Auteur: Arnaud Dumouch (---.88.238.132.codenet.be)
Date: 06/09/2004 21:56
Quelques extraits de la IIa IIae
ARTICLE 3: Les espèces de la divination
Objections:
1. Il semble qu'il n'y ait pas lieu de distinguer plusieurs espèces de divination. Car là où la raison de péché est unique, il n'y a pas plusieurs espèces. Or, toute divination a une
seule raison de péché, du fait qu'on use pour connaître l'avenir de pacte avec les démons. On ne peut donc distinguer plusieurs espèces de divinations.
2. L'acte humain est spécifié par sa fin, on l'a dit. Or, la divination a toujours une fin unique: l'Annonce de l'avenir. Il n'y en a donc qu'une espèce.
3. Les signes qu'on emploie ne peuvent changer l'espèce du péché; que l'on nuise à la réputation de quelqu'un par paroles, par écrit ou par gestes, c'est tout un. Les formes variées de
divination ne diffèrent, semble-t-il, que par la diversité des signes d'où l'on tire la connaissance de l'avenir. Il n'y donc pas diversité d'espèces.
Cependant, S. Isidore énumère les différentes espèces de divination.
Conclusion:
Toute divination, nous l'avons dit, use pour connaître l'avenir du conseil ou de l'aide des démons. Leur secours est parfois expressément requis. Mais indépendamment de toute demande,
le démon peut intervenir secrètement pour annoncer des événements futurs ignorés des humains, et connus de lui. Sur les moyens qu'il en a, voir ce que nous avons dit dans la première
Partie.
Lorsqu'ils répondent à un appel exprès, les démons ont bien des manières d'annoncer l'avenir. Parfois ils se présentent eux-mêmes, sous des formes trompeuses, à la vue des humains et
font entendre leurs prédictions. C'est ce qu'on appelle le prestige, parce qu'en ce cas les yeux des hommes sont comme éblouis. D'autres fois ils usent de songes, et c'est alors la
divination par les songes. Ou bien ils font apparaître et parler des morts. C'est la nécromancie, dont Isidore explique ainsi le nom: « En grec nekros signifie mort, et mantia,
divination; car après certaines incantations, où intervient le sang, on voit se lever des morts qui prédisent l'avenir et répondent aux questions. » Les démons annoncent encore les
événements futurs par le truchement d'hommes vivants, comme on le voit chez les possédés. Cette espèce de divination est celle des pythonisses, « ainsi nommées, dit Isidore à cause
d'Apollon Pythien, qui passait pour l'auteur des oracles ». Autre procédé encore: des dessins ou des signes apparaissent sur des êtres inanimés. S'il s'agit d'un corps composé
d'éléments terrestres, bois, fer, pierre taillée, c'est la géomancie; si c'est dans l'eau c'est l'hydromancie; dans le feu, la pyromancie; dans les entrailles d'animaux sacrifiés sur
les autels des démons, l'haruspice.
La divination qui ne comporte pas d'invocation explicite des démons se divise en deux genres. Dans le premier on examine les dispositions de certaines choses, pour en tirer des
prévisions. A l'examen de la position et du mouvement des astres, s'adonnent les astrologues, nommés aussi généthliaques parce qu'ils étudient le jour de la naissance. - Les
observations portant sur les mouvements et les cris des oiseaux, ou d'un animal quelconque, ou encore sur les éternuements des hommes ou les tressaillements de leurs membres, portent
le nom générique d'augure. Ce mot vient de avium garritus, gazouillement des oiseaux, comme auspice vient d'avium inspection inspection des oiseaux; ces deux procédés, dont l'un se
rapporte à l'ouïe et le second à la vue, s'appliquent en effet principalement aux oiseaux. Les remarques faites sur des paroles, prononcées par des hommes dans une tout autre
intention, pour les faire tourner à la prévision de l'avenir, donnent lieu au présage: « L'observation des présages, dit Valère Maxime, a des liens avec la religion. Car on croit que
ce n'est pas le hasard, mais la providence divine qui règle l'événement. C'est ainsi que, tandis que les Romains délibéraient s'ils iraient ailleurs, un centurion s'écria, d'une
manière toute fortuite: " Porte-enseigne, plante là ton drapeau, nous resterons très bien ici ! " Ce cri fut reçu par ceux qui l'entendirent comme un présage, et ils abandonnèrent le
dessein de partir. » - Nous trouvons encore une autre espèce de divination, dans l'examen des figures qu'on voit en certains corps; ainsi la chiromancie est l'étude des lignes de la
main, du grec chiros, main; la spatulomancie, l'étude des dessins qu'on voit sur les omoplates (spatula) de certains animaux.
Le second genre de divination, sans invocation expresse des démons, consiste à examiner le résultat de certains actes attentivement pratiqués par celui qui désire connaître quelque
secret. Par exemple on trace des lignes en prolongeant des points (ce qui se rattache à la géomancie), ou bien on examine les dessins formés par du plomb fondu jeté dans l'eau. Ou
encore on dépose dans un récipient qui les cache, des papiers, écrits ou non, et l'on observe qui tirera tel ou tel; on use aussi de fétus inégaux que l'on présente pour voir qui
prendra la plus longue ou la plus courte paille; on jette les dés pour voir qui aura le plus grand nombre de points; on lit un passage d'un livre qu'on ouvre au hasard. Tout cela porte
le nom de sorts.
Il y a donc, au total, trois genres de divination: 1° Divination par appel manifeste aux démons; c'est le fait des nécromanciens; - 2° Par simple considération de la position ou du
mouvement d’une chose étrangère; c'est le fait des augures. 3° Par mise en oeuvre de certaines pratiques que l'on accomplit en vue de découvrir ce qui est caché: se sont les sorts.
Chacun de ces genres se divise lui-même en espèces nombreuses, comme il ressort de cet exposé.
Solutions:
1. Dans toutes les formes de divination qu'on vient d'examiner, la raison de péché est la même en ce qu'il a de général, mais non quant à son espèce. Il est en effet beaucoup plus
grave d'invoquer les démons que de faire des choses qui prêtent à leur intervention.
2. La connaissance des choses futures ou cachées caractérise la divination de façon générique, à titre de fin ultime. La division en espèces se prend de l'objet ou de la matière
propres à chaque mode de divination, c'est-à-dire de la diversité des choses où l'on prétend chercher cette connaissance.
3. Les signes auxquels s'applique le devin ne sont pas comme pour le diffamateur un moyen d'exprimer sa pensée, mais le principe d'une connaissance. Or, à diversité de principes,
diversité d'espèces; c'est une loi manifeste, même dans les sciences de démonstration.
ARTICLE 4: La divination démoniaque
Objections:
1. Il semble qu'elle ne soit pas illicite, car le Christ n'a rien fait d'illicite selon la première épître de S. Pierre (2, 22): « Il n'a pas commis de faute. » Or notre Seigneur a
interrogé le démon (Mc 5, 9): « Quel est ton nom? » A quoi le démon répondit: « Légion, car nous sommes une foule 1 » On peut donc interroger les démons pour savoir ce qui nous est
caché.
2. Les âmes des saints ne peuvent favoriser les questions illicites. Or, Saül, interrogeant une pythonisse sur l'issue d'une guerre future, vit lui apparaître Samuel, qui lui prédit ce
qui allait arriver (1 S, 28, 8). La divination qui fait appel aux démons n'est donc pas illicite.
3. Il semble permis de demander, à celui qui la sait, la vérité qu'il est utile de connaître. Or, il peut être utile de savoir des secrets, qu'on peut apprendre des démons, s'il s'agit
de découvrir un vol, par exemple. On peut donc user de cette sorte de divination.
Cependant, nous lisons dans le Deutéronome (18, 10): « Qu'on ne trouve parmi vous personne qui interroge les devins ou consulte les pythonisses. »
Conclusion:
Toute divination faisant appel au démon est illicite pour deux motifs.
Premier motif: le principe même de la divination. C'est en effet conclure un pacte avec le démon que l'invoquer. Et cela est tout à fait défendu. Tel est le reproche d'Isaïe (28, 15):
« Vous avez dit: nous avons fait alliance avec la mort, et conclu un pacte avec l'enfer. » Ce serait plus grave encore si l'on offrait un sacrifice au démon qu'on invoque, ou si des
marques d'honneur lui étaient rendues.
Second motif: les conséquences. Car le démon, qui veut la perte des hommes, même s'il dit vrai quelquefois, veut par ses réponses les accoutumer à le croire; il veut ainsi les amener à
mettre en danger leur salut. Sur ce texte de S. Luc (4, 35): « Il le réprimanda et lui dit: Tais-toi ! » S. Athanase commente: « Bien que le démon confessât la vérité, le Christ lui
fermait la bouche pour qu'il ne répandît pas sa perversion en la mêlant à la vérité. Il voulait nous accoutumer aussi à ne pas prêter attention aux révélations de ce genre, même si
elles paraissent vraies. Il est criminel en effet, alors que nous possédons la Sainte Écriture, de nous faire instruire par le démon. »
Solutions:
1. Comme le dit S. Bède: « Notre Seigneur n'interroge pas comme quelqu'un qui ignore. Il veut faire reconnaître la détresse du possédé pour manifester davantage la puissance du
guérisseur. » Il peut être parfois permis, dans l'intérêt des autres, de poser une question au démon qui se présente de lui-même, surtout quand la vertu divine peut le contraindre à
dire le vrai. Mais c'est là tout autre chose que d'appeler à soi le démon pour recevoir de lui la connaissance de choses occultes.
2. Comme dit S. Augustin: « Il n'est pas déraisonnable de croire que, par une permission de Dieu, et par un ordre secret qui échappait à la pythonisse et à Saül, l'âme d'un juste, sans
subir aucunement l'influence des artifices et de la puissance magique, ait pu se montrer aux regards du roi, qu'il devait frapper d'une sentence divine... Ou bien, on pourrait penser
que ce ne fut pas vraiment l'esprit de Samuel, arraché à son repos, mais un fantôme et un jouet de l'imagination, produit par les artifices diaboliques. La Sainte Écriture lui
donnerait alors le nom de Samuel en suivant le procédé commun, consiste à donner le nom des choses aux image qui les représentent. »
3. Aucun avantage temporel ne peut être mi en balance avec le dommage spirituel qui menace notre salut, si nous invoquons les démons pou découvrir des secrets.
ARTICLE 5: La divination par les astres
Objections:
1. Elle ne paraît pas illicite, car est permis d'annoncer, par l'examen des causes, l'effet qui s'ensuivra. Les médecins, d'après le cours que prend la maladie, annoncent la mort de
leur client. Or, les corps célestes sont cause de ce qui se passe dans ce bas monde; Denys lui-même le dit. La divination par les astres n'est donc pas défendue.
2. La science naît de l'expérience. C'est ce qu'on peut voir dans Aristote au début de sa Métaphysique. Or, grâce à de multiples expériences, des gens ont découvert qu'on pouvait, par
l'examen des astres, annoncer certains événements futurs. Il ne semble donc pas illicite d'employer un tel moyen pour connaître l'avenir.
3. La divination est illicite en tant qu'elle se fonde sur un pacte conclu avec les démons. Mais cela n'a pas lieu dans l'astrologie, où l'on considère simplement la disposition des
créatures de Dieu. Il parent donc que cette forme de divination n'est pas illicite.
Cependant, nous lisons dans les Confessions de S. Augustin: « je ne renonçais pas à consulter ces imposteurs que l'on nomme mathématiciens; cela parce qu'il me semblait qu'ils
n'offraient pas de sacrifices, et n'adressaient pas de prières à un esprit quelconque, en vue de leurs divinations. Et cependant la vraie piété chrétienne rejette ces pratiques et les
condamne. »
Conclusion:
Nous avons déjà dit que les démons agissent dans la divination qui procède d'une opinion fausse ou creuse, afin d'entraîner les esprits humains dans la vanité ou l'erreur. Or, c'est
faire preuve d'une opinion vaine ou fausse que de chercher à prévoir, par l'examen des étoiles, l'avenir qu'elles ne peuvent nous faire connaître. Il faut donc examiner ce que
l'observation des corps célestes peut exactement nous faire prévoir. S'il s'agit d'événements dont le cours est nécessaire, il est évident qu'on peut les prévoir par ce moyen; les
astronomes annoncent ainsi les éclipses. Mais nous nous trouvons en présence d'opinions bien diverses au sujet des prévisions sur l'avenir que peuvent fournir les étoiles.
Il y eut des gens pour dire que les étoiles signifient, plutôt qu'elles ne produisent, ce que l'on prédit en les observant. Mais cela est déraisonnable. Tout signe corporel ou bien est
un effet qui nous renseigne directement sur la cause qui le produit, ainsi la fumée est le signe du feu qui en est cause; ou bien, en désignant la cause, il désigne par là son effet,
comme l'arc-en-ciel signifie le beau temps parce que le beau temps et l'arc-en-ciel ont une même cause. Or, on ne peut dire que les positions et les mouvements des corps célestes sont
les effets d'événements futurs. Et on ne peut pas davantage ramener les uns et les autres à une cause unique de nature corporelle. La seule cause à laquelle on puisse ramener ces
différents effets comme à une source commune, est la providence divine. Mais celle-ci soumet à des lois différentes les mouvements et les positions des corps célestes, et les
événements contingents. Les premiers se produisent selon une raison nécessaire qui les produit toujours de la même manière, tandis que les seconds, soumis à une raison contingente, se
produisent de façon variable.
On ne peut donc, de l'examen des astres, tirer d'autre prévision que celle qui consiste à découvrir par avance l'effet dans sa cause. Or, deux sortes d'effets échappent à la causalité
des corps célestes. D'abord tout ce qui se produit par accident, soit dans l'ordre humain, soit dans l'ordre naturel. L'être par accident n'a pas de cause, explique Aristote, surtout
si on l'entend d'une cause naturelle comme l'influence des corps célestes. Parce que ce qui se produit par accident n'est pas à proprement parler un être et n'a pas d'unité réelle: que
la chute d'une pierre produise un tremblement de terre, qu'un fossoyeur, creusant une tombe, trouve un trésor, on ne peut reconnaître à ces rencontres d'unité formelle; de telles
rencontres n'ont pas d'unité réelle, elles sont absolument multiples. Tandis que le terme d'une opération naturelle est toujours quelque chose d'un, comme son principe qui n'est autre
que la forme naturelle de l'être qui agit.
Échappent ensuite à la causalité des corps célestes les actes du libre arbitre, « faculté de la volonté et de la raison » . L'intellect en effet, ou la raison, n'est pas un corps, ni
l'acte d'un organe corporel. La volonté, qui est la tendance correspondant à la raison, ne l'est donc pas davantage. Or, aucun corps ne peut impressionner une réalité incorporelle. Il
est donc impossible que les corps célestes fassent directement impression sur l'intelligence et la volonté, car ce serait admettre que l'intelligence ne diffère pas du sens: ce
qu'Aristote attribue à ceux qui soutenaient que « la volonté des hommes est modifiée par le père des hommes et des dieux », c'est-à-dire le soleil ou le ciel. Les corps célestes ne
peuvent donc être directement causes des opérations du libre arbitre. Ils peuvent cependant incliner ou agir en tel ou tel sens, en y disposant par leur influence. Celle-ci s'exerce en
effet sur notre corps, et par suite sur nos facultés sensitives, car celles-ci sont l'acte d'organes corporels qui inclinent à produire les actes humains. Mais ces puissances
inférieures obéissent à la raison, comme le montre Aristote; le libre arbitre n'est donc aucunement nécessité, et l'homme peut toujours, par sa raison, s'opposer à cette impulsion
venue des corps célestes.
Donc, si l'on use de l'astrologie pour prévoir les événements qui se produisent par hasard ou accidentellement, ou encore pour prévoir avec certitude les actions des hommes, on part
d'une opinion fausse et vaine. C'est ainsi que l'action des démons s'y mêle. C'est une divination superstitieuse et illicite. Si par contre, on examine les astres pour connaître
d’avance les effets directs de l’influence des corps célestes: sécheresses, pluies, etc., il n'y a plus ni divination illicite ni superstition.
Solutions:
1. Notre exposé répond à la première objection.
2. L'exactitude fréquente des prédictions des astrologues tient à deux causes: 1° La plupart des hommes suivent leurs impressions corporelles. Leurs actes n'ont donc le plus souvent
d'autre règle que le penchant imprimé par les corps célestes. Un petit nombre seulement, les sages, gouvernent ces penchants par la raison. C'est pourquoi, dans bien des cas les
prédictions des astrologues se réalisent, surtout lorsqu'il s'agit d'événements généraux qui dépendent du grand nombre. 2° Les démons s'en mêlent. « Il faut avouer, dit S. Augustin que
lorsque les astrologues disent vrai, c'est sous l'influence d'un instinct très secret que les âmes humaines subissent inconsciemment. C'est là une oeuvre de séduction, qu'il faut
attribuer aux esprits impurs et séducteurs, à qui Dieu permet de connaître certaines vérités de l'ordre temporel. » Et il tire de là cette conclusion: « Aussi un bon chrétien doit-il
se garder des astrologues et de ceux qui exercent un art divinatoire et impie, surtout s'ils disent vrai.
Il doit craindre que son âme, trompée par le commerce des démons, ne soit prise au piège dans le pacte qui l'attache à eux . »
3. Cela résout également la troisième objection.
ARTICLE 6: La divination par les songes
Objections:
1. Il semble que la divination par les songes ne soit pas illicite. Car il n'est pas illicite de profiter d'un enseignement divin. Or c'est en songe que Dieu instruit les hommes. On
lit en effet dans Job (33, 15): « Par un songe, dans la vision de la nuit, quand le sommeil accable les hommes et qu'ils dorment sur leur lit, alors Dieu leur ouvre l'oreille, et par
son enseignement les instruit de sa loi. » Employer la divination par les songes n'est donc pas illicite.
2. Ce genre de divination est précisément employé par ceux qui expliquent les songes. Or, on lit dans l'Écriture que de saints hommes l'ont pratiquée. joseph expliqua les songes de
l'échanson et du grand panetier de Pharaon, et celui de Pharaon lui-même (Gn 41, 15); et Daniel, le songe du roi de Babylone (Dn 2, 26). On peut donc employer ce genre de divination.
3. On ne peut raisonnablement nier un fait d'expérience commune. Or, tout le monde le constate, les songes ont une signification relative à l'avenir. Il est donc inutile de nier leur
efficacité divinatoire, et l'on peut à bon droit y prêter attention.
Cependant, le Deutéronome prescrit (18, 10) « Que nul parmi vous n'observe les songes. »
Conclusion:
La divination qui repose sur une opinion fausse est superstitieuse et illicite, nous l'avons dit. C'est pourquoi il faut chercher ce qu'il y a de vrai dans la prévision qu'on peut
tirer des songes. Ceux-ci sont parfois la cause d'événements futurs, par exemple lorsque l'esprit, préoccupé par ce qu'il a vu en songe, est amené à faire ou à éviter telle chose. Mais
il arrive aussi qu'ils soient le signe d'événements futurs, une même cause rendant compte du rêve et de l'événement. Telle est la raison de la plupart des prémonitions reçues en songe.
Il nous faut donc examiner quelle est la cause des songes, et si cette cause peut en même temps produire les événements futurs ou les connaître.
Il faut donc savoir que les songes peuvent dépendre de deux sortes de causes, internes et externes.
Les causes internes sont elles-mêmes soit intérieures soit extérieures. - 1° L'une est psychique: l'imagination représente dans le sommeil ce qui a arrêté sa pensée et ses affections
pendant la veille. Pareille cause ne peut avoir d'influence sur les événements postérieurs, avec lesquels ce genre de rêve n'a qu'un rapport purement accidentel. S'ils se rencontrent,
c'est par hasard. - 2° La source intérieure du rêve est corporelle. Car les dispositions internes du corps produisent des mouvements de l'imagination en rapport avec elles; l'homme
chez qui abondent les humeurs froides rêve qu'il est dans l'eau ou dans la neige. C'est pourquoi les médecins disent qu'il faut porter attention aux rêves du malade pour diagnostiquer
son état intérieur.
Quant aux causes externes, nous y retrouvons également une double division, fondée sur la distinction du corporel et du spirituel. - 1° la cause est corporelle en tant que
l'imagination du dormeur est impressionnée par l'air ambiant ou par l'influence des corps célestes. Ainsi les imaginations qui lui apparaissent dans le sommeil sont en harmonie avec la
disposition des corps célestes. - 2° La cause spirituelle est parfois Dieu qui, par le ministère des anges, fait aux hommes certaines révélations dans leurs songes, selon ce texte des
Nombres (12, 6): « S'il y a parmi vous un prophète du Seigneur, je lui apparaîtrai en vision ou je lui parlerai par un songe. » Mais d'autres fois ce sont les démons qui sont à
l'oeuvre. Ils font apparaître dans le sommeil des images grâce auxquelles ils révèlent certains faits à venir, à ceux qui ont avec eux des pactes défendus.
Il faut donc conclure que si l'on emploie les songes pour connaître l'avenir en tant qu'ils proviennent d'une révélation divine ou qu'ils dépendent d'une cause naturelle interne ou
externe, pourvu qu'on n'aille pas au-delà des limites où s'étend son influence, une telle divination ne sera pas illicite. Mais si le songe divinatoire est causé par une révélation
diabolique, à la suite d'un pacte exprès avec les démons invoqués à cette fin, ou d'un pacte tacite, parce que cette divination s'étend au-delà des limites auxquelles elle peut
prétendre, cette divination sera illicite et superstitieuse.
Solutions:
Les Objections sont par là résolues.
ARTICLE 7: La divination par les augures et par d'autres observations analogues
Objectifs: 1. Il semble que la divination par les augures, les présages et d'autres observations analogues, ne soit pas illicite, sans quoi de saints hommes ne l'emploieraient pas.
Mais on lit que Joseph consultait les augures. La Genèse (44, 5) dit en effet que l'intendant de Joseph disait: « La coupe que vous avez volée est celle dans laquelle boit mon maître,
et dont il se sert habituellement pour connaître les augures. » Joseph lui-même dit ensuite à ses frères: « Ignorez-vous donc que je n'ai pas mon pareil dans la science des augures? »
Il n'est donc pas illicite d'employer ce procédé divinatoire.
2. Les oiseaux ont une connaissance naturelle de certains événements futurs, selon Jérémie (8, 7): « Le milan connaît dans les cieux sa saison; la tourterelle, l'hirondelle, la
cigogne, observent le temps de leur arrivée. » Mais la connaissance naturelle est infaillible et vient de Dieu. Donc employer la connaissance des oiseaux pour connaître l'avenir, ce
qui est pratiquer l'augure, ne paraît pas illicite.
3. Gédéon est mis au nombre des saints (He 11, 32). Or, il s'est servi d'un présage, le jour où il entendit raconter et interpréter un songe, selon le livre des juges (7, 13). De même
Eliézer, serviteur d'Abraham, d'après la Genèse (24, 13). Ce procédé ne paraît donc pas illicite.
Cependant, on trouve dans le Deutéronome (18, 13): « Que nul parmi vous n'observe les augures. »
Conclusion:
Les mouvements ou les cris des oiseaux, et toutes les dispositions de ce genre que l'on peut observer, ne sont manifestement pas la cause des événements futurs; aussi ne peut-on y
découvrir ceux-ci, comme un effet qu'on découvre dans sa cause. Si l'on peut en tirer quelque prévision, ce sera donc seulement dans la mesure où eux-mêmes dépendent de ce qui produit
ou connaît les événements qu'ils présagent.
Les animaux dépourvus de raison agissent sous l'impulsion d'un instinct qui les meut d'un mouvement naturel. Ils ne possèdent pas en effet la maîtrise de leur activité. A cet instinct
lui-même nous pouvons assigner une double cause:
1° Une cause corporelle. N'ayant qu'une âme sensible, dont toutes les puissances sont l'acte d'organes corporels, ces animaux sont sujets à subir l'influence des corps environnants, et
en tout premier lieu des corps célestes. Rien n'empêche donc que certaines de leurs opérations ne fournissent une indication sur l'avenir, par leur conformité avec l'état des corps
célestes et de l'air ambiant, d'où proviendront certains événements. Il faut cependant faire ici deux remarques. D'abord, les prévisions fournies par l'observation des animaux doivent
se borner aux événements dont le mouvement des corps célestes rend raison, comme on l'a dit plus haut . D'autre part elles ne peuvent s'étendre au-delà de ce qui peut concerner par
quelque côté ces animaux. Ils ne reçoivent en effet des corps célestes qu'une connaissance naturelle et un instinct relatif aux choses nécessaires à leur vie: les variations des vents
et des pluies par exemple.
2° Ces instincts peuvent également dépendre d'une cause spirituelle. Ce peut être Dieu. On le voit par les cas suivants: la colombe qui descend sur le Christ, le corbeau qui ravitaille
Élie, le monstre marin qui avale et rejette Jonas. Ce peuvent être aussi les démons, qui se servent de ces activités des bêtes pour troubler l'esprit des hommes par des opinions sans
fondements.
Ces explications valent pour toutes les autres divinations de ce genre, sauf pour les présages. Parce que les paroles humaines que l'on tient pour un présage ne dépendent pas de la
disposition des astres. Elles dépendent de l'ordre providentiel que Dieu leur assigne, et parfois de l'activité des démons. Nous devons donc conclure que toute divination de ce genre,
si elle prétend franchir les limites qu'elle peut atteindre selon l'ordre de la nature ou de la Providence, est superstitieuse et illicite.
Solutions:
1. Joseph plaisantait, dit S. Augustin, quand il disait n'avoir pas son pareil dans la science des augures. Il ne parlait pas sérieusement, et sans doute se référait-il à l'opinion du
vulgaire. Il faut entendre de même les propos de son intendant.
2. Ce texte parle de la connaissance que les oiseaux ont de ce qui les concerne. Chercher à prévoir cela en considérant leurs cris et leurs évolutions, n'est pas défendu, par exemple
si le croassement répété des corneilles annonce une pluie imminente.
3. Gédéon, lorsqu'il prêta attention au récit et à l'explication du songe pour en tirer présage, vit en ces faits une instruction que lui ménageait la Providence. C'est dans les mêmes
sentiments qu'Éliézer, après avoir prié Dieu, fut attentif aux paroles que prononcerait la jeune fille. |
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