il s'incorpore à Jésus-Christ pour recevoir la vie.
S. AUG. (Traité 26 sur S. Jean.) Les Juifs ne
comprenaient pas quel était ce pain d'union, et c'est la raison de leurs
disputes : « Les Juifs donc se disputaient entre eux, disant : Comment
celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? » Pour ceux au contraire qui
se nourrissent de ce pain, ils n'ont point de dispute entre eux, car c'est par
la vertu de ce pain que Dieu fait habiter ensemble ceux qui n'ont qu'un même
esprit. (Ps 67, 7)
BEDE. Les Juifs s'imaginaient que le Seigneur leur partagerait sa chair par
morceaux, et la leur donnerait ainsi à manger, ils disputaient donc entre eux,
parce qu'ils ne comprenaient point. — S. CHRYS.
(hom. 46.) Ils prétendaient qu'il était impossible qu'il leur
donnât ainsi sa chair, et il leur montre que loin d'être impossible, c'est une
chose absolument nécessaire : « Et Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je
vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, » etc.,
c'est-à-dire vous ignorez comment ce pain peut vous être donné, et de quelle
manière vous devez le manger, et cependant, je vous le déclare, si vous ne
mangez ce pain, vous n'aurez point la vie en vous., etc.
BEDE. Et pour étendre à tous l'obligation de ce précepte il le généralise en
disant : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, » etc. Or, dans
la crainte de voir appliquer à la vie présente les effets de la communion à sa
chair, il ajoute : « Il a la vie éternelle. » Celui donc, qui ne mange pas sa
chair et ne boit pas son sang, demeure privé de cette vie. On peut jouir de la
vie présente sans manger ce pain, mais pour la vie éternelle, cela est
impossible. Il n'en est pas ainsi de la nourriture que nous prenons pour
soutenir la vie du corps, elle est absolument nécessaire à la conservation de
cette vie, et cependant elle ne peut la conserver indéfiniment, car il arrive
tous les jours qu'un grand nombre de ceux qui l'ont prise meurent par suite de
maladie, de vieillesse ou de quelque autre accident. Mais les effets de cette
nourriture et de ce breuvage, c'est-à-dire du corps et du sang de Jésus-Christ,
sont bien différents ; celui qui ne les reçoit point ne peut avoir la vie, et
celui qui les reçoit a nécessairement la vie et la vie éternelle. — THEOPHYL. Car ce n'est pas seulement la
chair d'un homme, c'est la chair d'un Dieu, chair qui a la puissance de rendre
l'homme tout divin, en l'enivrant de sa divinité.
S. AUG. (de la Cité de Dieu, 21,
19.) Il en est qui s'appuient sur ces paroles pour promettre à ceux qui
ont reçu le baptême du Christ, et qui participent à la réception de son corps,
qu'ils seront délivrés des supplices éternels, quelle qu'ait été d'ailleurs
leur vie. C'est une erreur que l'apôtre saint Paul condamne lorsqu'il dit : «
Il est aisé de connaître les oeuvres de la chair qui sont la fornication, l'impureté,
l'impudicité, la dissolution, etc., dont je vous déclare, comme je vous l'ai
déjà dit que ceux qui commettent ces crimes, ne seront point héritiers du
royaume de Dieu. (Ga 5) Nous devons donc examiner avec soin dans quel
sens il faut entendre les paroles du Sauveur. Celui qui fait partie de l'unité
de son corps, c'est-à-dire de cette union étroite des chrétiens membres de ce
corps dont les fidèles reçoivent le sacrement dans la sainte communion, mange
véritablement le corps et boit .le sang de Jésus-Christ. Par conséquent, les
hérétiques et les schismatiques qui sont séparés de l'unité de son corps,
peuvent bien recevoir le même sacrement, mais sans aucune utilité pour eux ; je
dirai plus, il leur est nuisible et il devient pour eux la cause d'un jugement
rigoureux, plutôt qu'un principe de délivrance. Ceux dont les mœurs sont
évidemment mauvaises et condamnables et qui par leurs impuretés ou par d'autres
actions semblables, c'est-à-dire par l'iniquité de leur vie se séparent de la
justice de la vie qui est Jésus-Christ, ne mangent pas véritablement le corps
de Jésus-Christ, parce qu'ils ne font point partie de ses membres. Pour ne pas
en dire davantage, ils ne peuvent être en même temps les membres de
Jésus-Christ et les membres d'une prostituée. (1 Co 6, 15.)
S. AUG. (Traité 26.)
Nôtre-Seigneur veut donc que dans cette nourriture et dans ce breuvage, nous
voyions la société de son corps et de ses membres, c'est-à-dire l'Eglise,
composée de saints que Dieu a prédestinés, appelés, justifiés, et glorifiés, et
de ses fidèles. Le symbole de cette vérité, c'est-à-dire, l'unité du corps et
du sang de Jésus-Christ, nous est présenté tous les jours dans certains lieux,
à des jours marqués dans d'autres endroits, sur la table du Seigneur, et c'est
sur cette table que les fidèles prennent ce sacrement, les uns pour leur vie,
les autres pour leur mort. Mais la vérité qui est elle-même figurée par ce
sacrement est un principe de vie pour tous, et n'est une cause de mort pour
aucun de ceux qui ont le bonheur d'y participer. Comme les Juifs auraient pu
croire que la promesse de la vie éternelle faite à ceux qui prendraient cette
nourriture et ce breuvage, entraînait l'affranchissement de la mort du corps,
Nôtre-Seigneur prévient cette pensée en ajoutant : « Et je le ressusciterai au
dernier jour, » c'est-à-dire, que son âme jouira d'abord de la vie éternelle
dans le repos que Dieu a préparé aux âmes des saints, et que son corps lui-même
ne sera point privé de cette vie éternelle, dont il entrera en possession au
dernier jour de la résurrection des morts.
BEDE. Le Sauveur venait de dire précédemment : « Celui qui mange ma
chair et boit mon sang a la vie éternelle ; » il montre maintenant quelle
distance sépare la nourriture et le breuvage matériel du mystère spirituel de
son corps et de son sang : « Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon
sang est vraiment un breuvage. » — S. CHRYS.
(hom. 46 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur tient ce langage
pour fortifier la foi aux enseignements qui précèdent, et bien persuader ceux
qui l'écoutent, que ce n'est point ici une parabole et une figure, mais qu'il
faut absolument manger le corps du Christ; ou bien son intention est de nous
apprendre que la nourriture véritable est celle qui donne le salut à notre âme.
S. AUG. (Traité 26.)
Ou bien encore, ce que les hommes cherchent dans la nourriture et la boisson,
c'est d'apaiser leur faim et leur soif, or cet effet ne peut être complètement
atteint qu'au moyen de cette nourriture et de ce breuvage, qui communiquent à
ceux qui les prennent, l'immortalité et l'incorruptibilité, et les fait entrer
dans la société des saints dans laquelle ils jouiront d'une paix absolue et de
l'unité la plus parfaite. C'est pour cela que Nôtre-Seigneur nous a donné son
corps et son sang sous des symboles qui nous offrent une parfaite image de
cette unité. C'est ainsi que le pain résulte de l'assemblage d'un grand nombre
de grains de blé, et que le vin est le produit d'un grand nombre de grains de
raisin. Le Sauveur explique ensuite ce que c'est que manger sa chair et boire
son sang, en ajoutant : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en
moi et moi en lui. » Manger cette nourriture et boire ce breuvage, c'est donc
demeurer en Jésus-Christ, et avoir Jésus-Christ demeurant en soi ; par
conséquent, celui qui ne demeure pas en Jésus-Christ, et en qui Jésus-Christ ne
demeure pas, ne mange pas sa chair et ne boit point son sang ; mais au
contraire il ne mange et ne boit cet auguste mystère que pour son jugement et
sa condamnation.
S. CHRYS. (hom. 47.)
On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède :
Nôtre-Seigneur avait promis la vie éternelle à ceux qui mangeraient ce pain, il
confirme cette promesse par ces paroles : « Celui qui mange ma chair et boit
mon sang demeure en moi et moi en lui. » — S. AUG. (serm. 2 sur les
par. du Seig.) Il en est un grand nombre qui mangent la chair du Sauveur et
boivent son sang avec un cœur hypocrite, ou qui après s'en être nourris
deviennent des apostats ; peut-on dire d'eux qu'ils demeurent en Jésus-Christ,
et que Jésus-Christ demeure en eux ? Il y a donc une manière particulière de
manger cette chair et de boire ce sang pour que nous demeurions en Jésus-Christ
et que Jésus-Christ demeure en nous. — S. AUG.
(de la Cité de Dieu, 12, 25.) Il faut pour cela ne point
participer seulement au sacrement extérieur, mais manger véritablement le corps
et boire le sang de Jésus-Christ. — S. CHRYS.
(hom. 47.) Comme je suis vivant, il est évident que celui qui
mangera mon corps et boira mon sang, entrera en participation de cette vie,
c'est ce que le Sauveur établit en ajoutant : « Comme mon Père qui est vivant
m'a envoyé, et que je vis par mon Père, de même celui qui me mange vivra aussi
par moi. » —S. AUG. (serm. 2 sur les par. du Seig.) C'est-à-dire,
je vis comme mon Père ; il ajoute, par mon Père, pour établir sa génération et
prouver indirectement que le Père était le principe de son existence. La vie
qu'il promet par ces paroles : « Celui qui me mange vivra par moi, »
n'est point cette vie ordinaire et commune même aux infidèles qui ne se
nourrissent pas de la chair du Sauveur, mais cette vie spirituelle qui a seule
quelque prix aux yeux de Dieu. La résurrection dont il parle n'est pas non plus
la résurrection commune à tous les hommes, mais la résurrection glorieuse qui
sera suivie des récompenses éternelles.
S. AUG. (Tr. 26 sur
S. Jean.) Nôtre-Seigneur ne dit point : Comme je me nourris de mon Père et
que je vis par mon Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi, parce qu'en
effet, l'union étroite qui existe entre le Père et le Fils ne donne pas au Fils
un degré supérieur de bonté, comme la participation que nous avons au Fils par
l'union étroite avec son corps et avec son sang, nous rend évidemment
meilleurs. Si donc Nôtre-Seigneur s'exprime de la sorte : « Je vis par mon
Père, » parce qu'il vient du Père, son égalité avec le Père n'en souffre en
aucune manière. Et cependant en ajoutant : « Et celui qui me mange vivra par
moi, » il ne veut pas établir une parfaite égalité avec lui, mais simplement
exprimer la grâce, bienfait du médiateur. Or si nous entendons ces paroles : «
Je vis par mon Père ; » dans le sens de ces autres paroles : « Mon Père est
plus grand que moi ; » ces autres paroles : « Comme mon Père m'a envoyé, »
etc., reviennent à celles-ci : L'anéantissement qui a été la suite de mon
incarnation, a eu pour fin de me faire vivre à cause de mon Père, c'est-à-dire,
de lui rapporter toute ma vie comme à celui qui était plus grand que moi, et la
participation à la nourriture que je donne fait que chacun vit à cause de moi.
S. HIL. (de la Trin., 8)
Il ne reste donc aucun moyen de douter de la vérité de la chair et du sang de
Jésus-Christ, la déclaration du Sauveur aussi bien que notre foi, concourent à
établir que c'est véritablement sa chair et véritablement son sang ; et le
principe de notre vie, c'est que nous possédons dans notre nature Jésus-Christ,
qui demeure en nous par le moyen de sa chair, et qui nous donne la vie aux
mêmes conditions qu'il vit lui-même par son Père. Si donc nous avons la vie par
lui en vertu de sa chair, c'est-à-dire, en participant à la nature de sa chair,
comment n'aurait-il pas naturellement en lui son Père selon l'esprit, puisqu'il
ne vit que par son Père ? Or, il vit par son Père, parce que sa naissance ne
lui a pas donné une nature différente de celle de son Père.
S. AUG. (Traité 26.)
Or, ce pain est descendu ciel afin que nous puissions recevoir la vie en le
mangeant, nous qui de nous-mêmes ne pouvions prétendre à la vie éternelle :
« C'est ici, dit Nôtre-Seigneur, le pain qui est descendu du ciel. » — S.
HIL. (de la Trin., 10) Il se donne ici le nom de pain, et il déclare que
ce pain est sa chair, pour prévenir la pensée que la puissance et la nature du
Verbe aient éprouvé quelque amoindrissement par leur union avec la chair, car
par-là même que ce pain descend du ciel, il prouve clairement que son corps
n'est point le produit d'une conception ordinaire, mais qu'il a une origine
divine. Et comme il nous déclare que ce pain c'est lui-même, il prouve par-là
que le Verbe s'est uni à un corps véritable. — THEOPHYL Ce n'est pas Dieu seul que nous mangeons dans ce
sacrement, puisqu'il est impalpable et incorporel ; ce n'est pas non plus la
chair d'un simple mortel qui ne nous servirait de rien. Mais comme Dieu s'est
uni notre chair, sa chair est un principe de vie ; ce n'est pas qu'elle ait été
transformée et qu'elle soit devenue la nature de Dieu, mais de même que le fer
embrasé conserve sa nature du fer, et possède en même temps la propriété du
feu, ainsi la chair du Seigneur est devenue une. chair vivifiante comme étant
la chair du Verbe de Dieu.
BEDE. Pour montrer la distance qui sépare l'ombre de la lumière, la figure de
la vérité, il ajoute : « Ce n'est pas comme vos pères, qui ont mangé la
manne et qui sont morts. » — S. AUG. (Tr.
26.) Cette mort doit être entendue de la mort éternelle, car ceux mêmes qui
mangent le corps du Christ, ne sont pas exempts de la mort du corps, mais ils
reçoivent en échange la vie éternelle, parce que Jésus-Christ est la vie
éternelle. — S. CHRYS. (hom. 47
sur S. Jean.) Dieu a bien pu sans moisson, sans provision de blé et sans
le secours d'autres aliments, leur conserver la vie pendant quarante ans,
combien plus facilement pourrait-il le faire' à l'aide de cette nourriture
spirituelle dont la manne était la figure ? Le Sauveur fait souvent des
promesses de vie, parce que rien n'est plus agréable aux hommes ; dans l'Ancien
Testament, Dieu promettait une longue vie, maintenant Jésus-Christ nous promet
une vie qui ne doit point avoir de fin. Il nous fait voir en même temps qu'il a
révoqué la sentence qui nous livrait à la mort en punition de nos péchés, et
qu'il l'a remplacée par la promesse de la vie éternelle : Jésus dit ces choses
dans la synagogue, lorsqu'il enseignait à Capharnaüm, où il avait opéré un
grand nombre de miracles. Il enseignait dans la synagogue et dans le temple
pour attirer le peuple à lui et lui prouver qu'il n'était pas en opposition
avec Dieu le Père.
BEDE. Dans le sens mystique, Capharnaüm dont le nom signifie très-belle
campagne représente le monde, comme la synagogue est la figure du peuple
juif, et le Sauveur nous apprend ici qu'en apparaissant au monde dans le
mystère de son incarnation il a enseigné au peuple juif un grand nombre de
vérités que ce peuple a comprises.
S. AUG. (Traité 27 sur S. Jean.) Les Juifs ne crurent pas
que ces paroles de Jésus renfermaient de sublimes vérités, et recouvraient un
grand mystère de grâce, ils les entendirent à leur manière, dans un sens tout
naturel, et comme si Jésus devait leur partager et leur distribuer par morceaux
la chair dont le Verbe s'était revêtu : « Plusieurs donc, non point de ses
ennemis, mais de ses disciples, l'entendant, dirent : Ces paroles sont dures. »
— S. CHRYS. (hom. 47.) C'est-à-dire
qu'elles étaient difficiles à comprendre, et dépassaient la portée de leur
intelligence. Ils s'imaginaient que le Sauveur tenait un langage bien supérieur
à sa puissance, et ils se disaient : « Qui peut l'écouter ? » cherchant par là
à justifier leur conduite inexcusable. — S. AUG. (Traité 27.) Mais si
les disciples de Jésus trouvèrent ces paroles dures, que durent en penser ses
ennemis ? Et cependant il fallait leur enseigner cette vérité bien que tons ne
dussent pas la comprendre ; le secret de Dieu doit exciter l'attention et ne
point soulever d'opposition. — THEOPHYL. Par ces disciples qui murmuraient, il
ne faut point comprendre ceux qui étaient réellement et véritablement ses
disciples, mais ceux qui paraissaient extérieurement prendre part à ses
enseignements, car parmi ses véritables disciples, il se trouvait un certain
nombre d'hommes qui passaient pour ses disciples, uniquement parce qu'on les
voyait depuis longtemps avec eux. — S. AUG. (Traité 27.) Ils faisaient
cette réflexion entre eux, de manière à ne pas être entendus, mais Jésus qui
connaissait les pensées les pins intimes de leur cœur les entendait en lui-même
: « Or Jésus connaissant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce
sujet, leur dit : Cela vous scandalise ? » — ALCUIN.
C'est-à-dire ce que je viens de vous enseigner, la nécessité de manger
ma chair et de boire mon sang.
S. CHRYS. (hom. 47.)
Une des preuves de sa divinité, c'était de révéler publiquement le secret des
cœurs. Il ajoute : « Donc, quand vous verrez le Fils de l'homme monter où il
était auparavant ? » Suppléez : Que direz-vous ? C'est la réflexion qu'il avait
déjà faite à Nathanaël : « Parce que je vous ai dit : Je vous ai vu sous
le figuier, vous croyez ; vous serez témoin de plus grandes choses. » Nôtre-Seigneur
n'ajoute pas ici difficultés sur difficultés, mais il veut les attirer par la
grandeur et le nombre des vérités sublimes qu'il leur enseigne. S'il leur avait
dit simplement tout d'abord qu'il était descendu du ciel, sans rien ajouter de
plus, il aurait augmenté le scandale de ceux qui l'écoutaient ; il suit donc
une marche toute différente, il déclare que sa chair est la vie du monde, que
de même qu'il a été envoyé par son Père vivant, il vit aussi par son Père, et
c'est alors qu'il ajoute qu'il est descendu du ciel pour faire disparaître
toute espèce, de doute. Ce n'est donc point pour scandaliser ses disciples,
c'est au contraire pour détruire le scandale que ses paroles avaient fait
naître qu'il s'exprime de la sorte. Tant qu'ils ne voyaient en lui que le Fils
de Joseph, ses paroles n’avaient pour eux aucune autorité ; ceux au contraire
qui croiraient qu’il était descendu du ciel, et qu'il devait y remonter,
prêteraient une attention plus grande à ses enseignements. — S. AUG. (Traité 27.) Ou bien encore,
il résout la difficulté qui les troublait ; ils s'imaginaient qu’il donnerait
son corps par morceaux, et il leur dit qu'il remontera tout entier dans le ciel
: « Que sera-ce donc lorsque vous verrez le Fils de l'homme monter où il était
auparavant ? » Certes vous comprendrez alors qu'il ne donne pas son corps de la
manière que vous pensez et qu'on ne peut consumer par la bouche le mystère de
sa grâce. Le Christ n'a commencé à être le Fils de l'homme que sur la terre par
sa naissance de la Vierge Marie, lorsqu'il se fut revêtu d'une chair mortelle ;
pourquoi donc s'exprime-t-il de la sorte : « Lorsque vous verrez le Fils de
l'homme monter où il était auparavant ? » C'est qu'il voulait nous faire
comprendre que le Christ Dieu et homme tout à la fois, ne forme qu'une seule
personne et non pas deux, et que l'objet de notre Foi doit être non pas la
quaternité, mais la Trinité. Le Fils de l'homme était donc dans le ciel, comme
le Fils de Dieu était sur la terre. Il était sur la terre le Fils de Dieu dans la
chair qu'il s'était unie, il était le Fils de l'homme dans le ciel par suite de
l'unité de personne. — THEOPHYL. N'allez
pas croire pour cela que le corps de Jésus-Christ soit descendu du ciel comme
l'enseigne l'hérésie de Marcion et d'Apollinaire, le Fils de Dieu et le Fils de
l'homme ne sont qu'une seule et même personne.
S. CHRYS. (hom. 47.)
Nôtre-Seigneur donne encore une autre solution : « C'est l'esprit qui vivifie,
la chair ne sert de rien. » Voici le véritable sens de ces paroles : Il
faut entendre spirituellement ce que je viens de dire de moi, si vous prenez
mes paroles dans un sens charnel, vous n'en retirerez aucune utilité. Or
entendre ces paroles dans un sens charnel, c'est ne voir que ce qui frappe les
yeux sans aller au delà. Ce n'est pas ainsi qu'il en faut juger, il faut
considérer les mystères avec les yeux intérieurs et les entendre toujours
spirituellement. C'était au contraire les entendre dans un sens charnel, que de
formuler ce doute. Comment pourra-t-il nous donner sa chair à manger ? Quoi
donc, est-ce qu'il ne nous donne pas sa véritable chair ? Sans aucun doute, il
nous la donne ; si donc il déclare que la chair ne sert de rien, il ne veut
point parler de sa chair, mais de ceux qui donnaient à ses paroles une
interprétation toute charnelle. — S. AUG.
(Traité 27.) Ou bien encore, la chair ne sert de rien, dans le
sens des Capharnaïtes qui s'imaginaient que cette chair serait comme la chair
d'un cadavre qu'on démembre ou qu'on vend au marché, et ne comprenaient pas que
cette chair était remplie de l'esprit de Dieu et de la vie delà grâce. Quel
esprit s'unisse à la chair, alors la chair est d'une grande utilité. Car si la
chair ne servait de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair pour habiter
parmi nous. C'est donc à l'esprit qu'il faut rapporter ce qui a été opéré par
la chair pour notre salut.— S. AUG. (de
la Cité de Dieu, 10, 24.) Ce n'est point évidemment par elle-même que la
chair purifie noire âme, mais parle Verbe qui s'en est revêtu, et qui étant le
principe de toutes choses, s'est uni à la fois à une âme et à un corps pour
purifier l'âme et la chair de ceux qui croiraient en lui. C'est donc l'esprit
qui vivifie, la chair ne sert de rien, de la manière qu'ils l'entendaient, ce
n'est pas ainsi que je la donne à manger, et ce n'est pas dans ce sens tout
charnel que nous devons goûter cette chair. Aussi Nôtre-Seigneur ajoute :
« Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » — S. CHRYS. (hom. 47.) C'est-à-dire
elles sont toute spirituelles, elles n'ont rien de charnel, elles ne sont point
soumises aux effets naturels, et sont eu dehors de toute nécessité terrestre et
de toutes les lois d'ici bas. — S. AUG. (Traité
27 sur S. Jean.) Si vous entendez ces paroles spirituellement, elles
sont esprit et vie pour vous, si vous les entendez dans un sens charnel, elles
sont encore esprit et vie, mais non point pour vous. Nous avons dit
précédemment que la fin que s'est proposée Nôtre-Seigneur en nous donnant sa
chair à manger et son sang à boire c'est que nous, demeurions en lui et qu'il
demeure en nous ; or, la charité seule peut produire cet effet, et la charité
de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit saint qui nous a été donné. (Rm
5) C'est donc l'esprit qui vivifie.
S. CHRYS. (hom. 47.)
Après avoir signalé cette interprétation charnelle et grossière, Nôtre-Seigneur
ajoute : « Mais il y en a parmi vous quelques-uns qui ne croient point. » En
disant : « Quelques-uns, il excepte ses disciples, en même temps qu'il
prouve sa puissance divine en révélant le secret des cœurs. — S. AUG. (Traité 27 sur S. Jean.)
Il ne dit pas : Il en est parmi vous qui ne comprennent pas, mais il
indique la cause de leur défaut d'intelligence, car le prophète a dit : « Si
vous ne commencez par croire, vous ne comprendrez point. » Comment celui qui
résiste peut-il être vivifié ? Il est l'ennemi du rayon de lumière qui veut le
pénétrer, il en détourne les yeux, il lui ferme son âme. « Qu'ils croient donc
et qu'ils ouvrent leur âme, et ils seront comblés de lumière. — S. CHRYS. (hom. 47) Et remarquez que ce n'est point après leurs
murmures et le scandale qu'ils ont pris des paroles du Sauveur, qu'il a connu
les dispositions de leur cœur, car l'Evangéliste prend soin d'ajouter : « Jésus
savait, dès le commencement, qui étaient ceux qui ne croyaient point. » — THEOPHYL. Il nous apprend ainsi
qu'avant même la création du monde, il connaissait toutes choses, ce qui était
une preuve évidente de sa divinité.
S. AUG. (Traité 27)
Après avoir fait la distinction de ceux qui croient d'avec les incrédules,
Nôtre-Seigneur remonte à la cause pour laquelle ils ne croient point : « C'est
pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, s'il ne lui est donné par
mon Père. » — S. CHRYS. (hom.
47) C'est-à-dire je ne suis ni troublé ni surpris de ce que
quelques-uns ne croient point, car je connais ceux à qui mon Père a fait cette
grâce. Il s'exprime ainsi pour leur prouver qu'il ne cherchait en aucune façon
la gloire qu'ils pouvaient lui donner, et pour les bien convaincre que son Père
n'était pas Joseph, mais Dieu lui-même. — S. AUG. (Traité 27.) La foi
est donc un don de Dieu, et un don d'une grande importance. Or, si ce don est
aussi grand et aussi précieux, réjouissez-vous d'avoir la foi, mais n'en
concevez pas d'orgueil, « car qu'avez-vous que vous n'ayez reçu ? » (l Co
4) — S. AUG. (de la prédest. des saints, chap. 9) Que ce don de la foi
soit accordé aux uns et refusé aux autres, c'est ce qu'on ne peut nier sans se
mettre en opposition avec les témoignages les plus incontestables de la sainte
Ecriture. Le chrétien ne doit pas s'étonner que ce don ne soit pas accordé à
tous, dès lors qu'il croit que le péché d'un seul a été le juste sujet de la
condamnation de tous les hommes, à ce point qu'on ne pourrait adresser à Dieu
aucun juste reproche quand même un seul homme n'échapperait pas à cette
sentence de mort. C'est donc par l'effet d'une grâce tout à fait extraordinaire
qu'un grand nombre sont arrachés à la damnation. Mais pourquoi l'un est-il
plutôt sauvé que l'autre ? c'est là un effet des jugements incompréhensibles de
Dieu et de ses voies impénétrables. (Rm 11, 33.)
« De ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent et ne
marchaient plus dans sa compagnie. » — S. CHRYS.
(hom. 47.) L'Evangéliste ne dit pas précisément qu'ils
l'abandonnèrent, mais qu'ils marchèrent en arrière, c'est-à-dire, qu'ils
cessèrent de suivre les enseignements du Sauveur avec de bonnes dispositions et
qu'ils perdirent la foi qu'ils avaient pu avoir auparavant. — S. AUG. (Traité 27 sur S, Jean.)
Ils perdirent la vie en se séparant du corps, parce que peut-être ils n'en
firent jamais partie, et ils doivent être rangés parmi les incrédules, bien
qu'ils parussent être du nombre des disciples de Jésus. Ce fut en grand nombre
qu'ils se retirèrent de Jésus-Christ pour marcher à la suite de Satan, comme
l'Apôtre le dit de certaines femmes de son temps : « Déjà quelques-unes se sont
égarées pour suivre Satan. » Quant à Pierre, Nôtre-Seigneur ne le repousse
point en le renvoyant à la suite de Satan, mais il lui commande seulement
d'aller derrière lui.
S. CHRYS. (hom. 46 sur S. Jean.) On demandera peut-être
quelle utilité pouvaient avoir ces discours, puisqu'ils étaient bien plutôt un
sujet de scandale que d'édification. Nous répondons qu'ils avaient une immense
utilité. Les Juifs recherchaient avec empressement la nourriture du corps, ils
rappelaient le souvenir de la manne donnée à leurs pères, Notre-Seigneur leur
apprend donc que ce n'étaient là que des figures, et il leur suggère l'idée de
la nourriture spirituelle. Il n'y avait là aucune raison pour eux de se
scandaliser, et ils devaient se contenter de l'interroger. La cause de leur
scandale doit donc être tout entière attribuée à leurs mauvaises dispositions
plutôt qu'à l'obscurité de la doctrine du Sauveur. — S. AUG. (Traité 27.)
Peut-être aussi Dieu permit-il ce scandale pour notre consolation ; il arrive
en effet quelquefois qu'un homme dit la vérité sans parvenir à se faire
comprendre, ceux qui l'entendent se scandalisent et se retirent ; cet homme
regrette alors d'avoir fait connaître la vérité, et il se dit : Je n'aurais pas
dû parler de la sorte. C'est ce qui arrive ici à notre Sauveur, il fait
connaître la vérité, et il perd un grand nombre de disciples ; cependant il ne
s'en trouble point, parce qu'il savait dès le commencement qui étaient ceux qui
ne croiraient point. Si donc nous sommes soumis à la même épreuve, n'en soyons
point troublés, cherchons notre consolation en Nôtre-Seigneur, cependant que la
prudence dirige toutes nos paroles.
BEDE. Notre-Seigneur savait parfaitement si les autres disciples avaient
l'intention de s'en aller; cependant il les interroge pour faire ressortir leur
foi et la proposer comme modèle aux autres : « Jésus dit donc aux douze : Et
vous, voulez-vous aussi vous en aller ? » — S. CHRYS. (hom. 47.) C'est en effet le moyen le plus
convenable pour les attirer à lui. S'il leur avait prodigué les éloges, ils y
eussent été par trop sensibles, et se seraient persuadés qu'en restant fidèles
à Jésus-Christ, ils lui rendaient un grand service. Il se les attache donc bien
plus fortement, en leur montrant qu'il n'a que faire de leur obéissance et de
les voir marcher à sa suite. Toutefois il ne leur dit pas : Allez-vous en, (ce
qui eût été les renvoyer,) mais il leur demande s'ils veulent s'en aller, il
leur donne toute liberté, il ne veut pas qu'un certain sentiment de pudeur les
retienne à sa suite, le suivre par nécessité est pour lui comme s'ils
l'abandonnaient. Or, Pierre qui aimait ses frères et professait un ardent amour
pour le Sauveur, répond pour tout le collège apostolique : « Mais Simon
Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? » — S. AUG. (Traité 21)
Il semble dire : Est-ce que vous nous renvoyez ? Donnez-nous donc un autre
à qui nous puissions aller, si nous venons à vous quitter. — S. CHRYS. (hom. 47.) Ces paroles
montrent le grand amour des vrais disciples de Jésus pour leur divin Maître ;
ils le mettaient dans leur esprit et dans leur cœur bien au-dessus de leurs
pères et de leurs mères. Et s'il parlait ainsi, ce n'est point dans la crainte
que personne ne voulût les recevoir, après qu'ils auraient quitté Jésus, c'est
pourquoi il ajoute : « Vous avez les paroles de la vie éternelle. » Il
montre ainsi qu'il se rappelle les paroles du Seigneur : « Je le
ressusciterai au dernier jour; » et encore : « Il aura la vie éternelle. »
Les Juifs disaient : « C'est le fils de Joseph, » Pierre, au contraire,
s'écrie : « Nous avons cru et nous avons connu que vous êtes le Christ, Fils du
Dieu vivant. — S. AUG. (Traité
27.) Nous avons cru pour connaître, car si nous avions voulu connaître
avant de croire, nous n'aurions été capables ni de connaître, ni de croire.
Nous avons cru et nous avons connu que vous êtes le Christ, Fils du Dieu
vivant, c'est-à-dire, que vous êtes la vie éternelle, et que c'est vous-même
que vous nous donnez dans votre chair et dans votre sang.
S. CHRYS. (hom. 47.)
Pierre venait de dire : « Et nous avons cru. » Nôtre-Seigneur excepte Judas du
nombre des croyants : « Jésus leur répondit : Ne vous ai-je pas choisis
tous les douze ? Et cependant parmi vous il y a un démon, » c'est-à-dire,
ne croyez point, parce que vous vous êtes rangés à ma suite, que je m'abstienne
de reprendre ceux qui sont mauvais. Mais pourquoi les disciples restent-ils ici
dans le silence, eux qui plus tard diront en tremblant : « Est-ce moi,
Seigneur ? » Jésus n'avait pas encore dit à Pierre : « Retire-toi de moi,
Satan. » (Mt 16) Ces paroles ne lui inspirent donc aucune crainte.
D'ailleurs Nôtre-Seigneur ne dit pas : Un de vous me trahira, mais : « Un de
vous est un démon. » Ils ne comprenaient donc pas la portée de cette expression
et n'y voyaient qu'une parole de blâme tombant sur les mauvaises dispositions
de l'un d'eux. Les incrédules font ici à Jésus-Christ un reproche insensé, car
le choix qu'il fait d'un homme ne lui impose aucune violence, aucune nécessité,
et notre salut comme notre perte sont subordonnés à notre volonté.
BEDE. On peut dire encore que le Sauveur s'est proposé des fins différentes
dans la vocation de Judas et dans celle des onze autres Apôtres. Il a choisi
les onze pour les faire persévérer dans la dignité d'Apôtres ; il a choisi
Judas pour que sa trahison fût l'occasion du salut du genre humain. — S. AUG. (Traité 27.) Judas a été
choisi pour devenir l'instrument d'un grand bien qu'il ne voulait pas et qu'il
ne connaissait même pas ; car de même que les impies font servir au mal les
œuvres bonnes de Dieu, Dieu au contraire sait faire servir au bien les actions
coupables des hommes. Quoi de pire que Judas ? et cependant le Seigneur a su tirer
le bien du crime qu'il a commis, et il a souffert d'être trahi par lui pour
nous racheter. On peut encore entendre autrement ces paroles : « Je Vous ai
choisis au nombre de douze, » dans ce sens que c'est le nombre consacré de ceux
qui devaient annoncer aux quatre points du monde le mystère de la Trinité ; or,
ce nombre n'a perdu ni sa gloire ni son caractère sacré, parce que l'un d'entre
eux s'est perdu, puisqu'un autre lui a succédé.
S. GREG. (Moral., 13,
12.) Lorsque Notre-Seigneur dit d'un de ses disciples livré au mal :
« L'un de vous est un démon, » il donne le nom du chef à un de ses
membres, comme l'Evangéliste l'explique en ajoutant : « Il parlait de Judas
Iscariote, fils de Simon, car c'était lui qui devait le trahir, quoiqu'il fût
un des douze. » — S. CHRYS. (hom.
47.) Admirez la sagesse de Jésus-Christ, il ne fait point connaître ce
disciple infidèle, de peur que perdant toute retenue, il ne lui fît une guerre
ouverte ; il ne veut point non plus que ses dispositions restent entièrement
cachées, ce qui, en l'affranchissant de toute crainte, l'aurait rendu plus
audacieux dans l'exécution de son crime.
S. AUG. (Traité 28
sur S. Jean.) Les fidèles disciples de Jésus-Christ devaient dans la
suite chercher dans des retraites cachées un asile contre la fureur de leurs
persécuteurs, et c'est pour justifier cette fuite prudente, que Nôtre-Seigneur
veut donner dans le chef l'exemple que devaient un jour suivre les membres : «
Après cela, Jésus parcourut la Galilée, car il ne voulait point aller en Judée,
parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir. » — BEDE. La liaison que ces paroles : « Après cela, »
semblent établir entre ce chapitre et le précédent, n'est pas tellement
étroite, qu'on ne puisse supposer dans l'intervalle on grand nombre
d'événements intermédiaires. Or, la Judée et la Galilée sont des provinces de
la Palestine, la Judée tire son nom de la tribu de Juda, et cependant ce nom de
Judée ne fut pas seulement donné à la contrée occupée par la tribu de Juda,
mais à celle qui était échue à la tribu de Benjamin, parce que c'est de la
Judée que les rois tiraient leur origine. La Galilée, au contraire, fut ainsi
appelée de la blancheur du teint qui distingue ses habitants, car le mot grec
γάλα, signifie lait en latin.
S. AUG. (Traité 28.)
L'Evangéliste s'exprime ici comme si Nôtre-Soigneur ne pouvait parcourir la
Judée sans être mis à mort par les Juifs. Il manifesta, lorsqu'il le voulut, la
puissance divine qui était en lui, mais il n'avait point perdu cette puissance,
parce qu'il voulait servir d'exemple à notre faiblesse. — S. CHRYS. (hom. 48.) Disons encore
que Nôtre-Seigneur faisait paraître en lui tour à tour les caractères de sa
divinité et de son humanité, il fuyait ses persécuteurs en tant qu'homme, et il
se manifestait à eux comme Dieu, puisqu'il était à la fois l'un et l'autre.
THEOPHYL. Il se retire pour le moment dans la Galilée, parce que le
temps de sa passion n'était pas encore venu. Il regardait donc comme inutile de
demeurer au milieu de ses ennemis, pour ne point augmenter la haine qu'ils
avaient contre lui. L'Evangéliste nous fait connaître ensuite à quelle époque
de l'année on se trouvait alors : « Or, la fête des Juifs, dite Scénopégie ou
des Tabernacles, était proche. »
S. AUG. (Traité 28.)
Ceux qui ont lu les saintes Ecritures savent ce que c'est que cette fête des
Tabernacles. Pendant cette fête, les Juifs se construisaient des tentes
semblables à celles que leurs pères avaient habitées, en traversant le désert
après leur sortie d'Egypte. Ils célébraient cette fête en souvenir des
bienfaits du Seigneur, eux qui bientôt devaient, mettre à mort le Seigneur.
L'Evangéliste appelle cette fête un jour de fête bien qu'elle durât, non pas un
jour seulement, mais sept jours consécutifs.
S. CHRYS. (hom. 48.)
Nous avons ici une preuve que l'Evangéliste passe sous silence un temps assez
long de la vie du Sauveur. Lorsqu'on effet, Nôtre-Seigneur s'assit sur la
montagne, on était près de la fête de Pâques, ici c'est la fête des Tabernacles
qui était proche, et saint Jean ne mentionne d'autre fait dans les cinq mois
intermédiaires entre ces deux fêtes, que le miracle de la multiplication des
pains, et le discours que le Sauveur fit à ceux qu'il avait miraculeusement
nourris. Il faut en conclure que les Evangélistes ne pouvaient raconter tous
les miracles que le Seigneur ne cessait de faire, non plus que tous ses
discours, mais qu'ils s'attachaient de préférence à ce qui était, de la part
des Juifs, l'objet d'une dispute ou d'une contradiction quelconque, comme nous
le voyons ici. — THEOPHYL. Ses
frères, voyant qu'il n'était pas disposé à aller à Jérusalem, lui dirent : «
Quittez ce pays et allez en Judée. » — BEDE.
C'est-à-dire, vous faites des miracles devant un petit nombre de
témoins, allez dans la ville royale où se trouvent les princes de la nation,
pour recueillir la gloire qu'ils ne peuvent manquer d'accorder à l'auteur de si
grands prodiges. Comme tous les disciples de Jésus ne marchaient pas à sa
suite, et qu'il en était un grand nombre dans la Judée, ils ajoutent : « Afin
que vos disciples voient eux aussi les œuvres que vous faites. » — THEOPHYL. C'est-à-dire la multitude qui
s'empresse autour de vous, car ils ne veulent point parler ici des douze, mais
de ceux qui accompagnaient ordinairement le Sauveur.
S. AUG. (Traité 28.) Par les frères du Seigneur, vous ne devez
entendre que les parents de Marie, et non aucun autre fils né de son sein ; car
de même que ni avant ni après la mort du Sauveur aucun corps ne fut placé dans
le sépulcre où avait été déposé son corps sacré, ainsi le sein virginal ne
porta aucun autre enfant soit avant soit après la naissance de Jésus : Les
œuvres du Seigneur n'étaient point cachées pour les disciples du Seigneur, mais
elles demeuraient voilées pour ceux dont il est ici question. Aussi écoutez
leur langage : « Afin que vos disciples eux aussi voient les œuvres que vous
faites. » C'est le langage de la prudence de la chair au Verbe qui est fait
chair ; ils ajoutent : « Car personne n'agit en secret, lorsqu'il désire être
connu. » c'est-à-dire, vous opérez des prodiges, faites-les en présence des
hommes pour recueillir leurs louanges. En lui parlant de la sorte, ils
semblaient épouser les intérêts de sa gloire ; mais comme ils recherchaient une
gloire tout humaine, ils ne croyaient pas en lui : « Car ses frères mêmes,
dit l'Evangéliste, ne croyaient pas en lui. » Ils étaient unis à Jésus-Christ
par les liens du sang, mais cette parenté fut pour eux un obstacle volontaire
qui les empêcha de croire en lui.
S. CHRYS. (hom. 48.)
C'est une chose digne d'admiration de voir que les Evangélistes, dans leur
amour pour la vérité, n'ont pas craint de raconter les faits qui paraissaient
les plus défavorables à leur Maître, et se sont même attaché à en conserver le
souvenir. En effet, l'incrédulité de ses frères ne paraissait pas fort
honorable pour le Sauveur. Le langage qu'ils lui tiennent parait inspiré par
l'amitié, mais il est empreint d'un profond sentiment d'aigreur, et ils
l'accusent à la fois de timidité et d'amour de la vaine gloire : « Personne,
disent-ils, n'agit en secret. » Voilà l'accusation de crainte et de timidité,
et en même temps l'expression d'an doute sur la vérité de ses miracles. Ils
ajoutent : « Lorsqu'il désire d'être connu, » voilà le reproche d'aimer la vaine
gloire. Cependant Jésus leur répond avec douceur, et nous enseigne par sa
conduite à ne point nous irriter des conseils qui peuvent nous être donnés par
des hommes peu estimables. Mais Jésus leur dit : « Mon temps n'est pas
encore venu, pour vous votre temps est toujours prêt. »
BEDE. Ces paroles pourraient paraître contraires à ce que dit l'Apôtre :
« Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils ; » etc. (Ga
4) il faut donc les rapporter non pas au temps de la naissance du Sauveur,
mais à celui où il devait être glorifié. — S. AUG. (Traité 28.) Ils lui
donnent le conseil de rechercher la gloire, obéissant en cela à des
inspirations mondaines et terrestres, et ne pouvant souffrir que le Sauveur
restât dans l'obscurité et l'oubli. Mais Jésus veut au contraire frayer par
l'humilité le chemin qui conduit à la gloire : « Il leur dit donc : Mon temps
(c'est-à-dire le temps de ma gloire, où je viendrai juger le monde avec
majesté), n'est pas encore venu, mais votre temps (c'est-à-dire le temps de la
gloire du monde), est toujours prêt. » Puisque nous sommes le corps du
Seigneur, lorsque les partisans du monde nous insultent, répondons-leur :
« Votre temps est toujours prêt, notre temps n'est pas encore arrivé ; »
notre patrie est sur les hauteurs, le chemin qui nous y conduit est
humble : celui qui refuse de suivre le chemin, c'est en vain qu'il cherche
la patrie.
S. CHRYS. (hom. 48.)
Ou bien encore, Nôtre-Seigneur fait allusion aux dispositions secrètes de ceux
qui lui tenaient ce langage. Peut-être avaient-ils l'intention de le trahir et
de le livrer aux Juifs ; il leur dit donc : « Mon temps n'est pas encore
venu (c'est-à-dire le temps de ma croix et de ma mort) ; mais votre temps est
toujours prêt, car vous êtes bien toujours au milieu des Juifs, » mais ils ne
vous mettront point à mort, puisque vous partagez leurs sentiments. C'est
pourquoi il ajoute : « Le monde ne saurait vous haïr, mais il me hait, parce
que je rends de lui le témoignage que ses œuvres sont mauvaises. » C'est-à-dire,
comment voulez-vous que le monde haïsse ceux qui n'ont point d'autres volontés
que les siennes, et obéissent aux mêmes inclinations ? Pour moi, au contraire,
il me hait, parce que je le reprends de ses vices. Je suis si loin de
rechercher la gloire des hommes, que je me fais un devoir de leur adresser de
sévères reproches, bien que je sache qu'ils en concevront une haine violente,
et qu'ils chercheront à me faire mourir. Nous avons ici une preuve que la cause
de la haine des Juifs contre le Sauveur, n'était point la transgression du
sabbat, mais les reproches publics qu'il leur adressait.
THEOPHYL. On peut dire encore que le Seigneur fait ici deux
réponses aux deux accusations dont il était l'objet, on l'accusait de se
laisser dominer par la crainte, et il répond en disant qu'il censure
publiquement les œuvres du monde, c'est-à-dire les œuvres des mondains, ce qui
n'est point le fait d'un homme accessible à la crainte. Il répond au reproche
de vaine gloire, en les envoyant eux-mêmes à la fête : « Pour vous, allez
à cette fête. » S'il avait été l'esclave de la vaine gloire, il les eût retenus
près de lui, car ceux qui sont dominés par cette passion aiment à se voir
environnés d'un grand nombre de personnes. — S. CHRYS. (hom. 48.) Il s'exprime de la sorte, pour leur
montrer que son intention n'est pas de les flatter, et qu'il leur laisse
accomplir les observances légales. — S. AUG. Ou bien : « vous allez à
cette fête où vous cherchez la gloire humaine, où vous voulez augmenter les
joies de la chair au lieu de penser aux joies éternelles. Pour moi, je n'y vais
point, parce que mon temps n'est pas encore accompli. » — S. CHRYS. (hom. 48.) C'est-à-dire,
je n'y vais point avec vous, parce que mon temps n'est pas encore accompli, car
ce n'était qu'à la fête de Pâque suivante qu'il devait être crucifié. — S. AUG. (Traité 28.) Ou bien
encore, mon temps, c'est-à-dire le temps de ma gloire n'est pas encore venu, ce
sera là mon véritable jour de fête, non pas une fête passagère et transitoire
comme les fêtes d'ici-bas, mais une fête qui durera éternellement ; ce sera la
fête et la joie sans fin, l'éternité sans travail, la sérénité sans nuages.
THEOPHYL. Le Seigneur ayant déclaré qu'il n'irait pas à la fête
avec ses frères, refuse tout d'abord d'y aller pour ne point s'exposer à la
colère des Juifs qui avaient juré sa perte : « Ayant dit ces choses, il
demeura en Galilée. » Et il s'y rendit ensuite lui-même : « Et lorsque ses
frères furent partis, il alla aussi lui-même à la fête. » — S. AUG. (hom. 28.)
Il n'y est point conduit par un vain désir de gloire humaine, il n'a d'autre
but que de leur donner de salutaires enseignements, et de leur rappeler la
pensée de la fête éternelle. — S. CHRYS.
(hom. 48 et 49 sur S. Jean.) Ou bien, il se rend à
cette fête, non pour souffrir, mais pour instruire. Il y vient secrètement, il
aurait pu sans doute s'y rendre publiquement, et maîtriser les efforts
désordonnés de leur colère, comme il le fit souvent dans d'autres
circonstances, mais il ne voulait pas faire un usage continuel de sa puissance,
pour ne pas dévoiler sa divinité d'une manière trop éclatante, pour rendre plus
certain le mystère de son incarnation, et nous enseigner la pratique de la
vertu. C'est donc pour nous apprendre ce que nous devons faire, à nous, qui ne pouvons
arrêter les efforts de nos persécuteurs, qu'il se rend secrètement à cette
fête. L'Evangéliste ne dit pas : En secret, mais : « Comme en secret, » pour
nous montrer qu'il agissait ici par un dessein tout particulier de sa
Providence. En effet, s'il avait toujours agi comme Dieu, comment
pourrions-nous savoir ce que nous devons faire, lorsque nous sommes aux prises
avec les dangers ? — S. AUG. (Traité 28.) Ou bien encore, il monte
secrètement, parce qu'il ne cherche pas la faveur des hommes, et ne prend point
plaisir à se voir entouré du glorieux cortège de la multitude qui aurait marché
à sa suite. BEDE. Dans le sens
mystique, nous voyons ici que pendant que des hommes charnels cherchent avec
empressement la gloire humaine, le Seigneur reste dans la Galilée, dont le nom
signifie transmigration, c'est-à-dire qu'il demeure dans ses membres qui
passent des vices aux vertus, et font de grands progrès dans la perfection. Le
Seigneur se rend lui-même à Jérusalem, parce que les membres du Christ
cherchent non pas la gloire de cette vie ; mais celle de la vie éternelle. Mais
il s'y rend en secret, parce que toute sa gloire vient de l'intérieur (Ps 44), c'est-à-dire, d'un cœur pur, d'une
bonne conscience et d'une foi sincère. (1 Tm
1, 5) — S. AUG. (Traité 28.) On peut dire
encore qu'en se rendant comme en secret à cette fête, Jésus a voulu nous donner
une leçon mystérieuse. Toutes les lois et les prescriptions imposées au peuple
ancien, et par conséquent la fête des Tabernacles, étaient la figure des choses
futures ; or, tout ce qui était pour eux figure, est devenu pour nous une
réalité. Jésus se rend donc à cette fête comme en secret, pour figurer qu'il
demeurait comme voilé. Au jour même de la fête, le Sauveur demeura caché, parce
que ce jour de fête figurait l'exil des membres de Jésus-Christ. N'est-ce pas,
en effet, habiter comme dans des tentes, que de regarder cette vie comme un
pèlerinage et un exil ? Or, la Scénopégie était la fête des Tabernacles ou des
tentes.
« Les Juifs donc le cherchaient pendant la fête, et disaient : Où
est-il ? » — S. CHRYS. (hom. 49.)
La haine et l'aversion qu'ils ont pour lui les empêchent même de prononcer sou
nom. « Où est-il ? » Quel grand respect pour la fête, quel esprit
de religion ! ils veulent profiter de cette solennité pour se saisir
frauduleusement du Sauveur.
« Et il y avait une grande rumeur dans le peuple à son sujet. » — S. AUG. (Traité 28.) Cette rumeur
était produite par la diversité des opinions que l'Evangéliste nous fait
connaître : « Les uns disaient, c'est un homme de bien ; non, disaient
les autres, il séduit la foule. » Ainsi qu'un homme se distingue par quelque
mérite extraordinaire, tel est le jugement qu'on portera de lui ; les uns
diront : C'est un homme de bien ; les autres : Il séduit le peuple. Mais quelle
consolation pour un chrétien, de penser que ce qu'on dit de lui on l'a dit
auparavant de Jésus-Christ ! En effet, s'ils donnent
au mot séduire le sens de tromper, il est évident que Jésus-Christ n'est pas un
séducteur ; mais si séduire, c'est simplement amener quelqu'un par la
persuasion à son sentiment, il faut pour apprécier cette action, examiner d'où
l'on part et où l'on arrive. Celui qui entraîne du bien au mal est un mauvais
séducteur ; celui qui ramène du mal au bien est un bon séducteur, et plût à
Dieu qu'on nous appelle et que nous soyons en effet des séducteurs de cette
sorte. — S. CHRYS. (hom. 49.)
A mon avis, c'était le peuple qui le proclamait un homme de bien, tandis que
l'opinion défavorable était celle des chefs du peuple et des prêtres, comme le
prouve d'ailleurs leur manière de s'exprimer, car ils ne disent pas : Il nous
séduit, mais : « Il séduit la foule. »
« Cependant personne ne parlait ouvertement en sa faveur par crainte
des Juifs. » C'était surtout ceux qui disaient : « C'est un homme de bien, »
plutôt que ceux qui le traitaient de séducteur; ces derniers s'exprimaient plus
ouvertement, tandis que les autres ne disaient qu'à voix basse : « C'est
un homme de bien. » — S. CHRYS. (hom.
49.) Voyez la corruption des chefs de la nation, et la timidité du peuple
qui leur est soumis ; il a des idées plus droites, et il n'ose les manifester,
ce qui est un des caractères de la multitude.
S. CHRYS. (hom. 49.)
Nôtre-Seigneur, en ne se rendant pas à la fête dans les premiers jours, mais
vers le milieu de la fête, comme l'Evangéliste le remarque, voulait par ce
retard rendre les Juifs plus attentifs à sa doctrine. En effet, ceux qui
l'avaient cherché dans les premiers jours, en le voyant tout à coup sous leurs
yeux, quelles que fussent d'ailleurs leurs dispositions, qu'ils le
considérassent comme un homme de bien ou comme un séducteur, étaient
naturellement portés à donner une plus grande attention à ses enseignements,
les uns pour admirer sa doctrine, et en profiter, les autres pour le surprendre
et se saisir de sa personne. — THEOPHYL.
Dans les premiers jours de la fête, l'attention était presque tout
entière à la solennité elle-même ; mais dans les jours suivants, les esprits
étaient plus disposés à écouter attentivement le Sauveur. — S. AUG. (Traité 28.)
Cette fête, comme le récit le donne à entendre, se célébrait durant plusieurs
jours; voilà pourquoi l'Evangéliste dit : « Vers le milieu de la fête, »
c'est-à-dire, lorsqu'il restait encore autant de jours qu'il s'en était écoulé.
Nôtre-Seigneur agit de la sorte pour tenir la parole qu'il a donnée : « Je ne
vais point à ce jour de fête que vous m'indiquez, » c'est-à-dire le premier ou
le second, mais il se rend à Jérusalem vers le milieu de la fête. — S. AUG. (Quest. sur le Nouv. et l'Anc.
Test., quest. 78.) Jésus se rendit alors à Jérusalem, moins pour la
solennité que pour manifester sa divine lumière. Ses parents s'y rendirent pour
y jouir des plaisirs de cette fête, mais le vrai jour de fête pour
Jésus-Christ, fut celui où il racheta le monde par sa passion.
S. AUG. (Traité 29)
Voilà celui qui avait voulu d'abord se couvrir des voiles de l'obscurité qui
enseigne, et parle en public, et personne ne s'empare de lui, car s'il a voulu
rester caché, c'est pour notre instruction, et s'il se manifeste, c'est pour
donner des preuves de sa puissance. — S. CHRYS.
(hom. 49.) Quel était le sujet de son enseignement ?
L’Evangéliste n'en dit rien, il rapporte seulement qu'il instruisait d'une
manière admirable, car son enseignement-avait un tel caractère d'autorité, que
ceux mêmes qui l'accusaient de séduire le peuple étaient complètement changés
et dans un profond étonnement : « Et les Juifs étonnés disaient : Comment
sait-il les Ecritures, puisqu'il ne les a pas apprises ? » Voyez comme leur
étonnement est plein de malice ; l'Evangéliste ne nous dit pas en effet que ce
fut sa doctrine qui excitât leur étonnement, c'était une autre cause, le désir
de savoir comment il pouvait avoir tant de science. — S. AUG. (Traité 28.) Tous sans doute
partageaient cet étonnement, mais tous ne se convertissaient pas. Et d'où
venait donc cet étonnement ? C'est qu'un grand nombre d'entre eux connaissaient
le lieu de sa naissance et le genre de son éducation. Ils ne l'avaient jamais
vu apprendre les lettres, et ils l'entendaient cependant discuter la loi, citer
les textes de la loi, ce qu'on ne peut faire sans avoir lu la loi, que personne
ne peut lire avant d'avoir fait des études littéraires, et c'est ce qui causait
leur étonnement.
S. CHRYS. (hom. 49.)
Cette incertitude et ce doute devaient leur faire conclure que la science du
Sauveur n'était pas d'origine humaine, mais qu'elle était divine. Ils ne vont
pas au delà de l'étonnement, parce qu'ils ne veulent pas tirer cette
conclusion. Nôtre-Seigneur va donc s'en charger : « Jésus lui répondit : Ma
doctrine n'est pas de moi, mais de celui qui m'a envoyé. » — S. AUG. (Traité 29) Il semble y
avoir une contradiction dans ces paroles : « Ma doctrine n'est pas la mienne,
mais la doctrine de celui qui m'a envoyé. » S'il avait dit : Cette doctrine
n'est pas la mienne, il n'y aurait eu aucune difficulté. Quelle est donc la
doctrine du Père, si ce n'est le Verbe du Père ? Jésus-Christ est donc la
doctrine du Père, s'il est le Verbe du Père. Mais comme le Verbe ou la parole
doivent nécessairement avoir un auteur, Nôtre-Seigneur s'identifie avec sa
doctrine, et déclare cependant qu'elle n'est pas de lui, parce qu'il est le
Verbe du Père. Qu'y a-t-il de plus à vous que vous-même ? Et qu'y a-t-il de
moins à vous que vous-même, si vous tenez d'un antre tout ce que vous avez ? En
un mot, voici ce que le Sauveur a voulu dire : « Ma doctrine n'est pas de
moi. » Ce qui revient à cette proposition : Je ne viens pas de
moi-même. » Ces paroles renversent l'hérésie des Sabelliens, qui ont osé
avancer que le Fils était le même que le Père, et qu'il y avait deux noms pour
exprimer une seule chose. — S. CHRYS. (hom.
49.) Ou bien encore, il dit : « Ma doctrine, » parce qu'il l'avait
enseignée, et il déclare qu'elle n'est pas de lui, parce que c'était la
doctrine du Père. Mais si tout ce qui appartient au Père lui appartient
également, dès lors que cette doctrine est la doctrine du Père, elle devrait
être la sienne ? Sans doute, mais en disant : « Elle n'est pas la mienne.
» Il affirme énergiquement que son Père et lui n'ont qu'une seule et même
doctrine ; comme s'il disait : Il n'y a aucune différence entre la doctrine de
mon Père et la mienne ; et dans mes paroles comme dans mes actions, je fais en
sorte qu'on ne remarque rien qui soit contraire, soit aux paroles, soit à la
manière d'agir de mon Père. — S. AUG. (De
la Trin., 1, 12.) Ou bien encore, il dit qu'elle est sa doctrine dans un
sens, et qu'elle ne l'est pas dans un autre sens ; si on le considère comme
Dieu, c'est sa doctrine ; si on le considère comme homme, elle n'est plus sa
doctrine, mais celle de son Père. — S. AUG. (Traité 29.) Si
l'intelligence dé ces paroles laisse encore à désirera quelques-uns, qu'ils
écoutent le conseil que leur donne le Sauveur : « Si quelqu'un veut faire
la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu. » Mais, que signifient ces
paroles : « Si quelqu'un veut faire la volonté de Dieu ? » C'est-à-dire,
s'il veut croire en Jésus-Christ, car il a dit lui-même précédemment :
« L'œuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé ; » or, qui
ne sait qu'accomplir la volonté de Dieu, c'est faire son œuvre ? De même
encore, connaître c'est comprendre. Ne cherchez donc pas à comprendre pour
arriver à la foi, mais commencez par croire pour arriver à l'intelligence, car
si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. (Is 5, 9, selon la vers.
des Sept.) — S. CHRYS. (hom. 49.)
Ou bien encore, tel est le sens de ces paroles : Bannissez de vos cœurs la
colère, l'envie, la haine que vous nourrissez injustement contre moi, et rien
alors ne vous empêchera de connaître que mes paroles sont-les paroles mêmes de
Dieu. Il apporte ensuite une autre preuve non moins forte qu'il puise pour
notre instruction dans la conduite ordinaire des hommes : « Celui qui
parle de soi-même cherche sa propre gloire, » c'est-à-dire, celui qui veut
établir une doctrine qui lui est personnelle, n'a point d'autre but que
d'acquérir de la gloire. Si donc je cherche la gloire de celui qui m'a envoyé,
pour quelle raison voudrais-je vous enseigner une doctrine étrangère ? c'est le
sens des paroles qui suivent : « Mais qui cherche la gloire de celui qui l'a
envoyé est digne de foi, et il n'y a point en lui d'imposture. » — THEOPHYL. C'est-à-dire, je suis digne
de foi, parce que ma doctrine est l'expression de la vérité, il n'y a point en
moi d'imposture, parce que je ne cherche pas à usurper la gloire d'autrui. — S.
AUG. (Traité 29.) Celui qui cherche sa propre gloire est un Antéchrist.
Nôtre-Seigneur nous a donné un grand exemple d'humilité, lorsque s'étant rendu
semblable à nous par ce qui a paru de lui au dehors, il a cherché non point sa
gloire, mais celle de son Père ; pour vous, au contraire, faites-vous quelque
bonne action, vous n'y cherchez que votre gloire ; faites-vous le mal, vous le
rejetez injustement sur Dieu. — S. CHRYS.
(hom. 49.) Remarquez donc qu'une des causes de ce langage si
humble dans la bouche du Sauveur, c'est de bien persuader les Juifs qu'il ne
désire ni la gloire, ni la puissance ; c'est aussi de s'accommoder à la
faiblesse de ses auditeurs, et enfin d'enseigner aux hommes la fuite de
l'orgueil et la pratique de l'humilité dans les pensées comme dans les paroles.
S. CHRYS. (hom. 49
sur S. Jean.) Les Juifs formulaient deux accusations contre
Jésus-Christ, l'une qu'il violait le sabbat, l'autre qu'il appelait Dieu son
Père, et se faisait ainsi l'égal de Dieu. Il confirme cette dernière
proposition en montrant qu'il n'est nullement opposé à Dieu, et qu'il enseigne
la même doctrine. Quant à la violation du sabbat, voici comment il y répond :
« Est-ce que Moïse ne vous a pas donné la loi ? et personne de vous
n'accomplit la loi, » paroles dont voici le sens : La loi dit : Vous ne tuerez
pas, et cependant vous vous rendez coupables de meurtre, comme il le leur
reproche ouvertement : « Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ? »
c'est-à-dire, supposons que j'aie violé la loi en guérissant cet homme, au
moins cette transgression a-t-elle eu pour objet de le sauver ; vous, au
contraire, vous violez le sabbat pour commettre le mal ; je vous récuse donc
pour juges dans cette question. Il leur oppose donc deux moyens de défense, et
en leur reprochant de chercher à le mettre à mort, et en leur prouvant que le
meurtre qu'ils méditent, les rend indignes de se constituer les juges d'un
autre. — S. AUG. (Traité 30.)
Ou bien encore, Nôtre-Seigneur leur parle de la sorte, parce que s'ils
observaient la loi, ils auraient trouvé et reconnu Jésus-Christ dans les
Ecritures, et ne chercheraient point à le mettre à mort, alors qu'il est au
milieu d'eux. La réponse que fait la foule au Sauveur, lui est inspirée non par
le désir de la paix, mais par un esprit de désordre : « Le peuple lui répondit
: Vous êtes possédé du démon, qui cherche à vous mettre à mort ? » Ils accusent
d'être possédé du démon celui qui chassait les démons. Mais le Seigneur, sans
se troubler, et avec ce calme que donne la vérité, ne leur rend pas injure pour
injure, et leur fait une réponse pleine de modération. — BEDE. Il nous donne ici un exemple de
la patience avec laquelle nous devons supporter les fausses accusations dont
nous sommes victimes, sans faire connaître la vérité qui peut nous justifier,
et en nous contentant de donner de salutaires avis : « Jésus répliqua et
leur dit : J'ai fait une seule œuvre (le jour du sabbat), et vous en êtes tous
surpris. » — S. AUG. (Traité 29.) C'est-à-dire, que serait-ce s'il vous
était donné de voir toutes mes œuvres ? Ses œuvres, c'était tout ce qu'ils
voyaient dans le monde, mais ils ne voyaient pas celui qui a fait toutes
choses. Il a fait une seule œuvre sous leurs yeux, il a guéri un homme le jour
du sabbat, et ils en sont tous surpris, comme si tout malade, guéri le jour du
sabbat, pouvait l'être par un autre que celui dont ils se sont scandalisés,
parce qu'il avait rendu la santé à un homme le jour du sabbat. — S. CHRYS. (hom. 49.) « Vous êtes
surpris, étonnés, » c'est-à-dire, vous êtes en proie au trouble, à
l'agitation. Voyez avec quelle prudence il raisonne contre eux en s'appuyant
sur la loi même. Il veut leur prouver qu'en guérissant cet homme, il n'a point
transgressé la loi, car il est beaucoup d'autres points plus importants que le
précepte du sabbat, et dont l'observation accomplit la loi, loin de la violer.
Il ajoute donc : « Cependant Moïse vous a donné la circoncision (bien
qu'elle soit non de Moïse, mais des patriarches), et vous la pratiquez le jour
du sabbat. » — S. AUG. (Traité 29.) Comme s'il leur disait : Vous avez
bien fait en recevant la circoncision, non point parce qu'elle vient de Moïse,
mais des patriarches. Ce fut, en effet, Abraham qui, le premier, reçut du
Seigneur le précepte de la circoncision : « Et vous pratiquez la circoncision
le jour même du sabbat. » Vous êtes convaincus par Moïse lui-même, la loi vous
fait un devoir de circoncire les enfante le huitième jour, elle vous oblige
également à vous abstenir d'œuvre servile le septième jour. Si le huitième jour
qui suit la naissance d'un enfant, tombe justement le septième jour de la
semaine, vous ne laissez pas de le circoncire, parce que la circoncision est un
moyen de salut, et qu'il n'est pas défendu aux hommes de travailler à leur
salut le jour du sabbat. — ALCUIN. La
circoncision a été établie pour trois raisons, la première pour être un signe
de la grande foi d'Abraham ; la seconde pour être un signe distinctif entre les
Juifs et les autres nations ; la troisième, afin que la circoncision qui était
faite sur l'organe de la virilité, rappelât l'obligation d'observer la chasteté
du corps et de l'âme. La circoncision conférait alors la même grâce que le
baptême confère aujourd'hui, avec cette différence que la porte du ciel n'était
pas encore ouverte. Nôtre-Seigneur tire donc la conclusion des propositions qui
précèdent : « Or, si un homme reçoit la circoncision le jour du sabbat, pour ne
pas violer la loi de Moïse, comment vous indignez-vous contre moi, parce que le
jour du sabbat, j'ai rendu un homme sain dans tout son corps ? » — S. CHRYS. C'est-à-dire, violer la loi du
sabbat pour donner la circoncision, c'est observer la loi ; c'est ainsi que
j'ai moi-même observé la loi en guérissant un homme le jour du sabbat ; et vous
qui n'êtes point des législateurs, vous défendez la loi outre mesure. Moïse, au
contraire, ordonne de transgresser la loi pour observer un précepte qui ne
vient pas de la loi, mais qui a été donné aux patriarches. En disant : « J'ai
rendu un homme sain tout entier, » il montre que la circoncision ne rendait
l'homme sain qu'en partie.
S. AUG. (Traité 30.) Peut-être encore cette circoncision était
la figure du Seigneur, car qu'est-ce que la circoncision, sinon le
dépouillement de la chair ? Elle signifiait donc que le cœur était dépouillé de
toutes les convoitises charnelles. Et ce n'est pas sans raison que la
circoncision était opérée sur le membre qui sert à la génération, « car c'est
par un seul homme que le péché est entré dans le monde. » (Rm 5) Tout
homme naît avec le prépuce de sa chair, parce qu'il naît avec le vice qu'il
tire de son origine, et c'est par Jésus-Christ seul, que Dieu le purifie, soit
de ce vice originel, soit de ceux qu'il ajoute volontairement par une vie
criminelle. La circoncision s'opérait avec des couteaux de pierre, et la pierre
est la figure de Jésus-Christ. La circoncision avait lien le huitième jour,
parce que c'est après le septième jour de la semaine que Nôtre-Seigneur est
ressuscité le dimanche. C'est cette même résurrection qui nous circoncit,
c'est-à-dire qui nous dépouille de tous les désirs charnels. Comprenez donc que
cette circoncision était la figure de cette bonne oeuvre, par laquelle j'ai
guéri un homme tout entier le jour du sabbat, je l'ai guéri pour rendre la
santé à son corps, et sa foi lui a procuré la santé de l'âme. La loi vous
interdit les œuvres serviles le jour du sabbat. Est-ce donc une œuvre servile que
de guérir un homme le jour du sabbat ? Vous mangez et vous buvez le jour du
sabbat, parce que le soin de votre santé l'exige, et vous prouvez ainsi que ce
qui est nécessaire à la conservation de la santé n'est nullement défendu le
jour du sabbat.
S. CHRYS. (hom. 49.)
Nôtre-Seigneur ne dit pas : J'ai fait une œuvre plus grande que la
circoncision, il se contente d'exposer le fait, et leur en laisse
l'appréciation : « Ne jugez pas selon l'apparence, mais jugez selon la justice.
» C'est-à-dire, vous avez pour Moïse une plus grande estime que pour moi, mais
ce n'est point sur l'importance des personnes que vous devez appuyer votre
jugement, c'est sur la nature même des choses ; car c'est là juger selon la
justice. Or, personne n'a accusé Moïse d'avoir ordonné que le précepte
d'observer le jour du sabbat, le céderait au précepte de la circoncision qui
avait été établi en dehors de la loi. Moïse doit donc être plus digne de foi à
vos yeux, lui qui vous commande de violer la loi pour observer un commandement
établi antérieurement à la loi.
S. AUG. (Traité 30.)
La recommandation que fait ici Nôtre-Seigneur, de ne point juger d'après les
personnes, est très-difficile à observer en ce monde. Cet avertissement qu'il
donne aux Juifs, il nous le donne à nous-mêmes. C'est pour nous que toute
parole importante, tombée des lèvres du Sauveur, a été écrite, qu'elle est
conservée, et qu'elle est répétée. Le Seigneur est dans les cieux, mais il
continue d'être la vérité sur la terre : le corps qu'il a ressuscité peut
n'être que dans un seul lien, mais sa vérité est répandue par toute la terre.
Quel est donc celui qui ne juge point sur l'apparence et d'après les personnes
? Celui qui a pour tous les hommes une même charité. Ce n'est pas que nous
ayons à craindre de faire acception de personnes, lorsque nous rendons aux
hommes les honneurs qui sont dus à leur position. Ainsi, par exemple, un père
est en litige avec son fils, nous ne rendons pas au fils un honneur égal à
celui du père, nous lui faisons simplement justice, si sa cause est bonne.
Egalons le père au fils dans la vérité, et de cette manière nous rendrons à
chacun l'honneur qui lui est dû, sans sacrifier les droits de la justice et de
l'équité.
S. AUG. (Traité 31 sur S. Jean.) L'Evangéliste nous a dit
précédemment que Nôtre-Seigneur se rendit à cette fête comme en secret, non pas
dans la crainte qu'on se saisit de sa personne, lui qui, par sa puissance,
était à l'abri de tonte violence, mais pour figurer qu'il était comme caché
dans ce jour de fête célébré par les Juifs, et qu'elle renfermait son mystère.
Il fait maintenant éclater son pouvoir qu'on regardait comme de la timidité, et
il parle publiquement au milieu de la fête, de manière que le peuple en est
tout étonné : « Alors quelques-uns de Jérusalem commencèrent à dire, » etc. Ils
connaissaient avec quelle méchanceté on cherchait à s'emparer de lui, et ils
s'étonnaient de la puissance qui le dérobait à la violence de ses ennemis. — S CHRYS. (hom. 50.) L'Evangéliste
dit : « Quelques-uns de Jérusalem, » parce qu'en effet, c'étaient ceux sous les
yeux desquels il avait opéré ses plus grands miracles, qui se conduisaient de
la manière la plus misérable, et qui, témoins d'une des plus grandes preuves de
sa divinité, laissaient toute liberté aux chefs corrompus de leur nation, pour
l'accomplissement de leurs projets. Quelle plus grande preuve, en effet, de la
puissance divine du Sauveur, que de voir ces hommes ivres de fureur, et qui
cherchaient à le mettre à mort, s'arrêter tout à coup et laisser tomber leur
colère, alors qu'il était en leur pouvoir ?
S. AUG. (Traité 31.)
Le peuple qui ne comprenait point parfaitement encore la puissance du Sauveur,
attribua cette modération des chefs de la nation à la connaissance qu’ils avaient
que Jésus était le Christ : « Les princes du peuple, dirent-ils, auraient-ils
reconnu qu'il est vraiment le Christ ? » — S. CHRYS. (hom. 50.) Cependant loin de partager ce
sentiment qu'ils prêtent aux princes du peuple, ils émettent leur opinion
personnelle aussi fausse qu'insensée : « Celui-ci, cependant, nous savons d'où
il est, mais quand le Christ viendra, personne ne saura d'où il est. » — S.
AUG. (Traité 30.) Cette opinion ne s'était point produite sans fondement
parmi les Juifs. Les Ecritures ont prédit que le Christ serait appelé Nazaréen
; (Mt 2) elles ont donc annoncé le lieu d'où il viendrait. Les Juifs,
interrogés par Hérode, lui ont répondu qu'il devait naître à Bethléem, ville de
Juda, et ont cité à l'appui un témoignage prophétique. D'où pouvait donc venir
cette opinion parmi les Juifs, que lorsque le Christ viendrait, personne ne
saurait d'où il viendrait ? C'est que les Ecritures avaient exprimé ces deux
vérités, elles avaient prédit d'où il viendrait comme homme, mais en tant que
Dieu, son avènement restait caché aux impies, et ne se dévoilait qu'aux âmes
pieuses. Ce qui avait donné lieu à cette opinion parmi les Juifs, c'était cette
prophétie d'Isaïe : « Qui racontera sa génération ? » (Is 8)
Nôtre-Seigneur répond en affirmant les deux choses, et qu'ils savaient d'où
il était, et qu'ils ne le savaient pas : « Jésus enseignait donc à haute voix
dans le temple, disant : Et vous savez qui je suis, et vous savez d'où je suis
; » c'est-à-dire, vous savez d'où je suis, et vous ne le savez pas. Vous savez
d'où je suis, Jésus de Nazareth dont vous connaissez les parents, car la seule
chose qu'ils ignoraient ici, c'est l'enfantement virginal de sa mère, et sauf
cette circonstance, ils connaissaient en Jésus tout ce qui avait rapport à son
humanité. C'est donc avec raison qu'il leur dit : « Et vous savez qui je suis,
et vous savez d'où je suis, » selon la chair, et cette forme humaine dont je
suis revêtu, mais comme Dieu : « Je ne suis pas venu de moi-même, mais celui
qui m'a envoyé est véritable. » — S.
CHRYS. (hom. 50.) C'est ainsi qu'il révèle les secrètes pensées
de leur cœur : Je ne suis pas, semble-t-il leur dire, du nombre de ceux qui
sont venus sans mission comme sans raison, celui qui m'a envoyé est véridique,
et s'il est véridique, il m'a envoyé dans la vérité, et par conséquent celui
qu'il a envoyé doit être également digne de foi. Il les convainc ensuite par
leurs propres paroles. Ils disaient : « Lorsque le Christ sera venu,
personne ne saura d'où il vient, » et il leur prouve qu'il est véritablement le
Christ, parce qu'il vient du Père qu'ils ne connaissaient pas, comme il le leur
reproche : « Et vous ne le connaissez pas. »
S. HIL. (de la Trin., 6) Est-ce que tout homme, bien qu'il ait
reçu de Dieu une naissance qu'on peut appeler charnelle, ne vient pas de Dieu,
selon l'opinion commune ? Comment donc le Sauveur peut-il nier que les Juifs
sachent ce qu'il est, ou bien d'où il vient, s'il n'a ici dans l'esprit
l'auteur même de sa nature ? Il fait voir la nature d'où il provient, en
affirmant qu'ils ignorent d'où il vient. On ne peut ignorer, en effet, d'où
vient ce qui est tiré du néant, car par là même qu'où sait que cette chose a
été tirée du néant, on n'ignore pas le principe de son existence. Mais pour le
Sauveur, ils ignorent ce qu'il est, parce qu'ils ignorent d'où il vient. Ce
n'est point reconnaître le Fils, que de nier sa naissance éternelle, et on ne
reconnaît point sa naissance quand on croit qu'il a été tiré du néant.
S. CHRYS (hom. 50) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur veut
parler ici de l'ignorance qui se traduit par les œuvres, et dont saint Paul a
dit : « Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs
œuvres. (Tt 1, 16.) Remarquez que le Sauveur les confond de deux
manières : premièrement, il révèle an grand jour ce qu'ils n'osaient dire qu'en
secret, et en second lieu il les enseigne et les confond à haute voix pour les
couvrir de honte.
S. AUG. (Traité 31)
Enfin, il leur indique le moyen qu'ils doivent prendre pour savoir ce qu'il
est et d'où il vient : « Moi je le connais, dit-il (celui qui m'a envoyé),
c'est donc à moi qu'il faut vous adresser pour le connaître vous-mêmes ; » car
personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils aura
voulu le révéler. (Mt 11) Et si je dis que je ne le connais point, je serai
semblable à vous, c'est-à-dire un menteur. — S. CHRYS. (hom. 50.) Or, cela est impossible, celui qui
m'a envoyé est véridique, il est donc nécessaire que son envoyé soit également
véridique et digne de foi ; partout il s'attribue exclusivement la connaissance
du Père, parce qu'il vient du Père. C'est pour cela qu'il ajoute : « Moi
je le connais, parce que je suis de lui. » — S. HIL. (de la Trin., 6) Je me demande si ce qui vient du
Père, dans le sens du Sauveur, a le caractère de création ou de génération. Si
c'est une création, toutes les choses créées viennent de Dieu, et comment se
fait-il que toutes ces choses ne connaissent point le Père, alors que le Fils
affirme qu'il le connaît, par cela seul qu'il vient de lui ? Si, au contraire,
la connaissance du Père est le privilège spécial et réservé de ce qui vient de
lui, comment ce qui vient de lui pourrait-il n'être pas le vrai Fils de Dieu
ayant avec lui une même nature ? Le privilège de la connaissance vient donc ici
du privilège de la génération, mais de peur que l'hérésie n'interprète ces
paroles : « Parce que je suis de lui, » de son avènement temporel, il
ajoute : « Et il m'a envoyé. » Il conserve ainsi l'ordre des mystères que
nous révèle l'Evangile, il proclame à la fois sa naissance et sa mission. — S.
AUG. (Traité 31.) Je suis de lui, parce que je suis le Fils qui vient du
Père, mais en tant que vous me voyez revêtu d'un corps mortel, c'est lui qui
m'a envoyé, paroles où il faut voir non la diversité de nature, mais l'autorité
de celui qui a engendré.
S. CHRYS. (hom. 50.)
Les Juifs furent irrités de ce que le Sauveur leur reprochait de ne point
connaître le Père, alors qu'ils faisaient semblant d'avoir cette connaissance :
« Ils cherchaient donc à le prendre, » etc. Voyez comme leur fureur se trouve
invisiblement enchaînée. Cependant l'Evangéliste, pour parler un langage plus
rapproché de nos idées et plus conforme à l'humilité du Sauveur, et confirmer
la foi à son incarnation, ne dit pas qu'il les retint par une puissance
invisible, mais a parce que, dit-il, son heure n'était pas encore venue. » —
S. AUG. (Traité 30.) C'est-à-dire, parce qu'il ne le voulait
pas, car le Seigneur n'a pas été soumis au destin à sa naissance ; vous-même
n'y avez pas été soumis, combien moins celui par lequel vous avez été fait ? Si
votre heure n'est autre que sa volonté, que sera son heure si ce n'est cette
même volonté ? L'heure dont il est ici question n'est donc pas celle où il
serait forcé de mourir, mais où il daignerait se soumettre à la mort.
S. AUG. (Traité 31 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur sauvait
de préférence les pauvres et les humbles : « Beaucoup d'entre le peuple crurent
en lui, » etc. Le peuple, en effet, reconnut- aussitôt ses infirmités, et
embrassa sans retard les moyens de guérison qui lui étaient offerts. — S. CHRYS. (hom. 50.) Cependant sa
foi n'était pas encore pure, et son langage était bien le langage vulgaire de
la multitude : « Et ils disaient : Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de
miracles que celui-ci ? » Ce langage, en effet : « Lorsque le Christ viendra, »
n'indiquait pas qu'ils croyaient bien fermement que Jésus fut le Christ ; ou
bien si l'on veut, c'était dans leur esprit une espèce de preuve qu'il le fût,
comme s'ils disaient : Lorsque le Christ viendra, sera-t-il supérieur à
celui-ci, et fera-t-il un plus grand nombre de miracles ? Le peuple, en effet,
se laissé bien plus facilement gagner par l'éclat des miracles que par
l'excellence de la doctrine. — S. AUG. (Traité 3l.) Ou bien ils veulent
dire : S’il ne peut y avoir deux christs, celui-ci doit nécessairement l'être.
Mais les princes du peuple, loin de partager ce sentiment, se livraient aux
transports d'une fureur insensée. Non-seulement ils refusaient de reconnaître
le médecin, mais ils voulaient le mettre à mort : « Les pharisiens entendirent
que le peuple murmurait ainsi à son sujet, et ils envoyèrent des gardes pour le
prendre. » — S. CHRYS. (hom. 50.)
Bien des fois précédemment, il leur avait annoncé sa doctrine, et jamais ils ne
s'étaient portés à cette extrémité. Ce qui les blessait au vif, c'est que le
peuple glorifiait Jésus comme le Christ ; la violation du sabbat n'était
que le prétexte qu'ils mettaient en avant. Ils n'osent cependant eux-mêmes
s'emparer de sa personne, dans la crainte du danger qu'ils pourraient courir,
et ils délèguent ce soin à leurs gardes, comme étant habitués à braver les
dangers.
S. AUG. (Traité 31)
Comme ils ne pouvaient se saisir du Sauveur contre sa volonté, leur mission
n'eut d'autre effet que de les rendre témoins de ses enseignements : « Jésus
donc leur dit : Je suis encore avec vous un peu de temps. » — S. CHRYS. (hom. 50.) Ces paroles
respirent une profonde humilité, ne semble-t-il pas leur dire : Pourquoi vous
empresser de me mettre à mort ? attendez un peu de temps. — S. AUG. (Traité 31.)
Ce que vous voulez faire actuellement vous le ferez, mais pas aujourd'hui,
parce que je ne le veux pas, il me faut auparavant remplir l'objet de ma
mission, et parvenir ainsi au temps de ma passion. — S. CHRYS. (hom. 50.) Il calmait ainsi la fureur des plus
audacieux, et excitait vivement l'attention de la partie du peuple plus zélée
pour l'entendre, eu lui annonçant qu'il lui restait peu de temps pour profiter
de ses enseignements. Remarquez qu'il ne dit pas : Je suis, mais : « Je suis
avec vous, » c'est-à-dire, bien que vous me persécutiez, je ne cesserai de
m'occuper de vos intérêts et de vous prodiguer les enseignements qui peuvent
vous conduire au salut. Ces paroles qu'il ajoute : « Je m'en vais à celui qui
m'a envoyé, » suffisaient pour les remplir d'effroi. — THEOPHYL. Il s'en allait à son Père, comme pour les accuser ;
car en couvrant d'outrages l'envoyé, nul doute qu'ils n'aient également outragé
celui qui l'a envoyé. — BEDE. «
Je m'en vais à celui qui m'a envoyé, » c'est-à-dire, je remonte vers
mon Père qui m'a commandé de m'incarner pour votre salut ; il dit qu'il s'en va
vers celui dont il ne s'est jamais séparé.
S. CHRYS. (hom. 50.) Il leur fait connaître ensuite le besoin
qu'ils auraient de lui, en ajoutant : « Vous me chercherez et vous ne me
trouverez point. » Mais où donc les Juifs l'ont-ils cherché ? Saint Luc (Lc
23) nous rapporte que les femmes le suivaient eu pleurant et en se lamentant.
Il est vraisemblable qu'un grand nombre d'autres furent tourmentés du même désir,
et qu'au moment surtout du siège et de la prise de Jérusalem, ils se souvinrent
de Jésus-Christ, de ses miracles, et qu'ils recherchèrent sa présence. — S.
AUG. (Traité 31.) Ou bien encore, le Sauveur prédit ici sa résurrection,
parce que les Juifs devaient le chercher alors dans les sentiments de la plus
vive componction. Ils refusèrent de le reconnaître, alors qu'il était au milieu
d'eux, et ils le cherchèrent lorsqu'ils virent que la multitude croyait en lui,
et un grand nombre, pénétrés de repentir, s'écrièrent : « Que ferons-nous ? »
Ils virent le Christ expirer, victime de leur haine impie et criminelle, et ils
crurent au Christ qui leur accordait le pardon de leurs crimes ; ils ne
désespérèrent de leur salut que jusqu'au moment où ils consentirent à boire le
sang qu'ils avaient répandu.
S. CHRYS. (hom. 50.)
Le Sauveur ne veut pas laisser croire qu'il sortira de ce monde par la mort,
suivant les règles ordinaires, et il ajoute : « Et où je suis, vous ne
pouvez venir. » S'il demeurait au sein de la mort, ils pourraient aller le
rejoindre, car c'est vers ce terme que nous nous dirigeons tous. — S. AUG. (Traité 31.) Il ne dit pas
: Où je serai, mais : « Où je suis, » car le Christ n'a jamais quitté le lieu
où il retournait, et il y est retourné sans nous abandonner; Jésus eu tant que
revêtu d'une chair visible était sur la terre ; mais par son invisible majesté,
il était à la fois dans le ciel et sur la terre. Il ne dit pas non plus : Vous
ne pourrez pas, mais : « Vous ne pouvez pas venir, » car l'état où ils se
trouvaient ne leur permettait pas de le suivre alors ; mais pour vous bien
convaincre qu'il m voulait point par ces paroles, les jeter dans le désespoir,
nous lui voyons tenir à peu près le même langage à ses disciples : « Vous ne
pouvez venir là où je vais, » et il en explique le sens à Pierre, lorsqu'il lui
dit : « Vous ne pouvez maintenant me suivre où je vais, mais vous me suivrez un
jour. » (Jn 13, 36.)
S. CHRYS. (hom. 50.)
En s'exprimant de la sorte, Jésus veut les attirer à lui, le peu de temps qu'il
devait passer avec eux, le désir qu'ils devaient éprouver de le revoir après
qu'il les aurait quittés, l'impossibilité pour eux de le retrouver, étaient des
raisons bien suffisantes pour leur persuader de venir à lui. En leur disant
d'ailleurs : « Je vais à celui qui m'a envoyé, » il fait voir qu'il n'a rien à
redouter de leurs embûches, et que sa passion est tout à fait volontaire.
Cependant les Juifs furent impressionnés de ces paroles, et ils se demandent
entre eux où il devait aller, question qui ne peut guère s'expliquer, s'ils
désiraient être délivrés de lui : « Les Juifs dirent donc entre eux, où doit-il
aller, que nous ne le trouverons pas ? » Doit-il aller chez les nations
dispersées, et enseigner les Gentils ? C'est ainsi que les
Juifs appelaient les nations par un sentiment de mépris pour elles, et dans la
haute idée qu'ils avaient d'eux-mêmes, parce que les nations étaient dispersées
par tout l'univers et peu unies entre elles. Mais cette dénomination injurieuse
pesa plus tard sur les Juifs eux-mêmes, qui furent dispersés par toute la
terre. Autrefois, toute la nation ne formait qu'un seul corps, mais au temps de
Jésus-Christ, les Juifs étaient disséminés parmi toutes les nations, le Sauveur
n'aurait donc pas dit : « Vous ne pouvez venir là où je vais, » si par ces
mots, il eut voulu entendre les Gentils. — S. AUG. (Traité 31.) Ces
paroles : « Où je vais, » signifiaient le sein du Père. C'est ce qu'ils ne
comprirent en aucune façon, et cependant, à l'occasion de ces paroles, ils
prédiront notre salut en annonçant que le Sauveur irait vers les Gentils, non
par sa présence corporelle, mais cependant par ses pieds, car ce sont ses
propres membres qu'il a envoyés pour nous mettre nous-mêmes au rang de ses
membres.
S. CHRYS. (hom. 50.)
Leur intention n'est pas de dire qu'il doit aller vers les nations pour leur
causer du mal, mais pour les enseigner. Déjà en effet, leur colère s'était
calmée, et ils avaient ajouté foi à ses paroles, car s'ils n'y avaient point
cru, ils ne se seraient pas fait cette question : « Qu'est-ce que cette parole
qu'il a dite : « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez point, et là où je
vais, vous ne pouvez venir ? »
S. CHRYS. (hom. 51 sur S. Jean.) Au moment où la
fête étant terminée ils allaient retourner chez eux, Notre-Seigneur leur donne
pour le voyage la nourriture du salut : « Le dernier jour de la fête, qui en
est le plus solennel, » etc. — S. AUG. (Traité
32) C'est en ce jour qu'avait lieu la fête de la Scénopégie, c'est-à-dire
de la construction des tentes. — S. CHRYS. (hom. 51.) Cette fête, comme
nous l'avons vu, durait sept jours, le premier jour et le dernier étaient les
plus solennels, comme l'Evangéliste nous l'apprend, lorsqu'il dit : « Le
dernier jour de la fête, qui en est le plus solennel ; » les jours
intermédiaires étaient surtout consacrés aux délassements. Le Sauveur s'est
donc abstenu de leur parler le premier jour et les jours suivants, parce que
ses enseignements eussent été perdus pour des cens livrés aux divertissements
et aux plaisirs, il élève la voix à cause du grand concours de peuple qui se
pressait autour de lui. — THEOPHYL. Il
élève la voix pour se faire entendre, leur inspirer de la confiance, et montrer
qu'il ne craint personne.
S. CHRYS. (hom. 51.) Notre-Seigneur crie à haute voix : « Si
quelqu'un a soif, » c'est-à-dire, je n'attire personne par nécessité ou par
violence, je n'appelle que celui qui éprouve un vif désir de se rendre à mon
appel. — S. AUG. (Traité 32.)
Il y a une soif intérieure, parce qu'il y a un homme intérieur. Il est certain
d'ailleurs que l'homme intérieur est l'objet d'un plus grand amour que l'homme
extérieur. Si donc nous éprouvons cette soif, approchons, non avec les pieds du
corps, mais avec les affections de l'âme, non pas en marchant, mais en aimant.
— S. CHRYS. (hom. 51) Il leur fait comprendre qu'il s'agit ici
d'une boisson intellectuelle par les paroles qui suivent : « Celui qui croit en
moi, des fleuves d'eau vive, comme dit l'Ecriture, couleront de son sein. »
Mais où donc l'Ecriture parle-t-elle de la sorte ? nulle part. Comment donc
expliquer cette citation du Sauveur ? Il faut séparer de cette manière les deux
membres de la proposition : « Celui qui croit en moi, » comme dit l'Ecriture,
et ajouter comme venant du Sauveur : « Des fleuves d'eau vive couleront de son
sein. » Nôtre-Seigneur leur apprend qu'il faut avoir des idées plus droites, et
croire en lui bien plus sur le témoignage des Ecritures que sur celui des
miracles. C'est pourquoi il les avait renvoyés précédemment aux Ecritures, on
leur disant : « Approfondissez les Ecritures. » — S. JER. (Prol. de la Genèse.) On
peut dire encore que ce témoignage est emprunté au livre des Proverbes, où nous
lisons : « Que tes eaux jaillissent au dehors, et que tes eaux coulent sur les
places publiques. » (Pr 5, 16.) — S. AUG.
(Traité 32.) Le sein de l'homme intérieur, c'est la conscience de
son cœur. Lorsque la conscience a bu cette divine liqueur, elle est purifiée et
reprend une nouvelle vie, et en puisant de nouveau de cette eau, elle devient
elle-même une source d'eau vive. Or, quelle est cette source, ou bien quel est
ce fleuve qui coule du sein de l'homme intérieur ? C'est la bonté qui le porte
à se consacrer aux intérêts du prochain. Celui qui boit de cette eau est celui
qui croit au Seigneur, mais s'il pense que cette eau qui lui est donnée, n'est
que pour lui seul, l'eau vive ne coulera point de son sein ; si, au contraire,
il prodigue à son prochain les soins empressés de la charité, cette source
intérieure ne tarit point, parce qu'elle coule au dehors. — S. GREG. (sur Ezéch.) Lorsque les
paroles sacrées de la prédication évangélique coulent de l'âme des fidèles, ce
sont comme autant de fleuves d'eau vive qui sortent de leur âme. Les
entrailles, qu'est-ce autre chose que ce qu'il y a de plus intime dans l'âme,
c'est-à-dire l'intention droite, les saints désirs, l'humilité envers Dieu et
la volonté d'être utile au prochain ?— S. CHRYS.
(hom. 51) Il dit « des fleuves » et non un fleuve, pour exprimer
sous cette image l'abondance et la fécondité de la grâce ; ce sont « des
fleuves d'eau vive, » et qui ne cesse d'agir. En effet, lorsque la grâce de
l'Esprit entre dans une âme et s'y affermit, elle coule plus abondamment que
toutes les sources, elle ne tarit point, ni ne se dessèche ni ne s'arrête,
comme on peut s'en convaincre en considérant la sagesse d'Etienne, la parole
éloquente de Pierre, la fécondité abondante des discours de Paul ; rien ne les
arrêtait ; mais semblables à des fleuves au cours rapide, ils entraînaient tout
avec eux.
S. AUG. (Traité 32.)
L'Evangéliste explique ensuite quel était ce breuvage que le Seigneur les
invitait à venir boire : « Il disait cela de l'Esprit que devaient recevoir
ceux qui croiraient en lui. » Quel est cet esprit, si ce n'est l'Esprit saint ?
car tout homme a en lui-même son propre esprit. — ALCUIN. Le Sauveur avait promis avant son ascension l'Esprit
saint à ses Apôtres, et il le leur envoya après l'ascension sous la forme de
langues de feu, c'est pour cela que l'Evangéliste dit : « L'Esprit que devaient
recevoir ceux qui croiraient en lui. » — S. AUG. (Traité 32.) Cet esprit
était donc l'Esprit de Dieu, mais il n'était pas encore dans ceux qui croyaient
en Jésus-Christ, car le Seigneur avait résolu de ne leur donner l'Esprit saint
qu'après sa résurrection : « L'Esprit n'avait pas encore été donné, » parce que
Jésus-Christ n'était pas encore glorifié. — S. CHRYS. (hom. 51.) Les Apôtres chassaient d'abord les
démons, non par la vertu de l'Esprit-Saint, mais par la puissance qu'ils
avaient reçue de Jésus-Christ. En effet, lorsqu'il leur donnait leur mission,
on ne lit pas qu'il leur donna l'Esprit saint, mais le pouvoir de chasser les
démons. Quant aux prophètes, tous reconnaissent que l'Esprit saint leur était
donne, mais cette grâce avait cessé de se répandre sur la terre. — S. AUG. (de la Trin., 4, 20.) Mais
comment est-il dit de Jean-Baptiste : « Il sera rempli du Saint-Esprit dès le
sein de sa mère ? » Comment Zacharie est-il inspiré par ce divin Esprit pour
prédire la mission future du Précurseur ? Comment Marie elle-même est remplie
de l'Esprit saint pour annoncer les destinées de son divin Fils, aussi bien que
Siméon et Anne pour proclamer la grandeur de Jésus-Christ dès son berceau. La
seule explication qu'on puisse donner des paroles de l'Evangéliste, c'est que
l'Esprit saint devait être donné après la glorification de Jésus-Christ, comme
il ne l'avait jamais été auparavant, c'est-à-dire que l'effusion de ce divin
Esprit devait avoir un caractère d'efficacité qu'elle n'avait jamais été précédemment.
En effet, nous ne lisons nulle part que sous l'action de l'Esprit saint qui
descendait en eux, les hommes aient parlé des langues qu'ils ne connaissaient
pas, comme il arriva lors de la descente de l'Esprit saint, dont l'avènement
devait être démontré par des prodiges extérieurs et sensibles.
S. AUG. (Traité 32.)
Mais comment se fait-il que l'Esprit saint qui est encore actuellement reçu par
les fidèles, ne donne à personne de parler les langues de tous les peuples ?
C'est que l'Eglise parle elle-même la langue de toutes les nations ; et on ne
peut recevoir l'Esprit saint qu'autant qu'on est dans l'Eglise. Si vous aimez
l'unité, tout ce que possède chacun de vos frères est à vous. Bannissez l'envie
de votre cœur, et ce que j'ai vous appartient. L'envie sépare, la charité unit
; ayez la charité, et vous posséderez tout avec elle, et au contraire, tout ce
que vous pourrez avoir sans elle, ne vous servira de rien. Or, la charité de
Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit saint qui nous a été donné. (Rm
5) Mais pourquoi le Sauveur n'a-t-il voulu donner le Saint-Esprit qu'après
sa résurrection ? C'est pour nous apprendre qu'après cette résurrection
spirituelle, notre charité doit être ardente, nous séparer entièrement de
l'amour du siècle, et se diriger toute entière vers Dieu, car celui qui nous a
dit : « Celui qui croit en moi, qu'il vienne et qu'il boive, et des fleuves
d'eau vive couleront de son sein, » nous a promis la vie éternelle où nous
serons délivrés de tout danger, et affranchis de la crainte de la mort. C'est
donc à raison de ces magnifiques promesses qu'il a faites à ceux que l'Esprit
saint embraserait des feux de la charité, que le Sauveur n'a point voulu donner
ce divin Esprit avant d'être glorifié, pour nous donner dans son corps
ressuscité, un modèle de la vie que nous n'avons pas encore maintenant, mais
dont nous espérons jouir après notre résurrection.
S. AUG. (cont. Faust.,
32, 17.) Si donc la raison pour laquelle le Saint-Esprit n'était pas donné,
c'est que Jésus n'était pas encore glorifié, il devait l'envoyer aussitôt qu'il
serait glorifié. Les Cataphrygiens ont prétendu que c'est sur eux que le
Saint-Esprit est descendu en vertu de cette promesse, et sont tombés par là
dans l'hérésie. Les Manichéens affirment aussi que la promesse du Sauveur
d'envoyer l'Esprit saint s'est accomplie dans Manès et dans leur secte, comme
si ce divin Esprit n'avait pas été donné auparavant. — S. CHRYS. (hom. 51.) Ou bien
encore, cette gloire dont parle ici Jésus, c'est sa croix. Nous étions les
ennemis de Dieu, et comme ce sont nos amis et non pas nos ennemis que nous
comblons de nos dons, il était nécessaire que le Sauveur offrit à Dieu la
victime d'expiation, qu'il détruisît les inimitiés dans sa chair, et que
devenus ainsi les amis de Dieu, nous fussions capables de recevoir ses dons.
S. AUG. (Traité 33
sur S. Jean.) Lorsque le Seigneur eut invité ceux qui croyaient en lui,
à venir s'abreuver aux sources de l'Esprit saint, le peuple fut divisé à son
sujet : « Dès ce moment, parmi cette multitude qui avait entendu ses paroles,
quelques-uns disaient : Celui-ci est vraiment le prophète. » — THEOPHYL. C'est-à-dire, le prophète que
l'on attendait. Les autres, au contraire, c'est-à-dire le peuple, disaient :
C'est le Christ. — ALCUIN. Ils avaient déjà commencé à puiser à cette source
spirituelle, ils n'étaient plus tourmentés par la soif de l'infidélité, tandis
que les autres demeuraient dans la sécheresse de leur incrédulité : « Mais,
disaient les autres, est-ce que le Christ viendra de la Galilée ? L'Ecriture ne
dit-elle pas que c'est de la race de David et de la petite ville de Bethléem,
où naquit David, que le Christ doit venir ? » Ils connaissaient donc les
prophéties qui avaient le Christ pour objet, mais ils ne savaient pas qu'elles
avaient leur accomplissement en Jésus, ils savaient qu'il avait été élevé à
Nazareth, mais ils ne songeaient pas à s'informer du lieu de sa naissance, et
ils ne croyaient pas que la prophétie qu'ils avaient sous les yeux était
accomplie en lui. — S. CHRYS. (hom.
51) Admettons toutefois qu'ils ignoraient le lieu de sa naissance,
pouvaient-ils ignorer également la race d'où il sortait, sa naissance de la
maison et de la famille de David ? Pourquoi donc cette réflexion : « Est-ce que
le Christ ne doit pas sortir de la race de David ? » Mais c'est justement cette
circonstance qu'ils voulaient cacher, en alléguant son éducation à Nazareth, et
toutes leurs paroles sont inspirées par une profonde malice. Aussi voyez, ils
ne viennent pas trouver Jésus pour lui faire cette observation : Les Ecritures
disent que le Christ doit sortir de Bethléem, comment se fait-il que vous venez
de la Galilée ? Non encore une fois, et la malignité seule conduit leur langue
et dicte leurs paroles. Comme ils ne prêtaient aucune attention aux
enseignements du Sauveur et qu'ils n'avaient aucun désir de s'instruire,
Jésus-Christ ne leur fit aucune réponse, tandis qu'il avait donné les plus
grands éloges à Nathanaël, qui lui disait : « Est-ce qu'il peut venir
quelque chose de bon de Nazareth ? » (Jn 1) Parce qu'il était un vrai
Israélite, qu'il cherchait la vérité et qu'il était instruit à fond dans la
science des Ecritures de 1'ancionne loi.
« Le peuple était donc partagé à son sujet. » — THEOPHYL. Ce n'étaient pas les princes du peuple, ils
étaient trop bien d'accord pour ne pas le reconnaître comme le Christ. Ceux
dont la malice était moins profonde, se contentaient d'attaquer par leurs
paroles la gloire du Sauveur, mais ceux dont la méchanceté était extrême,
désiraient vivement se saisir de sa personne, et c'est de ces derniers dont
l'Evangéliste ajoute : « Quelques-uns d'entre eux voulaient le prendre. »
— S. CHRYS. (hom. 51.)
L'Evangéliste fait cette remarque, pour montrer qu'ils ne manifestaient dans
leur langage ni le désir de chercher la vérité, ni le désir de la dire :
« Mais personne ne mit la main sur lui. » — ALCUIN. C'est-à-dire qu'ils eu furent empêchés par celui qui
avait la puissance de réprimer leurs efforts. — S. CHRYS. (hom. 51.) Cette seule circonstance aurait dû suffire
pour leur inspirer un profond repentir, ils n'en firent rien. Tel est le
caractère propre de la méchanceté, elle ne veut céder à personne, et n'a qu'une
chose en vue, c'est de mettre à mort celui à qui elle tend des embûches.
S. AUG. (Traité 33.) Ceux qui avaient été envoyés pour se saisir
de Jésus, revinrent sans s'être souillés de ce crime et remplis d'admiration :
« Lors donc que les gardes revinrent vers les pontifes et les pharisiens,
ceux-ci leur dirent : Pourquoi ne l'avez-vous pas amené ? » — ALCUIN. Ils n'ont pu eux-mêmes se
saisir de sa personne lorsqu'ils ont voulu le lapider, et ils reprochent à
leurs émissaires de ne l'avoir point amené. — S. CHRYS. (hom. 52.) Les pharisiens et les scribes,
témoins des miracles de Jésus, et versés dans la science des Ecritures, n'en
tirent aucun profit; leurs gardes, qui n'ont en aucun de ces avantages, sont
gagnés par un seul des discours du Sauveur; ils étaient envoyés pour le charger
de chaînes, et ils reviennent enchaînés par l'admiration dont ils sont remplis.
Et ils ne disent pas : Nous n'avons pu nous saisir de sa personne à cause de la
foule, mais ils proclament hautement la sagesse de Jésus-Christ : « Jamais
homme n'a parlé comme cet homme. » — S. AUG. (Traité 33.) Or, il parlait
de la sorte, parce qu'il était Dieu et homme tout ensemble. — S. CHRYS. (hom. 52.) Nous ne devons
pas seulement admirer la prudence de ces hommes qui, sans avoir besoin de
miracles, se laissent gagner par l'attrait de la doctrine du Sauveur (en effet,
ils ne disent pas : Jamais homme n'a fait de tels miracles, ils disent : «
Jamais homme n'a parlé comme cet homme, ») mais encore leur courage, la liberté
avec laquelle ils s'expliquent de la sorte devant les pharisiens qui étaient
les ennemis de Jésus-Christ. Le Sauveur cependant ne leur avait point parlé
longuement, mais lorsque l'âme n'est pas viciée, elle n'a pas besoin de longs
discours.
S. AUG. (Traité 33.)
Mais les pharisiens ne se rendirent point à leur témoignage : « Les pharisiens
leur répliquèrent : Avez-vous été séduits, vous aussi ? » C'est-à-dire, nous
voyons que vous avez trouvé un véritable charme dans ses discours. — ALCUIN. Et en effet, ils avaient été
heureusement séduits, parce qu'ils avaient renoncé au malheur de l'incrédulité
pour embrasser la foi. — S. CHRYS. (hom.
52.) Voyez quel raisonnement insensé et pitoyable leur font les pharisiens
: « Est-il quelqu'un d'entre les chefs du peuple ou d'entre les pharisiens
qui aient cru en lui ? Pour cette populace qui ne connaît point la loi, ce sont
des gens maudits. » Mais c'est justement le plus grand chef d'accusation
contre eux, que la foule ait cru en Jésus-Christ, tandis qu'ils ont eux-mêmes
refusé de croire. — S. AUG. (Traité
33.) Ceux qui n'avaient point la connaissance de la loi, croyaient
en celui qui avait donné la loi, et les docteurs de la loi ne craignaient pas
de condamner l'auteur même de la loi, accomplissant ainsi ces paroles du
Seigneur : « Je suis venu en ce monde pour le jugement, afin que ceux qui ne
voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » (Jn 9,
39.) — S. CHRYS. (hom. 52.)
Comment peut-on appeler maudits ceux qui se laissent persuader par la loi (ou
qui obéissent à la loi) ? Les maudits sont bien plutôt ceux qui, comme vous,
n'observent pas la loi. — THEOPHYL. Les
pharisiens gardent quelque modération et quelque douceur dans leur réponse à
ceux qu'ils avaient envoyés, dans la crainte de les voir se séparer
complètement d'eux pour s'attacher à Jésus-Christ.
S. CHRYS. (hom. 52.)
Ils venaient d'objecter qu'aucun des princes du peuple n'avait cru en Jésus,
raison dont l'Evangéliste fait voir la fausseté, en ajoutant : « Nicodème, l'un
d'entre eux, celui qui était venu de nuit trouver Jésus, leur dit : » — S. AUG. (Traité 33.) Il n'était pas
incrédule mais timide dans sa foi, c'est pour cela qu'il était venu de nuit
trouver la lumière ; il voulait être éclairé, mais il craignait d'être connu.
Il répondit donc aux Juifs : « Notre loi condamne-t-elle un homme sans l'avoir
entendu et sans avoir instruit sa cause ? Il espérait que si les pharisiens
consentaient seulement à l'entendre patiemment, ils éprouveraient la même
impression que ceux qu'ils avaient envoyés pour se saisir de lui, et qui
aimèrent mieux croire en lui ; mais ces hommes, profondément pervers, voulaient
condamner avant de connaître. — S. AUG.
(de la Cité de Dieu, 22, 1.) Nicodème appelle la loi de Dieu, «
notre loi, » parce que Dieu l'a donnée aux hommes.
S. CHRYS. (hom. 52.)
Nicodème leur prouve donc à la fois qu'ils ne connaissent point la loi et
qu'ils ne l'observent point. Mais les pharisiens, au lieu de montrer, comme ils
auraient dû le faire, qu'ils avaient eu raison d'envoyer se saisir de la
personne de Jésus, se laissent aller aux propos injurieux et outrageants : «
Ils lui répondirent : Est-ce que vous êtes aussi Galiléen ? »— S. AUG. (Tr. 33.) C'est-à-dire,
séduit par le Galiléen, car le Sauveur était appelé Galiléen, parce que ses
parents habitaient Nazareth ; je dis ses parents du côté de Marie et non du
côté d'un père qu'il n'eut point sur la terre. — S. CHRYS. (hom. 52.)
Ils ajoutent ce reproche blessant pour Nicodème, d'ignorer les Ecritures : «
Examinez les Ecritures, lui disent-ils, et vous verrez que de la Galilée il ne
sort point de prophète ; » absolument comme s'ils lui disaient : Allez et instruisez-vous.
— ALCUIN. Leur attention ne se
portait que sur le lieu où il passait sa vie, et non sur le lieu de sa
naissance, c'est pourquoi ils refusaient de le reconnaître, non-seulement pour
le Messie, mais pour un simple prophète. » — S. AUG. (Traité 33.) La Galilée ne voit point sortir de
prophète de son sein, mais elle a vu s'élever au milieu d'elle le Seigneur, des
prophètes.
« Et il s'en retournèrent, chacun eu sa maison. — ALCUIN. Ils retournèrent dans la maison
de leur incrédulité et de leur impiété, sans avoir rien fait, vides de foi et
sans aucun résultat utile pour le salut de leurs âmes.
alguin. (1) Nôtre-Seigneur, aux approches de sa passion, avait coutume de
passer le jour dans le temple de Jérusalem pour y prêcher la parole de Dieu et
y opérer dos miracles en prouve de sa divinité ; il retournait le soir à
Béthanie où il demeurait chez les sœurs de Lazare, et le lendemain il revenait
à Jérusalem pour y recommencer les mêmes œuvres. C'est d'après cette coutume
qu'après avoir enseigné tout le jour dans le temple le dernier jour de la fête
des Tabernacles, nous le voyons se retirer le soir sur le mont des Oliviers,
selon la remarque de l'Evangéliste. — S. AUG.
(Traité 33 sur S. Jean.) Où convenait-il que le Christ
enseignât, si ce n'est sur le mont des Oliviers, sur lu montagne des parfums,
sur la montagne de l'onction ? En effet, le nom de Christ vient d'onction, et
le mot grec χρίμα chrême veut dire en latin unctio onction.
Or, Dieu nous a donné cette onction pour faire de nous de forts lutteurs contre
le démon. — ALCUIN. L'onction
procure du soulagement aux membres fatigués et souffrants. Le mont des Oliviers
signifie aussi la sublimité de la bonté du Sauveur, parce que le mot grec
έλεος veut dire en latin misericordia, miséricorde.
La nature de l'huile se prête parfaitement à cette signification mystérieuse,
car elle surnage au-dessus de tous les antres liquides, et comme le chante le
Psalmiste : Ses miséricordes sont au-dessus de toutes ses oeuvres : « Et dès le
point du jour il retourna dans le temple, » pour nous donner un symbole de sa
miséricorde qu'il faisait éclater aux yeux des fidèles, concurremment avec la
lumière naissante du Nouveau Testament. En effet, en revenant au point du jour,
il annonçait l'aurore de la grâce de la loi nouvelle.
BEDE. Il voulait encore signifier que dès qu'il commença d'habiter par sa
grâce dans son temple, c'est-à-dire dans son Eglise, la foi en lui trouva des
adhérents dans toutes les nations : « Et tout le peuple vint à lui, dit
l'Evangéliste, et s'étant assis, il les enseignait. » — ALCUIN. L'action de s'asseoir signifie
l'humilité de l'incarnation. Lors donc que Je Seigneur fut assis, le peuple
vint à lui, parce qu'en effet, lorsqu'il se fut rendu visible par son incarnation,
un grand nombre commencèrent à écouter ses enseignements et à croire en celui
que son humanité rapprochait d'eux. Mais tandis que les simples et les humbles
sont dans l'admiration des paroles du Sauveur, les scribes et les pharisiens
lui font des questions, non pour s'instruire, mais pour tendre des pièges à la
vérité : « Alors les scribes et les pharisiens lui amenèrent une femme surprise
en adultère, et ils la placèrent au milieu de la foule, et ils lui dirent :
Maître, celte femme vient d'être surprise en adultère. » — S. AUG. (Traité 33.) Ils avaient
remarqué l'excessive douceur du Sauveur, car c'est de lui que le Roi-prophète
avait prédit : « Avancez-vous, soyez heureux, et établissez votre règne par la
vérité, parla douceur et par la justice. » (Ps 44, 5) Il nous a donc
apporté la vérité comme docteur, la douceur comme notre libérateur, et la
justice comme celui qui connaît tout. Lorsqu'il ouvrait la bouche, la vérité
éclatait dans ses paroles ; on admirait sa douceur dans le calme et la modération
qu'il gardait vis-à-vis de ses ennemis, ils cherchent donc à lui tendre un
piège sur le troisième point, celui de la justice. Voilà, en effet, ce qu'ils
se dirent entre eux : S'il déclare qu'il faut renvoyer cette femme, il
n'observera pas les prescriptions de la justice ; car la loi ne pouvait
commander de faire quelque chose d'injuste ; aussi ont-ils soin d'apporter le
témoignage de la loi : « Or, Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider les
adultères. » Mais Jésus, pour ne point perdre la réputation de douceur qui l'a
rendu aimable au peuple, déclarera qu'il faut la renvoyer sans la punir. Ils
lui demandent son avis sur ce point : « Vous donc que dites-vous ? » En
agissant de la sorte, se disaient-ils, nous trouverons l'occasion de l'accuser,
et nous le traduirons comme coupable et prévaricateur de la loi. C'est la
réflexion que fait l'Evangéliste : « C'était pour le tenter qu'ils
l'interrogeaient ainsi, afin de pouvoir l'accuser. »
Mais le Seigneur, dans la réponse qu'il leur fait, restera fidèle à la
justice, sans s'écarter de sa douceur habituelle : « Mais Jésus, se baissant,
écrivait du doigt sur la terre. » — S. AUG.
(de l'acc. Des Evang., 4, 18.) Il signifiait ainsi que le nom de
ces hommes ne serait pas écrit dans le ciel, où ses disciples devaient se
réjouir de voir leurs noms écrits ; ou bien, il voulait montrer que c'est en
s'humiliant (comme l'indiquait l'action de se baisser), qu'il opérait des
miracles sur la terre ; ou bien enfin, il voulait enseigner que le temps était
venu d'écrire la loi, non plus sur une pierre stérile, mais sur une terre qui
pourrait produire des fruits. — ALCUIN. La terre est en effet le symbole du
cœur humain qui produit ordinairement le fruit des bonnes et des mauvaises
actions ; le doigt qui doit sa souplesse à la flexibilité des articulations,
figure la subtilité du discernement. Jésus nous apprend donc à ne pas condamner
aussitôt et avec précipitation le mal que nous pouvons apercevoir dans nos
frères, mais à rentrer humblement dans notre conscience, et à l'examiner à fond
et avec le plus grand soin, comme avec le doigt du discernement. — BEDE. Quant au sens qu'on peut appeler
historique, Jésus, en écrivant de son doigt sur la terre, prouvait que c'était
lui qui avait autrefois écrit la loi sur la pierre.
« Comme ils continuaient à l'interroger, il se redressa. » — S. AUG. (Traité
34.) Il ne leur dit pas : Elle ne doit pas être lapidée, pour ne pas se
mettre en opposition avec la loi ; encore moins leur dit-il : Qu'elle soit
lapidée, car il n'est point venu perdre ce qu'il avait trouvé, mais chercher ce
qui avait péri. Quelle est donc sa réponse ? « Que celui de vous qui est sans
péché, jette le premier la pierre contre elle. » C'est la voix de la justice
elle-même : Que la pécheresse soit punie, mais non point par les pécheurs, que
la loi soit exécutée, mais non par les prévaricateurs de la loi. — S. GREG. (Moral., 14, 13 ou 15.)
Celui qui ne commence point par se juger tout d'abord, est incapable de porter
un jugement juste sur les autres ; malgré les renseignements extérieurs qu'il
peut recueillir, il ne peut apprécier avec, équité le mérite des actions du
prochain, si la conscience de son innocence personnelle ne lui donne pas une
règle sûre de jugement.
S. AUG. (Traité 34.)
Après les avoir ainsi percés du trait de la justice, le Sauveur ne daigne même
pas jeter un regard sur leur humiliation, il détourne les yeux : « Et se
baissant de nouveau, il écrivait sur la terre. » — ALCUIN. On peut dire encore que le Sauveur, comme cela arrive
souvent, paraissait faire une chose, tout en fixant son attention sur une
autre, pour leur laisser la liberté de se retirer. Il nous apprend on même
temps d'une manière figurée qu'avant de reprendre nos frères de leurs fautes,
comme après avoir rempli le devoir de la correction, nous devons examiner
sérieusement si nous ne sommes pas coupables des mêmes fautes ou d'autres
semblables. — S. AUG. (Traité 34.) Frappés tous par la voix de la
justice comme par un trait perçant et se reconnaissant coupables, ils se
retirèrent les uns après les autres : « Ayant entendu cette parole, ils s'en
allèrent l'un après l'autre, à commencer par les plus anciens. » — LA GLOSE. C'étaient peut-être les plus
coupables, ou du moins ceux qui connaissaient plus leurs crimes.
S. AUG. (Traité 34.) Ils restèrent deux, la misère et la
miséricorde, c'est-à-dire qu'il ne resta que Jésus et la femme qui était au
milieu de la foule. Cette femme, je le suppose, fut saisie d'effroi, elle
pouvait craindre d'être punie par celui qu'il lui était impossible de
convaincre de péché. Mais ce bon Sauveur qui avait confondu ses ennemis par le
langage de la justice, leva sur elle les yeux de la douceur et lui fit une
question : « Alors, Jésus, se relevant, lui dit : Femme, où sont ceux qui vous
accusaient ? Personne ne vous a condamnée ? Elle répondit : Personne, Seigneur.
» Nous avons entendu la voix de la justice, entendons maintenant la voix de la
douceur : « Et Jésus lui dit : Ni moi non plus je ne vous condamnerai, » bien
que vous ayez pu le craindre, parce que vous n'avez pas trouvé de péché en moi.
Quelle est donc, cette conduite, Seigneur ? Vous vous montrez favorable au
péché ? Non, assurément. Ecoutez ce qui suit : « Allez, et ne péchez plus. »
Vous le voyez donc, le Seigneur condamne le péché, mais il ne condamne pas
l'homme ; s'il favorisait le péché, il aurait dit à cette femme : Allez et
vivez comme vous l'entendez. Soyez assurée que je serai votre libérateur,
quelque énormes que soient vos crimes, je vous délivrerai de l'enfer et de ses
supplices, mais tel n'est point son langage. Que ceux qui aiment dans le
Seigneur la douceur et craignent la vérité, pèsent avec attention ces paroles :
« Car le Seigneur est plein de douceur et de droiture. » (Ps 24)
ALCUIN. Le pardon que Notre-Seigneur venait d'accorder à cette femme, pouvait
faire naître dans l'esprit de ceux qui ne voyaient en lui qu'un homme le doute
qu'il pût remettre les péchés, aussi croit-il devoir mettre dans un plus grand
jour sa puissance divine : « Jésus leur parla de nouveau, disant : Je suis la
lumière du monde. » — BEDE. Remarquez
qu'il ne dit pas : Je suis la lumière des anges, ou la lumière du ciel, mais :
« La lumière du monde, » c'est-à-dire des hommes qui demeurent dans les
ténèbres, selon cette prophétie de Zacharie dans saint Luc : « Pour
éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort. » —
S. CHRYS. (hom. 52 sur
S. Jean.) Ou bien encore, comme ils avaient toujours à la bouche la
Galilée, et qu'ils doutaient s'il n'était pas un prophète, il veut leur prouver
qu'il n'est pas un des prophètes, mais qu'il est le maître de l'univers entier
: « Jésus leur parla de nouveau, disant : Je suis la lumière du monde, » et non
pas seulement la lumière de la Galilée, de la Palestine, de la Judée.
S. AUG. (Traité 34.) Les Manichéens ont cru que le soleil qui
éclaire les yeux de notre corps était Nôtre-Seigneur Jésus-Christ ; mais
l'Eglise catholique condamne cette interprétation, car Notre-Seigneur
Jésus-Christ n'est point ce soleil qui a été créé, mais celui par lequel le
soleil a été créé. Toutes choses, en effet, ont été faites par lui, et cette
lumière qui a créé le soleil s'est faite visible pour nous sous le soleil, elle
s'est couverte de la chair comme d'un nuage, non pour obscurcir, mais pour
tempérer son éclat, c'est donc en parlant à travers le nuage de la chair, que
la lumière indéfectible, la lumière delà sagesse a dit aux hommes : « Je suis
la lumière du monde. » — THEOPHYL. Vous
pouvez vous servir de ces paroles pour combattre l'erreur de Nestorius. Nôtre-Seigneur,
en effet, n'a pas dit : La lumière du monde est en moi, mais : « Je suis la
lumière du monde ; » car celui qui paraissait être un homme ordinaire, était en
même temps le Fils de Dieu et la lumière du monde ; et le Fils de Dieu
n'habitait pas seulement dans l'homme, comme le prétendait sans fondement
Nestorius.
S. AUG. (Traité 31.) Le Sauveur vous rappelle des yeux du
corps aux yeux du cœur par les paroles qui suivent : « Celui qui me suit ne
marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie ; car il ne lui
suffisait pas de dire : « Il aura la lumière, » mais il ajoute : « De vie.
» Ces paroles du Sauveur s'accordent avec ces autres du psaume 33 : « Nous
verrons la lumière dans votre lumière, parce qu'en vous est une source de vie.
» Dans les choses extérieures qui sont à l'usage du corps, la lumière est
différente de la source. La gorge altérée cherche la source, les yeux demandent
la lumière ; mais en Dieu la lumière est la même chose que la source, Dieu est
tout à la fois la lumière qui brille pour vous éclairer, et la source qui coule
pour étancher votre soif. L'effet de la promesse est au futur, dans les paroles
du Sauveur, ce que nous devons faire est au présent : « Celui qui me suit,
aura, » il me suit actuellement par la foi, il me possédera plus tard dans ma
nature. Suivez ce soleil visible, vous irez nécessairement à l'Occident, où il
se dirige lui-même ; et quand vous ne voudriez pas l'abandonner, il vous
abandonnera lui-même. Votre Dieu, au contraire, est tout entier en tout lieu,
et il n'aura jamais pour vous de couchant, si vous n'avez pas pour lui de
défaillance. Les ténèbres les plus à craindre sont celles des mœurs et non les
ténèbres des yeux, on du moins ce ne sont que les ténèbres des yeux intérieurs
à l'aide desquels on distingue non le blanc du noir, mais le juste de
l'injuste. — S. CHRYS. (hom. 52.)
C'est dans un sens spirituel qu'il faut entendre ces paroles : « Il ne demeure
pas dans les ténèbres, » c'est-à-dire, il ne demeure pas dans l'erreur. Le
Sauveur donne ici des éloges à Nicodème et aux serviteurs envoyés par les
pharisiens, tandis que pour ces derniers il laisse à entendre qu'ils sont des
artisans de ruses et de fraudes, qu'ils sont dans les ténèbres et dans
l'erreur, mais que cependant ils ne triompheront point de la lumière.
S. CHRYS. (hom. 52 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de
déclarer qu'il était la lumière du monde, et que celui qui le suivait ne
marchait pas dans les ténèbres ; les Juifs cherchent à détruire l'effet de ces
paroles : « Alors les pharisiens lui dirent : Vous vous rendez témoignage à
vous-même, » etc. — ALCUIN. Ils
s'expriment vis-à-vis du Sauveur, comme s'il était le seul à se rendre
témoignage, quoiqu'il fût certain que bien longtemps avant son incarnation, il
s'était fait précéder par un grand nombre de témoins qui prédirent les mystères
de sa vie.
S. CHRYS. (hom. 52.)
Le Sauveur combat à son tour la raison qu'ils viennent de lui opposer : « Jésus
leur répondit : Bien que je rende témoignage de moi-même, mon témoignage est
vrai. » Parlant de la sorte, il se conforme à l'opinion des Juifs, qui
pensaient qu'il n'était qu'un homme, et il donne la raison de ce qu'il vient
d'avancer : « Parce que je sais d'où je viens et où je vais, » c'est-à-dire,
que je suis de Dieu, Dieu moi-même, et Fils de Dieu. Il ne s'exprime pas aussi
clairement suivant son habitude de voiler sous un langage plein d'humilité les
vérités les plus élevées. Or, Dieu est pour lui un témoin assez digne de foi. —
S. AUG. (Traité 35 sur
S. Jean.) En effet, le témoignage de la lumière est véritable, soit qu'elle
se découvre elle-même, soit qu'elle se répande sur d'autres objets. Un prophète
annonce la vérité, mais à quelle source a-t-il puisé ses oracles ? A la source
même de la vérité. Jésus pouvait donc parfaitement se rendre témoignage à
lui-même. Il déclare qu'il sait d'où il vient et où il va, et il veut parler de
son Père, car le Fils rendait gloire au Père qui l'avait envoyé, à combien plus
forte raison l'homme doit-il glorifier le Dieu qui l'a créé ? Toutefois le Fils
de Dieu ne é'est point séparé de son Père en venant vers nous, de même il ne
nous a pas délaissés en retournant vers lui. Qu'y a-t-il en cela d'étonnant
puisqu'il est Dieu ? Au contraire, cela est impossible à ce soleil visible, qui,
lorsqu'il tourne vers l'Occident quitte nécessairement l'Orient. Or, de même
que ce soleil visible répand sa lumière sur le visage de celui qui a les yeux
ouverts et sur celui de l'aveugle, avec cette différence que l'un la voit et
l'autre ne la voit pas : ainsi la sagesse de Dieu, c'est-à-dire, le Verbe de
Dieu, est présent en tous lieux, même aux yeux des infidèles qui ne peuvent le
voir, parce qu'ils n'ont pas les yeux du cœur. C'est donc pour établir cette
différence entre ceux qui lui sont fidèles et les Juifs ses ennemis, comme
entre les ténèbres et la lumière, que le Sauveur ajoute : « Pour vous, vous ne
savez ni d'où je viens ni où je vais. » Ces Juifs voyaient donc en lui un homme
et ne pouvaient croire qu'il fût Dieu, c'est pourquoi il leur dit encore : «
Vous, vous jugez selon la chair, lorsque vous dites : Vous rendez témoignage de
vous-même, votre témoignage n'est pas véritable. » — THEOPHYL. C'est-à-dire,
vous me voyez revêtu d'un corps mortel, vous concluez que je ne suis qu'un
homme, et vous ne voulez pas croire que je suis Dieu, c'est en quoi vous vous
trompez en jugeant selon la chair. — S. AUG.
(Traité 36.) Comme vous ne pouvez comprendre que je sois Dieu, et
que vous ne voyez en moi qu'un homme, vous regardez comme une témérité
présomptueuse que je me rende témoignage à moi-môme, car tout homme qui veut se
rendre un témoignage favorable encourt le soupçon d'orgueil et de présomption.
Les hommes sont faibles de leur nature, ils peuvent dire la vérité, ils peuvent
aussi mentir, mais pour la lumière elle est incapable de mentir.
S. CHRYS. (hom. 52.)
Ou bien encore, vivre selon la chair, c'est vivre d'une manière coupable, ainsi
juger selon la chair, c'est faire des jugements injustes. Et comme ils
pouvaient lui dire : Si nous jugeons injustement, pourquoi ne pas démontrer
l'injustice de nos jugements, pourquoi ne pas nous condamner ? Il ajoute : «
Moi, je ne juge personne. » — S. AUG. (Traité
36.) Ce qui peut s'entendre de deux manières : Je ne juge personne
actuellement, comme il dit dans un autre endroit : « Je ne suis pas venu pour
juger le monde, mais pour sauver le monde. » Il ne nie pas le pouvoir qu'il a
de juger, il en diffère l'exercice. Ou bien encore, il venait de leur dire : «
Vous, vous jugez selon la chair, » et il ajoute : « Pour moi, je ne juge
personne, » sous-entendez selon la chair, c'est-à-dire, que Jésus-Christ ne
juge pas comme il a été jugé. Car afin que chacun reconnaisse que le Sauveur
est juge dès maintenant, il ajoute : « Et si je juge, mon jugement est vrai. »
S. CHRYS. (hom. 52.)
Tel est donc le sens de ses paroles, si je vous dis : « Je ne juge personne ; »
ce n'est pas que je ne sois sûr de mon jugement, car si je voulais juger, mon
jugement serait juste, mais le temps déjuger n'est pas encore venu. Il leur
annonce ensuite indirectement le jugement futur en ajoutant : « Parce que je ne
suis pas seul, mais moi et mon Père qui m'a envoyé, » et leur apprend que son
Père doit se joindre à lui pour les condamner. Il répond ainsi en se conformant
à leurs pensées, car ils ne croyaient pas que le Fils fut digne de foi, à moins
de joindre le témoignage du Père à son propre témoignage.
S. AUG. (Traité 36.) Mais si le Père est avec vous, comment vous
a-t-il envoyé ? Donc, Seigneur, votre mission, c'est votre incarnation. Le Fils
de Dieu incarné, le Christ était donc avec nous sans qu'il eût quitté son Père,
parce que le Père et le Fils étaient partout en vertu de l'immensité divine. Rougissez donc, disciple de
Sabellius, car Jésus ne dit pas : Je suis le Père, et en même temps : Je suis
le Fils, mais : « Je ne suis pas seul, parce que mon Père est avec moi. »
Distinguez donc les personnes, faites cette distinction par l'intelligence,
reconnaissez que le Père est le Père, et que le Fils est le Fils, mais ne dites
pas : Le Père est plus grand, le Fils lui est inférieur. Ils ont une même
substance, une même éternité, une égalité parfaite. Donc, dit le Sauveur, mon
jugement est vrai, parce que je suis le Fils de Dieu. Comprenez cependant dans
quel sens le Père est avec moi, je ne suis pas son Fils, de manière à être
séparé de lui, j'ai pris la forme de serviteur, mais je n'ai pas perdu celle de
Dieu.
Après avoir parlé du jugement, il en vient au témoignage : « Il est
écrit dans votre loi que le témoignage de deux hommes est vrai. » — S. AUG. (contr. Faust., 16, 13.)
Les manichéens vont-ils trouver dans ces paroles un nouveau sujet de calomnie,
parce que le Sauveur ne dit pas : Il est écrit dans la loi de Dieu, mais ; « Il
est écrit dans votre loi ? » Qui ne reconnaît ici une expression consacrée dans
les Ecritures ? Votre loi signifie ici la loi qui vous a été donnée, de même
que l'Apôtre appelle son Evangile (Rm 2), l'Evangile qu'il déclare avoir
reçu, non par un homme, mais par la révélation de Jésus-Christ. (Ga 2)
S. AUG. (Traité 36.)
Ces paroles que Dieu dit à Moïse : « Que tout soit assuré par la déposition de
deux ou trois témoins, » (Dt 19, 18) ne laissent pas de soulever une
grande difficulté et paraissent renfermer un sens mystérieux ; car il peut
arriver que deux témoins se rendent coupables de mensonge. La chaste Suzanne
était accusée par deux faux témoins (Dn 13) ; le peuple juif tout entier
se rendit coupable de calomnies atroces contre Jésus-Christ (Mt 27) ; comment donc entendre ces paroles
: « Tout sera assuré par la déposition de deux ou trois témoins, » si nous n'y
voyons une allusion mystérieuse à la sainte Trinité, qui possède éternellement
l'immuable vérité ? Recevez donc, dit le Sauveur, notre témoignage, si vous ne
voulez éprouver la rigueur de notre jugement ; je diffère le jugement, mais je
ne diffère point le témoignage : « Or, je rends moi-même témoignage de
moi, » etc. — BEDE. Nous voyons
dans bien des passages de l'Ecriture, que le Père rend témoignage à son Fils, comme dans le Psaume 2
: « Je vous ai engendré aujourd'hui, » et dans saint Matthieu (3 et 17), où le Père dit de lui :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé. »
S. CHRYS. (hom. 52.)
Ou bien encore, si l'on prend cette parole dans le sens le plus simple, elle
présente une véritable difficulté. Parmi les hommes, il a été établi que toute
déposition doit être appuyée sur le témoignage de deux ou trois témoins, parce
qu'un seul témoin n'est pas digne de foi ; mais comment faire à Dieu
l'application de cette règle ? Cependant cette proposition n'a point d'autre
raison d'être. Parmi les hommes, lorsque deux témoins déposent sur un fait qui
ne leur est point personnel, leur témoignage est vrai, parce que c'est le
témoignage de deux personnes distinctes, mais si l'un des deux vient à se
rendre témoignage à lui-même, ce ne sont plus deux témoins, il n'y a plus qu'un
seul. Nôtre-Seigneur ne s'est donc exprimé de la sorte que pour montrer qu'il
n'est pas inférieur a son Père, autrement il n'aurait pas dit : « Moi et mon
Père qui m'a envoyé. » Considérez encore que sa puissance n'est en rien
au-dessous de celle de son Père. Lorsqu'un homme est par lui-même digne de foi,
il n'a pas besoin d'un autre témoignage, lorsqu'il s'agit d'un fait qui lui est
étranger ; mais dans une affaire personnelle où il a besoin du témoignage
d'autrui, il n'est plus également digne de foi. Ici c'est tout le contraire, le
Sauveur rend témoignage dans sa propre cause, tout en ayant pour lui le
témoignage d'un autre, et il se déclare digne de foi.
ALCUIN. On peut encore entendre ces paroles dans ce sens : Votre loi reçoit
comme vrai le témoignage de deux hommes qui peuvent être trompés et tromper
eux-mêmes, ou faire des déclarations fausses et incertaines, pourquoi donc
refusez-vous d'admettre comme véritable le témoignage de mon Père et le mien,
qui a pour lui la garantie de la plus haute vérité ?
S. AUG. (Traité 37 sur S. Jean.) Notre-Seigneur avait
reproché aux Juifs de juger selon la chair, et ils justifient la vérité de ce
reproche, en prenant dans un sens charnel le Père dont il leur parlait : « Ils
lui dirent donc : Où est votre Père, » etc. C'est-à-dire, nous vous avons
entendu dire : « Je ne suis pas seul, mais moi et le Père qui m'a envoyé ; »
cependant nous ne voyons que vous, montrez-nous donc que votre Père est avec
vous.
THEOPHYL. Il on est qui voient dans ces paroles des Juifs, une
intention d'outrager le Sauveur et de le couvrir de mépris ; ils lui demandent
insolemment où est son Père, comme s'il était le fruit de la fornication, ou
comme s'il était le Fils d'un père inconnu ou d'un homme d'une condition
obscure, tel qu'était Joseph, qui passait pour être son père. Ils semblent lui
dire : Votre père est un homme sans considération, sans nom dans le monde,
pourquoi nous parler sans cesse de votre Père ? Ce n'est point par le désir de
s'instruire, mais pour éprouver le Sauveur qu'ils lui adressent cette question
; aussi ne veut-il pas y répondre, et il se contente de leur dire : « Vous ne
me connaissez, ni moi ni mon Père. »
S. AUG. (Traité 37.) C'est-à-dire, vous me demandez où est mon
Père, comme si vous me connaissiez déjà, comme si je n'étais que ce que vous
voyez. Or, c'est parce que vous ne me connaissez pas, que je ne veux pas vous
faire connaître mon Père ; vous ne voyez en moi qu'un homme, et par-là même
vous me cherchez un Père qui ne soit aussi qu'un homme. Mais comme
indépendamment de ce que vous voyez, je suis encore autre chose que vous ne
voyez pas, et qu'inconnu de vous, je vous parle ; de mon Père qui vous est
également inconnu, il faudrait que vous me connaissiez d'abord avant de
connaître mon Père : « Si vous me connaissiez, ajoute-t-il, peut-être
connaîtriez-vous mon Père. » — S. CHRYS. (hom. 52.) En leur parlant de
la sorte, il leur fait voir qu'il ne leur sert de rien de connaître le Père,
s'ils ne connaissent le Fils.
ORIG. (Traité 19 sur S. Jean.) Il semble y avoir contradiction entre ce que
dit ici Nôtre-Seigneur : « Vous ne me connaissez ni moi ni mon Père, » et ce
qu'il a dit plus haut : « Vous savez qui je suis et d'où je suis. » Mais cette
espèce de contradiction disparaît, lorsqu'on fait attention que ces paroles : «
Vous savez qui je suis, » s'adressent à quelques habitants de Jérusalem, qui
disaient : « Est-ce que les chefs de la nation ont reconnu qu'il était le
Christ ? » Tandis que c'est aux pharisiens que le Sauveur dit : « Vous ne me
connaissez pas. » Cependant il est vrai que dans ce qui précède, nous voyons
Jésus dire aux habitants de Jérusalem : Celui qui m'a envoyé est véridique, et
vous ne le connaissez pas. On se demande donc, comment il a pu dire ici : « Si
vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père, » alors que les habitants
de Jérusalem, à qui il dit ailleurs : « Vous savez qui je suis, » n'ont pas
connu son Père. Nous répondons que le Sauveur parle tantôt de lui en tant qu'il
est homme, et tantôt en tant qu'il est Dieu. Ces paroles : « Vous savez qui je
suis, » doivent s'entendre de lui comme homme ; et ces autres : « Vous ne me
connaissez pas, » veulent dire : Vous ne me connaissez pas comme Dieu. — S. AUG. (Traité 37.) Que signifient
ces paroles : « Si vous me connaissiez vous connaîtriez mon Père, » si ce n'est
: « Mon Père et moi nous ne faisons qu'un. » (Jn 10, 30.) Lorsque vous
rencontrez une personne qui ressemble à une autre, vous dites tous les jours :
Si vous avez vu l'une, vous avez vu l'autre, et c'est la ressemblance parfaite
de ces deux personnes qui vous fait tenir ce langage. Voilà aussi pourquoi
Nôtre-Seigneur dit aux Juifs : Si vous me connaissiez, vous connaîtriez mon
Père, non que le Père soit le Fils, mais parce que le Fils est semblable au
Père.
THEOPHYL. Que les ariens rougissent en entendant ces paroles, car si,
comme ils le prétendent, le Fils est une simple créature, comment celui qui
connaît cette créature peut connaître par là même Dieu. Est-ce que celui qui
connaît la nature d'un ange, connaît par là même la nature divine ? Donc
puisque celui qui connaît le Fils, connaît le Père, le Fils est nécessairement
consubstantiel au Père.
S. AUG. (Traité 37.) Cette locution « peut-être, » qui parait
être une expression dubitative, est une parole de reproche ; ainsi les hommes
s'expriment d'une manière dubitative sur des choses qu'ils regardent comme
certaines, par exemple, dans un mouvement d'indignation contre votre serviteur,
vous lui dites : Tu me méprises, veuille y réfléchir, peut-être suis-je ton
maître. C'est ainsi que Notre-Seigneur s'exprime vis-à-vis des Juifs infidèles,
lorsqu'il leur dit : « Peut-être connaîtriez-vous aussi mon Père. »
ORIG. Examinons ici l'opinion de certains hérétiques qui prétendent
pouvoir prouver clairement par ces paroles, que le Dieu qu'adoraient les Juifs
n'était pas le Père de Jésus-Christ; car, disent-ils, c'est aux pharisiens qui
adoraient un Dieu maître du monde, que le Sauveur tenait ce langage. Or, il est
certain que les pharisiens n'ont jamais connu un Père de Jésus différent du
Créateur du monde. En parlant de la sorte, ces hérétiques ne réfléchissent pas
sur le langage ordinaire des Ecritures. En effet, qu'un homme veuille nous
exposer les notions sur la divinité, qu'il doit à l'instruction que lui ont
donnée ses parents, sans prendre soin d'y conformer sa conduite ; nous disons
qu'il n'a pas la connaissance de Dieu ; voilà pourquoi l'Ecriture dit des fils
d'Héli, par suite de leur méchanceté, qu'ils ne connaissaient pas Dieu ; (1
R 2) c'est ainsi que les pharisiens eux-mêmes n'ont pas connu Dieu,
parce qu'ils ne vivaient pas conformément aux préceptes du Créateur. Il y a
d'ailleurs une autre manière d'entendre la connaissance de Dieu. En effet,
connaître Dieu, c'est autre chose que de croire simplement en Dieu. Nous lisons
dans le psaume 45 (vers. 10) :
« Soyez dans le repos et considérez que c'est moi qui suis Dieu. » Qui ne
reconnaîtra que ces paroles sont écrites pour le peuple, qui croit en Dieu
créateur de cet univers ? Il y a une grande différence entre la foi jointe à la
connaissance, et la foi seule. Jésus aurait pu avec raison dire aux pharisiens
à qui il reproche de ne connaître ni son Père ni lui : Vous ne croyez pas à mon
Père ; car celui qui nie l'existence du Fils, nie par là même l'existence du
Père, c'est-à-dire qu'il n'admet le Père ni par la foi, ni par la connaissance.
Suivant l'Ecriture, il y a encore une autre manière de connaître quelqu'un,
c'est de lui être uni. Aussi Adam connut sa femme lorsqu'il lui fut uni ; (Gn
4) celui qui s'attache à une femme, connaît cette femme, et celui qui
s'attache au Seigneur, devient un seul esprit avec lui, (1 Co 6, 17) et
connaît Dieu. S'il en est ainsi, les pharisiens n'ont connu ni le Père, ni le
Fils. Enfin il y a aussi une différence entre connaître Dieu, et connaître le
Père, c'est-à-dire qu'on peut connaître Dieu sans connaître le Père. Ainsi dans
le nombre presque infini de prières que nous trouvons dans l'ancienne loi, nous
n'en trouvons aucune où Dieu soit invoqué comme Père, les Juifs le priaient et
l'invoquaient comme Dieu et Seigneur, pour ne pas prévenir la grâce que Jésus
devait répandre sur le monde entier, en appelant tous les hommes à l'honneur de
la filiation divine, suivant ces paroles : « J'annoncerai votre nom à mes
frères. » (Ps 21)
« Jésus parla de la sorte, dans le parvis du Trésor , lorsqu'il
enseignait dans le temple. » — ALCUIN. Le
mot gaza dans la langue persane signifie richesse, et le mot grec
φυλάξαι signifie conserver, c'était
l'endroit du temple où l'on conservait les offrandes. — S. CHRYS. (hom. 53 sur S. Jean.)
Le Sauveur parlait comme maître et docteur dans le temple, ce qui aurait dû
les toucher davantage : mais ce qu'il disait les blessait, et ils l'accusaient
de se faire égal à Dieu le Père. — S. AUG. (Traité 37) Il montre une
grande confiance sans mélange d'aucune crainte, car il pouvait ne rien
souffrir, à moins qu'il ne le voulût : « Et personne ne se saisit de lui, dit
l'Evangéliste, parce que son heure n'était pas encore venue. » Il en est qui,
en entendant ces paroles, prétendent que Jésus était soumis aux lois du destin.
Mais si le mot latin fatum (destin) vient du verbe fari, qui veut
dire parler, comment admettre que le Verbe, la parole de Dieu, soit
esclave du destin ? Où sont les destins ? Dans le ciel, direz-vous, où ils
dépendent du cours et des révolutions des astres. Mais comment encore soumettre
à ce destin celui qui a créé le ciel et les astres, alors que votre volonté à
vous-même, si vous êtes conduit par la sagesse, s'élève bien au-dessus des
astres. Est-ce parce que, vous avez appris que le corps de Jésus-Christ a vécu
sous le ciel, que vous voulez soumettre sa puissance à l'influence des cieux ?
Comprenez donc que « son heure n'était pas encore venue, » non pas l'heure où
il souffrirait la mort malgré lui. mais l'heure où il daignerait l'accepter
volontairement.
ORIG. (Traité 19) Toutes les fois que l'Evangéliste mentionne
cette circonstance : « Jésus parla de la sorte en tel lieu, » si vous voulez y
faire attention, vous découvrirez que ce n'est pas sans raison qu'il s'exprime
ainsi. Le Trésor était l'endroit où se conservait l'argent destiné au service
du temple et à la subsistance des pauvres ; les pièces de monnaie sont les
paroles divines qui sont marquées à l'effigie du grand roi. Or, chacun doit
concourir à l'édification de l'Eglise, en déposant dans le trésor spirituel
tout ce qui peut contribuer à l'honneur de Dieu, au bien général ; et puisque
tous les Juifs déposaient leurs offrandes volontaires dans le trésor, il était
juste aussi que Jésus mît son offrande dans le trésor, c'est-à-dire les paroles
de la vie éternelle. Personne n'osa se saisir de la personne du Sauveur, tandis
qu'il parlait dans le temple, parce que ses discours étaient plus forts que
ceux qui voulaient s'emparer de lui, car il n'y a aucune faiblesse dans ceux
qui sont les instruments et les organes du Verbe de Dieu.
BEDE. Ou bien encore, Jésus parle dans le parvis du Trésor, parce qu'il
parlait aux Juifs en paraboles, et il commença à ouvrir le trésor, lorsqu'il
découvrit à ses disciples les mystères des cieux. Or, le trésor était une
dépendance du temple, parce que toutes les prophéties figuratives de la loi et
des prophètes avaient le Sauveur pour objet.
S. AUG. (Traite 38
sur S. Jean.) L'Evangéliste vient de nous dire que « personne ne se
saisit de Jésus, parce que son heure n'était pas encore venue. » Nôtre-Seigneur
prend cette occasion de parler aux Juifs de sa passion, qui dépendait non de la
fatalité, mais de sa puissance : « Jésus leur dit encore : Je m'en vais. »
En effet, pour Jésus-Christ, la mort fut comme un départ vers le lieu d'où il
était venu vers nous, sans qu'il l'ait cependant quitté. — BEDE. L'enchaînement qui paraît exister
ici dans le récit de l'Evangéliste, nous permet de supposer également que ces,
paroles ont été dites dans le même lieu et dans le même temps que les
précédentes, où qu'elles ont été dites dans un lieu et dans un temps tout
différent, car il est aussi vraisemblable d'admettre qu'elles font suite
immédiate au discours qui précède, que de supposer d'autres discours ou
d'autres faits intermédiaires.
ORIG. On peut faire tout d'abord cette objection : Si Nôtre-Seigneur
s'adresse ici à ceux qui persévéraient dans leur incrédulité , comment peut-il
leur dire : « Vous me chercherez ? » Car chercher Jésus, c'est chercher la
vérité et la sagesse. Nous pouvons répondre qu'il est dit quelquefois de ses
persécuteurs qu'ils cherchaient à se saisir de lui. Il y a, en effet, de
grandes différences entre ceux qui cherchent Jésus ; car tous ne le cherchent
pas pour leur salut et le bien qui peut leur en revenir. Aussi il n'y a que
ceux qui le cherchent avec droiture, qui trouvent la paix. Or, chercher avec
droiture, c'est chercher celui qui était en Dieu au commencement, afin qu'il
nous conduise à son Père.
S. AUG. (Traité 38.) Vous me chercherez donc, leur dit-il, sous
l'inspiration non d'un pieux désir, mais d'une haine mortelle. En effet,
lorsqu'il se fut dérobé aux regards des hommes, ceux qui le haïssaient, comme
ceux qui l'aimaient, le cherchèrent, les uns pour le persécuter, les autres
pour jouir de sa présence. Or, ne croyez pas que vous me chercherez avec de
bonnes dispositions, car « vous mourrez dans votre péché. » Mourir dans son
péché, c'est donc chercher Jésus-Christ avec une intention coupable, c'est
avoir de la haine pour l'unique auteur de notre salut, et c'est contre ceux qui
cherchent ainsi Jésus, que le Sauveur prononce prophétiquement cette sentence :
« Ils mourront dans leur péché. » — BEDE.
Remarquez que le mot péché est au singulier, et le pronom votre
au pluriel, pour montrer que tous étaient coupables du même crime.
ORIG. (Traité 19 sur S. Jean.) Je me demande comment l'Evangéliste a pu dire
plus bas, qu'à la parole de Jésus-Christ un grand nombre crurent en lui. Est-ce
que ce n'est pas à tous ceux qui étaient présents qu'il disait : « Vous mourrez
dans votre péché ? » Non, c'était à ceux dont il savait qu'ils ne croiraient
point, qu'ils mourraient pour cela dans leur péché, et qu'ils ne pourraient
marcher à sa suite, et c'est à ceux-là qu'il dit : « Vous ne pouvez venir là où
je vais, » c'est-à-dire où est la vérité et la sagesse, car c'est là
qu'est Jésus. Ils ne peuvent venir, parce qu'ils ne veulent pas ; car s'ils
l'avaient voulu sans le pouvoir, le Sauveur n'eût pu leur dire avec justice : «
Vous mourrez dans votre péché. » — S. AUG.
(Traite 38.) Il tient dans un autre endroit le même langage à ses
disciples, toutefois il ne leur dit pas : Vous mourrez dans votre péché, mais :
« Vous ne pouvez maintenant venir là où je vais, » il ne leur ôte pas
l'espérance, il en retarde seulement l'accomplissement.
ORIG. En s'exprimant de la sorte, le Sauveur menace donc les Juifs de se
retirer d'eux, mais pour nous, tant que nous conservons les semences de vérité
qu'il a répandues dans nôtre âme, le Verbe de Dieu ne se retire pas de nous ;
si, au contraire, la corruption du mal entre dans notre âme à la suite d'une
chute dans le péché, alors il nous dit : « Je m'en vais, » et nous le
chercherons sans pouvoir le trouver, et nous mourrons dans notre péché, saisis
que nous serons par la mort elle-même. Il ne faut point passer légèrement sur
ces paroles : « Vous mourrez dans votre péché. » Si on prend ces paroles dans
le sens naturel qu'elles présentent, elles veulent dire évidemment que les
pécheurs mourront dans leurs péchés, comme les justes mourront dans leur
justice. Mais si l'on entend ces paroles : « Vous mourrez, » de la mort dont
est frappé celui qui commet un péché mortel, il est clair que ceux à qui Nôtre-Seigneur les
adressait n'étaient pas morts encore, mais ils vivaient dans une grande
infirmité spirituelle, infirmité qui devait les conduire à la mort, voilà
pourquoi le médecin voyant toute la gravité de leur maladie, leur disait : «
Vous mourrez dans votre péché, » et ces paroles font comprendre celles qui
suivent : « Là où je vais , vous ne pouvez venir ; » car celui qui meurt dans
son péché, ne peut aller où va Jésus, puisqu'aucun de ceux qui sont morts ne
peut suivre Jésus, selon ces paroles du Psalmiste : « Ce ne sont pas les morts
qui vous loueront, Seigneur. » (Ps 113)
S. AUG. (Traité 38.) Ces paroles ne firent naître chez les Juifs
que des pensées charnelles, et ils interrogent le Sauveur en conséquence : «
Les Juifs disaient donc : Se tuera-t-il lui-même, puisqu'il dit : Là où je
vais, vous ne pouvez venir ? » Quelles paroles insensées ! Quoi, ils ne
pourraient venir là où il irait s'il se donnait la mort ? Est-ce donc qu'ils ne
devaient pas eux-mêmes mourir. Lors donc qu'il leur dit : « Vous ne pouvez
venir là où je vais, » il ne veut point parler du lieu où l'on va par la mort,
mais de celui où il allait lui-même après la mort. — THEOPHYL. Il déclarait ainsi par avance qu'il devait
ressusciter dans la gloire, et s'asseoir à la droite de Dieu.
ORIG. (Traité 49.) Examinons cependant si ce langage n'est pas dans la bouche des
Juifs l'expression de pensées plus relevées. Car ils puisaient souvent dans
leurs traditions ou dans leurs livres apocryphes des idées qui leur étaient
particulières, de même que dans leurs traditions sur Jésus-Christ, il y en
avait de conformes aux oracles authentiques des prophètes, d'après lesquels il
devait naître à Bethléem ; il pouvait aussi se rencontrer des traditions
relatives à sa mort, et qui annonçaient qu'il quitterait cette vie de la
manière qu'il le dit lui-même : « Nul ne m'ôte ma vie, mais je la donne de
moi-même. » (Jn 10) Lors donc que les Juifs se demandent : « Se
tuera-t-il lui-même, » il ne faut point prendre ces paroles dans leur sens
ordinaire, mais y voir une allusion à quelque tradition juive qui se rapportait
au Christ; car ces paroles du Sauveur : « Je m'en vais, » tendaient à faire
ressortir dans tout son jour le pouvoir qu'il avait de mourir eu se séparant
volontairement de son corps. Je pense toutefois que ce n'est point pour faire
honneur à Jésus, mais bien plutôt pour l'outrager, qu'ils citent cette
tradition relative à sa mort, et qu'ils se demandent : « Est-ce qu'il se tuera
lui-même ? » car s'ils avaient eu l'intention de lui appliquer cette tradition
dans un sens honorable pour le Sauveur, ils auraient dû s'exprimer de la sorte
: « Est-ce que son âme sortira de son corps, quand il lui plaira ? »
Le Seigneur leur répond comme à des hommes charnels et terrestres : «
Et il leur dit : Vous êtes d'en bas, » c'est-à-dire, vous goûtez les choses de
la terre, et vous ne portez pas bien haut les affections de votre cœur. — S.
CHRYS. (hom. 53.)
C'est-à-dire, il n'est point surprenant que des hommes charnels et qui ne
comprennent rien de ce qui est spirituel, aient de semblables pensées, mais : «
Pour moi je suis d'en haut. » — S. AUG. Quelles
sont ces hauteurs d'où il descend ? De Dieu le l'ère lui-même, qui n'a rien
au-dessus de lui. Vous, vous êtes de ce monde, mais pour moi je ne suis pas de
ce monde, et comment, en effet, celui par qui le monde a été fait, pourrait-il
être du monde ? BEDE. Comment
pourrait-il être du monde, celui qui était avant le monde ? pour eux, ils
étaient du monde, parce qu'ils ont été créés longtemps après la création du
monde. — S. CHRYS. (hom. 53.)
Ou bien encore : « Je ne suis pas de ce monde, » c'est-à-dire, je n'en partage
point les pensées vaines et profanes. — THEOPHYL.
Je n'ai aucun sentiment mondain ou terrestre ; je ne puis donc arriver à
cet excès de folie de me donner la mort. Apollinaire, par une fausse
interprétation de ces paroles, prétend que le corps du Seigneur ne fut pas
formé dans ce monde, mais qu'il vint d'en haut, c'est-à-dire du ciel. Mais
dira-t-on que les Apôtres avaient aussi un corps formé dans les cieux, parce
que Nôtre-Seigneur leur a dit : « Vous n'êtes pas de ce monde ? » Ces paroles :
« Je ne suis pas de ce monde, » signifient donc : Je ne suis pas du nombre
de ceux qui, comme vous, sont plongés tout entiers dans les préoccupations du
monde.
ORIG. (Traité 19.) On peut encore donner une autre explication des choses qui sont
d'en bas et de celles qui sont de ce monde. L'expression en bas, signifie un
endroit spécial ; or, ce monde matériel se divise en une multitude d'endroits
qui sont tous en bas, relativement aux choses immatérielles et invisibles. Mais
si l'on établit une comparaison entre ces divers lieux du monde, les uns seront
en haut et les autres en bas. Or, chacun a son cœur là où est son trésor. (Mt
6) Celui donc qui thésaurise sur la terre, descend en bas ; celui au
contraire qui amasse des trésors pour le ciel, monte en haut, il est
véritablement d'en haut, et en s'élevant au-dessus des d'eux, il parviendra à
la souveraine béatitude. Disons encore, que l'amour du monde fait l'homme du
monde ; celui au contraire qui n'aime ni le monde, ni les choses qui sont dans
le monde, n'est pas de ce monde. Il est cependant en dehors de ce monde
sensible, un autre monde habité par les êtres invisibles, et dont l'éclat et la
splendeur seront révélés à ceux qui ont le cœur pur. Enfin on peut aussi donner
le nom de monde au premier né de toute créature, et en tant qu'il est la
souveraine sagesse, car toutes choses ont été faites dans la sagesse. Le monde
et tout ce qu'il renferme était donc en lui, mais d'une manière aussi
différente du monde matériel, que la raison même du monde pure de tout principe
matériel diffère du monde extérieur et sensible. L'âme de Jésus-Christ dit donc
: « Je ne suis pas de ce monde, » parce qu'elle ne vit pas dans ce monde.
S. AUG. (Traité 38.)
Le Seigneur explique le sens de ces paroles qu'il leur adresse : « Vous êtes de
ce monde, » parce qu'ils étaient pécheurs ; or, nous sommes tous nés dans le
péché, et tous nous avons ajouté à ce premier péché par une vie coupable. Tout
le crime d'infidélité des Juifs consistait donc, non pas d'être coupables du
péché, mais de mourir dans leur péché. C'est pourquoi Nôtre-Seigneur ajoute : «
Je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés. » Parmi cette multitude qui
écoutait le Sauveur, il en était qui devaient croire en lui. Mais comme cette
sentence sévère : « Vous mourrez dans votre péché, » semblait tomber
sur tous, et ôter toute espérance à ceux qui devaient croire en lui, il fait renaître
l'espérance dans leur cœur, en ajoutant : « Car si vous ne croyez pas
que je suis, vous mourrez dans votre péché. » Donc si vous croyez que je suis,
vous ne mourrez point dans votre péché. — S. CHRYS. (hom. 53.) En effet,
si Notre-Seigneur est venu sur la terre pour effacer les péchés du monde, et si
le péché ne peut être effacé que par le baptême, celui qui ne croit pas est
nécessairement encore revêtu du vieil homme. Car celui qui refuse de mourir et
de s'ensevelir spirituellement par la foi, mourra avec le vieil homme, et ne
sortira de cette vie que pour souffrir les peines ducs à ses crimes. Aussi
Nôtre-Seigneur disait-il : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé, »
non-seulement parce qu'il ne croit pas, mais parce qu'il sort de cette vie
chargé des crimes dont il s'est rendu coupable. — S. AUG. (Traité 38.)
Nôtre-Seigneur, en disant aux Juifs : « Si vous ne croyez pas que je suis, »
sans rien ajouter, leur apprend une grande vérité ; c'est dans les mêmes termes
que Dieu avait dit à Moïse : « Je suis celui qui suis. » (Ex 3) Mais
comment entendre ces paroles : « Je suis celui qui suis ; » et ces autres
: « Si vous ne croyez pas que je suis, » comme si les autres êtres n'existaient
pas ? C'est qu'en effet, quelles que soient l'excellence et la perfection d'un
être, dès lors qu'il est soumis à la loi de la mutabilité, il n’existe vraiment
pas. L'être véritable ne peut se trouver là où il y a alternative de l'être et
du néant. Examinez la nature des êtres soumis à la loi des changements, vous y
trouverez le passé et le futur ; reportez votre pensée sur Dieu, vous trouverez
cette seule chose, il est, sans qu'il soit possible de trouver de temps passé :
si donc vous voulez être véritablement, élevez-vous au-dessus du temps. Ces
paroles : « Si vous ne croyez pas que je suis, » par lesquelles Nôtre-Seigneur
nous exhorte à ne point mourir dans nos péchés, n'ont point d'autre
signification que celle-ci : Si vous ne croyez que je suis Dieu. Rendons grâces
à Dieu de ce que le Sauveur nous dit : « Si vous ne croyez pas, » et non : Si
vous ne comprenez pas, car qui pourrait comprendre ces mystères ? — ORIG. Il est évident que celui qui
meurt dans ses péchés, affirmerait-il qu'il croit en Jésus-Christ, n'y croit
pas véritablement. En effet, celui qui croit à la justice, ne doit commettre
aucune injustice ; celui qui croit à la sagesse, ne doit ni dire ni faire rien
qui lui soit contraire. Parcourez ainsi les autres perfections de Jésus-Christ,
et vous comprendrez comment celui qui ne croit point en lui, meurt dans ses
péchés, et comment celui dont la conduite est en opposition avec les divins
attributs de Jésus-Christ.
S. AUG. (Traité 39.)
Le Sauveur venait de leur dire : « Si vous ne croyez pas que je suis, vous
mourrez dans votre péché ; » ils lui demandent maintenant en qui ils doivent
croire pour éviter cette mort dans le péché : « Ils lui dirent donc : Qui
êtes-vous ? » (Traité 38) Vous nous avez bien dit : Si vous ne croyez
pas que je suis ; mais vous ne nous avez pas appris qui vous étiez. Il savait
que quelques-uns d'entre eux devaient croire en lui, aussi à cette question :
Qui êtes-vous ? Il leur répond : « Le Principe, moi-même qui vous parle, » pour
leur apprendre ce qu'ils devaient croire de lui. Il ne leur dit point : Je suis
le Principe, mais : « Croyez que je suis le Principe ; » ce qui parait
clairement dans le texte grec où le mot Principe est du genre féminin. Croyez
donc que je suis le Principe, pour éviter de mourir dans vos péchés, car le
Principe est immuable, il demeure toujours le même, en renouvelant toute chose.
(Traité 39.) Il serait absurde de dire que le Fils est le Principe en
refusant cette dénomination au Père, cependant il n'y a pas plus deux principes
qu'il n'y a deux Dieux. L'Esprit saint est l'Esprit du Père et du Fils, mais il
n'est ni le Père, ni le Fils. Cependant le Père, le Fils et le Saint-Esprit
sont un seul Dieu, une seule lumière, un seul Principe. Il ajoute : « Qui vous
parle, » c'est-à-dire, je me suis humilié pour vous, et je m'abaisse jusqu'à
vous tenir ce langage. Croyez donc que je suis le Principe, car pour justifier
et appuyer votre foi, non-seulement je suis en effet le Principe, mais je vous
parle. En effet, supposez que le Principe fut resté tel qu'il est dans le Père,
sans prendre la forme de l'esclave, comment les hommes pourraient-ils croire en
lui, puisque leur esprit si faible ne peut recevoir l'idée d'une chose
intellectuelle sans l'intermédiaire de la voix extérieure ? — BEDE. On lit dans quelques exemplaires
: « Moi qui vous parle, » mais il est plus convenable de lire : « Car je vous
parle, » de manière à offrir ce sens : Croyez que je suis le Principe, car pour
vous je me suis abaissé jusqu'à vous tenir ce langage.
S. CHRYS. (hom. 53)
On peut encore considérer à un autre point de vue la coupable folie des Juifs
qui, depuis si longtemps qu'ils sont témoins des miracles de Jésus-Christ, et
reçoivent ses divins enseignements, osent encore lui faire cette question : «
Qui êtes-vous ? » Aussi que leur répond le Sauveur ? « Je ne cesse de vous
le dire depuis le commencement ». C'est-à-dire, vous êtes indignes d'entendre
mes paroles, bien loin de mériter que je vous dise qui je suis, vous ne
m'interrogez que pour me tenter, et vous ne faites aucune attention à ce que je
vous dis ; aussi serais-je en droit de vous condamner et de vous punir :
« J'ai beaucoup de choses à dire de vous et à condamner en vous. » — S.
AUG. (Traité 39.) Il a déclaré plus haut qu'il ne jugeait personne ;
mais autre chose est de dire : « Je ne juge point, » et : « J'ai à juger, » «
je ne juge point, » doit s'entendre du présent, tandis que ces paroles : « J'ai
beaucoup de choses à dire de vous et à condamner en vous, » sont des paroles
prophétiques du jugement futur. Or, la vérité réglera mon jugement, parce que
je suis le Fils de celui qui est véridique, et que je suis la vérité même : «
Et celui qui m'a envoyé est véridique. » Le Père est véridique, non pas en
participant à la vérité, mais en engendrant la vérité. Dirons-nous qu'ici celui
qui est la vérité est supérieur à celui qui est véridique ? Mais alors ce
serait reconnaître que le Fils est plus grand que le Père. — S. CHRYS. (hom. 53) Il leur parle
de la sorte pour leur faire comprendre que s'il ne les punit pas de tant
d'outrages qu'il reçoit d'eux, ce n'est point par faiblesse, ou parce qu'il ne
connaît ni leurs pensées, ni les injures qu'ils lui font. — THEOPHYL. Ou peut encore donner cette
explication : « En leur disant : J'ai beaucoup de choses à dire de vous et à
condamner en vous, » il renvoyait, pour ainsi dire, l'exercice du jugement à
l'autre vie, il ajoute donc : « Mais celui qui m'a envoyé est véridique,
c'est-à-dire, si vous êtes infidèles, mon Père ne laisse pas d'être véridique,
» et il a établi un jour on vous recevrez ce que vous méritez. — S. CHRYS. (hom. 53.) Ou bien encore
: Si mon Père m'a envoyé, non pour juger le monde, mais pour sauver le monde,
comme mon Père est véridique je ne dois juger personne, et mes paroles ont pour
objet votre salut, et non votre jugement et votre condamnation : « Et ce que
j'ai entendu de lui je le dis au monde. » — ALCUIN.
Entendre du Père pour le Fils, c'est la même chose qu'exister par le
Père, car celui qui lui donne d'entendre est aussi celui qui lui donne son
essence. — S. AUG. (Traité 39.)
Le Fils égal et consubstantiel à son Père, rend gloire à son Père, comme s'il
disait : Je rends gloire à celui dont je suis le Fils, comment pouvez-vous
affecter de l'orgueil devant celui dont vous n'êtes que le serviteur ? — ALCUIN. Mais ils ne comprirent point de
qui Jésus voulait parler en disant : « Celui qui m'a envoyé est véridique. »
C'est ce qu'ajouté l’Evangéliste : « Et ils ne comprirent point, » qu'il disait
que Dieu était son Père, car ils n'avaient pas encore ouvert ces yeux du cœur,
qui auraient pu leur faire comprendre l'égalité du Père et du Fils.
S. AUG. (Traité 40
sur S. Jean.) Les Juifs ne comprirent donc pas que le Sauveur parlait de
son Père, lorsqu'il disait : « Celui qui m'a envoyé est véridique. » Mais comme
il en voyait quelques-uns parmi eux qu'il prévoyait devoir croire en lui après
sa passion, il leur dit : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'homme,
alors vous connaîtrez que je suis. » Rappelez-vous ces paroles : « Je suis
celui qui suis, » (Ex 3) et vous comprendrez ce que signifie cette
parole : « Je suis. » Je diffère le moment où vous me connaîtrez pour rendre
possible ma passion, et vous connaîtrez en votre temps qui je suis, lorsque
vous aurez élevé le Fils de l'homme. Il veut parler ici de son élévation sur la
croix, parce qu'il fut élevé en réalité lorsqu'il fut suspendu à l'arbre de la
croix ; or, il fallait que sa mort sur la croix s'accomplît par les mains de
ceux qui devaient par la suite croire en lui. Mais dans quel dessein leur
adresse-t-il ces paroles ? C'est afin que personne ne se laisse aller au
désespoir, sa conscience lui reprochât-elle les plus grands crimes, lorsqu'il
voit ceux qui avaient mis Jésus-Christ à mort, obtenir le pardon de leur
homicide.
S. CHRYS. (hom. 53.)
On peut encore établir autrement la suite du discours du Sauveur. Il n'avait pu
convertir les Juifs, malgré la multitude de ses miracles et la force de ses
divins enseignements ; il ne lui reste donc plus qu'à leur parler de sa croix :
« Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'homme, » etc., c'est-à-dire, vous
pensez que vous serez délivrés de moi lorsque vous m'aurez mis à mort ; mais
moi, je vous dis que c'est alors surtout que l'éclat des miracles, ma
résurrection, et votre propre captivité, vous feront connaître que je suis le
Christ, le Fils de Dieu, et que je ne lui suis point opposé. C'est pour cela
qu'il ajoute : « Alors vous reconnaîtrez que je ne fais rien de moi-même, mais
que je dis ce que mon Père m'a enseigné. » C'est ainsi qu'il prouve que le
Père et le Fils ont une seule et même nature, et qu'il ne dit rien qui ne soit
l'expression de là pensée de son Père. Car si j'étais en opposition avec Dieu,
je n'aurais pu exciter une si grande colère contre ceux qui ont refusé de
m'écouter.
S. AUG. (Traité 40.)
Ou bien encore comme il venait de dire : « Alors vous connaîtrez que je suis, »
et que la Trinité tout entière est le principe et la source de l'être même, le
Sauveur prévient l'erreur des Sabelliens, en ajoutant aussitôt : « Et que je ne
fais rien de moi-même, » c'est-à-dire, je ne viens pas de moi-même ; car le
Fils, qui est Dieu, vient du Père, qui est Dieu. Si donc il ajoute encore : «
Et je dis ce que mon Père m'a enseigné, » gardez-vous, à ces paroles, de toute
pensée charnelle ; ne vous représentez point deux hommes devant les yeux, l'un
qui serait le père, l'autre le fils, et le père parlant à son fils comme
lorsque vous adressez vous-même la parole à votre fils ; car quelles paroles le
Père pourrait-il adresser à son Verbe unique ? Si Dieu parle à vos cœurs sans
l'intermédiaire d'aucune voix extérieure, comment parle-t-il à son Fils ? Il
lui parle d'une manière incorporelle, parce qu'il l'a engendré d'une manière
incorporelle ; il ne l'a point enseigné comme s'il l'avait engendré sans aucune
science. Pour Dieu le Père, enseigner son Fils, c'est l'engendrer dans toute sa
science ; car comme la nature de la vérité est simple, être et connaître sont
une même chose pour le Fils. Et en l'engendrant, le Père lui a donné la
connaissance, de la même manière qu'il lui a donné l'être.
S. CHRYS. (hom. 53.)
Nôtre-Seigneur ramène de nouveau son discours à des proportions plus humbles :
« Et celui qui m'a envoyé est avec moi. » Mais dans la crainte que ces paroles
: « Il m'a envoyé, » ne paraissent à leurs yeux un signe d'infériorité, il
ajoute : « Il est avec moi. » L'une de ces deux choses entrait dans l'économie
de l'incarnation, l'autre est une preuve de divinité. — S. AUG. (Traité 40.) Tous deux sont
ensemble, cependant l'un a été envoyé, l'autre a envoyé, parce que
l'incarnation est une véritable mission, le Fils seul s'est incarné, et non le
Père. Le Sauveur dit : « Celui qui m'a envoyé, » c'est-à-dire celui qui, par
son autorité paternelle, a été la cause de mon incarnation. Ainsi le Père a
envoyé le Fils, mais il ne s'est point séparé du Fils. Aussi ajoute-t-il : « Et
il ne me laisse pas seul. » En effet, le Père ne pouvait être absent du lieu où
il envoyait le Fils, lui qui nous dit, par son prophète : « Je remplis le ciel
et la terre. » (Jr 23, 24.) Le Sauveur donne ensuite la raison pour laquelle
Dieu ne l'abandonne point : « Parce que je fais toujours ce qui lui plaît. » Je
n'ai pas commencé à le faire, je fais ce qui lui plaît sans commencement comme
sans fin, car la génération divine n'a pas de commencement. — S. CHRYS. (hom. 53.) Ou bien encore
Nôtre-Seigneur répond ici à l'objection qu'ils lui faisaient de ne pas venir de
Dieu et de ne pas observer la loi du sabbat, en leur disant : « Je fais
toujours ce qui lui plaît, » et
il leur démontre ainsi qu'il était agréable à Dieu qu'il transgressât la loi du
sabbat, car il s'applique en toute circonstance à prouver qu'il ne fait rien de
contraire à Dieu son Père. Ces paroles, ce langage moins élevé, en
déterminèrent un certain nombre à croire en lui : « Comme il disait ces
choses, plusieurs crurent en lui. » L'Evangéliste semble dire : Ne soyez pas
surpris d'entendre sortir de la bouche du Sauveur une doctrine moins relevée,
puisque vous voyez que ceux que la sublimité de ses enseignements n'avaient pu
persuader, sont amenés à croire en lui par des paroles en disproportion ce
semble avec sa grandeur. Ils crurent donc en lui, mais non pas comme ils le
devaient ; ils se contentèrent de se reposer avec joie dans les paroles plus
humbles qu'ils venaient d'entendre. La suite prouvera bientôt, en effet, toute
l'imperfection de leur foi, puisque nous les verrons se laisser aller à de
nouveaux outrages contre le Sauveur.
S. CHRYS. (hom. 54 sur S. Jean.) Notre-Seigneur voulait
appuyer sur de solides fondements la foi de ceux qui avaient cru en lui, pour
que cotte foi ne fut point purement superficielle. Jésus dit donc à ceux des
Juifs qui croyaient en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez
vraiment mes disciples. » Par ces paroles : « Si vous demeurez, » il
révèle les dispositions intérieures de leur cœur; il savait bien, en effet,
qu'ils avaient cru, mais il savait aussi que leur foi ne persévérerait pas, et
pour les affermir dans la foi, il leur fait une magnifique promesse, c'est
qu'ils deviendront ses disciples. Il blâme indirectement par là ceux qui
s'étaient précédemment séparés de lui ; ils l'avaient entendu, ils avaient cru
en lui, et ils le quittèrent, parce que leur foi ne fut point persévérante.
S. AUG. (serm. 40
sur les par. du Seig.) Nous n'avons tous qu'un seul maître, et nous sommes
tous également ses disciples. Nous ne portons pas justement le titre de
maîtres, parce que nous enseignons d'un lieu plus élevé, le véritable maître de
tous les hommes est celui qui habite au dedans de nous. Or, l'important pour le
disciple n'est point d'approcher de son maître, il faut que nous demeurions en
lui ; et si nous ne demeurons pas en lui, notre chute est inévitable. Si vous
demeurez, c'est là une œuvre abrégée en apparence, oui, abrégée dans les
termes, mais bien étendue dans l'exécution. Qu'est-ce, en effet, que demeurer
dans les paroles du Seigneur, si ce n'est ne succomber à aucune tentation ? Si
vous agissez sans efforts, vous recevez la récompense sans l'avoir méritée,
mais si vous avez de grands obstacles à vaincre, considérez aussi la grande
récompense qui vous attend : « Et vous connaîtrez la vérité. » — S. AUG. (Traités 40 et 41.)
C'est-à-dire, vous croyez maintenant, si vous demeurez dans la foi, vous verrez
ce qui fait l'objet de votre foi ; car remarquez-le bien, la foi ne fut point
produite par la connaissance, mais la connaissance a été le fruit de la foi.
Qu'est-ce que la foi ? croire ce que vous ne voyez pas ; qu'est-ce que la
vérité ? voir ce que vous avez cru. Si donc nous demeurons dans ce que nous croyons,
nous parviendrons à la claire vision, c'est-à-dire que nous contemplerons la
vérité telle qu'elle est, non plus par l'intermédiaire de paroles qui
retentissent à nos oreilles, mais à la splendeur éclatante delà lumière
elle-même. Or, la vérité est immuable, c'est un pain véritable qui répare les
forces de l'âme, et qui est inépuisable ; il change en lui celui qui s'en
nourrit, mais il n'est pas changé en celui qu'il nourrit. La vérité c'est le
Verbe de Dieu lui-même, cette vérité s'est revêtue d'une chair mortelle ; c'est
pour nous qu'elle se cachait sous l'enveloppe de la chair, non point dans le
dessein de se voir niée, mais elle différait de se faire connaître, afin
qu'elle pût ainsi souffrir dans la chair, et racheter par ses souffrances la
chair du péché. — S. CHRYS. (hom.
53.) Ou bien vous connaîtrez la vérité, c'est-à-dire, vous me connaîtrez
moi-même, car je suis la vérité, la loi des Juifs ne renfermait que des
figures, c'est par moi que vous connaîtrez la vérité.
S. AUG. (serm. sur les
par. du Seign.) Quelqu'un dira peut-être : Et que me servira-t-il de
connaître la vérité ? Ecoutez ce qu'ajoute Nôtre-Seigneur : « Et la
vérité vous délivrera. » Il semble leur dire : Si la vérité vous touche peu,
soyez du moins sensibles au charme de la liberté, car être délivré, c'est être
libre, de même qu'être guéri, c'est être rendu à la santé. Cette signification
ressort bien plus clairement du texte grec
έλεθερώση, car dans la langue
latine, le mot délivrer (liberari) signifie plutôt échapper au danger,
être affranchi de toutes choses pénibles. — THEOPHYL.
Il a menacé plus haut ceux qui persévèrent dans leur infidélité de les
laisser mourir dans leurs péchés, ici, au contraire, il promet à ceux qui
demeurent dans sa parole l'absolution de leurs péchés. — S. AUG. (de la Trin., 4, 18.) Mais
de quoi la vérité nous délivrera-t-elle, si ce n'est de la mort, de la
corruption, du changement ? car la vérité demeure immortelle, incorruptible,
immuable, et la véritable immutabilité, c'est l'éternité elle-même.
S. CHRYS. (hom. 53.)
Il était du devoir de ceux qui avaient cru en Jésus-Christ du supporter au
moins les reproches qu'il leur adressait ; loin de là, ils entrent aussitôt en
fureur contre lui. Mais si les paroles du Sauveur avaient dû être pour eux une
cause d'agitation et de trouble, c'était plutôt celles qui précèdent : « Et
vous connaîtrez la vérité ; » et ils auraient eu quelque raison de dire : Nous
ne connaissons donc point la vérité, notre loi n'est donc que mensonge, ainsi
que notre science. Mais ils n'ont aucun souci de la vérité, et leur
mécontentement porte tout entier sur des objets profanes, car ils ne
connaissaient d'autre servitude que la servitude extérieure. Les Juifs lui
répondirent : « Nous sommes la race d'Abraham, et nous n'avons jamais été esclaves
de personne. » C'est-à-dire, vous ne devez pas traiter d’esclaves ceux qui sont
libres par leur naissance, nous n'avons jamais été esclaves. — S. AUG. (Traité
41.) On peut dire aussi que cette réponse fut faite non point par ceux qui
avaient cru aux paroles du Sauveur, mais par ceux qui n'avaient pas encore la
foi en lui. Mais comment pouvez-vous dire en vérité que vous n'avez jamais été
en servitude, si vous l'entendez de la servitude extérieure et publique ?
Est-ce que Joseph n'a pas été vendu ? Est-ce que les saints prophètes n'ont pas
été conduits en captivité. O ingrats que vous êtes ! pourquoi donc Dieu vous
reproche-t-il continuellement d'oublier qu'il vous a délivrés de la demeure de
la servitude, si vous n'avez jamais été esclaves ? Mais vous-mêmes qui tenez ce
langage, pourquoi payez-vous le tribut aux Romains, si vous n'avez jamais été
asservis à personne ?
S. CHRYS. (hom. 53.)
Or comme le Sauveur ne parlait point par un motif de vaine gloire, mais
uniquement pour leur salut, il s'abstient de leur prouver qu'ils étaient
esclaves des hommes, et il se borne à leur montrer qu'ils sont sous l'esclavage
du péché, esclavage le plus dur de tous, et dont Dieu seul peut délivrer :
« Jésus leur répartit : En vérité, en vérité, je vous le dis, » etc.
S. AUG. (Traité 41) Cette manière de parler dans la bouche du
Sauveur, annonce toujours une vérité sur laquelle il veut attirer notre
attention, c'est comme une espèce de serment. Amen veut dire vrai, et
cependant ni l'interprète grec, ni l'interprète latin n'ont voulu exprimer
cette signification du mot amen qui est un mot hébreu ; peut-être pour
protéger le mystère de ce mot sous le voile du secret, non pas sans doute pour
en cacher absolument la signification, mais pour en prévenir la profanation. Sa
répétition même prouve son importance : « En vérité je vous le dis, »
c’est la vérité même qui vous parle, quand bien même elle ne vous préviendrait
pas qu'elle dit la vérité, il lui serait absolument impossible de ne point la
dire ; cependant elle tient à le rappeler, elle réveille pour ainsi dire les
âmes endormies, elle veut défendre de tout mépris ses divins enseignements.
Tout homme, dit-elle, Juif ou Grec, riche ou pauvre, roi ou mendiant, s'il
commet le péché, devient esclave du péché. — S. GREG. (4 Mor.,
21 ou 42) Tout homme, en
effet, qui se laisse dominer par un désir coupable, abaisse et plie la liberté
de son âme sous le joug de la servitude ; nous résistons à cette servitude,
lorsque nous luttons contre l’iniquité qui veut nous dominer, lorsque nous
résistons énergiquement à la tyrannie de l'habitude, lorsque nous détruisons en
nous le crime par le repentir, lorsque nous lavons dans nos larmes les
souillures de nos fautes.
S. GREG. (Moral., 25, 14 ou 20.) Plus on se plonge librement
dans tous les excès du crime, et plus on resserre étroitement les chaînes de
cet esclavage. — S. AUG. (Traité
41) O misérable servitude ! L'esclave
d'un homme, fatigué du joug tyrannique de son maître, cherche son repos dans la
fuite, mais où peut fuir l'esclave du péché ? Partout où il dirige ses pas, il
se porte avec lui ; le péché qu'il a commis est nu-dedans de lui-même ; la
volupté passe, le péché ne passe pas ; le plaisir qui flatte passe, le remords
qui déchire demeure. Celui-là seul peut nous délivrer du péché qui est venu sur
la terre sans aucun péché, et qui s'est offert en sacrifice pour le péché. Car
pour l'esclave, ajoute le Sauveur, il ne demeure pas toujours dans la maison.
Cette maison, c'est l'Eglise, l'esclave, c'est le pécheur ; un grand nombre de pécheurs
entrent dans l'Eglise, aussi Nôtre-Seigneur ne dit pas : L'esclave n'est pas
dans la maison, mais : « Il ne demeure pas toujours dans la maison. »
Mais s'il n'y a point d'esclave dans la maison, qu'y aura-t-il donc ? Qui peut
se glorifier d'être pur de tout péché ? Cette parole du Sauveur est vraiment
effrayante, aussi ajoute-t-il : « Mais le Fils y demeure toujours. » Est-ce
donc que le Christ sera seul dans sa maison ? Ou bien, sous le nom de Fils,
comprend-il le chef et les membres ? Ce n'est pas sans raison qu'il inspire
tour à tour la crainte et l'espérance, la crainte pour nous détourner d'aimer
le péché, l'espérance pour ne point nous laisser désespérer du pardon de nos
péchés. Notre espérance est donc d'être délivré par celui qui est libre ; c'est
lui qui a payé notre rançon, non point avec de l'argent, mais avec son sang, et
c'est pour cela qu'il ajoute : « Si le Fils vous délivre, vous serez
véritablement libres. »
S. AUG. (serm. 48 sur
les par. du Seig.) Vous serez libres, non point du joug des barbares, mais
des chaînes du démon, non point de la captivité du corps, mais de l'iniquité de
l'âme. — S. AUG. (Traité 41
sur S. Jean.) La liberté qui vient en premier lieu consiste à être
exempt de tout crime, mais ce n'est que le commencement de la liberté, ce n'en
est point la perfection, parce que la chair ne laisse point de convoiter encore
contre l'esprit, de sorte que vous ne fassiez pas ce que vous voulez. (Ga 6)
La liberté pleine et parfaite nous sera donnée, lorsque toutes les inimitiés
auront cessé, et que la mort, c'est-à-dire, le dernier ennemi, sera détruite. (1 Co 15, 26.)
S. CHRYS. (hom. 43
sur S. Jean.) On peut encore donner cette explication. Les Juifs, à ces
paroles du Sauveur : « Celui qui commet le péché est esclave du péché,
pouvaient objecter : nous avons des sacrifices qui peuvent nous délivrer du
péché ; Nôtre-Seigneur les prévient donc en leur disant : « L'esclave ne
demeure pas toujours dans la maison. » Sous le nom de maison, il veut désigner
le royaume de son Père, et par cette comparaison empruntée aux choses humaines,
il leur apprend qu'il a puissance et autorité sur toutes choses, de même que le
maître d'une maison sur tout ce qu'elle renferme. En effet, cette expression :
« Il ne demeure pas, » signifie : Il n'a le pouvoir de rien donner, le Fils, au
contraire, qui est le maître de la maison, a ce pouvoir ; voilà pourquoi les
prêtres de l'ancienne loi n'avaient point le pouvoir de remettre les péchés par
les sacrifices de la loi ancienne, « car tous ont péché, » (Rm 7, 23)
même les prêtres, qui ont aussi besoin, comme le dit l'Apôtre, d'offrir des
sacrifices pour eux-mêmes (He 7, 27) ; le Fils, au contraire, a ce
pouvoir, c'est pour cela qu'il conclut en disant : « Si le Fils vous délivre,
vous serez vraiment libres, » leur montrant ainsi que la liberté extérieure
dont ils se glorifiaient, n'était pas la vraie liberté. — S. AUG. (Traité 41) Gardez-vous
donc d'abuser de celte liberté pour pécher plus librement, mais servez-vous-en,
au contraire, pour fuir le péché, car votre volonté sera libre si elle est
sincèrement pieuse ; vous serez affranchis du péché si vous êtes esclaves de la
justice.
S. AUG. (Traité
42 sur S. Jean.) Les Juifs se proclamaient libres, parce qu'ils
étaient les enfants d'Abraham. Que répond le Sauveur à cette prétention ? « Je
sais que vous êtes enfants d'Abraham, » c'est-à-dire, je sais que vous êtes les
descendants d'Abraham par la chair, mais non par la foi du cœur, et c'est pour
cela qu'il ajoute : « Mais vous cherchez à me faire mourir. » — S. CHRYS. (hom. 53 sur S. Jean.)
Nôtre-Seigneur ajoute ces paroles pour réprimer leur arrogance et les
empêcher de dire : « Nous n'avons point de péché. » Il s'abstient de relever
les autres crimes de leur vie, il les prend sur le fait et leur met sous les
yeux l'acte coupable qu'ils voulaient consommer. Il leur enlève peu à peu
l'honneur de cette parenté et leur apprend à ne point tant s'en glorifier, car
ce sont les œuvres surtout qui établissent la véritable parenté, de même que ce
sont les œuvres qui font les hommes libres ou esclaves. Et pour leur ôter tonte
excuse de dire qu'ils agissaient en cela avec justice, le Sauveur leur fait
connaître la cause de leurs desseins coupables : « Parce que ma parole ne prend
point en vous. » — S. AUG. (Traité
42) C'est-à-dire, elle ne prend point votre cœur, parce qu'il ne la
reçoit pas. La parole de Dieu est pour les fidèles ce qu'est l'hameçon pour le
poisson, il prend l'hameçon lorsqu'il est pris, et ici aucun mal n'est fait à
ceux qui sont pris de la sorte, car c'est pour leur salut et non pour leur,
perte qu'on les prend. S. CHRYS. (hom.
53.) Nôtre-Seigneur ne dit pas : Vous ne prenez pas ma parole, mais :
« Ma parole ne prend point en vous, » pour montrer la hauteur des vérités
qu'il enseigne. Mais ils pouvaient lui dire : Où est la justice de votre
réponse, si vous parlez de vous-même ? Il se hâte donc d'ajouter : « Ce
que j'ai vu dans mon Père, je le dis, » non-seulement j'ai la même nature, mais
la même vérité que lui. — S. AUG. (Traité
42.) Nôtre-Seigneur veut leur faire comprendre que son Père est Dieu : J'ai
vu la vérité, leur dit-il ; je dis la vérité, parce que je suis la vérité. Si
donc le Seigneur dit la vérité qu'il a vue dans son Père, il s'est vu lui-même,
il s'affirme lui-même, parce qu'il est lui-même la vérité du Père. — ORIG. (Traité
20 sur S. Jean.) Ces paroles prouvent que le Sauveur a vu par
lui-même ce qui était dans le Père, taudis que les hommes à qui la vérité est
révélée, ne la voient point par eux-mêmes. — THEOPHYL.
Il ne faut pas entendre ces paroles du Sauveur : « Je dis ce que j'ai vu
; » dans le sens d'une vision corporelle, elles expriment une connaissance
naturelle, véritable et parfaite, et veulent dire : De même que les yeux en
fixant un objet, le voient dans son intégrité et dans sa vérité sans se tromper
; ainsi je dis dans toute leur vérité toutes les choses que j'ai vues dans mon
Père.
« Et vous, ce que vous avez vu dans votre père, vous le faites. » — ORIG. (Traité 20.) Il ne nomme
pas encore leur Père, il a parlé plus haut d'Abraham, mais il va leur parler
d'un autre père, c'est-à-dire du démon, dont ils sont enfants, non pas en tant
qu'hommes, mais en tant qu'ils sont livrés au mal. C'est ce mal qu'ils
commettent, que le Seigneur reprend et condamne en eux. — S. CHRYS. (hom. 53.)
Une autre version porte : « Faites ce que vous avez vu dans votre père. »
C'est-à-dire, de même que je montre mon Père par mes paroles et par la vérité
de mes œuvres, montrez vous-mêmes Abraham par vos œuvres. — ORIG. Une autre version porte encore :
Pour vous, faites ce que vous avez entendu de votre père, car ils avaient
appris du Père ce qui est écrit dans la loi et les prophètes. Si l'on adopte
cette version, on pourra la faire servir à prouver contre ceux qui sont d'une
opinion contraire, que le Dieu qui a donné la loi et inspiré les prophètes,
n'est autre que le Père de Jésus-Christ. Interrogeons aussi ceux qui
soutiennent le système des deux natures, diront-ils qu'ils ont entendu la
parole du Père, quoique lui étant étrangers ? Cela n'est pas possible ;
soutiendront-ils qu'ils participaient à la même nature que le Sauveur, comment
alors cherchaient-ils à le mettre à mort, et ne pouvaient-ils comprendre sa
parole ?
Ils ne purent supporter que le Sauveur prolongeât la discussion sur cette
question, quel était leur père, car ils se prétendaient les enfants de celui
que Dieu a déclaré le père d'un grand nombre de nations : « Ils lui
répondirent : Notre père est Abraham. » — S. AUG. Ils semblent lui dire : Quel
reproche pouvez-vous faire à Abraham ? Et veulent-ils l'exciter à dire du mal
d'Abraham pour y trouver eux-mêmes l'occasion d'exécuter leur dessein ? — ORIG. Mais le Sauveur leur enlève ce
moyen de défense comme n'étant point fondé sur la vérité : « Jésus leur dit :
Si vous êtes les enfants d'Abraham, faites les œuvres d'Abraham. » — S. AUG. Et cependant il leur a dit plus
haut : Je sais que vous êtes les enfants d'Abraham, il ne met donc point en
doute leur origine, mais il condamne leur conduite. Leur chair descendait
d'Abraham, mais leur vie n'en venait pas. — ORIG.
(Traité 20.) On peut encore donner une autre explication fondée
sur le texte grec : « Je sais que vous êtes de la race, ou littéralement de la
semence d'Abraham. » Pour
rendre cette explication plus claire, voyons d'abord la différence qui existe
entre la semence destinée à former le corps et l'enfant. Il est évident d'abord
que la semence a en elle-même toutes les raisons constitutives de celui dont
elle est la semence, bien qu'elles soient encore à l'état d'inaction et de
repos. Mais après la transformation de cette semence et son action particulière
sur la matière qui lui est présentée par la femme, l'enfant, au moyen de
l'alimentation qu'il reçoit, prend lui-même la forme de celui qui l'a engendré.
Quant au corps, tout enfant vient nécessairement d'une semence, mais toute
semence ne se transforme pas en enfant. Mais puisque c'est par les œuvres que
l'on juge quels sont ceux qui méritent d'être considérés comme la race, comme
la semence d'Abraham, voyons si ce ne serait pas au moyen de certaines semences
intellectuelles répandues dans les âmes qu'on pourrait reconnaître ceux qui
sont de la race d'Abraham. Tous les hommes ne sont donc pas la semence
d'Abraham, parce que tous n'ont pas ces semences intellectuelles infuses dans
leurs âmes. Il faut que celui qui est la semence d'Abraham, devienne aussi son
fils en prenant sa ressemblance. Or, il peut arriver que par suite de sa
négligence ou de son inaction, il détruise en lui cette précieuse semence.
Quant à ceux à qui Nôtre-Seigneur s'adressait, toute espérance n'était pas
encore détruite, Jésus savait qu'ils étaient encore la semence d'Abraham, et
qu'ils n'avaient pas encore perdu le pouvoir de devenir enfants d'Abraham.
C'est pourquoi il leur dit : « Si vous êtes les enfants d'Abraham, faites
les œuvres d'Abraham. » S'ils avaient voulu laisser croître cette précieuse
semence jusqu'à son parfait développement, ils auraient compris la parole de
Jésus. Mais comme ils ne sont point parvenus à être les enfants d'Abraham, ils
ne peuvent comprendre cette parole, et ils cherchent à la détruire et comme à
la briser, parce qu'ils n'en comprennent point la grandeur. Si donc quelqu'un
d'entre vous est la semence d'Abraham, et qu'il ne comprenne pas encore le
Verbe de Dieu, qu'il se garde bien de chercher à mettre le Verbe à mort, mais
qu'il se transforme en fils d'Abraham, et alors il pourra comprendre le Fils de
Dieu. Il en est qui se bornent à choisir une seule des œuvres d'Abraham, celle
que l'Apôtre relève en ces termes : « Abraham crut à la parole de Dieu, et
sa foi lui fut imputée à justice. » Mais si, comme ils le prétendent, la foi
est la seule œuvre nécessaire, pourquoi le Sauveur n'a-t-il pas dit au
singulier : « Faites l'œuvre d'Abraham, » mais au pluriel : « Faites les œuvres
d'Abraham » ? Ces paroles sont l'équivalent de celles-ci : Faites toutes les
œuvres d'Abraham, en prenant toutefois la vie d'Abraham dans le sens
allégorique et ses actions dans un sens spirituel. En effet, celui qui veut
devenir le fils d'Abraham, ne doit point, à l'exemple d'Abraham, prendre ses
servantes pour épouses, ni après la mort de sa femme en épouser une autre dans
sa vieillesse.
« Mais maintenant vous cherchez à me faire mourir, moi qui vous ai dit
la vérité. » — S. CHRYS. (hom.
53.) Quelle vérité ? Qu'il est égal au Père, car c'est pour cela que les
Juifs cherchaient à le mettre à mort. Et pour leur montrer que cette vérité
n'est pas contraire à Dieu, il ajoute : « Que j'ai entendue de Dieu. » — ALCUIN. C'est qu'en effet, celui qui
est la vérité, avait été engendré par le Père, car pour lui entendre du Père,
n'est autre qu'être engendré de Dieu le Père. — ORIG. « Moi, un homme qui vous ai dit la vérité. » Je ne dis
pas encore : Moi le Fils de Dieu, je ne dis pas : Moi le Verbe, parce que le
Verbe ne meurt pas ; je dis ce que vous voyez, parce que vous pouvez mettre à
mort ce que vous voyez, et que vous ne pouvez qu'outrager ce que vous ne voyez
pas.
« Ce n'est point ce qu'à fait Abraham. » — ALCUIN. C'est-à-dire, vous prouvez justement que vous n'êtes
pas les enfants d'Abraham, parce qui; vous faites des œuvres contraires à
celles qu'a faites Abraham. — ORIG. Mais,
me dira-t-on, c'est bien in utilement qu'on fait un mérite à Abraham de n'avoir
point fait ce qu'il n'aurait pu faire de son temps, car le Christ n'était pas
né du temps d'Abraham ? Nous répondons qu'au temps même d'Abraham il y avait
des hommes qui annonçaient la vérité qu'ils avaient entendue de Dieu, et que
certainement Abraham ne chercha point à les mettre à mort. Il faut se rappeler,
en effet, que l'avènement spirituel de Jésus a toujours été présent pour les
saints, d'où je conclus que tout homme qui après sa régénération et les grâces
célestes qu'il a reçues, retombe dans le péché, crucifie de nouveau le Fils de
Dieu par les crimes dans lesquels il retombe. Ce que n'a pas fuit Abraham.
« Vous faites les oeuvres de votre père. » — S. AUG. (Traité 42.)
Il ne leur dit pas encore quel est leur père. — S. CHRYS. (hom. 53.) Son dessein, en leur parlant de la
sorte, est de détruire en eux ces sentiments de vaine gloire, que leur inspire
leur parenté avec Abraham, et de bien les persuader de placer l'espérance de
leur salut, non point dans une parenté toute naturelle, mais dans la parenté
fondée sur l'adoption spirituelle, parce, qu'en effet ce qui les empêchait de
venir à Jésus-Christ, c’est qu'ils pensaient que cette parenté avec Abraham
suffisait pour le salut.
S. AUG. (Traité 42
sur S. Jean.) Les Juifs avaient commencé à comprendre que Jésus ne leur
parlait pas de la génération ou de la parenté selon la chair, mais qu'il
s'agissait de la sage direction de toute la vie. Et comme les saintes Ecritures
donnent le nom de fornication spirituelle au culte, que l'âme, semblable à une
prostituée, rend à une multitude de fausses divinités, ils se hâtent de
répondre : « Nous ne sommes pas nés de la fornication, nous avons un seul père
qui est Dieu. » — THEOPHYL. Ils
lui font entendre par là qu'ils demandent vengeance à Dieu , et qu'ils
invoquent son appui dans les desseins qu'ils forment contre lui.
ORIG. (Traité 22 sur S. Jean.) Ou bien encore, comme Jésus leur a reproché de
n'être pas les enfants d'Abraham, ils lui répondent par un outrage personnel,
et veulent insinuer à mots couverts que le Sauveur est le fruit de l'adultère.
Il me parait cependant plus vraisemblable que cette réponse fait suite à la
discussion. Ils ont commencé par dire : « Notre père est Abraham, » et Jésus
leur a répondu : « Si vous êtes les enfants d'Abraham, faites les œuvres
d'Abraham, » ils déclarent maintenant qu'ils ont un père plus grand
qu'Abraham, c'est-à-dire Dieu, et qu'ils ne sont point enfants de la
fornication. Car ce n'est point d'une épouse légitime, mais de la matière comme
d'une prostituée, que le démon qui ne fait rien de lui-même, produit ceux qui,
plongés dans les jouissances charnelles, sont esclaves de la matière. — S.
CHRYS. (hom. 54) Mais que dites-vous ? Vous avez Dieu pour père, et vous
faites un crime au Christ de tenir ce langage ? Et cependant un grand
nombre d'entre eux étaient nés de la fornication, car les unions illicites
étaient fréquentes chez les Juifs. Le Sauveur, toutefois, ne leur en fait point
un reproche, mais il s'attache à leur prouver qu'ils ne sont point de Dieu : «
Jésus leur dit donc : Si Dieu était votre père, vous m'aimeriez certainement,
parce que je suis sorti de Dieu, et que je viens de sa part. » — S. HIL. (De la Trin., 6) Le Fils de
Dieu ne défend pas que cet auguste nom soit porté par ceux qui, faisant
profession d'être les enfants de Dieu, reconnaissent Dieu pour leur père ; mais
il blâme la téméraire présomption des Juifs qui prétendaient que Dieu était
leur père, et qui n'avaient pour lui, son Fils, aucun amour. On ne peut dire
que sortir de Dieu et venir de Dieu soient deux termes identiques, mais comme
il déclare que ceux qui proclament Dieu leur père, devraient l'aimer par ce
seul motif qu'il est sorti de Dieu , il donne donc pour motif de cet amour le
motif de sa naissance, car sortir de Dieu est la même chose que naître,
incorporellement de lui. On n'est donc vraiment digne de la religion, par
laquelle on reconnaît Dieu pour père, qu'en aimant Jésus-Christ qui a été
engendré du Père, et il est impossible d'être vraiment religieux envers le
Père, sans aimer le Fils, puisque l'unique cause d'aimer le Fils, c'est qu'il
est sorti de Dieu. Le Fils virait donc du Père, non par avènement, mais par
naissance, et la plus grande marque d'amour envers le Père sera toujours de
croire que le Fils est venu de lui.
S. AUG. (Traité 42) Le Verbe procède donc de Dieu, et il en
procède éternellement, car il en procède
comme le Verbe du Père, et il est venu jusqu’à nous, parce que le Verbe s’est
fait chair. Son avènement c'est donc son humanité, et sa demeure, sa
divinité. Vous dites que Dieu est votre Père, reconnaissez-moi au moins pour
votre frère. — S. HIL. Nôtre-Seigneur enseigne clairement qu'il ne tire point
son origine de lui-même en ajoutant : « Je ne suis pas venu de moi-même, mais
c'est lui qui m'a envoyé. » — ORIG. Je
pense que le Sauveur s'exprime de la sorte pour blâmer la conduite de ceux qui
venaient de leur propre autorité, sans être envoyés par le Père, et dont
Jérémie disait : « Je ne les envoyais point, et ils couraient d'eux-mêmes. »
(Jr 21, 23.) Mais comme les partisans des deux natures appuient leur erreur
sur ces paroles, nous pouvons leur demander sous forme d'objection : Paul, sans
doute, haïssait Jésus, lorsqu'il persécutait l'Eglise de Dieu ? Et voilà
pourquoi le Seigneur lui disait : « Pourquoi me persécutez-vous ? » Si donc
nous devons admettre la vérité de cette proposition : « Si Dieu était votre
Père, vous m'aimeriez certainement, » il faut admettre également la vérité de
cette autre proposition : « Si vous ne m'aimiez pas, Dieu ne serait pas votre
Père. » Il fut donc un temps où Paul n'aimait pas Jésus, il fut un temps où
Dieu n'était pas le père de Paul, Paul ne fut donc jamais enfant de Dieu par
nature, mais il est devenu par la suite enfant de Dieu. Or, quand devient-on le
fils de Dieu, si ce n'est quand on observe ses commandements ?
S. CHRYS. (hom. 54.) Comme ils faisaient sans cesse cette
question : Que veut-il dire, quand il nous déclare que là où il va, nous ne
pouvons aller ? le Sauveur ajoute : « Pourquoi ne reconnaissez-vous point mon
langage ? parce que vous ne pouvez point entendre ma parole. » — S. AUG. (Traité
42.) Or, ils ne pouvaient l'entendre, parce qu'ils ne voulaient pas y
croire pour réformer leur vie. — ORIG. (Traité 22.) La première chose
est donc d'obtenir la vertu d'écouter le Verbe divin, afin d'être plus fort ensuite
pour suivre la doctrine de Jésus dans toute son étendue ; car tant que l'homme
n'a pas été guéri dans le sens de l'ouïe, par la parole qui a dit au sourd de
l'Evangile : « Ouvrez-vous, » (Mc 7) il lui est impossible d'en
faire usage pour entendre.
S. CHRYS. (hom. 54
sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur a prouvé aux Juifs qu'ils n'avaient aucun
droit à se dire la race d'Abraham, et comme ils élevaient plus haut encore
leurs prétentions, en proclamant qu'ils avaient Dieu pour père, ils les confond
de nouveau en leur disant : « Vous avez le démon pour père. » — S. AUG. (Traité 42) Il faut
nous garder ici de l'erreur des Manichéens, qui prétendent qu'il existe un
certain principe du mal, une nation de ténèbres avec ses chefs, d'où le démon a
tiré son origine, c'est de là aussi que notre chair puiserait la raison de son
existence, et c'est pour confirmer cette opinion que le Sauveur dit aux Juifs :
« Vous avez le démon pour père, » c'est-à-dire qu'ils seraient mauvais par
nature, parce qu'ils tiraient leur origine de la nation des ténèbres, en
hostilité avec Dieu.
ORIG. (Traité 22) Ils sont tombés dans la même erreur que
celui qui prétendrait que l'œil d'un homme qui voit, diffère quant à sa nature
de l'œil de l'aveugle où de celui qui détourne les yeux de la lumière. Non la
nature de l'œil est la même dans ces deux hommes, mais il y a une cause
particulière qui empêche l'un de ces deux hommes de voir. Ainsi la nature de
l'âme reste la même soit qu'elle se rende à la raison, soit qu'elle y résiste.
S. AUG. (Traité 42.)
Les Juifs étaient donc les enfants du démon, non par naissance, mais par
imitation : « Et vous voulez accomplir les désirs de votre Père. » Ce qui vous
fait ses enfants, ce n'est pas que vous soyez nés de lui, c'est que vous nourrissez
les mêmes désirs. Car vous cherchez à me faire mourir, moi un homme qui vous ai
dit la vérité ; et le démon a aussi porté envie au premier homme et l'a mis à
mort : « Et il était homicide dès le commencement. » Il a été homicide à
l'égard du premier homme qu'il a pu mettre à mort, puisqu'il n'aurait pu le
mettre à mort avant qu'il commençât d'exister. Ce n'est point avec le glaive
que le démon s'est présenté pour attaquer l'homme, il lui a suffi de semer dans
son âme une mauvaise parole pour lui donner la mort. Ne vous regardez donc pas
comme innocent d'homicide, lorsque vous persuadez le mal à votre frère. Mais
pour vous, vous voulez exercer votre fureur sur mon corps, parce que vous ne
pouvez rien sur mou âme.
ORIG. Remarquez que le démon a mérité ce nom d'homicide dès le
commencement, non pour avoir commis un seul homicide, mais pour avoir mis à
mort tout le genre humain (en tant que tous les hommes sont morts dans Adam). —
S. CHRYS. (hom. 54.) Jésus
ne leur dit pas : Vous faites les œuvres, mais : « Vous voulez accomplir les
désirs de votre père, » pour exprimer la violente passion du meurtre qui les
domine, à l'exemple du démon ; et comme ils lui reprochaient continuellement de
ne point venir de Dieu, il leur insinue indirectement que celle pensée vient
aussi du démon : « Et il n'est point demeuré dans la vérité. » — S. AUG. (Cité de Dieu, 11, 13.) Il
en est qui prétendent que dès le commencement de son existence, le démon n'est
point demeuré dans la vérité, et qu'il n'a jamais eu part à la béatitude des
saints anges ; car, disent-ils, il a refusé de se soumettre à son Créateur, et
il est devenu aussitôt un esprit faux et trompeur, parce qu'au lieu de
conserver par une humble soumission ce qu'il était véritablement, il a mieux
aimé affecter par un excès d'orgueil, une élévation qui ne lui appartenait pas.
Ce sentiment n'a rien de commun avec l'erreur des Manichéens qui enseignent que
le démon tient sa nature mauvaise d'un principe essentiellement mauvais et
opposé à Dieu. Séduits par la vanité de leurs pensées, ils ne font point
attention que Nôtre-Seigneur n'a pas dit : Il fut étranger à la vérité, mais :
« Il n'est pas demeuré dans la vérité, » ce qui indique qu'il est tombé des
hauteurs de la vérité, (chap. 15) Ils entendent encore ces paroles de saint
Jean : «Le démon pèche dès le commencement, » (1 Jn 3)
dans ce sens qu'il n'a jamais été sans péché. Mais comment expliquer alors les
témoignages contraires des prophètes ? celui d'Isaïe qui, voulant figurer le
démon dans la personne du roi de Babylone, lui dit : « Comment est tombe du
ciel Lucifer, ce bel astre qui se levait dès le matin ? » (Is 14) et
celui d'Ezéchiel : « Vous avez été dans les délices du paradis de Dieu. » (Ez
28) Si l’on ne peut donner de
ces deux passages une interprétation plus fondée, il faut les entendre dans ce
sens que le démon a été dans la vérité, mais qu'il n'y a pas demeuré. Quant à
ces paroles de saint Jean : « Le démon pèche dès le commencement, » il faut les
entendre non point du moment qu'il a été créé, mais de celui où il a commencé à
pécher. Car c'est en lui que le péché a commencé, et il a été lui-même le
commencement du péché.
ORIG. (Traité 20.) Il n'y a qu'une manière uniforme de demeurer
dans la vérité, tandis qu'on en sort par des voies nombreuses et variées ; les
uns dont les genoux sont chancelants, s'efforcent de demeurer dans la vérité,
et ne peuvent y réussir ; d'autres, sans être aussi faibles, éprouvent la même
hésitation au milieu des dangers, selon cette parole du Roi-prophète :
« Pour moi, mes pieds ont été ébranlés ; » (Ps 71) d'autres enfin tombent et se
détachent complètement delà vérité. Or, le Sauveur nous donne la raison pour
laquelle le démon n'est pas resté fidèle à la vérité, « c'est que la vérité
n'est point en lui, » c'est-à-dire qu'il s'est laissé entraîner par la vanité
de ses pensées, et qu'il a été son propre séducteur, en cela d'autant plus
méchant, que les hommes sont trompés par lui, tandis qu'il est lui-même
l'auteur de sa déception. Mais dans quel sens est-il dit que la vérité n'est pas
en lui ? Faut-il admettre qu'il n'a jamais possédé la véritable doctrine, et
que toutes ses pensées ne sont que mensonge ? Ou bien ces paroles
signifient-elles qu'il n'a jamais été participant de Jésus-Christ qui a dit de
lui-même : « Je suis la vérité ? » Il est impossible, ce me semble, qu'une
nature raisonnable ait des idées fausses sur toutes choses, et n'aperçoive pas,
ne fût-ce qu'une petite partie de la vérité, et le démon comprend au moins
cette vérité qu'il est lui une nature raisonnable. L'essence de sa nature n'est
donc pas contraire à la vérité, elle n'est pas un composé d'erreur et
d'impuissance ; car alors il ne pourrait jamais connaître la vérité. — S. AUG. (Cité de Dieu, 11, 18.) Ou
bien encore, Nôtre-Seigneur en disant : « La vérité n'est point en lui, »
répond à la question qu'on pourrait lui faire, et donne la raison pour laquelle
le démon n'est point demeuré dans la vérité, c'est que la vérité n'était point
en lui, et elle eût été en lui, s'il y fût demeuré.
« Lorsqu'il dit le mensonge, il dit ce qu'il trouve en lui-même, parce
qu'il est menteur et le père du mensonge. » — S. AUG. Ces paroles ont donné lieu à quelques-uns de penser que
le démon avait un père, et de rechercher quel était son père, c'est l'erreur
des Manichéens. Le Sauveur dit que le démon est le père du mensonge. En effet,
tout homme qui ment n'est pas le père de son mensonge ; ainsi vous avez entendu
un mensonge et vous le répétez ; vous avez menti, il est vrai, mais vous n'êtes
pas le père de ce mensonge. Le démon, au contraire, n'a point reçu d'ailleurs
le mensonge avec lequel il a tué le premier homme, comme un serpent avec son
venin ; il est donc le père du mensonge, comme Dieu est le père de la vérité. —
THEOPHYL. Il a été tout à la fois
l'accusateur de Dieu près des hommes, en disant à Eve que c'était par envie
qu'il leur avait défendu de manger du fruit de l'arbre ; et l'accusateur des
hommes près de Dieu, lorsqu'il dit à Dieu, par exemple : Est-ce donc en vain
que Job honore Dieu ?
ORIG. (Traité 20.) Remarquez que ce nom de menteur est donné
aussi bien au démon, qui est le père du mensonge, qu'à l'homme, selon ces
paroles du Psalmiste : « Tout homme est menteur ; » (Ps 115) car
celui qui n'est pas coupable de mensonge n'est pas seulement un homme, et ou
peut lui appliquer, ainsi qu'à ceux qui lui ressemblent, ces paroles : « Je
l'ai dit, vous êtes des dieux. » (Ps 81,
6.) Lors donc qu'un homme profère un mensonge, il parle de son propre
fonds. L'Esprit saint, au contraire, parle d'après le Verbe de la vérité et de
la sagesse, d'après ces paroles du Sauveur : « Il recevra de ce qui est à moi,
et vous l'annoncera. » (Jn 15, 14.) — S. AUG. (Quest. sur le Nouv. et l'Anc. Test., quest. 90.)
Ou bien encore le diable n'est pas ici un nom spécial, mais un nom commun, que vous
pouvez donner à tout homme en qui vous trouvez les œuvres du diable, car c'est
un nom qui convient aux actions plutôt qu'à la nature. Nôtre-Seigneur veut
indiquer que les Juifs ont pour père Caïn, parce qu'ils veulent se rendre ses
imitateurs en le mettant à mort. C'est Caïn, en effet, qui a donné le premier
exemple de fratricide, et le Sauveur dit qu'il puise le mensonge dans son
propre fonds, pour nous apprendre qu'on ne peut pécher que par sa propre
volonté. Comme Caïn a été lui-même l'imitateur du diable, on lui donne pour
père le diable, dont il a imité les œuvres.
ALCUIN. Dieu est la vérité, et le Fils de Dieu, qui est la vérité ne peut dire
lui-même que la vérité; mais les Juifs (qui étaient les enfants du démon)
avaient la vérité en horreur, comme le Sauveur le leur reproche : « Et moi, si
je vous dis la vérité, vous ne me croyez point. » — ORIG. ( Traité 20. ) Mais comment peut-il faire ce
reproche aux Juifs qui ont cru en lui ? Il faut remarquer ici qu'on peut croire
sous un rapport, et ne pas croire sous un autre, comme ceux par exemple qui
croient en Celui qui a été crucifié sous Ponce-Pilate, et qui ne croient pas
qu'il soit né de la Vierge Marie ; ils croient et tout à la fois ne croient pas
à la même personne. C'est ainsi que les Juifs à qui s'adressait Nôtre-Seigneur
croyaient en lui à la vue des miracles qu'il opérait, et ne croyaient pas aux
vérités sublimes qu'il leur enseignait.
S. CHRYS. (hom. 54)
C'est donc parce que vous êtes les ennemis de la vérité, que sans avoir aucune
accusation à formuler contre moi, vous voulez me mettre à mort. C'est pour cela
qu'il ajoute : « Quel est celui d'entre vous qui me reprendra de péché ? » — THEOPHYL. C'est-à-dire, si vous êtes
les enfants de Dieu, vous devez nécessairement haïr ceux qui l'offensent, si
donc vous ne pouvez me convaincre de péché, moi, l'objet de votre haine, il est
évident que c'est par haine de la vérité que vous me haïssez, parce que
je me dis le Fils de Dieu. — ORIG. (Traité
20.) Ces paroles de Jésus-Christ sont l'expression d'une confiance
extraordinaire, et aucun autre homme ne peut porter un semblable défi, si ce
n'est Nôtre-Seigneur, qui n'a jamais connu le péché. (1 P 2,
22.) — S. GREG. (hom. 18 sur les Evang.) Considérez ici la
douceur de Nôtre-Seigneur, il ne dédaigne point de prouver qu'il n'est point
pécheur, lui qui par sa vertu divine pouvait justifier les pécheurs. Il ajoute
donc : « Celui qui est de Dieu, entend les paroles de Dieu, et c'est parce que
vous n'êtes pas de Dieu, que vous ne les entendez pas. » — S. AUG. (Traité 43.)
Ne considérez donc pas ici la nature, mais le vice de la nature. Les Juifs
étaient de Dieu, et n'étaient pas de Dieu; leur nature venait de Dieu, le vice
de leur nature n'en venait point. Or, le Sauveur adresse ce reproche
non-seulement à ceux qui étaient coupables de péché, car ils l'étaient tous ;
mais à ceux qu'il prévoyait devoir repousser la foi, qui seule aurait pu les
affranchir des liens de leurs péchés. — S. GREG.
(hom. 18 sur les Evang.) Que chacun se demande s'il écoute
les paroles de Dieu avec l'oreille du cœur, et il saura d'où il vient. Il en
est, en effet, qui ne veulent même pas écouter les préceptes divins des
oreilles du corps ; il en est d'autres qui ouvrent ces oreilles pour les
entendre, mais qui n'éprouvent pour ces préceptes aucun désir du cœur; il en
est d'autres enfin, qui reçoivent volontiers la parole de Dieu, et qui s'en
laissent pénétrer jusqu'aux larmes, mais après ce moment consacré aux larmes du
repentir, ils retournent à leurs iniquités ; et on peut dire qu'ils n'écoutent
pas véritablement les paroles de Dieu, parce qu'ils refusent de les traduire
dans leurs œuvres.
S. CHRYS. (hom. 54
sur S. Jean.) Toutes les fois que le Sauveur leur enseignait une
doctrine plus relevée, les Juifs, aveugles par leur fureur insensée, n'y
voyaient qu'un acte de folie. « Les Juifs lui répondirent donc :
N'avons-nous pas raison de dire que vous êtes un Samaritain, » etc. — ORIG. (Traité 20.) C'est une
question digne d'intérêt que de savoir comment les Juifs ont osé traiter de
Samaritain le Sauveur, lui qui n'a cessé de multiplier ses enseignements sur la
résurrection et le jugement, alors que les Samaritains, au contraire, nient la
vie future et l'immortalité de l'âme. Mais peut-être est-ce un outrage purement
gratuit qu'ils lui font en lui donnant le nom d'une secte dont il ne partage
pas les opinions. — ALCUIN. Les
Samaritains, nation odieuse au peuple juif, occupaient le pays habité autrefois
par les dix tribus qui furent emmenées en captivité. — ORIG. On peut dire aussi que quelques-uns pensaient que Jésus
partageait l'opinion des Samaritains sur l'anéantissement de l'âme après la
mort, et que c'était pour plaire aux Juifs, et sans y croire, qu'il leur
parlait de la résurrection et de la vie éternelle. Ils l'accusent d'avoir en
lui le démon, parce que les grandes vérités qu'il leur enseignait, que Dieu
était son Père, qu'il était descendu du ciel et d'autres choses semblables,
dépassaient la portée de l'intelligence humaine. Ou bien encore ils adoptaient
les soupçons de plusieurs d'entre eux, qui pensaient que c'était par Béelzébub,
prince des démons, qu'il chassait lui-même les démons.— THEOPHYL. Ou bien
encore ils le traitaient de Samaritain, comme détruisant les pratiques de la
loi des Hébreux, en particulier l'observance du sabbat, car les Samaritains
n'observaient point parfaitement toutes les pratiques de la loi juive. Ils
soupçonnaient qu'il avait en lui un démon, parce qu'il leur révélait leurs
propres pensées. L'Evangéliste ne mentionne pas dans quelles circonstances ils
l'avaient appelé Samaritain, preuve que les Evangélistes ont passé beaucoup de
choses sous silence.
S. GREG. (hom. 18 sur les Evang.) Le Fils de Dieu reçoit
ces outrages et n'y répond point par des injures : Jésus repartit : « Il n'y a
point en moi de démon ; » ainsi nous enseigne-t-il à ne point divulguer les
véritables défauts du prochain, lors même que ses outrages n'ont d'autre
fondement que la calomnie, de peur que le ministère de la correction
fraternelle ne devienne une occasion et un instrument de vengeance. — S. CHRYS. (hom. 54) Remarquons
aussi que lorsqu'il s'agissait de les instruire et de combattre leur orgueil,
Jésus se montrait plus sévère, mais lorsqu'il n'y avait que des outrages à
supporter, il faisait preuve de la plus grande douceur, nous apprenant ainsi à
venger les injures qui sont faites à Dieu, et à mépriser celles dont nous
sommes l'objet. — S. AUG. (Traité
43.) Son dessein est encore que l'homme imite d'abord sa patience pour
parvenir à la puissance qu'il désire. Nôtre-Seigneur ne rend donc pas injure
pour injure ; toutefois il regarde comme un devoir de repousser leur imputation
calomnieuse. Ils avaient formulé contre lui deux accusations : « Vous êtes un
Samaritain, » et : « Vous êtes possédé du démon. » Jésus ne nie point
qu'il est Samaritain, car le mot Samaritain veut dire gardien, et il
savait qu'il était notre gardien par excellence, car s'il avait pour mission de
nous racheter, n'avait-il pas aussi celle de nous conserver ? — ORIG. N'est-il pas d'ailleurs le bon
Samaritain, qui s'est approché du voyageur blessé, et a pratiqué à son égard
tous les devoirs de la miséricorde ? (Lc 18) Disons encore que le
Sauveur, bien plus que l'apôtre saint Paul, a voulu se faire tout à tous pour
gagner tous les hommes, et c'est pour cela qu'il ne nia point qu'il fût
Samaritain. Il n'appartenait du reste qu'à Jésus seul de pouvoir dire : « Il
n'y a point de démon en moi, » etc. ; et encore ces autres paroles : « Le
prince de ce monde vient et il n'a rien en moi ; » (Jn 14) car les péchés
qui sont regardés comme les plus légers, étaient attribués au démon.
S. AUG. (Traité 43
sur S. Jean,) Après avoir reçu un tel outrage, Nôtre-Seigneur ne dit que
ces paroles dans l'intérêt de sa gloire : « Mais j'honore mon Père, »
c'est-à-dire, je ne m'honore point moi-même, pour ne pas prêter à l'accusation
d'arrogance, il eu est un autre que j'honore. — THEOPHYL. Il a honoré son Père en vengeant sa gloire et en ne
permettant pas à des homicides et des menteurs de se proclamer les vrais
enfants de Dieu. — ORIG. (hom.
20.) Jésus-Christ seul a véritablement honoré son Père, car personne ne
peut prétendre honorer Dieu, s'il témoigne encore quelque honneur à des choses
que Dieu n'a point en estime. — S. GREG.
(hom. 18 sur les Evang.) Mais comme tout homme qui brûle
de zèle pour la gloire de Dieu est exposé aux outrages des méchants, le
Seigneur a voulu nous donner dans sa personne un exemple de patience, lorsqu'il
se contente de répondre aux Juifs : « Et vous, vous me déshonorez. » — S. AUG. C'est-à-dire, je fais ce que je
dois faire, et vous, vous ne faites pas ce que vous devez faire. — ORIG. (Traité 20.) Ces paroles
ne s'adressent pas seulement aux Juifs, mais à tous ceux qui commettent
l'injustice, à ceux qui outragent Jésus-Christ, qui est la justice, comme à
ceux qui font outrage à la sagesse, parce que Jésus-Christ est la sagesse, et
ainsi des autres vertus. — S. GREG. Mais
que devons-nous opposer aux outrages que nous recevons ? Le Sauveur nous
l'apprend par son exemple : « Pour moi, je glorifie mon Père, » etc. — S. CHRYS. (hom. 54.) C'est-à-dire,
l'honneur que je professe pour mon Père m'a porté à vous adresser ces paroles,
et c'est pour cela que vous me déshonorez, mais peu m'importent vos outrages,
je laisse le soin de les châtier à celui pour l'honneur duquel je les supporte.
ORIG. (Traité 20.) Dieu cherche la gloire de Jésus-Christ dans
chacun de ceux qui le reçoivent, et il la trouve dans tous ceux qui cultivent
avec soin les principes de vertu répandus dans leur âme, mais s'il est trompé dans
ses recherches, il punit sévèrement ceux en qui il ne trouve pas la gloire de
son Fils. C'est ce que signifient ces paroles : « Il est quelqu'un qui en
prendra soin et qui fera justice. » — S. AUG.
(Traité 43) De qui veut-il parler, si ce n'est de son Père ? Or
comment dit-il dans un autre endroit : « Le Père ne juge personne, mais il a
donné tout pouvoir de juger à son Fils ? » (Jn 5) Il faut se rappeler
que le mot jugement se prend quelquefois dans le sens de condamnation, tandis
qu'ici il signifie simplement discernement, séparation ; Nôtre-Seigneur leur
dit donc : « C'est à mon Père de discerner, de séparer ma gloire de la vôtre ;
» car vous ne recherchez que la gloire de ce monde, quant à moi, je ne veux
point de cette gloire, Dieu distingue et sépare encore la gloire de son Fils de
la gloire des hommes, car le mystère de son incarnation ne l'a pas entièrement
assimilé à nous ; nous sommes des hommes coupables de péché, mais pour lui il
est sans péché, même en tant qu'il a pris la forme d'esclave ; car qui pourrait
dignement redire ces paroles : « Au commencement était le Verbe ? » — ORIG. Ou bien encore, s'il faut
admettre la vérité de ces paroles du Sauveur à son Père : « Tout ce qui est à
vous est à moi, » il est évident que le pouvoir de juger qui est propre au Fils
appartient au Père.
S. GREG. (hom. 18 sur
les Evang.) Lorsque les prédicateurs voient s'accroître la perversité des
méchants, non-seulement ils ne doivent point s'en laisser abattre, ils doivent
au contraire redoubler de zèle. Voyez Nôtre-Seigneur, les Juifs l'accusent
d'avoir en lui le démon, et pour toute vengeance, il leur donne avec plus de
profusion les bienfaits de sa divine doctrine : « En vérité, en vérité, je vous
le dis, si quelqu'un garde ma parole, il ne verra point la mort, » etc. — S. AUG. (Traité 43) Il ne verra
point, c'est-à-dire, il n'éprouvera point la mort. Le Sauveur qui devait mourir
parlait à des hommes qui devaient mourir eux-mêmes, que signifient donc ces
paroles : « Celui qui gardera ma parole ne verra point la mort ? » C'est qu'il
avait en vue une autre mort dont il était venu nous délivrer, la mort
éternelle, la mort de la damnation avec le démon et ses anges. Voilà la seule
vraie mort, l'autre n'est qu'un passage. — ORIG.
(Traité 20.) Ces paroles : « Si quelqu'un garde ma parole, il ne
verra jamais la mort, » doivent être entendues dans ce sens : Si quelqu'un
garde fidèlement ma lumière, il ne verra point les ténèbres. Le mot
éternellement doit être entendu dans cette signification usuelle : Celui qui
gardera éternellement ma parole, ne verra pas éternellement la mort. On ne voit
jamais en effet la mort tant qu'on garde la parole de Jésus, mais lorsqu'on se
relâche dans l'observance de ses commandements et dans la vigilance sur
soi-même, on cesse de garder sa parole, alors on voit la mort qu'on ne trouve
nulle part ailleurs qu'en soi-même. Ainsi instruits par le Sauveur, nous
pouvons répondre au prophète qui nous demande : « Quel est l'homme qui vivra et
ne verra pas la mort ? » C'est celui qui aura gardé la parole de Jésus-Christ.
— S. CHRYS. (hom. 54)
Celui qui aura gardé, non-seulement par la foi, mais par la pratique d'une vie
pure. Nôtre-Seigneur, en même temps, fait entendre indirectement aux Juifs
qu'ils ne peuvent rien contre lui, car si celui qui garde sa parole ne mourra
jamais, à plus forte raison ne peut-il mourir lui-même.
S. grég. (hom. 18 sur
les Evang.) De même que les bons deviennent meilleurs par les outrages dont
ils sont l'objet, ainsi les méchants deviennent pires par les bienfaits qu'ils
reçoivent, c'est ainsi que les Juifs, en reconnaissance des enseignements du
Sauveur, blasphèment de nouveau contre lui. Les Juifs lui dirent : Nous voyons
maintenant qu'un démon est en vous. — ORIG.
Ceux qui croient aux saintes Ecritures savent que ce que les hommes font
de contraire à la droite raison, n'est point étranger à l'action du démon. Les
Juifs pensaient donc que c'était sous l'inspiration du démon, que Jésus avait
dit : « Si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. » Ils
tombèrent dans cette erreur, parce qu'ils n'ont point considéré la puissance de
Dieu. Le Sauveur veut parler ici de celte mort ennemie de la droite raison et
qui frappe tous les pécheurs ; les Juifs, au contraire, n'entendent que la mort
ordinaire, et tournent en ridicule ses paroles, en lui rappelant qu'Abraham et
les prophètes sont morts : « Abraham et les prophètes sont morts, vous dites :
Si quelqu'un garde ma parole, il ne goûtera jamais la mort, » etc. Il y a une
différence entre « goûter la mort et voir la mort, » cependant au lieu de : «
Il ne verra pas la mort, » ils disent : « Ils ne goûtera pas la mort, » comme
des auditeurs inattentifs qui confondent les paroles du Sauveur. De même, en
effet, que le Seigneur, en tant qu'il est le pain vivant, peut être goûté, et
qu'il est la beauté visible en tant qu'il est la sagesse de Dieu ; de même, la
mort qui est son ennemie, peut être goûtée et vue. Tout homme qui se tient dans
un milieu spirituel ne goûtera point la mort s'il reste dans cet état, selon
ces paroles : « Il en est de ceux qui se tiennent ici qui ne goûteront pas la
mort, » (Mt 16) mais pour celui qui reçoit et garde la parole de
Jésus-Christ, il ne verra jamais la mort.
S. CHRYS. (hom. 55.) La vaine gloire les fait encore invoquer
leur parenté avec Abraham : « Etes-vous plus grand que notre père Abraham,
qui est mort ? » Ils auraient pu aussi bien lui dire : « Etes-vous plus grand que Dieu, qui n'a point
sauvé de la mort ceux qui ont entendu sa parole ? » Mais ils ne le font pas,
parce qu'ils le considèrent comme bien inférieur à Abraham. — ORIG. Ils ne comprennent pas que celui
qui est né de la Vierge est plus grand, non-seulement qu'Abraham, mais que tous
ceux qui sont nés des femmes. D'ailleurs, il est contraire à la vérité de dire
comme ils le font, qu'Abraham est mort, car Abraham a entendu la parole du
Christ et l'a gardée aussi bion que les prophètes, dont les Juifs ajoutent : «
Et que les prophètes qui sont morts. » Ils ont gardé, en effet, la parole de
Dieu, lorsque cette parole s'est fait entendre par exemple à Osée ou à Jérémie
; d'autres ont pu la garder, mais les prophètes l'ont gardée les premiers. Ils
mentent donc à la vérité, et lorsqu'ils accusent Jésus-Christ d'être possédé du
démon, et lorsqu'ils disent : « Abraham est mort aussi bien que les prophètes.
» —S. GREG. (hom. 18 sur
les Ev.) Ils étaient livrés à la mort éternelle, et ils n'apercevaient pas
cette mort à laquelle ils s'étaient dévoués, au milieu des ténèbres qui les
environnaient, ils ne voyaient que la mort du corps dans les discours de la
vérité. Ils lui font ensuite cette question : « Qui êtes-vous ? » — THEOPHYL.
C'est-à-dire, vous qui n'êtes digne d'aucune considération, fils d'un
charpentier de la Galilée, vous voulez vous attribuer une gloire qui ne vous appartient
pas. — BEDE. « Que prétendez-vous
être ? » c'est-à-dire, quel mérite, quelle dignité voulez-vous qu'on vous
suppose ? Abraham était mort de la mort du corps, mais son âme était vivante ;
or, la mort de l'âme qui doit vivre éternellement, est bien autrement
importante que la mort du corps destiné à mourir un jour.
ORIG. Cette question suppose un grand aveuglement dans les Juifs, car Jésus
ne s'est pas fait ce qu'il est, mais il l'a reçu de son Père : « Jésus répondit
: Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien. » — S. CHRYS. (hom. 55.) Nôtre-Seigneur
en parlant de la sorte, se conforme à leur manière de voir, comme dans ces
autres paroles : « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n'est pas
vrai. »
BEDE. Le Sauveur fait ainsi voir le néant de la gloire de ce monde. — S. AUG. (Traité 42.) C'est la
réponse à la question qu'ils lui ont faite : « Que prétendez-vous être ? » Il
rapporte toute sa gloire à Dieu son Père de qui il vient. Il ajoute : « C'est
mon Père qui m'a glorifié. » Les Ariens accusent ici notre foi et disent : Le
Père est donc plus grand que le Fils, puisqu'il le glorifie ? Hérétiques que
vous êtes, vous n'avez donc pas entendu le Fils, vous dire qu'il glorifie
lui-même son Père ? — ALCUIN. Quant
au Père, il a glorifié son Fils lors de son baptême (Mt 3), sur la
montagne du Thabor (Mt 16), aux approches de sa passion, lorsqu'une voix
du ciel se fit entendre devant le peuple (Jn 12), et après sa passion,
lorsque Dieu l'a ressuscité et placé à la droite de sa majesté. (Ep 1 ; He
1) Il ajoute : « Lui que vous dites être votre Dieu. » — S. CHRYS. Il voulait leur prouver que
non-seulement ils ne le connaissaient pas, mais qu'ils ne connaissaient même
pas Dieu. — THEOPHYL. En effet,
s'ils connaissaient véritablement le Père, ils honoreraient son Fils. Mais ils
méprisent Dieu lui-même qui a défendu l'homicide dans la loi, lorsqu'ils
demandent à grands cris la mort du Sauveur : Aussi, ajoute-t-il encore :
« Et vous ne le connaissez pas. » — ALCUIN.
C'est-à-dire, vous l'appelez votre Dieu dans un sens tout charnel, vous
ne le servez que pour un obtenir les biens de la terre, et vous ne le
connaissez pas comme il doit être connu, vous ne lui rendez pas un culte
spirituel.
S. AUG. (Traité 45 sur S. Jean.) Il est des hérétiques qui
prétendent que le Dieu annoncé dans l'Ancien Testament n'est point le Père de
Jésus-Christ, mais je ne sais quel prince des mauvais anges. Notre-Seigneur
combat cette erreur, en appelant son Père celui qu'ils disaient être leur Dieu,
sans le connaître, car s'ils l'avaient connu, ils auraient reçu son Fils : «
Quant à moi, ajoute le Sauveur, je le connais. » Cette assertion put paraître
téméraire et présomptueuse à ceux qui ne le jugeaient que selon les yeux de la
chair, mais s'il faut fuir la présomption, ce ne doit jamais être aux dépens de
la vérité, c'est pour cela qu'il ajoute : « Et si je disais que je ne le
connais point, je serais menteur comme vous. » — S. CHRYS. (hom. 55.) C'est-à-dire, de même que vous
mentez en disant que vous le connaissez, je mentirais moi-même, si je disais
que je ne le connais point. Mais la plus grande preuve que Jésus est envoyé de
Dieu, c'est ce qu'il ajoute : « Pour moi je le connais, et je garde sa parole.
» — THEOPHYL. Je le connais d'une connaissance naturelle et parfaite, car je
suis absolument égal à mon Père, donc je le connais, puisque je me connais
moi-même. Et la preuve qu'il le connaît, c’est, ajoute-t-il, « que je
garde sa parole, » c'est-à-dire ses commandements. Il en est qui l'entendent en
ce sens : « Je garde la raison d'être, » parce qu'en effet, le Fils a la
même raison d'être que le Père. C'est pour cela que je connais mon Père, la
particule mais doit être prise ici dans le sens de parce que : «
Je connais mon Père, parce que je garde sa parole ou sa raison d'être. » — S. AUG. (Traité 45.) Comme Fils du
Père, il faisait entendre sa parole, et il était lui-même le Verbe de Dieu qui
parlait aux hommes.
S. CHRYS. (hom. 55)
Etes-vous plus grand que notre père Abraham, lui avaient demandé les Juifs ?
Nôtre-Seigneur eu leur répondant ne leur dit rien de sa mort, et voici comme il
leur montre qu'il est plus grand qu'Abraham : « Abraham, votre père, a
tressailli du désir de voir mon jour, il l'a vu, et a été rempli de joie, »
pour tout le bien qu'il a reçu de moi comme lui étant supérieur. — THEOPHYL. C'est-à-dire, mon jour a été
l'objet de ses désirs les plus ardents, et de sa joie la plus vive, et il ne
l'a pas considéré comme quelque chose de fortuit et de peu d'importance. — S. AUG. (Traité 45.) Abraham ne craignit
pas de voir ce jour, mais il tressaillit du désir de le voir , sa foi le fit
aussi tressaillir d'espérance de voir et de comprendre mou jour. On ne peut
dire d'une manière certaine si le Sauveur a voulu parler du jour de sa vie
mortelle, ou de ce jour qui n'a ni lever ni coucher. Mais pour moi, je ne doute
pas qu'Abraham n'ait connu l'un et l'autre de ces deux jours, car lorsqu'il
envoie son serviteur demander une épouse pour son fils Isaac, il lui dit : «
Mets ta main sous ma cuisse et jure-moi par le Dieu du ciel. » (Gn 24)
Or, que signifiait ce serment ? que c'était de la race d'Abraham que le Dieu du
ciel viendrait un jour dans une chair mortelle. — S. GREG. (hom. 18 sur les
Evang.) Abraham vit encore le jour du Seigneur, lorsqu'il donna l'hospitalité
à trois anges qui étaient la figure de la sainte Trinité. (Gn 8) Ou
bien encore, ce jour, c'est le jour de sa croix, dont Abraham vit la
figure dans l'immolation du bélier et d'Isaac. (Gn 22) Il leur prouvait
ainsi que ce n'était point malgré lui qu'il allait endurer les souffrances de
sa passion, et en même temps qu'ils étaient de véritables étrangers pour
Abraham, puisqu'ils trouvaient un sujet de douleur dans ce qui l'avait fait
tressaillir d'allégresse. — S. AUG. (Traité 45.) Quelle joie dut inonder
le cœur de celui qui vit le Verbe immuable, brillant d'un éclat resplendissant
aux regards de la piété, Dieu restant toujours avec son Père, et qui ne devait
point quitter le sein de Dieu, lorsqu'il viendrait sur la terre revêtu d'une
chair mortelle ?
S. GREG. (hom. 48
sur
les Evang.) L'esprit charnel des Juifs en entendant ces
paroles de Jésus-Christ n'élève pas les yeux au-dessus de la terre, et ne songe
qu'à l'âge de la vie mortelle du Sauveur : « Mais les Juifs lui
répliquèrent : Vous n'avez pas encore cinquante ans, et vous avez vu Abraham ?
» c'est-à-dire , il y a bien des siècles qu'Abraham est mort, et comment a-t-il
pu voir votre jour ? Ils entendaient ces paroles dans un sens tout charnel. — THEOPHYL. Jésus-Christ n'avait alors
que trente-trois ans, pourquoi donc ne lui disent-ils pas : Vous n'avez pas
encore quarante ans, mais : « Vous n'avez pas encore cinquante ans ? » Question
tout à fait inutile. Les Juifs dirent tout simplement ce qui se présenta à leur
esprit. Il en est cependant qui pensent qu'ils ont choisi le nombre cinquante
par respect pour l'année du jubilé, dans laquelle ils rendaient la liberté aux
esclaves et où chacun rentrait dans les biens qu'il avait possédés. (Lv
25, 26) — S. GREG. (hom. 18.)
Notre Sauveur les détourné avec douceur de ces pensées qui n'avaient pour objet
que sa chair, et cherche à les élever jusqu'à la contemplation de sa divinité :
« Jésus leur répondit : En vérité, en vérité , je vous le dis, avant qu'Abraham
fût fait, moi je suis, » paroles qui ne peuvent convenir qu'à sa divinité ; car
le mot avant embrasse tout le temps passé, et le mot je suis, le
présent, or comme la divinité ne connaît ni passé ni futur, mais qu'elle est
continuellement au présent, Nôtre-Seigneur ne dit pas : Avant Abraham j'étais,
mais : « Avant Abraham je suis, » selon ces paroles de Dieu à Moïse : « Je suis
celui qui suis. » (Ex 3) Celui donc qui s'est rapproché de nous en nous
manifestant sa présence, et qui s'en est séparé en suivant le. cours ordinaire
de la vie, a existé avant comme après Abraham. — S. AUG. Remarquez encore que comme Abraham est une créature, le
Sauveur ne dit pas : Avant qu'Abraham existât, mais : « Avant qu'Abraham
fût fait, » et il ne dit pas non plus : J'ai été fait, car le Verbe était au
commencement.
S. GREG. (hom. 18.) Mais ces esprits incrédules ne peuvent
supporter ces paroles d'éternité, et ils cherchent à écraser celui qu'ils ne
peuvent comprendre : « Alors ils prirent des pierres pour les lui jeter. » — S.
AUG. A quoi ces cœurs si durs
pouvaient-ils avoir recours qu'à ce qui leur ressemblait, c'est-à-dire à des
pierres ? — THEOPHYL. C'est après
qu'il a terminé tous les enseignements qui avaient pour objet sa divine
personne, qu'ils lui jettent des pierres, et Jésus les abandonne comme incapables
de revenir à de meilleurs sentiments : « Mais Jésus se cacha et sortit du
temple. » Jésus ne se cache pas dans un coin du temple par un sentiment de
crainte, il ne s'enfuit pas dans une maison écartée, il ne se dérobe pas à
leurs regards derrière un mur ou une colonne, mais par un effet de son pouvoir
divin, il se rend invisible aux yeux de ses ennemis, et passe au milieu d'eux.
— S. GREG. S'il avait voulu faire
un usage public de sa puissance divine, il eût pu les enchaîner dans leurs
propres filets par un seul acte de sa volonté, ou les frapper du terrible
châtiment d'une mort subite, mais il était venu pour souffrir, et ne voulait
pas faire les fonctions de juge. — S. AUG.
Il valait mieux d'ailleurs nous recommander la pratique de la patience
que l'exercice de la puissance. — ALCUIN.
Il fuit encore, parce que l'heure de sa passion n'était pas encore
venue, et qu'il n'avait pas choisi ce genre de mort. — S. AUG. Il fuit donc, comme le ferait un
homme, les pierres qu'on veut lui jeter, mais malheur aux cœurs de pierre dont
le Seigneur s'enfuit !
BEDE. Dans le sens allégorique, autant de mauvaises pensées, autant de
pierres lancées contre Jésus, et celui qui va plus loin jusqu'au délire de la
passion, étouffe Jésus, autant qu'il le peut faire. — S. GREG. Mais quelle
leçon le Sauveur veut-il nous donner eu se cachant ? c'est que la vérité se
cache aux yeux de ceux qui négligent de suivre ses enseignements. La vérité
s'enfuit de l'âme, en qui elle ne trouve point la vertu d'humilité. Que nous
enseigne-t-il encore par cet exemple ? c'est que lors même que nous avons le
droit de résister, nous nous dérobions avec humilité à la colère des esprits
orgueilleux.
S. CHRYS.
(hom. 56 sur S. Jean.) Comme les Juifs n'avaient pu
comprendre la hauteur des enseignements de Jésus-Christ, en sortant du temple,
il guérit un aveugle. Il veut en se dérobant à leurs regards apaiser leur
fureur, et en même temps amollir leur dureté par le miracle qu'il va faire et
confirmer la vérité de ses paroles : « Et comme Jésus passait, Jésus vit un
homme qui était aveugle de naissance, » etc. Remarquons qu'en sortant du
temple, il a le dessein formel d'opérer une œuvre qui fit connaître sa
divinité, car c'est lui qui vit l'aveugle, ce ne fut point l'aveugle qui vint
le trouver, et il le considéra avec tant d'intérêt, que ses disciples le
remarquèrent et lui firent cette question : « Maître, est-ce cet homme qui a
péché ou ses parents ? » — S. AUG. (Traité 44 sur S. Jean). Rabbi
veut dire maître, ils lui donnent le nom de maître, parce qu'ils
voulaient apprendre de lui ce qu'ils ignoraient ; et ils proposent cette
question au Seigneur comme à leur maître. — THEOPHYL. Cette question paraît fautive de la part des Apôtres, qui n'admettaient pas cette
opinion ridicule des Gentils, que l'âme avait péché dans un autre monde où elle
avait vécu auparavant ; mais en y réfléchissant de plus près, cette question
n'est pas aussi simple qu'elle le parait. — S. CHRYS. (hom. 56.)
Ils furent amenés en effet à lui faire cette question, parce qu'en guérissant
le paralytique, Jésus lui avait dit : « Voilà que vous êtes guéri, ne
péchez plus davantage. » (Jean, 5) Et dans la pensée que ses péchés
avaient été la cause de sa paralysie, ils demandent si cet aveugle ne s'est pas
rendu aussi coupable de péché, ce qu'on ne pouvait ni dire ni supposer,
puisqu'il était aveugle de naissance ; ou bien ses parents, ce qui n'était pas
plus raisonnable, car le fils ne porte pas le péché du père.
« Jésus répondit : Ce n'est point qu'il ait
péché, ni ses parents. — S. AUG. Est-ce
donc qu'il était né sans la faute ORIGinelle ou qu'il n'y avait ajouté par la
suite aucune faute volontaire ? Non, sans doute, ses parents aussi bien que lui
étaient coupables, mais ce n'est pas à cause du péché qu'ils avaient commis que
cet homme était né aveugle. Nôtre-Seigneur en donne la véritable cause,
lorsqu'il ajoute : « C'est afin, dit-il, que les œuvres de Dieu soient
manifestées en lui. » — S. CHRYS. (hom.
56.) On ne peut conclure de ces paroles que les autres aveugles le sont
devenus en punition des péchés de leurs parents, car il n'arrive pas qu'un
homme soit puni pour le péché d'un autre. Ces paroles du Sauveur : « Afin
que la gloire de Dieu soit manifestée, » doivent
s'entendre de sa propre gloire et non de celle du Père, dont la manifestation
avait déjà eu lieu. Mais cet homme souffrait-il donc injustement ? Non, et je
réponds que la cécité fut pour lui un bienfait, car il lui dut de voir des yeux
de l'âme. Il est évident que celui qui avait tiré cet homme du néant pour lui
donner l'être, avait aussi le pouvoir de l'affranchir de toute infirmité. On
peut dire du reste avec quelques-uns, que la particule ut n'exprime
pas ici la cause, mais plutôt la conséquence. Comme dans cette autre phrase : «
La loi est survenue, ut abundaret delictum, en sorte que le péché a
abondé ; » (Rm 5, 20) de même ici, la conséquence de la guérison de cet
aveugle et de toutes les autres maladies qui accablent l'infirmité humaine, a
été la manifestation de sa puissance.
S. GREG.
(1 Moral. ou Préf. sur Job.) Il y a des châtiments que
Dieu inflige aux pécheurs sans qu'il y ait pour lui de retour possible ; il en
est d'autres qui le frappent afin de le rendre meilleur ; il en est d'autres
encore qui ont pour fin, non point de punir les fautes passées, mais de
prévenir les fautes à venir ; d'autres enfin qui n'ont pour but ni de punir les
péchés passés, ni de prévenir ceux que l'on peut commettre dans l'avenir, mais
de faire connaître d'une manière plus éclatante et aimer plus ardemment la
puissance de celui qui sauve par le salut inespéré qui suit immédiatement le
châtiment.
S. CHRYS.
(hom. 56.) Nôtre-Seigneur vient de dire, en parlant de lui-même :
« Afin que la gloire de Dieu soit manifestée, » il ajoute : « Il faut,
pendant qu'il est jour, que je fasse les œuvres de celui qui m'a envoyé, »
c'est-à-dire, il faut que je me manifeste moi-même, et que je fasse les œuvres propres
à me manifester, les mêmes que celles que fait mon Père. — BEDE. Lorsque le Fils affirme qu'il
fait les œuvres de son Père, il
prouve ainsi que ses œuvres sont les mêmes que celles de son Père,
c'est-à-dire, guérir ce qui est infirme, fortifier ce qui est faible, éclairer
tous les hommes. — S. AUG. En
disant : « Les œuvres de celui qui m'a envoyé, » il renvoie toute la
gloire à celui de qui il vient, car le Père a un Fils qui vient de lui, et il
n'a pas lui-même de Père de qui il vienne.
S. CHRYS.
(hom. 56.) Il ajoute : « Pendant qu'il est jour, »
c'est-à-dire, il me faut agir tandis qu'il est permis aux hommes de croire en
moi, ou bien tant que dure cette vie, et les paroles qui suivent viennent à
l'appui de cette explication : « La nuit vient, où personne ne peut agir. »
Cette nuit dont il a été dit : « Jetez-le dans les ténèbres extérieures. » (Mt
22) La nuit sera donc le temps où personne ne peut plus travailler et où
l'on recevra la récompense de sou travail. Tandis que vous vivez, faites donc
ce que vous devez faire, car au delà de cette vie, ni la foi n'est possible, ni
les travaux, ni le repentir.
S. AUG. Mais si nous prenons soin de
travailler pendant cette vie, c'est vraiment le jour, c'est le Christ. Aussi
Nôtre-Seigneur ajoute-t-il : « Tant que je suis dans le monde, je suis la
lumière du monde. » Il est donc lui-même le jour ; ce jour qui se mesure sur la
révolution du soleil compte un petit nombre d'heures, mais le jour de la
présence de Jésus-Christ s'étend jusqu'à la consommation des siècles, comme il
le déclare lui-même : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des
siècles. »
S. CHRYS.
(hom. 56.) C'est par des œuvres que le Sauveur veut confirmer la
vérité de ce qu'il vient de dire, l'Evangéliste ajoute donc : « Après avoir parlé ainsi, il cracha à terre,
et ayant fait de la boue avec sa salive, il l'étendit sur les yeux de
l'aveugle. Celui qui a tiré du néant et appelé à l'être des créatures beaucoup
plus importantes, eût bien pu donner des yeux à cet aveugle, sans une matière
préexistante; mais il a voulu nous enseigner qu'il était le Créateur, qui au
commencement s'est servi de bouc pour créer l'homme. (hom. 57.) Il ne se
sert pas d'eau, mais de salive pour faire cette boue, pour vous empêcher
d'attribuer rien à la vertu de la fontaine, et vous apprendre que c'est la
vertu de sa bouche qui a fait et ouvert les yeux de cet aveugle, et il lui
ordonne ensuite de les laver pour que la guérison ne soit point non plus
rapportée à une vertu secrète de la terre : « Et il lui dit : Allez vous laver
dans la piscine de Siloë (mot qui veut dire envoyé), » pour vous apprendre que
je n'ai pas besoin de boue pour faire des yeux. La piscine de Siloë tirait
toute sa vertu de Jésus-Christ qui opérait toutes les guérisons qui s'y
faisaient, et c'est pour cela que l'Evangéliste donne la signification de ce
nom en ajoutant : « Qui signifie envoyé, » et il vous apprend par là que c'est
Jésus-Christ qui a guéri cet aveugle. De même, en effet, que l'Apôtre nous dit
: « La pierre c'était le Christ, » ainsi la piscine de Siloë, alimentée par un
cours d'eau qui coulait soudainement à certains intervalles, nous figurait
secrètement que Jésus-Christ se manifeste souvent contre toute espérance. Mais
pourquoi donc ne lui commande-t-il pas de se laver immédiatement sans aller à
la piscine de Siloë ? C'est pour mieux confondre l'impudence des Juifs. Il
était bon, en effet, que tous le vissent se diriger vers cette piscine, ayant
les yeux couverts de boue. Jésus voulait d'ailleurs montrer en l'envoyant à
cette piscine, qu'il n'est opposé ni à la loi, ni à l'Ancien Testament. Il
n'était point d'ailleurs à craindre qu'on attribuât la gloire de cette guérison
à la piscine de Siloë, car beaucoup s'y lavaient les yeux sans obtenir une
grâce aussi importante. Il voulait encore faire éclater la foi de cet aveugle,
qui ne cherche pas à contredire le Sauveur, qui ne se dit pas en lui-même : La
boue d'ordinaire est bien plus propre à faire perdre la vue qu'à la rendre, je
me suis lavé plusieurs fois dans la piscine de Siloë, je n'en ai éprouvé aucun
soulagement, si cette eau avait quelque efficacité, elle m'eût guéri
sur-le-champ, il obéit avec simplicité : « Il y alla, se lava et revint voyant
clair. » (hom. 56.) C'est donc ainsi qu'il manifesta sa gloire, car ce
n'est pas une faible gloire que de passer pour le créateur de toutes choses ;
la foi que l'on donnait à cette grande vérité en faisait accepter d'autres
moins importantes. L'homme, en effet est la première et la plus honorable de
toutes les créatures ; et de tous ses membres, l'œil est le plus digne
d'honneur, car c'est lui qui gouverne le corps, lui qui est le plus bel
ornement du visage, ce qu'est le soleil dans l'univers, l'œil l'est dans le
corps de l'homme, c'est pour cela qu'il occupe la partie la plus élevée et
qu'il y est placé comme sur son trône. — THEOPHYLACTE.
Il en est qui pensent que cette boue ne fut pas lavée, mais qu'elle
servit à former les yeux de cet aveugle.
BEDE. Dans le sens
allégorique, nous voyons ici que le Sauveur, chassé du cœur des Juifs, se
dirige aussitôt vers les Gentils. Son passage, le chemin qu'il fait, c'est sa
descente du ciel sur la terre. Il vit cet aveugle, lorsqu'il abaissa les
regards de sa miséricorde sur le genre humain. — S. AUG. Cet aveugle, en effet, c'est le genre humain tout entier
qui a été frappé de cécité par le péché du premier homme, dont nous tirons tous
notre ORIGine ; il est donc aveugle de naissance. Le Seigneur laisse tomber à terre un
peu de salive, et la mélangeant avec la poussière du chemin, il en fait de la
boue, parce que le Verbe s'est fait chair, et il étend cette boue sur les yeux
de l'aveugle. Lorsque ses yeux étaient ainsi couverts, il ne voyait pas encore,
parce que le Seigneur ne fit de lui qu'un catéchumène, lorsqu'il lui couvrit
ainsi les yeux. Il l'envoie à la piscine de Siloë, car c'est en Jésus-Christ
qu'il a été baptisé, et c'est alors que le Sauveur lui donna l'usage de la vue.
L’Evangéliste nous donne la signification du nom de cette piscine, qui veut
dire envoyé, et, en effet, si le Fils de Dieu n'avait été envoyé sur la
terre, personne d'entre nous n'eût été délivré de son iniquité. — S. GREG. (Moral.,
8, 12 ou 18.) Ou bien encore, la salive figure la saveur de la
contemplation intime. Elle descend de la tête dans la bouche, parce qu'elle part
des splendeurs de Dieu, qu'elle nous fait goûter par les douceurs de la
révélation alors que nous sommes encore dans cette vie. Nôtre-Seigneur mêle sa
salive à la terre, et donne ainsi à cet aveugle l'usage de la vue, parce que
c'est en mêlant la contemplation de la vérité à nos pensées charnelles, que la
grâce céleste répand sa lumière dans notre âme, et délivre notre intelligence
de la cécité ORIGinelle dont elle a été frappée dans le premier homme.
S. CHRYS.
(hom. 57.) L'étrangeté de ce miracle le rendait plus difficile à
croire, et c'est en effet ce qui arrive : « Les gens du voisinage, dit
l'Evangéliste, et ceux qui l'avaient vu auparavant demander l'aumône, disaient
: N'est-ce pas là celui qui était assis et mendiait ? » Admirable
condescendance de la clémence de Dieu ! Le Sauveur guérissait avec une grande
bonté les pauvres mendiants, et il ferme ainsi la bouche aux Juifs, en jugeant
dignes de ses bienfaits les hommes obscurs et inconnus de préférence aux
personnages illustres ou distingués par leurs talents ou leurs dignités, car il
était venu pour le salut de tous les hommes : « Les uns disaient : C'est
lui. » Comme cet aveugle avait une longue route à parcourir et que leur
attention était excitée par la singularité de ce miracle dont ils avaient été
les témoins, ils ne pouvaient pas dire : Ce n'est point lui. « D'autres
cependant, poursuit l'Evangéliste, disaient : Point du tout, mais il lui
ressemble. » — S. AUG. (Traité
44.) En effet, ses yeux ouverts avaient changé sa physionomie : « Mais
lui disait : C'est moi, » c'est la voix de la reconnaissance qui veut se mettre
à couvert du reproche d'ingratitude. — S. CHRYS.
(hom. 57.) Il ne rougit pas de son premier état, il ne redoute
point la colère du peuple, et il n'hésite pas à se montrer en public pour faire
connaître son bienfaiteur : « Ils lui disaient donc : Comment vos yeux se
sont-ils ouverts ? » De quelle manière fût-il guéri, nous ne le savons pas, il
ne le savait pas lui-même, il savait seulement qu'il était guéri sans pouvoir
comprendre comment cela s'était fait : « Il répondit : Cet homme qu'on appelle
Jésus, a fait de la boue et l'a étendue sur mes yeux. » Voyez comme il
s'attache à ne dire que la vérité. Il ne dit pas comment Jésus a fait cette
boue, parce qu'il ne le savait pas, qu'il avait craché à terre, tandis que le
sens du toucher lui fit connaître qu'il avait étendu de la boue sur ses yeux :
« Et il m'a dit : « Allez à la piscine de Siloë et vous y lavez. » Il put
encore certifier ce fait par le sens de l'ouïe, car il reconnut la voix de
Jésus, dont il avait entendu la discussion avec ses disciples. Et comme il
s'était préparé à une seule chose, c'est-à-dire, à faire avec docilité tout ce
qui lui serait commandé, il ajoute : « J'y ai été, je me suis lavé et je vois.
»
S. AUG.
(Traité 44.) Le voici devenu prédicateur de la grâce, il
évangélise et confesse Jésus-Christ. Mais tandis que cette aveugle confesse
ainsi la vérité, le cœur des impies se resserrait, parce qu'ils n'avaient pas
dans le cœur les yeux qui brillaient sur sa figure : « Et ils lui dirent : Où
est cet homme ? » — S. gIlrys. (hom.
57.) Ils lui faisaient cette question dans le dessein qu'ils avaient formé
de mettre Jésus à mort, car déjà ils avaient conspiré contre lui. Mais Jésus ne
restait pas auprès de ceux qu'il avait guéris, parce qu'il ne cherchait ni la
gloire ni l'ostentation, il se retirait aussitôt qu'il avait opéré un miracle
de ce genre, pour éloigner tout soupçon de fraude on de concert, car comment
ceux qui ne le connaissaient pas auraient-ils déclaré dans son intérêt, que
leur guérison venait de lui ? « Et il répondit : Je ne sais. » En faisant cette
réponse, il est semblable au catéchumène, qui n'a reçu que l'onction, et
qui n'est pas encore éclairé, il prêche et il ne connaît pas encore ce qu'il
annonce. — BEDE. Il est donc en
cela la figure des catéchumènes qui ont bien la foi eu Jésus-Christ, mais qui
ne le connaissent pas encore parfaitement, parce qu'ils ne sont pas encore
purifiés.
C'étaient aux pharisiens qu'il appartenait
d'approuver ou de blâmer cette œuvre. — S. CHRYS.
Les Juifs donc, en demandant où était Jésus, avaient le dessein de le
conduire aux pharisiens, mais n'ayant pu le trouver, ils leur amènent l'aveugle
: « Alors ils amenèrent aux pharisiens celui qui avait été aveugle, pour le
presser par de nouvelles et plus vives questions. » C'est pour cela que
l'Evangéliste fait cette remarque : « Or, c'était le jour du sabbat que Jésus
détrempa ainsi de la terre, » etc. Il voulait ainsi nous faire connaître les
mauvaises dispositions du leur âme, et la cause pour laquelle ils le
cherchaient, c'est-à-dire, pour trouver l'occasion de la perdre, et détruire
l'impression produite par ce miracle par la prétendue violation de la loi, ce
qui ressort évidemment des questions qu'ils lui adressent : « Les
pharisiens lui demandèrent donc aussi comment il avait recouvré la vue. » Voyez
comment l'aveugle répond sans se troubler; quand le peuple l'interrogeait, il
n'avait aucun danger à craindre, il ne fallait pas un grand courage pour dire la
vérité ; mais ce qui est vraiment admirable, c'est que bien qu'ayant tout à
craindre de la haine des pharisiens, il ne songe ni à nier le fait, ni à dire
le contraire de ce qu'il a déclaré précédemment : « Il leur dit : Il m'a mis de
la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois. » Il abrège ici sa réponse,
parce qu'il parle à des hommes qui connaissaient déjà le fait. Il ne leur dit pas le nom de celui qui lui a donné cet ordre, il ne
rapporte pas les paroles que Jésus lui a adressées : « Allez, et lavez-vous ; »
il va tout de suite au fait : « Il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis
lavé et je vois. » Ils éprouvèrent donc le contraire de ce qu'ils espéraient,
ils l'amenèrent dans l'intention de lui faire nier le fait de sa guérison, et
ils en acquirent une certitude beaucoup plus grande.
« Sur cela, quelques-uns des pharisiens
disaient, » etc. — S. AUG. Ce
n'étaient pas tous, mais quelques-uns seulement, car déjà il y en avait parmi
eux qui recevaient l'onction. Ceux donc qui ne voyaient pas encore et qui
n'avaient pas reçu la grâce de l'onction, disaient : « Cet homme n'est point de
Dieu, puisqu'il n'observe point le sabbat. » Au contraire, il en était le plus
fidèle observateur, lui qui était sans péché, car l'observation spirituelle du
sabbat, c'est de n'avoir aucun péché, et c'est l'avertissement que Dieu nous
donne quand il nous recommande l'observation de la loi du sabbat : « Vous
ne ferez aucune œuvre servile. » Qu'est-ce qu'un œuvre servile ? le Seigneur
lui-même vous l'apprend : « Tout homme qui commet le péché est esclave du péché
; » (Jn 7) or, les pharisiens tout en observant extérieurement la loi du
sabbat, la violaient spirituellement.
S. CHRYS. Ils passent malicieusement sous
silence le fait de la guérison, et ne mettent en avant que la prétendue
violation du sabbat. Ainsi, ils ne disent pas : Il guérit le jour du sabbat,
mais : « Il transgresse la loi du sabbat. » D'autres disaient : «
Comment un pécheur peut-il faire de tels prodiges ? » Vous voyez qu'ils sont
vivement impressionnés par ce miracle, mais leurs dispositions étaient
imparfaites, car ils auraient dû plutôt chercher à prouver qu'il n'y avait
point ici transgression de la loi du sabbat. Mais ils ne croyaient pas encore
qu'il était Dieu, et ne pouvaient répondre que c'est le maître du sabbat qui
avait opéré ce miracle. Nul d'entre eux n'osait déclarer ouvertement ce qu'il
aurait voulu dire, ils tenaient un langage ambigu, les uns, parce qu'ils
n'osaient parler librement, les autres par amour du pouvoir : « Et ils étaient
divisés entre eux. » Cette division avait lieu dans le peuple et avait gagné
jusqu'aux chefs du peuple. — S. AUG. Jésus-Christ
était le jour qui sépare la lumière des ténèbres.
S. CHRYS.
Ceux qui avaient osé dire : Un pécheur ne peut faire de tels prodiges,
voulant fermer la bouche à leurs contradicteurs, fout avancer au milieu d'eux
celui qui avait éprouvé les heureux effets de la puissance de Jésus-Christ,
pour éviter tout reproche de flatterie: « Ils dirent donc de nouveau à
l'aveugle : Et vous, que dites-vous de celui qui vous a ouvert les yeux ? » —
THEOPHYL. Voyez comme leur question est pleine de bienveillance ; ils ne lui
demandent pas : Que dites-vous de celui qui n'observe pas la loi du sabbat ?
Ils ne rappellent que le miracle qu'il a opéré, mais : « Comment vous a-t-il
ouvert les yeux ? » Ils semblent exciter le zèle de cet homme, et lui dire : Il
est votre bienfaiteur, et c'est un devoir pour vous de proclamer ses bienfaits.
— S. AUG. Ou bien peut-être ils
cherchaient une occasion de calomnier cet homme et de le chasser de la
synagogue, mais il continua de dire avec courage tout ce qu'il pensait : « Il répondit : C'est un prophète. » Il avait déjà reçu
l'onction du cœur, mais il ne reconnaît pas encore Jésus pour le Fils de Dieu.
Cependant il ne ment pas, car Nôtre-Seigneur a dit, en parlant de
lui-même : « Aucun prophète n'est sans honneur, si ce n'est dans sa
patrie. » (Lc 4)
S. CHRYS.
(hom. 58.) Les pharisiens n'ayant pu intimider cet homme, et
voyant qu'il proclamait en toute liberté le nom de son bienfaiteur, crurent
qu'ils pourraient détruire la vérité du miracle au moyen de ses parents ; c'est
ce que signifient ces paroles de l'Evangéliste : « Mais les Juifs ne
voulurent pas croire qu'il eût été aveugle et qu'il eût recouvré la vue,
jusqu'à ce qu'ils eussent fait venir les parents de celui qui voyait. » — S. AUG. C'est-à-dire, de celui qui avait
été aveugle et qui avait recouvré la vue. — S. CHRYS. (hom. 58.) Mais telle est la nature de la
vérité, qu'elle puise une force plus grande dans les difficultés qu'on lui
suscite. Le mensonge se détruit par lui-même, et les moyens qu'il prend pour
détruire la vérité, ne servent qu'à la rendre plus éclatante ; c'est ce que nous voyons arriver
ici. On aurait pu dire que le témoignage des voisins n'était pas bien certain,
que la ressemblance avait pu les tromper ; on fait donc venir les parents, qui
connaissaient leur fils mieux que personne ne pouvait le connaître : « Et ils
leur demandèrent : Est-ce là votre fils, que vous dites être né aveugle ? » Ils
ne disent pas : Qui était autrefois aveugle, mais : « Que vous dites être né
aveugle ? » O hommes pervers et dignes d'exécration ! Quel est le père qui
voudrait faire un tel mensonge à l'égard de son fils ? Il n'y a qu'une chose
qu'ils ne disent pas, c'est que ce sont eux-mêmes qui l'ont rendu aveugle. Ils
s'efforcent donc de leur faire nier sa guérison par ces deux questions : «
Est-ce là votre fils que vous dites être né aveugle ? » et : « Comment
donc voit-il maintenant ? » — THEOPHYL. C'est-à-dire
qu'ils voudraient révoquer en doute l'un des deux faits, ou il est faux qu'il
voie maintenant, ou il n'a pas été précédemment aveugle. Mais comme on ne peut
nier qu'il voie maintenant, il est donc faux qu'il fût aveugle, comme vous
l'avancez.
S. CHRYS.
(hom. 58.) Sur trois questions qui leur sont faites, s'il est
leur fils, s'il était aveugle, et comment il se fait qu'il voie maintenant, ils
répondent à deux : « Ses parents leur répondirent : Nous savons que c'est là
notre fils, et qu'il est né aveugle. » Quant à la troisième, ils l'éludent, en
disant : « Mais comment il voit maintenant, et qui lui a ouvert les yeux, nous
ne le savons. » C'est pour le plus grand triomphe de la vérité que nul autre
que celui qui a été guéri, et qui était bien digne de foi, atteste le miracle
dont il est l'objet. « Interrogez-le, disent ses parents, il a de l'âge, qu'il
parle de ce qui le concerne. » — S. AUG.
C'est-à-dire, on pourrait nous forcer de parler pour un enfant, parce qu'il ne pourrait parler pour lui-même : nous
l'avons connu aveugle de naissance, mais ayant l'usage de la parole.
S. cIlrys.
(hom. 58.) Quelle ingratitude dans les parents de cet homme, qui
n'osent dire ce qu'ils savent très-bien, par la crainte qu'ils ont des
Juifs ! « Ils parlèrent ainsi, dit l'Evangéliste, parce qu'ils craignaient
les Juifs. » Il nous fait connaître en même temps la pensée des Juifs et
leur dessein : « Car, ajoute-t-il, les Juifs étaient convenus entre eux que
quiconque reconnaîtrait Jésus pour le Christ, serait chassé de la synagogue. »
— S. AUG. Ce n'était plus, du
reste, un mal que d'être chassé de la synagogue ; car, si l'on était chassé par
les Juifs, on était reçu par Jésus-Christ.
C'est pourquoi ses parents dirent: « Il
a de l'âge, interrogez-le, » — ALCUIN.
L'Evangéliste nous donne ici une preuve que, ce n'est point l'ignorance,
mais la crainte qui leur a dicté cette réponse. — THEOPHYL. Ils sont plus timides que leur enfant, qui se
montre le témoin intrépide de la vérité, parce que Dieu avait éclairé les yeux
de son âme.
S. CHRYS.
(hom. 58 sur S. Jean.) Les parents ayant renvoyé les
pharisiens à celui-là même qui avait été guéri, ils l'appelèrent une seconde
fois, comme le dit l'Evangéliste : « Ils appelèrent donc de nouveau l'homme qui
avait été aveugle. » Ils ne lui dirent pas ouvertement : Niez que
Jésus-Christ vous ait guéri ; mais ils veulent l'y amener indirectement, sous
prétexte de religion : « Rendez gloire à Dieu, » lui dirent-ils ; c'est-à-dire,
avouez que Jésus ne vous a rien fait. — S. AUG.
(Traité 47.) Niez le bienfait que vous avez reçu ; ce qui n'est
point rendre gloire à Dieu, mais se rendre coupable de blasphème envers lui. — ALCUIN. Mais ils voulaient qu'il rendit
gloire à Dieu à leur façon, c'est-à-dire en reconnaissant que Jésus-Christ
était un pécheur : « Nous savons, disent-ils, que cet homme est un pécheur. » —
S. CHRYS. (hom. 58.)
Pourquoi donc ne lui avez-vous point prouvé qu'il était un pécheur lorsqu'il
vous a fait ce défi : « Qui de vous me convaincra de péché ? »
ALCUIN. Cet homme, qui ne
voulait ni donner lieu à la calomnie, ni cacher la vérité, ne dit pas : Je sais
qu'il est juste, mais il leur dit : « S'il est pécheur, je n'en sais rien. » —
S. CHRYS. Comment celui qui avait reconnu précédemment que Jésus était un
prophète, peut-il dire maintenant : « S'il est un pécheur, je ne sais ? »
Est-ce qu'il se laisse influencer par la crainte ? Non ; mais il veut justifier
Jésus-Christ contre ses accusateurs par le témoignage du miracle lui-même, et
rendre ses paroles dignes de foi par le bienfait qu'il a reçu : « Je sais
seulement que j'étais aveugle, et qu'à présent je vois. » C'est-à-dire, je ne
m'explique point sur cette question s'il est pécheur ou non, mais je dis ce que
je sais à n'en pouvoir douter. Les pharisiens ne pouvant détruire la vérité du
fait miraculeux, reviennent à leurs premières questions, et s'informent de
nouveau de la manière dont cette guérison a eu lieu, semblables à des chiens
qui cherchent sans discontinuer leur proie, tantôt d'un côté tantôt d'un autre
: « Sur quoi ils lui dirent : Que vous a-t-il fait ? Comment vous a-t-il ouvert
les yeux ? » C'est-à-dire, est-ce au moyen de quelque prestige ? Ainsi ils ne
lui disent pas : Comment avez-vous vu ? mais : « Comment vous a-t-il ouvert les
yeux ? » pour lui offrir l'occasion de calomnier le miracle opéré par Jésus.
Tant que les éclaircissements avaient été nécessaires, l'aveugle s'était
expliqué avec modération ; mais comme la vérité est désormais triomphante, il
leur parle avec une généreuse liberté : « Il leur répondit : Je vous l'ai déjà
dit, et vous l'avez entendu, pourquoi voulez-vous l'entendre encore ? »
C'est-à-dire : Vous ne tenez aucun cas de ce que je vous ai dit, je ne
répondrai donc plus à des questions qui n'ont aucun but, et que vous faites non
pour apprendre, mais pour trouver dans mes réponses un sujet de critique ou
d'accusation. Il ajoute : « Est-ce que, vous aussi, vous voulez devenir ses
disciples ? » — S. AUG. Que
veulent dire ces paroles : « Est-ce que vous aussi ? » Quant à moi,
je suis déjà son disciple, voulez-vous aussi le devenir ? Je vois, mais je
jouis sans envie du bienfait de la vue. C'est avec cette noble fermeté que cet homme, autrefois aveugle, et
qui ne peut plus supporter les aveugles, condamne la dureté opiniâtre des
Juifs. — S. CHRYS. (hom. 58.)
Voyez à la fois la force de la vérité, et la faiblesse du mensonge. La vérité
rend les hommes illustres et les couvre de gloire, quelque méprisés qu'ils
soient d'ailleurs ; et le mensonge, eût-il pour organe les puissants du monde,
dévoile toute leur faiblesse.
« Ils le maudirent alors et lui dirent : Sois
son disciple, toi. » Que cette malédiction soit sur nous et sur nos enfants,
car elle n'existe que dans leur cœur, et non dans leurs paroles : « Pour nous,
ajoutent-ils, nous sommes disciples de Moïse ; nous savons que Dieu a parlé à
Moïse. » Plût à Dieu que vous sachiez que Dieu a parlé à Moise, vous sauriez
également alors que Moïse a prédit l'avènement d'un Dieu ; puisque c'est le
Seigneur lui-même qui vous dit : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi
en moi ; car il a parlé de moi dans ses écrits. » Ainsi vous vous faites gloire
de suivre le serviteur, et vous tournez le dos au Maître ? Car vous ajoutez : «
Mais celui-ci, nous ne savons d'où il est » — S. CHRYS. (hom. 58.) C'est-à-dire que ce que vous voyez
de vos yeux vous paraît moins véritable que ce que vous avez entendu dire ; en
effet ce que vous dites savoir, vous le tenez de vos ancêtres. Mais n'est-il
pas bien plus digne de foi, celui qui vous a prouvé qu'il venait de Dieu par
des miracles, dont vous n'avez pas seulement entendu parler, mais que vous avez
vus de vos propres yeux ? C'est ce que leur répond cet homme : « Il est
vraiment surprenant que vous ne sachiez pas d'où il est, et qu'il m'ait ouvert
les yeux. » Il ne cesse de leur rappeler ce miracle, parce qu'ils ne pouvaient
en contester la réalité, et qu'il portait avec lui sa conviction ; et comme ils
avaient déclaré qu'un pécheur ne pouvait opérer de semblables prodiges, il
s'appuie sur cet aveu, et leur remet en mémoire
leurs propres paroles : « Nous savons, leur dit-il, que Dieu n'exauce point les
pécheurs ; » c'est-à-dire, vous et moi nous sommes d'accord sur ce point.
S. AUG.
Il parle ici comme un homme qui n'a pas encore reçu l'onction, car Dieu
exauce les pécheurs ; et, s'il ne les exauçait pas, c'est donc en vain que le
publicain lui aurait fait cette prière : « Seigneur, soyez-moi propice, à moi,
qui ne suis qu'un pécheur. » Mais au contraire il mérita, par cette confession,
d'être justifié, comme l'aveugle mérita que la lumière lui fût rendue. — THEOPHYL. Ou bien encore on peut dire
que Dieu n'exauce point les pécheurs, en ce sens qu'il ne leur accorde pas le
pouvoir de faire des miracles, mais lorsqu'ils implorent le pardon de leurs
fautes, ils passent de l'état de pécheurs à celui de pénitents.
S. CHRYS.
(hom. 58.) Et, remarquez que les paroles qui précèdent :
« S'il est un pécheur, je ne sais, » n'expriment pas un doute de la part
de cet homme ; car ici, non-seulement il le justifie de tout péché, mais il
montre combien il est agréable à Dieu. « Mais celui qui l'honore, et fait sa
volonté, c'est celui-là qu'il exauce ; » ainsi il ne suffît pas de connaître
Dieu, il faut encore accomplir sa volonté. «Voyez encore comme il relève le
miracle dont il vient d'être l'objet : « Jamais on n'a ouï dire que personne
ait ouvert les yeux à un aveugle-né. » C'est-à-dire : Si vous reconnaissez que
Dieu n'exauce point les pécheurs, et que cet homme cependant ait fait un
miracle comme jamais aucun homme n'en a fait, il est évident que la puissance
en vertu de laquelle il a fait ce miracle est supérieure à toute puissance
humaine : « Si cet homme n'était pas de Dieu, ajouta-t-il, il ne pourrait rien
faire. » — S. AUG. Il ne pourrait rien faire avec liberté, avec constance,
avec vérité ; car, comment les choses que le Seigneur a faites auraient-elles
pu exister si Dieu lui-même n'en était l'auteur ? et comment ses disciples
pourraient-ils opérer de semblables prodiges, si le Seigneur lui-même n'habitait
en eux pour les revêtir de sa puissance ?
S. CHRYS.
Cet homme a donc confessé la vérité sans la moindre crainte, et
cependant au lieu d'admirer sa noble fermeté, les pharisiens le condamnent, «
Ils lui répondirent : Tu es né tout entier dans le péché, et tu nous enseignes
! » Que veulent dire ces mots : « Tout entier ? » Avec les yeux fermés ;
mais celui qui lui a ouvert les yeux l'a guéri aussi tout entier. — S. CHRYS. (hom. 58.) Ou bien ces
paroles : « Tout entier, » signifient : Vous êtes dans le péché depuis vos
premières années. Ils lui reprochent donc sa cécité, comme la suite et la
punition de ses péchés, ce qui était dénué de fondement. Tant qu'ils ont espéré
qu'il nierait cette guérison miraculeuse, ils l'ont juge digne de foi ;
maintenant ils le repoussent loin d'eux. « Et ils le chassèrent dehors. » — S. AUG. Ils l'avaient eux-mêmes établi
comme maître, ils l'avaient interrogé à plusieurs reprises, comme pour
s'instruire, et après qu'il leur a enseigné la vérité, ils le chassèrent avec
une superbe ingratitude. — BEDE. C'est,
en effet, la coutume des grands, de dédaigner de rien apprendre de la bouche de
leurs inférieurs.
S. CHRYS. (hom. 59 sur S. Jean.) Dieu
se plaît à honorer surtout ceux qui sont couverts d'outrages pour avoir rendu
témoignage à la vérité et confessé Jésus-Christ. C'est ce qui se vérifie dans
cet aveugle. Les Juifs le chassent du temple, et le Maître du temple le
rencontre, et l'accueille avec bonté, comme le président des combats accueille
celui qui a courageusement combattu et mérité la couronne. « Jésus apprit
qu'ils l'avaient ainsi chassé ; et, l'ayant rencontré, il lui dit : Croyez-vous
au Fils de Dieu ? » Le récit de l'Evangéliste nous fait voir que Jésus était
venu exprès pour lui parler. Or, il l'interroge, non pour apprendre ce qu'il
ignorait, mais pour se faire connaître à lui, et lui montrer la grande estime
qu'il fait de sa foi ; et il semble lui dire : Ce peuple m'a outragé, mais peu
m'importe ; je n'ai à cœur qu'une seule chose, c'est de vous inspirer la foi :
mieux vaut un homme faisant la volonté de Dieu, que dix mille impies.
S. HIL. (de la Trinité, 6) Si une foi
telle quelle en Jésus-Christ devait être regardée comme une foi consommée, le
Sauveur aurait dit à cet homme : Croyez-vous en Jésus-Christ ? Mais comme
presque tous les hérétiques devaient avoir ce nom à la bouche et confesser le
Christ, tout en niant qu'il était le Fils de Dieu, Jésus demande à cet homme de
croire ce qui est le signe caractéristique du Christ, c'est-à-dire, de croire
qu'il est Fils de Dieu. Que servirait-il de croire au Fils de Dieu, si l'objet
de la foi n'était qu'une créature ? La foi qui nous est demandée, c'est la foi en Jésus-Christ, non comme
créature de Dieu, mais comme Fils de Dieu.
S. CHRYS.
(hom. 59.) Cet homme ne connaissait pas encore Jésus-Christ, il
était aveugle avant que Jésus l'eût rencontré pour la première fois ; et après
sa guérison, il avait été entraîné de tous côtés par les Juifs. « Il répondit :
Qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? » C'est là l'expression d'un
vif et ardent désir. Il ne connaît point celui dont il a pris et soutenu la
défense avec tant de force et de chaleur, preuve de son grand amour pour la
vérité. Le Seigneur ne lui a point encore dit expressément : « C'est moi qui
vous ai guéri ; » mais il le lui fait connaître équivalemment en lui disant : «
Vous l'avez vu, et c'est lui-même qui vous parle. » — THEOPHYL. Il s'exprime ainsi pour
rappeler à cet homme sa guérison, parce que c'est de lui qu'il avait
reçu la faculté de voir. Remarquez que celui qui lui parle est à la fois le
Fils de Marie et le Fils de Dieu, et il n'y a point en lui deux personnes,
suivant l'erreur de Nestorius ; « et c'est lui-même qui vous parle, » lui dit
le Sauveur.
S. AUG. (Traité 44) Nôtre-Seigneur
lave et purifie maintenant la face de son cœur, et après que son cœur est
purifié, ainsi que sa conscience, il le reconnaît non comme Fils de l'homme, ce
qu'il croyait déjà auparavant, mais comme Fils de Dieu, revêtu d'une chair
mortelle : « Et il lui dit : Je crois, Seigneur. » C'est peu de croire ;
voulez-vous voir tout ce que sa foi découvre en lui ? « Et, se jetant à ses
pieds, il l'adora. » — BEDE. Cet
exemple nous apprend qu'on ne doit point prier Dieu la tète haute, mais
implorer sa miséricorde la face prosternée contre terre. — S. CHRYS. ( hom. 59. ) Par son
attitude autant que par son langage,
cet homme révèle la puissance divine de Jésus ; le Seigneur, de son côté, donne
une nouvelle ardeur à sa foi, et rend ceux qui le suivent plus attentifs : «
Alors Jésus dit : Je suis venu dans ce monde pour exercer le jugement. » —
S. AUG. Jésus était le jour, qui sépare la lumière des ténèbres, et il ajoute
justement : « Afin que ceux qui ne voient pas voient, » parce qu'il délivre des
ténèbres. Mais que signifient les paroles qui suivent : « Et que ceux qui
voient deviennent aveugles ? » La suite nous en donne le véritable sens :
«Quelques-uns, d'entre les pharisiens qui étaient-là, ayant entendu ces
paroles, lui dirent : « Sommes-nous donc aussi des aveugles ? » Car cette
parole : « Et que ceux qui voient deviennent aveugles, » les avait vivement
touchés. « Jésus leur répondit : Si vous étiez aveugles, vous n'auriez point de
péché ; » c'est-à-dire, si vous reconnaissiez que vous êtes des aveugles, vous auriez
recours au médecin. « Mais maintenant vous dites : Nous voyons, votre péché
demeure. » En effet, en prétendant que vous voyez, vous n'avez nul souci de
chercher le médecin, et vous demeurez dans votre aveuglement ; c'est ce qu'il
vient de leur prédira, en leur disant : « Je suis venu pour que ceux qui ne
voient point voient, » (c'est-à-dire, ceux qui reconnaissent qu'ils ne voient
point, et cherchent un médecin, pour qu'il leur rende la vue,) « et que ceux
qui voient deviennent aveugles. » (C'est-à-dire, afin que ceux qui s'imaginent
qu'ils voient et ne cherchent pas le médecin, demeurent dans leur aveuglement.)
C'est cette distinction qu'il appelle jugement, lorsqu'il dit : « Je suis venu
dans le monde pour exercer le jugement, » et il ne veut point dire qu'il vienne
exercer sur le monde ce jugement qui doit n'avoir lieu qu'à la fin des siècles,
pour les vivants et les morts.
S. CHRYS.
(hom. 59.) Ou bien encore, tel est le sens de ces paroles : « Je suis venu pour le jugement; » c'est-à-dire,
pour augmenter la rigueur du supplice qui vous est réservé ; et il montre aussi
que ceux qui l'ont condamné, seront eux-mêmes l'objet d'une sévère
condamnation. Les paroles suivantes : « Afin que ceux qui ne voient point
voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles, » doivent être entendues
dans le même sens que ces autres de saint Paul : « Que les Gentils qui ne
cherchaient point la justice, ont embrassé la justice, et la justice qui vient
de la foi de Jésus-Christ ; et qu'Israël, au contraire, qui recherchait la loi
de la justice, n'est point parvenu à la loi de la justice. » (Rm 9,
30-31.) — THEOPHYL. Nôtre-Seigneur
semble dire : Celui qui était aveugle dès sa naissance voit maintenant, et ceux
qui paraissent avoir l'usage de la vue, sont aveugles dans leur intelligence. —
S. CHRYS. (hom. 59.) Il y
a, en effet, deux manières de voir, comme deux manières d'être aveugle, l'une
extérieure, l'autre intérieure ; or, les Juifs n'avaient de désirs que pour les
choses sensibles, et de mépris que pour la cécité extérieure ; Jésus leur
déclare donc qu'il vaudrait mieux pour eux être aveugles, que de voir de la
sorte : « Si vous étiez aveugles, leur dit-il, vous n'auriez point de péché, »
et votre châtiment serait moins rigoureux ; « mais maintenant vous dites : Nous
voyons. » — THEOPHYL. Vous ne
voulez faire nulle attention au miracle opéré en faveur de cet aveugle, vous
êtes donc indigne de pardon, puisque la vue de tels prodiges n'est point
capable de vous attirer à la foi.
S. CHRYS.
(hom. 59.) Il leur montre ainsi que ce qu'ils regardaient comme
un titre de gloire, sera pour eux une cause de châtiment, et en même temps il
console de sa cécité extérieure cet homme qui avait été aveugle de naissance.
Ce n'est pas sans raison que l’Evangéliste nous fait remarquer que quelques-uns
d'entre les pharisiens qui étaient là entendirent ces paroles ; il veut nous rappeler
que ce sont les mêmes qui avaient d'abord résisté à Jésus-Christ, et avaient
voulu ensuite le lapider ; ils étaient de ceux qui suivaient le Sauveur comme par
manière d'acquit, et à la première occasion se déclaraient contre lui.—
THEOPHYL. Ou bien encore, si vous étiez aveugles, c'est-à-dire si vous ignoriez
les Ecritures, votre péché serait moins grand, parce qu'il aurait l'ignorance
pour excuse ; mais maintenant, que vous vous donnez comme des sages et des
hommes versés dans la loi, vous vous condamnez vous-mêmes.
S. CHRYS.
(hom. 59 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de convaincre
les Juifs d'aveuglement, mais ils pouvaient lui répondre : Ce n'est point par
aveuglement que nous ne vous suivons pas, nous nous séparons de vous comme d'un
imposteur, il veut donc leur prouver que loin d'être un imposteur, il est le
véritable pasteur, en donnant les signes distinctifs de l'un et de l'autre, et
d'abord le signalement de l'imposteur et du voleur : « En vérité, en vérité, je
vous le dis, celui qui n'entre point par la porte dans la bergerie, mais qui y
monte par un autre endroit, est un voleur et un larron. » Nôtre-Seigneur
désigne ici indirectement tons ceux qui sont venus avant lui et ceux qui
doivent paraître après lui, l'Antéchrist et les faux prophètes. Les saintes
Ecritures sont la porte, car ce sont elles qui ouvrent l'intelligence à la
connaissance de Dieu, elles servent d'ailleurs à garder les brebis et ne
laissent point approcher les loups, c'est-à-dire, les hérétiques qu'elles
empêchent d'entrer dans la bergerie. Celui donc qui, laissant là les Ecritures,
veut monter par un autre endroit, et s'ouvre un chemin particulier et non
autorisé, est un voleur. Le Sauveur dit : « Il monte, » et non pas : « Il
entre, » à l'exemple du voleur qui cherche à escalader le mur de clôture, et
s'expose pour cela à tous les dangers. Nôtre-Seigneur ajoute : « Par un autre
endroit, » et il désigne à mots couverts les scribes, qui enseignaient des
maximes et des doctrines tout humaines, et transgressaient ouvertement la loi.
S'il déclare plus bas qu'il est lui-même la porte, il ne faut pas s'en étonner,
il s'appelle la porte et pasteur sous des rapports différents. Il est la porte,
parce qu'il nous amène à son Père, et il est notre pasteur, parce qu'il nous
conduit et nous dirige.
S. AUG.
(Traité 45 sur S. Jean.) Ou bien encore, il en est
beaucoup que selon l'usage ordinaire de la vie, on appelle des hommes de bien,
ils observent d'une manière quelconque les commandements de la loi, et
toutefois ils ne sont pas chrétiens et demandent avec fierté comme les
pharisiens : « Est-ce que nous sommes aveugles ? » Or, Nôtre-Seigneur leur
montre que toutes leurs actions qu'ils ne savent à quelle fin rapporter, sont
vaines sous la figure d'un troupeau et de la porte par laquelle on entre dans
la bergerie : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n'entre point
par la porte, » etc. Que les païens donc, que les Juifs, que les hérétiques
disent : « Notre vie est bonne, » à quoi cela leur sert-il s'ils n'entrent
point par la porte ? La fin de la bonne vie doit être pour chacun de lui faire
obtenir la vie éternelle, et on ne peut appeler des hommes de bien ceux qui,
par aveuglement ou bien par orgueil, dédaignent de connaître ce qui doit être
la fin de la bonne vie. Or, la
véritable espérance de vivre toujours n'est donnée qu'à celui qui connaît la
vie qui est Jésus-Christ, et qui entre par la porte dans la bergerie. Que celui
donc qui veut entrer dans la bergerie, entre par la porte, qu'il ne se contente
pas d'annoncer Jésus-Christ, qu'il cherche la gloire de Jésus-Christ au lieu de
chercher la sienne. Mais Jésus-Christ est une porte qui est bien basse, et il faut
s'abaisser pour entrer par cette porte sans se blesser la tête, or celui qui
s'élève au lieu de s'humilier, veut escalader le mur, et il ne s'élève que pour
tomber. Ces hommes, la plupart du temps, cherchent à persuader aux autres à
vivre en hommes de bien sans être chrétiens, ils veulent monter et passer
ailleurs que par la porte pour ravir et pour tuer. Ce sont des voleurs, parce
qu'ils disent que ce qui est aux autres, leur appartient, et des larrons, parce
qu'ils tuent ce qu'ils ont volé.
S. CHRYS. (hom. 59.) Vous avez vu la
description du voleur, voici celle du pasteur : « Mais celui qui entre par
la porte est le pasteur des brebis. » — S. AUG.
(serm. 49 sur les par. du Seign.) Celui qui entre par la
porte est celui qui entre par Jésus-Christ, qui imite la passion de
Jésus-Christ, qui connaît l'humilité de Jésus-Christ, c'est-à-dire, qu'à la vue
d'un Dieu fait homme, l'homme doit reconnaître que lui-même n'est pas Dieu,
mais qu'il n'est qu'un homme, car celui qui veut affecter de paraître un Dieu,
lorsqu'il n'est qu'un homme, n'imite pas celui qui étant Dieu s'est fait homme.
Or, on ne vous dit pas : Soyez moins que ce que vous êtes, mais : Reconnaissez
ce que vous êtes en réalité.
« C'est à lui que le portier ouvre. » — S. CHRYS. (hom. 59.) Rien ne
s'oppose à ce que ce portier soit Moïse, car c'est à lui qu'a été confié le dépôt des oracles de Dieu. — THEOPHYL. Ou bien encore ce portier,
c'est l'Esprit saint qui nous ouvre le sens des Ecritures pour nous y faire
reconnaître le Christ. — S. AUG. Ou bien encore ce portier, c'est le Seigneur
lui-même ; dans les choses humaines, en effet, il y a une bien plus grande
différence entre le pasteur et la porte qu'entre le portier et la porte, et
cependant le Sauveur se donne à la fois comme le pasteur et comme la porte.
Pourquoi donc ne pas voir aussi en lui le portier ? Ne s'ouvre-t-il pas
lui-même lorsqu'il s'explique lui-même ? Si cependant vous voulez qu'un autre
soit le portier, vous pouvez donner cette dénomination à l'Esprit saint, dont
le Seigneur a dit : « Il vous enseignera lui-même toute vérité. » (Jn 16)
La porte, c'est Jésus-Christ qui est la vérité. Qui ouvre la porte, si ce n'est
celui qui enseigne la vérité ? Prenons garde cependant de regarder ici le
portier comme supérieur à la porte, parce que dans les maisons des hommes, le
portier est plus que la porte, et non la porte plus que le portier.
S. CHRYS.
(hom. 59.) Comme les Juifs traitaient Jésus d'imposteur et
confirmaient cette opinion par leur incrédulité, en disant : « Qui d’entre les
princes du peuple a cru en lui ? » il leur signifie que pour avoir refusé de
l'écouter, ils sont exclus du nombre de ses brebis : « Et les brebis entendent
sa voix. » Si en effet, c'est un signe distinctif du pasteur d'entrer
par la porte, comme Nôtre-Seigneur lui-même est entré, c'est se séparer du
troupeau de ses brebis que de refuser d'écouter sa voix.
« Et il appelle par leur nom ses brebis. » —
S. AUG. En effet, il connaît le nom des prédestinés, et c'est pour cela qu'il
dit à ses disciples : « Réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. » (Lc 10) « Et il les fait sortir. » —
S. CHRYS. (Hom. 59.) Il
faisait sortir ses brebis, quand il les envoyait non loin des loups, mais au
milieu même des loups. Le Sauveur paraît faire ici allusion à l'aveugle, car en
l'appelant, il l'a comme fait sortir du milieu des Juifs. — S. AUG. Quel est
celui qui fait véritablement sortir les brebis, si ce n'est celui qui leur
remet leurs péchés, afin qu'elles puissent le suivre délivrées qu'elles sont
des lourdes chaînes de leur esclavage ? « Et lorsqu'il a fait sortir ses
brebis, il marche devant elles. » — LA GLOSE.
Il les fait sortir des ténèbres de l'ignorance à la lumière de la
vérité, en marchant devant elles, comme il marchait autrefois devant le peuple
de Dieu, dans une colonne tour à tour de nuée et de feu. S. CHRYS. Les bergers font le contraire de
ce qui est ici marqué, et marchent après leur troupeau. Nôtre-Seigneur nous
apprend qu'il agit tout différemment, parce qu'il conduit ses brebis à la vérité.
— S. AUG. Quel est le pasteur qui a précédé ses brebis, si ce n'est celui qui
est ressuscité des morts pour ne plus mourir (Rm 6), et qui a dit à son
Père : « Mon Père, je veux que là où je suis, ceux que vous m'avez donnés
soient aussi avec moi ? » (Jn 17,
24.)
« Et les brebis le suivent, parce qu'elles
connaissent sa voix, mais elles ne suivent point un étranger, » etc. — S. CHRYS. Ces étrangers sont les partisans
de Théodas et de Judas (Ac 6, 36-37), et de tous les faux apôtres qui,
après eux devaient tromper le peuple de Dieu. Or, pour n'être point confondu
avec eux, il fait voir les différents caractères qui l'en séparent ;
d'abord la doctrine des Ecritures, par lesquelles Jésus-Christ amenait les
hommes à lui, tandis que les autres en détournaient les hommes ; en second
lieu, l'obéissance que les brebis avaient pour lui, car les hommes ont cru en
lui, non-seulement pendant sa vie, mais après sa mort, tandis que ces faux
pasteurs furent bientôt abandonnés de ceux qui les avaient suivis. — THEOPHYL.
Il veut encore désigner ici l'Antéchrist, qui, après avoir égaré un instant les
hommes, n'aura point de disciples après sa mort.
S. AUG. Mais comment résoudre celte question
? Ceux qui ne sont pas des brebis de Jésus entendent quelquefois sa voix, comme
Judas, par exemple, qui était un loup, tandis qu'une partie de ceux qui avaient
crucifié le Sauveur, n'écoutèrent pas sa voix, bien qu'ils fussent du nombre de
ses brebis. On peut dire que lorsqu'elles n'entendaient pas sa voix, elles
n'étaient pas encore du nombre des brebis, la voix qu'elles ont entendue, les a
changés, et en a fait des brebis de loups qu'elles étaient. Je suis encore
frappé de ces reproches que Dieu adresse aux pasteurs par la bouche d'Ezéchiel,
lorsqu'il leur dit entre autres choses, en parlant des brebis : « Vous n'avez
point ramené la brebis qui s'égarait. » (Ez 34, 4.) Elle s'égare et il
ne laisse pas de lui donner le nom de brebis ; elle ne s'égarerait pas, si elle
entendait la voix du pasteur, et elle ne s'égare que parce qu'elle écoute la
voix d'un étranger. Disons donc : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, » (2 Tm 2)
il
connaît les prédestinés, ce sont les brebis. Quelquefois ils ne se connaissent
pas eux-mêmes, mais le pas-tour les connaît, car il y a beaucoup de brebis dehors,
comme il y a un grand nombre de loups dans l'intérieur. Nôtre-Seigneur veut
donc parler ici des prédestinés. Il y a d'ailleurs une certaine voix du pasteur
qui ne sera jamais confondue parles brebis avec celle des étrangers, et que
ceux qui ne sont pas brebis n'entendront jamais comme la voix de Jésus-Christ.
Quelle est cette voix ? « Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. » (Mt 10 et 24) Cette voix
est toujours entendue de celui qui appartient à Jésus-Christ ; elle ne l'est
pas de celui qui lui est étranger : « Jésus leur dit cette parabole, mais ils
ne comprirent pas ce qu'ils lui disaient. » Nôtre-Seigneur, en effet, nourrit
notre âme par les vérités qu'il révèle clairement, et il l'exerce par celles
qu'il, laisse dans l'obscurité. Deux hommes entendent les paroles de
l'Evangile, l'un est un homme religieux, l'autre est un impie, et ce qu'ils
entendent n'est peut-être compris ni de l'un ni de l'autre. L'un s'exprime de
la sorte : Ce que le Sauveur vient de nous dire est vrai et bon, mais nous ne
le comprenons pas ; cet homme a déjà la foi, il est digne qu'on lui ouvre, s'il
persévère à frapper. L'autre, au contraire, soutient qu'il ne leur a rien dit,
il a donc encore besoin d'entendre ces paroles : « Si vous ne croyez pas, vous
ne comprendrez pas. » (Is 7, 9, selon la vers. des Sept.)
S. CHRYS.
(hom. 59 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur, pour rendre les
Juifs plus attentifs, leur explique ce qu'il vient de dire : « Jésus donc leur
dit encore : En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.
» — S. AUG. (Traité 45 sur S. Jean.) Voici qu'il ouvre ce qui
était fermé, il est lui-même la porte ; entrons et réjouissons-nous d'être
entrés.
« Tous ceux qui sont venus sont des voleurs
et des larrons. » — S. CHRYS. (hom. 59.) Ce n'est point
aux prophètes que s'appliquent ces paroles, comme le disent les hérétiques,
mais à ceux qui ont excité des séditions. Aussi se hâte-t-il de faire l'éloge
des brebis en ajoutant : « Et les brebis ne les ont point écoutés ; » or, jamais
nous ne le voyons donner des louanges à ceux qui n'ont point obéi aux
prophètes, au contraire, il les blâme toujours sévèrement. — S. AUG. Comprenez donc ces paroles dans ce
sens : « Tous ceux qui sont venus en dehors de moi ; » or, les prophètes ne sont
point venus en dehors de lui, tous ceux qui sont venus avec le Verbe de Dieu
sont venus avec lui, et ceux qui sont venus avec lui sont dignes de foi, parce
qu'il est lui-même le Verbe et la vérité. Avant de venir lui-même sur la terre,
il envoyait devant lui ses hérauts, mais il était le maître des cœurs de ceux
qu'il envoyait, car s'il a pris une chair mortelle dans le temps, il existe de
toute éternité. Que signifient ces
paroles : « De toute éternité ? » « Au commencement était le Verbe. »
Or, avant son avènement si plein d'humilité dans la chair, il a paru sur la
terre des justes qui croyaient au Christ qui devait venir, comme nous croyons
au Christ qui est venu. Les temps ont changé, la foi est restée la même, et
cette même foi unit étroitement ceux qui croyaient que le Christ devait venir
avec ceux qui croyaient qu'il est venu. Tous ceux donc qui sont venus en dehors
de lui sont des voleurs et des larrons, c'est-à-dire, qu'ils ne sont venus que
pour voler et pour tuer. Mais les brebis, c'est-à-dire ceux dont saint Paul a
dit : « Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent, » (2 Tm 2)
ne les
ont point écoutés. Les brebis n'ont donc pas écouté ceux en qui n'était point
la voix de Jésus-Christ, c'étaient des maîtres d'erreur et de mensonge qui ne
pouvaient que séduire des âmes infortunées.
Il explique ensuite pourquoi il s'est appelé
la porte : « Je suis la porte, si quelqu'un
entre par moi, il sera sauvé. » — ALCUIN.
C'est-à-dire, les brebis ne les écoutent point ; mais ils m'écoutent,
parce que je suis la porte, et que celui qui entrera par moi sans artifice, en
toute sincérité, et en toute persévérance, sera sauvé. — THEOPHYL. Or, le Seigneur conduit ses
brebis aux pâturages par la porte : « Et il entrera, et il sortira, et
il trouvera des pâturages. » Quels sont ces pâturages ? ce sont les délices du
ciel, et ce repos dans lequel Nôtre-Seigneur nous fera entrer. — S. AUG. (Traité
45.) Mais que signifient ces paroles : « Il entrera et il sortira ? »
Entrer dans l'Eglise par la porte elle-même est une excellente chose, mais il
n'est pas aussi avantageux de sortir de l'Eglise. On peut donc dire que nous
entrons, quand nous avons quelque pensée au dedans de nous, et que nous sortons
quand nous agissons au dehors, selon ces paroles : « L'homme sortira pour
accomplir son œuvre. » (Ps 103) — THEOPHYL.
Ou bien encore, entrer c'est prendre soin de l'homme intérieur ; sortir,
c'est mortifier en Jésus-Christ l'homme extérieur, c'est-à-dire les membres qui
sont sur la terre. (Col 3) Celui qui agit ainsi trouvera des pâturages
dans la vie future. — S. CHRYS. (hom.
59.) Peut-être encore ces paroles doivent s'entendre des Apôtres, qui
entrèrent et sortirent librement comme les maîtres du monde entier, sans que
personne les en pût chasser ou les empêcher de trouver leur nourriture.
S. AUG. (Traité 41) Mais j'aime
mieux voir ici un avertissement que la vérité elle-même, comme un bon pasteur,
nous confirme dans les paroles qui suivent : « Le larron ne vient que pour
dérober, pour égorger, et pour détruire. » — ALCUIN.
Paroles dont voici le sens : Les brebis ont raison de ne pas écouter la
voix du larron, parce qu'il ne vient que pour voler, en dérobant ce qui ne lui
appartient pas, c'est-à-dire, en persuadant à ceux qui le suivent de vivre
conformément à ses exemples, au lieu de leur enseigner les préceptes de
Jésus-Christ. Le Sauveur ajoute : « Et pour égorger, » en les détournant de la
foi par sa doctrine pernicieuse, « et pour les perdre, » en les
précipitant dans l’éternelle damnation. Les larrons ne font donc que voler et
égorger ; « mais je suis venu pour qu'elles aient la vie, et une vie plus
abondante. » — S. AUG. Je
crois que Notre-Seigneur veut dire : Afin qu'elles aient la vie en entrant,
c'est-à-dire au moyen de la foi, qui opère par la charité. (Gal 5) Cette
foi les fait entrer dans la bergerie, pour leur donner la vie, parce que le
juste vit de la foi. (Rom 1, 17.) Il ajoute : « Et une vie plus
abondante en sortant, » c'est-à-dire, quand les vrais fidèles sortent de cette
vie, et entrent en possession d'une vie plus abondante, qui est pour toujours à
l'abri de la mort. Car, bien que sur la terre même, et dans la bergerie, les
pâturages ne leur aient pas manqué, ils trouveront alors des pâturages où ils
seront pleinement rassasiés, tels que les a trouvés celui à qui Jésus a dit : «
Aujourd'hui vous serez avec moi dans le paradis. » — S. GREG. (hom. 13, sur Ezech.) Il entrera donc pour
recevoir la foi, il sortira pour entrer dans la claire vision, et il trouvera
des pâturages là où son âme sera éternellement rassasiée.
S. CHRYS.
(hom. 59.) Ces paroles : « Le voleur ne vient que pour dérober,
pour égorger et pour perdre, » s'appliquent à tous les auteurs de révolte ou de
sédition, et elles se sont vérifiées à la lettre dans tous ceux qui ont été
misa mort pour les avoir suivis, et qui ont ainsi perdu même la vie présente.
Mais pour moi, je suis venu pour le salut de tous, pour qu'ils aient la vie, et une vie
plus abondante dans le royaume des cieux, et c'est la troisième différence qui
le distinguo, des faux prophètes. — THEOPHYL.
Dans le sens allégorique, le voleur est le démon qui vient par la
tentation pour dérober, par les pensées coupables qu'il inspire, égorger par le
consentement, et perdre par les actes.
S. AUG.
(Traité 46 sur S. Jean.) Notre-Seigneur nous a déjà
expliqué deux choses qu'il nous avait proposées sous le voile de la parabole ;
nous savons déjà qu'il est lui-même la porte, nous savons qu'il est lui-même le
pasteur ; il va maintenant prouver qu'il est le bon pasteur : « Je suis le
bon pasteur. » (Traité 47.) Il avait dit précédemment que le pasteur
entre par la porte ; si donc il est lui-même la porte, comment peut-il entrer
par lui-même ? Le Fils de Dieu connaît le Père par lui-même, et nous ne le
connaissons que par lui ; ainsi il entre dans la bergerie par lui-même, tandis
que nous n'y entrons que par lui. Nous, qui prêchons Jésus-Christ, nous entrons
par la porte ; Jésus-Christ, au contraire, se prêche lui-même, car la lumière
se manifeste elle-même en découvrant les autres objets qu'elle éclaire. (Traité
46.) Si les chefs de l'Eglise, qui sont ses enfants, sont pasteurs, comment
peut-il dire qu'il n'y a qu'un seul pasteur, si ce n'est parce qu'ils sont tous
les membres d'un seul et même pasteur ? (Traité 47.) Il a communiqué à
ses membres son titre et ses fonctions de pasteur ; ainsi Pierre est pasteur,
les autres apôtres sont pasteurs, tons les saints apôtres sont eux-mêmes
pasteurs. Mais personne d'entre nous n'ose se dire la porte ; c'est une
prérogative que le Sauveur s'est réservée à l'exclusion de tout autre. Il
n'aurait pas ajouté au nom de pasteur la qualification de bon, s'il n'y avait
de mauvais pasteurs ; ce sont les voleurs et les larrons, ou du moins les
mercenaires, qui sont en grand nombre. —
S. GREG. (hom. 14 sur
les Evang.) Il propose ensuite à notre imitation l'exemple de sa bonté et
de son dévouement pour ses brebis. « Le bon pasteur donne sa vie pour ses
brebis. » Il a fait lui-même ce qu'il nous enseigne ; il pratique le
commandement qu'il nous a impose, il a donné sa vie pour ses brebis, afin de
faire de son corps et de son sang un véritable sacrement pour nous, et
rassasier de sa chair, devenue notre aliment, les brebis qu'il avait rachetées,
il nous a tracé, pour que nous la suivions, la voie du mépris de la mort ; il
nous a donné le modèle que nous devons reproduire. Notre premier devoir est de
distribuer charitablement nos biens à ses brebis ; le second, de sacrifier
généreusement, s'il le faut, notre vie pour elles. Mais celui qui ne sacrifie
même pas ses biens pour ses brebis, quand sera-t-il disposé à sacrifier sa vie
?
S. AUG. (Traité 47) Or, le Christ
n'est pas le seul qui ait donné personnellement cette preuve de charité, et
cependant on peut dire que c'est lui seul qui l'a donnée, dans la personne de
ceux qui étaient ses membres ; car lui seul pouvait la donner sans eux, tandis
qu'ils ne pouvaient, sans lui, accomplir cet acte de dévouement. — S. AUG. (Serm.
50 sur les paroles du Seig.) Tous cependant ont été de bons
pasteurs, non-seulement parce qu'ils ont versé leur sang, mais parce qu'ils
l'ont versé pour leurs brebis, et qu'ils l'ont versé non par orgueil, mais par
charité. Il est des hérétiques, en effet, qui osent décorer du nom de martyre
les tribulations qu'ils ont pu souffrir à cause de leurs erreurs et de leurs
iniquités, et qui se couvrent de ce manteau pour pouvoir plus facilement voler
et piller, parce qu'ils sont de véritables loups. Mais gardons-nous de croire
que tous ceux qui livrent leur corps au supplice même du feu versent leur sang
pour les brebis, c'est bien plutôt contre elles qu'elles le versent. Car, comme
dit l'Apôtre : « Quand je livrerai mon corps pour être brûlé, si je n'ai
pas la charité, cela ne me sert de rien. » (1 Co 13) Or, comment
peut-on prétendre avoir le moindre degré de charité, quand on n'aime pas
l'unité de la communion chrétienne ? C'est pour nous recommander cette unité
que le Seigneur ne veut point dire qu'il y a plusieurs pasteurs, mais un seul,
en disant : « Je suis le bon pasteur. »
S. CHRYS.
(hom. 89 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur en vient ensuite à
parler de sa passion, et à montrer qu'elle avait pour objet le salut du monde,
et qu'il allait volontairement au-devant d'elle. Puis il expose de nouveau les
signes distinctifs du pasteur et du mercenaire. « Mais le mercenaire et celui
qui n'est pas le pasteur, à qui les brebis n'appartiennent pas, voit venir le
loup, laisse là les brebis et s'enfuit. »
— S. GREG. Il en est
quelques-uns qui, en préférant dans leur affection les avantages de la terre,
aux brebis elles-mêmes, perdent justement le nom de pasteur ; car celui qui ne
conduit pas ses brebis par un sentiment d'amour, mais pour un gain terrestre,
n'est pas un pasteur, c'est un mercenaire. Le mercenaire, en effet, est celui
qui tient la place du pasteur, mais ne cherche pas l'intérêt des âmes, ne
soupire qu'après les richesses de la terre, et se complaît dans les prérogatives de sa
dignité. — S. AUG. (Serm. 49 sur les par. du Seig.) Il cherche
donc dans l'Eglise autre chose que Dieu ; s'il cherchait Dieu, il serait
chaste, car le légitime époux de l'âme c'est Dieu, et celui qui demande à Dieu
autre chose que Dieu lui-même, ne le cherche pas avec des dispositions pures.
S. GREG.
— Ce n'est, du reste, que dans les temps d'épreuve qu'on peut distinguer
parfaitement le pasteur du mercenaire ; dans les temps de paix, le mercenaire
veille ordinairement à la garde du troupeau comme le véritable pasteur : mais
lorsque le loup survient, il découvre les vrais motifs qui inspiraient cette
vigilance. — S. AUG. (Serm. 49 sur les par. du Seign.) Le loup,
c'est le démon et tous ceux qui font profession de le suivre ; car,
Nôtre-Seigneur lui-même nous dit que, tout revêtus qu'ils sont de peaux de
brebis, ils sont au dedans des loups ravisseurs. (Mt 7) — S. AUG. (Traité 46 sur S. Jean.)
Voici que le loup saisit la brebis à la gorge, le démon persuade à un
fidèle de commettre un adultère, vous devez l'excommunier ; mais cette
excommunication le rendra votre ennemi déclaré, il vous tendra des pièges, et
vous nuira autant qu'il le pourra ; vous gardez le silence, vous ne lui faites
aucun reproche ; vous avez vu le loup qui venait, et vous vous êtes enfui ;
vous êtes resté de corps, mais vous vous êtes enfui d'esprit ; car c'est par
les affections que notre âme se meut, elle se répand par la foi, se resserre
par la tristesse, marche par le désir, et s'enfuit par la crainte. — S. GREG. Le loup vient encore fondre sur
les brebis toutes les fois qu'un homme injuste ou ravisseur opprime les fidèles
et les humbles. Or, celui qui n'avait que l'extérieur du pas-leur et ne l'était
pas en effet, laisse les brebis et s'enfuit à son approche, parce que le danger
qu'il redoute pour lui le rend incapable de résister à l'injustice ; et il
s'enfuit non pas en changeant de lieu, mais en privant ses brebis de son appui.
A la vue des dangers que court son troupeau, le mercenaire n'est enflammé
d'aucun sentiment de zèle ; et il supporte avec indifférence les maux qui
viennent fondre sur ses brebis, parce qu'il n'est préoccupé que de ses intérêts
personnels. « Le mercenaire s'enfuit, » etc. L'unique raison pour laquelle
le mercenaire s'enfuit, c'est qu'il est mercenaire ; et voici le sens de ces
paroles : Celui qui dirige les brebis non par un sentiment d'amour, mais en vue
d'un gain sordide, ne peut supporter le danger qui menace les brebis, et il
redoute de l'affronter, parce qu'il craint de perdre ce qu'il aime.
S. AUG.
(Tr. 46 sur S. Jean.) Les Apôtres étaient des pasteurs et
non des mercenaires, et pourquoi donc fuyaient-ils devant la persécution,
obéissant en cela au conseil du Sauveur : « S'ils vous persécutent, fuyez
» (Mt 10, 23.) Frappons, quelqu'un nous ouvrira. — S.AUG. (Lett. 180
à Honor.) Les serviteurs de Jésus-Christ, les ministres de sa parole et
de ses sacrements peuvent fuir de ville en ville, peuvent fuir de ville en
ville,et spécial de la haine des persécuteurs, à la condition que l'Eglise ne
soit pas abandonnée par ceux qu'épargne la persécution. Mais lorsque le danger
devient commun pour tous, pour les évoques, pour les clercs, pour les simples
fidèles, ceux qui ont besoin du ministère de leurs frères, ne doivent pas être
abandonnés par eux. Que tous donc s'enfuient alors dans des lieux de sûreté, ou
que ceux qui sont obligés de rester ne soient pas privés du ministère de ceux qui
doivent pourvoir à leurs besoins spirituels. Ainsi il est permis aux ministres
de Jésus-Christ, de fuir devant la persécution, quand ils ne laissent pas
derrière eux tout un peuple qui réclame leur ministère, ou lorsque ce ministère
peut être rempli par ceux qui n'ont pas les mêmes raisons de fuir. Mais si le
peuple est obligé de rester et que les ministres le laissent sans secours en
s'enfuyant, c'est la fuite honteuse et inexcusable des mercenaires qui n'ont
aucun souci de leurs brebis.
S. AUG. (Traité 46 sur S. Jean.) Parmi
les bons, il nous faut donc compter la porte, le portier, le pasteur et les
brebis ; parmi les mauvais, les voleurs, les larrons, les mercenaires et les
loups. — S. AUG. (serm. 49 sur les par. du Seig.) Il faut aimer
le pasteur, se garder du voleur, supporter le mercenaire, car le mercenaire
peut être utile tant qu'il ne voit point le loup, le voleur ou le larron, mais
à leur vue seule, il s'enfuit. — S. AUG.
(Traité 46 sur S. Jean.) On ne lui donne le nom de
mercenaire, que parce qu'il est payé par celui qui le loue. Les enfants
attendent patiemment l'héritage de leur père, le mercenaire soupire ardemment
après le salaire qu'il regarde comme le prix de son travail, et cependant la
gloire du divin Sauveur se répand par la bouche de chacun d'eux. Le mercenaire
n'est donc nuisible que lorsqu'il fait mal et non lorsqu'il annonce la bonne
doctrine : cueillez le raisin, gardez-vous des épines. Quelquefois, en effet,
la grappe de raisin qu'a produite le cep de vigne, pend aux branches d'un
buisson ; il en est beaucoup dans l'Eglise, qui cherchent leurs avantages
temporels en prêchant Jésus-Christ, la voix de Jésus-Christ se l'ait entendre
par eux, et les brebis suivent alors, non pas le mercenaire, mais la voix de
Jésus-Christ qui se fait entendre par le mercenaire.
S. CHRYS.
(hom. 60 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur a fait connaître
dans ce qui précède l'existence de deux mauvais maîtres, l'un qui vole, égorge
et pille, l'autre qui ne s'y oppose point ; par le premier il veut représenter
les auteurs de sédition ; et par le second, confondre les docteurs des Juifs,
qui ne veillaient point sur les brebis qui leur étaient confiées. Il se sépare
nettement de ces deux maîtres, d'abord de ceux qui ne venaient que pour perdre
en disant : « Je suis venu pour qu'elles aient la vie, » et ensuite de ceux qui
voient avec indifférence les rapines des loups, en déclarant qu'il donne sa vie
pour ses brebis, et comme conclusion de tout ce qui précède, il dit : « Je suis
le bon pasteur. » Mais comme il venait de dire que les brebis entendent la voix
du pasteur et le suivent, on pouvait lui objecter : « Que dites-vous donc de
ceux qui ne croient point en vous ; » il ajoute donc : « Et je connais mes
brebis, » etc. Vérité que saint Paul confirme, lorsqu'il dit : « Dieu
n'a pas rejeté son peuple qu'il a connu dans sa prescience. » — S. CHRYS. Il semble dire ouvertement :
J'aime mes brebis, et leur amour pour moi est le principe de leur obéissance,
car celui qui n'aime pas la vérité n'en a pas la moindre intelligence. — THEOPHYL. Vous pouvez conclure de là
quelle différence sépare le pasteur du mercenaire, le mercenaire ne connaît pas
les brebis, parce qu'il les visite rarement ; le pasteur les connaît en vertu
de la sollicitude qu'il a pour son troupeau.
S. CHRYS.
Gardez-vous de croire cependant que la connaissance de Jésus-Christ et
celle des brebis soit la même : « Comme mon Père me connaît, ajoute-t-il, et
que moi-même je connais mon Père, » etc., c'est-à-dire, je le connais avec
autant de certitude qu'il me connaît lui-même, la connaissance du Père et du
Fils est donc la même, il n'en est pas de même de la connaissance des brebis,
car il ajoute : « Et je donne ma vie pour mes brebis. » — S. GREG. (hom. 14.)
La preuve évidente que je connais mon Père, et que mon Père me connaît, c'est
que je donne ma vie pour mes brebis, c'est-à-dire, la charité qui me porte à
sacrifier ma vie pour mes brebis, fait voir la grandeur de l'amour que j'ai
pour mon Père. — S. CHRYS. Il
prouve un môme temps qu'il n'est pas un imposteur, de même que le grand Apôtre
voulant prouver contre les faux apôtres qu'il était un véritable maître,
puisait ses raisons dans les dangers qu'il avait courus et dans les périls de
mort auxquels il avait été exposé. — THEOPHYL.
En effet, les séducteurs n'ont jamais exposé leur vie pour leur brebis,
mais comme des mercenaires, ils ont abandonné ceux qui les suivaient, et le
Sauveur, pour qu'on ne se saisît pas de la personne de ses disciples, dit à ses
ennemis : « Laissez-les aller ».
S. GREG.
Cependant comme le Sauveur était venu racheter, non-seulement les Juifs,
mais les Gentils, il ajoute : « J'ai encore d'autres brebis qui ne sont point
de cette bergerie. » — S. AUG. (serm.
50 sur les par. du Seig.) Il s'adressait tout d'abord au bercail qui
était composé des enfants d'Israël par le sang, il y en avait d'autres qui en
faisaient partie par la foi, ils étaient encore au milieu des Gentils, ils
étaient prédestinés, mais ils n'étaient pas encore réunis. Ils ne sont donc pas
encore de cette bergerie, parce qu'ils n'appartiennent point par le sang à la
race d'Israël, mais ils en feront un jour partie d'après la parole du Sauveur :
« Il faut que je les amène, » etc. — S. CHRYS.
(hom. 60.) Il nous apprend ainsi que les uns et les autres
étaient dispersés et n'avaient point de pasteurs : « Et ils entendront ma voix, » paroles dont voici le sens :
Pourquoi vous étonner que les premiers me suivront et entendront ma voix, quand
vous verrez les autres eux-mêmes se mettre à ma suite et écouter ma voix ? Il
prédit ensuite l'union future des deux troupeaux : « Et il n'y aura qu'une
bergerie et qu'un pasteur. » — S. GREG. Il
ne fait de ces deux troupeaux qu'une seule bergerie, parce qu'il unit dans les
liens d'une seule et même foi les Juifs et les Gentils. — THEOPHYL. Tous deux, en effet, n'ont
qu'un seul et même sacrement du baptême, un seul et même pasteur qui est le
Verbe de Dieu. Que les manichéens comprennent donc ici que l'Ancien et le
Nouveau Testament n'ont qu'un seul pasteur et un seul bercail. — S. AUG. (Traité 17.) Que signifient
alors ces paroles : « Je ne suis envoyé qu'aux brebis perdues de la maison
d'Israël ? » C'est que le peuple d'Israël seul a joui de sa présence
corporelle, et qu'il n'a pas été en personne vers les Gentils, mais qu'il leur
a envoyé ses Apôtres.
S. CHRYS.
(hom. 60.) Ce mot : « Il faut, » n'exprime pas la nécessité, mais
la certitude de l'événement, et comme les Juifs prétendaient que Jésus était en
opposition avec le Père, il ajoute : « Mon Père m'aime, parce que je donne ma
vie pour la reprendre. » — S. AUG. C'est-à-dire,
parce que je meurs pour ressusciter. Remarquez la force de cette expression :
« Je donne ma vie. » Que les Juifs cessent de se glorifier, ils pourront
se déchaîner contre moi, mais si je ne consens à donner ma vie, à quoi peuvent
aboutir les efforts de leur fureur ? Or, l'amour que le Père a pour le Fils,
n'est pas comme le prix de la mort qu'il doit soutenir, mais il l'aime en
contemplant dans ce Fils qu'il a engendré sa propre nature, alors qu'en vertu de
ce même amour, il consent à donner sa vie pour nous.
S. CHRYS.
(hom. 60.) On peut dire encore qu'en parlant de la sorte, il
s'accommode à notre faiblesse et veut nous dire : Quand il n'y aurait pas
d'autre motif, ce qui me porte à vous aimer, c'est l'amour que mon Père a pour
vous, amour qui est si grand, qu'il m'aime moi-même, parce qu'il me voit
disposé à mourir pour vous. Il ne faut pas toutefois l'entendre dans ce sens,
que le Père n'aimait pas auparavant son Fils, et que nous soyons la cause de cet
amour. Le Sauveur veut encore prouver que ce n'est point malgré lui qu'il a
enduré les souffrances de sa passion : a Personne, dit-il, ne me la ravit, mais
je la donne de moi-même. » — S. AUG. (de
la Trin., 4, 13.) Ces paroles sont la preuve que sa mort n'a été l'effet et
la suite d'aucun péché personnel, mais qu'il est mort parce qu'il l'a voulu,
quand il l'a voulu, et de la manière qu'il l'a voulu : « Et j'ai le pouvoir de
la donner, et le pouvoir de la reprendre. » — S. CHRYS. Combien de fois les Juifs avaient formé le projet de
le mettre à mort, il leur déclare donc que tous leurs efforts sont inutiles, s'il ne consent
à donner sa vie. J'ai tellement le pouvoir de la donner, dit-il, que personne
ne peut me l'arracher malgré moi, pouvoir qui n'appartient pas à tous les
hommes. Ainsi nous n'avons le pouvoir de donner notre vie qu'en nous donnant la
mort à nous-mêmes, et Nôtre-Seigneur a le véritable pouvoir de la donner. De
cette vérité suit nécessairement cette autre qu'il a le pouvoir de reprendre sa
vie, et il donne ainsi une preuve certaine de sa résurrection. Mais comme ils
auraient pu penser qu'après qu'ils l'auraient mis à mort, il serait abandonné
de son Père, il ajoute : « J'ai reçu de mon Père ce commandement, »
c'est-à-dire, de donner ma vie et de la reprendre. Ne croyons pas cependant
qu'il ait attendu que ce commandement lui ait été donné, et qu'il ait eu besoin
de l'apprendre, il veut simplement montrer ici que sa volonté est libre, et
détruire tout soupçon d'opposition entre lui et son Père. — THEOPHYL. Ce commandement, en effet,
n'exprime autre chose que la parfaite harmonie entre son Père et lui. — ALCUIN. Et ce n'est point par une
parole extérieure, que le Verbe a reçu ce commandement, car tout commandement a
sa racine dans le Verbe, Fils unique du Père. Lors donc qu'on dit du Fils,
qu'il reçoit ce qu'il possède, par sa nature, ce n'est point pour amoindrir sa
puissance, mais pour prouver sa génération, car c'est par la génération que le
Père a tout donné à son Fils, qu'il a engendré dans toute sa perfection.
THEOPHYL. Après avoir parlé de
lui-même en termes aussi relevés et s'être donné pour le maître de la mort et
de la vie ; le Sauveur tempère de nouveau son langage, et unit ainsi les choses
les plus contraires dans une admirable harmonie, afin que nous le considérions, non
comme inférieur à son Père, ni comme son adversaire, mais comme possédant le
même pouvoir et la même sagesse.
S. AUG. (Traité 47.) La manière
dont Nôtre-Seigneur parle ici de son âme, nous prémunit contre l'erreur des
apollinaristes, qui prétendent que Jésus-Christ n'a pas eu d'âme humaine,
c'est-à-dire, une âme intelligente et raisonnable. Dans quel sens donc
Nôtre-Seigneur dit-il qu'il a le pouvoir de donner son âme ou sa vie ?
Jésus-Christ est à la fois Verbe et homme, c'est-à-dire, Verbe, âme et chair ;
or, est-ce comme Verbe qu'il donne son âme ou sa vie et qu'il la reprend ? Ou
bien est-ce en tant qu'il est une âme humaine que l'âme se donne et qu'elle se
reprend ? Ou bien encore est-ce en tant qu'il est chair, que la chair donne son
âme ou la reprend ? Si nous disons que le Verbe de Dieu a donné son âme et l'a
reprise, donc cette âme a été pendant un certain temps séparée du Verbe de
Dieu, puisque la mort sépare l'âme du corps, mais non, l'âme n'a jamais été séparée
du Verbe. Si nous disons au contraire que l'âme elle-même s'est donnée, c'est
une proposition absurde, car si elle ne pouvait être séparée du Verbe,
pouvait-elle être séparée d'elle-même ? C'est donc la chair qui laisse son âme
pour la reprendre ensuite, non cependant par sa puissance, mais par la
puissance du Verbe qui habitait en elle.
ALCUIN. Et comme la lumière
luisait dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l'ont point comprise,
l'Evangéliste ajoute : « Il s'éleva de nouveau une dissension parmi les Juifs,
à l'occasion de ce discours, plusieurs d'entre eux disaient : Il est possédé du
démon et il a perdu le sens. » — S. CHRYS.
Ses enseignements dépassaient la portée de l'intelligence humaine, ils
l'accusaient doue d'être possédé du démon ; mais il trouve des défenseurs qui
savent bien le venger de cette accusation par les œuvres qu'il a faites : «
D'autres disaient : Ce ne sont pas là les paroles d'un homme possédé du démon,
est-ce que le démon peut ouvrir les yeux des aveugles ? » C'est-à-dire, ces
paroles ne sont pas celles d'un homme possédé du démon, mais si elles ne
suffisent point pour vous convaincre, laissez-vous an moins persuader par les
œuvres. Après cette démonstration tirée des faits eux-mêmes, Nôtre-Seigneur se
tait sur le reste, car ils n'étaient pas dignes qu'il leur répondit. Il nous
enseigne aussi à pratiquer dans toute leur étendue la douceur et la
longanimité. D'ailleurs ils se réfutaient eux-mêmes les uns les autres par les
divisions qui existaient entre eux.
ALCUIN. Nous avons entendu
le récit de la patience du Seigneur, et comment les outrages dont il est
l'objet ne peuvent interrompre pour lui le ministère de la prédication du
salut, mais les Juifs, plus que jamais endurcis, cherchaient à le tenter plutôt
qu'à lui obéir, voici dans quelles
circonstances : « Or, c'était à Jérusalem la fête de la Dédicace. » — S. AUG. (Traité 48.) Le mot encœnia
signifiait la fête de la Dédicace du temple, car le mot grec
χαινόν veut dire nouveau, et on appelait encœnia,
toute dédicace de chose nouvelle. — S. CHRYS.
(hom. 61.) C'était l'anniversaire du jour où le temple fut de
nouveau consacré, au retour des Juifs de la captivité de Babylone. — THEOPHYL. Ils célébraient cette fête
avec une grande pompe, il leur semblait que la ville de Jérusalem avait
recouvré tout son éclat après une si longue captivité. — ALCUIN. Ou bien
encore, cette dédicace était l'anniversaire de celle qu'avait faite Judas le
Machabée, car la première dédicace avait été faite par Salomon en automne, la seconde
par Zorobabel et Jésus au printemps, et celle-ci avait lieu en hiver, comme le
remarque l'Evangéliste : « Et c'était l'hiver. » — BEDE. Nous lisons en effet, qu'il fut établi sous Judas
Machabée, que l'anniversaire de cette dédicace aurait lieu solennellement tous
les ans.
BEDE. L'Evangéliste
précise l'époque de cette fête qui avait lieu en hiver, pour nous faire
comprendre que le temps de la passion était proche, car ce fut au printemps
suivant qu'eut lieu la passion du Sauveur, et c'est pour cela qu'il se trouvait
alors à Jérusalem. — S. GREG. (2 Mor.,
2.) On bien encore, il fait mention de la saison d'hiver pour exprimer la
froide méchanceté qui avait gagné les cœurs des Juifs.
S. CHRYS.
Nôtre-Seigneur s'était rendu avec un grand empressement à cette
solennité, et il restait d'ailleurs de préférence dans la Judée, parce que sa
passion approchait : « Et Jésus se promenait dans le temple, sous le portique de Salomon. » — ALCUIN. On appelait portique de
Salomon, celui où ce roi se tenait ordinairement pour la prière, et qui pour
cette raison avait reçu son nom, car ces portiques qui entouraient le temple,
tiraient leur nom de la partie du temple qu'ils entouraient. Or, si le Fils de
Dieu a voulu fréquenter le temple où l'on n'offrait que la chair des animaux
sans raison, combien plus aimera-t-il à visiter notre maison de prière où se
fait la consécration de sou corps et de son sang.
THEOPHYL. Efforcez-vous aussi
pendant la durée de l'hiver, c'est-à-dire, durant cette vie présente si souvent
agitée par les tempêtes de l'iniquité, de célébrer la dédicace spirituelle de
votre temple, en vous renouvelant sans cesse vous-même et en disposant dans
votre cœur les degrés qui vous élèvent jusqu'à Dieu, alors Jésus viendra à
votre rencontre sous le portique de Salomon, et vous fera jouir d'une paix
assurée sous son propre toit. Mais dans la vie future, nous n'aurons plus à
célébrer les fêtes solennelles de la dédicace.
S. AUG.
Comme le feu de la charité s'était éteint dans le cœur des Juifs, et
qu'ils brûlaient au contraire de l'ardeur de faire le mal, ce n'est point la
foi qui les amenait à Jésus, c'est le désir de le persécuter : « Les Juifs donc
l'entourèrent et lui dirent : Jusques à quand tiendrez-vous notre esprit en
suspens ? Si vous êtes le Christ, dites-nous-le ouvertement. » Ils lui font
cette question, non qu'ils désirent connaître la vérité, mais pour trouver
occasion de le calomnier. — S. CHRYS. (hom.
61.) Ils ne peuvent incriminer aucune de ses actions, ils désiraient donc
trouver dans ses paroles un sujet d'accusation. Et voyez jusqu'où va leur
perversité : lorsqu'il les enseigne par ses paroles, ils lui disent : « Quel
miracle faites-vous ? » S'il fait des miracles pour démontrer sa divinité, ils
viennent lui dire : « Si vous êtes le Christ, dites-le nous ouvertement, »
tant ils sont dominés par l'esprit de contradiction. Remarquez encore quelle
haine dans ces paroles : « Si vous êtes le Christ, dites-le nous ouvertement. »
Mais Jésus parlait toujours en public, il assistait à toutes les grandes solennités,
et ne disait rien en secret. Ils commencent toutefois par un langage plein de
flatterie : « Jusques à quand tiendrez vous notre âme en suspens ? » pour le
provoquer et le faire tomber dans un piège. — ALCUIN.
Ils reprochent à celui qui était venu sauver les âmes de tenir leur âme en
suspens et dans l'incertitude.
S. AUG.
Ils cherchaient à obtenir du Sauveur cet aveu : « Je suis le Christ, »
et comme ils n'avaient du Christ que des idées tout humaines, et qu'ils ne
comprenaient point sa divinité prédite par les prophètes, s'il leur avait
répondu qu'il était le Christ, ils l'auraient accusé d'usurper la puissance
royale d'après la croyance où ils étaient que le Christ devait sortir de la
race de David. — ALCUIN. Ils
pensaient donc à le livrer au gouverneur pour le faire punir comme usurpateur
du pouvoir de l'empereur Auguste, mais Nôtre-Seigneur leur répond de manière à
fermer la bouche des calomniateurs, à faire connaître aux fidèles qu'il est
vraiment le Christ, et à dévoiler les mystères de sa divinité à ceux qui ne
l'interrogeaient que sur son humanité : « Jésus leur répondit : Je vous parle
et vous ne me croyez point. » — S. CHRYS. (hom. 61.) Comme ils
paraissaient vouloir se rendre à l'évidence seule de ses paroles, eux que tant
d'œuvres miraculeuses n'avaient pu persuader, il confond leur malice et semble
leur dire : Si vous ne croyez pas à mes œuvres, comment croirez-vous à mes
paroles ? et il leur fait connaître la
raison de leur peu de foi : « Mais vous ne croyez point, parce que vous
n'êtes point de mes brebis. » — S. AUG.
(Traité 48.) Il leur tient ce langage, parce qu'il les voyait
prédestinés à la mort éternelle et privés à jamais de la vie éternelle qu'il
avait acquise par son sang, car ce qui fait les brebis c'est leur foi et leur
obéissance à leur pasteur.
THEOPHYL. Après leur avoir
déclaré qu'ils ne sont point de ses brebis, il les engage ensuite à le devenir,
et leur en donne le moyen : « Mes brebis, leur dit-il, entendent ma voix. » — ALCUIN. C'est-à-dire, elles obéissent
de cœur à mes préceptes, « et je les connais, » c'est-à-dire, je les choisis, «
et elles me suivent, » en marchant ici dans les voies de la douceur et de
l'innocence, et en entrant ensuite dans les joies de la vie éternelle : « Et je
leur donne la vie éternelle. » — S. AUG.
(Traité 48.) Ce sont les pâturages dont il avait dit précédemment
: « Il trouvera des pâturages. » Ce pâturage excellent, c'est la vie
éternelle, où l'herbe, loin de se flétrir, conserve toute sa verdure, mais pour
vous, vous cherchez à me calomnier, parce que vous ne songez qu'à la vie
présente : « Et elles ne périront pas à jamais ; » ajoutez ce qu'il
sous-entend : Pour vous, vous périrez éternellement, parce que vous n'êtes pas
de mes brebis. — théophyl. Mais
comment Judas a-t-il péri ? Parce qu'il n'a point persévéré jusqu'à la fin. Or,
Jésus-Christ ne veut parler ici que de ceux qui persévèrent, car si quelques
brebis se séparent du troupeau, et cessent de suivre le pasteur, elles
s'exposent aussitôt aux plus grands dangers.
S. AUG.
(Traité 48.) Il explique ensuite pourquoi
ses brebis ne périssent point ; les brebis dont il est dit : « Le Seigneur
connaît ceux qui sont à lui, » (2 Tm 2) ni le loup ne les ravit,
ni le voleur ne les enlève, ni le
larron ne les égorge, celui qui sait le prix qu'elles lui ont coûté est assuré
de n'en perdre aucune. — S. HIL. (de la Trin., 7) Cette parole
est le témoignage d'une puissance qui a conscience d'elle-même ; mais comme
tout en ayant la nature même de Dieu, il faut cependant admettre qu'il est né
de lui ; il ajoute : « Ce que mon Père m'a donné est plus grand que toutes
choses. » Il ne dissimule point qu'il est né du Père, car ce qu'il a reçu du
Père, il l'a reçu par sa naissance, et non dans la suite. — S. AUG. En effet,
le Fils qui est né du Père, Dieu de Dieu, n'est point devenu son égal par un
accroissement successif, il l'est par sa naissance seule. Voilà donc ce que mon
Père m'a donné, et ce qui est plus grand que toutes choses, c'est que je suis
son Verbe, son Fils unique, la splendeur de sa lumière. On ne peut donc ravir
mes brebis d'entre mes mains, parce qu'on ne peut les ravir d'entre les mains
de mon Père : « Et nul ne peut ravir ce qui est entre les mains de mon Père. »
Si par la main nous entendons la puissance, le Père et le Fils ont une seule et
même puissance, parce qu'ils ont une seule et même divinité ; mais si par la
main nous entendons le Fils, c'est le Fils qui est la main du Père, ce qui ne
veut point dire que Dieu le Père ait des membres comme ceux du corps de
l'homme, mais qu'il a tout fait par son Fils. (Jn 1, 3.) C'est ainsi que
les hommes appellent leurs mains ceux de leurs semblables, qui sont les
instruments de leurs volontés. Quelquefois même l'œuvre de l'homme est appelée
sa main, parce qu'elle est le produit de sa main, c'est ainsi qu'on dit qu'un
homme reconnaît sa main lorsqu'il reconnaît son écriture. Dans cet endroit la
main doit s'entendre de la puissance du Père et du Fils, de peur qu'en
appliquant exclusivement au Fils cette dénomination, une pensée toute charnelle
ne nous fasse chercher le Fils du Fils. — S. HIL.
(de la Trin., 7) La main du Fils est ici appelée la main du Père,
pour vous faire comprendre par une comparaison sensible, qu'ils ont une
puissance de même nature, parce que la nature et la puissance du Père se
trouvent également dans le Fils.
S. CHRYS.
Et afin que vous ne puissiez soupçonner que la puissance du Père vient
au secours de la puissance du Fils, pour mettre les brebis en sûreté,
Nôtre-Seigneur ajoute : « Mon Père et moi nous sommes un. » — S. AUG. (Traité
48.) Comprenez bien ces deux mots : « Un, » et : « Nous sommes, » et
vous ne tomberez ni dans Charybde, ni dans Scylla. En disant :
« Un, » il vous délivre d'Arius, et en disant : « Nous sommes, » il
vous débarrasse de Sabellius ; s'il y a unité, il n'y a donc point de
différence ; si : « Nous sommes, » il y a donc Père et Fils. — S. AUG. (de la Trin., 6) Il a dit :
« Nous sommes un, » ce qu'il est, je le suis moi-même, quant à la nature, non
quant à la relation de personne à personne. — S. HIL. (de la Trin., 8) Les hérétiques contraints
d'avouer la vérité de ces paroles, s'efforcent de les dénaturer par leurs
interprétations mensongères aussi ridicules qu'elles sont impies. Ils cherchent
donc à les expliquer dans le sens d'unité parfaite de consentement ; il y a,
disent-ils, unité de volonté, mais non unité de nature, c'est-à-dire, que le
Père et le Fils sont un, non par leur essence, mais par la conformité parfaite
de leur volonté. Ils sont un, non par le mystère d'une économie quelconque,
mais par la génération de la nature divine, parce que la nature divine ne
dégénère en aucune manière par cette génération. Ils sont un, en ce sens que ce qui ne peut être ravi d'entre les mains
du Fils, ne peut être ravi d'entre les mains du Père ; parce que le Père agit
en lui et en même temps que lui ; puisqu'il est dans le Père, et que le Père
est en lui. Ce n'est point là l'effet d'une création, mais de la naissance ; ce
n'est pas la volonté, mais la puissance qui agit ici, ce n'est point une simple
unanimité de sentiments qui parle ici, c'est l'unité de nature. Nous ne nions
donc pas l'unanimité de sentiments entre le Père et le Fils, ce que les
hérétiques nous attribuent à tort en prétendant que nous n'admettons point
cette unanimité entre le Père et le Fils, parce que nous voulons voir ici autre
chose que l'unanimité. Qu'ils comprennent donc dans quel sens nous affirmons
cette unanimité ; le Père et le Fils sont un en nature, en honneur, en
puissance, et une même nature ne peut avoir des volontés différentes.
S. AUG. (Traité 48.) Les Juifs ne
purent supporter ces paroles : « Mon Père et moi nous sommes un, » et obéissant
à leur dureté habituelle, ils coururent chercher des pierres pour les lui jeter
: « Alors les Juifs prirent des pierres pour le lapider. » — S. HIL. (de la Trin., 7) Maintenant
que le Seigneur est assis an plus haut des cieux, les hérétiques refusent
encore d'obéir à ses paroles par le même sentiment d'incrédulité, et le
poursuivent de leur haine sacrilège ; ils lancent contre lui leurs impiétés
comme autant de pierres, et s'ils le pouvaient, ils le renverseraient de son
trône pour l'attacher de nouveau à la croix.
THEOPHYL. Mais le Sauveur
voulant leur prouver que leur fureur contre lui n'a aucune raison d'être, leur
rappelle les prodiges qu'il avait opérés : « J'ai fait devant vous
beaucoup d'œuvres excellentes, » etc. — ALCUIN.
C'est-à-dire, les guérisons des infirmes, l'éclat de ma doctrine et de
mes miracles, dont mon Père était le principe comme je vous l'ai déclaré, parce
que j'ai toujours cherché sa gloire, pour laquelle donc de ces œuvres me
lapidez-vous ? Ils sont forcés de reconnaître la multitude des bienfaits dont
Jésus-Christ les a comblés, mais ils relèvent comme un blasphème ce qu'il a
dit, qu'il était égal à son Père : « Les Juifs lui répondirent : Ce n'est pas
pour aucune bonne œuvre que nous vous lapidons, mais à cause de votre
blasphème, » etc. — S. AUG. C'est
la réponse qu'ils font à cette parole du Sauveur : « Mon Père et moi nous
ne sommes qu'un. » Voici donc que les Juifs ont compris ce que n'ont pas
compris les Ariens, car la colère des Juifs vint de ce qu'ils comprirent bien
qu'il ne pouvait dire : Mon Père et moi nous ne sommes qu'un, qu'autant qu'il y
avait égalité parfaite entre son Père et lui. — S. hil. (de la Trin., 7) Le Juif
dit : « Alors que vous êtes un homme ; » l'Arien : « Alors que vous êtes une
créature, » et tous deux poursuivent : « Vous vous faites Dieu. » Les ariens, en effet, en font un Dieu d'une
nature nouvelle et toute particulière, un Dieu d'un nouveau genre, ou plutôt un
Dieu qui n'en est pas un, puisqu'ils prétendent qu'il n'est point Fils de Dieu
par naissance, qu'il n'est point Dieu en vérité, et qu'il est tout simplement
une créature plus excellente que les antres.
S. CHRYS.
(hom. 61.) Nôtre-Seigneur, loin de détruire l'opinion où étaient
les Juifs, qu'il se disait égal à Dieu, cherche au contraire à la confirmer : «
Jésus leur repartit : N'est-il pas écrit dans votre loi, » etc. — S. AUG.
C'est-à-dire, dans la loi qui vous a été donnée : « Je l'ai dit : Vous
êtes des dieux. » Ce sont les paroles que Dieu adresse aux hommes dans les
psaumes par son prophète. Le Sauveur comprend quelquefois sous le nom de loi,
toutes les Ecritures ; en d'autres endroits il la distingue des écrits
prophétiques : « A ces deux commandements se rattachent toute la loi et
les prophètes. » (Mt 22) Quelquefois il divise les Ecritures en trois
parties : « Il fallait que tout ce qui a été prédit de moi, dans la loi, dans
les prophètes et dans les psaumes, fût accompli. » (Lc 14) Ici il
comprend les psaumes sous le nom de loi, et voici son raisonnement : Si
l'Ecriture appelle dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée, et que
l'Ecriture ne puisse être démentie, comment dites-vous à celui que le Père a
sanctifié et envoyé dans le monde : Vous blasphémez, parce que j'ai dit : Je
suis le Fils de Dieu ?
S. HIL.
(de la Trin., 7) Le Sauveur, avant de démontrer que son Père et
lui n'avaient qu'une seule et même nature, commence par repousser l'accusation
aussi ridicule qu'outrageante, que les Juifs dirigeaient contre lui, qu'il se
faisait Dieu, lorsqu'il était homme, car puisque
ce nom était donné à de saints personnages, et que la parole de Dieu appuyait
de son autorité irréfragable l'attribution faite de ce nom à de simples
mortels, ce n'est donc point un crime pour lui de se faire Dieu, quand il
n'aurait été qu'un homme, puisque la loi elle-même appelle Dieu ceux qui ne
sont que des hommes. Et si les autres hommes peuvent prendre ce nom sans aucune
usurpation sacrilège, à plus forte raison celui que le Père a sanctifié peut-il
sans usurpation prendre ce nom et se dire le Fils de Dieu, puisqu'il surpasse
tous les autres par la sanctification qu'il a reçue comme Fils, d'après ces
paroles de saint Paul : « Qu'il était prédestiné Fils de Dieu en
puissance, selon l'esprit de sanctification, » (Rm 1, 4) car toute cette
réponse du Sauveur a trait à son humanité, et tend à établir que le Fils de
Dieu est aussi le Fils de l'homme.
S. AUG.
Ou bien encore, le Père l'a sanctifié, c'est-à-dire, lui a donné d'être
saint eu l'engendrant, parce qu'il l'a engendré dans la plénitude de la
sainteté. Or, si la parole de Dieu, adressée aux hommes, leur a donné le nom de
dieux, comment le Verbe de Dieu ne serait-il pas Dieu lui-même ? Et si les
hommes, en participant au Verbe de Dieu, deviennent eux-mêmes des dieux,
comment le Verbe qui fait entrer en participation de lui-même, ne serait-il pas
Dieu ? — THEOPHYL. Ou bien, il
l'a sanctifié, c'est-à-dire, il a ordonné qu'il serait offert en sacrifice pour
le monde, ce qui prouve qu'il n'est pas Dieu comme les autres hommes, car
sauver le monde est une œuvre toute divine et bien au-dessus d'un homme déifié
par la grâce.
S. CHRYS.
(hom. 61.) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur s'exprime d'abord en
termes plus humbles de lui-même, pour faire recevoir plus facilement ses
paroles, et s'élever ensuite à de plus hautes considérations : « Si je ne fais
pas les œuvres de mon Père, ne me croyez point. » Il prouve ainsi qu'il
n'est en rien inférieur à son Père : et comme il était impossible de voir sa
nature divine, il prouve que la ressemblance est l'identité des œuvres, la
parfaite égalité de puissance. — S. HIL.
(de la Trin., 7) Comment trouver place ici à une simple adoption,
à un nom concédé par indulgence, pour nier qu'il soit le Fils de Dieu par
nature, alors que les œuvres de la puissance du Père prouvent évidemment qu'il
est le Fils de Dieu ? La créature ne peut prétendre ni à l'égalité ni à la
ressemblance avec Dieu, et aucune nature créée ne peut lui être comparée en
puissance. Or, le Fils déclare qu'il accomplit non pas ses œuvres, mais les
œuvres de son Père, pour ne pas détruire par l'éclat de ses œuvres la vérité de
sa naissance. Et comme le mystère de son incarnation, dans le sein de Marie,
découvrait surtout en lui le Fils de l'homme et non le Fils de Dieu, il appuie
notre foi sur ses œuvres : « Mais si je les fais, quand bien même vous ne
voudriez pas me croire, croyez aux œuvres. » Pourquoi, en effet, le mystère de
sa naissance humaine, de son humanité, nous empêcherait-il d'admettre sa
naissance divine, puisque c'est sous le voile de l'humanité que la nature
divine accomplit toutes ses œuvres ? Mais quelle est la vérité qu'il veut faire
ressortir des œuvres du Père qu'il accomplit ? « Afin que vous connaissiez et
que vous croyiez que mon Père est en moi, et moi dans mon Père, » c'est-à-dire
que je suis le Fils de Dieu, ou en d'autres termes, que mon Père et moi ne
sommes qu'un. — S. AUG. (Traité
48 sur S. Jean.) Le Fils de Dieu ne dit pas : Mon Père est en moi.
et moi en lui, dans le sens que les hommes le peuvent dire ; car si nos pensées
sont bonnes, nous sommes en Dieu, et si notre vie est sainte, Dieu est en nous.
Lorsque nous participons à sa grâce
et que
nous recevons sa lumière, nous sommes en lui, et lui en nous. Mais pour le Fils
unique de Dieu, il est dans le Père, et le Père est en lui, comme un égal est
dans celui qui lui est égal.
BEDE. Nous voyons par le
récit de l'Evangéliste que les Juifs persévèrent avec opiniâtreté dans leur
égarement : « Les Juifs cherchaient donc à le prendre. » — S. AUG. (Traité
48) Ils cherchent à le prendre, non par la foi ou par
l'intelligence, mais pour satisfaire leur haine contre lui en le mettant à
mort. Vous le prenez pour l'avoir en votre possession, ils veulent le prendre
pour se défaire de lui : « Et il s'échappa de leurs mains. » Ils ne purent se
saisir de lui, parce qu'ils n'avaient pas les mains de la foi, et il ne fut pas
difficile au Verbe de délivrer son corps de ces mains de chair. — S. CHRYS. (hom. 61.) Lorsque le
Sauveur a enseigné aux Juifs quelque grande vérité, il se dérobe presque
aussitôt pour apaiser leur fureur par son absence, comme il le fait encore ici
: « Et il s'en alla de nouveau au delà du Jourdain. » Pourquoi l'Evangéliste
fait-il mention du lieu où il se retire ? c'est pour rappeler le souvenir des
actions et des paroles de Jean-Baptiste, aussi bien que de ses témoignages
multipliés. — BEDE. Il dit: « Où
Jean était d'abord, » c'est-à-dire dès ses premières années. Pendant le séjour que Jésus, y fit,
l'Evangéliste nous raconte qu'un grand nombre de personnes vinrent le trouver :
« Et un grand nombre de personnes vinrent à lui, et ils disaient : Jean
n'a fait aucun miracle. » — S. AUG. C'est-à-dire qu'il n'a fait aucun miracle
public, il n'a ni chassé les démons, ni rendu la vue aux aveugles, ni
ressuscité les morts.
S. CHRYS.
Voyez la force de leurs raisonnements : « Jean, disent-ils, n'a fait
aucun miracle. Jésus, au contraire, en a fait de nombreux. ce qui établit sa
supériorité et sa prééminence. Cependant il ne faut pas croire pour cela que
parce que Jean n'a fait aucun miracle, son témoignage soit sans autorité, aussi
ajoutent-ils : « Tout ce que Jean a dit de celui-ci était vrai. » Si
Jean n'a fait aucun miracle, tous les témoignages qu'il a rendus à Jésus sont
véritables. Donc si l'on devait ajouter foi aux témoignages de Jean, à plus
forte raison doit-on croire à celui qui, à l'autorité de ce témoignage, joint
encore l'autorité des miracles. C'est ce qui eut lieu en effet : «Et beaucoup
crurent en lui. » — S. AUG. Voici
qu'ils s'emparent de Jésus-Christ, alors qu'il demeure au milieu d'eux, non pas
comme les Juifs qui voulaient se saisir de lui, lorsqu'il s'échappait de leurs
mains. Servons-nous donc aussi de la lampe pour arriver au jour, puisque Jean
était la lampe, et qu'il rendait témoignage au jour.
THEOPHYL. Il est à remarquer
que le Seigneur aimait à conduire le peuple dans des lieux solitaires, et qu'il
les arrachait à la société des méchants pour leur faire produire des fruits de
vertu. C'est ainsi qu'il avait conduit le peuple hébreu dans le désert pour lui
donner la loi ancienne.
Dans le sens mystique, Nôtre-Seigneur s'éloigne de Jérusalem, c'est-à-dire du
peuple juif, et se dirige vers les lieux où les fontaines abondent,
c'est-à-dire vers l'Eglise des nations qui a la fontaine du baptême, par
laquelle un grand nombre parviennent jusqu'à Jésus-Christ en traversant le
Jourdain.
BEDE. L'Evangéliste venait
de dire que le Seigneur était allé au delà du Jourdain, et que c'est alors que
Lazare tomba malade : « Or, il y avait un homme malade, nommé Lazare, de
Béthanie. » De là vient que dans quelques exemplaires la conjonction copulative
se trouve placée en tête de ce récit, de manière à le rattacher à ce qui
précède.
Le mot Lazare signifie qui a été secouru ; car de tous les morts que
Jésus a ressuscites, Lazare est celui qui a reçu le secours le plus signale,
puisque non-seulement Il était mort, mais dans le tombeau depuis quatre jours,
lorsqu'il fut ressuscité. — S. AUG. (Traité
49, sur S. Jean.) La résurrection de Lazare est un des plus éclatants miracles qu’ait
opéré Noire-Seigneur. Mais si nous considérons l'auteur de ce miracle, notre
joie doit être plus grande que notre étonnement. Celui qui a ressuscité un
homme, est celui-là même qui a créé l'homme ; car, créer l'homme est un acte,
de puissance plus grande que de le ressusciter. Or, Lazare était malade à
Béthanie, bourg où demeuraient Marthe et Marie, sa sœur, selon la remarque de
l'Evangéliste. Ce bourg était proche de Jérusalem. — ALCUIN. Et, comme il y
avait plusieurs hommes du nom de Marie, pour nous faire éviter toute erreur,
l'Evangéliste caractérise celle, dont il s'agit par une action très connue : «
Marie était celle qui oignit de parfum le. Seigneur, » etc.
S. CHRYS.
(hom. 62 sur S. Jean.) Ce qu'il faut savoir tout d'abord,
c'est, que ce ne fut pas cette femme de mauvaise vie dont il est parlé dans
saint Luc. La sœur de Lazare était une femme vertueuse et empressée à recevoir
le Sauveur. — S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 79.) Ou bien encore,
en s'exprimant de la sorte, saint Jean rend témoignage au récit de saint Luc, qui raconte, que ce fait se passa dans la maison d'un
pharisien appelé Simon. Marie avait donc déjà répandu des parfums sur la tête
de Jésus ; elle renouvela cette action à Béthanie, comme le racontent les trois
autres évangélistes, à l'exclusion de saint Luc, qui n'en parle point, parce
que ce fait était étranger à son récit.
S. AUG. (Serm. 52, sur les par. du
Seig.) Lazare était donc atteint d'une langueur mortelle, et le feu
dévorant de la fièvre consumait de jour en jour le corps de cet infortuné. Ses
deux sœurs lui prodiguaient leurs soins, et, pleines de compassion pour leur
jeune frère souffrant, elles restaient constamment près de son lit. Aussi les
voyons-nous agir aussitôt dans son intérêt, « Ses sœurs donc envoyèrent
dire à Jésus : Seigneur, voilà que celui que vous aimez est malade. » — S. AUG. (Traité 49.) Elles ne lui
disent pas: Venez, et guérissez-le ; elles n'osent lui dire : Commandez là où
vous êtes, et la guérison aura lieu ici ; elles se contentent de lui dire : «
Voilà que celui que vous aimez est malade, » c'est-à-dire, il suffit que vous
en soyez averti, car vous n'abandonnez jamais celui que vous aimez.
S. CHRYS.
(hom. 62.) Elles veulent, par ce message, réveiller la
compassion pour son ami dans le cœur de Jésus ; car elles agissaient encore
avec lui comme avec un homme. Elles ne vinrent point trouver le Sauveur comme
le Centurion et l'officier du roi ; mais elles envoient vers lui, parce que la
grande intimité qu'elles avaient avec Jésus-Christ leur inspirait une vive
confiance dans sa bonté, et que d'ailleurs leur tristesse les retenait chez
elles. — THEOPHYL. Ajoutons qu'il
ne convient pas à des femmes de sortir trop facilement de leur maison. Mais
quelle foi et quelle, confiance dans cette courte prière : « Voilà que celui
que vous aimez est malade ! » Elles reconnaissent dans le Seigneur une si
grande puissance, qu'il leur paraît surprenant que la maladie ait pu atteindre
un homme qui lui était si cher. « Ce qu'entendant Jésus, il leur dit : Cette
maladie n'est pas pour la mort. » — S. AUG. (Traité 49.) La mort
elle-même de Lazare n'était pas pour la mort, mais plutôt pour donner lieu à un
grand miracle qui fit croire les hommes en
Jésus-Christ et leur fit éviter la véritable mort. C'est pour cela qu'il ajoute
: « Mais elle est pour la gloire de Dieu. » C'est ainsi qu'il prouve
indirectement qu'il est Dieu, contre les hérétiques, qui prétendent que le Fils
de Dieu n'est pas Dieu. Nôtre-Seigneur explique, du reste, ces paroles :
« Elle est pour la gloire de Dieu, » en ajoutant : « Afin que le Fils
de Dieu en soit glorifié, » c'est-à-dire par cette infirmité. — S. CHRYS. (hom. 62.) La particule ut,
afin, n'exprime pas ici la cause, mais ce qui arriva en effet, c'est-à-dire
que l'infirmité eut une autre cause, et que Jésus la fit servir à la gloire de
Dieu.
« Or, Jésus aimait Marthe, Marie, sa sœur, et
Lazare. » — S. AUG. Lazare était malade, ses sœurs dans la tristesse, et tous
étaient aimés de Jésus. Ils étaient donc pleins d'espérance, parce qu'ils
étaient aimés de celui qui est le consolateur des affligés et le salut des
infirmes.— S. CHRYS. (hom. 62.)
L'Evangéliste veut encore nous apprendre, par cette réflexion, à ne point nous
attrister lorsque nous voyons des hommes de bien, des amis de Dieu éprouvés par
la maladie et la souffrance.
ALCUIN. — Nôtre-Seigneur
ayant appris la maladie de Lazare, diffère de le guérir et attend quatre jours
entiers, afin d'avoir l'occasion d'opérer un plus
grand miracle en le ressuscitant. « Ayant donc appris qu'il était malade,
il demeura encore deux jours au lieu où il était. » — S. CHRYS. Il attend que Lazare ait rendu
le dernier soupir, qu'il soit enseveli, qu'il exhale déjà une odeur infecte,
afin que personne ne puisse dire : Il n'était pas encore mort lorsqu'il a paru
le ressusciter ; ce n'était qu'une léthargie, et non une mort véritable.
« Après cela, il dit à ses disciples :
Retournons en Judée. » — S. AUG. (Traité
49.) Dans la Judée, où il avait failli être lapidé, et d'où il était
parti comme un homme qui veut se dérober an danger ; mais en revenant, il
semble oublier sa faiblesse, pour ne faire paraître que sa puissance. — S. CHRYS. (hom. 62.) Nulle part
ailleurs on ne le voit prévenir ses disciples du lieu où il doit aller ; il le
fait ici, parce qu'ils redoutaient grandement ce voyage, et qu'il veut leur
épargner un trop vif sentiment de terreur ! « Ses disciples lui dirent :
Maître, tout à l'heure les Juifs voulaient vous lapider, et vous retournez là ?
» Ils craignaient tout à la fois pour lui et pour eux, car ils n'étaient pas
encore affermis dans la foi.
S. AUG.
Les hommes voulurent donc donner un conseil à Dieu, les disciples à leur
Maître ; aussi les en reprend-il immédiatement : « N'y a-t-il pas douze heures
au jour ? » C'est pour signifier qu'il est lui-même le jour, qu'il a choisi
douze disciples. En parlant ainsi, il avait en vue, non point Judas, mais son
successeur ; car, après la chute de Judas, Matthias lui succéda, et la
perfection du nombre douze demeura dans son intégrité. Les heures sont
éclairées par la lumière du jour, et c'est par la prédication des heures que le
monde est amené à croire à celui qui est le jour. Suivez-moi donc, si vous ne
voulez pas vous heurter, car : « Si quelqu'un marche pendant le jour, il
ne se heurte point, » etc. — S. CHRYS. (hom. 62.) C'est-à-dire,
celui qui a la conscience pure de tout crime, n'aura rien à craindre d'aucune
embûche ; mais celui qui fait le mal, en souffrira la peine. Ne craignons donc
point, car nous n'avons rien fait qui mérite la mort. Ou bien encore, celui que
marche à la lumière extérieure de ce monde, est en pleine sécurité ; à plus
forte raison celui qui marche avec moi, à la condition qu'il ne s'écartera
jamais de moi.
THEOPHYL. Il en est qui par le
jour entendent le temps qui a précédé sa passion, et par la nuit, sa passion
elle-même : Il leur dit donc : « Pendant qu'il est jour, » c'est-à-dire
avant que le temps de ma passion soit proche, vous n'avez rien à craindre, les
Juifs ne vous persécuteront point. Mais lorsque la nuit sera venue,
c'est-à-dire ma passion, alors vous serez comme plongés dans une nuit de tribulations.
S. CHRYS.
(hom. 62 sur S. Jean.) A ce premier encouragement donné
aux Apôtres, le Sauveur eu ajoute un second, en leur apprenant que ce n'est pas
à Jérusalem, mais à Béthanie, qu'ils doivent se rendre : « Il leur parla ainsi,
et ensuite il leur dit : Notre ami Lazare dort, mais je vais le tirer de son
sommeil, » c'est-à-dire je ne retourne pas en Judée pour avoir de nouvelles
discussions avec les Juifs, j'y vais pour réveiller notre ami. Il dit : « Notre
ami, » pour leur faire comprendre la nécessité de son voyage. — S. AUG. Rien de
plus exact que cette expression : « Lazare dort. » Aux yeux des hommes qui ne
pouvaient pas le ressusciter Lazare était mort, mais pour le Seigneur il
n'était qu'un homme endormi, car il pouvait plus facilement faire sortir un
mort du tombeau, que vous ne pouvez réveiller un homme endormi. Il dit donc de
Lazare qu'il dort, au point de vue de sa puissance, c'est dans ce sens que
l'Apôtre lui-même a dit : « Nous ne voulons pas, mes frères, que vous ignoriez ce
que vous devez savoir touchant ceux qui dorment. (1 Th 4, 12.) Il appelle
la mort des chrétiens un sommeil, parce qu'il annonçait leur résurrection. Mais
de même qu'il y a une différence entre ceux que nous voyons tous les jours
dormir et s'éveiller, et que les mêmes images ne se présentent pas à eux dans
le sommeil, les uns ont des songes agréables, les autres en ont d'affreux ;
ainsi chacun s'endort du sommeil de la mort, et se réveille avec une cause de
jugement qui lui est propre.
S. CHRYS.
(hom. 62.) Ses disciples voulurent de nouveau s'opposer à son
retour dans la Judée : « Ses disciples lui dirent : S'il dort, il guérira, »
car le sommeil est pour les malades un signe de guérison. Ils semblent donc lui
dire : S'il dort, il est inutile que vous alliez le réveiller de son sommeil. —
S. AUG. (Traité 49.) La réponse des disciples est conforme au sens
qu'ils ont donné aux paroles du Sauveur : « Jésus, dit l'Evangéliste, voulait
parler de la mort de Lazare, mais ils pensaient qu'il parlait de l'assoupissement
du sommeil. » — S. CHRYS. (hom.
62.) Mais, dira-t-on, comment les disciples ne comprirent-ils pas que
Lazare était mort, lorsque Jésus leur dit : « Je vais le réveiller de son
sommeil ? » N'était-il pas ridicule de faire un voyage de plusieurs stades pour le réveiller
simplement de son sommeil ? Nous répondrons que les disciples virent dans cette
manière de parler un langage figuré qui était très-ordinaire au Sauveur. — S. AUG. Il ne tarde pas du reste à
expliquer ce qu'il y avait d'obscur dans cette expression : « Alors Jésus
leur dit clairement : Lazare est mort. » — S. CHRYS.
(hom. 62.) Il n'ajoute pas ici : Je vais le ressusciter , car il
ne voulait point proclamer par ses paroles ce que ses œuvres devaient
suffisamment établir ; et il nous apprend ainsi tout à la fois à fuir la vaine
gloire, et à ne pas nous contenter de faire de simples promesses.
« Et je me réjouis à cause de vous, de ce que
je n'étais pas là. » — S. AUG. (Traité
49.) On lui avait annoncé la maladie et non la mort de Lazare ; mais que
pouvait ignorer celui qui l'avait créé, et entre les mains duquel son âme était
retournée au sortir de son corps ? « Il leur dit donc : Je me réjouis à cause
de vous de ce que je n'étais pas là, afin que vous croyiez. » Ce devait être
déjà pour eux un premier sentiment d'étonnement d'entendre le Seigneur leur
annoncer une chose qu'il n'avait ni vue, ni entendue, la mort de Lazare. Nous
devons ici nous rappeler que la foi des Apôtres eux-mêmes s'appuyait encore sur
les miracles, non pour commencer d'être, mais pour se développer. Ces paroles :
« Afin que vous croyiez, » signifient donc : Afin que votre foi devienne
plus ferme et plus robuste.
THEOPHYL. Voici une autre
explication : « Je me réjouis à cause de vous, » car mon absence, lors de
la mort de Lazare, doit être pour vous un nouveau motif de foi. En effet, si
j'eusse été présent, je l'aurais guéri de sa maladie, ce qui n'eût donné qu'une
faible idée de ma puissance. Mais
comme sa mort est arrivée en mon absence, votre foi en moi n'en deviendra que
plus forte, lorsque vous verrez que je puis ressusciter un mort qui tombe déjà
en pourriture.
S. CHRYS.
(hom. 62.) Tous les disciples avaient une grande crainte des
Juifs, mais par-dessus tout Thomas : « Sur quoi Thomas , qui est appelé Didyme,
dit aux autres disciples : Allons et mourons avec lui. » Il était le plus
faible de tous et celui qui avait le moins de foi, mais il devint par la suite
le plus fort et le plus indomptable, parcourant seul le monde entier, et se
trouvant tous les jours au milieu de peuples qui voulaient le mettre à mort. — BEDE. On peut encore dire que les
disciples, instruits par les paroles qui précèdent, n'osèrent plus contredire
leur divin Maître ; mais Thomas entre tous exhorte les autres disciples à
suivre leur Maître et à mourir avec lui. Il donne en cela une grande preuve de
courage ; car il parle ainsi comme un homme qui était disposé à faire ce qu'il
conseille aux autres, et qui, comme plus tard Pierre, oubliait sa propre
fragilité.
ALCUIN. Le dessein de
Nôtre-Seigneur en retardant son départ, était de laisser passer quatre jours et
de rendre plus glorieuse la résurrection de Lazare : « Jésus vint donc et il le
trouva mis dans le sépulcre depuis quatre jours. » — S. CHRYS. (hom. 62.) Le Sauveur était encore resté deux
jours dans le même endroit, et l'envoyé était arrivé deux jours auparavant, le
jour même de la mort de Lazare, c'est donc le quatrième jour que Nôtre-Seigneur
vint à Béthanie.
S. AUG.
On peut expliquer ces quatre jours de plusieurs manières différentes,
car une même chose peut avoir diverses significations. Le péché que l'homme
reçoit avec la transmission de la vie est un premier jour de mort ; la
transgression de la loi naturelle est un second jour de mort ; le troisième
c'est le mépris de la loi écrite, que Dieu a donnée par Moïse, et la violation
de la loi de l'Evangile est le quatrième jour de mort. Or, le Seigneur ne
dédaigne pas de venir pour ressusciter de semblables morts. — ALCUIN. Ou bien encore, le premier
péché qui a existé, c'est l'enflure du cœur ; le second, le consentement ; le
troisième, l'acte ; le quatrième, l'habitude.
« Or, Béthanie était près de Jérusalem,
à quinze stades environ, » c'est-à-dire à deux
mille. L'Evangéliste fait cette remarque pour montrer qu'il était très-naturel
qu'un grand nombre de Juifs fussent venus de Jérusalem : « Beaucoup de
Juifs étaient venus près de Marthe et de Marie pour les consoler de la mort de
leur frère ; » Mais comment les Juifs purent-ils venir consoler les amies de
Jésus, après avoir décidé que celui qui le reconnaîtrait pour le Christ, serait
chassé de la synagogue ? Ils vinrent les consoler ou à cause des convenances
dues au malheur, ou par égard pour la condition élevée des deux sœurs de
Lazare. Ou bien encore, ceux qui vinrent n'étaient pas de ceux qui s'étaient
déclarés contre Jésus ; car un grand nombre d'entre eux croyaient en lui. Or,
l'Evangéliste fait mention de cette circonstance, comme preuve que Lazare était
véritablement mort.
BEDE. Nôtre-Seigneur
n'était pas encore entré dans le bourg de Béthanie, et c'est au dehors du bourg
que Marthe vient au-devant de lui : « Marthe ayant donc appris que Jésus
venait, alla au-devant de lui. » — S. CHRYS.
Elle n'a point pris sa sœur avec elle pour aller au-devant de
Jésus-Christ, elle veut lui parler en particulier, l'informer de ce qui est
arrivé, et ce n'est qu'après que Jésus lui a donné bon espoir qu'elle retourne
appeler Marie. — THEOPHYL. Elle
ne fait pas connaître d'abord son dessein à sa sœur, parce qu'elle veut le
laisser ignorer à ceux qui étaient présents. Si, en effet, Marie eut appris que
Jésus approchait, elle eût été à sa rencontre, et les Juifs qui étaient Tenus
l'auraient accompagnés. Or, Marthe ne voulait pas leur faire connaître
l'arrivée de Jésus.
« Marthe dit donc à Jésus : Seigneur, si vous
eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort. » — S. CHRYS. (hom. 62.) Elle croyait en Jésus-Christ, mais sa foi n'était pas encore ce
qu'elle devait être ; elle ne savait pas encore qu'il était Dieu, voilà
pourquoi elle lui disait : « Si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas
mort. » — THEOPHYL. Elle paraît
douter que Jésus tout absent qu'il était, eût pu, s'il l'eût voulu empêcher son
frère de mourir. — S. CHRYS. Elle
ne savait pas encore non plus que Jésus agirait ici en vertu de sa propre
puissance, comme nous le voyons dans ce qu'elle dit au Sauveur : « Cependant,
maintenant encore, je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous le
donnera, » elle regarde ici Jésus comme un homme vertueux et aimé de Dieu. — S.
AUG. (Traité 49.) Elle ne
lui dit pas : Je vous prie de ressusciter mon frère ; car comment pouvait-elle
savoir qu'il serait utile à son frère de ressusciter ? Elle se contente de dire
au Sauveur : « Je sais que vous pouvez le faire, si vous le voulez, mais ce
n'est pas à moi, c'est à vous seul qu'il appartient de juger, s'il est utile de
le faire. » — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur
lui enseigne alors la vérité qu'elle ne savait point : « Jésus lui
répondit : Votre frère ressuscitera. » Il ne lui dit pas : Je demanderai à Dieu
qu'il ressuscite. Il ne dit pas non plus : Je n'ai pas besoin de secours, je
fais tout de moi-même, ce qui eût paru surprenant à cette femme ; il prend un
moyeu terme et lui dit : « Votre frère ressuscitera. » — S. AUG. Il y
avait cependant quelque ambiguïté dans cette expression : « Il
ressuscitera, » puisque Jésus ne disait pas : Il va ressusciter actuellement.
Aussi Marthe lui dit : « Je sais qu'il ressuscitera à la résurrection, au
dernier jour, » je suis certaine de cette résurrection, mais je ne le suis pas
de celle qui aurait lieu immédiatement.
S. CHRYS.
(hom. 62.) Marthe avait souvent entendu Jésus-Christ parler de la
résurrection ; il lui fait donc connaître ici clairement sa puissance : « Jésus lui dit : Je
suis la résurrection et la vie. » Il loi prouve ainsi qu'il n'a point
besoin d'un secours étranger, car si ce secours lui était nécessaire, comment
serait-il la résurrection ? S'il est loi-même la vie, il n'est limité par aucun
espace, il existe partout, et partent aussi il peut faire sentir sa vertu
bienfaisante. — ALCUIN. Je sois
la résurrection, par la même raison que je suis la vie, et celui qui un jour
doit ressusciter votre frère avec tous les autres hommes, peut aussi bien le
ressusciter dès aujourd'hui. — S. CHRYS.
Marthe lui a dit : « Tout ce que vous demanderez, Dieu vous le donnera ;
» et Jésus lui répond : « Celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra, » il lui
apprend ainsi qu'il est le dispensateur de tous les biens, et que c'est à lui
qu'il faut les demander, et il élève en même temps son intelligence à de plus
hautes pensées, car il ne se proposait pas seulement de ressusciter Lazare,
mais de rendre tous ceux qui étaient présents témoins de sa résurrection. — S. AUG. Voici donc l'explication des
paroles du Sauveur : « Celui qui croit en moi, fût-il mort (dans son corps),
vivra (dans son âme), jusqu'au jour où son corps ressuscitera pour ne plus
mourir, car la vie de l'âme c'est la foi. » Il ajoute : « Et quiconque vit
(de la vie du corps) et croit en moi (quand bien même il viendrait à perdre
pour un temps cette vie du corps), il ne mourra point pour toujours. — ALCUIN.
A cause de la vie de l'esprit et de l'immortalité de la résurrection. Le
Seigneur, pour qui rien n'est caché, savait que Marthe croyait ces vérités,
mais il voulait qu'elle fit extérieurement la profession de foi qui sauve. Il
lui demande donc : « Croyez-vous cela ? » Elle lui répondit : « Oui,
Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, qui êtes
venu en ce monde. » — S. CHRYS. (hom.
62.) Marthe ne me parait pas avoir compris entièrement ce que Jésus lui
avait dit ; elle comprit qu'il s'agissait d'un grand mystère, mais elle ne
savait encore ce que c'était ; aussi ne ré-pond-elle pas directement à la
question que lui fait le Sauveur. — S. AUG. Ou bien encore : en croyant
que vous êtes le Fils de Dieu, je crois que vous êtes la vie, car celui qui
croit en vous, vivra alors même qui perdra la vie du corps.
S. CHRYS.
(hom. 63.) Les paroles de Jésus-Christ eurent la puissance de
mettre fin à la douleur de Marthe, car la pieuse affection qu'elle avait pour
le divin Maître ne lui permettait pas de se livrer à l'affliction que lui
causait la mort de son frère : « Lorsqu'elle eut parlé ainsi, elle s'en alla
et appela à voix basse Marie, sa sœur. » — S. AUG. (Traité 49.) L'Evangéliste dit qu'elle l'appela
en silence, c'est-à-dire, à voix basse, car comment dire qu'elle a fait tout en
silence, puisqu'elle lui dit : « Le Maître est là, il vous appelle ? » — S. CHRYS. (hom. 63.) Elle appelle
sa sœur en secret, car si les Juifs eussent appris l'arrivée de Jésus, ils se
seraient retirés et n'eussent pas été témoins du miracle.
S. AUG. Il est à remarquer que l'Evangéliste
ne dit ni le lieu, ni le moment où le Seigneur appela Marie, ni de quelle
manière ; pour abréger son récit, il ne nous fait connaître cette circonstance
que par les paroles de Marthe. — THEOPHYL.
Peut-être aussi Marthe regarda-t-elle la présence seule de Jésus-Christ
comme un appel, et semble-t-elle dire à sa sœur : Vous seriez inexcusable si,
le Seigneur étant là, vous n'alliez pas à sa rencontre.
S. CHRYS.
(hom. 63.) Un cercle d'amis entouraient Marie, plongée dans la
douleur et dans les larmes. Cependant elle n'attend pas que le Maître vienne la
trouver, elle n'est retenue ni par les bienséances de sa condition, ni par son
profond chagrin, elle se lève aussitôt pour aller à sa rencontre : « Ce
que celle-ci ayant entendu, elle se leva aussitôt et vint à lui. » — S. AUG. Nous voyons par-là que Marthe
n'eût pas eu besoin de prévenir sa sœur, si Marie eût connu l'arrivée de Jésus.
« Car Jésus n'était pas encore entré dans le
bourg. » — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur
approchait lentement, il ne voulait point paraître se jeter au-devant du
miracle, mais il attendait qu'on vînt l'en prier, c'est ce que l'Evangéliste
semble vouloir indiquer en termes couverts, lorsqu'il dit que Marie se leva
aussitôt, ou bien il veut nous apprendre qu'elle vint à sa rencontre pour
prévenir son arrivée. Or elle vint, non pas seule, mais accompagnée de tous les
Juifs qui étaient avec elle : « Cependant les Juifs, qui étaient dans la maison
avec Marie, et la consolaient, la suivirent, » etc. — S. AUG. L'Evangéliste a pris soin de
mentionner cette circonstance, pour nous apprendre la raison pour laquelle il y
avait tant de monde, lorsque Lazare fut ressuscité ; c'était pour qu'un plus
grand nombre fussent témoins d'un
aussi grand miracle que la résurrection d'un mort de quatre jours.
« Lorsque Marie fut arrivée au lieu où était Jésus, le voyant,
elle se jeta à ses pieds. » — S. CHRYS. (hom.
63.) Marie était plus ardente que sa sœur, elle n'est arrêtée ni par la
multitude, ni par les préjugés que les Juifs avaient contre Jésus-Christ, ni
par la présence de plusieurs de ses ennemis personnels, la vue du Sauveur lui
fait mépriser toutes les considérations humaines, et elle n'est préoccupée que
d'une seule pensée, l'honneur de sou divin Maître. — THEOPHYL. Cependant elle ne parait pas avoir de lui une idée
encore assez relevée, en lui disant : « Seigneur, si vous eussiez été ici, mon
frère ne fût pas mort. » — ALCUIN. Tant
que vous êtes demeuré avec nous, aucune maladie, aucune infirmité n'ont osé
apparaître chez celles qui avaient pour hôte et pour habitant la vie elle-même.
— S. AUG. (serm. 52 sur les paroles du Seigneur.) Quel pacte
déloyal ! Lazare, votre ami, meurt pendant que vous êtes encore sur cette
terre, et si vous laissez mourir votre ami de la sorte, à quoi doit s'attendre
votre ennemi ? C'est peu que les cieux ne vous obéissent point, voici que les
enfers vous ont enlevé celui que vous aimez. — BEDE. Marie parle moins à Jésus que n'avait fait sa sœur, car
par un effet ordinaire de la douleur et des larmes, elle ne put épancher les
sentiments dont son cœur était plein.
S. chris,
(hom. 63 sur S. Jean.) Jésus ne répond rien à Marie, il ne
lui tient pas le même langage qu'à sa sœur, il était environné d'une grande
multitude, et ce n'était pas le moment de faire de longs discours, mais il
s'abaisse, il s'humilie, et dévoile en lui les sentiments de la nature humaine.
Comme il allait opérer un grand miracle qui devait lui gagner beaucoup de
disciples, il s'entoure d'un grand nombre de témoins, et montre qu'il a
véritablement pris notre nature : « Jésus la voyant pleurer, et les Juifs, qui
étaient venus avec elle pleurer aussi, fut ému en lui-même et se troubla. » —
S. AUG. (Traité 49 sur S.
Jean.) Qui pourrait le troubler, si ce n'est lui-même ? Jésus-Christ a été
troublé parce qu'il l'a voulu, il a eu faim parce qu'il l'a voulu, il était en
son pouvoir de se prêter ou de se soustraire à ces impressions, car le Verbe a
pris une âme et un corps, et s'est uni la nature humaine tout entière en unité
de personne ; or, là où se trouve une puissance souveraine, la faiblesse
humaine ne peut être troublée qu'autant que cette puissance souveraine y
consent. — THEOPHYL. C'est afin
de prouver la vérité de sa nature humaine, qu'il lui commande de manifester les
sentiments qui lui sont propres, et c'est par la vertu de l'Esprit saint qu'il
lui donne cet ordre, et qu'il réprime ses trop vives émotions. Le Seigneur vent
que la nature humaine subisse ces épreuves, pour nous prouver qu'il était homme
en réalité et non-seulement en apparence, et aussi pour nous enseigner à mettre
des bornes à la tristesse comme à la joie, car n'être accessible à aucun
sentiment de compassion ou de tristesse, c'est l'insensibilité de la brute,
comme aussi il n'appartient qu'aux caractères efféminés de se livrer sans
mesure à ces affections.
« Et il dit : Où l'avez-vous mis ? » — S. AUG. (serm. sur les par. du Seig.) Ce
n'est pas qu'il ignorât le lieu où Lazare était enseveli, mais il voulait
éprouver la foi de ce peuple. — S. CHRYS.
(hom. 63.) Il ne veut pas se mettre en avant, et il veut être
instruit par les autres et ne rien faire que sur leur prière, pour ne laisser
aucune place au soupçon. — S. AUG. (Liv.
des 83 quest., quest. 65.) Cette question du Sauveur est comme le
symbole de notre vocation qui se passe dans le secret, car la prédestination de
notre vocation est une chose cachée, et la marque qu'elle est secrète, c'est la
question que fait le Seigneur sur ce sujet comme s'il l'ignorait, alors que
c'est nous-mêmes qui l'ignorons. Ou bien peut-être est-ce parce que le Seigneur
déclare dans un autre endroit qu'il ne connaît pas les pécheurs auxquels il dit
: « Je ne vous connais pas, » (Mt 7, 25) parce que les péchés se
commettent en dehors de la loi et de ses préceptes : « Ils lui répondirent :
Seigneur, venez et voyez. » — S. CHRYS. (hom.
63.) Il n'avait encore fait aucun miracle de résurrection, il leur
paraissait donc ne se diriger vers le tombeau que pour pleurer sur Lazare, et
non pour le ressusciter, c'est pour cela qu'ils lui disent : « Venez et
voyez. » — S. AUG. Le Seigneur
voit lorsqu'il a compassion, c'est pour cela que le Psalmiste lui dit : « Voyez mon humiliation et
ma douleur, et pardonnez-moi tous mes crimes. » (Ps 24)
« Et Jésus pleura. » — ALCUIN.
Il était la source inépuisable de la bonté, et il pleurait comme homme
celui qu'il pouvait ressusciter par un acte de sa puissance divine. — S. AUG. Or, pourquoi Jésus a-t-il pleuré ?
pour enseigner aux hommes à verser eux-mêmes des larmes. — BEDE. Les hommes ont coutume de pleurer
les personnes chères que la mort leur a enlevées. Les Juifs crurent que Jésus
pleurait sons l'impression de ce sentiment, et c'est ce qui leur fait dire : «
Voyez comme il l'aimait ! » — S. AUG. Que signifient ces paroles : Il
l'aimait ? » « Je ne suis pas venu appeler les justes mais les
pécheurs à la pénitence. » « Mais quelques-uns d'entre eux dirent : Ne
pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux d'un aveugle-né, faire que cet homme
ne mourût point ? » Il fera bien plus, puisqu'il va le ressusciter après sa
mort. — S. CHRYS. Ceux qui
parlèrent ainsi étaient de ses ennemis, ils se servent pour le calomnier d'un
fait qui aurait dû leur faire admirer sa puissance, c'est-à-dire, la guérison
de l'aveugle-né, et ils se plaignent que Jésus n'ait pas empêché par un miracle
Lazare de mourir. Une nouvelle preuve de leur perversité, c'est qu'ils prennent
le rôle d'accusateurs avant même que Jésus soit arrivé au tombeau, et sans
attendre l'issue de l'événement : « Jésus donc, frémissant de nouveau en
lui-même, vint au tombeau. » L'Evangéliste prend soin de répéter que Jésus pleura,
et frémit en lui-même pour vous convaincre qu'il a pris véritablement notre
nature. L'Evangéliste saint Jean nous a décrit les grandeurs du Verbe incarné,
bien plus magnifiquement que ne l'ont fait les autres évangélistes, et par une même
raison, il s'appesantit davantage sur ses humiliations. — S. AUG. Frémissez aussi en vous-même si
vous voulez reprendre une nouvelle vie, c'est, ce qu'on peut dire à tout homme
qui est accablé sous le poids d'une habitude criminelle : « C'était une grotte
et une pierre était posée dessus. » Ce mort étendu sous la pierre, c'est
l'homme coupable sous la loi, car la loi qui fut donnée aux Juifs, était écrite
sur la pierre. Tous les coupables sont sous la loi, mais la loi n'a pas été
établie pour le juste. (1 Tm 1) — BEDE. Une grotte est une excavation pratiquée dans un rocher.
On appelle monuments ces grottes qui servent de tombeau, parce qu'ils
avertissent notre âme (mentem monet), et leur rappellent le souvenir des
morts.
« Jésus leur dit : Otez la pierre. » — S. CHRYS. Pourquoi le Sauveur n'a-t-il pas
ressuscité Lazare sans que la pierre fût ôtée ? Celui qui, d'une seule parole,
rendit la vie et le mouvement à ce cadavre, ne pouvait-il pas, à plus forte
raison, ôter la pierre qui fermait le tombeau ? Oui, sans doute, mais il ne l'a
pas fait, parce qu'il voulait rendre les Juifs témoins de ce miracle, et les
empêcher de dire ce qu'ils avaient dit de l'aveugle-né : « Ce n'est pas lui, »
car leurs mains qui roulaient cette pierre et leur présence au tombeau
attestaient d'une manière infaillible que c'était bien Lazare. — S. AUG. Dans le sens allégorique, ces
paroles : « Otez la pierre, » signifient : Enlevez le poids de la loi,
et annoncez la grâce de la loi nouvelle. — S. AUG.
(Lim. des 83 quest., quest. 65.) Ceux à qui le Sauveur donne cet
ordre, me paraissent figurer les Juifs qui voulaient imposer le fardeau de la
circoncision aux Gentils, qui entraient dans l'Eglise ; ou bien, les chrétiens
qui, au sein de l'Eglise même, mènent une vie corrompue et sont un scandale pour
ceux qui veulent embrasser la foi.
S. AUG.
(serm. 82 sur les par. Du Seign.) Cependant Marie et
Marthe, soeurs de Lazare, qui
avaient va souvent Jésus ressusciter des morts ne croient pas entièrement qu'il
puisse ressusciter leur frère : « Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui
dit : « Seigneur, il sent déjà mauvais, » etc. — THEOPHYL. Marthe parle de la sorte sous l'impression d'un
sentiment de défiance qui lui fait regarder comme impossible la résurrection de
son frère après quatre jours qu'il était dans le tombeau. — BEDE. On peut dire encore que ces
paroles sont l'expression de J'étonnement et de l'admiration plutôt que de la
défiance. — S. CHRYS. Elles
peuvent servir aussi à fermer la bouche aux incrédules, et nous voyons ainsi
concourir à la démonstration de ce miracle les mains qui ont ôté la pierre, les
oreilles qui ont entendu la voix de Jésus-Christ, les yeux qui ont vu Lazare
sortir du tombeau, et l'odorat qui sentait l'odeur que son cadavre exhalait.
THEOPHYL. Nôtre-Seigneur
rappelle à la sœur de Lazare ce qu'il lui avait déjà dit, et qu'elle paraissait
avoir presque oublié : « Jésus lui répondit : Ne vous ai-je pas dit que si
vous croyiez, vous verriez la gloire de Dieu ? » — S. CHRYS. (hom. 63.) Marthe ne se souvenait plus en effet
de ce que Jésus-Christ lui avait dit : « Celui qui croit en moi fût-il mort,
vivra. » En parlant à ses disciples, il leur avait dit : « Afin que le
Fils de Dieu soit glorifié par cette maladie. » Ici il ne parle que de Dieu le
Père, les dispositions imparfaites de ceux qui l'écoutaient le forçaient ainsi
de modifier son langage. Il ne voulait point jeter le trouble dans l'âme de
ceux qui étaient présents, et c'est pour cela qu'il dit à Marthe : « Vous
verrez la gloire de Dieu. » — S. AUG. (Traité
49.) La gloire de Dieu parut en effet dans la résurrection d'un mort
de quatre jours exhalant déjà l'odeur infecte du tombeau.
« Ils ôtèrent donc la pierre. » — ORIG. (Traité 28 sur S. Jean.) Le retard que
l'on mit à enlever cette pierre, vint de la sœur de Lazare ; si elle n'avait
pas dit : « Il sent déjà mauvais, car il y a quatre jours qu'il est là, » Jésus
n'eût pas été obligé de donner l'ordre d'ôter la pierre. Ils enlevèrent donc
cette pierre, mais plus tard qu'elle n'aurait du l'être. Il est souverainement utile
de ne mettre aucun intervalle entre les ordres de Jésus et leur exécution.
ALCUIN. En tant qu'homme,
Nôtre-Seigneur Jésus-Christ était inférieur à son Père, et c'est sous ce
rapport qu'il lui demande la résurrection de Lazare, et qu'il dit eu avoir été
exaucé : « Jésus, levant les yeux en haut, dit : Mon Père, je vous rends
grâces de ce que vous m'avez exaucé. » — ORIG.
(Traité 28 sur S. Jean.) Il élève les yeux en haut,
c'est-à-dire qu'il élève son âme humaine, et qu'il la conduit par la prière
jusqu'au Très-Haut. Celui donc qui veut imiter la prière de Jésus-Christ doit
aussi élever jusqu'au ciel les yeux de son cœur, et les détacher de toutes les
choses présentes, de tout ce qui remplit mémoire,
ses pensées, ses intentions. Mais si Dieu promet d'exaucer la prière de ceux
qui remplissent ces conditions, comme il le déclare par la bouche d'Isaïe : «
Pendant que vous parlerez encore, je dirai : Me voici, » (Is 58, 9) que
devons-nous penser de Notre-Seigneur Jésus-Christ notre Sauveur ? Il allait
prier Dieu pour obtenir la résurrection de Lazare, mais celui qui seul est un
Père plein de bonté exauce sa prière avant même qu'il l'ait faite. Et c'est
pour remercier son Père qu'il lui rend grâces en ces termes : « Mon Père, je
vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé..., afin qu'ils croient que vous
m'avez envoyé. » — S. CHRYS. (hom.
64.) C'est-à-dire qu'il n'y a aucune contradiction entre vous et moi. Ce
langage du Sauveur n'est point une preuve de son impuissance, ou de son
infériorité vis-à-vis de son Père, car on peut ainsi parler à ses amis et à ses
égaux. Pour montrer du reste qu'il n'avait pas besoin de recourir à la prière,
il ajoute : « Pour moi, je savais que vous m'exaucez toujours, »
c'est-à-dire, je n'ai pas besoin de vous prier pour vous persuader de faire ma
volonté ; car nous n'avons tous deux qu'une même volonté ; vérité qu'il
n'exprime qu'en termes couverts à cause de la faiblesse de ceux qui
l'entendaient ; car le Dieu Sauveur a moins égard à sa dignité qu'à notre salut,
aussi nous parle-t-il très-peu de ses grandeurs, et toujours d'une manière
voilée, tandis qu'il s'étend comme avec complaisance sur ses humiliations.
S. HIL. (de la Trin.) Il n'avait donc
aucun besoin de prier, et s'il a prié, c'est pour nous faire connaître sa
filiation divine : « Mais je dis ceci à cause de ce peuple qui m'entoure, afin
qu'ils croient que vous m'avez envoyé. » La prière lui était inutile, il prie
cependant dans l'intérêt de notre foi. Il n'a pas besoin de secours, mais nous
avons besoin d'être instruits. —
S. CHRYS. Il ne dit pas toutefois
: Afin qu'ils croient que je vous suis inférieur (parce que je ne puis rien
faire sans vous prier), mais : « Afin qu'ils croient que vous m'avez envoyé. »
Il ne dit pas non plus : Que vous m'avez envoyé, dénué de tout pouvoir, avec la
connaissance de ma dépendance absolue, ne pouvant rien faire de moi-même, mais
: « Que vous m'avez envoyé, » afin qu'ils ne pensent pas que je suis en
opposition avec Dieu, et ne disent point : Il ne vient pas de Dieu, et pour
leur montrer que c'est d'après sa volonté que je vais faire ce miracle.
S. AUG. (serm. 52 sur les par. du
Seig.) Jésus s'approche donc du tombeau où était enseveli Lazare, et il
l'appelle à en sortir, non pas comme s'il était vivant, et prêt à entendre sa
voix : « Ayant ainsi parlé, il cria d'une voix forte : Lazare, sortez
dehors. » Il l'appelle par son nom, pour faire voir que ce ne sont pas les
autres morts qu'il appelle à sortir du tombeau. — S. CHRYS. Il ne lui dit pas : Ressuscitez, mais : « Venez
dehors, » il parle à celui qui était mort, comme s'il était vivant, il ne lui
dit pas non plus : Au nom de mon Père, sortez dehors, ou bien encore : Mon
Père, ressuscitez-le, il laisse de côté ces formules qui convenaient à un
suppliant, et prouve sa puissance par les faits. Il entrait, en effet, dans les
desseins de la sagesse de faire preuve d'humilité dans ses discours, et de
puissance dans ses œuvres.
THEOPHYL. La voix forte du
Sauveur qui ressuscita Lazare est le symbole de cette trompette éclatante qui
doit se faire entendre à la résurrection générale. (1 Co 15, 52.) Le Sauveur
élève la voix pour fermer la bouche aux Gentils qui prétendent sans aucun
fondement que les âmes des morts sont dans les tombeaux, et il appelle à haute
et forte voix l'âme de Lazare comme étant absente très au loin. Cette
résurrection individuelle de Lazare eut lieu en un clin d'œil, comme se fera un
jour la résurrection générale : « Et aussitôt celui qui avait été mort, sortit,
» etc. Nous voyons dès lors s'accomplir ce que disait le Sauveur : « L'heure
est venue où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui
l'entendront vivront. » (Jn 5) — ORIG.
(Traité 28 sur S. Jean.) On peut dire avec raison que
c'est cette voix forte qui a ressuscité Lazare, et ainsi se trouve accomplie
cette parole du Sauveur : « Notre ami Lazare dort, je vais le réveiller. » Le
Père qui a exaucé la prière du Fils a aussi ressuscité Lazare, et cette
résurrection est l'œuvre commune du Fils et du Père qui l'a exaucé, car de même
que le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, le Fils donne aussi la
vie à qui il veut. » (Jn 5, 21.)
S. CHRYS.
Lazare sortit les pieds et les mains liés de bandelettes, pour qu'on ne
crût pas qu'il n'était qu'un fantôme, et ce ne fut pas une chose moins
admirable de le voir sortir avec ces bandelettes et entouré d'un suaire, que de
le voir ressusciter : « Jésus leur dit : Déliez-le, » afin que ceux qui le
toucheraient de leurs mains fussent bien convaincus que c'était vraiment lui.
« Et laissez-le aller. » Le Sauveur agit ainsi par humilité, et c'est pour
cela qu'il ne prend pas Lazare avec lui, et ne lui commande pas de marcher à sa
suite comme preuve du miracle qu'il vient d'opérer.
ORIG. Nôtre-Seigneur avait
dit précédemment : « Je dis ceci à cause de ce peuple qui m'entoure, afin
qu'ils croient que vous m'avez envoyé. » Si aucun de ceux qui étaient présents
n'avaient cru en lui, il eût parlé comme un homme qui n'a aucune connaissance
de l'avenir ; aussi est-ce pour éloigner ce soupçon que l'Evangéliste ajoute :
« Plusieurs d'entre les Juifs crurent en lui, mais quelques-uns d'entre
eux allèrent trouver les pharisiens et leur racontèrent ce que Jésus avait
fait. » Cette proposition paraît offrir un sens équivoque, ceux qui allèrent
trouver les pharisiens étaient-ils du grand nombre de ceux qui crurent en
Jésus-Christ, et se proposèrent-ils de concilier à Jésus-Christ les pharisiens
animés de dispositions hostiles à son égard ? ou bien étaient-ils différents de
ceux qui crurent en lui, et ne cherchèrent-ils qu'à exciter contre le Sauveur
le zèle plein de jalousie des pharisiens ? C'est cette dernière supposition qui
paraît ressortir du récit de l'Evangéliste. D'après son récit, en effet, c'est
le grand nombre de ceux qui étaient présents qui crurent en Jésus-Christ, et un
petit nombre d'entre eux dont il ajoute : « Quelques-uns allèrent trouver les
pharisiens, » etc.
S. AUG.
(liv. des 83 quest., quest. 65.) Quoique nous admettions
avec une foi entière la résurrection de Lazare dans le sens historique, je
regarde cependant comme certain qu'elle contient aussi une vérité allégorique ;
car le sens allégorique d'un événement ne lui fait perdre en aucune façon son
caractère de réalité historique. — S. AUG.
(Traité 49.) Tout homme qui pèche, est tombé victime de la mort,
mais Dieu, par sa grande miséricorde, ressuscite les âmes et les sauve ainsi de
la mort éternelle. Les trois morts dont Nôtre-Seigneur a ressuscité les corps
sont donc la figure de la résurrection des âmes. — S. GREG. (Moral., 4, 25 ou 29.) Il a ressuscité une jeune
fille dans sa maison, un jeune homme hors des portes de la ville, et Lazare
déjà enseveli dans le tombeau. Celui qui est mort dans son péché est comme
étendu sans vie dans sa maison ; le pécheur est conduit hors des portes, lorsque
son péché affiche le caractère scandaleux d'un péché public. — S. AUG. (Traité 49.) Ou bien, la
mort est encore à l'intérieur lorsque la pensée du mal ne s'est pas encore
produite par un acte extérieur; mais si vous commettez le mal, vous portez pour
ainsi dire le mort hors des portes de la ville. — S. GREG. (Moral., 4) Le pécheur est comme oppressé sous
la pierre du tombeau, lorsqu'il est écrasé par l'horrible pierre des mauvaises
habitudes qu'il a contractées, mais souvent la grâce divine éclaire ces pauvres
pécheurs d'un rayon de sa lumière. — S. AUG.
(liv. des 83 quest., quest. 68.) Ou bien Lazare, dans le
tombeau, figure encore l'âme qui est comme accablée sous le poids des péchés de
la terre. » — S. AUG. (Traité
49) Et cependant le Seigneur aimait Lazare, car s'il n'avait pas aimé les
pécheurs, il ne serait pas descendu du ciel sur la terre. C'est à juste titre
que l'on dit du pécheur d'habitude : « Il sent mauvais, » car sa mauvaise
réputation se répand partout comme une odeur infecte et nauséabonde. — S. AUG. (liv.
des 83 quest.) C'est encore avec raison qu'il est dit : « Il y
a quatre jours qu'il est dans le tombeau ; » car le dernier des éléments c'est
la terre, qui figure l'abîme des péchés de la terre, c'est-à-dire des
convoitises charnelles.
S. AUG.
(Traité 49.) Jésus frémit, il verse des larmes, il crie à haute
voix, parce qu'il est bien difficile de se relever pour celui qui est accablé
sous le poids de ses habitudes vicieuses. Jésus se trouble lui-même pour vous
apprendre le trouble dont vous devez être saisi lorsque vous êtes comme écrasé
sous le poids énorme de vos péchés. La foi de l'homme qui
devient pour lui-même un objet d'horreur, doit frémir en accusant ses actions
coupables, afin de faire céder l'habitude du péché à la violence du repentir.
Lorsque vous dites : J'ai commis ce crime, et Dieu m'a épargné ; j'ai entendu
la doctrine évangélique, et je l'ai méprisée, qu'ai-je fait ? Jésus-Christ
frémit en vous, parce que la foi frémit, ce frémissement contient déjà
l'espérance de la ré-surrection. — S. GREG.
(Moral., 22, 9 ou 13.) Le Sauveur dit à Lazare : « Sortez
dehors, afin que le pécheur qui cherche à dissimuler et à cacher son péché,
soit comme forcé par cette voix de se faire son propre accusateur, et que celui
qui est enseveli dans le tombeau de sa conscience, en sorte de lui-même par la
confession de ses fautes. »
S. AUG.
(liv. des 83 quest.) Lazare, sortant de son tombeau, est
le symbole de l'âme qui se retire des vices de la chair ; les bandelettes dont
il reste encore enveloppé nous apprennent que ceux-là mêmes qui ont renoncé aux
plaisirs charnels, et veulent obéir de cœur à la loi de Dieu, ne peuvent tant
qu'ils sont dans ce corps mortel être entièrement à l'abri des atteintes de la
chair. Le suaire dont sa figure est couverte signifie que nous ne pouvons avoir
dans cette vie la pleine intelligence de la vérité. Nôtre-Seigneur ajoute : «
Déliez-le, et laissez-le aller, » pour nous apprendre qu'après cette vie tous
les voiles seront enlevés, afin que nous puissions voir Dieu face à face.
S. AUG.
(Traité 49.) Ou bien encore, lorsque vous faites mépris de la loi
de Dieu, vous êtes comme mort et enseveli dans le tombeau ; si vous faites
l'aveu de vos fautes, vous sortez de ce tombeau ; car sortir du tombeau, c'est
sortir de la retraite cachée de son cœur pour se produire au grand jour. Mais
c'est Dieu qui vous amène à faire cet aveu en vous appelant à haute voix,
c'est-à-dire par une grâce extraordinaire. Le mort qui sort du tombeau est
encore lié, de même que celui qui confesse ses péchés est encore coupable, et
c'est pour le délier de ses péchés que Jésus dit aux serviteurs : « Déliez-le,
et laissez-le aller, » c'est-à-dire,
tout ce que vous aurez délié sur la terre, le sera le ciel.
ALCUIN. C'est donc Jésus-Christ qui
ressuscite, parce que c'est lui qui donne par lui-même la vie à l'intérieur, ce
sont ses disciples qui délient, parce que c'est par le ministère des prêtres
que ceux .qu'il vivifie sont absous. — BEDE.
Ceux qui vont apprendre aux pharisiens ce que Jésus a fait, figurent
ceux qui, à la vue des bonnes œuvres des serviteurs de Dieu, les poursuivent de
leur haine, et s'efforcent de noircir leur réputation.
THEOPHYL. Les pharisiens
auraient dû admirer et exalter l'auteur d'aussi grands miracles, et au contraire,
ils forment le dessein de le mettre à mort : « Les pontifes et les pharisiens
assemblèrent donc le conseil, » etc. — S. AUG.
(Traité 49.) Ils ne disent point : Croyons en lui, ces hommes
pervers sont bien plus préoccupés de la pensée de faire le mal et de mettre à
mort un innocent, que des moyens d'assurer leur propre salut. Et cependant la
crainte les agite, et ils se consultent : « Et ils disaient : Que ferons-nous ?
car cet homme opère beaucoup de miracles ? » — S. CHRYS. Ils ne le regardent encore que comme un homme, après
qu'il leur a donné une si grande preuve de sa divinité.
ORIG. (Traité 28 sur S. Jean.) Le
langage que tiennent les pontifes et les pharisiens nous donne une idée de
l'étendue de leur folie et de leur aveuglement. Quelle folie, en effet, de
reconnaître et d'attester que Jésus a opéré un grand nombre de miracles, et de
penser qu'ils pouvaient néanmoins lui dresser des embûches, comme s'il n'était
point capable de déjouer toutes leurs machinations ! Leur aveuglement
n'est pas moins surprenant, de ne pas voir que celui qui pouvait opérer de si
grands prodiges, pouvait également échapper à leurs embûches, à moins que dans
leur pensée ses miracles ne fussent pas l'œuvre d'une puissance divine. Ils
forment donc le dessein de ne point le laisser aller, ils s'imaginent par là
empêcher ses disciples de croire en lui, et s'opposer à ce que les Romains ne
détruisent leur pays et leur nation : « Si nous le laissons faire, disent-ils,
tous croiront en lui, et les Romains viendront, » etc. — S. CHRYS. (hom. 64.) En parlant de
la sorte, ils veulent soulever le peuple, comme s'il courait le danger d'être
soupçonné par les Romains de vouloir s'affranchir de leur domination, et leurs
paroles peuvent ainsi se traduire : Si les Romains le voient entraîner la
multitude après lui, ils en prendront ombrage, croiront que nous voulons nous
ériger en pouvoir indépendant, et ils détruiront notre cité. Mais cette
supposition était purement imaginaire ; car sur quoi reposait-elle ? Voyait-on
Jésus entouré d'hommes en armes ? traînait-il après lui des escadrons de
gardes? Au contraire, ne cherchait-il pas la solitude ? Ils ne veulent pas
qu'on les soupçonne de vouloir la mort du Sauveur, et ils mettent en avant le
danger que courent leur cité et leur nation. — S. AUG. Ou bien encore, ils
craignirent que si tous venaient à croire en Jésus-Christ, il ne restât plus
personne pour prendre contre les Romains la défense de leur ville et de leur
temple ; car ils comprenaient que la doctrine de Jésus-Christ était contraire à
leur temple et aux institutions données à leurs ancêtres. La crainte donc
qu'ils avaient de perdre les choses du temps, les empêcha de penser à celles de
l'éternité, et ils perdirent les unes et les autres ; car après la passion et
la résurrection glorieuse du Sauveur, les Romains ruinèrent le pays et la
nation des Juifs en les détruisant on en les emmenant en captivité.
ORIG. (Traité 28) Dans le
sens anagogique, les Gentils prirent la place du peuple de la circoncision,
parce que leur chute est devenue le salut des Gentils. (Rm 11, 11.) Les
Romains sont mis ici à la place des Gentils, c'est-à-dire ceux qui avaient
l'empire à la place de ceux qui leur étaient soumis. Leur nationalité fut aussi
détruite, car le peuple qui avait été le peuple de Dieu, cessa de l'être. — S. CHRYS. (hom. 65.) Pendant qu'ils
hésitaient et qu'ils soumettaient de nouveau cette question à la délibération
du conseil, en disant : « Que faisons-nous, » un d'entre eux prend la parole et
ouvre cet avis plein d'impudence et de cruauté : « Mais l'un deux, nommé
Caïphe, qui était le pontife de cette année-là, leur dit, » etc.
S. AUG. On peut être surpris que Caïphe soit
appelé le pontife de cette année, alors que Dieu n'avait établi qu'un seul
grand-prêtre, qui n'avait de successeur qu'après sa mort. Il faut donc se
rappeler que ta prétentions ambitieuses et les rivalités qui régnaient parmi
les Juifs, les avaient amenés à
instituer plusieurs grands-prêtres, qui exerçaient leur ministère tour à tour
pendant un an. Peut-être même il y en avait plusieurs pour une même année, et
d'autres leur succédaient l'année suivante.
ALCUIN. Ainsi, l'historien
Josèphe rapporte que c'est à prix d'argent que Caïphe avait acheté le souverain
pontificat pour cette année-là.
ORIG. (Traité 28.) La méchanceté
de Caïphe ressort de cette circonstance qu'il était grand-prêtre pour cette
année-là, dans laquelle notre Sauveur accomplit le ministère douloureux de sa
passion : « Or, comme il était pontife de cette année-là, il leur dit : « Vous
n'y entendez rien, et vous ne songez pas qu'il vous est avantageux qu'un seul
homme meure pour le peuple. » — S. CHRYS.
(hom. 65.) Il semble leur dire : Vous êtes assis tranquillement
et vous délibérez négligemment sur cette affaire, mais veuillez donc réfléchir
que la vie d'un homme doit être comptée pour rien quand il s'agit de l'intérêt
public. — THEOPYHL. Il parle de
la sorte dans une intention coupable, et cependant l'Esprit saint se sert de sa
bouche pour prophétiser l'avenir : « Or, il ne dit pas cela de lui-même,
mais étant le grand-prêtre de cette année, il prophétisa que Jésus devait
mourir pour la nation. »
ORIG. Tout homme qui
prophétise n'est point par-là même prophète, de même qu'on n'est pas juste pour
avoir fait une action juste, si par exemple on l'a faite par un motif de vaine
gloire, Caïphe prophétise donc, mais sans être prophète, pas plus que Balaam. (Nb
23) Osera-t-on dire que ce n'est point par l'inspiration de l'Esprit saint
que Caïphe a prophétisé, parce que l'esprit mauvais peut également rendre
témoignage à Jésus, et prophétiser dans son intérêt, comme nous voyons les
démons dire à Jésus : « Nous savons qui vous êtes, le saint de Dieu. »
Mais son intention n'est pas de gagner des disciples à Jésus, c'est, au
contraire, d'exciter contre lui ceux qui, dans le conseil avait mis en lui leur
confiance, et de leur arracher une sentence de mort. D'ailleurs ces paroles : «
Il vous est avantageux, » etc. qui sont une partie de la prophétie, sont-elles
vraies ou fausses ? Si elles sont vraies, il s'ensuit que tous ceux qui, dans
le conseil, se déclarent contre Jésus, seront sauvés, puisque Jésus meurt pour
le salut du peuple ; et tous obtiendront cet avantage ; mais s'il est absurde
de dire que Caïphe, et les antres membres du conseil qui délibéraient contre
Jésus, soient sauvés, il est évident que ce n'est pas l'Esprit saint qui lui a
dicté ces paroles, parce que l'Esprit saint ne ment jamais. Si l'on veut
cependant que Caïphe ait dit ici la vérité, on comprendra ce que dit saint Paul
: a Que la bonté de Dieu a voulu qu'il mourût pour tous, » (He 2,
9) et qu'il est le Sauveur de tous les hommes, surtout des fidèles. (1 Tm 4, 10.) Il reconnaîtra que toute cette prophétie est vraie dans son
ensemble, à partir de ces mots : « Vous n'y entendez rien, » car ils ne
connaissaient vraiment rien, eux qui ignoraient que Jésus est la vérité, la
justice, la sagesse et la paix. Il est vrai encore qu'il était avantageux que
ce seul homme (en tant qu'il est homme) mourût pour le peuple, car en tant
qu'il est l'image du Dieu invisible, il ne peut être soumis à la mort. Il est
mort pour le peuple en vertu de la puissance qu'il avait d'effacer les crimes
de tout l'univers en les prenant sur lui. Cette réflexion de l'Evangéliste :
« Il ne dit pas cela de lui-même, » nous apprend qu'il y a des choses que
nous pouvons dire par nous-mêmes, sans avoir besoin pour cela d'aucun secours
étranger, mais qu'il en est d'autres qui nous sont inspirées par une vertu
secrète, bien que nous ne les comprenions point dans toute leur étendue. Dans
ce dernier cas, nous nous attachons au sens que paraissent présenter les choses
que nous disons, mais sans comprendre dans quelle intention elles nous ont été
dictées. C'est ainsi que Caïphe ne dit rien ici de lui-même, et ne pense point
faire une véritable prophétie, parce qu'il ne comprend pas le sens prophétique
des paroles qu'il prononce. Tels étaient ces prétendus docteurs de la loi dont
parle saint Paul : « Qui n'entendent ni ce qu'ils disent, ni ce qu'ils
affirment. » (1 Tm 1, 7) — S. AUG.
(Traité 49.) Nous apprenons par cet exemple que des hommes livrés
au mal peuvent recevoir l'esprit de prophétie pour prédire l'avenir, ce que
l'Evangéliste attribue à un conseil secret de la divine providence, parce que
Caïphe était grand-prêtre cette année. — S. CHRYS.
(hom. 65.) Voyez combien grande est la puissance de l'Esprit
saint, qui peut faire sortir d'un esprit corrompu un oracle prophétique ! Voyez
aussi la grandeur et la vertu du pouvoir pontifical. Caïphe est grand-prêtre,
tout indigne qu'il est de cet honneur, et il prophétise sans savoir ce qu'il
dit : La grâce ne s'est servi que de ses lèvres, et n'effleura même pas le cœur
de cet homme profondément corrompu. — S. AUG.
Caïphe ne prophétisa que de la seule nation des Juifs, dans laquelle se
trouvaient les brebis, dont le Seigneur a dit lui-même : « Je ne suis
envoyé qu'aux brebis qui ont péri de la maison d'Israël. » (Mt 15) Mais
l'Evangéliste savait qu'il y avait d'autres brebis qui n'étaient pas de cette
bergerie et qu'il fallait amener au bercail (Jn 10) ; et c'est pour cela
qu'il ajoute : « Et non seulement pour la nation, mais afin de rassembler en un
seul corps les enfants de Dieu. Il se place ici au point de rue de la
prédestination, car les Gentils n'étaient alors ni les brebis, ni les enfants de
Dieu.
S. GREG.
(Moral., 6, 12 ou
13 dans les anc.) Les ennemis de Jésus mirent donc à exécution le
dessein criminel qu'ils avaient formé. Ils firent mourir Jésus-Christ, pour
empêcher la piété des fidèles de s'attacher à lui ; mais la foi grandit et s'accrut
par les moyens mêmes que la cruauté des impies avait pris pour l'éteindre, et
Jésus fit servir à l'accomplissement de ses desseins miséricordieux ce que la
cruauté des hommes avait inventé contre lui. — ORIG. (Traité 28.) Ces paroles de Caïphe les enflammèrent
de colère, et ils résolurent dès lors de mettre à mort le Seigneur : « Depuis
ce jour ils pensèrent à le faire mourir. » Si ce n'est point par l'inspiration
de l'Esprit saint que Caïphe a prophétisé ; il y eut un autre esprit qui parla
par la bouche de cet impie et qui excita ses semblables contre Jésus-Christ. Si
cependant on veut absolument que l'Esprit saint ne soit pas étranger aux
paroles de Caïphe et à la délibération qui suivit, on peut dire que de même
qu'on voit des hommes faire servir à l'établissement de leur monstrueuse
doctrine les saintes Ecritures qui ont pour objet l'utilité des fidèles, de
même les pharisiens, en ne prenant point dans son vrai sens la prophétie
véritable qui avait le Christ pour objet, en ont tiré comme conclusion le
dessein de le mettre à mort. — S. CHRYS.
(hom. 65.) Ils cherchaient depuis longtemps à le faire mourir, et ils s'affermirent plus que
jamais dans leur dessein.
ORIG. (Traité 28.) Jésus ayant appris la résolution que les prêtres et les pharisiens
avaient prise dans leur conseil de le mettre à mort, s'environna de plus de
précautions, et ne se montra plus avec autant de confiance au milieu des Juifs.
Il choisit pour retraite non une cité populeuse, mais une petite ville éloignée
et située près du désert : « C'est pourquoi Jésus ne se montrait plus en public
parmi les Juifs, » etc. — S. AUG. (Traité
19.) Ce n'est pas que sa puissance lui fit défaut, et il aurait très bien
pu, s'il avait voulu, demeurer publiquement au milieu des Juifs, sans avoir
rien à craindre, mais il voulut apprendre par son exemple à ses disciples,
qu'il n'y a pour eux aucun péché à se dérober à la haine de leurs persécuteurs,
et qu'il vaut mieux échapper en se cachant à leur fureur sacrilège, que de la
rendre plus ardente en paraissant à leurs yeux. — ORIG. Il est beau et louable pour confesser le nom de Jésus,
de ne point rougir d’affronter le combat qui se présente, et de ne point refuser de souffrir
la mort pour la défense de la vérité ; mais il n'est pas moins louable de ne
point donner occasion à une si grande épreuve, non-seulement parce que nous ne
pouvons pas prévoir l'issue d'un si grand combat, mais parce que nous devons
éviter de donner aux impies et aux méchants les moyens augmenter leur impiété
et leurs crimes ; car si celui qui devient pour un autre une occasion de péché,
portera nécessairement la peine de ce péché, celui qui ne fuit point la
persécution, lorsqu'il le peut, ne sera-t-il pas aussi responsable du crime de
son persécuteur ? Et non-seulement le Seigneur se rendit dans cet endroit
écarté, mais pour ôter tout motif à ses ennemis de le chercher, il y conduisit
avec lui ses disciples : « Et il y demeurait avec ses disciples. » — S. CHRYS. Combien les disciples durent
être troublés en voyant leur divin Maître échapper au danger par des moyens
humains, et comme forcé de chercher un refuge pour se dérober à la poursuite de
ses ennemis ? Tous sont dans la joie et l'allégresse qui accompagnent les
grandes solennités, eux, au contraire, se cachent exposés qu'ils sont à de
grands dangers ; cependant ils persévèrent avec le Sauveur, suivant la parole
qu'il leur avait dite : « C'est vous qui êtes demeurés avec moi au milieu de
mes épreuves. »
ORIG. Dans le sens
anagogique, on peut dire que Jésus demeurait avec confiance au milieu des
Juifs, alors que le Verbe divin habitait avec eux dans la personne des
prophètes ; mais il s'en est retiré, et le Verbe de Dieu n'est plus avec les
Juifs. Il se rendit dans une petite ville qui était près du désert et dont le prophète
a dit : « Les enfants de la femme abandonnée (ou déserte) sont plus
nombreux que les enfante de l'épouse. » Cette ville s'appelait Ephrem, qui veut
dire fertilité ; or, Ephraïm fut le
frère de Manassé, c'est-à-dire, du peuple ancien livré à l'oubli, car c'est
après que ce peuple eut été livré à l'oubli et abandonné, que l'abondance
sortit du milieu des nations. Nôtre-Seigneur quitte donc la Judée et vient dans
la terre de tout l'univers, auprès de l'Eglise déserte et abandonnée, et dont
le nom veut dire cité féconde, et il y demeure avec ses disciples.
S. AUG.
(Traité 50 sur S. Jean.) Celui qui était descendu du ciel
pour souffrir, ne voulut pas s'éloigner du lieu de sa passion, parce que
l'heure de sa mort approchait : « Or, la Pâque des Juifs était proche, » etc.
Les Juifs n'avaient que l'ombre de la vraie Pâque, nous en avons la lumière; le
haut des portes des maisons juives était marqué du sang de l'agneau immolé, nos
fronts sont marqués du sang de Jésus-Christ. Les Juifs ont voulu ensanglanter ce
jour en répandant le sang du Seigneur, et l'Agneau qui a été immolé a consacré
à jamais ce jour de fête par son sang. La loi faisait un précepte aux Juifs de
se réunir pour cette fête à Jérusalem, de toutes les parties de la Judée, et de
se sanctifier par la célébration de cette grande fête : « Un grand nombre
de Juifs, dit l'Evangéliste, montèrent de la province à Jérusalem avant la
Pâque, pour se purifier. » — THEOPHYL. Ils
se rendirent à Jérusalem avant la Pâque pour se purifier, parce que ceux qui s'étaient
rendus coupables d'une faute volontaire ou involontaire ne célébraient point la
Pâque avant de s'être purifiés, selon la coutume, par des bains, par des
jeûnes, en se rasant les cheveux, et aussi en faisant les offrandes qui étaient
commandées à cet effet. C'est donc pendant le temps qu'ils accomplissaient ces
purifications légales qu'ils cherchent à tendre des pièges au Sauveur. « Ils
cherchaient donc Jésus, et se disaient les uns aux autres : Que pensez-vous de
ce qu'il n'est pas venu pour la fête ? » — S. CHRYS.
(hom. 65.) Ils lui tendent des embûches jusque dans cette fête de
Pâque, et font de cette grande solennité un temps de meurtre et d'homicide. —
Omet. Aussi l'Evangéliste ne dit pas : La Pâque du Seigneur, mais : « La
Pâque des Juifs, » parce qu'ils dressaient des embûches au Seigneur dans cette
fête. — ALCUIN. Les Juifs
cherchaient Jésus-Christ avec de mauvaises intentions; pour nous, nous le
cherchons en restant dans le temple à nous consoler, à nous exhorter
mutuellement, et à demander qu'il se rende à notre jour de fête, et nous
sanctifie par sa présence. — THEOPHYL. S'il
n'y avait que le peuple pour s'occuper de ce dessein sanguinaire, on pourrait
dire que sa passion a été le résultat de l'ignorance, mais ce sont les
pharisiens eux-mêmes qui donnent l'ordre de se saisir du sa personne : « Or,
les pontifes et les pharisiens avaient donné ordre que si quelqu'un savait où
il était, il le déclarât, afin qu'ils le fissent prendre. » — ORIG. Remarquez qu'ils ignoraient où il
était ; car, nous avons dit qu'il avait quitté la ville de Jérusalem. Vous irez
ajouter qu'en cherchant à tendre des pièges à Jésus, ils ne auvent où il est,
et qu'ils donnent des commandements bien différents des commandements divins,
en enseignant des maximes et des ordonnances tout humaines. — S. AUG. Pour
nous, indiquons aux Juifs où Jésus se trouve maintenant. Plaise à Dieu qu'ils
veuillent nous entendre et se saisir de lui ! Qu'ils viennent dans l'Eglise,
qu'ils apprennent où se trouve Jésus-Christ, et qu'ils s'emparent de sa
personne.
ALCUIN. Le temps où le
Sauveur avait résolu de souffrir approchait ; il se rapprocha donc aussi du
lieu où il devait accomplir la mystérieuse économie de sa passion : « Jésus
donc, six jours avant la Pâque, vint à Béthanie. » Il se rend d'abord à
Béthanie, puis à Jérusalem ; à Jérusalem pour y souffrir, à Béthanie pour que
la résurrection de Lazare s'imprimât plus profondément dans la mémoire de tous
; et c'est pour cela que l'Evangéliste ajoute : « Où était mort Lazare, qu'il
avait ressuscite. »
théophyi. Le dixième jour du
mois, les Juifs prennent un agneau pour l'immoler dans les fêtes de Pâques ;
c'est de ce jour que commence pour eux les solennités de cette fête. Voilà
pourquoi le neuvième jour du mois, qui précède le dixième jour avant la Pâque,
ils font un festin splendide, et ce jour est comme l'ouverture de cette grande
fête ; c'est pour cela que Jésus, venant à Béthanie, prend part à on festin de
ce genre : « On lui prépara là un souper, » etc. En nous disant que Marthe
servait à table, l'Evangéliste nous fait entendre que ce repas avait lieu dans
sa maison. Mais considérez la foi de cette femme ; elle ne charge pas les
femmes de service de servir à table, elle veut elle-même remplir cet office. L'Evangéliste
nous donne encore une preuve évident la résurrection de Lazare, en ajoutant :
« Lazare était un de ceux qui étaient assis à table avec lui. » — S. AUG. (Traité 50 sur S. Jean.)
Il était donc vivant, il parlait, il mangeait, la vérité se montrait au
grand jour, et l'incrédulité des Juifs était confondue.
S. CHRYS.
(hom. 65.) Quant à Marie, elle ne s'occupe point du service
ordinaire, elle est tout entière à l'honneur qu'elle veut rendre à son divin
Maître, et elle s'approche de lui non comme d'un homme, mais comme d'un Dieu: «
Or, Marie prit une livre de parfum de nard pur, d'un grand prix, le répandit
sur les pieds de Jésus, et les essuya avec ses cheveux, » etc. — S. AUG. Le mot pistici indique
probablement le lieu d'où venait ce parfum précieux. —ALCUIN. Ou bien, ce mot ajouté à celui de parfum, veut dire
qu'il était pur (de fides), et n'était mélangé d'aucune substance
étrangère. Marie était cette femme pécheresse qui était déjà venue trouver le
Seigneur dans la maison de Simon, avec un vase de parfum. — S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 79.) Ce fait, qui se
répète à Béthanie, est différent de celui que raconte saint Luc ; mais il est
également raconté par les trois autres évangélistes, saint Jean, saint Matthieu
et saint Marc. Dans saint Matthieu et dans saint Marc, le parfum est répandu
sur la tète; dans saint Jean, il est répandu sur les pieds ; mais nous devons
entendre que Marie le répandit non-seulement sur la tête, mais encore sur les
pieds du Seigneur. C'est comme par récapitulation que saint Matthieu et saint
Marc parlent de ce fait, qui eut lieu à Béthanie, six jours avant la Pâque, et
qu'ils racontent le repas dont parle ici saint Jean, et du parfum qui fut
répandu sur le Sauveur.
« Et la maison fut remplie de l'odeur du
parfum. » — S. AUG. (Traité 80.) Rappelez-vous ces paroles de l'Apôtre :
« Aux uns nous sommes une odeur de mort pour la mort, et aux autres une odeur
de vie pour la vie, » (2 Co 2, 16) et vous comprendrez
par ce parfum comment il était pour les uns une bonne odeur qui donnait la vie,
et pour les autres une mauvaise odeur qui donnait la mort : « Alors un de ses
disciples, Judas Iscariote, qui devait le trahir, dit : Pourquoi n'a-t-on pas
vendu ce parfum trois cents deniers, » etc. — S. AUG. Les autres
évangélistes disent que les disciples murmurèrent également à la vue de ce
parfum répandu, saint Jean ne parle que de Judas, on peut donc dire que saint
Matthieu et saint Marc ont voulu désigner Judas sons le nom des disciples en
général, en mettant le pluriel pour le singulier. On peut encore dire que les
disciples eurent la même pensée que Judas, ou qu'ils l'exprimèrent, ou que
Judas leur fit partager sa manière de voir, et que saint Matthieu et saint Marc
ont exprimé ce qu'ils pensaient intérieurement. Mais Judas parle ainsi parce
que c'était un voleur, et les autres par intérêt pour les pauvres, et Jean n'a
cru devoir ici mentionner que celui dont il voulait faire apparaître l'habitude
de voler : « Il dit cela, non qu'il se souciât des choses, mais parce qu'il était
voleur, et qu'ayant la bourse, il portait ce qu'on y déposait. » — ALCUIN. Son devoir était de la porter,
son crime de la voler.
S. AUG. La perversion de Judas ne date pas
seulement du jour où il reçut des Juifs la somme d'argent pour leur livrer
Nôtre-Seigneur, bien auparavant il avait la passion du vol, il était déjà
perdu, et suivait Jésus, non de cœur, mais de corps seulement. Le Seigneur
voulut nous apprendre ainsi à supporter les méchants pour ne point diviser le
corps de Jésus-Christ. Celui qui vole l'Eglise en quelque chose, est semblable
au traître Judas. Si vous êtes bon, tolérez les mauvais pour obtenir la
récompense des bons, et ne point partager le supplice des méchants. Prenez exemple sur la conduite du
Seigneur, lorsqu'il vivait sur cette terre ; pourquoi lui qui avait les anges
pour le servir, voulût-il que ses disciples eussent une bourse à son usage,
sinon pour nous apprendre qu'il serait aussi permis à son Eglise d'avoir de
l'argent en réserve ? Pourquoi permit-il qu'il y eût un voleur dans sa
compagnie, si ce n'est pour enseigner à son Eglise à supporter les voleurs
qu'elle aurait dans son sein ? Remarquez cependant que celui qui avait
contracté l'habitude de voler son maître, n'hésita pas à vendre le Seigneur
pour une somme d'argent.
S. CHRYS.
(hom. 65.) Jésus lui confia, quoiqu'il fût un voleur, la bourse
des pauvres, pour ôter tout prétexte, toute excuse à sa trahison, car il ne
peut alléguer que c'est le désir d'avoir de l'argent qui l'avait porté à cet
excès, puisqu'il trouvait dans la bourse qu'il portait de quoi satisfaire
abondamment ce désir. — THEOPHYL. Il
en est qui pensent que Judas fut chargé de l'emploi et de la distribution de
l'argent, comme le dernier des apôtres, car l'administration de l'argent est
inférieure à la prédication de la doctrine, selon ce que disent les Apôtres
eux-mêmes : « Il n'est pas juste que nous abandonnions la parole de Dieu pour
le service des tables. » (Ac 6, 2.)
S. CHRYS.
Cependant Jésus-Christ fait preuve de la plus grande bonté à l'égard de
Judas, il ne lui reproche pas les vols qu'il a commis, il donne à l'action de
cette femme une excuse générale : « Jésus lui dit donc : Laissez-la
réserver ce parfum pour le jour de ma sépulture. » — ALCUIN.
Nôtre-Seigneur prédit ainsi qu'il doit mourir et que son corps doit être
embaumé avec des parfums, et comme Marie, malgré tout son désir, ne pourrait
embaumer son corps après sa mort qui devait être suivie d'une résurrection si
prompte, il lui permet de lui rendre cet hommage pendant sa vie. — S. CHRYS. En rappelant le souvenir de sa
sépulture, il veut encore donner un avertissaient à son traître disciple, et il
semble lui dire : Je vous suis à charge, ma présence vous pèse, mais attendez
un peu, et je m'en irai ; c'est ce que signifient ces paroles : « Vous avez
toujours des pauvres avec vous, mais vous ne m'aurez pas toujours. » — S.
AUG. Il parlait ici de sa présence corporelle, car sous le rapport de sa
puissance divine, de sa providence, de sa grâce ineffable et invisible, il
accomplit cette promesse qu'il a faite à ses disciples : « Voici que je suis
avec vous jusqu'à la consommation des siècles. » Ou bien encore, Judas est la
figure de tous les méchants ; si vous êtes bon, vous jouissez de la présence de
Jésus-Christ par la foi dans son sacrement, et vous en jouirez toujours, car
vous ne sortirez de cette vie que pour aller trouver celui qui a dit au bon
larron : « Aujourd'hui vous serez avec moi dans le paradis. » Mais si votre
conduite est mauvaise, vous paraîtrez jouir de la présence de Jésus-Christ pendant
cette vie, parce que vous avez reçu son baptême, parce que vous vous approchez
de son autel, mais votre vie criminelle vous la fera bientôt perdre, Jésus ne
dit pas : Tu as, mais : « Vous avez, » parce que dans un seul homme mauvais, il
voit la figure de tous les méchants. « Une grande multitude de Juifs surent
qu'il était là, et ils vinrent, non à cause de Jésus seulement, mais pour voir
Lazare qu'il avait ressuscité d'entre les morts. » C'est la curiosité qui les amène et non la charité. —
THEOPHYL. Ils désiraient voir
celui qu'il avait ressuscité, dans l'espérance d'apprendre de Lazare quelque
nouvelle des enfers.
S. AUG. (Traité 30.) Ce miracle que
Nôtre-Seigneur avait opéré, portait avec lui un caractère si éclatant
d'évidence, il avait reçu d'ailleurs une si grande publicité, qu'ils ne
pouvaient ni le dissimuler, ni le nier, que firent-ils donc ? Ils formèrent le
projet de faire mourir Lazare. Projet insensé, cruauté aveugle ! Est-ce que le
Seigneur, qui a pu ressusciter un homme mort, ne pourrait le ressusciter s'il
était tué ? Voici qu'il a fait l'un et l'autre : Il a ressuscité Lazare qui
était mort, et il s'est ressuscité lui-même, après que les Juifs l'eurent fait
mourir de mort violente. — S. CHRYS. (hom.
66.) Aucun miracle de Jésus-Christ ne leur causa une si grande fureur, il
était un des plus éclatants, il avait été fait devant un grand nombre de
témoins, et c'était un spectacle vraiment extraordinaire que de voir marcher et
parler un mort de quatre jours. On peut
dire encore que dans d'autres circonstances, ils croyaient pouvoir détacher la
multitude de Jésus, en l'accusant de violer la loi du sabbat, mais comme ici
ils ne pouvaient formuler contre lui aucune accusation, ils tournent tous leurs
efforts contre Lazare ; c'est ce qu'ils eussent fait à l'égard de l'aveugle-né,
s'ils n'avaient cru pouvoir accuser Jésus d'avoir violé la loi du sabbat.
Peut-être encore, comme l'aveugle-né était de condition obscure, se
contentèrent-ils de le chasser du temple, Lazare, au contraire, était d'une
famille distinguée, comme on le voit par le grand nombre de ceux qui étaient
venus pour consoler ses sœurs. Ce qui les blessait encore profondément, c'est
que tout le monde quittait la fête qui commençait pour se rendre à Béthanie.
ALCUIN, Dans le sens mystique,
Jésus, en venant à Béthanie six jours avant la Pâque, nous apprend que celui
qui avait fait tout l'univers en six jours, et créé l'homme le sixième jour,
était venu racheter le monde au sixième âge du monde, le sixième jour de la
semaine et à la sixième heure. Le festin que l'on prépare au Seigneur, c'est la
foi de l'Eglise qui opère par la charité. (Gal 5, 7) Marthe sert le
Seigneur dans toute âme fidèle qui offre à Jésus l'hommage de sa piété et de sa
dévotion. Lazare, qui était un de ceux qui étaient assis à table avec lui, est
la figure des pécheurs qui, après être morts au péché, sont ressuscites à la
justice, se réjouissent de la présence de la vérité avec ceux qui ont persévéré
dans la justice, et se nourrissent avec eux des dons de la grâce céleste. C'est
à Béthanie que se célèbre ce festin, et avec raison, car Béthanie veut dire maison
de l'obéissance, et l'Eglise est vraiment la maison de l'obéissance. — S. AUG. Le parfum que Marie répandit sur
les pieds de Jésus, est le symbole de la justice, et c'est pour cela qu'il y en
avait une livre. C'était un parfum de nard pur d'un grand prix, car le mot pistici,
veut dire foi. Vous cherchiez à opérer la justice ? Rappelez-vous que le
juste vit de la foi. Couvrez de parfums les pieds de Jésus par une vie sainte,
suivez les traces du Seigneur, essuyez ses pieds avec vos cheveux,
c'est-à-dire, si vous avez du superflu, donnez-le aux pauvres, et vous aurez
essuyé les pieds du Seigneur, car les cheveux sont comme une partie superflue
du corps. — ALCUIN. Remarquez que
la première fois elle n'avait répandu ses parfums que sur les pieds de Jésus;
ici elle les répand à la fois sur les pieds et sur la tête ; d'un côté ce sont
les commencements de la vie pénitente, de l'autre c'est la justice des âmes
parfaites, car la tête du Seigneur figure la hauteur sublime de sa divinité, et
ses pieds l'humilité de son incarnation ; ou bien encore la tête, c'est
Jésus-Christ lui-même, les pieds ce sont les pauvres qui sont ses membres. — S. AUG.
La maison fut remplie de l'odeur du parfum, c'est-à-dire, que le bruit
de cette action s'est répandue dans le monde entier comme un parfum d'agréable
odeur.
S. CHRYS. La loi
ordonnait que le dixième jour de la lune du premier mois, chacun prît un agneau
ou un chevreau, et le gardât dans sa maison jusqu'au quatorzième jour de ce
mois, au soir duquel on devait l'immoler (Ex 12) ; voilà pourquoi
l'Agneau véritable, l'Agneau sans tache, choisi dans tout le troupeau, et qui
devait être immolé pour la sanctification du peuple, se rendit à Jérusalem cinq
jours avant son immolation, c'est-à-dire, le dixième jour de la lune. — S. AUG. (Traité 51 sur S. Jean.)
Voulez-vous juger du fruit de la prédication du Sauveur et du grand nombre
de brebis (parmi celles qui avaient péri de la maison d'Israël), qui avaient
entendu la voix du pasteur, considérez ce que dit l'Evangéliste : « Le lendemain, une
foule nombreuse qui était venue pour la fête, ayant appris que Jésus venait à
Jérusalem, prit des rameaux de palmiers, » etc. Les rameaux de palmier sont les
louanges et l'emblème de la victoire que le Seigneur devait remporter sur la
mort en mourant lui-même, et du triomphe qu'il devait obtenir par le trophée de
la croix sur le démon, le prince de la mort.
S. CHRYS.
(hom. 66.) Cette multitude témoignait à haute voix qu'elle voyait
eu lui beaucoup plus qu'un prophète : « En effet, dit l'Evangéliste, ils
allèrent au-devant de lui, en criant : hosanna, » etc. — S. AUG. Le mot hosanna est une
parole de supplication, qui exprime plutôt un sentiment du cœur qu'une pensée
déterminée, comme sont les mots qu'on appelle dans la langue latine
interjections. — BEDE. Ce mot est
composé d'une abréviation et d'un mot entier, osi veut dire sauvé, et
anna est une interjection suppliante. Le mot osi est abrégé, anna
est entier, « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, » peut être
entendu dans ce sens : « Béni soit celui qui vient an nom de Dieu le Père,
» bien qu'on puisse aussi l'entendre de son propre nom, puisqu'il est aussi le
Seigneur ; mais le sens le plus vraisemblable de ces paroles nous est indiqué
par ces autres du Sauveur : « Je suis venu au nom de mon Père. » (Jn 10)
Il ne perd pas sa divinité en nous enseignant l'humilité.
S. CHRYS.
Un des plus puissants motifs qui porta la multitude à croire en
Jésus-Christ, c'est qu'il n'était pas contraire à Dieu, et ce qui frappait le
plus l'esprit du peuple, c'est qu'il disait qu'il venait du Père. De ces paroles
nous tirons cette conclusion qu'il était Dieu. En effet, le mot hosanna signifie
sauvé. Or, l'Ecriture n'attribue qu'à Dieu la puissance de sauver. Nous
concluons encore qu'il était vrai Dieu, parce qu'il vient et qu'il n'est pas
conduit par un autre ; car être conduit, indique qu'on est sous la dépendance
de quelqu'un tandis que venir soi-même, n'appartient qu'au Maître. Ce qu'ils
ajoutent : « Au nom du Seigneur, » exprime la même vérité ; car ils ne disent
pas qu'il vient au nom du serviteur, mais « au nom du Seigneur. »
S. AUG.
Qu'était-ce pour le Roi éternel des siècles de devenir le roi des hommes
? Jésus-Christ ne fut pas roi d'Israël pour imposer des tributs, pour lever et
armer des troupes, mais pour gouverner les âmes et les conduire dans le royaume
des cieux. Si donc il a voulu être roi d'Israël, ce n'est point pour s'élever
lui-même, mais par bonté pour nous, c'est un témoignage de sa miséricorde,
plutôt qu'une marque de sa puissance ; car celui qui s'est appelé sur la terre
le roi des Juifs, est dans le ciel le roi des anges. — THEOPHYL. Les Juifs le proclamaient roi d'Israël dans un sens
conforme à leurs rêves sur la royauté temporelle de leur Messie. Ils
espéraient, en effet, voir s'élever du milieu d'eux un roi dont la puissance
surpasserait celle des rois de la terre, et qui les affranchirait de la
domination des Romains.
L'Evangéliste décrit ensuite l'entrée du
Sauveur dans la ville de Jérusalem : « Et Jésus trouva un ânon, » etc. — S. AUG. Saint Jean ne raconte que d'une
manière abrégée ce fait qui se trouve complètement développé dans les autres
évangélistes. Ce petit de l'ânesse sur lequel personne encore ne
s'était assis, suivant la remarque des autres évangélistes, est la figure du
peuple des Gentils qui n'avait pas encore reçu la loi du Seigneur, l'ânesse
(puisque l'un et l'autre furent amenés au Seigneur) était le symbole du peuple
fidèle qui se forma au milieu du peuple d'Israël. — S. CHRYS. En montant sur cet ânon, Nôtre-Seigneur nous enseigne
figurativement qu'il doit s'assujettir le peuple immonde des nations, et il
accomplit en même temps une prophétie. — S. AUG. L'Evangéliste joint au récit
de ce fait un oracle prophétique pour faire voir que les princes des Juifs,
aveuglés par leur méchanceté, ne comprenaient point que les prophéties qu'ils
lisaient s'accomplissaient en Jésus-Christ : « Selon ce qui est écrit : Ne
craignez point, fille de Sion, voici votre Roi qui vient, assis sur le petit
d'une ânesse. » C'est dans le peuple juif que se trouvait la fille de Sion, la
ville de Jérusalem est elle-même cette Sion, à qui il est dit : « Ne craignez
point. » Reconnaissez celui qui est l'objet de vos louanges, et ne soyez point
effrayée lorsque vous le verrez souffrir, car le sang qui est répandu doit
effacer vos crimes et racheter votre vie. — S. CHRYS. Ou bien encore, comme les rois des Juifs avaient été
injustes pour la plupart, et avaient jeté leurs peuples dans des guerres sans
fin, le prophète dit ici : Ce roi ne leur est pas semblable, il est plein de
douceur et de mansuétude, comme le prouve l'âne qu'il choisit pour monture ;
car il n'entre pas à la tête d'une armée, il entre assis sur son ânon.
Voyez l'humilité de l'Evangéliste, il ne
rougit pas de faire connaître l'ignorance où ils
étaient alors : « Ses disciples ne comprirent pas ceci d'abord, mais quand
Jésus fut glorifié, alors ils se souvinrent, » etc. — S. AUG. Lorsque
Nôtre-Seigneur eut fait éclater la vertu de sa résurrection, ils se souvinrent
alors que ces choses étaient écrites de lui, et que ce qu'ils avaient fait à
son égard en était l'accomplissement, c'est-à-dire qu'ils n'avaient fait autre
chose que ce qui était prédit de lui. » — S. CHRYS.
Leur ignorance venait de ce que Jésus ne leur avait pas révélé qu'il
allait accomplir cette prophétie ; car il les eût scandalisés en leur
faisant connaître qu'il soumettrait sa royauté à cette humiliation, ils n'eussent
point compris tout d'abord quel était le royaume dont il leur parlait, et ils
auraient cru qu'il s'agissait d'un royaume temporel.
THEOPHYL. Considérez ici
l'enchaînement des faits qui amenèrent la passion du Sauveur. Il ressuscita
Lazare, réservant ce miracle pour le dernier, et la vue et le bruit de ce
miracle déterminèrent nu grand nombre de Juifs à croire en lui : « C'est
ainsi que lui rendait témoignage la multitude qui était avec lui, lorsqu'il
appela Lazare du tombeau, et le ressuscita d'entre les morts. » C'est pour cela
aussi que le peuple vint en foule au-devant de lui, parce qu'il avait appris
que Jésus avait fait ce miracle. De là l'envie haineuse et les embûches des
pharisiens : « Les pharisiens se dirent donc entre eux : Vous voyez que nous ne
gagnons rien, voilà que tout le monde court après lui. » — S. AUG. (Traité 51.) Cette
multitude trouble une autre multitude. Mais pourquoi cette multitude aveugle se
laisse-t-elle aller à la jalousie ? parce que le monde s'empresse autour de celui
par qui le monde a été fait. — S. CHRYS.
Le monde ici est pris pour la multitude. Ces paroles, du reste, me
paraissent venir de ceux qui étaient animés de bons sentiments à l'égard de
Jésus, mais qui n'osaient les faire connaître, et qui s'efforçaient par cette
considération de détourner les autres de leur projet comme d'une chose dont
l'exécution était impossible. — THEOPHYL.
Ils semblent leur dire : Plus vous cherchez à lui tendre des embûches,
plus vous le grandissez, et rendez sa gloire éclatante. Quel fruit donc
retirez-vous de tant d'efforts ?
BEDE. Le temple élevé à
Dieu dans la ville de Jérusalem avait une si grande célébrité, qu'aux jours de
fête, non-seulement ceux qui étaient voisins, mais une nombreuse multitude
accourue des points les plus éloignés de l'univers encombrait la ville ; comme
les Actes des Apôtres nous l'apprennent de l'eunuque de Candace, reine
d'Ethiopie. (Ac 8) C'est d'après cet usage que les Gentils, dont il est
ici question, étaient venus pour adorer Dieu : « Or, parmi ceux qui étaient
venus pour adorer en ces jours de fête, il y avait quelques Gentils. » — S. CHRYS. Ils étaient sur le point de se
faire prosélytes. Attirés par la réputation du Sauveur, ils désirent le voir : « Ils
s'approchèrent donc de Philippe qui était de Bethsaide, de Galilée, et le
prièrent disant : Seigneur, nous voudrions voir Jésus. » — S. AUG. Voici que les Juifs veulent le
mettre à mort, tandis que les Gentils désirent le voir, et aux Gentils se
joignent ceux d'entre les Juifs qui criaient : « Béni soit celui qui vient au
nom du Seigneur ! » Ainsi les uns viennent du peuple de la circoncision,
les autres, du peuple des incirconcis, comme deux murailles qui ont un point de
départ différent, et se réunissent par un baiser de paix dans la même foi de
Jésus-Christ.
« Philippe le vint dire à André. » — S. CHRYS. Comme étant plus ancien que lui
dans l'apostolat. Ils avaient, en effet, entendu dire au Sauveur : « N'allez
pas dans la voie des nations. » (Mt 10) Philippe croit donc,
devoir soumettre la question à André avant d'en référer à leur divin Maître : «
Et André et Philippe le dirent à Jésus. » — S. AUG. (Traite 51) écoutons donc la réponse de la
pierre angulaire : « Jésus leur répondit : L'heure est venue que le Fils de
l'homme doit être glorifié. » Quelqu'un pourrait penser peut-être que Jésus
annonce qu'il va être glorifié, parce que les Gentils désirent le voir ; non il
n'en est pas ainsi. Jésus prévoyait que les Gentils de toutes les parties de
l'univers croiraient en lui après sa passion et sa résurrection. Il prend donc
occasion de ces Gentils qui désirent le voir, pour prédire la conversion future
de toute la Gentilité, et il annonce la venue prochaine de l'heure de sa
glorification dans les cieux, qui devait être suivie de la conversion
à la foi de tous les Gentils. C'est ce que le Roi-prophète avait prédit :
« Soyez exalté, ô Dieu, au-dessus des deux, et que votre gloire éclate
par toute la terre. » (Ps 56,
12 ; 107, 6.) Mais cette haute élévation dans la gloire a dû être précédée
par les humiliations de la passion. Aussi le Sauveur ajoute : « En vérité, en
vérité, je vous le dis : Si le grain de froment qui tombe dans la terre, ne
meurt, il demeure seul ; mais s'il meurt, il produit beaucoup de fruits. »
Ce grain de froment c'était lui que l'incrédulité des Juifs devait faire
mourir, et qui devait se multiplier par la foi des peuples. — BEDE. Il est, en effet, ce grain qui a
été semé de la semence des patriarches dans le champ du monde, c'est-à-dire qui
s'est incarné pour mourir et ressusciter en se multipliant au centuple. Lui
seul est mort, mais il est ressuscité avec un grand nombre d'autres.
S. ghrts.
Comme les paroles du Sauveur ne portaient pas toujours la persuasion
dans les cœurs, il a recours à cette comparaison, parce que le froment est une
des graines qui produit le plus de fruit lorsqu'elle est morte. Or, si ce
phénomène se manifeste dans les semences, à plus forte raison se produira-t-il
en moi. Nôtre-Seigneur devait dans la suite envoyer ses disciples vers les Gentils,
et il les voit déjà venir d'eux-mêmes avec ardeur pour embrasser la foi, il
annonce donc que le moment est venu pour lui de souffrir le supplice de la
croix ; car il n'envoya point ses Apôtres vers les nations avant que les Juifs
se fussent brisés eux-mêmes contre la pierre, avant qu'ils l'eussent crucifié :
Et, comme il prévoyait que sa mort devait jeter ses disciples dans une profonde
tristesse, il expose pleinement la doctrine de la croix, et semble dire à ses
disciples : Il ne suffit pas que vous supportiez ma mort avec patience ; si
vous ne mourez vous-mêmes, vous n'avez aucun fruit à espérer de ma mort : «
Celui qui aime son âme, la perdra. » — S. AUG.
On peut entendre ces paroles de deux manières : la première, « celui qui
aime son âme, la perdra ; » c'est-à-dire, si vous l'aimez véritablement,
n'hésitez pas à la perdre ; si vous désirez obtenir la vie, qui est en
Jésus-Christ, ne craignez pas de souffrir la mort pour Jésus-Christ. Ou bien :
« Celui qui aime son âme, la perdra. » N'aimez donc point votre âme dans
cette vie, pour ne point la perdre dans la vie éternelle. Cette seconde
interprétation est plus conforme à l'ensemble du texte évangélique, où nous
lisons ensuite : « Et celui qui hait son âme dans ce monde, » etc. Donc, dans
le membre de phrase précédent : « Celui qui aime, » il faut sous-entendre
: En ce monde. — S. CHRYS. (hom.
67.) Or, aimer son âme en ce monde, c'est satisfaire ses désirs criminels ;
haïr son âme, c'est résister à ses désirs coupables. Et remarquez que
Nôtre-Seigneur ne dit pas : Celui qui ne se rend pas aux désirs de son âme,
mais : « Celui qui la hait. » Lorsque nous avons de la haine contre
quelqu'un, nous ne pouvons entendre sa voix, sa présence nous est désagréable ;
ainsi lorsque notre âme nous suggère des pensées contraires à la loi de Dieu,
nous devons la repousser avec horreur. — THEOPHYL.
Comme cette obligation de haïr son âme pouvait paraître bien dure, le
Sauveur adoucit cette dure obligation en ajoutant: « En ce monde, »
paroles qui annoncent la brièveté de l'épreuve; il ne nous commande pas de haïr
notre âme pour toujours, et il nous fait savoir quel sera le prix de ce
sacrifice : « Il la conservera pour la vie éternelle. » — S. AUG. Mais prenez garde de vous laisser
aller à la pensée de vous donner la mort à vous-même par une fausse
interprétation de ce précepte : « Qu'il faut haïr son âme eu ce monde. »
C'est ainsi que l'entendent certains hommes pervers et mal inspirés, qui se
rendent coupables d'homicide et trouvent la mort en se jetant dans les flammes,
en s'étouffant dans les eaux, en se précipitant d'un lieu élevé (1). Ce n'est
pas ce que Jésus-Christ a enseigné ; au contraire, lorsque le démon lui
eut conseillé de se jeter du haut du temple, il lui répondit : « Retire-toi,
Satan. » Lors donc que vous vous trouvez dans cette alternative ou
d'enfreindre un précepte divin, ou de sortir de cette vie sous la menace de
mort d'un persécuteur, c'est alors que vous devez haïr votre âme eu ce monde,
pour la conserver dans la vie éternelle.
S. CHRYS.
(hom. 67.) Cette vie présente paraît pleine de douceur à ceux qui
en sont violemment épris, mais celui qui jette les yeux vers le ciel et qui
considère les biens qui l'y attendent, n'aura que du mépris pour la vie
présente ; car, en présence d'un plus grand bien , le bien qui est moindre n'a
plus de valeur. Or, Jésus-Christ nous conseille ce mépris, lorsqu'il nous dit :
« Si quelqu'un veut être mon serviteur, qu'il me suive ; » c'est-à-dire, qu'il
marche sur mes traces. Le Sauveur veut parler ici de la mort et de l'imitation
par les œuvres, car le serviteur doit nécessairement suivre celui qu'il sert. —
S. AUG. Nôtre-Seigneur nous
apprend lui-même ce que c'est que le servir, en nous disant : » Si quelqu'un
veut être mon serviteur, qu'il me suive, » etc. Servir Jésus-Christ, c'est donc
ne pas chercher ses intérêts, mais ceux de Jésus-Christ. C'est ce que
signifient ces paroles : « Qu'il me suive, »
c'est-à-dire, qu'il marche dans mes voies, et non dans les siennes ;
qu'il ne se contente pas des œuvres extérieures de miséricorde, mais qu'il
fasse tontes ses bonnes œuvres pour Jésus-Christ, jusqu'à cette oeuvre de
charité héroïque qui consiste à donner sa vie pour ses frères. Mais quel en
sera le fruit, quelle en sera la récompense ? « Et où je suis, là sera
aussi mon serviteur. » Que le serviteur de Jésus-Christ l'aime d'un amour
désintéressé, afin que la récompense du dévouement à son service soit d'être
avec lui. — S. CHRYS. (hom. 67.)
Nôtre-Seigneur nous apprend ainsi que la mort sera suivie de la résurrection :
il dit : « Là où je suis, » parce qu'avant même sa résurrection, il était dans
ciel ; c'est donc là que nous devons transporter nos pensées et nos affections.
« Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera.
— S. AUG. C'est l'explication de
ces paroles : « Où je suis, là sera aussi mon serviteur. » Car, quel plus
grand honneur pour le fils adoptif, que d'être là où est le Fils unique ? — S. CHRYS. Il ne dit point : C'est moi qui
l'honorerai, mais : « Mon Père l'honorera. » Car, ils n'avaient pas encore
des idées convenables sur le Sauveur, et ils regardaient le Père comme lui
étant supérieur.
S. CHRYS.
(hom. 67 sur S. Jean.) Aux exhortations que Notre-Seigneur
faisait à ses disciples, de ne craindre ni les souffrances ni la mort ; ils
auraient pu répondre qu'il lui était facile, à lui, qui était placé en dehors
des douleurs de notre humanité, de philosopher sur la mort et de les engager à
supporter des épreuves dont il était affranchi ; il prévient cette objection en
leur faisant voir qu'il est lui-même exposé aux mêmes dangers, et que
cependant, à cause du bien qui doit en résulter, il ne craint pas la mort.
C'est ce qui lui fait dire: « Et maintenant mon âme est troublée. » — S.
AUG. (Traité 52.) J'entends ces paroles : « Celui qui hait son âme en ce
monde, la garde pour la vie éternelle ; » et je me sens enflammé d'un saint
mépris pour le monde, et la vapeur légère de cette vie, quelque prolongée
qu'elle soit, n'est rien à mes yeux, l'amour des biens éternels me fait
paraître viles toutes les choses de la terre ; et voilà que j'entends de
nouveau le Seigneur me dire : « Maintenant mon âme est troublée. » Vous
commandez à mon âme de vous suivre, mais je vois que la vôtre est dans le
trouble ; sur quel fondement m'appuyer, si la pierre elle-même succombe ? Je
reconnais, Seigneur, votre miséricorde ; c'est votre charité qui est la cause
de votre trouble, et vous voulez ainsi consoler et sauver du désespoir, qui les
perdrait, les membres si nombreux de votre corps, qui sont troublés par suite
des faiblesses nécessaires de leur nature. Notre chef a donc voulu ressentir en
lui toutes les affections de ses membres. Son trouble ne vient donc point d'une
cause étrangère, mais comme l'Evangéliste l'a remarqué plus haut, il s'est
troublé lui-même. — S. CHRYS. (hom.
67.) Aux approches de sa croix, il fait paraître les sentiments qui sont
propres à notre humanité, une nature qui a horreur de la mort, et qui s'attache
à la vie présente, et Il prouve ainsi qu'il n'était point étranger aux fassions
de notre humanité ; car ce n'est pas plus un crime de désirer conserver la vie
présente que ce n'est un crime d'éprouver le besoin de la faim. Le corps de
Jésus-Christ était pur de tout péché, mais il n'était pas affranchi des
infirmités de notre nature ; c'était l'effet et la suite non de sa divinité,
mais de son incarnation.
S. AUG.
(Traité 52.) Enfin que l'homme qui désire suivre le Sauveur,
apprenne à quel moment il doit marcher à sa suite, voici peut-être une heure
terrible ; on vous donne le choix, ou de commettre l'iniquité, ou de souffrir
la mort, votre âme faible se trouble ; écoutez ce que Jésus ajoute : « Et
que dirai-je ? » — BEDE. C'est-à-dire,
que dirai-je que ce qui peut être une leçon pour mes membres ? « Père,
sauvez-moi de cette heure. » — S. AUG. C'est
ainsi qu'il vous montre celui que vous devez invoquer, celui à la volonté
duquel vous devez subordonner la vôtre ; ne regardez donc pas comme une chute
pour lui l'acte par lequel il veut vous tirer de votre misère, il a pris sur
lui nos infirmités, pour enseigner à ceux qui sont dans la tristesse, à dire :
« Non ce que je veux, mais ce que vous voulez. » C'est ce que signifient les
paroles suivantes : « Mais c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure. »
— S. CHRYS. C'est-à-dire,
je n'ai rien à dire pour me dérober à la mort qui me menace, « car c'est pour
cela que je suis arrivé à cette heure ; » langage dont voici le sens : Malgré
le trouble et l'agitation auxquels vous êtes en proie, ne cherchez pas à vous
soustraire à la mort, puisque moi-même, malgré le trouble où mon âme est
plongée, je ne demande pas d'y échapper (car il faut supporter ce qui doit
arriver) ; je ne dis pas : Délivrez-moi de cette heure, mais au contraire : «
Mon Père, glorifiez votre nom. » Il montre ainsi qu'il meurt pour la vérité, ce
qu'il appelle la glorification du nom de Dieu. C'est en effet ce qui s'est
vérifié, puisqu'après le supplice de la croix, l'univers entier devait se
convertir, connaître et adorer le nom de Dieu, ce qui était autant la gloire du
Fils que du Père, mais Jésus ne dit rien de ce qui lui était personnel.
« Et une voix vint du ciel : Je l'ai
glorifié, et je le glorifierai encore. » — S. GREG.
(Moral., 28, 2.) C'est par le ministère d'un ange que Dieu fit
entendre ces paroles, puisque rien ne parait aux yeux, et qu'on entend
seulement une voix qui vient du ciel. Comme en parlant du haut des cieux, Dieu,
voulant être entendu de tous, s'est servi pour cela de l'intermédiaire d'une
créature raisonnable. — S. AUG. (Traité
52.) « Je l'ai glorifié, » avant
la création du monde, « et je le glorifierai encore » lorsqu'il ressuscitera
d'entre les morts ; ou bien encore, je l'ai glorifié, lorsqu'il est né d'une
Vierge, lorsqu'il a fait une multitude de miracles, lorsque l'Esprit saint est
descendu sur lui sous la forme visible d'une colombe ; et je le glorifierai de
nouveau lorsqu'il ressuscitera d'entre les morts, lorsqu'il sera exalté comme
Dieu an-dessus des cieux, et que sa gloire éclatera sur toute la terre.
« Or, la foule qui était là et qui avait
entendu, disait : C'est le tonnerre. » — S. CHRYS.
Cette voix était claire, et le sens de ces paroles facile à comprendre,
mais elle ne fit qu'une impression fugitive sur des esprits grossiers, charnels
et indolents. Les uns ne firent attention qu'au son de la voix, les autres
avaient bien remarqué que c'était une voix articulée, mais ils n'en savaient
pas encore le sens, et c'est d'eux que l'Evangéliste ajoute : « D'autres
disaient : Un ange lui a parlé. »
« Jésus répondit : Ce n'est pas pour moi que
cette voix est venue, c'est pour vous. » — S. AUG.
Cette voix n'apprenait donc point au Sauveur ce qu'il savait déjà, mais
elle donnait cette connaissance à ceux qui en avaient besoin. De même donc que
ce n'est point pour lui, mais pour nous que cette voix se fit entendre ; ainsi
ce n'est point pour lui, mais pour notre instruction qu'il permit que sou âme
fût troublée. — S. CHRYS. (hom.
67.) La voix du Père se fait entendre ici pour répondre à ce qu'ils ne
cessaient de dire : que Jésus ne venait pas de Dieu, car comment Dieu
pourrait-il glorifier celui qui ne viendrait pas de Dieu ? Vous voyez que
toutes les actions empreintes d'un caractère plus humble, sont faites pour les
hommes et non pour le Fils, qui n'en avait nul besoin. Le Père a dit : « Je le
glorifierai. » Voici de quelle manière : « C'est maintenant le jugement du
monde. » — S. AUG. (Traité 52.)
Le jugement que nous attendons à la fin des siècles, sera le jugement des
récompenses et des châtiments éternels. Il y a encore un autre jugement, non de
condamnation, mais de discernement, c'est ce discernement que Jésus appelle
jugement, aussi bien que l'expulsion du démon des âmes, qu'il a rachetées :
« Maintenant le prince du monde sera jeté dehors. » Gardons-nous de croire
que le démon soit appelé le prince du monde dans ce sens qu'il exerce un empire
absolu dans le ciel et sur la terre ; le monde ici, c'est l'ensemble des hommes
méchants qui sont répandus sur toute la surface de la terre. Le prince de ce
monde, c'est donc le prince des méchants qui habitent le monde. Le monde est
pris aussi quelquefois pour les bons qui sont également répandus par tout
l'univers ; c'est dans ce sens que l'Apôtre dit : « Dieu était en Jésus-Christ,
se réconciliant le monde. » (2 Co 7) C'est de leurs cœurs que le
prince du monde devait être chassé, car le Seigneur prévoyait qu'après sa
passion et sa glorification, un grand nombre de peuples répandus dans tout
l'univers croiraient en lui. Le démon était dans leur cœur, et il est chassé
dehors quand ils renoncent an démon en embrassant la foi. Mais est-ce donc que
le démon n'a pas été chassé du cœur des justes de l'ancienne loi ? Pourquoi
donc le Sauveur dit-il ici : « Maintenant le prince du monde va être
jeté dehors ? » C'est-à-dire que ce qui ne s'est fait qu'en faveur d'un
très-petit nombre, doit se réaliser pour une multitude innombrable de peuples.
Mais dira-t-on encore : De ce que le démon a été chassé dehors, s'ensuit-il que
tous les fidèles soient à l'abri de ses tentations ? Tout au contraire, il ne
cesse de tenter les hommes, mais il y a une grande différence entre attaquer
extérieurement et régner dans l'intérieur de l'âme.
S. CHRYS.
Mais quel est ce jugement par lequel le démon est chassé ? La
comparaison suivante le fera comprendre : supposez un créancier impitoyable qui
maltraite ses débiteurs et les jette dans les fers, et qui, emporté par sa
fureur insensée, fait jeter dans le même cachot celui qui ne lui doit rien. Ce
dernier lui fera expier l'injustice des mauvais traitements qu'il a soufferts
et de ceux qu'il a fait souffrir aux autres. C'est ce qu'a fait Jésus-Christ ;
il a tiré vengeance du joug tyrannique que le démon a fait peser sur nous, et
de son entreprise insolente contre Jésus-Christ lui-même. Mais comment
sera-t-il jeté dehors, s'il triomphe du Sauveur lui-même ? Il répond à cette
objection, en ajoutant : « Et moi, quand j'aurai été élevé de terre,
j'attirerai tout à moi. » Comment, en effet, celui qui entraîne les autres
pourrait-il être vaincu ? Dire : « J'attirerai tout à moi, » c'est dire plus
que : « Je ressusciterai ; » car de la prédiction qu'il ressusciterait, il ne
s'ensuivait pas nécessairement qu'il attirerait tout à lui, mais l'expression :
« J'attirerai tout à moi, » supposait les deux choses. — S. AUG. Or quelles sont toutes ces choses
qu'il doit attirer à lui, si ce n'est celles dont le démon doit être chassé ?
Remarquez qu'il ne dit pas : Je les attirerai tous, car tous les hommes n'ont
pas la même foi. Ces paroles ne se rapportent donc pas à l'universalité des
hommes, mais à l'ensemble de la nature humaine, c'est-à-dire, à l'esprit, à
l'âme, au corps, à ce qui est en nous la cause de la pensée, de la vie, et à ce
qui fait de nous des créatures visibles. Ou bien, s'il faut entendre des hommes
cette expression : « Toutes choses, » il faut l'appliquer aux prédestinés ou à
toutes les espèces d'hommes séparés entre eux, à l'exception du péché, par
d'innombrables différences. — S. CHRYS. Mais
comment expliquer ce que Nôtre-Seigneur dit plus haut, que : « Son Père
nous attire ? » Parce que c'est le Père qui attire, lorsque le Fils lui-même
attire. Il dit : « J'attirerai, » expression qui signifie qu'il
délivre les captifs de la tyrannie, et qu'il rend la liberté à ceux qui ne
peuvent venir d'eux-mêmes et briser les chaînes de leur servitude. — S. AUG.
Mais « si une fois je suis élevé de terre, » c'est-à-dire, « lorsque je
serai élevé, » car il n'a aucun doute sur la réalisation prochaine du mystère
qu'il doit accomplir, et c'est sa mort sur la croix qu'il désigne sous le nom
d'élévation. C'est pour cela que l'Evangéliste ajoute : « Ce qu'il disait,
pour marquer la mort dont il devait mourir. »
S. AUG. (Traité 47.) Les Juifs ayant
compris que Nôtre-Seigneur avait parlé de sa mort, lui demandent comment il
pouvait dire qu'il devait mourir : » Le peuple lui répondit : Nous avons appris
par la loi que le Christ demeure éternellement, comment dites-vous donc : Il
faut que le Fils de l'homme soit élevé ? » Ils avaient conservé dans leur
mémoire que le Seigneur se disait continuellement le Fils de l'homme, car le
Sauveur n'avait point employé ici cette dénomination : Lorsque le Fils de
l'homme sera élevé, comme précédemment : « L'heure vient où le Fils de
l'homme sera glorifié. » Ils avaient donc présent à l'esprit ce nom qu'il se
donnait, lorsqu'ils lai font cette question : « Si le Christ demeure
éternellement, comment sera-t-il élevé sur la terre ? » c'est-à-dire, comment
mourra-t-il de la mort de la croix ? — S. CHRYS.
Nous voyons ici qu'ils comprenaient un grand nombre des choses que le
Sauveur leur disait dans un sens parabolique; il leur avait prédit plus haut sa
mort, et ils entendent dans ce sens ce qu'il dit de son élévation. — S. AUG. Ou bien ils comprirent qu'il leur
parlait de ce qu'ils avaient l'intention de faire, ce ne fut donc point une
lumière reçue d'en haut, mais leur conscience agitée par le remords qui leur
révèle l'obscurité de ces paroles. — S. CHRYS.
Voyez quelle malice dans cette question ; ils ne s'expriment pas de
cette manière : Nous avons appris par la loi que le Christ doit être exempt de
souffrances (car dans une foule d'endroits, les saintes Ecritures annoncent en même temps sa passion et sa
résurrection), mais ils disent : « Nous avons appris que le Christ demeure
éternellement. » Et il n'y avait en cela aucune contradiction, car la passion
du Sauveur n'est point devenue un obstacle à son immortalité. Mais les Juifs
s'imaginaient qu'ils prouveraient par là qu'il n'était pas le Christ, parce que
le Christ doit demeurer éternellement. Ils ajoutent : « Quel est ce Fils
de l'homme ? » question également pleine de malice et dont voici le sens :
N'allez pas dire que nous vous faisons cette question par un sentiment de
haine, car nous ne savons pas de qui vous voulez parler. Nôtre-Seigneur leur
répond en leur démontrant que sa passion n'est pas un obstacle à ce qu'il
demeure éternellement : « Jésus leur dit : La lumière est encore pour un peu de
temps au milieu de vous. » Il leur apprend par là que la mort n'est qu'un
passage, de même que la lumière du soleil ne s'éteint pas, mais se retire un
peu de temps pour reparaître bientôt. — S. AUG.
Ou bien encore, la lumière qui vous fait comprendre que le Christ
demeure éternellement est pour un peu de temps au milieu de vous ; marchez donc
à cette lumière, tandis que vous en jouissez, en d'autres termes : Approchez,
comprenez la vérité tout entière, c'est-à-dire, que le Christ doit mourir et
vivre éternellement. — S. CHRYS. Il
veut parler ici du temps de cette vie tout entière, de celui qui devait
précéder sa croix comme de celui qui devait la suivre, car un grand nombre
crurent en lui après la passion : « De peur que les ténèbres ne vous
surprennent. » — S. AUG. Si vous
ne voulez croire l'éternité du Christ, qu'en niant l'humiliation de sa mort.
« Et celui qui marche dans les ténèbres ne
sait où il va. » De quels crimes énormes les Juifs se rendent maintenant
coupables ! Ils ne
savent
ce qu'ils font, mais tout en marchant dans les ténèbres, ils s'imaginent suivre
le droit chemin, tandis qu'ils s'égarent dans une fausse voie, et c'est pour
cela que le Sauveur ajoute : « Pendant que vous avez la lumière, croyez en la
lumière. » — S. AUG. C'est-à-dire,
tandis que vous retenez encore quelque parcelle de la vérité, croyez en la
vérité, pour que vous puissiez renaître à la vérité : « Afin que vous soyez des
enfants de lumière. » — S. CHRYS. (hom.
68.) C'est-à-dire, mes enfants. Au commencement de son Evangile, saint Jean
dit qu'ils sont nés de Dieu, c'est-à-dire, du Père ; ici, d'après ses paroles,
c'est lui-même qui les engendre, pour vous faire comprendre que le Père et le
Fils ont une seule et même action.
« Jésus dit ces choses, puis il s'en
alla et se cacha d'eux. » — S. AUG. Il
ne se cacha pas de ceux qui avaient commencé à croire en lui et à l'aimer, mais
de ceux qui, témoins de ces merveilles, nourrissaient contre lui une noire
envie. En se dérobant ainsi à ses ennemis, il a égard à notre faiblesse, il ne
déroge pas à sa puissance divine. — S. CHRYS.
Mais pourquoi se cacher, alors qu'ils ne cherchaient pas à le lapider,
et qu'ils ne proféraient aucun blasphème ? Il pénétrait le fond de leurs
cœurs, il y voyait la fureur dont ils étaient animés contre lui, et il
n'attendit pas qu'elle se traduisît en excès sacrilèges. Il se cache donc pour
calmer ainsi leur jalousie.
S. CHRYS.
(hom. 67 sur S. Jean.) Notre-Seigneur connaissait la haine
furieuse des Juifs, qui méditaient sa mort, et c'est le motif qui le porte à se
cacher, comme l'Evangéliste semble l'indiquer par ces paroles : « Mais,
quoiqu'il eût fait tant de miracles devant eux, ils ne croyaient point en lui,
» etc. — THEOPHYL. Ils furent
grandement coupables de ne pas croire à de si grands miracles. Ces miracles
sont ceux dont il a été parlé plus haut. — S. CHRYS.
Et, pour qu'on ne pût excuser leur incrédulité, en disant qu'ils ne
savaient pas l'objet de la mission du Christ, l'Evangéliste apporte le
témoignage des prophètes qui ont connu cet objet : « De sorte que cette parole
d'Isaïe fût accomplie : Seigneur, qui a cru à votre parole, et à qui le bras du
Seigneur a-t-il été révélé ? — ALCUIN. Le
Prophète dit : « Qui a cru ? » pour exprimer le petit nombre de ceux qui
ont cru à ce que les sainte prophètes avaient appris de Dieu et annoncé au
peuple. — S. AUG. (Traité 53
sur S. Jean.) Il fait assez entendre que ce bras du Seigneur c'est le
Fils de Dieu lui-même, non pas que Dieu le Père ait une forme humaine, mais il
l'appelle le bras de Dieu, parce que toutes choses ont été faites par lui. (Jn
1) Si un homme, en effet, avait une puissance assez grande pour exécuter ce
qu'il veut sans aucun mouvement de son corps, sa parole serait pour ainsi dire
son bras. Cette expression ne peut nullement appuyer l'erreur de ceux qui
prétendent qu’il n'y a que la personne
du Père, si le Fils est son bras, puisque l'homme et le bras ne forment qu'une
seule personne. Ils ne comprennent pas qu'une expression puisse être détournée
de sa signification naturelle pour être appliquée à un genre de choses tout
différent, à cause de certains points d'analogie et de ressemblance.
Il en est d'autres qui demandent, en
murmurant, en quoi les Juifs ont été coupables, s'il fallait que la prophétie
d'Isaïe fût accomplie ? Nous répondons que Dieu, dans la connaissance qu'il a
de l'avenir, a prédit l'incrédulité des Juifs, sans en être l'auteur ; car Dieu
ne force aucun homme à pécher, par là même qu'il prévoit les péchés que
commettront les hommes. Ce sont leurs péchés qu'il prévoit, et non les siens.
Les Juifs se rendirent donc coupables d'un crime qui avait été prévu et prédit
par celui à qui rien ne peut être caché. — S. CHRYS.
Dans cette locution : « Afin que la prophétie d'Isaïe fut accomplie, »
la particule afin que n'indique pas la cause, mais l'effet ; car, si les
Juifs n'ont pas cru, ce n'est point parce qu'Isaïe l'avait prédit, mais e'est,
au contraire, parce qu'ils devaient être incrédules, qu'Isaïe a prédit leur
incrédulité. — S. AUG. Cependant les paroles qui suivent soulèvent une
difficulté plus grave ; en effet, l'Evangéliste ajoute : « C'est pour cela
qu'ils ne pouvaient croire ; » parce qu'Isaïe a dit encore « Il a aveuglé leurs
yeux, et il a endurci leur cœur, de peur qu'ils ne voient des yeux, et ne
comprennent du cœur, » etc. Or, s'ils ne pouvaient croire, quel est le crime
d'un homme qui ne fait point ce qui lui est impossible de faire ? Et, ce qu'il
y a de plus grave ici, c'est que Dieu paraît être la cause de leur incrédulité,
puisque c'est lui qui a aveuglé leurs yeux et endurci leur cœur ; car ce n'est
point au démon, mais à Dieu, que l'Evangéliste attribue cet aveuglement. Mais pourquoi donc ne pouvaient-ils croire ? Je réponds :
Parce qu'ils ne le voulaient pas ; car, de même que c'est la gloire de la
volonté divine que Dieu ne puisse se démentir lui-même, ainsi c'est la faute de
la volonté humaine de ne pouvoir croire à la parole divine. — S. CHRYS. Cette manière de parler est
passée en usage ; c'est ainsi que l'on dit : Nous ne pouvons l'aimer, en
rejetant sur l'impuissance de la volonté ce qui est l'effet d'une violente
antipathie. L'Evangéliste se sert de cette expression : « Ils ne pouvaient pas,
» pour montrer qu'il était impossible que le Prophète ait fait une fausse
prédiction ; mais ce n'est point cette prédiction qui leur rendait la foi
impossible, car Isaïe ne l'eût point faite s'ils avaient dû croire.
S. AUG.
Mais, direz-vous, le Prophète indique une autre cause que leur volonté,
quand il ajoute : « Il a aveuglé leurs yeux, » etc. Je réponds que c'est leur
volonté qui a mérité cet aveuglement, car Dieu aveugle et endurcit, en
abandonnant et en refusant son secours, ce qu'il peut faire par un jugement
secret, mais qui ne peut jamais être injuste. — S. CHRYS. Dieu, en effet, ne nous abandonne que lorsque nous le
voulons, selon ces paroles du prophète Osée : « Vous avez oublié la loi de
votre Dieu, je vous oublierai moi-même. » (Os 4, 6.) Il parle ainsi pour
nous apprendre que c'est nous qui commençons nous-mêmes l'œuvre de notre
réprobation, et qui devenons la cause de notre perte. De même que le soleil
blesse une vue malade, bien que cet effet ne soit point dans sa nature, ainsi
arrive-t-il pour ceux qui ne font nulle attention aux enseignements divins. Or,
ces paroles de l'Ecriture: « Il a aveuglé et endurci, » sont propres à jeter
l'effroi dans l'âme des auditeurs.— S. AUG.
Dans celles qui suivent : « Et que venant à se convertir, je les
guérisse, » faut-il sous-entendre la particule négative ne (c'est-à-dire
que ne se convertissant pas), car la conversion est un effet de sa grâce ?
Ou bien n'est-ce point par un effet de la bonté de ce divin Médecin que les
Juifs, pour avoir voulu établir leur justice orgueilleuse (Rm 10), aient
été abandonnés et aveuglés pour un temps, afin qu'ils viennent heurter contre
la pierre de scandale (Rm 9, 32), que leur face soit
couverte de confusion (Ps 82, 17), et qu'ainsi
humiliés, ils cherchent non plus celte justice personnelle qui enfle le
superbe, mais la justice de Dieu, qui justifie l'impie ? Car, ce châtiment a
été une cause du salut pour un grand nombre d'entre eux qui, repentants de leur
crime, ont cru ensuite en Jésus-Christ. l'Evangéliste ajoute : «
Isaïe a dit ces choses lorsqu'il a vu sa gloire et qu'il a parlé de lui. » Il a
vu sa gloire non telle qu'elle est en elle-même, mais sous une forme
symbolique, comme il convenait que Dieu la révélât à un prophète. Ne vous
laissez donc point induire en erreur par ceux qui enseignent que le Père est
invisible, et que le Fils seul est visible, et qui soutiennent qu'il est une
simple créature ; car le Fils est également invisible dans sa nature divine,
qui le rend égal au Père. Il s'est revêtu de la forme du serviteur pour se
rendre visible. Mais avant même son incarnation, il s'ost manifesté aux yeux
des hommes sous une forme créée et non tel qu'il est. — S. CHRYS. La gloire dont il parle ici est
celle qui se révéla aux yeux du prophète, lorsqu'il vit Celui qui était assis
sur un trône élevé, il tout ce qui est rapporté en cet endroit. l’Evangéliste
ajoute : « Et qu'il a parlé de lui. » Qu'a-t-il dit de lui ? « J'ai vu le
Seigneur assis, et j'ai entendu la voix qui me disait : Qui enverrai-je, et qui
ira, » etc. « Néanmoins plusieurs des sénateurs eux-mêmes crurent en lui ; mais à cause des pharisiens, ils n'osaient le
reconnaître publiquement, de crainte d'être chassés de la synagogue ; car, ils
ont plus aimé la gloire des hommes que la gloire de Dieu. » — ALCUIN. La gloire de Dieu, c'est de
confesser publiquement le Christ : la gloire des hommes, c'est de se glorifier
dans les vanités du monde. — S. AUG. L'Evangéliste
condamne donc ceux qui auraient pu s'élever, par l'amour, au-dessus de ce
premier degré de la foi, et triompher ainsi des tentations de la gloire
humaine.
S. CHRYS.
(hom. 69 sur S. Matth.) Comme l'amour de la gloire,
humaine empochait les princes du peuple d'avouer qu'ils croyaient en
Jésus-Christ, le Sauveur s'élève avec force contre cette passion : « Jésus
s'écria et dit : Celui qui croit en moi, ne croit point en moi, mais en celui
qui m'a envoyé. » Comme s'il leur disait : Pourquoi redoutez-vous de croire en
moi ? Votre foi arrive jusqu'à Dieu par moi. — S. AUG. (Traité 52 sur S. Jean.) Les hommes ne
voyaient que son humanité, qui voilait sa
divinité, et pouvaient penser qu'il n'était que ce qu'il paraissait à leurs
yeux. Le Sauveur, qui voulait que l'on crût sa nature et sa majesté égales à la
nature et à la majesté de son Père, dit aux Juifs : « Celui qui croit en
moi, ne croit point en moi, » c'est-à-dire, en ce qu'il voit de ses yeux, mais
en celui qui m'a envoyé ; c'est-à-dire, en mon Père. Car, s'il pense que mon
Père n'a que des fils selon la grâce, et qu'il n'a point de Fils qui lui soit
égal et coéternel, il ne croit point au Père, qui l'a envoyé, parce que tel
n'est point le Père, qui l'a envoyé. Et, comme il ne veut pas laisser supposer
que son Père a bien engendré un grand nombre d'enfants par la grâce, mais qu'il
n'est point le Père d'un Fils qui lui soit égal, il ajoute aussitôt : « Et
celui qui me voit, voit celui qui m'a envoyé. » C'est-à-dire, il est si vrai
qu'il n'y a point de différence entre mon Père et moi, que celui qui me voit,
voit celui qui m'a envoyé. Certainement c'est le Seigneur qui a envoyé les
Apôtres, jamais cependant aucun d'eux n'a osé dire : « Celui qui croit en moi ;
» car, nous croyons à l'apôtre, mais nous ne croyons pas en l'apôtre. Le Fils
unique au contraire peut dire avec raison : « Celui qui croit en moi, ne
croit pas en moi, mais croit en celui qui m'a envoyé. » Non pas qu'il
repousse la foi de celui qui croit en lui, mais il ne veut pas que cette foi
s'arrête à la forme du serviteur.
S. CHRYS.
Ou bien encore, ces paroles : « Celui qui croit en moi, ne croit
point en moi, mais en celui qui m'a envoyé, » doivent être entendues dans ce
sens : Celui qui reçoit l'eau d'un fleuve, ne reçoit pas l'eau du fleuve, mais
l'eau qui sort de la source. Or, le Sauveur voulant montrer qu'on ne peut
croire en Dieu le Père sans croire en lui, ajoute : « Celui qui me voit, voit
celui qui m'a envoyé. » Quoi donc, est-ce que Dieu est un corps ? Non, sans
doute ; mais le Sauveur donne ici le nom de vision à la considération du vrai,
qui se fait par l'intelligence. Il explique ensuite ce qu'est la connaissance
du Père, en ajoutant : « Et moi, qui suis la lumière, je suis venu en ce monde.
» Comme le Père est appelé la lumière, le Sauveur emploie et s'applique partout
ce nom. Il s'appelle ici la lumière, parce qu'il nous délivre de l'erreur et
dissipe les ténèbres de l'intelligence ; c'est pour cela qu'il ajoute : « Afin
que tous ceux qui croient en moi, ne demeurent pas dans les ténèbres. » — S.
AUG. Il nous fait assez comprendre par là qu'il a trouvé tous les hommes
plongés dans les ténèbres ; mais, s'ils veulent sortir des ténèbres au milieu
desquelles il les a trouvés, il leur faut croire dans la lumière qui est venue
dans le monde. Dans un autre endroit, il dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière
du monde. » Il ne leur dit pas, toutefois : Vous êtes venus dans le monde comme
étant la lumière, afin que tout homme qui croit en vous ne demeure pas dans les
ténèbres. Tous les saints sont donc des lumières ; mais c'est en croyant en
Jésus-Christ qu'ils sont éclairés par lui, dont on ne peut se séparer sans
retomber dans les ténèbres.
S. CHRYS.
Le Sauveur veut éloigner la pensée que l'impunité, dont semblent jouir
ceux qui le méprisent, vient de sa faiblesse, et il ajoute : « Si quelqu'un
écoute mes paroles, et ne les garde pas, je ne le juge pas. » — S. AUG. Il faut entendre : Je ne le juge
pas actuellement, puisqu'il dit dans un autre endroit : « Le père a donné
tout pouvoir de juger à son Fils. » (Jn 5) Pourquoi ne juge-t-il pas
maintenant ? Il en donne lui-même la raison : « Car je ne suis pas venu pour
juger le monde, mais pour sauver le monde. » C'est donc maintenant le
temps de la miséricorde : viendra ensuite celui du jugement. — S. CHRYS. Mais de peur que ce délai ne
devienne une cause de relâchement, il rappelle l'idée de ce terrible jugement :
« Celui qui me méprise et ne reçoit pas mes paroles, a quelqu'un qui le
jugera. » — S. AUG. Il ne dit pas
: Je ne le jugerai pas au dernier jour, ce qui serait en contradiction avec ce
qu'il a dit plus haut : « Il a donné tout pouvoir de juger à son Fils. »
Les paroles : « Celui qui me méprise, a quelqu'un qui le jugera, » donnaient
naturellement lieu à cette question : Quel est celui qui jugera ?
Nôtre-Seigneur la prévient, en ajoutant : « Ce sera la parole même que j'ai
annoncée qui le jugera an dernier jour. » En s'exprimant de la sorte, il
fait assez entendre que c'est lui-même qui doit juger au dernier jour ; car, il
s'est affirmé lui-même, il s'est annoncé et fait connaître lui-même. Ceux donc qui
n'ont point entendu sa parole, n'auront point le même jugement à subir que ceux
qui ne l'ont entendue que pour la mépriser.
S. AUG.
(De la Trin., 1, 12.) C'est la parole annoncée par le Fils, qui
jugera an dernier jour; parce que le Fils n'a point parlé de lui-même. « Car,
ajoute-t-il, je n'ai point parlé de moi-même. » Mais je me demande comment nous
devons entendre ces paroles : « Ce n'est pas moi qui jugerai, ce sera la parole
que j'ai annoncée qui jugera, » puisqu'il est lui-même la parole du Père. On
peut les expliquer de la sorte : Je ne jugerai pas en vertu d'un pouvoir
humain, parce que je suis le Fils de l'homme, mais je jugerai par la puissance
du Verbe de Dieu, parce que je suis le Fils de Dieu. — S. CHRYS. On bien encore : « Je ne le
juge pas, » c'est-à-dire, je ne suis pas la cause de sa perte, qui ne doit être
imputée qu'à celui qui méprise mes paroles ; car, ces paroles que j'ai dites prendront le rôle
d'accusateur, et enlèveront toute excuse. C'est pour cela qu'il ajoute : « La
parole que j'ai annoncée, le jugera. » Et quelle est cette parole? Celle que je
n'ai point dite de moi-même, mais qui est la parole de mon Père, qui m'a envoyé
; car c'est lui qui m'a prescrit, par son commandement, ce que je dois dire, et
comment je dois parler. Toutes les vérités qu'il leur annonçait étaient donc
dans leur intérêt, et aussi pour les rendre inexcusables s'ils refusaient d'y
croire.
S. AUG. Or, le Père n'a point donné au Fils
un commandement qu'il n'avait pas auparavant ; car tous les commandements du
Père émanent de la sagesse du Verbe, qui est le Verbe du Père. Nôtre-Seigneur
dit que ce commandement lui est donné parce que celui à qui il est donné
n'existe pas de lui-même. Donner au Fils ce sans quoi il n'a jamais été Fils,
c'est engendrer le Fils, qui n'a jamais cessé d'exister. — THEOPHYL. Comme le Fils est le Verbe du
Père, et qu'il révèle et qu'il explique dans toute leur vérité ce qui est dans
l'intelligence du Père, il dit qu'il a reçu le commandement qui lui prescrit ce
qu'il doit dire, et commentai doit parler. C'est ainsi que notre parole,
lorsque nous voulons dire la vérité, ne fait qu'énoncer ce que la pensée lui
suggère.
« Et je sais que son commandement est la
vie éternelle. » — S. AUG. Si donc le Fils est la vie éternelle, et que la vie
éternelle soit le commandement du Père, quelle conclusion tirer de ces paroles,
si ce n'est : Je suis le commandement du Père ? Ainsi lorsqu'il ajoute :
« Ce que je dis donc, je le dis selon que mon Père me l'a enseigné, » il
ne faut pas l'entendre dans ce sens que Dieu ait adressé une parole extérieure
à son Verbe. Le Père a donc parlé au Fils de la même manière qu’il lui a donné la vie,
non en lui faisant connaître ce qu'il ignorait, ou en lui donnant ce qu'il
n'avait pas, mais en lui donnant ce par quoi il était son Fils. Que signifient
ces paroles : « Comme il dit, je parle, » si ce n'est : Je parle comme étant le
Verbe ? Le Père parle comme étant essentiellement vrai ; le Fils parle comme
étant la vérité. Celui qui est vrai a
engendré la vérité ; que pourrait-il donc dire à la vérité ? Car la vérité
n'était point dans cet état d'imperfection qui la rendit susceptible d un
accroissement quelconque de vérité
théophyl. Nôtre-Seigneur, sur
le point de quitter ce monde, veut nous faire connaître l'amour qu'il avait
pour les siens : « Avant la fête de Pâque, dit l'Evangéliste, Jésus
sachant que son heure était venue, » etc. — BEDE.
Les Juifs avaient plusieurs fêtes, mais la plus célèbre et la plus
solennelle était celle de Pâque, comme l'Evangéliste veut le faire remarquer
par ces paroles : « Avant la fête de Pâque, » etc. — S. AUG. (Traité 55.)
Le mot pâque n'est pas un mot grec, comme quelques-uns le pensent, c'est un mot
hébreu, cependant ce mot a dans les deux langues un rapport frappant d'analogie
: souffrir se dit en grec πάσχειν, et c'est
pour cela que le mot pâque a été considérer comme synonyme de passion, comme
s'il tirait de là son étymologie. Dans sa langue propre, au contraire,
c'est-à-dire, dans l'hébreu, le mot Pâque signifie passage, et la raison
de ce nom, c'est que le peuple de Dieu a célébré pour la première fois cette
fête, lorsqu'après s'être enfui de l'Egypte, il eut traversé la mer Rouge. Or,
cette figure prophétique a trouvé son accomplissement véritable, lorsque
Jésus-Christ a été conduit comme une brebis à la mort. C'est alors que par la
vertu de son sang qui a marqué les poteaux de nos portes, c'est-à-dire, par la
vertu du signe de la croix empreint sur nos fronts, nous avons été délivrés de
la servitude de ce monde, comme de la captivité d'Egypte, et nous accomplissons
de nouveau ce passage salutaire, lorsque nous passons du démon à Jésus-Christ,
et de ce monde inconstant dans le royaume dont les fondements sont
inébranlables. L'Evangéliste semble nous donner cette explication du mot pâque,
lorsqu'il dit : « Jésus sachant que son heure était venue de passer de ce
monde à son Père. Voilà la Pàque, voilà le passage. » — S. CHRYS. (hom. 70 sur S. Jean.)
Il le savait auparavant, et non-seulement de ce moment, et ce passage c'est
sa mort.
Sur le point de quitter ses disciples, il
leur donne des marques plus sensibles de son amour, c'est ce que l'Evangéliste
veut nous exprimer par ces paroles : « Comme il avait aimé les siens qui
étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin, » c'est-à-dire, il n'oublia
rien de ce que peut inspirer un grand amour. Il n'avait pas agi de la sorte dès
le commencement, mais il avait été progressivement pour augmenter leur
affection pour lui, et leur préparer une source de consolation au milieu des
épreuves qui les attendaient. Il les appelle siens, à cause de l'intimité qu'il
avait avec eux, car dans un autre endroit, il donne ce nom à ceux qui n'avaient
avec lui que les rapports de nature : « Les siens ne l'ont point reçu, dit
saint Jean. » Il ajoute : « Qui étaient dans le monde, » parce
qu'il y en avait aussi des siens parmi les morts (comme Abraham, Isaac et
Jacob), mais qui n'étaient pas dans le monde. Il aima donc sans jamais cesser,
les siens qui étaient dans le monde, et leur donna
des témoignages d'un amour parfait, c'est ce que signifient ces paroles : « Il
les aima jusqu'à la fin. » — S. AUG. Ou bien encore : « Il les aima
jusqu'à la fin, » pour les faire passer par le moyen de l'amour de ce monde à
celui qui était leur chef. Que signifient, en effet, ces paroles : « Jusqu'à la
fin ? » Jusque dans Jésus-Christ, car Jésus-Christ est la fin de la loi pour
justifier tous ceux qui croient (Rm 10), la fin qui perfectionne et non
la fin qui donne la mort. Il me semble qu'on pourrait encore entendre ces
paroles dans ce sens trop naturel peut-être, que Jésus-Christ a aimé les siens
jusqu'à la mort, mais à Dieu ne plaise, que la mort ait mis fin à l'amour de
celui dont elle n'a pu faire cesser l'existence, à moins qu'on ne l'entende de
cette manière : Il les a aimés jusqu'à la mort, c'est-à-dire, son amour l'a
porté à mourir pour eux.
« Et le souper étant fait, » c'est-à-dire,
étant complètement préparé et servi sur la table devant les convives, car nous
ne devons pas entendre qu'il fut fait en ce sens qu'il fut tout à fait terminé
; le souper durait encore, lorsque Jésus se leva de table pour laver les pieds
de ses disciples, puisqu'il se remit ensuite à table, et donna un morceau de
pain à son traître disciple. Quant à ces paroles : « Le démon ayant déjà
mis dans le cœur de Judas, » etc. ; si vous me demandez ce que le démon mit
dans le cœur de ce perfide disciple, je répondrai que ce fut le dessein de le
trahir, cette action du démon fut une suggestion intérieure qui eut lieu, non
par l'oreille, mais par la pensée, car le démon envoie pour ainsi dire ses
suggestions dans les âmes pour les mêler aux pensées de l'homme. Il avait donc
déjà mis dans le cœur de Judas le dessein de trahir son maître. — S. CHRYS. L'Evangéliste rapporte avec un
profond étonnement, que le Seigneur a lavé les pieds de celui qui était déjà
résolu à le trahir, et il fait ressortir la profonde malice de ce traître
disciple, qui ne fut point arrêté par cette douce et intime communauté de table
et de vie, qui éteint ordinairement tout sentiment de haine.
S. AUG.
Avant de nous décrire la profonde humilité du Sauveur, l'Evangéliste
veut nous remplir de l'idée de ses grandeurs : « Jésus sachant que son
Père lui avait remis toutes choses entre les mains, » etc., donc jusqu'au
traître lui-même. — S. GREG. (Moral.,
6, 11 ou 12.) Il savait que Dieu lui avait remis entre les mains jusqu'à
ses persécuteurs eux-mêmes, afin qu'il fît servir à l'accomplissement de ses
desseins miséricordieux, tout ce que leur cruauté à qui Dieu avait comme lâché
les rênes, pourrait inventer contre lui. — ORIG.
(Tr. 32 sur S. Jean.) Le Père lui a remis toutes choses
entre les mains, c'est-à-dire, a tout remisa son action, à sa puissance, car
mon Père, dit le Sauveur, ne cesse d'agir jusqu'à présent, et moi-même j'agis
également. Ou bien encore, son Père a remis tout entre ses mains qui embrassent
toutes choses, afin que toutes choses lui soient soumises. — S. CHRYS. Ce tout qui lui est remis entre
les mains, c'est surtout le salut des fidèles. Mais que cette expression ne
vous fasse soupçonner rien d'humain, elle exprime simplement l'honneur que le
Fils rend à son Père, et la parfaite harmonie qui existe entre eux. En effet,
de même que le Père lui a remis toutes choses, lui aussi a remis toutes choses
à son Père, comme le dit saint Paul : « Lorsqu'il aura remis le royaume à Dieu
et au Père. » (1 Co 15) — S. AUG.
Sachant qu'il sort de Dieu et qu'il retourne à Dieu, bien qu'il ne se
soit pas séparé de Dieu lorsqu'il en est sorti et qu'il ne nous abandonne pas
lorsqu'il retourne vers Dieu. THEOPHYL. Comme
le Père lui avait remis toutes choses entre les mains, c'est-à-dire, le salut
des fidèles, il jugeait convenable de leur enseigner tout ce qui pouvait
contribuer à leur salut. Il savait également qu'il était sorti de Dieu et qu'il
retournait à Dieu, il ne pouvait donc diminuer sa gloire en lavant les pieds de
ses disciples, car cette gloire il ne l'avait point usurpée et il n'y a que
ceux qui usurpent injustement les honneurs, qui refusent de s'abaisser dans la
crainte de perdre les dignités dont ils se sont emparé sans aucun droit. — S.
AUG. Alors que le Père lui avait tout remis entre les mains, il lave non pas
les mains, mais les pieds de ses disciples ; et lui qui savait qu'il était
sorti de Dieu et qu'il retournait à Dieu, il remplit l'office qui convient, non
au Seigneur Dieu, mais à un homme et à un serviteur. — S. CHRYS. Il était en effet digne de celui
qui est sorti de Dieu et qui retournait à Dieu, de fouler aux pieds toute
enflure et tout orgueil. Ecoutons la suite : » Il se lève de table, il pose ses
habits, et ayant pris un linge, il s'en ceignit ; il versa ensuite de l'eau
dans le bassin, et il commença à laver les pieds de ses disciples et à les
essuyer avec le linge qui était autour de lui. » Voyez quelle profonde
humilité, non-seulement dans l'action même de leur laver les pieds, mais dans
les circonstances qui l'accompagnent, car ce n'est pas avant de se mettre à
table, c'est après que tous sont assis qu'il se lève, et non-seulement il leur
lave les pieds, mais il pose ses vêtements, il se ceint d'un linge, et verse de
l'eau dans le bassin, sans donner cette commission jà un autre, il veut tout
faire lui-même pour nous apprendre avec quel soin nous devons pratiquer les
œuvres de charité.
ORIG. Dans le sens allégorique, le dîner qui
est le premier repas, a été servi à ceux qui ne sont encore qu'initiés avant
qu'ils soient arrivés an terme du jour spirituel qui s'accomplit dans cette
vie, tandis que le souper est le dernier repas, celui qu'on sert à ceux qui ont
atteint une perfection plus grande. On peut dire encore que le dîner c'est
l'intelligence des Ecritures anciennes, tandis que le souper, c'est la
connaissance des mystères cachés dans le Nouveau Testament. Je pense que ceux qui
doivent prendre ce dernier repas avec Jésus et s'asseoir à la même table au
dernier jour de cette vie, ont besoin d'être purifiés, non point dans les
parties les plus élevées du corps et de l'âme, mais dans les parties extrêmes
et qui sont en contact nécessaire avec la terre. L'Evangéliste raconte qu'il
commença à laver les pieds de ses disciples (car il acheva plus tard cette
opération), parce que les pieds des apôtres avaient été salis selon cette
parole : « Vous serez tous scandalisés cette nuit à mon occasion. » Il
acheva ensuite ce lavement des pieds, en donnant à ses apôtres une pureté
qu'ils ne devaient plus perdre.
S. AUG.
Il a déposé ses vêtements, lorsqu'il s'est anéanti lui-même, lui qui
était Dieu ; il s'est ceint d'un linge, lorsqu'il a pris la forme de serviteur;
il a versé de l'eau dans un bassin pour laver les pieds de ses disciples,
lorsqu'il a versé son sang sur la terre pour laver toutes les souillures de nos
péchés, il a essuyé leurs pieds avec le linge dont il était ceint, lorsqu'il
affermit les pas des évangélistes, par la chair mortelle dont il était revêtu ;
avant de se ceindre avec le linge, il quitta les habits dont il était revêtu ;
mais pour prendre la forme d'esclave dans
laquelle il s'est anéanti, il n'a point quitté ce qu'il avait, il a pris
seulement ce qu'il n'avait pas. Lorsqu'il fut crucifié, il fut dépouillé de ses
vêtements, et après sa mort son corps fut enveloppé dans un linceul, et sa
passion tout entière a pour fin de nous purifier.
ORIG. (Traite 32 sur S. Jean.) De
même qu'un médecin, qui est chargé de plusieurs malades à la fois, commence par
ceux dont l'état réclame premièrement ses soins ; ainsi Jésus-Christ, en lavant
les pieds de ses disciples, qui étaient couverts de poussière, commence par
ceux qui étaient plus souillés, et vient en dernier lieu à Pierre, comme ayant
moins besoin d'avoir les pieds lavés : « Il vint donc à Simon Pierre ; » à qui
la propreté presque entière de ses pieds conseillait la résistance : « Et
Pierre lui dit : Quoi ! Seigneur, vous me laveriez les pieds, » etc. — S. AUG.
Que signifient ces paroles : « Vous, à moi ? » Elles demandent à être méditées
plutôt qu'expliquées, de peur que la langue ne puisse rendre entièrement ce que
l'âme a pu en comprendre dignement. — S. CHRYS.
Ou peut dire encore que bien que Pierre fût le premier, il est probable
que le traître insensé s'était assis à table avant
lui, ce que l'Evangéliste semble avoir voulu indiquer, quand il dit : « Il
commença à laver les pieds, » et ensuite : « Il vint à Pierre. » — THEOPHYL. D'où il faut conclure qu'il
ne commence point par Pierre, et cependant aucun autre parmi les disciples
n'eût osé se placer avant Pierre pour le lavement des pieds.
S. CHRYS.
On demandera peut-être aussi comment il se fait qu'aucun autre disciple
ne se soit opposé à ce que Jésus lui lavât les pieds, à l'exception de Pierre,
qui donnait ainsi à Jésus un témoignage éclatant de son amour et de son respect
; et il semble qu'on pourrait conclure de là que le Sauveur n'avait lavé les pieds,
avant lui, qu'au seul traître, qu'il vint ensuite à Pierre, et que la leçon
qu'il lui donne s'adresse à tous les disciples. En effet, si Nôtre-Seigneur
avait commencé à laver les pieds d'un autre disciple, ce disciple l'en aurait
empêché par les mêmes paroles que Pierre. — ORIG.
Ou bien encore, tous présentaient leurs pieds au Sauveur, en disant que
celui qui était si élevé au-dessus d'eux ne leur lavait pas les pieds sans
raison ; mais Pierre, ne prenant conseil que de son profond respect pour Jésus,
ne voulait point présenter ses pieds pour que Jésus les lavât ; souvent, en
effet, l'Ecriture nous montre Pierre plein d'ardeur pour exprimer ce qui lui
paraissait le meilleur et le plus utile. — S. AUG.
Ou bien encore, nous ne devons point penser que Pierre seul, de tous les
disciples, se soit opposé avec un respect mêlé d'effroi à l'action du Sauveur,
tandis que les autres eussent souffert que Jésus leur lavât les pieds ; car on
ne peut admettre qu'il les eût lavés à d'autres auparavant, et qu'il ne fût arrivé
à Pierre qu'en second lieu (car qui ne sait que le bienheureux Pierre était le
premier des disciples ?) Il a donc commencé par Pierre. Quand il commença à
laver les pieds de ses disciples, il vint d'abord à celui par lequel il
commença, c'est-à-dire à Pierre, et c'est alors que Pierre exprima ce sentiment
de frayeur et d'étonnement que tous les autres auraient éprouvé également.
« Jésus lui
répondit : Vous ne savez pas maintenant ce que je fais, mais vous le saurez par
la suite. » — S. CHRYS. C'est-à-dire
l'utilité de cet enseignement, et comment l'humilité suffit pour conduire
jusqu'à Dieu. — ORIG. Ou bien le
Seigneur veut nous faire comprendre que cette action cache un mystère ; en
effet, en lavant leurs pieds et en les essuyant, il les rendait éclatants de
blancheur, comme il convenait à ceux qui devaient évangéliser la vertu (Rm 10
; Is 52), montrer le
chemin de la sainteté, et marcher par celui qui a dit : « Je suis la voie.
» (Jn 14) Jésus devait déposer ses vêtements avant de laver les pieds de
ses disciples, afin de rendre plus purs encore leurs pieds, qui l'étaient déjà,
ou pour recevoir sur son propre corps les souillures de leurs pieds, en ne
gardant que le linge dont il était ceint ; car, « il a lui-même porté
toutes nos langueurs. » (Is 53) Remarquez encore qu'il ne choisit pas
d'autre temps pour laver les pieds de ses disciples que celui où le diable
était déjà entré dans le cœur de Judas pour lui inspirer le dessein de livrer
le Sauveur à ses ennemis, et où le mystère de la rédemption des hommes allait
s'accomplir. Avant ce moment, il n'eût point été opportun que Jésus leur lavât
les pieds ; car, qui leur aurait rendu cet office dans le temps qui devait
s'écouler jusqu'à sa passion ? On ne pouvait non plus choisir le temps même de
la passion ; car il n'y avait point un autre Jésus pour leur laver les pieds ;
ni le temps qui la suivit, car alors leurs pieds furent purifiés par l'Esprit
saint ; c'est à ce mystère que le Seigneur fait allusion, quand il dit à Pierre
: « Vous n'êtes pas capable de le comprendre, mais vous le comprendrez plus tard, lorsqu'une lumière divine vous en
donnera l'intelligence. »
S. AUG.
Cependant Pierre, comme épouvanté de ce que le Sauveur voulait faire,
continue de s'opposera une action dont il ignorait le motif ; il ne peut
souffrir de voir Jésus-Christ s'humilier jusqu'à ses pieds, et il lui
dit : « De l'éternité vous ne me laverez les pieds. » C'est-à-dire,
jamais je ne le souffrirai ; car ce qui ne se fait de l'éternité, ne se fait
jamais — ORIG. Nous apprenons,
par cet exemple, qu'on peut dire dans une bonne intention, mais par ignorance,
une chose qui n'est point avantageuse. Pierre, en effet, ignorant combien cette
action du Sauveur devait lui être utile, s'en excuse en exprimant un doute
plein de respect et de douceur : « Quoi ! Seigneur, vous, me laver les
pieds ? » Ensuite il va plus loin : « Jamais vous ne me laverez les
pieds ? » et s'oppose ainsi à une action qui devait le faire entrer en
communication intime avec le Sauveur. En s'exprimant de la sorte, non-seulement
il reprend Jésus de l'inconvenance qu'il y a pour lui de laver les pieds de ses
disciples, mais il reproche aussi aux autres Apôtres de céder à ce désir
inconvenant en présentant leurs pieds à Jésus. Comme ce refus de Pierre ne
pouvait lui être avantageux, Notre-Seigneur ne voulut point lui donner raison :
Jésus lui répondit : « Si je ne vous lave point, vous n'aurez point de
part avec moi. » — S. AUG. Le Sauveur dit : « Si je ne
vous lave, » bien qu'il ne s'agisse que des pieds seuls, comme on dit : Vous
marchez sur moi, alors qu'on ne marche que sur les pieds.
ORIG. Comment ceux qui
refusent d'entendre, dans un sens tropologique ou moral ce passage et d'autres
semblables, pourront-ils expliquer que celui qui a dit à Jésus, par un sentiment de
respect : « Vous ne me laverez jamais les pieds, » n'ait point de part avec lui
pour ce seul fait de n'avoir point eu les pieds lavés par Jésus, comme s'il
s'agissait d'un crime énorme ? Nous devons donc présenter à Jésus les pieds,
c'est-à-dire les affections de notre âme, afin que nos pieds soient éclatants
de blancheur, surtout lorsque nous aspirons à des grâces plus hautes et que
nous voulons être du nombre de ceux qui évangélisent les biens du ciel.
S. CHRYS.
Jésus, au lieu de faire connaître à Pierre les motifs de sa conduite,
lui fait des menaces, parce que Pierre n'était point alors en état d'être
persuadé ; mais dès qu'il entend le Sauveur lui dire : «Vous le saurez par la
suite, » il n'insiste pas et ne lui dit pas : Faites-le moi savoir actuellement
pour que j'accède à votre désir; la menace seule qui lui est faite, d'être
séparé de Jésus, le détermine à se rendre. — ORIG. Nous
nous servons de cette parole du Sauveur contre ceux qui prennent la résolution
indiscrète de faire des actions qui doivent leur être nuisibles ; car, en leur
montrant qu'en persévérant dans ce dessein indiscret et téméraire, ils n'auront
point de part avec Jésus, nous leur persuadons d'y renoncer, lors même
qu'emportés par la vivacité de leurs désirs, ils auraient donné à leur
résolution la sanction du serment.
S. AUG. (Traité 56 sur S. Jean.)
Mais Pierre, dans le trouble où le jettent à la fois l'amour et la crainte,
redoute plus de perdre Jésus-Christ que de le voir s'humilier jusqu'à ses
pieds, et Simon-Pierre lui dit : Seigneur, non-seulement les pieds, mais les
mains et la tête. » — ORIG. Jésus
ne voulait point laver les mains de ses disciples, pour montrer le mépris qu'il
faisait de ce que disaient les pharisiens : « Vos disciples ne lavent point
leurs mains lorsqu'ils se mettent à table pour manger. » (Mt 15) Il ne
voulait point non plus laver la tête, qui reflétait l'image et la gloire du
Père, et il lui suffisait que Pierre présentât ses pieds. « Jésus lui
répondit : Celui qui est pur n'a plus besoin que de se laver les pieds, et il
est pur tout entier. » — S. AUG. Il
est pur tout entier, à l'exception des pieds ; ou si ce n'est ses pieds, qu'il
a besoin de laver ; car l'homme, dans le baptême, est lavé tout entier, sans
excepter même les pieds ; mais lorsque sa vie se trouve ensuite mêlée au
commerce humain, il foule nécessairement la terre aux pieds. Les affections du
cœur humain sans lesquelles cette vie mortelle ne peut ni exister ni se
concevoir, sont comme les pieds ; et les choses de la terre nous affectent et
nous impressionnent à ce point que si nous prétendons n'être coupables d'aucun
péché, nous nous trompons nous-mêmes (Jn 1, 8) ; mais si nous confessons
nos péchés, celui qui a lavé les pieds de ses disciples nous remet nos péchés,
et purifie jusqu'à nos pieds, par lesquels nous sommes en contact avec la
terre. — ORIG. Je regarde comme
impossible que les extrémités de l'âme et ses parties inférieures ne
contractent pas de souillures, quelle que soit la réputation de vertu et de
perfection dont on jouisse aux yeux des hommes. Il en est même beaucoup qui,
après leur baptême, sont couverts des pieds jusqu'à la tête de la poussière de
leurs crimes ; mais ceux qui sont ses véritables disciples n'ont d'autre besoin
que d'avoir les pieds lavés.
S. AUG.
(Lettr. 108 à Seleuc.) De ce qui est dit ici, nous pouvons
conclure que Pierre était déjà baptisé. Nous pouvons admettre, en effet, que
les disciples, par le ministère desquels Jésus baptisait, avaient eux-mêmes
reçu le baptême, soit le baptême de Jean, suivant l'opinion de quelques-uns,
soit (ce qui est plus probable) le baptême de Jésus-Christ, car celui qui a
bien voulu remplir l'humble office de laver les pieds à ses disciples, n'a
point dédaigné de leur administrer lui-même le baptême, afin que ceux qui devaient
être les ministres de son baptême fussent eux-mêmes baptisés. C'est pour cela
que le Sauveur ajoute : « Vous êtes purs, mais non pas tous. » — S. AUG. (Tr.
58 sur S. Jean.) L'Evangéliste nous explique lui-même le sens de ces
paroles, en ajoutant : « Car il savait quel était celui qui devait le
trahir, c'est pour cela qu'il leur dit : Vous n'êtes pas tous purs. » — ORIG. Ces paroles : « Vous êtes purs, »
s'adressent donc aux onze disciples, et cette restriction : « Mais non pas
tous, » s'applique à Judas, dont la conscience était souillée,
premièrement, parce qu'au lieu de prendre soin des pauvres, il dérobait
l'argent qui leur était destiné, et en second lieu, parce que le démon était
déjà entré dans son cœur pour lui inspirer de trahir Jésus-Christ. Nôtre-Seigneur
lave les pieds à ses disciples, quoiqu'ils fussent purs, parce que la grâce de
Dieu ne s'arrête pas à ce qui est seulement nécessaire ; et, comme le dit saint
Jean : « Celui qui est pur doit encore se purifier. » (Ap 22, 6.) —
S. AUG. Ou bien, Nôtre-Seigneur
parle de la sorte à ses disciples, parce qu'étant déjà lavés, ils n'avaient
plus besoin que de se laver les pieds, car tant que l'homme vit au milieu de ce
monde, il foule la terre avec ses affections qui sont comme les pieds de l'âme
et contracte des souillures inévitables. — S. CHRYS.
Ou bien encore, le Sauveur ne leur dit pas qu'ils sont purs, dans ce
sens qu'ils soient purifiés de leurs péchés, puisque la victime qui devait les
effacer n'était pas encore offerte, mais il vent parler de la pureté de
l'intelligence, car ils étaient déjà délivrés des erreurs judaïques.
S. AUG.
(Traité 58 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur se rappelle qu'il
a promis à Pierre l'explication de ce qu'il venait de faire, lorsqu'il lui a
dit : « Vous saurez par la suite (ce que j'ai fait) ; » et il commence à
lui en faire connaître la raison : « Après donc qu'il leur eut lavé les
pieds, il reprit ses vêtements, et s'étant remis à table, il leur dit :
Savez-vous ce que je viens de vous faire ? » — ORIG. Nôtre-Seigneur parle ici, ou d'une manière
interrogative, pour leur faire comprendre la grandeur de cette action, ou dans
le sens impératif pour réveiller leur attention. — ALCUIN. Dans le sens allégorique, c'est après avoir consommé
l'œuvre de notre purification et de notre rédemption par l'effusion de son sang
qu'il reprend ses vêtements en ressuscitant et en sortant du tombeau le
troisième jour, revêtu de son corps, doué d'immortalité. Et il s'assied de
nouveau en montant au ciel, en prenant place à la droite de Dieu son Père, d'où il
doit venir pour nom juger.
S. CHRYS.
(hom. 91 sur S. Jean.) Ce n'est pas à Pierre seul qu'il
s'adresse, mais à tous les Apôtres, comme s'il leur disait : Vous m'appelez
tous votre Seigneur et votre Maître. Nôtre-Seigneur en appelle ici à leur
propre témoignage, et afin que ce témoignage ne pût être soupçonné de
flatterie, il s'empresse d'ajouter : « Et vous avez raison, car je le suis en
effet. » — S. AUG. Le sage donne
à l'homme ce précepte : « Que ce ne soit point ta bouche qui te loue, mais
la bouche de ton prochain. » Car la vaine complaisance est dangereuse pour
l'homme qui doit éviter l'orgueil. Mais pour celui qui est au-dessus de tout,
quelques louanges qu'il se donne, il ne peut s'élever au-dessus de ce qu'il
est, et on ne peut légitimement accuser Dieu d'arrogance. En effet, c'est à
nous et non pas à lui qu'il importe de connaître Dieu, et personne ne peut le
connaître, si celui-là qui seul a cette connaissance, ne daigne nous la
communiquer. Si donc il s'abstient de se louer lui-même pour éviter le reproche
d'aimer la vaine gloire, il nous prive des leçons de la sagesse. Mais comment
la vérité peut-elle craindre la tentation d'orgueil ? Personne ne peut lui
reprocher de se donner le nom de maître, même celui qui ne verrait en lui qu'un
homme, car il ne fait en cela que ce que font tous les jours les hommes qui
enseignent les différentes branches des connaissances humaines, et qui prennent
sans se rendre coupables d'arrogance, le nom de professeurs. Toutefois on ne pourrait
supporter qu'un homme s'arrogeât le titre de seigneur de ses disciples qui
seraient eux-mêmes de condition distinguée suivant le monde. Mais lorsque Dieu
parle, ne craignez aucun orgueil d'une si grande élévation, aucun mensonge de
la part
de la vérité, nous avons tout profit à nous soumettre à cette hauteur, à obéira
cette vérité. Vous avez donc raison de m'appeler votre Maître et votre
Seigneur, car je le suis en effet, et si je ne l’étais pas, vous auriez tort de
tenir ce langage. — ORIG. (Traité
32 sur S. Jean.) Ceux à qui Dieu dira à la fin du monde :
« Retirez-vous de moi, vous qui opérez l'iniquité, » ne disent pas comme
il le faut : « Seigneur, » mais
pour les Apôtres, ils appellent légitimement Jésus, Maître et Seigneur, car ce
n'est point l'hypocrisie, mais le Verbe de Dieu qui leur dictait ce langage.
« Si donc je vous ai lavé les pieds, moi
votre Seigneur et votre Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns
aux autres. » — S. CHRYS. Le
Sauveur prend le terme de comparaison dans un ordre de choses plus élevé pour
nous engager à faire une action qui doit nous coûter beaucoup moins, car pour
lui il est notre Maître, tandis que pour nous, c'est à nos frères, serviteurs
comme nous, que nous rendons cet office : « Je vous ai donné l'exemple, afin
que vous fassiez comme je vous ai fait moi-même. — BEDE. Nôtre-Seigneur a commencé par pratiquer ce qu'il devait
ensuite enseigner, selon ces paroles : « Jésus commença par faire. » (Ac 1)
Voilà, bienheureux Pierre, ce que vous ne saviez pas, et ce dont le Sauveur
vous promettait l'explication.
ORIG. Il nous faut
examiner s'il est nécessaire que tout disciple qui veut accomplir dans sa
perfection la doctrine de Jésus-Christ, doit pratiquer comme une œuvre
d'obligation, le lavement extérieur des pieds, d'après ces paroles : «
Vous devez vous laver les pieds les uns des autres ; » mais cette coutume ne se
pratique plus ou se pratique rarement. — S. AUG.
La plupart accomplissent ce devoir d'humilité lorsqu'ils se donnent mutuellement l'hospitalité, et
lies chrétiens se le rendent les uns aux autres, même dans ce qu'il a
d'extérieur. Sans aucun doute, il est mieux et plus conforme à la vérité, de le rendre
extérieurement, en sorte qu'un chrétien ne dédaigne pas de faire ce qu'a fait
Jésus-Christ lui-même, car lorsque notre corps s'incline et s'abaisse jusqu'aux
pieds de nos frères, le sentiment de l'humilité se trouve on excité dans notre
cœur, ou affermi s'il y était déjà. Mais indépendamment de cette interprétation
morale, est-ce qu'un frère ne peut purifier son frère de la contagion du péché
? Confessons-nous mutuellement nos péchés, pardonnons-nous réciproquement nos
fautes, prions pour les fautes les uns des autres, et nous nous serons en
quelque sorte mutuellement lavé les pieds. — ORIG.
On peut dire encore que ce lavement spirituel des pieds ne peut avoir
pour principal auteur que Jésus seul, et ce n'est que secondairement que les
disciples peuvent le pratiquer conformément à ces paroles : « Vous devez vous
laver les pieds les uns aux autres. » En effet, Jésus a lavé les pieds de ses
disciples comme Maître, et ceux de ses serviteurs comme Seigneur ; or, le but
que se propose le maître, c'est de rendre son disciple semblable à lui, c'est
le but que s'est proposé le Sauveur ; il veut que ses disciples deviennent
semblables à leur Maître, à leur Seigneur, et qu'ils n'aient point de
servitude, mais l'esprit des enfants qui leur fait dire à Dieu : « Mon
Père. » (Rm 8) Avant donc qu'ils deviennent comme le Maître et comme le
Seigneur, ils ont besoin qu'on leur lave les pieds comme à des disciples qui ne
sont point suffisamment instruits, et qui sont encore soumis à l’esprit de
servitude. Mais lorsque l'un d'eux s'élève jusqu'au rang de maître et de
seigneur, alors il peut imiter celui qui a lavé les pieds de ses disciples, et
laver les pieds des autres par la doctrine en qualité de maître.
S. CHRYS.
Pour les exciter encore davantage à remplir ce devoir, il ajoute : « En
vérité, en vérité je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que le
maître, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé,» c'est-à-dire, si j'ai
agi de la sorte, à plus forte raison, vous devez faire de même. — THEOPHYL. Il donne ici aux Apôtres une
leçon nécessaire. Ils devaient tous être élevés un jour à des dignités plus ou
moins importantes, il s'applique donc à modérer les sentiments ambitieux qui
les porteraient à s'élever les uns au-dessus des autres. — BEDE. Et comme la connaissance de ce
qui est bien sans la pratique est un titre, non de félicité, mais de
condamnation, selon ces paroles : « Celui qui connaît le bien et ne le
pratique pas, est coupable de péché ; » le Sauveur ajoute : « Si vous
savez ces choses, vous serez bienheureux, pourvu que vous les pratiquiez. » —
S. CHRYS. Tous peuvent arriver à
savoir, mais tous ne parviennent pas à pratiquer. Le Sauveur condamne ensuite
en termes couverts la conduite de son traître disciple : « Je ne dis pas ceci
de vous tous. » — S. AUG. C'est-à-dire,
il en est un parmi vous qui n'aura point part à ce bonheur et qui ne fera point
ces choses : « Je sais ceux que j'ai choisis. » Quels sont-ils ? ceux qui
seront heureux, en accomplissant les commandements du Sauveur. Ainsi Judas ne
fut pas choisi de la sorte ; comment donc expliquer ce qu'il dit dans un autre
endroit : « Est-ce que je ne vous ai pas choisis tous les douze ? » Judas
a-t-il donc été choisi pour une œuvre où il était nécessaire, sans être choisi
pour cette félicité dont Nôtre-Seigneur vient de dire : « Vous seriez
bienheureux si vous les pratiquez ? »
ORIG. Voici une autre
explication : Je ne pense pas qu'on puisse rattacher logiquement ces paroles :
« Je ne dis pas ceci de vous tous, » à ces autres : « Vous serez bienheureux,
pourvu que vous pratiquiez ces choses, » car on peut dire avec vérité de Judas,
aussi bien que de tout autre : Il sera heureux s'il fait ces choses ; mais je
crois qu'il faut les rattacher à la proposition qui précède : « Le serviteur
n'est pas plus grand que son maître, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a
envoyé, » car Judas n'était ni serviteur de la parole divine, puisqu'il était
esclave du péché, ni apôtre, puisque le démon était entré dans son cœur. Le
Seigneur donc qui connaît ceux qui sont à lui, ne connaît pas ceux qui lui sont
étrangers ; c'est pour cela qu'il ne dit pas : Je connais tous ceux qui sont
ici présents, mais : « Je connais ceux que j'ai choisis, » c'est-à-dire, je
connais mes élus.
S. CHRYS.
Toutefois, comme il ne veut point contrister le grand nombre de ses
disciples, il ajoute : « Mais il faut que cette parole de l'Ecriture
soit accomplie : Celui qui mange le pain avec moi lèvera le pied contre moi. »
Il montrait ainsi qu'il n'ignorait pas qu'on devait le trahir, ce qui eût dû
suffire pour retenir le perfide Judas. Et remarquez qu'il ne dit pas : Il me
trahira, mais : « Il lèvera le pied contre moi, » pour faire ressortir la ruse
et les embûches cachées qu'on devait employer contre lui. — S. AUG. (Traité 59.) Que
signifient, en effet, ces paroles : « Il lèvera le pied contre moi, » si ce
n'est : Il me foulera aux pieds ? Sous cette expression figurée, il veut
désigner son traître disciple. — S. CHRYS.
Il dit : « Celui qui mange le pain avec moi, » c'est-à-dire, celui
que j'ai nourri, celui qui a partagé ma table. Ne soyons donc point scandalisés, si nous essayons
quelque injure de nos serviteurs ou de quelqu'un de nos inférieurs, en
considérant l'exemple de Judas, qui, malgré les bienfaits infinis dont Jésus
l'avait comblé, paya son bienfaiteur par la plus noire des trahisons. — S. AUG.
Ceux qui avaient été choisis se nourrissaient du corps du Seigneur ; Judas, au
contraire, mangeait le pain du Seigneur contre le Seigneur ; ceux-ci mangeaient
la vie, celui-là mangeait son châtiment, car celui qui mange ce pain
indignement, dit l'Apôtre, mange sa propre condamnation.
« Je vous dis ceci dès maintenant, et
avant que la chose se fasse, afin que lorsqu'elle arrivera, vous me
reconnaissiez pour ce que je suis, » c'est-à-dire, pour celui que cette
prophétie avait pour objet. — ORIG. Jésus
ne dit pas aux Apôtres : Afin que vous croyiez en général, comme s'ils ne
croyaient point, mais il veut leur dire : Afin que non contents de croire vous
arriviez à pratiquer. Il leur recommande de persévérer dans la foi, et de ne
s'exposer à aucune des occasions qui pourrait la leur faire perdre. Et en
effet, parmi tous les motifs de crédibilité sur lesquels reposait la foi des
disciples, ils eurent celui de voir s'accomplir les prophéties qui avaient
Jésus-Christ pour objet.
S. CHRYS.
(hom. 72.) Les Apôtres devaient bientôt partir pour prêcher l'Evangile
et pour être exposés à toute sorte d'épreuves, il les console donc par avance
de deux manières : d'abord en leur promettant d'être lui-même leur consolateur
: « Vous serez heureux, pourvu que vous pratiquiez ces choses ; » puis en leur
prédisant que les hommes eux mêmes s'empresseront de leur prodiguer les secours
dont ils auront besoin : « En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui
reçoit, celui que j'ai envoyé, c'est moi-même qu'il reçoit. » — ORIG. En effet
celui qui reçoit l'envoyé de Jésus, reçoit Jésus, qui demeure dans celui qu'il
a envoyé, et celui qui reçoit Jésus, reçoit son Père ; donc recevoir celui que
Jésus envoie, c'est recevoir le Père lui-même. On peut encore donner cette
explication. Celui qui reçoit mon envoyé, arrive jusqu'à me recevoir moi-même,
mais celui qui me reçoit, non dans la personne d'un de mes envoyés, mais qui me
reçoit même lorsque je viens dans les âmes, reçoit mon Père, de sorte que mon
Père et moi nous demeurions en lui.
S. AUG.
(Traité 59.) Les ariens, en entendant ces paroles, s'empressent
de recourir à ces degrés, qui au lieu de les élever sur les hauteurs de la vie,
les précipitent dans l'abîme de la mort. Autant, disent-ils, l'Apôtre diffère
du Seigneur qui l'envoie, autant le Fils diffère du Père. Mais lorsque le
Sauveur fait cette déclaration : « Mon Père et moi nous ne sommes qu'un, » il
ne permet pas le moindre soupçon de différence entre le Père et le Fils.
Comment donc devons-nous entendre ces paroles du Seigneur : « Celui qui me
reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé ? » Si nous voulons les entendre dans ce
sens, que le Père et le Fils ont une même nature, la conséquence naturelle de
ces autres paroles : « Celui qui reçoit mon envoyé, me reçoit, » paraît devoir
être que le Fils et l'envoyé ont aussi une même nature. On pourrait donc
supposer que le Sauveur a voulu dire : Qui reçoit celui que j'ai envoyé me
reçoit en tant qu'homme, mais qui me reçoit comme Dieu, reçoit celui qui m'a
envoyé. Toutefois, en s'exprimant de la sorte, ce n'est point l'unité de nature
qu'il voulait faire ressortir dans la personne de celui qui est envoyé, mais
l'autorité de celui qui envoie ; si donc vous considérez Jésus-Christ dans
Pierre, vous y trouverez le
maître du
disciple ; si au contraire vous considérez le Père dans le Fils, vous trouverez
le Père du Fils unique.
S. CHRYS.
(hom. 72 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait d'offrir
cette double consolation à ses Apôtres, qui devaient bientôt parcourir le monde
entier, mais il se trouble à la pensée que le traître disciple devait être
privé : « Lorsqu'il eut dit ces choses, Jésus se troubla en son esprit, »
etc. — S. AUG. (Traité 60 sur saint Jean.) Ce n'était pas la
première fois que cette pensée lui venait dans l'esprit, mais il allait
désigner si clairement celui qui devait le trahir, qu'il ne lui serait plus
possible de rester caché parmi les autres, et c'est une des causes de son
trouble. D'ailleurs, Judas allait bientôt sortir pour amener les Juifs et leur
livrer le Sauveur, et Jésus était encore troublé par les approches de sa
passion, par les dangers qui le menaçaient, et par la trahison imminente de son
perfide disciple, dont il connaissait par avance les intentions. (Traité
6l.) Nôtre-Seigneur « voulu nous apprendre aussi par ce trouble, que
lorsque la nécessité force l'Eglise de séparer de faux frères de son sein avant
la moisson, ce ne doit jamais être sans un grand sentiment de trouble. Or, il
fut troublé, non dans sa chair, mais dans son esprit ; car au milieu de ces
scandales, le trouble des hommes vraiment spirituels ne vient pas d'un
sentiment répréhensible, mais de la charité qui leur fait craindre qu'en
arrachant l'ivraie, on ne déracine en même temps le bon grain. (Mat 13)
— (Traité 60.) Que ce trouble ait eu pour cause ou un sentiment de compassion
pour Judas, qui allait se perdre, ou les approches de sa mort, ce n'est point
par faiblesse d'âme, mais par un acte de sa puissance que Jésus se trouble ;
car ce trouble n'est point forcé, il est tout à fait volontaire, il se troubla
lui-même, comme il est dit plus haut. Or, ce trouble est une source de
consolation pour les membres faibles de son corps, c'est-à-dire, de son Eglise,
que Jésus apprend à ne point se regarder comme coupables, si le trouble
s'empare de leur âme aux approches de la mort de ceux qui leur sont chers. — ORIG. (Traité 32.) Jésus
est troublé en esprit, c'est-à-dire, que ce sentiment humain était produit par
la puissance de l'esprit. En effet, si tous les saints vivent, agissent et
souffrent en esprit, à combien plus forte raison devons-nous l'assurer de
Jésus, le premier et le chef de tous les saints.
S. AUG.
(Traité 60.) Périssent donc tous les raisonnements des
stoïciens, qui prétendent que l'âme du sage doit être complètement inaccessible
au trouble ; de même qu'ils prennent la vanité pour la vérité, ils regardent
l'insensibilité comme un indice de la force de l'âme. L’âme du chrétien peut donc légitimement être troublée, non
par la souffrance, mais par un sentiment de compassion. (Traité 61.) Jésus
dit : « L'un de vous, » par le nombre, non par le mérite ; l'un de vous par
l'apparence et non par sa vertu.
S. CHRYS. Mais comme il
n'avait pas désigné le traître par son nom, ils sont tous de nouveau saisis de
frayeur : « Les disciples donc se regardaient l'un l'autre, ne sachant de qui
il parlait. » Leur conscience ne leur reprochait aucun dessein de ce genre, et
cependant cette déclaration du Sauveur l'emportait dans leur esprit sur leurs
propres pensées. — S. AUG. (Traité
61.) Leur pieuse tendresse pour leur maître ne les empêchait pas, sous
l'impression d'un sentiment de faiblesse naturelle, de concevoir ces soupçons
les uns à l'égard des autres. — ORIG. Ils
se rappelaient d'ailleurs par l'expérience qu'ils avaient de la faiblesse
humaine, que la vertu, chez les parfaits, n'est point à l'abri de la
mutabilité, et que les désirs les plus louables peuvent facilement se changer
en désirs contraires.
S. CHRYS.
Tous donc étant saisis de crainte, et Pierre, leur chef, tout tremblant
lui-même ; Jean, comme le disciple bien-aimé, inclina sa tête sur la poitrine
de Jésus : « Or, un des disciples de Jésus, que Jésus aimait, reposait sur son
sein. » — S. AUG. C'était
Jean, l'auteur de cet Evangile, comme il le déclare plus loin lui-même. En
effet, lorsque les écrivains sacrés racontent un fait où il est question
d'eux-mêmes, ils ont coutume d'en parler comme d'une tierce personne. Et en
effet, en quoi peut souffrir la vérité du récit, lorsque les choses sont dites
telles qu'elles sont, et qu'en même temps l'écrivain échappe au danger de la
vanité ?
S. CHRYS.
Si vous désirez connaître la cause d'une si grande familiarité de la
part de Jean, c'était l'amour de Jésus pour lui, c'est pour cela qu'il ajoute :
« Celui qu'aimait Jésus. » Jésus aimait tous les autres Apôtres, mais il
avait pour celui-ci une affection plus spéciale. — ORIG. Je pense que Jean, reposant sur le sein du Verbe, veut
nous apprendre qu'il goûtait, un doux repos dans la considération des mystères
secrets du Verbe. — S. CHRYS. Il
voulait encore montrer par là qu'il était innocent du crime de trahison, et il
s'exprime de la sorte pour ne point vous laisser penser que Pierre lui fit
signe comme à quelqu'un qui lui serait supérieur en dignité. En effet,
l'Evangéliste ajoute : « Simon-Pierre lui fit signe et lui dit : Qui est
celui dont on parle ? » En toutes circonstances, nous voyons Pierre comme
emporté par la vivacité de son amour ; comme il en a déjà été repris par le
Sauveur, il ne prend plus lui-même la parole, et cherche à savoir ce qu'il
désire par l'intermédiaire de Jean, car le saint Evangile nous montre partout
Pierre, plein de ferveur, et vivant dans une grande intimité avec Jean.
S. AUG.
Remarquez ici cette manière de s'exprimer sans parler, et par un simple
signe. Il lui fît signe dit l'Evangéliste, et il lui demande, c'est-à-dire, il
lui demande par le signe même qu'il faisait ; car si la pensée seule est un
véritable langage, comme l'atteste l'Ecriture dans ce passage : « Ils dirent en
eux-mêmes, » combien plus peut-on parler par signes, puisqu'alors on manifeste
au dehors par une expression quelconque la pensée qu'on a conçue dans son cœur
? — ORIG. On peut dire encore que Pierre commence par faire signe, et que non
content de ce signe, il fit cette question : « Quel est celui dont il
parle ? »
« C'est pourquoi ce disciple s'étant penché
sur la poitrine de Jésus, lui dit : Seigneur,
qui est-ce ? » Précédemment l'Evangéliste avait dit sur le sein, il dit
maintenant sur la poitrine. — ORIG. On
peut dire encore qu'il était couché sur le sein de Jésus, et qu'ensuite il
monta plus haut et reposa sur sa poitrine. Il semble que s'il ne se fût point
reposé sur la poitrine de Jésus, et qu'il fût resté couché sur son sein, le
Seigneur ne lui aurait pas fait connaître ce que Pierre désirait savoir. En
reposant donc en dernier lieu sur la poitrine de Jésus, il nous apprend qu'il
était le disciple privilégié de Jésus, par l'effet d'une grâce plus haute et
plus abondante. — BEDE. Ce repos
qu'il prend sur le sein et sur la poitrine de Jésus, n'est pas seulement la
preuve de l'amour du Sauveur pour lui, mais le présage de ce qui devait
arriver, c'est-à-dire, que Jean devait puiser sur la poitrine de Jésus cette
voix qui devait retentir et qu'aucun des siècles précédents n'avait entendue. —
S. AUG. (Traité 61 sur
S. Jean.) Le sein est en effet ici la figure d'un mystère caché, et le sein
de la poitrine est comme la source secrète de la sagesse.
S. CHRYS.
(hom. 72.) Cependant Nôtre-Seigneur ne fait pas encore connaître
par son nom le traître disciple : « Jésus lui répondit : C'est celui à qui je
présenterai le pain trempé. » Cette manière de le faire connaître avait pour
but de lui faire changer de résolution ; et puisqu'il n'avait point rougi de
s'asseoir à la même table que son divin Maître, il devait rougir au moins en
mangeant le même pain.
« Et ayant trempé du pain, il le donna à
Judas Iscariote, fils de Simon. » — S. AUG.
(Traité 62.) On ne peut admettre, avec quelques lecteurs
superficiels, que Judas reçut alors seul le corps du Seigneur; nous devons
admettre au contraire que le Sauveur avait déjà distribué le sacrement de son corps et de son sang à tous ses
disciples, et que Judas était du nombre, au témoignage de saint Luc (Lc
22). Ce ne fut qu'après la communion que, suivant le récit de saint Jean, le
Seigneur fit connaître celui qui devait le trahir en lui donnant un morceau de
pain trempé. Peut-être, par ce pain trempé, voulut-il désigner l'hypocrisie du
traître disciple, car tout ce qui est trempé n'est point pour cela purifié, et
quelquefois une chose est souillée, par cela seul qu'elle est trempée ; si au
contraire ce morceau de pain trempé est le symbole d'une grâce particulière,
l'ingratitude de Judas, après le nouveau bienfait, rend plus juste encore sa
réprobation.
« Et quand il eut pris ce morceau, Satan
entra en lui. » — ORIG. Remarquez
que Satan n'était pas tout d'abord entré dans le cœur de Judas, il lui avait
seulement suggéré la pensée de trahir son Maître, ce ne fut qu'après ce morceau
qu'il entra dans son âme. Prenons donc bien garde que le démon ne fasse
pénétrer dans notre âme quelques-uns de ses traits enflammés, car s'il y
réussit, il redouble ses efforts pour entrer lui-même. — S. CHRYS. Tant que Judas fit partie du
corps des Apôtres, le démon n'osait s'emparer entièrement de lui, il se
contentait de l'attaquer extérieurement, mais lorsqu'il l'eût fait connaître et
qu'il l'eût séparé des autres disciples, il se trouva plus libre pour se saisir
de sa personne. — S. AUG. Ou bien : « Satan entra en lui, » dans ce sens
qu'il prit complètement possession de celui Qui lui appartenait déjà, car il
était déjà dans Judas, lorsque ce perfide disciple convint avec les Juifs du
prix de sa trahison, comme saint Luc le dit clairement : « Or, Satan entra
en Judas, surnommé Iscariote, l'un des douze ; et il s'en alla conférer avec
les princes des prêtres et les
officiers du temple, sur les moyens de le leur livrer. » Il était donc au
pouvoir de Judas, lorsqu'il vint se mettre à table avec Jésus, mais après qu'il
eut reçu ce morceau de pain, Satan entra en lui, non plus comme pour tenter un
homme qui lui fût étranger, mais pour posséder plus pleinement celui qui lui
appartenait déjà. — ORIG. Il était juste, à mon avis, qu'après que ce morceau
de pain lui l'ut présenté, il perdit le bien dont il était indigne et qu'il croyait
posséder, et qu'ainsi dépouillé de ce bien, le démon pût entrer plus facilement
dans son âme.
S. AUG.
Il en est qui disent : Est-ce qu'un morceau de pain pris sur la table du
Seigneur, a pu avoir pour effet de livrer à Satan l'entrée du l'âme de ce perfide
disciple ? Nous répondons que nous devons apprendre par là avec quel soin nous
devons éviter de recevoir les grâces du ciel dans de mauvaises dispositions,
car si Dieu traite si sévèrement celui qui ne discerne pas (c'est-à-dire, qui
ne distingue pas des autres aliments) le corps du Seigneur, quelle sera la
condamnation de celui qui, sous les dehors de l'amitié, s'approche de sa table
avec un cœur hostile ?
« Et Jésus lui dit : Ce que vous faites,
faites-le vite. » On ne peut dire avec certitude à qui s'adressent ces paroles,
car Notre-Seigneur a pu dire également à Judas ou à Satan : « Ce que vous
faites, faites-le vite, » en provoquant, pour ainsi dire, son ennemi au combat,
ou en pressant le traître disciple d'aider à l'accomplissement du mystère, qui
devait être le salut du inonde, et dont il pressait l'exécution, loin de
vouloir la retarder. — S. AUG. Toutefois,
il ne commande pas le crime, il le prédit simplement, non point pour hâter la
perte de son perfide disciple,
que pour accomplir au plutôt l'œuvre du salut des nommes. — S. CHRYS. Ces paroles : « Ce que vous
faites, faites-le au plus vite, ne sont ni un ordre ni un conseil, mais un
reproche, et une preuve que le Sauveur ne voulait mettre aucun obstacle à la
trahison de son disciple : « Aucun de ceux qui étaient à table ne comprit
pourquoi il lui disait cela. » Une difficulté assez grande se présente ici, et
on se demande comment les disciples qui avaient demandé quel était celui dont
Jésus parlait, n'aient pas compris la réponse du Sauveur : « Celui à qui
je présenterai un morceau de pain trempé. » Il faut donc admettre que Jésus fit
cette réponse à voix basse, de manière que personne ne l'entendit, et que Jean,
qui reposait sur son sein, lui fit précisément cette question à l'oreille, pour
ne point faire connaître celui qui devait le trahir ; car, si le Sauveur l'eût
clairement désigné, Pierre eût pu le mettre à mort. C'est pour cela que
l'Evangéliste dit qu'aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il
lui disait cela, pas même Jean, qui ne pouvait penser qu'un disciple de Jésus
put se porter à cet excès de scélératesse ; ne pouvant soupçonner dans les
autres l'idée d'un crime dont il était si éloigné lui-même. Les Apôtres ne
comprirent donc point le véritable motif des paroles de Jésus. L'Evangéliste
nous apprend dans quel sens ils les entendirent en ajoutant : « Quelques-uns
pensaient que, comme Judas avait la bourse, Jésus lui avait dit : Achetez ce
dont nous avons besoin pour la fête, » etc.
S. AUG.
Nôtre-Seigneur avait donc une bourse, dans laquelle il conservait les
offrandes des fidèles destinées à pourvoir aux besoins de ses disciples et au
soulagement des pauvres. Telle fut la première institution de la propriété
ecclésiastique. Lors donc que le Sauveur nous
ordonne de ne point songer au lendemain, (Mt 6) ce précepte n'est pas
une défense faite aux fidèles de ne conserver aucun argent, mais un
avertissement de ne point servir Dieu en vue de l'argent, et de ne jamais
sacrifier la justice par crainte de la pauvreté. — S. CHRYS. Aucun des disciples de Jésus ne lui apportait d'argent
; mais l'Evangéliste nous fait entendre ici que de pieuses femmes fournissaient
à Jésus ce qui lui était nécessaire pour son entretien. Or, celui qui ordonne à
ses apôtres de ne porter ni sac, ni bâton, ni urgent, portait lui-même une
bourse pour subvenir aux besoins des pauvres, afin de nous apprendre que celui
même qui embrasse une vie de pauvreté et de crucifiement à tout ce qui est dans
le monde, doit cependant avoir une grande sollicitude pour les pauvres ; car,
Nôtre-Seigneur a fait beaucoup de choses dans sa vie, uniquement pour notre
instruction.
ORIG. Le Sauveur avait dit à Judas : « Ce que
vous faites, faites-le au plus vite, » et le traître disciple n'obéit que sur
ce point à son Maître ; aussitôt qu'il a reçu ce morceau de pain, il se hâte
d'accomplir, sans aucun retard, son criminel dessein. « Judas, ayant donc pris
ce morceau de pain, sortit aussitôt. » Et, en effet, il sortit, non-seulement
en quittant la maison où il se trouvait, mais en se séparant tout à fait de
Jésus. Quant à moi, je pense que Satan, qui était entré dans Judas, après qu'il
eut reçu ce morceau de pain, ne pouvait supporter d'être plus longtemps dans le
même lieu que Jésus ; car il ne peut y avoir aucun point de contact entre Jésus
et Satan. Il n'est pas inutile de rechercher pourquoi l’Evangéliste, qui nous
rapporte que Judas reçut ce morceau de pain, n'ajoute pas qu'il le mangea. Est-ce
qu'eu effet Judas ne mangea point le morceau de pain ? Ne peut-on pas dire que,
lorsqu'il eut pris ce morceau de pain, le démon, qui lui avait suggéré la
pensée de trahir son Maître, craignant qu'en mangeant de ce pain il ne renonçât
à son dessein, se hâta d'entrer en lui aussitôt qu'il l'eut reçu des mains du
Sauveur, et le fit sortir aussitôt de la maison ? On peut dire encore, avec
autant de raison, que de même que celui qui mange indignement le pain du
Seigneur ou boit indignement son calice, le mange et le boit pour sa
condamnation ; ainsi Jésus donna ce pain aux uns pour leur salut, et à Judas
pour sa perte ; en sorte que Satan entra en lui aussitôt qu'il l'eut reçu.
S. CHRYS. L'Evangéliste ajoute : « Or, il
était nuit, » pour faire ressortir l'audace téméraire de Judas, que le temps ne
dut ni retenir ni détourner de son dessein. — ORIG. Cette nuit extérieure et
sensible était d'ailleurs la figure des ténèbres, qui s'étendaient sur l'âme de
Judas. — S. GREG. (Moral., 2, 2.) La circonstance du temps fait
ressortir la nature et la fin de l'action, et l'Evangile nous fait voir Judas
accomplissant dans la nuit son œuvre de trahison, parce qu'il ne devait jamais
eu concevoir de repentir.
ORIG. (Traité 32 sur
S. Jean.) Après les glorieux témoignages qu'avaient rendus au Sauveur les
prodiges qu'il avait opérés, et le miracle de la transfiguration, la
glorification du Fils de l'homme commença lorsque Judas, avec Satan, qui était
entré en lui, sortirent du lieu où se trouvait
Jésus. « Lorsqu'il fut sorti, Jésus dit : Maintenant le Fils de l'homme a été
glorifié. » Il ne s'agit pas ici de la gloire du Fils unique et immortel, du
Verbe de Dieu, mais de la gloire de l'homme qui est né de la race de David. En
effet, si dans la mort de Jésus-Christ, qui a glorifié Dieu, nous voyons
s'accomplir ces paroles : « Il a dépouillé les puissances et les
principautés, il les a menées hautement on triomphe à la face de tout le monde
par le bois de sa croix » (Col 2, 15) et ces autres : « Il a pacifié,
par le sang qu'il a répandu sur la croix, tant ce qui est sur la terre, que ce
qui est dans le ciel ; » (Col 1, 20) la gloire qui en est résultée pour
le Fils de l'homme, est inséparable de la gloire du Père, qui a été glorifié en
lui ; car, on ne peut glorifier Jésus-Christ sans glorifier en même temps le
Père. Mais comme celui qui est glorifié l'est nécessairement par quelqu'un, si
vous demandez par qui le l'ils de l'homme a été glorifié, il vous répond
lui-même : « Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en
lui-même. » — S. CHRYS. C'est-à-dire
par lui-même et non par un autre. « Et c'est bientôt qu'il le glorifiera. »
Comme il disait : Ce ne sera pas après un long espace de temps, car la
croix fera bientôt éclater ces glorieux témoignages ; en effet, le soleil
s'éclipsa, les rochers furent brisés, et un grand nombre de ceux qui étaient
morts ressuscitèrent. C'est ainsi qu'il relève l'esprit abattu de ses
disciples, et qu'il les excite non-seulement à bannir la tristesse, mais à se
livrer à la joie.
S. Ane. (Traité 63 sur S. Jean.) Ou
bien encore : Le disciple impur étant sorti, tous ceux qui étaient purs
demeurèrent avec celui qui les avait purifiés. Il
arrivera quelque chose de semblable lorsque l'ivraie, étant séparée du froment,
les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. (Mt 13) C'est dans la prévision de cette
séparation future que Nôtre-Seigneur, lorsque Judas fut sorti, c'est-à-dire
lorsque l'ivraie fut séparée et qu'il ne resta plus que le bon grain,
c'est-à-dire les saints Apôtres, dit : « Maintenant, le Fils de l'homme est
glorifié. » Il semble dire : Voilà ce qui aura lieu dans ma glorification ; ou
n'y verra aucun méchant ; aucun des bons qui s'y trouveront ne périra.
Remarquez que Nôtre-Seigneur ne dit pas : C'est maintenant qu'est figurée la
glorification du Fils de l'homme, mais : « C'est maintenant que le Fils de
l'homme est glorifié ; » de même que l'Apôtre ne dit pas : La pierre signifiait
le Christ ; mais : « La pierre était le Christ. » (1 Co 10) Car, les
écrivains sacrés ont coutume de donner aux figures le nom des choses figurées. Or,
la glorification du Fils de l'homme a pour but que Dieu soit glorifié en lui,
comme Nôtre-Seigneur l'ajoute : « Et Dieu est glorifié en lui. » Il donne
ensuite l'explication de ces paroles : « Si Dieu a été glorifié en lui
(parce qu'il n'est point venu faire sa volonté, mais la volonté de celui qui
l'a envoyé), Dieu aussi le glorifiera en lui-même, » en donnant l'immortalité à
la nature humaine, à laquelle le Verbe s'est uni. « Et bientôt il le
glorifiera, » paroles qui sont une prédiction de sa résurrection, qui ne sera
point retardée, comme la nôtre, à la fin du monde, mais qui suivra presque
immédiatement sa mort. Ou peut aussi entendre, de cette résurrection prochaine,
ce qu'il a dit plus haut : « Maintenant, le Fils de l'homme est glorifié ; » et
l'expression : « Maintenant, » s'appliquerait non point à sa passion, qui
était proche, mais à sa résurrection, qui devait suivre, et qui regardait comme déjà faite parce
qu'elle devait arriver bientôt.
S. HIL. (de la Trin., 11) Ces paroles
: « Dieu a été glorifié en lui, » se
rapportent à la gloire du corps de Jésus-Christ, qui a fait ressortir la gloire
de Dieu par celle qu'il empruntait lui-même de son union avec la nature divine.
Dieu, en retour de cette gloire que son Fils lui donnait, l'a glorifié en lui-même,
en augmentant la gloire que le Fils donnait en lui à Dieu, de telle sorte que
celui qui règne dans la gloire (qui est la gloire de Dieu), fût comme
transformé dans la gloire de Dieu, en demeurant tout entier Dieu par l'union de
son humanité avec la divinité. Il ne veut pas laisser ignorer le temps de cette
glorification : « Et bientôt il le glorifiera, » c'est-à-dire, qu'au moment où
Judas sort pour le trahir, Jésus prédit la gloire que doit lui procurer bientôt
sa résurrection après sa passion, et réserve pour un temps plus éloigné la
gloire par laquelle Dieu devait le glorifier en lui-même, en faisant éclater
aux yeux de tous la puissance de sa résurrection, tandis que lui-même devait
rester en Dieu en vertu de cette mystérieuse disposition qui le soumet à son
Père.
S. HIL. (de la Trin., 9) La première
signification de ces paroles : « Maintenant le Fils de l'homme a été
glorifié, » ne peut être douteuse à mon avis, car ce n'est point le Verbe, mais
la chair qu'il s'était unie qui était susceptible d'une nouvelle gloire. Mais
je me demande ce que signifient les paroles qui suivent : « Et Dieu a été
glorifié en lui ; » en effet, le Fils de l'homme n'est point autre que le Fils
de Dieu (puisque c'est le Verbe qui s'est fait chair) ; je cherche donc comment
Dieu a été glorifié dans ce Fils de l'homme qui est en même temps le Fils de
Dieu. Examinons encore le sens de ces autres paroles : « Si Dieu a été glorifié
en lui, Dieu le glorifiera en lui-même. » L'homme ne peut être glorifié par
lui-même, et d'autre part le Dieu qui est glorifié dans l'homme (bien qu'il
reçoive de la gloire), ne peut être autre chose que Dieu ; il faut donc ou que
ce soit le Christ qui est glorifié dans la chair, ou le Père qui est glorifié
dans le Christ. Si c'est le Christ, il est certain que le Christ qui est
glorifié dans la chair, est Dieu ; si c'est le Père (qui est Dieu), le Père est
glorifié dans le Fils en vertu du mystère de l'unité. Mais de ce que Dieu
glorifie en lui-même, le Dieu qui a été glorifié dans le Fils, comment peut-on
encore tirer cette conclusion impie, que le Christ ne soit point vrai Dieu, et
n'ait point une même nature avec Dieu le Père ? Est-ce que celui qu'il glorifie
en lui-même serait en dehors de lui ? Celui que le Père, glorifie en lui-même
partage nécessairement la même gloire, et celui qui doit être glorifié de la
gloire du Père, entre nécessairement en participation de toutes les perfections
du Père.
ORIG. Disons encore que le
mot gloire n'a pas ici le sens que lui donnent quelques païens qui définissent
la gloire, la réunion des louanges qui sont données par un grand nombre, car il
est évident que ce n'est pas là le sens du mot gloire dans l'Exode, où il est
dit : « Que le tabernacle fut rempli de la gloire de Dieu ; » (Ex 40, 32) et encore que la figure de Moïse
fut resplendissante de gloire (Ex 34, 35). Dans le sens premier et
littéral, on doit entendre qu'il y eut comme une apparition plus spéciale de la
gloire divine dans le tabernacle aussi bien que sur le visage de Moïse, qui
venait de s'entretenir avec Dieu. Mais dans le sens figuré, la gloire de Dieu
apparut, parce que l'intelligence déifiée et s'élevant au-dessus de toutes les
choses matérielles pour scruter la vision de Dieu, participe à l'éclat de la
divinité qu'elle contemple, c'est dans ce sens que le visage de Moïse
resplendit de gloire, parce que son intelligence fut comme déifiée ; or, on ne
peut établir aucune comparaison entre la prééminence divine de Jésus-Christ et
l'éclat qui rejaillissait de l'intelligence de Moïse sur son visage, car le
Fils est la splendeur de toute la gloire, divine au témoignage de saint Paul :
« Et comme il est la splendeur de sa gloire et l'image de sa substance. » (He
1, 3.) Bien plus, de ce foyer complet de gloire et de lumière partent des
rayons éclatants qui se répandent sur la créature raisonnable, car je ne pense
pas qu'aucune créature puisse comprendre toute la splendeur de la gloire
divine, le Fils seul en est capable. Le Fils n'était donc, pas glorifié dans le
monde, alors qu'il n'en était pas connu, mais lorsque le Père eut donné la
connaissance de Jésus à quelques-uns de ceux qui existaient dans le monde, le
Fils de l'homme fut glorifié dans ceux dont il était connu. Cette connaissance
fut une cause de gloire pour ceux qui la possédaient, car ceux qui contemplent
à visage découvert la gloire du Seigneur sont transformés en sa ressemblance (2
Co 3, 13) par la gloire de celui qui est glorifié qui rejaillit sur ceux
qui le glorifient. Lors donc qu'il vit s'approcher l'accomplissement de ce
mystère qui devait le faire connaître au monde et lui mériter cette gloire qui
devait se répondre sur ceux qui le glorifieraient, il dit. : « C'est maintenant
que le Fils de l'homme est glorifié. » Et
comme nul n'a connu le Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le
Fils l'a révélé, et qu'il entrait dans le plan de l'incarnation divine que le
Fils fit connaître le Père, Dieu fut par cela même glorifié en lui. Pour bien
comprendre ces paroles : « Dieu a été glorifié en lui, » vous les
rapprocherez de ces autres : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père. » (Jn 14)
On voit,
en effet, le Père, parce que le Verbe est Dieu, et l'image invisible de Dieu le
Père qui l'a engendré. On peut encore donner de ce passage une explication plus
développée et plus claire. De même que le nom de Dieu est blasphémé par
quelques-uns parmi les nations (Rm 2, 24), ainsi ce nom divin du
Père est glorifié par les saints, dont les oeuvres parfaites brillent aux yeux
des autres hommes. Mais par qui Dieu a-t-il été plus glorifié que par Jésus,
qui n'a commis aucun péché, et dans la bouche de qui le mensonge ne s'est point
trouvé ? (1 P 2, 22.)
C'est donc ainsi que le Fils a été glorifié, et que Dieu a été glorifié en lui
; mais si Dieu a été glorifié en lui, il lui rend une gloire bien supérieure à
celle que le Fils lui a donnée, car la gloire que le Père donne au Fils de
l'homme, lorsqu'il le glorifie, est incomparablement plus grande que celle
qu'il rend lui-même à Dieu le Père qui est glorifié en lui. Il était
convenable, en effet, que celui qui était le plus puissant, rendît aussi une
gloire plus grande, et comme cette gloire que le Père devait accorder au Fils
de l'homme ne devait point tarder, Jésus ajoute : « Et bientôt il le
glorifiera. »
S. AUG.
(Traité 64 sur S. Jean.) Ce que Nôtre-Seigneur venait de
dire : « Et bientôt il le glorifiera, » pouvait laisser croire aux disciples
qu'après que Dieu l'aurait glorifié, il cesserait de leur être uni et de vivre
avec eux sur la terre, c'est pour cela qu'il ajoute : « Mes petits enfants, je
ne suis plus avec vous que pour un peu de temps ; » c'est-à-dire, je serai
immédiatement glorifié par ma résurrection, mais je ne remonterai pas aussitôt
dans les deux, car comme il est écrit dans les Actes des Apôtres : « Il demeura
quarante, jours avec eux après sa résurrection, » (chap. 1) et c'est à ces
quarante jours qu'il fait allusion, lorsqu'il dit : « Je ne suis plus avec,
vous que pour un peu de temps. »
ORIG. (Traité 32 sur S. Jean.) Ce
nom de petits enfants qu'il leur donne, prouve que leur âme, était
encore soumise aux faiblesses de l'enfance, mais ceux qu'il appelle maintenant
des petits enfants deviennent ses frères après sa résurrection, de même qu'ils
avaient été des serviteurs avant de devenir des petits enfants. — S. AUG. On
peut entendre ces paroles dans ce sens : Je suis encore comme vous dans
l'infirmité de la chair, c'est-à-dire, jusqu'au temps de ma mort et de ma
résurrection. Après sa résurrection, il fut encore présent au milieu d'eux
d'une présence corporelle, mais il cessa de partager les faiblesses de la
nature humaine. Nous voyons, en effet, dans un autre évangéliste, qu'il tient
ce langage à ses Apôtres : « C'est là ce que je vous ai dit, étant encore avec
vous, » (Lc 24) c'est-à-dire, alors que j'étais dans celte chair
mortelle qui nous est commune. Après sa résurrection, il était encore avec eux
dans la même chair, mais il n'était plus comme eux soumis aux conditions de la
mortalité. Il est encore une autre présence divine inaccessible aux sens, et
dont le Sauveur veut parler quand il dit : « Voici que, je suis avec vous
jusqu'à la consommation des siècles. » (Mt 28) Il ne dit pas ici : « Je
ne suis avec vous que pour un peu de temps, » car le temps qui doit s'écouler
jusqu'à la consommation des siècles n'est pas de courte durée, ou s'il est de
courte durée, parce que mille ans sont aux yeux de Dieu comme un seul jour (Ps
89), ce n'est pas cependant
cette vérité que le Sauveur a voulu exprimer, puisqu'il ajoute : « Vous me
chercherez, et comme j'ai dit aux Juifs : Où je vais vous ne pouvez venir. »
Est-ce qu'à la fin du monde il y aurait encore impossibilité d'aller où il
allait lui-même, pour ceux à qui il devait bientôt dire : « Mon Père, je veux
que là où je suis, ils soient eux-mêmes avec moi. » (Jn 18)
ORIG. Dans leur sens le
plus simple, ces paroles n'offrent aucune difficulté, parce qu'en effet, le
Sauveur ne devait pas rester longtemps avec ses disciples ; mais si l'on veut
leur donner une signification plus profonde et plus cachée, ou se demande s'il
n'a pas cessé d'être avec eux après un peu de temps, non parce qu'il n'était
plus présent corporellement au milieu d'eux, mais parce que peu de temps après
s'accomplit celte prédiction qu'il avait faite : « Je vous serai un sujet
de scandale cette nuit. » Ainsi il n'était plus avec eux, parce qu'il ne reste
qu'avec ceux qui en sont dignes. Mais bien qu'il ne fût pas avec eux, ils
savaient cependant chercher Jésus, comme Pierre, qui en répandant tant de
larmes, après avoir renié son divin Maître, cherchait évidemment Jésus. C'est
pourquoi Nôtre-Seigneur ajoute : « Vous me chercherez, et comme j'ai dit aux
Juifs : Où je vais, vous ne pouvez venir. » Chercher Jésus, c'est chercher le
Verbe, la sagesse, la justice, la vérité, la puissance divine, toutes choses
qui se trouvent dans le Christ. Ils voulaient donc suivre Jésus, non pas
corporellement, comme quelques ignorants le prétendent, mais dans le sens
spirituel dont parle le Sauveur, quand il dit : « Celui qui ne porte point
sa croix et ne me suit pas, ne peut être mon disciple. » (Lc 14, 27.) Et
Jésus leur dit : « Là où je vais, vous ne pouvez venir ; » lors même qu'ils
eussent voulu suivre le Verbe et le confesser publiquement, ils n'avaient pas
la force nécessaire, car l'Esprit saint n'avait pas encore été donné, parce que
Jésus n'était pas encore glorifié.
S. AUG.
Ou bien, Nôtre-Seigneur leur parle de la sorte, parce qu'ils n’étaient
pas encore capables de le suivre jusqu'à la mort pour la justice ; car comment
auraient-ils pu le suivre, n'étant pas encore mûrs pour la justice ? Ou comment
auraient-ils pu suivre le Seigneur jusqu’à l'immortalité de sa chair, eux qui
ne devaient ressusciter qu'à la fin des siècles, quelle que fût l'époque de
leur mort? Ou bien encore, comment auraient-ils pu suivre le Seigneur jusque
dans le sein du Père, alors que la charité parfaite pouvait seule leur donner
l'entrée de cette suprême félicité ? Lorsque Jésus s'adressait aux Juifs, il
n'ajoutait point : « Maintenant, » car si ces disciples ne pouvaient le suivre
actuellement, ils devaient le suivre plus tard, et c'est pour cela que le
Sauveur ajoute : « Je vous le dis aussi maintenant. » — ORIG. Et je vous le dis, mais prenant soin de spécifier le
temps par celte expression : « Maintenant, » car pour les Juifs qu'il prévoyait
devoir mourir dans leurs crimes, ils ne pouvaient suivre bientôt Jésus où il
allait, tandis que les disciples, dans un temps fort court, devaient suivre le
Verbe.
S. CHRYS. Il appelle ses disciples : « Mes
petits enfants, » afin qu'ils ne s'appliquent point ces paroles qui semblaient
les ranger avec les Juifs : « Ainsi que je l'ai dit aux Juifs, » et il leur
donne ce nom pour rendre plus vif l'amour qu'ils avaient pour lui. En effet,
c'est lorsque nous voyons une personne qui nous est chère sur le point de nous
quitter, que nous sentons notre affection pour elle redoubler, surtout lorsque
nous la voyons partir pour des lieux où il nous est impossible de la suivre. Il
nous apprend en même temps que sa mort n'est qu'un déplacement, une translation
heureuse dans un lieu où les corps mortels ne peuvent avoir d'accès.
S. AUG.
Nôtre-Seigneur leur enseigne du reste la voie qu'ils devront suivre pour
arriver là où il les précédait : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est
de vous aimer les uns les autres. » (Traité 65) Mais est-ce que ce
commandement n'existait pas déjà dans l'ancienne loi, qui avait Dieu pour
auteur, et où il est écrit : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même ? »
Pourquoi donc Nôtre-Seigneur l'appelle-t-il un commandement nouveau ? Est-ce
qu'il nous a dépouillé du vieil homme pour nous revêtir du nouveau ? Celui, en
effet, qui reçoit ce précepte, ou plutôt qui lui est fidèle, se trouve
renouvelé, non point par toute espèce d'amour, mais par cet amour que le
Sauveur distingue avec soin de l'affection purement naturelle, en ajoutant : «
Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » Ne vous aimez pas
comme s'aiment les hommes qui ne cherchent qu'à corrompre, ni comme ceux qui
s'aiment, parce qu'ils ont une même nature, mais aimez-vous comme ceux qui
s'aiment mutuellement, parce qu'ils sont dieux, et les fils du Très-Haut, pour
devenir ainsi les frères du Fils unique de Dieu, en s'aimant mutuellement de
cet amour qu'il a eu pour eux et qui le porte à les conduire à cette fin
bienheureuse où il rassasiera leurs désirs dans l'abondance de tous les biens.
— S. CHRYS. Ou bien encore ces
paroles : « Comme je vous ai aimés, » signifient que l'amour que j'ai eu pour vous, n'a pas été fondé sur vos mérites antérieurs,
c'est moi qui vous ai prévenus, ainsi devez-vous faire le bien, sans y être
forcés par aucune obligation de reconnaissance.
S. AUG.
Ne croyez pas que le Sauveur ait oublié ici le commandement qui nous
oblige d'aimer le Seigneur notre Dieu ; car, pour qui l’entend bien, chacun de
ces deux commandements se retrouve dans l'autre. En effet, celui qui aime Dieu
ne peut pas mépriser Dieu, qui lui recommande d'aimer le prochain ; et celui
qui aime le prochain d'un amour surnaturel et spirituel, qu'aime-t-il en lui,
si ce n'est Dieu ? C'est cet amour que Nôtre-Seigneur veut séparer de toute
affection terrestre, lorsqu'il ajoute : « Comme je vous ai aimés. »
Qu'a-t-il aimé en nous, en effet, si ce n'est Dieu ? Non pas Dieu que nous
possédons, mais Dieu, qu'il désirait voir en nous. Aimons-nous donc ainsi les
uns les autres, afin qu'autant que nous le pourrons, nous soyons attirés à la
possession de Dieu seul par la force de cet amour mutuel.
S. CHRYS.
Nôtre-Seigneur laisse de côté les miracles que ses disciples devaient
opérer, et veut qu'on ne les reconnaisse qu'à cet amour seul qu'ils auront les
uns pour les autres : « C'est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes
disciples, si vous avez, de l'amour les uns pour les autres. » C'est à ce signe
qu'on reconnaît la véritable sainteté, comme c'est à ce signe que le Sauveur
reconnaît ses disciples. — S. AUG. Ne semble-t-il pas dire : Ceux qui ne sont
pas mis disciples partagent avec vous d'autres grâces, d'autres faveurs ;
non-seulement ils ont une même nature, une même vie, une même intelligence, une
même raison, et cet ensemble de biens qui sont communs aux hommes et aux
animaux, mais encore le don des langues, le pouvoir d'administrer les
sacrements, le don de prophétie, la science, la foi, la distribution de leurs
biens aux pauvres, le sacrifice de leur corps au milieu des flammes ; mais
parce qu'ils n'ont point la charité, ce sont des tymbales retentissantes, ils
ne sont rien, et tous ces dons ne leur servent de rien ?
S. CHRYS. (hom. 73 sur S. Jean.)
L'amour est quelque chose de grand, il est plus fort que le feu, et nul
obstacle ne peut arrêter son élan. Aussi Pierre, sous l'impression de cet
ardent amour, entendant le Sauveur lui dire : « Là où je vais, vous ne pouvez
venir maintenant, » lui fait cette question : « Seigneur, où allez-vous ? » —
S. AUG. (Traité 66 sur S. Jean.) C'est ainsi que le disciple
parle à son Maître, disposé qu'il est à le suivre ; c'est pourquoi le Seigneur,
qui voit le fond de son âme, lui fait cette réponse : « Là où je vais, vous ne
pouvez maintenant me suivre. » Il retarde l'accomplissement de son désir, mais
ne lui enlève pas toute espérance ; au contraire il l'affermit, en lui disant :
a Vous me suivrez un jour. » Pourquoi donc cet empressement, Pierre? Celui qui
est la pierre ne vous a pas encore donné l'appui inébranlable de son esprit;
n'ayez donc point cette présomption orgueilleuse. « Vous ne le pouvez pas
maintenant. » Ne vous laissez point abattre par le désespoir : « Vous me
suivrez plus tard. »
S. CHRYS. Malgré cette réponse, Pierre ne
peut contenir la vivacité de son désir ; il se laisse emporter à la douce
espérance qui vient de lui être donnée, et comme il ne craint pins maintenant
de trahir son Maître, il l'interroge avec sécurité au milieu du silence que
gardent les autres apôtres. « Pierre lui dit :
Pourquoi ne puis-je pas vous suivre à présent ? Je donnerai ma vie
pour vous. » Que dites-vous, Pierre ? Je viens de vous déclarer que vous ne
pouvez pas, et vous insistez, en disant : Je le puis. Vous apprendrez donc par votre
expérience que votre amour n'est rien sans la présence d'un secours surnaturel
qui le dépouille de sa faiblesse. « Jésus lui répondit : Vous donnerez votre
vie pour moi ? » — BEDE. Cette
proposition peut s'entendre de deux manières : premièrement, d'une manière
affirmative, en ce sens : Vous donnerez votre vie pour moi, mais actuellement
la crainte de la mort du corps vous fera tomber dans la mort de l'âme ;
secondement, dans un sens ironique — S. AUG. C'est-à-dire, vous ferez pour moi
ce que je n'ai pas encore fait pour vous ? Vous pouvez me precéder, vous qui
n'êtes pas capable de me suivre ? Pourquoi tant de présomption ? Apprenez donc
ce que vous êtes : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le coq ne
chantera pas que vous ne m'ayez renié trois fois, » vous qui promettez de
mourir pour moi ? vous renierez trois fois celui qui est votre vie. Pierre
voyait bien l'étendue du désir de son âme, mais il ne voyait pas sa faiblesse,
malade qu'il était, il vantait bien haut l'ardeur de sa volonté, mais le Médecin
connaissait son infirmité. Peut-on admettre, avec, quelques-uns qui, par une
condescendance coupable, veulent excuser Pierre, que cet apôtre n'a point
précisément renié le Christ, parce qu'à la question que lui fit la servante, il
répondit qu'il ne connaissait pas cet homme, comme les autres évangélistes le
disent expressément ? Comme si renier Jésus en tant qu'homme ne soit pas le
renier comme Christ, et le renier dans ce qu'il a daigné se faire pour notre
amour et pour nous sauver de la mort, nous ses créatures. Comment est-il devenu
la tête de l'Eglise si ce n'est par son humanité ? Comment donc peut-on faire
partie du corps de Jésus-Christ, en reniant Jésus-Christ comme homme ? Mais
pourquoi nous arrêter davantage à cette difficulté ? Nôtre-Seigneur ne dit
point : Le coq ne chantera pas que vous n'ayez renié l'homme où le Fils de
l'homme ; mais : « Le coq ne chantera pas que vous ne m'ayez renié. » Que veut
dire ici l'expression moi, si ce n'est ce que Jésus-Christ était alors ?
donc tout ce que Pierre a renié dans le Christ, c'est Jésus-Christ lui-même
qu'il a renié. En douter, ce serait un crime. Jésus-Christ l'a déclaré, il a
prédit les deux choses ; il est donc certain que Pierre a renié Jésus-Christ.
N'allons pas accuser Jésus-Christ, en voulant défendre Pierre. Pierre a reconnu
pleinement son péché, et l'abondance des larmes qu'il a versées a témoigné de
la grandeur du crime qu'il a commis. Si nous parlons de la sorte, ce n'est
point pour le plaisir d'accuser le chef des Apôtres, mais la considération de
sa chute nous apprend combien l'homme doit se défier de ses propres forces. — BEDE. Que chacun cependant profite de
cet exemple. pour ne point se laisser aller au désespoir lorsqu'il tombe dans
quelque faute, et qu'il y puise l'espérance assurée d'obtenir son pardon. — S.
CHRYS. Nous devons aussi conclure de là que le Seigneur permit la chute de
Pierre. Il aurait pu, sans doute, la prévenir tout d'abord ; mais comme cet
apôtre persévérait dans ses protestations opiniâtres, le Sauveur ne le poussa
point à le renier, mais il l'abandonna à ses propres forces, pour lui faire
comprendre sa propre faiblesse, le préserver pour l'avenir d'une si déplorable
chute, lorsqu'il serait chargé du gouvernement du monde entier, et lui donner
la connaissance de lui-même par le souvenir de sa faiblesse.
S. AUG. Ce fut donc l'âme de Pierre qui
souffrit la mort qu'il offrait de souffrir dans son corps, mais dans un sens
différent de celui qu'il pensait ; car avant la mort et la résurrection du
Seigneur, il mourut par son renoncement, et ressuscita par ses larmes. — S. AUG.
(De l'Acc. des Evang., 2, 2.) Le renoncement dr Pierre, dont nous venons
de parler, nous est raconté non-seulement par saint Jean, mais par les trois
autres évangélistes, bien que tous ne le placent pas dans les mêmes
circonstances ; car saint Matthieu et saint Marc le rattachent au discours qui
suivit la sortie du Sauveur de la maison où il avait mangé la pâque ; tandis
que saint Luc et saint Jean le placent avant qu’il en fût sorti : mais il nous
est facile de comprendre ou que les deux premiers évangélistes en ont parlé par
récapitulation, ou les deux derniers par anticipation. On serait peut-être plus
fondé à admettre, en voyant les discours variés et les affirmations différentes
du Seigneur, rapportées par les Evangélistes, que sous l'impression de ces
paroles, Pierre a fait le serment téméraire de mourir pour son Maître ou avec
son Maître, et qu'ainsi il a renouvelé trois fois cet engagement en divers
endroits du discours du Sauveur, de même que Jésus lui a répondu, à trois
reprises différentes, qu'il le renierait trois fois avant le chant du coq.
S. AUG.
(Traité 67 sur S. Jean.) Le Sauveur voulant prévenir la
crainte tout humaine que sa mort pouvait produire dans l'âme de ses disciples
et le trouble qui devait s'en suivre, cherche à les consoler, en leur déclarant
qu'il est Dieu lui-même : « Et il dit à ses disciples : Que votre cœur ne
se trouble point, vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi, » c'est-à-dire, si vous
croyez en Dieu, par une conséquence nécessaire, vous devez croire en moi,
conséquence qui ne serait point légitime, si Jésus-Christ n'était pas Dieu.
Vous craignez la mort pour la nature du serviteur, que votre cœur ne se trouble
point,
la nature divine la ressuscitera. — S. CHRYS.
(hom. 73 sur S. Jean.) La foi que vous aurez en moi et
dans mon Père qui m'a engendré, est plus puissante que tous les événements qui
peuvent arriver, et aucune difficulté ne peut prévaloir contre elle. Il prouve
encore ici sa divinité en dévoilant les pensées les plus intimes de leur âme,
et en leur disant : « Que votre cœur ne se trouble point. » S. AUG. Comme la prédiction que Jésus
avait faite à Pierre, toujours plein de confiance et d'ardeur qu'il le
renierait trois fois avant le chant du coq avait aussi rempli de crainte les
autres disciples, Nôtre-Seigneur les rassure en leur disant : « Il y a beaucoup
de demeures dans la maison de mon Père. » C'est ainsi qu'il calme le trouble et
l'agitation de leur âme, en leur donnant l'espérance assurée, qu'après les
périls et les épreuves de cette vie, ils seraient pour toujours réunis à Dieu
avec Jésus-Christ. Que l'un soit supérieur à un autre en force, en sagesse, en
justice, en sainteté, aucun ne sera exclu de cette maison, où chacun sera placé
suivant son mérite. Tous recevront également le denier que le père de famille
ordonne de donner à ceux qui ont travaillé à sa vigne. (Mt 20) Ce
dernier est le symbole de la vie éternelle, qui n'a pour personne une durée
plus longue, parce qu'il ne peut y avoir de durée plus ou moins grande dans
l'éternité. Le grand nombre de demeures signifie donc les différents degrés de
mérites qui existent dans cette seule et même vie éternelle. — S. GREG. (hom. 16 sur Ezech.) Ou
bien ce grand nombre de demeures s'accorde avec l'unité de denier, parce que
bien que l'un goûte une félicité plus grande que l'autre, tous cependant éprouvent un même sentiment de
joie dans la claire vue de leur Créateur. — S. AUG. Ainsi Dieu sera tout en
tous, car comme Dieu est charité par l'effet de cette charité, ce qui est à chacun
sera le partage de tous. C'est ainsi que chacun possède les choses qu'il n'a
pas en réalité, mais qu'il aime, dans un autre. La différence de gloire
n'excitera donc aucune envie, parce que l'unité de la charité régnera dans tous
les cœurs. — S. GREG. (Moral.,
dern. liv., chap. 14 ou 24.) D'ailleurs les bienheureux
n'éprouveront aucun désavantage de cette disparité de gloire, parce que chacun
recevra la mesure suffisante pour combler ses désirs.
S. AUG. Il faut rejeter comme opposé à la foi
chrétienne le sentiment de ceux qui prétendent que cette multiplicité de
demeures signifie qu'il y aura en dehors du royaume des cieux un lieu destiné
aux âmes innocentes qui seront sorties de cette vie sans avoir reçu le baptême,
condition nécessaire pour entrer dans le royaume des cieux. Puisque toute la
maison des enfants de Dieu, qui sont appelés à régner, ne peut être que dans le
royaume, loin de nous la pensée qu'il y ait une partie de cette maison royale qui
ne soit point dans le royaume, car le Seigneur n'a pas dit : Dans la béatitude
éternelle, mais : « Dans la maison de mon Père il y a un grand nombre de
demeures. »
S. CHRYS.
On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède. Le
Seigneur avait dit à Pierre : «Là où je vais vous ne pouvez me suivre
maintenant, mais vous me suivrez par la suite. » Or, les disciples auraient pu
regarder cette promesse comme faite exclusivement à Pierre, c'est pour cela
qu'il leur dit ici : « Il y a un grand nombre de demeures dans la maison de mon
Père, » c'est-à-dire, le palais que je destine à Pierre vous est également
destiné, car il y a dans ce palais un grand nombre de demeures, et il n'y a
point à objecter qu'elles ont besoin d'être préparées, car il s'empresse
d'ajouter : « S'il en était autrement, je vous l'aurais dit, je vais vous
préparer une place. » S. AUG. Ces
paroles prouvent suffisamment qu'il leur parle de la sorte, parce qu'il y a
dans le ciel un grand nombre de demeures, et qu'il n'est pas besoin d'en
préparer quelqu'une. — S. CHRYS. Comme Il avait dit à Pierre : « Vous ne pouvez
pas me suivre maintenant, » et qu'ils pouvaient craindre d'être pour toujours
séparés de lui, il ajoute : « Et lorsque je m'en serai allé, et vous aurai
préparé une place, je reviendrai et vous prendrai avec moi, afin que là où je
suis, vous soyez aussi. » Quoi de plus propre que ce langage pour leur inspirer
une vive confiance en lui ? — THEOPHYL. Ne semble-t-il pas leur dire, en
effet : Que les demeures soient préparées ou ne le soient point, vous ne
devez point vous troubler, car en supposant qu'elles ne soient point préparées,
je vais moi-même vous les préparer avec toute la sollicitude possible ?
S. AUG. Mais comment Nôtre-Seigneur peut-il
aller nous préparer nue place, puisque d'après lui, il y a déjà un grand nombre
de demeures ? C'est qu'elles ne sont pas encore comme elles doivent être
préparées, car les demeures qu'il a préparées par la prédestination, il les
prépare encore par son action divine. Elles existent donc, déjà dans les
décrets de sa prédestination, autrement il aurait dit : J'irai et je préparerai
(c'est-à-dire je prédestinerai) une place ; mais comme elles ne sont pas encore
l'objet de l'action divine, il ajoute : « Et lorsque je m'en serai allé et que
je vous aurai préparé une place. » Or, il prépare maintenant ces demeures, en
leur préparant ceux qui doivent les habiter. En effet, lorsque le Sauveur dit :
« Il y a un grand nombre de demeures dans la maison de mon Père ; » que
devons-nous entendre par cette maison de Dieu, si ce n'est le temple de
Dieu, temple dont l'Apôtre dit : « Le temple de Dieu est saint, et c’est vous
qui êtes ce temple ? » (1 Co 3, 17.) Or, cette maison est
encore en voie de construction et de préparation. Mais pourquoi faut-il qu'il s'en aille
pour cette préparation, puisque c'est lui-même qui nous prépare, ce qu'il ne
peut faire, s'il le sépare de nous ? Il veut nous enseigner par là, que pour
préparer ces demeures, le juste doit vivre de la foi. Si vous jouissez de la claire
vue, la foi n'est plus possible. Que le Seigneur s'en aille donc pour se
dérober aux regards, qu'il se cache pour devenir l'objet de notre foi, car
c'est la vie de la foi qui nous prépare la place. Que la foi nous fasse désirer
le Sauveur, afin que les saints désirs nous en mettent en possession.
D'ailleurs, si vous l'entendez bien, il ne quitte ni le lieu d'où il paraît
s'éloigner, ni celui d'où il est venu jusqu'à nous. Il s'en va en se cachant à
nos regards, il vient en manifestant sa présence. Mais s'il ne demeure avec
nous pour nous diriger et nous faire avancer dans la voie de la sainteté, le
lieu où nous demeurerons avec lui, en jouissant de sa présence, ne nous sera
point préparé.
ALCUIN. Voici donc le sens
de ce qu'il leur dit : « Je m'en vais, » (c'est-à-dire, je m'absente
corporellement), mais : « Je reviendrai de nouveau, » (par la présence de ma
divinité), ou bien encore, je reviendrai juger les vivants et les morts. Et
comme il prévoyait qu'ils lui demanderaient où il irait, et le chemin qu'il
suivrait, il les prévient et leur dit : « Où je vais, vous le savez
(c'est-à-dire, vers mon Père), et vous savez la voie » (c'est-à-dire, que j'y
vais par moi-même). — S. CHRYS. En
leur parlant de la sorte, il fait connaître le désir qui était au fond de leur
âme et leur offre l'occasion de l'interroger.
S. CHRYS.
(horn. 73 sur S. Jean.) Si les Juifs, qui ne demandaient
pas mieux que de se séparer de Jésus-Christ, l'interrogeaient sur le lieu où il
devait aller, combien plus les disciples qui ne voulaient pour rien en être
séparés, désiraient savoir où il allait ? aussi lui font-ils cette question
dans un sentiment mêlé d'amour et de crainte : « Thomas lui dit : Seigneur,
nous ne savons où vous allez. » — S. AUG.
(Traité 59 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de leur
dire qu'ils savaient où il allait, et qu'ils en savaient aussi la voie ;
Thomas, de son côté, déclare ignorer ces deux choses, mais le Fils de Dieu ne
peut mentir ; les Apôtres savaient donc, mais ils ignoraient qu'ils savaient,
et Nôtre-Seigneur leur prouve qu'ils savaient ce qu'ils croyaient ignorer : « Jésus lui dit : Je suis la voie,
la vérité et la vie. » — S. AUG. (Serm.
34 sur les par. du Seign.) C'est-à-dire, où voulez-vous aller ? je suis
la voie ; où voulez-vous aller ? je suis la vérité ; où voulez-vous demeurer ?
je suis la vie. Tout homme est capable de percevoir la vérité et la vie, mais
tout homme ne trouve pas la voie qui y conduit. Que Dieu soit une certaine vie
éternelle, et une vérité que l'on peut connaître, c'est ce que les philosophes
de ce monde ont eux-mêmes compris, mais c'est le Verbe de Dieu qui, dans le
sein du Père, est la vérité et la vie qui est devenu la voie en se revêtant de
notre humanité. Marchez par cette humanité, et vous arriverez jusqu'à la
divinité ; car il vaut encore mieux marcher en boitant dans la voie, que de l'aire de grands pas hors de la voie.
— S. HIL. (de la Trin., 7) Celui qui est la voie ne vous conduira pas
dans des chemins perdus et sans issue ; celui qui est la vérité, ne peut vous
tromper, et celui qui est la vie ne vous laissera pas dans l'erreur de la mort.
— THEOPHYLACTE.
Lorsque
vous menez la vie active, Jésus-Christ est pour vous la voie, lorsque vous
persévérez dans la vie contemplative, il devient pour vous la vérité. La vie
est le fruit de l'action de la vie contemplative, car il faut nécessairement
marcher et annoncer l'Evangile pour mériter la vie future et éternelle.
S. AUG.
(Traité 69.) Ils savaient donc la voie, parce qu'ils le
connaissaient, lui qui est la voie. Mais qu'était-il besoin d'ajouter qu'il
était la vérité et la vie, alors que la voie étant connue, il restait à savoir
quel en était le terme, si ce n'est parce qu'il allait à la vérité et à la vie
? Il allait donc à lui-même par lui-même. Mais, Seigneur, est-ce que pour venir
jusqu'à nous, vous vous étiez quitté vous-même ? Je sais que vous avez pris la
forme de serviteur, et que vous êtes venu dans une chair mortelle, tout en
demeurant où vous étiez d'abord, et vous êtes retourné par cette même chair
sans vous séparer de ceux vers lesquels vous étiez venu. Si donc c'est par
cette chair que vous êtes venu et que vous êtes retourné, c'est par cette même
chair aussi que vous êtes devenu tout à la fois la voie que nous devons prendre
pour arriver jusqu'à vous, et la voie par laquelle vous êtes vous-même venu et
retourné. Or, lorsque vous êtes retourné vers la vie (qui n'est autre que
vous-même), vous avez conduit cette même chair de la mort à la vie.
Jésus-Christ est donc allé à la vie lorsque sa chair a passé de la mort à la
vie. Et comme le Verbe est la vie, c'est à lui-même que le Christ est venu, car
le Christ est un composé de ces deux choses, le Verbe et la chair dans une même
personne. Dieu était venu par le moyen de la chair vers les hommes, la vérité
était venue trouver le mensonge, car Dieu est la vérité, et tout homme est
menteur. (Rm 3, 4.) Lors donc qu'il s'est dérobé aux regards des hommes,
et qu'il a élevé sa chair vers ces hauteurs inaccessibles au mensonge. C’est le même Verbe
fait chair qui, par lui-même, c'est-à-dire par sa chair, est retourné vers la
vérité, qui n'est autre que lui-même ; vérité qu'au milieu même des hommes de
mensonge, il a conservée jusque dans la mort. Lorsque moi-même je vous tiens un
langage que vous comprenez, je m'avance en quelque sorte vers vous, sans me
quitter moi-même, et lorsque je cesse de parler, je reviens comme à moi-même,
tout en demeurant avec vous, si vous retenez ce que vous avez entendu. Or, si
cela est possible à l'homme, image créée de Dieu, que ne peut point son image
substantielle qu'il a engendrée ? Il va donc à lui-même par lui-même, et par
lui-même au Père, et par lui, nous allons nous-mêmes à lui et au Père.
S. CHRYS. Si j'ai le pouvoir de vous conduire
au Père, vous ne pouvez manquer d'y arriver, car il n'est pas possible d'y
arriver par un autre chemin. En rapprochant ce qu'il a dit précédemment : «
Personne ne peut venir à moi, si mon Père ne l'attire, » de ce qu'il déclare
ici que personne ne peut venir à son Père que par lui, il se proclame l’égal de
celui qui l'a engendré. Mais comment après avoir dit : « Vous savez où je
vais, et vous en savez la voie, » ajoute-t-il : « Si vous m'aviez connu, vous
auriez aussi connu mon Père, » c'est-à-dire, si vous connaissiez ma
nature et ma dignité, vous connaîtriez aussi la nature et la dignité du Père.
Il n'y a point ici contradiction, car ils connaissaient, mais d'une
connaissance imparfaite, il était réservé à l'Esprit saint de leur donner cette
connaissance dans toute sa perfection. C'est pour cela qu'il ajoute : « Bientôt
vous le connaîtrez (il veut parler d'une connaissance tout à fait spirituelle),
et vous l'avez déjà vu (c'est-à-dire par moi) ; » il leur apprend ainsi que celui qui le
voit, voit son Père, or, ils l'avaient vu, non dans sa nature divine, mais sous
le voile de la chair dont il était revêtu.
BEDE. Il nous faut
examiner maintenant comment Nôtre-Seigneur a pu dire à ses disciples :
« Si vous m'aviez connu, » etc. Après leur avoir dit précédemment : Là où
je vais, vous le savez, et vous savez le chemin. La réponse à cette difficulté
est que parmi les Apôtres, quelques-uns le savaient, et d'autres, du nombre
desquels était Thomas, l'ignoraient. — S. HIL. (de la Trin., 7) On peut
encore rattacher ces paroles entre elles d'une autre manière. Comme on ne peut
aller au Père que par le Fils, il faut examiner si c'est par renseignement de
sa doctrine ou par la foi en sa nature divine. La réponse à cette question se
trouve dans les paroles qui suivent : « Si vous m'aviez connu, vous auriez aussi
connu mon Père. » En effet, le Sauveur a suivi cet ordre dans le mystère de son
incarnation, qui avait pour objet de confirmer lu nature divine de son Père, il
a distingué le temps de la vision du temps de la connaissance ; celui qu'ils
doivent connaître bientôt, ils l'ont déjà vu et ils devaient recevoir par
l'effet de la révélation l'intelligence de la nature divine qu'ils avaient déjà
contemplée en lui.
S. HIL.
(de la Trin., 7) La nouveauté de ce langage étonne l'apôtre
Philippe, on ne voit en Jésus-Christ qu'un homme, et il se proclame le Fils de
Dieu, il déclare qu'en le connaissant on connaît son Père, et que qui le voit
voit son Père ; Philippe fait au Sauveur cette question qu'autorisait son titre
d'Apôtre : « Seigneur, montrez-nous votre Père, et cela nous suffit. » Il ne
nie pas qu'on puisse voir son Père en lui, mais il demande qu'on le lui montre,
non pas comme vu spectacle extérieur propre à satisfaire les regards du corps,
mais comme une démonstration intellectuelle qui lui fasse comprendre celui
qu'il désire voir ; car il avait bien vu le Fils de Dieu sous une forme
humaine, mais il ne savait pas comment en le voyant, il pouvait voir le Père.
Et comme preuve que cette manifestation qu'il désire est plutôt une
démonstration de l'intelligence qu'une vision extérieure, il ajoute : « Et cela
nous suffira. » —S. AUG. (de
la Trin., 8) Celle joie dont il nous comblera en nous montrant son visage (Ps
15, 11), ne nous laissera plus rien à désirer, et c'est ce qu'avait bien
compris Philippe, lorsqu'il disait : « Seigneur, montrez-nous le Père, et cela
nous suffit. » Mais il n'avait pas encore compris qu'il pouvait également dire
à Jésus-Christ : « Seigneur, montrez-vous à nous, et cela nous suffit, car
c'est pour lui faire comprendre cette vérité, que Nôtre-Seigneur ajoute : « Il
y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ? » — S. AUG. (Traité 70.) Mais comment
le Sauveur peut-il leur faire ce reproche, alors qu'ils savaient bien où il
allait, ainsi que la voie qui y conduisait, par cela seul qu'ils le
connaissaient lui-même ? Cette question peut facilement se résoudre, en
disant que parmi les Apôtres, quelques-uns connaissaient Jésus-Christ, mais que
quelques autres ne le connaissaient pas, et que de ce nombre était Philippe.
S. HIL.
(de la Trin., 7) Le Sauveur fait donc un reproche à cet Apôtre,
de ce qu'il ne le connaît point, car la plupart des actions qu'il avait faites,
comme de marcher sur la mer, de commander aux vents, de remettre les péchés, de
rendre la vie aux morts, étant visiblement les œuvres d'un Dieu ; toute la
difficulté venait de ce que sous le voile de l'humanité qu'il avait prise,
Philippe n'avait pas compris l'existence de la nature divine. Aussi à la
demande que lui fait cet Apôtre, de lui montrer son Père, il répond : «
Philippe qui me voit, voit mon Père. » — S. AUG.
En effet, lorsque nous parlons de deux personnes parfaitement
semblables, nous disons : « Si vous avez vu l'une, vous avez vu l'autre. »
C'est dans ce sens que Nôtre-Seigneur dit : « Celui qui me voit, voit mon Père,
» non pas que le Père soit le même que le Fils, mais parce que le Fils a une
entière et parfaite ressemblance avec le Père.
S. HIL.
(de la Trin., 7) Nôtre-Seigneur ne veut point parler ici de la
vue des yeux du corps, car la chair qui est née de la vierge Marie, ne peut
servir à découvrir un Jésus-Christ la nature divine, mais c'est l'intelligence
que nous avons du Fils de Dieu, qui nous fait comprendre le Père, car si le
Fils est l'image du Père, il a avec lui une même nature, et cette expression
signifie simplement qu'il a été engendré. Les paroles du Sauveur ne laissent
point supposer, en effet, une seule et unique personne, bien qu'elles expriment
l'unité de nature, car en ajoutant : « Voit le Père, » il exclut la supposition
d'une personne unique, et nous force d'admettre qu'en vertu de l'unité de
nature, le Père est vu dans le Fils. — S. AUG.
Mais doit-on faire des reproches à celui qui, voyant une personne
parfaitement semblable à une autre, désire voir l'autre terme de la
ressemblance ? Nous répondons que le Sauveur reprend son disciple, parce qu'il
voyait le fond de son cœur ; Philippe désirait connaître le Père, comme si le
Père était supérieur au Fils, et par là-même il ne connaissait pas le Fils, m
supposant qu'il existait un être qui lui fût supérieur. C'est pour redresser
cette erreur que Nôtre-Seigneur lui dit : « Ne croyez-vous pas que je suis dans
mon Père, et que mon Père est en moi ? » C'est-à-dire, si c'est beaucoup pour
vous de voir le Père dans le Fils, croyez au moins ce que vous ne voyez pas. —
S. HIL. (de la Trin., vu.) Comment pouvait-on encore ignorer le Père, et
quelle nécessité de le faire connaître à ceux qui l'ignoraient, alors qu'on
pouvait le voir dans le Fils ? Or, on le voyait, parce qu'ils ont une commune
nature, et qu'en vertu de cette nature absolument semblable, celui qui engendre
et celui qui est engendré ne sont qu'un, selon ces paroles du Sauveur : « Ne
croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ? » — S. AUG. (de la Trin., 1, 2.) Le
Sauveur voulait qu'il vécût de la foi avant de parvenir à la claire vision, car
la contemplation est la récompense de la foi, et c'est la foi qui prépare les
cœurs à cette récompense en les purifiant.
S. HIL. (de la Trin., 7) Or, le Père
est dans le Fils, et le Fils dans le Père, non par la double union de deux
natures qui se rencontrent, ni par l'union d'une nature supérieure qui vient
s'enter sur une autre nature, parce que les choses intérieures ne peuvent être
soumises aux nécessités des dimensions corporelles, et demeurer extérieures aux
choses qui les contiennent, mais le Père est dans le Fils, et le Fils dans le
Père, en vertu de sa naissance d'une nature vivante sortant d'une autre nature
vivante, c'est-à-dire, en vertu de la naissance d'un Dieu engendré par un Dieu.
— S. HIL. (de la Trin., 5) En effet, Dieu qui est immuable, agit
conformément à sa nature en engendrant une nature immuable, et cette naissance
parfaite d'un Dieu immuable qui sort du sein d'un Dieu immuable, lui conserve
toute la perfection de sa nature. Nous comprenons donc que la nature divine est
en lui, en ce sens que c'est Dieu qui est dans Dieu, et qu'il n'y a point
d'autre Dieu en dehors de lui qui est Dieu.
S. CHRYS.
(hom. 74 sur S. Jean.) On peut encore donner une autre
explication de ce passage. Philippe voulait voir le Père des yeux du
corps, parce qu'il pensait avoir vu le Fils de la sorte, peut-être aussi, parce
qu'il avait entendu dire aux prophètes qu'ils avaient vu le Seigneur, c'est sous
cette impression qu'il dit à Jésus : « Montrez-nous le Père. » Les Juifs lui
avaient souvent fait cette question : « Quel est votre Père ? » Pierre et
Thomas lui avaient demande oùl il allait, et ni les uns ni les antres n'avaient
compris sa réponse. Philippe donc voulant éviter le reproche d'importunité, se
contente de lui dire : « Montrez-nous 1e Père, et cela nous suffit, »
c'est-à-dire, nous ne demandons rien autre chose. Or, le Sauveur ne lui répond
point : « Vous demandez une chose impossible ; » mais il lui fait comprendre
qu'il n'a même pas vu le Fils, car s'il avait pu le voir, il aurait vu aussi le
Père, et c'est le sens de ces paroles : « Il y a si longtemps que je suis avec
vous, et vous ne me connaissez pas ? Philippe, qui me voit, voit aussi mon
Père. » Il ne lui dit pas : Vous ne m'avez pas vu, mais : « Vous ne m'avez pas
connu, » c'est-à-dire, vous n'avez pas compris que le Fils demeurant ce qu'est
le Père, peut très-bien montrer en lui celui qui l'a engendré. Il distingue
ensuite les deux personnes, en ajoutant : « Celui qui me voit, voit aussi mon
Père, » pour prévenir cette erreur que le Fils est une même personne avec le
Père. Il lui montre maintenant
qu'il n'a point vu le Fils des yeux du corps. Si quelqu'un veut donner ici au
mot voir la signification du mot connaître, je ne m'y oppose
point, et tel serait alors le sens de ces paroles : « Celui qui me connaît,
connaît aussi le Père. » Mais ce n'est point la pensée du Sauveur, qui a voulu
exprimer sa consubstantialité avec son Père en ces termes : Celui qui a vu ma
nature, a vu la nature de mon Père. Il résulte de là qu'il n'est pas une simple
créature, car celui qui voit un être créé ne voit pas Dieu. Philippe,
d'ailleurs, désirait voir la nature du Père. Si donc le Sauveur avait une nature
différente de son Père, il ne dirait pas : « Celui qui me voit, voit mon Père,
« car personne ne peut voir la nature de l'or dans celle de l'argent ; une
nature ne peut faire voir en elle-même une nature toute différente.
S. AUG. Le Sauveur s'adresse ensuite non plus
à Philippe seul, mais a tous ses apôtres : « Les paroles que je vous dis, je ne
vous les dis pas de moi-même ; » que signifie cette manière de s'exprimer : «
Je ne parle pas de moi-même, » si ce n'est : Moi qui vous parle, je ne suis pus
de moi-même ? Il attribue ainsi ce qu'il fait à celui de qui lui vient avec
l'être le pouvoir d'agir. — S. HIL. (de la Trin., 7) Il ne
nie donc pas qu'il soit le Fils, il ne dissimule pas non plus la puissance de
la nature paternelle qui est en lui, car lorsqu'il parle, il parle dans sa
propre nature, et en déclarant qu'il ne parle pas de lui-même, il atteste en
lui la naissance divine qui le fait naître d'un Dieu.— S. CHRYS. Voyez avec
quelle abondance de preuves il établit l'unité de la nature divine : « Le Père
qui demeure en moi, fait lui-même les œuvres que je fais. » C'est-à-dire, mon
Père et moi n'agissons point d'une manière différente, comme il le dit ailleurs
: « Si je ne fais point les œuvres de mon Père, ne croyez pas en moi. » Mais
pourquoi passe-t-il des paroles aux œuvres ? Il paraissait convenable de dire :
C'est lui qui dit les paroles que je prononce, mais il veut donner ici deux
preuves différentes empruntées, l'une à la doctrine, l'autre aux miracles ; ou
encore, parce que les paroles étaient ici comme des œuvres. — S. AUG. En effet, celui qui édifie son
prochain par ses discours, fait une bonne œuvre. Ces deux propositions ont été
pour des hérétiques différents, la matière d'une double difficulté. Le Fils
n'est point égal au Père, disent les Ariens, puisqu'il ne parle point de
lui-même. Le Père est la même chose que le Fils, disent à leur tour les
Sabelliens, car que signifient ces paroles : « Le Père qui demeure en moi, fait
lui-même les œuvres que je fais, » si ce n'est : Je demeure en moi-même, moi
qui fais ces œuvres ? — S. HIL. (de
la Trin., 7) Que le Père demeure dans le Fils, cela n'indique pas une seule
et même personne ; que d'un autre côté, le Père agisse par le Fils, on ne peut
en conclure qu'ils soient d'une nature différente. Disons encore que celui qui ne parle point de
lui-même, prouve par-là même qu'il n'est pas seul, et que celui qui parle par
lui n'est pas d'une nature différente. Or, après avoir enseigné que le Père
parlait et agissait en lui, il apportait la foi à cette unité parfaite entre
lui et son Père, en ajoutant : « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père,
et que mon Père est en moi ? » Tant il veut que nous croyons que le Père parle
et agit dans son Fils, non par un effet de sa puissance, mais par l'effet de la
génération divine et de l'unité de nature. — S. AUG. Jusque-là Nôtre-Seigneur
n'avait adressé de reproches qu'à Philippe, il fait voir maintenant qu'il
n'était pas le seul qui les méritât, en disant à tous : « Croyez au moins à
cause de mes œuvres ? » — S. CHRYS. Si
ce que j'ai dit ne suffit pas pour vous convaincre que je cuis consubstantiel à
mon Père, apprenez-le du moins par mes oeuvres. » C'est le sens de ces paroles
: « Croyez-le du moins à cause de mes œuvres. » Vous avez vu des
miracles faits avec autorité, vous avez vu en moi tous les signes les plus
évidents de divinité, les péchés remis, les morts ressuscités, et d'autres
prodiges semblables. — S. AUG. Croyez
donc au moins à cause de mes œuvres, que je suis dans mon Père et que mon Père
est en moi ; car si nous avions une nature distincte, nous ne pourrions
nullement agir avec autant d'unité.
S. CHRYS.
(hom. 74 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de dire à ses
disciples : « Croyez du moins, à cause, de mes œuvres ; » il veut leur
apprendre maintenant que non-seulement il peut faire des œuvres semblables,
mais qu'il peut en faire de plus grandes, et (ce qui est encore plus
admirable), qu'il peut communiquer à d'autres ce pouvoir : « En vérité, en
vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui-même les œuvres que je
fais, et en fera encore de plus grandes. »
S. AUG. (Traité 71 sur S. Jean.) Mais
quelles sont ces œuvres plus grandes ? Est-ce d'avoir guéri les malades par
l'ombre seule de son corps lorsqu'ils passaient ? (Ac 5, 15.) Car c'est
une action plus merveilleuse de guérir par l'ombre seule de son corps que par la frange
de son vêtement. Toutefois en s'exprimant de la sorte, le Sauveur avait en vue
les faits et les œuvres de ses paroles ; en effet, lorsqu'il dit : « Mon Père
qui demeure en moi, opère lui-même les œuvres ; » de quelles œuvres voulait-il
parler ? évidemment des paroles qu'il disait. Et le fruit de ces paroles,
c'était la foi de ses disciples ; mais lorsque ses disciples eux-mêmes
prêchèrent l'Evangile, ceux qui se convertirent furent beaucoup plus nombreux
qu'ils n'étaient eux-mêmes, puisque les nations elles-mêmes embrassèrent la
foi. (Traité 72.) Ne voyons-nous pas ce jeune homme riche se retirer de
Jésus plein de tristesse après l'avoir entendu ? (Mt 19) Et cependant le
conseil qu'un seul ne put se décider à pratiquer sur la recommandation du
Sauveur, un grand nombre l'embrassèrent avec ardeur à la prédication des
Apôtres. Il a donc fait de plus grandes
œuvres lorsqu'il a été prêché par ceux qui croyaient, que lorsqu'il parlait
lui-même à ceux qui recrutaient. Mais voici une autre difficulté, ces oeuvres
plus grandes n'ont été faites que par les Apôtres ; or, ce n'est, pas seulement
d'eux que le Sauveur veut parler, lorsqu'il dit : « Celui qui croit en moi. »
Ou bien ne doit-on compter parmi ceux qui croient en Jésus-Christ que ceux qui
auraient fait des œuvres plus grandes que les siennes ? Cette conséquence
serait dure, elle serait même absurde, si on ne comprenait bien ces paroles.
L'Apôtre dit : « Lorsqu'un homme, sans faire des œuvres, croit en celui qui
justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice. (Rm 4, 5) En cela
nous faisons les œuvres de Jésus-Christ, car c'est faire l'œuvre de Jésus-Christ que de croire en lui
; c'est une œuvre qu'il fait en nous, non toutefois sans notre concours.
Entendez donc bien le sens de ces paroles :
Celui qui croit en moi, fera aussi les œuvres que je fais ; je les fais
le premier, et il les fera après moi, parce que je ne les fais le premier que
pour qu'il les fasse à mon exemple. Or, quelles sont ces œuvres ? la
justification du pécheur, c'est ce que le Christ opère dans le pécheur, mais
avec le concours de sa volonté. Or, c'est là une oeuvre plus grande que la
création du ciel et de la terre, car le ciel et la terre passeront, mais le
salut et la justification des prédestinés demeureront à jamais. Les anges dans
les cieux, sont aussi l'œuvre de Jésus-Christ, pouvons-nous dire que celui qui
coopère à la grâce de Jésus-Christ pour sa justification, fait une œuvre plus
grande que la création des anges ? Que celui qui en est capable, juge si la
création des justes estime œuvre plus grande que la justification des pécheurs,
si l'une et l'autre de ces deux œuvres annoncent une puissance égale, la
seconde exige une plus grande miséricorde. D'ailleurs il n'est
nullement nécessaire d'entendre de toutes les œuvres de Jésus-Christ, ces
paroes : « Il fera de plus grandes œuvres que les miennes. » Peut-être n'a-t-il
voulu parler que des œuvres qu'il opérait alors, et en ce moment il ne faisait
qu’enseigner la doctrine de la foi ; or, enseigner la doctrine de la justice
(ce que Jésus a fait sans nous), c'est faire moins que du justifier les
pécheurs, ce qu'il a fait en nous avec le concours de notre volonté.
Nôtre-Seigneur donne ensuite un grand sujet
d'espérance à ceux qui lui adresseront leurs prières, lorsqu'il ajoute : «
Parce que je vais à mon Père.. » — S. CHRYS.
C'est-à-dire, je ne dois point périr, mais je resterai dans la puissance
qui m'est propre, et je demeurerai dans les cieux. Ou bien tel est le sens de
ces paroles : C'est à vous maintenant de faire des miracles, pour moi je
m'en vais à mon Père. — S. AUG. Et
afin que personne ne fût tenté de s'attribuer le mérite de ces oeuvres plus
grandes, il leur fait voir que c'est lui-même qui en sera l'auteur : « Et tout
ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, je le ferai. » Il venait de dire
: « Il fera, » il dit maintenant : « Je le ferai, » et voici
l'explication de cette parole : Ne regardez pas ce que je vous dis comme
impossible, celui qui croit en moi ne peut être plus grand que moi ; c'est
moi-même qui ferai alors des œuvres plus éclatantes que celles que je fais
maintenant, je ferai par celui qui croit en moi ces œuvres plus grandes que
celles que je fais actuellement par moi-même, ce qui n'accuse point un défaut
de puissance, mais un sentiment de condescendance.
S. CHRYS.
Nôtre-Seigneur dit : « Tout ce que vous demanderez en mon nom, » c'est
ce que proclamaient les Apôtres : « Au nom de Jésus-Christ, levez-vous et
marchez ; » (Ac 3, 6 ; 9, 33) car c'est lui-même qui était l'auteur de
tous les miracles qu'ils opéraient, et la main du Seigneur était avec eux. — THEOPHYL. Il nous fait connaître ici la
véritable théorie des miracles, c'est par la prière et par l'invocation de son
nom qu'on peut opérer les plus grands prodiges.
S. AUG. Mais que veulent dire ces paroles : «
Tout ce que vous demanderez, » lorsque nous voyons tant de fidèles demander
sans recevoir ? N'est-ce point parce qu'ils demandent mal ? Dieu refuse dans sa
miséricorde ce qu'on ne demande que pour en faire un mauvais usage. Gomment
donc faut-il entendre ces paroles : « Tout ce que vous demanderez, je le ferai,
» si Dieu, dans leur intérêt, n'accorde point aux fidèles l'objet de leurs prières
? Cette promesse n'a donc été faite qu'aux seuls Apôtres ? Non, sans doute, car
le Sauveur avait dit précédemment : « Celui qui croit en moi, fera les œuvres
que je fais moi-même. » Si nous considérons l'accomplissement de cette promesse
dans les Apôtres eux-mêmes, nous voyons que celui qui a travaillé plus qu'eux
tous, a prié trois fois le Seigneur d'éloigner de lui l'ange de Satan, sans
avoir pu obtenir l'effet de sa prière. (2 Co 12,
7-9.)
Comprenez bien le sens de ces paroles : « En mon nom, » (qui est
Jésus-Christ.) Le mot Christ signifie roi, le mot Jésus veut dire sauveur
; donc tout ce que nous demandons contre les véritables intérêts de
notre salut, nous ne le demandons pas au nom du suiveur. Cependant il ne laisse
pas d’être notre Sauveur, non-seulement quand il nous accorde l'objet de nos
prières, mais même quand il refuse de les exaucer, car il se montre justement
notre Sauveur, en refusant de nous accorder ce qu'il sait être contraire à
notre salut. Le médecin sait bien ce que le malade demande dans l'intérêt ou
contre l'intérêt de sa santé, et il refuse d'accorder à ce malade les choses
nuisibles qu'il désire, justement pour lui conserver la santé. Disons encore
qu'il est des choses que nous demandons en son nom et qu'il ne nous
accorde pas au moment même où nous les demandons, mais il les accorde plus tard
; il diffère, mais il ne refuse pas d'exaucer nos prières. Il ajoute aussitôt :
« Afin que le Père soit glorifié dans le Fils, si vous demandez quelque
chose en mon nom je le ferai. » Le Fils ne fait donc rien sans le Père,
puisqu'il n'agit que pour que le Père soit glorifié en lui. — S. CHRYS. En effet, lorsqu'on verra le
Fils opérer de grandes choses, la gloire en reviendra à celui qui l'a engendré.
Pourquoi répète-t-il de nouveau : « Je le ferai ? » pour confirmer la vérité de
ses paroles. — THEOPHYL. Remarquez, par quels degrés le Père est glorifié :
c'est au nom de Jésus que sont opérés les miracles en vertu desquels les
peuples croyaient à la prédication des Apôtres, et tandis qu'ils parvenaient
ainsi à la connaissance, du Père, le Père était glorifié dans le Fils.
S. CHRYS. (hom. 74 sur S. Jean.) Les
paroles que Notre-Seigneur venait de dire : « Tout ce que vous demanderez, je
le ferai, » pouvaient donner aux Apôtres la pensée que toute prière
indistinctement devait être exaucée ; il se hâte donc de prévenir cette idée,
en ajoutant : « Si vous m'aimez, gardez mes commandements ; » comme s'il
leur disait : C'est à cette condition que j'exaucerai vos prières. Ou bien encore,
comme la nouvelle qu'il venait de leur apprendre, qu'il allait à son Père,
devait naturellement les jeter dans le trouble, il leur dit : « L'amour
que vous devez avoir pour moi, ne doit point avoir pour effet de troubler votre
âme, mais de vous faire accomplir mes commandements ; car l'amour consista à
obéir et à croire à celui qu'on aime. » Il prévoit aussi qu'ils devaient
désirer vivement cette présence extérieure et cette, consolation sensible dont
ils avaient joui jusqu'à présent, et c'est pour cela qu'il ajoute: « Et
moi, je prierai mon Père, et il vous donnera un autre Paraclet. » — S. AUG. (Traîté
74) En parlant ainsi, il fait voir qu'il est lui-même un Paraclet.
Le mot Paraclet veut dire, en latin, avocat, et saint Jean dit du
Sauveur : « Nous avons pour avocat auprès du Père, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. »
(Jn 1) — ALCUIN. Ou bien, le mot Paraclet veut dire Consolateur, et
les Apôtres, en effet, avaient eu jusqu'alors un Consolateur, qui les animait
et les fortifiait par l'éclat de ses miracles et par la douceur de ses
enseignements. — DIDYM. (De
l'Eprit saint.) Nôtre-Seigneur appelle l'Esprit saint un autre consolateur,
non qu'il ait une nature autre que la sienne, mais parce que son opération est
différente. Le Sauveur était venu pour remplir l'office de médiateur et
d'ambassadeur, et comme un pontife qui devait prier pour nos péchés, l'Esprit
saint reçoit le nom de Paraclet ou de consolateur dans un autre sens, parce que
ça mission est de consoler ceux qui sont dans la tristesse. Mais de cette diversité
d'opérations, il faut se garder de conclure à la différence de natures, puisque
nous voyons dans un autre endroit l'Esprit consolateur remplir près du Père
l'office d'ambassadeur. « L'Esprit lui-même, dit saint Paul, demande pour nous
par des gémissements inénarrables. » (Rm 8, 20.) Le Sauveur, de son
côté, répand la consolation dans les coeurs affligés, car il est écrit : « Il a
consolé tous les humbles de son peuple. » (1 M 14, 14)
S. CHRYS.
Le Sauveur dit : « Je prierai mon Père » pour rendre ses paroles plus dignes de
foi : car s'il avait dit simplement : Je vous enverrai un autre
consolateur, ils ne l'auraient pas cru aussi facilement. — S. AUG. (Cont.le.
Serm. Des Ar, 19) Et cependant pour montrer que ses oeuvres ne sont point
distinctes de celles du Père, il dit ailleurs : « Lorsque je m'en serai allé,
je vous l'enverrai. » (Jn 16) — S. CHRYS. Qu'aurait-il eu, en effet,
plus que les apôtres, s'il avait dû prier son Père pour qu'il envoyât l'Esprit
saint, alors que nous voyons les apôtres eux-mêmes le communiquer aux autres,
sans avoir recoins à la prière ?— ALCUIN. Je prierai, comme inférieur par mon
humanité, mon Père, à qui je suis égal et consubstantiel
par ma nature divine. — S. CHRYS. Il
leur promet que l'Esprit saint demeurera avec eux éternellement, parce qu'il ne
les quittera même pas après leur mort ; et il leur enseigne, indirectement, par
là même, que l'Esprit saint ne doit ni souffrir la mort comme lui, ni se séparer
d'eux. Et pour éloigner de leur esprit, la pensée d'une nouvelle incarnation
qui rendrait le Saint-Esprit visible à leurs yeux, il ajoute : « L'Esprit de
vérité, que le monde ne peut recevoir parce qu'il ne le voit point et ne le
connaît point. » — S. AUG. Cet
Esprit saint est une des personnes de la sainte Trinité, et la foi catholique
le proclame consubstantiel et coéternel au Père et au Fils.
S. CHRYS.
Il l'appelle l'Esprit de vérité, parce que c'est lui qui nous révèle le
sens des figures de l'Ancien Testament ; le monde ici, ce sont les méchants ;
et voir, c'est connaître avec certitude, parce que la vue est le plus clair de
tous les sens.
BEDE. Remarquez encore qu'en appelant
l'Esprit saint l'Esprit de vérité, il prouve en même temps qu'il est son
Esprit. De même encore lorsqu'il enseigne que cet Esprit est donné par le Père,
il déclare par là même qu'il est l'Esprit du Père, et que par conséquent
l'Esprit saint procède du Père et du Fils.
S. GREG.
(Moral., 5, 19 ou 20, dans les anc. ex. ) Dès que
l'Esprit saint remplit un cœur, il excite en lui un ardent désir des biens
invisibles. Mais comme les cœurs des mondains n'ont d'amour que pour les biens
extérieurs, le monde ne peut recevoir cet Esprit, parce qu'il est incapable de
s'élever jusqu'à l'amour des choses invisibles. En effet, plus les âmes
mondaines s'étendent et s'élargissent au dehors par leurs désirs, plus elles se
resserrent et deviennent étroites pour recevoir ce divin Esprit.
S. AUG. Nôtre-Seigneur déclare que le monde
(c'est-à-dire ceux qui aiment le monde), ne peuvent recevoir l'Esprit saint,
comme si nous disions : L'injustice ne peut être juste. Le monde donc, c'est-à-dire
ceux qui aiment le monde, ne peuvent recevoir l'Esprit saint, parce qu'ils ne
le voit point. En effet, l'amour du monde est privé de ces yeux invisibles par
lesquels nous ne pouvons voir l'Esprit saint que d’une manière invisible. «
Pour vous, vous le connaîtrez, parce qu'il demeurera au milieu de vous. » Et
afin qu'ils n'entendent pas ces paroles : « Il demeurera au milieu de vous, »
d'une demeure visible, comme celle d'un hôte à qui l'on donne l'hospitalité, il
ajoute : « Et il sera en vous. » — S. CHRYS.
C'est-à-dire il ne demeurera pas au milieu de vous comme j'y suis
demeuré moi-même, mais il habitera dans vos âmes.
S. AUG.
Il faut d'abord se donner à quelqu'un avant de demeurer ni lui, et
Nôtre-Seigneur explique ces paroles : « Au milieu de vous, » par ces autres : «
En vous ; » car s'il n'est pas en vous, vous ne pouvez non plus avoir en vous
la connaissance de ce divin Esprit. C'est ainsi que vous voyez en vous-même votre
propre conscience.
S. GREG.
(Moral., 2, 28 ou
41 dans les anc. ex. ) Si l'Esprit saint demeure dans les disciples,
comment donner encore comme signe distinctif du médiateur que l'Esprit saint
demeure en lui, comme il est dit à Jean-Baptiste : « Celui sur qui vous verrez
l'Esprit saint descendre et demeurer, c'est lui qui baptise ? » Cette
difficulté disparaîtra bientôt, si nous prenons soin de faire une distinction
entre les dons de l'Esprit saint. Quant aux dons sans lesquels il est
impossible de parvenir à la vie, l'Esprit saint demeure dans tous les élus ;
s'il s'agit au contraire des dons qui ont pour objet non de conserver, mais de
produire dans les autres la vie surnaturelle, il ne demeure pas toujours ;
quelquefois, en effet, il suspend le pouvoir d'opérer des miracles, pour que
l'humilité garde plus sûrement les vertus qu'il inspire. Jésus-Christ, au
contraire, jouit toujours, et en toutes circonstances, de la présence de
l'Esprit saint.
S. CHRYS.
Par ces seules paroles, Nôtre-Seigneur renverse d'un seul coup deux
hérésies contraires. En disant : « Je vous enverrai un autre, » il établit la
différence de personnes ; et en lui donnant le nom de consolateur, l'identité
de nature. — S. AUG. (contr. le serm. des Ar., chap. 19.) L'office de
consolateur, que les hérétiques abandonnent à l'Esprit saint, comme à la
dernière personne de la sainte Trinité, l'Apôtre l'attribue à Dieu lui-même,
quand il dit : « Dieu qui console les humbles nous a consolés. (2 Co 7,
6) L'Esprit saint qui console les humbles, est donc Dieu. Ou s'ils prétendent
que saint Paul veut parler ici du Père et du Fils, qu'ils cessent de séparer
l'Esprit saint du Père du Fils, en lui attribuant exclusivement l'office de
consolateur.
S. AUG.
(Traité 64 sur S. Jean.) Mais s'il est vrai que la
charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit saint qui nous y été
donné (Rm 5), comment aimer Jésus-Christ et observer ses commandements
pour mériter de recevoir l'Esprit saint, puisque nous ne pouvons sans lui ni
aimer ni observer les commandements ? Peut-on dire que nous avons d'abord en
nous la charité qui nous fait aimer Jésus-Christ, et que cet amour de
Jésus-Christ et l'observation de ses commandements attirent en nous l'Esprit
saint qui répand la charité de Dieu le Père dans nos cœurs ? Cette
interprétation est tout à fait erronée ; celui qui croit aimer le Fils de Dieu,
et n'aime pas le Père, n'aime certainement pas le Fils, il aime le produit de son imagination. La seule manière de résoudre cette
difficulté est donc de dire que celui qui aime a déjà l'Esprit saint, et qu'en
le possédant, il mérite de le posséder encore davantage et d'avoir ainsi un
plus grand amour. Les disciples de Jésus avaient déjà en eux l'Esprit saint que
le Sauveur leur promettait, mais ils devaient le recevoir d'une manière plus
abondante. Ils le possédaient au dedans d’eux-mêmes, il devait leur être donné
d'une manière visible, ce n’est donc point sans raison que ce divin Esprit est
promis, non-seulement à celui qui ne l'a pas encore, mais à celui qui le possède
déjà. Il est promis à celui qui ne l'a pas, pour qu'il le possède, et à celui
qui l'a déjà pour qu'il le reçoive plus abondamment. — S. CHRYS. Lorsque Jésus eut purifié ses
disciples par le sacrifice de sa passion, que leurs péchés furent effacés et que
le temps fut venu de les envoyer affronter les dangers et les combats, ils
eurent besoin de recevoir l'Esprit saint dans toute sa plénitude. Il ne leur
fut point donné aussitôt sa résurrection, afin que leurs désirs plus ardents
fussent une préparation à recevoir l'abondance de ses grâces.
S. AUG.
(Traité 75 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur ne veut point laisser croire à ses disciples qu'il leur donne
l'Esprit saint pour le remplacer, comme s'il ne devait plus être avec eux, et
c'est pour cela qu'il leur dit : « Je ne vous laisserai point orphelins.
» Le mot orphelins signifie la même chose que le mot pupilles, l'un
est grec, l'autre latin. Ainsi, bien que le Fils de Dieu nous ait donnés à son
Père comme des enfants adoptifs, il veut lui-même nous témoigner une tendresse
toute paternelle.
S. CHRYS.
(hom. 75.) Le Sauveur leur avait dit tout d'abord : « Vous
viendrez là où je vais ; » mais comme il fallait attendre un long
espace de temps, il leur promet l'Esprit saint, et parce qu'ils ne comprenaient
pas l'excellence de ce don, il leur promet sa présence dont ils étaient si
avides, en leur disant : « Je viendrai à vous. » Mais il ne vent pas qu'ils
recherchent sa présence telle qu'ils en ont joui jusqu'à présent, il exclut
indirectement ce genre de présence quand il ajoute : « Encore un peu de temps,
et le monde ne me verra plus, » c'est-à-dire : Je viendrai à vous, mais non pas
comme par le passé, en demeurant chaque jour tout entier au milieu de vous. Et
pour prévenir cette objection : Pourquoi donc avez-vous dit aux Juifs :
« Bientôt vous ne me verrez plus ? » Il leur dit : « C'est vers vous seuls
que je viendrai. » — S. AUG. Le
monde le voyait alors des yeux du corps revêtu d'une chair visible, mais il ne
voyait pas le Verbe, qui était caché sous l'enveloppe d'un corps sensible, de
même qu'après sa résurrection, il a donné cette chair, non-seulement à voir,
mais à toucher à ses disciples, tandis qu'il en a dérobé la vue à ses ennemis ;
peut-être est-ce pour cela qu'il dit : « Encore un peu de temps, et le monde ne
me verra plus, mais pour vous, vous me verrez. » Cependant, comme au jour du
jugement, le monde, c'est-à-dire, ceux qui sont exclus de son royaume, le
verront de leurs yeux, je crois
qu'il a surtout voulu désigner ce temps de la fin du monde où il disparaîtra
pour toujours des yeux des réprouvés, et ne sera plus vu que de ceux qui
l'aiment. Et s'il se sert de cette locution : « Encore un peu de temps, » c'est
que ce qui parait long aux yeux des hommes, est toujours très-court aux yeux de
Dieu.
« Parce que je vis et que vous vivrez aussi.
» — THEOPHYL. C'est-à-dire, bien
que je doive souffrir la mort, cependant je ressusciterai : et vous aussi vous
vivrez, c'est-à-dire, vous serez dans la joie, lorsque vous me verrez, et dès
que j'apparaîtrai, vous ressusciterez comme des morts qui sortent du tombeau. —
S. CHRYS. Il veut parler ici non
de la vie présente, mais de la vie future, et tel est le sens de ces paroles :
La mort de la croix ne me séparera point de vous pour toujours, mais elle ne
fera que me cacher un instant à vos yeux.
S. AUG.
Pourquoi dit-il de lui au présent : « Parce que je vis, » et d'eux au
futur : « Et que vous vivrez ? » C'est parce qu'il leur promettait pour
l'avenir la vie de la chair ressuscitée, telle qu'il devait bientôt la
manifester le premier dans sa personne. En effet, sa résurrection devait suivre
presque immédiatement sa mort, et c'est pour cela qu'il dit au présent: « Je
vis, » pour exprimer le terme prochain de sa résurrection. Mais comme la
résurrection des siens devait être différée jusqu'à la fin des siècles, il ne
leur dit pas : Vous vivez, mais : « Vous vivrez. » Nous vivrons en vertu de sa
vie, car si c'est par un homme que la mort est entrée dans le monde, c'est
aussi par un homme qu'aura lieu la résurrection des morts. Et dans ce jour (où
s'accomplira cette promesse de vie), vous connaîtrez (par intuition, ce dont la
foi nous donne ici la connaissance), que je suis dans mon Père, et vous en moi,
et moi en vous, » parce qu'en effet, lorsque nous vivrons de cette vie qui aura
complètement détruit la mort, nous verrons alors s'accomplir ce qu'il a
commencé lui-même, c'est-à-dire, qu'il soit en nous et que nous soyons en lui.
— S. CHRYS. Ou bien encore, au
jour de ma résurrection, vous connaîtrez, parce que leur foi devint pleine de
certitude lorsqu'ils le virent ressusciter et revenir au milieu d'eux ; car la
puissance de l'Esprit saint, qui leur enseignait toutes choses était grande.
Quant à ces paroles : « Je suis dans mon Père, » c'est le langage de
l'humilité, et quand il ajoute : « Et vous en moi, et moi en vous, » il veut
parler de son humanité, du secours qui vient de Dieu, car l'Ecriture emploie
très souvent des mots semblables, mais qu'elle entend dans un sens différent,
suivant qu'elle les applique à Dieu ou aux hommes. — S. HIL. (de la Trin., 8)
Ou bien en s'exprimant de la sorte, il veut que nous croyions qu'il est dans
son Père par sa nature divine, que nous sommes en lui par sa naissance
corporelle, et qu'il est encore en nous par le mystère de son sacrement, comme
il l'atteste lui-même : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en
moi et moi en lui. » (Jn 6)
ALCUIN. Or, c'est par
l'amour et par l'observation de ses commandements que s'accomplira cette union
parfaite qu'il a commencée lui-même, et en vertu de laquelle il est en nous, et
nous en lui. Et ce n'est pas seulement à ses Apôtres qu'est promis ce bonheur,
mais à tous les hommes : « Celui qui a mes commandements et qui les garde, »
etc. — S. AUG. Celui qui les a
dans sa mémoire et les garde dans sa vie ; celui qui les a dans ses discours et
qui les garde dans ses œuvres ; celui qui les a par son attention à les écouter
et qui les garde par sa fidélité à les pratiquer ; celui qui les a en les
observant et qui les garde par une constante persévérance : voilà celui qui
m'aime véritablement,
la preuve de l'amour doit être dans les œuvres, ou alors il n'est plus qu'une
dénomination stérile. — THEOPHYL. Voici,
en effet, le vrai sens de ces paroles : vous pensez me donner un témoignage
d'amour en vous attristant de ma mort, mais pour moi la preuve de l'amour
véritable, c'est l'observation de mes commandements. Or, quelle sera la
récompense de cet amour ? « Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je
l'aimerai aussi. » — S. AUG. Mais
qu'est-ce à dire : « Je l'aimerai, » comme s'il n'avait pas aimé jusque-là ? Il
répond à cette difficulté en ajoutant : « Et je me manifesterai à lui, »
c'est-à-dire, je l'aimerai pour me manifester à lui et lui donner la claire
vision comme récompense de sa foi. Maintenant Jésus nous aime pour nous amener
à la foi, il nous aimera alors pour nous conduire à la vision des cieux ; et
nous aussi nous aimons maintenant en croyant ce que nous verrons un jour, et
nous aimerons alors en voyant ce qui est l'objet de notre foi.
S. AUG.
(Lett. 112 à Paulin., chap. 10) Or, il a promis de se
manifester à ceux qui l'aiment comme un seul Dieu avec son Père, et non
corporellement comme il a été vu dans ce monde par les méchants eux-mêmes. — THEOPHYL. Ou bien encore, comme il
devait leur apparaître après sa résurrection dans un corps glorieux et plus
rapproché de la divinité, il leur fait cette prédiction afin qu'ils ne le
prennent point pour un esprit ou pour un fantôme, et que bannissant tout
sentiment de défiance, ils se rappellent qu'il se manifeste à eux pour les
récompenser d'avoir observé ses commandements, et qu'ils persévèrent dans cette
observance pour jouir toujours de celte manifestation.
S. AUG. (Traité 76 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur
venait de dire : « Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, mais
pour vous, vous me verrez. » Judas, non pas le traître surnommé Iscariote, mais
celui dont l'Epître est au rang des Ecritures canoniques, Judas lui demande
l’explication de ces paroles : « Judas, non pas l'Iscariote, lui dit :
Seigneur, d'où vient que vous vous manifesterez à nous et non au monde ? » Il
lui demande donc la raison pour laquelle il doit se manifester, non pas au
monde, mais à ses disciples, le Seigneur lui donne cette raison, c'est qu'il
est aimé des uns et qu'il n'est pas aimé des autres. Jésus lui répondit : « Si
quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, » etc. — S. GREG. (hom. 30 sur les
Evang.) La preuve de l'amour ce sont les œuvres ; l'amour de Dieu ne peut
jamais être oisif, dès qu'il existe, il opère de grandes choses, s'il refuse
d'agir, ce n'est qu'un simulacre d'amour.
S. AUG. L'amour qui distingue et sépare les
saints des partisans du monde, est cet amour qui inspire un même esprit à ceux
qui habitent (Ps 68, 7)
dans la maison où le Père et le Fils font leur demeure, en répandant leur amour
sur ceux à qui ils doivent se manifester un jour. Il y a donc une certaine
manifestation intérieure de Dieu, complètement inconnue des impies, à qui Dieu
le Père ne se manifeste jamais. Quant au Fils, ils ont pu le voir, mais
seulement dans sa chair, cette manifestation ne ressemble nullement à l'autre,
elle ne peut d'ailleurs leur être toujours présente, elle ne dure qu'un peu de
temps, et loin d'être pour eux une cause de joie et de récompense, elle est
bien plutôt un principe de jugement et de condamnation : « Et nous viendrons à
lui. » Le Père et le Fils viennent à nous, lorsque nous venons nous-mêmes à eux
; ils viennent à nous en nous secourant, nous venons à eux en obéissant à leur
inspiration, ils viennent à nous en nous comblant de leur lumière, nous venons
à eux en la contemplant, ils viennent à nous en nous remplissant de leurs dons,
nous venons à eux en les recevant. Cette vision n'a aucun rapport avec les sens
extérieurs, elle est tout intérieure, et cette demeure n'est point passagère,
elle est éternelle : « Et nous ferons en lui notre demeure. » — S. GREG. Dieu vient dans certaines âmes et
n'y demeure pas, parce que si le repentir leur fait tourner les regards vers
Dieu, elles oublient ce repentir aux approches de la tentation, et retombent
dans leurs anciens péchés, comme si elles ne les avaient jamais pleurés. Celui
donc qui aime Dieu d'un amour véritable, voit le Seigneur venir en lui et y
établir sa demeure, parce qu'il est tellement pénétré de l'amour de Dieu, qu'il
lui reste fidèle dans le temps même de la tentation, et il aime véritablement
Dieu, parce que le plaisir criminel ne peut triompher de son âme en lui
arrachant son consentement.
S. AUG.
Mais devons-nous admettre que l'Esprit saint reste étranger à cette demeure que
le Père et le Fils font dans l'âme de celui qui les aime ? Alors que
signifieraient ces paroles que le Sauveur a dites précédemment de l'Esprit
saint : « Il demeurera au milieu de vous, et il sera en vous, » à moins
qu'on ne pousse l'absurdité jusqu'à penser que lorsque le Père et le Fils
arrivent, le Saint-Esprit s'éloigne comme pour laisser la place à ceux qui lui
sont supérieurs ? La sainte Ecriture va du reste au-devant de cette grossière
objection, lorsqu'elle dit : « Afin qu'il demeure en vous éternellement. »
L'Esprit saint sera donc éternellement dans la même demeure avec le Père et le
Fils, parce qu'il ne peut venir sans eux, et qu'ils ne peuvent venir sans lui.
C'est pour établir la distinction des personnes de la sainte Trinité, que
quelques opérations sont attribuées nominativement à chacune des personnes,
mais il ne faut jamais en exclure les autres personnes, parce qu'il n'y a
qu'une seule et même nature dans la Trinité.
S. GREG.
Plus on se livre aux plaisirs bas et terrestres, plus on s'éloigne de
l'amour des biens célestes. « Celui qui ne m'aime pas, poursuit Nôtre-Seigneur,
ne garde point mes commandements. » L'amour du Créateur exige donc le concours
de la langue, du cœur et de la vie. — S. CHRYS.
(hom. 75 sur S. Jean.) On peut encore donner cette
explication : Judas pensait qu'ils ne verraient le Sauveur que comme nous
voyons les morts pendant notre sommeil, et c'est pour cela qu'il lui fait cette
question : « D'où vient que vous vous manifesterez à nous et non au monde ? »
Langage qui revient à celui-ci : Malheur à nous ! Vous allez mourir, et vous ne
nous apparaîtrez plus que comme les morts ont coutume d'apparaître. C'est pour
détruire ce soupçon que Nôtre-Seigneur leur dit : « Mon Père et moi, nous
viendrons à lui, » c'est-à-dire, je me manifesterai de même que mon Père. « Et
nous ferons en lui notre demeure ; » ce qui éloigne toute idée de sommeil et de
songe ; il ajoute : « Et la parole que vous avez entendue n'est pas de
moi, mais de mon Père, qui m'a envoyé. » C'est-à-dire, celui qui n'écoute pas
ma parole, n'aime ni mon Père, ni moi. Le Sauveur s'exprime de la sorte, parce
qu'il ne dit rien qui soit en dehors de son Père, ou qui ne soit conforme à son
bon plaisir. — S. AUG. Peut-être est-ce pour établir une distinction, que
lorsqu'il s'agit de ses propres paroles, le Sauveur parle au pluriel : « Celui
qui ne m'aime pas, ne garde pas mes commandements ; » tandis que lorsqu'il
parle au singulier de sa parole, c'est-à-dire du Verbe du Père, il ne dit point
que c'est sa parole, mais celle du Père, c'est-à-dire lui-même. En effet, il
n'est point son Verbe, mais le Verbe du Père ; de même qu'il n'est point son
image, mais l'image du Père ; de même qu'il n'est point son Fils, mais le Fils
du Père. C'est donc avec raison qu'il attribue à l'auteur de son être ce qu'il
fait comme étant son égal, puisque c'est de lui qu'il a reçu ce qui lui donne
cette parfaite égalité.
S. CHRYS.
Parmi les choses que le Sauveur vouait de leur dire, les unes étaient
claires, les autres étaient restées incomprises ; il ajoute donc, pour calmer
le trouble de leur âme : « Je vous ai dit ceci, demeurant avec vous. » — S.
AUG. (Traité 77) Cette demeure qu'il vient de promettre pour l'avenir,
est toute différente de celle qu'il déclare exister actuellement. La première
est toute spirituelle, et se réalise au dedans de l'âme ; l'autre est
extérieure ut accessible aux yeux du corps comme au sens de l'ouïe. — S. CHRYS. Or, pour les préparer à
supporter plus patiemment la privation de sa présence corporelle, il leur
promet que son départ sera pour eux la cause des biens les plus abondants, car
tant qu'il restait au milieu d'eux d'une manière visible, sans que l'Esprit
saint vint en eux, ils ne pouvaient comprendre aucune vérité importante. Aussi
Nôtre-Seigneur ajoute : « Mais le Paraclet, l'Esprit saint, que mon Père
enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce
que je vous ai dit. » — S. GREG. Le
mot grec παράχλητος veut dire
en latin avocat ou consolateur. L'Esprit saint est appelé avocat, parce qu'il
intercède auprès de la justice du Père en faveur des pécheurs qui se sont
égarés, et en inspirant l'esprit de prière à ceux qu'il remplit de ses dons. On
lui donne aussi le nom de consolateur, parce qu'il délivre de l'affliction et
de la tristesse les âmes que la pensée de leurs crimes plongent dans une mer
d'amertumes, en leur faisant entrevoir l'espérance du pardon. —S. CHRYS. Il leur représente encore
l'Esprit saint comme consolateur, en vue des tribulations dont ils allaient
être assaillis.
DIDYME. (De l'Esprit
saint, liv. 2) Le Sauveur affirme que l'Esprit saint est envoyé par le Père
en son nom, et le nom du Sauveur est celui de Fils, qui exprime à la fois
l'unité de nature et la distinction des personnes. En effet, il est
exclusivement le propre du Fils de venir au nom du Père, en conservant les
relations qui existent du Père le Fils ; aussi nul autre n'est venu au nom du
Père, mais plusieurs sont venus au nom du Seigneur Dieu tout-puissant. De même
donc que les serviteurs qui viennent au nom de leur maître rappellent le
souvenir de leur maître, par cela seul qu'ils sont ses serviteurs et ses
subordonnés ; ainsi le Fils qui vient au nom de son Père porte et rappelle son
nom par cela seul qu'il est reconnu pour le Fils unique de Dieu. Par cela donc
que l'Esprit saint est envoyé par le Père au nom du Fils, il montre les liens
étroits qui l'unissent au Fils ; aussi est-il appelé l'Esprit du Fils, et par
la grâce de l'adoption, il donne à ceux qui veulent le recevoir le titre et les
droits d'enfants de Dieu. Or, ce divin Esprit, qui est envoyé par le Père et
qui vient au nom du Fils, enseignera toutes choses à ceux dont la foi eu
Jésus-Christ est parfaite, c'est-à-dire tous les mystères et les secrets
spirituels de la vérite et de la sagesse, et il les enseignera non comme les
hommes enseignent les arts et la sagesse, à force d'étude et d'habilité , mais
cet Esprit de vérité les enseignera comme étant lui-même par essence la
doctrine et la sagesse, et répandra invisiblement dans les âmes la science des
choses divines.
S. GREG. La parole de celui qui enseigne
demeure nécessairement infructueuse si l'Esprit saint n'est présent dans le
cœur de celui qui reçoit ses enseignements. Que personne donc n'attribue à
celui qui enseigne l'intelligence des vérités qui sortent de ses lèvres, car
sans la présence de ce maître intérieur, la langue de celui qui enseigne
travaille inutilement à l'extérieur. Le Créateur lui-même ne parle point à
l'homme pour son instruction, à moins que l'Esprit saint ne lui parle on même
temps par son onction. — S. AUG. Mais est-ce donc que le Fils parle et que l'Esprit saint
enseigne, de manière que nous entendions les paroles du Fils, et que
l'enseignement de l'Esprit saint nous en donne l'intelligence ? C’est donc la
Trinité tout entière qui parle et qui enseigne ; mais si l'action de chacune
des divines personnes ne nous était présentée comme distincte et séparée, la
faiblesse humaine ne pourrait en aucune manière la comprendre.
S. GREG.
(hom. 30.) Examinons encore pourquoi le Sauveur dit de l'Esprit
saint : « Il vous suggérera toutes les choses, » etc., ce qui parait
indiquer un ministère inférieur. Mais il faut nous rappeler que le mot
suggérer a quelquefois le sens de fournir, de donner, et on
dit de l'Esprit invisible qu'il suggère, non qu'il nous inspire la science
puisée dans les régimes inférieurs, mais parce qu'il la tire des profondeurs
cachées aux yeux des hommes. — S. AUG. Ou
bien encore ces paroles : « Il vous suggérera, » c'est-à-dire il vous
rappellera, doivent nous faire comprendre que c'est pour nous un devoir de ne
jamais oublier que ses salutaires enseignements ont pour objet et pour fin la
grâce que l'Esprit nous remet en mémoire. — THEOPHYL.
L'Esprit saint a donc tout ensemble enseigné et remis en mémoire ; il a
enseigné les vérités que Jésus-Christ n'avait pas voulu faire connaître à ses
disciples, parce qu'ils n'étaient pas capables de les comprendre ; et il les a
fait ressouvenir de celles que le Sauveur leur avait enseignées, mais dont ils
avaient perdu la mémoire par suite de l'obscurité des choses elles-mêmes ou de
la lenteur de leur intelligence.
S. CHRYS.
Ces discours du divin Maître jetaient le trouble dans leur âme, en leur
représentant les persécutions elles combats qu'ils auraient à soutenir après
que Jésus les aurait quittés ; il les console donc le nouveau en leur disant :
« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » — S. AUG. Il nous laisse la paix dans ce monde, afin qu'elle nous serve à vaincre
nos ennemis et à nous aimer les uns les autres ; il nous donnera sa paix dans
le siècle futur, où nous régnerons sans avoir à craindre ni les attaques des
ennemis, ni les dissentiments avec nos frères. Or, c'est lui-même qui est notre
paix, et lorsque nous croyons qu'il est et lorsque nous le verrons tel qu'il
est. Mais pourquoi, lorsqu'il dit à ses disciples : « Je vous laisse la paix, »
ne dit-il point : Ma paix, tandis que dans la proposition suivante il dit : «
Je vous donne ma paix ? » Devons-nous sous-entendre ce pronom ma dans
la phrase où il n'est pas exprimé ? Ou bien y a-t-il ici quelque vérité cachée
? Par sa paix, il veut que nous entendions celle dont il jouit lui-même. Quant
à la paix qu'il nous laisse pendant cette vie, c'est plutôt notre paix que la
sienne. Le Sauveur n'a en lui aucun élément de guerre intérieure, parce qu'il
n'y a en lui aucun péché ; tandis que la paix que nous pouvons avoir en ce
monde ne nous empêche pas de dire : « Pardonnez-nous nos péchés. » De même
encore la paix règne entre nous, parce que nous croyons à l'amour mutuel que
nous avons les uns pour les autres ; mais cette paix n'est point parfaite,
parce que nous ne pouvons pénétrer réciproquement les pensées secrètes de nos
cœurs. Je sais toutefois que l'on peut entendre ces paroles du Sauveur dans le
sens d'une simple répétition de la même pensée. Il ajoute : « Je ne vous la
donne pas comme le monde la donne ; » c'est-à-dire, je ne la donne pas comme la
donnent les hommes qui aiment le monde. Ils s'accordent mutuellement la paix,
afin de pouvoir jouir des biens de ce monde sans inquiétude et sans crainte ;
et s'ils laissent la paix aux justes en ce sens qu'ils ne les persécutent pas,
ce ne peut être une paix véritable, parce qu'il ne peut y avoir de véritable
entente là où les cœurs sont séparés. — S. CHRYS.
D'ailleurs, la paix qui n'est qu'extérieure est souvent
très-dangereuse, et n'est d'aucune utilité pour ceux qui la possèdent.
S. AUG.
(serm. 59 sur les par. du Seign.) La paix, c'est la
sérénité de l'âme, la tranquillité de l'esprit, la simplicité du cœur, le lien
de l'amour, l'union intime de la charité ; celui qui n'aura point voulu
observer ce divin testament de la paix, ne pourra parvenir à l'héritage du
Seigneur, et il ne peut espérer d'être en paix avec Jésus-Christ, s'il est en
guerre avec un de ses frères en Jésus-Christ.
S. chkys.
(hom. 75 sur S. Jean.) Ces paroles du Sauveur à ses
disciples : « Je vous laisse ma paix, » leur faisaient pressentir son départ et
pouvaient leur inspirer un sentiment de trouble ; il se hâte donc de sur dire :
« Que votre cœur ne se trouble point et ne s'effraie point. » Ce double
sentiment était produit en eux l'un par l'amour, l'autre par la crainte.
S. AUG.
(Traité 78 sur S. Jean.) Ce qui pouvait être pour eux une
cause de trouble et d'effroi, c'est que Jésus les quittait (quoiqu'il dût
revenir), et que pendant cet intervalle, le loup pouvait profiter de absence du
pasteur pour fondre sur le troupeau : « Vous avez entendu, leur dit le Sauveur,
que je vous ai dit : Je m'en vais et reviens à vous. » Il s'en allait en
tant qu'homme, et il restait en tant que Dieu. Mais pourquoi ce trouble et cet
effroi, puisqu'en se dérobant à leurs regards, Jésus n'abandonnait pas leur
cœur ? Or, pour leur faire comprendre que c'était comme homme qu'il leur avait
dit : « Je m'en vais et je reviens à vous ; » il ajoute : « Si vous m'aimiez,
vous vous réjouiriez de ce que je m'en vais à mon Père, » etc. C'est en
tant qu'il n'était pas égal au Père, que le Fils devait aller à son Père, d'où
il devait revenir juger les vivants et les morts. Mais en tant qu'il est égal à
celui qui l'a engendré, il ne se sépare jamais de son Père, mais il est tout
entier avec lui en tout lieu en vertu de cette divinité qu'aucun lieu ne peut
limiter. Aussi le Fils de Dieu, égal à son Père dans la forme de Dieu (car il
s'est anéanti lui-même sans perdre la forme de Dieu, mais en prenant la
forme de serviteur), (Ph 2), est plus grand que lui-même, puisque la
forme et la nature de Dieu qu'il n'a point perdues, sont plus grandes que la
forme et la nature de serviteur qu'il a prises. A ne considérer que cotte forme
de serviteur, le Fils de Dieu est inférieur, non-seulement au Père, mais à
l'Esprit saint ; sous ce rapport Jésus-Christ enfant était inférieur à ses
parents, puisqu'il leur était soumis dans son enfance, comme l'Evangile nous
l'apprend. (Lc 2) Reconnaissons donc en Jésus-Christ deux natures, la
nature divine, qui le fait égal au Père, et la nature humaine, qui le rend
inférieur au Père. Or, ces deux natures ne font point deux Christs, mais un
seul Christ ; de sorte qu'il n'y a pas en Dieu quaternité, mais trinité. Or,
Nôtre-Seigneur dit : « Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez dr ce que je m'en
vais à mon Père. » Félicitons, en effet, la nature humaine, de ce que le Fils
unique de Dieu a daigné la prendre pour la placer dans les cieux, au sein de
l'immortalité, de ce que la terre a été élevée si haut, et de ce que la
poussière, devenue incorruptible, s'est assise à la droite le Dieu le Père. Qui
ne se réjouirait, s'il aime Jésus-Christ, qui ne 'applaudirait de voir sa
nature revêtue de l'immortalité dans la personne du Christ, et d'espérer
obtenir lui-même un jour cette immoralité par les mérites de Jésus-Christ ?
S. HIL.
(de la Trin., 9) Ou bien encore, si le Père est plus grand que
moi, en vertu de l'autorité de celui qui donne, est-ce que le Fils ne lui est
pas inférieur, par-là même qu'il reconnaît avoir reçu de son Père ? Oui, celui
qui donne est plus grand, mais le Fils n'est pas inférieur, puisque son Père
lui donne d'être un seul et même Dieu avec lui. — S. CHRYS. On peut encore donner cette explication : Les Apôtres
ne savaient pas en quoi consistait cette résurrection qu'il leur avait prédite,
en leur disant : « Je m'en vais et je reviens à vous, » et ils l'avaient pas
encore de lui une idée convenable, tandis qu'ils regardaient le Père comme
infiniment plus grand et plus élevé. Il leur dit donc : « Vous craignez que je
ne sois pas assez puissant pour me secourir moi-même, et vous ne pouvez croire
que je revienne vous voir près ma mort sur la croix ; mais au moins vous
devriez vous réjouir de m'entendre dire que je vais à mon Père qui est plus
grand que moi, et qui est assez puissant pour renverser tous les obstacles. »
Il accommodait ainsi son langage à la faiblesse de ses disciples, et c'est
pour cela qu'il ajoute : « Et je vous le dis maintenant, avant que cela
arrive, afin que quand ce sera arrivé, vous croyiez. »
S. AUG.
(Traité 79 sur S. Jean.) Que veulent dire ces paroles ?
Est-ce
que l'homme ne doit pas croire bien plutôt ce qui lui est proposé comme l'objet
de sa foi avant son accomplissement ? Le véritable mérite de la foi, c'est de
croire ce qu'on ne voit point, car cet Apôtre à qui Jésus a dit : « Vous avez
cru parce que vous avez vu, » il a vu une chose et en a cru une autre, il
a vu en Jésus-Christ un homme, et il a cru qu'il était Dieu. On dit bien, il
est vrai, qu'on croit ce que l'on voit, qu'on en croit à ses propres yeux, mais
ce n'est point là cette foi qui s'établit dans nos cœurs ; les choses que nous
voyons ne sont que le moyen par lequel nous croyons celles que nous ne voyons
pas. Ces paroles : « Quand cela sera arrivé, » signifient donc qu'après qu'il
sera mort, ils le verront de nouveau plein de vie, et qu'en le voyant ils
croiront fermement qu'il était le Christ, fils de Dieu, qui a pu opérer un tel
prodige et le prédire avant de l'accomplir. Et ils le devaient croire, non
d'une foi nouvelle, mais d'une foi plus complète, ou si l'on veut, d'une foi
qui avait faibli au moment de sa mort, mais qui s'était ranimée lors de sa
résurrection.
S. HIL. (de la Trin., 9)
Nôtre-Seigneur leur fait connaître ensuite ce qui devait lui mériter la gloire
qui devait suivre sa mort : « Je ne vous parlerai plus guère. » — BEDE. Il s'exprime de la sorte, parce
que le moment approchait où on allait se saisir de sa personne et le mettre à
mort : « Car le prince de ce monde vient. » — S. AUG. Quel est ce prince du monde si ce n'est le démon ? Il
n'est point toutefois le prince de toutes les créatures, mais seulement des
pécheurs. Aussi lorsque l'Apôtre nous dit : « Nous avons à combattre.....
contre les princes de ce monde, » (Ep 6, 12) il ajoute : « De ce monde
de ténèbres, » c'est-à-dire, du monde composé des hommes impies, « et il n'a
rien en moi, » parce que le Fils de Dieu était venu sans péché, et la
très-sainte Vierge n'avait pas conçu et enfanté sa chair d'une source
empoisonnée par le péché. Mais alors, pouvait-on lui dire : Pourquoi devez-vous
souffrir la mort, si vous êtes sans péché, puisque la mort est la peine du
péché ? Il prévient cette objection en ajoutant : «Mais afin que le monde
connaisse que j'aime mon Père, et que selon le commandement que mon Père m'a
donné, ainsi je fais ; levez-vous, sortons d'ici. » En effet, il était encore à
table avec ses disciples, lorsqu'il leur adressait le discours qui précède ; il
dit : « Allons, » en se dirigeant vers le lieu où on devait se saisir de
sa personne pour le livrer à la mort, bien qu'il n'eût aucunement mérité la
mort ; mais son Père lui commandait de mourir, et il voulait donner l'exemple
de l'obéissance par amour.
S. AUG.
(contr. le disc. des Ar., 2) L'obéissance du Fils, à la volonté
et aux ordres de son Père, n'est point une preuve même parmi les hommes, de la
diversité et de l'inégalité de nature entre le Père qui commande et le Fils qui
obéit, et il y a ici quelque chose de plus, c'est que Jésus-Christ n'est pas
seulement Dieu, en quoi il est égal à son Père, mais il est homme aussi, et par
conséquent d'une nature inférieure à celle de son Père. — S. CHRYS. (hom. 76 sur S. Jean.)
On peut dire encore que ces paroles : « Levez-vous, sortons d'ici, » sont
le commencement d'un autre ordre d'idées. Le temps, comme le lieu, étaient pour
les disciples une cause naturelle de crainte et d'effroi. Ils étaient dans un
endroit connu et ouvert de toutes parts ; la nuit était profonde, et ils ne
prêtaient qu'une médiocre attention aux paroles du Sauveur, tournant les yeux
de côté et d'autre, et s'imaginant toujours voir entrer ceux qui devaient les
attaquer. Ce que le Sauveur venait de leur dire : « Je ne vous parlerai plus
guère, car le prince de ce monde est venu, » ajoutait à leur frayeur. Jésus les
voyant sous cette impression en entendant ses paroles, les conduit dans un
autre lieu, où la pensée qu'ils étaient plus en sûreté leur laisserait plus de
liberté d'esprit pour écouter attentivement les grandes vérités qu'il avait à
leur révéler.
CATENA AUREA SUR SAINT JEAN – CHAP. 15-21
S. HIL. (de la Trin., 9) Nôtre-Seigneur se lève et se hâte d'aller consommer le mystère de sa passion par l'amour qui le porte à exécuter les ordres de son Père. Cependant il veut expliquer auparavant le mystère de son incarnation, en vertu de laquelle nous lui sommes unis, comme les branches sont unies à la vigne : « Je suis la vraie vigne, » dit-il à ses disciples. — S. AUG. (Traité 80 sur S. Jean.) Le Sauveur parle ici comme étant le chef de l'Eglise, dont nous sommes les membres, comme le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme. (1 Tm 5) En effet, les branches de la vigne sont de même nature que la tige. Mais lorsque Nôtre-Seigneur dit : « Je suis la vraie vigne, » a-t-il ajouté le mot vraie par opposition à la vigne, qu'il prend ici pour terme de comparaison ? Car on lui donne le nom de vigne dans un sens ligure et non au littéral, de même qu'on lui donne les noms d'agneau, de brebis et d'autres encore, où la réalité extérieure existe bien plutôt dans tas choses qui sont prises comme objets de comparaison. En disant : « Je suis la vraie vigne, » il a donc voulu se séparer de cette vigne, à laquelle Dieu dit, par son Prophète : « Comment vous êtes-vous changée en amertume, ô vigne étrangère ? » (Jr 2, 21). Et comment serait-elle la vraie vigne, elle qui, au lieu de fruits qu'on attendait, n'a produit que des épines ? (Is 5)
S. HIL. (de la Trin., 9) Mais le Sauveur a soin de distinguer la majesté divine de son Père de l'humble nature dont il s'est revêtu dans son incarnation, et il le représente comme étant le vigneron intelligent qui cultive cette vigne : « Et mon Père est le vigneron. » — S. AUG. Nous cultivons Dieu, et Dieu nous cultive ; mais nous cultivons Dieu non pour le rendre meilleur, nous le cultivons en l'adorant et non en le labourant ; tandis que Dieu nous cultive pour nous rendre meilleurs que nous ne sommes ; c'est notre âme qui est l'objet de cette culture, et il ne cesse d'extirper tous les mauvais germes de notre cœur, de l'ouvrir par sa parole comme avec le soc de la charrue, d'y jeter la semence de ses commandements, et d'en attendre le fruit de la piété.
S. CHRYS. Mais Jésus-Christ se suffit à lui-même, tandis que les disciples ont un grand besoin de la main du laboureur ; aussi ne dit-il rien de la vigne elle-même, il ne parle que des branches : « Toute branche qui ne porte point de fruit en moi, il la retranchera. » Ce fruit c’est la vie de la grâce, et Notre-Seigneur nous apprend ainsi que sans les oeuvres, nous ne pouvons lui être unis.— S. HIL. (de la Trin., 9) Quant aux branches inutiles et infructueuses, il les coupera et les jettera au feu. — S. CHRYS. Ceux mêmes qui sont arrivés à une haute vertu ont besoin de l'opération de ce céleste vigneron, et c'est pour cela qu'il ajoute : « Et la branche qui porte du fruit il l'émondera, afin qu'elle en porte davantage. » Il veut parler ici des tribulations qui les attendaient, et Il leur enseigne que les épreuves les rendront plus forts et plus vigoureux, de même qu'on rend la branche de la vigne plus féconde en la taillant et en l'émondant.
S. AUG. Mais qui peut se glorifier d'être si pur dans cette vie, qu'il n'ait point besoin d'être purifié encore davantage, puisque si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes ? (1 Jn 1, 1) Dieu purifie donc ceux qui sont déjà purs, afin que cette pureté plus grande, soit aussi la cause d'une plus grande fécondité. Or, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ est la vigne, sous le même rapport qui lui fait dire : « Mon Père est plus grand que moi. » (Jn 14) Mais lorsqu'il dit : « Mon Père et moi ne sommes qu'un, » (Jn 10) il est également le vigneron. Et il n'est point vigneron, comme ceux qui ne peuvent que donner leur travail extérieur, son opération va jusqu'à produire l'accroissement intérieur. Aussi se représente-t-il aussitôt comme, celui qui émonde aussi la vigne : « Déjà, leur dit-il, vous êtes purs, à cause des paroles que je vous ai dites. » Voilà donc qu'il émonde les branches, ce qui est l'office du vigneron et non de la vigne. Mais pourquoi ne dit-il pas : Vous êtes déjà purs, à cause, du baptême dans lequel vous avez été lavés ? Parce que, dans l'eau du baptême, c'est la parole qui purifie. Otez la parole, et l'eau n'est plus que de l'eau ordinaire. La parole vient se joindre à l'eau, et forme de sacrement. Or, d'où peut venir à l'eau cette si grande vertu de purifier le cœur en touchant le corps, si ce n'est de la parole, et non pas de la parole simplement dite, mais de la parole qui est crue ? Il faut distinguer, en effet, dans la parole, le son qui passe de la vertu qui demeure. Cette parole de la foi a une telle puissance dans l'Eglise de Dieu, que par celui qui croit, qui offre, qui bénit, qui répand l'eau, elle purifie l'enfant, qui est encore incapable de croire — S. CHRYS. Ou bien encore, tel est le sens de ces paroles : Vous êtes purs, à cause des paroles que je vous ai dites. C'est-à-dire, vous avez reçu la lumière de la doctrine, et vous êtes délivrés des erreurs judaïques.
S. CHRYS. (hom. 75 sur S. Jean) Après leur avoir déclaré qu'ils purs à cause des instructions qu'il leur avait données, il leur enseigne à faire ce qui dépend d'eux pour prêter leur concours à la grâce : « Demeurez en moi, et moi en vous. » — S. AUG. (Traité 81 sur S. Jean. ) Ils n'étaient pas en lui de la même, manière qu'il était en eux, car cette union réciproque ne pouvait être utile qu'à eux seuls. Les branches sont unies étroitement à la vigne, mais sans lui rien communiquer ; tandis que c'est d'elle qu'ils tirent le principe de leur vie. La vigne, au contraire, est unie aux branches de manière à leur communiquer sa sève vivifiante, sans rien recevoir d'eux. Ainsi cette demeure de Jésus-Christ dans les apôtres et des apôtres dans Jésus-Christ, n'a d’autre but que leur avantage et non celui de Jésus-Christ. C'est pour cela qu'il ajoute : « De même que la branche ne peut porter de fruit si elle ne demeure unie à la vigne, ainsi vous ne le pouvez non plus si vous ne demeurez en moi. » Quel magnifique éloge de la grâce ! Comme il est propre à instruire les cœurs des humbles et à fermer la bouche des superbes ! N'est-ce pas contredire cette vérité que de ne pas croire à la nécessité d'un secours divin pour faire le bien, et ceux qui sont dans cette erreur que font-ils ? Loin d'affirmer et de défendre le libre arbitre, ils ne font que le ruiner. Celui qui s'imagine pouvoir porter du fruit par lui-même, n'est pas uni à la vigne ; celui qui n'est pas dans la vigne n'est pas dans Jésus-Christ, et celui qui n'est pas dans Jésus-Christ n'est pas chrétien. — ALCUIN. Tout le fruit des bonnes oeuvres vient comme de sa racine, de celui qui nous a délivrés par sa grâce, et nous donne par son secours une force nouvelle pour nous faire produire du fruit en plus grande abondance. Aussi Nôtre-Seigneur revient sur cette vérité, en lui donnant un plus grand développement : « Je puis la vigne, et vous êtes les branches ; si quelqu'un demeure en moi (par la foi, l'obéissance, la persévérance), et moi en lui, (par les lumières que je répands dans son âme, par ma grâce et le don de persévérance), celui-là, (à l'exclusion de tout autre), portera beaucoup de fruit. » — S. AUG. Et que personne ne s'imagine que la branche puisse produire par elle-même quelque peu de fruit, car Nôtre-Seigneur ajoute : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » Il ne dit pas : Vous pourrez faire peu de chose, car si la branche ne demeure attachée à la vigne, et ne tire de sa racine la sève qui lui donne la vie, elle ne peut absolument produire aucun fruit. Or, bien que Jésus-Christ ne pût être la vigne, s'il n'était homme, cependant il ne pourrait communiquer une si grande vertu aux branches, s'il n'était également Dieu.
S. CHRYS. Vous voyez que le Fils procure autant de grâces aux disciples que le Père. Le Père émonde les branches, le Fils les tient unies avec lui, et leur donne ainsi la vertu de produire des fruits. Et cependant nous avons vu qu'il appartient aussi au Fils d'émonder, de même que le Père qui a engendre la racine, nous donne aussi de demeurer attaché à la racine ; c'est donc déjà un grand malheur que de ne pouvoir rien faire absolument ; toutefois Notre-Seigneur ne s'arrête pas là, et il ajoute : « Celui qui ne demeure pas en moi, sera jeté comme le sarment (c'est-à-dire, qu'il n'aura aucune part aux soins du vigneron), et il séchera (c'est-à-dire, qu'il perdra le peu de sève qu'il avait reçue de la racine, et qu'il sera privé de tout secours et de la vie), et on le ramassera. » — ALCUIN. (Ce sont les anges qui le recueilleront), et on le jettera au feu, et il brûlera. — S. AUG. Car plus le bois de la vigne est précieux, s'il demeure uni à la vigne, plus il est vil et méprisable s'il vient à en être détaché, il n'y a pour la branche d'autre alternative que d'être unie à la vigne ou d'être jetée dans le feu. Si elle ne reste point attachée à la vigne, elle sera jetée au feu ; qu'elle demeure donc unie à la vigne pour éviter le feu.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur explique ensuite ce que c'est que de demeurer en lui : « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez tout ce que vous voudrez, et il vous sera accordé. » Ce qu'il demande, c'est le témoignage des œuvres. — S. AUG. Ses paroles demeurent en nous, lorsque nous accomplissons ses commandements et que nous aimons ses promesses, mais si ses paroles ne restent que dans la mémoire, et qu'on n'en trouve aucune trace dans la vie, le sarment ne fait plus partie de la vigne, parce qu'il ne tire plus sa vie de la racine. Or, que peuvent vouloir ceux qui demeurent en Jésus-Christ, que ce qui a rapport à leur salut ? En effet, ce que nous voulons lorsque nous sommes unis à Jésus-Christ, est tout différent de ce que nous voulons, lorsque nous sommes encore attachés au monde. Il arrive quelquefois que la partie de nous-mêmes qui demeure encore dans le monde, nous suggère des prières dont nous ne voyons pas l'opposition avec notre salut, mais loin de nous la pensée que nous obtenions ce que nous demandons, si nous demeurons eu Jésus-Christ, qui n'exauce que les prières qui nous sont utiles. La prière qui commence par ces mots : « Notre Père, » fait partie des paroles de Jésus-Christ, dont il est ici question, prenons donc soin de ne pas nous écarter dans nos demandes des paroles et de l'esprit de cette divine prière, et tout ce que nous demanderons nous sera infailliblement accordé.
S. CHRYS. (hom. 75 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de déclarer à ses disciples, que ceux qui lui tendaient des embûches et ne demeuraient pas en Jésus-Christ, seraient condamnés au feu ; il leur prédit maintenant qu'ils seront à l'épreuve de toutes les attaques, et qu'ils porteront beaucoup de fruits : « C'est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit, » c'est-à-dire, si la gloire de mon Père est intéressée à ce que vous portiez du fruit, il ne négligera pas sa gloire ; or, celui qui produit du fruit est disciple de Jésus-Christ, comme l'ajoute Nôtre-Seigneur : « Et que vous devenez mes disciples. » — THEOPHYL. Le fruit que devaient porter les Apôtres sont les nations qu'ils ont enchaînées à la foi par leurs enseignements, et dont ils ont fait autant d'instruments de la gloire de Dieu. — S. AUG. (Traité 82 sur S. Jean.) Que l'on traduise, c'est l'honneur ou la gloire, clarificatus, sive glorificatus, l'un et l'autre de ces deux mots sont la traduction du même mot grec δόζα, en latin, gloria, gloire ; j'ai cru utile de faire cette remarque, pour que nous ne soyons pas tentés de tourner à notre propre gloire le mérite de nos bonnes oeuvres, comme s'il venait de nous, car il vient de sa grâce, et nous devons lui en renvoyer exclusivement la gloire. Qui pourrait, en effet, nous faire produire du fruit, si ce n'est celui dont la miséricorde nous a prévenus ? Aussi le Sauveur ajoute-t-il : « Comme mon Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. » Voilà pour nous le principe de toutes les bonnes oeuvres, et d'où pourraient-elles venir, si ce n'est de la foi qui opère par la charité ? Et comment aurions-nous pu l'aimer, s'il ne nous aimait le premier ? Quant à ces paroles : « Comme mon Père m'a aimé, moi aussi je vous aime, » elles n'emportent pas l'égalité de nature entre nous et Jésus-Christ, comme elle existe entre son Père et lui, elles signifient simplement la grâce du médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme. C'est cette médiation qu'il veut exprimer, lorsqu'il dit : « Comme mon Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés, » car le Père nous aime aussi, mais en Jésus-Christ.
S. CHRYS. Si donc le Père vous aime, prenez confiance, et s'il y va de la gloire du Père, efforcez-vous de produire du fruit. Et pour prévenir toute négligence de leur part, il ajoute : « Demeurez dans mon amour. » Comment ? « Si vous gardez mes commandements, » etc. — S. AUG. Qui doute que l'amour ne précède l'observation des commandements ? Celui qui n'aime pas, n'a aucun motif de garder les commandements. Ce n'est donc point le principe et la cause, mais les effets de l'amour que le Sauveur veut nous indiquer ici, afin que personne ne s'illusionne en affirmant qu'il aime Dieu, sans garder ses commandements ? Toutefois ces paroles : « Demeurez dans mon amour, » ne précisent pas de quel amour Nôtre-Seigneur veut parler, de celui que nous avons pour lui, ou de celui qu'il a pour nous ; et ce n'est que par ce qui précède que nous pouvons le savoir. En effet, après avoir dit : « Je vous ai aimés, » il ajoute aussitôt : « Demeurez dans mon amour, » c'est-à-dire, dans l'amour dont il les a aimés. Or, que signifient ces paroles : « Demeurez dans mon amour ? » persévérez dans ma grâce ? Et que veut-il dire quand il ajoute : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ? » Le signe certain que vous persévérez dans l'amour que j'ai pour vous, c'est la fidélité à observer mes commandements. Ce n'est donc point pour mériter son amour que nous observons ses commandements, mais nous ne pouvons les observer, s'il ne nous aime le premier. C'est la grâce qui est révélée aux humbles et qui demeure cachée aux superbes. Mais quel est le sens des paroles suivantes : « Comme moi-même j'ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour ? » Le Sauveur veut aussi parler de l'amour que son Père a pour lui. Mais devons-nous entendre que le Père aime son Fils par grâce, dans le même sens que nous sommes redevables à la grâce de l'amour du Fils, alors que nous sommes les enfants de Dieu, non par nature, mais par grâce, tandis que le Fils unique est Fils par nature et non par grâce ? Ou bien faut-il entendre ces paroles du Fils de Dieu fait homme ? Oui, sans doute, car ces paroles : « Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous aime, » expriment la grâce du médiateur ; or c’est comme homme et non comme Dieu que Jésus-Christ est médiateur de Dieu et des hommes. Nous pouvons donc, dire en toute vérité, que bien que la nature humaine n'ait point de rapport avec la nature divine, cependant elle a été unie à la personne du Fils de Dieu, par un effet de la grâce, et d'une grâce si extraordinaire, qu'il n'en est ni de plus grande, ni même d'égale. En effet, cette union de la nature divine avec la nature humaine, n'est la récompense d'aucun mérite de la part de l'homme, et c'est de cette union, au contraire, que les mérites des hommes ont découlé comme de leur source. — ALCUIN. Or l'Apôtre nous apprend de quels préceptes le Sauveur a voulu ici parler lorsqu'il dit : « Jésus-Christ s'est rendu obéissant à son Père jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix. » (Ph 2, 8.)
S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.) Mais comme sa passion qui approchait et de tristes paroles étaient de nature à troubler et interrompre leur joie ; le Sauveur ajoute : « Je vous ai dit ces choses afin que ma joie soit en vous, et que cette joie soit pleine et parfaite, » c'est-à-dire, bien que la tristesse doive s'emparer de vous, je la dissiperai et je la changerai à la fin en joie. — S. AUG. (Traité 83.) Quelle est cette joie de Jésus-Christ en nous, si ce n'est celle dont il daigne se réjouir à notre occasion ? Et quelle est notre joie dont il nous prédit le parfait accomplissement, si ce n'est la participation à son propre bonheur ? La joie qu'il avait à notre sujet était déjà parfaite, quand il nous prédestinait dans sa prescience divine, mais cette joie n'était pas encore en nous, parce que nous n'existions pas encore. Elle a remmenée à être en nous, lorsqu'il nous a appelés à la foi, et nous disons à juste titre que cette joie est notre joie, puisque c'est elle qui doit faire un jour notre félicité, elle commence avec la foi qui nous régénère, elle sera pleine et parfaite avec la résurrection qui sera notre récompense.
THEOPHYL. Nôtre-Seigneur avait prédit à ses disciples que s'ils observaient sus commandements, ils demeureraient dans son amour, il leur enseigne ici quels sont les commandements qu'ils doivent observer : « Voici mon commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les autres. » — S. GREG. (hom. 27 sur les Evang.) Toutes les pages des saintes Lettres sont remplies des commandements de Dieu, comment donc, le Sauveur nous recommande-t-il ici le précepte de l'amour comme le précepte spécial et unique, si ce n'est parce que tous les commandements ont pour but unique la charité, et qu'ils se réduisent tous à un seul, parce que tout précepte ne peut s'appuyer solidement que sur la charité ? De même que toutes les branches de l'arbre sortent d'une seule racine, ainsi toutes les vertus sont produites par la charité, et les branches, figure des bonnes oeuvres, ne peuvent se couvrir de verdure, si elles ne sont unies à la racine de la charité. Les commandements du Seigneur sont nombreux et variés, quant à la diversité des oeuvres, mais ils se réduisent à un seul, si l'on considère la racine du la charité qui les produit. — S. AUG. (Traité 83 sur S. Jean.) Là où est la charité, quelle chose peut nous manquer ? mais si la charité n'existe pas, quelle compensation peut nous rester ? Or, cette charité est distincte de l'amour que les hommes ont les uns pour les autres, en tant qu'ils sont hommes, et Notre-Seigneur prend soin d'établir cette distinction, eu ajoutant : « Comme je vous ai aimés. » car dans quel dessein Jésus-Christ nous a-t-il aimés, si ce n'est pour nous faire régner avec lui dans les cieux ? Aimons-nous donc les uns les autres pour lit même motif, afin que notre amour nous sépare de ceux dont l'amour réciproque n'a point pour fin l'amour de Dieu, et qui ne s'aiment pas véritablement. Ceux au contraire qui s'aiment les uns les autres pour tendre d'un commun accord à la possession de Dieu, s'aiment d'un amour véritable.
S. GREG. La grande et unique preuve d'amour, c'est d'aimer ceux qui nous sont contraires. C'est ainsi que la vérité elle-même, tout en souffrant le supplice ignominieux de la croix, donne à ses persécuteurs un témoignage touchant d'amour dans cette prière : « Mon Père, Pardonnez-leur, parce qu'ils ne savent ce qu'ils font ; » (Lc 23) amour porté au plus haut degré, comme il le dit lui-même : « Personne ne peut avoir un plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Nôtre-Seigneur était venu mourir pour ses ennemis, et cependant il déclare qu'il doit donner sa vie pour ses amis, et il nous apprend ainsi que lorsque nous pouvons gagner nos ennemis par notre affection, nos persécuteurs eux-mêmes deviennent nos amis.
S. AUG. (Traité 84) Le Sauveur avait dit précédemment : « Voici mon commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés, » la conséquence de ce précepte se trouve exprimée dans la première Epître de saint Jean : « De même que Jésus-Christ a donné sa vie pour nous, nous devons aussi donner notre vie pour nos frères. » (1 Jn 3, 16.) C'est ce que les martyre ont fait dans leur ardent amour pour Jésus-Christ; aussi à la table de Jésus-Christ, nous n'en faisons pas mémoire comme des autres fidèles, en priant pour eux ; mais nous les prions bien plutôt de nous obtenir la grâce de marcher sur leurs traces, car ils ont donné à leurs frères le témoignage d'amour qu'ils avaient reçu eux-mêmes de la table du Seigneur. — S. GREG. Mais comment celui qui, en temps de paix, ne peut sacrifier sa tunique pour Dieu, pourra-t-il donner sa vie lorsque viendra la persécution ? Si donc la vertu de charité veut être invincible au moment de l'épreuve, il faut qu'en temps de paix elle se nourrisse et s'entretienne par l'exercice de la miséricorde.
S. AUG. (de la Trin., 8, 8.) C'est par la seule et même vertu de charité que nous aimons Dieu et notre prochain, avec cette unique différence que nous aimons Dieu pour Dieu, et que nous aimons le prochain et nous-mêmes pour Dieu. Ou comprend donc que bien qu'il y ait deux préceptes de charité qui renferment toute la loi et les prophètes (c'est-à-dire l'amour de Dieu et l'amour du prochain), l'Ecriture cite souvent l'un pour l'autre, parce qu'en effet, celui qui aime Dieu, est disposé à faire ce que Dieu lui commande ; il doit donc aimer un prochain pour obéir au commandement que Dieu lui en fait. Et c'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. »
S. GREG. Un ami, amicus, est comme le gardien de l'âme, animi custos, et voilà pourquoi celui qui garde la volonté de Dieu en accomplissant ses préceptes, est appelé son ami. — S. AUG. (Traité 85 sur S. Jean.) Quelle admirable condescendance ! comme on ne peut être bon serviteur si l'on n'accomplit les préceptes de son maître, il veut que le caractère spécial des bons serviteurs, soit aussi le signe distinctif de ses amis. Le bon serviteur peut donc à la fois être serviteur et ami. Mais comment comprendre que le bon serviteur puisse réunir à la fois les deux titres de serviteur et d'ami, le Sauveur l'explique lui-même : « Je ne vous appellerai plus serviteur, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. » Est-ce à dire que nous cesserons d'être serviteurs, parce que nous serons de bons serviteurs ? Est-ce qu'un maître ne confie pas aussi sus secrets à un serviteur, dont il a mis la fidélité à l'épreuve ? Je réponds qu'il y a deux sortes de servitudes, comme il y a deux sortes de craintes. Il y a la crainte que la charité parfaite bannit complètement du cœur (1 Jn 4, 18) ; et cette crainte entraîne avec elle la servitude qu'il faut mettre dehors avec la crainte ; et il y a une autre crainte chaste et pure, celle qui demeure éternellement. (Ps 18) Nôtre-Seigneur avait donc en vue ceux qui servent sous l'impression de la première servitude, lorsqu'il dit : « Je ne vous appellerai plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas, » etc. Il ne veut point parler de ce serviteur animé d'une crainte chaste, et à qui son maître dit : « Courage, bon serviteur, entrez dans la gloire de votre Seigneur; » (Mt 24) mais du serviteur qui agit par ce sentiment de crainte que l'amour parfait chasse du cœur, et dont il est dit : « Le serviteur ne demeure pas toujours dans la maison, mais le fils y demeure éternellement. » Puisque donc Dieu nous a donné le pouvoir d'être ses enfants (Jn 1), ne soyons plus serviteurs, soyons des enfants, de sorte que par une admirable transformation, nous soyons serviteurs sans être serviteurs ; or, nous savons que c'est le Seigneur qui produit ce changement ineffable, tandis que le serviteur qui ne sait pas ce que fait son maître, l'ignore. Lorsqu'il fait quelque bien, il s'élève comme s'il en était l'unique auteur, et se glorifie en lui-même, plutôt que de renvoyer toute la gloire à son maître.
« Je vous ai appelés mes amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait connaître. » — THEOPHYL. C'est-à-dire, le serviteur ne connaît pas les pensées de son maître, mais pour vous que je considère comme mes amis, je vous ai communiqué tous mes secrets. — S. AUG. (Traité 86 sur S. Jean.) Mais dans quel sens devons-nous entendre qu'il a fait connaître à ses disciples tout ce qu'il a entendu dire à son Père ? Il y a sans doute beaucoup de choses que le Sauveur n'a point dites à ses disciples, parce qu'ils n'étaient pas capables de les comprendre ; mais il dit qu'il leur a fait connaître toutes les vérités qu'il sait leur devoir un jour révéler avec cette plénitude de science, dont saint Paul a dit : « Alors je connaîtrai comme je suis connu. » (1 Co 13, 12.) Car de même que nous attendons l'immortalité de la chair et le salut éternel de nos âmes, nous espérons également la révélation et la connaissance de toutes les vérités que le Fils unique a entendues de son Père. — S. GREG. (hom. 27 sur les Evang.) Ou bien, toutes ces choses qu'il a entendues de son Père, et qu'il a voulu faire connaître à ses serviteurs, ce sont les joies que la charité répand dans nos âmes, et les fêtes éternelles de la patrie céleste que Dieu imprime tous les jours dans nos cœurs par les aspirations de son amour, car l'amour que nous avons pour les biens célestes, nous en donne déjà la connaissance, parce que l'amour est lui-même une espèce de connaissance. Il leur a donc fait tout connaître, parce qu'il les avait arrachés à tous les désirs de la terre pour les faire brûler du feu de l'amour divin. — S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.) Ou bien encore, toutes ces vérités sont celles qu'ils devaient apprendre et savoir. Nôtre-Seigneur dit qu'il a entendu, et nous montre par-là qu'il ne dit rien qui ne soit entièrement conforme à la volonté de son Père.
S. GREG. Mais que celui qui parvient à cet honneur insigne d'être appelé l'ami de Dieu, se garde bien d'attribuer à ses mérites les dons célestes qu'il reçoit, car poursuit le Sauveur : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis. » — S. AUG. (Tr. 86 sur S. Jean.) Quelle grâce ineffable ! Qu’étions-nous, en effet, avant d'avoir choisi Jésus-Christ, si ce n'est des enfants d'iniquité et de perdition ? Nous n'avions pas encore cru en lui, pour mériter par notre foi d'être choisis par lui, car s'il avait choisi ceux qui ont cru, il aurait donc choisi ceux qui déjà l'avaient choisi. Loin donc d'ici les vains raisonnements de ceux qui prétendent1 que nous avons été choisis avant la création du monde, parce que Dieu, dans sa prescience, avait prévu que nous serions bons, et non qu'il nous rendrait bons lui-même. En effet, s'il nous avait choisis, parce qu'il prévoyait que nous serions bons, il aurait également prévu que nous devions le choisir les premiers, car c'est la seule manière dont nous pouvions être bons, à moins qu'on n'appelle bon celui qui n'a pas choisi le bien. Qu'a-t-il donc pu choisir dans ceux qui n'avaient rien de bien ? En effet vous ne pouvez dire : J'ai été choisi parce que je croyais déjà, car si vous croyiez alors en lui, c'est vous qui l'aviez choisi. Ne dites pas non plus : Avant de croire, je faisais déjà le bien, et j'ai mérité par-là d'être choisi, car quelle bonne œuvre peut exister avant la foi ? Que nous reste-t-il donc à dire ? C'est que nous étions mauvais et que nous avons été choisis pour devenir bons par la grâce de celui qui nous a choisis. — S. AUG. (de la prédes. des saints, 17) Ils ont donc été élus avant la création du monde, en vertu de celte prédestination dans laquelle Dieu prévoyait tout ce qu'il devait faire, et nous avons été choisis du milieu du monde par suite de cette vocation qui réalisait la prédestination de Dieu, « car ceux qu'il a prédestinés, il les a appelés. » (Rm 8)
S. AUG. (Traité 86 sur S. Jean.) Remarquez donc bien qu'il ne choisissait pas ceux qui étaient bons, mais qu'il rendait bons ceux qu'il avait choisis : « Et je vous ai établis pour que vous alliez et que vous rapportiez du fruit. » C'est ce fruit dont il avait dit plus haut : « Sans moi vous ne pouvez rien faire, » car il est lui-même la voie dans laquelle il nous a placés pour que nous y marchions. — S. GREG. (hom. 27.) Je vous ai établis (par ma grâce), je vous ai comme plantés afin que vous alliez (par la volonté qui est comme la marche pour l'âme), et que vous rapportiez du fruit (par les bonnes œuvres). Il leur fait connaître quelle espèce de fruit ils doivent produire, lorsqu'il ajoute : « Et que votre fruit demeure. » En effet, tous nos travaux pendant cette vie, peuvent à peine suffire à nos besoins jusqu'à la mort ; et la mort vient d'un seul coup anéantir tout le fruit de notre travail sur la terre ; mais les travaux qui ont pour objet la vie éternelle, survivent à la mort, et le fruit de ces travaux commence à paraître, lorsque le fruit des œuvres charnelles est à jamais anéanti. Produisons donc de ces fruits qui demeurent et qui prennent naissance à la mort qui détruit et renverse tout. — S. AUG. Le fruit que nous devons produire, c'est donc l'amour qui n'est que dans le désir et ne jouit pas encore entièrement de son objet ; et tout ce que nous demandons sous l'inspiration de ce désir au nom du Fils unique, nous est donné par le Père : « Et tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous le donnera ; » or, nous demandons au nom du Sauveur, lorsque nous demandons ce qui est utile au salut de notre âme.
S. AUG. (Traité 87 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de dire : « Je vous ai établis pour que vous alliez et que vous rapportiez du fruit. » La charité est le fruit que nous devons produire, et Jésus-Christ nous en fait un précepte formel : « Ce que je vous commande, est de vous aimer les uns les autres. » C'est pour cela que l'Apôtre nous dit : « Le fruit de l'esprit, c'est la charité, » (Ga 5) et il nous représente toutes les autres vertus sortant de cette source et se rattachant à ce lien de la charité. Nôtre-Seigneur nous recommande donc avec raison la charité, comme si elle était le seul précepte sans laquelle tout le reste est inutile et qui amène nécessairement avec elle tous les autres biens qui constituent la bonté de l'homme.
S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.) On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède : « Je vous ai dit que je donnais ma vie pour vous, et que je vous ai choisis le premier. Ce n'est point pour vous faire un reproche que je vous ai parlé de la sorte, mais pour vous engager à un tendre amour les uns pour les autres. Et comme il est toujours pénible d'être en butte à la persécution et aux outrages, il leur prouve que loin de s'en plaindre, ils doivent s'en réjouir : « Si le monde vous hait, leur dit-il, sachez qu'il m'a haï le premier, » c'est-à-dire, je sais que la haine est toujours dure à supporter, mais souffrez-la à cause de moi. — S. AUG. Pourquoi, en effet, les membres s'élèveraient-ils au-dessus de leur chef ? Vous refusez de faire partie du corps, si vous ne voulez pas souffrir la haine du monde avec votre chef ; or, nous devons souffrir patiemment cette haine pour l'accomplissement du précepte de l'amour, car le monde doit nécessairement nous haïr en voyant que nous ne voulons point de ce qu'il aime, ainsi que le dit le Sauveur : « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui. » — S. CHRYS. Comme le motif de souffrir pour Jésus-Christ ne suffisait pas encore pour contrebalancer leurs craintes, il en ajoute un autre, c'est que c'est une preuve incontestable de vertu d'être haï du monde, et nous devrions gémir et nous attrister si nous en étions aimés, car ce serait un signe évident de notre dépravation.
S. AUG. Ces paroles s'appliquent à toute l'Eglise, qui est souvent désignée sous le nom du monde, comme dans ce passage : « Dieu était dans le Christ, se réconciliant le monde. » (2 Co 5, 19) L'Eglise est donc le monde entier, et c'est le monde entier qui hait l'Eglise. C'est donc le monde qui hait le monde, le monde ennemi qui hait le monde réconcilié, le monde réprouvé qui hait le monde sauvé, le monde souillé qui hait le monde purifié. (Tr. 88.) Mais puisque les méchants tourmentent aussi les méchants (ainsi les rois et les juges impies, tout en persécutant les bons, punissent aussi les homicides et les adultères) ; ces paroles du Sauveur : « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui, » doivent s'entendre dans ce sens, que le monde est dans ceux, qui punissent de tels crimes, et qu'il est aussi dans ceux qui les aiment. Le monde a donc de la haine pour ce qui est à lui, en tant qu'il châtie les coupables, et il aime ce qui vient de lui en ce qu'il favorise les mêmes crimes. (Traité 87.) Si l'on demande quelle affection peut avoir pour lui-même ce monde de perdition qui n'a que de la haine pour le monde de la rédemption, je répondrai qu'il s'aime d'une affection qui n'a rien de vrai, parce qu'il aime ce qui lui est nuisible. Il déteste eu lui la nature et n'aime que le vice. Aussi nous est-il défendu d'aimer ce qu'il aime en lui-même, tandis que Dieu nous commande d'aimer ce qu'il déteste, c’est-à-dire, qu’il nous est défendu d'aimer en lui le vice, et commandé d'aimer la nature. Or, c'est pour tirer les disciples de ce monde de perdition que Dieu les a choisis, et il les a choisis, non à cause de leurs mérites, puisqu'ils n'avaient aucune bonne œuvre à présenter, ni à cause de leur nature, qui avait été profondément viciée dans la racine, mais il les a choisis uniquement par grâce : « Parce que vous n'êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait. » — S. GREG. (hom. 9 sur Ezéch.) Le blâme des méchants est une approbation de notre vie, c'est une marque évidente que nous commençons à avoir quelque justice, lorsque nous commençons à déplaire à ceux qui ne plaisent pas à Dieu ; car personne ne peut dans une seule et même chose être agréable tout à la fois à Dieu et à ses ennemis ; c'est renier le titre d'ami de Dieu que de plaire à ses ennemis, et on est ouvertement opposé aux ennemis de la vérité, lorsqu'on est intérieurement soumis au règne de cette même vérité.
S. AUG. (Traité 8S sur S. Jean.) Notre-Seigneur, pour encourager ses serviteurs à supporter patiemment la haine du monde, ne leur a point proposé d'exemple plus grand et plus efficace que le sien : « Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : Le serviteur n'est pas plus grand que son maître ; s'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi, » etc. — LA GLOSE. Ils ont suivi la même conduite pour la calomnie, selon ces paroles : « Le pécheur observera le juste. » (Ps 36) — THEOPHYL. S'ils ont persécuté le Seigneur, à plus forte, raison, vous persécuteront-ils, vous, ses serviteurs ; s'ils ne l'avaient point persécuté et qu'ils eussent gardé sa parole, ils auraient aussi gardé la vôtre. — S. CHRYS. C'est-à-dire, en d'autres termes : Ne vous troublez point, si vous avez part à mes souffrances, parce que vous n'êtes pas au-dessus de moi. — S. AUG. Lorsque le Sauveur dit : « Le serviteur n'est pas au-dessus de son maître, » il veut parler du serviteur qui est rempli de cette crainte chaste et sainte qui demeure éternellement. (Ps 18)
S. CHRYS. Il leur donne encore un nouveau motif de consolation, c'est que les outrages qu'ils reçoivent s'adressent on même temps à Dieu le Père : « Mais ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent point celui qui m'a envoyé. » — S. AUG. Quelles sont toutes ces choses ? celles dont il vient de parler, la haine, les mauvais traitements, et le mépris qu'on fera de leur parole : « Ils vous feront toutes ces choses ; à cause de mon nom, » n'est-ce pas dire équivalemment : c'est moi qu'ils poursuivront de leur haine dans votre personne, c'est moi qu'ils persécuteront en vous persécutant, et ils ne garderont pas votre parole, parce qu'elle est la mienne. Ceux qui vous feront ces mauvais traitements à cause de mon nom, sont donc d'autant plus malheureux, que le bonheur de ceux qui les souffrent à cause de mon nom est plus grand. Les méchants les font endurer également aux méchants, et ils sont misérables les uns comme les autres, ceux qui font souffrir comme ceux qui souffrent. Mais comment Nôtre-Seigneur a-t-il pu dire : « Ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom, » alors que ces impies n'agissent point pour le nom de Jésus-Christ, c'est-à-dire, par un motif de justice, mais par amour de l'iniquité ? Si on applique exclusivement ces paroles aux justes, voici comme on peut résoudre cette question : «Vous souffrirez toutes ces choses à cause de mon nom. » Mais si on entend ces paroles dans ce sens : « Ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom. » qui est en vous l'objet de leur haine, » on peut leur donner cette signification : A cause de la justice qu'ils ne peuvent s'empêcher de haïr dans votre personne. Par la même raison, lorsque les bons sont obligés de persécuter les méchants, ils le font, et à cause de la justice dont ils défendent les intérêts en châtiant les méchants, et à cause de l'iniquité qu'ils détestent dans leur personne. Nôtre-Seigneur ajoute : « Parce qu'ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé, » et cette connaissance est celle dont il est écrit : « Vous connaître, c'est la parfaite prudence. »
S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur console encore et encourage ses disciples par cette pensée, que c'est par une souveraine injustice qu'ils furent toutes ces choses et contre ses disciples et contre lui : « Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient point de péché. » — S. AUG. (Traité 89 sur S. Jean.) Jésus-Christ a parlé aux Juifs, et non aux autres peuples. C'est donc dans les Juifs qu'il a voulu personnifier ce monde qui hait Jésus-Christ et ses disciples, et ce ne sont pas seulement les Juifs, c'est nous-mêmes qu'il veut désigner ici sous le nom de monde. Mais est-ce donc que les Juifs, à qui le Christ a parlé, étaient sans péché avant qu'il fût venu au milieu d'eux dans un corps mortel ? Non, sans doute ; le Sauveur, sous le nom général de péché, ne veut point qu'on comprenne toutes sortes de péchés, mais un péché plus grand que tous les autres, un péché auquel se rattachent tous les autres péchés, un péché sans lequel tous les autres peuvent être remis, c'est le péché d'incrédulité à l'égard de Jésus-Christ, qui est venu afin que tous croient en lui. Or, s'il n'était pas venu, ils ne seraient pas coupables de ce péché ; car autant son avènement a été salutaire à ceux qui ont cru en lui, autant il a été funeste à ceux qui ont refusé de croire. « Mais maintenant ils n'ont point d'excuse de leur péché. » On peut ici se demander si ceux vers qui Jésus-Christ n'est pas venu, qui n'ont point entendu sa parole, ont une excuse de leur péché ; car s'ils n'en ont point, pourquoi le Sauveur dit-il que les Juifs n'ont point d'excuse ? parce que Jésus-Christ est venu et qu'il leur a parlé. Et, s'ils ont une excuse, pourra-t-elle les soustraire au châtiment, ou du moins adoucir celui qu'ils auraient mérité ? Je réponds à cette question qu'ils sont excusables non point de tout péché, mais du péché d'incrédulité à l'égard de Jésus-Christ. Quant à ceux vers qui il est venu dans la personne de ses disciples, ils ne sont point de ce nombre, et on ne peut les ranger avec ceux dont le châtiment sera moins rigoureux, eux qui ont refusé absolument de recevoir la loi de Jésus-Christ, et qui, autant que cela dépendait d'eux, auraient voulu l'anéantir. Cette excuse peut encore être apportée par ceux qui ont été prévenus par la mort avant d'avoir entendu annoncer l'Evangile de Jésus-Christ ; mais ils ne peuvent cependant pas échapper à la damnation, car tous les hommes qui ne seraient point sauvés par le Sauveur, qui est venu chercher ce qui avait péri, feraient sans aucun doute partie des réprouvés ; bien qu'on puisse admettre que le châtiment des uns sera plus léger, et celui des autres plus rigoureux. En effet, on périt véritablement aux yeux de Dieu, lorsqu'on est séparé par un châtiment éternel de cette félicité qu'il donne à ses saints. La différence des supplions entre eux répond donc à la variété multiple des péchés. Comment cela se fait-il ? La profondeur des jugements de la sagesse divine est ici au-dessus de toute conjecture comme de toute parole humaine.
S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.) Comme les Juifs alléguaient presque toujours que c'était pour défendre l'honneur de Dieu le Père qu’ils persécutaient le Sauveur, il leur ôte ce prétexte en leur déclarant : « Celui qui me hait, hait aussi mon Père. » — ALCUIN. De même, en effet, que celui qui aime le Fils, aime aussi le Père (parce qu'il n'y a qu'un amour du Père et du Fils, comme il n'y a qu'une nature), ainsi celui qui hait le Fils, hait aussi le Père. — S. AUG. (Traité 90 sur S. Jean.) Mais Nôtre-Seigneur n'a-t-il pas dit plus haut : « Ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé ? » Comment peuvent-ils donc haïr celui qu'ils ne connaissent pas ? Car si, sous le nom de Dieu, ce n'est pas Dieu lui-même qu'ils poursuivent de leur haine, mais je ne sais quelle divinité imaginaire qu'ils se sont formée, ce n'est plus Dieu lui-même qui est l'objet de leur haine, mais ce que leur erreur ou leur vaine crédulité leur représentent comme tel. Si au contraire ils ont sur Dieu des idées justes et vraies, comment peut-on dire qu'ils ne le connaissent pas ? Il peut arriver quelquefois, il est vrai, que nous ayons de l'affection ou de la haine pour des hommes que nous ne connaissons que sur le bien on le mal que nous en avons appris, mais comment pourrait-on dire d'un homme qu'on nous fait connaître, qu'il nous est inconnu ? Ce ne sont pas sans doute les traits de son visage qui nous le font connaître, mais la connaissance qu'on nous donne de ses habitudes et de sa vie ; autrement il faudrait dire qu'on ne peut se connaître soi-même, puisqu'on ne peut voir les traits de son visage. Cependant la plupart du temps nous nous trompons sur ceux que nous connaissons de cette manière, car souvent l'histoire, et plus souvent encore la renommée, nous induisent en erreur. Dans l'impossibilité où nous sommes de pénétrer dans la conscience des hommes, nous pouvons au moins, pour n'être pas dupes d'une opinion mensongère, avoir une connaissance véritable et certaine des choses elles-mêmes. Quand donc on ne se trompe pas sur les choses ; qu'on blâme ce qui est réellement vice, et qu'on approuve ce qui est véritablement vertu, si l'erreur ne porte que sur les personnes, c'est une faiblesse qui tient à l'humanité et qui est digne de pardon. Il peut, en effet, arriver qu'un homme vertueux ait de la haine pour un homme également bon dont il ignore la vertu, et alors ce n'est pas cet homme, mais l'idée qu'il s'en fait, qui est l'objet de sa haine ; ou plutôt il peut arriver qu'il aime cet homme sans le connaître, parce qu'il aime le bien qui se trouve en cet homme. De même, un homme injuste peut avoir de la haine pour un homme vertueux, et l'aimer lorsqu'il le suppose injuste, en aimant alors en lui non pas ce qu'il est véritablement, mais l'idée qu'il s'en forme. Or, la même chose peut arriver pour Dieu. Ainsi, qu'on ait demandé aux Juifs s'ils aimaient Dieu, ils auraient répondu qu'ils l'aimaient sans faire un mensonge, mais en étant simplement dupes de la fausse idée qu'ils s'en formaient ; car comment peut-on aimer le Père de la vérité lorsqu'on a de la haine pour la vérité ? Ils ne veulent pas que leurs actions soient condamnées, et c'est ce que fait la vérité. Ils ont donc autant de haine pour la vérité qu'ils en ont pour les châtiments qu'elle inflige à ceux qui l'outragent. Mais ils ne savent pas que c'est la vérité elle-même qui condamne ceux qui leur ressemblent, et parce qu'ils ignorent que cette vérité qui les juge et les condamne, est née de Dieu le Père, ils ont de la haine pour Dieu sans le connaître.
S. CHRYS. Les Juifs n'ont donc aucune excuse ; je leur ai transmis ma doctrine par mes paroles, je l'ai confirmée par mes œuvres, comme le recommande la loi de Moïse, qui fait un devoir à tous d'obéir à celui qui s'annonce comme docteur lorsque sa doctrine inspire une véritable piété, et qu'elle est confirmée par des miracles extraordinaires. C'est pour cela qu'il ajoute : « Si je n'avais point fait parmi eux des œuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient point de péché. » — S. AUG. (Traité. 91 sur S. Jean.) C'est-à-dire le péché qu'ils ont commis eu refusant de croire à ses enseignements et à ses œuvres. Mais pourquoi ajoute-t-il : « Que nul autre n'a faites ? » Nous ne voyons point de plus grands miracles dans la vie de Jésus-Christ que la résurrection des morts, et nous savons que les anciens prophètes ont ressuscité des morts, en particulier Elie (3 R 17) ; Elisée, pendant sa vie (4 R 4), et jusque dans son tombeau (4 R 13). Cependant Jésus-Christ a fait quelques miracles que nul autre n'a faits, par exemple, lorsqu'il a nourri cinq mille hommes avec cinq pains ; lorsqu'il a marché sur les eaux, et donné à Pierre le pouvoir d'y marcher lui-même ; lorsqu'il a changé l'eau en vin ; lorsqu'il a ouvert les yeux de l'aveugle-né, et fait beaucoup d'autres miracles, qu'il serait trop long d'énumérer ici. Mais on nous répond que d'autres ont opéré des prodiges qui n'ont été faits ni par Jésus-Christ, ni par aucun autre. Quel autre que Moïse, par exemple, a conduit tout un peuple à travers les eaux divisées de la mer, a fait descendre du ciel la manne pour le nourrir, et jaillir l'eau du rocher pour étancher sa soif ? Quel autre que Jésus, fils de Navé, a partagé les eaux du Jourdain pour livrer un passage au peuple de Dieu, et par ses prières a mis comme un frein au soleil dans sa course ? Quel autre qu'Elisée a rendu la vie à un mort par le seul contact de son propre cadavre ? J'en omets bien d'autres, et je pense que ces exemples suffirent pour prouver que les autres saints ont opéré des prodiges que personne n'a faits. Mais on ne sait point que, parmi les anciens, aucun d'eux ait jamais guéri avec autant d'autorité et de puissance les vices nombreux, les maladies et les infirmités multipliées des hommes. Car, sans dire ici que d'un seul mot il guérissait tous ceux qui se présentaient à lui, saint Marc nous raconte que « partout où il entrait, dans les bourgs, dans les villages ou dans les villes, on mettait les malades sur les places publiques, et on le suppliait de leur laisser toucher seulement la frange de son vêtement ; et tous ceux qui le touchaient étaient guéris. » (Mc 6, 56) Voilà ce que personne autre que lui n'a fait en eux, car c'est ainsi qu'il faut traduire ces paroles : in eis, en eux, et non parmi eux, ou devant eux ; parce qu'il les a guéris eux-mêmes. Et si un autre que lui semble avoir opéré les mêmes prodiges, on peut dire, encore que nul autre n'a fait ce qu'il a fait, car tous les miracles semblables qu'un autre a pu opérer, il les a opérés en vertu de la puissance du Sauveur ; tandis que Jésus les a faits sans le concours d'aucun autre. Et, bien que le Père et le Saint-Esprit aient pris part à ces miracles, on peut dire encore que nul autre ne les a faits, parce qu'il n'y a dans la Trinité qu'une seule et même nature. Les Juifs auraient donc dû répondre à de si grands bienfaits par l'amour plutôt que par la haine, et c'est ce que le Sauveur leur reproche : « Maintenant ils ont vu ces œuvres, et ils me haïssent, moi et mon Père, afin que la parole qui est écrite dans leur loi soit accomplie : ils m'ont haï sans sujet. » — S. CHRYS. Il prévient ainsi l'objection que ses disciples auraient pu lui faire. Pourquoi nous avez-vous jetés au milieu de tant de dangers ? N'avez-vous donc pas prévu tous ces combats, toute cette haine ? Il leur répond eu leur citant cette prophétie : « Afin que la parole qui est écrite dans leur loi soit accomplie. » — S. AUG. (de la Trin., 17) Tous les livres de l'Ancien Testament sont souvent désignés dans les saintes Ecritures sous le nom de loi, et c'est le sens que le Sauveur lui donne ici, lorsqu'il dit : « Il est écrit dans leur loi, » c'est-à-dire dans les Psaumes. (Ps 68, 5)
S. AUG. (Traité 91) Il dit leur loi, non pas qu'ils l'aient faite eux-mêmes, mais parce qu'elle leur a été donnée. Haïr sans sujet ou gratuitement, c'est haïr sans espérance d'aucun avantage, sans crainte d'aucun danger, c'est le caractère de la haine des impies pour Dieu ; c'est aussi le caractère de l'amour des justes qui n'attendent point d'autres biens que Dieu, parce qu'il sera lui-même tout dans tous. (1 Co 15, 28.) — S. AUG. (Moral., 25, 11 ou 16 dans les anc. man.) Il y a une grande différence entre ne pas faire le bien et haïr celui qui enseigne le bien, de même qu'entre pécher par précipitation et pécher de propos délibéré. Il nous arrive souvent par suite de notre faiblesse de ne point faire le bien que nous aimons ; mais pécher de propos délibéré, c'est ne pas faire le bien, et de plus n'avoir aucun amour pour le bien. De même donc qu'on est quelquefois plus coupable d'aimer le péché que de le commettre, ainsi c'est souvent une faute plus grave de haïr la justice que de ne point en pratiquer les actes. Or, il y en a un certain nombre dans l'Eglise qui, non-seulement ne font pas le bien, mais le persécutent, et qui haïssent dans les autres le bien qu'ils n'ont pas le courage de pratiquer, et leur péché n'est pas un péché de faiblesse on d'ignorance, mais un péché commis avec intention et de propos délibéré.
S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.) Les disciples pouvaient dire au Sauveur : S'ils ont entendu de votre bouche des paroles que nul autre n'a dites, s'ils ont vu des prodiges que personne autre n'a faits, sans en retirer la moindre utilité ; si au contraire ils n'ont eu que de la haine pour votre Père et pour vous, pourquoi donc nous envoyer, et comment espérer que nous soyons dignes de foi ? Nôtre-Seigneur dissipe la crainte que pouvaient faire naître ces pensées, en leur faisant cette promesse consolante : « Lorsque sera venu le Paraclet que je vous enverrai du sein du Père, etc., il rendra témoignage de moi. » — S. AUG. (Tr. 92 sur S. Jean.) C'est-à-dire, les Juifs m'ont haï et m'ont mis à mort, bien qu'ils aient vu de leurs yeux les œuvres que j'ai faites, mais le Paraclet rendra de moi un si éclatant témoignage, qu'il fera croire en moi ceux mêmes qui n'auront pu me voir. (Traité 93.) En même temps que l'Esprit de vérité me rendra témoignage, vous aussi me rendrez témoignage, lui dans les cœurs, et vous par vos paroles, lui par ses inspirations, vous par vos prédications. (Traité 92) Vous pourrez alors prêcher hautement ce que vous connaissez, vous qui avez été avec moi dès le commencement, ce que vous ne pouvez faire maintenant, parce que vous n'avez pas encore reçu la plénitude de l'Esprit saint ; car c'est dans la charité qui a été répandue dans vos cœurs par l'Esprit saint qui vous a été donnée (Rm 5), que vous puiserez le courage nécessaire pour me rendre témoignage. L'Esprit saint, en effet, en rendant lui-même témoignage, et en inspirant à ces nouveaux témoins un courage à toute épreuve, a banni complètement la crainte du cœur des amis de Jésus-Christ, et a converti en amour la haine de ses ennemis.
DIDYME. (de l'Esprit saint, 2) Le Sauveur donne à l'Esprit saint le nom de consolateur, nom significatif de ce qu'il produit dans les âmes, parce que, non-seulement il affranchit de toute espèce de trouble ceux qu'il eu trouve dignes, mais il les remplit encore d'une joie ineffable ; car les cœurs où l'Esprit saint fixe son séjour, jouissent d'une joie éternelle. Cet Esprit consolateur est envoyé par le Fils, non comme Dieu envoyait les anges, les prophètes ou les Apôtres, mais comme il convenait à la sagesse et à la vérité d'envoyer l'Esprit de Dieu qui a une nature indivisible avec cette même sagesse et cette même vérité. En effet, le Fils qui est envoyé par le Père, n'en est pour cela ni séparé, ni divisé, il demeure dans son Père, et son Père demeure en lui. Ainsi l'Esprit saint envoyé par le Fils, soit du Père, sans aller d'un lieu dans un autre ; car de même que le Père ne peut être contenu dans un espace limité, puisque son infinité s'étend au-delà de tous les espaces matériels, ainsi l'Esprit de vérité ne peut être circonscrit par aucune limite, parce qu'il est incorporel et qu'il est au-dessus de toutes les créatures raisonnables.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur l'appelle, non l'Esprit saint, mais l'Esprit de vérité, pour montrer combien son témoignage est digne de foi. Il déclare qu'il procède du Père, c'est-à-dire, qu'il sait toutes choses avec une entière certitude, comme le Sauveur dit de lui-même dans un autre endroit : « Je sais d'où je viens et où je vais. » — DIDYME. Il aurait pu dire qu'il procédait de Dieu ou du Tout-Puissant, il laisse ces dénominations et choisit de préférence celle du Père, non sans doute que le Père soit différent du Dieu tout-puissant ; mais parce que l'Esprit de vérité sort de lui en vertu de cette propriété et de cette intelligence qui est propre au Père. Or, en même temps que le Fils envoie l'Esprit de vérité, le Père l'envoie également, puisqu'il vient par un seul et même acte de la volonté du Père et du Fils. — THEOPHYL. Nous voyons ailleurs que le Père envoie l'Esprit saint, ici le Sauveur, en déclarant qu'il l'enverra lui-même, prouve qu'il a une même puissance avec le Père. Et afin qu'où ne crût pas qu'il était opposé au Père, et qu'il envoyait l'Esprit saint en vertu d'une puissance différente, il ajoute : « Qui procède du Père, » pour nous apprendre que non-seulement le Père consent à cette mission, mais qu'il la donne lui-même. Lorsque vous entendez dire que l'Esprit saint procède, n'allez pas croire que celte procession soit une mission extérieure comme celle qui est donnée aux esprits qui servent le Seigneur (He 1, 14) ; cette procession est une propriété toute différente, attribut exclusif de cet esprit principal. La procession du Saint-Esprit n'est autre que l'origine de son être, il ne faut donc pas prendre la procession pour la mission, car la procession est l'acte en vertu duquel l'Esprit reçoit du Père sa nature divine.
S. AUG. (Traité 96.) On nous fera peut-être ici cette question : L'Esprit saint procède-t-il aussi du Fils ? Le Fils est Fils du Père seulement, et le Père est exclusivement le Père du Fils ; or, l'Esprit saint n'est pas l'Esprit d'une seule des deux premières personnes divines, il est l'Esprit des deux, puisque Jésus-Christ dit expressément : « L'Esprit de votre Père qui parle en vous, » (Mt 10, 20) et que l'Apôtre nous dit de son côté : « Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils dans vos cœurs. » (Ga 4, 6.) Et je ne vois pas d'autre raison pour laquelle on lui donne le nom d'Esprit, car si on nous interroge sur ce que nous pensons de chacune des autres personnes, il n'y a que le Père et le Fils à qui nous puissions donner ce nom d'Esprit. Or, ce nom qui est le nom commun des deux premières personnes, a dû être donné proprement à celui qui n'est pas l'Esprit de l'un deux, mais qui est le principe d'union des deux personnes divines. Pourquoi donc n'admettrions-nous pas que l'Esprit saint procède du Fils, puisqu'il est aussi l'Esprit du Fils ? S'il ne procédait pas de lui, le Fils de Dieu n'aurait pas soufflé sur ses disciples après sa résurrection, en leur disant : « Recevez le Saint-Esprit, » c'est aussi de cette vertu de l'Esprit saint que l'Evangéliste veut parler, quand il dit : « Une vertu sortait de lui et les guérissait tous. » (Lc 6, 19) Mais si l'Esprit saint procède du Père et du Fils, pourquoi le Fils déclare-t-il qu'il procède du Père ? C'est parce qu'il a coutume de rapporter tous ses attributs divins à celui de qui vient sa nature divine. C'est dans ce même sens qu'il dit ailleurs : Ma doctrine n'est pas ma doctrine, mais la doctrine de celui qui m'a envoyé. Si donc on doit regarder comme sa doctrine la doctrine qu'il déclare être non la sienne, mais celle de son Père, à plus forte raison doit-on entendre que l'Esprit saint procède de lui, lorsqu'il dit : « Qui procède du Père, » et non : Il procède de moi. C'est du Père que le Fils a reçu d'être Dieu, c'est du Père aussi qu'il a reçu d'être le principe d'où procède l'Esprit saint. D'est ce qui nous explique, aussi pourquoi on ne dit pas de l'Esprit saint qu'il est né mais qu'il procède ; car s'il était appelé Fils, il faudrait dire qu'il est le Fils des deux personnes divines, ce qui serait une absurdité, car on ne peut être le Fils de deux personnes, que lorsque ces deux personnes sont le père et la mère, or, loin de nous de supposer quelque chose de semblable entre Dieu le Père et Dieu le Fils. Disons plus, même, parmi les hommes, le fils ne procède pas en même temps du père et de la mère, car au moment où il procède du père dans la mère, il ne procède pas de la mère. Quant à l'Esprit saint, il ne procède pas du Père dans le Fils et du Fils dans les créatures qu'il sanctifie, il procède en même temps du Père et du Fils, car nous ne pouvons dire que l'Esprit saint ne soit pas la vie, puisque le Père est la vie, et que le Fils aussi est la vie, et ainsi de même que le Père qui a la vie en lui-même, a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même (Jn 5), ainsi a-t-il donné au Fils que la vie procède de lui, comme elle procède du Père.
S. AUG. (Traité 93 sur S. Jean.) Après avoir promis à ses disciples l'Esprit saint, qui devait faire d'eux autant de témoins de la vérité, le Sauveur ajoute : « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ne soyez pas scandalisés. » Et en effet, lorsque la charité de Dieu est répandue dans nos cœurs par l'Esprit saint qui nous a été donné (Rm 5), une paix abondante se répand en même temps dans l'âme de ceux qui aiment la loi de Dieu, et il n'y a point pour eux de scandale. (Ps 118, 165.) Il leur prédit ensuite les épreuves qui les attendent : « Ils vous chasseront des synagogues. » — S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.) Ils avaient déjà pris de concert la résolution de chasser de la synagogue quiconque confesserait Jésus-Christ. — S. AUG. Mais quel grand mal pour les Apôtres d'être chassés des synagogues des Juifs, puisqu'ils devaient en sortir d'eux-mêmes, alors que personne ne les chasserait dehors ? Il a donc voulu leur apprendre par-là que les Juifs ne devaient point recevoir Jésus-Christ, dont les disciples ne devaient point se séparer. Si, en effet, ils avaient voulu le reconnaître, comme il n'y avait point d'autre peuple de Dieu que la race d'Abraham, les Eglises de Jésus-Christ n'auraient pas été différentes des synagogues des Juifs. Mais ils ont refusé de recevoir Jésus-Christ, et la conséquence naturelle, c'est que restant eux-mêmes en dehors de Jésus-Christ, ils devaient chasser de leurs synagogues ceux qui ne consentaient pas à quitter Jésus-Christ. Le Sauveur ajoute, encore : « Et l'heure vient où quiconque vous fera mourir, croira faire nue chose agréable à Dieu, » paroles qui ont pour objet de consoler ceux qui seraient chassés des synagogues des Juifs. Est-ce donc que cette expulsion de la synagogue devait les affliger à ce point, qu'ils auraient mieux aimé mourir que de n'en plus faire partie ? Non, sans doute, une crainte semblable ne pouvait trouver place dans le cœur de ceux qui cherchaient, non la gloire des hommes, mais la gloire de Dieu. Voici donc le sens de ces paroles : « Ils vous chasseront des synagogues, mais ne craignez pas votre isolement ; vous serez exclus de leurs réunions, il est vrai, mais vous en rassemblerez un si grand nombre en mon nom, que les Juifs, craignant l'abandon de leur temple et de toutes les cérémonies de l'ancienne loi, vous mettront à mort, croyant en cela faire une chose agréable à Dieu, parce que leur zèle pour la gloire de Dieu, n'est pas un zèle dirigé par la science » (Rm 10, 2), paroles qu'il faut entendre des Juifs, dont Nôtre-Seigneur dit : « Ils vous chasseront de leurs synagogues. » En effet, lorsque les Gentils ont mis à mort les témoins, c'est-à-dire, les martyrs de Jésus-Christ, ce n'est pas à Dieu, mais à leurs fausses divinités qu'ils ont cru faire une chose agréable, tandis que ceux qui, parmi les Juifs, mirent à mort les prédicateurs de Jésus-Christ, crurent faire un acte agréable à Dieu, dans la crainte que ceux qui se convertiraient à Jésus-Christ, abandonneraient le culte du vrai Dieu. Voilà pourquoi dans l'ardeur d'un zèle qui n'était pas selon la science, ils mettaient à mort les disciples de Jésus-Christ, croyant en cela faire une œuvre agréable à Dieu.
S. CHRYS. Jésus leur donne ensuite un nouveau motif de consolation : « Et ils vous traiteront de la sorte, parce qu'ils ne connaissent ni mon Père, ni moi, » c'est-à-dire, qu'il vous suffise comme consolation de penser que vous souffrez pour moi et pour mon Père. — S. AUG. Il leur apprend ensuite que la cause pour laquelle il leur a prédit ces épreuves, c'est de prévenir le trouble qu'auraient jeté dans leurs cœurs non préparés des maux qu'ils n'avaient pas prévus, bien qu'ils dussent être de courte durée : « Je vous ai dit ces choses, afin que lorsqu'un sera venue l'heure, vous vous souveniez que je vous les ai dites. » Cette heure, c'était l'heure des ténèbres, l'heure de la nuit, mais la nuit des Juifs n'a pu obscurcir de ses ténèbres les clartés du jour de Jésus-Christ qui en était séparé. — S. CHRYS. Un autre motif pour lequel il leur annonce ces épreuves à l'avance ; c'est afin de bien les convaincre que l'avenir lui était présent, comme il le déclare par ces paroles : « Afin que lorsqu'on sera venue l'heure, vous vous souveniez que je vous les ai dites. Il ne veut pas non plus qu'ils pussent dire qu'il n'avait cherché qu'à les flatter et à leur dire des choses agréables. Mais pourquoi ne leur a-t-il pas fait tout d'abord ces prédictions ? En voici la raison : « Je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement, parce que j'étais avec vous, » c'est-à-dire, vous étiez sous ma garde, vous pouviez m'interroger quand vous vouliez ; tous les efforts de vos ennemis se concentraient sur moi ; il était donc inutile de vous en parler tout d'abord, mais au moins si je ne l'ai pas fait, ce n'est pas que j'ignorais que ces épreuves dussent arriver.
S. AUG. (Tr. 94 sur S. Jean.) Selon les trois autres évangélistes, Nôtre-Seigneur fit cette prédiction avant la cène, taudis que saint Jean la place après la cène. Ne peut-on pas résoudre cette difficulté, en disant que les trois premiers évangélistes font observer que sa passion était proche, lorsqu'il fit ces prédictions ? Il ne les fit donc pas dès le commencement qu'il était avec eux. Cependant saint Matthieu rapporte que le Sauveur prédit ces événements, non-seulement aux approches de sa passion, mais encore dès le commencement. Comment donc expliquer ces paroles : « Je ne vous les ai pas dites dès le commencement, » etc., si ce n'est en faisant une exception pour les choses qu'il attribue ici à l'Esprit saint, et qu'il ne leur a pas fait connaître dès le commencement, par exemple qu'il devait leur être envoyé et rendre témoignage, lorsqu'ils seraient persécutés. En effet, il était alors au milieu d'eux, et sa présence seule était pour eux une véritable consolation. Mais lorsque le moment vint de les quitter, il devait leur annoncer la venue de l'Esprit saint, qui, en répandant dans leurs cœurs la charité de Dieu, leur donnerait le courage de prêcher hautement le Verbe de Dieu. — S. CHRYS. (hom. 78 sur S. Jean.) Ou peut dire encore qu'il leur avait prédit les persécutions qu'ils devaient endurer, mais non pas que leur mort serait regardée comme une œuvre agréable à Dieu, ce qui devait être pour eux un sujet d'étonnement extraordinaire ; ou bien encore, il leur annonça dès le commencement, ce qu'ils devaient souffrir de la part des Gentils, et leur prédit ici les persécutions que leur préparaient les Juifs.
S. CHRYS. (hom. 78 sur S. Jean.) La tristesse s'était emparée de l'esprit des disciples encore bien imparfaits, en entendant les dernières paroles de leur divin Maître ; il les en reprend, et leur en fait un reproche. « Et maintenant je vais à celui qui m'a envoyé, et aucun de vous ne me demande : Où allez-vous ? » En effet, lorsqu'ils l'entendirent déclarer que celui qui les mettrait à mort croirait faire une chose agréable à Dieu, ils gardèrent un profond silence, et ne lui adressèrent plus aucune question, c'est pour cela qu'il ajoute : « Mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre cœur, » etc. Ce n'était pas pour eux une consolation médiocre que de voir que le Seigneur connaissait la grandeur de leur tristesse produite par la pensée de son départ prochain, par la perspective des maux qu'ils devaient souffrir, et l'ignorance où ils étaient s'ils pourraient les supporter courageusement.
S. AUG. (Traité 94 sur saint Jean.) Ou bien encore, ils lui avaient demandé précédemment où il allait, et il leur avait répondu qu'il allait où ils ne pouvaient le suivre actuellement ; maintenant il leur déclare qu'il s'en ira, sans qu'aucun d'eux lui demande où il va : « Aucun de vous ne me demande : Où allez-vous ? » Car lorsqu'il monta aux cieux, ils l'accompagnèrent de leurs regards, mais sans chercher à savoir où il allait. Or, le Seigneur voyait l'effet que produisaient ses paroles dans leur cœur ; comme ils n'avaient pas encore cette consolation intérieure que le Saint-Esprit devait répandre dans leur âme, ils craignaient de perdre la présence visible de Jésus-Christ ; et comme d'après sa déclaration, ils ne pouvaient douter qu'ils la perdraient, leur affection encore tout humaine s'attristait de ce que leurs yeux allaient être privés de ce qui faisait leur consolation : « Mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre cœur. » Jésus savait ce qui leur était le plus avantageux ; car la vue intérieure que l'Esprit saint devait leur donner comme consolation, était bien préférable : « Cependant je vous dis la vérité, il vous est avantageux que je m'en aille. » — S. CHRYS. C’est-à-dire, dût votre tristesse être mille fois plus grande, il vous faut entendre cette vérité, c'est qu'il vous est utile, que je me sépare de vous. Or, quelle est cette utilité ? « Car si je ne m'en vais pas, le Paraclet ne viendra pas à vous. » S. AUG. (de la Trin., 1, 9) S'il parle de la sorte, ce n'est point qu'il y ait inégalité entre le Verbe de Dieu et l'Esprit saint, mais parce que la présence du Fils de l'homme au milieu d'eux était comme un empêchement à la venue de celui qui ne lui était pas inférieur, parce qu'il ne s'était pas anéanti lui-même jusqu'à prendre la forme d'esclave. (Ph 2) Il fallait donc faire, disparaître à leurs yeux la forme de serviteur, qui les portait à croire que Jésus-Christ n'était pas ce qu'ils voyaient des yeux au corps : « mais si je m’en vais, je vous l'enverrai. » — S. AUG. Est-ce qu'il ne pouvait l'envoyer, tout en demeurant sur la terre, lui sur qui nous savons que l'Esprit saint descendit et demeura lorsqu'il fut baptisé et qui ne fut jamais séparé de lui ? Quel est donc le sens de ces paroles : « Si je ne m'en vais, le Paraclet ne viendra pas à vous, » si ce n'est, vous n'êtes pas capables de recevoir le Saint-Esprit, tant que vous continuez à ne connaître Jésus-Christ que selon la chair. Mais lorsque Jésus-Christ les eut privés de sa présence corporelle, non-seulement l'Esprit saint, mais le Père et le Fils vinrent fixer spirituellement en eux leur séjour. — S. GREG. (Moral., 8, 13 ou 17 dans les anc. éd.) Il semble leur dire ouvertement : « Si je ne dérobe pas mon corps aux yeux de votre affection, il me sera impossible de vous conduire à l'intelligence invisible par l'Esprit consolateur. — S. AUG. (sur les par. du Seig.) Or, après que la forme de serviteur que le Sauveur a prise dans le sein de la Vierge, eut été éloignée des yeux de la chair, l'Esprit consolateur leur procura ce bonheur singulier de pouvoir contempler avec les yeux purifiés de leur intelligence la nature de Dieu elle-même, par laquelle le Fils était égal à son Père, alors même qu'il daigna se manifester dans la chair.
S. CHRYS. Mais quelle est donc l'objection que font ici ceux qui ne se forment point de l'Esprit saint des idées justes et convenables ? Est-il donc utile que le Seigneur s'en aille pour que le serviteur vienne ? Or, le Sauveur répond, en nous faisant connaître les avantages de la venue de l'Esprit saint : « Et lorsqu'il sera venu, il convaincra le monde en ce qui touche le péché, » etc.— S. AUG. (Traité 95 sur S. Jean.)Est-ce donc que Jésus-Christ n'a pas convaincu le monde ? Serait-ce parce qu'il n'a fait entendre sa voix qu'aux Juifs, qu'on ne pourrait dire qu'il a convaincu le monde, tandis que l'Esprit saint, au contraire, dans la personne de ses disciples répandus par tout l'univers, n'a pas seulement convaincu une nation, mais le monde tout entier ? Mais qui oserait dire que l'Esprit saint a convaincu le monde par la bouche des disciples, tandis que Jésus-Christ ne peut le convaincre ; alors que l'Apôtre s'écrie : « Est-ce que vous voulez éprouver la puissance du Jésus-Christ qui parle par ma bouche ? » (2 Co 13, 3.) Jésus-Christ peut donc convaincre ceux que l'Esprit saint convainc lui-même. Mais Nôtre-Seigneur dit : « Il convaincra le monde, » c'est-à-dire, il répandra la charité dans vos cœurs, et en dissipant toutes vos craintes, vous donnera la liberté de convaincre le monde. Il explique, ensuite ce qu'il venait de dire : « En ce qui touche le péché, parce qu'ils n'ont pas cru en moi. » Nôtre-Seigneur ne parle que de ce péché à l'exclusion de tous les autres, parce que tant qu'il reste, les autres péchés ne peuvent être pardonnés, et que s'il vient à être effacé, tous les autres le sont avec lui. — S. AUG. (serm. 61 sur les par. du Seig.) Mais il y a une grande différence entre croire que Jésus est le Christ, et croire en Jésus-Christ ; les démons eux-mêmes n'ont pu s'empêcher de croire qu'il était le Christ, mais celui qui croit en Jésus-Christ, espère eu même temps en Jésus-Christ, aime Jésus-Christ. — S. AUG. (Traité 95.) Le monde est donc convaincu de péché, parce qu'il ne croit pas en Jésus-Christ, et il est convaincu aussi en ce qui touche la justice de ceux qui croient, car le seul exemple des fidèles est la condamnation des infidèles : « Il convaincra le monde en ce qui touche la justice, parce que je m'en vais à mon Père. » Nous entendons souvent sortir de la bouche des infidèles cette question : Comment pouvons-nous croire ce que nous ne voyons pas ? Il fallait donc définir de la sorte le caractère de la justice des croyants : « Parce que je m'en vais à mon Père, et que vous ne me verrez plus. » Bienheureux, en effet, ceux qui ne voient point et ne laissent pas de croire, car si la foi de ceux qui ont vu Jésus-Christ a reçu des éloges, ce n'est point parce qu'ils croyaient ce qu'ils voyaient (c'est-à-dire, le Fils de l'homme), mais parce qu'ils croyaient ce qu'ils ne voyaient pas (c'est-à-dire, le Fils de Dieu). Lorsqu'au contraire, la forme de serviteur eut disparu à leurs regards, alors cette, parole du prophète fut entièrement accomplie : « Le juste vit de la foi. » Votre justice donc qui convaincra le monde, consistera à croire en moi, alors que vous ne me verrez plus ; et lorsque vous me verrez tel que je serai alors, vous ne me verrez plus tel que je suis maintenant au milieu de vous, c'est-à-dire, vous ne me verrez plus soumis à la mort, mais environné d'immortalité. Et en effet, en leur disant : « Vous ne me verrez plus, » il leur prédit qu'ils ne verront plus désormais le Christ tel qu'ils le voient.
S. AUG. (serm. 61 sur les par. du Seigneur.) On peut donner encore cotte explication : Il n'ont pas cru en lui, et il s'en va vers son Père ; le péché est donc pour eux, et la justice pour lui. En effet, lorsqu'il est venu du sein de son Père vers nous ; c'est un acte de miséricorde, mais c'est par un effet de sa justice qu'il retourne à son Père, selon ces paroles de l'Apôtre : « C'est pour cela que Dieu l'a exalté. » (Ph 2) Mais s'il s'en va seul à son Père, quelle utilité pouvons-nous en retirer ? S'en est-il allé seul, parce que le Christ ne fait qu'un avec tous ses membres, comme le chef ne fait qu'un avec son corps ? Le monde est donc convaincu de péché dans la personne de ceux qui ne croient pas en Jésus-Christ, et il est convaincu en ce qui touche la justice dans ceux qui ressuscitent comme membres de Jésus-Christ : « Et en ce qui touche le jugement, parce que le prince de ce monde est déjà jugé, » c'est-à-dire, le démon, le prince des méchants, dont le cœur est tout entier fixé dans ce monde, objet de leurs affections. Par-là même qu'il a été jeté dehors, il a été jugé, et le monde est convaincu de ce jugement, parce qu'il se plaint inutilement du démon, lui qui ne veut point croire en Jésus-Christ. En effet, ce prince du monde qui est jugé, c'est-à-dire, jeté dehors, et à qui Dieu permet de nous attaquer extérieurement pour nous exercer à la vertu, a été vaincu, non-seulement par des hommes, mais par de simples femmes, par des enfants, par de tendres vierges qui ont souffert le martyre pour Jésus-Christ. — S. AUG. (Tr. 95 sur S. Jean.) Ou bien encore, il est déjà jugé, parce qu'il est irrévocablement condamné au feu éternel. Or, le monde est convaincu de ce jugement, parce qu'il est jugé lui-même avec son chef dont il imite l'orgueil et l'impiété. Que tous les hommes croient donc en Jésus-Christ, pour n'être point convaincus du péché d'incrédulité qui est comme un lien qui retient tous les autres péchés ; qu'ils passent au nombre des fidèles, pour n'être point convaincus en ce qui touche la justice de ceux dont ils n'imitent point la conduite, et qu'ils se mettent en garde contre le jugement à venir, afin de n'être pas jugé avec le prince du monde qu'ils ont imité malgré son jugement et sa condamnation.
S. CHRYS. (hom. 78 sur S. Jean.) Ou bien encore : « Il convaincra le monde de pêché, » c'est-à-dire, il leur ôtera toute excuse, et leur prouvera qu'ils sont coupables de n'avoir pas voulu croire en moi, alors qu'ils verront l'Esprit saint descendre sur les fidèles d'une manière ineffable par la seule invocation de mon nom. — S. AUG. (Quest. sur le Nouv. et l'Anc. Test., quest. 89) L'Esprit saint a encore convaincu le monde de péché par les prodiges qu'il a opérés au nom du Sauveur, que le monde avait rejeté. Pour le Sauveur lui-même, ayant réservé la justice, il n'a point hésité de retourner à celui qui l'avait envoyé, et en retournant vers lui, il a prouvé qu'il en était venu : « Et en ce qui touche la justice, parce que je m'en vais à mon Père. » — S. CHRYS. C'est-à-dire, qu'un retournant à mon Père, je leur prouverai que ma vie était irréprochable, et qu'ils ne pourront dire encore comme autrefois : « Cet homme est un pécheur, et ne vient pas de Dieu. » Lorsqu'ils verront d'ailleurs que j'ai triomphé de mon ennemi (ce que je n'aurais pu faire si j'avais été un pécheur), il leur sera impossible de dire que je suis possédé du démon, que je suis un séducteur. En apprenant que le démon a été condamné à cause de ce qu'il avait l'ait à mon égard, ils sauront qu'ils pourront désormais le fouler aux pieds, et ils seront convaincus à n'en pouvoir douter de ma résurrection, parce qu'il n'a pu me retenir dans les liens de la mort. — S. AUG. (Quest. de l'Anc. et du Nouv. Test.) Les démons eux-mêmes en voyant les âmes délivrées des enfers monter vers les cieux, ont connu que le prince de ce monde était déjà jugé, et que par suite du crime qu'il avait commis dans le jugement du Sauveur, il était condamné lui-même à perdre tout ce qu'il avait en sa possession, c'est ce que les Apôtres virent à l'ascension de Jésus-Christ, mais ce qui leur fut pleinement découvert, lorsque l'Esprit saint descendit sur eux.
THEOPHYL. Nôtre-Seigneur développe les paroles qu'il vient de leur dire : « Il vous est utile que je m’en aille, » ou ajoutant : « J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, » mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. » — S. AUG. (Traité 97 sur S. Jean.) Tous les hérétiques se sont efforcés d'étayer sur ces paroles de l'Evangile leurs audacieuses inventions que la raison repousse avec horreur, comme si ces inventions étaient justement les vérités que les disciples ne pouvaient porter, et que l'Esprit saint leur eut enseigné ce que l'esprit immonde rougit d'enseigner et de prêcher en public. (Tr. 96) Mais on ne peut établir de comparaison entre les infamies qu'aucune pudeur humaine ne peut supporter, et les vérités salutaires que la faiblesse de l'esprit humain n'est pus capable de comprendre. Les unes ne se trouvent que dans les corps livrés à l'impureté, les autres sont au-dessus de toute nature corporelle et sensible. (Même Traité.) Mais qui de nous se croira capable de comprendre les vérités que les disciples ne pouvaient porter alors ? Il ne faut donc point s'attendre à ce que je les explique. On me dira peut-être, il en est beaucoup maintenant qui pourraient comprendre ce que saint Pierre n’était pas alors même qu'il en est beaucoup qui sont aujourd'hui capables de recevoir la couronne du martyre, surtout depuis qu'ils ont reçu l'Esprit saint qui, alors n'avait pas encore été envoyé. J'accorde qu'il en soit beaucoup qui, depuis la venue du l'Esprit saint, puissent porter les vérités dont les disciples étaient incapables avant de l'avoir reçu. Est-ce une raison pour que nous sachions ce qu'il n'a pas voulu dire ? Et puisqu'il a cru devoir les taire, qui de nous entreprendra de les dire ? (Plus bas.) Savons-nous pour cela les vérités qu'il n'a pas cru devoir révéler ? Il est également de la dernière absurdité de dire que les disciples étaient alors incapables de porter les hautes vérités que renferment leurs Epîtres écrites beaucoup plus tard, et dont on ne voit pas que le Seigneur leur ait parlé. Ces hommes qui appartiennent à des sectes perverses et corrompues, comme les Manichéens, les Sabelliens, les Ariens, ne peuvent supporter les vérités de la foi catholique qui se trouvent dans les saintes Ecritures et condamnent leurs erreurs, de, même que nous ne pouvons supporter leurs mensonges sacrilèges. Qu'est-ce, en effet, que de ne pouvoir supporter quelque chose ? C'est ne pouvoir l'envisager avec un esprit égal et tranquille. Mais quel est le fidèle, quel est même le catéchumène qui, avant d'avoir reçu avec le baptême le Saint-Esprit, ne lise pas ou n'entende pas d'un esprit égal, bien qu'il ne les comprenne pas, les vérités qui n'ont été écrites qu'après l'ascension du Sauveur? (Traité 97 vers la fin.) On me dira encore : Est-ce que les hommes verses dans la spiritualité n'ont pas dans leur doctrine des vérités qu'ils taisent aux hommes charnels, et qu'ils font connaître à ceux qui se conduisent selon l'esprit ? (Traité 98, avant le milieu.) Il n'y a aucune nécessité de taire aux fidèles qui ne font que commencer les secrets de la doctrine chrétienne, pour les exposer en particulier aux âmes plus avancées. (Le milieu.) Les hommes spirituels ne doivent pas garder devant les chrétiens même charnels, un secret absolu sur les vérités spirituelles, parce qu'elles font partie de la foi catholique qui doit être annoncée à tous les hommes. Cependant, dans l'exposé qu'ils en font, ils doivent prendre garde qu'en voulant faire entrer ces vérités dans l'esprit de ceux qui n'en sont pas capables, ils leur inspirent le dégoût pour la parole de vérité plutôt que de leur en donner l'intelligence. (Même imité après le commencement.) Ne soupçonnons donc pas dans ces paroles du Seigneur, je ne sais quelles vérités secrètes qui pourraient être dites par celui qui enseigne, mais que ne pourrait supporter son disciple ; mais comprenons que pour les choses mêmes qui, dans la doctrine chrétienne, font partie de l’enseignement commun des fidèles, si Jésus-Christ voulait nous les expliquer comme il les développe à ses anges, quels sont ceux qui pourraient supporter cette révélation, fussent-ils des plus avancés dans la spiritualité, ce que n'étaient pas encore les Apôtres ? Certainement tout ce qu'on peut savoir de la créature est au-dessous du Créateur, et cependant qui garde le silence sur le Créateur ? Dans quel endroit du monde n'est-il pas connu de tous les hommes ? Et cependant alors que tous parlent de lui, quel est celui qui le comprend comme il doit être compris ? (Traité 96.) Et quel est celui qui, pendant cette vie, peut connaître toute la vérité ? Est-ce que l'Apôtre ne dit pas : « Nous ne connaissons maintenant qu'imparfaitement ? » (1 Co 13) Disons donc que comme l'Esprit Saint nous conduit à cette plénitude de vérité dont parle le même Apôtre, en ajoutant : « Mais alors nous le verrons face à face ; » ce n’est pas seulement ce qui doit se faire en cette vie ; mais la révélation pleine et entière qui doit avoir lieu dans la vie future que Nôtre-Seigneur nous promet par ces paroles : « Lorsque l'Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité, » ou : « Il vous fera parvenir à toute vérité. » Ces paroles nous font comprendre que la plénitude de la vérité nous est réservée pour l'autre vie, et que dans celle-ci l'Esprit saint enseigne aux fidèles les choses spirituelles d'une manière proportionnée à leurs dispositions, tout en excitant dans leur cœur un désir de plus en plus vif pour ces mêmes vérités. — DIDYME. (de l'Esprit saint, 2) Ou bien Nôtre-Seigneur veut dire que ses disciples ne savaient pas encore tout ce qu'ils auraient à souffrir dans la suite pour son nom ; il ne leur en faisait connaître qu'une partie, réservant pour plus tard la connaissance des épreuves plus grandes qu'ils ne pouvaient porter alors, avant que leur chef leur en eut donné l'exemple par l'enseignement de sa croix. Ils étaient encore asservis aux figures, à l'ombre et aux images de la loi, et ils ne pouvaient regarder la vérité dont la loi n'était que l'ombre. Mais lorsque l'Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité ; et par sa doctrine et par son enseignement, vous fera passer de la mort de la lettre à l'esprit de vie dans lequel seul se trouve la vérité de tontes les Ecritures.
S. CHRYS. (hom. 78.) Ces paroles : « Vous ne pouvez porter maintenant ces vérités, » (mais vous le pourrez plus tard) et ces autres : « L'Esprit saint vous conduira à toute vérité, » pouvaient donner aux Apôtres la pensée que l'Esprit saint était plus grand que lui, il se hâte donc d'ajouter : « Car il ne parlera pas de lui-même, » etc. — S. AUG. (Traité 99 sur S. Jean.) Ces paroles sont semblables à celles que le Sauveur dit de lui-même : « Je ne puis faire rien de moi-même, mais je juge suivant ce que j'entends, » toutefois il parlait ainsi en tant qu'homme. — Or, comme l'Esprit saint n'est pas devenu créature par son union à un être créé, comment entendre en lui ces paroles de Nôtre-Seigneur ? Nous devons les entendre dans ce sens que l'Esprit saint n'existe point par lui-même, car le Fils est né du Père, et l'Esprit saint procède du Père ; or quelle différence entre procéder et naître, c'est ce qui demanderait de longues discussions et ce qu'il serait téméraire de définir. Entendre pour l'Esprit-Saint, c'est savoir, et savoir, c'est être. Puisque donc l'Esprit saint n'existe pas de lui-même, mais par celui de qui il procède, il reçoit la science et la propriété d'entendre de celui duquel il reçoit l'être. L’Esprit saint entend donc, toujours parce qu'il sait toujours ; c'est donc de celui qui lui a donné l'être qu'il a entendu, qu'il entend et qu'il entendra.
DIDYME. (De l'Esprit saint.) Nôtre-Seigneur dit donc : « Il ne parlera pas de lui-même, » c'est-à-dire sans la volonté de mon Père et la mienne ; parce qu'il tire son existence de mon Père et de moi, et c'est de mon Père et de moi qu'il a reçu d'être, et de parler. Pour moi, je dis la vérité, c'est-à-dire je lui inspire ce que je dis, car il est l'Esprit de vérité. Lorsqu'il s'agit de la Trinité, il ne faut point entendre ces expressions dire et parler dans leur signification ordinaire, mais dans le sens qui seul peut convenir aux natures incorporelles, et surtout à la Trinité qui inspire sa volonté dans le cœur des fidèles et de ceux qui sont dignes d'entendre sa voix. Pour le Père parler, et pour le Fils entendre, est le signe d'une entière égalité de nature, et d'une parfaite unité de volonté. Quant à l’Esprit-Saint, qui est l’Esprit de vérité, l'Esprit de sagesse, lorsque le Fils parle, on ne peut dire qu'il entend ce qu'il ne sait pas, puisqu'il est lui-même ce qui sort du Fils, la vérité qui procède de la vérité, le consolateur qui émane du consolateur, le Dieu esprit de vérité qui procède de Dieu. Et afin que personne ne lui attribuât une volonté différente de celle du Père et du Fils, Nôtre-Seigneur ajoute : « Ce qu'il entendra, il le dira. »
S. AUG. (De la Trin., 2, 43) On ne peut conclure de là que l'Esprit saint soit inférieur au Père et au Fils, car ces paroles doivent s'entendre de lui en tant qu'il procède du Père. — S. AUG. (Traité 99 sur S. Jean.) Il ne faut pas s'étonner que le verbe « il entendra » soit au futur, le Saint-Esprit entend de toute éternité parce qu'il sait de toute éternité. Or quand il s'agit d'un être éternel sans commencement comme sans fin, quel que soit le temps qu'on emploie, il n'est pas contraire à la vérité. Quoique cette nature immuable ne soit pas susceptible de passé et de futur, mais seulement du présent, cependant on ne parle point contre la vérité en disant : « Il a été, il est, et il sera, » il a été, car il n'a jamais cessé d'être ; il sera, parce que son existence n'aura jamais de fin ; il est, parce qu'il existe toujours.
DIDYME. (De l'Esprit saint.) C'est encore par l'Esprit de vérité que la science certaine de l'avenir est accordée à de saints personnages, c'est sous l'inspiration de cet Esprit dont ils étaient remplis que les prophètes prédisaient, et voyaient comme présents des événements qui ne devaient arriver que bien longtemps après : « Et il vous annoncera les choses à venir. » — BEDE. Il est certain qu'un grand nombre de saints personnages remplis de la grâce de l'Esprit saint ont connu et annoncé les événements à venir. Mais comme il en est un grand nombre aussi en qui brille l'éclat des plus pures vertus, et à qui la science des choses à venir n'est point donnée, on peut entendre ces paroles : « Il vous annoncera les choses à venir » dans ce sens qu'il vous remettra en mémoire les joies de la céleste patrie. L'Esprit saint fait connaître encore aux apôtres les épreuves qu'ils devaient endurer pour le nom de Jésus-Christ, et les biens qui devaient être la récompense de ces mêmes épreuves.
S. CHRYS. (hom. 78.) C'est ainsi que Notre-Seigneur élève l'esprit et les pensées de ses disciples, car rien n'excite à un plus haut degré la curiosité et les désirs de la nature humaine, comme la connaissance do l'avenir. Il les délivre donc de celte sollicitude en leur révélant les épreuves qui les attendent, afin qu'ils n'y tombent point sans y être préparés. Il leur explique ensuite quelle est cette vérité dont il a dit : « L'Esprit saint vous enseignera toute vérité, » en ajoutant : « Il me glorifiera, » etc. — S. AUG. (Traité 6 sur S. Jean.) C'est-à-dire qu'en répandant la charité dans les meurs des fidèles, et en les rendant des hommes spirituels, l'Esprit saint leur a fait connaître que le Fils était égal au Père, lui qu'ils ne connaissaient auparavant que selon la chair, et que dans leurs pensées tout humaines, ils ne considéraient que comme un homme. Ou bien encore : « Il me glorifiera, » parce que la charité remplissant les apôtres de confiance, et bannissant la crainte de leurs cœurs, ils ont annoncé Jésus-Christ aux hommes, et répandu la connaissance de son nom dans tout l'univers, car le Sauveur attribue ici à l’Esprit Saint ce que les apôtres devaient faire sous son inspiration. — S. CHRYS. Et comme il leur avait dit précédemment : « Vous n'avez qu'un seul maître, qui est le Christ ; » (Mt 23) pour les disposer à recevoir les leçons de l'Esprit saint, il ajoute : « Il recevra de ce qui est à moi, et vous l'annoncera. » — DIDYME. Il faut entendre ce mot recevoir dans un sens qui puisse convenir à la nature divine ; car de même que le Fils en donnant, ne perd point ce qu'il donne, et n'éprouve aucun dommage de ce qu'il accorde aux autres ; ainsi l'Esprit saint ne reçoit point ce qu'il n'avait pas auparavant, car s'il a reçu ce qu'il n'avait pas, en communiquant lui-même cette même grâce à un autre, il s'est appauvri de ce qu'il donnait. Comprenons donc que l'Esprit saint a reçu du Fils ce qui était propre à sa nature, qu'il n'y a point ici une personne qui donne et une personne qui reçoit, mais une seule et même nature, car le Fils lui-même reçoit du Père les propriétés qui font sa nature ; en effet, le Fils n'est rien en dehors de ce qui lui est donné par son Père, de même qu'on ne peut concevoir la nature de l'Esprit saint en dehors de ce qui lui est donné par le Fils.
S. AUG. (Traité 6 sur S. Jean.) Il ne faut point toutefois penser, comme l'ont fait quelques hérétiques, que l'Esprit saint soit moindre que le Fils, parce que le Fils reçoit du Père, et que le Saint-Esprit reçoit du Fils en suivant certains degrés qui établiraient une différence entre leurs natures, aussi le Sauveur se hâte de résoudre cette difficulté et d'expliquer ces paroles en ajoutant : « Tout ce qu'a mon Père est à moi. — DIDYME. C'est-à-dire, quoique l'Esprit de vérité procède du Père, cependant, comme tout ce qui est à mon Père est à moi, l'Esprit du Père est le mien, et il recevra de ce qui est à moi. Gardez-vous, en entendant ces paroles de soupçonner ici une chose ou une propriété quelconque qui serait possédée par le Père et par le fils ; tout ce que le Père a dans sa nature, c'est-à-dire dans son éternité, dans son immutabilité, dans sa bonté, le Fils l'a également. Rejetons donc bien loin tous ces filets des raisonneurs et des sophistes qui viennent nous dire : « Donc le Père est le Fils ; » s'il avait dit : Tout ce qu'a Dieu est à moi, leur impiété pourrait y trouver matière à ces inventions sacrilèges, mais comme il a dit : « Tout ce qu'a mon Père est à moi, » en proclamant le nom de son Père, il déclare lui-même qu'il est Fils, et il se garde bien, lui qui est le Fils, d'usurper la paternité, bien que par la grâce de l'adoption, il soit lui-même le Père d'un grand nombre de saints.
S. HIL. (De la Trin., 8) Notre-Soigneur n'a donc point laissé dans l'incertitude si le Saint-Esprit venait du Père ou du Fils ; il a reçu du Fils d'être envoyé, et il procède du Père. Mais je demande si c'est une même chose pour l'Esprit saint de recevoir du Fils et de procéder du Père ? On devra certainement reconnaître que c'est une seule et même chose de recevoir du Fils et de recevoir du Père ; car lorsque Nôtre-Seigneur dit : « Tout ce qu'a mon Père est à moi, » et qu'il dit eu même temps que l'Esprit saint recevra de ce qui est à lui, il enseigne par-la même qu'il doit recevoir également du Père. Il dit cependant qu'il recevra de ce qui est à lui, parce que tout ce qui est à son Père est à lui. Cette unité ne peut donc admettre de différence, peu importe de qui on reçoit, puisque ce qui est donné par le Père est considéré comme donné par le Fils.
S. CHRYS. (hom. 79 sur S. Jean.) Après avoir répandu la joie dans l’âme de ses disciples, par la promesse qu'il leur a faite de leur envoyer l'Esprit saint, le Sauveur les attriste de nouveau en leur disant : « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus. » Il agit de la sorte pour les préparer, par ce langage triste et sévère, à l’idée de sa séparation prochaine ; car rien n'est plus propre à calmer l’âme plongée dans la tristesse et l'affliction, comme la pensée fréquente des motifs qui ont produit en elle cette tristesse. — BEDE. (hom. 1, pour le 2° Dim. ap. l'oct. de Pâq.) Il dit : « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus,» parce qu'il fut arrêté cette nuit par les Juifs, crucifié le jour suivant, enseveli vers le soir, et qu'il disparut ainsi aux regards des hommes. — S. CHRYS. En méditant sérieusement ces paroles : « Parce que je m'en vais à mon Père, » on y trouve un motif de consolation, car Notre-Seigneur montre ainsi qu'il ne doit point périr sans retour, et que sa mort n'est qu'un passage de ce monde à son Père. Il les console, encore en ajoutant : « Et encore un peu de temps, et vous me verrez ; » car il leur apprend ainsi qu'il reviendra, que la séparation sera courte, et que la réunion avec eux durera éternellement.
S. AUG. (Traité 100 sur S. Jean.) Ces paroles du Sauveur étaient obscures pour les disciples avant l'accomplissement des événements qu'elles avaient pour objet. Aussi : « Plusieurs de ses disciples se dirent l'un à l'autre : Qu'est-ce qu'il nous dit : Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus : et encore un peu de temps, et vous me verrez, parce que je vais à mon Père ? » — S. CHRYS. Ils ne comprenaient pas, soit à cause de la tristesse qui les empêchait de penser à ce qu'il leur disait, soit à cause de l'obscurité des paroles elles-mêmes, qui paraissaient renfermer deux choses contradictoires, mais qui ne l'étaient pas en réalité ; car, si nous vous voyons, pouvaient-ils dire, comment vous en allez-vous ? Et si vous vous en allez, comment pourrons-nous vous voir ? C'est pour cela qu'ils se demandent l'un à l'autre : « Qu'est-ce qu'il nous dit : Encore un peu de temps ? Nous ne savons ce qu'il veut dire. » — S. AUG. Dans ce qui précède, Notre-Seigneur, en leur disant : « Je vais à mon Père, » sans ajouter : « Dans un peu de temps, vous ne me verrez plus, » leur avait parlé ouvertement. Mais ce qui put alors leur paraître obscur, et qui leur fut bientôt dévoilé, nous est aussi parfaitement connu. En effet, la passion et la mort du Sauveur arrivèrent quelque temps après, et ils ne le virent plus ; puis, peu de temps après, il ressuscita et ils le virent de nouveau. Il leur dit aussi : « Et vous ne me verrez plus, » parce qu'ils ne devaient plus voir Jésus-Christ dans la nature mortelle dont il était revêtu.
ALCUIN. On peut dire encore que ce peu de temps pendant lequel ils ne le verront pas, ce sont les trois jours qu'il fut déposé dans le sépulcre, et que ce peu de temps après lequel ils le reverront, ce sont les quarante jours qui suivirent sa passion et sa résurrection, et pendant lesquels il leur apparut plusieurs fois jusqu'au jour de son ascension. Pendant ce court espace de temps, vous me verrez, jusqu'au jour où je m'eu irai à mon Père ; car je ne dois pas toujours rester corporellement sur cette terre, mais je dois remonter dans le ciel avec l'humanité que j'ai prise dans mon incarnation.
« Jésus, connaissant qu'ils voulaient l'interroger, leur dit : Vous vous demandez les uns aux autres ce que j'ai dit : Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ; et encore un peu de temps, et vous me verrez. « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous gémirez. » Ce bon Maître, qui voit leur ignorance, répond au doute que ses paroles avaient fait naître, en leur expliquant le sens de ce qu'il vient de leur dire. — S. AUG. On peut entendre ces paroles de la tristesse des apôtres après la mort du Sauveur, et de la joie que leur fit éprouver sa résurrection ; et le monde alors (c'est-à-dire les ennemis de Jésus-Christ, qui le firent mourir), se réjouit de la mort du Sauveur, tandis que ses disciples étaient dans la tristesse. « Le monde se réjouira, » etc. — ALCUIN. Ces paroles du Seigneur peuvent s'appliquer à tous les chrétiens qui tendent aux joies éternelles par les larmes et les souffrances de cette vie ; tandis que les justes pleurent, le monde se réjouit, parce qu'il ne connaît que les joies de la vie présente, et n'espère en aucune façon les joies de l'autre vie.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur voulant ensuite leur montrer que la tristesse engendre la joie, comme aussi que cette tristesse sera courte, tandis que leur joie n'aura point de fin, emprunte cette comparaison aux choses du monde : « Une femme, lorsqu'elle enfante, a de la tristesse, parce que son heure est venue ; mais lorsqu'elle a mis un enfant au jour, elle ne se souvient plus de ses douleurs, à cause de sa joie, parce qu'un homme est né au monde. » — S. AUG. Cette comparaison n'est pas difficile à comprendre, parce que les termes en sont connus, puisque c'est celui même qui la propose qui en l'ait l'application : « Vous donc aussi, vous avez maintenant de la tristesse ; mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira. » Le travail de l'enfantement est ici comparé à la tristesse, et la délivrance à la joie, qui est ordinairement d'autant plus grande, que ce n'est pas une fille, mais un garçon qu'on a mis au monde. Il ajoute : « Et personne ne vous ravira votre joie, » parce que Jésus est lui-même leur joie, et que, comme le dit l'Apôtre : « Jésus-Christ, ressuscité d'entre les morts, ne meurt plus, et la mort n'a plus d'empire sur lui. » (Rm 6, 9.) — S. CHRYS. Par la comparaison qui précède, il veut aussi exprimer, d'une manière figurée, qu'il s'est délivré des étreintes de la mort, et qu'il a lui-même régénéré le nouvel homme. Et il ne dit pas qu'il n'aura point de tribulation, mais qu'il ne s'en souviendra point, tant sera grande la joie qui lui succédera : et il en sera de même pour les saints. Il ne dit pas non plus : Parce qu'un enfant, mais : « Parce qu'un homme est venu au monde, » annonçant ainsi, en termes couverts, sa résurrection. — S. AUG. Mais je crois qu’il est mieux d’entendre de la vision et de la joie des cieux, ces paroles : « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ; » et alors, ce peu de temps, c'est toute la durée du siècle présent. C'est pour cola que Notre-Seigneur ajoute : « Parce que je vais à mon Père, » paroles qui se rapportent à la première proposition: « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ; » et non à la seconde : « Encore un peu de temps, et vous me verrez, » car c'est eu allant à son Père qu'il est devenu invisible pour eux. Il leur dit donc, à ceux qui le voyaient corporellement : « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus, » parce qu'il devait aller à son Père, et qu'ils ne devaient plus le voir désormais dans cette nature mortelle, qu'ils voyaient de leurs yeux, lorsqu'il leur tenait ce langage. Ce qu'il ajoute : « Et encore un peu de temps, et vous me verrez, » est une promesse qui s'adresse à toute l'Eglise. Ce peu de temps nous paraît bien long, parce qu'il dure encore ; mais lorsqu'il sera écoulé, nous comprendrons alors combien courte a été sa durée.
ALCUIN. Cette femme, c'est la sainte Eglise qui est féconde en bonnes oeuvres, et qui engendre à Dieu des enfants spirituels. Cette femme, tant que dure pour elle le travail de l'enfantement (c'est-à-dire, tant qu'elle s'applique à faire des progrès dans la vertu, tant qu'elle est exposée aux tentations et aux épreuves), a de la tristesse, parce que l'heure de la souffrance est venue pour elle ; car il n'est personne qui ait de la haine pour sa propre chair. (Ep 5, 30.) — S. AUG. Et cependant jusque dans l'enfantement de cette joie, notre tristesse elle-même n'est pas sans quelque joie, car, comme le dit l'Apôtre : « Nous nous réjouissons en espérance, » (Rm 12) parce qu'en effet, la femme à laquelle Jésus-Christ nous compare, se réjouit beaucoup plus de l'enfant qu'elle doit mettre au monde, qu'elle n'est triste des douleurs actuelles qu'elle ressent. — ALCUIN. Mais lorsqu'elle a mis au monde son enfant (c'est-à-dire, lorsqu'ayant triomphé de toutes ses épreuves, elle arrive à recueillir les palmes de la victoire), elle ne se souvient plus des douleurs qui ont précédé, tant est grande la joie de la récompense qui lui est donnée, en effet de même qu'une femme se réjouit d'avoir mis un homme au monde, ainsi l'Eglise est remplie d'une juste allégresse, en voyant le peuple des fidèles qu'elle a enfanté à la vie éternelle. — BEDE. Il ne doit point nous paraître étrange d'entendre parler de la naissance de celui qui sort de cette vie, car de même qu'on dit de celui qui sort du sein de sa mère pour voir cette lumière sensible, qu'il naît à la vie ; ainsi on peut dire de celui qui, délivré des liens de la chair, est élevé jusqu'à la contemplation de la lumière éternelle, qu'il naît à une nouvelle vie, et c'est pour cela que les fêtes des saints sont appelées les anniversaires, non de leur mort, mais de leur naissance.
ALCUIN. Nôtre-Seigneur dit à ses Apôtres : « Je vous verrai de nouveau, » c'est-à-dire, je vous prendrai avec moi, ou bien : « Je vous verrai de nouveau, » c'est-à-dire, j'apparaîtrai de nouveau à vos regards, « et votre cœur se réjouira. » — S. AUG. (Traité 1) L'Eglise enfante maintenant par ses désirs le fruit de tous ses travaux, elle l'enfantera alors par la contemplation, elle enfantera par conséquent un enfant mâle, parce que tous les devoirs de la vie active se rapportent à ce fruit de la contemplation ; le seul fruit vraiment libre est celui qu'on recherche pour soi, et qui ne se rapporte pas à un autre, la vie active lui est subordonnée, car toutes les bonnes oeuvres se rapportent à lui, c'est la fin qui nous suffit ; ce fruit sera donc éternel, car la seule fin qui puisse nous suffire est celle qui n'a pas de fin. C'est de cette fin qui doit combler tous nos désirs que le Sauveur nous dit a juste titre : « Et personne ne vous ravira votre joie. »
S. CHRYS. (hom. 79 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur montre de nouveau à ses disciples qu'il leur est avantageux qu'il s'en aille, en leur disant : « Et en ce jour-là, vous ne m'interrogerez plus sur rien. » — S. AUG. (Traité 101 sur S. Jean.) Le mot rogare ne signifie pas seulement demander, mais aussi interroger, et le verbe qui se trouve dans l'Evangile grec, dont le nôtre est une traduction, peut signifier également l'un et l'autre. — S. CHRYS. Il leur dit donc : « En ce jour-là (c'est-à-dire, lorsque je serai ressuscité), vous ne m'interrogerez plus, » c'est-à-dire, vous ne direz pas : Montrez-nous votre Père, et où allez-vous ? car l'Esprit saint vous l'apprendra. On bien encore, vous ne me demanderez rien, c'est-à-dire, vous n'aurez pas besoin de médiateur pour obtenir l'effet de vos prières, mon nom seul suffira, et en l'invoquant, vous recevrez tout ce. que vous demanderez : « En vérité, en vérité, je vous le dis, tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous le donnera. » Il fait voir ainsi la puissance de son nom, puisque sans le voir, sans le prier, il suffira de prononcer ce nom pour qu'il opère des merveilles auprès de son Père. Ne vous regardez donc point comme abandonnés, parce que je ne serai plus avec vous ; mon nom seul vous inspirera une plus grande confiance : « Jusqu'à présent, vous n'avez rien demandé en mon nom, demandez et vous recevrez, afin que voire joie soit pleine. » — THEOPHYL. Votre joie sera entière et parfaite, lorsque vos vœux seront pleinement satisfaits.
S. CHRYS. Comme ses paroles étaient encore couvertes d'un certain voile pour ses disciples, il ajoute : « Je vous ai dit ces choses en paraboles, vient l'heure où je ne vous parlerai plus en paraboles, » c'est-à-dire, il viendra un temps (c'est le temps de sa résurrection), où vous comprendrez parfaitement ce que je vous dirai, et où je vous parlerai ouvertement de mon Père ; et, en effet, pendant quarante jours, il s'entretint avec tous ses disciples réunis du royaume de Dieu. Maintenant, leur dit-il, vous êtes remplis de crainte, et ne prêtez point d'attention à ce que je vous dis, mais lorsque vous me verrez ressuscité, vous pourrez apprendre toutes choses sans qu'il y ait pour vous d'obscurité.
THEOPHYL. Il leur donne encore un nouveau motif de confiance, c'est qu'ils recevront dans leurs tentations le secours d'en haut : « En ce jour-là, vous demanderez en mon nom, » c'est-à-dire, je vous déclare que mon Père vous aime à ce point, que vous n'aurez plus besoin de mon intervention : « Et je ne vous dis point que je prierai mon Père pour vous, » etc. Mais ce ne doit pas être pour eux une raison de s'éloigner du Sauveur, comme s'ils n'en avaient plus besoin, et c'est pour cela qu'il ajoute : « Parce que vous m'avez aimé, » c'est-à-dire, mon Père vous aime, parce que vous m'avez aimé, si donc vous veniez à vous détacher de mon amour, vous perdriez immédiatement l'amour de mon Père.
S. AUG. (Traité 102 sur S. Jean.) Mais notre amour pour le Fils de Dieu est-il le motif de l'amour de son Père pour nous ? N'est-ce point, au contraire, son amour pour nous qui est la cause de notre amour ? C'est ce que nous dit l'évangéliste saint Jean, dans une de ses Epîtres : « Aimons Dieu, parce qu'il nous a aimés le premier. » (l Jn iv.) Le Père nous aime donc, parce que nous aimons le Fils, en vertu du pouvoir que le Père et le Fils nous ont donné de les aimer. Dieu aime en nous son œuvre, mais Dieu n'aurait pas fait en nous ce qui est digne de son amour, si avant de le faire il ne nous avait aimés le premier. — S. HIL. (de la Trin., 6) La foi parfaite que nous avons en Jésus-Christ, Fils de Dieu, n'a plus besoin d'intercession auprès de Dieu, car elle croit qu'il est sorti de Dieu et qu'elle l'aime, et elle mérite ainsi d'être écoutée et d'être aimée par elle-même, parce qu'elle professe hautement la naissance divine du Fils et son incarnation : « Et parce que vous avez cru que je suis sorti de Dieu. » C'est, en effet, à sa naissance divine et à son avènement en ce monde, que le Sauveur fait allusion dans ces paroles : « Je suis sorti de mon Père, et je suis venu en ce monde ; » la première de ces deux choses s'est accomplie dans sa nature divine, la seconde dans sou incarnation ; car ces deux expressions : « Venir de son Père, et sortir de son Père, » n'ont plus la même signification ; autre chose, en effet, est pour le Fils de sortir du Père par une naissance qui lui donne toute la substance divine ; autre chose est d'être venu du Père en ce monde pour y consommer les mystères de notre saint. Mais comme sortir de Dieu n'est autre chose que d'avoir par naissance la nature divine, celui qui a le privilège de cette naissance ne peut être que Dieu.
S. CHRYS. Comme la promesse de la résurrection du Sauveur était un véritable adoucissement à leurs peines, aussi bien que de lui entendre dire qu'il sortait de Dieu et qu'il retournait à Dieu, il les entretient continuellement dans cette pensée : « Je quitte de nouveau le monde et je vais à mon Père. » Il leur donnait ainsi la certitude d'un côté qu'ils avaient en lui une foi droite et pure, et de l'autre qu'ils seraient désormais sous sa protection. — S. AUG. Il est sorti du Père, parce qu'il vient du Père, et il est venu dans le monde, parce qu'il est apparu au monde dans le corps qu'il avait pris dans le sein de la vierge Marie. Il a quitté le monde corporellement, et il est retourne vers son Père, en conduisant son humanité dans les cieux ; mais il n'a point cessé de gouverner le monde par sa présence, parce qu'il est sorti de son Père pour venir dans le monde sans quitter le sein de son Père. Or, nous voyons que les Apôtres et les disciples de Jésus-Christ lui ont adressé, après sa résurrection, et des questions et des prières ; des questions, lorsqu'ils lui demandèrent avant son ascension, en quel temps il rétablirait le royaume d'Israël (Ac 1), des prières lorsque Etienne le vit dans les deux à la droite du Père, et le pria de recevoir son esprit. (Ac 6) Et qui oserait dire que nous ne devions plus le prier depuis qu'il est immortel, tandis qu'on devait le prier pendant sa vie mortelle ? Je pense donc que ses paroles : « En ce jour-là vous ne me demanderez plus rien, » ne doivent pas être rapportées au temps qui suivit sa résurrection, mais à celui où nous le verrons tel qu'il est (1 Jn 3), vision qui n'est pas de cette vie que le temps mesure, mais qui est le privilège de cette vie éternelle, dans laquelle nous n'aurons plus aucune prière, aucune question à faire, parce qu'il ne nous restera plus rien à désirer, rien à connaître.
ALCUIN. Voici donc le sens des paroles du Sauveur : Dans la vie future, vous ne me demanderez plus rien, mais durant le pèlerinage de cette vie de misères et d'épreuves, si vous demandez quelque chose à mon Père, il vous l'accordera. Comme il le déclare expressément : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous demandez quoique chose à mon Père on mon nom, il vous l'accordera. » — S. AUG. Il ne veut point dire toutes sortes de choses indifféremment, mais quelque chose, qui ne soit pas comme un rien en comparaison de la vie éternelle. Or, toute prière dont l'objet est contraire aux intérêts de notre salut, n'est pas faite au nom du Sauveur, car par ces paroles : « En mon nom, » il faut entendre, non pas le son extérieur des lettres et des syllabes dont ce nom est composé, mais la signification véritable de ce nom. Donc celui qui a de Jésus-Christ des idées autres que celles qu'il faut avoir du Fils unique de Dieu, ne demande point en son nom, bien que ses lèvres prononcent le nom de Jésus-Christ, parce qu'il demande au nom de celui qui est présent à sa pensée, au moment de sa prière. Celui, au contraire, qui a de Jésus-Christ des idées justes et droites, demande véritablement en son nom, et reçoit infailliblement l'objet de ses prières, s'il ne demande rien du contraire au salut éternel de son âme. Or, il reçoit dans le temps où Dieu juge devoir l'exaucer, car il est des choses que Dieu ne nous refuse pas, mais qu'il diffère de nous donner dans un temps plus favorable. Il font encore entendre ces paroles : « Il vous donnera, » des grâces exclusivement propres à ceux qui demandent; car tous les saints sont exaucés dans les prières qu'ils font pour eux-mêmes, mais non dans celles qu'ils adressent à Dieu pour tous les antres, parce qu'en effet, le Sauveur ne dit pas en général : Il donnera, mais : « Il vous donnera. » Quant aux paroles qui suivent : « Jusqu'à présent, vous n'avez rien demandé en mon nom, » on peut les entendre de deux manières : Ou bien, vous n'avez rien demandé en mon nom, parce que vous n'aviez pas de ce nom le connaissance que vous deviez en avoir, ou bien vous n'avez rien demandé, parce que ce qui a fait l'objet de vos prières doit être considéré comme rien, en comparaison de ce que vous auriez dû demander. C'est donc, pour les engager à ne plus demander des choses de rien, mais une joie pleine et entière, qu'il ajoute : « Demandez, et vous recevrez, afin que votre joie soit pleine. » Cette joie pleine n'est point une joie sensible, mais une joie toute spirituelle, et elle sera pleine, lorsqu'elle sera si grande, qu'on ne pourra plus y rien ajouter.
S. AUG. (de la Trin., 1, 2.) Cette joie pleine, au-dessus de laquelle il n'y a plus rien, sera de jouir de la présence de Dieu dans la Trinité, à l'image de laquelle nous avons été créés. — S. AUG. (Traité 102 sur S. Jean.) C'est donc au nom de Jésus-Christ qu'il nous faut demander tout ce qui tend à nous faire obtenir cette joie éternelle, et jamais la miséricorde divine ne trompera la confiance de ses saints qui persévèrent dans la demande d'un si grand bien.. Tout ce qu'on demande en dehors de ce bien, n'est rien, non pas que l’objet de nos prières soit nul absolument, mais parce qu'un comparaison d'un si grand bien, tout ce que l'on peut désirer n'est rien.
« Je vous ai dit ces choses en paraboles, mais vient l'heure où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père. » Je dirais volontiers que cette heure dont il parle est la vie future où nous le verrons à découvert, comme le dit l'Apôtre : « Nous le verrons face à face. » (1 Co 13, 12.) Et alors ces paroles du Sauveur : « Je vous ai dit ces choses en paraboles, » se rapporteraient à ce que dit saint Paul : « Nous ne voyons maintenant que comme dans un miroir et sous des images obscures, » je vous parlerai ouvertement de mon Père, parce que c'est par le Fils qu'on peut voir le Père, « car personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils a voulu le révéler. » (Mt 11) — S. GREG. (Moral., 20, 5, ou dans les anc. éd., 8.) Il leur annonce qu'il leur parlera ouvertement de son Père, parce qu'en leur découvrant l'éclat de sa majesté, il leur fera voir comment il est égal dans sa naissance à celui qui l'a engendré, et comment l'Esprit saint est coéternel au Père et au Fils dont il procède. — S. AUG. Mais les paroles qui suivent semblent s'opposer à l'explication que nous venons de donner : « En ce jour, dit le Sauveur, vous demanderez en mon nom, » car que pourrons-nous demander dans le siècle futur, quand nos désirs seront rassasiés de l'abondance de tous les biens ? car la demande suppose toujours une indigence quelconque. Il est donc mieux d'entendre ces paroles dans ce sens, que Jésus rendra ses disciples spirituels de charnels, et d'esclaves de leurs sens qu'ils étaient. En effet l'homme animal ne se représente que sous des images matérielles et sensibles tout ce qu'il entend dire de la nature de Dieu. Tous les enseignements de la sagesse sur la nature incorporelle et immuable de Dieu sont pour lui autant de paraboles, non qu'il les prenne positivement pour des paraboles, mais parce qu'il n'a d'autres pensées que ceux qui entendent des paraboles sans les comprendre. Mais lorsque l'homme devenu spirituel commence à juger tout avec discernement, bien que dans cette vie il ne puisse voir que comme dans un miroir et en partie, il comprend que Dieu n'est pas un corps, mais un esprit, et cela sans l'aide d'aucun sens, d'aucune image sensible, mais par une perception claire et distincte de son intelligence. Lorsque le Fils nous parle ainsi à découvert de son Père, et nous fait voir en même temps qu'il a une même nature avec, lui, alors nous demandons véritablement en son nom, parce que ce nom représente alors à notre esprit la vérité même qu'il exprime. Nous pouvons comprendre alors que Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, en tant qu'homme, prie pour nous son Père, et que, comme Dieu, il nous exauce conjointement avec son Père, ce qu'il paraît indiquer dans les paroles suivantes : « Et je ne vous dis pas que je prierai mon Père pour vous. » Il n'y a, en effet, que l'œil spirituel de l'âme qui puisse s'élever jusqu'à cette vérité que le Fils ne prie pas le Père, mais que le Père et le Fils exaucent ensemble les prières qui leur sont adressées.
S. CHRYS. (hom. 79 sur S. Jean.) Les disciples de Jésus consolés et ranimés par l'assurance qui leur est donnée qu'ils sont les amis du Père, lui avouent qu'ils reconnaissent maintenant qu'il sait toutes choses : « Ses disciples lui dirent : Voilà que maintenant vous parlez ouvertement, et sans vous servir d'aucune parabole. » — S. AUG. (Traité 103 sur S. Jean.) Le Sauveur leur annonce et leur promet seulement que l'heure vient où il ne leur parlera plus en paraboles, d'où vient donc qu'ils lui tiennent ce langage, sinon qu'ils ne comprennent pas les paraboles dont il se sert, et que leur ignorance est si grande, qu'ils ne la connaissent même pas ? — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur, dans les paroles qui précèdent, a répondu aux secrètes pensées de leur esprit, et c'est pour cela qu'ils lui disent : « Maintenant nous voyons que vous savez toutes choses. » Voyez comme ils étaient encore imparfaits ; après tant et de si grandes preuves qu'il leur avait données, ils lui disent : « C'est maintenant seulement que nous savons ; » ils semblent lui en faire un mérite. « Et il n'est pas besoin que personne vous interroge, » c'est-à-dire, avant même que nous vous le disions, vous saviez ce qui était pour nous un sujet de trouble, et vous nous avez rassurés en nous disant que votre Père nous aimait.
S. AUG. Les apôtres étaient convaincus maintenant que le Sauveur savait toutes choses, d'où vient donc qu'au lieu de lui dire, ce qui paraissait bien plus naturel : Vous n'avez pas besoin d'interroger sur aucune chose, ils lui disent au contraire : « Il n'est pas besoin que personne vous interroge ? » Ou plutôt comment se fait-il que les deux choses eurent lieu, c'est-à-dire que le Seigneur les interrogea, et qu'ils l'interrogèrent à leur tour ? La solution de cette difficulté est facile, car ce n'était que pour eux et non pour lui qu'il les interrogeait, ou qu'il en était interrogé lui-même. En effet, il ne les interrogeait pas pour en apprendre quelque chose, mais bien plutôt pour les enseigner eux-mêmes ; et ses disciples, qui l'interrogeaient pour en apprendre ce qu'ils voulaient savoir, avaient besoin d'être instruits à l’école de celui qui savait toutes choses. Pour lui au contraire il n'avait aucun besoin qu'on l'interrogeât pour qu'il connût ce que chacun d'eux voulait savoir de lui ; car avant même qu'on lui fit aucune question, il connaissait l'intention de celui qui allait l'interroger. Ce n'était point sans doute une chose extraordinaire pour le Seigneur de prévoir les pensées des hommes, mais pour des hommes faibles il y avait un certain mérite à dire comme ils le font : « En cela nous croyons que vous êtes sorti de Dieu. » — S. HIL. (De la Trin., 6) Ils croient qu'il est sorti de Dieu, parce qu'il fait des oeuvre que Dieu seul peut faire. Le Sauveur leur avait déjà dit plusieurs fois : « Je suis sorti de Dieu, et je suis venu de mon Père en ce monde, » et cette déclaration si souvent répétée, n'avait excité en eux aucun sentiment d'admiration ; aussi ils n'ajoutent pas : Vous êtes venu de votre Père en ce monde ; car ils savaient qu'il avait été envoyé de Dieu, mais ils ne savaient pas qu'il était sorti de Dieu, ils ne commencèrent à comprendre cette ineffable naissance du Fils de Dieu que grâce à ces derniers enseignements du Sauveur, et c'est alors qu'ils reconnaissent qu'il ne leur parlait plus en paraboles. Ce n'est point en effet à la manière des enfantements humains, qu'un Dieu naît d'un Dieu, c'est plutôt une sortie qu'un enfantement, car il vient seul d'un principe unique, il n'en est pas une partie, un amoindrissement, une diminution, une dérivation, une extension, une affection, c'est la naissance d'un être vivant sortant d'un être vivant, il n'est point choisi pour recevoir le nom de Dieu, il n'est point sorti du néant pour arriver à l'existence, il est sorti d'un être immuable, et cette sortie doit s'appeler une naissance, mais non un commencement.
S. AUG. Le Sauveur leur donne ensuite des avis proportionnés à l'état de faiblesse et d'enfance où se trouvait encore en eux l'homme intérieur : « Jésus leur répondit : Vous croyez maintenant ? » — BEDE. Ce que l'on peut entendre de deux manières : comme une affirmation, ou comme une ironie ; comme une ironie dans ce sens : Il est bien tard pour commencer à croire ; car voici l'heure, etc., comme une affirmation, c'est-à-dirc : « Vous croyez maintenant ; il est vrai, mais voici que vient l'heure, et déjà elle est venue où vous serez dispersés chacun de votre côté, et où vous me laisserez seul. » — S. AUG. En effet lorsqu'on se saisit de sa personne, ils n'abandonnèrent pas seulement extérieurement son corps au pouvoir de ses ennemis ; mais ils renoncèrent intérieurement à la foi qu'ils avaient en lui. — S. CHRYS. Il leur dit : « L'heure est venue que vous soyez dispersés, » c'est-à-dire quand je serai livré à mes ennemis, car la crainte qui s'emparera de vous sera si grande, que vous ne pourrez fuir tous ensemble ; mais pour moi il n'en résultera aucun mal. « Et je ne suis pas seul, parce que mon Père est avec moi. » — S. AUG. Il voulait que leur foi prît de l'accroissement et que leur intelligence s'élevât jusqu'à comprendre que le Fils était sorti du Père, mais sans le quitter. Il conclut son discours par ces paroles : « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en moi. » — S. CHRYS. C'est-à-dire afin que vous ne me repoussiez jamais de votre cœur, car ce n'est pas seulement lorsque je serai pris par mes ennemis que vous serez assaillis par le malheur ; tant que vous serez dans le monde, vous serez opprimés, c'est-à-dire, persécutés, c'est ce qu'il leur prédit en ces termes : « Dans le monde vous aurez des tribulations. » — S. GREG. (Moral., 26, 12, ou 11 dans les anc. éd.) Il semble leur dire : Placez en moi toute votre consolation et votre force intérieure, car pour le monde, vous n'avez à en attendre que l'oppression et la persécution la plus cruelle.
S. AUG. Cette oppression devait commencer pour eux à cette heure dont Jésus leur disait : « Vient l'heure où vous serez dispersés chacun de votre côté, » mais elle ne devait pas se continuer de la même manière. Car ce qu'il ajoute : « Et que vous me laissiez seul, » ne devait point s'appliquer aux persécutions qu'ils auraient à endurer dans le monde, après son ascension ; alors, au contraire, loin de l'abandonner, il veut qu'ils lui demeurent attachés et qu'ils mettent en lui leur paix. Il leur dit encore : « Ayez confiance. » — S. CHRYS. C'est-à-dire que votre âme ressuscite et revienne à la vie, car il ne faut pas que les disciples restent dans la tristesse et les alarmes, alors que leur Maître a triomphé de leurs ennemis. C'est pour cela qu'il ajoute : « Parce que j'ai vaincu le monde. » — S. AUG. Lorsqu'ils eurent reçu l'Esprit saint, c'est en Jésus-Christ qu'ils mirent toute leur confiance, et c'est par lui qu'ils remportèrent la victoire ; car on ne pourrait dire que le Sauveur a vaincu le monde, si ses membres étaient vaincus par le monde. (Traité 104.) Quant à ces paroles : « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en moi, » nous ne devons pas seulement les entendre de ce qu'il vient de dire immédiatement à ses disciples, mais de tous ses enseignements, soit de ceux qu'il leur a donnés depuis qu'ils ont commencé à être ses disciples, soit de ce long et admirable discours qui suivit la cène. Le but qu'il s'est proposé dans tons ces discours il l'a dit en termes exprès, c'est qu'ils placent en lui leur paix ; cette paix n'aura point de fin comme le temps, mais elle sera elle-même la fin de toutes nos pieuses intentions et de nos saintes actions.
S. CHRYS. (hom. 80 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de dire à ses disciples : « Vous aurez des tribulations dans le monde. » A cet avertissement il fait succéder la prière, pour nous apprendre à tout quitter pour recourir à Dieu seul au milieu de nos tribulations : « Ayant dit ces choses, Jésus leva les yeux au ciel, » etc. — BEDE. Il faut entendre ici les choses qu'il leur dit pendant la cène, les unes lorsqu'il était encore à table, jusqu'à ces paroles : « Levez-vous, sortons d'ici ; » les autres lorsqu'il fut sorti, jusqu'à la fin de la prière, dont voici le commencement : « Jésus leva les yeux au ciel, et dit : Mon Père, » etc. — S. CHRYS. Il lève les yeux au ciel pour nous apprendre jusqu'où nos prières doivent monter, et que nous devons les faire en levant au ciel, non-seulement les yeux au corps, mais ceux de l'esprit.
S. AUG. (Traité 104 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur aurait pu en tant qu'homme, s'il l'avait fallu, prier sans proférer aucune parole ; mais en se montrant l'humble suppliant de son Père, il a voulu nous apprendre qu'il n'a pas oublié qu'il était notre maître. Aussi ses disciples trouvent-ils un sujet d'édification, non-seulement dans ses enseignements, mais dans la prière qu'il adresse pour eux à son Père. Et ce fruit précieux est à la fois pour ceux qui entendirent cette prière, et pour nous qui devons un jour la lire dans le saint Evangile. Il commence sa prière en ces termes : « Mon Père, l'heure est venue, » et il nous montre ainsi que loin d'être nécessairement soumis au temps, il était le suprême ordonnateur du temps où devaient s'accomplir les actions dont il était l'auteur immédiat ou qui ne se faisaient que par sa permission. N'allons pas croire que cette heure soit venue comme amenée par le destin, c'est Dieu lui-même qui l'avait fixée dans ses décrets, car loin de nous la pensée que les astres aient pu contraindre à mourir le Créateur des astres.
S. HIL. (de la Trin., 3) Il ne dit pas : Le jour ou le temps est venu, mais : « L'heure est venue. » L'heure est une partie du jour, et quelle est cette heure ? celle où il devait être couvert de crachats, flagellé, crucifié, mais celle aussi où le Père devait glorifier le Fils. La mort vint interrompre le cours de ses œuvres, et tous les cléments du monde ressentirent l'effet de cette mort, la terre trembla sous le poids du Seigneur suspendu à la croix, et elle attesta qu'elle ne pouvait contenir dans son sein celui qui allait mourir. Le centurion s’écrie bien haut : « Il était vraiment le Fils de Dieu. » La prédiction se trouve ainsi justifiée. Le Sauveur avait dit : « Glorifiez votre Fils, » et il affirme ainsi qu'il était vraiment son Fils, non-seulement de nom, mais en réalité, en ajoutant le pronom : « Vôtre, » car nous sommes aussi en grand nombre les Fils de Dieu, mais nous ne le sommes pas de la même manière que lui. Il est proprement le Fils de Dieu par origine et non par adoption, en vérité, et non-seulement par dénomination, par sa naissance, et non par création. Aussi après qu'il eut été glorifié, la vérité fut solennellement proclamée, le centurion confessa qu'il était le vrai Fils de Dieu, de manière à ce que personne, parmi les fidèles, ne pût hésiter à reconnaître ce que les bourreaux eux-mêmes n'avaient pu nier. — S. AUG. Mais si sa passion a été pour lui un principe de gloire, combien plus sa résurrection ? Ce qui éclate, en effet, dans sa passion, c'est son humilité bien plutôt que sa gloire. Il faut donc entendre ces paroles : « Mon Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils ; » dans ce sens : L'heure est venue de répandre la semence de l'humilité, ne différez pas les fruits de gloire qu'elle doit produire. — S. HIL. (de la Trin., 3) Mais peut-être regardera-t-on comme une marque de faiblesse dans le Fils qu'il ait besoin d'être glorifié par un plus puissant que lui. Et qui, en effet, se refuserait à reconnaître dans le Père une puissance plus grande, sur le témoignage du Sauveur lui-même, qui déclare que son Père est plus grand que lui ? Prenons donc garde qu'un sentiment d'irréflexion nous fasse voir dans la gloire du Père un affaiblissement de la gloire du Fils, car Noire-Seigneur ajoute aussitôt : « Afin que votre Fils vous glorifie. » Il n'y a donc ici aucun signe de faiblesse dans le Fils, puisqu'il doit rendre lui-même la gloire qu'il demande ; donc cette prière qu'il fait pour que son Père lui donne une gloire qu'il doit lui rendre à son tour, est une preuve qu'ils ont tous deux une même puissance et une même divinité.
S. AUG. (Traité 105 sur S. Jean) Mais on peut demander avec raison comment le Fils a glorifié le Père, puisque la gloire éternelle du Père n'a pu subir d'amoindrissement qui serait la suite de son union avec la nature humaine, ni d'accroissement dans sa perfection toute divine. Sans doute la gloire du Père n'a pu éprouver on elle-même aucune altération, aucun accroissement, mais elle était comme amoindrie aux yeux des hommes, lorsque Dieu n'était connu que dans la Judée. C'est donc lorsque l'Evangile de Jésus-Christ eut fait connaître le Père aux nations, que le Fils a véritablement glorifié le Père. Il lui dit donc : « Glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie, » c'est-à-dire : Ressuscitez-moi, afin que je vous fasse connaître à tout l'univers. Il explique ensuite plus clairement encore comment le Fils glorifie le Père, en ajoutant : « Puisque vous lui avez donné puissance sur toute chair, afin qu'il donne la vie éternelle à tous ceux que vous lui avez donnés. » Cette expression, « toute chair, » signifie tous les hommes, c'est-à-dire, que la partie est prise pour le tout. Cette puissance sur toute chair a été donnée par le Père à Jésus-Christ en tant qu'homme. — S. HIL. (de la Trin., 3) Car il s'est incarné pour rendre la vie éternelle à tout ce qui était faible, esclave de la chair et de la mort. — S. HIL. (de la Trin., 9) Ou bien, Dieu a donné ce pouvoir au Fils par sa naissance où il lui a communiqué sa divine essence. Il ne faut point regarder cette communication dans le Père comme un signe de faiblesse, puisqu'il conserve le pouvoir qu'il donne, et que le Fils ne laisse pas d'être Dieu lui-même, tout en recevant le pouvoir de donner la vie éternelle. — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur dit : « Vous lui avez donné la puissance sur toute chair, » pour montrer que sa prédication devait s'étendre, non-seulement aux Juifs, mais à tout l'univers. Mais comment entendre ces paroles : « Sur toute chair, » car tous les hommes n'ont pas embrassé la foi ? c'est-à-dire, que le Fils de Dieu a fait tout ce qui dépendait de lui pour déterminer les hommes à croire ; si un grand nombre n'ont point écoute sa parole, la faute n'en est pas à celui qui leur parlait, mais à ceux qui ont refusé de recevoir sa parole. — S. AUG. Il leur dit donc : « Puisque vous lui avez donné puissance sur toute chair ; que votre Fils vous glorifie, » C’est-à-dire, qu'il vous fasse connaître à toute chair que vous lui avez donnée, car vous ne la lui avez donnée, que pour qu'il lui donne lui-même la vie éternelle.
S. HIL. (de la Trin., 3) Mais en quoi consiste la vie éternelle ? le Sauveur va nous l'apprendre : « Or, la vie éternelle consiste à vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et celui que vous avez envoyé Jésus-Christ. » La vie, c'est de connaître le vrai Dieu, mais cela seul ne suffit pas. Quelle est la connaissance essentiellement liée à celle-là ? « Et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ. » — S. HIL. (de la Trin., 4) Les Ariens prétendent que le Père seul est le seul vrai Dieu, le seul juste, le seul sage, et ils excluent le Fils de toute communion à ces divines perfections. Les choses qui sont propres à un seul, disent-ils, ne peuvent être communiquées à un autre, si donc ces attributs se trouvent dans le Père seul, la conséquence est que le Fils n'est point véritablement Dieu, et que c'est à tort qu'on lui en donne le nom. — H. HIL. (de la Trin., 5) Chacun sait, à n'en pouvoir douter, que la vérité d'une chose se révèle par sa nature et par sa vertu, ainsi le véritable froment est celui qui réduit en farine, cuit sous la forme de pain, et pris en nourriture présente la nature au pain et en produit les effets ; je demande donc ce qui manque au Fils pour qu'il soit vrai Dieu, puisqu'il a tout à la fois la nature et la vertu de Dieu ? Il a donné des preuves de la puissance de sa nature, lorsqu'il a créé les choses qui n'existaient pas et les a appelées à l'existence suivant sa volonté. — S. HIL. (de la Trin., 9) Dira-t-on que par ces paroles : « Vous qui êtes le seul vrai Dieu, » le Sauveur se met en dehors de toute communion, de toute identité avec la nature divine ? Oui, sans doute, ou pourrait dire qu'il se met en dehors, si après ces paroles : « Vous qui êtes le seul vrai Dieu, » il n'ajoutait : « Et celui que vous avez envoyé Jésus-Christ. » En effet, la foi de l'Eglise a confessé que Jésus-Christ était vrai Dieu, par la même raison qu'elle reconnaissait que le Père était le seul vrai Dieu, car la naissance divine du Fils unique ne lui a rien fait perdre de la nature divine.
S. AUG. (de la Trin., 6, 9.) Voyons doue si ces paroles du Sauveur : « Afin qu'ils vous connaissent, vous qui êtes le seul vrai Dieu, » signifient que le Père seul est le vrai Dieu, et si au contraire nous ne devons pas en conclure que les trois personnes, le Père, le Fils, et le Saint-Esprit soient Dieu. Mais c'est en vertu du témoignage du Sauveur lui-même, que nous disons que le Père est le seul vrai Dieu, que le Fils est le seul vrai Dieu, que l'Esprit saint est le seul vrai Dieu, et que le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, c'est-à-dire, toute la Trinité ne font pas trois Dieux, mais un seul vrai Dieu. — S. AUG. (Traité 103 sur S. Jean.) On peut encore disposer la phrase, de cette manière : Afin qu'ils reconnaissent pour le seul vrai Dieu vous et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ ; et dans cette proposition se trouve compris l'Esprit saint, parce qu'il est l'Esprit du Père et du Fils, et l'amour consubstantiel de ces deux personnes divines. Le Fils vous glorifie donc en vous faisant connaître à tous ceux que vous lui avez donnés. Or, si la connaissance de Dieu est la vie éternelle, plus nous avançons dans la connaissance de Dieu, plus aussi nous avançons vers la vie éternelle. La mort n'a plus d'accès dans la vie éternelle, et la connaissance de Dieu sera parfaite, lorsque l'empire de la mort sera complètement détruit. Alors Dieu sera souverainement glorifié, parce que sa gloire sera à son comble. Les anciens ont défini la gloire, la renommée d'un homme, accompagnée d'estime et de louange. Or, si la gloire, d'un homme peut résulter de sa renommée seule, quelle sera donc la gloire de Dieu, lorsqu'il sera vu tel qu'il est ? C'est pour cela que le Psalmiste a écrit : « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles. » La gloire et la louange de Dieu, et par conséquent sa glorification, n'auront plus de fin, parce que la connaissance de Dieu sera pleine et parfaite.
S. AUG. (de la Trin., 1, 8.) C'est alors que nous contemplerons dans la vie éternelle la vérité de ce que Dieu disait à Moïse : « Je suis celui qui suis. » (Ex 3) — S. AUG. (de la Trin., 5, 18.) Lorsque notre foi deviendra la vérité au sein de la vie elle-même, alors notre mortalité fera place à l'éternité. — S. AUG. (Traité 105 sur S. Jean,) Mais dès cette vie Dieu est glorifié, lorsque la prédication le fait connaître aux hommes par la foi, et c'est pour cela que le Sauveur dit : « Je vous ai glorifié sur la terre. » — S. HIL. (de la Trin., 4) Cette glorification n'ajoute rien à la perfection de la divinité, mais elle est un certain honneur qui résulte de la connaissance de ceux qui l'ignoraient auparavant. — S. CHRYS. C'est avec raison qu'il dit : « Je vous ai glorifié sur la terre, » car il avait été glorifié dans les cieux en recevant la gloire qui est propre à sa nature, et les adorations des anges ; il ne parle donc pas ici de la gloire essentielle à la nature du Père, mais de la gloire qui résulte des hommages que lui rendent les hommes. C'est pour cela qu'il ajoute : « J'ai consommé l'œuvre que vous m'avez donnée à faire. » — S. AUG. (Traité 105 sur S. Jean.) Il ne dit pas : L'œuvre que vous m'avez commandée, mais : « Que vous m'avez donnée, » paroles qui sont un éclatant témoignage en faveur du la grâce ; car que possède la nature humaine, même dans le Fils unique, qu'elle n'ait reçu ? Mais comment a-t-il consommé l’œuvre que Dieu lui a donnée à faire, puisqu'il lui restait encore la douloureuse épreuve de sa passion ? Il regarde donc comme consommé ce dont il sait avec certitude que la consommation est proche. — S. CHRYS. Ou bien encore il dit : « J'ai consommé l'œuvre que vous m'avez donnée, » c'est-à-dire, j'ai fait de mon côté tout ce qui me concernait ; on peut dire aussi que tout est consommé, quand la plus grande partie est faite, car la racine de tous les biens avait été plantée et les fruits ne devaient pas tarder à suivre, et il était d'ailleurs essentiellement uni à tout ce qui devait arriver dans la suite.
S. HIL. (de la Trin., 9) Il ajoute ensuite pour nous faire comprendre le mérite de l'obéissance et tout le mystère de sa divine incarnation : « Et maintenant, mon Père, glorifiez-moi en vous-même. » — S. AUG. (Tr. 105 sur S. Jean.) Il avait dit précédemment : « Mon Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie, » c'est-à-dire, que d'après l'ordre indiqué par ces paroles, le Père devait glorifier le Fils, afin que le Fils pût glorifier ensuite le Père. Ici au contraire il dit : « Je vous ai glorifie, et maintenant glorifiez-moi, » c'est-à-dire, qu'il semble demander d'être glorifié comme récompense de ce qu'il a le premier glorifié son Père. Pour expliquer cette différence, il faut admettre que dans la première proposition, Notre-Seigneur s'est servi du Verbe qui exprimait le temps dans lequel les choses devaient avoir lieu, et que dans la seconde proposition, il s'est servi du passé pour exprimer une chose future, comme s'il avait dit : Je vous glorifierai sur la terre, en consommant l'œuvre que vous m'avez donnée à faire, et maintenant glorifiez-moi vous-même, mon Père. Ces deux propositions ont donc le même sens et ne diffèrent que parce que la seconde renferme le mode de glorification que le Fils demande à son Père : « Glorifiez-moi en vous-même de la gloire que j'ai eue en vous avant que le monde fût. » L'ordre naturel de cette phrase est celui-ci : Que j'ai eue en vous avant que le monde existât. Il en est qui ont prétendu que ces paroles signifiaient que la nature humaine dont le Verbe s'est revêtu dans l'incarnation, devait être transformée dans la nature du Verbe, et que l'homme devait être changé on Dieu. Bien plus, si nous examinons de plus près leur sentiment, ils vont jusqu'à dire que l'homme est anéanti en Dieu, car personne n'oserait dire que ce changement double en aucune façon, ou augmente le Verbe de Dieu. Nous disons, nous, que celui qui nie que le Fils de Dieu ait été prédestiné, nie par-là même qu'il soit le Fils de l'homme, Jésus donc voyant arriver le temps de la glorification à laquelle il était prédestiné, demande que cette prédestination reçoive son accomplissement : « Et maintenant glorifiez-moi, » etc. C’est-à-dire, il est temps que je jouisse en vous en vivant à votre droite, de cette gloire que j'ai eue en vous en vertu de votre prédestination éternelle. — S. HIL. (de la Trin., 3) Ou bien il demandait que la nature qui en lui appartenait au temps, reçût la gloire qui est au-dessus du temps, et que la chair soumise à la corruption fût transformée dans la vertu de Dieu et l'incorruptibilité de l'esprit.
S. CHRYS. (hom. 81 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur explique ensuite à ses disciples quelle est cette œuvre qu'il a consommée, c'est-à-dire, la manifestation du nom de Dieu : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés. » — S. AUG. (Traité 106 sur S. Jean.) S'il veut seulement parler ici des disciples avec lesquels il vient de célébrer la cène, il ne peut être question de cette glorification dont il a parlé précédemment, et par laquelle le Fils glorifie le Père. Quelle gloire, en effet, pour Dieu, d'avoir pu être connu de onze ou de douze mortels ? Si au contraire ces paroles : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde, » comprennent dans la pensée du Sauveur, tous ceux qui devaient croire en lui; c'est vraiment alors cette glorification par laquelle le Fils donne la gloire au Père. Cette proposition : « J'ai manifesté votre nom, » doit donc s'entendre comme cette autre : « Je vous ai glorifié, » c'est-à-dire, que le passé est mis ici pour le futur. Cependant la suite nous autorise à regarder comme plus probable que le Sauveur parlait ici de ceux qui étaient déjà ses disciples, et non de tous ceux qui devaient croire en lui. Dès le commencement de sa prière, le Sauveur veut nous faire comprendre sous le nom de siens, tous ceux à qui il a fait connaîtra le nom de son Père qu'il a glorifié en leur donnant cette connaissance ; ce qu'il a dit précédemment : « Afin que votre Fils vous glorifie, » se trouve expliqué par les paroles qui suivent : « Puisque vous lui avez donné la puissance sur toute chair. » Ecoutons maintenant ce qu'il dit de ses disciples : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde. » Est-ce donc, qu'ils ne connaissaient pas le nom de-Dieu, lorsqu'ils étaient Juifs ? Et où donc lisons-nous : Dieu est connu dans la Judée, et sou nom est grand dans Israël ? Voici donc comme il faut entendre ces paroles : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde, » c'est-à-dire, à ceux qui, m'écoutent en ce moment ; non pas ce nom de Dieu que vous donnent communément les hommes, mais le nom de Père, nom qui ne peut être manifesté qu'autant que le Fils est manifesté lui-même. Il n'est, en effet, aucune nation qui, avant même du croire en Jésus-Christ, n'ait eu une connaissance quelconque de Dieu, comme étant le Dieu de toutes lus créatures. Comme créateur du monde, Dieu était donc connu dans toutes les nations, avant même qu'elles eussent embrassé la foi de Jésus-Christ. Il était connu dans la Judée comme le Dieu, dont le culte était exclusif de toutes les fausses divinités. Mais son nom de Père de Jésus-Christ, par lequel il efface les péchés du monde, n'était nullement connu, et c'est ce nom qu'il manifeste à ceux que son Père lui a donnés du monde. Mais comment l'a-t-il manifesté ? Si le temps dont il a dit précédemment : « L'heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles n'était pas encore venue, il faut admettre que le Sauveur a employé ici le passé pour le futur. — S. CHRYS. On peut dire encore qu'il leur avait déjà fait connaître par ses paroles comme par ses actions, que Dieu le Père avait Jésus-Christ pour Fils. — S. AUG. En leur disant : « Vous me les avez donnés du monde, » il leur fait comprendre qu'ils n'étaient pas du monde ; toutefois ce n'est pas à leur naissance, mais à la grâce de la régénération qu'ils en étaient redevables. Mais que veulent dire les paroles qui suivent : « Ils étaient à vous, et vous me les avez donnés ? » Est-ce que le Père a jamais rien possédé que le Fils n'ait possédé lui-même ? Non sans doute ; cependant le Fils de Dieu a eu en cette qualité ce qu'il n'avait pas encore comme Fils de l'homme, alors qu'il ne s'était pas encore fait homme dans le sein de sa mère. Lors donc qu'il dit : « Ils étaient à vous, » le Fils de Dieu ne se sépare point de son Père, mais il a coutume de rapporter toute sa puissance à celui de qui il tire cette puissance avec son origine. Et en ajoutant : « Vous me les avez donnés, » il nous montre que c'est comme homme qu'il les a reçus de son Père. Il se les est aussi donnés à lui-même, c'est-à-dire, que Jésus-Christ Dieu a donné avec son Père à Jésus-Christ homme ce qui n'est pas avec le Père, c'est-à-dire, les hommes. En s'exprimant ainsi, il nous fait voir l'étroite union qui existe entre lui et son Père, et que la volonté de son Pure est que les hommes croient au Fils, c'est pour cela qu'il ajoute : « Et ils ont gardé votre parole. — BEDE. Cette parole du Père, c'est lui-même, parce que c'est par lui que le Père a créé toutes choses, et qu'il contient en lui-même toutes les paroles, comme s'il disait : Ils m'ont confié à leur souvenir, de manière à ne jamais m'oublier. Ou bien « ils ont gardé ma parole, » en ce sens qu'ils ont cru en moi : « Et maintenant ils savent que tout ce que vous m'avez donné vient de vous. » Il en est qui prétendent qu'il faut lire : « Maintenant j'ai connu que tout ce que vous m'avez donné vient de vous, » mais ce langage n'aurait pas de sens, car comment le Fils pouvait-il ignorer ce qui appartient au Père ? Au contraire, on comprend très bien qu'il ait dit de ses disciples : « Ils ont appris qu'il n'y a rien en moi qui vous soit étranger, et que toutes les vérités que j'enseigne viennent de vous. » S. AUG. Le Père lui a tout donné lorsqu'il l'a engendré, pour qu'il possédât tout ce qu'il possède lui-même. — S. CHRYS. Et comment les disciples l'ont-ils appris ? Par mes paroles, qui leur enseignaient que je suis sorti de vous ; c'est, en effet, ce à quoi nous le voyons s'appliquer dans tout son Evangile : « Parce que je leur ai donné les paroles que vous m'avez données, et ils les ont reçues. » — S. AUG. C'est-à-dire, ils les ont comprises et retenues, car on revoit véritablement la parole lorsqu'on la comprend intérieurement : « Et ils ont reconnu véritablement que je suis sorti de vous. » Et pour ne pas donner à penser que cette connaissance était déjà le fruit de la claire vision, et non de la foi, il explique quelle est cette connaissance, en ajoutant : « Et ils ont cru (sous-entendez véritablement) que vous m'avez envoyé. » Ils ont donc cru véritablement ce qu'ils ont reconnu véritablement. Car ces paroles : « Je suis sorti de vous, » ont la même signification que ces autres : « Vous m'avez envoyé. » Il ne faut pas entendre ce que le Sauveur dit ici : « Ils ont cru, en vérité, » dans le même sens que ce qu'il a dit précédemment à ses disciples : « Vous croyez maintenant, l'heure est venue où vous serez dispersés chacun de votre côté ; » mais ils ont cru en vérité, c'est-à-dire comme il faut croire, d'une foi ferme, inébranlable, forte, persévérante, qui devait les empêcher de s'enfuir chacun chez eux, et d'abandonner Jésus-Christ. Les disciples n'étaient donc pas encore tels que le Sauveur les représente, en employant le passé pour le futur, et en prédisant l'admirable changement que le Saint-Esprit devait opérer en eux. Il est facile d'expliquer comment le Père a donné ces paroles à son Fils, si l'on entend qu'il les a reçues du Père comme Fils de l'homme, si l'on entend, au contraire, qu'il a reçu ces paroles du Père comme Fils unique, il faut éloigner toutes idée de temps, et se garder de croire que le Fils de Dieu ait pu exister un seul instant sans que son Père lui ait donné ces paroles ; car tout ce que le Père a donné au Fils, il le lui a donné en l'engendrant.
S. CHRYS. (hom. 81 sur S. Jean.) Tant de paroles consolantes, que le Seigneur avait prodiguées à ses disciples, n'avaient pu encore pénétrer leurs cœurs ; il s'adresse donc pour eux à son Père, afin de leur montrer la grandeur de son amour. « C'est pour eux que je vous prie, » c'est-à-dire je ne me contente pas de leur donner tout ce que j'ai, je me rends encore leur intercesseur près d'un autre, pour leur témoigner un plus grand amour. — S. AUG. (Traité 107 sur S. Jean.) Ce monde, dont le Sauveur ajoute : « Je ne prie point pour le monde, » ce sont ceux qui suivent dans leur vie la concupiscence du monde, et qui ne sont point compris dans les décrets de la grâce pour être choisis par lui du milieu du monde. Ce sont ces discrets auxquels le Sauveur fait allusion par ces paroles : « Mais je prie pour ceux que vous m'avez donnés. » Par là même, en effet, que son Père les lui a donnés, ils n'appartiennent plus à ce monde pour lequel il ne prie point. Ne croyons pas, du reste, que parce que le Père les a donnés à son Fils, il ait perdu ceux qu'il a donnés ; aussi ajoute-t-il : « Parce qu'ils sont à vous. » — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur répète souvent ces paroles : « Vous me les avez donnés, » pour bien convaincre ses disciples que telle était bien la volonté de son Père, qu'il n'est point venu comme un étranger pour les tromper, mais qu'il les a revus comme étant à lui. Loin de nous encore la pensée que son pouvoir sur eux est un pouvoir nouveau, et que c'est récemment que son Père les lui a donnés, car il ajoute : « Et tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi. » Que personne donc ne croie, parce que mon Père me les a donnés, qu'ils soient devenus étrangers à mon Père, car tout ce qui est à moi est à lui ; ni qu'ils m'étaient étrangers à moi-même, parce qu'ils m'ont été donnés, car ce qui est à lui est à moi.
S. AUG. Nous voyons assez clairement ici comment tout ce qui est au Père est aussi au Fils unique ; c'est parce qu'il est Dieu lui-même, qu'il est né du Père, et qu'il est égal au Père. Ce n'est donc point dans le même sens que le père de l'enfant prodigue disait à l'aîné de ses fils : « Tout ce que j'ai est à vous ; » (Lc 15, 31) car ces paroles doivent s'entendre de tous les biens créés qui sont au-dessous de la créature raisonnable. Les paroles du Sauveur, au contraire, comprennent la créature raisonnable elle-même qui ne peut être soumise qu'à Dieu. Comme elle appartient à Dieu le Père, elle ne pourrait appartenir en même temps au Fils qu'autant qu'il serait égal au Père ; car on ne peut sans crime assujettir les saints, dont il parle ici, à un autre qu'à celui qui les a créés, qui les a sanctifiés. Mais lorsqu'on parlant de l'Esprit saint le Sauveur dit aussi : « Tout ce qu'a mon Père est à moi, » il entend les perfections qui sont de l'essence même de la divinité du Père, car ce n'est point d'une créature soumise au Père et au Fils que le Saint-Esprit aurait pu recevoir ce que le Sauveur exprime en ces termes : « Il recevra de ce qui est à moi. »
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur donne la preuve de ce qu'il vient d'avancer : « Et j'ai été glorifié en eux. » La preuve, en effet, qu'ils sont sous ma puissance, c'est qu'ils me glorifient en croyant en moi et en vous, car personne ne peut être glorifié en ceux qui ne seraient point soumis à sa puissance. — S. AUG. En leur représentant cette glorification comme un fait accompli, il leur fait voir qu'elle entrait dans les desseins de la prédestination divine, et il voulait qu'on regardât comme certain ce qui devait nécessairement arriver. Cependant il nous faut examiner s'il s'agit ici de cette glorification dont le Sauveur a dit plus haut : « Et maintenant, mon Père, glorifiez-moi en vous ; » car s'il a été glorifié dans son Père, comment l'a-t-il été dans ses disciples ? Est-ce lorsqu'il s'est manifesté aux apôtres, et par eux à tous ceux qui ont cru à leur témoignage ? Nôtre-Seigneur ajoute, en effet : « Et déjà je ne suis plus dans le monde, et eux sont dans le monde. » — S. CHRYS. C'est-à-dire, alors même que je ne serai plus présent sous une forme sensible, je serai glorifié dans la personne de ceux qui donnent leur vie pour moi, comme pour mon Père, et qui me font connaître par leurs prédications, comme ils font connaître mon Père. — S. AUG. Si vous ne considérez que le moment où le Sauveur parlait de la sorte, ses apôtres et lui étaient encore dans le monde. Nous ne pouvons pas entendre ces paroles : « Déjà je ne suis plus dans le monde, » du détachement du cœur et du progrès de l'âme dans la vie divine ; car, peut-on admettre que Jésus ait jamais eu de l'affection pour les choses du monde ? Il ne reste donc plus qu'un sens possible à ces paroles, c'est que Notre-Seigneur affirme qu'il n'est plus présent dans le monde corporellement comme il l'était auparavant. Est-ce que nous ne disons pas tous les jours, d'un homme qui est sur le point de partir, et surtout de celui qui va mourir : Il n'est plus ici ? Jésus explique d'ailleurs le sens de ces paroles, en ajoutant : « Et je vais à vous. » Il recommande donc à son Père ceux qu'il allait priver de sa présence corporelle : « Père saint, lui dit-il, conservez dans votre nom ceux que vous m'avez donnés ; » c'est-à-dire qu'il prie Dieu en tant qu'homme, pour les disciples que Dieu lui a donnés. Mais pesez bien les paroles qui suivent : « Afin qu'ils soient un comme nous. » Il ne dit pas : Afin qu'eux et nous, nous soyons un, comme nous sommes un nous-mêmes ; mais qu'ils soient un dans leur nature, comme nous sommes un nous-mêmes dans notre nature. En effet, comme en Jésus-Christ Dieu et l'homme ne font qu'une seule et même personne, nous comprenons qu'il est homme, parce qu'il prie, nous comprenons qu'il est Dieu, parce qu'il ne lait qu'un avec celui qu'il prie. — S. AUG. (De la Trin., 4, 8.) Nôtre-Seigneur, comme chef de l'Eglise, qui est son corps, aurait pu dire : Eux et moi, nous sommes non pas une seule chose, mais un seul être, car la tête et le corps ne font qu'un en Jésus-Christ. Mais on nous montrant sa consubstantialité divine avec son Père, il veut que nous soyons un en Jésus-Christ, non-seulement dans cette nature qui nous est commune, dans laquelle nous voyons des hommes mortels s'élever à une glorieuse égalité avec les anges, mais qu'ils soient un comme nous, par les sentiments d'un amour réciproque, qui les fonde en un seul esprit dans les ardeurs du feu de la charité, et les fasse tendre au même bonheur par les efforts d'une volonté unanime. Voilà ce que signifient ces paroles : « Afin qu'ils soient un comme nous sommes un, » c'est-à-dire, de même que le Père et le Fils sont un, non-seulement dans une même et simple nature individuelle, mais dans l'unité d'une même volonté ; ainsi ceux qui ont le Fils pour médiateur entre bien et eux, doivent aussi être un, non-seulement par la communauté d'une même nature, mais par l'union d'une même charité.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur parle ici de nouveau comme homme : « Pendant que j'étais avec eux, je les conservais en votre nom ; » c'est-à-dire par votre puissance ; il parle ici, je le répète, d'une manière humaine, en rapport avec les dispositions d'esprit de ses disciples, qui croyaient que la présence corporelle leur était de la plus grande utilité. — S. AUG. (Traité 107 sur S. Jean.) Le Fils de Dieu, fait homme conservait les disciples au nom de son Père, lorsqu'il était présent corporellement au milieu d'eux ; mais alors même le Père conservait au nom du Fils ceux dont il exauçait les prières qui lui étaient faites au nom du Fils. Il ne faut point prendre ces paroles dans ce sens matériel, que le Père et le Fils gardent tour à tour les disciples, car le Père, le Fils et le Saint-Esprit nous environnent ensemble d'une égale protection ; mais la sainte Ecriture ne peut nous être utile qu'en descendant jusqu'à nous. Comprenons donc qu'en s'exprimant ainsi, Notre-Seigneur établit la distinction des personnes divines, mais non la séparation dans la nature. Lors donc, que le Fils gardait ses disciples par sa présence corporelle, le Père n'attendait pas, pour les garder lui-même, que son Fils cessât de remplir cet office, mais tous deux les conservaient en les couvrant de leur puissance divine. Et quand le Fils les priva de sa présence corporelle, il continua de les garder spirituellement avec son Père. Car en les recevant comme homme des mains de son Père, il ne les a pas soustraits à la garde du Père ; et le Père, en les confiant à la garde de son Fils, ne les a point donnés sans le concours de celui-là même qui les a reçus ; car il les a donnés à son Fils fait homme, mais conjointement avec ce même Fils, Dieu comme lui. « J'ai gardé ceux que vous m'avez donnés, et aucun d'eux n'a péri, si ce n'est l'enfant de perdition, » (c'est-à-dire le traître disciple prédestiné à la perdition), afin que l'Ecriture fût accomplie, c'est-à-dire la prophétie qui a pour objet le perfide Judas (surtout dans le Psaume 108).
S. CHRYS. Il fut le seul qui périt alors, mais un grand nombre l'imitèrent dans la suite. Nôtre-Seigneur dit : « Aucun d'eux n'a péri, autant qu'il dépendait de moi, » c'est ce qu'il exprime plus clairement ailleurs, lorsqu'il dit : « Je ne jetterai pas dehors celui qui vient a moi. » (Jn 10) Mais s'ils veulent sortir d'eux-mêmes, je ne veux pas les retenir de vive force et malgré eux : « Et maintenant je viens à vous. » Mais, pourrait-on lui dire, ne pouvez-vous donc pas les conserver tout en vous éloignant d'eux ? Il le peut sans doute, mais il leur explique pourquoi il parle ainsi : « Et je dis ces choses étant dans le monde, afin qu'ils aient en eux la plénitude de ma joie, » c'est-à-dire, afin qu'ils ne se laissent point aller au trouble naturel à leurs dispositions encore imparfaites. Il leur fait voir ainsi que c'est pour leur procurer le repos de la joie intérieure qu'il tient ce langage. — S. AUG. Le Sauveur a déjà expliqué plus haut quelle est cette joie dont il dit ici : « Afin qu'ils aient en eux la plénitude de ma joie, » lorsqu'il a dit : « Qu'ils soient un comme nous sommes un. » Cette joie qui est la sienne (c'est-à-dire, qu'il leur a donnée), il leur en prédit l'accomplissement parfait dans leurs cœurs, et c'est pour cela qu'il a dit ces choses étant dans le monde. Cette joie, c'est la paix et la félicité de la vie future. Jésus qui avait dit précédemment qu'il n'était plus dans le monde, nous déclare maintenant qu'il dit ces choses étant dans le monde, il y était encore, parce qu'il n'était pas encore sorti du monde, et il n'y était plus dans un autre sens, parce qu'il devait bientôt le quitter.
S. CHRYS. (hom. 82 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur donne une seconde raison qui rend ses disciples dignes de la protection toute spéciale de son Père : « Je leur ai donné votre parole, et le monde les a eus en haine, » etc., c'est-à-dire, ils ont été un objet de haine à cause de vous et à cause de votre parole. — S. AUG. Ils n'avaient pas encore éprouvé cette haine par les persécutions auxquelles ils furent en butte dans la suite, mais le Sauveur, suivant sa coutume, annonce les événements qui doivent avoir lieu, en termes qui semblent signifier qu'ils sont déjà arrivés. Il fait connaître ensuite la cause de la haine du monde contre eux : « Parce qu'ils ne sont pas du monde. » C'est par la régénération que cette grâce de séparation leur a été donnée ; car par leur naissance naturelle, ils étaient du monde. Dieu leur a donné de n'être plus du monde, comme lui-même n'est plus du monde : « Comme moi-même, ajoute-t-il, je ne suis point du monde. » Le Sauveur n'a jamais été du monde, car même dans sa nature de serviteur, il est né de l'Esprit saint, qui a été le principe de la régénération des autres. Cependant bien qu'ils ne fussent plus du monde, il était nécessaire qu'ils restassent encore dans le monde ; aussi Nôtre-Seigneur ajoute : « Je ne demande pas que vous les ôtiez du monde. » — BEDE. C'est-à-dire, le temps approche où je disparaîtrai du monde, il est donc nécessaire qu'ils n'en soient pas enlevés eux-mêmes : « Mais je vous prie de les sauver du mal. » Quoiqu'on puisse l'entendre de toute sorte de mal, Nôtre-Seigneur a surtout en vue le mal qui doit résulter de son éloignement. — S. AUG. Il répète la même pensée qu'il vient d'exprimer : « Ils ne sont pas du monde, comme moi-même je ne suis pas du monde. — S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Jean.) Pourquoi donc a-t-il dit précédemment : « Que vous m'avez donnés du monde ? » Il parlait alors de la nature, et sous rapport ils étaient du monde, tandis qu'ici il veut parler des actions mauvaises. Sous ce rapport, ils ne sont point du monde, parce qu'ils n'ont rien de commun avec la terre, et qu'ils sont par avance citoyens des cieux ; il leur montre ainsi son amour pour eux on faisant leur éloge à son Père. Lorsqu'on parlant de son Père et de lui, il emploie la particule comme, il veut exprimer l'égalité absolue qui résulte de l'unité de nature, mais lorsqu'il emploie ce même mot on parlant de nous et de lui, il laisse une grande distance entre les deux termes de comparaison. La prière qu'il adresse précédemment à son Père : « Sauvez-les du mal, » a pour objet de leur obtenir, non-seulement d'être délivrés de tous les dangers, mais aussi la persévérance dans la foi, c'est pour cela qu'il ajoute : « Sanctifiez-les dans la vérité. » — S. AUG. Car c'est ainsi qu'ils sont sauvés de tout mal, ce qui vient de faire l'objet de sa prière. On peut demander comment ils n'étaient plus du monde, s'ils n'étaient pas encore sanctifiés dans la vérité ; est-ce parce que tout sanctifiés qu'ils sont, ils font des progrès dans cette même sainteté avec le secours de la grâce de Dieu ? Ces héritiers du Nouveau Testament sont sanctifiés dans la vérité, vérité dont les sanctifications légales de l'Ancien Testament n'étaient que l'ombre, et lorsqu'ils sont sanctifiés dans la vérité, ils sont sanctifiés en Jésus-Christ, qui a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie. » (Jn 14) Aussi le Sauveur ajoute : « Votre parole est vérité, le texte de l'Evangile grec porte λόγος, c'est-à-dire, le Verbe. Le Père a donc sanctifié dans la vérité (c'est-à-dire, dans son Verbe unique), ses héritiers et ses cohéritiers.
S. CHRYS. Ou bien encore : « Sanctifiez-les dans la vérité, » c'est-à-dire, sanctifiez-les en leur donnant l'Esprit saint, et la saine doctrine, car la saine doctrine sur Dieu contribue à la sanctification de l'âme, et comme preuve qu'il est ici question de doctrine, il ajoute : « Votre parole est vérité, c'est-à-dire, elle ne renferme point de mensonge, il n'y a rien en elle de simplement figuratif ou de corporel. Cette prière : « Sanctifiez-les dans la vérité, » a encore, ce me semble, une autre signification, c'est-à-dire, séparez-les pour le ministère de la parole et de la prédication. Aussi ajoute-t-il : « Comme vous m'avez envoyé dans le monde, je les ai envoyés moi-même. » — LA GLOSE. Les Apôtres ont été envoyés pour remplir la même mission que Jésus-Christ, voilà pourquoi saint Paul dit : « Dieu était dans le Christ, se réconciliant le monde, et il a placé en nous la parole de réconciliation. » (2 Co 5, 19.) L'expression comme n'a pas la même signification pour lui et pour les Apôtres, elle n'établit la parité qu'autant qu'elle est possible en parlant du Fils de Dieu et des hommes. Nôtre-Seigneur dit qu'il les a envoyés dans le monde, en employant, selon sa coutume le passé, pour le futur.
S. AUG. Nous avons ici eu une preuve évidente que le Sauveur veut parler des apôtres ; car le nom d'apôtres, qui vient du grec, veut dire en latin, envoyés. Or, comme ils sont les membres du corps de l'Eglise, dont Jésus-Christ est le chef, il continue ainsi sa prière : « Et je me sanctifie moi-même pour eux, » c'est-à-dire je les sanctifie en moi-même, puisqu'ils font partie du corps dont je suis le chef. Et pour nous faire mieux comprendre que ces paroles : « Je me sanctifie moi-même pour eux, » veulent dire qu'il les sanctifie en lui-même, il ajoute : « Afin qu'ils soient eux-mêmes sanctifiés en vérité, » c'est-à-dire en moi, puisque le Verbe est la vérité ; c'est dans ce Verbe que le Fils de l'homme a été sanctifié dès le commencement de son existence, lorsque le Verbe s'est fait chair. Il s'est alors sanctifié lui-même en lui-même, c'est-à-dire qu'il s'est sanctifié comme homme en lui-même, comme Verbe, parce que le Verbe et l'homme ne font qu'un seul Christ. Et c'est à cause de ses membres qu'il ajoute : « Et je me sanctifie moi-même pour eux, » (c'est-à-dire je les sanctifie eux-mêmes eu moi, parce qu'ils ne font qu'un avec moi), afin qu'ils soient eux-mêmes sanctifiés en vérité. Que signifie cette expression : « Eux-mêmes ? » c'est-à-dire comme moi, et dans la vérité, qui n'est autre que moi-même. — S. CHRYS. Ou bien encore : « Je me sanctifie moi-même pour eux ; » c'est-à-dire, je m'offre à vous comme victime ; car toutes les victimes sont saintes, aussi bien que tout ce qui est consacré à Dieu. Sous l'ancienne loi, cette sanctification n'existait qu'en figure (comme par exemple dans les brebis qu'on immolait), mais maintenant elle existe dans la vérité, c'est pour cela qu'il ajoute : « Afin qu'ils soient sanctifiés en vérité ; » car je veux aussi vous les offrir on sacrifice. Il s'exprime de la sorte, ou parce que lui, qui s'offre, est notre chef, ou parce qu'ils sont eux-mêmes appelés à s'immoler comme victimes : « Offrez vos corps, dit l'Apôtre, comme une hostie vivante, sainte, et agréable à ses yeux, » etc. (Rm 13, 1)
S. AUG. ( Traité 109 sur S. Jean.) Après avoir prié pour ses disciples, auxquels il avait donné le nom d'apôtres, il comprend aussi dans sa prière tous les autres qui dévoient croire en lui : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais encore pour ceux qui, par leur parole, doivent croire en moi. » — S. CHRYS. ( hom. 82 sur S. Jean.) Il donne en même temps un nouveau motif de consolation, en leur apprenant qu'ils seront eux-mêmes la cause du salut d'un grand nombre d'autres : « Mais encore pour ceux qui, par leur parole, doivent croire en mon nom. » — S. AUG. Le Sauveur comprend ici tous ses élus, ceux qui vivaient alors, et aussi ceux qui devaient exister dans la suite, et non-seulement qui ont entendu les prédications des apôtres lorsqu'ils étaient encore sur la terre, mais encore tous ceux qui ne sont venus qu'après leur mort, et nous-mêmes, qui sommes nés si longtemps après; mais qui avons été amenés à la foi en Jésus-Christ par la parole des Apôtres, en effet, les apôtres, qui vivaient avec Jésus-Christ, ont annoncé aux autres ce qu'ils avaient appris de lui, et c'est ainsi que leur parole est parvenue jusqu'à nous, et qu'elle parviendra à tous ceux qui, dans la suite, doivent croire, en lui. Il peut sembler, au premier abord, qu'il n'a point compris dans sa prière quelques-uns des siens, ceux par exemple qui n'étaient pas alors avec, lui, qui n'ont pas cru par la parole des apôtres, mais qui avaient cru en Jésus-Christ bien auparavant. En effet, Nathanaël, Joseph d'Arimathie, et un grand nombre d'autres, dont saint Jean dit qu'ils crurent en Jésus-Christ, n'étaient pas alors avec lui. Je ne parle pas du vieillard Siméon, de la prophétesse Anne, de Zacharie, d'Elisabeth, du saint Précurseur, parce qu'on pourrait me répondre qu'il n'était pas besoin de prier pour ces saints personnages, qui étaient sortis de cette vie avec de grands mérites, ce que l'on peut dire également de tous les anciens justes. Quant aux premiers, il faut admettre que leur foi en Jésus-Christ n'était pas encore aussi parfaite qu'il la voulait. Ce ne fut qu'après sa résurrection, lorsque l'Esprit saint eut éclairé l'ignorance et fortifié la faiblesse des apôtres, que la foi des autres atteignit toute sa perfection. Mais la difficulté existe encore pour l'apôtre saint Paul, qui déclare qu'il a été fait apôtre non de la part des hommes, ni par un homme, et le bon larron, qui crut en Jésus-Christ, alors qu'on vit défaillir, dans les docteurs, leur foi, encore si imparfaite. La seule solution que nous puissions donner, c'est de dire que la parole des apôtres c'est la parole de foi qu'ils ont prêchée dans le monde. Notre-Seigneur l'appelle leur parole, parce qu'ils en ont été les premiers et les principaux organes, car depuis longtemps ils l'annonçaient par toute la terre, quand Paul la reçut lui-même par une révélation particulière de Jésus-Christ, et c'est encore cette même parole qui était le fondement de la foi du bon larron. Notre divin Rédempteur a donc compris dans sa prière tous ceux qu'il a rachetés, ceux qui vivaient alors comme ceux qui ne devaient exister que dans la suite. —(Traité 112) Quel était l'objet ou le motif de cette prière ? Le voici : « Afin que tous ils soient un. » Il demande ici pour tous ce qu'il a demandé précédemment pour ses apôtres, afin que nous tous, c'est-à-dire eux et nous, nous soyons un. — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur termine son discours par des vœux d'unité, c'est-à-dire comme il l'avait commencé lorsqu'il disait : « Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres. »
S. HIL. (de la Trin., 8) Il explique, plus distinctement ce qu'il a dit de cette unité, en lui donnant pour exemple, le plus sublime modèle d'unité : « Comme vous, mon Père, êtes un en moi, et moi en vous, qu'eux aussi soient un en nous ; » c'est-à-dire, que de même le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, nous devons, à leur exemple, être un dans le Père et le Fils. — S. CHRYS. Cette expression comme ne signifie pas ici une ressemblance exacte et parfaite elle doit être prise en tenant compte de la distance qui existe entre les hommes et Dieu, comme lorsque le Sauveur nous dit, dans un autre endroit : « Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux. » (Lc 6, 36)
S. AUG. Il est très-important de remarquer ici que Nôtre-Seigneur n'a pas dit : Afin que tous nous soyons un, mais : « Afin qu'ils soient un, comme vous, mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous. » Sous-entendu : « Nous sommes un. » Le Père est, en effet, dans le Fils, et le Fils dans le Père, de manière à ne faire qu'un, parce qu'ils n'ont qu'une seule et même nature. Quant à nous, nous pouvons bien être un en eux, mais nous ne pouvons pas être un avec eux, parce que nous n'avons pas avec eux une même nature. Ils sont donc en nous, et nous en eux, de manière à ne faire qu'un dans leur nature, comme nous ne faisons qu'un dans la nôtre ; car le Père et le Fils sont en nous comme Dieu est dans son temple, et nous sommes en eux comme la créature est dans le Créateur. Il ajoute : « En nous, » pour nous faire bien comprendre que cette unité, que produit la charité parfaite, doit être attribuée à la grâce de Dieu comme à son principe.— S. AUG. (de la Trin., 4, 9) Ou bien il parle ainsi, parce que les hommes ne peuvent être un en eux-mêmes, séparés qu'ils sont par diverses passions, par la cupidité, par les souillures qui, dans leurs péchés, couvrent leur âme. Il demande donc qu'ils soient purifiés par le Médiateur, afin qu'ils puissent être un on lui. — S. HIL. (de la Trin., 8) Les hérétiques font tous leurs efforts pour nous induire en erreur, en nous persuadant que ces paroles : « Mon Père et moi, ne sommes qu'un, » ne signifient pas l'unité parfaite de nature, et l'identité de substance divine dans le Père et le Fils, mais une simple union, qui résulte de leur amour mutuel et du parfait accord de leurs volontés ; et ils appuient leur opinion sur ce terme de comparaison pris par Nôtre-Seigneur lui-même : « Afin qu'ils soient tous un, comme nous sommes un nous-mêmes. » Mais malgré les efforts de l'impiété pour détourner le sens véritable de ces paroles, ce sens n'en reste pas moins le seul qu'on puisse admettre. — Si, en effet, les hommes, par la grâce de la régénération prennent, comme une nouvelle nature, qui leur communique une même vie, une même éternité, on ne peut plus dire qu'ils ne sont un que par la communauté des mêmes sentiments, puisqu'ils le sont par la communauté de la même nature régénérée. — Mais au Père et au Fils seuls il appartient d'être un, en vertu de leur nature ; parce qu'un Dieu qui naît d'un Dieu comme son Fils unique, ne peut exister qu'en recevant une seule et même nature de celui qui l'a engendré.
S. AUG. (Traité 110 sur S. Jean.) Mais que signifient ces paroles qu'il ajoute : « Afin que le monde croie que vous m'avez envoyé ? » Est-ce que le monde embrassera la foi, lorsque tous nous ne ferons plus qu'un avec le Père et le Fils ? Est-ce que cette union parfaite n'est pas cette paix perpétuelle, qui est plutôt la récompense de la foi que la foi elle-même ? Dans cette vie, bien que tous nous soyons un, par les liens d'une même foi, cependant celte unité est bien plutôt l'effet que la cause de notre foi. Que veut-il donc dire par ces paroles : « Qu'ils soient tous un, afin que le monde croie ? » Car ils forment eux-mêmes le monde qui doit croire, et c'est d'eux qu'il a dit : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux qui, par leur parole, doivent croire en moi. » Comment donc devons-nous entendre ces paroles : « Qu'ils soient un en nous, afin que le monde croie que vous m'avez envoyé ? » Le Sauveur ne veut pas dire que leur parfaite unité sera la cause pour laquelle le monde embrassera la foi ; mais c'est une prière qu'il fait à Dieu : « Que le monde croie, » comme lorsqu'il dit : « Qu'ils soient un. » Et si nous suppléons partout le mot : « Je demande, » le sens de cette proposition sera des plus clairs : Je demande que tous ils ne soient qu'un : Je demande qu'ils soient tous un en nous : Je demande que le monde croie que vous m'avez envoyé. — S. HIL. (de la Trin., 4) Ou bien le monde doit croire que le Fils a été envoyé par le Père, parce que tous ceux qui doivent croire en lui seront un dans le Fils et dans le Père. — S. CHRYS. Rien n'est plus scandaleux, en effet, que la division entre les chrétiens ; tandis que l'union parfaite entre ceux qui ont une même foi, est un sujet d'édification, et un motif de foi pour ceux qui ne croient point. C'est ce que le Sauveur avait dit dès le commencement : « Tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de la charité les uns pour les autres ; » si la division règne parmi eux, on ne les reconnaîtra plus pour les disciples d'un Maître pacifique ; et si je ne suis point moi-même ami de la paix, ils ne reconnaîtront point que vous m'avez envoyé.
S. AUG. Notre-Seigneur qui, en priant son Père, venait de donner une preuve de son humanité, prouve maintenant qu'il est Dieu comme son Père, et qu'il peut accorder lui-même ce qu'il demande : « Et je leur ai donné la gloire que vous m'avez donnée, » etc. Quelle est cette gloire ? C'est l'immortalité, que la nature humaine devait recevoir dans la personne de Jésus-Christ ; car en vertu des décrets immuables de la prédestination, il se sert du temps passé pour annoncer les événements futurs. Mais cette gloire de l'immortalité, qu'il déclare lui avoir été donnée par son Père, il faut entendre qu'il se l'est aussi donnée à lui-même ; car toutes les fois que le Fils parle d'une œuvre du Père sans s'y associer lui-même, il fait acte d'humilité ; et lorsqu'en parlant de ses propres œuvres il n'y comprend pas le Père, il veut établir l'égalité qui règne entre lui et son Père. D'après cette règle, il ne se met pas ici en dehors des œuvres du Père, en disant : « La gloire que vous m’avez donnée, » et ne présente pas non plus son Père comme étranger à son action, bien qu'il déclare que c'est lui-même qui donne cette gloire. Or, de même qu'en priant son Père pour tons les siens, son dessein a été que « tous fussent un ; » ainsi, en disant : « Je leur ai donné la gloire que vous m'avez donnée, » il a voulu que cette unité parfaite fût un effet de sa grâce, car il ajoute aussitôt : « Afin qu'ils soient un en nous, comme nous sommes un. » — S. CHRYS. Ou bien, par cette gloire, il entend la gloire qui vient des miracles et de la doctrine, et qui doit avoir pour fin la parfaite union entre eux : « Afin qu'ils soient un en nous, comme nous sommes un. » Car cette gloire, d'être aussi parfaitement unis, est plus grande que la gloire qui vient des miracles. En effet, tous ceux qui ont cru par la prédication des apôtres, sont un, et si la division a régné parmi quelques-uns d'entre eux, ils ne doivent l'imputer qu'à leur négligence, ce que Nôtre-Seigneur n'a pu ignorer.
S. HIL. (de la Trin., 8) Tous les fidèles sont donc un, par le moyen de cette gloire, tour à tour reçue et donnée ; mais je ne comprends pas encore comment cette gloire a été la cause de cette unité parfaite entre tous les fidèles. Notre-Seigneur a voulu établir en quelque sorte les degrés et l'ordre par lesquels ou peut arriver à cette unité consommée, lorsqu'il dit : « Qu'ils soient un en nous, » c'est-à-dire, que notre divin Médiateur nous enseigne l'unité parfaite, parce qu'il est en son Père par sa nature divine, ce que nous sommes en lui par suite de son incarnation et de sa naissance corporelle, et qu'il est encore en nous par le mystère de son sacrement. — S. CHRYS. Dans un autre endroit, il dit de lui et de son Père : « Nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure, » (Jn 14) et il ferme ainsi la bouche aux Sabelliens, par la distinction qu'il fait des deux personnes ; en même temps qu'il détruit l'erreur des Ariens, en affirmant que son Père ne vient point par lui dans ses disciples, mais qu'il vient lui-même en eux avec son Père.
S. AUG. Cependant il ne veut pas dire que le Père n'est pas en nous, ou que nous ne sommes pas dans le Père ; le Sauveur a voulu simplement marquer en peu de mots l'office de médiateur qu'il remplit entre Dieu et les hommes. Il ajoute : « Afin qu'ils soient consommés dans l'unité ; » et il nous montre ainsi que la réconciliation qui a lieu par ce divin Médiateur, nous conduit à la jouissance de la félicité parfaite. Aussi, je ne crois pas qu'on doive entendre les paroles qui suivent : « Afin que le monde connaisse que vous m'avez envoyé, » dans le même sens que s'il disait, comme précédemment : « Afin que le monde croie ; » car, tant que nous croyons ce que nous ne voyons pas, nous ne sommes pas encore consommés dans l'unité comme nous le serons lorsque nous mériterons de voir ce qui fait ici-bas l'objet de notre foi. La connaissance qui sera le fruit de cette consommation n'est donc plus celle que donne la foi, mais celle que produira la claire vue, et les croyants dont parle ici le Sauveur, c'est le monde lui-même, qui d'ennemi qu'il était est devenu l'ami de Dieu. C'est pour cela que Nôtre-Seigneur ajoute : « Et que vous les avez aimés comme vous m'avez aimé. » En effet, c'est dans son Fils que le Père nous aime, parce que c'est en lui qu'il nous a choisis. Mais nous ne sommes pas pour cela les égaux du Fils unique ; car cette locution : De même que, ainsi, n'expriment pas toujours l'égalité, mais simplement : Telle chose est, parce que telle autre chose est également. Ces paroles : « Vous les avez aimés comme je vous ai aimé, » signifient donc : Vous les avez aimés parce que vous m'avez aimé ; car, la seule raison pour laquelle le Père aime les membres de son Fils, c'est l'amour qu'il a pour son Fils lui-même. Or, qui pourrait dire combien ce Dieu, qui ne peut rien haïr de ce qu'il a fait, aime les membres de son Fils unique, et combien plus encore il aime le Fils unique lui-même ?
S. CHRYS. (hom. 82 sur S. Jean.) Après avoir prédit qu'un grand nombre croiraient par le ministère, des Apôtres, et qu'ils jouiraient d'une gloire extraordinaire, il les entretient de la couronne qui leur est réservée : « Mon Père, je veux que, là où je suis, ceux que vous m'avez donnés soient aussi avec moi. » — S. AUG. (Traité 110 sur S. Jean.) Il veut parler de ceux que son Père lui a donnés, de ceux qu'il a choisis du milieu du monde, car comme il le dit au commencement de sa prière : « Dieu lui a donné puissance sur toute chair, c'est-à-dire, sur tous les hommes, pour leur donner la vie éternelle, preuve évidente du pouvoir qu'il a reçu sur tout homme pour sauver ceux qu'il veut et laisser qui il veut dans la damnation éternelle. Telle est donc la récompense qu'il a promise à tous ses membres, c'est que là où il est, nous serons avec lui. Or, il est impossible que le Père tout-puissant n'accomplisse pas la volonté exprimée par son Fils tout-puissant (Traité 111) ; et notre piété doit croire sans difficulté ce que notre faiblesse ne nous permet pas de comprendre que le Père et le Fils n'ont qu'une seule et même volonté. A ne voir en Jésus-Christ que la nature humaine, selon laquelle il est né de la race de David ; il a pu dire : « Là où je suis, » en se considérant comme étant déjà là où il devait bientôt aller. Il nous promet donc que nous serons un jour dans les cieux, car cette nature humaine qu'il a prise dans le sein d'une Vierge, il l'a élevée jusque dans les cieux et l'a placée à la droite de son Père. — S. GREG. (Moral., 27, 8.) Mais alors que signifient ces paroles que la vérité nous dit dans un autre endroit : « Personne n'est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel ? » Nous répondons que la vérité n'est point eu contradiction avec elle-même, car le Seigneur étant le chef de ses membres, il est seul avec nous après qu'il a rejeté loin de lui la multitude des réprouvés, et puisque nous ne faisons plus qu'un avec lui, on peut dire qu'il retourne seul en nous au ciel d'où il est descendu seul en lui-même.
S. AUG. (Traité 111 sur S. Jean.) Si nous considérons au contraire la nature divine par laquelle il est égal à Dieu son Père, et que nous voulions comprendre à ce point de vue le sens de ces paroles : « Là où je suis, je veux qu'ils soient avec moi, » il nous faut éloigner de notre esprit toute image des choses sensibles, et ne pas rechercher où est le Fils égal à son Père, parce qu'on ne peut trouver un lieu où il ne soit pas. Remarquons encore que Nôtre-Seigneur ne se contente pas de dire : « Je veux que là où je suis, ils y soient eux-mêmes ; » mais il ajoute : « Avec moi. » En effet, être avec lui, c'est le plus grand des biens, car si l'on peut être malheureux en étant là où il est, on est nécessairement heureux lorsqu'on est avec lui. Ainsi, pour prendre un exemple dans les choses sensibles, quoique d'un ordre bien différent, de même qu'un aveugle qui se trouve là où brille la lumière, n'est cependant pas avec la lumière, mais en est séparé même en présence de la lumière, ainsi, bien que non-seulement l'infidèle, mais encore le fidèle ne puisse jamais être où n'est pas le Christ, il n'est cependant pas avec le Christ contemplé dans sa nature. Nul doute que le chrétien fidèle soit avec Jésus-Christ par la foi, mais le Sauveur voulait parler ici de la claire vue qui nous le fera voir tel qu'il est : c'est pour cela qu'il ajoute : « Afin qu'ils voient la gloire que vous m'avez donnée. » Remarquez : « Afin qu'ils voient, » et non : Afin qu'ils croient ; c'est la récompense de la foi, et non la foi elle-même. — S. CHRYS. Il ne dit pas non plus : Afin qu'ils entrent en participation de ma gloire, mais : « Afin qu'ils voient ma gloire, » nous indiquant ainsi en termes couverts que le souverain repos consiste dans les cieux à voir le Fils de Dieu. Or, le Père a donné cette gloire à son Fils lorsqu'il l'a engendré.
S. AUG. Lors donc que nous verrons la gloire que le Père a donnée à son Fils, quand même nous entendrions ici, non pas la gloire que le P'ère donne à son Fils qui lui est égal, en l'engendrant, mais celle qu'il a donnée à son Fils fait homme après la mort de la croix ; lorsque nous verrons cette gloire du Fils, c'est alors qu'aura lieu le jugement, et que l'impie disparaîtra pour ne pas être témoin de la gloire du Seigneur. Quelle est cette gloire ? Celle qui lui est propre comme Dieu. En admettant donc que c'est comme Fils de Dieu et Dieu lui-même que le Sauveur dit : « Je veux que là où je suis ils y soient avec moi, » nous serons alors dans le Père avec Jésus-Christ, qui après ces paroles : « Afin qu'ils voient la gloire que vous m'avez donnée, » ajoute aussitôt : « Parce que vous m'avez aimé avant la création du monde. » C'est en Jésus-Christ, en effet, qu'il nous a aimés avant la création du monde, et c'est alors qu'il a réglé dans sa prédestination ce qu'il devait accomplir à la fin du monde. — BEDE. Il donne le nom de gloire à l'amour dont son Père l'a aimé avant la création du monde, et c'est dans cette gloire qu'il nous aime nous-mêmes avant l'établissement du monde.
THEOPHYL. Après avoir prié pour les fidèles et leur avoir fait de si magnifiques promesses, Nôtre-Seigneur place une considération pleine de piété et digne de la mansuétude dont il faisait profession : « Père juste, le monde ne vous a pas connu, » c'est-à-dire, mon désir eût été de voir tous les hommes en possession des biens que j'ai demandés dans cette prière ; mais ils ne vous ont point connu, et ne pourront obtenir ni la gloire, ni les couronnes que je leur ai promises. — S. CHRYS. Le langage du Sauveur paraît ici empreint d'un profond sentiment de tristesse, de ce que les hommes n'ont point voulu connaître l'auteur de toute bonté et de toute justice. Les Juifs sont donc dans l'erreur quand ils prétendent vous connaître, et qu'ils me reprochent à moi de ne point vous connaître ; c'est le contraire qui est vrai : Pour moi, je vous ai connu, et ceux-ci ont connu que vous m'avez envoyé, et je leur ai fait connaître votre nom et le leur ferai connaître, en leur donnant par l'Esprit saint une connaissance parfaite. Or, quand ils auront appris ce que vous êtes, ils sauront que je ne suis point séparé de vous, mais que vous m'avez aimé d'un amour extraordinaire, que je suis votre propre Fils, et que je vous suis uni par les liens les plus étroits. C'est ce que je leur ai enseigné, afin que je demeure en eux, et c'est ainsi qu'ils conserveront infailliblement la foi qu'ils ont en moi, et l'amour qui doit en être le fruit : « Afin que l'amour dont vous m'avez aimé soit en eux. » Comme s'il disait : C'est l'amour qu'ils auront pour moi, qui leur méritera que je demeure en eux.
S. AUG. Ou bien encore : Qu'est-ce que la connaissance de Dieu, si ce n'est la vie éternelle, qu'il n'a point donnée au monde réprouvé, mais au monde réconcilié ? Le monde ne vous a donc point connu, parce que vous êtes juste, et qu'il a mérité, que vous lui refusiez la grâce de vous connaître ; au contraire, le monde réconcilié vous a connu, parce que vous êtes miséricordieux, et que ce n'est point à ses mérites, mais à votre grâce qu'il doit de vous connaître. Il ajoute : « Pour moi je vous ai connu. » En tant que Dieu, il est par nature la source de la grâce, et en tant qu'homme, né du Saint-Esprit et de la vierge Marie, il l'est devenu par une grâce ineffable. Enfin, comme la grâce de Dieu nous est donnée par Jésus-Christ, il termine en disant : « Et ceux-ci (c'est-à-dire, le monde réconcilié) ont connu, mais parce que vous m'avez envoyé ; cette connaissance leur est donc venue par la grâce. Et je leur ai fait connaître votre nom (par la foi), et je le leur ferai connaître (par la claire vue), afin que l'amour dont vous m'avez aimé soit en eux. » L'Apôtre s'est servi d'une locution semblable lorsqu'il a dit : « J'ai combattu un bon combat. » (1 Tm 1, 4.) Il ne dit pas : J'ai combattu d'un bon combat, ce qui serait plus conforme au langage ordinaire. Or, comment l'amour dont le Père a aimé le Fils est-il en nous, si ce n'est parce que nous sommes ses membres, et que Dieu nous aime dans son Fils, qu'il aime tout entier, c'est-à-dire, le chef et les membres, c'est pour cela que le Sauveur ajoute : « Et moi en eux. » Il est, en effet, en nous comme dans son temple, et nous sommes en lui en tant qu'il est notre chef.
S. AUG. (Traité 112 sur S. Jean.) Le discours que Nôtre-Seigneur avait adressé à ses disciples après la cène étant terminé, ainsi que la prière qu'il avait faite à son Père, l'évangéliste saint Jean commence ainsi le récit de sa passion : « Après ce discours, Jésus s'en alla avec ses disciples au-delà du torrent de Cédron. » Ce ne fut pas immédiatement après avoir achevé cette prière, mais après quelques autres faits intermédiaires que saint Jean passe sous silence, et qui sont rapportés par les autres évangélistes. — S. AUG. (De l'accord des Evang., 3, 3) Il s'éleva en effet parmi eux une contestation, lequel d'entre eux devait être estimé le plus grand, ainsi que le raconte saint Luc. Le Sauveur dit encore à Pierre, comme l'ajoute encore le même évangéliste : « Voilà que Satan vous a demandé pour vous cribler, comme le froment, » et les paroles qui suivent. (Lc 22, 31-38.) Et après avoir récité l'hymne de louange, suivant le récit de saint Matthieu et de saint Marc., ils s'en allèrent à la montagne des Oliviers. La liaison du récit de saint Matthieu se trouve donc ainsi établie avec celui de saint Jean : « Alors Jésus vint avec eux à une maison de campagne, qui est appelée Gethsémani , c'est le lieu dont parle ici saint Jean, et où il y avait un jardin dans lequel il entra avec ses disciples.
S. AUG. Ces paroles : « Après qu'il eût dit ces choses, » signifient donc simplement que le Sauveur n'est entré dans ce lieu qu'après avoir terminé son discours. — S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Jean.) Mais pourquoi l'Evangéliste ne dit-il pas : Après avoir terminé sa prière, il se rendit dans ce lieu ? Parce que celle prière était une instruction à l'adresse de ses disciples. C'est pendant la nuit qu'il sort, qu'il passe le torrent, et qu'il se hâte vers le lieu connu de son traître disciple ; épargnant ainsi la fatigue à ses ennemis, et montrant à ses disciples que sa mort est pleinement volontaire. — ALCUIN. L'Evangéliste dit : « Au delà du torrent de Cédron, » c'est-à-dire des cèdres, le mot Cédron étant comme le génitif grec du mot χέδρων. Il traverse le torrent, parce que dans le chemin (c'est-à-dire dans le passage de cette vie), il a bu de l'eau du torrent (de la passion). Il se rend dans un jardin, pour expier le péché qui avait été commis dans un jardin, car le paradis signifie jardin de délices.
S. CHRYS. Ne croyez pas qu'en se rendant dans ce jardin, Jésus cherche à se dérober à ses ennemis, car, dit l'Evangéliste, « Judas qui le trahissait, connaissait aussi ce lieu, parce que Jésus y venait fréquemment avec ses disciples. » — S. AUG. C'est dans ce lien que le loup couvert de la peau de brebis, et supporté au milieu du troupeau par un conseil profond du père de famille apprit à dresser ses embûches au pasteur, et à disperser pour un moment le troupeau. — S. CHRYS. Jésus avait souvent réuni ses disciples à l'écart pour avoir avec eux des entretiens nécessaires et particuliers que d'autres ne devaient pas entendre, qui ne devaient pas être entendus des antres. Il se rend de préférence pour cela sur les montagnes et dans les jardins, parce qu'il cherche un endroit calme et tranquille pour que l'esprit de ses disciples ne soit troublé par aucun sujet de distraction. Judas de son côté vient dans ce jardin, parce que Jésus-Christ y passait très-souvent la nuit ; il n'eût pas manqué d'aller chercher dans le Cénacle, s'il eût pensé que le Sauveur s'y livrait au sommeil. — THEOPHYL. Judas savait aussi qu'aux jours de fête, le Seigneur avait coutume d'adresser à ses disciples des instructions plus relevées, et qu'il choisissait en jardin pour ces entretiens mystérieux ; et comme c'était la grande solennité des Juifs, Judas pensa que Jésus se trouvait dans ce lien et qu'il y enseignait à ses disciples ce qui avait rapport à la célébration de la fête.
LA GLOSE. Après nous avoir expliqué comment Judas put savoir le lieu où Jésus-Christ se trouvait, l'Evangéliste raconte comment il s'y rendit : « Judas ayant donc pris une cohorte, et des gens des pontifes et des pharisien, » etc. — S. AUG. (Traité 112 sur S. Jean.) Cette cohorte était composée non de Juifs, mais de soldats romains. Les ennemis de Jésus l'avaient demandée au gouverneur comme pour s'emparer juridiquement du coupable, au nom de l'autorité légitime, et afin que personne ne cherchât à le délivrer de leurs mains, quoiqu'il y eût d'ailleurs une foule si nombreuse, et si bien armée, qu'elle fut capable d'effrayer et au besoin de repousser celui qui oserait prendre la défense du Sauveur. — S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Jean.) Mais comment purent-ils entraîner celle cohorte dans leurs desseins ? Parce qu'ils avaient affaire à des soldats prêts à tout faire pour de l'argent. — THEOPHYL. Ils portent avec eux des torches et des lanternes afin que Jésus-Christ ne pût leur échapper à la faveur des ténèbres.
S. CHRYS. Bien souvent ils avaient envoyé des gens pour se saisir de Jésus, sans qu'ils aient pu s'emparer de sa personne, preuve évidente qu'il se livrait volontairement entre leurs mains. Aussi l'Evangéliste ajoute : Mais Jésus sachant tout ce qui devait lui arriver, s'avança et leur demanda : « Qui cherchez-vous ? » etc. — THEOPHYL. Il leur fait cette question, non pour connaître leurs desseins, puisqu'il savait parfaitement ce qui devait lui arriver, mais pour leur montrer que tout présent qu'il était à leurs yeux, ils ne pouvaient ni le voir ni le distinguer : « Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth, Jésus leur dit ; c'est moi. » — S. CHRYS. Il est au milieu d'eux, et il frappe leurs yeux de cécité, et l'Evangéliste nous fait bien voir que ce ne sont pas les ténèbres de la nuit qui les empêchèrent de reconnaître Jésus on prenant soin de nous dire qu'ils avaient avec eux des torches et des lanternes. Au défaut même de lumières, ils auraient dû le reconnaître à sa voix, et si cette troupe ne connaissait pas Jésus, comment Judas qui avait continuellement été avec lui pouvait-il ne pas le reconnaître ? Aussi l'Evangéliste fait-il remarquer que Judas qui le trahissait, était aussi avec eux. Or, Jésus voulait opérer ce prodige pour leur montrer que sans sa permission, non-seulement ils ne pouvaient pas se saisir de sa personne, mais qu'ils ne pouvaient infime le voir quoiqu'il fût présent au milieu d'eux. Lors donc qu'il leur eut dit : C'est moi, ils furent renversés et tombèrent par terre. — S. AUG. Où est maintenant cette cohorte de soldats ? où est ce déploiement terrible d'armes menaçantes ? Une seule parole, sans qu'il fût besoin d'aucune autre arme, a suffi pour frapper, pour repousser, pour jeter à terre cette troupe nombreuse dont la haine était si ardente et l'appareil armé si effrayant. C'est que Dieu était caché dans ce corps mortel, et le jour éternel était tellement voilé par la nature humaine, que les ténèbres qui voulaient le mettre à mort étaient obligées de le chercher avec des torches et des lanternes. Que fera-t-il donc au jour où il viendra juger le monde, lui qui opère de si grands prodiges au moment où il va lui-même être jugé. Maintenant Jésus-Christ, par son Evangile, fait retentir en tous lieux cette parole : « C'est moi, » et cependant les Juifs attendent l'Antéchrist, et se retournent ainsi en arrière pour tomber à la renverse, parce qu'ils sacrifient les biens du ciel aux désirs des choses de la terre.
S. GREG. (hom. 9 sur Ezéch.) Mais pourquoi les élus tombent-ils la face contre terre, tandis que les réprouvés tombent à la renverse ? C'est que tout homme qui tombe à la renverse, tombe en aveugle, tandis que celui qui tombe le visage contre terre, voit l'endroit où il tombe ? Comme les méchants tombent dans un milieu qui est pour eux invisible, on dit qu'ils tombent en arrière, parce qu'ils ne peuvent voir ce qui les suit dans ce milieu où ils sont tombés. Les justes au contraire qui s'humilient d'eux-mêmes au milieu de ces choses visibles pour mériter de s'élever jusqu'aux invisibles, tombent la face contre terre, parce que pénétrés de componction et. de crainte, ils voient leur propre humiliation.
S. CHRYS. Le Sauveur ne veut pas cependant qu'on puisse penser que c'est lui qui a comme amené les Juifs à le mettre à mort, en se livrant de lui-même à ses ennemis, et il fait tout ce qui était nécessaire pour les détourner de leur criminel dessein. Mais comme ils persévèrent opiniâtrement et qu'ils sont tout à fait sans excuse, il se remet lui-même entre leurs mains : « Il leur demanda encore une fois : Qui cherchez-vous ? Ils lui dirent : Jésus de Nazareth. »
S. AUG. Ils avaient déjà entendu cette réponse : « C’est moi, » et ils ne s'étaient pas emparé de la personne du Sauveur, parce que telle était la volonté de celui qui peut tout ce qu'il veut. Cependant s'il ne leur avait jamais permis de se saisir de lui, cette troupe n'aurait pas rempli la mission qui lui avait été donnée, et lui-même n'aurait pas accompli le dessein qui l'avait fait descendre sur la terre. Maintenant qu'il a donné des preuves suffisantes de sa puissance à ceux qui voulaient s'emparer de lui, mais inutilement, qu'ils se saisissent de sa personne ils ne feront, sans le savoir, qu'obéir à l'ordre de sa volonté : « Si donc c'est moi que vous cherchez, leur dit-il, laissez aller ceux-ci. » — S. CHRYS. C'est-à-dire, si c'est moi que vous cherchez, vous n'avez rien à démêler avec eux ; je me livre moi-même entre vos mains, et c'est ainsi que jusqu'à la dernière heure, il donne à ses disciples des témoignages persévérants de son amour pour eux. — S. AUG. Il commande à ses ennemis, et ses ennemis exécutent ses ordres, et ils laissent aller en liberté ceux qu'il leur défend de faire périr. — S. CHRYS. Aussi l'Evangéliste voulant nous montrer que ce n'était point là un acte de leur volonté, mais un effet de la puissance de celui qu'ils venaient d'arrêter, ajoute : « Afin que fût accomplie la parole qu'il avait dite : Je n'ai perdu aucun de ceux que vous m'avez donnés. » Notre-Seigneur n'avait pas eu en vue dans ces paroles la mort du corps, mais la mort éternelle ; l'Evangéliste les applique à la mort même corporelle. — S. AUG. Est-ce que les Apôtres devaient être pour toujours à l'abri de la mort ? Pourquoi donc les perdrait-il, s'ils mouraient alors ? C'est qu'ils ne croyaient pas encore, en lui comme il faut croire pour ne point périr.
S. curys. (hom. 83 sur S. Jean.) Pierre, plein de confiance dans ce que le Sauveur venait de dire, et dans le prodige qu'il avait opéré, se met en défense contre ceux qui étaient venus pour se saisir de Jésus : « Alors Simon-Pierre qui avait une épée, la tira, » etc. Mais comment celui à qui Jésus avait commande de n'avoir ni bourse ni deux vêtements, peut-il avoir un glaive ? Je crois qu'il s'était depuis longtemps muni de ce glaive dans la prévision des dangers qu'il redoutait. — THEOPHYL. Ou bien ce glaive était celui qui avait servi pour découper l'agneau, et que Pierre avait conservé après la cène. — S. CHRYS. Mais comment encore celui à qui le Sauveur avait défendu de donner un soufflet, se rend-il homicide ? Jésus lui avait défendu toute vengeance personnelle, mais ici ce n'est point lui, mais son maître qu'il cherche à venger, d'ailleurs les Apôtres n'étaient pas encore parfaits, mais nous verrons plus tard Pierre se laisser frapper sans faire aucune résistance. Ce n'est pas sans raison que l’Evangéliste remarque qu'il coupa l'oreille droite de ce serviteur ; il fait ainsi ressortir l'impétuosité de l'Apôtre, qui s'attaque tout d'abord à la tête de cet homme.
S. AUG. (Traité 112 sur S. Jean.) L'évangéliste saint Jean est le seul qui nous ait conservé le nom de cet homme : « Et cet homme s'appelait Malchus ; » comme saint Luc est le seul qui rapporte que le Seigneur toucha son oreille et la guérit. — S. CHRYS. Jésus fait ici un second miracle, et il nous apprend ainsi à faire du bien à ceux qui nous font du mal, en même temps qu'il donne un nouveau témoignage de sa puissance. L'Evangéliste donne le nom de cet homme, pour permettre à ceux qui liraient son récit, de vérifier si ce fait était vrai. Il ajoute qu'il était le serviteur du grand-prêtre, pour faire ressortir l'excessive bonté du Sauveur, qui guérit cet homme, et un homme qui venait se saisir de lui, et qui devait bientôt lui donner un soufflet. — S. AUG. Malchus veut dire qui doit régner ; que signifie donc l'oreille coupée pour la défense du Seigneur, et que le Seigneur guérit lui-même ? Elle est la figure du sens de l'ouïe qui est renouvelé après que tout ce qui appartenait au vieil homme a été retranché, afin qu'il serve Dieu dans la nouveauté de l'esprit et non dans la vieillesse de la lettre. (Rm 7, 6.) Or, qui peut douter que celui qui a reçu cette grâce de Jésus-Christ, doive un jour régner avec Jésus-Christ ? C'est un serviteur qui est l'objet de ce miracle, et il est la figure de l'ancienne loi qui n'engendrait que des esclaves, mais lorsqu'il a été guéri, il devient la ligure de la liberté spirituelle. (Ga 4, 24-26.) — THEOPHYL. L'oreille droite coupée au serviteur du prince des prêtres, est le symbole de la surdité des Juifs, surdité qui régnait surtout dans les princes des prêtres, et la guérison de cette oreille, signifie que l'intelligence sera rendue aux Juifs dans les derniers temps, lors de l'avènement d'Elie.
S. AUG. Le Sauveur désapprouva l'action de son disciple, et lui détendit d'aller plus loin : « Jésus dit à Pierre : Remets ton épée dans le fourreau. » Il voulait ainsi lui enseigner la patience, et en même temps que ce fait fût écrit pour notre instruction. — S. CHRYS. Ce n'est point seulement en le menaçant que Jésus réprime le zèle de Pierre (comme saint Matthieu le rapporte) ; mais il lui donne un autre motif plus propre à le consoler : « Ne boirai-je donc point le calice que mon Père m'a donné ? » Nouvelle preuve que ce qui arrivait ne devait pas être attribué à la puissance de ses ennemis, mais à sa permission, et que loin d'être opposé à son Père, il lui obéissait jusqu'à la mort. — THEOPHYL. Il se sert de la comparaison du calice pour montrer combien la mort qu'il allait souffrir pour le salut des hommes, lui souriait comme l'objet de ses plus vifs désirs. — S. AUG. Il déclare que son Père lui a donné à boire le calice de sa passion dans le sens de ces paroles de l'Apôtre : « Il n'a pas épargné son propre Fils, » (Rm 8) mais il l'a livré pour nous tous, cependant celui qui doit boire ce calice en est lui-même l'auteur, suivant ces paroles du même Apôtre : « Jésus-Christ nous a aimés, et s'est livré lui-même peur nous. » (Ep 5)
THEOPHYL. Après avoir épuisé tous les moyens propres à détourner les Juifs de tout criminel dessein, sans avoir pu y parvenir, Notre-Seigneur leur permit de s'emparer de lui et de l'emmener : « Alors la cohorte, le tribun et les satellites des Juifs se saisirent de Jésus, » etc. — S. AUG. Ils se saisirent de celui dont ils ne s'étaient point approchés, et ils ne comprirent pas cette invitation du prophète : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclaires. » (Ps 33) S'ils s'étaient approchés de lui dans ces dispositions, ils se seraient emparé de lui, non pour le mettre à mort, mais pour le recevoir dans leurs cœurs. En s'emparant de la sorte de sa personne sacrée, ils s'éloignent, beaucoup plus encore de lui, et ils enchaînèrent celui à qui ils auraient bien plutôt demandé de briser leurs propres chaînes ; et peut-être s'en trouvait-il parmi eux qui lui dirent plus tard, comme à leur libérateur : « Vous avez rompu mes liens. » (Ps 115, 6) Après que les ennemis du Sauveur se furent rendus maîtres de sa personne par la trahison de Judas, l'Evangéliste, pour montrer que ce traître n'avait pas agi dans un but louable et utile, mais dans une intention criminelle et condamnable, ajoute : « Et ils l'emmenèrent d'abord chez Anne, » etc. — S. CHRYS. Ils triomphent de joie du haut fait qu'ils viennent d'accomplir, et promènent Jésus comme un trophée de leur victoire. — S. AUG. (Traité 113 sur S. Jean.) L'Evangéliste donne la raison de cette manière d'agir : « Parce qu'il était beau-père de Caïphe, qui était grand-prêtre cette année-là. » Saint Matthieu, qui voulait abréger son récit, se contente de dire qu'ils amenèrent Jésus chez Caïphe, car il ne fut conduit chez Anne d'abord, que parce qu'il était le beau-père de Caïphe, et nous pouvons conclure de là que c'est Caïphe qui voulut qu'il en fût ainsi. — BEDE. Il voulait, ce semble, faire condamner Jésus par un de ses collègues, pontife comme lui, afin de diminuer le crime dont il allait se rendre coupable. Peut-être aussi la maison d'Anne était située de manière à ce qu'on ne pût passer devant sans entrer, ou bien encore, cela se fit par suite d'un conseil tout divin qui voulait associer dans un même crime ceux qui l'étaient déjà par les liens du sang. Ce que dit ici l'Evangéliste, que Caïphe était grand-prêtre cette année-là, paraît contraire à la loi d'après laquelle il ne devait y avoir qu'un seul grand-prêtre, qui, après sa mort, avait son fils pour successeur, mais il faut se rappeler que le souverain pontificat était alors déshonoré par l'ambition des prétendants. — ALCUIN. En effet, Josèphe rapporte que Caïphe avait racheté celte année de pontificat. Il n'y a donc rien d'étonnant qu'un grand-prêtre inique ait été l'auteur d'un jugement inique, car souvent celui qui parvient au sacerdoce par avarice, le conserve par des moyens injustes.
S. CHRYS. Mais de peur que l'idée de chaînes et de liens ne jetât le trouble dans notre esprit, l’Evangéliste rappelle une prophétie d'après laquelle la mort de Jésus devint le salut du monde : « Or, Caïphe était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs : Il est avantageux qu'un seul homme meure pour tout le peuple. » La force de la vérité est si grande, que ses ennemis eux-mêmes sont obligés de lui rendre hommage.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 3. 6) Tous les évangélistes ne racontent pas dans le même ordre le renoncement de Pierre, qui vint s'ajouter aux outrages auxquels le Sauveur fut en butte pendant cette nuit. Saint Matthieu et saint Marc, ne le placent qu'après le récit de ces outrages, saint Luc raconte, tout d'abord le triple renoncement de cet Apôtre. Saint Jean commence le récit de la chute de Pierre, à ces paroles : « Cependant Simon Pierre suivait Jésus, ainsi qu'un autre disciple avec lui. » — ALCUIN. Il suivait son Maître par amour, quoique la crainte ne le lui faisait suivre que de loin. — S. AUG. Il serait peut-être téméraire d'affirmer quel est ce disciple, puisque l'Evangéliste ne nous dit point son nom, cependant, c'est sous cette dénomination générale que saint Jean a coutume de se désigner, en ajoutant : « Celui qu'aimait Jésus. » Peut-être donc est-ce lui-même dont il est ici question. — S. CHRYS. Il cache ici son nom par un sentiment d'humilité. L'action qu'il raconte est des plus glorieuses, puisqu'il est le seul qui suive Jésus, et que tous les autres ont pris la fuite. Cependant il donne à Pierre la première place dans son récit, et il semble céder à la nécessité en parlant de lui-même. Il vous apprend en même temps toute la valeur de son récit sur les faits qui se sont passés dans la cour du grand-prêtre, et dont il a été le témoin oculaire. Mais il se dérobe aux éloges qu'il méritait en ajoutant : « Or, ce disciple était connu du grand-prêtre. » Il ne cherche donc point à se prévaloir comme d'un acte héroïque d'avoir suivi Jésus seul jusque chez le grand-prêtre, et il en donne la raison pour ne pas laisser supposer qu'il a fait preuve en cela de courage et d'élévation de caractère. Quant à Pierre, l'amour le conduisit jusque-là, mais la crainte le retint à la porte : « Mais Pierre se tenait dehors à la porte. » — ALCUIN. Celui qui devait renier le Seigneur, se tenait dehors, et il n'était pas en Jésus-Christ, parce qu'il n'osait pas reconnaître et confesser hautement Jésus-Christ.
S. CHRYS. L'Evangéliste nous fait voir que Pierre lui-même serait entré dans l'intérieur de la maison si on le lui eût permis : « L'autre disciple, qui était connu du grand-prêtre, sortit donc et parla à la portière, et elle fit entrer Pierre. » Il ne le fit pas entrer lui-même, parce qu'il suivait Jésus-Christ et se tenait près de lui. « Cette servante qui gardait la porte dit à Pierre : « Etes-vous aussi des disciples de cet homme ? Il lui répondit : Je n'en suis point. » Que dites-vous là, ô Pierre ? n'est-ce pas vous qui avez dit, il y a peu d'instants : « Et s'il le faut, je donnerai ma vie pour vous ? » Qu'est-il donc arrivé, que vous ne puissiez même pas supporter la question d'une simple servante ? Ce n'est point un soldat qui vous interroge, c'est une pauvre portière. Et encore ne lui dit-elle pas : Etes-vous le disciple de ce séducteur ? mais : « Etes-vous le disciple de cet homme ? » question qui paraissait dictée par un sentiment de compassion. Elle lui dit : « Etes-vous aussi ? » parce que Jean était dans l'intérieur de la cour.
S. AUG. Mais qu'y a-t-il d'étonnant que Dieu ait prédit la vérité, et que l'homme se soit trompé en présumant trop de lui-même ? Or, nous devons remarquer, dans cette première négation de Pierre, qu'on renonce Jésus-Christ non-seulement quand on nie qu'il soit le Christ, mais quand on nie que l'on est chrétien. En effet, Nôtre-Seigneur n'avait pas dit à Pierre : Vous nierez que vous êtes mon disciple, mais : « Vous me renierez moi-même ; » Pierre a donc renié Jésus-Christ, en niant qu'il fût son disciple. Et que fit-il autre chose on cela que de nier qu'il fût chrétien ? Combien d'enfants et déjeunes filles on a vu, par la suite, mépriser la mort pour confesser hautement le nom de Jésus-Christ, et entrer dans le royaume des cieux en lui faisant violence, ce que ne put faire, alors celui qui avait reçu les clefs du royaume des cieux ! Voilà pourquoi Nôtre-Seigneur avait dit : « Laissez ceux-ci s'en aller, car je n'ai perdu aucun de ceux que vous m'avez donnés. » Et si Pierre s'en était allé après avoir renié Jésus-Christ, sa perte était infaillible.
S. CHRYS. (Serm. sur Pierre et Elie.) C'est donc par un secret dessein que la Providence permit que Pierre tombât le premier, pour que la vue de sa propre chute lui inspirât plus de douceur pour les pécheurs. En effet, Dieu permit que Pierre, qui était le maître et le docteur de l'univers, succombât et obtînt son pardon, pour donner aux juges des consciences la loi et la règle de miséricorde qu'ils devraient suivre à l'égard des pécheurs. C'est pour cela, je pense, que Dieu n'a point confié aux anges la dignité du sacerdoce, parce qu'étant impeccables ils auraient poursuivi sans miséricorde le péché dans ceux qui le commettent. C'est un homme, sujet à toutes les passions, que Dieu établit au-dessus des autres hommes, afin que le souvenir de ses propres faiblesses lui inspire plus de douceur et de bonté pour ses frères.
THEOPHYL. Il en est qui cherchent, mais vainement, à justifier Pierre, en disant qu'il a renoncé à Jésus-Christ parce qu'il voulait toujours être avec lui, et marcher constamment à sa suite. Il savait, disent-ils, que s'il se donnait pour un des disciples de Jésus, il en serait aussitôt séparé, et qu'il ne lui serait plus permis ni de le suivre ni de le voir; il feint donc d'être du nombre des archers du grand-prêtre, de peur que la tristesse de son visage ne le fit reconnaître et chasser dehors : « Or, les serviteurs et les satellites étaient rangés autour d'un brasier, parce qu'il faisait froid, et se chauffaient ; et Pierre aussi filait debout parmi eux, et se chauffait. » — S. AUG. On n'était point en hiver, et cependant il faisait froid, comme il arrive d'ordinaire à l'équinoxe du printemps. — S. GREG. (Moral., 2, 2.) Déjà Pierre avait laissé refroidir dans son âme le feu de la charité, et il réchauffait la fièvre de sa faiblesse à l'amour de la vie présente, comme au feu des persécuteurs.
S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Jean.) Comme les ennemis de Jésus ne pouvaient produire aucun chef d'accusation contre lui, ils l'interrogent sur ses disciples : « Le grand-prêtre interrogea donc Jésus touchant ses disciples. » Il lui demanda sans doute où ils étaient, dans quel but il les avait réunis ; et son dessein, en cela, était de l'accuser comme séditieux ou comme autour de nouveautés, et n'ayant personne pour s'attacher à lui, à l'exception de ses seuls disciples. — THEOPHYL. Il l'interroge encore « sur sa doctrine, » c'est-à-dire en quoi elle consistait, si elle était différente de la loi et opposée à la doctrine de Moïse, afin de trouver l'occasion de le perdre, comme l'antagoniste de Dieu — ALCUIN. Ce n'est point, en effet, par le désir de connaître la vérité qu'il interroge le Sauveur, mais afin d'avoir un motif de l'accuser et de le livrer au gouverneur romain pour le faire condamner ; mais le Seigneur pesa tellement les termes de sa réponse, que, sans taire la vérité, il ne parut pas vouloir se défendre : « Jésus lui répondit, : J'ai parlé publiquement au monde, j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs s'assemblent, » etc.
S. AUG. (Traité 113 sur S. Jean. ) Ici se présente une question qu'il ne faut point passer sous silence. Notre-Seigneur ne parlait pas ouvertement à ses disciples, mais leur promettait que viendrait un jour où il leur parlerait sans aucun voile ; comment donc peut-il dire qu'il a parlé publiquement au monde ? D'ailleurs il parlait beaucoup plus clairement à ses disciples quand il s'éloignait avec eux de la foule, car c'est alors qu'il leur expliquait les paraboles qu'il proposait au peuple, sans lui en découvrir le sens. « J'ai parlé publiquement au monde, » ne signifie donc autre chose que : Beaucoup m'ont entendu. On peut dire encore qu'il ne leur parlait pas ouvertement, parce qu'ils ne le comprenaient pas. D'un autre côté, s'il enseignait ses disciples en particulier, ce n'était cependant pas en secret, car on ne parle pas en secret, lorsqu'on enseigne devant tant de témoins, surtout si l'intention de celui qui parle devant peu de personnes, soit qu’elles fassent connaître, à un plus grand nombre ce qu'il leur a enseigné. — THEOPHYL. Notre-Seigneur se rappelle ici ces paroles du Prophète : « Je n'ai point parlé en secret, ni dans quelque coin obscur de la terre. » (Is 45, 19)
S. CHRYS. Ou bien : Il a parlé dans le secret, il est vrai, mais non pas comme ils le pensaient, par crainte, et comme un homme qui cherche à exciter des troubles, mais parce que les vérités qu'il enseignait dépassaient l'intelligence d'un grand nombre. Or, pour rendre son témoignage encore plus digne de foi, il ajoute : « Pourquoi m'interrogez-vous ? Interrogez ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit, ils savent ce que je leur ai enseigné. » C'est-à-dire, pourquoi me questionner sur mes disciples ? Interrogez mes ennemis, qui m'ont constamment tendu des embûches. Voilà le langage d'un homme plein de confiance dans la vérité de son enseignement, car une démonstration péremptoire (ou une preuve invincible) de la vérité, c'est d'invoquer en sa faveur le témoignage de ses ennemis. — S. AUG. Les choses qu'ils avaient entendues sans les comprendre, ne pouvaient offrir aucun juste sujet d'accusation ; et, toutes les fois qu'ils étaient venus le questionner pour le tenter et trouver matière à l'accuser, il leur avait répondu de manière à déjouer toutes leurs ruses, et à frapper d'impuissance toutes leurs calomnies.
THEOPHYL. Après que Jésus eut ainsi invoqué le témoignage des assistants, un serviteur du grand-prêtre voulant se mettre à couvert du soupçon qu'il était un des admirateurs de Jésus, le frappa au visage : « Après qu'il eut dit cela, un des satellites, là présent, donna un soufflet à Jésus, disant : Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre ? » — S. AUG. (de l'accord des Evang., 1, 6.) Nous avons ici une preuve qu'Anne était grand-prêtre, car Jésus n'avait pas encore été envoyé à Caïphe, lorsque cet homme lui fit cette observation, et saint Luc lui-même rapporte au commencement de son Evangile, qu'Anne et Caïphe étaient tous deux grands-prêtres. — ALCUIN. Ici s'accomplit cette prophétie : «J'ai abandonné mes joues il ceux qui me frappaient. » (Is 1, 6) Or, Jésus frappé injustement, répond avec douceur : « Si j'ai mal parlé, montrez ce que j'ai dit de mal ; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? »
THEOPHYL. C'est-à-dire, si vous trouvez quelque chose à reprendre dans ce que je viens de dire, prouvez que j'ai mal parlé ; si vous ne le pouvez pas, pourquoi cet acte de cruauté ? Ou bien encore, si l'enseignement que j'ai donné dans les synagogues est blâmable, faites-le connaître au prince des prêtres ; si au contraire cet enseignement est irrépréhensible à ce point que vous en étiez dans l'admiration, pourquoi me frappez-vous maintenant, puisque vous ne pouviez vous empêcher d'admirer auparavant ?
S. AUG. (Traité 113 sur S. Jeun.) Quoi de plus vrai, de plus doux, de plus juste que cette réponse ? Si nous considérons attentivement celui qui a reçu ce soufflet, qui de nous ne voudrait voir celui qui l'a frappé, ou consumé par le feu du ciel, ou englouti par la terre entr'ouverte, ou la proie d'un démon furieux, ou victime d'un châtiment semblable et plus effrayant encore ? Quoi de plus facile à celui qui a créé le monde que de mettre sa puissance au service de sa justice, s'il n'avait mieux aimé nous enseigner la patience par laquelle nous triomphons du monde. On nous demandera peut-être : Pourquoi le Sauveur n'a-t-il pas fait ce qu'il a commandé lui-même aux autres ? Ne devait-il pas souffrir cet affront en silence et tendre l'autre joue, à celui qui le frappait ? Nous dirons que Nôtre-Seigneur est allé plus loin, en répondant avec douceur et en ne tendant pas seulement l'autre joue à relui qui le frappait, mais en abandonnant son corps tout entier pour être cloué sur la croix. Il nous apprend ainsi que nous devons accomplir les préceptes de patience qu’il nous a donnés, moins par des actes extérieurs où l'ostentation peut avoir part, que par les sentiments du cœur. Il peut arriver, en effet, qu'un homme présente l'autre joue avec la colère dans le cœur. Nôtre-Seigneur a donc beaucoup mieux agi en répondant la vérité sans la moindre aigreur, et on se montrant paisiblement disposé à supporter patiemment des outrages plus sanglants encore.
S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Jean.) Quelle était la conduite naturelle à tenir ? C'était, ou de prouver que Jésus avait tort, ou de se rendre à son observation. Mais ce n'est pas ce qu’ils font, car tout ce qui se passait n'avait aucune apparence de l'égalité, mais tout était l’œuvre du désordre et de la violence. Ne sachant plus que faire, ils envoient Jésus chargé de chaînes à Caïphe : « Et Anne l'envoya lié à Caïphe le grand-prêtre. » — THEOPHYL. Ils s'imaginèrent qu'étant plus rusé que son beau-père, il pourrait trouver contre Jésus un chef d'accusation qui mériterait la mort. — S. AUG. D'après saint Matthieu, c'était chez Caïphe qu'on le conduisit dès le commencement, parce qu'il était grand-prêtre de cette année. En effet, Anne et Caïphe remplissaient alternativement chaque année la charge de grand-prêtre, et il est probable que c'est sur la volonté de Caïphe, que Jésus fut d'abord conduit chez Anne, ou que leurs maisons étaient situées de manière qu'on ne pouvait passer devant la maison d'Anne sans y entrer. — BEDE. De ce que l'Evangéliste dit qu'il l'envoya lié, il ne faut pas conclure qu'il le fût seulement alors pour la première fois. Jésus fut enchaîné lorsqu'on se saisit de lui. Anne l'envoya donc, chargé de chaînes à Caïphe, comme on le lui avait amené. Il put se faire aussi qu'on le débarrassât un instant de ses liens pendant qu'on l'interrogeait, et qu'après cet interrogatoire, on l'enchaîna de nouveau pour l'envoyer ainsi à Caïphe.
S. AUG. (Tr. 113 sur S. Jean.) Après avoir rapporté comment Anne envoya Jésus enchaîné à Caïphe, l'Evangéliste revient à l'endroit du son récit où il avait laissé Pierre pour raconter le triple reniement de ce disciple dans la maison d'Anne : « Cependant Simon Pierre était là, debout, et se chauffant. » Il rappelle donc ici ce qu'il avait dit plus haut. — S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Jean.) Dans quel engourdissement était plongé cet Apôtre si plein d'ardeur, lorsqu'on voulait s'emparer de Jésus ! Le voilà devenu comme insensible, et Dieu le permet, pour vous apprendre combien est grande la faiblesse de l'homme lorsqu'il l'abandonne à lui-même. On le questionne de nouveau, et il nie pour la seconde fois : « Ils lui dirent donc : Et vous, n'êtes-vous pas aussi de ses disciples ? »
S. AUG. (de l'accord des Evang., 3, 6.) Nous voyons ici que ce n'est point devant la porte, mais lorsqu'il se chauffait devant le brasier, que Pierre renia Jésus pour la seconde fois, ce qui n'aurait pu avoir lieu, s'il ne fût rentré après être sorti dehors, comme le raconte saint Matthieu. Ce n'est pas, en effet, lorsqu'il fût sorti dehors, que cette autre servante le vit, mais au moment même où il sortait, et c'est alors qu'elle le remarqua et qu'elle dit à ceux qui étaient là, c'est-à-dire, à ceux qui se chauffaient avec, lui dans l'intérieur de la cour : « Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth.» Pierre qui était déjà sorti, ayant entendu ces paroles, rentra, et à toutes les affirmations de ceux qui étaient présents, répondit avec serment : « Je ne connais point cet homme. » L'évangéliste saint Jean raconte ainsi le second reniement de saint Pierre : « Ils lui dirent donc : Et vous, n'êtes-vous pas aussi de ses disciples ? » C'est-à-dire, lorsqu'il rentrait, ce qui nous confirme dans la pensée que ce ne fut pas seulement celte autre servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, mais une autre encore dont parle saint Luc, qui firent à Pierre la question qui détermina le second reniement de cet Apôtre ; c'est pour cela que saint Jean emploie ici le pluriel : « Ils lui dirent donc. » Le même Evangéliste poursuivant son récit, raconte ainsi le troisième renoncement : « Un des serviteurs du grand-prêtre lui dit, » etc. Saint Matthieu et saint Marc se servent du pluriel pour désigner ceux qui firent à Pierre cette nouvelle question ; saint Luc ne parle que d'un seul, ainsi que saint Jean, qui ajoute cette circonstance, qu'il était parent de celui à qui Pierre coupa l'oreille. Cette divergence s'explique facilement si l'on considère que saint Matthieu et saint Marc oui l'habitude de mettre le pluriel pour le singulier, ou qu'un de ceux qui étaient présents, affirmait avec plus de force, comme ayant vu Pierre dans le jardin, tandis que les autres ne pressaient Pierre que sur l'attestation de celui qui l'avait vu.
S. CHRYS. Mais le jardin ne lui rappelle le souvenir, ni des promesses qu'il y a faites, ni de cet amour si ardent dont il avait protesté à plusieurs reprises : « Pierre le nia de nouveau et aussitôt le coq chanta. » — S. AUG. (Traité 113.) Voici la prédiction du médecin qui est accomplie, et le malade convaincu de présomption, car ce que nous voyons se réaliser, ce n'est pas la promesse de Pierre : « Je donnerai ma vie pour vous, » mais la prédiction de Jésus : « Vous me renierez trois fois. » — S. CHRYS. Les évangélistes s'accordent tous pour raconter le triple reniement de saint Pierre, non pour accuser ce disciple, mais pour nous apprendre quel mal c'est de ne pas tout remettre entre les mains de Dieu, et de placer sa confiance en soi-même. BEDE. Dans le sens allégorique, le premier reniement de Pierre figure ceux qui, avant la passion du Sauveur, ont nié qu'il fût Dieu ; le second représente ceux qui, après sa résurrection, ont nié à la fois sa divinité et son humanité. De même le premier chant du coq figure la résurrection du chef ; le second, la résurrection de tout le corps qui aura lieu à la fin du monde. La première servante, qui fut l'occasion du premier renoncement de Pierre, représente la cupidité ; la seconde, le plaisir des sens ; le serviteur, ou les serviteurs du grand-prêtre, les démons qui nous portent à renoncer Jésus-Christ.
S. AUG. (Traité 114 sur S. Jean.) L'Evangéliste revient à l'endroit de son récit qu'il avait interrompu pour raconter le reniement de Pierre : « Ils amenèrent donc Jésus de chez Caïphe dans le prétoire. » Déjà nous avions vu Jésus envoyé chez Caïphe par Anne, son collègue et son beau-père. Mais puisqu'il est envoyé chez Caïphe, pourquoi l'amener dans le prétoire ? Saint Jean vent simplement dire qu'on l'amena dans la maison qu'habitait le gouverneur romain Pilate. — BEDE. Le prétoire est ainsi appelé, parce qu'il est la demeure et le siège du préteur ; or, les préteurs sont des préfets ou des commandants à qui on donne ce nom, parce qu'ils sont chargés d'intimer aux citoyens les ordres du souverain. — S. AUG. Ou bien donc Caïphe, pour une cause urgente, quitta la maison d'Anne, ou tous deux s'étaient réunis pour entendre les dépositions contre Jésus, et se dirigea vers le prétoire, en laissant à son beau-père l'interrogatoire de Jésus, ou bien Pilate avait établi le prétoire dans la maison même de Caïphe, parce que cette maison était assez grande pour loger à la fois et séparément Caïphe et le gouverneur romain. — S. AUG. (de l'accord des Evang.) C'est à Caïphe, que Jésus était amené tout d'abord, et il n'y arriva cependant qu'en dernier lieu ; on l'amenait comme un coupable déjà convaincu, Caïphe, d'ailleurs avait déjà résolu sa mort, il le livre donc sans aucun délai à Pilate pour qu'il le fit exécuter.
« Or, c'était le matin. » — S. CHRYS. (hom. 82 sur S. Jean.) Jésus fut conduit chez Caïphe avant le chant du coq, et le matin chez Pilate. L'Evangéliste nous donne ici une preuve que l'interrogatoire que Caïphe fît subir à Jésus pendant toute la nuit, ne put fournir contre lui aucun sujet d'accusation, et c'est pour cela qu'il le renvoie à Pilate. Mais saint Jean laisse aux autres évangélistes le soin de nous raconter ces détails, et en vient immédiatement à ce qui suivit les événements de la nuit : « Et eux n'entrèrent point dans le prétoire. » — S. AUG. C'est-à-dire, dans la partie de la maison occupée par Pilate, en supposant que ce fût la maison de Caïphe. Or, pour quel motif ne voulurent-ils point y entrer ? Afin de ne point se souiller et de pouvoir manger la Pâque. — S. CHRYS. C'était le jour, en effet, où les Juifs célébraient la Pâque, que Jésus avait célébré un jour auparavant, parce qu'il voulait que sa mort eût lieu le sixième jour où se célébrait l'ancienne Pâque. Ou bien le mot Pâque s'étend ici à toute la fête. — S. AUG. Les jours des azymes étaient commencés, et pendant ces jours ou ne pouvait entrer dans la maison d'un païen, sans contracter l'impureté légale. — ALCUIN. La Pâque, proprement dite, était le jour où on immolait l'agneau pascal, le soir du quatorzième jour de la lune ; les sept jours suivants s'appelaient les jours des azymes pendant lesquels les Juifs ne devaient avoir chez eux aucun pain fermenté. Cependant nous voyons le jour de Pâque compté parmi les jours des azymes dans l'évangile de saint Matthieu, où nous lisons : « Le premier jour des azymes, les disciples s'approchèrent de Jésus, et lui dirent : Où voulez-vous que nous préparions ce qui est nécessaire pour manger la Pâque ? » (Mt 26, 17) Le nom de Pâque est aussi donné aux jours des azymes, comme nous le voyons ici : « Afin de pouvoir manger la Pâque. » Or, la Pâque ici ne signifie point l'immolation de l'agneau, qui avait lieu le soir du quatorzième jour de la lune, mais la grande solennité qui se célébrait après l'immolation de l'agneau ; Nôtre-Seigneur avait donc célébré la Pâque comme les autres Juifs, le quatorzième jour de la lune, et fut crucifié le quinzième jour, qui était le jour de la grande solennité, et son immolation commença le quatorzième jour de la lune, du moment où on se saisit de lui dans le jardin des Olives.
S. AUG. O aveuglement impie ! Ils craignaient de se souiller en entrant dans le prétoire d'un juge païen et ils ne craignent pas de répandre le sang de leur frère innocent, car ils ne savaient pas que celui qu'ils voulaient faire mourir était le Soigneur et l'auteur de la vie, et il faut attribuer ce crime plutôt à leur ignorance qu'à une volonté réfléchie.
THEOPHYL. Pilate quelqu'ait été le mode de procédure qu'il suivait à l'égard de Jésus, en sort avec des sentiments beaucoup plus modérés : « Pilate vint à eux dehors et leur demanda : Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » — BEDE. C'était la coutume chez les Juifs quand ils avaient condamné un coupable à mort, de le remettre chargé de chaînes au gouverneur, afin que le gouverneur le voyant en cet état, comprît qu'il était condamné à la peine de mort. — S. CHRYS. Cependant bien que Pilate vit Jésus enchaîné et amené devant lui par une foule aussi nombreuse, il ne crut pas que ce fût là une preuve péremptoire ou irrécusable de culpabilité, il les interroge donc : « Quelle accusation leur demande-t-il, portez-vous contre cet homme ? » Il leur fait sentir l'inconvenance qu'ils commettent en s'emparant du pouvoir de juger, et en ne lui laissant que celui d'infliger le châtiment ; mais les Juifs refusent d'aborder de front l'accusation, et n'allèguent que de vagues présomptions : « Ils lui répondirent : Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne vous l'aurions pas livré. » — S. AUG. Qu'on interroge et qu'ils répondent, ceux qu'il a délivrés des esprits impurs, les malades qu'il a guéris, les lépreux qu'il a purifiés, les sourds à qui il a rendu l'ouïe, les aveugles dont il a ouvert les yeux, les muets dont il a délié la langue, les morts qu'il a ressuscites, et ce qui surpasse tous ces miracles, les insensés à qui il a donné la sagesse, et qu'ils disent si Jésus est un malfaiteur. Mais ceux qui portaient cette accusation étaient ces ingrats dont le Prophète avait fait cette prédiction : « Ils me rendaient le mal pour le bien. » (Ps 34, 12) — S. AUG. (De l'accord des Evang., 3, 8) Il nous faut examiner si saint Luc n'est pas en contradiction avec saint Jean lorsqu'il raconte que les Juifs formulèrent contre le Sauveur des chefs certains d'accusation : « Et ils commencèrent à l'accuser, ou disant : Nous avons trouvé celui-ci pervertissant notre nation, défendant de payer le tribut à César, et disant qu'il est le Christ roi. » (Lc 22, 2.) D'après saint Jean, au contraire, les Juifs paraissent ne vouloir formuler aucune accusation aussi particulière, afin que Pilate s'en rapportant exclusivement à leur parole, cessât de leur demander ce dont ils l'accusaient, et qu'il le regardât comme coupable par cela seul qu'ils avaient cru devoir le livrer entre ses mains. Or nous devons admettre et le récit de saint Jean et celui de saint Luc ; car il y eut dans cette circonstance bien des questions et des réponses échangées, chaque évangéliste a fait entrer dans sa narration ce qu'il a jugé plus utile, et saint Jean lui-même a rapporté certaines accusations dirigées contre Jésus, comme nous le verrons en son lieu : « Pilate leur dit donc : Prenez-le vous-même, et jugez-le selon votre loi. » — THEOPHYL. C'est-à-dire, puisque vous voulez qu'il soit jugé selon vos désirs, et qu'à vous entendre, il semble que vous n'ayez jamais rien fait de répréhensible, prenez-le et condamnez-le, quant à moi, je ne consentirai jamais à juger de la sorte. — ALCUIN. Ou bien encore il veut leur dire : Vous avez une loi, et vous savez ce qu'elle prononce en pareille circonstance, faites donc selon que vous le croyez juste.
« Les Juifs lui répondirent : Il ne nous est pas permis de mettre à mort personne. » — S. AUG. Mais est-ce que la loi ne défend pas d'épargner les malfaiteurs, et surtout les séducteurs qui cherchent à détourner du culte du vrai Dieu comme était Jésus dans leur pensée ? Si donc ils répondent qu'il ne leur est pas permis de mettre personne à mort, c'est, entendons-le bien, à cause de la solennité du jour qu'ils avaient commencé à célébrer. L’excès de votre malice vous a-t-il fait perdre entièrement toute raison que vous vous croyiez purs du sang innocent parce que vous voulez le faire répandre par un autre ? — S. CHRYS. Ou bien ils répondent qu'ils ne peuvent le mettre à mort, parce que leur pouvoir était singulièrement diminué depuis qu'ils étaient soumis à la domination romaine. Ou bien encore, Pilate leur ayant dit : « Jugez-le suivant votre loi, ils veulent lui prouver que le crime que Jésus a commis n'est pas contre la loi juive, et ils répondent : « Il ne nous est pas permis, » c'est-à-dire, il n'a point péché contre notre loi, mais son crime est un crime contre la sûreté publique, puisqu'il s'est dit roi. On peut dire encore qu'ils désiraient faire mourir Jésus du supplice de la croix pour le couvrir d'ignominie par ce genre de mort ; or il ne leur était pas permis de crucifier, mais l'exemple d'Etienne qui fut lapidé par eux montre qu'ils pouvaient mettre à mort d'une autre manière. Aussi l'Evangéliste ajoute : « Afin que fût accomplie la parole que Jésus-Christ avait dite, touchant la mort dont il devait mourir, » parce qu'il était défendu aux Juifs de crucifier, ou bien l'Evangéliste s'exprime ainsi parce que Jésus devait être mis à mort, non-seulement par les Juifs mais par les Gentils. — S. AUG. Nous lisons en effet dans saint Marc que Jésus dit à ses disciples : « Voilà que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré aux princes des prêtres, aux scribes et aux anciens, ils le condamneront à mort et le livreront aux Gentils. » (Mc 10, 23.) Or Pilate était romain, et les empereurs romains l'avaient établi gouverneur de la Judée. Ce fut donc pour accomplir cette prédiction de Jésus, qu'il serait livré aux Gentils et qu'ils le mettraient à mort, qu'ils ne voulurent point le recevoir des mains de Pilate, et qu'ils lui dirent : « Il ne nous est pas permis de mettre personne à mort. »
S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Jean.) Pilate qui voulait arracher Jésus à la haine des Juifs, ne traîna pas le jugement en longueur : « Etant donc rentré dans le prétoire, il appela Jésus. » Il se le fait amener en particulier, parce qu'il entrevoyait dans le Sauveur quelque chose de grand, et il se proposait de tout examiner avec un soin scrupuleux après s'être mis en dehors de l'agitation tumultueuse des Juifs. « Il lui dit donc : Etes-vous roi des Juifs ? » Pilate fait voir ici que les Juifs avaient accusé Jésus de s'être dit roi des Juifs. — S. CHRYS. Ou bien Pilate l'avait appris par le bruit public, et comme les Juifs n'avaient formulé contre lui aucune autre accusation, pour ne point prolonger inutilement cet interrogatoire, il lui fait connaître ce qu'ils lui reprochaient le plus habituellement.
« Jésus lui répondit : Dites-vous cela, de vous-même, ou d'autres vous l'ont-ils dit de moi ? » Le Sauveur semble reprocher indirectement à Pilate de juger ici à la légère et sans discernement comme s'il lui disait : Si vous dites cela de vous-même, donnez les preuves de ma rébellion, et si d'autres vous l'ont dit de moi, faites une enquête dans les formes. — S. AUG. (Traité. 115 sur S. Jean.) Jésus savait très-bien et ce qu'il demandait à Pilate et la réponse que celui-ci allait lui faire, cependant il veut qu'il lui fasse cette question, non pour se renseigner lui-même, mais pour que cette question fût conservée par écrit et parvînt ainsi à notre connaissance. — S. CHRYS. Ce n'est donc point par ignorance qu'il interroge, mais pour faire condamner les Juifs par la bouche même de Pilate : « Pilate reprit : Est-ce que je suis juif ? » — S. AUG. Il se justifie du soupçon qu'il eut parlé ainsi de lui-même, et prouve que ce sont les Juifs qui ont accusé près de lui Jésus de cette prétention : « Votre nation et vos prêtres vous ont livré à moi. En ajoutant : Qu'avez-vous fait ? » il fait assez voir que c'était là le crime dont on l'accusait, et il semble lui dire : Si vous niez que vous ayez aspiré à la royauté, qu'avez-vous fait pour m'être livré ? Comme s'il n'était pas étonnant qu'on eût amené devant son tribunal pour être condamné un homme qui se disait roi.
S. CHRYS. Le Sauveur cherche à relever les idées de Pilate qui n'était pas absolument mauvais, il veut lui prouver qu'il n'est pas simplement un homme, mais qu'il est en même temps Dieu et le Fils de Dieu ; et il éloigne tout soupçon d'avoir aspiré à la royauté (ce qu'avait craint jusqu'à présent Pilate) : « Jésus répondit : Mon royaume n'est pas de ce monde, » etc. — S. AUG. Voilà ce que le bon maître a voulu nous apprendre, mais il fallait auparavant nous faire connaître la vaine opinion que les hommes, Gentils ou Juifs de qui Pilate l'avait apprise, s'étaient formée de sa royauté. Ils prétendaient qu'il méritait la mort pour avoir cherché à s'emparer injustement de la royauté. Ou bien encore comme ceux qui sont en possession du pouvoir voient ordinairement d'un œil jaloux ceux qui peuvent leur succéder, les Romains ou les Juifs pouvaient craindre que ce nouveau royaume ne fût oppose à leur domination. Si le Sauveur avait répondu aussitôt à la question de Pilate, il eût paru répondre exclusivement pour les Gentils qui avaient de lui cette opinion ; mais après la réponse de Pilate, il répond d'une manière plus opportune et plus utile aux Juifs et aux Gentils, et tel est le sens de sa réponse : Ecoutez, Juifs et Gentils, je ne gêne en rien votre domination en ce monde, que voulez-vous davantage ? Venez prendre possession par la foi d'un royaume qui n'est pas de ce monde. En effet, de quoi se compose son royaume ? De ceux qui croient en lui. C'est à eux que Jésus dit : « Vous n'êtes pas de ce monde, » bien que sa volonté fût qu'ils demeurassent au milieu du monde. Aussi ne dit-il pas : Mon royaume n'est pas dans ce monde, mais : « Mon royaume n'est pas de ce monde. » Tout ce qui dans l'homme a été créé de Dieu il est vrai, mais qui a été engendré de la race corrompue d'Adam, est du monde, mais tout ce qui a été ensuite régénéré en Jésus-Christ fait partie de son royaume et n'est plus du monde. « C'est ainsi que Dieu nous a arrachés de la puissance des ténèbres, et nous a transférés dans le royaume de son Fils bien-aimé. » (Col 1, 13.) — S. CHRYS. Ou bien encore Nôtre-Seigneur veut dire que sa royauté n' a pas la même origine que la royauté des princes de la terre, et qu'il tient d'en haut un pouvoir qui n'a rien d'humain, et qui est beaucoup plus grand et plus éclatant. C'est pour cela qu'il ajoute : « Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs combattraient pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. » Il fait voir ici la faiblesse des royautés de la terre qui tirent leur force de leurs ministres et de leurs serviteurs ; mais le royaume dont l'origine est toute céleste se suffit à lui-même, et n'a besoin d'aucun appui. Si telle est donc la puissance de ce royaume, c'est de sa pleine volonté qu'il s'est lui-même livré à ses ennemis.
S. AUG. Après avoir prouvé que son royaume n'était pas de ce monde, Jésus ajoute : « Mais mon royaume n'est pas d'ici. » Il ne dit pas : Mon royaume n'est pas ici, car il est vraiment sur la terre jusqu'à la fin du monde ; l'ivraie s'y trouve mêlée avec le bon grain jusqu'à la moisson, et cependant il n'est pas de ce monde, parce qu'il est dans ce monde comme dans un lieu d'exil. — THEOPHYL. Ou bien encore, il ne dit pas : « Mon royaume n'est pas ici, » mais « il n'est pas d'ici, » parce qu'il règne dans le monde, que sa providence le gouverne, et qu'il y règle tout suivant sa volonté. Toutefois son royaume n'est pas composé d'éléments terrestres, mais son origine est céleste et il existe avant tous les siècles. — S. CHRYS. Les hérétiques prennent de là occasion de dire que le Sauveur est étranger à la direction du monde. Mais de ce qu'il déclare que son royaume n'est pas d'ici, il ne s'ensuit nullement que le monde ne soit point gouverné par sa providence ; ces paroles signifient donc simplement que son royaume n'est soumis ni aux lois du temps, ni aux imperfections de notre humanité.
« Alors Pilate lui dit : Vous êtes donc roi ? Jésus répondit : Vous le dites, je suis roi. » Nôtre-Seigneur ne craignait pas de déclarer qu'il fut roi, mais il répond de manière à ne point nier qu'il soit roi, et à ne point avouer qu'il l'est dans ce sens que son royaume fût de ce monde. En effet, que répond-il à Pilate ? « Vous le dites, » c'est-à-dire, vous êtes de la terre, et votre langage ne peut être que terrestre. Il ajoute : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. » Il ne faut point faire longue la syllabe de ce pronom hoc comme si le sens était : « Je suis né dans cette condition, » mais la faire brève de manière qu'elle présente cette signification : « Je suis né pour cela, » de même qu'il dit : « C'est pour cela que je suis venu au monde. » Il est donc évident que le Sauveur a voulu parler ici de sa naissance temporelle et de sa venue comme homme dans le monde, et non de sa naissance éternelle et sans commencement comme Dieu. — THEOPHYL. On peut dire encore que le Seigneur interrogé par Pilate s'il était roi lui répondit : « Je suis né pour cela, c'est-à-dire pour être roi, car par cela seul que je suis né d'un roi, j'affirme que je suis roi moi-même. — S. CHRYS. (hom. 84 sur S. Jean.) Mais s'il est né roi, il n'a donc, rien qu'il n'ait reçu. « Je suis venu, poursuit-il, pour rendre témoignage à la vérité, » c'est-à-dire pour persuader tous les hommes de la vérité. Considérez ici la grande douceur du Sauveur, tandis qu'on le traitait comme un malfaiteur, il a supporté cet outrage en silence ; mais quand on l'interroge sur son royaume, alors il répond à Pilate, il cherche à l'instruire et à élever son esprit vers des idées plus hautes, et veut le convaincre que toute sa conduite a été exemple de subterfuges et d'artifices : « Je suis venu pour rendre témoignage à la vérité. »
S. AUG. Lorsque Jésus-Christ rend témoignage, à la vérité, il se rend témoignage à lui-même ; car il a dit, en termes exprès : « Je suis la vérité. » Mais comme la foi n'est pas le partage de tous, il ajoute : « Quiconque est de la vérité, entend ma voix. » Il l'entend avec les oreilles intérieures du cœur, c'est-à-dire il obéit à une voix, ou si vous voulez, il croit en moi. Par ces paroles : « Quiconque est de la vérité, » le Sauveur veut faire ressortir l'importance de la grâce, par laquelle il nous appelle selon son décret. (Rm 8) Si nous considérons la nature dans laquelle nous avons été créés, quel est celui qui n'est pas de la vérité, puisque c'est la vérité qui a créé tous les hommes ? Mais tous ne reçoivent pas de la vérité la grâce nécessaire pour obéir à la vérité. S'il avait dit : Quiconque entend ma voix est de la vérité, on pourrait croire qu'on est de la vérité, parce qu'on obéit à la vérité ; mais il dit, au contraire : « Quiconque est de la vérité, entend ma voix. » Il entend, il est vrai ; toutefois il n'est pas de la vérité, parce qu'il entend sa voix, mais il entend sa voix parce qu'il est de la vérité, et que la vérité lui a donné cette grâce. — S. CHRYS. En parlant de la sorte, il attire à lui Pilate, et cherche à lui persuader de prêter l'oreille à ses paroles, et il l'amène, par ce peu de paroles, à lui demander ce que c'est que la vérité : « Pilate lui demanda : Qu'est-ce que la vérité ? » — THEOPHYL. La vérité avait presque disparu du milieu des hommes, et elle était comme inconnue à tous, à cause de leur incrédulité.
S. AUG. (Traité 115 sur S. Jean.) Aussitôt que Pilate eut fait celle question : « Qu'est-ce que la vérité ? » il lui vint à l'esprit (je pense que c'était la coutume parmi les Juifs,) qu'on leur accordât, à la fête de Pâques, la délivrance d'un criminel ; il n'attendit donc pas que Jésus lui répondît, pour ne pas perdre de temps, du moment qu'il se fut rappelé la coutume qui lui permettait de le délivrer à la fête de Pâques, ce qui, de toute évidence, était son plus vif désir, comme le prouve la nouvelle démarche qu'il fit : « Et, ayant dit cela, il sortit encore pour aller vers les Juifs, » etc. — S. CHRYS. Il savait que la réponse à la question qu'il avait faite demandait du temps, et qu'il fallait au plus tôt arracher Jésus à la fureur des Juifs ; et c'est pourquoi il sort de nouveau du prétoire pour parler aux Juifs. — ALCUIN. Ou peut-être encore il n'attendit pas la réponse, parce qu'il était indigne de l'entendre.
« Et il leur dit : Je ne trouve en lui aucun crime. » Il ne leur dit pas : Puisqu'il est coupable et digne de mort, donnez-lui sa grâce à l'occasion de la fête ; il proclame d'abord son innocence, puis il les prie, du reste, s'ils ne veulent point le délivrer à cause de son innocence, de le faire en considération de la fête : « C’est la coutume, parmi vous, que je vous accorde, à la fête de Pâques, la délivrance d'un criminel, » etc. — BEDE. Cette coutume n'était pas prescrite par la loi, elle venait d'une ancienne tradition des Juifs ; qui, en souvenir de leur délivrance d'Egypte, délivraient chaque année un criminel à la fête de Pâques. Pilate emploie donc à leur égard le langage de la persuasion : « Voulez-vous que je vous délivre le Roi des Juifs ? » — S. AUG. On ne pouvait arracher de son cœur que Jésus fût le Roi des Juifs, il semble que la vérité elle-même, qu'il avait demandé a connaître, l'eût gravée dans sou cœur comme elle le fit écrire sur l'inscription de la croix.
THEOPHYL. La réponse de Pilate, qui justifie Jésus de toute accusation, est admirable, et c’est en vain que les Juifs cherchent à le travailler, en lui représentant le Sauveur comme ayant désiré la royauté, car le représentant des Romains n'aurait jamais acquitté et mis en liberté un homme qui se serait déclaré roi en face de la puissance des empereurs romains. Lors donc, qu'il leur dit : « Délivrerai-je le Roi des Juifs ? » il proclame publiquement l'innocence de Jésus, et plaisante les Juifs en leur tenant ce langage : « Celui que vous accusez d’avoir voulu se faire roi, j'ordonne de le mettre en liberté, comme complètement innocent du crime dont vous le chargez. » — S. AUG. Mais à ces mots, « ils crièrent de nouveau, tous ensemble : Non pas celui-ci, mais Barabbas. » Or, Barabbas était un voleur. Nous ne vous faisons pas un reproche, ô Juifs, de mettre en liberté un criminel, à l'occasion de la fête de Pâques ! Mais nous vous faisons un crime d'avoir mis à mort un innocent ; et cependant si vous n'agissiez de la sorte, la véritable Pâque n'aurait pas lieu. — BEDE. Ils ont sacrifié le Sauveur et demandé la grâce d'un brigand ; et, en punition de cet attentat, le démon exerce impunément sur eux des brigandages. — ALCUIN. Barabbas signifie le fils de leur maître, c'est-à-dire du diable ; car c'est le diable, qui fut le maître de ce voleur dans ses crimes, comme il fut celui des Juifs dans leur trahison.
S. AUG. (Traité 116 sur S. Jean.) Les Juifs ayant demandé à grands cris qu'à l'occasion de la fêle de Pâques, Pilate leur délivrât non pas Jésus, mais Barabbas, « alors, dit l’Evangéliste, Plate prit Jésus elle fit flageller. » Il est vraisemblable que Pilate n'eut en cela d'autre pensée que de rassasier lu cruauté des Juifs, par la vue de ce châtiment ignominieux, et de les empêcher de pousser la fureur jusqu'à demander la mort de Jésus. C'est dans le même dessein qu'il permit, ou peut-être même qu'il ordonna aux soldats de sa cohorte de faire ce que rapporte l'Evangéliste. Il raconte, en effet, ce que firent les soldats, mais il ne dit point que ce fut par l'ordre de Pilate : « Et les soldats, ayant tressé une couronne d'épines, la mirent sur sa tête, et le revêtirent d'un manteau d'écarlate. Puis ils venaient, à lui, et disaient : Je vous salue, roi des Juifs. » — S. CHRYS. Comme pour répondre à ce que Pilate vient de dire, que Jésus était roi des Juifs, ils le revêtent des insignes dérisoires de la royauté. — BEDE. Pour diadème, ils lui mettent sur la tête une couronne d'épines, et pour la pourpre dont se servaient autrefois les rois, ils lui jettent sur les épaules un lambeau de pourpre. Le récit de saint Jean n'est point ici en contradiction avec ce que dit saint Matthieu, qu'on jeta sur lui un manteau d'écarlate ; car, selon la remarque d'Origène, l'écarlate et la pourpre ont une même origine ; les excroissances qui contiennent la cochenille laissent couler, par les incisions qu'on leur fait, des gouttes de sang, qui servent à teindre à la fois la pourpre et l'écarlate. Bien que ce fût par dérision que les soldats traitent ainsi le Sauveur, ils accomplissaient pour nous des actions pleines de mystères. La couronne d'épines signifiait que Jésus se chargeait de nos péchés, que la terre de notre corps produit comme autant d'épines ; le manteau de pourpre est la figure de la chair, esclave de ses passions. Nôtre-Seigneur est encore revêtu de pourpre, lorsqu'il se glorifie des triomphes remportés par les martyrs.
S. CHRYS. Ce n'était point pour obéir aux ordres du gouverneur que les soldats en agissaient ainsi, mais pour plaire aux Juifs. Ce n'était point sur son ordre qu'ils étaient venus pendant la nuit se saisir de Jésus, mais ils se portaient à tous les excès pour être agréables aux Juifs, qui leur avaient promis de fortes sommes d'argent. Cependant, au milieu de tant et de si cruels outrages, Jésus garde le silence. Pour vous, ne vous contentez pas d'entendre le récit d'un tel spectacle, mais qu'il soit toujours présent à votre esprit, et imitez le Roi de l'univers et le Seigneur des anges, souffrant avec patience de semblables outrages, et les supportant sans ouvrir la bouche. — S. AUG. C'est ainsi que Jésus-Christ accomplissait ce qu'il avait prédit de lui-même ; c'est ainsi qu'il enseignait les martyrs à supporter tout ce que la cruauté des persécuteurs pourrait inventer contre eux ; c'est ainsi que le royaume qui n'était pas de ce monde triomphait de ce monde superbe, non pas en livrant des combats sanglants, mais en souffrant avec patience et humilité.
S. CHRYS. Pilate, dans l'espérance que la vue de ces sanglants outrages mettrait un terme à la fureur des Juifs, leur présente Jésus couronné d'épines : « Pilate sortit de nouveau, et dit aux Juifs : Voici que je vous l'amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucune cause de mort. » — S. AUG. Nous avons ici une preuve que ce ne fut pas à l'insu de Pilate que les soldats exercèrent ces actes de cruauté, soit qu'il les ait ordonnés, soit qu'il les ait simplement permis, pour le motif que nous avons indiqué plus haut, afin que ses ennemis pussent boire à longs traits ces sanglants outrages, et éteindre ainsi la soif qu'ils avaient de son sang, « Jésus sortit donc portant une couronne d'épines et un manteau d'écarlate. » Il parait, non pas dans l'éclat de la royauté, mais au milieu des opprobres dont il est rassasié. « Et Pilate leur dit : Voilà l'homme ; » c'est-à-dire, si vous portez envie au roi, épargnez du moins celui que vous voyez si profondément humilié, et que toute votre envie s'apaise et tombe devant cet excès d'ignominie.
S. AUG. ( Traité 116 sur S. Jean.) L'envieuse fureur des Juifs contre Jésus-Christ ne fait que s'enflammer et s'accroître encore davantage : « Les princes des prêtres et leurs satellites ne l'eurent pas plutôt vu, qu'ils crièrent : Crucifiez-le, crucifiez-le. » — S. CHRYS. (hom. 84 sur S. Jean.) Pilate, voyant l'inutilité de ses efforts, leur dit : « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le. » C'est le langage d'un homme qui manifeste son horreur pour une action, et qui semble engager à faire ce qu'il n'a pas voulu accorder ; car les Juifs ne lui avaient amené Jésus que pour qu'il fût condamné par le jugement du gouverneur lui-même ; or il arriva tout le contraire, c'est-à-dire qu'il est déclaré innocent au tribunal du gouverneur. C'est ce qu'il leur dit en propres termes : « Je ne trouve pas en lui de cause qui mérite la mort. » C'est-à-dire qu'il ne cesse de le justifier de toutes les accusations portées contre lui. Il est donc évident que ce n'est que pour satisfaire leur fureur qu'il a livré Jésus à ces premiers et sanglants outrages. Mais rien de tout cela ne fut capable d'émouvoir et de fléchir les Juifs, semblables à des chiens affamés. « Les Juifs lui répondirent : Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait Fils de Dieu. » — S. AUG. Voici un sujet d'envie plus grande encore. L'usurpation de la puissance royale, par des moyens illicites, n'était rien auprès du cette ambition sacrilège. Cependant Jésus ne s'était arrogé injustement ni l'un ni l'autre de ces titres, il les possède tous les deux en vérité, il est le Fils unique de Dieu, et Dieu l'a établi roi sur Sion, sa montagne sainte (Ps 2), et il lui serait facile de donner actuellement des preuves de cette double puissance, s'il ne préférait montrer que sa patience est d'autant plus grande que sa puissance est plus étendue. — S. CHRYS. Pendant qu'il est ainsi l'objet de leurs disputes, il accomplit cette prophétie : « Il n'a pas ouvert la bouche, et dans son humiliation son jugement a été supprimé. » — S. AUG. (De l'accord des Evang., 2, 8.) Cette accusation des Juifs peut se rattacher à celle que rapporte saint Luc : « Nous l'avons trouvé soulevant notre nation, » et à laquelle on peut ajouter : « Parce qu'il s'est fait Fils de Dieu. »
S. CHRYS. Pilate est effrayé de ce nouveau chef d'accusation ; il craint que ce qu'il vient d'entendre dire ne soit vrai, et qu'il ne s'expose à commettre une plus grande injustice : « Pilate ayant entendu ces paroles, dit l'Evangéliste, fut encore plus effrayé. » — BEDE. Pilate est effrayé, non point parce qu'il entend parler de la loi (puisqu'il était païen), mais parce qu'il craint de mettre à mort le Fils de Dieu. — S. CHRYS. Les Juifs, au contraire, n'eurent point horreur de ce qu'ils venaient de dire, et ils mettent à mort le Sauveur pour une cause qui aurait dû les faire tomber tous en adoration devant lui.
S. CHRYS. (hom. 84 sur S. Jean.) Pilate, saisi de crainte, adresse à Jésus une nouvelle question : « Et, étant rentré dans le prétoire, il dit à Jésus : D'où êtes-vous ? » Il ne lui demande plus : Qu'avez-vous fait ? Mais Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui avait entendu dire qu'il était né, et qu'il était venu pour rendre témoignage à la vérité, et que son royaume n'était pas de ce monde ; son devoir était donc de résister courageusement à ses ennemis, et de le délivrer ; mais au contraire il se laisse entraîner par les injustes fureurs des Juifs : Jésus ne lui fait donc aucune réponse, parce que les questions de Pilate n'étaient pas sérieuses. D'ailleurs ses œuvres lui rendaient un témoignage assez éclatant, et il ne voulait point triompher de ses accusateurs par ses discours et par l'habileté de ses moyens de défense pour montrer qu'il était venu volontairement pour souffrir.
S. AUG. Ce silence de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, dans plusieurs circonstances, est rapporté par tous les évangélistes. Jésus se tait, en effet, devant le prince des prêtres, devant Hérode et devant Pilate lui-même. Il accomplit ainsi pleinement cette prophétie : « Il est demeuré dans le silence, sans ouvrir la bouche, comme un agneau est muet devant celui qui le tond, » (Is 53) en ne répondant pas à ceux qui l'interrogent. Il a répondu, sans doute, à plusieurs des questions qui lui étaient faites, cependant la comparaison de l'agneau reste vraie pour les circonstances où il n'a pas voulu répondre ; ainsi sou silence est une preuve, non de sa culpabilité, mais de son innocence, et il a été devant ses juges, non comme un coupable convaincu de ses crimes, mais comme un innocent, immolé pour les péchés des autres.
S. CHRYS. Jésus, continuant de se taire, « Pilate lui dit : Vous ne me parlez pas, ignorez-vous donc que j'ai le pouvoir de vous crucifier et le pouvoir de vous délivrer ? » Voyez comme Pilate est lui-même ici son propre juge. En effet, si tout dépend de vous, pourquoi ne délivrez-vous pas celui en qui vous ne trouvez aucune cause de mort ? Après que Pilate eut ainsi prononcé sa propre condamnation, Jésus lui répondit : « Vous n'auriez sur moi aucun pouvoir, s'il ne vous était donné d'en haut. » Il lui apprend ainsi que les événements qui le concernent ne suivent pas la marche ordinaire des choses, et ne découlent pas de causes naturelles, mais de raisons secrètes et surnaturelles ; ne croyez pas cependant que le Sauveur justifie entièrement pour cela la conduite de Pilate : « C'est pourquoi, ajoute-t-il, celui qui m'a livré à vous est coupable, d'un plus grand péché. » Mais, me direz-vous, si ce pouvoir a été donné d'en haut, ni Pilate, ni les Juifs ne sont coupables d'aucun crime ? Vaine objection, car ce pouvoir lui a été donné dans ce sens qu'il lui a été accordé, c'est-à-dire que Dieu a permis tout ce qui arrivait, mais Pilate, et les Juifs n'en sont pas pour cela moins coupables.
S. AUG. Nôtre-Seigneur répond ici à la question qui lui était faite ; lors donc qu'il ne répondra pas, ce n'est ni par conscience de sa culpabilité, ni par artifice, mais parce qu'il est semblable à l'agneau, qui se tait devant ceux qui le tondent ; et, lorsqu'il croit devoir répondre, c'est pour enseigner, comme pasteur. Recueillons donc ici la leçon que Nôtre-Seigneur nous donne, et qu'il nous enseigne encore par son Apôtre : « Il n'y a point de puissance qui ne soit de Dieu ; » (Rm 13, 1) et celui qui, poussé par un noir sentiment d'envie, livre au pouvoir un innocent pour le faire mettre à mort, est plus coupable que le dépositaire du pouvoir lui-même qui condamne cet innocent, parce qu'il craint le pouvoir qui lui est supérieur. En effet, le pouvoir que Dieu avait donné à Pilate était subordonné à celui de César. C'est pour cela que Jésus lui dit : « Vous n'auriez sur moi aucun pouvoir (c'est-à-dire le moindre pouvoir tel que celui que vous avez), si ce pouvoir, quel qu'il soit, ne vous avait été donné d'en haut. » Mais comme je connais l'étendue de ce pouvoir (qui ne va pas jusqu'à être complètement indépendant), je déclare que a celui qui m'a livré entre vos mains est coupable d'un plus grand péché. » C'est par un sentiment d'envie qu'il m'a livré à votre pouvoir, tandis que c'est par un sentiment de crainte que vous exercez contre moi ce pouvoir. Jamais on ne doit sacrifier à la crainte la vie d'un innocent, mais c'est un bien plus grand crime de la sacrifier à l'envie. Aussi Nôtre-Seigneur ne dit pas : Celui qui m'a livré entre vos mains est coupable de péché (comme si Pilate lui-même ne l'était pas), mais : il est coupable d'un plus grand péché ; » paroles qui devaient faire comprendre à Pilate qu'il était loin d'être exempt de faute. — THEOPHYLACTE. « Celui qui m'a livré, » c'est-à-dire Judas, ou la foule. Devant cette réponse si claire de Jésus : « Si je ne me livrais moi-même, et si mon Père ne vous l'accordait, vous n'auriez sur moi aucun pouvoir, » Pilate fait de plus grands efforts pour délivrer Jésus. « De ce moment, Pilate cherchait à le délivrer. » — S. AUG. Lisez ce qui précède, et vous trouverez que déjà il avait cherché les moyens de mettre Jésus en liberté. L'expression : « Depuis lors, de ce moment, de là, » signifie : à cause de cela, pour ce motif, c'est-à-dire pour ne pas se rendre coupable de péché, en condamnant à mort un innocent qui était livré entre ses mains.
S. AUG. (Tr. 116 sur S. Jean.) Les Juifs s'imaginèrent qu'en menaçant Pilate de César, ils lui inspireraient une crainte plus grande encore, et qu'ils obtiendraient de lui la condamnation de Jésus plus efficacement que lorsqu'ils lui avaient dit : « Nous avons une loi, et selon notre loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait Fils de Dieu. » Mais les Juifs criaient : « Si vous le délivrez, vous n'êtes point ami de César, car quiconque se fait roi n'est pas ami de César. » — S. CHRYS. (Hom. 84 sur S. Jean.) Mais comment pouvez-vous prouver qu'il a voulu se faire roi ? Par la pourpre dont il était revêtu ? par son diadème ? par ses chars ? par ses soldats ? Est-ce qu'il ne marchait pas toujours seul avec ses douze disciples, ne se servant que de ce qu'il y avait de plus commun pour sa nourriture, pour son vêtement, pour son habitation ?
S. AUG. La crainte de la loi des Juifs n'avait eu aucune influence sur Pilate pour le déterminer à faire mourir Jésus-Christ ; il avait craint bien plus de livrer à la mort le Fils de Dieu. Mais il ne put se résoudre à ne pas tenir compte de César, de qui venait son pouvoir, comme il avait fait pour la loi d'un peuple étranger. Aussi, dit l'Evangéliste, « Pilate, ayant entendu ces paroles, fit amener Jésus dehors, et il s'assit sur son tribunal au lieu qui est appelé lithostrotos, on hébreu gabatha. » — S. CHRYS. Pilate quille les Juifs pour examiner plus sérieusement encore cette affaire, ce qu'indiquent ces paroles : « Il s'assit sur son tribunal. » — LA GLOSE. Le tribunal est pour les juges ce que le trône est pour les rois, ce que la chaire est pour les docteurs. — BEDE. Le mot lithostrotos, qui signifie terrain pavé de pierres, était un lieu élevé comme l'indique le mot hébreu.
C'était le jour de la préparation de la Pâque, vers la sixième heure. — ALCUIN. Le mot parasceve veut dire préparation. C'est le nom que l'on donnait au sixième jour de la semaine, parce que l'on préparait en ce jour ce qui était nécessaire pour le jour du sabbat, comme Dieu l'avait recommandé pour la manne : « Le sixième jour, vous en recueillerez le double. » (Ex 16) L'homme a été créé le sixième jour, et Dieu s'est reposé le septième, c'est pour cela que le Sauveur a voulu souffrir le sixième jour, et reposer le septième jour dans le sépulcre : « C'était vers la sixième heure. » — S. AUG. (Traité 117 sur S. Jean.) Pourquoi donc saint Marc rapporte-t-il que ce fut à la troisième heure qu'ils le crucifièrent ? C'est-à-dire, qu'il fut crucifié à la troisième heure par les langues des Juifs, et qu'il le fut à la sixième heure par les mains des soldats. Il nous faut donc comprendre que la cinquième heure était passée, et la sixième commencée lorsque Pilate s'assit sur son tribunal à la sixième heure, comme le dit saint Jean, et que cette sixième heure s'écoula tout entière, pendant le trajet du Calvaire, le crucifiement et les différentes circonstances qui se passèrent au pied de la croix. C'est depuis cette heure jusqu'à la neuvième que le soleil s'obscurcit, et que les ténèbres se répandirent sur toute la terre, comme l'affirment les trois évangélistes saint Matthieu, saint Marc et saint Luc. Mais comme les Juifs ont cherché à rejeter sur les Romains (c'est-à-dire sur Pilate et ses soldats), le crime d'avoir mis à mort Jésus-Christ, saint Marc passe sous silence l'heure à laquelle les soldats crucifièrent le Sauveur, et rappelle de préférence la troisième heure, pour nous faire comprendre que ce ne sont pas seulement les soldats qui l'ont crucifié, mais encore les Juifs qui ont demandé à grands cris, à la troisième heure, qu'il fût crucifié. On peut encore expliquer autrement celte difficulté en prenant cette sixième heure comme la sixième heure de la préparation et non la sixième heure du jour. En effet, saint Jean ne dit pas : C'était vers la sixième heure du jour, mais : « C'était vers la sixième heure de la préparation. » Le mot parascere signifie eu latin prœparatio, et, comme le dit l'Apôtre : « Jésus-Christ, notre Agneau pascal, a été immolé. » (1 Co 5) Or, si nous comptons la préparation de cette pâque, depuis la neuvième heure de la nuit, où les princes des prêtres prononcèrent l'arrêt de mort du Sauveur, en disant : « Il est digne de mort, » jusqu'à la troisième heure du jour, où l'évangéliste saint Marc rapporte qu'il fut crucifié, nous trouvons six heures, trois heures de nuit et trois heures de jour. — THEOPHYL. Il en est qui résolvent cette difficulté en rejetant cette variante sur la négligence d'un copiste parmi les Grecs, chez qui les lettres de l'alphabet font l'office de chiffres. En effet, la lettre grec appelée γάμμα qui est caractérisée par la γ, désigne la troisième heure, tandis qu'une autre lettre qui a quelque ressemblance avec la première, c'est-à-dire, la lettre ς, signifie la sixième heure. Or, il a pu très-bien arriver que, par la négligence des copistes, un de ces signes ait été employé pour l'autre.
S. CHRYS. Pilate était sorti sous le prétexte de procéder à un nouvel interrogatoire, mais au fond il n'en fait rien, et il abandonne Jésus aux Juifs, espérant les fléchir par cette condescendance : « Et il dit aux Juifs : Voilà votre roi. » — THEOPHYL. C'est-à-dire : Voilà cet homme que vous accusez de vouloir usurper la royauté ; dans cet étal d'humiliation, il ne peut rien entreprendre de semblable. — S. CHRYS. Tout ce que Pilate leur avait déjà dit devait suffire pour apaiser leur fureur, mais ils craignaient qu'une fois délivré, Jésus n'entraînât de nouveau la multitude après lui ; car l'ambition est pleine d'artifices, et elle est capable de conduire une âme à sa perte. Aussi les Juifs redoublent-ils leurs instances : « Mais eux criaient : Otez-le, ôtez-le du monde. » Ils s'efforcent de le faire mourir de la plus ignominieuse des morts, et c'est pour cela qu'ils ajoutent : « Crucifiez-le, » tant ils redoutent que sa renommée survive à sa mort. — S. AUG. Pilate cherche encore à surmonter la terreur que lui a inspiré le nom de César : « Pilate leur demanda : Crucifierai-je votre roi ? » Il veut fléchir par la considération de leur propre ignominie ceux qu'il n'a pu adoucir par le spectacle des ignominies de Jésus-Christ.
« Les pontifes répondirent : Nous n'avons de roi que César. » — S. CHRYS. Dieu ne les a livrés au châtiment que parce qu'ils l'avaient choisi de leur pleine volonté. Ils ont repoussé unanimement le règne de Dieu, et Dieu les a rendus victimes de leur propre jugement. Ils ont repoussé le règne de Jésus-Christ et ils ont appelé sur eux le règne de César.
S. AUG. Enfin Pilate se laisse vaincre par la crainte : « Alors, il le leur livra pour être crucifié. » Il aurait paru, en effet, se déclarer ouvertement contre César en persistant à vouloir donner un autre roi à ceux qui déclaraient n'avoir d'autre roi que César, et en accordant l'impunité à celui dont ils lui demandaient la mort parce qu'il avait osé aspirer à la royauté. L'Evangéliste ne dit pas : Il le leur livra pour qu'ils le crucifiassent, mais : « Afin qu'il fût crucifié, » en vertu du jugement et du pouvoir du gouverneur. Mais il dit positivement que Jésus leur fut livré pour montrer qu'ils étaient étroitement associés au crime dont ils s'efforçaient d'éloigner d'eux le soupçon ; car jamais Pilate ne serait arrivé à cette extrémité s'il n'avait voulu en cela satisfaire leurs plus vifs désirs.
LA GLOSE. Sur l'ordre qui leur fut donné par le gouverneur, les soldats se saisirent de Jésus pour le crucifier : « Ils prirent donc Jésus et remmenèrent. » — S. AUG. (Traité 110 sur S. Jean.) On peut entendre ici que ce furent les soldais qui faisaient partie de la garde du gouverneur, car plus bas l'Evangéliste s'exprime sans ambiguïté : « Lorsque les soldats l'eurent crucifié. » Mais quand il attribuerait exclusivement aux Juifs l'exécution tout entière du crime, ce ne serait que justice, car ils sont véritablement les auteurs de la condamnation qu'ils ont arrachée à Pilate.
S. CHRYS. (Hom. 83 sur S. Jean.) Mais comme aux yeux des Juifs le bois de la croix était un bois souillé qu'ils évitaient avec soin et qu'ils n'auraient jamais consenti à toucher, ils en chargèrent Jésus lui-même comme un criminel condamné à mort : « Et portant sa croix, » etc. C'est ce qui déjà avait eu lieu dans celui qui était la figure du Sauveur, Isaac, qui avait porté lui-même le bois de son sacrifice : mais alors le sacrifice figuratif ne s'accomplit que dans la volonté du père, tandis qu'il dut s'accomplir ici en réalité, parce que c'était la vérité. — THEOPHYL. De même qu'Isaac fut délivré et qu'un bélier fut immolé en sa place, de même la nature divine demeure ici impassible, et il n'y a eu d'immolé que l'humanité, qui fait comparer le Sauveur à un bélier, comme étant le fils d'Adam, semblable à un bélier qui s'est égaré. Mais comment expliquer ce que dit un autre évangéliste, qu'ils forcèrent Simon de porter la croix ? — S. AUG. (De l'accord des Evang., 3, 10.) Les deux choses se sont faites successivement, d'abord ce que dit saint Jean, et ensuite ce que rapportent les trois autres évangélistes ; il faut donc admettre qu'il portait lui-même sa croix au moment où il se dirigeait vers le lieu du Calvaire.
S. AUG. (Trait. 117 sur S. Jean.) Quel grand spectacle ! Mais aux yeux de l'impiété, quel immense sujet de moquerie ! aux yeux de la piété, quel grand et touchant mystère ! L'impiété tourne en dérision ce Roi qu'elle voit, au lieu de sceptre, porter le bois de son supplice ; la piété contemple ce Roi qui porte cette croix où il devait se clouer lui-même avant de la placer sur le front des rois. Cette croix le rendra un objet de mépris pour les impies, mais les cœurs des saints y placeront toute leur gloire. Il relève donc, la croix en la portant sur ses épaules, et il portait ainsi le chandelier de cette lampe qui devait répandre sa lumière et ne point demeurer sous le boisseau. — S. CHRYS. Semblable aux triomphateurs, il portait sur ses épaules le signe de sa victoire.
Il en est qui prétendent qu'Adam est mort et enseveli dans cet endroit qui est appelé Calvaire, et que Jésus avait voulu établir le trophée de sa victoire là où la mort avait inauguré son règne. — S. JER. (Sur S. Matth.) Cette opinion flatte agréablement l'esprit du peuple, mais elle est dénuée de vérité. Car, c'est hors de la ville et au delà des portes que l'on tranchait la tête à ceux que l'on condamnait à mort, d'où ce lieu a pris le nom de Calvaire (ou lieu de ceux qui sont décapités). Quant à Adam, nous lisons dans le livre de Josué, fils de Navé, qu'il a été enseveli entre Ebron et Arbée.
S. CHRYS. Or, ils le crucifièrent avec des voleurs, dit l'Evangéliste : « Ils le crucifièrent, et avec lui deux antres, un de chaque côté, et Jésus au milieu, » accomplissant ainsi malgré eux la prophétie d'Isaïe : « Il a été mis au nombre des scélérats ; » (Is 53) et c'est que ce qu'ils faisaient pour l'outrager servait au triomphe de la vérité. Le démon voulait obscurcir l'éclat de cette mort, mais il ne put y parvenir. Il y avait trois crucifiés, mais personne n'attribua à un autre qu'à Jésus les miracles qui se firent. Tous les efforts du démon furent donc inutiles ; et, loin d'obscurcir sa gloire, il la fit briller d'un plus vif éclat, car le miracle que fit Jésus en convertissant un des voleurs et en lui ouvrant les portes du ciel est bien plus grand que celui d'ébranler et de fendre les rochers.
S. AUG. (Trait. 31 sur S. Jean, vers la fin.) Cependant, si vous voulez y faire attention, la croix de Jésus fut un tribunal ; le juge était placé au milieu de deux criminels : l'un des deux crut et fut sauvé ; l'autre insulta son juge et fut condamné. Il commençait à faire dès lors ce qu'il doit accomplir un jour à l'égard des vivants et des morts, en plaçant les uns à sa droite et les autres à sa gauche.
S. CHRYS. (Hom. 84 sur S. Jean.) De même que l'on met sur les trophées des inscriptions qui rappellent les victoires des triomphateurs, ainsi Pilate place une inscription sur la croix de Jésus : « Pilate fil aussi une inscription qu'il fit mettre au haut de la croix. » Il veut par là prendre la défense de Jésus-Christ et séparer sa cause de celle des voleurs, et tout à la fois se venger des Juifs, en faisant ainsi connaître publiquement l'excès de leur malice, qui les a portés à s'élever contre leur propre roi : « Il y était écrit : Jésus de Nazareth, roi des Juifs. » — BEDE. Il était ainsi démontré que le règne de Jésus-Christ, loin d'être détruit comme le pensaient les Juifs, était bien plutôt affermi. — S. AUG. (Traité 118 sur S. Jean.) Mais est-ce que Jésus est seulement le roi des Juifs ? a'est-il pas aussi le roi des Gentils ? Oui sans doute, il l'est aussi des Gentils, car après avoir dit par la bouche du prophète : « J'ai été établi roi par lui sur Sion, sa montagne sainte, » il ajoute : « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage. » (Ps 20) Il nous faut donc voir dans cette inscription un grand mystère, c'est-à-dire, que l'olivier sauvage a pris part à la sève et au suc de l'olivier (Rm 11, 17), et que ce n'est pas l'olivier franc qui a pris part à l'amertume de l'olivier sauvage. Jésus-Christ est donc le roi des Juifs, mais des Juifs circoncis de cœur plutôt qu'extérieurement, de cette circoncision qui se fait par l'esprit, et non par la lettre.
« Beaucoup de Juifs lurent cette inscription, parce que le lieu où Jésus fut crucifié était près de la ville. » — S. CHRYS. Il est vraisemblable qu'un grand nombre de Gentils s'étaient rendus avec les Juifs à Jérusalem pour la fête de Pâque, et afin que tous pussent lire cette inscription, elle fut écrite non dans une seule langue, mais dans trois langues différentes : « Elle était écrite en hébreu, en grec et en latin. »
— S. AUG. Ces trois langues étaient alors les plus répandues : la langue hébraïque, qui était celle des justes, qui se glorifiaient de leur loi ; la langue grecque, celle des sages parmi les païens ; la langue latine, qui était celle des Romains, dont la domination s'étendait alors sur presque toutes les nations de la terre. — THEOPHYL. Cette inscription en trois langues signifiait que le Christ était le roi des trois sciences, la science pratique, la physique et la théologie. La langue latine figure la science pratique, les Romains ayant déployé, dans leurs expéditions, une puissance et une habileté sans égale ; la langue grecque est le symbole de la science physique, parce qu'en effet les Grecs ont consacré tous leurs efforts à la découverte des phénomènes de la nature ; enfin la langue hébraïque signifie la théologie, parce que c'est aux Juifs qu'a été confiée la connaissance des choses divines.
S. CHRYS. L'envie des Juifs poursuit Jésus-Christ jusque sur la croix : « Les princes des prêtres dirent donc à Pilate : N'écrivez point : Le roi des Juifs ; mais qu'il s'est dit roi des Juifs. » Car cette inscription semble affirmer la proposition qu'elle exprime ; mais si l'on ajoute : Qu'il s'est dit roi des Juifs, on y verra une preuve de son audacieuse et criminelle ambition. Mais Pilate persévère dans son premier dessein : « Pilate répondit : Ce qui est écrit est écrit. » — S. AUG. O puissance ineffable de l'action de Dieu jusque dans les cœurs de ceux qui la méconnaissent ! Ne semble-t-il pas qu'une voix secrète, un silence qui avait son éloquence faisait retentir aux oreilles de son âme ce qui avait été prédit si longtemps auparavant dans le livre des Psaumes : « Ne changez pas l'inscription du titre ? » Mais que dites-vous, prêtres insensés ! Cette inscription cessera-t-elle d'être vraie, parce que Jésus a dit : « Je suis roi des Juifs ? » Si l'on ne peut changer ce que Pilate a écrit, pourra-t-on changer ce qui est affirmé par la vérité elle-même ? Pilate a écrit ce qu'il a écrit, parce que le Seigneur a véritablement dit ce qu'il a dit.
S. AUG. (Traité 118 sur S. Jean.) Sur le jugement rendu par Pilate, les soldats placés sous ses ordres crucifièrent Jésus, comme le dit l'Evangéliste : « Les soldats, après avoir crucifié Jésus, » etc. Et cependant si nous considérons les intentions, si nous prêtons l'oreille aux cris qui se font entendre, ce sont bien plutôt les Juifs qui l'ont crucifié. Les trois autres évangélistes ont raconté plus succinctement ce fait et le tirage au sort des vêlements du Sauveur, tandis que saint Jean entre ici dans de plus grands détails : « Ils prirent ses vêtements et ils en firent quatre parts, » etc. On voit par là que ce furent quatre soldats qui crucifièrent Jésus par les ordres de Pilate : « Et sa tunique ; » sous-entendez : « Ils prirent » pour donner à la phrase ce sens : « Ils prirent aussi sa tunique. » L'Evangéliste s'exprime de la sorte pour nous faire comprendre que les soldats partagèrent les autres vêtements sans les tirer au sort, ce qu'ils ne firent que pour la tunique, qu'ils prirent avec ses autres vêtements sans la partager. « Et cette tunique, poursuit-il, était sans couture, d'un seul tissu depuis le liant jusqu'en bas. » — S. CHRYS. (hom. 85 sur S. Jean.) Saint Jean nous fait ici une description de la tunique du Sauveur, et comme c'est l'usage dans la Palestine de faire les vêtements avec deux morceaux d'étoffe que l'on réunit ensemble, il veut nous montrer que telle était la tunique de Jésus, pour nous faire comprendre indirectement la pauvreté de ses vêtements. — THEOPHYL. D'autres disent que dans la Palestine on tisse la toile non comme chez nous en mettant le tissu au-dessous et la chaîne au-dessus de manière que le tissu se dirige vers le haut, mais dans un sens tout contraire.
S. AUG. L'Evangéliste nous apprend ensuite pourquoi cette tunique fut tirée au sort : « Ils se dirent donc entre eux : Ne la divisons point, » etc. Ils avaient donc divisé en parties égales les autres vêtements, ce qui avait rendu superflu le tirage au sort ; mais pour cette tunique, ils ne pouvaient en avoir chacun une partie qu'en la coupant en quatre lambeaux qui leur eussent été complètement inutiles. Pour éviter cet inconvénient, ils aimèrent mieux que le sort la rendît la part d'un seul. Les oracles des prophètes viennent rendre ici témoignage au récit évangélique : « Afin que s'accomplît cette parole de l'Ecriture : Ils se sont partagé mes vêtements, » etc. — S. CHRYS. Voyez quelle précision dans sa prophétie ; le Prophète ne prédit pas seulement ce que les soldats ont partagé, mais ce qui n'a pu être l'objet d'un partage, en effet, ils ont partagé les vêtements, mais ils ont tiré au sort la tunique qu'ils n'ont pas voulu diviser.
S. AUG. Le récit de saint Matthieu ainsi conçu : « Ils se partagèrent ses vêtements en les tirant au sort, » a voulu nous faire entendre que ce partage s'étendit à tous les vêtements et à la tunique elle-même qu'ils tirèrent au sort. Saint Luc s'exprime en termes à peu près semblables : « Partageant ensuite ses vêtements, ils les jetèrent au sort, » c'est-à-dire qu'en partageant ses vêtements, ils en vinrent à la tunique qu'ils tirèrent au sort. Saint Luc a mis le mot sort au pluriel sortes pour le singulier sortem. Le récit du saint Marc, seul paraît faire quelque difficulté : « Ils se partagèrent ses vêtements, les tirant au sort, pour savoir ce que chacun en emporterait. » Il semble par là qu'ils aient tiré au sort la totalité des vêtements, et non la tunique seule ; mais cette ambiguïté n'est due qu'à la concision du récit. Ces paroles : « Les tirant au sort » équivalent à celles-ci : « Les tirant au sort au moment du partage. » Il ajoute : « Pour savoir ce que chacun en emporterait, » c'est-à-dire, pour savoir qui emporterait sa tunique, et le sens complet de la phrase serait celui-ci : « Ils tirèrent ses vêtements au sort pour savoir qui emporterait sa tunique qui restait après le partage égal des autres vêtements. Les vêtements du Sauveur partagés en quatre parts représentent l'universalité de l'Eglise qui s'étend aux quatre parties du monde, et qui se trouve également répandue dans chacune d'elles. La tunique tirée au sort figure l'unité de toutes les parties unies entre elles par le lien de la charité. Mais si la charité nous ouvre une voie plus excellente (1 Co 12), si elle est supérieure à la science (Ep 3), si elle est le premier de tous les commandements selon ces paroles de saint Paul : « Par-dessus tout ayez la charité, » (Col 3) c'est avec raison que le vêlement qui fin est le symbole est d'un seul tissu depuis le haut jusqu'en bas. L'Evangéliste ajoute : « Jusqu'en bas, » car il faut nécessairement avoir la charité pour appartenir à ce grand tout qui s'appelle l'Eglise catholique. Elle est sans couture pour qu'elle ne puisse se séparer, et elle devient la possession d'un seul, parce qu'elle ramène tous les hommes à l'unité. Le tirage au sort est une figure de la grâce de Dieu, car lorsqu'on règle une chose par le sort on ne tient compte ni de la qualité des personnes ni de leurs mérites, mais on laisse la décision aux dispositions secrètes des jugements de Dieu.
S. CHRYS. Ou bien encore, selon l'interprétation de quelques-uns, cette tunique sans couture, d'un seul tissu dans toute son étendue, figure dans le sens allégorique que ce n'est pas seulement un homme mais un Dieu qui est crucifié.
THEOPHYL. On peut dire encore que cette tunique sans couture est la figure du corps de Jésus-Christ qui est comme tissu dans sa partie supérieure, car l'Esprit saint est survenu dans la Vierge Marie ; et la vertu du Très-Haut l'a couverte de son ombre. Le très-saint corps de Jésus-Christ est donc indivisible ; car bien qu'il soit distribué à tous pour sanctifier l'âme et le corps de chaque fidèle, cependant il est dans tous en entier et d'une manière indivisible. Comme le monde visible est composé de quatre éléments, on peut voir dans les vêtements du Sauveur partagés en quatre parties égales les créatures visibles que les démons se partagent entre eux, toutes les fois qu'ils mettent à mort le Verbe de Dieu qui habite en nous, et qu'ils s'efforcent de nous entraîner dans leur malheureux sort par les charmes trompeurs des plaisirs du monde.
S. AUG. De ce que cette action est accomplie par des hommes pervers, il ne s'ensuit pas qu'elle ne puisse être la figure d'une bonne chose, car alors que dirons-nous de la croix elle-même qui a été préparée par les impies ? Et cependant nous y voyons figurées ces dimensions mystérieuses dont parle l'Apôtre, c'est-à-dire, « la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur. » (Ep 3, 18.) La largeur est dans le bois transversal sur lequel les bras du crucifié sont étendus, elle figure les bonnes oeuvres qui s'accomplissent dans toute l'expansion de la charité. La longueur est dans la partie qui descend jusqu'à terre et signifie la persévérance qui est égale à la longueur du temps. La hauteur est dans le sommet qui s'élève au-dessus de la partie transversale ; elle figure la fin surnaturelle à laquelle nous devons rapporter toutes nos oeuvres. La profondeur enfin est dans la partie qui s'enfonce dans la terre ; cette partie est cachée, c'est elle cependant qui soutient toutes les parties apparentes de la croix ; c'est ainsi que le principe de toutes nos bonnes oeuvres sort des profondeurs de la grâce de Dieu que personne ne peut comprendre. Mais quand même la croix de Jésus-Christ ne figurerait autre chose que ce que l'apôtre saint Paul exprime en ces termes : « Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses passions ni ses désirs déréglés ; » (Ga 5, 24) quel grand bien ce serait déjà ! Enfin qu'est-ce que le signe de Jésus-Christ, si ce n'est sa croix ? Si on n'imprime ce signe sur les fronts des fidèles, si on ne le trace sur l'eau qui les régénère, sur l'huile du chrême qui sert à l'onction sainte, sur le sacrifice qui les nourrit, aucun de ces sacrements n'est administré suivant les règles de leur institution divine.
THEOPHYL. Pendant que les soldats s'occupaient de leurs misérables intérêts, Jésus étendait sa sollicitude sur sa sainte Mère : « Voilà ce que firent les soldats. Cependant, debout près de la croix de Jésus était sa mère, » etc. — S. AMBR. (Lettre à l'Eglise de Verceil.) Marie, mère de Jésus se tenait debout au pied de la croix de son Fils, saint Jean est le seul qui nous apprenne cette circonstance. Les autres évangélistes ont décrit le monde ébranlé au moment où le Sauveur fut crucifié, le ciel couvert de ténèbres, le soleil refusant sa lumière, le ciel ouvert au bon larron pieusement repentant. Mais saint Jean nous apprend ce dont les autres n'ont point parlé, les paroles qu'il a, du haut de la croix, adressées à sa mère. Il a estimé qu'il était plus merveilleux que Jésus triomphant de ses douleurs ait donné à sa mère ce témoignage de tendresse, que d'avoir fait don du ciel au bon larron ; car si la grâce qu'il accorde au bon larron est une preuve de sa miséricorde, cet hommage public d'affection extraordinaire que le Fils rend à sa mère témoigne une piété filiale bien plus grande et plus admirable. « Femme, lui dit-il, voilà votre Fils, » et au disciple : « Voilà votre mère. » Jésus-Christ testait du haut de la croix, et son affection se partageait entre sa mère et son disciple. Le Sauveur faisait alors non-seulement son testament pour tous les hommes, mais son testament particulier et domestique, et ce testament recevait la signature de Jean, digue témoin d'un si grand testateur. Testament qui avait pour objet, non une somme d'argent, mais la vie éternelle, qui n'était point écrit avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant (2 Co 3) : « Ma langue, disait le Psalmiste, est comme la plume de l'écrivain qui écrit très-vite. » (Ps 44) Il ne convenait pas non plus que Marie fût au-dessous de ce qu'exigeait la dignité de mère de Dieu ; aussi tandis que les Apôtres ont pris la fuite, elle se tient debout au pied de la croix, elle jette des regards pieusement attendris sur les blessures de son Fils, parce qu'elle considère non la mort de ce Fils chéri, mais le salut du monde. Ou bien encore, comme elle savait que la mort de son Fils devait être la rédemption du monde, elle croyait en formant ainsi la cour de ce divin Fils ajouter par sa propre mort au sacrifice qu'il offrait pour tous les hommes : mais Jésus n'avait pas besoin qu'on vînt lui prêter secours pour la rédemption du monde, lui qui a sauvé tous les hommes sans le secours de personne ; ce qui lui fait dire par la bouche du Roi-prophète : « J'ai été comme un homme sans aide, libre entre les morts. » (Ps 87) Il accepte le témoignage d'affection de sa mère, mais il n'implore le secours d'aucune créature. Mères pieuses, imitez cette Vierge sainte qui dans la mort de son Fils unique et bien-aimé vous donne un si grand exemple de vertu maternelle ; car jamais vous n'avez eu des enfants plus chéris, et cette divine Vierge ne pouvait avoir, comme vous, l'espérance de donner le jour à un autre fils.
S. JER. (Contre Helvid.) Cette Marie qui est appelée dans saint Marc et dans saint Matthieu la mère de Jacques et de Joseph, fut l'épouse d'Alphée et la sœur de Marie, mère du Seigneur. Saint Jean l'appelle Marie de Cléophas, nom qui lui vient soit de son père, soit de sa famille, soit de quelque autre cause. Si vous étiez tenté de croire que Marie, mère de Jacques le Mineur, et celle qui est ici appelée Marie de Cléophas sont deux personnes différentes, il faut vous rappeler que la coutume de l'Ecriture est de donner différents noms à une seule et même personne. — S. CHRYS. Remarquez ici que c'est le sexe le plus faible qui fit paraître le plus de courage ; les femmes restent au pied de la croix pendant que les disciples se sont enfuis.
S. AUG. (De l'acc. des Evang., 3, 21.) Si saint Matthieu et saint Luc n'avaient pas désigné nominativement Marie-Madeleine, nous aurions pu dire que parmi ces femmes les unes s'étaient tenues près de la croix, et les autres plus éloignées, car saint Jean seul fait ici mention de la mère du Sauveur. Mais comment entendre que la même Marie-Madeleine s'est tenue loin de la croix (comme le rapportent saint Matthieu et saint Luc) et qu'elle fût au pied de la croix, suivant le récit de saint Jean ? Il faut dire que malgré l'intervalle qui les séparait de la croix, on pouvait dire qu'elles en étaient rapprochées, parce qu'elles en étaient à portée, et en même temps qu'elles ni étaient loin en comparaison de la foule qui en était plus rapprocher avec le centurion et les soldats. On peut encore admettre que les pieuses femmes qui étaient présentes avec la mère du Seigneur s'éloignèrent de la croix après que Jésus eut recommandé sa mère à son disciple, pour se dégager de la multitude qui les entourait, et considérer de plus loin le spectacle qu'elles avaient sous les yeux, ce qui fit dire aux autres évangélistes qui ne parlent d'elles qu'après la mort du Sauveur qu'elles se tenaient loin de la croix. Qu'importe d'ailleurs à la vérité du récit que tous les évangélistes donnent les noms de quelques-unes de ces femmes, et que chaque évangéliste fasse mention spéciale de quelques autres ?
S. CHRYS. D'autres femmes aussi se tenaient près de la croix, et le Sauveur paraît ne faire attention qu'à sa mère, nous apprenant ainsi que nos mères ont droit à des égards plus particuliers. Lorsque nos parents cherchent à s'opposer à nos intérêts spirituels, nous ne devons pas même les connaître ; mais aussi lorsqu'ils n'y mettent aucun obstacle, nous devons leur donner de préférence aux autres tous les témoignages d'affection qu'ils peuvent désirer. C'est ce que fait Jésus. « Jésus ayant donc vu sa mère, et près d'elle le disciple qu'il aimait, il dit à sa mère : Femme, voilà votre Fils. » — BEDE. Saint Jean se donne à connaître par l'affection que Jésus avait pour lui, non pas sans doute qu'il en fût aimé à l'exclusion des autres, mais parce qu'il était l'objet d'une affection plus particulière qu'il devait à sa virginité. En effet, il était vierge lorsqu'il fut appelé par Jésus, et il demeura vierge toute sa vie.
S. CHRYS. Quel magnifique témoignage d'honneur le Seigneur donne à son disciple ! Mais une sage modestie lui fait garder le silence sur cet honneur dont il est l'objet. Si en effet il avait voulu s'en prévaloir, il eût fait connaître le motif de l'affection que Jésus avait pour lui, motif qui devait se rattacher à une cause d'un ordre supérieur. Le Sauveur ne dit rien autre chose à saint Jean ; il ne le console pas dans sa tristesse, parce que ce n'était pas le temps de faire de longs discours de consolation. Sa mère reçoit de lui une marque d'honneur non moins remarquable. Dans la tristesse profonde où elle était plongée, il fallait lui chercher un appui et un soutien pour remplacer Jésus, qui allait la quitter ; il la confie donc lui-même à son disciple, afin qu'il en prenne soin ; « Ensuite il dit à son disciple : Voici votre mère. » — S. AUG. (Traité 119 sur S. Jean.) C'était l'heure dont Jésus, avant de changer l'eau eu vin, avait dit à sa mère : « Femme, qu'y a-t-il entre vous et moi ? Mon heure n'est pas encore venue. » Au moment de faire une œuvre toute divine, il semble repousser comme lui étant inconnue la mère, non pas de sa divinité, mais de son humanité ou de son infirmité. Maintenant, au contraire qu'il endure des souffrances propres à la nature humaine, il recommande celle dans le sein de laquelle il s'est fait homme avec l'affection qu'inspiré la nature. Il nous donne ainsi un enseignement d'une haute moralité ; il nous apprend par son exemple, comme un bon maître, les tendres soins que la piété filiale doit inspirer aux enfants pour leurs parents ; et le bois où sont cloués les membres du Sauveur mourant a été aussi comme la chaire du haut de laquelle le divin Maître nous a enseigné.
S. CHRYS. C'est ainsi qu'il confond l'impudente erreur de Marcion. Si, en effet, il n'est point né selon la chair, il n'a pas eu de mère, alors pourquoi cette sollicitude extraordinaire dont elle est l'objet ? Considérez encore comment, au moment où il est crucifié, Jésus fait tout avec le plus grand calme : il confie sa mère à son disciple, il accomplit les prophéties, il donne l'espérance du ciel au bon larron. Au contraire, avant son crucifiement, son âme paraît en proie au trouble. Il donnait ainsi la preuve, d'un côté de la faiblesse de la nature humaine, de l'autre de la force supérieure de son âme. Il nous apprend ainsi à ne point nous laisser abattre, si au milieu des adversités le trouble vient à s'emparer de notre âme, et lorsque nous serons entrés dans la lice à supporter toutes les épreuves comme faciles et légères.
S. AUG. En quittant sa mère, il prenait soin de lui laisser en quelque sorte un autre fils, et saint Jean nous fait connaître la raison de cette conduite dans les paroles suivantes : « Dès ce moment le disciple la reçut chez lui. » (In sua.) Mais quel est ce « chez lui » dans lequel Jean reçut la mère du Sauveur ? Est-ce qu'il n'était pas du nombre de ceux qui avaient dit : « Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre ? » Il la reçut donc chez lui, non pas dans ses propriétés, parce qu'il n'en avait pas, mais dans son affection, qui le portait à prodiguer à la mère de Jésus tous les offices personnels. — BEDE. Une autre version porte : « Le disciple la reçut comme sienne ; » (in suam) quelques-uns disent comme étant sa mère, mais il est plus naturel de sous-entendre le mot curam, il la reçut pour être l'objet de sa sollicitude.
S. AUG. (Traité 119 sur S. Jean.) L'homme qui apparaissait aux regards endurait toutes les souffrances qui étaient réglées par le Dieu qui demeurait caché. « Après cela, Jésus sachant que toutes choses étaient accomplies, afin que l'Ecriture, » c'est-à-dire cette prédiction de l'Ecriture : « Et dans ma soif, ils m'ont abreuvé de vinaigre, » (Ps 68) reçût aussi son accomplissement, il dit : « J'ai soif. » Il semble dire par là aux Juifs : Vous avez oublié ce dernier trait, donnez-moi ce que vous êtes. Les Juifs étaient en effet un vinaigre dégénéré du vin des patriarches et des prophètes. Or, il y avait là un vase plein de vinaigre, c'est-à-dire que les Juifs, dont le cœur, semblable à une éponge, renfermait mille cavités tortueuses comme autant de repaires de malice, puisèrent à plein vase et remplirent leur cœur de l'iniquité du monde : « Les soldats remplirent une éponge de vinaigre, et, l'environnant d'hysope, la lui présentèrent à la bouche. » — S. CHRYS. (Hom. 85 sur S. Jean.) Le spectacle qu'ils avaient sous les yeux, loin de les adoucir, ne fit qu'augmenter leur cruauté, et pour étancher sa soif, ils lui donnent le breuvage des condamnés, c'est pour cela qu'ils font usage d'hysope.
S. AUG. L'hysope dont ils entourent l'éponge est une petite plante qui a une vertu purgative ; elle représente justement l'humilité de Jésus-Christ qu'ils entourèrent de leurs criminelles intrigues et qu'ils crurent avoir circonvenue ; car c'est l'humilité de Jésus-Christ qui nous purifie. Il ne faut pas s'étonner qu'ils aient pu approcher une éponge de la bouche de Jésus qui, sur la croix, était élevé bien au-dessus de la terre, car d'après les autres évangélistes qui nous rapportent cette circonstance, que celui-ci passe sous silence, ils le firent à l'aide d'un roseau, afin que le breuvage contenu dans l'éponge pût arriver à la hauteur de la croix. — THEOPHYL. Il en est qui pensent que ce roseau fut tout simplement l'hysope, parce que cette plante a des branches qui ressemblent au roseau.
« Jésus ayant donc pris le vinaigre dit : Tout est accompli. » Qu'est-ce qui est accompli ? Ce que les prophètes avaient prédit si longtemps auparavant. — BEDE. Mais comment concilier ce que dit ici saint Jean : « Après qu'il eut pris ce vinaigre, » avec ce que rapporte un autre Evangéliste : « Qu'il n'en voulut point boire ? » Cette difficulté est facile à résoudre. Jésus prit le vinaigre non pour le boire, mais pour accomplir ce qui était écrit. — S. AUG. Et comme il ne restait plus rien de ce qui devait s'accomplir avant sa mort, l'Evangéliste ajoute : « Et baissant la tête, il rendit l'esprit, » après avoir fait toutes les choses dont il attendait l'accomplissement pour mourir, agissant en tout comme celui qui avait le pouvoir de donner sa vie et le pouvoir de la reprendre. — S. GREG. (Moral., 11, 3.) L'esprit est mis ici pour l'âme, car si par esprit l’Evangéliste entendait autre chose que l'âme, il s'en suivrait que l'âme serait restée après le départ de l'esprit. — S. CHRYS. Ce n'est point parce qu'il expire qu'il baisse la tête, mais c'est après qu'il a baissé la tête qu'il expire, et l'Evangéliste veut nous montrer par toutes ces circonstances que Jésus est le maître de toutes choses. — S. AUG. Quel autre s'endort si précisément quand il veut comme Jésus est mort au moment qu'il a voulu ? Quelle espérance, mais aussi quelle crainte doit inspirer la puissance qu'il fera éclater au jour du jugement, alors que celle qu'il manifeste en mourant est déjà si grande ? — THEOPHYL. Le Sauveur remet sou esprit a Dieu et à son Père, pour nous apprendre que les âmes des saints ne restent point dans les tombeaux, mais qu'elles reviennent dans les mains du Père de tous les hommes, tandis que les âmes des pécheurs sont envoyées dans un lieu de supplices, c'est-à-dire dans l'enfer.
S. CHRYS. (Hom. 85 sur S. Jean.) Les Juifs, qui ne craignaient pas d'avaler le chameau et rejetaient le moucheron, après avoir audacieusement consommé un si grand attentat, manifestent des scrupules, des inquiétudes au sujet du jour du sabbat. « Les Juifs, de peur que les corps ne demeurassent sur la croix le jour du sabbat, » etc. — BEDE. Le mot parasceve, qui veut dire préparation, indique ici le sixième jour de la semaine, et on lui donnait ce nom parce qu'en ce jour, les Israélites devaient préparer une double provision d'aliments ; parce que le lendemain était le grand jour du sabbat, à cause de la grande solennité de Pâque. — S. AUG. (Traité 120 sur S. Jean.) Ce ne sont point les jambes des suppliciés qui devaient être enlevées, mais ceux à qui on les brisait pour les faire mourir devaient être détachées de la croix pour ne point profaner ce grand jour de fête par le spectacle de leur supplice prolongé sur la croix. — théophyl. D'ailleurs la loi défendait que le supplice d'un homme condamné à mort se prolongent au delà du coucher du soleil. Peut-être aussi ne voulurent-ils pas être regardés comme des bourreaux ou des homicides dans ce jour de fête.
S. CHRYS. Voyez ici combien est grande la force de la vérité ; les Juifs eux-mêmes, par leurs efforts, concourent à l'accomplissement des prophéties : « Il vint donc des soldats qui rompirent les jambes au premier, et de même à l'autre qu'on avait crucifié avec lui. Puis étant venu à Jésus, et voyant qu'il était déjà mort, ils ne lui rompirent point les jambes ; mais un des soldats lui ouvrit le côté avec une lance. » — THEOPHYL. Pour complaire aux Juifs, les soldats percent de leur lance le corps de Jésus-Christ et poursuivent de leurs outrages ce corps même inanimé ; mais cet outrage donne lieu à un miracle éclatant, car n'est-ce pas un véritable miracle que le sang coule d'un corps privé de la vie ? — S. AUG. L'Evangéliste se sert ici d'une expression choisie à dessein ; il ne dit pas il frappa ou il blessa son côté, mais il ouvrit son côte avec une lance, pour nous apprendre qu'il ouvrait ainsi la porte de la vie d'où sont sortis les sacrements de l'Eglise, sans lesquels on ne peut avoir d'accès à la véritable vie. « Et il en sortit aussitôt du sang et de l'eau. » Ce sang a été répandu pour la rémission des péchés, cette eau vient se mêler pour nous au breuvage du salut ; elle est à la fois un bain qui purifie et une boisson rafraîchissante. Nous voyons une figure de ce mystère dans l'ordre donné à Noé d'ouvrir sur un des côtés de l'arche une porte par où pussent entrer les animaux qui devaient échapper au déluge, et qui représentaient l'Eglise, (Gn 6, 16) C'est en vue du même mystère que la première femme fut faite d'une des côtes d'Adam pendant son sommeil (Gn 2, 22), et nous voyons ici le second Adam s'endormir sur la croix après avoir incliné la tête pour qu'une épouse aussi lui fût formée par ce sang et cette eau qui coulèrent de son côté après sa mort. O mort qui devient pour les morts un principe de résurrection et de vie ! Quoi de plus pur que ce sang ? Quoi de plus salutaire que cette blessure ? — S. CHRYS. C'est donc de ce côté ouvert que nos saints mystères tirent leur origine ; lors donc que vous approchez de l'autel pour boire ce calice redoutable, approchez dans les mêmes dispositions que si vous deviez appliquer vos lèvres sur le côté même de Jésus-Christ. — THEOPHYL. Ceux qui refusent de mêler l'eau avec le vin dans la célébration des saints mystères trouvent donc ici leur condamnation, car ils paraissent ne pas croire que l'eau ait coulé du côté du Sauveur. Essaiera-t-on de dire qu'il restait encore un léger principe de vie dans le corps de Jésus, ce qui explique le sang qui sortit de son côté ; mais l'eau qui en sort maintenant est une preuve sans réplique qu'il était mort. Aussi l'Evangéliste prend-il soin d'ajouter : « Et celui qui l'a vu en rend témoignage. » — S. CHRYS. C'est-à-dire, il ne l'a point appris des autres, il était présent, il en a été le témoin oculaire; « et son témoignage est véritable. » Il fait cette réflexion à l'occasion de ce nouvel outrage fait au corps du Sauveur, et non après le récit de quelque prodige extraordinaire pour fixer davantage l'attention. Eu s'exprimant de la sorte, il ferme aussi par avance la bouche des hérétiques, prédit les mystères que l'avenir devait dévoiler, et arrête ses regards sur le trésor inépuisable qu'ils renferment.
« Et il sait qu'il dit vrai, afin que vous croyiez aussi. » — S. AUG. Celui qui a vu ce miracle le sait, et son témoignage doit servir d'appui à la foi de celui qui ne l'a pas vu. Saint Jean confirme par deux-témoignages de l'Ecriture les deux faits dont il atteste la vérité. Après avoir dit : « Ils ne brisèrent point les jambes à Jésus, » il ajoute : « Ces choses se sont faites afin que cette parole de l'Ecriture fût accomplie : Vous ne briserez aucun de ses os, » etc. (Ex 12, 46.) C'est ce qui était recommandé à ceux qui, dans l'ancienne loi, célébraient la pâque par l'immolation d'un agneau, qui était la figure de la passion du Sauveur. Saint Jean avait dit aussi : « Un des soldats ouvrit son côté avec une lance, » et à l'appui il cite cet autre témoignage : « Il est dit encore dans un autre endroit de l'Ecriture : Ils jetèrent leurs regards sur celui qu'ils ont percé ; » (Za 12, 11) ; prophétie qui annonçait que le Christ paraîtrait au monde avec cette chair dans laquelle il a été crucifié. — S. JER. (Préface sur le Pentateuque.) Ce second témoignage est emprunté au prophète Zacharie.
S. CHRYS. (hom. 85 sur S. Jean.) Joseph pensant que la mort de Jésus avait suffi pour calmer la fureur des Juifs, se présente avec confiance pour rendre au Sauveur les honneurs de la sépulture : « Après cela Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus, » etc. — BEDE. Arimathie n'est autre que Ramatha, patrie d'Helcana et de Samuel. C'est par une providence toute particulière que Dieu avait veillé à ce que Joseph fut juste pour être digne de recevoir le corps du Seigneur. C'est ce que nous indique l'Evangéliste par ces paroles : « Qui était disciple de Jésus, » etc. — S. CHRYS. Il ne faisait point partie des douze Apôtres, mais des soixante-douze disciples. Et comment se fait-il que nous ne voyions ici aucun des douze ? Dira-t-on que la crainte des Juifs les retenait, mais Joseph avait les mêmes raisons de craindre, c'est pour cela que l'Evangéliste ajoute : « Mais en secret, parce qu'il craignait les Juifs. » Toutefois comme il jouissait d'une grande réputation et qu'il était connu de Pilate, il obtint de lui ce qu'il demandait : « Et Pilate lui permit d'enlever le corps de Jésus, » qu'il ensevelit non pas comme le corps d'un condamné, mais comme celui d'un personnage des plus célèbres et des plus éminents : « Il vint donc et prit le corps de Jésus. » — S. AUG. (De l'accord des Evang., 3, 22.) En rendant à Jésus les derniers devoirs, il n'est point arrêté par la pensée des Juifs, bien qu'il prit soin de se mettre à l'abri de leur jalousie haineuse lorsqu'il écoutait les enseignements du Sauveur. — BEDE. Leur fureur était apaisée en partie par la joie qu'ils éprouvaient de l'avoir emporté contre Jésus-Christ ; Joseph ne craint donc plus de venir demander le corps de Jésus-Christ, démarche qu'il paraissait faire non comme disciple, mais pour remplir à son égard un acte de religion en lui rendant ces derniers devoirs qu'on n'accorde pas seulement aux bons, mais qu'on ne refuse même pas aux méchants. Nicodème vient se joindre à lui : « Nicodème qui était venu trouver Jésus la première fois, » etc. — S. AUG. L'expression primum, la première fois, ne doit pas se joindre à ces paroles : « Portant cent livres d'une composition de myrrhe, » mais au membre de phrase qui précède, car Nicodème était venu trouver Jésus pour la première fois la nuit, comme saint Jean le raconte dans les premiers chapitres de son Evangile. Ce ne fut donc pas la seule fois mais la première fois que Nicodème vint alors trouver Jésus, car il vint plusieurs fois dans la suite pour écouter ses divins enseignements et devenir son disciple.
S. CHRYS. Ils apportent avec eux des aromates qui ont la vertu de conserver très longtemps les corps et de les préserver de la corruption, car ils ne considéraient encore le Sauveur que comme un homme, mais ils faisaient preuve d'un amour extraordinaire pour lui. — BEDE. Il faut remarquer que c'était un parfum simple, purée qu'il ne leur était point permis d'en faire un qui fût composé de divers aromates.
« Ils prirent donc le corps de Jésus, et ils l'ensevelirent, » etc. — S. AUG. L'Evangéliste nous apprend ici que dans les derniers devoirs que l'on rend aux morts, il faut se conformer aux usages particuliers à chaque nation. Or, les Juifs avaient coutume d'embaumer les corps avec divers parfums, afin de les préserver plus longtemps de la corruption. — S. AUG. (De l'accord des Evang., 3, 23.) Saint Jean n'est point ici en contradiction avec les autres évangélistes, ils ne parlent point il est vrai de Nicodème, mais ils n’affirment pas pour cela que Joseph seul ait enseveli le corps du Sauveur, bien qu'ils ne fassent mention que de lui seul. Ils disent encore, que Joseph l'ensevelit dans un linceul, nous défendent-ils pour cela d'admettre que Nicodème ait pu apporter d'autres linges et de justifier ainsi la vérité du récit de saint Jean d'après lequel le corps de Jésus fut enseveli non dans un seul mais dans plusieurs linceuls. D'ailleurs le suaire dont sa tête fut enveloppée et les bandelettes dont son corps fut entouré, et qui étaient de lin aussi bien que le suaire, permettent de dire en toute vérité : Ils l'enveloppèrent dans des linges, quand même il n'y aurait eu qu'un linceul, car on appelle linges généralement tout ce qui est fait de lin. — BEDE. C'est de là qu'est venue la coutume de l'Eglise de consacrer le corps de Jésus-Christ non sur des étoffes de soie ou d'or, mais sur une toile de lin d'une éclatante blancheur.
S. CHRYS. Comme le temps pressait, (car Jésus était mort à la neuvième heure), et le soir devait bientôt arriver, pendant qu'ils iraient chez Pilate, et qu'ils descendraient de la croix le corps du Sauveur ils le déposent donc dans un tombeau qui était proche : « Or il y avait dans le lieu où il avait été crucifié, un jardin, et dans ce jardin un sépulcre tout neuf, où personne n'avait été encore mis ; » ce qui se fit par une providence toute spéciale, afin qu'on ne pût supposer que c'était un autre que Jésus qui était ressuscité. — S. AUG. De même que ni avant ni après lui, nul autre ne fut conçu dans le sein de la Vierge, ainsi, aucun autre corps ni avant ni après le sien, ne fut déposé dans ce tombeau. — THEOPHYL. C'était un sépulcre nouveau, et cette circonstance nous apprend que nous sommes renouvelés par la sépulture de Jésus-Christ qui détruit le règne de la mort et de la corruption. Voyez encore à quel excès de pauvreté Jésus s'est réduit pour notre amour, il n'avait point de demeure pendant sa vie ; après sa mort, il est enseveli dans un tombeau d'emprunt, et il faut que Joseph vienne couvrir la nudité de sou corps dépouillé de tous ses vêtements.
« Et comme c'était le jour de la préparation du sabbat des Juifs, et que ce sépulcre était proche, ils y mirent Jésus. » — S. AUG. L'Evangéliste veut nous faire entendre qu'ils se hâtèrent de l'ensevelir, pour ne pas être surpris par la nuit, car alors, le temps de la préparation parasceve, que les Juifs appellent en latin le temps des pains sans levain ne leur eût pas permis de remplir cet office. — S. CHRYS. Ils choisirent ce tombeau qui était proche, afin que les disciples pussent y venir plus facilement et observer attentivement ce qui s'y passerait. Ce sépulcre fut encore choisi afin que les ennemis du Sauveur qui en étaient gardiens fussent eux-mêmes témoins qu'il avait été enseveli, et pour convaincre de mensonge le bruit qu'ils devaient faire courir que son corps avait été enlevé.
BEDE. Dans le sens mystique le nom de Joseph veut dire qui est augmenté par l'accroissement des bonnes oeuvres, et c'est pour nous un avertissement de nous rendre dignes de recevoir le corps du Seigneur. — THEOPHYL. Maintenant encore Jésus-Christ est mis à mort par les avares dans la personne des pauvres qui souffrent la faim. Soyez donc un nouveau Joseph, et couvrez la nudité de Jésus-Christ, ensevelissez-le par la méditation dans le tombeau spirituel de votre âme. Couvrez-le d'un mélange de myrrhe et d'aloès, deux substances amères, en méditant sérieusement ces paroles : « Allez maudits au feu éternel, » qui est ce qu'il y a de plus amer.
S. CHRYS. (hom. 85 sur S. Jean.) Le sabbat ou la loi commandait à chacun de rester en repos, étant passé, Madeleine ne put résister plus longtemps au désir qui la pressait ; elle vint donc à la première aurore pour trouver quelque, consolation en voyant le lieu où Jésus avait été enseveli : « Le jour d'après le sabbat, » etc. — S. AUG. (de l'acc. des Evang., 3, 12.) Marie-Madeleine vint au sépulcre sous l'impulsion d'un amour plus ardent que celui des autres femmes qui avaient servi le Sauveur, et c'est la raison pour laquelle saint Jean ne parle ici que d'elle, à l'exception des autres femmes qui étaient venues avec elle d'après le récit des autres évangélistes.
S. AUG. Ce premier jour de la semaine est celui que les chrétiens appellent maintenant le jour du Seigneur, à cause de la résurrection du Sauveur, et que saint Matthieu désigne sous le nom de premier jour du sabbat. — BEDE. Le premier jour du sabbat, c'est-à-dire, le lendemain du sabbat, ou le premier jour qui suit le sabbat. — THEOPHYL. Ou bien encore, comme les Juifs donnaient le nom de sabbat à tous les jours de la semaine, ils appelaient le premier du sabbat, le premier des jours du sabbat ou de la semaine. Ce jour est le symbole de la vie future, qui ne sera composée que d'un seul jour que la nuit n'interrompra jamais, car Dieu en est le soleil, et ce soleil ne se couche jamais. C'est donc, dans ce jour que le Seigneur a voulu ressusciter et revêtir son corps de l'incorruptibilité dont nous nous revêtirons nous-mêmes dans la vie future.
S. AUG. (de l'accord des Evang.) Ce que rapporte saint Marc : « Qu'elles vinrent de grand matin le soleil étant déjà levé, » n'est point en contradiction avec ce que dit ici saint Jean : « Alors que les ténèbres n'étaient pas encore dissipées, » car à la naissance du jour il reste encore quelque obscurité qui se dissipe d'autant plus que la lumière du jour s'avance davantage. Il ne faut pus du reste entendre ces paroles de saint Marc, dans ce sens que le soleil paraissait déjà sur l'horizon, mais dans le sens où nous disons, lorsque nous voulons qu'une chose soit faite le plus tôt possible : « Vous la ferez au soleil levé, » c'est-à-dire à l'heure où il est près de se lever. — S. GREG. (hom. 22 sur S. Jean. ) L'expression : « Lorsque les ténèbres n'étaient pas encore dissipées, » est pleine de justesse ; Marie, en effet, cherchait dans le sépulcre le Créateur de toutes choses qu'elle avait vu mourir dans son corps sur la croix, et comme elle ne le trouve point, elle croit qu'on l'a dérobé ou enlevé. Il est donc vrai de dire que les ténèbres duraient encore lorsqu'elle se rendit au sépulcre.
« Et elle vit la pierre ôtée du tombeau. » — S. AUG. (de l'acc. des Evang.) Ce que saint Matthieu seul rapporte du tremblement de terre, du renversement de la pierre et de l'effroi des gardes avait donc eu déjà lieu.
S. CHRYS. Le Seigneur était ressuscité sans renverser la pierre du sépulcre, sans rompre les sceaux qu'on y avait apposés, mais comme le fait de la résurrection devait être connu avec certitude d'un grand nombre d'autres, le tombeau est ouvert après que Jésus est ressuscité, afin que chacun puisse croire à la vérité de ce qui est arrivé. Celte circonstance frappe vivement Madeleine ; aussi à la vue de la pierre ôtée du tombeau, elle n'entra pas dedans, elle ne prit pas le temps de regarder, mais courut avec un empressement mêlé d'amour, apprendre cet événement aux disciples. Elle n'avait encore aucune idée claire de, la résurrection, et croyait seulement qu'on avait changé le corps de place. — LA GLOSE. Elle court donc apprendre cette nouvelle aux disciples, pour les engager, ou à chercher avec elles, ou du moins à partager sa douleur : « Elle courut donc, et vint trouver Simon-Pierre et cet autre disciple que Jésus aimait, » etc. — S. AUG. (Traité 119 sur S. Jean.) Saint Jean se désigne ordinairement par l'affection que Jésus avait pour lui, non pas que Jésus n'aimât les autres disciples, mais parce que le Sauveur avait pour lui un amour plus particulier et plus intime.
« Et elle leur dit : Ils ont enlevé le Seigneur du sépulcre, et nous ne savons où ils l'ont mis. » — S. GREG. (Moral., 3, 10 ou 9 dans les anc. édit.) En parlant de la sorte, Madeleine prend la partie pour le tout ; c'était le corps seul du Sauveur qu'elle était venu chercher, et elle s'afflige comme si on eût enlevé le Seigneur tout entier.
S. AUG. (Traité 120 sur S. Jean.) Quelques exemplaires grecs portent : « Ils ont enlevé mon Seigneur, » ce qui parait être l'expression d'un amour plus ardent ou d'un plus grand attachement. Mais nous n'avons pas trouvé cette addition dans un grand nombre de manuscrits que nous avons sous la main. — S. CHRYS. L'Evangéliste ne veut point ravir, à cette femme la gloire, qui lui est due, et ne croit pas qu'il y ait de la honte pour eux que Madeleine leur ait appris la première cette nouvelle. Aussitôt donc qu'elle leur eût parlé, ils se rendent en toute hâte au tombeau.
S. GREG. (hom. 22 sur les Evang.) Ce sont ceux dont l'amour est plus grand qui courent aussi plus vite que les autres, c'est-à-dire, Pierre et Jean : Pierre sortit avec, l'autre disciple, et il vint au sépulcre. — THEOPHYL. Demanderez-vous comment ils osèrent venir au tombeau en présence de ceux qui le gardaient ? C'est une question qui suppose bien de l'ignorance, car après que le Seigneur fut ressuscité, et qu'en même temps que la terre tremblait, un ange apparut sur la pierre du sépulcre, les gardes s’enfuirent pour annoncer aux pharisiens ce qui venait d'avoir lieu. — S. AUG. Après avoir dit : « Ils vinrent au tombeau, » saint Jean revient sur ses pas pour raconter comment ils y arrivèrent : « Ils couraient tous deux ensemble, et l'autre courut plus vite que Pierre, et arriva le premier au sépulcre. » Il nous apprend ainsi qu'il arriva le premier, mais il raconte tout ce qui le concerne, comme s'il s'agissait d'un autre.
S. CHRYS. Aussitôt qu'il fut arrivé, il considère les linges qui avaient été laissés dans le tombeau : « Et s'étant penché, il vit les linceuls posés à terre. » Toutefois il ne pousse pas plus loin ses recherches, et s'en tient là. Pierre, au contraire, beaucoup plus ardent, entre dans le tombeau, examine tout avec soin, et voit quelque chose de plus : « Simon-Pierre qui le suivait, arriva ensuite et entra dans le sépulcre, et vit les linges posés à terre, et le suaire qui couvrait sa tête, non point avec les linges, mais plié en un lieu à part. » Il y avait dans toutes ces circonstances une preuve évidente de la résurrection. Car en supposant qu'on eût enlevé son corps, on ne l'eût pas dépouillé de ses linceuls, et ceux qui seraient venus le dérober, n'auraient pas pris tant de soin d'ôter le suaire, de le rouler et de le placer dans un endroit à pari, séparé des linceuls ; mais ils auraient tout simplement enlevé le corps tel qu'il se trouvait. Pourquoi saint Jean nous a-t-il l'ait remarquer précédemment que Jésus avait été enseveli avec une grande quantité de myrrhe, qui fait adhérer fortement les linges au corps, c'est pour que vous ne soyez pas dupe de ceux qui vous affirment que le corps du Sauveur a été enlevé, car celui qui serait venu pour le dérober, n'aurait point perdu le sens à ce point que de dépenser tant de soins et de temps pour une chose parfaitement inutile.
Jean entre dans le tombeau après Pierre : « Alors l'autre disciple qui était arrivé le premier au sépulcre, entra aussi, et il vit, et il mit, » etc. — S. AUG. Il en est qui pensent que Jean croyait déjà que Jésus était ressuscité, mais ce qui suit indique le contraire. Il vit que le tombeau était vide, et il crut à ce que Madeleine leur avait rapporté : « Car, ajoute le récit évangélique, ils n'avaient pas encore compris ce que dit l'Ecriture, qu'il fallait qu'il ressuscitât d'entre les morts. » Jean ne croyait donc pas encore à la résurrection du Sauveur, puisqu'il ne savait pas encore qu'il dût ressusciter. Le Seigneur leur en avait parlé souvent, mais bien qu'il s'exprimât dans les termes les plus clairs, l'habitude qu'ils avaient d'entendre des paraboles, les empêchait de comprendre ce qu'il leur disait et leur faisait donner un autre sens à ses paroles.
S. GREG. (hom. 22 sur les Ev.) Gardons-nous de croire que ce récit aussi détaillé ne renferme quelques mystères, en effet, Jean, le plus jeune des deux disciples, représente la synagogue juive ; Pierre, le plus âge, est la figure de l'Eglise des nations, car bien que la synagogue ait précédé l'Eglise des nations, pour ce qui concerne le culte de Dieu, toutefois, dans l'ordre naturel, le peuple des Gentils précède la synagogue des Juifs. Ils coururent tous deux ensemble, parce que depuis le temps de leur naissance jusqu'à celui de tour déclin, le peuple des Gentils et la synagogue ont suivi nue voie commune, quoiqu'avec des sentiments bien différents. La synagogue arrive la première au sépulcre, mais elle n'y entre pas, c'est qu'en effet, elle a bien reçu de Dieu les commandements de la loi, elle a entendu les prophéties qui avaient pour objet l'incarnation et la passion du Seigneur, mais elle a refusé de croire en lui lorsqu'il fut mort. Simon-Pierre, au contraire, vient et entre dans le sépulcre, parce que l'Eglise des Gentils est venue la dernière, à la suite de Jésus-Christ, et a connu et cru qu'il était mort dans sa nature humaine, mais qu'il était vivant dans sa nature divine. Le suaire qui enveloppait la tête du Seigneur ne se trouve point avec les linceuls, parce que Dieu est la tête du Christ, et que les mystères incompréhensibles de la divinité sont en dehors de l'intelligence de notre faible humanité, et que sa puissance est au-dessus de toute nature créée. Le suaire n'est pas seulement séparé, mais roulé ; en effet, un linge qui est roulé ne laisse voir aucune de ses deux extrémités, et il est ainsi la figure de la divinité sublime qui n'a point eu de commencement et ne doit point avoir de fin. L'Evangéliste ajoute avec raison, qu'il était placé dans un endroit seul, parce que Dieu ne se trouve pas dans les âmes divisées, et que ceux-là seuls méritent de recevoir sa grâce qui ne se séparent pas les uns des autres par les scandales que produisent les sectes. Le linge qui couvre la tête sert à essuyer la sueur de ceux qui travaillent, et ce suaire peut être considéré comme la figure du travail de Dieu, qui demeure toujours dans son repos et dans son immutabilité, et qui nous déclare cependant qu'il ne cesse de travailler, parce qu'il supporte le lourd fardeau des iniquités des hommes. Le suaire qui enveloppait la tête est trouvé plié en un lieu à part, parce que la passion de notre divin Rédempteur est bien éloignée de nos propres souffrances, car Jésus a souffert sans être coupable, ce que nous souffrons en expiation de nos crimes. Il s'est soumis volontairement à la mort dont nous sommes les victimes involontaires. Après que Pierre est entré, Jean entre à son tour, parce qu'à la fin du monde, les Juifs se réuniront au peuple fidèle pour embrasser la foi du Rédempteur.
THEOPHYL. Ou bien encore, Pierre est la figure, de l'esprit actif et prompt, Jean, le symbole de l'esprit contemplatif et instruit dans la connaissance des choses de Dieu. Or, souvent l'esprit contemplatif est le premier par sa facilité à comprendre les charités divines, mais l'esprit actif l'emporte sur cette pénétration d'intelligence par sa ferveur persévérante et sa constante application, et son regard pénètre le premier la profondeur des divins mystères.
S. GREG. (hom. 25 sur les Evang.) Marie-Madeleine, qui avait été connue pour une femme pécheresse dans la ville, dans son amour pour la vérité, lava de ses larmes les taches de sa vie criminelle, et vit s'accomplir en elle ces paroles de la vérité : « Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé. » (Lc 7) Elle était restée précédemment dans le froid mortel du péché, elle brûle maintenant des flammes de l'amour le plus ardent. Considérez, en effet, combien grande était la force de son amour qui la retient près du tombeau du Sauveur, alors que tous ses disciples l'ont abandonné, comme le rapporte l'Evangéliste : « Les disciples s'en revinrent de nouveau chez eux. » — S. AUG. C'est-à-dire, dans le lieu qu'ils habitaient et d'où ils étaient accourus au tombeau. Les hommes s'en sont retourné, mais un amour beaucoup plus fort enchaîne près du tombeau le sexe qui est le plus faible : « Mais Marie se tenait dehors, près du sépulcre, versant des larmes. » — S. AUG. (de l'acc. des Ev., 3, 24.) Elle se tenait près du sépulcre de pierre, mais dans le lieu fermé dans lequel elles étaient déjà entrées, et qui formait comme un jardin autour du tombeau.
S. CHRYS. (hom. 86 sur S. Jean.) Ne soyez point surpris que Marie pleure amèrement auprès du tombeau, tandis que nous ne voyons pas que Pierre ait versé des larmes, car les femmes sont naturellement portées à la compassion et aux pleurs. — S. AUG. Les yeux qui avaient cherché le Seigneur sans le trouver étaient donc baignés de larmes et ils s'affligeaient beaucoup plus de ce que le corps du Sauveur avait été enlevé du tombeau, que de ce qu'il avait été mis à mort sur la croix, car on ne possédait même plus alors le tombeau de ce divin Maître dont la vie avait été si cruellement tranchée.
S. AUG. (De l’accord des Evang., 3, 24.) Marie avait vu avec les autres femmes l'ange assis à droite sur la pierre renversée du tombeau, et à sa voix elle regarde en pleurant dans le tombeau. — S. CHRYS. La vue du tombeau d'une personne chère est un adoucissement à la douleur de l'avoir perdue, aussi voyez comment Marie cherche à se consoler en se penchant et eu regardant de plus près le lieu où a reposé le corps du Sauveur. — S. GREG. (hom. 25) Ce n'est pas assez pour son amour de l'avoir vu une fois, et sa vive affection redouble ses désirs et lui fait multiplier ses recherches. — S. AUG. (Traité 121 sur S. Jean.) Sa douleur n'avait point de bornes, elle n'en croyait ni à ses yeux ni à ceux des disciples, ou plutôt une inspiration divine la portait à regarder dans l'intérieur du tombeau. — S. GREG. Elle a cherché le corps du Sauveur sans le trouver, elle a persévéré dans ses recherches et elle a fini par le trouver. Ses désirs retardés dans la jouissance de leur objet n'en devinrent que plus ardents, et dans leur ardeur ils se saisirent de ce qu'ils cherchaient. En effet, le retard ne fait qu'accroître les saints désirs, et ceux qu'il rend moins ardents n'étaient pas de vrais désirs. Or voyons dans cette femme dont l'affection est si forte et qui se penche de nouveau vers le tombeau qu'elle avait déjà considéré, quelle est la récompense de cet amour ardent qui la porte à multiplier ses recherches : « Et elle vit deux anges vêtus de blanc, » etc. — S. CHRYS. Comme l'esprit de cette femme n'était pas encore assez élevé pour que la vue des linceuls lui fît conclure que Jésus était ressuscité, elle voit des anges revêtus d'habits de joie et qui devaient porter la consolation dans son âme.
S. AUG. Mais pourquoi l'un de ces anges est-il assis à la tête et l'autre aux pieds ? Ceux qui sont appelés anges en grec portent en latin le nom de messagers ; celle manière d'apparaître ne signifierait-elle donc pas que l'Evangile de Jésus-Christ devait être annoncé des pieds jusqu'à la tête, c'est-à-dire, du commencement jusqu'à la fin ? — S. GREG. Ou bien encore l'ange qui est assis à la tête représente les apôtres annonçant au monde ces sublimes paroles : « Au commencement était le Verbe, » et celui qui est assis aux pieds figure les mêmes apôtres prêchant cette autre vérité : « Et le Verbe s'est fait chair. » Nous pouvons encore voir dans ces deux anges les deux Testaments qui annoncent d'un commun accord l'incarnation, la mort et la résurrection du Sauveur, le premier des deux Testaments est comme assis à la tête, et le second aux pieds.
S. CHRYS. Les anges qui apparaissent ne disent rien de la résurrection, mais amènent indirectement le discours sur cette vérité. La vue de ces vêtements éclatants et extraordinaires pouvait inspirer à Marie un sentiment d'effroi, ils lui disent donc : « Femme, pourquoi pleurez-vous ? » — S. AUG. Les anges lui défendent les larmes, et lui annoncent la joie qui devait bientôt inonder son âme, car lui demander : « Pourquoi pleurez-vous ? » c'est lui dire : « Ne pleurez pas. » — S. GREG. C'est qu'un effet les saintes Ecritures qui excitent en nous les larmes de l'amour, sèchent ces mêmes larmes, en nous donnant l'espérance du Rédempteur. — S. AUG. Marie, persuadée qu'ils ignorent ce qu'ils lui demandent, leur fait connaître la cause de ses larmes : « Elle leur répondit : Parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur. » Elle appelle son Seigneur, le corps inanimé du Sauveur, en prenant la partie pour le tout, dans le sens ou nous confessons tous que Jésus-Christ, Fils de Dieu a été enseveli, bien que son corps seul ait été mis dans le tombeau. « Et je ne sais où ils l'ont mis. » Ce qui augmentait sa douleur, c'est qu'elle ne savait où aller pour la consoler. — S. CHRYS. Elle ne savait encore rien de la résurrection, et s'imaginait que le corps avait été enlevé. — S. AUG. (De l'accord des Evang., 3, 24.) Il faut admettre ici que les anges se levèrent, et apparurent debout, comme saint Luc le dit en termes exprès.
S. AUG. (Traité 121 sur S. Jean.) Mais le moment était venu ou selon la prédiction des anges qui lui avaient dit : « Ne pleurez pas, » la joie devait succéder aux larmes : « Ayant dit cela, elle se retourna, » etc. — S. CHRYS. Pourquoi Marie qui vient de parler aux anges, se retourne-t-elle en arrière sans attendre leur réponse ? C'est à mon avis qu'au moment où elle parlait aux anges, Jésus-Christ apparut derrière elle, et que les anges à la vue de leur souverain Maître, manifestèrent par leur attitude, leur regard et leurs mouvements qu'ils avaient vu le Seigneur, et c'est ce qui porta Marie à se retourner. — S. GREG. Remarquez que Marie qui doutait encore de la résurrection du Seigneur, se retourne en arrière pour voir Jésus, parce qu'en doutant ainsi, elle tournait pour ainsi dire le dos au Seigneur à la résurrection duquel elle ne croyait pas. Mais comme malgré le doute de son esprit, elle aimait le Sauveur, elle le voyait sans le connaître : « Elle vit Jésus debout et elle ne savait pas que ce fut Jésus. » — S. AUG. Jésus apparut aux anges comme leur souverain maître, mais à Marie sous un autre aspect pour ne point jeter l'effroi dans son âme, car ce n'est pas tout d'un coup, mais insensiblement qu'il fallait la ramener à des idées plus élevées.
« Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleurez-vous ? » — S. GREG. Il lui demande la cause de sa douleur pour accroître ses désirs et embraser son âme d'un amour plus ardent en lui faisant prononcer le nom de celui qu'elle cherchait. — S. CHRYS. Comme Jésus lui était apparu sous une forme ordinaire, elle crut que c'était le jardinier : « Elle, pensant que c'était le jardinier, lui dit : Seigneur, si vous l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis et je l'emporterai, » c'est-à-dire : si c'est par crainte des Juifs que vous l'avez enlevé, dites-le moi, et je le prendrai pour le mettre en sûreté. — THEOPHYL. Elle craignait que les Juifs ne se portassent à de nouveaux excès sur son corps même inanimé, et elle voulait le transporter dans un autre endroit qui leur fût inconnu.
S. GREG. Mais ne peut-on pas dire que cette femme tout en se trompant ne fut pas dans l'erreur en croyant que Jésus était le jardinier ? N'était-il pas pour elle un jardinier spirituel, lui qui par la force de son amour avait semé dans son cœur les germes féconds de toutes les vertus ? Mais comment se fait-il, qu'en voyant celui qu'elle prenait pour le jardinier, et sans lui avoir dit qui elle cherchait, elle lui fait cette question : Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé ? etc. Tel est le caractère d'un amour ardent, il ne suppose point que personne puisse ignorer celui qui est l'objet constant de ses pensées. Après l'avoir d'abord appelé de son nom de femme sans en avoir été reconnu, le Sauveur l'appelle par son nom propre : « Jésus lui dit Marie, » comme s'il lui disait : Reconnaissez celui qui vous reconnaît. Marie, en s'entendant appeler par son nom, reconnaît son divin Maître, car celui qu'elle cherchait extérieurement, était le même qui lui inspirait intérieurement le désir de le chercher : « Elle, se retournant, lui dit : Rabboni, c'est-à-dire Maître. » — S. CHRYS. De même qu'il était quelquefois présent au milieu des Juifs, sans qu'il en fût reconnu, ainsi même en parlant, il ne se faisait connaître que lorsqu'il le voulait. Mais comment expliquer ce que dit l'Evangéliste, que Marie se retourna, lorsque Jésus lui adressa la parole ? Je pense que lorsqu'elle fit cette question : « Dites-moi où vous l'avez mis ? » elle se tourna vers les anges pour leur demander la cause de leur étonne-ment, et lorsqu'ensuite Jésus-Christ l'appelle par son nom, elle se retourne vers lui, et se découvre à elle par sa parole. — S. AUG. On peut dire encore qu'en se retournant d'abord extérieurement elle prit Jésus pour un autre, mais lorsqu'elle se tourne vers lui par le mouvement de son cœur, elle le reconnaît pour ce qu'il est. Que personne du reste n'accuse cette femme de donner au jardinier le nom de Seigneur, et à Jésus celui de Maître. Ici, elle adressait une prière, là elle reconnaît, d'un côté elle témoigna des égards à un homme de qui elle attendait un service ; de l'autre, elle reconnaît le docteur qui lui avait appris à faire le discernement des choses humaines et des vérités divines. C'est donc dans un tout autre sens qu'elle prend le nom de Seigneur dans cette phrase : « Ils ont enlevé mon Seigneur, » et dans celte autre : « Seigneur, si vous l'avez, enlevé. »
S. GREG. L'Evangéliste ne nous dit pas ce que fit ensuite Marie-Madeleine, mais nous pouvons facilement le supposer par les paroles que le Sauveur lui adresse : « Jésus lui dit : Ne me touchez point, » et qui prouvent qu'elle voulait embrasser les pieds de celui qu'elle venait de reconnaître. Mais pourquoi ne veut-il point qu'elle le touche ? Il en donne la raison : « Car je ne suis pas encore remonté vers mon Père. » — S. AUG. Mais si on ne peut le toucher alors qu'il est sur la terre, comment les hommes pourront-ils le toucher lorsqu'il sera remonté dans le ciel ? D'ailleurs, avant de remonter dans le ciel, n'a-t-il pas engagé lui-même ses disciples à le toucher, en leur disant : « Touchez et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os, » ainsi que le rapporte saint Luc. (Lc 24) Or, qui donc oserait pousser l'absurdité jusqu'à dire qu'à la vérité il a consenti à être touché par ses disciples avant de remonter vers son Père, mais qu'il n'a voulu être touché par des femmes que lorsqu'il serait remonté dans le ciel ? Mais ne voyons-nous pas que les femmes elles-mêmes, parmi lesquelles était Marie-Madeleine, ont touché le corps du Sauveur après sa résurrection, avant qu'il fut remonté vers son Père, comme le raconte saint Matthieu : « Et voilà que Jésus se présenta devant elles et leur dit : Je vous salue. Elles s'approchèrent, et, embrassant ses pieds, elles l'adorèrent. » (Mt 28, 8.) Il faut donc entendre cette défense dans ce sens que Marie-Madeleine était la figure de l'Eglise des Gentils, qui n'a cru en Jésus-Christ que lorsqu'il fut remonté vers son Père. On peut dire encore que Jésus a voulu que la foi qu'on avait en lui, foi par laquelle on le touche spirituellement, allait jusqu'à croire que son Père et lui ne faisaient qu'un. Car celui qui a fait en lui d'assez grands progrès pour reconnaître qu'il est égal à son Père, monte en quelque manière jusqu'au Père par les sentiments intérieurs de son âme. Comment, en effet, la foi de Madeleine en Jésus-Christ n'aurait-elle pas été charnelle, puisqu'elle ne le pleurait encore que comme un homme ? — S. AUG. (de la Trin., 1, 9.) Le toucher est comme le dernier degré de la connaissance ; aussi Jésus ne voulait pas qu'il fût comme le dernier terme de l'affection si vive de Marie-Madeleine pour lui, et que sa pensée s'arrêtât à ce qui frappait ses regards.
S. CHRYS. Ou bien encore, cette femme voulait dans ses rapports avec le Sauveur, se conduire comme avant sa passion, et la joie qu'elle éprouvait, fermait son esprit à toute pensée élevée, bien que le corps de Jésus-Christ fût revêtu de propriétés bien supérieures depuis sa résurrection. C'est donc pour la détourner de ces pensées trop naturelles, qu'il lui dit : « Ne me touchez point ; » il veut ainsi qu'elle apprenne à lui parler avec une moins grande familiarité ; c'est pour la même raison que ses rapports avec ses disciples ne sont plus les mêmes qu'avant sa passion, afin qu'ils aient pour lui une plus grande vénération. Ces paroles : « Je ne suis pas encore monté vers mon Père, » indiquent qu'il se hâte de se rendre au plus tôt vers lui. Or, il ne fallait plus voir et traiter de la même manière celui qui devait bientôt se rendre dans les cieux et cesser tout rapport extérieur avec les hommes, et c'est ce qu'il veut faire entendre, en ajoutant : « Allez à mes frères, et dites-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » —S. HIL. (de la Trin., 11) Parmi tant d'autres impiétés, les hérétiques prétendent s'appuyer sur ces paroles du Seigneur, pour soutenir que son Père étant le Père de ses disciples, et son Dieu leur Dieu, il n'est pas Dieu lui-même. Ils ne réfléchissent pas qu'il a pris la nature du serviteur, tout en conservant la nature divine. Or, puisque c'est dans la forme de serviteur que Jésus-Christ s'adresse à des hommes, nul doute qu'à ne considérer que sa nature humaine et la forme d'esclave dont il s'est revêtu, son Père ne soit aussi leur Père, et son Dieu leur Dieu. Il s'exprime encore de la même manière lorsqu'il leur dit en commençant : « Allez à mes frères. » Ils sont les frères de Dieu selon la chair, car en tant que Fils unique de Dieu, il n'a point de frères. — S. AUG. Remarquez d'ailleurs que Jésus ne dit point : Notre Père, mais : « Mon Père, et votre Père. » Il est donc mon Père dans un autre sens qu'il est le vôtre ; il est mon Père par nature, il est le vôtre par grâce. Il ne dit pas non plus : Notre Dieu, mais : « Mon Dieu, » auquel je suis inférieur comme homme, et : «Votre Dieu, » et je suis le médiateur entre vous et lui.
S. AUG. (de l'accord des Evang., 3, 24.) Madeleine sortit alors du tombeau, c'est-à-dire, du jardin qui entourait le tombeau creusé dans le roc. Avec elle sortirent les autres femmes que saint Marc nous représente saisies de crainte et d'effroi, et toutes gardent un profond silence. Marie-Madeleine, poursuit l'Evangéliste, vint trouver les disciples et leur dit : « J'ai vu le Seigneur, et il m'a dit cela. » — S. GREG. Le crime du genre humain est effacé dans les mômes circonstances où il a été commis, c'est dans un jardin que la femme a communiqué la mort à l'homme, c'est en sortant d'un sépulcre qu'une femme vient annoncer la vie aux hommes, et celle qui s'était rendu l'organe des paroles de mort du serpent, rapporte aujourd'hui les paroles du souverain auteur de la vie.
S. AUG. (de l'accord des Evang., 3, 24.) D'après le récit de saint Matthieu, c'est alors que Madeleine revenait avec les autres femmes, que Jésus se présenta devant elles et leur dit : « Je vous salue. » Il faut conclure de là que les anges aussi bien que le Sauveur, parlèrent aux pieuses femmes, lorsqu'elles allèrent au tombeau, à deux reprises différentes ; une première fois lorsque Marie prit Jésus pour le jardinier, et une seconde fois, lorsqu'il se présenta de nouveau devant elles pour les affermir par cette double apparition ; c'est donc alors que Marie-Madeleine, non pas seule, mais avec les autres femmes dont parle saint Luc, vint annoncer cette nouvelle aux disciples.
BEDE. (sur S. Matth., 27) Dans le sens allégorique ou tropologique, Jésus se présente à tous ceux qui commencent à marcher dans le chemin des vertus, et il les salue en leur donnant les secours nécessaires pour arriver au salut éternel. Les deux femmes qui portent le même nom et qui, animées des mêmes sentiments de piété et d'amour (c'est-à-dire, Marie-Madeleine et l'autre Marie), viennent visiter le tombeau du Sauveur, figurent les deux peuples fidèles, le peuple des Juifs et le peuple des Gentils, qui manifestent le même zèle et le même empressement pour célébrer la passion et la résurrection du Rédempteur. (Sur S. Marc.) C'est avec raison que la femme qui a la première annoncé aux disciples éplorés la joyeuse nouvelle de la résurrection du Sauveur, nous est représentée comme ayant été délivrée de sept démons, c'est-à-dire, de tous les vices ; elle nous apprend ainsi, que nul de ceux dont le repentir est véritable, ne doit désespérer du pardon de ses fautes, en la voyant elle-même élevée à un si haut degré de foi et d'amour, qu'elle est jugée digne d'annoncer aux Apôtres eux-mêmes le miracle de la résurrection. — LA GLOSE. Marie-Madeleine qui se montre bien plus empressée que tous les autres d'aller voir le tombeau de Jésus-Christ, représente toute âme qui désire vivement connaître la vérité divine, et qui mérite ainsi d'obtenir cette connaissance. Mais elle doit alors faire connaître aux autres la vérité qui lui a été révélée, à l'exemple de Madeleine, qui annonce la résurrection aux disciples, pour éviter la juste condamnation d'avoir tenu caché son talent. (Sur S. Marc.) Il ne vous est pas permis de renfermer cette joie dans le secret de votre cœur, mais vous devez la faire partager à ceux qui partagent votre amour. Dans le sens allégorique, Marie qui signifie maîtresse, illuminée, illuminatrice, étoile de la mer, est la figure de l'Eglise. Elle s'appelle aussi Madeleine, c'est-à-dire, élevée comme une tour, car le mot Magdal, eu hébreu, a la même signification que le mot turris en latin. Or, ce nom qui est dérivé du mot tour, convient parfaitement à l'Eglise, dont il est dit dans le Psaume 60 : « Vous êtes devenu pour moi une forte tour contre l’ennemi. » L'exemple de Marie-Madeleine, annonçant la résurrection de Jésus-Christ aux disciples, nous avertit tous et surtout ceux à qui a été confié le ministère de la parole, de transmettre soigneusement à notre prochain ce que nous avons reçu nous-mêmes par révélation divine.
S. CHRYS. (hom. 86 sur S. Jean.) En apprenant de la bouche de Marie-Madeleine la nouvelle de la résurrection, les disciples devaient ou refuser d'y croire, ou en y ajoutant foi, attrister de ce que le Seigneur ne les avait pas jugés dignes de le voir eux-mêmes ressuscité. Jésus ne les laisse pas une seule journée dans ces pensées, et comme la nouvelle qu'ils avaient apprise qu'il était ressuscité, partageait leur esprit entre le désir de le voir et la crainte, lorsque le soir fut venu, il se présenta an milieu d'eux : « Sur le soir du même jour, qui était le premier de la semaine, les portes du lieu où les disciples se trouvaient rassemblés, étant fermées, » etc. — BEDE. Nous avons ici une preuve de la grande timidité des Apôtres qui les tient rassemblés les portes fermées de peur des Juifs, dont la crainte les avait déjà dispersés : « Jésus vint et se tint au milieu d'eux. » Il leur apparaît le soir, parce que leur crainte devait alors être plus grande encore. — THEOPHYL. Peut-être aussi voulut-il attendre ce moment pour les trouver tous réunis. Il entre les portes fermées, pour leur montrer qu'il était ressuscité de la même manière, en traversant la pierre qui recouvrait le sépulcre. — S. AUG. (serm. sur la fête de Pâque.) Il en est quelques-uns que ce fait étonne au point de mettre leur foi en péril, ils opposent aux miracles divins les préjugés de leurs raisonnements, et argumentent ainsi : Si c'était vraiment un corps, si le corps qui a été attaché à la croix est véritablement sorti du sépulcre, comment a-t-il pu traverser les portes qui étaient fermées ? Si vous compreniez le comment, ce ne serait plus un miracle, là où la raison fait défaut, la foi commence à s'élever.
S. AUG. (Traité 121 sur S. Jean.) Les portes fermées ne purent faire obstacle à un corps où habitait la Divinité, et celui dont la naissance laissa intacte la virginité de sa Mère, put entrer dans ce lieu sans que les portes fussent ouvertes.
S. CHRYS. Il est surprenant que la pensée ne soit point venue aux disciples que c'était un fantôme, mais Marie-Madeleine, en leur annonçant que Jésus était ressuscité, avait animé et développé leur foi. Il se manifesta lui-même ensuite à leurs yeux, et par ses paroles il affermit leur âme encore chancelante : « Et il leur dit : La paix soit avec vous, » c'est-à-dire, ne vous troublez point. Il rappelle ici ce qu'il leur avait dit avant sa passion : « Je vous donne ma paix ; » et encore : « C'est en moi que vous aurez la paix. »
S. GREG. (hom. 20 sur les Evang.) Comme la foi de ses disciples avait encore quelque doute sur la vérité du corps qu'ils avaient devant les yeux, Nôtre-Seigneur, ajoute l'Evangéliste, leur montra aussitôt ses mains et son côté. — S. AUG. Les clous avaient percé ses mains, la lance avait ouvert son côté, et il avait voulu conserver les cicatrices de ses blessures pour guérir de la plaie du doute le cœur de ses disciples. — S. CHRYS. Il accomplit la prédiction qu'il leur avait faite avant sa passion : « Je vous verrai de nouveau, et votre cœur se réjouira. » Aussi l'Evangéliste remarque, « qu'ils furent remplis de joie voyant le Seigneur. » — S. AUG. (de la cité de Dieu, 22, 19.) Cette gloire éclatante comme le soleil dont les justes brilleront dans le royaume de leur Père (Mt 13), demeura voilée dans le corps de Jésus-Christ ressuscité, mais n'en fut point séparée. La faiblesse des yeux de l'homme n'aurait pu le considérer dans cet éclat, et il suffisait d'ailleurs alors à ses disciples de le voir de manière à pouvoir le reconnaître.
S. CHRYS. Toutes ces circonstances donnaient à leur foi une certitude absolue ; mais comme ils devaient avoir ù soutenir contre les Juifs une lutte acharnée, il leur souhaite du nouveau la paix : « Il leur dit de nouveau : La paix soit avec vous. » — BEDE. Ce souhait redoublé est une confirmation de la paix qu'il leur souhaite ; et il le répète à deux fois parce que la vertu de charité a un double objet, ou bien parce que c'est lui « qui des deux peuples n'en a fait qu'un. » (Ep 2, 14.) — S. CHRYS. Il nous montre en même temps l'efficacité de la croix qui a dissipé toutes les causes de tristesse et a été pour nous la source de tous les biens, et c'est là la véritable paix. C'est ainsi qu'il avait fait porter précédemment aux saintes femmes ces paroles de joie, parce que ce sexe était comme dévoué à la tristesse par suite de cette malédiction prononcée contre lui : « Vous enfanterez dans la douleur. » (Gn 3) Mais maintenant que tous les obstacles sont renversés et toutes les difficultés aplanies, le Sauveur ajoute: « Comme mon Père m'a envoyé, moi-même je vous envoie. » — S. GREG. Le Père a envoyé son Fils lorsqu'il a décrété qu'il s'incarnerait pour la rédemption du genre humain. C'est pour cela qu'il dit à ses disciples : « Comme mon Père m'a envoyé, moi-même je vous envoie. » C'est-à-dire en vous envoyant au milieu de tous les pièges que vous tendront les persécuteurs, je vous aime du même amour dont mon Père m'a aimé lorsqu'il m'a envoyé pour supporter toutes les souffrances que j'ai eu à endurer. — S. AUG. (Traité 121 sur S. Jean.) Nous savons que le Fils est égal à son Père, mais nous reconnaissons a ces paroles le langage du Médiateur. Il nous montre en effet qu'il est Médiateur en leur disant : « Mon Père m'a envoyé, et moi je vous envoie. » — S. CHRYS. C'est ainsi qu'il relève leur courage par la pensée des événements qui ont eu lieu et de la dignité de celui qui les envoie. Il n'adresse plus ici de prière à son Père, c'est de sa propre autorité qu'il leur communique une puissance toute divine : « Ayant dit ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l'Esprit saint. » — S. AUG. (de la Trin., 4, 20.) Ce souffle extérieur ne fut point la substance de l'Esprit saint, mais une figure propre à nous faire comprendre que l'Esprit saint procédait non-seulement du Père, mais aussi du Fils. Car, qui serait assez dénué de raison pour prétendre que l'Esprit saint que Jésus donna à ses disciples en soufflant sur eux est différent de celui qu'il leur a envoyé après sa résurrection ? — S. GREG. Mais pourquoi le donne-t-il d'abord étant sur la terre à ses disciples, avant de le leur envoyer du ciel ? C'est parce qu'il y a deux préceptes de la charité, le précepte de la charité de Dieu, le précepte de la charité du prochain. L'Esprit saint nous est donné sur la terre pour nous porter à l'amour du prochain ; il nous est envoyé du haut du ciel pour nous inspirer l'amour de Dieu. De même que la charité est une, bien qu'elle ait deux préceptes pour objet, ainsi il n'y a qu'un seul esprit donné dans deux circonstances différentes, la première fois par le Sauveur, lorsqu'il était encore sur la terre ; la seconde fois lorsqu'il fut envoyé du ciel, car c'est l'amour du prochain qui nous apprend à nous élever jusqu'à l'amour de Dieu.
S. CHRYS. Quelques-uns prétendent que Nôtre-Seigneur n'a point donné l'Esprit saint à ses disciples, mais qu'il les prépara, en soufflant sur eux, à recevoir l'Esprit saint. En effet, si à la vue seule d'un ange Daniel fut saisi d'effroi, que n'auraient pas éprouvé les disciples en recevant ce don ineffable, si Jésus n'avait pris soin de les y préparer ? On ne se trompera point du reste en disant qu'ils reçurent alors la puissance d'une grâce toute spirituelle, non point pour ressusciter les morts et faire des miracles, mais pour remettre les péchés, comme paraissent l'indiquer les paroles suivantes : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. »
S. AUG. La charité de l'Eglise que l'Esprit saint répand dans nos cœurs (Rm 5) remet les péchés de ceux qui entrent en participation de cette divine charité, mais elle les retient à ceux qui n'y ont aucune part. C'est pour cela qu'après avoir dit : « Recevez l'Esprit saint, » le Sauveur parle aussitôt du pouvoir de remettre et du retenir les péchés.
S. GREG. Il faut remarquer que ceux qui ont reçu d'abord l'Esprit saint pour vivre dans l'innocence et prêcher d'une manière utile à quelques-uns, ont reçu ensuite visiblement ce même Esprit, pour que les effets de leur zèle fussent moins restreints et s'étendissent à un plus grand nombre. J'aime à considérer à quel degré de gloire Jésus élève ceux qu'il avait appelé à de si grands devoirs d'humilité. Voici que non-seulement il leur donne toute espèce de sécurité pour eux-mêmes, mais ils reçoivent en partage la magistrature du jugement suprême et le pouvoir de remettre les péchés aux uns et de les retenir aux autres. Les évêques qui sont appelés au gouvernement de l'Eglise tiennent maintenant leur place et ont aussi le pouvoir de lier et de délier. C'est un grand honneur, mais c'est en même temps un bien lourd fardeau, car quelle charge plus pénible pour celui qui ne sait tenir les rênes de sa propre vie, de prendre en main la direction de la vie des autres ! — S. CHRYS. Le prêtre qui se contente de bien régler sa vie personnelle, mais ne prend point un soin vigilant de la vie des autres, est condamné au feu de l'enfer avec les impies. En considérant la grandeur du danger auquel les prêtres sont exposés, ayez donc pour eux beaucoup de bienveillance et d'égards, quand même ils ne seraient point de condition très élevés, car il n'est pas juste qu'ils soient jugés sévèrement pur ceux qui sont soumis à leur pouvoir. Quand même leur vie serait souverainement coupable, vous n'avez aucun dommage à craindre dans la distribution des grâces dont ils sont les dispensateurs, car dans les dons qui viennent de Dieu, ce n'est point le prêtre, ce n'est ni un ange, ni un archange qui peuvent agir ; c'est du Père, du Fils et du Saint-Esprit que découlent toutes les grâces. Le prêtre ne fait que prêter sa langue et sa main. Il n'eût pas été juste, en effet, que par suite de la conduite criminelle des ministres de Dieu, les sacrements de notre salut perdissent de leur efficacité pour ceux qui ont embrassé la foi.
Tous les disciples étant rassemblés, Thomas seul manquait, depuis le moment où ils s'étaient tous dispersés. « Or Thomas, un des douze, appelé Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint. » — ALCUIN. Le mot grec Didyme veut dire double en latin, et ce disciple est ainsi appelé à cause de ses doutes dans la foi. Le mot Thomas signifie abîme, parce qu'il a pénétré ensuite avec une foi certaine les profondeurs de la divinité. Or, ce n'était point par l’effet du hasard que ce disciple était alors absent, car la conduite de la divine bonté paraît ici d'une manière merveilleuse, elle voulait que ce disciple incrédule, eu touchant les blessures du corps du Sauveur, guérît en nous les blessures de l'incrédulité. Eu effet, l’incrédulité de Thomas nous a plus servi pour établir en nous la foi que la loi elle-même dus disciples qui crurent sans hésiter. L'exemple de ce disciple qui revient à la foi en touchant le corps du Sauveur chasse de notre âme toute espèce de doute et nous affermit à jamais dans la loi. — BEDE. On peut demander pourquoi saint Jean nous dit que Thomas était alors absent, tandis que saint Luc rapporte, que les deux disciples qui revenaient d'Emmaüs à Jérusalem trouvèrent les onze réunis. Celte difficulté s'explique en admettant qu'il y eut un intervalle pendant lequel Thomas sortit pour un instant, et que ce fut alors que Jésus se présenta au milieu de ses disciples.
S. CHRYS. (hom. 87 sur S. Jean.) C’est la marque d'un esprit léger de croire trop facilement et sans examen, mais c'est le caractère d'un esprit peu intelligent de porter ses recherches au delà de toute mesure et de vouloir trop approfondir, et c'est en quoi Thomas se rendit coupable. Les apôtres lui disent : « Nous avons vu le Seigneur, » et il refuse de le croire, moins encore par défiance de ce qu'ils lui disaient que parce qu'il regardait la chose comme impossible. « Les autres disciples lui dirent donc : Nous avons vu le Seigneur. Il leur répondit : Si je ne vois dans ses mains la marque des clous qui les ont percées, et si je ne mets mon doigt dans le trou des clous et ma main dans la plaie de son côté, je ne le croirai point. » Son esprit, plus grossier que celui des autres, voulait arriver à la foi par le sens le plus matériel, c'est-à-dire par le toucher. Le témoignage de ses yeux ne lui suffisait même pas ; aussi ne se contente-t-il pas de dire : Si je ne vois, mais il ajoute : « Si je ne mets mon doigt, » etc.
S. CHRYS. (hom. 87 sur S. Jean.) Considérez la bonté du divin Maître ; il daigne apparaître et montrer ses blessures pour le salut d'une seule âme. Les disciples qui lui avaient appris que le Sauveur était ressuscité étaient assurément bien dignes de foi, aussi bien que le Sauveur lui-même qui l'avait prédit ; cependant comme Thomas exige une nouvelle preuve, Jésus ne veut pas la lui refuser. Toutefois il ne lui apparaît pas aussitôt, mais huit jours après, afin que le témoignage des disciples rendît ses désirs plus vils, et que sa foi fût plus affermie dans la suite : « Huit jours après, dit l'Evangéliste, les disciples étaient encore dans le même lieu, et Thomas avec eux, Jésus vint, les portes étant fermées, et il se tint au milieu d'eux et leur dit : La paix soit avec vous. » — S. AUG. (Serm. sur la Pass. ou serm. 3 pour l'oct. de Pâq., 159 du temps.) Vous me demandez : Puisqu'il est entré les portes étant fermées, que sont devenues les propriétés naturelles du corps ? Et moi je vous réponds : Lorsqu'il a marché sur la mer, qu'était devenue la pesanteur de son corps ? Le Seigneur se conduisait ainsi comme étant le souverain Maître ; a-t-il donc cessé de l'être parce qu'il est ressuscité ?
S. CHRYS. Jésus apparaît donc, et il n'attend pus que Thomas l'interroge, et pour lui montrer qu'il était présent lorsqu'il exprimait ses doutes aux autres disciples, il se sert des mêmes paroles. Il commence par lui faire les reproches qu'il méritait : « Il dit ensuite à Thomas : Portez ici votre doigt et considérez mes mains ; approchez aussi votre main et mettez-la dans mon côté. » Puis il l'instruit en ajoutant : « Et ne soyez plus incrédule, mais fidèle. » Vous voyez qu'ils étaient travaillés par le doute de l'incrédulité avant d'avoir reçu l'Esprit saint, mais ils furent ensuite affermis pour toujours dans la foi. Ce serait une question digne d'intérêt d'examiner comment un corps incorruptible pouvait porter la marque des clous, mais n'en soyez pas surpris, c'était un effet de la bonté du Sauveur qui voulait ainsi convaincre ses disciples que c'était bien lui qui avait été crucifié.
S. AUG. (du symb. aux catéch., 2, 8.) Jésus aurait pu, s'il avait voulu, faire disparaître de son corps ressuscité et glorifié toute marque de cicatrice, mais il savait les raisons pour lesquelles il conservait ces cicatrices dans son corps. De même qu'il les a montrées à Thomas, qui ne voulait point croire à moins d'avoir touché et d'avoir vu, ainsi il montrera un jour ces mêmes blessures à ses ennemis, non plus pour leur dire : « Parce que vous avez vu, vous avez cru, » mais pour qu'ils soient convaincus par la vérité qui leur dira : « Voici l'homme que vous avez crucifié, vous voyez les blessures que vous avez faites ; vous reconnaissez le côté que vous avez percé, c'est par vous et pour vous qu'il a été ouvert, et cependant vous n'avez pas voulu y entrer. » — S. AUG. (de la cité de Dieu, 22, 20.) Je ne sais pourquoi l'amour que nous avons pour les saints martyrs nous fait désirer de voir sur leur corps, dans le royaume des cieux, les cicatrices des blessures qu'ils ont reçues pour le nom de Jésus-Christ, et j'espère que ce désir sera satisfait. Car ces blessures, loin d'être une difformité, seront un signe de gloire, et bien qu'empreintes sur leur corps, elles feront éclater la beauté, non point du corps, mais de leur courage et de leur vertu. Et quand même les martyrs auraient eu quelques-uns de leurs membres coupés ou retranchés, ils ne ressusciteront pas sans que ces membres leur soient rendus, car il leur a été dit : « Un cheveu de votre tête ne périra pas. » (Lc 21, 18.) Si donc il est juste que dans cette vie nouvelle, on voie les marques de ces glorieuses blessures dans leur chair douée de l'immortalité, les cicatrices de ces blessures apparaîtront sur les membres qui leur seront rendus, à l'endroit même où ils ont été frappés ou coupés pour être retranchés. Tous les défauts du corps disparaîtront alors, il est vrai, mais on ne peut considérer comme des défauts ou des taches les témoignages du courage des martyrs.
S. GREG. (hom. 20.) Nôtre-Seigneur offre au toucher cette même chair, avec laquelle il était entré les portes demeurant fermées. Nous voyons ici deux faits merveilleux et qui paraissent devoir s'exclure, à ne consulter que la raison ; d'un côté, le corps de Jésus ressuscité est incorruptible, et de l'autre cependant, il est accessible au toucher. Or, ce qui peut se toucher doit nécessairement se corrompre, et ce qui est impalpable ne peut être sujet à la corruption. Nôtre-Seigneur, en montrant dans son corps ressuscité, ces deux propriétés de l'incorruptibilité et de la tangibilité, nous fait voir que sa nature est restée la même, mais que sa gloire est différente. — S. GREG. (Moral., 14, 39 ou 31 dans les anc. édit.) Après la gloire de la résurrection, notre corps deviendra subtil par un effet de la puissance spirituelle dont il sera revêtu, mais il demeurera palpable en vertu de sa nature première, et il ne sera pas, comme l'a écrit Eutychius, impalpable et plus subtil que l'air et les vents.
S. AUG. Thomas ne voyait et ne touchait que l'homme, et il confessait le Dieu qu'il ne pouvait ni voir ni toucher ; mais ce qu'il voyait et ce qu'il touchait le conduisait à croire d'une foi certaine ce dont il avait douté jusqu'alors : « Thomas répondit et lui dit : Mon Seigneur et mon Dieu. » — THEOPHYL. Celui qui avait d'abord été un incrédule, après l'épreuve du toucher, se montre un parfait théologien, en proclamant en Jésus-Christ deux natures et une seule personne, en disant : « Mon Seigneur, » il reconnaît la nature humaine, et en ajoutant : « Mon Dieu, » la nature divine, et ces deux natures dans un seul et même Dieu, et Seigneur.
« Jésus lui dit : Vous avez cru parce que vous m'avez vu. » — S. AUG. Il ne lui dit pas : Vous m'avez touché, mais vous m'avez vu, parce que la vue est comme un sens général qui, dans le langage ordinaire, comprend les quatre autres sens. C'est ainsi que nous disons : Ecoutez et voyez quel son harmonieux, sentez et voyez quelle odeur agréable, touchez et voyez quelle chaleur ? C'est ainsi que Nôtre-Seigneur lui-même dit à Thomas : « Mettez-la votre doigt, et voyez mes mains, » ce qui ne veut dire autre chose que : « Touchez et voyez. » Thomas cependant n'avait pas les yeux au bout du doigt. Les deux opérations de la vue et du toucher sont donc exprimées dans ces paroles du Sauveur : « Parce que vous m'avez vu, vous avez cru. » On pourrait dire encore que Thomas n'osa pas toucher le corps de Jésus, bien qu'il le lui offrît.
S. GREG. (hom. 26.) L'Apôtre nous dit : « La foi est le fondement des choses que l'on doit espérer, et une pleine conviction de celles qu'on ne voit point. » (He 11, 1) Il est donc évident que ce que l'on voit clairement n'est pas l'objet de la foi, mais de la connaissance. Pourquoi donc le Sauveur dit-il à Thomas, qui avait vu et touché : « Parce que vous avez vu, vous avez cru ? » C'est qu'il crut autre chose que ce qu'il voyait. Ses yeux ne voyaient qu'un homme, et il confessait un Dieu. Les paroles qui suivent : « Bienheureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru, » répandent une grande joie dans notre âme, car c'est nous que Nôtre-Seigneur a eus particulièrement en vue, nous qui croyons dans notre esprit en celui que nous n'avons pas vu de nos yeux, si toutefois nos œuvres sont conformes à notre foi. Car la vraie foi est celle qui se traduit et se prouve par les œuvres. — S. AUG. Le Sauveur parle ici au passé, parce que dans les décrets de sa prédestination, il regardait comme déjà fait ce qui devait arriver. — S. CHRYS. Lors donc qu'un chrétien est tenté de dire : Que n'ai-je été dans ces temps heureux pour voir de mes yeux les miracles de Jésus-Christ, qu'il se rappelle ces paroles : « Bienheureux ceux qui n'ont point vu et qui ont cru. » — THEOPHYL. Notre-Seigneur désigne ici ceux de ses disciples qui ont cru sans toucher les blessures faites par les clous et la plaie du côté.
S. CHRYS. Comme le récit de saint Jean est moins étendu que celui des autres évangélistes, il ajoute : « Jésus fit encore devant ses disciples beaucoup d'autres miracles qui ne sont pas écrits dans ce livre. » Les autres évangélistes n'ont pas non plus raconte tout ce qu'ils ont vu, mais simplement tout ce qui suffisait pour amener les hommes à la foi. Je crois du reste que saint Jean ne veut parler ici que des miracles qui ont eu lieu après la résurrection, c'est pour cela qu'il dit : « En présence de ses disciples » avec lesquels seuls il eût des rapports après sa résurrection. Ne croyez pas du reste que ces miracles n'étaient faits que dans l'intérêt des disciples, » car ajoute l'Evangéliste : « Ceux-ci sont écrits afin que vous croyiez que Jésus est le Christ Fils de Dieu, » et il parle ici de tous les hommes. Et remarquez que cette foi est utile, non pas à celui qui en est l'objet, mais ù nous-mêmes qui croyons : « Afin que croyant, vous ayez la vie en son nom. »
S. AUG. (Traité 122 sur S. Jean.) Les dernières paroles de l'Evangéliste semblaient indiquer la fin de son récit. Cependant il nous raconte encore comment Nôtre-Seigneur se manifesta près de la mer de Tibériade : « Après cela, Jésus apparut de nouveau près de la mer de Tibériade. » — S. CHRYS. (hom. 89 sur S. Jean.). Saint Jean dit : « Après cela, » parce que Nôtre-Seigneur ne restait pas continuellement avec ses disciples comme auparavant. Il se sert de cette expression : « Il se manifesta, » parce que ses disciples n'auraient pu le voir, s'il n'avait consenti à se rendre visible par un effet de sa bonté, puisque son corps était incorruptible. Il fait mention expresse de l'endroit où il leur apparut, pour nous montrer que le Sauveur avait diminué de beaucoup leurs craintes, puisqu'ils s'éloignent à une assez grande distance de leur demeure. En effet, ils ne restaient plus renfermés, mais ils allaient dans la Galilée, pour éviter tout danger de la part des Juifs.
BEDE. Suivant sa coutume, l'Evangéliste commence par exposer le fait, puis il raconte la manière dont il eut lieu : « Or, il se manifesta de cette sorte. » — S. CHRYS. Comme le Seigneur n'était pas continuellement avec eux, qu'ils n'avaient pas encore reçu l'Esprit saint, qu'aucune charge ne leur avait été confiée, et qu'ils n'avaient pas autre chose à faire, ils se livraient à leurs occupations de pêcheur : « Simon-Pierre et Thomas, appelé Didyme, et Nathanaël, qui était de Cana, en Galilée (qui avait été appelé par Philippe), et les fils de Zébédée (Jacques et Jean), et deux autres de ses disciples se trouvaient ensemble. Simon-Pierre leur dit : « Je vais pêcher. » — S. GREG. (hom. 24 sur les Evang.) On peut demander pourquoi Pierre, qui exerçait le métier de pêcheur avant sa conversion, revient à ses filets après sa conversion, alors que la vérité elle-même nous dit : « Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière, n'est point propre au royaume de Dieu. » — S. AUG. Si les Apôtres avaient agi de la sorte aussitôt la mort de Jésus, et avant sa résurrection, nous aurions lieu de penser qu'ils cédaient au découragement qui s'emparait de leur âme. Au contraire, c'est après avoir vu Jésus-Christ sorti du tombeau plein de vie ; c'est après avoir examiné les traces que les blessures avaient laissées sur son corps, c'est après qu'il leur a donné l'Esprit saint en soufflant sur eux, qu'ils redeviennent ce qu'ils étaient auparavant, pécheurs non d'hommes, mais de poissons. Je réponds donc qu'il ne fut point défendu aux Apôtres de pourvoir à leur subsistance par l'exercice d'un métier légitime, tout en sauvegardant la dignité de leur apostolat, s'ils n'avaient point d'ailleurs d'autres moyens d'existence. En effet, si saint Paul refusa d'user du pouvoir qui lui était commun avec les autres prédicateurs de l'Evangile, et voulut combattre à ses propres frais, pour ne point être un obstacle à la conversion des peuples complètement étrangers au nom de Jésus-Christ, en leur laissant supposer que l'intérêt était le mobile de sa prédication ; si cet Apôtre, dont l'éducation avait été tout autre, par suite de ce principe, voulut apprendre un métier qu'il ne connaissait pas, afin qu'en vivant du travail de ses mains, il ne fût à charge à aucun de ceux qu'il enseignait, à combien plus juste titre saint Pierre, qui avait été précédemment pêcheur, pût-il reprendre le métier qu'il savait, si pour le moment il ne trouvait point d'autre ressource pour vivre. On me dira peut-être : Et pourquoi n'en a-t-il point trouvé, lorsque la promesse du Seigneur est formelle : « Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné comme par surcroît. » Je réponds que le Seigneur a parfaitement accompli sa promesse, car quel autre a conduit les poissons dans les filets où ils ont été pris ? Et très-certainement c'est lui qui permit que la nécessité contraignît ses disciples de retourner à la pêche, parce qu'il voulait les rendre témoins du miracle qu'il se proposait d'opérer. — S. GREG. Ils purent donc reprendre sans aucune faute après leur conversion, des occupations auxquelles ils se livraient très licitement avant leur conversion. Voilà pourquoi Pierre, après sa conversion retourne à la pêche, mais Matthieu ne reprend point sa place au bureau des impôts, car il est des professions que l'on ne peut absolument, ou sans de grandes difficultés, exercer sans péché. Il faut donc que le cœur véritablement converti se détache complètement de tout ce qui peut l'entraîner au péché.
S. CHRYS. Les autres disciples suivaient Pierre : « Ils lui dirent : Nous y allons aussi avec vous ; » car ils ne formaient tous qu'une seule société, et voulaient tous ensemble être témoins de la pêche : « Ils s'en allèrent donc, et montèrent dans la barque. » Ils péchaient pendant la nuit, parce qu'ils étaient encore dominés par la crainte des Juifs. — S. GREG. Les disciples éprouvèrent de grandes difficultés dans cette pêche, afin qu'à l'arrivée de leur divin Maître, ils fussent remplis d'une grande admiration : « Et cette nuit-là ils ne prirent rien. »
S. CHRYS. Tandis qu'ils se fatiguent ainsi avec le regret de ne rien prendre, Jésus leur apparaît : « Mais le matin venu, Jésus parut sur le rivage. » Il ne se découvre pas tout d'abord, mais veut auparavant lier conversation avec eux. Il leur parle donc en premier lieu un langage tout humain : « Enfants, n'avez-vous rien à manger ? » Il semble, par cette question, avoir l'intention de leur acheter quelque chose ; mais comme il les voit saisis de crainte, il leur donne un signe qui put le faire reconnaître : « Il leur dit : Jetez le filet à droite de la barque, et vous en trouverez, » Les miracles se succèdent alors en grand nombre ; le premier, c'est qu'ils prennent une quantité énorme de poissons : « Ils le jetèrent et ils ne pouvaient plus le tirer tant il était chargé de poissons. » Dans la manière dont ils reconnaissent Jésus-Christ, Pierre et Jean font voir chacun la différence de leur caractère. Le premier était plus ardent, le second d'une intelligence plus élevée, l'un avait plus d'initiative, l'autre plus de discernement ; aussi est-il le premier à reconnaître Jésus-Christ : « Le disciple que Jésus aimait, dit à Pierre : C'est le Seigneur. » — BEDE. C'est par ce miracle que Jésus, comme en beaucoup d'autres endroits, manifeste sa personne divine. Or, Jean reconnaît le premier le Seigneur, soit à cette pêche miraculeuse, soit au son d'une voix qui lui était connue, soit au souvenir de la première pêche. — S. CHRYS. Pierre avait plus d'ardeur, et il met plus d'empressement à venir à Jésus-Christ : « Simon-Pierre ayant entendu que c'était le Seigneur, se ceignit de sa tunique (car il était nu), » etc.
bède. Saint Jean dit que Pierre était nu par opposition aux autres vêtements dont il faisait usage. C'est ainsi qu'en voyant un homme couvert d'un simple vêtement, nous lui disons : Pourquoi donc êtes-vous ainsi nu ? Ou peut aussi admettre que suivant la coutume des pêcheurs, il s'était dépouillé de tous ses vêtements pour pêcher plus librement. — THEOPHYL. Pierre se ceignit aussitôt, par un sentiment de pudeur ; il se ceignit d'un vêtement de lin dont les pêcheurs de la Phénicie et de Tyr s'enveloppent, et dont ils se couvrent, qu'ils aient ou non d'autres vêtements. — BEDE. Pierre vient à la rencontre de Jésus avec la même ardeur qu'il faisait éclater dans toutes ses actions : « Et il se jeta à la mer ; les autres disciples vinrent avec la barque. » Il n'est point cependant nécessaire d'entendre que Pierre ait marché sur les flots, il vint trouver Jésus, soit en nageant, soit en marchant dans l'eau, car on était près de la terre. « Car, remarque saint Jean, ils n'étaient pas éloignés de la terre. » — LA GLOSE. Il y a ici une transposition évidente, car nous lisons à la suite : « En tirant le filet rempli de poissons. » Voici l'ordre naturel de la phrase : « Les autres disciples vinrent dans la barque, en tirant le filet rempli de poissons, car ils n'étaient pas loin de la terre. »
S. CHRYS. Un autre miracle les attendait sur le rivage : « Lorsqu'ils furent descendus à terre, ils virent des charbons allumés, » etc. Nôtre-Seigneur n'opère plus ici sur une matière préexistante, mais il fait quelque chose de plus merveilleux, il donne l'être à ce qui n'existait pas, et il montre ainsi qu'avant sa passion, c'était par suite d'une mystérieuse économie qu'il faisait ses miracles en se servant d'une matière déjà existante. — S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) Il ne faut point entendre ces paroles dans ce sens, que le pain fut placé sur les charbons, mais voici ce que l'Evangéliste veut dire : « Ils virent des charbons allumés, et un poisson placé dessus, et ils virent du pain. » — THEOPHYL. Pour leur prouver qu'ils ne sont pas dupe d'une illusion fantastique, il leur commande de lui apporter quelques-uns des poissons qu'ils avaient pris : « Jésus leur dit : Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre. » Un troisième miracle fut que le filet ne se rompit point sous l'énorme quantité de poissons qu'il renfermait : « Simon-Pierre monta donc dans la barque, et tira à terre ce filet plein de cent cinquante-trois grands poissons. Et quoiqu'il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit point. »
S. AUG. (Traité 122 sur S. Jean.) Dans le sens mystique, cette poche miraculeuse est la figure du mystère qui s'opérera dans l'Eglise lors de la résurrection des morts. C'est à mon avis pour faire ressortir plus clairement ce mystère que saint Jean parait vouloir terminer son Evangile par cette réflexion qui devient comme l'introduction du récit qui va suivre et lui donne ainsi plus d'importance. Ce qui donne un nouveau caractère de vérité à ce sentiment, c'est que le récit évangélique paraissait terminé, et que ce fait est comme le commencement d'un nouveau récit. Les sept disciples qui prirent part à cette pêche sont, par leur nombre de sept, la figure de la fin du temps, dont la révolution s'accomplit dans un espace de sept jours. — THEOPHYL. Tant que dura la nuit, avant le lever du soleil de justice, qui est Jésus-Christ, les prophètes ne purent rien prendre, car bien que leurs efforts n'eussent pour but que la réforme du seul peuple juif, ce peuple ne laissait pas de tomber fréquemment dans l'idolâtrie.
S. GREG. (hom. 24.) Mais pourquoi, pendant que ses disciples se consument en efforts au milieu de la mer, Jésus, après sa résurrection, se tient-il sur le rivage, lui qui, avant sa résurrection, marche sur les flots mêmes de la mer pour aller les trouver ? La mer est la figure du siècle présent qui se brise au choc de l'agitation des événements et des flots de cette vie corruptible, tandis que la terre ferme du rivage est le symbole de la stabilité du repos éternel. Comme les disciples étaient encore au milieu des flots de cette vie mortelle, ils avaient à supporter les fatigues de la mer, mais notre Rédempteur, qui avait dépouillé la corruption de la chair, se tenait sur le rivage après sa résurrection. — S. AUG. Le rivage est comme la fin de la mer et figure la fin du monde. De même que Notre-Seigneur veut nous signifier dans cet endroit ce que sera l'Eglise à la fin du monde ; ainsi dans une autre pêche qui a précédé, il a voulu nous figurer l'Eglise telle qu'elle est pendant cette vie. Aussi lors de cette première pêche, Jésus ne se tenait pas sur le rivage, mais montant sur une barque qui était celle de Simon-Pierre, il le pria de s'éloigner du rivage. Dans cette même circonstance, les filets ne sont pas jetés à droite de la barque, pour ne pas signifier les bons seulement, ni à gauche, pour ne pas figurer exclusivement les mauvais, mais indifféremment à droite ou à gauche : « Jetez, dit Jésus, vos filets pour pêcher, » (Lc 5) afin de figurer ainsi le mélange des bons et des mauvais, ici, au contraire, il dit : « Jetez votre filet à la droite de la barque, » pour signifier seulement ceux qui se tiendront à la droite, c'est-à-dire, les bons exclusivement. Le Sauveur fit le premier miracle au commencement de sa prédication, et le second après sa résurrection. La première pêche représente le mélange des bons et des mauvais, dont l'Eglise est maintenant composée ; et la seconde, les bons seulement, dont elle sera formée, pour l'éternité après la résurrection des morts, qui aura lien à la fin du monde. Ceux qui auront part à la résurrection du la vie (c'est-à-dire, ceux qui seront adroite), et qui sont morts dans les filets du nom chrétien, ne paraîtront que sur le rivage (c'est-à-dire, à la fin du monde après la résurrection). Aussi les disciples ne purent tirer les filets pour verser comme la première fois dans la barque, les poissons qu'ils avaient pris. Ces poissons qui sont pris à la droite de la barque, l'Eglise les conserve cachés dans le sommeil de la paix, comme dans les profondeurs de la mer, jusqu'à ce que le filet soit tiré sur le rivage. Dans la première pêche il y avait deux barques, et dans celle-ci, les disciples étaient à deux cents coudées du rivage ; on peut dire que c'est la figure des élus des deux peuples, du peuple de la circoncision et du peuple des Gentils (comprenant chacun le nombre cent). — BEDE. Ou bien encore, ces deux cents coudées représentent les deux préceptes de la charité, car c'est par l'amour de Dieu et du prochain que nous approchons de Jésus-Christ. Le poisson rôti est la figure de Jésus-Christ dans sa passion ; il a daigné se cacher dans les eaux du genre humain, il s'est laissé prendre dans les filets de notre mortalité ; il a été pour nous comme un poisson par son humanité, et il est devenu pour nous un pain en nous fortifiant par sa divinité.
S. GREG. C'est à Pierre qu'a été confié le soin de la sainte Eglise, et c'est à lui spécialement qu'il est dit : « Paissez mes brebis. » Ce que le Sauveur lui dira bientôt en termes exprès, il le lui dit maintenant par les faits. C'est Pierre qui tire les poissons sur la terre ferme du rivage, parce que c'est lui qui montre aux fidèles l'éternelle et immuable patrie ; c'est ce qu'il a fait par ses paroles, c'est ce qu'il a fait par ses Epîtres, c'est ce qu'il fait encore tous les jours par l'éclat de ses miracles. L'Evangéliste ne se contente pas de nous dire que le filet était plein de poissons, mais il en précise le nombre : « Il était plein de cent cinquante-trois poissons. » — S. AUG. Dans la première pêche, on ne parle pas du nombre des poissons, et nous y voyons comme un accomplissement de cette prédiction du Roi-prophète : « J'ai voulu annoncer vos œuvres, leur multitude m'a paru innombrable. » (Ps 39, 6.) Ici, au contraire, le nombre est précisé, et il faut en donner la raison. Le nombre qui figure la loi est le nombre dix, à cause du décalogue ; mais lorsque la grâce vient s'unir à la loi (c'est-à-dire, l'esprit à la lettre), le nombre sept vient s'ajouter au nombre dix. En effet, le nombre sept est comme le symbole de l'Esprit saint, qui est surtout l'auteur de notre sanctification. Cette sanctification se montre pour la première fois dans le repos du septième jour. (Gn 2) Le prophète Isaïe fait l'éloge de l'Esprit saint, en énumérant ses sept dons ou ses sept opérations, (Is 11) Lors donc qu'au nombre dix de la loi vient s'ajouter le nombre sept, symbole de l'Esprit saint ; ces deux nombres réunis forment le nombre dix-sept ; si l'on décompose ce nombre en commençant par l'unité et en ajoutant toujours à chacune de ces parties, depuis un jusqu'à dix-sept le nombre additionnel ou arrive au nombre total de cent cinquante-trois. — S. GREG. Multiplions le nombre sept et dix-sept par trois, et nous trouvons cinquante-un. Or, c'est dans la cinquantième année que tout le peuple se reposait de tout travail. Mais le véritable repos est dans l'unité, car le véritable repos ne peut se trouver au milieu des déchirements produits par la division.
S. AUG. Il ne faudrait pas conclure de là qu'il n'y aura que cent cinquante-trois saints qui ressusciteront à la vie éternelle, car tous ceux qui ont part à la grâce de l'Esprit saint, sont compris dans ce nombre qui renferme trois fois le nombre cinquante, et de plus le nombre trois, symbole du mystère de la sainte Trinité. Or, le nombre cinquante est le produit du nombre sept multiplié par sept, et auquel on ajoute l'unité. Cette unité indique qu'ils ne doivent faire qu'un. Ce n'est pas sans raison que l'Evangéliste fait la remarque que les poissons étaient grands, car lorsque Nôtre-Seigneur eut dit : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l'accomplir (en donnant l'Esprit saint qui devait la faire accomplir) ; » il ajoute un peu plus loin : « Celui qui fera et enseignera sera grand dans le royaume des cieux. » (Mt 5) Lors de la première pêche, le filet se rompait en figure des schismes qui devaient déchirer l'Eglise. Ici, au contraire, comme les schismes seront impossibles dans la paix suprême dont jouiront les saints, l'Evangéliste a dû faire remarquer que, malgré le grand nombre et la grosseur des poissons, le filet ne se rompit point. Il semble faire allusion à la première pêche où le filet se rompit, et vouloir faire ressortir par cette comparaison la supériorité de la pèche actuelle.
S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) La pêche étant terminée, le Seigneur invite ses disciples à manger : « Jésus leur dit : Venez, mangez. » — S. CHRYS. (hom. 87 sur S. Jean.) Nous ne voyons pas ici qu'il ait mangé avec eux, mais saint Luc le dit expressément. Il le fit du reste, non pas que sa nature eût encore besoin d'aliments, mais pour s'accommoder à la faiblesse de ses disciples et leur donner ainsi une nouvelle preuve de sa résurrection. — S. AUG. (de la cité de Dieu, 13, 22.) Quant aux corps des justes, tels qu'ils seront après la résurrection, ils n'auront plus besoin de l'arbre de vie pour se garantir des maladies et de la décrépitude qui conduisent à la mort, ni des aliments matériels qui apaisent le besoin si souvent pénible de la faim et de la soif, parce qu'ils seront revêtus du don assuré d'une immortalité qu'ils ne pourront plus perdre, immortalité qui, en les affranchissant de la nécessité de se nourrir, leur en laissera la faculté. En effet, les corps ressuscites seront affranchis, non de la faculté, mais du besoin de boire et de manger. C'est ainsi que Notre Seigneur, après sa résurrection, voulut boire et manger avec ses disciples dans une chair toute spirituelle, quoique très-véritable, non par le besoin qu'il avait de nourriture, mais en vertu de la faculté qui lui en était restée.
« Et nul de ceux qui étaient assis n'osait lui demander : Qui êtes-vous ? » — S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) C'est-à-dire, nul d'entre eux n'osait élever des doutes sur la réalité de la personne du Sauveur, car l'évidence de la vérité était si grande, qu'aucun d'eux n'osait, non-seulement nier, mais même douter que ce fût lui, car s'ils avaient eu quelque doute, ils l'auraient interrogé. — S. CHRYS. Ou bien l’Evangéliste fait celle réflexion, parce que les disciples n'osaient plus lui parler avec la même liberté qu'auparavant ; ils étaient assis en silence et dans l'attitude du plus grand respect, les yeux fixés sur lui, et à la vue des propriétés différentes de son corps, ravis d'admiration et d'étonnement, ils auraient voulu l'interroger. Mais comme ils savaient que c'était le Seigneur, la crainte les arrêtait, et ils se contentaient de manger ce qu'il leur distribuait avec une autorité souveraine. Il ne lève point ici les yeux au ciel, et il n'agit plus comme un homme, pour leur apprendre que ce qu'il faisait autrefois était la suite de ses abaissements volontaires : « Et Jésus vint, prit le pain, et le leur donna, » etc.
S. AUG. Dans le sens mystique, le poisson rôti représente Jésus-Christ dans sa passion. Il est le pain descendu du ciel, et l'Eglise lui est incorporée pour avoir part au bonheur éternel. Il leur dit : « Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre, afin que nous tous qui avons cette espérance, nous sachions que nous entrons en participation d'un si grand mystère dans la personne de ces sept disciples (nombre où l'on peut voir l'universalité des fidèles), et que nous sommes associés à leur félicité.
S. GREG. Ce dernier repas que Jésus fait avec sept de ses disciples, nous enseigne que ceux-là seuls qui sont remplis des sept dons de l'Esprit saint, auront part avec lui à l'éternel festin. Le cours du temps s'accomplit et se mesure par espaces de sept jours, et ce nombre est souvent pris pour le symbole de la perfection. Ceux donc qui, dans ce dernier et éternel festin, se nourriront de la présence de la vérité, sont ceux que le zèle pour leur perfection élève au-dessus des choses de la terre.
S. CHRYS. Le Sauveur ne restait pas longtemps avec ses disciples, et n'avait plus avec eux les mêmes rapports que précédemment, c'est pour cela que l'Evangéliste ajoute : « Ce fut la troisième fois que Jésus apparut à ses disciples, depuis qu'il était ressuscité des morts. — S. AUG. Ce nombre de trois doit s'entendre, non de l'ordre des apparitions elles-mêmes, mais des jours où elles eurent lieu. Ainsi il leur apparut le jour même de sa résurrection, puis huit jours après, lorsque Thomas crut après l'avoir vu de ses yeux, et encore le jour de cette pêche miraculeuse, et ensuite aussi souvent qu'il le voulut jusqu'au quarantième jour où il monta au ciel. — S. AUG. (de l'acc. des Evang., 3, 25.) Nous trouvons dans les quatre évangélistes, dix apparitions du Seigneur après sa résurrection. Il apparut la première fois aux saintes femmes, près du sépulcre ; la seconde, lorsqu'elles revenaient du sépulcre ; la troisième fois à Pierre ; la quatrième aux deux disciples qui allaient à Emmaüs ; la cinquième à plusieurs disciples dans Jérusalem ; la sixième aux onze Apôtres et à Thomas ; la septième sur les bords de la mer de Tibériade ; la huitième aux onze Apôtres, sur une montagne de Galilée, selon saint Matthieu ; la neuvième, comme le rapporte saint Marc, à ce dernier repas après lequel ils ne devaient plus manger avec lui sur la terre ; la dixième fois enfin ; le jour même de son ascension, alors qu'il n'était déjà plus sur la terre, mais qu'il s'élevait dans les cieux.
THEOPHYL. Après le repas, Jésus confie à Pierre, et non pas à d'autres, le gouvernement de toutes les brebis qui étaient dans le monde : « Lors donc qu'ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre, » etc. — S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) Le Sauveur interroge, bien qu'il sût ce qu'il demandait, car il savait parfaitement que, non-seulement Pierre l'aimait, mais qu'il l'aimait plus que tous les autres.
ALCUIN. Simon est appelé fils de Jean, parce que son père s'appelait Jean. Dans le sens mystique, Simon veut dire obéissant, et Jean signifie grâce. C'est à juste titre que Pierre est appelé obéissant à la grâce de Dieu, pour faire voir que s'il aime Jésus-Christ d'un amour plus ardent, ce n'est point à ses mérites, mais à la grâce de Dieu qu'il en est redevable.
S. AUG. (Serm. sur la pass.) Lorsque le Seigneur fut sur le point d’être mis à mort, Pierre fut saisi de crainte et renia son divin Maître, car c'est la crainte de la mort qui lui fit renier Jésus-Christ ; mais maintenant qu'il est ressuscité, que pourrait-il craindre encore, puisque la mort a reçu elle-même dans sa personne le coup de la mort ? « Il lui répondit donc : Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. » Sur cette assurance que Pierre lui donne de son amour, Jésus lui confie le soin de sou troupeau. Il lui dit : « Paissez mes brebis, » comme si Pierre n'avait point d'autre occasion de manifester son amour pour Jésus-Christ, qu'en devenant un pasteur fidèle de ses brebis sous l'autorité du Prince de tous les pasteurs. — S. CHRYS. (hom. 88 sur S. Jean.) Rien ne nous rend plus dignes de la bienveillance divine comme le soin que nous prenons du prochain. Nôtre-Seigneur donne cette charge à Pierre de préférence à tous les autres Apôtres, parce qu'il était le premier entre tous les Apôtres, la bouche des disciples, et la tête du sacré collège, et c'est pour cela qu'après lui avoir pardonné son reniement, il l'établit le chef de ses frères. Il ne lui reproche pas de l'avoir renié, mais il lui dit : « Si vous m'aimez, soyez à la tête de vos frères, montrez maintenant cet amour dont vous avez fait constamment preuve, et sacrifiez pour mes brebis cette vie que vous étiez prêt, disiez-vous, à donner pour moi. »
« Jésus lui dit de nouveau : Simon, fils de Jean, m'aimez-vous ? » — S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) C'est avec raison que Jésus demande à Pierre : « M'aimez-vous ? » et que sur la réponse qu'il lui fait : « Je vous aime. » Jésus lui dit : « Paissez mes agneaux. » Nous voyons ici que l'amour et la dilection sont une seule et même chose, car la troisième fois le Seigneur ne lui dit pas : Diligis me, avez-vous pour moi de la dilection ? mais : Amas me, m'aimez-vous. Jésus lui dit une troisième fois : « Simon, fils de Jean, m'aimez-vous ? » Jésus demande à Pierre pour la troisième fois s'il l'aime, à son triple renoncement correspond une triple confession, il faut que sa langue devienne l'organe de sou amour comme elle l'a été de sa crainte, et que le témoignage de sa parole soit aussi explicite en présence de la vie qu'il l'a été devant la mort qui le menaçait. — S. CHRYS. Trois fois Jésus lui fait la même question, et trois fois aussi il lui renouvelle la même recommandation, pour nous apprendre quel prix il attache à la direction de ses brebis, et que c'est à ses yeux la preuve la plus grande d'amour. — THEOPHYL. C'est de là qu'est venu l'usage de la triple promesse exigée de ceux qui demandent à recevoir le baptême.
S. CHRYS. A cette troisième question, le trouble s'empare de l'âme de Pierre : « Pierre fut contristé de ce que Jésus lui demandait pour la troisième fois : M'aimez-vous ? » Il tremble au souvenir de sa conduite passée, il craint de se tromper en croyant qu'il aime Jésus, et de mériter de nouveau la rude leçon qu'il a reçue par suite de la trop grande confiance qu'il avait dans ses propres forces. C'est donc auprès de Jésus-Christ qu'il cherche son refuge : « Et il lui dit : Seigneur, vous connaissez toutes choses, » c'est-à-dire, les secrets les plus intimes du cœur pour le présent et pour l'avenir. — S. AUG. (Serm. 50 sur les par. du Seig.) Ce qui l'attriste, c'est de se voir renouveler cette question par celui qui savait parfaitement ce qu'il demandait et qui avait inspiré à Pierre les assurances qu'il donnait de son amour. Il répond donc en toute vérité, et c'est du fond de son cœur qu'il fait sortir ces accents d'un véritable amour : « Vous savez que je vous aime. » — S. AUG. (Traité 124 sur S. Jean.) Pierre n'ajoute pas : Plus que ceux-ci, il ne répond que sur ce qu'il sait de lui-même, car il ne pouvait connaître le degré d'amour qu'avaient les autres disciples pour Jésus, puisqu'il ne pouvait lire dans le fond de leur cœur : « Jésus lui dit : Paissez mes brebis, » c'est-à-dire, donnez un témoignage de votre amour en paissant le troupeau du Seigneur, comme vous avez donné une preuve de votre timidité en reniant le pasteur.
THEOPHYL. On peut établir une différence entre les agneaux et les brebis ; les agneaux sont ceux qui commencent à faire partie du troupeau ; les brebis sont les âmes qui ont atteint la perfection. — ALCUIN. Paître les brebis, c'est fortifier ceux qui croient en Jésus-Christ, pour que leur foi ne vienne pas à défaillir, pourvoir, lorsqu'il le faut, aux nécessités temporelles de ceux qu'on dirige, s'opposer à leurs ennemis, et ramener ceux d'entre eux qui s'égarent. — S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) Ceux qui paissent les brebis de Jésus-Christ, dans l'intention d'en faire leurs propres brebis plutôt que de les attacher à Jésus-Christ, sont convaincus de s'aimer au lieu d'aimer Jésus-Christ, d'être conduits par le désir de la gloire, de la domination ou de l'intérêt plutôt que par la charité qui ne se propose que d'obéir, de secourir et de plaire à Dieu. Gardons-nous donc de nous aimer nous-mêmes, au lieu d'aimer Jésus-Christ ; en paissant ses brebis, cherchons ses intérêts plutôt que les nôtres. Celui qui s'aime au lieu d'aimer Dieu, ne s'aime pas véritablement, car puisqu'il ne peut vivre par lui-même, en n'aimant que soi il se condamne à la mort. Ce n'est donc point s'aimer véritablement que de s'aimer d'un amour qui fait perdre la vie. Lorsqu'au contraire ou aime celui qui nous fait vivre, en ne s'aimant pas soi-même, on s'aime beaucoup plus, puisqu'on refuse de s'aimer pour aimer davantage celui qui est pour nous le principe de la vie. — S. AUG. (Serm. sur la pass.) Il s'est trouvé des serviteurs infidèles qui ont divisé le troupeau de Jésus-Christ, et qui, par leurs rapines, se sont amassé une certaine fortune. Vous les entendez dire : Ce sont là mes brebis, que venez-vous faire près de mes brebis, prenez garde que je vous retrouve parmi mes brebis. Si nous tenons nous-mêmes ce langage, et qu'à leur exemple, nous disions aussi : Mes brebis ; c'en est fait, Jésus-Christ a perdu ses brebis.
S. CHRYS. (hom. 88 sur S. Jean.) Après avoir enseigné à Pierre le véritable caractère de l'amour qu'il devait avoir pour lui, il lui prédit le martyre qu'il devait souffrir pour son nom, et nous apprend ainsi comment nous devons l'aimer nous-mêmes : « En vérité, en vérité, je vous le dis, lorsque vous étiez plus jeune, vous vous ceigniez vous-même, et vous alliez où vous vouliez. » Jésus lui rappelle le temps de sa jeunesse, parce qu'en effet, pour les affaires de la terre, le jeune homme seul a de la valeur, le vieillard n'en a presque point. Dans les choses divines, au contraire, c'est dans la vieillesse que la vertu a plus d'éclat, plus d'habileté, plus d'application, sans que l'âge y apporte aucun obstacle. Or, comme Pierre voulait toujours être au milieu des dangers avec Jésus-Christ, le Sauveur lui dit : « Ayez confiance, j'accomplirai votre désir ; ce que vous n'avez pas souffert dans votre jeunesse, vous le souffrirez dans votre vieillesse ; » preuve que Pierre n'était alors ni jeune ni vieux, mais dans la force de l'âge.
ORIG. (sur S. Matth.) Remarquez qu'il n'est pas facile de trouver quelqu'un de ceux qui sont prêts à quitter immédiatement cette vie. C'est pour cela que Jésus dit dès maintenant à Pierre : « Lorsque vous serez devenu vieux, vous étendrez vos mains. »
S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) C'est-à-dire vous serez crucifié, et pour vous conduire au supplice, un autre vous ceindra et vous conduira où vous ne voudrez pas. Jésus prédit d'abord l'événement et ensuite la manière dont il devait s'accomplir. Ce n'est pas lorsqu'il fut crucifié, mais avant d'être attaché à la croix, qu'il fut conduit là où il ne voulait pas. Il voulait bien être dépouillé de son corps pour être avec Jésus-Christ, mais, s'il eût été possible, il aurait désire entrer dans la vie éternelle sans passer par les angoisses de la mort. C'est malgré lui qu'il fut conduit au supplice, mais c'est par sa volonté qu'il a triomphé des horreurs de cette mort et qu'il s'est dépouillé de ce sentiment de crainte et de répugnance pour la mort, sentiment tellement inhérent à notre nature que la vieillesse même ne put l'éteindre dans saint Pierre. Mais quelles que soient les souffrances dont la mort se montre environnée, nous devons en triompher par la force de l'amour que nous avons pour celui qui, étant notre vie, a voulu souffrir la mort pour nous. Car s'il n'y avait que peu ou point de souffrance à endurer pour mourir, la gloire des martyrs serait beaucoup moins grande. — S. CHRYS. Jésus lui dit : « Vous serez conduit là où vous ne voudrez point, » à cause de ce sentiment naturel à l'âme qui fait qu'elle se sépare malgré elle du corps par un sage conseil de la Providence divine qui s'oppose ainsi aux funestes desseins d'un grand nombre qui auraient fini leurs jours par une mort violente. L'Evangéliste élève ensuite plus haut nos pensées : « Jésus dit cela indiquant par quelle mort il devait glorifier Dieu. » Il ne dit pas : de quelle mort il devait mourir, pour nous apprendre que c'est un honneur et une gloire de souffrir pour Jésus-Christ. Or, jamais le chrétien ne consentirait à souffrir la mort pour Jésus-Christ si son esprit n'avait la certitude qu'il est vraiment Dieu. Aussi la mort des saints est-elle pour nous une preuve certaine de la gloire de Dieu.
S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) Telle fut donc la fin de Pierre. Après avoir renié Jésus-Christ, il l'aima de tout son cœur, et, sous l'impulsion de cet amour parfait il souffrit la mort pour celui pour qui, par une précipitation coupable, il avait promis de sacrifier sa vie. Il fallait d'abord, en effet, que Jésus-Christ souffrît la mort pour le salut de Pierre avant que Pierre donnât sa vie pour la foi de Jésus-Christ qu'il annonçait.
S. AUG. (Traité 124 sur S. Jean.) Après avoir prédit à Pierre par quelle mort il devait glorifier Dieu, il l'invite à marcher à sa suite : « Et après avoir ainsi parlé, il lui dit : « Suivez-moi. » Mais pourquoi le Sauveur dit-il à Pierre seul : « Suivez-moi, » sans adresser la même invitation aux autres qui étaient présents et qui le suivaient comme des disciples suivent leur maître ? Or, si par ces paroles Jésus l'appelle au martyre, Pierre est-il donc le seul qui ait souffert pour la vérité chrétienne ? Est-ce que Jacques n'était pas là, lui que nous savons avoir été mis à mort par Hérode ? On répondra peut-être à cela que Jacques n'ayant pas été crucifié, Jésus put dire exclusivement à Pierre : « Suivez-moi, » parce que non-seulement il devait souffrir la mort, mais la mort de la croix, à l'exemple de Jésus-Christ.
THEOPHYL. Pierre ayant appris qu'il devait souffrir la mort pour Jésus-Christ, lui demande si Jean doit mourir de la même mort. « Pierre s'étant retourné vit le disciple que Jésus aimait, » etc. — S. AUG. Il se nomme le disciple que Jésus aimait parce qu'en effet Jésus avait pour lui un amour plus intime et plus tendre que pour les autres, et c'est pour cela que, pendant la cène, il le fit reposer sur sa poitrine. Je crois que le Sauveur a voulu ainsi nous donner une haute idée de l'excellence de l'Evangile que Jean devait annoncer. Il en est qui pensent (et ce ne sont pas les interprètes les moins distingués des saintes Ecritures) que l'amour plus particulier de Jésus pour Jean avait pour cause la chasteté que cet Apôtre avait toujours inviolablement gardée depuis sa première enfance.
« Pierre donc, l'ayant vu, dit à Jésus : Seigneur, mais celui-ci, que deviendra-t-il?» — théofhtl. C'est-à-dire, suivant l'explication de quelques interprètes, est-ce qu'il ne doit pas mourir aussi?
« Jésus lui dit : Je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne; que vous importe ? » — S. AUG. Et il lui répète : « Suivez-moi, » paroles qui semblent nous indiquer que Jean ne le suivrait point, parce qu'il voulait qu'il restât jusqu'à ce qu'il vint lui-même. Il semble qu'on ne pourrait facilement admettre d'autre interprétation de ces paroles que celle qui vint à l'esprit des disciples qui étaient présents : « Le bruit courut donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait point. » Mais Jean lui-même combat cette interprétation en ajoutant : « Et Jésus ne lui dit pas : Il ne mourra point, mais je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne, que vous importe ? » On peut insister cependant si l'on veut, et dire qu'à la vérité Nôtre-Seigneur n'avait pas dit que « ce disciple ne mourrait point, » mais que c'est le sens qui résulte des paroles rapportées par saint Jean. — THEOPHYL. On peut dire encore : Jésus-Christ n'a point nié que Jean dût mourir (car tout ce qui naît doit mourir), mais il lui a dit simplement : Je veux qu'il demeure, c'est-à-dire qu'il vive jusqu'à la fin du monde, et c'est alors qu'il souffrira pour moi le martyre. Voilà pourquoi il en est qui prétendent que Jean vit encore, et qu'il doit être mis à mort par l'antéchrist, après avoir annoncé le nom de Jésus-Christ avec Elie et Enoch. On montre, il est vrai, son tombeau, mais il y est entré vivant pour en sortir bientôt après.
S. AUG. Il en est même qui vont jusqu'à dire que dans son tombeau, que l'on montre encore à Ephèse, Jean y est enseveli dans le sommeil plutôt que dans la mort, et ils en donnent pour preuve que la terre qui recouvre son tombeau se soulève et fait comme jaillir des flots de poussière, ce qu'ils attribuent obstinément à l'effet de sa respiration. Mais pourquoi le Sauveur aurait-il accordé, comme une grâce privilégiée au disciple qu'il aimait plus que les autres, un sommeil du corps aussi prolongé, tandis que par la gloire éclatante du martyre il a délivré Pierre du fardeau de ce corps terrestre et l'a mis en possession de ce bonheur que saint Paul désirait si vivement lorsqu'il disait : « Je désire d'être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ ? » (Ph 1, 23.) Si donc il faut en croire la renommée sur le fait en question, nous dirons que Dieu le permit pour relever la mort de son disciple qui n'a pas été rehaussée par la gloire du martyre, ou pour toute autre cause qui nous est inconnue. Cependant il reste toujours à résoudre cette question : Pourquoi le Seigneur a-t-il pu dire d'un homme qui devait mourir : « Je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne ? »
Il nous est également intéressant d'examiner pourquoi le Sauveur avait pour Jean un amour plus particulier, alors que Pierre aimait son divin Maître plus que les autres. Autant que je puis en juger, je serais porté à dire que celui qui a pour Jésus-Christ un plus grand amour vaut mieux que les autres, taudis que celui qui est plus aimé de Jésus-Christ est plus heureux, si je voyais comment défendre en cela la justice de notre divin Rédempteur. Je vais donc essayer de résoudre cette importante et difficile question. L'Eglise connaît deux vies différentes que la prédication divine lui a enseignées, l'une est la vie de la foi, l'autre la vie de la claire vision ; la première est personnifiée dans l'apôtre Pierre, à cause de la primauté de sa dignité apostolique ; l'autre dans l'apôtre Jean. Jésus dit à Pierre : « Suivez-moi, » tandis qu'on parlant de Jean, il dit : « Je veux qu'il démesure ainsi jusqu'à ce que je vienne, » paroles dont voici le sens : Pour vous, suivez-moi en supportant, à mon exemple, les souffrances de cette vie ; quant à lui, qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne le mettre en possession des biens éternels. Ou pour parler plus clairement encore : Que la vie active parfaite me suive en imitant l'exemple que je lui ai donné dans ma passion, et que la vie contemplative, qui ne fait que commencer ici-bas, demeure jusqu'à ce que je vienne lui donner toute sa perfection. Cette expression demeurer ne doit pas s'entendre dans le sens de rester, être permanent, mais dans le sens d'attendre, parce que la vie dont Jean est la figure aura son parfait accomplissement lorsque Jésus-Christ viendra. Or, dans cette vie active, plus nous aimons Jésus-Christ, plus aussi nous sommes délivrés facilement du mal. Cependant Jésus nous aime moins dans l'état où nous sommes, et il nous en délivre pour que nous n'y restions pas éternellement. Dans la vie du ciel, au contraire, il nous aime davantage, parce qu'il n'y aura plus rien en nous qui lui déplaise et dont il doive nous délivrer. Que Pierre donc aime Jésus-Christ afin que nous soyons délivrés de cette vie mortelle ; que Jean soit aimé par lui, afin que nous possédions l'immortalité sans crainte de la perdre. Si vous demandez maintenant pourquoi Jean, qui figurait la vie où Jésus est plus aimé, l'aimait cependant moins que Pierre, je répondrai : C'est parce que le Sauveur a dit : « Je veux qu'il demeure (c'est-à-dire qu'il attende) jusqu'à ce que je vienne, » c'est parce que nous n'avons pas encore, mais que nous attendons dans l'avenir cet amour plus parfait que Jésus nous donnera lorsqu'il viendra. Voilà ce qui nous est figuré dans la personne de Pierre, qui aime davantage Jésus-Christ, mais qui en est moins aimé, parce que le Sauveur nous aime moins dans l'état d'épreuve que dans la vie bienheureuse ; et nous-mêmes nous aimons moins la contemplation de la vérité telle qu'elle doit se dévoiler un jour, parce que nous n'en avons encore ni la connaissance, ni la possession. C'est ce qui nous est figuré par Jean, qui aime Jésus-Christ moins que Pierre. Que personne cependant ne songe à séparer ces deux illustres apôtres, car tous deux vivaient de cette vie qui se personnifiait dans Pierre, comme tous deux devaient vivre un jour de cette vie dont Jean était la figure.
LA GLOSE. Ou bien encore ces paroles : « Je veux qu'il demeure ainsi, » veulent dire : Je ne veux pas qu'il termine sa vie par le martyre, mais qu'il attende en paix la délivrance de son corps, lorsque je viendrai le mettre en possession de la félicité éternelle.
THEOPHYL. Ou bien autrement, par ces paroles : « Suivez-moi, » le Seigneur le place à la tête de tous les fidèles ; et ce mot : « Suivez-moi, » emporte l'imitation générale de toutes ses paroles, de toutes ses actions. Il lui prouve aussi par là l'amour qu'il a pour lui, car ce sont ceux que nous aimons le plus que nous voulons voir à notre suite.
S. CHRYS. Si l'on me demande comment se fait-il donc que Jacques ait occupé le siège de Jérusalem ? Je répondrai, parce que Pierre a été établi maître du monde entier. « Pierre s'étant retourné, vit le disciple que Jésus aimait, qui, pendant la cène, s'était reposé sur sa poitrine, et lui avait demandé : Seigneur, quel est celui qui vous trahira ? » Ce n'est pas sans raison que l’Evangéliste rappelle cette circonstance du la cène, il veut nous faire voir quelle grande confiance animait Pierre après son renoncement. Pendant la cène, il n'avait pas osé interroger le Sauveur, mais avait fait signe à Jean de l'interroger à sa place, et c’est à lui qu'est confiée la suprême juridiction sur ses frères. Et non-seulement il ne laisse plus à un autre le soin d'interroger son divin Maître sur ce qui le concerne, mais lui-même l'interroge, désormais sur ce qui peut intéresser les autres. Comme le Seigneur venait de lui faire les plus grandes promesses, de lui confier le soin de l'univers entier, de lui prédire son martyre, et de constater solennellement que l’amour de Pierre pour lui était plus grand que celui des autres, Pierre, dans le désir que Jean entre en partage d'aussi grandes prérogatives, dit à Jésus : « Mais celui-ci, que deviendra-t-il ? » C'est-à-dire : Est-ce qu'il ne suivra pas la même voie ? En effet, Pierre aimait beaucoup Jean, et leur union nous est attestée par l'Evangile et par le livre des Actes. C'est ainsi que Pierre veut rendre à Jean ce que Jean a fait autrefois pour lui. Il croit que Jean voudrait bien demander ce qui doit lui arriver, mais qu'il n'ose le faire, il interroge donc le Sauveur à sa place. Mais ils devaient être chargés la direction de tout l'univers, et ne pouvaient plus rester réunis comme ils l'avaient été jusqu'à présent, ce qui eût été un véritable préjudice pour le monde tout entier ; le Seigneur répond donc à Pierre, selon le texte grec : « Si je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne, que vous importe ? Quant à vous, suivez-moi, » c'est-à-dire, ne vous occupez que de l’œuvre qui vous est confiée, et accomplissez-la soigneusement, pour celui-ci, si je veux qu'il demeure, que vous importe ?
THEOPHYL. Il en est qui entendent ces paroles : « Jusqu'à ce que je vienne, » dans ce sens : Jusqu'à ce que je vienne contre les Juifs qui m'ont crucifié, et que je les frappe par les armes des Romains. On rapporte, en effet, que cet Apôtre vécut dans ces mêmes lieux jusqu'au temps de Vespasien, sous lequel la ville de Jérusalem devait être prise. Ou bien encore : « Jusqu'à ce que je vienne, » c'est-à-dire, jusqu'à ce que je l'envoie annoncer l'Evangile. Quant à vous, je vous destine le pontificat du monde entier, et c'est pour cela que je vous dis : « Suivez-moi ; » pour lui qu'il demeure ici jusqu'au jour où je lui donnerai sa mission comme à vous.
S. CHRYS. L'Evangéliste exprime ensuite et redresse l'opinion des disciples, comme nous l'avons dit plus haut.
S. CHRYS. (hom. 88 sur S. Jean.) Comme le récit de saint Jean est appuyé sur les faits et les documents les plus certains, il n'hésite pas à produire son propre témoignage : « C'est ce même disciple qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites. » Nous avons pour habitude, lorsque nous rapportons des faits d'une véracité incontestable, de produire à l'appui notre propre témoignage ; c'est ce que fait à plus forte raison celui qui écrivait sous l'inspiration du Saint-Esprit. Voilà pourquoi les autres Apôtres disaient eux-mêmes : « Nous sommes témoins de ces faits. » Saint Jean ajoute : « Et qui les a écrites. » Il est le seul qui parle de la sorte parce qu'il a écrit le dernier sur l'ordre qu'il en a reçu de Jésus-Christ. Voilà pourquoi il parle si fréquemment de l'amour de Jésus-Christ pour lui, faisant ainsi connaître indirectement la cause secrète qui le porte à écrire, et appuyant son récit sur le privilège particulier d'être l’ami de Jésus-Christ : « Et nous savons que son témoignage est vrai, » car il avait été présent à tous les événements qu'il raconte ; il était là lorsque Jésus-Christ fut crucifié ; c’est à lui que le Sauveur daigne confier sa mère, preuve du grand amour que Jésus avait pour lui, et de la certitude de tous les faits qu'il raconte. Si quelques-uns restent incrédules, ce qu'il dit en terminant doit les amener à la foi : « Jésus fit encore beaucoup d'autres choses. » Il est donc évident que je n'ai pas écrit dans le but unique d'être agréable à Jésus-Christ, puisque tant de faits qui existent, j'en ai raconté beaucoup moins que les autres évangélistes ; j'en ai laissé un très-grand nombre, choisissant de préférence les injures et les outrages faits à sa personne. Or, celui qui écrit pour donner de la gloire à son héros, doit au contraire passer sous silence ce qui, dans sa vie, porte un caractère d'ignominie, et ne s'attacher qu'aux faits éclatants. — S. AUG. (Traité 124 sur S. Jean.) Il ajoute : « Si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde entier pût contenir les livres qu'il faudrait écrire. » Il ne faut pas entendre ces paroles dans ce sens, que l'étendue du monde entier ne suffirait point à contenir tous ces livres, mais que la capacité des lecteurs du monde entier ne suffirait pas à les comprendre. On peut dire aussi que souvent les expressions, tout en respectant la vérité des choses, paraissent cependant aller au delà, ce qui arrive, non point lorsqu'on met dans son jour une chose obscure ou douteuse, mais quand on exagère ou qu'on atténue une vérité claire par elle-même. Cependant, en parlant, ainsi, on ne s'écarte pas de la voie de la vérité, car ces expressions qui vont au delà de ce qu'on veut dire, ne trahissent nullement l'intention de tromper dans celui qui les a employées. Cette manière de parler, s'appelle eu grec hyperbole, et cette figure ne se rencontre pas seulement ici, mais dans d'autres endroits de l'Ecriture. — S. CHRYS. On bien encore, il faut rapporter ces paroles à la puissance divine de celui qui accomplissait ces œuvres admirables ; en effet il lui était beaucoup plus facile de faire les œuvres qu'il voulait, qu'il ne nous l’est à nous de les raconter, car il est le Dieu béni au-dessus de toutes choses dans les siècles des siècles.